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Le Rêve
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Le Rêve
Livre électronique268 pages3 heures

Le Rêve

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À propos de ce livre électronique

Dans ce roman poétique et profondément spirituel, Émile Zola nous plonge dans l'univers d'Angélique, une jeune orpheline élevée dans une petite ville dominée par la cathédrale gothique qui la fascine. Rêvant d'un amour pur et absolu, Angélique est tiraillée entre son idéal romantique et les réalités cruelles de l'existence. Le Rêve explo

LangueFrançais
Date de sortie20 août 2024
ISBN9789361909931
Le Rêve
Auteur

Émile Zola

Nació en París en 1840. Hijo de un ingeniero italiano que murió cuando él apenas tenía siete años, nunca fue muy brillante en los estudios, trabajó durante un tiempo en la administración de aduanas, y a los veintidós años se hizo cargo del departamento de publicidad del editor Hachette. Gracias a este empleo conoció a la sociedad literaria del momento y empezó a escribir. Thérèse Raquin (1867; ALBA CLÁSICA núm. LVIII; ALBA MINUS núm. 33) fue su primera novela «naturalista», que él gustaba de definir como «un trozo de vida». En 1871, La fortuna de los Rougon y La jauría iniciaron el ciclo de Los Rougon-Macquart, una serie de veinte novelas cuyo propósito era trazar la «historia natural y social de una familia bajo el Segundo Imperio»; a él pertenecen, entre otras, El vientre de París (1873), La conquista de Plassans (1874) (editadas conjuntamente en ALBA CLÁSICA MAIOR núm. XXXV), La caída del padre Mouret (1875), La taberna (1877), Nana (1880) y El Paraíso de las Damas (1883; ALBA CLÁSICA núm. XXVII; ALBA MINUS núm. 29); la última fue El doctor Pascal (1893). Zola seguiría posteriormente con el sistema de ciclos con las novelas que componen Las tres ciudades (1894-97) y Los cuatro Evangelios (1899-1902). En 1897 su célebre intervención en el caso Dreyfuss le valió un proceso y el exilio. «Digo lo que veo –escribió una vez–, narro sencillamente y dejo al moralista el cuidado de sacar lecciones de ello. Puse al desnudo las llagas de los de abajo. Mi obra no es una obra de partido ni de propaganda; es una obra de verdad.» Murió en París en 1902.

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    Le Rêve - Émile Zola

    Le Rêve

    Émile Zola

    Publié par

    PAGES PLANÈTE ÉDITION

    Courriel : pagesplanetpublishing@gmail.com

    Copyright © 2024 Pages Planète Publishing.

    Tous droits réservés.

    Pour plus de détails ou de demandes de renseignements, veuillez contacter l'éditeur à l'adresse e-mail ci-dessus.

    Publié pour la première fois par Pages Planet Publishing en 2024

    I

    Pendant le rude hiver de 1860, l'Oise gela, de grandes neiges couvrirent les plaines de la basse Picardie; et il en vint surtout une bourrasque du nord-est, qui ensevelit presque Beaumont, le jour de la Noël. La neige, s'étant mise à tomber dès le matin, redoubla vers le soir, s'amassa durant toute la nuit. Dans la ville haute, rue des Orfèvres, au bout de laquelle se trouve comme enclavée la façade nord du transept de la cathédrale, elle s'engouffrait, poussée par le vent, et allait battre la porte Sainte-Agnès, l'antique porte romane, presque déjà gothique, très ornée de sculptures sous la nudité du pignon. Le lendemain, à l'aube, il y en eut là près de trois pieds.

    La rue dormait encore, emparessée par la fête de la veille.

    Six heures sonnèrent. Dans les ténèbres, que bleuissait la chute lente et entêtée des flocons, seule une forme indécise vivait, une fillette de neuf ans, qui, réfugiée sous les voussures de la porte, avait passé la nuit à grelotter, en s'abritant de son mieux. Elle était vêtue de loques, la tête enveloppée d'un lambeau de foulard, les pieds nus dans de gros souliers d'homme.

