Contre vent et marée
Par Paul Réveillère
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Aperçu du livre
Contre vent et marée - Paul Réveillère
Paul Réveillère
Contre vent et marée
Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066333546
Table des matières
Début
LA DAME PÂLE
I
II
III
IV
V
LE REPENTIR Étude sur le Toouranisme
LE BOIS DE KEROMAN
LA GLACE
PERSONNAGES
AMOURS FUNÈBRES
SCÈNE PREMIÈRE LE VEUF (seul)
SCÈNE II LA VEUVE, LE VEUF LA VEUVE
SCÈNE III LA VEUVE (seule)
SCÈNE IV LE VEUF, LA VEUVE
LE CHATEAU DE TRÉMAZAN
I
III
IV
V
VI
LETTRE D’UN TRANSPORTÉ
POLICE CORRECTIONNELLE
MASSIMO BRACCHIOTI
LE PÈRE BAILLY
A EUGÈNE MORET
CHER CONFRÈRE,
Me voici de rechef en route pour le tour du monde, luttant contre vent et marée.
Que faire entre le ciel et l’eau?
Rêver.
Je ne m’en suis jamais fait faute.
Les rêveries de mon dernier voyage paraissent ici, grâce à vous. Grâce à vous, car ce n’est point toujours chose aisée de faire paraître un livre, quand on ne bat pas le pavé de Paris. Le titre que vous avez choisi–ayant bien voulu être le parrain de de mon enfant,–est bien trouvé; contre vent et marée il fut écrit, il paraîtra contre vent et marée.
Sans vous, en effet, le public était privé de cet ouvrage–ce qui lui eût été parfaitement égal; les bouquins ne sont point denrée rare. Aussi ne vois-je pas
Début
Table des matières
sans inquiétude la République pousser les Françaises dans la classe des lettres; la femme n’est pas seulement bavarde, elle est non moins écrivassière. d’où je conclus à cet avenir menaçant pour les personnes des deux sexes: tous écrivains, pas un lecteur.
A moi, ce n’eût pas été égal du tout de conserver en portefeuille mon voyage au pays des chimères, je m’imagine avoir quelque chose à dire au public.
Et, par pitié pour ma folie, vous avez pris mon volume sous votre protection.
D’où me vient de votre part cette bienveillance?
De votre parfaite bonté tout d’abord, cela est bien certain; puis d’une affinité dont la raison se trouve dans la différence de notre genre de vie, dans la divergence de nos idées–les extrêmes se touchent, les contraires se recherchent.
Vous êtes parisien, parisien jusqu’au bout des ongles, et vous en êtes très-fier. C’est votre droit. Moi, je suis provincial autant qu’on peut l’être.j’ai tous les préjugés de la province. Paris me semble l’enchanteresse de la tentation de Saint-Antoine, aux appâts provocants, au visage facinateur, mais dont on voit, mal cachés sous la robe, les pieds de bouc et la queue de serpent.
Vous avez vu le jour au sein des merveilles de la capitale, vous y avez vécu votre enfance, votre jeunesse, votre âge mûr. Vous aimez la grande ville, vous connaissez tous ses secrets. Aussi excellez-vous à décrire ce prestigieux monde parisien dunt la curiosité publique ne se lasse point de commander des tableaux–les vôtres vivent.
Et si l’un entendait, comme il serait juste, par l’écrivain naturaliste, le consciencieux scrutateur de la nature humaine, vous auriez droit au titre de naturaliste éminent, parce que vous la peignez telle qu’elle est, cette pauvre nature humaine, qui n’a pas besoin d’être enlaidie.
Vous la décrivez avec ses défaillances et ses faiblesses, mais aussi avec ses magnanimes élans vers la justice.
Tantôt sublime, tantôt immonde. souvent bête. toujours attirée vers le bien.
C’est que, comme dit Proudhon, l’homme est un microcosme et porte dans sa poitrine toutes les bêtes de l’Univers. Peut-être bien parce que, dans ces existences antérieures, il a été toutes ces bêtes. Aussi le voyons-nous tour à tour luxurieux comme le singe, monogame, tendre et fidèle comme les inséparables, généreux comme le lion, devoué comme le chien, ordurier et glouton comme le vérat, féroce comme le tigre, laborieux comme la fourmi.
