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Droit des contrats
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Livre électronique1 062 pages11 heures

Droit des contrats

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage présente le droit des contrats de manière complète et synthétique. Il donne une vision claire et pratique du droit positif sans négliger les questions fondamentales ou controversées. Il est à jour de la jurisprudence la plus récente, des derniers textes en vigueur, ainsi que du projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. On y trouvera non seulement des exemples de clauses usuelles tirées de la pratique, mais également des liens raccourcis permettant un accès en ligne aisé et gratuit aux plus grands textes et arrêts du droit civil des contrats. Cet ouvrage est ainsi destiné, non seulement aux étudiants de premier, deuxième et troisième cycles, mais également aux chercheurs et aux praticiens.
LangueFrançais
Date de sortie10 nov. 2015
ISBN9782390130666
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    Aperçu du livre

    Droit des contrats - Dimitri Houtcieff

    9782390130666_TitlePage.jpg

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

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    © Groupe Larcier s.a., 2015

    Éditions Larcier

    Espace Jacqmotte

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    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN 978-2-39013-066-6

    En France, la collection « Paradigme » accompagne l’étudiant en droit du début de ses études jusqu’à l’accès à sa profession.

    Paradigme – Manuels

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    Sous la direction de François Fourment, professeur de droit privé à l’Université de Tours et Gilles Dumont, professeur de droit public à l’Université de Nantes, directeur de l’Université numérique juridique francophone.

    Déjà parus :

    Christophe Albiges, Introduction au droit, 2e éd., 2015

    Christian Beaudet, Introduction général et historique à l’étude du Droit, 2000

    Christian Beaudet, Institutions, vie politique et faits sociaux de 1789 à 1958, 2000

    Vincent Bonnet, Droit de la famille, 4e éd., 2013

    Anne-Sophie Brun-Wauthier, Régimes matrimoniaux et régimes patrimoniaux des couples non mariés, 5e éd., 2015

    Marjorie Brusorio-Aillaud, Droit des obligations, 6e éd., 2015

    Marjorie Brusorio-Aillaud, Droit des personnes et de la famille, 6e éd., 2015

    Olivier Cachard, Droit international privé, 4e éd., 2015

    Michel Drain, Relations internationales, 19e éd., 2015

    François Duquesne, Droit des sociétés commerciales, 2e éd., 2015

    Philippe Foillard, Finances publiques, 14e éd., 2014

    Philippe Foillard, Droit administratif, 4e éd., 2015

    Philippe Foillard, Droit constitutionnel et institutions politiques, 21e éd., 2015

    Thierry Fossier, Droit pénal spécial – Affaires, entreprises et institutions publiques, 3e éd., 2015

    François Fourment, Procédure pénale, 14e éd., 2013

    Thierry Garé, Droit pénal spécial – Personnes et biens, 4e éd., 2015

    Franck Héas, Droit du travail, 4e éd., 2015

    Philippe Hoonakker, Procédures civiles d’exécution. Voies d’exécution, procédures de distribution, 4e éd., 2015

    Olivier Le Bot, Contentieux administratif, 2e éd., 2015

    Christophe Lescot, Organisations européennes : Union européenne, Conseil de l’Europe et autres organisations, 16e éd., 2015

    Gérard Mémeteau, Droit des biens, 8e éd., 2015

    Harald Renout, Droit pénal général, 18e éd., 2013

    Florent Roemer, Contentieux fiscal, 2e éd., 2014

    Marie-Christine Rouault, Droit administratif et institutions administratives, 3e éd., 2015

    Philippe Strickler, Procédure civile, 6e éd., 2015

    Béatrice Thomas-Tual, Droit de la fonction publique, 2015

    Pour Justine.

    Avant-propos

    Faut-il encore présenter un nouvel ouvrage de droit des contrats ? La profusion d’illustres manuels, traités, et autres cours de droit des contrats pourrait en dissuader. La promulgation attendue, à l’heure où nous écrivons, de l’ordonnance de réforme du droit des contrats ne suffit pas à se convaincre de l’utilité d’ajouter à cette cohorte. Du moins aura-t-on essayé ici de faire œuvre originale, en tentant de restituer le droit des contrats dans son contexte temporel, doctrinal et pratique.

    En effet, pas plus que la Rome antique dont il tire ses fondements, le droit des contrats ne s’est bâti en un jour. Aussi n’a-t-on pas voulu ici sacrifier les enseignements d’une histoire millénaire sur l’autel d’un éphémère soubresaut de la jurisprudence ou à l’augure d’un texte à venir. Au contraire, on a tenté d’éclairer la jurisprudence d’aujourd’hui par les enseignements d’hier, d’éprouver l’ordonnance à venir à l’aune des textes du Code Napoléon.

    L’on a voulu aussi redonner souffle et vie aux écrits des plus grand auteurs. Le droit a sa littérature, dont les pages jaunissent parfois dans d’austères bibliothèques. Il n’est cependant plus besoin aujourd’hui d’en fréquenter les rayons pour avoir accès aux meilleurs ouvrages. Ainsi, non seulement on cédera parfois la plume à certains de nos plus grands auteurs, mais le lecteur trouvera dans les pages qui suivent une bibliothèque virtuelle, où certaines des plus belles pages de Josserand, Demogue, Demolombe ou encore Pothier lui seront à portée de clic.

    Cet ouvrage serait cependant désincarné s’il ne s’assignait pas quelques velléités pratiques. Les décisions jurisprudentielles les plus significatives, qui sont le droit en vie, sont ainsi toutes référencées par leur numéro afin d’en faciliter la recherche. Les arrêts les plus fondamentaux, de l’arrêt Canal de Craponne à l’arrêt Lubert, peuvent quant à eux être directement consultés, en suivant les liens indiqués sous forme raccourcie. Certaines clauses issues de la pratique sont également présentées : si elles ne constituent certes pas des modèles, elles permettent toutefois une vue de la rédaction concrète des contrats.

    Fallait-il donc présenter un nouvel ouvrage de droit des contrats ? En vérité, la question ne trouvera sa réponse qu’une fois la lecture achevée¹.

    1. L’auteur tient à remercier pour leur aide Y. Houtcieff, C. Duhau et P. McCartney, sans qui cet ouvrage n’aurait pas vu le jour.

    Avertissement

    Le mot « Projet » renvoie dans les pages ci-après au Projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations tel qu’il a été rendu public par le ministère de la Justice le 25 février 2015. Un lien internet renvoyant à ce texte peut-être trouvé en fin d’ouvrage dans la bibliographie des ouvrages consultables en ligne.

    Liste des principales abréviations

    Sommaire

    Avant-propos

    Avertissement

    Liste des principales abréviations

    Préalables : l’obligation

    Introduction au droit des contrats

    Partie 1

    La formation du contrat

    Chapitre I Accord de volontés

    Chapitre II Contenu du contrat

    Chapitre III Sanctions

    Partie 2

    Effets du contrat

    Chapitre I Force obligatoire et effet relatif

    Chapitre II Remèdes à l’inexécution

    Bibliographie

    Index

    Préalables : l’obligation

    1. Droit des contrats et droit des obligations. Le droit des contrats n’est qu’un pan d’une matière plus vaste : le droit des obligations. Il ne saurait donc se dispenser du préalable d’une brève présentation de la notion d’obligation. Le mot désigne ordinairement de multiples choses : ne parle-t-on pas ici d’obligation pour désigner un titre financier, là pour évoquer l’effet d’une règle impérative. La polysémie étant rarement le signe de la fermeté d’un concept, il faut saisir le cœur de la notion d’obligation civile (Section 1) et élucider la question de ses sources (Section 2). Alors sera-t-il seulement temps de se confronter à la matière contractuelle.

