À propos de ce livre électronique
La douloureuse victoire
Delly est le nom de plume conjoint d'un frère et d'une sœur, Jeanne-Marie Petitjean de La Rosière, née en Avignon le 13 septembre 1875, et Frédéric Petitjean de La Rosière, né à Vannes le 6 septembre 1876, auteurs de romans d'amour populaires. Les romans de Delly, peu connus des lecteurs au xxie siècle, sont extrêmement populaires entre 1910 et 1980, et comptent alors parmi les plus grands succès de l'édition en France mais aussi à l'étranger.
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Aperçu du livre
La douloureuse victoire - Delly
I
La chaude brise de juin entrait par les trois portes-fenêtres dans la grande salle longue qu’assombrissaient un peu les marronniers proches. L’ombre mouvante des feuillages dansait sur le bois verni des placards, sur la table couverte de morceaux d’étoffes, de ciseaux, de boîtes à fil, sur les visages des travailleuses et les cheveux bruns, blonds, grisonnants. Elles étaient là douze – quelques-unes âgées, comme M me Augé qui atteignait quatre-vingts ans ; d’autres très jeunes, telle Claire Fervières, dont la légère chevelure châtain clair entourait une ronde et rieuse figure qui n’accusait pas plus de dix-huit ans. Veuves, femmes mariées, jeunes et vieilles filles se réunissaient ici, chaque samedi, et travaillaient pour les pauvres sous la présidence de M me Fervières, la femme du notaire.
Elle était assise au bout de la table. La cinquantaine proche n’altérait qu’à peine ses traits délicats et laissait à la taille toute sa finesse, toute sa juvénile souplesse. Élisabeth Fervières possédait ce charme discret, tout en demi-teintes, qui fait de certains automnes de femmes la revanche d’une jeunesse au cours de laquelle elles ont passé inaperçues, ignorées, près d’autres plus brillantes dont l’âge, ensuite, ternira l’attrait. Rien en elle ne forçait l’attention, tout la retenait : la grâce tranquille des mouvements, le pli de bonté douce que la bouche gardait à demeure, la sérénité pensive des yeux couleur de noisette, le sourire fugitif qui, des lèvres, montait jusqu’au regard, et la voix pure, doucement vibrante.
Cet extérieur ne trompait pas sur la valeur morale. L’intelligence affinée s’unissait, chez M me Fervières, à une bonté que rien ne lassait et à la plus discrète charité. Sur cette réunion hebdomadaire qui se tenait au rez-de-chaussée d’un pavillon dépendant de la maison notariale, elle exerçait, par son tact et ses vertus, une influence dont la réputation du prochain retirait maints avantages. Car elle ne laissait passer aucun propos qui eût allure de médisance et, avec une fermeté tranquille, coupait net le commérage. Toutes ces dames de l’ouvroir Sainte-Clotilde le savaient. Aussi les incorrigibles gardaient-elles pour une meilleure occasion les racontars abhorrés de leur présidente.
Une jeune femme venait de terminer la lecture spirituelle faite à chaque réunion et choisie par M me Fervières dans les œuvres maîtresses de la littérature catholique. De nouveau, les conversations reprenaient : des réflexions sur la lecture d’abord, puis des échanges d’idées plus profanes.
– La Hermellière va être habitée. Le saviez-vous, chère amie ? demanda M me Augé à une de ses voisines.
– Mais non ! Par les héritiers de ce bon M. de Glamont ?
– Oui, des Parisiens, les Jarlier. Cela va faire du mouvement dans la contrée. On les dit très mondains.
La voix fraîche de Claire Fervières s’éleva :
– M. Jarlier a écrit à papa qu’ils arriveraient dans huit jours.
– Tout est-il donc en état à la Hermellière ?
– Mais oui. Papa avait été chargé par M. Jarlier des quelques arrangements nécessaires.
La jeune femme qui venait de faire la lecture déclara :
– Une de mes amies a vu quelquefois les Jarlier à Paris, chez des relations communes. D’après elle, ils n’ont qu’une fortune médiocre, mais dépensent beaucoup. Les jeunes filles se font remarquer par des allures très libres...