L’ordonnateur des mondes jette dans le creuset de la nature, des âmes animales, pour en faire des âmes humaines, qui seront des âmes angéliques dans l’infini des temps.
Aussi constatons-nous, en tout homme, comme dominante, un animal quelconque. tel avocat fut perroquet, tel avoué fut renard; Toussenel a retrouvé, parmi les dévotes, nombre d’ex-bécassines et, parmi les Révérends Pères, quantité d’exhibous.
M. de Quatrefages, dont l’autorité fait loi en pareille matière, nous l’apprend: l’âme humaine est une âme animale plus quelque chose. ce quelque chose n’est pas bien facile à définir, nous avons cependant deux mots pour en donner une idée: conscience, liberté.
La société, comme la nature, souvent monstrueuse par certains côtés, n’en est pas moins un tissu de merveilles pour qui sait ouvrir les yeux.
Celui-là, tel est bien votre avis, serait un détestable naturaliste qui peindrait la chenille et négligerait le papillon. Qui nous montrerait l’odieux scolopendre, la mortelle araignée crabe, la loche gluante, le répugnant crapaud, le livide requin, oubliant dans ses classifications la timide gazelle, le sage éléphant, le cheval héroïque.
Il n’y a pas que des serpents à sonnettes, il y a des tourterelles.
Seulement le même homme couve à la fois dans son sein le condor au vol audacieux et la bête rampante.
C’est absurde de nous peindre les égoûts de Paris et de nous dire: Voilà Paris. on aura beau apporter un soin méticuleux à la peinture de l’égoût, on n’aura point fait de la cité un portrait plus fidèle.
Vous aussi vous peignez l’égoût, mais vous n’oubliez ni le Louvre, ni Notre-Dame.
Nous avons supprimé, nous autres marins, ce que les écrivains du bon vieux temps appelaient la sentine. il reste les corneaux; la nature humaine a d’implacables exigences. mais le corneau n’est pas le navire, il y a la voile blanche, gonflée comme le sein d’une jeune mère, et le pavillon national qui flotte au vent.
Vos peintures de la vie parisienne sont saisissantes parce que vous connaissez votre sujet à fond. parce que, si nous sommes à la fois l’ange et la bête de Pascal, vous n’oubliez ni l’un ni l’autre, sachant fort bien que la trame de la vie humaine est précisément cet éternel conflit de l’ange et de la bête.
Tandis que vous poursuiviez la réalité dans une société prodigieusement complexe, où fermentent tant de passions ardentes, j’étais entrainé dans la sphère du rêve. de là–par la grande loi de l’afnité des contraires–votre sympathie pour la personne et votre accueil bienveillant pour l’œuvre... je ne vous suis pas moins reconnaissant de la première que du second, croyez-le bien.
–Dans vos études si achevées, où toutes les parties de l’ouvrage, toujours solidement reliées, concourent à produire une unité puissante, comme dans mes essais informes, il y a une qualité commune: la sincérité. c’est, je crois, le pont sur lequel nous nous sommes rencontrés, en partant de rives opposées. Par ailleurs, la divergence est complète, l’un et l’autre, nous avons subi l’influence du milieu dans lequel nous avons été placés; suivant une expression darwiniste à la mode, en chacun de nous s’est produit lephénomène de l’adaptation.
Le boulevard fut le théâtre de vos flâneries d’adolescent, je vagabondais alors dans les sévères solitudes où se dressent les monuments mégalithiques.
J’ai presque bégayé d’abord la langue des vieux Celtes.
Les premiers jurements que m’ont appris mes compagnons, les polissons du hameau, ont été de jurer par le chêne, .. ni eux ni moi, nous ne nous doutions guère de l’horreur d’un tel blaspbème. c’est étrange, comme d’anciennes expressions se perpétuent incomprises, à travers les âges et remontent à la nuit des temps.
J’écoutais d’une oreille avide des gens qui, à la nuit tombante, avaient rencontré des Korigans.
Vous souriez.
