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On ne Tue pas un Cheval Blessé
On ne Tue pas un Cheval Blessé
On ne Tue pas un Cheval Blessé
Livre électronique148 pages2 heures

On ne Tue pas un Cheval Blessé

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À propos de ce livre électronique

Alexandre fuit Paris, sa vie de veuf esseulé, ses mensonges de psychiatre nanti pour une retraite prématurée à Sète. Il profite de ce voyage initiatique pour se débarrasser de ses fausses certitudes et atteindre un niveau de conscience qui le ramène dans le cadre de l'humanité la plus pure, mais à une certaine distance de la raison. Observant néanmoins avec lucidité un monde qui s'enfonce dans la sauvagerie, il hésite sans cesse entre la nécessité de le fuir en s'imaginant un univers doré, une folie poétique, et un désir de le changer tout en sachant que sa marge de manœuvre est peu importante. Assistant impuissant à la déchéance de l'humanité, il s'efforce de continuer à vivre en côtoyant des individus qui sont, tous, le reflet des vanités et illusions du genre humain. Cependant, à la fin de son aventure, la vérité le rattrapera et lui proposera de se regarder dans le miroir cruel avec lequel les âmes froissées finissent par se comprendre...

LangueFrançais
Date de sortie13 mai 2024
ISBN9798224332441
On ne Tue pas un Cheval Blessé

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    Aperçu du livre

    On ne Tue pas un Cheval Blessé - Laurent Sueur

    A la mémoire de Marie, d'Arnaud

    et de tous ceux qui ne méritèrent

    ni leur vie,

    ni leur fin.

    Chapitre I :

    LA PATINEUSE SAIGNE.

    ––––––––

    Je mets la clef dans la serrure ; je tourne deux fois à gauche ; la porte s'ouvre sur mon appartement qui, comme d'habitude, est obsessionnellement propre : le parquet est impeccablement ciré, les meubles ont été époussetés, les vitres et le carrelage nettoyés et rien ne vient perturber cette image étincelante de l'hygiène triomphante. Je me dirige vers le meuble du salon où sont rangées mes chaussures. Je prends mes pantoufles dans le tiroir du haut et je mets à la place mes chaussures de ville ; il faudra que je pense à les cirer pour demain. Une odeur flotte dans tout l'appartement : c'est un savant mélange de musc, d'ambre, de muguet, de vanille et peut être de santal. L'odeur est loin d'être désagréable mais il faudra, tout de même, que je change de marque tant il est vrai que ce parfum d'ambiance ne sent pas assez la propreté : il est trop lourd et trop féminin, trop présent et trop écœurant. Le prochain sera mentholé.

    J'entre dans la salle de bains. Je suis déjà déshabillé. L'eau tiède coule dans la baignoire ; je me savonne ; je me rase en utilisant la pomme d'arrosage comme miroir : je me suis coupé. Je m'essuie ; le téléphone sonne ; je ne réponds pas : il est hors de question de faire des tâches d'eau sur le parquet car mon emploi du temps est à ce point chargé que tout contretemps m'oblige à me presser, à rompre la chaîne d'une habitude qui fait semblant de me rassurer. Cette routine m'étouffe, mais cette routine c'est moi ! Je m'étouffe, je ne me suis jamais supporté bien longtemps. D'ailleurs, n'avais-je pas tout préparé pour que ce face à face perpétuel entre moi et moi-même ait une fin ? J'avais soigneusement réduit le nombre des miroirs, objets conduisant souvent à une sotte admiration de soi-même ; je n'avais laissé que le plus usé, le grand de la salle de bains avec son teint oxydé qui ne permet plus guère que de réfléchir imparfaitement l'image d'une personne qui continue à vérifier la longueur d'un ourlet de pantalon, les plis d'une chemise, la silhouette générale d'une ombre assez sûre d'elle-même pour ne s'être jamais contemplée, même à son âge, l'âge des cheveux blancs, des rides profondes et des chairs avachies. Même jeune, je ne m'adonnais que très rarement à l'irréligion des apparences car seules les choses de l'esprit traversent sans trop d'altération la vie d'un homme alors que la viande se corrompt vite, très vite. Quant à la chambre toujours fermée, elle aurait dû accueillir un enfant, la vie, pas le reflet de soi-même mais bien un tiers, quelqu'un d'autre, un être que l'on attend avec impatience tous les jours, que l'on conseille, que l'on aide à devenir lui-même et pas un reflet plus ou moins exact d'une réalité parentale trop classique, trop présente, trop homogène. On ne doit pas modeler les enfants comme les jardiniers le font avec des arbres qu'ils palissent à l'aide de fils de fer ou de cuivre : certes, les branches suivent très exactement le trajet que l'on désire mais leurs pommes et leurs poires ne sont ni les plus belles ni les meilleures. Surveiller, éduquer, conduire ne sont en rien des synonymes de diriger ou d'opprimer. J'ai vu trop d'enfants corsetés par l'insidieuse volonté de leurs parents tenter vainement d'intérioriser leurs rancœurs vis-à-vis de ces adultes sans amour et finir par reporter leur haine désespérée et justifiée sur un professeur, triste sire inconscient qui, d'ordinaire, ne perçoit jamais les brumes qui hantent les esprits de ces êtres inconnus : les élèves. Comment, d'ailleurs, pourrait-il être conscient puisqu'il est lui-même à ce point dégradé moralement qu'il prend un malin plaisir à se battre avec eux : laissons donc les pervers s'entretuer et espérons qu'ainsi leur race maudite s'éteigne.

