Manuscrit Laon 239
Le manuscrit Laon 239 est un livre de chant en grégorien sans ligne, attribué au IXe siècle et conservé dans la bibliothèque municipale de Laon.
Il s'agit de l'exemplaire restant et quasiment complet[cjd 1] du graduel romain noté le plus ancien, à savoir livre de chant accompagné des neumes selon le rite romain[1]. En dépit de cette ancienneté, le Laon 239 demeure l'un des manuscrits grégoriens les plus corrects.
Histoire
modifierUsage à la cathédrale
modifierAvec certitude, le manuscrit Laon 239 était en usage au XIIe siècle à la cathédrale Notre-Dame de Laon, en raison d'un certain nombre d'additions selon la liturgie propre de cette cathédrale à l'époque[pm 1]. De nombreuses modifications plus anciennes se trouvent également dans ce livre de chant afin d'adapter au répertoire, notamment celles du XIe siècle[pm 2]. Toutefois, comme la cathédrale s'illustrait de ses archives riches dès la fin du IXe siècle, la possession de ce graduel aussi peut remonter à cette date[pm 3]. D'ailleurs, manquant de chants consacrés à saint Benoît de Nursie, il est évident que le livre n'était pas destiné au monastère[1].
Il est probable que le livre était encore actif, jusqu'au XIIIe siècle[pm 4]. En effet, à partir de ce siècle, la notation à gros carrés commença à remplacer les notations anciennes, qui étaient uniquement capable de servir à la répétition et à la mémorisation, en raison de sa petite taille. Devenu archaïque, le graduel était dorénavant conservé dans la cathédrale.
Quoique ce manuscrit fût considérablement endommagé à cause de l'humidité, Dom Joseph Pothier auprès de l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes exécuta en 1869 son fac-similé à la main, pas totalement, mais à partir de la page 7[pm 5] jusqu'à l'alléluia du verset Redemptionem[pm 6].
Le Laon Ms 239 est actuellement maintenu dans la bibliothèque municipale de Laon, sans quitter cette ville depuis plus de mille ans [lire en ligne].
Redécouvert I : Paléographie musicale
modifierLe directeur de l'atelier de la Paléographie musicale, Dom André Mocquereau, choisit ce manuscrit pour la publication du tome X sorti en 1909. Faute de titre établi, le livre fut intitulé Antiphonale missarum Sanct Gregorii.
À cette époque-là, l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes rompait sa collaboration avec le projet pontifical de l'Édition Vaticane. En effet, non seulement la majorité de sa commission opposait le choix de Solesmes mais également la publication du graduel avait été effectuée en 1908 sans adopter les signes rythmiques développés par Dom Mocquereau, membre de la commission.
L'objectif de ce tome X était évident, car dans son avant-propos (p. 9 - 15), Dom Mocquereau ne parlait que de la caractéristique rythmique du chant grégorien[pm 7]. En admettant que les manuscrits sangalliens, déjà publiés, soient « les documents rythmiques les plus parfaits et les plus intelligibles[pm 8] », le directeur soulignait :
« La place et l'importance du codex Laudunensis 239 dans l'histoire du rythme se trouveront au même temps fixées, et l'on s'expliquera le choix qui a été fait de ce Graduel pour figurer dans notre Recueil paléographique[pm 8]. »
Quand bien même la rythmique grégorienne ne serait qu'une théorie fausse et hypothétique sous influence de la musique contemporaine, cette publication contribua à améliorer la connaissance sur la valeur de ce manuscrit[2]. La version révisée de cette publication de fac-similé est disponible depuis 1992 chez Éditions de Solesmes.
Redécouvert II : sémiologie grégorienne
modifierÀ nouveau, un autre moine de Solesmes retrouva ce graduel, mais cette fois-ci, en tant que document invraisemblable.