Est-ce que tout n’est pas illusion dans le monde?.. Il n’y a qu’une réalité, la foi. Quand nous croyons une chose, à n’en pas douter, n’existe-t-elle réellement pas pour nous? Est-ce que la nature tout entière n’est pas contenue dans notre cerveau?... En dehors du cerveau existe-t-il des phénomènes?.. Le monde vrai, le monde réel, le Non-Moi reste à jamais impénétrable… bon gre, mal gré, nous vivons par la foi. par cette foi nécessaire que le monde existe hors de nous; tandis que le monde, tel que nous le connaissons, n’existe qu’en nous. Toutes les sensations produites en nous par les objets environnants ne sont que des symboles d’action hors de nous, dont nous ne pouvons concevoir la nature. A l’horizon nous croyons le soleil rouge, nous croyons les arbres verts. il n’y a ni rouge à l’horizon ni vert dans la forêt. il y a des vibrations de l’éther ébranlant notre rétine, un conducteur–vrai fil électrique–le nerf transmettant cet ébranlement à certaines cellules cérébrales. tous les phénomènes possibles se ramènent à un seul, l’ébranlement des cellules cérébrales; tous les phénomènes, pour nous, se passent dans notre cerveau. si je reçois un coup de pied dans le devant des jambes, je m’imagine par une complète illusion avoir mal à la jambe; en réalité, je souffre dans un point déterminé de mon cerveau. Tout le monde le sait, on souffre de l’orteil d’une jambeamputée; en revanche, je mu souviens d’un vieux brave qui, s’étant coupé les nerfs de l’index, se servait habituellement de ce doigt pour tasser la cendre de sa pipe; il n’était prévenu que par l’odeur de roussi que son doigt brûlait.
Le MOI, tapi dans le cerveau comme une araignée au centre de sa toile, assiste à la féerie jouée dans ce théâtre de quelques centimètres cubes.
Là, le bon Dien s’amuse à montrer la lanterne magique à ses petits enfants.
Tout ce que nous croyons existe bel et bien au même titre que cette fantasmagorie pompeusement décorée par nous des grands mots de Nature, d’Univers.
Et pour mes braves gens, les Korigans existent tout comme le bedeau de la paroisse.
Quant à moi, en plein jour, dans la lande déserte à perte du vue, j’ai entendu des voix–sans être Jeanne d’Arc–Ces voix m’ont appelé, et j’ai tremblé en entendant ces voix de l’air mugir mon nom à mes oreilles.
Au milieu des menhirs, j’ai évoqué les druides aux flottantes robes blanches, couronnés de chêne, et, dans les lueurs mourantes du crépuscule, les vieux druides m’ont apparu.
Puis l’âge est venu de quitter les bruyères, les sources jaillissant du granit sous des berceaux de saules, de sureaux et d’aubépine, emmêlés de ronces, où le rouge-gorge chantait, pour. ici le cœur me manque. pour aller au collége.
Et je me suis fait marin.
Pourquoi?...
Etait-ce par vocation de me noyer aux rives des ondincs aux vertes chevelures, d’être mangé par les sauvages, ou de manger mon prochain sur un radeau?
Et bien non!...
Ce qui m’a poussé à vivre, depuis quarantè ans bientôt sur les planches, entre ciel et eau, c’est l’horreur du collège, la haine des pédants.
Quand je songe à ce temps, je deviens hydrophobe.
Oui, j’entre en fureur à la pensée de ces bélîtres, qui m’ont tant fait souffrir pour m’apprendre, sans cartes, les villes de la Paphlagonie, quand j’ignorais l’honneur d’avoir pour chef-lieu Quimper-Corentin.
Qui ont–infructueusement–tenté de m’inoculer le grec, quand je ne savais pas écrire pain.
Qui m’ont supplicié de vers latins.
Qui ont bourré ma mémoire d’un tas de niaiseries, sans jamais exercer mon jugement.
Ça me fait mal encore, lorsque, sur le cours d’Ajot, mes regards tombent sur la sombre prison où les tortionnaires de l’Université ont mis à la question ma frêle intelligence. ce n’est point de leur faute, si elle n’en est point morte, si elle s’en est sauvée saignante et meurtrie.
S’il y a une autre vie où l’on punit les méchants, on doit les fourrer au collège et Satan doit être un proviseur.
Donc, j’ai pris la mer par horreur du latin et par antipathie pour ses ministres.
