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Le Chamanisme Et Les Techniques Archaiques de L Extase ELIADE PDF

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BIBLIOTHQUE

D u mme auteur, la mme librairie :

SCIENTIFIQUE

TRAITI: D'HISTOIRE DES RELIGIONS


(Prface de Georges Dumzil) Ce Trait marque une date dans l'histoire des rel igions. J. DANIELOU, Etudes. Cette rdition prouve le succs de cette uvre importan te. Revue d' Histoire des Religions. Mircea Eliade est considr aujourd 'hui comme l'un des reprsentants les plus qualifis de tout ce qui se rapporte aux symboles, aux mythes, aux rituels magiques. Nouvelles Littraires. Ce trait est un grand classique, universellement admir et justement clbre ... Un ouvrage de synthse mettant en uvre une documentation prodigieuse. Revue des Sciences Philosophiques et Thologiques .

MIRCEA ELIADE
PROFESSEUR A L' UNIVERSIT~ DE CHICAGO

LE

CHAMANISME
ET LES TECHNIQUES ARCHAIQUES DE L'EXTASE

..

LE YOG A, Immortalit et libert


c Un des ouvrages les mieux documents et les plus pntrants sur le sujet.. . un livre fondamental. Bulletin critique du livre franais.

Deuxime dition revue et augmente

Le livre le plus document sur les yogas qu'il nous ait t donn de lire depuis prs de vingt ans. Combat. M. Eliade prtend mettre en lumire quelques structures fondamentales, universelles, de l'esprit humain, quelques traits communs du grand langage dont se servent tous les hommes, le symbolisme, pour que nous fassions notre profit de la somme des expriences sp ir ituelles ral ises sur la terre. Robert KANTERS, L'Express . Une vritable somme qui se recommande autant par la comptence scientifique que par l'exprience de l'auteur. Informations Catholiques Internationales.

PAVOT, 106, boulevard Saint-Germain, PARIS

Prix Ile 35.00 F

PAVOT, PARIS

B1BLIOTHQUE SCIENTIFIQUE

MIRCEA

ELIADE

Professeur j'Universit de Chicago

LE CHAMANISME
ET LES TECHNIQUES ARCHAIQUES DE L'EXTASE
CIlAM .I I ISAiE ET VU CATION ~lYSTIQUE - MALADIES ET nVES INITIATIQUES - L'OBTENTION DES POUVOIRS CHMIANI QUES - L'INITIATION CHAMANIQUE - LE SYMBOLISME DU COSTUME ET DU TAMIlOUH CHAMANIQUES - LE CHAMANISME EN AS IE CENTR ALE ET SEPTENTRIONALE - CHA~IAN ISME ET COSMOLOGIE - LE CHAMANISME NOnD ET SUD-A.\1RICAlN - LE CHA~IAN I SME DANS LE SUD-EST DE L'ASIE ET EN OCANIE - [J)OLOGIES ET TECHNIQUES CHlllANIQ UES CHEZ LES INDO-EUnOPENS SYMBOLISME ET TECHNIQUES CHAMANIQUES AU TIBET, EN r: HI NE ET EN EXTIIAIE-ORIENT - MYTHES, SYMBOLES ET 11iTES PARALLLES
Deuxime dition, revue ct augmenle

PAYOT, PARIS
J06,
BOULEVARD SAINT-GERMAIN

1968
TOUll

droits de traduction, de reproduction et d'adaptation rserv. pour toue paytl. Copyright d 19GB, by POYoI. Pori, .

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!rrltl llis.

AVANT-PROPOS

Le prsent ouvrage est, not.re connaissance, le premier embrasser le chamanisme dans sa totalit, tout. en le situant dans la perspective de l'histoire gnrale des religions ; c'est dire dj sa marge d'imperrection , d'approximation et les risques qu'il prend. On dispose actuellement d'une masse considrable de documents concernant les divcl'S chamanismes: sibrien, nord-amricain, sud-amricain, ind onsien, ocanien, etc. D'autre part, nombre de tl'Rvaux, importants il plus d'un titre, ont amorc l'tud e ethnologique, sociologique et psychologique du chaman isme (ou plutt d'un certain type de chamanisme) . Mais, quelqu es remarquables exceptions prs - nous pensons avant tout aux ll'avaux de Harva (Holmberg) sur le chamanisme altaquel'norme bibliographie chamanique a nglig l' inLerprtation de ce phnomne extrm ement complexe dans le cadre de )'hisLoil'e gnrale des religions. C'est en tant qu'historien des religions que nous avons notre tour essay d'aborder, de comprendre et de prsenter le chamanisme. Loin de nous la pense de minimiser les adm irables recherches menes sous l'angle de la psychologie, de la sociologie ou de l'ethnologie : elles sont, notl'e avis, indisp ensables la connaissan ce des divers aspects du chamanisme. Mais nous estimons qu'il y 8 place pour une autre perspective - celle que nous nous somm es elTorc de dgager dans les pages qui suivent_ L'auteur qui aborde le chamanisme en psychologue sera port le considrer avant tout comme la rvlation d'une psych en crise ou mme en rgression ; il ne manquera pas de le comparer certains comportements psychiques aberrants ou de le ranger parmi les maladies mentales de structure hystrod e ou pileptode_ Nous dirons (voir p_36 sq.) pourquoi l' assimilation du chamanisme une maladie mentale quelconque nous parait inacce ptable. Mais un point demeure (et il est important) sur lequel le psychologue aura toujours raison d'attirer l'attention : la vocation chamanique, l'instar de n'importe quelle autre vocation religieuse, se manifeste par une crise, par une rupture provisoire de l'quilibre spirituel du futur chaman . Toutes les observations et les ana lyses qu'on a pu

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AVA N T - PIlQ P OS

AV .o\ N T- pnO PDS

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accumuler ce suj et sont particulirement prcieuses: elles nous mo ntrent en qu elque sorte sur le ~ir les rpercussions, l'intrieur de la psych, de ce que nous avons appel la , dialectique des hiropha nies t - la sparation radicale entre le profane et le sacr, la TUp t lll'(> du rel qui en rsulte. C'est dire toute l'importance qu e nous l'econnaissons de t elles recherches de psychologie religieuse. Le sociologue, lui, sc proccupe de la fonction sociale du chaman , d u prtre, du magicien : il tudiera l'origine des prestiges magiques, leur rle dans l' articulation de la socit, les rapports entre les chefs re ligieux et les cheC s politiques. et ainsi de Buite. Une analyse sociologiq ue des mythes du Premier Chaman,. mettra cn lu mire des indices rvlat eurs louchant la position exceptionnelle des plus an ciens chamans dans certaines socits archaques. La sociologi cl li cham anisme resL e crire, et elle comptera parmi les chapitres les plus importants d'une sociologie gnrale de la religion. De to utes ces recberches, avec leurs rsultat s. l'historien des l'eli gions est oblig de t enir compte : ajouts a ux conditionnements psychologiques dgags par le psycholog ue, les conditionnements sociologiques, da ns le SC'0 8 le plus large du t erm e, viennent renrorcer le concret humain et historiq ue des docum enls sur lesqu els il est ap pel travailler. Cet
a pport concret sera encore renCorc par les recherches de l'ethnologu e. II

appartiendra aux monographies ethnologiques de siluer le chaman dans son milieu cultu rel. On risque de mconnallre la vritahle personnalit d' un chaman t chouktchc, par exemple, si on lit ses exploits sans rien con naitre de la vie ct des tradi tions des Tchouktches . Cc sera encore l' ethnologue d' tudier exhaustivement le costume et le tambour cham aniques, de dcrire les sances, d'enregistrer les textes et les mlodies, etc. En s'attachan t t ablir)' histoire ,. de tel ou tel lment constitutil du chamanism e (du t ambour, par exem ple, ou de l'usage des narcotiques pendant ta sance), l'ethn olog ue, donbl, en J'occurrence, d'un comparatiste et d' un historien, parviendra nous montrer la circul ati on du motif en question dans le tem ps et dans l'espace j il prcisera , dans la mes ure du possible, son centre d'expansion, les tapes et la chronologie de sa diffu sion. Bref, l'et hnolog ue deviendra, lui aussi, historien t, qu' il fasse sienne ou non la mthode des cycles culturels de Graebner-Schmidt-Koppers. En to ut cas, on dispose actuellement, ct d'un e admirable littrature ethnographique purement descripti ve, de maints travaux d'et,hnologie historique : da_ ns l'crasa nte. masse grise t des faits cuJ t urels ap partenant au x peuples dits. sans histoire t, on commence voi r sc dessiner main tenan t certaines lignes de force; on oomme nce disti ng uer de 1' histoire . l o l'on t ait habitu rencont rer fies 41 Naturv lker ., des. primitifs,. ou des tJ: sa u vages~. Il est oiseux d' in sis(;er ii sur es grmtlnervices que l'ethn ologie historique a dj rendus l'histoire des religions. Mais nous ne croyons pas qu'elle puisse se substit uer l'histoire des religions : o'est la mission de celle-ci d' intgrer les rs ultats de l'ethn ologie comme ceux de la psychologie et de la sociologie j elle ne renoncera pas pour auta nt

su propre mthode de travail et la perspective qui la d finit spcifiquemenl. L'eth nologie culturelle a beau labli r, par exem ple, les relati ons du chama nisme a vec certains cycles cult.urels, ou avec li) difT usion de tel ou t el complexe chamanique ; il n'empche que Ge n'est pas son objet de DOUS rvler le sens prolond de t ous ces phnomnes religieux, d'clairer leur symbolisme et de les art iculer dans l'histoire g nrale des religions. C'est l'historien des religions qu'iJ incombe, en dernire instance, de synthtiser toutes les recherches particul i res sur le chama nisme et de prsenter un e vue d'ensemble qui soit to ut il la lois un e morphologie et un e histoi,e de ce phnom ne rcligieux complexe. Mais il y a lie u de s'entend re sur l'importance qu'on peut accorder, da ns ce ge nre d'tud es, 1 ' histoire . Comme nous l'avons dj rema r qu plus d' une ro is ailleurs, et cOlome nous aurons J'occasion de Je montrer amplcment dans l'ouvrage complmentaire d u Trait d'H istoire des Religions en prparation, le conditionnement historique d'un phnoUlfme religie ux, bien qu'extrmement important (tout fait humai n lant, en dernire analyse, un fait historiq ue), ne l'puise pas ent il'ement, Nous n'en donnerons qu' un exemple : le chaman a ltaque escalade rituellement un boulea u dans lequel on a mnag un certai n no mbre d'chelons; le bouleau symbolise l'Arbre du Monde, les chelons reprsentant les divers Cieux que le chaman doit traverser a u cours de son voyage extatique au Ciel; et il est trs prohable que Je schma cosmologique impliqu dans ce rituel est d'origine orientale. Des ides religieuses du Proche-Orient anlique se sont propages trs avant dans l'Asie centrale et septentrionale et ont contribu nota mment donner au chamanisme de la Sibri e et de l'Asie cent,,a le son as pect actu el. Nous a vons l un bon exemple de ce que l' bistoire , peul nous apprendre sur la diffusion des idologies et des techniques religieuses. Mais, nous le disions plus haut, l'histoire d' un phnomne religieux ne peut pas nous rvler tout ce que ce phnomne, du simple fait de sa manifestation, s'efforce de nous montre r. Rien ne pcrmet. de supposer que les influcnces de la cosmologie et de la religion ori entales ont cr, chez les Altaiques, l'idologie et le ritu el de l'asce nsion cleste ; des idologies et des rituels semblables a meurent un peu partout dans le monde et dans des rgions teH es que les influencp.s palo-orientales sont, a priori, hors de cause. Plus probablement, les ides orientales n'ont lait que modifier la fo rmule rituelle ct. les implications cosmologiques de l'ascension cleste : cett.e de rnire semble t re un phnomne originaire, nous vo ulons dire qu'eUe appartient l'homme en tant que tel, dans son intgri t, et. no n en ta nt qu'tre historique : t moin les rves d'ascension, les hall ucinations et les images ascensionnelles qui se rencont rent parto ut dans le monde, en dehors de tout conditionnement ,. hist.oriq ue ou autl'c. Tous ces rves, ces myth es et ces nostalgies, ayant po ur th me cent ral l' ascension ou le vol, ne se laissent pas puiser par une explication psychologique j il subsiste toujours un noya u irrd uctible l'explication, et ce je ne sais qu oi d'irrdu ctible