    Sans doute elle n'avait échoué là qu'après avoir longtemps battu la ville, car elle y était tombée de lassitude. Pour elle, c'était le bout de la terre, plus personne ni plus rien, l'abandon dernier, la faim qui ronge, le froid qui tue; et, dans sa faiblesse, étouffée par le poids lourd de son cœur, elle cessait de lutter, il ne lui restait que le recul physique, l'instinct de changer de place, de s'enfoncer dans ces vieilles pierres, lorsqu'une rafale faisait tourbillonner la neige. Les heures, les heures coulaient. Longtemps, entre le double vantail des deux baies jumelles, elle s'était adossée au trumeau, dont le pilier porte une statue de sainte Agnès, la martyre de treize ans, une petite fille comme elle, avec la palme et un agneau à ses pieds. Et, dans le tympan, au-dessus du linteau, toute la légende de la vierge enfant, fiancée à Jésus, se déroule, en haut relief, d'une foi naïve: ses cheveux qui s'allongèrent et la vêtirent, lorsque le gouverneur, dont elle refusait le fils, l'envoya nue aux mauvais lieux; les flammes du bûcher qui s'écartant de ses membres, brûlèrent les bourreaux, dès qu'ils eurent allumé le bois; les miracles de ses ossements, Constance, fille de l'empereur, guérie de la lèpre, et les miracles d'une de ses figures peintes, le prêtre Paulin, tourmenté du besoin de prendre femme, présentant sur le conseil du pape l'anneau orné d'une émeraude à l'image, qui tendit le doigt, puis le rentra, gardant l'anneau qu'on y voit encore, ce qui délivra Paulin. Au sommet du tympan, dans une gloire, Agnès est enfin reçue au ciel, où son fiancé Jésus l'épouse, toute petite et si jeune, en lui donnant le baiser des éternelles délices. Mais, lorsque le vent enfilait la rue, la neige fouettait de face, des paquets blancs menaçaient de barrer le seuil; et l'enfant, alors, se garait sur les côtés, contre les vierges posées au-dessus du stylobate de l'ébrasement. Ce sont les compagnes d'Agnès, les saintes qui lui servent d'escorte: trois à sa droite, Dorothée, nourrie en prison de pain miraculeux, Barbe, qui vécut dans une tour, Geneviève, dont la virginité sauva Paris; et trois à sa gauche, Agathe, les mamelles tordues et arrachées, Christine, torturée par son père, et qui lui jeta de sa chair au visage, Cécile, qui fut aimée d'un ange. Au-dessus d'elles, des vierges encore, trois rangs serrés de vierges montent avec les arcs des claveaux, garnissent les trois voussures d'une floraison de chairs triomphantes et chastes, en bas martyrisées, broyées dans les tourments, en haut accueillies par un vol de chérubins, ravies d'extase au milieu de la cour céleste.

    Et rien ne la protégeait plus, depuis longtemps, lorsque huit heures sonnèrent et que le jour grandit. La neige, si elle ne l'eût foulée, lui serait allée aux épaules. L'antique porte, derrière elle, s'en trouvait tapissée, comme tendue d'hermine, toute blanche ainsi qu'un reposoir, au bas de la façade grise, si nue et si lisse, que pas un flocon ne s'y accrochait. Les grandes saintes de l'ébrasement surtout en étaient vêtues, de leurs pieds blancs à leurs cheveux blancs, éclatantes de candeur. Plus haut, les scènes du tympan, les petites saintes des voussures s'enlevaient en arêtes vives, dessinées d'un trait de clarté sur le fond sombre; et cela jusqu'au ravissement final, au mariage d'Agnès, que les archanges semblaient célébrer sous une pluie de roses blanches. Debout sur son pilier, avec sa palme blanche, son agneau blanc, la statue de la vierge enfant avait la pureté blanche, le corps de neige immaculé, dans cette raideur immobile du froid, qui glaçait autour d'elle le mystique élancement de la virginité victorieuse. Et, à ses pieds, l'autre, l'enfant misérable, blanche de neige, elle aussi, raidie et blanche à croire qu'elle devenait de pierre, ne se distinguait plus des grandes vierges.