    Section 1

    Notion d’obligation

    2. Obligation civile : définition. L’obligation civile est un lien de droit par lequel une ou plusieurs personnes déterminées sont tenues envers une ou plusieurs autres personnes déterminées de donner, de faire ou de ne pas faire quelque chose. La définition plonge ses racines dans les Institutes de Justinien¹. Elle met en lumière deux éléments essentiels :

    – d’une part, elle est un lien de droit en vertu duquel celui qui est tenu – le débiteur – peut être actionné en justice par son créancier afin d’être contraint d’en procurer l’exécution ;

    – d’autre part, elle existe entre une ou plusieurs personnes déterminées, en quoi elle est essentiellement individuelle et relative.

    Comme l’écrivait déjà Demolombe², le cumul de ces deux caractères permet de distinguer l’obligation civile des devoirs généraux.

    « Ces deux caractères de l’obligation civile la précisent nettement, et ne permettent pas de la confondre avec les autres devoirs, dont les personnes peuvent être tenues dans l’état social, et auxquels on donne aussi le nom d’obligation en prenant ce mot dans un sens large et élevé. Mais ces autres obligations ne réunissent jamais ensemble les deux caractères que nous venons de reconnaître dans l’obligation civile proprement dite […] De sorte que, pour celles dont l’exécution est garantie par la puissance publique, elle n’existe pas entre une personne déterminée et une autre personne déterminée ; et que pour celles qui existent entre une personne déterminée et une autre personne déterminée, l’exécution n’est pas garantie par la puissance publique » ³.

    L’obligation civile se présente ainsi sous les traits d’un droit personnel : parce qu’elle lie les personnes et ne porte pas directement sur une chose, elle se distingue du droit réel (§ 1) ; parce qu’elle est assortie d’une sanction, elle se distingue de l’obligation morale (§ 2).

    § 1. Obligation et droit réel

    3. Notion de droit réel. L’obligation civile est la figure même du droit personnel, que l’on appelle encore droit de créance : comme on l’a dit, elle est un lien entre deux personnes ayant pour objet une prestation. Elle s’oppose en cela au droit réel, qui porte directement sur une chose et permet à son titulaire de disposer d’un monopole sur son utilité : il en résulte que le titulaire du droit réel exerce directement ses prérogatives sur le bien qui en est l’objet, sans l’entremise de quelconque autre intervenant, et qu’il peut unilatéralement l’ « abdiquer » ou « déguerpir », c’est-à-dire y renoncer. Ainsi en va-t-il du droit de propriété, qui constitue l’archétype des droits réels : le propriétaire d’immeuble peut, sans en référer à quiconque, l’habiter, le vendre ou encore renoncer à la propriété. Certes, dans les faits, droits personnels et réels paraissent parfois aboutir à des situations comparables : le locataire ne semble-t-il pas jouir de la chose à l’instar d’un propriétaire ? Cette apparence est pourtant trompeuse : puisqu’il est lié par une obligation civile, le locataire ne tient ses droits que du propriétaire et lui doit compte ; puisqu’il est titulaire d’un droit réel, le propriétaire exerce directement ses prérogatives sur le bien et ne doit nul compte à personne.

    4. Obligation réelle. La distinction des droits réels et droits personnels est perturbée par la catégorie intermédiaire de l’obligation réelle ou propter rem : il s’agirait d’une obligation liée à la chose pesant sur le propriétaire de la chose et non personnellement sur le débiteur. Le contenu de cette catégorie est mal défini, sa conception étant purement doctrinale : leur régime est tout aussi incertain. Accessoire à une chose, l’obligation se transmettrait avec elle aux propriétaires successifs de celle-ci. Elle serait néanmoins soumise pour le reste aux règles des obligations civiles.

    5. Variété des droits réels. Les droits réels peuvent être distingués en deux grandes catégories. Les droits réels principaux sont ceux qui portent sur la matérialité même de la chose : pour les énumérer sans s’y arrêter dans ce cadre, il s’agit de la propriété ou de ses démembrements⁴, ou encore des servitudes, de l’emphytéose, du droit de superficie ou encore du droit du preneur en matière de bail à construction. Les droits réels accessoires sont ainsi désignés parce qu’ils sont accessoires à des créances. Ils portent sur la valeur pécuniaire de la chose, et sont en réalité des garanties : il s’agit des privilèges spéciaux, de l’hypothèque, du gage et du nantissement. Traditionnellement, on considérait que cette énumération était limitative : la Cour de cassation l’a solennellement affirmé il y a loin⁵. Elle semble prête aujourd’hui à admettre le contraire : la volonté contractuelle pourrait ainsi créer de nouveaux droits réels⁶.

    6. Absolutisme et opposabilité des droits réels. Le droit réel se distingue par certaines spécificités. Contrairement au droit personnel, il est généralement considéré comme un droit absolu. Au point que l’article 544 du Code civil dispose que la propriété – qui constitue l’archétype des droits réels – « est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». À tort ou à raison, les rédacteurs du Code civil ont souhaité marquer la supériorité de la propriété sur les autres droits, y compris réels, et proclamer la totale maîtrise du propriétaire sur son bien. Les droits réels sont en outre censément opposables à tous, ce qui justifie que leurs titulaires puissent obtenir la sanction de toute violation commise par des tiers. En pratique, néanmoins, l’opposabilité est souvent subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité, par exemple en matière foncière.

    7. Droit de suite et droit de préférence. Le droit réel portant directement sur la chose, son titulaire peut exercer ses prérogatives en quelques mains qu’elle passe. Le créancier hypothécaire peut ainsi appréhender l’immeuble même si la propriété de celui-ci est transmise à un tiers. Enfin, le droit réel confère un droit de préférence permettant d’échapper au risque de concours avec d’autres titulaires de droit sur le bien. Lorsque le droit réel est « accessoire » et garantit une créance, le droit de préférence permet à son titulaire de primer les créanciers chirographaires et d’être payé par priorité sur la valeur du bien.

    8. Casuistique. Si droits réels et personnels sont soumis à des règles différentes, leur distinction n’est pas toujours aisée en pratique. Ainsi qu’on l’a dit, ces droits de natures fort éloignées donnent parfois lieu à des situations comparables dans les faits. Voici par exemple une « clause d’habitation bourgeoise » imposant comme il est fréquent au propriétaire d’un immeuble de ne pas exercer d’activité professionnelle : institue-t-elle un droit réel ou personnel ? Dans le premier cas, elle sera opposable à tous et pourra même donner parfois lieu à la démolition de l’immeuble à titre de sanction de la violation du droit réel. Dans le second cas, elle ne pourra être invoquée que par les parties qui l’auront contractée. Les tribunaux oscillent entre l’une ou l’autre de ces qualifications : tantôt ils voient dans ces clauses des droits réels⁷, tantôt ils y voient de simples obligations contractuelles⁸. Tout dépend de l’intention des parties et de la question de savoir si elles ont voulu créer une véritable servitude ou bien un droit personnel : de là une démarche nécessairement casuistique des tribunaux⁹.

    § 2. Obligation civile et obligation naturelle

    9. Obligation civile et obligation morale. L’obligation civile appelle une sanction de l’ordre juridique. Elle repose d’une part sur la prestation à accomplir – ou debitum – et d’autre part sur le pouvoir de contrainte appartenant au créancier – ou obligatio. Le créancier dispose du pouvoir de contraindre le débiteur à l’exécution, ce qu’il est convenu d’appeler « l’exécution forcée ». L’obligation morale n’est en revanche sanctionnée que par le tribunal de la conscience – le « for de la conscience »¹⁰. La frontière entre obligations civile et morale est cependant parfois poreuse, ce dont atteste la notion d’obligation naturelle.