A.VANT-pnoPOS

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12

AVANT-PROPOS

nous rvle peut-tre la vritable situation ~c r~ omm e d~n8 le Cosmos situation qui, nous ne nous lasserons JamaIs de le reptCl', n'est p~s uniquement . historique . Ainsi, t out en s' occupant des faits hi ~torico-I'eli gieux et en ayant soin d'organiser, dans la mesure du pOSSIble, ses documents dans la perspective historique - la seule qui leur garan tisse leur caractre concret - l' historien des religions ne doit pas oublier que les phnomnes a uxquels il a affaire rvlent, en somme, des situati~ns limites de l'homme, et que ces situations demandent tre com prIses et rendues comprhensibles. Ce travail de dchilTrement du sens profond des phnomnes religieux ap partient de droit l' historien des religions. Certes, le psychologue, le sociologue, l'ethnologue, c~ mme le philosophe ou le thologien auront leur mot A dire, chacun dans la perspective et avec la mthod e qui lui sont propres. Mais c'est l'historien des religions qui dira le plus de choses valables sur le rait religieux en tant que (ait religieux - et non en tant que fait psychologique, social, ethnique, philosophique ou mme thologique. Sur ce point prcis, l'historien des religions se distingue galement du phnomnologue car ce dernier s'interdit, en principe, le t~a~ail d ~ comparaison: il se borne, devant tel ou tel phnomne relIgieux, a l' approcher . et en deviner le sens, tandis que l'historien des religions n'aboutit la comprhemon....d 'un phnomne q:u'aprs l'avojr dment compar avec des milliers de phnomnes semblablOS-D.u diffrents, qu'aprs ravoir situ parmi eux : et ces miJJiers de phnomnes sont spars entre eux aussi bien par l'espace que par le temps. Pour une raison analogue, l'historien des re1igions ne se bornera pas simplement une typologie ou une morphologie des faits religieux: il sait bien que l' histoire. n'puise pas le contenu d' un fait religieux, mais il n'oublie pas non plus que c'est toujours dans l' Histoire au sens large du terme - qu'un fait religieux dveloppe tous Bes aspects et rvle toutes ses significations. En d' autres termes, l'bistorien des religions utilise toutes les manifestations historiques d'un phnomne religieux pour dcouvrir ce que veut .dire . un tel ph ~. nomne : il s'attache, d'une part, au concret hIstorique, mais ll s'applique, d'autre part, dchiffrer ce qu' un fai t religieux rvle de trans~historique travers l' histoire. 11 n'est pas besoin de nous attarder sur ces quelques considrations mthodologiques j pour les exposer convenablement, il nous raudrait beaucoup plus d'espace que n'en consent une prface. Prcison~ nanmoins que le mot histoire . porte parfoi s conrusion : car 11 peut signifier aussi bien J'historiographie (J'acte d'crire l' histoire de quelque chose) que purement et simplement cc qui s'est pass 1 dans le monde. Or, cette deuxime acception du t erme se dcompose elle-mme en plusieurs nuances : l'histoire au sens de ce qui s'est pass dan s certaines limites spatiales ou temporelles (histoire d' un certain peuple ou d' une certaine poque), c' est-A-dire l'histoire d'une continuit ou d' une stru cture j mais aussi l' histoire au sens gnra l du terme, comme da ns les ex pressions l'ex istence historique de

l'homme l, situation historique " moment historique " etc., ou mme dans l'acception existentialist e du mot: l'homme est. en situa tion " c'est--dire dans l' histoire. L'histoire des religions n'est pas toujours et ncessairement l'historwgraphit des religions : car en crivant l'histoire d'une religion quelconque ou d'un fait religieux donn (le sacrifice chez les Smites, le mythe d'Hracls, et c.), on n'est pas touj ours mme de montrer tout ce qui s'est pass, dans une perspective chronologique ; certes, on peut le faire si les documents s'y prtent, mais on n'est pas oblig de C aire de l'historiographie pour avoir la prtention d'crire de l' histoire des religions. La polyvalence du terme histoire, a Cacilit ici les male ntendus entre les chercheurs; en ralit, c'est le sens philosophique et gnral la fois de l' histoire, qui convient le mieux notre discipline. On rait de l'histoire des religions dans la mesure o l'on s' applique tudier les Caits religieux comme tels, c'est--<!irc sur leur plan spcifique de manifestation : ce plan spcifique de manientiel, mme si les restation est toujours historique, concret, exisL faits religieux qui se manifestent ne sont pas toujours ni totalement rductibles l'histoire. Des hirophanies les plus lmentaires (la manifestation du sacr dans tel a rhre ou telle pierre, par exemple) , aux plus complexes (la vision 1 d' une nouvelle .. forme divine .par un prophte ou un fondateur de religion), t out se manifeste dans le concret historique, et tout est en quelque sorte conditionn par l'histoire. Nanmoins, un ternel recommencement , se lait jour dans la plus modeste hirophanie, un ternel retour un instant intemporel, un dsir d'abolir l'histoire, d'efTacer le pass, de recrer le monde. Tout cela est .. montr 1 dans les faits religieux, ce n'est pas l' historien des religions qui l' invente. videmment, un historien qui ne veut tre qu'historien , et rien de plus, a le droit d'ignorer les sens spcifique et trans-historique d' un fait religieux j un ethnologue, un sociologue, un psychologue peuvent les ngliger aussi. Un historien des religions ne le peut pas: familiaris avec un nombre considrable de hiropha nies, son il sera mme de dchilTrer la signification proprement religieuse de tel ou tel fait. Et, pour revenir au point prcis d'o nOU8 sommes partis, ce travail mrite trs exactement le titre d'histoire des religions, mme s'il ne se droule pas dans la perspective chronologique de l'histori ogra phie. D'ailleurs, cette perspective chronologique, si intressante qu'elle puisse tre pour certains historiens, est loin d'avoir J'importance qu'on est gnralement enclin lui accord er car, ainsi que nous avons essay de le montrer dans notre Trait d'histoire des religions , la dialectique mme du sacr tend rpter indfiniment une srie d'archtypes, de sorte qu' une hirophanie ralise dans un certain moment historique . recouvre, quan t sa structure, une hirophanie de mille ans plus vieille ou plus jeune : cette tendance du processus hirophanique reprendre ad infinitum la mme paradoxale sac rali ~ sation de la ralit nous permet, en somme, de comprend re quelque chose au phnomne religieux et d'en crire l' histoire *. Autrement

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l~

dit, c'est justement parce que les hirophanies se rptent qu 'on pAut distinguer les faits religieux et qu'on parvient les comprendre. Mais les hirophanies ont ceci de particulier qu 'elles s'efforcent de rvler le sacr dans sa totalit, mme si les humains dans la conscience desquels se montre .Ie sacr ne s'en approprient qu' un aspect ou une modeste parcelle. Dans la hirophanie la plus lmentaire tout est dit: la manifestation du sacr dans une ~ pierre ou dans un arbre n'est ni moins mystrieuse ni moins digne que la manifestation du sacr dans un t( dieu . Le processus de sacralisation de la ralit est Je mme : la (orme prise par ce processus de sacralisation dans la conscience religieuse de l'homme diffre. Voil qui n'est pas sans consquence pour la co nception d'une perspective chronologique de la religion; bien qu'il exisLe une histoire de la religion, elle n'est pas irrversible, ci:le toute autre histoire. Une conscience religieuse monothiste n'est pas ncessairement monothiste jusqu' la fin de son existence, du fait qu'elle participe . une c( histoire monothiste et que, l'intJieur de cette histoire, on sait qu'on ne peut pas redevenir polythiste ou totmiste aprs avoir connu et particip au monothisme; au contraire, on peut trs bien tre polythiste ou se comporter religieusement en totmiste tout en se figurant et en se pretendant monothiste. La dialectique du sf!.r permet toutes les rversibilits; aucune * forme. n'est exempte de dgradation et de dcomposition , aucune. histoire n'est dfinitive. Non seulement une communaut peut pratiquer - consciemment ou son insu - une multitude de religions, mais le mme individu peut connaJtre une infinit d 'expriences religieuses, des plus. leves aux plus frustes et aux plus aberrantes. Ceci est galement vrai du point de vue oppos; on peut avoir, partir de n'importe quel moment culturel, la rvlation du sacr la plus complte accessible la condition humaine. Les expriences des prophtes monothistes peuvent se rpter, en dpit de l'norme diffrence historique, au sein de la plus arrire des tribus primitives; il suffit pour cela de raliser & la hirophanie d' un dieu cleste, dieu attest un peu partout dans le monde mme s'il se trouve prsentement presque absent de l'actualit religieuse. JI n'existe pas de forme religieuse, si dgrad e qu'elle soit, qui ne puisse donner naissance une mystique trs pure et trs cohrente. Si de telles exceptions ne sont pas suffisamment nombreuses pour s'imposer aux observateurs, cela ne tient pas la dialectique du sacr, mais aux comportements humains l'gard de cette dialectique. Et l'tude des comportements humains dpasse la tche de l'historien des religions : elle intresse le sociologue, ]e psychologue, le moraliste, le philosophe. En tant qu'historien des religions, il nous suffit de constater que la dialectique du sacr permet la rversibilit spontane de toute position religieuse. L'existence mme de cette rversibilit est importante: elle ne se vrifie pas ailleurs. C'est pour cette raison que nous ne nous laissons pas trop suggestionner par certains rsu ltats de l'ethnologie historico-culturelle; les divers types de civilisation so nt, bien entendu, organiquement

f'elis certaines lormes religieuses, mais cela n'excJuL nullement la spontanit et, en dernire analyse, l'anhistoricit de la vie religieuse. Car toute histoire est en quelque sorte une chute du sacr, une limitatioiret-une-diminutign. Mais le sacr n'arrte pas de se manifester, et" dans chaque nouvelle maniCestation, il reprend sa tendance premire se rvler totalement et pleinement. Il est vrai que les innombrables nouvelles manifestations du sacr rptent - dans la conscience l'eligieuse de Lelle ou telle socit - les autres manifestations innomhrables du sacr que ces socits ont connues au cours de leur pass, de leur (1 histoire . Mais il esL galement vrai que cette histoire n'arrive pas paralyser la spontanit des hirophanies : tout moment, une rvlation plus complte du sacr reste possible. Or, et ici nous reprenons la discussion de la perspecti,,'e chronologique dans l'histoire des religions, il arrive que la rversibilit des positions religieuses soiL encore plus marquante en ce qui co ncerne les expriences mystiques des socits archaques. Comme on aUI'a souvent l'occasion de Je montrer, des expriences mystiques palticulirement cohrentes sont possibles n'importe quel degr de civilisation ou de situation religieuse. Ce qui revient dire que, pour certaines consciences religieuses en crise, un saut historique est toujours possible qui leur permet d'atteindre des positions spirituelles autrement inaccessibles. Certes, l' t histoire. - la tradition religieuse de la tribu en question - intervient en fin de compte pour ramener et plier ses propres canons les expriences extatiques de certains privilgis. Mais il n'est pas moins vrai que ces expriences ont mainte fois la mme rigueur et la mme noblesse que les expriences des grands mystiques de l'Orient et de l'Occident. Le chamanisme est prcisment une des techniques arch8.ques de l'extase, la Cois mystique, magie et religion. dans le sens large du terme. Nous nous sommes efforc de le prsenter dans ses divers aspects historiques et culturels et nous avons mme essay d'esquisser une brve histoire de la formation du chamanisme de l'Asie centrale et septentrionale. Mais nous attachons plus de prix la prsentation mme du phnomne chamanique, l'analyse de son idologie, la discussion de ses t echniques, de son symbolisme, de ses mythologies. Nous estimons qu'un tel travail est susceptible d'intresser non seulement le spcialiste, mais aussi l'homme cultiv, et c'est celui-ci que s'adresse en premier lieu ce livre. Il est permis de penser, par exemple, que les prcisions qu'on pourrait apporter sur la diffusion du tambour central-asiatique dans les rgions arctiques, tout en passionnant un cercle restreint de spcialistes, laissent assez indiffrents le grand nombre des lecteurs. Cependant, les choses changent, nous l'augurons du moins, lorsq u'il s'agit de pntrer dans un univers mental aussi vaste et aussi mouvement que celui du chamanisme en gnral et des techniques de l'extase qu'il implique. On a affaire, dans ce cas, tout un monde spirituel qui, bien que diffrent du ntre, ne lui cde ni en cohrence ni en intrt. Nous osons penser que sa connaissance s'impose tout humaniste de bonne Coi, car, depuis quelque temps

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A VA NTPROPOS A VANT-PRQPOS

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dj, on n'en est plus ident.iJier l'hum anisme avec la tradition sp irituelle occidentale, si grandiose et fertile qu'ell e soit. Conu dans cet esprit, le prsent ouvrage ne saurait puiser aucun des aspects qu'il aborde dans ses divers chapitres. Nous n'avons pas e nt.repris une tude exhau stive du chamanisme : nous n'en avons eu ni Jes moyens , ni l'intention. C'est const.amment. en comparatist.e et en historien des religions que nous avons t.rait. le suj et; c'est dire qu e nous conCeS80ns d'avance les lacunes et Jes imperfections invitables d'un travail qui s'efTorce, en dernire analyse, de raliser une syn thse. Nous ne sommes ni altaisant, ni amricaniste, ni ocaniaLe, et, il est vraisemblable qu'un certa in nombre de travaux de

des. ~eligions . , t. CXXXI, 1946, p. 5-52), Shamanism (ForgoUen Reltgwns, edlted by Vergilius F erm, Philosophical Library, New York, 1949, p. 299-308) et Schamanismus (. Paideumat, 1951, p. 88-97)
et dans les co nfrences que nous avons eu l'honneur de tenir, en

mars 1950, l' Universit de Rome et l' Istituto Italiano per il MedlO ed Estremo Oriente, l'invitation des prolesseurs R. Pettazzoni et G. Tucci. Mircea ELIADE.