    Cependant, le long des façades endormies, une persienne qui se rabattit en claquant lui fit lever les yeux. C'était, à sa droite, au premier étage de la maison qui touchait à la cathédrale. Une femme, très belle, une brune forte, d'environ quarante ans, venait de se pencher là; et, malgré la gelée terrible, elle laissa une minute son bras nu dehors, ayant vu remuer l'enfant. Une surprise apitoyée attrista son calme visage. Puis, dans un frisson, elle referma la fenêtre. Elle emportait la vision rapide, sous le lambeau de foulard, d'une gamine blonde, avec des yeux couleur de violette; la face allongée, le col surtout très long, d'une élégance de lis, sur des épaules tombantes; mais bleuie de froid, ses petites mains et ses petits pieds à moitié morts, n'ayant plus de vivant que la buée légère de son haleine de la cathédrale, entre deux contreforts, comme une verrue qui aurait poussé entre les deux doigts de pied d'un colosse. Et, accotée ainsi, elle s'était admirablement conservée, avec son soubassement de pierre, son étage à pans de bois, garnis de briques apparentes, son comble dont la charpente avançait d'un mètre sur le pignon, sa tourelle d'escalier saillante, à l'angle de gauche, et où la mince fenêtre gardait encore la mise en plomb du temps. L'âge toutefois avait nécessité des réparations. La couverture de tuiles devait dater de Louis XIV.

    On reconnaissait aisément les travaux faits vers cette époque:

    Une lucarne percée dans l'acrotère de la tourelle, des châssis à petits bois remplaçant partout ceux des vitraux primitifs, les trois baies accolées du premier étage réduites à deux, celle du milieu bouchée avec des briques, ce qui donnait à la façade la symétrie des autres constructions de la rue, plus récentes. Au rez-de-chaussée, les modifications étaient tout aussi visibles, une porte de chêne moulurée à la place de la vieille porte à ferrures, sous l'escalier, et la grande arcature centrale dont on avait maçonné le bas, les côtés et la pointe, de façon à n'avoir plus qu'une ouverture rectangulaire, une sorte de large fenêtre, au lieu de la baie en ogive qui jadis débouchait sur le pavé.

    Sans pensées, l'enfant regardait toujours ce logis vénérable de maître artisan, proprement tenu, et elle lisait, clouée à gauche de la porte, une enseigne jaune, portant ces mots: Hubert chasublier, en vieilles lettres noires, lorsque, de nouveau, le bruit d'un volet rabattu l'occupa. Cette fois, c'était le volet de la fenêtre carrée durez-de-chaussée: un homme à son tour se penchait, le visage tourmenté, au nez en bec d'aigle, au front bossu, couronné de cheveux épais et blancs déjà, malgré ses quarante-cinq ans à peine; et lui aussi s'oublia une minute à l'examiner, avec un pli douloureux de sa grande bouche tendre.

    Ensuite, elle le vit qui demeurait debout, derrière les petites vitres verdâtres. Il se tourna, il eut un geste, sa femme reparut, très belle. Tous les deux, côte à côte, ne bougeaient plus, ne la quittaient plus du regard, l'air profondément triste.

    Il y avait quatre cents ans que la lignée des Hubert, brodeurs de père en fils, habitait cette maison. Un maître chasublier l'avait fait construire sous Louis XI, un autre, réparer sous Louis XIV; et l'Hubert, actuel y brodait des chasubles, comme tous ceux de sa race. À vingt ans, il avait aimé une jeune fille de seize ans, Hubertine, d'une t'elle passion, que, sur le refus de la mère, veuve d'un magistrat, il l'avait enlevée, puis épousée.