Dans les années 1950, lorsqu'une nouvelle science sémiologie grégorienne naquit, le manuscrit Laon 239 devint source effectivement importante pour ses études. Car, Dom Eugène Cardine de Solesmes s'était aperçu que les neumes les plus anciens cachent une immense richesse de l'expression du chant grégorien, comme enregistrement écrit[sg 1]. Auparavant, un certain nombre de musicologues insistaient l'évolution du chant tardif, tels la plupart de membres de la première commission internationale pour l'Édition Vaticane (1904 - 1913)[ve 1]. À la suite des études sémiologiques, les manuscrits plus anciens devinrent, au contraire, les plus purs, les plus corrects, grâce auxquels le chant grégorien put rétablir sa propre nature[ve 2].
Certes, Dom Cardine aussi trouva les documents les plus importants dans des manuscrits issus de la famille sangallienne[sg 2]. Cependant, celui-ci n'oublia pas de consulter les meilleures notations d'autres traditions. Et, parmi eux, le Laon 239 était le premier : « Graduel écrit vers 930, aux environs de la ville. De récentes études ont révélé sa particulière valeur sur le plan rythmique[sg 2]. » Faute de temps, ce musicologue confia enfin les études de ce manuscrit important à ses élèves.
Thèses des étudiants de Dom Cardine
modifierEntre 1952 et 1984, Dom Eugène Cardine enseigna le chant grégorien auprès de l'Institut pontifical de musique sacrée à Rome. Comme ce professeur était capable de charger proprement aux élèves d'étudier la notation ancienne, les études concernant les neumes de Saint-Gall et de Laon furent aisément promues et avancées. Les thèses dirigées par Dom Cardine et achevées étaient si distinguées que la revue Études grégoriennes de Solesmes adopta certaines pour sa publication[3].
- 1958 : Paul Ardogast, The small punctum as isolated note in codex Laon 239 (Études grégoriennes, tome III, p. 83 - 153, 1959)
- 1962 : Columbia Kelly, Fr. Vollaerts' two exceptions to his general rule of lenght for the Laon 239 virga. A criticism.
- 1970 : Lawrence Heiman, The rhythmic value of the final descending note after a punctum neums of codex 239 of the library of Laon. A paleographic-semiological study (Études grégoriennes, tome XIII, p. 151 - 224, 1972)
- 1973 : Carmelo Picone, Il salicus con lettere espressive nel codice di Laon 239 (Études grégoriennes, tome XVI, p. 7 -143, 1977)
- 1974 : Johannes Berchmans Göschl, Der isolierte Scandicus mit Neumentrennung nach der Kopfnote, verglichen mit dem isolierten Quilisma-Scandicus, im Lichte der Codices Ensiedeln 121 und Laon 239
Puis, Marie-Claire Billecocq leur succéda, en devenant spécialiste de ce manuscrit :
- 1971 : Graphie arrondie au début d'un neume dans le manuscrit de Laon 239
- 1975 : Lettres ajoutées à la notation neumatique du codex 239 de Laon (Études grégoriennes, tome XVII, p. 7 - 144, 1978)
En tant qu'un des fondateurs de l'AISCGre créée en 1975, ce disciple de Dom Cardine prépara enfin, en faveur du Graduale Triplex sorti en 1979, les copies des neumes de Laon 239 requises[4]. Et en 1981 encore, R. Maria Flossmann-Kraus acheva La virga strata, comparaison entre le codex Einsiedeln 121 et le codex Laon 239, auprès de l'Institut pontifical. Grâce à ces thèses, la connaissance concernant le manuscrit fut effectivement améliorée, y compris celle de sa lettre significative qui était considérée auparavant comme une particularité des neumes sangalliens.
Origine du manuscrit
modifierManuscrit très ancien, et il n'y a pas de description par rapport à ce sujet dans le livre, il est difficile à déterminer son origine.
