Les chats: Histoire; Moeurs; Observations; Anecdotes: Avec les illustrations de Prosper Mérimée, Eugène Delacroix, Viollet-le-Duc, Edouard Manet, Prisse d'Avennes, Théodule Ribot, Charles Kreutzberger, Gottfried Mind, Hokusai, et l'intégralité des "Études sur la physionomie du chat" de Jean-Jacques Grandville (1840).
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À propos de ce livre électronique
Cet ouvrage paru en 1869 est une sorte d'encyclopédie des chats qui examine leur place dans l'histoire et la littérature, combat les préjugés à leur endroit, rend hommage aux grands hommes qui les ont aimés et décrit leurs comportements à travers une foule d'observations fines et d'anecdotes curieuses et amusantes. Pour accompagner son livre, Champfleury, qui était au coeur de la vie artistique de son temps, s'est assuré la collaboration de ses amis les plus prestigieux, parmi lesquels notamment Manet, Delacroix et Viollet-le-Duc. Les illustrations que ceux-ci lui ont confiées donnent à cet ouvrage un charme unique.
La présente réédition rend pleinement justice, par une mise en page soignée, à ces documents graphiques exceptionnels qui dialoguent avec le texte. Qu'il s'agisse des études de chats de Grandville, du portrait du chat de Victor Hugo, des chats égyptiens dessinés pour l'occasion par Prosper Mérimée, ou de l'oeuvre de Mind que Madame Vigée-Lebrun surnommait « le Raphaël des chats », le livre de Champfleury est une magistrale déclaration d'amour au plus littéraire de tous les animaux.
Illustré des 52 dessins de l'édition originale (1869) par Delacroix, Viollet-le-Duc, Prosper Mérimée, Edouard Manet, Prisse d'Avennes, Théodule Ribot, Charles Kreutzberger, Gottfried Mind, Hokusai... et de l'intégralité des "Études sur la physionomie du chat" par Jean-Jacques Grandville (1840).
Jules François Félix Husson "Champfleury"
Jules François Félix Husson, dit Fleury, dit Champfleury, est un écrivain français né à Laon, dans l'Aisne, le 10 septembre 1821 et mort à Sèvres le 6 décembre 1889. Ami de Courbet, de Baudelaire et de Flaubert, historien d'art, érudit, mémorialiste et romancier, premier théoricien français du « réalisme », Champfleury (1821-1889) a connu son plus grand succès avec Les Chats, livre légendaire resté un bréviaire secret pour les amoureux des félins.
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Aperçu du livre
Les chats - Jules François Félix Husson "Champfleury"
A mon ami Jules Troubat.
Table des matières
PRÉFACE
I.
II.
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER.
LES CHATS DANS L'ÉGYPTE ANCIENNE.
CHAPITRE II.
LES CHATS EN ORIENT.
CHAPITRE III.
LES CHATS CHEZ LES GRECS ET LES ROMAINS.
CHAPITRE IV.
POÉSIES, TRADITIONS POPULAIRES.
CHAPITRE V.
BLASONS, MARQUES, ENSEIGNES.
CHAPITRE VI.
LES ENNEMIS DES CHATS AU MOYEN AGE
CHAPITRE VII.
AUTRES ENNEMIS DES CHATS: LES PAYSANS, LES STATISTICIENS, LES CHASSEURS
CHAPITRE VIII.
LES CHATS DEVANT LES TRIBUNAUX
CHAPITRE IX.
LES AMIS DES CHATS.
CHAPITRE X.
DE QUELQUES GENS D'ESPRIT QUI SE SONT PLU AU COMMERCE DES CHATS.
CHAPITRE XI.
LES PEINTRES DE CHATS.
SECONDE PARTIE
CHAPITRE XII.
LE CHAT EST-IL UN ANIMAL DOMESTIQUE?
CHAPITRE XIII.
CURIOSITÉ ET SAGACITÉ
CHAPITRE XIV.
TRANSMISSION HÉRÉDITAIRE DES QUALITÉS MORALES DES CHATS.
CHAPITRE XV
CINQ HEURES DU MATIN.
CHAPITRE XVI.
ENFANCE DES CHATS.
CHAPITRE XVII.
SENTIMENTS DE FAMILLE.
CHAPITRE XVIII.
DE L’ATTACHEMENT DES CHATS AU FOYER.
CHAPITRE XIX.
DU LANGAGE DES CHATS.
CHAPITRE XX.
LES CHATS A LA CAMPAGNE.
CHAPITRE XXI.
LES AMOURS DES CHATS.
CHAPITRE XXII.
AFFECTIONS NERVEUSES DES CHATS.
CHAPITRE XXIII.
PRÉFACE
I.