Paris, mars 1946 - mars 1951.


N. B. - Pour des raisons d'ordre typographique, la transcription des termes orientaux a t sensiblement simplifie.

spcialistes nous ont chapp. Mais nous ne croyons pas que le tableau gnral ici trac eOt t,
autrement, modifi dan s ses grandes lign es; quantit de mmoires ne font que rpter, avec de minces variantes , les relati ons des premiers

observateurs. La bibliographie de Popov, publie en 1932, et limite


uniquement au chamanism e sibri en, enregistre 650 travaux d'ethnologues russes. La bibliographie des chamanismes nord-amri cain et

indonsien est pareillement asse z considrable. On ne peut pas tout


li re et, nous le rptons, nous n'avon s pas la prtention de nous substituer l'ethnologue, l'al taisant ou l'am ricaniste . Mais nous avons toujours pris soin d'indiquer en note les principaux travaux o l'on pourra trouver des matriaux com plmentaires. On aurait pu, bien entendu , multiplier la documentation, mais c'et t s'embarquer dans plusieurs volumes. Nous n'avons pas vu l'utilit d'une telle entreprise; nous n'avons pas eu en vue une srie de monographies sur les divers chamanismes, mais une tude gnrale destine un

public non-spcialis. Nombre des sujets auxquels nous avons lait seulement allusion seront d'ailleurs tudis plus en dtail dans d'autres o uvrages (Mort et Initiation, Mythologie de la Jlfort, et c.). Nous n'aurions pas pu mener term e le prse nt ouvrage sans l'aide
et les encouragements que nous avons reus, pendant ces cinq annes

de travail, du Gnral N. Radesco, ancien Prsident du Conseil, du Centre National de la Recherche Scientifique, du Viking Fund (New York) et de la Bollingen Foundation (New York). Que toutes
ces personnes et institutions reoivent ici nos plus sincres remercie-

ments. Nous sommes spcialement oblig notre ami le docteur J ean


Gouillard, qui a bien voulu lire et corriger le manuscrit franai s de cet ouvrage, et notre matre et ami, le professeur Georges Dumzil , qui a eu l'obligeance de lire un certain nombre de chapitres. C'est pour nous un grand plaisir de leur dire ici toute notre reconnaissance. Nous nous somm es permis de ddier ce livre nos maitres et coll gues franais, en modeste tmoignage de gratitud e pour les enco uragements qu'ils n'ont cess de nous prodiguer depuis notre arrive en France.

Nous avons dj expos en partie les rs ultats de nos recherches dans les articles : Le problme du chamanisme (. Revu e de l' Histoire
Le Chamanisme

AVANT-PROPOS A LA DEUXI~IE DITION

A l'occasion des traductions italienne (Rome-Milan, 1953), allemande (Zrich, 1957) et espagnole (Mexico, 1960), nous avions dj
essay de corriger et d'amliorer ce liv re qui, malgr toutes ses impe r~ fections, tait le premier paraitre sur le chamanisme dans son

ensemble. Mais c'est surtout en prparant la traduction anglaise (New York-Londres, 1964) que nous avons corrig fond et sensiblement augment le texte original. Un nombre considrable de travaux ont t publis sur les diffrents chamanismes durant les quinze
dernires annes. Nous nous sommes efforc de les utiliser dans le texte ou, tout au moins, de les signaler dans les notes. Bien que nous

ayons enregistr plus de deux cents publications nouvelles (parues aprs 1948), nous ne prtendons pas avoir puis la bibliographie
rcente du chamanisme. Mais, comme nous Pavo ns dj dit, ce livre est l' uvre d'un historien des religions qui approche le sujet en com-

paratiste ; il ne peut pas remplacer les monographies que les spcialistes ont consacres aux diffrentes espces de chamanisme. Nous avons examin les publications parues jusqu'en 1960 dans notre Recent Works on Shamanism: a R e.iew Article (. History of Religions . , 1,1961, p. 152-86) . D' autres analyses critiques paraitront intervalles irrguliers dans la mme revue.
Nous tenons remercier, ici encore, la Bollingen Foundation; grce la bourse d'tude qu'elle nous a accorde, nous avons pu continuer nos recherches sur le chamanisme aprs la publica tion de la premire dition. Enfin, nous sommes heureux de pouvoir exprimer ici toute notre reconnaissance notre lve et ami, M. Henry Pernet, qui s'est donn

la peine de revoir et d'amliorer le texte de cette deuxime dition et a pris sa charge la correction des preuves.
Mireea ELIADE. Uni.ersit de Chicago, mars 1967.

CHAPITRE PREMIER

GNRAUTS. llTHODES DE RECRUTEMENT. CHAMANISME ET VOCATION llYSTIQUE

APPROXIMATIONS

Depuis le commencement du sicle, les ethnologues ont pris l'hahitude d'utiliser indiffremment les termes de chaman, medicine-man, sorcier ou magicien, pour dsigner certains individus dous de prestiges

magico-religieux et attests dans toute socit primitive . Par extension, on a appliqu la mme terminologie dans l'tude de l'histoire religieuse des peuples, civiliss " et l'on a parl, par exemple, d'un chamanisme indien , iranien, germanique, chinois et mme babylonien,

se rfrant aux lments primitifs . attests dans les religions respectives. Pour bien des raisons, une telle confusion ne peut que nuire l'intel-

ligence mme du phnomne chamanique. Si, par le vocahle, chaman t ,


on entend tout magicien, sorcier, medicine-man ou extatique, rencon tr au cours de l'histoire des religions et de l'ethnologie religieuse, on

aboutit une notion extrmement complexe et imprcise la fois, dont on ne voit pas bien l'utilit puisqu'on dispose dj des termes magicien ou t sorcier. pour exprimer des notions aussi disparates qu'approximatives comme celles de
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magie,. ou de mystique primitive .

Nous estimons qu'il y a intrt limiter l'usage des vocables chaman et chamanisme " justement pour viter les quivoques et voir

plus clair dans l'histoire mme de la , magie. et de la sorcellerie .


Car, bien entendu, le chaman est, lui aussi, un magicien et un meditineman : il est cens gurir, comme tous les mdecins, et oprer des mira"': rues fakiriques, comme tous les magiciens, primitifs ou modernes. Mais il est, en outre, psychopompe, et il peut aussi tre prtre,..!!!Y-

tique et pote. Dans la masse grise et. confusionniste. dela vie magicoreligieuse des socits archaiques considre dans son ensemble, le chamanisme - pris dans son sens strict et exact - prsente dj une structure propre et trahit une histoire . qu'il y a tout avantage prciser.
Le chamanisme stricto sensu est par excellence un phnomne religieux sibrien et central-asiatique. Le vocable nous vient, travers le russe, du tongouse saman. Dans les autres langues du centre et du

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ONRALITS. MtTHODES DE RECR UTEMENT

CHAMAN ISME ET VOCATION MYSTIQUE

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nord de l'Asie les termes correspondants sont le yakoute ojun, le

mongol bgii, bi!gii (buge, b) et udagan (cf. aussi le bouriate udayan, le yakoute udoyan : , la femme-chamane '), le turco-tatar kam (J'altruque kam, gain, le mongol kami, etc.). On a essay d'expliquer Je terme tongouse par le pli samana, et nous reviendrons sur cette

pendant laquelle son me est cense quitter le corps pour entreprendr~


des ascensions clestes ou des descentes infernales. Une distinction du mme genre est gnralement ncessaire pour

tique comme un chaman; celui~ci est le spcialiste d'une transe

prciser le rapport du chaman avec les. esprits . Partout dans le


monde primitif et moderne on trouve des individus qui prtendent entretenir des rapports avec les esprits ., qu'ils soient possds ,. par ces derniers, ou qu'ils les matrisent. Il faudrait plusieurs volumes

tymologie possible - qui appartient au grand problme des influences indiennes sur les religions sibriennes dans le dernier chapitre

de ce livre (p. 385 sq.). Dans toute cette aire immense qui comprend le centre et le nord de l'Asie, la vie magico-religieuse de la socit est
centre sur le chaman. Ce n'est pas dire, videmment, qu'il soit le seul et unique manipulateur du sacr, ni que l'activit religieuse soit

pour tudier convenablement tous les problmes qui se posent en


relation avec l'ide mme de l' esprit,. et de ses rapports possibles avec les humains car un t esprit peut aussi bien tre l'me d'un trpass, qu'un t esprit de la Nature ., un animal mythique, etc. Mais l'tude du chamanisme n'en demande pas tant; il suffira de dgager la position du chaman l'gard de ses esprits auxiliaires. On verra facilement en quoi un chaman se distingue d'un t possd , par exempie: il maltrise ses. esprits " en ce sens que lui , tre humain, russit communiquer avec les morts, les dmoDs et les c esprits de la Nature,. sans pour autant se transformer en leur instrument. On rencontre, certes, des chamans vritablement possds " mais ils consti~

totalement confisque par le chaman. Dans beaucoup de tribus, le


prtre sacrificateur coex iste avec le chaman, sans.. compter que tout

chef de famille est aussi le chef du culte domestique. Nanmoins, le


chaman reste ]a figure dominante car, dans toute cette zone o l'exprience extatique est tenue pour l'exprience religieuse par excellence, le chaman, et lui seul, est le grand matre de l'extase. Une

premire dfinition de ce phnomne complexe, et peut-tre la moins


hasardeuse, sera: chamanisme = technique de l'extase. Comme tel, il a t attest et dcrit par les premiers voyageurs dans

les diverses contres de l'Asie centrale et septentrionale. Plus tard, des phnomnes magico-religieux similaires ont t observs en Amrique du Nord, en Indonsie, en Ocanie et ailleurs. Comme on le verra bientt, ces phnomnes sont bel et bien chamaniques et on a tout intrt les tudier en mme temps que~ le chamanisme sibrien.
Touterois, une observation s'impose ds l'abord : la prsence d'un complexe chamanique dans une zone quelconque n)Il).plique pas ncessairement que la vie mngico~religieuse de tel ou tel peuple soit ristallise autour du chamanisme. Le cas peut se prsenter (c'est ce qui se produit, par exemple, dans certaines rgions de l'Indonsie), mais ce n'est pas le plus courant. Gnralement, le chamanisme coexiste avec d'autres formes de magie et de religion. Et c'est ici qu'on mesure l'avantage qu'il y a employer le terme chamanisme dans son sens propre et rigoureux. Car, si on se donne la peine de difTrencier le chaman d'autres magiciens et medicine-men des socits primitives, l'identification de complexes chamaniques dans telle ou telle religion acquiert d'emble une signification assez importante. Magie et magiciens, se rencontrent un peu partout dans le monde, tandis que le chamanisme accuse une spcialit. magique particulire sur laquelle nous insisterons longuement: la maltrise du feu ., le vol magique, etc. De ce fait, bien que le chaman soit, entre autres qualits, un magicien, n'importe quel magicien ne peut pas tre qualifi de chaman. La mme prcision s'impose propos des gurisons chamaniques : tout medicine~man est gurisseur, mais le chaman utilise une mthode qui n'appartient qu' lui. Quant aux techniques chamaniques de l'extase, elles n'puisent pas toutes les varits de l'exprience extatique attestes dans l'histoire des religions et l'ethnologie religieuse j on ne peut donc pas considrer n'importe quel exta-

tuent plutt des exceptions qui ont d'ailleurs leur explication. Ces quelques prcisions prliminaires indiquent dj le chemin que
nous nous proposons de suivre pour arriver une juste comprhension du chamanisme. tant donn que ce phnomne magico~re1igieux s'est

manifest dans sa forme la plus

compl~e

en Asie centrale et septen-

trIOnale, on prendra comme exemple typique le chaman de ces rgions. Nous n'ignorons pas, et nous nous efforcerons de montrer, que le cha~ manisme de l'Asie centrale et septentrionale, au moins sous son aspect actuel, n'est pas un phnomne originaire et exempt de toute influence extrieure; c'est, au contraire, un phnomne qui a une longue his-

toire . Mais ce chamanisme de la Sibrie et de l'Asie centrale a le mrite de se prsenter comme une structure dans laquelle des lments qui existent diffus dans le reste du monde - savoir: des
rapports spciaux avec les esprits " des capacits extatiques permettant le vol magique, l'ascension au Ciel, la descente aux Enfers, la

maltrise du feu, etc. - se rvlent dj, dans la zone en question, intgrs dans une idologie particulire et validant des techniques spcifiques. Un tel chamanisme stricto sensu n'est pas limit l'Asie centrale et
septentrionale, et nous nous efTorcerons plus bas de relever le plus grand nombre de parallles. On rencontre d'autre part, l'tat isol, certains lments chamaniques dans diverses rormes de magie et de religion archaIques; leur intrt est considrable car ils montrent dans quelle mesure le chamanisme proprement dit conserve un fond de croyances et de techniques primitives " et dans quelle mesure il

innov. Attentif toujours hien dlimiter la place du chamanisme au


sein des religions primitives (avec tout ce qU'nlpliquent ces dernires: magie " croyance aux F;tres Suprmes et aux esprits ., conceptions

mythologiques et techniques d'extase, etc_l, nous serons oblig de faire

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GN RALITS. MTHODE S DE RECRUTEMENT

CHAMAN ISME ET VOCATION MYSTIQUE

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continuellement allusion des phnomnes plus ou moins similaires, sans pour cela les considrer comme. chamaniqu,es 1. Mais il est ~u

moines, mystiques et saints l'intrieur des ~gli8es chrtiennes.