Dom Jacques Hourlier de Solesmes, expert des notations grégoriennes, résumait sa valeur, en soulignant la ville de Laon en tant qu'ancienne capitale de l'Austrasie et l'existence de l'école musicale :
« Ce manuscrit, bien connu des paléographes, compte parmi les meilleurs témoins de la notation messine. C'est un livre de travail, un livre du maître : il appartient à ce genre de manuscrits, qu'on retrouve en diverses régions, où le chantre, sans doute chargé d'enseigner dans l'école claustrale ou cathédrale, a noté la mélodie avec un soin tout particulier et multiplié les indications complémentaires. Non content de distribuer en abondance les lettres, significatives de la hauteur ou des nuances du mouvement et de l'expression, il ajoute des explications sténographiques. »
— Dom Jacques Hourlier, La notation musicale des chants liturgiques latins, p. 34[5]
Après avoir analysé le manuscrit en détail, chant par chant, Dom André Mocquereau aussi avait conclu en 1909 dans la Paléographie musicale tome X : « Au moment de réunir ces indices et de formuler la conclusion qui s'en dégage, nous sommes heureux de nous rencontrer avec l'auteur du Catalogue Général cité plus haut[pm 9] ; selon toute vraisemblance, le manuscrit 239 « provient de Notre-Dame », c'est-à-dire de l'église cathédrale de Laon[pm 1]. »
Cependant, certains musicologues supposent de nos jours que ce manuscrit avait été copié à l'abbaye royale de Saint-Denis, avant l'usage à Laon[6]. En fait, le livre manifeste peu de localité. Celui-ci ne comporte comme saints locaux que saint pape Corneille, saint Cyprien de Carthage ainsi que saint Éloi de Noyon[1]. Ceux qui sont certains, c'est un lien assez fort avec le roi Charles II le Chauve ayant considérablement renforcé l'évêché royal. Quoi qu'il en soit, Dom Jacques Hourlier, quant à lui, considérait qu'aurait apparu la notation la plus ancienne sous le règne de ce roi Charles, durant la seconde renaissance carolingienne[7].
Caractéristiques du manuscrit
modifierTémoignage de la composition au IXe siècle
modifierEn raison de ses neumes vraiment développés et de la qualité de la notation, on attribuait parfois ce manuscrit au Xe siècle, tout comme pour le cantatorium de Saint-Gall (vers 922 - 925), le meilleur manuscrit grégorien[sg 2]. Car, les premiers neumes, assez primitifs, ne remontent qu'au milieu du IXe siècle[1]. De nos jours, l'ancienneté de ce graduel devint indisputable. Ce grand témoignage indique que la composition du chant grégorien évolua très rapidement et s'acheva déjà dans ce siècle grâce à la Renaissance carolingienne, avant que le cantatorium sangallien ne soit copié[1].
Ainsi, dans ce manuscrit se trouve une seule grande lettre A majuscule illustrée et colorée[pm 10]. Il s'agit de la première lettre de l'introït Ad te levavi pour le premier dimanche de l'Avent [lire en ligne]. Il est vrai que cette lettre ressemble à celle de lettre A, initiale franco-saxonne, dans la seconde Bible de Charles le Chauve (vers 871 - 877)[pm 10] [lire en ligne]. Cela signifie une proximité géographique et chronologique entre ces deux manuscrits.
Puis, pour le verset Angelis suis mandavit de te lors de la célébration du 1er dimanche de Carême, il s'agit en général d'un chant de la deuxième mode dans les manuscrits, y compris le cantatorium de Saint-Gall. Au regard du Laon 239, c'est un chant différent de la troisième mode[cjd 2].