    10. Notion d’obligation naturelle. La protection du créancier se prolonge au-delà de l’exécution de l’obligation civile par le débiteur : une fois qu’il a payé, le débiteur ne peut exiger aucune restitution. Il en résulte en revanche que si le débiteur a payé alors qu’il n’existait aucune obligation civile, il a droit à restitution de ce qu’il a versé. L’article 1235, alinéa 1er, du Code civil dispose ainsi « Tout payement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition [restitution] ». L’alinéa second ajoute : « La répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées »¹¹. Il s’en déduit que certaines obligations ne peuvent donner lieu à une exécution forcée, mais qu’elles n’ouvrent pas pour autant un droit à restitution au profit du débiteur si elles ont été volontairement payées. Un debitum peut donc exister sans obligatio, une dette sans contrainte : c’est l’obligation naturelle¹².

    11. Théorie de l’obligation naturelle. Comment expliquer le paradoxe d’une obligation non obligatoire ? Doit-on la ravaler à une obligatio inutilis¹³ au prétexte qu’elle n’est guère contraignante ? La doctrine s’est essayée à diverses explications. Les auteurs classiques présentaient l’obligation naturelle comme une obligation civile imparfaite parce que dépourvue d’action. Ainsi, Aubry et Rau¹⁴, qui considéraient les obligations naturelles comme des obligations civiles « avortées » ou « dégénérées » :

    « Les obligations simplement naturelles sont, d’une part, les devoirs qui, fondés sur une cause juridique de nature à engendrer, au profit d’une personne contre une autre, un droit à une prestation déterminée, seraient légitimement et rationnellement susceptibles de devenir l’objet d’une coercition extérieure, mais que le législateur n’a pas jugé convenable de reconnaître comme obligations civiles (…). Les obligations simplement naturelles sont, d’autre part, les obligations à la fois naturelles et civiles à l’origine, auxquelles le législateur a, par des motifs d’utilité sociale, retiré le droit d’action »¹⁵.

    Cette théorie fut critiquée, notamment en ce qu’elle ignorait le fait que la jurisprudence faisait parfois « monter des devoirs moraux à la vie juridique »¹⁶. Cette dernière idée constitue le fondement de la théorie dite « moderne » de l’obligation naturelle, même si cette conception « moralisante » se retrouve déjà chez Pothier¹⁷. L’obligation naturelle est aujourd’hui généralement conçue comme un devoir moral accédant à la vie juridique.

    12. Effets de l’obligation naturelle. Le créancier d’une obligation naturelle ne saurait être admis à obtenir son exécution forcée¹⁸. Il ne peut pas davantage bénéficier d’une compensation, d’une constitution d’hypothèque ou d’un cautionnement. Si les effets de l’obligation naturelle ne sont pas aussi puissants que ceux de l’obligation civile, ils n’en sont cependant pas moins réels : le débiteur ne peut agir en restitution des sommes acquittées, pour peu qu’il les ait volontairement versées¹⁹. Voire ! Quoique l’article 1235 du Code civil n’en dise rien, il est admis que le débiteur peut transformer par un acte de volonté non équivoque l’obligation naturelle en véritable obligation civile²⁰ : « L’obligation naturelle peut servir de base, non seulement à un paiement, mais à une promesse de paiement »²¹. Reste à expliquer ce changement de nature de l’obligation.

    13. De la novation à la transformation de l’obligation naturelle en obligation civile. Une explication a prévalu depuis le droit romain : « Qu’une obligation naturelle puisse servir de cause à une obligation civile, par voie de novation, écrivait Demolombe, c’est ce qui a été, de tout temps admis »²². Vénérable et antique, cette thèse n’était pas convaincante. La novation suppose en effet une obligation civile à éteindre : or par hypothèse, celle-ci n’existe pas²³ ! Aussi la Cour de cassation a-t-elle avec raison abandonné cette doctrine par une décision rendue par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 10 octobre 1995²⁴ : « La transformation de l’obligation, qui a été improprement qualifiée [par la cour d’appel] novation d’une obligation naturelle en obligation civile, repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle et n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci ». La solution est désormais constante²⁵. À la vérité, elle n’est pas très éclairante : quoiqu’elle exclue la novation, la notion de transformation est creuse et sans contenu précis. L’incantation du mécanisme particulièrement fuyant d’engagement unilatéral ne participe pas à dissiper l’élégant flou technique de ces décisions²⁶.

    Section 2

    Sources de l’obligation

    14. Plan. Il s’agit ici de se demander quelles sont les causes créatrices des obligations. Les réponses se sont affinées au fil des siècles, les auteurs se livrant à une manière de taxinomie des sources. Maintes classifications ont ainsi été proposées²⁷. L’on se bornera ici à évoquer les deux principales : celle retenue par le Code civil (§ 1) ; celle généralement reçue par la doctrine moderne, qui distingue les actes des faits juridiques (§ 2).

    § 1. Loi, contrat, quasi-contrat, délit et quasi-délit

    15. Origines. Le droit romain admettait déjà que la loi et la volonté étaient deux sources de l’obligation. Allant plus avant dans la distinction, les commentateurs ont opposé les obligations immédiates et médiates : les premières découlent immédiatement de la loi ; les secondes découlent d’un fait quelconque de l’homme, licite ou illicite, d’un contrat ou d’un délit auquel la loi a attaché certains effets. Gaïus²⁸ précisa cette distinction, présentant, à côté des obligations contractuelles, les obligations quasi-contractuelles (obligationes quae quasi ex contractu nascuntur) et à côté des obligations délictuelles, les obligations quasi-délictuelles (obligationes quae quasi ex delicto nascuntur). Fort complexe, cette distinction ne recouvre pas même toutes les sources d’obligations. Elle est cependant passée jusqu’à nous en empruntant le chemin du corpus juris civilis de Justinien. Elle se retrouve plus qu’en filigrane à l’article 1370 du Code civil, tel qu’il fut promulgué en 1804 :

    « Certains engagements se forment sans qu’il intervienne aucune convention, ni de la part de celui qui s’oblige, ni de la part de celui envers lequel il est obligé.

    Les uns résultent de l’autorité seule de la loi ; les autres naissent d’un fait personnel à celui qui se trouve obligé.

    Les premiers sont les engagements formés involontairement, tels que ceux entre propriétaires voisins, ou ceux des tuteurs et des autres administrateurs qui ne peuvent refuser la fonction qui leur est déférée.

    Les engagements qui naissent d’un fait personnel à celui qui se trouve obligé, résultent ou des quasi-contrats, ou des délits ou quasi-délits ; ils font la matière du présent titre ».

    Selon cette disposition, les obligations peuvent jaillir de quatre sources différentes : la loi, le contrat, le quasi-contrat, le délit ou le quasi-délit. On laissera pour l’instant de côté le contrat, qui fait l’objet de l’essentiel des développements de cet ouvrage.

    16. Engagements résultant de l’autorité seule de la loi. Le mot « loi » doit être compris dans un sens très large. Il faut entendre une norme générale, impersonnelle et abstraite. Il peut s’agir donc de la loi au sens matériel – votée par le parlement –, mais aussi du règlement, de la coutume, ou même de la jurisprudence. Les obligations légales considérées sont celles qui découlent du seul effet de la loi, à l’exclusion notamment de toute influence de la volonté. La formulation de l’article 1370 laisse deviner que ces engagements sont peu nombreux : « Ceux entre propriétaires voisins, ou ceux des tuteurs et des autres administrateurs qui ne peuvent refuser la fonction qui leur est déférée » dit le Code civil. Ces obligations légales constituent en réalité une catégorie résiduelle.

