Intervention collective et développement des communautés: Éthique et pratiques d'accompagnement en action collective
Par Clément Mercier et Denis Bourque
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À propos de ce livre électronique
Faire appel à l’expérience et à la réflexion critique de ces personnes permet d’aborder des dimensions peu explorées comme la posture éthique, la fonction d’accompagnement, les défis et conditions de la participation des citoyens, les rapports complexes avec les élus locaux et les rôles des intervenantes et intervenants dans les systèmes locaux d’action et les concertations en développement des communautés. Cet ouvrage s’adresse ainsi à ces intervenantes et intervenants, aux organismes qui les emploient, de même qu’à celles et ceux qui étudient en vue de pratiquer l’intervention collective.
Clément Mercier a enseigné l’organisation communautaire à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (1976-1991) et à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke (1992-2004). Il a travaillé sur les nouvelles problématiques de pauvreté, le développement des communautés et les conditions de l’action intersectorielle locale. Il a milité dans le mouvement communautaire autonome et continue de s’intéresser aux pratiques émergentes de concertation intersectorielle de même qu’aux métiers de l’intervention collective.
Denis Bourque est professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais. Il a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire (2007-2017). Ses recherches ciblent l’intervention collective ainsi que le développement social et celui des communautés territoriales. Il a codirigé avec Cyprien Avenel l’ouvrage Les nouvelles dynamiques du développement social (Champ social, 2017). En 2018, il a publié L’intervention collective: convergences, transformations et enjeux aux Presses de l’Université du Québec, avec Yvan Comeau et René Lachapelle. En 2020, il publie Intervenir en développement des territoires chez le même éditeur, avec René Lachapelle.
Clément Mercier
Clément Mercier a enseigné l’organisation communautaire à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (1976-1991) et à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke (1992-2004). Il a travaillé sur les nouvelles problématiques de pauvreté, le développement des communautés et les conditions de l’action intersectorielle locale. Il a milité dans le mouvement communautaire autonome et continue de s’intéresser aux pratiques émergentes de concertation intersectorielle de même qu’aux métiers de l’intervention collective.
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Aperçu du livre
Intervention collective et développement des communautés - Clément Mercier
Introduction
L’intervention collective tire son essence des potentialités de l’action collective et se définit comme : 1) intervention salariée avec un groupe de personnes, une ou plusieurs associations, ou une communauté de type territorial, identitaire, affinitaire ou d’intérêt ; 2) intervention pratiquée selon un processus par lequel ce groupe, cette association ou cette communauté cible des problèmes, mobilise des ressources et développe une action collective pour y répondre ; 3) intervention orientée vers la solidarité et la participation sociale au moyen de pratiques démocratiques (Comeau, Bourque et Lachapelle, 2018).
De nombreux auteurs¹ ont décrit les origines et l’évolution de l’intervention collective (Blondin, Comeau et Provencher, 2012 ; Comeau et Favreau, 2007). De manière plus marquée avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des communautés religieuses, des syndicats et des coopératives mettent en place des projets collectifs autour d’enjeux sociaux touchant le cadre de vie des milieux populaires. C’est à partir de la première génération des diplômés universitaires en sciences sociales et en travail social que l’intervention collective se développe au début des années 1960, portée par une éthique professionnelle, un corpus de connaissances ainsi que des approches et des méthodes distinctes.