Ensuite, Dom Mocquereau aussi avait trouvé une particularité de ce graduel[pm 11] :
« 10) La présence des messes d'ordinations dans le manuscrit de Laon est un signe d'antiquité. Il y en avait en cinq, sans compter une vigile (voir plus haut p. 33), et il en reste quatre, pour diverses occasions. On les retrouve toutes, dans le même ordre, dans les mss. de Saint-Denys (Ste Genev. 111), de Chartres, de Moissac (B. N. 2293). Les antiphonaires de Saint-Amand et celui de Compiègne en suppriment une ; il n'y en a plus dans le ms. de Saint-Denys du Xe siècle (Mazar. 384). »
Enfin, une autre ancienneté est l'indication topographique de la célébration papale, dans quelques rubriques avant les chants, vraisemblablement les copies d'un manuscrit romain. Ces rubriques précisaient les chapelles à Rome où le pape célébrait la messe : basilique Saint-Pierre pour Noël, basilique Saint-Jean-de-Latran lors du 1er dimanche de Carême, basilique Saint-Laurent-hors-les-Murs au samedi de la 4e semaine de Carême[1],[cjd 3]. Par exemple,
« In die natalis Domini, ad Sanctum Petrum (avant l'introït Puer natus est nobis) »
Ce manuscrit répartissait donc la même caractéristique avec l'Antiphonaire de Compiègne (877 ?) [lire en ligne].
Qualité des neumes rythmiques
modifierComme déjà mentionné, avant que la sémiologie grégorienne ne distingue la qualité de précision rythmique de ce manuscrit, Dom André Mocquereau de Solesmes appréciait, au début du XXe siècle, ce caractère dans le tome X de la Paléographie musicale.
Mais, c'était surtout dès les années 1950 que les musicologues réussirent à rétablir correctement la nature authentique du chant grégorien, qui était devenu plain-chant après la Renaissance[sg 1]. La variété des neumes de Laon 239 contribua considérablement à restaurer la mélodie grégorienne, si rythmique.
Ainsi, pour le neume monosonique, c'est-à-dire neume pour une seule syllabe, le Laon 239 emploie plusieurs variantes[ii 1] (voir ci-dessous, notation du Graduale Triplex) :
- punctum ( • ) : note rapide
- punctum
- punctum avec addition d'un c (celeriter = rapidement, donc note très rapide)
- unicinus ( ґ, signifiant « crochet », dénomination par Dom Eugène Cardine et son école[cjd 4]) : note syllabique
- unicinus
- unicinus dont l'élément horizontal est très réduit
- unicinus dont l'élément horizontal est agrandi, le plus souvent suivi d'un fin délié ascendant
- unicinus avec addition d'un t (tenete = tenir)
- unicinus avec addition d'un c (celeriter = rapidement)
Donc, ces neumes précisent et contrôlent, délicatement ainsi qu'aisément, non seulement la valeur rythmique des notes mais aussi la vitesse de l'exécution :
« Sans entrer dans des carrures rythmiques, le chant grégorien des VIIIe, IXe et Xe siècle n'a pas la monotonie d'un chant à notes égales. Le contraste entre neumes rapides et neumes plus longs se rencontre pour les neumes de plusieurs sons[cjd 5]. »
Il reste des difficultés : ni la notation à gros carrés ni la notation contemporaine ne sont capables d'indiquer cette finesse du rythme grégorien. C'est la raison pour laquelle il faut désormais les notations en duplexe ou triplex.