    17. Quasi-contrats. Les quasi-contrats sont définis par l’article 1371 du Code civil comme « Les faits purement volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ». La dénomination est trompeuse : les quasi-contrats ne sont pas « quasiment un contrat », dès lors qu’ils ne reposent sur aucun accord de volontés. Cette notion n’est qu’une séquelle des variae causarum figurae de Gaïus, qui recouvraient tout ensemble obligations quasi-contractuelles et délictuelles. Jurisprudence et doctrine tendent aujourd’hui à voir dans ces quasi-contrats la sanction d’un enrichissement injuste au détriment d’autrui. Deux quasi-contrats sont évoqués par le Code civil : la gestion d’affaires et la répétition de l’indu. La jurisprudence en a conçu un troisième : l’enrichissement sans cause. Elle a ainsi mis au jour le cœur battant de la notion, affirmant l’action de in rem verso – l’enrichissement sans cause – dérive « du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui »²⁹. Plus récemment, la Cour régulatrice n’a pas hésité à créer un quatrième quasi-contrat. C’est ainsi que, sous le visa de l’article 1371 du Code civil, elle a affirmé que « L’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer »³⁰ : il n’est pas certain que ce quatrième quasi-contrat survive à la réforme du droit des obligations, la classification retenue ayant écarté ce dernier³¹. Somme toute, les quasi-contrats sont un instrument d’équité conduisant à rétablir un équilibre injuste entre deux patrimoines. La nouvelle définition proposée par le Projet en tire les conséquences : selon l’article 1300 à venir « Les quasi-contrats sont des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ».

    18. Délits et quasi-délits. Les obligations quasi-délictuelles découlent d’une faute non-intentionnelle (C. civ., art. 1383), cependant que les obligations délictuelles découlent d’une faute intentionnelle (C. civ., art. 1382)³². Si le Code civil reprend cette distinction, il n’en tire guère de conséquences, dès lors que l’une ou l’autre de ces fautes entraîne l’application de la responsabilité délictuelle, c’est-à-dire une obligation d’indemniser la victime du dommage. Le Code civil ne fait guère de distinction en fonction de la gravité de la faute : leur étude constitue le domaine de la responsabilité civile.

    19. Insuffisances de cette distinction. Les distinctions retenues par le Code civil sont complexes et confuses à la fois. Délits et quasi-délits sont autant d’obligations légales. Les quasi-contrats empruntent quant à eux bien davantage à ces dernières qu’au contrat lui-même, tant la volonté y joue les seconds rôles. Le Projet d’ordonnance de réforme du droit des obligations devrait dépoussiérer un brin ces vestiges romains. Il distingue en tant que « sources des obligations », le contrat, la responsabilité extracontractuelle et « les autres sources d’obligations ». N’aurait-il pas été plus simple d’opposer tout simplement la loi et la volonté et ainsi de reprendre l’ordinaire dichotomie de l’acte et du fait juridiques ?

    § 2. Acte juridique et fait juridique

    20. Acte juridique. L’acte juridique est une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit. Ainsi en va-t-il du contrat, en tant qu’il est un accord de volontés produisant des effets de droit. Il en va de même de l’acte juridique unilatéral, comme la reconnaissance ou encore le testament. Il en va encore ainsi de l’engagement unilatéral de volonté, qui tend, pour autant qu’il soit admissible, à la création d’obligation par la seule puissance de la volonté du débiteur³³. Quel que soit l’acte juridique, on distingue le negotium de l’instrumentum. Le negotium désigne le contenu de l’acte juridique : c’est la volonté des parties elle-même. L’instrumentum fait quant à lui référence au contenant, à l’écrit qui permettra de solenniser ou bien de prouver l’acte juridique. De manière générale, le Code civil ne s’est pas préoccupé de la notion et du régime de l’acte juridique. La convention étant l’archétype de l’acte juridique, l’on considère ordinairement que les règles du droit commun des contrats s’appliquent mutatis mutandis à tous les actes juridiques.

    21. Faits juridiques. Les faits juridiques sont des événements quelconques auxquels une règle de droit attache des effets juridiques qui n’ont pas été spécialement ou directement voulus par les parties. La volonté n’a pas d’emprise directe sur les effets de droit. Il ne s’en déduit pas nécessairement que la volonté n’existe pas : au point que l’on distingue d’ailleurs les faits juridiques volontaires des faits juridiques involontaires.

    22. Fait juridique involontaire. Le fait juridique involontaire est celui où la volonté ne joue aucun rôle. Ainsi, un accident entraîne l’indemnisation de la victime : l’effet juridique se produit sans qu’il existe aucune volonté à sa source.

    23. Fait juridique volontaire. Le fait juridique volontaire est celui où la volonté existe sans que l’effet juridique en découle. Ainsi, le changement de domicile peut entraîner une modification du domicile fiscal : la volonté existe, mais elle est sans lien avec l’effet juridique produit, qui n’a pas même été souhaité. Aurait-il été souhaité, qu’il en irait d’ailleurs de même ! Si une personne change de domicile fiscal pour bénéficier de règles plus favorables, l’effet de droit ne résultera que de la loi et non de la puissance de la volonté. La volonté existe mais n’est pas la source de l’effet de droit.

    24. Intérêt de la distinction. Cette distinction a pour intérêt essentiel de déterminer les règles de preuve applicables à la situation : tandis que l’acte juridique se prouve en principe par écrit³⁴, la preuve est libre en matière de fait juridique. Le Projet reprend du reste expressément cette distinction³⁵. La distinction a également un rôle conceptuel, qui permet d’offrir une grille de lecture simple à l’interprète : on comprend que cette distinction ait servi de fondement à certaines propositions de réforme du Code civil³⁶. Elle servira également d’assise au présent ouvrage, qui se focalisera sur l’acte juridique à travers son archétype : le contrat.

    1. « Obligatio est juris vinculum, quo necessitate adstringimur alicujus solvendae rei, secundum nostrae civitatis jura », Inst., lib. III, tit. XIV, princ. Ce qui peut approximativement se traduire de la manière suivante : « L’obligation est un lien de droit qui nous astreint à la nécessité de faire un paiement selon les lois de notre cité ».

    2. Sur cet auteur, voy. infra, n° 45.

    3. C. 

    Demolombe

    , Traité des contrats et des obligations conventionnelles en général, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1877, n° 4, http://bit.ly/1BWubaW.

    4. L’usufruit, la nue-propriété, l’usage et l’habitation.

    5. Cass. (req.), 13 février 1834, S., 1834, 1, p. 205, http://bit.ly/1bZSgHU.

    6. Cass. (3e civ.), 31 octobre 2012, n° 11-16.304, Bull., III, n° 159, D., 2012, p. 2596 et D., 2013, p. 53, obs. A. 

    Tadros

    , note L.

    d’Avout

    et B. 

    Mallet-Bricout

    .

    7. Cass. (civ.), 30 juin 1936, RTD civ., 1936, p. 883, obs. H. 

    Solus

     : « Si en effet l’obligation d’habiter bourgeoisement constitue nécessairement une obligation imposée aux personnes pour le temps, d’ailleurs limité, où elles habitent un immeuble déterminé, l’interdiction faite au propriétaire d’un fonds de l’affecter à un autre usage que l’habitation bourgeoise peut parfaitement, suivant les circonstances, revêtir le caractère d’un service attaché au fonds lui-même dans l’intérêt d’un autre fonds ».