À partir de ce moment, il faut distinguer les notions d’« action » et d’« intervention » collectives. L’action collective désigne les différentes formes d’initiatives menées par un groupe de personnes ou d’organisations en vue d’atteindre des objectifs communs. Parmi les formes d’action collective, l’action communautaire est particulièrement présente au Québec en tant qu’initiative issue de personnes, de groupes communautaires, d’une communauté (d’intérêt, d’identité, d’affinité, géographique) « visant à apporter une solution collective et solidaire à un problème social ou à un besoin commun » (Lavoie et Panet-Raymond, 2011, p. XII). Quant à l’intervention collective ou communautaire, elle réfère à « différentes méthodes d’intervention par lesquelles un agent de changement professionnel aide un système d’action communautaire composé d’individus, groupes ou organisations à s’engager dans une action collective planifiée dans le but de s’attaquer à des problèmes sociaux en s’en remettant à un système de valeurs démocratiques » (Kramer et Specht, 1983, cité dans Bourque et al., 2007, p. 13). L’action collective existe donc indépendamment de l’intervention collective, mais elle gagne à s’appuyer sur l’expertise et les ressources de cette pratique professionnelle qui visent à la soutenir à différents niveaux (mobilisation, planification, accompagnement, structuration, évaluation) pour transformer les problèmes collectifs en réponses pertinentes afin de contribuer au développement de la société autant que des groupes et des communautés qui la composent. La notion de développement que nous retenons est celle du Conseil de la santé et du bien-être, pour qui « le développement est un processus, une démarche par laquelle une communauté, par voie d’initiatives, tente de maintenir ou d’améliorer, selon les valeurs qu’elle juge prioritaires, les conditions de vie collectives ou individuelles » (Conseil de la santé et du bien-être [CSBE], 2001, p. 11). Une telle démarche de développement renvoie à la notion de développement des communautés, qui est « une forme d’action collective structurée sur un territoire donné qui, par la participation démocratique des citoyens et des acteurs sociaux, cible des enjeux collectifs reliés aux conditions et à la qualité de vie. Le sens de ce développement provient des communautés et des acteurs qui les composent » (Bourque, 2008, p. 56).
LES CARACTÉRISTIQUES ET LES PRINCIPES DE L’INTERVENTION COLLECTIVE
L’intervention collective se pratique dans les secteurs public, associatif, coopératif et philanthropique, à partir d’institutions ou d’organisations comme les Centres intégrés (universitaires) de santé et de services sociaux (CISSS/CIUSSS), les Centres locaux de développement (CLD), les Corporations de développement communautaire (CDC), les municipalités, les organismes communautaires autonomes² (OCA), les fondations, etc. Les professionnels qui la pratiquent se réfèrent à des descriptions de tâches et des compétences qui correspondent généralement à celles des organisateurs communautaires (OC) de CISSS/CIUSSS, comme l’a démontré Robitaille (2016), et à celles des agents de développement rural (ADR).
Encadré I.1
Une définition et des interventions types
en organisation communautaire
L’intervention communautaire s’adresse à des collectivités. Elle s’appuie sur une connaissance globale des paramètres sociaux, culturels, économiques et démographiques d’une communauté. […] L’intervention communautaire fait une place prépondérante aux interventions qui portent sur les déterminants sociaux de la santé (inégalité des revenus, exclusion sociale, conditions de travail, éducation, etc.). […] L’intervention communautaire peut aussi être amorcée à partir d’un besoin observé ou d’une demande formulée par un individu ou un groupe d’individus, un organisme ou un regroupement d’organismes communautaires ou, encore, par une organisation ou un organisme responsable d’une démarche de concertation. (MSSS, 2004, p. 83)
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS, 2009, p. 184-195) identifie six interventions types en organisation communautaire :
Identification des problématiques du milieu : études et recherches menées dans le but de déceler et de comprendre les problématiques propres à un milieu.
Sensibilisation et conscientisation du milieu : information, éducation et formation destinées à des groupes ou à des personnes et visant le changement des attitudes et des mentalités.
Soutien aux ressources existantes : aide technique et soutien professionnel reliés à l’organisation interne pour les groupes et les ressources du milieu.
Création de nouvelles ressources : aide pour la mise en place de nouvelles ressources ayant pour but de répondre aux besoins décelés dans le milieu.
Actions politiques : démarches et prises de position liées à la participation de l’établissement à une concertation en vue d’influencer les décisions politiques ayant un impact sur le milieu. Ces démarches et prises de position sont adoptées en conformité avec la mission et le processus décisionnel de l’établissement.
Autres actions à caractère communautaire : toute autre action communautaire qui n’est pas énumérée plus haut.
