Mefküre
Battant pavillon turc, le MV Mefküre (parfois appelé Mefkura) était, avec le Darien II, le Struma et le Transilvania, l'un des bateaux transportant, de Constanța en Roumanie (alors alliée à l'Allemagne nazie contre l'URSS) à Istanbul en Turquie (alors neutre), des réfugiés juifs fuyant la Shoah en Roumanie. Comme dans le cas du Struma, un sous-marin soviétique le coule le 5 août 1944 dans la mer Noire, tuant plus de 300 réfugiés[1].
Les faits
Le , trois petits bateaux marchands turcs (tous en surcapacité), embarquent 1 000 réfugiés juifs du port de Constanța à 8 h 30 du soir. Les instructions des autorités allemandes de Constanța étaient pour le Morina, transportant 208 passagers, de naviguer en premier, suivi du Bülbül, transportant 390 passagers, en enfin du Mefküre, transportant 320 passagers (le nombre exact reste indéterminé)[2]. Le MV Mefküre portait les pavillons de la Turquie et de la Croix-Rouge : il était donc clairement identifié comme navire civil neutre[3]. Les bateaux reçoivent les instructions de naviguer de la position 43° 43′ N, 29° 08′ E directement vers le sud, vers le détroit du Bosphore. Comme d'habitude pour ce genre de convoi, la marine militaire roumaine escorte les trois navires à travers les champs de mines posées par la marine soviétique devant le port de Constanța[4].
Le , 40 minutes après minuit, le Mefküre est à 25 miles (40 kilomètres) au large d'İğneada en Turquie, lorsque le projecteur d'un bateau inconnu l'éclaire. Identifié par ses pavillons, le Mefküre n'en tient pas compte et poursuit son trajet[5]. Dans la même nuit, à 2 h du matin, la radio allemande de Pomorié dans le golfe de Bourgas, en Bulgarie, intercepte un message radio d'un sous-marin soviétique à un azimut de 116 degrés. C'est la position où se trouvent les trois bateaux et où le Mefküre navigue. Ce sous-marin tire au canon et à la mitrailleuse sur le Mefküre qui prend feu et coule. Son capitaine Kazım Turan et six autres membres de l'équipage réussissent à s'échapper sur un canot de secours. Seulement 5 réfugiés juifs survivent. Le nombre précis de réfugiés sur le bateau est inconnu mais on estime qu'il y avait 37 enfants parmi les victimes du naufrage.
Le Bülbül, qui fait partie du convoi, est intercepté par la marine turque. Mais, depuis la tragédie du Struma (également coulé par un sous-marin soviétique à l'entrée du Bosphore en 1942) les autorités turques passent outre les pressions britanniques (qui considèrent les réfugiés juifs de Roumanie comme « des citoyens d'un pays en guerre contre la Grande-Bretagne » et leur refusent les visas[6]). Elles permettent aux juifs fuyant les territoires de l'Axe à poursuivre leur voyage vers la Palestine mandataire à travers la Turquie par la route ou en train, et le Bülbül et le Morina sont donc autorisés à porter secours aux onze rescapés du Mefküre et à débarquer leurs passagers.
Après l'ouverture du rideau de fer et des archives soviétiques (1991), on apprit que le sous-marin soviétique qui avait éclairé le convoi de son projecteur et demandé des instructions par radio était le sous-marin soviétique Shch-215 (en) commandé par le capitaine A. I. Strijak. Le , il quitte le port de Batoum pour opérer dans la zone de Bourgas, face aux côtes de la Bulgarie, alors membre de l'Axe. Parvenu à la position 42° 00′ N, 28° 42′ E[7] et naviguant en surface, il tire sur le Mefküre 90 cartouches de ses canons de 45 mm et 650 cartouches de ses mitrailleuses de calibre 7,62 mm avant de replonger et disparaître[8],[9],[10]. La Russie a présenté à Israël « des excuses pour cette tragique erreur », mais en 1944 (comme deux ans auparavant pour le Struma) les organisations sionistes (Yichouv, Lehi, Irgoun) n'ont pas cru à une erreur, car le convoi du Bülbül, du Mefküre et du Morina était parfaitement identifié comme civil neutre, et sa situation connue des Alliés. De plus, la Kriegsmarine allemande n'avait en mer Noire qu'une vingtaine de Räumboote, une dizaine de Schnellboote et six U-boot de type IIB : rien qui ressemble à un convoi de petits cargos mixtes désarmés[11]. Ces organisations accusèrent les autorités britanniques d’avoir fait pression sur la Turquie et sollicité l'URSS pour empêcher l’entrée en Palestine des réfugiés juifs fuyant la Shoah[12].