    8. Cass. (civ.), 29 mars 1933, DH, 1933, p. 282, http://bit.ly/1bZRAlY ; RTD civ., 1933, p. 904, obs. H. 

    Solus

    .

    9. Cass. (3e civ.), 29 avril 1969, n° 66-12.872, Bull., III, n° 336, JCP G, 1970, II, 16286, note G. G. : « La question de savoir si les stipulations du cahier des charges d’un lotissement engagent les seuls contractants à titre personnel ou affectent les fonds eux-mêmes d’une charge réelle, relève d’une interprétation de la volonté des parties à laquelle les juges du fond procèdent souverainement d’après les termes de l’acte et les circonstances de la cause ». Adde Cass. (3e civ.), 28 janvier 1971, n° 69-12.645, Bull., III, n° 62 ; Cass. (3e civ.), 27 juin 1972, n° 71-11.657, Bull., III, n° 433 ; Cass. (3e civ.), 18 février 1976, n° 74-13.016, Bull., III, n° 70.

    10. Le mot « for » est un emprunt au latin forum, qui signifiait place publique. Le mot fut plus tard utilisé pour désigner des tribunaux.

    11. Le mot « répétition » doit ici être pris au sens de restitution.

    12. Voy. not. M. 

    Gobert

    , Essai sur le rôle de l’obligation naturelle, Paris, Sirey, 1957 ; adde G. 

    Ripert

    , La règle morale dans les obligations civiles, Paris, LGDJ, 1949, spéc. nos 186 et s. ; J.-J. 

    Dupeyroux

    , « Les obligations naturelles, la jurisprudence et le droit », in Mélanges J. Maury, t. II., Paris, Dalloz, 1960, pp. 321 et s. ; J. 

    Flour

    , « La notion d’obligation naturelle et son rôle en droit civil », in Travaux de l’Association Henri Capitant, 1952, pp. 813 et s.

    13. L’expression est notamment utilisée par

    Gaïus

    in Comm., § 176, L. III.

    14. Charles Aubry (1803-1883) fut professeur à la Faculté de droit de Strasbourg et conseiller à la cour de cassation. Charles Rau (1803-1877) fut également professeur à la Faculté de droit de Strasbourg et avocat. Ensemble, ils rédigèrent un cours de droit civil français en 8 volumes, qui fut remanié par de nombreux auteurs. Ce cours est généralement considéré comme le premier des « traités de droit civil » en France, c’est-à-dire comme le premier ouvrage s’écartant du plan du Code civil pour traiter de sa matière.

    15. C. 

    Aubry

    et C. 

    Rau

    , Cours de droit civil, 5e éd., t. IV, 1902, pp. 6 et s., § 297, http://bit.ly/1L1eJQO (lien vers la 4e éd.).

    16. Voy. G. 

    Ripert

    , La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., nos 187 et s.

    17. « On appelle obligations imparfaites les obligations dont nous ne sommes comptables qu’à Dieu, et qui ne donnent aucun droit à personne d’en exiger l’accomplissement : tels sont les devoirs de charité, de reconnaissance ; telle est, par exemple, l’obligation de faire l’aumône » : R.J. 

    Pothier

    , Obligations, Paris, Béchet, 1824-25, n° 1, http://bit.ly/1EUl01M.

    18. Cass. (1ère civ.), 14 février 1978, n° 76-11.428, Bull., I, n° 59.

    19. Cass. (1ère civ.), 5 avril 1993, n° 90-21.734, Bull., I, n° 141, RTD civ., 1993, p. 576, obs. J. 

    Hauser

     ; Cass. (1ère civ.), 28 janvier 2009, n° 07-14.526.

    20. Cass. (1ère civ.), 14 février 1978, Bull., I, n° 59.

    21. M. 

    Planiol

    , « L’assimilation progressive de l’obligation naturelle et du devoir moral », Rev. crit. lég. et jurisp., 1913, p. 152, spéc. p. 154

    22. C. 

    Demolombe

    , Traité des contrats et des obligations conventionnelles en général, op. cit., n° 256. Une édition belge de cet ouvrage est consultable ici : http://bit.ly/1BWubaW.

    23. La novation peut être définie comme l’opération par laquelle les parties décident de substituer une obligation civile nouvelle à une obligation civile préexistante, qui est corrélativement éteinte (art. 1271 C. civ.).

    24. Cass. (1ère civ.), 10 octobre 1995, Bull., I, n° 352, D., 1996, somm., p. 120, obs. R. 

    Libchaber

    , D., 1997., p. 155 note G. 

    Pignarre

     ; Adde N. 

    Molfessis

    , « L’obligation naturelle devant la Cour de cassation », D., 1997, chron., p. 85.

    25. Cass. (1ère civ.), 3 juin 1998, n° 96-13.664 ; Cass. (1ère civ.), 23 mai 2006, n° 04-19.099.

    26. Voy. infra, nos 54 et s.

    27. Pour une analyse particulièrement fine et détaillée, M. 

    Fabre-Magnan

    , Droit des obligations, t. I, Contrat et engagement unilatéral, 4e éd., coll. Thémis, Paris, PUF, 2015, nos 5 et s.

    28. Gaïus (120-180) était un jurisconsulte romain qui vécut sous le règne de l’empereur Hadrien. On lui attribue les Institutes, qui sont une sorte de manuel de droit romain.

    29. Cass. (req.), 15 juin 1892, Boudier, S., 1893, 1, p. 281, note J. E. L, D., 1892, I, p. 596, http://bit.ly/1FjB0Iv.

    30. Cass. (ch. mixte), 6 septembre 2002, D., 2002, 2963, note D. 

    Mazeaud

    , JCP G, 2002, II, 10173, note S. 

    Reifegerste

     ; Contrats, conc. consom., 2002, comm. n° 151, obs. G. 

    Raymond

     ; LPA, 24 octobre 2002, p. 16, note D. 

    Houtcieff

    .

    31. Selon l’alinéa 2 du Projet d’article 1300 du Code civil : « Les quasi-contrats régis par le présent sous-titre sont la gestion d’affaires, le paiement de l’indu et l’enrichissement injustifié ».

    32. On se gardera de confondre ce qui est délictuel et relève de la responsabilité civile de ce qui est délictueux et relève de la responsabilité pénale.

    33. Sur cette notion, voy. infra, nos 54 et s.

    34. C. civ., art. 1341.

    35. Projet, art. 1359 : « La preuve des faits est libre. Elle peut être apportée pour tous moyens. » ; Projet, art. 1360 : « L’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit ».

    36. Voy. art. 1101 à 1103 de l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, http://bit.ly/1zeBxfa.

    Introduction au droit des contrats

    25. Plan. Le droit des contrats a été façonné par la loi et la jurisprudence, comme le révèle l’étude de ses sources et de son évolution (Section 1). Il conviendra ensuite d’aborder la notion de contrat (Section 2) avant d’envisager les classifications auxquelles elle donne lieu (Section 3).

    Section 1

    Sources et évolution du droit des contrats

    26. Plan. Les sources du droit des contrats seront sommairement décrites (§ 1) avant que l’on brosse à grands traits son évolution (§ 2).

    § 1. Sources du droit des contrats

    27. Loi et Code. La source primordiale du droit des contrats est la loi. L’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que la loi détermine les « principes fondamentaux du régime des obligations civiles et commerciales ». Quoique le rôle de la jurisprudence soit aujourd’hui des plus importants, le droit civil français passe encore pour un droit écrit façonné par le législateur. Parmi les textes, le Code civil domine, bien qu’il soit concurrencé sur ses propres terres par d’autres instruments, tels que le Code de la consommation.