Une comparaison 8e prsente ds l'abord l'esprit : celle des

jours profitable de comparer et de montrer ce qu un lment maglCoreligieux analogue un certain lment chamanique a donn ailleurs, intgr dans un autre ensemble culturel et avec une autre orientation spirituelle (1).
Le chamanisme a beau dominer le vie religieuse de l'Asie centrale et

Mais il ne faut pas trop pousser la comparaison; la diffrence de ce


qui se passe dans le christianisme (au moins dans son histoire rcente), les peuples qui s'avouent t chamanistes ,. accordent une importance considrable aux expriences extatiques de leurs chamans; ces expriences les concernent personnellement et immdiatement car ce sont les chamans qui, par le moyen de leurs transes, les gurissent, accompagnent leurs morts au Royaume des Ombres, et servent de mdiateurs entre leurs dieux, clestes ou infernaux, grands ou petits,

septentrionale, il n'est pas pour autant la religion ?e cette aire i~ense. Seules la commodit ou la confusion ont pu parlols amener consld~ la religion des peuples arctiques ou turco-tatars comme tant ~ chamanisme. Les religions de l'Asie centrale et septentriOnale dbord.<:nt de toutes parts le chamanisme, de mme que n'importe q~e~e religion dborde l'exprience mystique de tels de ses membres privilgIs.
Les chamans 80nt des t: lus .. et, comme tels, ils ont accs une zone

et eux. Cette lite mystique restreinte non seulement dirige la


vie religieuse de la communaut, mais en quelque sorte veille sur son

du sacr inaccessible aux autres membres de la communaut. Leurs expriences extatiques ont exerc, et exercent encore, une puissante influence sur la stratification de l'idologie religieuse, sur la

me . Le chaman est le grand spcialiste de J'me humaine; lui seul la voit t, car il connatt sa forme,. et sa destine. Et l o le sort immdiat de l'me n'intervient pas, l o il n'est pas question de maladie (= perte de l'me), de mort, de malchance ou d'un grand sacrifice impliquant une exprience extatique

mythologie, sur le ritualisme. Mais, pas plus l'idologie que I~ mythologie et les rites des populations arctIques, sibnennes et aSIatique.s, ne

sont la cration de leurs chamans. Tous ces lments

son~

antrieurs

quelconque (voyage mystique au Ciel ou aux Enfers), le chaman n'est pas indispensable. Une grande partie de la vie religieuse se droule sans lui.
Comme on le sait, les populations arctiques, sibriennes et du centre

au chamanisme ou, tout au moins, lui sont parallles, en ce sens qu'ils sont le produit de l'exprience religieuse gntrale, et non pas d'une certaine classe d'tres privilgis, les extatiques. Au contraire,

comme nous aurons l'occasion de le constater, on observe maintes fois l'effort de l'exprience chamanique (c'est--dire extatique) pour s'exprimer par le truchement d'une idologie qui ne lui est pas toujours favorable.
Pour ne pas trop anticiper sur le cont.enu des chapitres suivants, contentons-nous de dire que les chamans sont des tres qui se singularisent au sein de leurs socits respectives par certains traits qui, dans les socits de l'Europe moderne, reprsentent les signes d'une vocation. ou au moins d'une t crise religieuse . Ils sont spars

de l'Asie sont composes dans leur grande majorit de chasseurspcheurs ou de pasteurs-leveurs. Un certain nomadisme les caractrise toutes et, en dpit de leurs diffrences ethniques et linguistiques, les grandes lignes de leurs religions coincident. Tchouktches,
Tongouses, Samoydes ou Turco-Tatars, pour ne mentionner que

quelques-uns des groupes les plus importants, connaissent et vnrent un Grand Dieu cleste, crateur et tout-puissant, mais en voie

du reste de la communaut par l'intensit de leur propre exprience religieuse. C'est dire qu'on serait mieux fond ranger le chamauisme parmi les mystiques que du ct de ce qu'on dnomme habituellement une t religion t. On aura l'occasion de retrouver le chamamsme l'intrieur d'un nombre considrable de religions, car il reste toujours

une technique extatique la disposition d'une certaine lite et constituant en quelque sorte la mystique de la religion en question.
(1) Dans ce senl, et seulement dans ce ~ens, l'identification d'lments ~ chamaniques dans une religion ou une mystique volues nous semble prcieuse. La dcouverte d'un symbole ou d'un rite chamaniques dans l'Inde ancienne ou e.n Iran commence avoir une signincat~0'.l dans la mesure oil.ron ~st amen li.. vOir dans le chamanisme un phnomne religieux net.tement prcIS; smon, on parlera ind finiment des. lments primitifs " dcelables en toute religion si y~lu e au'elle soit. Ca r les religions de l'Ind e et de l'Iran' ,comme toute a.ut~e. rehglO~ de l'Orient. antique ou moderne, prsentent nombre d lment.s prlmItlrs qUI ne sont pas pour autant chamaniques. On ne peut. mme p ~s co n~ld r e ~ c?r:n me ~ha. manique. toute technique de l'extase rencontre en Orient, SI primitive. qu elle putue tre.

de devenir un deus otiosus (1). Parfois, le nom mme du Grand Dieu signifie Ciel> comme, par exemple, pour le Num des Samoydes, le Buga des Tongouses ou le Tengri des Mongols (cf. aussi Tengeri des Bouriates, Tangere des Tatars de IaVOlga, fjjgir des Beltires, Tangara des Yakoutes, etc.). Mme quand le nom concret du ciel . fait dfaut, on retrouve un de ses attributs les plus spcifiques: haut >, lev " lumineux >, etc. Ainsi, chez les Ostyaks d'Irtytch, le nom du dieu cleste est driv de siinke, dont le Bens originel est lumineux, brillant, lumire . Les Yakoutes l'appellent le Maitre trs lev, (ar tojon) , les Tatars d'Altai Blanche lumire. (ak ajas) , les Koryaks l'Un d'en haut " le Maltre du haut >, etc. Les Turco-Tatars, chez lesquels le Grand Dieu cleste conserve son actualit religieuse plus que chez leurs voisins du Nord et du Nord-Est, l'appellent galement Chef , Maltre , Seigneur. et souvent Pre, (2).
(1) Ce phnomne, particulirement important pour l'histoire des religions, n'est. aucunement limit li l'Asie centrale et septentrionale. On le retrouve partout dans le monde ct son explication n'est pas encore tout lait acquise; cf. notre 7'raitd d'Hutoire de, ReliglOn. (Paris, 194 9), p. 53 sq. Bien qua seulement d'une manire indirecte, le prsent ouvrage espre jeter une certaine lumire sur ce problme. (2) Voir M. ELIADE, Traiu d'hutoire de. religion" p. 65 sq., et{J.':p...J1o.ux, Ttingri. E,I,ai ,ur le cieldieu de, peupk, altaiqlU' (in 1 Revue de l'histoire des religions

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GtNRA LlT S . MTHODES DE RE CRU TEMENT

CH A MANISME ET VOCATION MY STIQUE

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Ce dieu cleste, qui habite le ciel suprieur, dispose de plusieurs fils ou messagers t qui lui sont subordonns et qui occupent les cieux infrieurs. Leur nombre et leurs noms varient d' une tribu l'autre; on parle gnralement de Sept ou Nell;C Fils. ou Filles t, et avec plusieurs d'entre eux le chaman e.ntretlent d e~ rapports tout particuliers. Ces Fils, Messagers ou Serviteurs. du Dieu cleste ont pour mission de surveiller et d'aider les humams. Le panthon est parfois beaucoup plus nombreux, comme, pa~ exemple, chez les ~ou riates, les Yakoutes et les Mongols. Les BourIates parlent de55 dIeux bons et 44 dieux .. mauvais .; une lutte sans fin les oppose dep uis touj ours. Mais, ainsi qu'on le montrera plus bas (p. 157), on est fond croire que cette multiplication des dieux, comme d'aIlleurs leur opposition, sont des innovations peut-tre assez rcentes. Chez les Turco-Tatars, les desses jouent un rle plutt modeste (1). La divinit de la terre est assez efTace. Les Yakoutes, par exemple, ne possdent aucune figurine de la desse de la terre .et ne lui offrent pas de sacrifi ces (2). Les peuples turcotatars et SIbriens connaIssent diverses divinits fminines, mais elles sont rserves aux fem~es car leur domaine est celui de l'enfantement et des maladIes infantiles (3). . . . Le rle mythologique de la F emme est, lUI aUSSI, ~ssez rd~lt bien qu'il en subsiste enco re des traces dans certalOes tradItIOns chamaniq ues. Le seul grand dieu aprs le Dieu cleste ou de l' atmosphre (I,) est, chez les Altaques, le Seigneur de l'Enfer, Erlik khan, lui aussi assez bien co nnu par le chaman. Le t rs Important culte du feu, les rites de la chasse, la conception de la mort - sur laqu~lle nous aurons revenir plusieurs rois - compltent ~ette brve esqUlss.e de la vie religieuse de l'Asie centrale et septentrIOnale .. MorphologIquement, cette religion se rapproche dans ses grandes lIgnes de celle des IndoEuropens : mme importance du Grand DIeu cleste ou de l'orage, mme absence des Desses (si c~ractri stiqu es de l'aire lhdo-mditerranenne), mme fon ction attrIbue aux.f: fils ou messagers l (Avins, Dioscures, etc.), mme exaltatIOn du feu. Sur les plans sociologique et conomique, le rapprochement entr~ les Indo-Europens de la protohistoire et les Turco-Tatars anCIens s'impose avec plus de nettet encore : les de~x socits ont une st~uc ture patriarcale, comportant un grand prestIge du chef de la famIlle, et leur conomie est en gros celle des chasseurs et pasteurs-leveurs. L'importance religieuse du cheval chez les TurcoTatars et les IndoCXL I X, 1956, p. 11982, 197230; CL, 1956, p. 27-511, 173-231). Sur les religions sibriennes ct nnnoougriennes, voir maintenant 1: PAULSO!"f, ~ans l. ~AULSON, A. H ULTKItANTZ et K. JETTMAR, us R~Ji~ions archqlU8 ~, finnots~, (PariS, 1965). 1 ). 15265. . .. . (1). Cf. E. LOT-F:,~c'l., A propOS ~'Algiin, de$8~ monsok tU la tur~ (m. Revue de . l'histoire des rehglOns ., CXLIX , 2. 1956, p. 157-96). (2) U. HAI'\.VA ( H OLIIIB!fI.c l , Di~ r~ligio8~n Vor.t~llun~n. du aJtatlCMn V6Jk~r (in Folklore Fellows Communications ., LU, 125, Helsmkl, 1938) . p. 2117 . , (3) Cf. G. RXN~, Lapp F~mal~ D~itiu o(tlu lUadder-Akka Group (m Studta septen. " trionalia . , VI, Oslo, 1955, p. 7-79), p. 48 sq. (4) Car en Asie centrale aussi se vrifie le passage bien connu d un dieu cleste iL un dieu de l'atmosphre ou de l'orage; cf. notre Trait, p. 88 sq.