Il peut paraître singulier que de longues études soient consacrées à un simple individu, au chat, qui, quoique résumant une partie des facultés des félins, ne saurait cependant donner une idée complète des êtres plus considérables de la même race; mais les habitudes sédentaires de l'animal permettent à l'homme de cabinet de l'étudier à tout instant, sans interrompre son travail. De l'atelier des alchimistes, le chat a passé chez les écrivains; il fait partie de leur modeste intérieur, & il offre ceci de particulier avec les gens de lettres, qu'il a presque autant de détracteurs que si, lui-même, le chat écrivait.
Comme tous les êtres qui provoquent les caresses, qui en donnent & en reçoivent, comme les femmes, si le chat a été beaucoup aimé par les uns, il ne lui a pas été pardonné par les autres, surtout par les métaphysiciens.
Beaucoup avoueraient, avec le père Bougeant, dans le livre peu amusant de l’Amusement philosophique sur le langage des bêtes , que «les bêtes ne sont que des diables,» & qu'à la tête de ces diables marche le chat.
Descartes fait de tout animal un automate . Pour combattre cette affirmation, il faudrait déployer un grand attirail de métaphysique vers lequel je ne me sens pas porté. Je préfère d'autres natures d'esprits: Aristote, Pline, Plutarque, Montaigne, qui assoient leurs doutes sur des faits , prouvés par la raison & l'observation.
Montaigne defenseur de l'intelligence des animaux. D’apres un portrait appartenant au docteur Payen.
Les naturalistes, ceux sur lesquels il est commode au bon sens de s'appuyer, tiennent pour l'intelligence chez les animaux, à commencer par le père de l'histoire naturelle.
«L'ensemble de la vie des animaux, dit Aristote, présente plusieurs actions qui sont des imitations de la vie humaine. Cette exactitude, qui est le fruit de la réflexion, est encore plus sensible chez les petits animaux que chez les grands.»
Nous voilà loin des automates de Descartes.
Avec Montaigne on n'a que l'embarras du choix. Les Essais sont le plus riche arsenal en faveur de l'intelligence des animaux. Presque à chaque page, Montaigne se plaît à rabattre le caquet de l'homme.
«C'est par vanité, dit-il, que l'homme se trie soy mesme & sépare de la presse des aultres créatures, taille les parts aux animaulx ses confrères & compaignons, & leur distribue telle portion de facutz & de forces que bon luy semble.»
Les animaux confrères de l'homme, voilà ce qu'écrivait ce sceptique qui a fait passer tant de hardiesses sous le couvert de la bonhomie.
Montaigne accorde la prudence aux abeilles, le jugement aux oiseaux; pour lui, l'araignée qui file sa toile, délibère pense & décide. Cette prudence, ce jugement, ces délibérations, ces pensées, ces décisions, demanderaient aux métaphysiciens qui ne connaissent guère les animaux des volumes de controverse.
Ces songe-creux qui ne regardent ni le ciel ni les étoiles se sont rarement inquiétés de ceci: à quoi pense l'animal qui pense?
Heureusement, il existe des esprits méditatifs & observateurs, avides d'indépendance, qui, frappés de l'indépendance de certains animaux, entrent en communication directe avec eux, étudient leurs mœurs, amassent des faits inconnus aux naturalistes enfermés dans leurs laboratoires & arrivent à d'audacieuses conclusions qu'ils se font pardonner par leur caractère, leur vie, leur science & leurs vertus.
On ne niera pas l'autorité scientifique d'Audubon le naturaliste, vivant dans les forêts d'Amérique, qui couronne sa vie par les Scènes de la nature . Esprit positif, que le souvenir de la nature rend parfois éloquent, activité au service d'un cerveau intelligent, Audubon a marqué chacune de ses paroles au coin de la vérité; tout ce qu'il dit, on peut le croire, tant ses récits sont présentés loyalement.
Le naturaliste américain est de la race des Franklin, moraliste, croyant éclairé. Et cependant cet esprit élevé est arrivé à l'idée que les animaux peuvent avoir le sens de la Divinité.
Étudiant deux corbeaux voltigeant librement dans l'air, voilà ce que dit Audubon:
«Que je voudrais pouvoir rendre cette variété d'inflexions musicales au moyen desquelles les corbeaux s'entretiennent tous deux, durant leurs tendres voyages; ces sons, je n'en doute pas, expriment la pureté de leur attachement conjugal continué ou rendu plus fort par de longues années d'un bonheur goûté dans la société l'un de l'autre. C'est ainsi qu'ils se rappellent le doux souvenir des jours de leur jeunesse; qu'ils se racontent les événements de leur vie; qu'ils dépeignent tant de plaisirs partagés, & que peut-être ils terminent par une humble prière à l'Auteur de leur être , pour qu'il daigne les leur continuer encore [1] .»
[1]_Audubon, Scènes de la nature dans les États-Unis . 2 vol. in-8°. Paris, 1837.
Je n'insiste pas sur ce qui pourrait être paradoxe chez tout autre que le grand naturaliste américain. C'en est assez sur l'intelligence des animaux. J'en reviens aux chats: il me reste à dire comment, ayant beaucoup vécu en leur société depuis mon enfance, l'idée me vint de ces études.