A mes moments perdus, quand, las de humer la brise, ou de baguenauder en regardant les nuages, je descendais dans ma cabine, j’ai mis sur le papier de vieux souvenirs et de nouvelles impressions.
Permettez à ma reconnaissance de vous en offrir, la dédicace.
Par un retour singulier sur moi-même–assez général d’ailleurs au déclin de la vie–je me sens revenir à mes attractions d’enfant; mais aujourd’hui ces vagues tendances s’accusent et se précisent. Au fond, c’est toujours le même amour de la vieille patrie, de la vieille Gaule aux cromlechs, aux dolmens, de la patrie de Vercingétorix, le grand martyr.
Ah, si Vercingétorix avait \aincu, on ne m’aurait pas mis au latin. tout s’enchaîne en ce monde.
M. Renan, dans une conférence célèbre, s’est demandé «Qu’est-ce qu’une nation», il s’est répondu «C’est une âme, un principe spirituel».
Or, il est, à l’Occident de l’Europe, des peuples qui ont «la même âme».
Ces peuples–Français, Belges, Suisses, Hollandais–ont le même idéal, ce sont les quatre fils de la révolution,
Ils ont la même âme,
Ils ont le même ennemi,
C’est une nation.
Voir ces peuples, unis déjà par la pensée, s’unir en un corps politique, sera mon dernier rêve.
Et vous, cher confrère, peintre des passions em– portées, des réalités terribles, vous vous êtes senti entraîné vers le rêveur, et vous lui avez tendu la main,
Il vous la serre bien affectueusement.
P. BRANDA.
En mer, 16mai1882.
LA DAME PÂLE
Table des matières
I
Table des matières
Peu de mois avant mon entrée à l’école navale, je dus assister à un bal donné par une vieille tante qui jouissait de quelque fortune et de beaucoup de considération. Quel ennui pour un sauvage!... Ma vie s’était écoulée à la campagne, où mon père passait le temps dont mon éducation lui permettait de disposer. Au lieu de promener dans un salon l’ennui et l’embarras de ma gauche personne, j’aurais mieux aimé lutter avec des paysans dans une assemblée. chacun prend son plaisir où il le trouve. Si je ne tenais guère à une raie bien faite et des cheveux bien lissés, je mettais mon amour propre à courir pieds nus, dans les champs où la moisson venait de tomber sous la faucille, sur les pointes des chaumes fraîchement coupés.
Partout je voyais des visages moqueurs. Dieu sait si l’on songeait à moi; mais la vanité revêt les formes les plus diverses: la mienne consistait, en ce moment, à étonner de mon ridicule, et je me demandais naïvement si ma retraite derrière un rideau n’avait pas produit un trop grand émoi. De ma cachette, je contemplais avec une colère jalouse les groupes des danseurs. L’aisance et la grâce de mon frère aîné me transportaient d’admiration; la distinction avec laquelle il portait ses épaulettes d’enseigne lui valait, parmi les demoiselles à marier, plus d’un sourire. Quant à lui, absorbé par une gracieuse blonde aux yeux noirs, il restait indifférent à toutes ces jolies mines provocantes.
La belle blonde paraissait fort sensible à ces hommages. Elle et mon frère, tout entiers l’un à l’autre, oubliaient la foule qui les entourait.
Après une valse fort animée, les deux amoureux s’assirent près de mon asile, et malgré moi, je devins leur confident.
–Vous consentez donc, dit mon frère, à cette grande démarche?
–Si je consens!... Faut-il vous avouer aussi tout mon désir du succès?
–Je tremble de voir ma demande ropoussée.
–Pourquoi?... Mes parents adorent leur unique enfant; je n’ai point fait mystère de mon penchant pour vous. Vous portez les épaulettes d’un corps auquel mon père est fier d’avoir appartenu. Nos familles d’aisance égale se connaissent et s’estiment depuis longtemps. Pour tout vous dire enfin, on ne voit point vos assiduités de mauvais œil.
–Puissiez-vous dire vrai!... Je ne supporterais pas sans mourir la douleur de vous voir à tout autre que moi.
–A un autre que vous.... jamais!
–Vous me le promettez.
–Je le jure.
–Mon frère se leva.