    28. Constitution. Le législateur ne peut cependant pas tout. Les principes fondamentaux du droit des obligations sont protégés contre le législateur lui-même par la Constitution¹. Certes, le Conseil constitutionnel a d’abord estimé « qu’aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le principe de la liberté contractuelle »². Il a néanmoins précisé que sa méconnaissance pouvait être invoquée dans les cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et des libertés constitutionnellement garantis³. L’évolution n’était cependant pas achevée : le Conseil constitutionnel s’acheminait à petits pas vers la consécration de la liberté contractuelle en tant que norme constitutionnelle⁴. Ce pas a été franchi le 13 juin 2013⁵. Désormais, selon le Conseil constitutionnel : « Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». La consécration est nette. Le législateur n’a pour seul pouvoir que de limiter la liberté contractuelle sans y porter d’atteintes disproportionnées. Cette décision réaffirme en outre la force obligatoire du contrat, qui s’impose même dans une certaine mesure au législateur qui ne « saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ». Tout récemment, le Conseil constitutionnel, réaffirmant ces principes à l’occasion de l’examen de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – dite Loi Macron – a par ailleurs estimé qu’il était dès lors loisible au législateur de soumettre certains contrats de distribution à une échéance commune sans qu’il s’agisse là d’une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle : selon cette décision en effet, « le principe de liberté contractuelle ne protège pas un droit à « l’individualisation de la relation contractuelle » ⁶.

    29. Influence de la QPC. L’on aurait pu s’attendre à ce que la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) accentue le mouvement d’une « constitutionnalisation » du droit des contrats : ce n’est pour l’instant pas le cas. Comme on sait, la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a en effet inséré dans la Constitution un nouvel article 61-1, selon lequel « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». L’article 62 de la Constitution précise par ailleurs qu’« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». Ce mécanisme est néanmoins de peu d’intérêt pour le justiciable en matière contractuelle : son invocation suppose que le contrat transcrive directement une disposition législative inconstitutionnelle, ce qui n’arrive que fort rarement. Somme toute, la QPC n’a pas vocation à permettre un examen de la constitutionnalité d’un contrat : le juge pourra tout au plus s’assurer de ce que la convention respecte les droits et libertés fondamentaux en vigueur⁷.

    30. Convention européenne des droits de l’homme et Charte de l’Union européenne. Les droits et libertés fondamentaux ne se bornent pas à la Constitution. On sait que les juridictions internes de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif contrôlent le respect de textes internationaux comme la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou encore la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il est désormais nécessaire de prendre ces instruments en considération dans l’étude du droit des contrats. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi condamné sur le fondement du droit au respect à la vie privée et du droit à la liberté d’expression des interdictions professionnelles affectant les capacités d’anciens membres du KGB de conclure un contrat de travail⁸. L’ordre public traditionnel est peu à peu pénétré par les droits et libertés fondamentaux façonnés par ces textes : les clauses contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et à ses principes sont régulièrement écartées par les juges⁹.

    31. Conventions, traités internationaux et droit européen. Au-delà des droits fondamentaux, les conventions et les traités internationaux constituent une source éminente du droit des contrats, d’autant qu’ils ont une valeur supérieure à la loi¹⁰. Un nombre important de conventions déterminant la loi applicable en cas de relations contractuelles internationales – ce que l’on appelle ordinairement les « conflits de lois » – ont été ratifiées par la France : tel est notamment le cas de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, aujourd’hui remplacée par un règlement européen¹¹. D’autres instruments, plus ambitieux, mettent en place des règles se superposant aux droits nationaux. Au-delà d’une simple harmonie des solutions, ils prévoient des solutions uniformes dès lors que la relation est affectée d’un « élément d’extranéité » : par exemple, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises, entrée en vigueur en France le 1er janvier 1991. L’importance des traités et du droit dérivé de ceux-ci est cependant considérablement renforcée par le droit issu de l’Union européenne. Nombre de directives et autres règlements et recommandations exercent leur l’influence sur le droit français : de larges pans de la réglementation européenne touchant au droit des obligations sont régulièrement transposés dans le Code de la consommation, comme si le bras du législateur français tremblait à l’idée de porter atteinte au Code civil en les y intégrant¹².

    32. Jurisprudence. La jurisprudence exerce également un rôle important dans la formation du droit des contrats. Parce qu’ils sont en prise directe avec la vie du négoce, les juges sont particulièrement bien placés pour contribuer à l’évolution du droit dans la mesure où la loi le leur permet. Paradoxalement, les règles d’origine jurisprudentielle sont d’ailleurs parfois plus stables que les règles légales. Ainsi, le Code civil n’évoquant presque pas la question de la formation des contrats, c’est la jurisprudence qui en a fixé les règles et les principes. Le législateur est parfois à la traine. Le projet de réforme à venir en atteste à sa manière en codifiant nombre de jurisprudences acquises. Faut-il pour autant reprocher au législateur de prendre acte de l’évolution constante du droit des contrats et des obligations ?

    § 2. Évolution du droit des obligations

    33. Aurore du droit romain. Au commencement était le droit romain des contrats. L’obligation y était déjà conçue comme un lien personnel : il n’était nullement question en ce temps de céder sa créance à un tiers. Le lien était parfois physique : aux premiers temps, le débiteur impécunieux pouvait être réduit à l’esclavage par son créancier. La création d’obligations contractuelles était cependant extrêmement formaliste. Alors qu’un simple accord de volontés suffit en principe aujourd’hui pour créer une obligation, le droit romain roulait sur des règles contraires : la volonté devait se vêtir d’une solennité pour conférer une action¹³. Les contrats parés d’actions furent originairement peu nombreux. La mancipatio permit d’abord de transférer la propriété en imposant pour formalité la pesée publique du bien au moyen de poids en métal et d’une balance : le contrat était conclu per ares et libram (« par l’airain et la balance »). Le contrat verbal apparut ensuite, sans se départir des solennités caractéristiques du droit romain : il fallait en effet que le débiteur réponde par une formule exacte à une question précise du créancier. Le contrat littéral requérait quant à lui une formalité consistant en une inscription sur un registre. S’il peut paraître archaïque, ce système n’était pas pour autant dépourvu d’avantages : comme on l’a écrit « Au point de vue de l’exécution judiciaire, le système où l’obligation naît non pas d’une expression de volonté plus ou moins transparente, mais de l’accomplissement d’une solennité, simplifie et précise singulièrement la tâche du juge en faisant dépendre non pas d’interprétations divinatoires ou dépréciations variables d’équité, mais de faits matériels patents le point de savoir, d’abord s’il y a contrat, puis quel est l’objet de ce contrat »¹⁴. L’accomplissement d’une formalité éveille en outre l’esprit des parties en les incitant à prendre le temps de la réflexion.

