Les éblouis

Encore un homme pressé, qui trouve que je ne roule pas assez vite. Ils me fatiguent ces hobereaux dans leurs carrosses antédiluviens. Une voiture de chasseur sans doute. J'ai entrevu une tête vermeille dont la nitescence n'est pas uniquement due au grand air. Mais qu'est-ce que c'est ? Il y a des phares sur ma voie ! En dehors des rougeurs arrière du supplétif de la battue dominicale, il n'y avait aucun véhicule en face. D'où sort-il ce chauffard, et où sont passées les lueurs rouges fractales de l'utilitaire ? Pour éviter la collision frontale, je me déporte sur la gauche. J'ai mordu sur le bas-côté détrempé et la voiture dérape. Ma vie a basculé en quelques secondes sur cette route de campagne, dans une nuit d'hiver, balayée par des averses fuligineuses.   

Chapitre 6 Dartenset et Poloton roulent sur la route pavée de dolomie qui mène à la ferme de Serge Malmont. — Ça doit coûter une fortune d’entretenir ce chemin, constate le gendarme. Combien de tonnes de gravier, à votre avis. — Il doit le commander au camion et l’étaler lui-même. Dans une ferme il y a toujours l’équipement idoine. Stop ! S’écrie le chef. Vous n’avez pas vu ? Poloton pile sur le chemin. — Vu quoi ? — Là, à droite, des traces de dérapage qui vont vers l’étang ! Poloton ne verrait pas une vache dans un couloir, pense le chef. — Chef, le volant est à gauche, je ne peux pas voir le bas-côté sur la droite. À moins de regarder dans le rétro et là je me concentre sur la conduite. — Elles sont pourtant visibles, vous auriez dû les apercevoir de loin, en même temps que moi. Le jeune militaire a arrêté le véhicule sur le chemin. — Vous me sortez les rubans balises et les piquets et on va fermer autour de ces traces. Ne piétinez pas au milieu où vous entendrez parler de moi. Je préviens le procureur. — Le procureur, s’étonne le gendarme, mais pour quoi faire ? Ce sont de simples traces de dérapage. — Vous ne voyez pas qu’elles vont vers l’étang ? Elles y plongent. Ça y est le voilà reparti dans ses mottes de terre et ses galeries de C15 fantômes, se dit Poloton. — Et la dame qui nous attend ? — Je lui passe un coup de fil pour lui dire que nous serons en retard. * * *

Dartenset fixe Marie qui serre convulsivement les accoudoirs du siège. Le bâtonnier est assis dans la salle d’attente avec Marthe. Pour l’instant, il ne peut pas intervenir. Mais sa présence est un poids sur le déroulé de l’interrogatoire pour l’adjudant. — Madame Rivière, est-ce que votre mari est revenu à la maison le 27 mars au soir ? Marie se trouble, semble essayer de se souvenir. — Non, je l’aurais vu. Vous pensez qu’il est rentré chez nous ? — Je ne pense rien, je vous pose la question. — Non, affirme-t-elle d’une voix peu assurée. De toute façon, j’avais fermé les portes à clé. — Et vous êtes certaine qu’il n’est pas venu vous importuner ? Elle a l’air de chercher dans sa mémoire. Elle panique tellement qu’elle doute d’elle-même. — Madame Rivière, nous allons devoir perquisitionner chez vous. Le juge m’a délivré une commission rogatoire. Elle regarde du côté du couloir. — J’aimerais que Marthe soit avec moi. Elle fond en larmes. Un flot de sanglots, alternés de constrictions, l’empêche de trouver sa respiration. Marthe l’entend depuis la salle d’attente et entre en force, suivie par le juriste. — Elle est asthmatique. Il lui faut son spray de corticoïdes. Qu’est-ce que vous lui avez dit pour la mettre dans cet état ? Dartenset est obligé de renoncer à l’interrogatoire. Le bâtonnier le fusille du regard. Poloton observe la scène en secouant la tête. Un désastre, cette initiative ! Marthe ramène Marie Rivière au manoir où l’infirmière les accueille. L'avocat est retourné à Périgueux.