Europen. a t remarque depuis longtem ps. On a galement mis en lumire dans l ~ plus an.cien sacrifice grec, le sacrifice olympien, des traces du sacrIfice spCifique des Turco-Tatars, des Ougriens et des pop ulations arctiques : celui qui caractrise justement les chasseurs primitifs et les pasteurs-leveurs. Ces faits ont leur incidence sur le problme qui nous intresse: tant donn la symtrie conomique, sociale et religieuse entre les anciens Indo-E uropens et les anciens Turco-Tatars (ou, mieux : Proto-Turcs) (1), on au ra chercher dans quelle mesure il existe encore, chez les divers peuples indoeuropens de l'histoire, des vestiges chaman iques comparables au chamanisme turco-tatar. Mais on ne le rptera jamais assez : il n'y a aucune chance de retrouver, o que ce soit dans le monde ou dans l'histoire, un phnomne religieux pur . et parfaitement originaire . Les documents palethnologiques /et prhistoriques dont nous disposons ne remontent pas audel du palolithique et rien ne permet de croire que, pendant les centaines de milliers d'annes qui ont prcd le pl us a n ~ien ge de pierre, l'humanit n'a pas connu une vie religieuse a ussi in tJlnse et aussi varie que durant les poques ultrieures. Il est presq ue certain qu'une partie au moins des croyances magico-religieuses de l'humanit prlithique s'est conserve dans les co nceptions religieuses et les mythologies ultrieures. Mais il est galement fort probable que cet britage spirituel de l'poque prlithique n'a cess de subir des modifications, la suite des nombreux contacts culturels entre les populations pr et proto-historiques. Ainsi, nulle part dans l'histoire des religions on n'a affaire des phnomnes originaires. car l' histoire. a pass partout, modifiant, refond ant, enrichissant ou appauvrissant les conceptions religieuses, les crations mythologiques, les rites, les techniques de l'ext ase. ~videmment, chaque religion qui finit, aprs de longs processus de transformation int rieure, par se co nstituer en structure autonome, prsente une forme qui lui est propre et qui passe comme telle dans l'histoire ultrieure de l'humanit. M~i s aucune religion n'est entirement nouvelle . , aucun message rehgieux n'abolit entirement le pass i il s'agit plutt de refonte, de renouvellement, de revalorisation, d'intgration des lments - et des plus essentiels! - d'une tradition religieuse immmoriale. C:es quelques observations suffiront dlimiter provisoirement l'horizon historique du chamanisme i certains de ses lments, qu'il s'agira de prciser par la suite, sont nettement archaques, mais cela ne veut pas dire qu'ils sont t purs. et originaires . Le chamanisme
(1) Sur la prhistoire et la plus ancienne histoire des Turcs, voir l'ad mirable synthse de Ren GI\OUSS~T, L'Empil'~ <ks s.t~PJH!! (Paris, 1938) ; cl. aussi W. KOPPEfls, UrtUrkentum und Unndog~rma nentum lm L,chie der Vlh~l'kundlic~fl Uni"u,aJI~.chic hl~ (. BcHeten ., No. 20, Istamboul, 194~P' 1181-525) . W. BARTIIO LD His~irf!. de, Turcs d'Asi~ Centrale I.Par~~, 19115); KARL J ttTTM~R, IZul' lIukun'(t d~r t.rktlch~n V~lk~r8cha(ten (1 Ar~hlv fur Vlkerku e " lil, Vie~ne, 1948, p. 9-23); ,~ . Th~ Altal b~(ou I~ Tu rk8 (m Bulletin 01 the Museum of Far Eas tern Antiquib es " nO 23, Stockholm , 1951, p. 135-223); id., Urg~,chic h te l nnua8iens (in KARL J . N ul'\. d alia. Abri" der Vorc~.c hichte, p. 15061).

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GNtnALIT ts. M TH ODES DE RECRUTEMENT

CHAMANISME ET VOCATION MYSTIQUE

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turco.mongol , SOUS la forme d,ans laquelle ~ S6 pr,~8ent~, est, mme assez imprgn d'influences orientales, .e t, bien ~u il eXlste ~ autres chamanismes exempts d'influences aUSSI caractrIses et aU881 rcen-

tes ils ne sont pas DOD plus originaires Jo . Quant aux religions arctiques, sibriennes et du cent~~ de l'A:S16, o le chamanisme a atteint son degr le plus pouss d IOtgratlOn,
nous avons vu qu'elles sont c~ractri8e8, d'u~e part, par la pr8e~ce

le clan, il est subordonn l'exprience extatique du candidat si celle-ci n'a pas lieu, l'adolescent dsign pour prendre la pla~ du chaman dfunt est limin (voir plus loin, p. 32). Quelle qu'ait t la mthode de slection, un chaman n'est reconnu
comme tel qu'aprs avoir reu une double instruction: 10 d'ordre

peine sensible d'un Grand DIeu cleste et, d autre part, par des l'ltes

de chasse et le culte des anctres, qui supposent UDe tout au~re o,rlen-

taUon religieuse. Comme on le verra plus loin, le chaman est lmphqu, plus ou moins directement, dans chacun de ces secteurs r~hgleux. Mais on a toujours l'impression qu'il est davantage, chez lUl dans un secteur que dans un autre. Constitu par l'exl'rience exta~ique et par la magie, le ohamanisme s'adapte plus ou moms m"! aux dIverses structures religieuses qui l'ont prcd. On est meme parlOls Irapp en replaant la description d'une sance chamam'lue dans l'ensemhle de la vie religieuse de la populatIOn en questIOn (nous songeons, par exemple, au Grand Dieu cleste et. aux mythe~ qUI le

extatique (rves, transes, etc.) et 2 d'ordre traditionnel (techniques chamaniques, noms et lonctions des esprits, mythologie et gnalogIe du clan, langage secret, etc.). Cette double instruction assume par les esprits et les vieux mattres chamans, quivaut ~ne initiation. Parlois, l'initiation est publique et constitue en elle-mme un
rituel auto~ome. Mais ~:~~en~e d'un rit,uel de ce genre n'imp1ique

nullement 1 ahsence de 1 ffiltlatlOn : celle-Cl peut trs bien s'tre opre en rve ou dans l'exprience extatique du nophyte. Les documents dont nous disposons sur les rves chamaniques montrent pertinemment qu'il s'agit l d' une initiation dont la structure est amplement connue de l'histoire des religions j il n'est, en aucun cas question
d'hallucinations anarchiques et d'une affabulation

stricte~ent indi-

concernent) : on a l'impression de deux uruvers reh~leux parfaItement

diffrents. Or cette impression est lausse : la dIffrence n'est pas dans la structure des univers religieux, mais dans l'intensit de l'exprience religieuse dclenche par la s~ce chamanique., Celle-ci lait presque toujours appel l'extase, et 1 bistOlre des rehglOns est l pour nous montrer qu'aucune exprience religieuse n'est plus expose aux dfigurations et aux aberrations que l'exprience extatiq~e. Pour arrter ici ces quelques ohservatlOns prhmlO9.1res, .lI laut toujours se rappeler, en tudiant le chamamsme, que celUl-Cl chrIt
un certain nombre d'lments religIeux partIculIers e~ mme p~lvs~, gieuse du reste de la communaut~. Le c~aman ~ommence sa nouvelle, sa vritable vie par une. sparatIOn " c est-A-dIre, comme on le verra tout l'heure, par une crise spirituelle qui n'est dpourvue ni de

viduelle : ces hallucinations et cette affabulation suivent des modles traditionnels cohrents, bien articuls et d'un contenu thorique tonnamment riche. Ceci, croyons-nous, pose sur une base plus sre le prohlme de la psychopathIe des chamans, sur lequel nous reviendrons tout l'heure. Psychopathe ou non, le lutur chaman est tenu de passer certaines preuves initiatiques et de recevoir une instruction parlois extrmement complexe. C'est uniquement cette double initiation - extatique et didactique - qui le transforme d'un nvros
ventuel en un chaman reconnu par la socit. La mme observation s'u:npose pour l'origine des pouvoirs chamaniques : ce n'est pas le
p~r

et que, du mme coup, il est loin d'puiser la totaht de la vIe reh-

pOlOt de dpart pour l'obtention de tels pouvoirs (hrdit, octroi les espri~s, qute volon~aire) qui joue le rle important mais bIen la techmque et la thorIe sous-jacente cette technique, trans.

mises travers l'initiation.

grandeur tragique, ni de heaut.


L'OCTROI DE S POUVOIRS CHAMANIQUES

La constatation paraIt importante car, plusieurs reprises on


a voulu tirer des conclusions majeures sur la structure et mme' sur

Dans la Sibrie et l'Asie Nord-orientale, les principales voies de recrutement des chamans sont: 1) la transmission hrditaire de la prolession chamanique et 2) la Yocation,.sp~ntane (l' , appel . ou l' c lection .) . On rencontre aUSSI ]e cas d mdlvldus devenus chamans par leur propre volont (comme, p. ex., chez les Altaiques) ou par la volont du clan (Tongouses, etc.). Mais ces derniers sont con~ldrs comme plus laibles que ceux qui ont hrit de cette prolesslOn ou ont suivi l' , appel, des d.eux et des esprIts (1). Quant au chOlx par

l'histoire de ce phnomne religieux partir du lait qu'un certain chamanisll:'e est hrditaire ou spontan, ou que l' appel. qui dcide de la. ca~l'lre d'un ch"'ll:'an semble tre conditionn ou non par la constltutlOn psychopathlque de ce dernier. Nous reviendrons plus loin sur ces problmes de mthode. Contentons-nous pour le moment de p~sser .en revue quelques documents sibriens et nord-asiatiques sur 1 le.ctlOn des chamans, sans essayer de les classer par rubriques (transmISSIOn hrdlt9.1re, appel, dsignation par le clan dcision
personnelle). car, ai~si que ~ous allons le voir l'instant, l'a plupart

des .populatl?nS qUl nous mtressent connaissent presque toujours plUSIeurs VOles de recrutement (1).
(1) Sur l'~c troi ~e~ ,pOUVOi rs chamaniques, voir Georg N IOIU.DUI, Der Schamalu ~,,:m. ~e, ~n !l b""8.C~~ V61h!I''Y' (S tuttgart. 1925), p, 5"58; Leo STIilIlNBUO, DwmiJ Election ln PI',m,lwe Rel,um {I Congrs International des Amricanistes. ,

l Pour les Altalques, voir G. N. POTAl'flN, Otcherhi .evtro~ap,:,dnoj Mo,:gol,ii,IV, St-Ptersbourg, 1883), p. 57 ; V. M. MU.. HAl LOWSJ. I! Shama, nl.3m ln S,ber," and u,.opean R IU.ia (. Journal or the Royal Anthropologlcal1nstltute " vol. 24. 1894, p. 62.100: 12615SI. p. 90.

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GNRALITS. MTHODES DE RECRUTEMENT

CHAMANISME ET VOCATION MYSTIQU E

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RECRUTEMENT DES CHAMANS EN SIBRIE OCCIDENTALE

ET CENTRALE

Chez les Vogouls, affirme Gondatti, le chamanisme est hrditaire et se transmet galement en ligne fminine. MaiS le futur cham~n se singularise ds l'adolescence : trs tt, il devient nerveux et 11 est mme parfois sujet des attaques d'p~leps~e, qu'on inte~p~te comme une rencontre avec les dieux (1). La SituatIOn semble dIflerente ?hez les Ost yaks orientaux; d'aprs Dunin-Gorkavitsch, l~ cham~msme ne s'y apprend pas, il est un don du Ciel qu'on reo~t en nal~sant. Dans la rgion d'Irtysch, il est un don de Sanke (le dieu ~u Ciel) et il se fait sentir ds l'ge le plus tendre. Les Vasiuganes aussl estiment qu'on nat chaman (2). Mais,comme leremarque Karjalainen(p. 250~q.), hrditaire ou spontan, le chama:tisme est ~ouJ~urs un d~n ~es dl~UX ou des esprits; vu sous un certam angle, Il n est hrditaIre qu en apparence. , . , . Gnralement les deux formes d obtentIOn des pOUVOIrs coeXiStent. Chez les V'otyaks, par exemple, le cha~anisme~ est h ~~itair~, mais il est aussi octroy directement par le dieu supreme, qm 1fistrwt lui-mme le futur chaman travers des rves et des visions (3). Il en va exact ement de mme chez les Lapons, o le don se transmet dans la famille, mais o les esprits l'octroient aussi ceux qu'ils veulent (4). . Chez les Samoydes sibriens et les Ostyaks, le chamamsme est hrditaire. A la mort de son pre, le fils faonne une image de la main de celui ci en bois et, par ce symbole, se fait transme~tre ses pouvoirs (5). Mais la qualit de fils de chaman ne suffit pas; Il est ncessaire que le nophyte soit en outre accept et valid par les esprits (6). Chez les Yurak-Samoydes, le futur chaman est identifi ds sa naissance' en effet les enfants qui viennent au monde avec leur chemise *' sont destins devenir chamans (ce ux qui naissent avec leur $: chemise sur la tt e seulement deviendront les plus petits chamans) . Vers l'approche de la maturit, le candidat commence avo~r des visions, chante pendant son sommeil, aime flner dans la sohtude,
Compte r e ndu de la XXII! session, deuxi me partie, ten.ue .G. ~e borg en 1924., t?0le. b org, 1925, p. 472-5 12 ), passim ; id., D ie Ali!lerwii~lung un Slb m schen S chamantsmus (. Zeilschrift r r 1o.l isslo nskund e und R eligiOnswlssenscha lt " v ol. 50, 1935, p. 2 29252; 2IH274 ), pass im; Uno HA RVA, Die religiiisen Vors~llungen, p. 452 sq.; A ke O HI. MARKS, .5!udicn zum Proble,n MS Schamanismus (Lund -Copcnhag.u e, ~ 939), p. 25 sq.; Urs ula KNO LL-G II EILI NG, Bcrufung und Bcrufungscrle bms bel den Schamane n (in Tribus, n. s., II -III , Stutt gart, 1952-53, p. 227-38). (1) K. F. KARJAI.A1 NEN, Die R eligiOll der J ugraViilkem, vol. III (FFC, No 63, H elsinki, 1927), p. 248. 1 2\ KARJALAINEN, op cil., Ill, p. 248-249. (3 M IIUIAILOWSKI, op. ci!. p. 153. (II) MI KilAILOWSKI, p. 14. 7-14.8 ; 'r. I. IU.ONEN, Heidnische. .lleI ic.ion und spii tue Aberglaube bei den fi.nnischen Lappen (Mmo ires d e la SOClct FlIl noOugrlenne , t 87 H elsinki, 1946), p. 116, 11 7 Il. , . (5) P. I. TnETJAKOV, TUl'uhhanskij Kraj , ego priroda i ji~li (St Ptersbo urg, 18 71), p. 211 ; MIK.IIAILOW SKI, P: 86. . (6) A. M. CASTRN, Nord/.Sche R elSen und Forschungen, 11 l , IV (StP te rsbo urg, 1853, 185 7) , vol. I V, p. 191 ; MIli. HAIL OWSK I, p. 14 2.