Mémoriaux
Il existe trois mémoriaux commémorant les personnes tuées dans cette tragédie, un en Roumanie, au cimetière juif de la Chaussée de Giurgiu dans le sud de Bucarest[13], le second à Ashdod et le troisième à Atlit en Israël.
Notes
- (en) Jan Lettens, « SV Mefkure (+1944) », The Wreck Site, (consulté le )
- (en) Siri Holm Lawson, « Re: Identity of MEFKURE sunk 1944. », Norwegian Merchant Fleet WW II, Warsailors (consulté le )
- (en) « מפקורה SS Mefküre Mafkura Mefkura », Haapalah / Aliyah Bet, (consulté le )
- The Mefkure Tragedy / Albert Finkelstein, 1991, Document no 17
- (en) Guðmundur Helgason, « Shch-215 », uboat.net, Guðmundur Helgason, 1995–2013 (consulté le )
- C'est Harold MacMichael Haut-Commissaire de la Palestine mandataire qui expliqua la position de l'Empire britannique : « il s'agit de citoyens d'un pays en guerre contre la Grande-Bretagne venant d'un territoire sous contrôle ennemi », tandis que Walter Guinness (assassiné en 1944 par le Lehi) avait expliqué à la Chambre des Lords que « la Palestine est trop petite et déjà surpeuplée pour accueillir les trois millions de Juifs que les sionistes veulent y amener » : lire Charles Enderlin, Par le feu et par le sang, le combat clandestin pour l'indépendance d'Israël, Albin Michel, 2008, p. 98-100.
- (es) « Desastres Maritimos de la 2e Guerra Mundial 1944 (Esta seccion sera traducida en breve) », Historia y Arqueologia Marítima Indice desastres..., Fundacion Histarmar (consulté le )
- (ru) Nikolaev Aleksandr S, « Щ-215, С-215 туп "Щ" X серии », Энциклопедия отечественного подводного флота (consulté le )
- (ru) « ru:Подводная лодка "Щ-215" », Черноморский Флот информационный ресурс, 2000–2013 (consulté le )
- (ru) « ru:Щ-215 », СОВЕТСКИЕ ПОДВОДНЫЕ ЛОДКИ, (consulté le )
- Timothy C. Dowling, Russia at War, ABC-CLIO Publishing, 2014, p. 129.
- Charles Enderlin, Ouvrage cité, p. 98-100.
- Rosanne Leeson, « The Sinking of the “Mefkure” », JewishGen.org, (consulté le )
Annexes
Bibliographie
- (de) Rohwer, Jürgen (1964). « Die Versenkung der jüdischen Flüchtlingstransporter Struma und Mefkure im Schwarzen Meer (Februar 1942, August 1944) ». Schriften der Bibliothek für Zeitgeschichte, Vol.4 (en allemand). (de) Frankfurt am Main: Bernard & Graefe. Verlag für Wehrwesen.
- (de) Rohwer, Jürgen (1986). Jüdische Flüchtlingsschiffe im Schwarzen Meer (1934-1944). In: Ursula Büttner (ed.): Das Unrechtsregime, Vol.2. Hamburg: Christians Verlag, p. 197-248. (ISBN 3-7672-0963-2)
Articles connexes
- Tragédie du Struma : mort des 768 passagers et membres d'équipage du Struma, torpillé en mer Noire par un sous-marin soviétique en février 1942
- Aliyah Bet
- Exodus 1947
- Saint Louis (paquebot)
Liens externes
- (en) « Mefkure - Definition », Zionism and Israel - Encyclopedic Dictionary
- (en) Ayfan Ozer, « The Struma Tragedy » [archive du ], Turkish Jews,