II.
Une des choses qui me surprit le plus dans les révélations qu'amena la révolution de 1848 fut qu'il avait été accordé sur les fonds secrets du ministère de l'intérieur cinquante mille francs à l'auteur de l'Anatomie des chats .
Qu'il y ait en politique des hommes qui rompent leurs serments & trahissent leurs anciens maîtres, rien de surprenant. On paye leurs bassesses par de l'argent, leur déshonneur par des honneurs, cela se voit & s'est vu de tout temps; mais sur la liste de pensions des plumes aux gages des ministres, trouver un écrivain gratifié de cinquante mille francs pour s'être occupé des chats , voilà ce qui m'étonna considérablement en parcourant les listes de la terrible Revue rétrospective.
L'heureux mortel favorisé si libéralement par le gouvernement de Louis-Philippe s'appelait Strauss-Durckheim . Il est mort actuellement, & je dois dire que c'était un Allemand d'une véritable science, qui, après avoir passé sa vie dans l'étude & la retraite, donnait, en échange de cette grosse somme de cinquante mille francs, des ouvrages [2] dans lesquels le chat est traité en roi de la création.
[2]_Entre autres la Théologie de la nature , par Strauss-Durckheim. 3 vol. in-80. 1852.
Sa Monographie du chat, plus particulièrement, est appuyée sur des planches où les muscles, les nerfs, le squelette de l'animal, sont étudiés avec soin.
Ce qu'a fait le savant docteur pour l'anatomie, je le tente pour l'histoire des mœurs des chats; mais c'est au public que je demande une subvention, & s'il ne souscrit pas pour cinquante mille francs à la mise en vente, les fonds que chaque lecteur me fera passer par le canal de mon éditeur ne sont pas de ceux qui s'enregistrent sur les tables d'une Revue rétrospective
Champfleury.
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER.
LES CHATS DANS L'ÉGYPTE ANCIENNE.
Un naturaliste qui visite une collection de monuments égyptiens se demande tout d'abord, en voyant la grande quantité de chats momifiés ou représentés en bronze, d'où vient l'introduction du chat dans le pays des Pharaons. C'est une question que les études contemporaines ne permettent pas de résoudre, les égyptologues n'ayant pas trouvé de représentation du chat sur les monuments contemporains des pyramides. Le chat paraîtrait avoir été acclimaté en même temps que le cheval, c'est-à-dire au commencement du nouvel empire (vers 1668 avant J.-C.).
La plus ancienne rédaction connue jusqu'ici du Rituel funéraire ne remonte pas au delà de cette époque. C'est à ce moment qu'on voit, dans les peintures murales des hypogées, le chat quelquefois représenté sous le fauteuil de la maîtresse de maison, place qu'occupent aussi les chiens & les singes.
La rareté & l'utilité du chat le firent admettre alors probablement parmi les animaux sacrés, afin que sa race fût propagée sûrement.
Son utilité est attestée par des peintures représentant des scènes de chasse en barque dans les marécages de la vallée du Nil, où des chats se jettent à l'eau pour rapporter le gibier [ 3] .
[3]_On sait que les Égyptiens étaient extraordinairement habiles à dresser les animaux, & ce fait le prouve, car aujourd'hui si à la campagne quelque chat affamé plonge avec précaution sa patte dans un étang pour happer un poisson au passage, il a perdu absolument la qualité de pêcher de ses ancêtres; & l’on crierait au miracle si un chat rapportait un canard tué aux marais par des chasseurs.
Les Égyptiens, montés sur de légères barques, étaient suivis habituellement dans ces chasses au marais, par leur famille, leurs domestiques & leurs animaux, entre lesquels se remarquent souvent des chats.
après une peinture egyptienne du British Museum. Dessin de M. Mérimée.
Une peinture de chasse, d'un tombeau à Thèbes, représente une barque dans laquelle un chat se dresse comme un petit chien contre les genoux de son maître qui va lancer le bâton courbé appelé schbot, semblable au boumerang des Australiens. Une autre peinture provenant également d'un tombeau de Thèbes se trouve au British Museum. Wilkinson en a donné la description:
«Un chat favori quelquefois accompagnait les chasseurs égyptiens dans ces occasions, & par l'exactitude avec laquelle il est représenté saisissant le gibier, l'artiste a voulu nous montrer que ces animaux étaient dressés à chasser les oiseaux & à les rapporter [ 4] .»
[4]_Wilkinson, Manners and Customs of the ancient Egyptians, in-8°, Londres, 1837.
M. Mérimée a bien voulu me communiquer un dessin d'après ce fragment de peinture, où le chat jouant le rôle principal rapporte les oiseaux à son maître, qui attend dans une barque. Ces sortes de représentations où figurent les chats, appartiennent à la XVIIIe & à la XIXe dynastie (vers 1638 & 1440 avant J.-C.).