etc. ; aprs cette priode d'incubation, il s'attache un vieux chaman pour tre instruit (1). Chez les Ost yaks, c'est parfois le pre lui-mme qui choisit son successeur parmi ses fils ; il ne se conforme pas, pour cela, au droit d'ainesse, mais aux capacits du candidat. Il lui transmet ensuite la science secrte traditionnelle. Celui qui n'a pas d'enfants la transmet un ami ou un disciple. Mais, de toute faon , ceux qui sont destins devenir chamans passent leur jeunesse s'efforcer de matriser les dootrines et les techniques de la profession (2) . Chez les Yakoutes, crit Sieroszewski (3), le don du chamanisme n'est pas hrditaire. Cependant, l' amagat (signe, esprit protecteur) ne disparait pas aprs la mort du chaman et, par consquent, il t end s'incarner dans un membre de la mme famille. Pripuzov (4) donne les dtails suivants: la personne destine devenir chaman commence devenir furieuse puis, soudainement, perd la raison, se retire dans les forts, se nourrit d'corce d'arbres, se jette dans l'eau et le feu, se blesse avec des couteaux. La famille recourt alors un vieux chaman qui entreprend d'instruire le jeune gar sur les diverses espces d'esprits et la manire de les appeler et de les matriser. Ce n'est l que le commencement de l'initiation proprement dite, qui comporte par la suite une srie de crmonies dont nous aurons reparler (cf. p. 104). Chez les Tongouses transbaikaliens, celui qui dsire devenir chaman dclare que l'esprit d'un chaman dfunt lui est apparu en rve lui ordonnant de prendre sa succession. Il est de rgle que cette dclaration, pour paraitre plausible, soit accompagne d'un drglement mental assez pouss (5). D'aprs les croyances des Tongouses de Turushansk, celui qui est destin devenir chaman voit, dans ses rves, le diable Khargi accomplir des rites chamaniques. C'est cette occasion qu'il apprend les secrets du mtier (6). Nous aurons revenir sur ces secrets J) car ils constituent le cur mme de l'initiation chamanique qui se ralise parfois dans des rves et des transes en apparence morbides.
RECRUTEMENT CHEZ LES TONGOUSES

Chez les Mandchous et les Tongouses de Mandchourie, il existe deux classes de grands chamans (amba saman) : ceux du clan et ceux qui sont indpendants du clan (7). Dans le premier cas, la transmission des dons chamaniques se fait habituellement du grand -pre au petit(1) T . LEHTISALO, Entwurf ciner M ythologie cUI' JurakSamojede n (Mmoires de la Socit .F'inllO-Ougrienne , vol, 53, H elsinki, 1927), p. 14 6. BELYAVSKI1, cit par MIIi.IIAILOWSU, p. 86. (3 W. SIEROSZEWSKI, Du chamanisme d'aprs les croyallces des Ya lcoutes (1 Revue d e l'Hist o ire d es Religions . , t. lo6, 1902, p. 204-235, 299338), p . 312. 4) Cit pa r MlltHAfL OWSK I, p. 85 sq. MIKHAILOWSIU , p . 85. 6 T Rf.TJAI.O V, Turulchafi skij Kraj, p. 211 ; MIKHAlL ownl, p. 85. 7) S. SUIROK.OGOROW, PsychQmetUal Complex of lhe 'l'ungu!' (Shanga-Lond res, 1 1935 ), p . 3'14.

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GNRALITS. M THODES DE RE CRU TEMENT

CHAM AN ISME ET VOCATION MYSTIQUE

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fils car, occup pourvoir aux besoins de son pre, le fils ~e pe~t p~.s devenir chaman. Chez les Mandchous, le fils peut ]e devenir malS, 8 il n'y a pas de fils, c'est le petit-fils qui hrite du don, c'est--dire des esprits, disponibles aprs la mort du chaman_ Un problme se pose quand il n'y a personne dans la famille du chaman pour prendre possession de ces esprits; c'est alors qu'on fait appel un tranger. Quant au chaman indpendant, il n'a pas de rgles suivre (Shirokogorov, op. cil., p. 346), c'est-A-dire qu'il suit sa propre vocati?fi. Shirokogorov dcrit plusieurs cas de vocations chamamques. Il semble qu'il s'agisse t oujours d'une crise hystrique ou hystroide suivie d'une priode d'instruction pendant laquelle le nophyte est initi par le chaman attitr (Shirokogorov, p. 346 sq.). Dans la majorit des cas, ces crises ont lieu la maturit, mais on ne peut devenir chaman que plusieurs annes aprs la premire exprience (ibid. , p. 349) et on n'est reconnu chaman que par la communaut entire et aprs avoir subi l'preuve initiatique (1), faute de qUOI aucun chaman ne peut exercer sa fonction. Beaucoup renoncent la profession s'ils ne sont pas reconnus dignes d'tre chamans par le clan (ibid. , p_ 350). L'instruction joue un rle important, mais elle n'intervient qu'aprs la premire exprience extatique. Chez les Tongouses de la Mandchourie, p. ex., l'enfant est choisi et duqu en vue de devenir chaman, mais la premire extase est dcisive : si l'exprience n'a pas lieu, le clan renonce son candidat (ibid., p. 350). Parlois, le comportement du jeune candidat dcide et prcipite la conscration; il.arrive ainsi que celui-ci s'enfuie dans les montagnes et y reste sept Jours ou davantage, se nourrissant des animaux capturs par lui directement avec ses dents, (2), et rentrant au village sale, sanglant, les vtements dchirs et les cheveux en dsordre, < comme un sauvage> (3) . C'est seulement aprs une dizaine de jours que le candidat se met balbutier des mots incohrents (4). Un vieux chaman commence alors lui poser des questions avec prcaution; le candidat (plus exactement, 1' esprit, qui le possde) devient furieux et finalement indique celui d'entre les chamans qui devra offrir les sacrifices aux dieux et prparer la crmonie d'initiation et de conscration (Shirokogorov, p. 351 ; sur la suite de la crmonie proprement dite, v. plus loin, p. 102 sq.).

R ECRU TEM EN T CHEZ LES BOURIATES ET LES ALTAIQUES

Chez les Bouriates-Alares tudis par Sandchejew, le chamanisme se transmet en ligne paternelle ou maternelle - mais il est aussi sponSnU\OK OGOROV, p. 350-351 ; sur cette initiation, v . pl~ s loin, p. 103 sq. (2 Ce qui indique une transformation en fauve, c'est-A-dire en quelque sorle une rmt&!!ltion dan~ l'atfCLfe. . _.. . . ---: Tous ces dtails ont une porte Initia tique qUl 5 claIrera plus lom .

tan. Dans les deux cas, la vocation se manifeste par des rves et des convulsions provoqus par les esprits des anctres (utcha). La vocation chamanique est obligatoire; on ne peut pas s'y soustraire. S'il n'y a pas de candidats convenables, les esprits des anctres torturent les enfants; ceux-ci pleurent dans leur sommeil, deviennent nerveux et rveurs et, 13 ans, sont vous chamans. La priode prparatoire comporte une longue srie d'expriences extatiques qui sont en mme temps initiatiques: les esprits des anctres apparaissent dans les rves et portent le nophyte parfois jusqu' l'Enfer. Le jeune homme continue s'instruireconcurremment auprs des chamans etdes anciens; il apprend la gnalogie et les traditions du clan, la mythologie et le vocabulaire chamaniques. L'instructeur s'appelle le Pre-Chaman. Pendant son extase, le candidat chante des hymnes chamaniques (1). C'est le signe que le contact avec l'au-del st dj tabli. Chez les Bouriates de la Sibrie mridionale, le chamanisme est gnralement hrditaire, mais il arrive aussi qu'on devienne chaman la suite d'une lection divine ou d'un accident; par exemple, les dieux choisissent le futur chaman en le frappant de la foudre ou en lui indiquant leur volont par des pierres tombes du ciel (2) : quelqu'un boit par hasard du tarasun o se trouve une telle pierre et se voit transform en chaman. Mais ces chamans choisis par les dieux doivent tre, eux aussi, guids et instruits par les vieux chamans (Mikhailowski, p. 86). Le rle de la foudre dans la dsignation du futur chaman est important : il nous indique l'origine cleste des pouvoirs chamaniques. Le cas n'est pas isol : chez les Soyotes aussi on devient chaman si on est touch par la foudre (3) , et la foudre est parfois reprsente sur le costume chamanique. Dans le cas du chamanisme hrditaire, les mes des anctreschamans choisissent un jeune homme de la famille; celui-ci devient absent et rveur, aime la solitude, a des visions prophtiques et occasionnellement des attaques qui le rendent inconscient . Pendant ce temps-l, pensent les Bouriat es, l'me est emporte par les esprits, vers l'Occident s'il est destin tre un chaman blanc, vers l'Orient s'il est appel devenir un chaman noir. (Pour la distinction entre ces deux types de chamans, voir plus loin, p. 157.) Accueillie dans les palais des dieux, l'me du nophyte est instruite par les anctreschamans dans les secrets du mtier, les formes et les noms des dieux, le culte et les noms des esprits, etc. C'est seulement ap rs cett e premire initiatio n que l'me rintgre le corps (4). Nous allons voir que l'initiation se continue pendant longtemps encore. Pour les Altaques, le don chamanique est gnralement hrdi-

(II

(... ) C'est dans cet.te priode de silence que se complte l'initiation par les esprits, sur laquelle les chamans longouses et. bouriates donnent des dtails prcieux; voir plus loin , p. 73 sq.

(Zr

Garma SANDSCHEJBW, W ellamchauung und Schamanismu.s der Alaren-Burjaten trad . du russe par R. Augustin, 1 Anthropos ~ , vol. 22, 192 7, p. 576613, 933-955 ; vol. 23, 1928, p. 538-560, 967-986), 1928, p. 977-78. (2) Sur les. pierres de C oudre 1 tombes du ciel, voir M. ELIADE, Traitd'llstoire de$ Reli giom, p. 59 sq. POTA NI N, Otcherlr.i tle"uo-::apadnoj Mongolii, IV, p. 289. 4. MIKHAILOWSU, p. 87 ; W . SC HMI DT, Der Urtlprun gder Cottetfidee, vol. X (Mnster. 1952). p. 395 sq.
l )

"1 1

Le Chamanisme

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GN RALIT S. MTHODES DE RE CR UTE MENT

C HAMANISME ET VOCATION MYSTI QUE

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daire, Encore enfant, le futur Kam se rvle maladif, solitaire, contemplatif; mais il est longuement prpar par son pre, qui lui enseigne les chants et la tradition de la tribu. Quand, dans une famille, un jeune homme est suj et des attaques d'pilepsie, les Altaques so nt convaincus qu'un de ses anctres a t chaman. Mais on peut aussi devenir Kam par sa propre volont, bien qu'un t el cha man soit considr comme infrieur aux autres (1). Chez les Kazak-Kirghizes, la profes,ion de baqa se transmet d'or dinaire de pre en fils ; exceptionnellement, le pre la transmet ses deux fils. Mais on garde le souvenir d' une poqu e ancienne o le no phyte tait choisi directement par les vieux chamans. Autrefois, les baqas engageaient parfois de t out jeunes Kazak-Kirghizes, le plus souvent des orphelins, afin de les initier la profession de baqa; cependant, pour la russite du mtier, une prdisposition aux maladies nerveuses tait indispensable. Les suj ets se destinant au baqylyk taient caractris, par des changements subits d'tat, par le passage rapide de l'irritation l'tat normal, de la mlancolie l'agitation. (2).