Les deux jeunes gens se quittèrent à peine de la soirée.
Je n’étais pas seul à les observer. Un sombre personnage, décoré de plusieurs ordres, au front dégarni, au port orgueilleux, les considérait avec une obstination méchante. Je m’informai du nom de ce malveillant inquisiteur. On l’appelait le comte de D***; la voix publique le désignait comme l’un de nos meilleurs amiraux: sa fortune passait pour immense.
II
Table des matières
Notre paisible demeure allait devenir, sans doute, le théâtre d’événements graves: mon père avait tiré de la grande armoire en acajou son habit démodé depuis dix ans. Ma mère prenait dans son écrin ses dormeuses et sa bague en brillants, vieux bijoux de famille. Le cachemire de laine blanche à grandes fleurs, vaste comme un tapis, s’étalait sur le canapé.
Mes parents parlaient à voix basse.
Tout à la maison prenait un air de mystère; j’étais anxieux quand mon père et ma mère sortirent avec tant de solennité.
Une heure après ils étaient de retour. Mon père se laissa tomber dans un fauteuil, je me retirai prudemment.
Le dîner fut triste. Mon père gronda, ma mère pleura, mon frère ne parut point à table.
Le lendemain matin, suivant ma coutume, j’allai frapper à la porte de celui-ci, pour lui souhaiter le bonjour. D’abord il ne me répondit pas; puis, sans ouvrir, il finit par me dire: «Laisse-moi, j’ai besoin d’être seul.»
Je devinais déjà la cause de ce chagrin général, mais bientôt le doute ne me fut plus possible.
Des voitures traînées par des chevaux ornés de rubans et de fleurs brùlaient le pavé de la ville; je me rendis à l’église attiré par le spectacle d’une noce pompeuse. L’amiral de D*** conduisait à l’autel la belle blonde du bal, parée du voile de mariée. Elle était pâle, pâle comme sa robe blanche; ses regards flottaient dans le vide, il y avait sur son visage l’expression d’égarement d’un malheureux saisi de vertige au bord d’un abîme.
Quand les époux quittèrent l’autel, on eût dit un automate de bronze entraînant une morte.
A mon retour à la maison, je me gardai bien de parler de ce lugubre mariage.
Ma mère pleurait beaucoup; mon père, dont la fibre n’était point molle, pleurait aussi; mon frère, en larmes, les embrassait tour à tour. L’autorisation de faire partie de l’expédition dirigée par la noble lady Franklin venait de lui parvenir.
J’entrai à l’école navale au moment du départ de mon frère.
III
Table des matières
Je passai dans les Antilles quatre joyeuses années attristées, il est vrai, par la mort de mon frère et de mon père qui lui survécut peu. La disparition de son fils, sous des glaces rompues, l’avait plongé dans un morne désespoir.
La frégate sur laquelle j’étais embarqué rentra au port de Lorient, où je trouvai ma nomination d’enseigne. Grande fut ma joie de jouir enfin du titre d’officier; mon âge n’était déjà plus en rapport avec cette vie d’aspirant de marine qui demande beaucoup de jeunesse.
Je me hâtai de prendre la tenue de mon grade, et je fis route pour ma chère ville de Brest, où ma mère m’attendait impatiemment.
La douleur l’avait bien vieillie; sa foi religieuse, son amour pour moi la soutenaient; son noble visage respirait toujours la même bonté, la même inaltérable énergie.
Elle me serra sur son cœur; émue, elle sentait le chagrin se mêler à sa joie. Mon uniforme lui rappelait un souvenir bien amer; aussi en m’embrassant, ne trouva-t-elle que ces paroles:
–Mon Dieu, que tu lui ressembles!... Je crois voir mon pauvre Paul!...
Quand le soir vint, elle me dit:
–Tu me pardonneras ma tristesse, n’est-ce pas mon enfant! Je suis bien heureuse de te revoir, et cependant ta vue me rappelle un pénible passé qui te rendrait plus cher au cœur de ta mère, s’il ne t’appartenait pas tout entier. J’ai besoin de prier; va rejoindre tes amis; à ton âge, on vit de distractions et de plaisir. Les grandes peines viennent toujours assez tôt.
J’insistai vainement pour rester