Précision de haut niveau
modifierMarie-Noëlle Colette, ancienne directrice du département des sciences historiques et philologiques de l'École pratique des hautes études de Paris-Sorbonne, résumait et conclut une capacité exceptionnelle de ce manuscrit[1] :
« Avec les premiers manuscrits notés de Saint-Gall, celui-ci est un témoin précieux et rare des décisions qu'ont prises les premiers notateurs, soucieux de décrire le plus minutieusement et fidèlement possible les nuances agogiques et rythmiques du chant tel qu'il était pratiqué et transmis jusqu'alors oralement. Ces indications recourent à plusieurs moyens : la longueur relatives des signes, leur groupement, l'adjonction de lettres, des initiales de mots à signification rythmique ou mélodique, certaines étant empruntées au système tachygraphique des notes tironiennes, très utilisé à Laon à cette époque en d'autres domaines. Les graphies de Saint-Gall sont différentes mais les procédés sont à peu près les mêmes ......... . Il est remarquable de constater que pour les mêmes lieux musicaux les mêmes intentions aient été transmises à un tel degré de précision dans ces deux systèmes graphiquement si différents. »
Notes tironiennes
modifierLes notes tironiennes constituent une antique tachygraphie romaine. S'appuyant sur diverses sources, Isidore de Séville (vers 560 - 636) en attribue l'invention à Tiro, secrétaire privé de Cicéron (103/4 av. J.-C.). Cette hypothèse sera suivie depuis l'antiquité jusqu'au début des temps modernes. Aujourd'hui, la majorité des chercheurs s'accordent à retenir M. Tullius Tiro, esclave de Cicéron affranchi en 53 (av. J.-C), comme inventeur de la tachygraphie romaine.
La principale source pour la connaissance de la tachygraphie romaine réside dans les listes lexicographiques des notes (Commentarii notarum tironianarum = CNT), qui en donnent la traduction en écriture courante. De tels instruments ont aussi été élaborés à des fins d'enseignement : ils éliminent alors de nombreuses notes présentes dans les commentaires traditionnels. Les notes retenues étaient ordonnées selon un point de vue didactique, et subdivisées en cahiers, afin d'être enseignées de la façon la plus uniforme possible dans les écoles abbatiales médiévales.
Le principal recueil d'exercices pédagogiques consistait en une traduction des psaumes en notes tironiennes. Elle remonte à l'époque où ces notes furent reprises et copiées dans les abbayes franques, Charlemagne (768 - 814), voulant faire renaître la culture antique sous tous ses aspects.
Sous Charlemagne, Louis le Pieux (778 - 840) et Charles le Chauve (823 - 877), une grande bibliothèque royale fut structurée. Dans son Admonitio generalis du 23 mars 789, l'empereur Charles stipule que les clercs et les moines doivent apprendre « les notes. » La chancellerie carolingienne employait les notes tironiennes, et la réforme du latin coïncida avec leur remise en valeur.
Des manuscrits de la Bible et des Psaumes ont été copiés en notes tironiennes à Tours, Épernay, Reims et Saint-Amand. Dans sa récente publication du manuscrit Laon 468, John Contreni a édité des gloses et des matériaux introductifs aux œuvres de Virgile et Sedulius. Les notes tironiennes qu'ils contiennent ont été copiées par deux scribes, dont l'un est Martin de Laon († 875). Le manuscrit a très probablement été copié à Soissons. Les signes tironiens du manuscrit Laon 239 sont fondés sur le développement de cette tachygraphie vers la fin de l'année 900. On ne s'étonne donc pas de trouver dans ce manuscrit, copié vers 930 dans la région de Laon, l'emploi conjoint de minuscule caroline, de notes tironiennes et de neumes messins.
Smits van Waesberghe se demande si les Irlandais et les Anglo-Saxons ont été les précurseurs et les promoteurs des graphies tironiennes. Il est tout à fait remarquable que les principaux scriptoria qui ont confectionné des manuscrits contenant des notes tironiennes appartenaient à des abbayes qui avaient été soumises à l'influence irlandaise : Fleury, Reims, Auxerre, Tours, Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés, Laon, Corbie et Saint-Amand. De tels scriptoria se trouvaient donc dans la zone de diffusion de la notation de Metz.