    34. Apparition des contrats réels et des contrats de bonne foi. Rome s’étendit, le commerce enfla : le développement des transactions nécessitait davantage de rapidité et d’efficacité. L’immensité du territoire dominé par Rome rendait désormais difficile la formation de contrats nécessitant la présence physique des parties. Le formalisme finit donc par s’assouplir par le biais des prêteurs, ces magistrats qui remplacèrent les prêtres dès les premiers temps de l’Empire¹⁵. De nouveaux contrats furent créés : prenaient place à côté des contrats formels, verbaux et littéraux, des contrats consensuels et des contrats réels. Le mutuum fut le premier contrat réel, c’est-à-dire subordonné à la remise de la chose pour sa validité. Il s’agissait d’un prêt portant sur des biens fongibles, par exemple du blé ou encore une somme d’argent. L’emprunteur devenait propriétaire de la chose, à charge pour lui de rendre une même quantité de choses pareilles. D’autres contrats réels apparurent ensuite : le gage, le dépôt et le commodat, et même la fiducie, que l’on présente aujourd’hui comme une innovation du droit positif. L’évolution accoucha d’une distinction : les anciens contrats furent considérés comme donnant lieu à des actions de droit strict (judicia siricti juris) contraignant le juge au respect vétilleux du droit civil, tandis que les nouvelles conventions donnaient lieu à des actions de bonne foi (judicia bonae fidei) permettant à l’alcade de s’en remettre pour une part à l’équité. L’extension du pouvoir du juge fut largement le produit du caractère unilatéral du mutuum et des contrats formels, qui ne produisaient d’obligation qu’à la charge d’une seule partie. Les contrats nouveaux faisaient naître des obligations de part et d’autre, tels les contrats de vente, de louage et de société. Il en allait de même des contrats réels, unilatéraux au stade de leur formation, qui devenaient parfois bilatéraux au moment de leur exécution : ainsi le gage contraint-il parfois, non seulement à la restitution de la chose, mais également au paiement de frais de conservation. Le droit romain restait cependant épars : il restait à le systématiser.

    35. Compilations romaines. L’un des premiers, Gaïus tenta au IIe siècle après Jésus-Christ, une manière de systématisation du droit romain connue sous le nom « d’Institutes de Gaïus ». Ce manuel destiné aux étudiants présentait cette particularité de mettre en œuvre une tentative de présentation rationnelle, laquelle est encore souvent reprise par les ouvrages contemporains. Cet effort est poursuivi par Justinien, empereur qui régna sur Byzance au VIe siècle après J.-C. Il constitue une compilation le corpus juris civilis composé en 4 parties : Le Codex Iustinianus, un recueil des compilations impériales précédentes (Codes Grégorien, Hermogenien et Théodosien) ; le digeste, un recueil de citations des plus importants jurisconsultes romains ; les institutes, un manuel à destination des étudiants ; les novelles, un recueil des constitutions de Justinien. Le Corpus juris civilis n’est pas une œuvre pleinement aboutie : il se présente davantage comme une compilation que comme un code au sens moderne. Il influença toutefois largement le droit médiéval, qui redécouvrit le droit romain à travers cette œuvre. C’est ce droit romain tardif qui constituait pour les rédacteurs du Code civil la « raison écrite ».

    36. Personnalité des lois. La chute de l’Empire Romain d’occident n’eut pas raison du droit romain. Outre que les tribus installées au sud de la Gaule laissèrent aux Romains l’usage de leurs lois propres, ils acculturèrent certains principes romains. Le système juridique reposait sur la personnalité des lois : en matière contractuelle, c’était la loi de celui qui s’obligeait ou qui aliénait qui déterminait les règles applicables à la forme et les éléments essentiels de la convention¹⁶. Ce système perdura durant les périodes mérovingienne et carolingienne. Il débouchait cependant sur d’importants problèmes pratiques. Au IXe siècle, Agobard, évêque de Lyon, écrivait ainsi que, souvent, cinq hommes qui se trouvaient réunis vivaient sous l’empire de cinq lois différentes¹⁷. Cette difficulté fut la principale cause de l’élaboration de coutumes, à travers lesquelles certaines institutions romaines se mêlèrent aux usages barbares. L’usage des actes écrits et des formes survécut ainsi à l’Empire.

    37. Développement du droit coutumier. La coutume se développa d’abord sous la forme d’usages non-écrits particulièrement souples et mouvants. Si elle se rapprochait ce faisant des préoccupations de la population, elle entraînait de nombreuses difficultés. Elle était en effet particulièrement difficile à connaître et donc à appliquer. Les pays de droit écrit – plutôt situés au sud de la France telle que nous la connaissons – étaient restés fidèles au système de la preuve écrite et plus globalement au droit romain, ce qui rendait le droit un tantinet plus prévisible. Dans les pays de coutume en revanche, une preuve complexe et spéciale de la coutume se fondait sur une manière d’enquête (« l’enquête par turbe »), dont les règles s’étaient peu à peu fixées durant l’époque carolingienne, et qui reposait sur l’interrogatoire de témoins choisis parmi des hommes censément sages et expérimentés. À Paris, la preuve consistait à solliciter le « Parloir aux bourgeois », qui représentait tout à la fois la municipalité et la population parisienne, et qui était considéré comme l’interprète naturel des usages¹⁸. Ces coutumes diverses furent peu à peu recueillies au sein de compilations : les « coutumiers » et les « livres de pratique ». Ces œuvres sont nombreuses et d’inégales valeurs¹⁹. Les coutumiers réunissaient les dispositions d’une ou plusieurs coutumes, cependant que les livres de pratiques sont des ouvrages exposant la jurisprudence d’un ou de plusieurs tribunaux. On peut citer ainsi le Conseil à un ami de Pierre de Fontaines, ou encore au XIIIe siècle le livre de Jostice et de Plet qui mettait en parallèle le droit coutumier orléanais, ainsi que des textes de droit romain et de droit canonique – le droit de l’Église. Il faut encore évoquer les Coutumes de Beauvoisis, ouvrage qui fut terminé en 1283 par Philippe de Beaumanoir. L’œuvre de cet auteur est en effet fort personnelle et ne se borne pas à une simple compilation : il expose selon son propre système les règles coutumières et tente d’en dégager les principes.

    38. Redécouverte du droit romain. L’étude du droit romain ne disparut pas malgré le développement des coutumes. Elle devint cependant de plus en plus rudimentaire, jusqu’à ce que les compilations de Justinien fussent redécouvertes au XIe siècle, époque à laquelle Irnerius, un jurisconsulte, fonda l’école de Bologne. D’autres écoles se fondèrent à sa suite en Europe. Le droit romain se développa de nouveau et retrouva lustre et autorité, rayonnant sur l’ensemble du droit privé, notamment sur le droit des contrats. Il se développa avec d’autant plus de vigueur que ses interprètes des XIIe et XIIIe siècles, les glossateurs, n’hésitèrent pas à s’écarter de la lettre des textes en les interprétant. Ils produisirent un effort de mise en cohérence et de confrontations des textes, imaginant des litiges fictifs pour développer des thèses pro et contra. Les bartolistes succèdent aux glossateurs et aux postglossateurs à partir du XIVe siècle. Ils poursuivent l’effort d’interprétation, ne répugnant pas à adapter par l’interprétation les textes romains aux nécessités de leur temps, s’inspirant de la méthode dialectique mise en œuvre par la scolastique : ainsi les principes de la morale chrétienne pénétrèrent-ils le droit romain.