M me Fervières interrompit un moment l’agile mouvement de ses doigts fins pour diriger son calme regard vers celle qui parlait.
– Attendons de les voir pour en juger, ma chère Louise. Et même alors, ne nous pressons pas.
M me Augé, tout en se penchant pour choisir un peloton de fil dans une boîte posée devant elle, fit observer :
– Vous serez une des premières à recevoir leur visite, Élisabeth, comme femme de leur notaire.
– Probablement. Je voudrais qu’ils ne se pressent pas trop, car les nouvelles connaissances ne m’enthousiasment guère. Celles-ci, d’ailleurs, seront vraisemblablement des connaissances de passage.
– En effet, il est peu probable que cette jeunesse s’enterre l’hiver à la Hermellière. À moins que ce soit par économie...
– M. de Glamont a laissé une assez jolie fortune, dit une petite brune vive et alerte – M me Harte, la femme du principal médecin de Sargé. Près d’un million, prétend-on ?
– Oui, l’excellent homme ne dépensait guère et a fait des économies pour ces cousins qui devaient peu se soucier de lui, car ils ne sont jamais venus à la Hermellière.
M me Fervières faisait de nouveau courir l’aiguille dans la percale noire d’un tablier d’enfant. Les feuillages, en se déplaçant sous un coup de brise plus vif, mirent un instant en pleine lumière son teint légèrement mat, qui prit sous cette subite clarté une nuance ambrée. Les cheveux châtains, sans éclat, furent parsemés de points d’or. Et dans les yeux qui se levèrent une seconde, toute cette lumière parut se réfugier.
À 5 heures, les travailleuses abandonnèrent leur ouvrage et prirent congé de M me Fervières. Une grande jeune fille blonde, un peu forte, partit la dernière après avoir embrassé affectueusement M me Fervières et Claire. C’était Marthe Loberel, la fiancée de Louis Fervières, fils aîné et futur successeur du notaire.
La mère et la fille, dans la grande salle d’où le soleil se retirait, s’attardèrent à ranger au fond des placards profonds les pièces d’étoffe et les fournitures de mercerie. M me Fervières avait des mouvements précis et doux, sans lenteur. De temps à autre, pour mieux voir une étoffe, elle penchait un peu la tête et son profil se découpait, jeune encore et très fin, sur le bois jaune foncé de l’armoire.
– Je crains que ce lainage ne soit pas solide, Claire.
– Vous croyez, maman ?
Claire s’approchait, regardait de près à son tour. Les deux visages se trouvaient tout proches. Près des traits un peu forts et du teint brun de la jeune fille, la figure de la mère semblait plus affinée encore, et d’une plus délicate pâleur. Claire ne tenait de M me Fervières que la nuance des yeux. Mais la différence d’expression effaçait presque cette ressemblance. Claire, vive et gaie, très remuante, n’avait rien de la nature pondérée de sa mère, et tous les sentiments s’exprimaient chez elle, par le regard ou la parole, avec une intensité que tempéraient seulement une éducation sérieuse et une distinction naturelle.
Des pas firent grincer le gravier, une ombre s’interposa entre la lumière du dehors et les deux femmes.
– Ah ! c’est Bruno ! dit Claire.
Une voix masculine au timbre sonore et doux répliqua :
– Mais oui, c’est Bruno, petite sœur.
M me Fervières sourit à l’arrivant. Il vint à elle, lui prit la main et la porta à ses lèvres. Il y avait, dans ce geste, bien mieux qu’une déférence conventionnelle. L’affection profonde s’y affirmait – comme elle se lisait dans le regard que le jeune homme attachait sur M me Fervières.
– Je ne pensais pas que tu aurais fini si vite toutes tes courses à Angers, mon cher enfant.
– Mais si, maman. J’ai été vite, pour rentrer plus tôt.
Le regard de M me Fervières l’enveloppait d’un rayonnement de tendresse grave. Sur ce visage de jeune homme, elle retrouvait ses propres traits, à peine un peu virilisés, et dans toute la personne de Bruno, ce charme fin qui la distinguait elle-même. Toutefois, lui non plus n’avait pas son regard. Dans les yeux bleus, très beaux, où se reflétait une âme sérieuse, pure et bonne, un peu de rêve flottait toujours, et l’on n’y retrouvait pas la profondeur lumineuse qui éclairait ceux de M me Fervières.