    Elle était d'une beauté merveilleuse, ce fut tout leur roman, leur joie et leur malheur. Lorsque, huit mois plus tard, enceinte, elle vint au lit de mort de sa mère, celle-ci la déshérita et la maudit, si bien que l'enfant, né le même soir, mourut. Et, depuis, au cimetière, dans son cercueil, l'entêtée bourgeoise ne pardonnait toujours pas, car le ménage n'avait plus eu d'enfant, malgré son ardent désir. Après vingt-quatre années, ils pleuraient encore celui qu'ils avaient perdu, ils désespéraient maintenant de jamais fléchir la morte. Troublée de leurs regards, la petite s'était renfoncée derrière le pilier de sainte Agnès. Elle s'inquiétait aussi du réveil de la rue: les boutiques s'ouvraient, du monde commençait à sortir. Cette rue des Orfèvres, dont le bout vient buter contre la façade latérale de l'église, serait une vraie impasse, bouchée du côté de l'abside par la maison des Hubert, si la rue Soleil, un étroit couloir, ne la dégageait, de l'autre côté, en filant le long du collatéral, jusqu'à la grande façade, place du Cloître; et il passa deux dévotes, qui eurent un coup d'œil étonné sur cette petite mendiante, qu'elles ne connaissaient pas, à Beaumont. La tombée lente et obstinée de la neige continuait, le froid semblait augmenter avec le jour blafard, on n'entendait qu'un lointain bruit de voix, dans la sourde épaisseur du grand linceul blanc qui couvrait la ville.

    Mais, sauvage, honteuse de son abandon comme d'une faute, l'enfant se recula encore, lorsque, tout d'un coup, elle reconnut devant elle Hubertine, qui n'ayant pas de bonne, était sortie chercher son pain.

    —Petite, que fais-tu là? qui es-tu?

    Et elle ne répondit point, elle se cachait le visage. Cependant elle ne sentait plus ses membres, son être s'évanouissait, comme si son cœur, devenu de glace, se fût arrêté. Quand la bonne dame eut tourné le dos, avec un geste de pitié discrète, elle s'affaissa sur les genoux, à bout de forces, glissa ainsi qu'une chiffe dans la neige, dont les flocons, silencieusement, l'ensevelirent. Et la dame, qui revenait avec son pain tout chaud, l'apercevant ainsi par terre, de nouveau s'approcha.

    —Voyons, petite, tu ne peux rester sous cette porte.

    Alors, Hubert, qui était sorti à son tour, debout au seuil de la maison, la débarrassa du pain, en disant:

    —Prends-la donc, apporte-la!...

    Hubertine, sans ajouter rien, la prit dans ses bras solides.

    Et l'enfant ne se reculait plus, emportée comme une chose, les dents serrées, les yeux fermés, toute froide, d'une légèreté de petit oiseau tombé de son nid.

    On rentra, Hubert referma la porte, tandis qu'Hubertine, chargée de son fardeau, traversait la pièce sur la rue, qui servait de salon et où quelques pans de broderie étaient en montre, devant la grande fenêtre carrée. Puis, elle passa dans la cuisine, l'ancienne salle commune, conservée presque intacte, avec ses poutres apparentes, son dallage raccommodé en vingt endroits, sa vaste cheminée au manteau de pierre. Sur les planches, les ustensiles, pots, bouilloires, bassines, dataient d'un ou deux siècles, de vieilles faïences, de vieux grés, de vieux étains. Mais, occupant l'âtre de la cheminée, il y avait un fourneau moderne, un large fourneau de fonte, dont les garnitures de cuivre luisaient. Il était rouge, on entendait bouillir l'eau du coquemar. Une casserole, pleine de café au lait, se tenait chaude, à l'un des bouts.

    —Fichtre! il fait meilleur ici que dehors, dit Hubert, en posant le pain sur une lourde table Louis XIII qui occupait le milieu de la pièce. Mets cette pauvre mignonne près du fourneau, elle va se dégeler.

    Déjà Hubertine asseyait l'enfant; et tous les deux la regardèrent revenir à elle. La neige de ses vêtements fondait, tombait en gouttes pesantes. Par les trous des gros souliers d'homme, on voyait ses petits pieds meurtris, tandis que la mince robe dessinait la rigidité de ses membres, ce pitoyable corps de misère et de douleur. Elle eut un long frisson, ouvrit des yeux éperdus, avec le sursaut d'un animal qui se réveille pris au piège. Son visage sembla se renfoncer sous la guenille nouée à son menton. Ils la crurent infirme du bras droit, tellement elle le serrait immobile, sur sa poitrine.

