Peut-être ce grand manteau noir, comme sur notre photo de couverture, visage caché sous un chapeau ? Toujours pas. Il entre dans le champ de manière tellement inattendue, travelling fluide sur patins à roulettes, que j’ai failli ne pas le reconnaître. Oui, ces bons vieux rollers des années 1980, façon Subway. Est-ce pour cela que son personnage dans Pacifiction s’appelle De Roller, parce qu’il débarque ainsi à tous ses rendez-vous ? Pas le temps de lui poser la question, il a déjà sorti un paquet de cigarettes et tutoie direct : « T’as du feu ? C’est dur de se remettre au sport. Je sors d’une séance de deux heures ; pour mon prochain film, j’en ai trois par semaine avec un coach. Il me fait porter une combinaison mouillée qui envoie des impulsions électriques pour accélérer la musculation. Un truc dingue. » Il vient d’apparaître comme dans un tour de magie, et nous voilà déjà en terrain connu. Cette voix un peu cassée, cette gouaille familière, ce sourire enveloppant donnent l’impression de retrouver un vieux copain au charme irrésistible, capable de tout se faire pardonner en un tournemain.
À peine deux minutes qu’on se connaît, et j’en oublierais presque pourquoi je suis là, face au comédien français le plus singulier et polymorphe de sa génération, et le seul, toutes générations confondues, à avoir eu d’affilée deux César du meilleur acteur, en 2022 pourd’Emmanuelle Bercot, et en 2023 pourd’Albert Serra. Trois César, à même pas 50 ans (le premier, c’était pour en 2016, d’Emmanuelle Bercot, déjà). Soixante-dix films au compteur en trente-cinq ans de carrière, et récemment encore de Tran Anh Hùng, qui a obtenu le prix de la mise en scène, avant d’être choisi pour représenter la France aux Oscars. Les Oscars, carrément. Et pourquoi pas ? Rien ne lui semble interdit. La question qui me travaille est donc simple : comment fait-il pour être aussi crédible en gosse de riche qu’en mineur de fond, en Louis XIV ou en Alfred de Musset,