    J'avais donc décoré la chambre de l'enfant sans sombrer toutefois dans la mièvrerie de ces décorateurs furieusement agités qui vomissent du rose et du bleu non seulement sur les murs mais même sur les meubles, le linge de toilette, les draps, la moquette ; généralement, seul le plafond échappe à cette débauche rose-bonbon ou bleu-lavande ! J'avais préféré peindre les murs dans un orange très léger ; les rideaux et le dessus de lit étaient d'un bleu extrêmement foncé illuminé par un motif de petites étoiles dorées et argentées. L'armoire était encastrée dans le mur et des portes coulissantes blanches devaient cacher ce qui aurait bien pu ressembler à du désordre. A droite de la fenêtre, j'avais disposé un bureau, en if, assis sur des colonnettes, en merisier, dont les pieds de bronze étaient en forme de pattes de lion. La chaise de velours vert-tilleul était assortie au-dessus de cuir émeraude du bureau. La chambre resta toujours vide, attendant pathétiquement son occupant. De toutes manières, cet appartement, dans sa totalité, est en attente de quelque chose ou plutôt de quelqu'un ; il n'est pas absolument sans vie puisque ma présence dérange à peine son élégance froide et ordonnée, mais l'imprévu, l'exubérance de la vie sont cruellement absents.

    Je m'allonge sur un lit devenu trop grand, trop vide : ma femme est morte il y a bien des années et, bien que très effacée, elle décorait tout de même cette chambre de sa présence discrète. Il reste quelques souvenirs d'elle, comme des fleurs séchées et une photographie de notre mariage : ce ne sont plus que des souvenirs qui s'effritent et se décolorent. Si les reliques de cet amour discret font triste mine, rien n'altérera jamais dans ma mémoire son visage angélique et sa démarche aérienne de patineuse. En attendant que mon dîner chauffe, je fais défiler les chaînes en appuyant sur une touche de la télécommande. J'ai l'impression de voir le monde depuis mon lit mais ce n'est bien qu'une impression car si les idiomes se mélangent aux documentaires géographiques, la superficialité des programmes nous condamne à contempler l'étoffe de notre siècle sans le voir enfin nu, tel qu'il est lorsque déshabillé de ses mensonges il n'arrive plus à se cacher. Je vais dans la cuisine. Ma soupe lyophilisée est prête ; je la verse dans un bol de faïence ; j'ajoute un peu de beurre. Placée au centre d'un plateau, le bol côtoie une cuillère, un pamplemousse, un morceau de comté et un verre rempli d'eau pétillante. Je pose le plateau sur mon lit et je commence à manger le potage en regardant les images colorées qui défilent sur mon écran. Que regarder ce soir ? Le canal 31 est à éliminer d'office car mon œil ne peut pas supporter des films en noir et blanc : n'ai-je pas été élevé dans la magie du technicolor ? Je recule d'une chaîne : ce film d'horreur me terrifie bien moins que la réalité ! Sur la 5 un comique n'arrive même pas à s'amuser lui-même alors que la 8 nous endort avec une série sur des adolescents au vocabulaire appauvri mais terriblement bien élevés : le scénariste, déçu par ses propres enfants, essaie de les réinventer en s'attardant sur la forme, ce qui l'amène à négliger totalement le fond. La 13 nous balance un vidéo-clip des années 80 où un artiste déguisé en pop-star (pantalon zébré, T-shirt pailleté, maquillage forcé, mèche permanentée) remue sur une mélodie simpliste heureusement dynamisée par un tempo lourdement marqué. Sur la 15 on retransmet les championnats du monde de culturisme ; la 17 nous apprend comment les abeilles font du miel et la 24 informe les téléspectateurs de langue anglaise de l'actualité du monde. Rien ne me satisfait. Mon dîner est fini ; je fais la vaisselle. Je me lave les dents ; je programme mon réveil sur 7 heures ; j'éteins la lumière. J'essaie alors de m'endormir.