    —Rassure-toi, nous ne voulons pas te faire du mal.... D'où viens-tu? qui es-tu? À mesure qu'on lui parlait, elle s'effarait davantage, tournant la tête, comme si quelqu'un était derrière elle, pour la battre. Elle examina la cuisine d'un coup d'œil furtif, les dalles, les poutres, les ustensiles brillants; puis, son regard, par les deux fenêtres irrégulières, laissées dans l'ancienne baie, alla au-dehors, fouilla le jardin jusqu'aux arbres de l'évêché, dont les silhouettes blanches dominaient le mur du fond, parut s'étonner de retrouver là, à gauche, le long d'une allée, la cathédrale, avec les fenêtres romanes des chapelles de son abside. Et elle eut de nouveau un grand frisson, sous la chaleur du fourneau qui commençait à la pénétrer; et elle ramena son regard par terre, ne bougeant plus.

    —Est-ce que tu es de Beaumont?... Qui est ton père?

    Devant son silence, Hubert s'imagina qu'elle avait peut-être la gorge trop serrée pour répondre.

    —Au lieu de la questionner, dit-il, nous ferions mieux de lui servir une bonne tasse de café au lait bien chaud.

    C'était si raisonnable, que, tout de suite, Hubertine donna sa propre tasse. Pendant qu'elle lui coupait deux grosses tartines, l'enfant se défiait, reculait toujours; mais le tourment de la faim fut le plus fort, elle mangea et but goulûment. Pour ne pas la gêner, le ménage se taisait, ému de voir sa petite main trembler, au point de manquer sa bouche. Et elle ne se servait que de sa main gauche, son bras droit demeurait obstinément collé à son corps. Quand elle eut finir elle faillit casser la tasse, qu'elle rattrapa du coude, maladroite, avec un geste d'estropiée.

    —Tu es donc blessée au bras? lui demanda Hubertine. N'aie pas peur, montre un peu, ma mignonne.

    Mais, comme elle la touchait, l'enfant, violente, se leva, se débattit; et, dans la lutte, elle écarta le bras. Un livret cartonné, qu'elle cachait sur sa peau même, glissa par une déchirure de son corsage. Elle voulut le reprendre, resta les deux poings tordus de colère, en voyant que ces inconnus l'ouvraient et le lisaient.

    C'était un livret d'élève, délivré par l'Administration des Enfants assistés du département de la Seine. À la première page, au-dessous d'un médaillon de saint Vincent de Paul, il y avait, imprimées, les formules: nom de l'élève, et un simple trait à l'encre remplissait le blanc; puis, aux prénoms, ceux d'Angélique. Marie; aux dates, née le 22 janvier! 85!, admise le 23 du même mois, sous le numéro matricule! 634. Ainsi, père et mère inconnus, aucun papier, pas même un extrait de naissance, rien que ce livret d'une froideur administrative, avec sa couverture de toile rose pâle. Personne au monde et un écrou, l'abandon numéroté et classé. —Oh! une enfant trouvée! s'écria Hubertine.

    Angélique, alors, parla, dans une crise folle d'emportement.

    —Je vaux mieux que tous les autres, oui! je suis meilleure, meilleure, meilleure.... Jamais je n'ai rien volé aux autres, et ils me volent tout.... Rendez-moi ce que vous m'avez volé.

    Un tel orgueil impuissant, une telle passion d'être la plus forte soulevaient son corps de petite femme, que les Hubert en demeurèrent saisis. Ils ne reconnaissaient plus la gamine blonde, aux yeux couleur de violette, au long col d'une grâce de lis. Les yeux étaient devenus noirs dans la face méchante, le cou sensuel s'était gonflé d'un flot de sang. Maintenant qu'elle avait chaud, elle de dressait et sifflait, ainsi qu'une couleuvre ramassée sur la neige.