    39. Le temps de la systématisation. L’effort de systématisation se renforce XVIe siècle : Jean Bodin (1529-1596) élabore un système fondé sur le droit naturel et le droit des gens, Juris universi distributio²⁰, tout comme Hugues Doneau (1527-1591) qui fait reposer son œuvre sur la rationalité du droit romain et sa conformité au droit naturel. Ce mouvement s’essoufflera jusqu’à ce qu’il soit relayé en Allemagne par Pufendorf (1632-1694) et aux Pays-Bas par Grotius (1583-1645). En France, l’étude du droit romain se perfectionne sous l’influence de Jacques Cujas (1522-1590). Cet humaniste français reconstitue le Corpus juris civilis en confrontant les différentes versions et traductions qui sont parvenues jusqu’à lui à travers les âges. Il tente surtout d’en adapter les règles à la réalité de son temps : sa méthode est considérée comme la « méthode française », par opposition à la méthode italienne de Bartole (mos gallicus et mos italicus). Si les méthodes italienne et française tendaient à consacrer la supériorité du droit romain, leurs finalités étaient antagoniques. Italiens soumis à l’empereur, les bartolistes soutenaient que le droit romain tirait son autorité des empereurs, considérant que l’Empire romain chrétien était le dessein de Dieu. Le pouvoir royal français ne pouvait reconnaître une pareille autorité à l’empereur. Aussi l’École française considérait-elle que le droit romain avait une autorité comparable à celle de la jurisprudence. C’était donc seulement parce qu’il était juste et bon que le droit romain devait être respecté : non ratione imperii, sed imperio rationis²¹.

    40. Les premières tentatives d’unification. L’école bartoliste perdit peu à peu de son influence : ses élèves se bornèrent peu à peu à gloser sur les textes de leurs maîtres, cependant que l’École française tentait une véritable adaptation du droit romain. Au point que l’idée se diffusa de ce qu’il existait un droit français distinct du droit romain et supérieur à cette « raison écrite ». Charles du Moulin (1500-1566) s’opposa ainsi vigoureusement aux « Italiens », en affirmant que le seul vrai droit résultait des coutumes et qu’une coutume « commune » des français se pouvait déduire du rapprochement des coutumes locales²². Guy Coquille (1523-1603), avocat puis procureur général, s’inscrivit dans ce mouvement en publiant l’Institution au droit des Français, les Coutumes du pays et duché de Nivernais à la fin du XVIe siècle. Antoine Loysel (1536-1617) poursuivit cette démarche, collectant et exprimant sous forme de brocards les principes coutumiers dans les Institutes coutumières (1607).

    41. Les premières tentatives de codification. Le développement de l’École française fait écho aux balbutiements de l’État-nation. Au sortir de la guerre de Cent Ans, le pouvoir royal se saisit de l’émergence d’un véritable sentiment national pour asseoir son autorité sur le monde féodal : son emprise passait aussi par l’unification de la procédure et du droit²³. Par la fameuse ordonnance de Montile-les-Tours de 1453, Charles VII ordonna que soient mises par écrit les coutumes de ses provinces. Cet effort se poursuivra plusieurs siècles. Il donnera lieu au « Code Henri III » (1587)²⁴, qui présentait le droit français de manière ordonnée. Le règne de Louis XIV accoucha de grandes ordonnances qui soutiennent parfois la comparaison avec de véritables codifications. Ces efforts ne survivront cependant pas à la mort du Grand Roi.

    42. Les précurseurs du Code civil. Le XVIIe siècle ne donna guère lieu en France à la même effervescence doctrinale qu’au temps de Cujas et de ses élèves. Le droit français conquerrait cependant peu à peu son autorité et son autonomie. En 1679, l’édit de Saint-Germain-en-Laye institue un enseignement du droit français dans les Facultés de droit. Certains auteurs annoncent quant à eux le Code civil, qu’ils inspireront largement. Ainsi, Jean Domat (1625-1695), avocat général du roi au Présidial de Clermont-Ferrand, l’auteur des Lois civiles dans leur ordre naturel, avait remarqué tout à la fois l’influence du droit romain et la méconnaissance effective de ses principes par les tribunaux. Cette difficulté venait selon lui de ce que le droit romain était enseigné en latin et présenté de manière désordonnée. Il tenta donc d’en traduire les règles en les dépouillant de leur gangue originaire et historique afin d’atteindre « l’ordre par le retranchement de l’inutile et la clarté par le simple effet de l’arrangement »²⁵. Le travail de systématisation des coutumes progressait. Vint Robert-Joseph Pothier (1699-1772). Pothier fut conseiller au Présidial d’Orléans et professeur à l’Université de la ville. Dans ses traités, il expose toutes les matières du droit civil avec rigueur et méthode. S’il ne passe pas toujours pour avoir été le meilleur juriste de son temps, il a considérablement inspiré les rédacteurs du Code civil.

    43. La promulgation du Code civil. La Révolution renversa privilèges et ordres établis pour faire prévaloir l’individualisme et la propriété. Très vite, les révolutionnaires comprirent à leur tour la nécessité d’un droit cohérent pour fédérer l’unité nationale. Ils s’engagèrent dans un effort de codification. Par Décret sur l’Organisation judiciaire des 16-24 août 1790²⁶, l’Assemblée constituante décréta « que les lois civiles seraient revues et réformées par les législateurs, et qu’il serait fait un Code général de lois simples, claires et appropriées à la constitution »²⁷. Le titre Ier de la première Constitution écrite de la France (3 septembre 1791), consacré aux « dispositions fondamentales garanties par la Constitution », se termine ainsi sur cette phrase : « il sera fait un Code de lois civiles communes à tout le royaume »²⁸. Les temps troublés qui suivirent ne permirent cependant pas l’élaboration de ce Code. Il fallut attendre la fin de la royauté : le 24 juin 1793, la Convention décréta que « le Code des lois civiles et militaires » serait bientôt unique pour toute la République²⁹. Le lendemain, elle ordonna que son comité de législation lui présente un projet de Code civil dans le mois. Le 7 août, l’un de ses membres vint annoncer que le Code était rédigé : le 9 août 1793, le citoyen Cambacérès lut à la Convention le premier projet de Code civil, pétrit des nouvelles idées démocratiques :

    « Il faut, après avoir longtemps marché sur des ruines, il faut élever le grand édifice de la législation civile, édifice simple dans sa structure, mais majestueux dans ses proportions, grand par sa simplicité même, et d’autant plus solide que, n’étant pas bâti sur le sable mouvant des systèmes, il s’élèvera sur la ferme des lois de la nature, et sur le sol vierge de la république »³⁰.

    L’emphase de l’orateur ne convainquit pas la Convention : elle lui réclama plus de concisions et moins de conservatisme. Le 23 fructidor an II (9 septembre 1794), Cambacérès présenta un projet plus court. Il fut discuté jusqu’à ce que la Convention se sépare finalement sans l’adopter. Des temps plus cléments revenus sous les auspices du Directoire, Cambacérès présenta au Conseil des cinq-cents un troisième projet de Code civil le 24 prairial an IV. Ce projet de 1104 articles ne fut pas intégralement discuté. Le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), le coup d’état de Bonaparte bouleversa encore les travaux d’élaboration du Code civil. Une commission de vingt-cinq membres créée par le Consulat – le nouveau régime – fut nommée pour préparer un Code civil. Le Consulat définitivement installé, les consuls décrétèrent le 12 août 1800 que « le ministre de la Justice réunira dans la maison du ministère, MM. Tronchet, président du Tribunal de cassation, Bigot-Préameneu, commissaire du gouvernement près ce Tribunal, et Portalis, commissaire au conseil des prises, pour y tenir des conférences sur la rédaction du Code civil ». Le choix de ces hommes n’était pas anodin³¹. Tronchet venait de Paris, Bigot-Préameneu de Bretagne, cependant que Maleville, juge au Tribunal de cassation, venait de Bordeaux et Portalis d’Aix-en-Provence : un équilibre était ainsi respecté au sein de cette commission modérée entre hommes du nord, pays de coutume, et du sud, pays de droit écrit. Le Code fut voté en 36 lois, entre 1803 et 1804, qui correspondaient aux 36 titres du

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