    Il n'y a plus aucun son qui vienne troubler la tranquillité de l'appartement : la rue est calme, les voisins doivent être couchés eux-aussi ; le moteur du réfrigérateur vient me contredire mais ce n'est pas à proprement parler un bruit car bercé par ce ronronnement  mon esprit s'oublie progressivement. Je me retrouve dans le lit ; il fait chaud : j'écarte les draps. Je ne bouge plus. Des images donnent alors naissance à ce qui doit être un rêve. Je vois des couleurs et des ombres, cependant, le tout est encore entouré d'une épaisse brume opalescente. Le brouillard se disperse peu à peu. Un homme nu est agenouillé ; il courbe le dos ; ses mains et ses pieds sont attachés. Il ne bouge pas. Je me dirige vers lui. Je le contourne. Lui faisant face, je lui soulève la tête de la main droite ; nos regards se croisent : l'homme à terre me ressemble mais il est comme inanimé. Alors tout mon corps se rapproche irrésistiblement du sien et finit par se laisser emprisonner par cette écorce qui se révèle être un univers de douleurs morales et physiques dont on ne peut s'échapper. Je souffre et je ne peux rien faire pour arrêter cette douleur que je n'arrive pas à identifier. Il y a, certes, ce sentiment de froid extrême qui m'étreint, de même que les liens qui brûlent mes chevilles et mes poignets mais un malaise vertigineux questionne également mon humanité : je pleure et je ne sais pas encore pourquoi !

    L'atmosphère est maintenant débarrassée de toute trace de brouillard. Le soleil brille tellement qu'il décolore le ciel. Un faucon tournoie dans l'azur ; il a repéré une proie ; il fond sur elle, la tue, l'avale, s'envole et disparaît. Je suis placé sur un monticule situé au milieu d'une plaine à peine recouverte d'une végétation rabougrie. Il y a un bosquet d'oliviers à quelque distance d'ici et des lavandes fleuries égaient ce paysage rocailleux. J'entends maintenant le son de deux flûtes jouant exactement le même air bien que manifestement les deux musiciens soient assez éloignés l'un de l'autre ; je dirais même qu'ils sont dans deux endroits opposés. Je tourne la tête à droite et j'aperçois une ligne de guerriers marchant en rythme. Puis c'est bientôt une autre ligne qui apparaît ; d'autres viennent encore à leur suite. Je tourne la tête à gauche : l'armée adverse avance avec la même détermination. Il va y avoir la guerre ; des hommes vont mourir ; des femmes et des enfants pleureront leurs pères, leurs frères, leurs maris, leurs fils, leurs parents disparus pour un mensonge. N'y-a-t-il jamais eu de guerre déclarée pour l'unique motif qui ensanglante la monde ? Un général a-t-il jamais osé avouer que l'unique but d'une guerre est le plaisir de tuer pour se prouver que par la destruction d'un ennemi à peine réel on se met faussement à l'abri de ce que l'on croit être son désir d'anéantir la terre entière ? Alors on déguise cette terreur consciente mais incomprise, on s'invente des raisons de haïr et d'exterminer l'humanité et on finit par se suicider car cet être que l'on tue est une réplique dangereusement proche d'un soi-même dont on a du mal à définir les contours. Quelle est donc la raison qui va te pousser à te battre contre toi-même sous ce soleil éclatant ? Je devine qu'il s'agit d'un différend à propos d'un territoire. Je regarde cet aigle qui survole le champ du désespoir, les singeries des haruspices et des augures, la lance qui se plante dans le sol et le blesse. Aujourd'hui n'est pas un bon jour pour mourir. Ils sont trop inconscients. Je me cabre et j'essaie de hurler mon désespoir mais aucun son ne sort de ma bouche. Ils se font face. Ils sont tellement proches de moi que je perçois leur odeur, leurs murmures, leur jeunesse. Des flèches déchirent l'air : je reçois la première. Une lance blesse un homme : je ressens sa douleur. Une épée coupe une main : ma main saigne. Chaque coup infligé s'inscrit dans ma douleur. Je souffre. J'aimerais leur enseigner ce tragique sentiment qui révèle l'inutilité d'une conduite atrocement banale. Né à la fin du vingtième siècle, une époque durant laquelle toute l'horreur destructrice d'une sauvagerie malheureusement soutenue par une technologie définitivement efficace, je me suis souvent interrogé sur la nature belliqueuse de l'histoire de l'homme, du tueur. Pendant des années, j'ai tourné les pages du livre de sa vie et j'ai bien vite compris que ce que l'on nommait histoire n'était qu'un agencement superficiel fardant à peine sa nature profonde : les humains s'entre-tuent depuis le

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