Laon, Laudanum dans l'antiquité tardive, constituait déjà en 497 un diocèse, et reçut ensuite la cour carolingienne et la fondation monastique de moines irlandais. L'espace des quelques générations qui correspond à la ferveur de la renaissance carolingienne, il devint possible en France d'employer les notes tironiennes dans le cadre de l'école. À Laon ou dans le voisinage, les notes tironiennes furent employées dans divers manuscrits. Le manuscrit 239 réunit des neumes messins, des signes tironiens et la minuscules caroline avec ses abréviations. La concision de l'image graphique tironienne fait économiser de l'espace, du temps, du parchemin — toujours coûteux — et favorise la lecture ; c'est d'ailleurs pour cela que les notes de Laon 239 se détachent clairement de la minuscule. La minuscule irlandaise possède quant à elle de nombreuses ligatures : elles lui permettent d'économiser beaucoup d'espace et la font gagner en clarté.
La concision de cette écriture est encore accrue par un système de fortes abréviations, qui utilisent des « notæ antiquæ » (suspensions) : par exemple [graphie] ÷ = [mot] est, qui apparaît aussi dans le manuscrits du Mont-Renaud (fol. 33v) sur « Christus factus est. »
On peut présumer que les irlandais connaissaient une ou plusieurs listes de notes tironiennes. À l'École Palatine, transférée de Querzy à Laon par Charles le Chauve, comme chez ses voisines, séjournaient des érudits irlandais parmi lesquels Martin de Laon († 875), connu comme scribe musical à côte de Heiric d'Auxerre et Hadoard de Corbie. Le manuscrit 239 de Laon représente le plus ancien et le plus fameux manuscrit d'une telle dimension. Il est reconnu par toutes les publications comme le modèle tour court de l'écriture messine.
Dans l'abondante littérature consacrée aux manuscrits médiévaux, il n'y a pratiquement aucun point de vue sous lequel ils n'aient été examinés. Cependant on attend encore un cadre général relatif aux notes tironiennes comme « litteræ significativæ » des manuscrits grégoriens, sous l'angle sémioogique. L'étude la plus étendue publiée jusqu'ici sur le manuscrit 239 de Laon est due à Joseph Smits van Waesberghe. La présente recherche a pour but un nouvel examen de tout ce qui a été réuni comme résultats, rapports et développements ; elle vise à trouver de nouvelles méthodes pour déchiffrer les notes et à créer ainsi de nouveaux critères qui ouvriront un cadre général pour décrire tous les signes tironiens présents dans le manuscrit 239 de Laon. Leur interprétation n'est pas sans conséquences sur une restitution authentique des mélodies grégoriennes.
L'analyse paléographique de ces signes suppose d'abord de les décomposer en éléments graphiques, puis de rechercher la signification de chaque élément et enfin de les resituer dans la construction mélodique. En fait, les notes tironiennes de Laon 239 précisent d'abord la marche de la mélodie. En outre, elles sont aussi employées comme renvois à des chapitres déterminés et comme rectifications dans les cas où des problèmes de diastématie sont posés par l'emploi de la notation à points dans ce manuscrit. Pour le scribe, le destinataire est toujours celui qui est destiné à les utiliser : le chantre, le chef de chœur et le copiste.
Agustoni et Göschl, dans le premier volume de leur Einführung in die Interpretation des gregorianischen Chorals, soulignent que les lettres les plus importantes sont celles qui regardent la marche mélodique ou le rythme. Pour ces deux grandes catégories, Saint-Gall emploie exclusivement la minuscule, tandis que Laon 239 l'emploie seulement pour les lettres à caractère rythmique. Les lettres significatives à caractère mélodiques sont le plus souvent reproduites par des notes tironiennes : per supra, sub, subjice, sursum, saltim, saltate, iusum, devexum, deorsum, seorsum, devertit et ut supra. Dans Laon 239, les notes tironiennes sont aussi employées en vue de corriger, malgré la diastématie relative, des indications erronées ou imprécises de la conduction mélodique (Graduale Triplex 35.3, 35.4, 37.3 et 219.2)[ii 2].