    —Tu es donc mauvaise? dit doucement le brodeur. C'est pour ton bien, si nous voulons savoir qui tu es.

    Et, par-dessus l'épaule de sa femme, il parcourait le livret, que feuilletait celle-ci. À la page 2, se trouvait le nom de la nourrice. «L'enfant Angélique, Marie, a été confiée le 25 janvier 1851 à la nourrice Françoise, femme du sieur Hamelin, profession de cultivateur, demeurant commune de Soulanges, arrondissement de Nevers; laquelle nourrice a reçu, au moment du départ, le premier mois de nourriture, plus un trousseau.» Suivait un certificat de baptême, signé par l'aumônier de l'hospice des Enfants assistés; puis, des certificats de médecins, au départ et à l'arrivée de l'enfant. Les paiements des mois, tous les trimestres, emplissaient plus loin les colonnes de quatre pages, où revenait chaque fois la signature illisible du percepteur.

    —Comment, Nevers! demanda Hubertine, c'est près de Nevers que tu as été élevée?

    Angélique, rouge de ne pouvoir les empêcher de lire, était retombée dans son silence farouche. Mais la colère lui desserra les lèvres, elle parla de sa nourrice.

    —Ah! bien sûr que maman Nini vous aurait battus. Elle me défendait, elle, quoique tout de même elle m'allongeât des claques.

    —Ah! bien sûr que je n'étais pas si malheureuse, là-bas, avec les bêtes....

    Sa voix s'étranglait, elle continuait, en phrases coupées, incohérentes, à parler des prés où elle conduisait la Rousse, du grand chemin où l'on jouait, des galettes qu'on faisait cuire, d'un gros chien qui l'avait mordue.

    Hubert l'interrompit, lisant tout haut:

    —«En cas de maladie grave ou de mauvais traitements, le sous-inspecteur est autorisé à changer les enfants de nourrice.» Au-dessous, il y avait que l'enfant Angélique, Marie, avait été confiée, le 20 juin! 860, à Thérèse, femme de Louis Franchomme, tous les deux fleuristes, demeurant à Paris.

    —Bon! je comprends, dit Hubertine. Tu as été malade, on t'a ramenée à Paris.

    Mais ce n'était pas encore ça, les Hubert ne surent toute l'histoire que lorsqu'ils l'eurent tirée d'Angélique, morceau à morceau. Louis Franchomme, qui était le cousin de maman Nini, avait dû retourner vivre un mois dans son village, afin de se remettre d'une fièvre; et c'était alors que sa femme Thérèse, se prenant d'une grande tendresse pour l'enfant, avait obtenu de l'emmener à Paris, où elle s'engageait à lui apprendre l'état de fleuriste. Trois mois plus tard, son mari mourait, elle se trouvait obligée, très souffrante elle-même, de se retirer chez son frère, le tanneur Rabier, établi à Beaumont. Elle y était morte dans les premiers jours de décembre, en confiant à sa belle-sœur la petite, qui, depuis ce temps, injuriée, battue, souffrait le martyre.

    —Les Rabier, murmura Hubert, les Rabier, oui, oui! des tanneurs, au bord du Ligneul, dans la ville basse. Le mari boit, la femme a une mauvaise conduite.

    —Ils me traitaient d'enfant de la borne, poursuivit Angélique, révoltée, enragée de fierté souffrante. Ils disaient que le ruisseau était assez bon pour une bâtarde. Quand elle m'avait rouée de coups, la femme me mettait de la pâtée par terre, comme à son chat; et encore je me couchais sans manger souvent....

    Ah! je me serais tuée à la fin!...

    Elle eut un geste de furieux désespoir.

    —Le matin de la Noël, hier, ils ont bu, ils se sont jetés sur moi, en menaçant de me faire sauter les yeux avec le pouce, histoire de rire. Et puis, ça n'a pas marché, ils ont fini par se battre, à si grands coups de poing, que je les ai crus morts, tombés tous les

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