TRANSMISSION HRDITAIRE ET QUTE DES POUVOIRS


CHAMANIQUES

Deux conclusions se dgagent dj de ce rapide examen des faits sibriens et central-asiatiques : 10 la coexistence du chamanisme hrditaire avec un chamanisme octroy directement par les dieux et les esprits; 20 la frquence des phnomnes morbides qui accompagnent la manifestation spontane ou la transmission hrditaire de la vocation chamanique. Voyons-maint"llant quelle est la situation dans les rgions autres que la Sibrie, l'Asie Centrale et les zones arctiques. Il n'est pas ncessaire de s'attarder outre mesure sur la question de la transmission hrditaire ou de la vocation sponta ne du magicien et du medicine-man. En gros, la situation est partout la mme: les deux voies d'accs aux pouvoirs magico-religieux coexistent. Quelques exemples suffiront. . La profession du medicineman est hrditaire chez les Zoulous et les Bechouanes de l'Afrique du Sud (3), chez les Nyima du Soudan mridional (4), chez leB Ngritos et les J akun de la pninsule
(1) .PO.TANIN , Otchuki, IV, p. 56-57; MIII:HAILOWS KI , p. 90; RADLOV , Alli Sibirien ( Le lp~lg, 1884) , II , p. 16; A. V. ANOCHI~, Materialy po ,hamanstl'" u altaiue", p. 29 sq ; H . von LANKE1''iAU , Die Schamanen und das Schamanenwe,en (e Globus " XXII , 18 72), p. 278 sq . ; W . SC II MIDT, Der Ur' prung der COtleBidee , vol. l X (M ns ter, 194 91, p. 245-2', 8 (les Tatars d'Allal), p. 687-688 ('l'atars Abakan). (2) J . CASTAGN, Ma gie et exorcisme chu. le, Kruak-Kirghiu, et autre, peuplu tlU'C. orientaux (e Revue d es ~tudes islamiqu es " 1930, p_ 53-151. ), p. 60. (3) Max BARTHS, Die Medi:;in du Natur"6lker (Leipzig, 1893), p. 25. (4) S. F. N ADEL, A Study of S hamani,m in tM Nuba Mountains (e J ournal of the Royal Anthropological Instltule J, LXXVI , l, Londres, 1. 946, p. 25.37), p. 27.

malaise (1), chez les Bataks eL auLres populations de Sumatra (2) chez les Dal'"-ks (3), chez les sorciers des Nouvelles-Hbrides (4) et dans plusieurs tribus guyanaises et amazoniennes (Shipibo, Cobeno, Macushi, etc.) (5). Aux yeux des Cobeno, tout chaman par droit de succession jouit d' un pouvoir suprieur celui dont le titre est d sa seule initiative, (A. Mtraux, op. cit., p. 201). Chez les tribus des Montagnes Rocheuses de l'Amrique du Nord, le pouvoir chamanique peut aussi tre hrit, mais c'est toujours travers une exprience extatique (rve) que se fait la transmission (6). Comme le remarque Park (p. 29), l'hritage semble tre plutt la tendance d' un des enfants ou des autres membres de la famille, aprs la mort du chaman, acqurir le pouvoir en puisant la mme source. Chez les Puyallup, remarque Marian Smith, le pouvoir a tendance rester dans la famille (7). On connait aussi des cas o le chaman transmet de son vivant le pouvoir son enfant (Park, p. 30). L'hrdit du pouvoir chamanique semble tre la rgle chez les tribus du Plateau (Thompson, Shuswap, Oka nagon du Sud, Klallam, Nez Perc, Klamath, Tenino), en Caroline du Nord (Shasta, etc.) et se rencontre aussi chez les Hupa, Chimariko, Wintu et chez les Mono occidentaux (8). La transmission des t esprits. reste toujours la hase de cet hritage chamanique, la difTrence de la mthode, plus usite un peu partout chez les tribus nord-amricaines, d'acqurir ces 'esprits _ par une exprience spontane (rve, etc.) ou par la qute volontaire. Le chamanisme est assez rarement hrditaire chez les Esquimaux. Un Iglulik devint chaman aprs avoir t bless par un morse, mais il hritait en quelque sorte la qualification de sa mre, qui tait devenue chamane la suite de l'entre.d'une boule de feu dans son corps (9).
(1) Ivor H . N. EVAN S, StIldies in Religion , Follc-lore and CIU/oms in Brilid North Borneo and lM Malay Peninsula (Ga mbridge, 1923) , p. 159, 264. _ (2) E. M. LOEo, Sumatra: 1/3 Ihl/tory and P eople (avec 1 The Archaeology and Art or Sumatra . par R. von H EINE-OBLDERN) (Vien ne, 1935), p. 81 (les Bataks sep tentrionaux), 125 (Menangkabau ), 155 (Nias). (3) H . Ling ROTH, Nat ive, of Sarawak and Brit ish No rth Bornto (2 vol., Lo ndres, 1896), l , p. 260; aussi chez les Ngadju Dayaks, cl. H . Sc u RER, D ie CotU,ue du Ngadju Dajak irl Sad-Bor fU!O (Leyde, 1946), p. 58. (4 1 J . L . MAD DOX, TM Medicle M a,l. A Sociological S tudy of lk Charackr and Evolution of Shaman isln (New York, 1923) , p. 26. (5) Alrred MTRAUX, Shamanilme ck: les Indiens t l'Amiriqu.e du Sud tropicale Acta Americana " Il, 3-4, Mexico, 19411, p. 197-219; 320-34 1), p. 200 sq. (6 ) Wil ard Z. PAU , Shamanil/In in W~ster n Norlh America . .A s/udy in Cuural Rtlationship (No rth weslern University Studies in the Social Scien ces, 2, Evanston et Chicago, 1938 ), p. 22. (7) Cit par Marcelle BOU TEILLER, Dit chaman . au panseur de secret 1 (1 Actes du XX VI Il e Co ngrs Internationa l d es Amricanisles " Paris, 1947, Paris 1948, p. 23 7-245), p. 243. 1 Tell e jeune fi lle connue de nous, tient le don de gurir les brlures d'une vieille vo isin e dfunte qui lui a appris le secret parce qu'elle n'avait plus de ram ille, mais avait t initie elle- mme par un ascen dant 1 (BOUTEILLER, p. 243). (8) W. Z. PARK, Shama'lism, p. 121. Ct. aussi M. Boun:luF.R , Don chamanislique et adaptation d la vie chez les Indiens de l' A mique du Nord (1 J ournal de la Socit des Amrica nistes " N. S., t. 39, 1950, p. 1-14 ). (9) Knud RASMU SSEN, I ntdlectltal Culture of the 19lulih Eskimos (in 1 Report ot the tirth 'fhule Bxpeditioll l, V II , 1, Co penhague, 1930) , p. 120 sq. Partois, chez les Esquimaux d e Dio mede Islands, le chaman transm et directement seslouvoirs l'un de ses fil s ; v. E. M . WEYER Jr., Tht: Esk imos : Tkir Environment an Folkway, (New Haven et Lond res, 1932), p. 429.

Il

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GNRALITS. MTHODES DE RECRUTEMENT

CHAMANISME ET VOCATION MY STIQUE

37

L'office de medicine-man n'est pas hrditaire chez un nombre considrable de populations primitives, qu'il n'y a aucun intrt citer ici (1). Ceci veut dire que partout dans le monde on admet la possibilit d'obtenir des pouvoirs magico-religieux aussi bien spontanment (maladie, rve, rencontre fortuite d'une source de
pUi8~

mier lieu les diffrentes lormes de l'hystrie arctique. Depuis Krivoshapkin (1861 , 1865), Bogoraz (1910), Vitashevskij (1911) et Czaplicka (1914), on n'a cess de mettre en I~ire la phnomnologie psychopathologique du chamanisme sibr;en (1). Le dermer partisan de l'explication du chamanisme par 1 hystrie arctique, A. Ohlmarks,
est mme amen distinguer entre un chamanlsme arctIque et un nairement un phnomne exclusivement ~~tlque, du en preml~r heu

sance " etc.) que volontairement (qute). Il y a lieu d'observer que l'obtention non-hrditaire des pouvoirs magico-religieux prsente
un nombre presque illimit de formes et de variantes, qui intressent

chamanisme suharctique, d'aprs le degr de maladie mentale de leurs reprsentants. Selon cet auteur, le ch~anism~ aurait t ori.gi-

plutt l'histoire gnra.le des religions qu' une tude systmatique du chamanisme car elle inclut aussi bien la possibilit d'acqurir d' une manire spontane ou volontaire les pouvoirs magico-religieux et
de devenir, par la suite, chaman, medicine-man ou sorcier, que la possi-

l'iulluence du milieu cosmique sur la lablht nerveuse des habitants des rgions polaires. Le lroid excessil, les longues nuits, la solitud.e
dsertique, le manque de vitamines, etc., auralent lnflu sur la ~onstl

hilit d'obtenir de t elles lorces pour sa propre scurit ou son profit personnel, ainsi qu'on J e voit un peu partout dans le monde archaque.

Cette dernire possibilit de se procurer les lorces magico-religieuses n'implique pas une distinction de rgime religieux ou socia.l par rapport au reste de la communaut. L'homme qui obtient, par certaines techniques lmentaires mais traditionnelles, un accroissement

de ses disponibilits magico-religieuses - pour garantir l'opulence de ses rcoltes ou pour se dlendre du mauvais-il, etc. - n'envisage pas de changer son statut socio-religieux pour devenir medicineman par le renlorcement mme de ses disponibilits de sacr. Il dsire simplement augmenter ses capacits vitales et religieuses. Par consquent, sa qute - modeste et limite - de. pouvoirs magico-religieux se range parmi les comportements les plus typiques et les plus
lmentaires de l'homme devant le sacr car, ainsi que nous l'avons montr ailleurs, chez l'homme primitif, comme chez tout tre humain, le dsir d'entrer en contact avec le sacr est contrecarr par la crainte d'tre oblig de renoncer sa condition simplement humaine et de se transformer en un instrument plus ou moins mallable d'une mani

tution nerveuse des populations arctiques en provoquant .SOlt des maladies menta.les (l'hystrie arctique, le meryak, le menenk, etc.), soit la transe chamanique. La seule diffrence entre un chaman et un pileptique serait que ce dernier ne peut pas raliser la transe de sa propre volont (2). Dans la zone arctique, l'ext ase chamanique est un phnomne spontan et organique; c'est seulement dans cette zone qu'on peut parler du grand chamanisme" c'est--dire de la crmonie qui finit dans une transe cata.leptlque relle, pendant laquelle l'me est suppose avoir abandonn le corps et voy~ger vers les cieux
ou les enfers souterrains (3). Dans les rglOns subarctIques, le chamau, n'tant plus victime de l'oppression cosmique, n'obtient pas sp?ntan.

ment une transe relle et se voit lorc de provoquer une demi-transe l'aide de narcotiques ou de mimer dramatiquement le voyage , de l'me (4). La thse de l'quivalence chamanisme-maladie mentale a aussi t soutenue propos d'autres lorme. de. chaman~sme .que le chamanisme arctique. G. A. Wilken affirmait, il y a dj souante-dlX ans
environ, qu' l'origine le chamanisme ~donsi?n tait une m~~die

lestation quelconque du sacr (dieu, e.prit, anctre, etc.) (2). Dans les pages qui suivent, la qute volontaire des pouvoirs magicoreligieux ou l'octroi de tels pouvoirs par les dieux et les esprits nous retiendront uniquement dans la mesure o il sera question d'une acqui sition massive du sacr, appele changer radicalement le rgime
socioreligieux de l'intress qui, de ce fait, se trouvera transform

relle et que ce n'tait que plus tard qu on avait commenc muter dramatiquement la transe authentique (5): ~t on n'a pas manqu de remarquer les relation. lrap pantes qUi semhlent eXister entre
(1) OULMARKS Studitn .. um Probkm de, Scho.manisntus, p. 20 sq.; G. NIORAOU, Der Schamanis'mus, p. SO sq . ; M. A. CUPLICK.A, Aboriginal Sibel'la (OxIord, 1914), p. 179 Bq. (Tchouktches) ; V. G. BOGORAZ, K 1!,ichologii shamanstpa u narod? p ,e~ro: "o,tol.chnoj Azii (e Etnografitcheskoe Obozremo" 1910 vol. 22, 1-2), p. 5 sq. ,c~. aussI W . J. JOCHBLSOl', TM Koryak (Memoirs oC the American Museum of Natural Hlstory,

en t echnicien spcialis. Mme dans des cas de ce genre nous aurons


l'occasion de surprendre une certaine rsistance l'encontre de 1' lec tion divine .
CHAMANISME ET PSYCHOPATlIOLOGIE

Examinons maintenant les rapports qu'on a cru dcouvrir entre le chamanisme arctique et sibrien et les maladies nerveuses, en pre
(1 ) cr. Hutton Wn sT ER, Ma,ic. A Sociowgical Study (SLanrord, Calirornie, 1948),

185 sq. 2) Sur la signification de cette attitude ambivalente devant Je sacr, voir notre l'aiu d'Histoire de, Religion" p. 393 sq.

X Jesup North Pacific Expedi tion, VI, Leyde et New ,:"ork, 1905-8), p. 416-17, Tiu Yukaghir and the Yukaghirized TungUB (Memotrs or the AMNH, XIII; 2-3, JNP Expedition, IX, 2 volumes, Leyde et New York., 1924-26) , p. aO-.38 . . (2) Ake OULMARItS, Studien zum Pl'oblem, ~s .s:chamanum.u~, p. 11. VOIr Eliade, .te problme du chamanisme (e Revue de 1 HistOire des ReligIOns -, vol. 131., 1946! p. 5-52 ), p.9 sq. cr. HA RvA , Die religii:i$e~ YOrllellu!"ge'!, p. 452 sq . .voIr aussI D. F. Auus, Arettc H y,teria an~ Latah ln Mongoha (t~ e TransactIOns or the New York Academy or Science " srie Il , vol. XIV, .7, mal 1952 , p. 291-97) . Sur l'extase en tant que caractristique de. la religion. arct~qu e, ct. R. T. CUR ISTU l'fSJI!'f, Ec.uuy and Al'cttc Religion (in e Studla sep ten trlonaha " IV, 1953, p. 19-92). Sur ces voyages, v. les chapitres su ivants. 4 OULMARItS op. c. p. 100 sq. ,1 22 S ., etc. 5 A. WI~P;EN.rHet Shamanisme ~ij th Yolken {lantk n ln duche'l Al'chipel (La a , 188'7;t:ir part des e Bij dragen tot de Tut-, L~nd- en Volken kunde van Ne erlandsch Indie " V, 2, La Haye, 1887, p. 427-911, pallim.