La pratique d’intervention collective fait aussi l’objet d’un cadre de références défini par le Regroupement québécois des intervenantes et intervenants en action communautaire en CISSS/CIUSSS (RQIIAC) (2020), lequel cadre ajoute aux interventions types reconnues par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) des « actes professionnels » spécifiques aux OC et fixe des règles éthiques assurant une relative autonomie de pratique par rapport à l’établissement employeur et des engagements prioritaires envers les acteurs auxquels les OC sont associés dans la communauté. Les ADR ont constitué pour leur part une communauté de pratiques très active³ animée et alimentée par Solidarité rurale du Québec, et de formations annuelles très élaborées, auxquelles l’Université rurale québécoise a aussi contribué⁴.
Les valeurs portées par l’intervention collective et qui lui donnent son sens sont la solidarité, la démocratie, l’autonomie, le respect et la justice sociale (RQIIAC, 2010b ; Savard, 2007). Des principes d’action permettent d’incarner chacune de ces valeurs dans les pratiques concrètes d’intervention professionnelle (RQIIAC, 2020). Bourque et Lachapelle (2010, p. 38-39) les résument ainsi :
– Collectiviser les problèmes et les enjeux sociaux avec une nécessaire appropriation par les personnes et les communautés concernées pour en faire des sujets et des acteurs du changement et non de simples objets de l’intervention.
– Développer des organisations de la société civile démocratiques et autonomes basées sur une participation citoyenne authentique, porteuses de demandes de transformation sociale et ayant une fonction de contre-pouvoir indispensable à la démocratie et à la justice sociale.
– Développer le potentiel d’action collective et d’innovation des communautés (d’identité, d’intérêt, d’affinité ou territoriales) en misant sur leurs forces, compétences et solidarité en tant qu’acteur collectif toujours traversé par des conflits, des rapports de force et des intérêts particuliers. Favoriser et soutenir la mise en place de réponses aux besoins des communautés sous la forme de nouveaux outils collectifs, services de proximité, projets de développement, etc. Ces réponses appellent une coconstruction (citoyens, organismes communautaires, institutions, pouvoirs publics, etc.) qui nécessite une transformation de l’action publique et institutionnelle.
– Dépasser la gestion des conséquences des problèmes collectifs pour agir sur leurs causes en développant le pouvoir d’agir des communautés, leur mise en réseau ainsi que leur capacité d’action structurelle.
– L’intervention collective est porteuse d’une dimension sociopolitique par ses visées de démocratisation reposant sur le postulat voulant que « les individus, groupes et communautés ont la capacité à être parties prenantes des décisions et des actions concernant les règles institutionnelles qui régulent la société. En cela, elle rejoint la dimension sociopolitique de la vie démocratique de nos sociétés qui ne s’épuise pas, comme l’a bien démontré Tocqueville avec l’expérience américaine, dans la démocratie représentative » (Jetté, 2015, p. 402).
Cette visée sociopolitique s’inscrit dans une posture faisant appel aux paradigmes classiques du consensuel et conflictuel souvent évoqués en action communautaire, parfois définis dans un rapport d’opposition (Bergeron-Gaudin, 2019), mais que nous situons plutôt comme les termes du continuum des stratégies d’action collective. Le paradigme consensuel, prôné par la tradition issue du travail social communautaire (Ross, 1955), s’appuie sur la coopération et la neutralité de l’intervenant comme socle idéologique du processus et des stratégies d’intervention. Le paradigme conflictuel, parfois emprunté à Alinsky (1946), pour qui le changement des conditions de vie des groupes opprimés devait s’appuyer sur des rapports sociaux inspirés des luttes syndicales, mise sur la confrontation entre les groupes dominants et dominés pour obtenir le changement désiré.
Par-delà des tensions entre le consensuel et le conflictuel, notre conception de l’intervention collective s’appuie plutôt sur un rôle d’accompagnement d’un acteur collectif dans une dynamique démocratique, où la participation citoyenne est l’objet en même temps que le sujet de l’intervention collective, particulièrement en développement des communautés territoriales. Le choix de la stratégie n’exclut pas le recours à l’une ou l’autre approche, devenant alors à déterminer avec l’acteur collectif à travers l’apprentissage de la démarche collective en déploiement, pouvant s’actualiser sur un continuum intégrant des phases et modes consensuels et conflictuels selon la lecture des besoins et des ressources disponibles et mobilisables pour l’action collective. L’analyse de l’état des rapports de force internes, entre les composantes de l’acteur collectif local, comme organisation ou communauté, et avec les facteurs structurels et les acteurs externes à la communauté ou à l’organisation, constitue une des dimensions sociopolitiques permettant une lecture de l’état relatif des forces et faiblesses dont disposent les constituantes de l’acteur collectif face au changement recherché.