Voir aussi, Laura Albiero (Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris), La tachygraphie musicale dans les sources messines-comâques : le scandicus subbipunctis resupinus, dans la revue Études grégoriennes, tome XLI, p. 37 - 63, 2014 (avec exemples de notation)
Valeur de nos jours
modifierLa publication du manuscrit Laon 239 se continue aujourd'hui, à la suite de la fondation d'une nouvelle science, sémiologie grégorienne. Une fois que des neumes du Laon Ms 239 sont adoptés en faveur du Graduale Triplex en 1979 pour l'interprétation sémiologique, ce manuscrit est alors considéré comme une des meilleures sources de notations pour restaurer correctement la mélodie grégorienne. Dans ce manuscrit, le cursus des fêtes de l'année liturgique, numérotées en chiffres romains, est complet, en dépit d'un peu de lacunes[1]. Aucun autre manuscrit de la famille messine ne possède autant de qualités[ii 3].
- Il est vrai que la qualité des neumes sangalliens, surtout celle du cantatorium de Saint-Gall, est toujours la meilleure pour la finesse d'articulation[sg 2]. Lorsque l'on prépare une notation duplexe, les neumes de Saint-Gall sont normalement sélectionnés[8]. Toutefois, issus des graphies d'écriture littéraire, ceux-ci ne sont pas nécessairement parfaits pour la notation musicale[sg 1]. Notamment, à cause de plusieurs fonctions secondaires de certains neumes, il existe parfois des ambiguïtés[sg 3]. La combinaison entre la tradition sangallienne et celle de Laon demeure donc la meilleure façon pour achever la précision de l'articulation.
Depuis 2011, l'AISCGre, confiée par le Vatican, publie le Graduale novum, afin de remplacer formellement l'Édition Vaticane et de satisfaire ceux qui concernent à la suite de la sémiologie. Dans cette nouvelle édition, le choix du Graduale Triplex fut de nouveau confirmé. En raison de la qualité du manuscrit, le Laon 239 accompagne à la notation à carrés pour le solfège, avec les neumes issus de la famille sangallienne. Ce projet est dirigé par Dom Johannes Berchmans Göschl[9], président de cette association, qui étudia le Laon 239 auprès de l'Institut pontifical de musique sacrée, sous Dom Cardine[3].
Apprentissage des neumes du Laon 239
modifier- Eugène Cardine, Sémiologie grégorienne, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 1978 (ISBN 2-85274-020-6) 158 p.
- Dans ce texte de neumes dont le débutant peut profiter, toutes les notations s'accompagnent des neumes sangalliens comme exemples, en manière de l'édition critique. Certes, la plupart de notations sont également suivies des neumes de Laon 239. Mais, édité d'abord en italien en 1967, ce livre dans lequel la notation de Laon demeure parfois secondaire se consacre essentiellement à la notation sangallienne. Il manque de tableau de neumes de Laon (voir ci-dessous, § Liens externes, Neumes) ainsi que de dénomination et détail de l'unicinus[sg 4].
- Luigi Agustoni et Johannes Berchmans Göschl, Introduction à l'interprétation du chant grégorien : principes fondamentaux, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2001 (ISBN 978-2-85274-203-1) 288 p. (initialement en allemand, (ISBN 3-7649-2343-1) 1987) [voir la composition du livre en ligne]
- Même s'il ne s'agit pas de livre pour le débutant[ii 4], les neumes du Laon 239 et de Saint-Gall sont pareillement présentés et expliqués, avec des tableaux comparatifs en détail (p. 77 - 82) ainsi que de nombreuses notations, à la base du Graduale Triplex. Si l'on pratique le chant grégorien avec ce Graduale Triplex ou le Graduale novum, il s'agit du meilleur guide de la notation du manuscrit Laon 239.