– Vous avez bien travaillé, je vois cela, dit-il, souriant à sa mère et à sa sœur, en désignant les vêtements et le linge soigneusement pliés sur la table.
– N’est-ce pas ? Tes pauvres ont-ils besoin de quelque chose ?
– Ils ont toujours besoin, ma bonne Claire.
– Alors, tu m’indiqueras ce qu’il faut, j’irai le leur porter.
M me Fervières avait ouvert un autre placard. Les étagères en étaient garnies de pots de confitures, de bouteilles de vin, de petits paquets étiquetés. Bruno s’approcha.
– Chère mère, je voudrais bien des confitures pour ma vieille Margerine.
– Je lui en porterai demain, mon enfant.
M me Fervières ferma le placard et glissa la clef dans un petit sac posé sur la table. Claire, avec des mouvements alertes, rangeait les sièges. M me Fervières prit le bras de son fils et tous deux se dirigèrent vers une des portes-fenêtres.
– J’ai ramené Jacques d’Angers. Nous nous sommes croisés devant l’évêché d’où il sortait. Vous recevrez sa visite tout à l’heure, maman.
– Tant mieux. J’ai un renseignement à lui demander au sujet de cet homme à qui s’intéresse M. de Marges.
Ils descendaient lentement les deux degrés de pierre qui, du rez-de-chaussée, menaient au jardin. La mère et le fils avaient la même taille, à peine au-dessus de la moyenne, mais qui semblait plus élevée parce qu’elle était svelte, très souple, et bien mise en valeur par la coupe simple mais sans défaut de la robe de voile marron, chez M me Fervières, et du complet gris foncé de Bruno. Ils avaient aussi la même allure élégante, la même absence de mouvements trop vifs et cette pareille façon de pencher la tête, quand ils restaient silencieux et quand ils pensaient.
Le pavillon était proche de la maison. Jusqu’au seuil de celle-ci, les marronniers formaient voûte. M. Fervières avait dit plus d’une fois : « Il faudra abattre ceux qui sont trop près. » Mais il ne pouvait s’y décider, et ses enfants le suppliaient de ne pas toucher aux arbres superbes qu’ils appelaient « les ancêtres ».
M me Fervières s’arrêta pour montrer à son fils un rosier grimpant, le long de la façade.
– Vois, il jaunit, il s’étiole. Cette ombre le tue.
– Il faut sacrifier le rosier ou les arbres, maman.
M me Fervières dit pensivement :
– Il faut toujours sacrifier quelque chose, dans la vie.
Et elle ajouta, avec une nuance de fermeté tranquille dans la voix :
– Le devoir seul ne doit jamais l’être.
Une femme de chambre apparut au seuil de la maison. Elle annonça :
– M. et M me de Marges attendent Madame au salon.
M me Fervières regarda son fils.
– Viens-tu, Bruno ?
– Mais oui. Je n’ai pas de travail particulièrement pressé pour le moment.
Ils se dirigèrent vers une des portes vitrées du rez-de-chaussée, que M me Fervières ouvrit. Dans le petit salon où l’on ne recevait que les intimes, Henry de Marges et sa femme, assis sur un canapé, causaient à mi-voix. Lui, âgé d’une trentaine d’années, offrait le type accompli du gentilhomme de vieille race, ayant su se conserver sain d’âme et de corps et gardant intactes les traditions d’énergie, de distinction physique et morale, de foi profonde léguées par les ancêtres, ces nobles angevins qui, aux jours de la Révolution, s’étaient mêlés à leurs paysans pour la défense de leur religion et de leur roi. Elle, fille d’un Français et d’une Grecque, avait à peine vingt ans. De beaux yeux noirs, voilés de cils blonds comme les cheveux, répandaient un doux éclat sur le visage délicat, d’une fine blancheur. Élevée par des parents irréligieux, elle avait été convertie par M. de Marges. Leur parfaite union pouvait se résumer en cette phrase dite un jour par Henry : « Nous n’avons qu’une pensée et qu’une âme. »
Tandis que M. de Marges s’entretenait avec M me Fervières, Bruno causait littérature avec la jeune femme. Celle-ci, esprit fin et ouvert, avait profité des conseils de son mari et les hommes les plus intelligents trouvaient en elle une interlocutrice très cultivée, qui savait réfléchir et observer.