LA DIVERSIFICATION ET LA CONVERGENCE DES MÉTIERS DE L’INTERVENTION COLLECTIVE
Les résultats de la dernière phase de la recherche longitudinale sur près de 30 ans d’évolution de l’intervention collective au Québec (Comeau et al., 2018)⁵ démontrent que plusieurs aspects de la pratique persistent, même si les problématiques sociales changent, que de nouveaux acteurs entrent en scène et que les intervenants ajoutent d’autres concepts et modèles d’intervention à leurs référents théoriques. Un changement notable réside dans la diversité de titres professionnels et d’employeurs en intervention collective qui recouvrent une même fonction. Plusieurs titres d’emploi désignent les « métiers du développement » estimés à plus de 2000 (Robitaille, 2016) : outre les OC et les ADR déjà nommés, on retrouve plusieurs autres fonctions assez similaires : agent d’économie sociale dans les municipalités régionales de comté ; agent de liaison dans les programmes issus de la philanthropie ; agent de concertation et de développement dans les municipalités ou autres institutions ; coordonnateur ou intervenant collectif dans les organismes communautaires, les tables de quartier, etc. Ces intervenants ne se consacrent pas toujours à temps complet à l’intervention collective – surtout dans le secteur communautaire –, mais même si cette activité professionnelle n’occupe qu’une partie de leur temps de travail, elle donne des possibilités en matière d’action collective du fait qu’ils y sont dédiés, même partiellement.
Cette recherche montre aussi que la formation universitaire en travail social est majoritaire chez les organisateurs communautaires des CISSS/CIUSSS, mais nettement moins présente dans les autres secteurs. L’intervention collective se différencie également selon le type d’organisation qui emploie ces professionnels. La mission des organisations, les politiques publiques qui les structurent, leur taille et les règles touchant notamment les conditions de travail ont des conséquences sur le profil des intervenants (dont leur parcours scolaire) ainsi que sur leur pratique (populations visées, modèle d’intervention et courants d’idées, etc.). Sans nier les particularités des démarches auxquelles elles renvoient, il ressort que, derrière la diversité des appellations, ces pratiques se rattachent au corpus commun de l’intervention collective.
Comeau et ses collaborateurs (2018) démontrent en effet qu’au-delà des différents titres d’emploi, employeurs, et formations scolaires, se profile un tronc commun composé de l’adhésion de la part des intervenants collectifs (IC) à des valeurs qui les guident, dont la « solidarité » et l’« autonomie », ainsi qu’aux idées de « concertation du milieu » et de « prise en charge du milieu ». Ils exercent également des fonctions communes, dont l’organisation d’actions collectives, le soutien aux rencontres et assemblées publiques, la facilitation des rapports entre acteurs différents ainsi que le conseil et la formation dans l’action. Ce tronc commun renvoie essentiellement à des fonctions d’accompagnement de l’action collective de type et d’ampleur variés, comme le démontre le tableau I.1 sur les trois secteurs de l’étude : OC, ADR et intervenants d’organismes communautaires. Occupées dans l’ensemble à plus des deux tiers par des femmes et faisant appel majoritairement à la formation universitaire en travail social, les fonctions diffèrent surtout dans le temps consacré à l’IC, et conséquemment, dans le nombre de dossiers menés de front et leur durée moyenne.
TABLEAU I.1
Quelques points de comparaison entre intervenants collectifs de différents secteurs
Source : Adapté de Comeau et al., 2018, p. 151.
Malgré ces différences de profil et de tâches, la recherche de Comeau et ses collaborateurs démontre que ce sont « encore et le plus souvent des personnes manifestant un vif intérêt pour la revitalisation sociale et le développement des collectivités et qui possèdent des