Publication de fac-similé
modifier- 1909, chez Desclée, Tournai [lire en ligne]
- réimpression 1971, chez Herbert Lang, Berne
- version actuelle 1992, Solesmes (ISBN 978-2-85274-146-1) 214 p. Éditions de Solesmes ; Notice bibliographique de la BNF
Voir aussi
modifierLiens externes
modifierManuscrit
modifier- Bibliothèque municipale de Laon : Graduel de Laon (fac-similé) ; Marie-Noëlle Colette, Laon, Bibliothèque municipale, ms. 239
- Bibliothèque nationale de France, Archives et manuscrits : Graduale romanum (dit Graduale Laudunensis) ms. 239
Neumes
modifier- Tableau des neumes du Laon 239 dans le site de l'AISCGre Italie : [lire en ligne]
Références bibliographiques
modifier- Eugène Cardine, Sémiologie grégorienne, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 1978 (ISBN 2-85274-020-6) 158 p. (initialement publiée dans les Études grégoriennes, tome XI, p. 1 - 158 (1970))
- p. 2
- p. 3
- p. 76- 89 (par exemple, pressus).
- p. 8
- Eugène Cardine, Vue d'ensemble sur le chant grégorien, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2002 (ISBN 978-2-85274-236-9) 31 p. (initialement publiée dans les Études grégoriennes, tome XVII, 1977)
- p. 27
- p. 8
- Luigi Agustoni et Johannes Berchmans Göschl, Introduction à l'interprétation du chant grégorien, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2001 (ISBN 978-2-85274-203-1) 288 p.
- p. 136 - 137
- p. 162 - 164
- p. 59
- p. 12
- André Mocquereau (éd.), Paléographie musicale, tome X, Desclée et Cie., Tournai 1909
- p. 33
- p. 23 - 27
- p. 34, note n° 4
- p. 19
- p. 23 : « Le manuscrit orignal commence à la page 6. »
- p. 18
- p. 9 ; début d'avant-propos : « Plus que jamais la question du rythme des mélodies grégoriennes est à l'ordre du jour ; la récente publication du Graduel Romain — édition vaticane — n'a fait que l'aviver, la rendre plus urgente et plus pratique. »
- p. 10
- p. 17, note n° 1 : Catalogue général des manuscrits des Bibliothèques publiques des Départements, tome I, p. 149, 1849
- p. 17
- p. 40
- Christian-Jacques Demollière, La notation du chant romano-franc dans le graduel Laon 239, dans Musiques de l'Aisne, Mémoire 2009, tome LIV de la Fédération des Sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne, numérisée en 2010 [lire en ligne]
- p. 3 ; certaines parties furent perdues ; ainsi, il manque de chants à partir de la messe de saint Étienne (26 décembre) et avant la messe de sainte Agnès (21 janvier).
- p. 17
- p. 10 et 16
- p. 4
- p. 7
Notes et références
modifier- http://manuscrit.ville-laon.fr/_app/ms/OEB/Ms239/en_savoir_plus/en_savoir_plus_ms239.pdf
- Il n'est pas certain que cette publication ait été reconnue par le Vatican. Néanmoins, le Saint-Siège ratifia finalement ces signes rythmiques, avec un décret daté du 11 avril 1911. Désormais, les évêques pouvaient autoriser la reproduction de l'Édition Vaticane accompagnée de ces signes. Et Solesmes rétablit son soutien, en participant à la deuxième commission à partir de 1913 (Pierre Combe, Histoire de la restauration du chant grégorien d'après des documents inédits, Solesmes et l'Édition Vaticane, 1969, p. 458 et 462)
- http://gregofacsimil.free.fr/02-ARTICLES/Article-pdf/Dom_Jacques-Marie_Guilmard/JG-Cardine-Bibliographie-Studi-Gregoriani(2004).pdf
- « http://www.abbayedesolesmes.fr/FR/editions/livres.php?cmY9MTMz »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
- Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 1996 (ISBN 978-2-85274-136-2)
- « Consultation », sur bnf.fr (consulté le ).
- Jacques Hourlier, La notation musicale des chants liturgiques latins, p. 7
- Par exemple, Graduel neumé (1966).
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