Elle parlait à Bruno de l’ouvrage qu’il venait de faire paraître. Brillant élève de la Faculté d’Angers, récemment reçu docteur ès lettres, il se sentait très attiré par la carrière littéraire. Son père le poussait à opter pour le professorat. Cependant, le succès de cette première œuvre, L’ombre qui vient, roman mystique d’une grande délicatesse de style et d’une observation très pénétrante, semblait changer quelque peu sur ce point les idées de M. Fervières, ainsi que Bruno l’expliquait à M me de Marges.
La jeune femme dit en souriant :
– Oui, monsieur votre père prévoit de ce côté une illustration pour sa famille. Je crois qu’il n’a pas tort. Cet ouvrage annonce un beau talent que l’étude et l’expérience fortifieront. Ainsi, nous compterons parmi nos écrivains catholiques un grand nom de plus.
Bruno resta un instant songeur, puis dit pensivement :
– C’est un très bel apostolat que celui-là.
– Un des plus beaux, de nos jours.
– Vous pensez que je pourrais y réussir ?
– Je le crois. C’est aussi l’avis de mon mari. M me Fervières vous y encourage-t-elle ?
– Oui, de même que l’abbé. Ils disent comme vous, madame, que les bonnes plumes ne doivent pas se rouiller dans l’écritoire et que chacun est tenu de combattre selon ses moyens.
Claire entra, apportant des rafraîchissements. La conversation devint générale. Puis apparut l’abbé Jacques Rivors, un neveu de M me Fervières, depuis un an vicaire à Sainte-Cécile, la principale paroisse de Sargé. M. de Marges l’emmena à l’écart pour lui demander des renseignements sur un de ses protégés. La tête de l’abbé arrivait à peine à l’épaule d’Henry, son ancien camarade de collège, auquel l’unissait toujours une ferme amitié. Dans le visage au teint brun, les yeux foncés pétillaient de vie et de fine intelligence. Ce petit homme, sec et alerte, semblait toujours infatigable. Rien n’arrêtait son zèle et ne lassait sa patience. Il savait, avec un tact extrême, discerner et retenir ce qui, dans les méthodes adverses, pouvait être utilisé avec fruit dans son ministère. Son vieux curé disait : « Moi, je ne puis plus changer. Mais l’abbé Rivors est le prêtre du moment. Il a l’audace et la jeunesse. Le dogme, la morale sont immuables, mais la manière de les prêcher aux foules varie. Aux temps nouveaux, il faut des hommes nouveaux. »
Bruno se rapprocha de l’abbé et d’Henry. Plus jeune qu’eux, il se disait leur disciple. De fait, Jacques et M. de Marges avaient orienté son âme, dès l’adolescence, vers les œuvres de charité et l’apostolat des humbles. Il allait visiter les pauvres, faisait des conférences aux grands jeunes gens du patronage, menait une vie exemplaire et se montrait peu dans le monde. On disait de lui : « Il entrera au séminaire. » Mais il venait d’atteindre vingt-cinq ans sans que cet événement se fût produit.
– On ne te voit plus beaucoup à Varlaumont, Bruno, fit observer M. de Marges.
– J’ai été fort occupé par des recherches dans les archives pour le nouvel ouvrage que je projette.
– Un ouvrage historique ?
– Oui, des épisodes se rattachant à l’histoire de notre Anjou.
– Très bien, cela ! Que chacun fasse connaître sa province, chante les vieilles gloires de notre France et défende nos traditions. Tu seras un de ces chevaliers de la plume, mon cher Bruno.
La belle physionomie virile de M. de Marges s’éclairait d’un sourire. Bruno dit, avec une nuance d’enthousiasme dans la voix :
– C’est mon rêve !
L’abbé lui frappa sur l’épaule.
– Tu peux le réaliser, cousin. Tu as assez de talent pour cela. Emploie-le pour le