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GN RALITS . MTHODES DE RECRUTEMENT

CHAMANI SME ET VOCATION MYSTIQUE

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le dsquilibre men lai el les diITrentes formes de chamanisme sudasialiqc;e et ocanien. D'aprs Loeb, le chaman de Niue est pileptique ou extremement nerveux, et provient de ce rtalll.es familles o l'instabilit nerveuse est hrditaire (1). En se basant sur les descriptions de M. A. Czaplicka, J. Layard a cru pouvoir dco uvrir une ressemblance troite entre le chaman sibrien et le bwili de Malekula (2). Le sikerei de Menlawei (3), le bomor de Kelantan (4), sont galement des malades. En Samoa, les pileptiques deviennent des devins. Les Batak de Sumatra et autres peuples indonsiens choisissent de prfrence les personnes maladives ou faibles pour l'office de magicien. Chez les Subanum de Mindanao, le parfait magicien est gnralement neurasthnique ou du moins excentrique. La mme chose se vrifie ailleurs : chez les Sema Maga, le medicine-man ressemble parfois un pileplique ; dans l'archipel Andamans, les pileptiques sont regards comme de grands magiciens; chez les Lotuko de l'Uganda, les infirmes et les malades mentaux sont habituellement des candidats la magie (ils doivent, nanmoins, subir une longue initiation avant d'tre qualifis dans leur profession) (5). . D'aprs le R. P . Housse, les candidats-chamans chez les Araucans du Chili. sont toujours des maladils ou des sensitifs au cur faible l'estomac dlabr, sujels des blouissements. Ils prtendent qu~ l'ap~el ~ e I~ div~nit est pour eux irrsistible et qu'un e mort prmature chtteralt mvltablement leur rsistance et leur infidlit , (6). ParlOis, comme chez les Jivaro (7), le futur chaman n'est qu' un tre rserv et taciturne, ou, comme chez les Selk'nam et les Yamana de la Terre . de Feu, prdispos la mditation et l'ascse (8) . Paul Radm met en VIdence la struclure pileptoide ou histroide de la plupart des medicine-men qu'il cite l'appui de sa thse sur l'origine psychopathologique de la classe des sorciers et des prtre . Et 11 ajoute, exactement dans le sens de Wilken , de Layard, d'Ohlmarks: Ce qui tout d'abord tait d des ncessits psychiques devint une formule prescrite et mcanique l'usage de tous ceux qui dsiraient devenir prtres ou entrer en contact avec le surnaturel (9) . t M. Ohlmarks (op. cit., p. 15) affirme que nulle part dans le monde
(1) E. M. Lou, The S haman o{ Niue (. Am eric:m Anthropologist. XXVI 9 1924, p~ 393-402), p. 395. ' " (2). J . W. LAYARD, Shamanism . An Analysis Based on Comparison with theFlyinl Tnckstus o{ Ma kkula (. Journal of ~he Royal Anthropological Institute " 'LX , 1930 , p. 525-~0), p. 544. Mme observatIOn chel LOER, Shaman and Seu (. American Anthropologlst " XXX I, 1, 1929, p. 60-S4 ), p. 61. (3) L ORB, Shaman and Seer, p. 67. (tt ) Jeanne CUISINIER, Danses ma gique8 de A'elanta n (Paris 1936 Travaux et Mmoires de l' Insti tut d'Ethnologie), p. 5 sq. " (5) E t I~ liste pourrait tre fa cilement allonge: cl. H. WEBSTER, Magic, p. 157 sq. Ct. aussI les longues analyses de T . K. OESTERRE I CII, Les Possdis (trad. fr. Pari.s 1927), p. 167 sq., 293 sq. ' (6) R. ~. H OUS SR,. Urte pope indi~rtne, ks Arauc~ns du Chili (Paris, 1939), p. 98. P) H. KAR S.TP.i"i' , Ci t par A. MtTllAux, L~ .haman lsme CMZ ks Indieru de l'Amrique du S ud trop icale, p. 20 t . (8) M. O USIN'02, Die F~uerland lndianu. J ." nie Selle'nam (Mdling prs de Vienne 1931), p. 779 sq. ; Il .- Die Yamana (ibid., 1937), p. 1394 s q . ' (9) Paul RADIN, La religion primili"e (trad. A. Mtraux, Paris, 19'-(1 ), p. 110.

les maladies mentales ne sont aussi intenses et gnralises que dans l'Arctique, et il cite un mot de l'ethnologue russe Dim. Zelenin : Dans le Nord, ces psychoses taient beauco up plus rpand ue, qu'ailleurs. , Mais des observations semblables ont t laites sur le compte de nombre d'autres peupl ades primitives et on ne voit pas bien en quoi elles nous lacilitent la comprhension d'un phnomne religieux (i). Considr dans l'horizon de l'homo religiosus - le seul qui nous proccupe dans le prsent travail-le malade men lai se rvle un mystique rat ou, mieux encore, un mystique simiesque. Son exprience est dnue de contenu religieux mme si elle ressemble apparemment une exprience religieuse, de la mme manire qu'un acte d'autorotisme aboutit au mme rsultat physiologique qu'un acte sexuel proprement dit (l'mission sminale), tout en n'tant qu'une imitation simiesque de celui-ci, du fait qu'il est priv de la prsence concrte du partenaire. Tl se peut bien, d'ailleurs, que l'assimilation d' un sujet nvros un individu possd . par des esprits, assimilation considre comme assez frquente dans le monde archaque, ne soit, en beaucoup de cas, que le rsultat d'observations imparfaites de la part des premiers ethnologues. Chez les tribus soudanaises, tudies rcemment par Nadel, l'pilepsie est assez rpandue ; mais ni l'pilepsie, ni aucune autre maladie mentale, ne sont regardes par les indignes comme une vritable possession (2). Quoi qu'il en soit, (oree nous est de conclure que la prtendue origine arctique du chamanisme ne ressort pas ncessairement de la labilit nerveuse des populations vivant trop prs du ple, et des pidmies spcifiques du Nord partir d'une certaine latitude. Comme nous venons de le voir, des phnomnes psycho pathologiques similaires se rencontrent un peu partout sur tout le globe. Que de telles maladies apparaissent presque toujours en relation avec la vocation des medicine-men, cela n'a rien de surprenant. Comme le malade, l'homme religieux est projet un niveau vital qui lui rvle les donnes fondam entales de l'existence humaine, c'est--dire la solitude, la prcarit , l'hostilit du monde environnant. Mais le magicien primitif, le medicine-man ou le chaman, n'est pas seulement un malade: il est, avant tout, un malade qui a russi gurir, qui s'est 'guri lui-mme. Maintes fois, lorsque la vocation du chaman ou du medicine-man se rvle travers une maladie ou une attaque
(1) Mme M. O Il LIlARU reconnatt (op. cit. p. 24, 35) que le chamanisme ne doit pas tre considr exclusivement comme une maladie mentale, le phnomne tant plus comp lexe. A. MTRA U X a mieux vu le fond du problme en criva nt, propos des chamans sud-amricains, que les individus nvross ou religieux par temprament se sentent a ttirs vel'S un genre de vie qui leur procure un contact intime avec le monde surnaturcl el qui leur permel de dpenser librement leur force nerveuse . Au sein du chamanisme, les inquiets, les instables ou simpl emen t les mditatifs trouvent une atmosphre propice. (Le shamanisf7U c/u: ks 1rtdi~ns tk l'Amique du. Sud "opicak, p. 200). Pour NAD EL, le problme de la stab ilisation des nvroses par le chamanisme reste encore ouvert (A Sludy o{ Shaman i8nt in lM Nuba Mounlairu , p. 36) ; mais voir plus loin ses conclusions louchant l'intgrit mentale des chamans Nyima (p. 42). (2 ) NAD EL, A S iudy of S hamartism, p. 36; voir aussi plus loin, p. 42.

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ot NRALIT S . &tTU O DE S DE "E CU UTE.1ENT

CUAMANI S ME ET VO CATIO N MYSTIQUE

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pileptode, l'initiation du candidat quivaut A une guri,on (1). Le fam eux chaman yako ute Tsput (c'estA-dire , tomb du Ciel . ) avait t malade 20 ans ; il se mit A chanter et ,e sentit mieux.
Quand Siero8zewski le rencontra, il avait. 60 ans et. faisait preuve d'une nergie inlassable: S'jlle faut, il pourra tambouriner, danser, sauter, toute une nuit . C'tait d'ailleurs un homme ayant voyag; il avait mme travaill dans les mines d'or de Sibrie. Mais il avait

nologie du meryak ou menerik et la transe du chaman sibrien, mais le fait essentiel reste nanmoins la capacit qu'a ce dernier de provo-

quer volontairement 'a transe pileptolde ,. Et, qui plus e,t, le, chaman" apparemment ,i ,emblable, aux pileptiques et aux hy'triques, font preuve d'une constitution nerveuse plus que normale : ils russissent se concentrer avec une intensit inaccessible aux profanes ; ils r,i,tent A des efforts puisants; il, contrlent leurs mouvements extatiques, etc.

besoin de chamaniser : restait-illongtemp, ,ans le faire, il ne 'e 'entait pa, bien (2). Un chaman golde racontait Sternberg: les vieux disent qu' il y a quelque, gnrations trois grand, chaman, faisaieut partie de ma famille. On ne connalt pa, de chamans parmi me, anctre, les plu, proches. Me, parents jouis,aient d'une ,ant parfaite. J 'ai quarante
ans; je suis mari et n'ai pas d'enfants. Jusqu' vingt ans, je me

D'aprs les ren,eignement, de Bjeljavskij et autres, recueillis par


Karjalainen , le chaman vogoul prsente une intelligence vive, un corps parfaitement souple, une nergie qui semble sans limite. Par sa

prparation mme en vue de son futur travail, le nophyte s'elTorce de fortifier ,on corps et de parfaire ,e, qualits inteUectuelles (1). Mytchyll, un chaman yakoute connu par Sieroszew,ki, bien que vieux,
surpassait, pendant la sance, les plus jeunes par la hauteur de ses sauts, par l'nergie de ses gestes. Il s'animait, ptillait d'esprit et de verve. 11 se perait du couteau, avalait des btons, dvorait des charbon, ardents, (Du Chamanisme d'aprs les croyances des Yakoutes, p. 317). Le chaman parfait, pour les Yakoute" doit tre ,rieux, avoir du tact, savoir convaincre son entourage j surtout il ne doit pas se montrer prsomptueux, fier, emport. On doit sentir en lui une lorce intrieure qui ne choque pas, mais qui a conscience de sa puissance ' (ibid., p. 318). On reconnalt difficilement dan, un tel portrait

portai, tr, bien; pui, je tombai malade, mon corp' me faisait mal,
j'avais des maux de tte affreux. Des chamans essayrent de m'en gurir sans y parvenir. Lorsque je commenai chamaniser moi-mme, ma condition s'amliora. Je devins chaman il y a dix aos, mais au dbut je ne m'exerais que sur moi-mme j ce n'est que depuis trois ans que j'ai entrepris de soigner les autres. La profession de chaman

e,t trs, tr, fatigante (3) .


Sandschejew avait rencontr un bouriate qui, dans sa jeunesse,

avait t anti-chamaniste . Mai, il tomba malade et, aprs avoir vainement cherch la gurison (il arriva, en qute d'un bOIl mdecin, jusqu' Irkutsk), essaya de chamani,er. Il gurit ,ur le coup et devint chaman pour le reste de ,e, jours (4). Sternberg remarque lui
aussi que l'lection du chaman se manifeste par une maladie assez

l'pileptode qu'on s'est imagin d'aprs d'autres descriptions ... Bien que les cbamans accomplissent leur dan,e extatique l'intrieur d'une yourte bonde d'assistants, dans un espace strictement

grave qui coincide gnralement avec la maturit , exuelle. Mais le


futur chaman finit par gurir avec l'aide mme des esprits qui deviendront ensuite ses esprits protecteurs et auxiliaires. Parlois, ceux-ci sont des anctres qui dsirent lui traosmettre Jes esprits

limit, avec de, costumes qui comprennent plus de 15 kg de fer sou, forme de rond, et divers autres objet" personne n'est jamais atteint(2). Et bien que, pendant la tran,e, le baqa kazak-kirghize se jette de tous cts les yeux ferm" il trouve nanmoins tous les objets dont il a besoin (3). Cette tonnante capacit de contrle, mme des mouvements extatiques, trahit une admirable constitution nerveuse. En

auxiliaires re,ts di'ponibles. Il ,'agit en elTet d'une ,orte de tran,mis,ion hrditaire : dan, ces ca,-l, la maladie n'e,t qu'un ,igne du choix . ; elle n'est que pa,sagre (5).
Il est touj ours question d'une gurison, d'une mattrise, d'un

quilibre ralis, par l'exercice mme du chamanisme. Ce n'est pas au fait qu'il ,oit ,ujet aux attaques d'pilepsie que le chaman e,quimau ou indonsien, par exemple, doit sa force et son prestige j c'est au fait qu'il puisse maftriser cette pilepsie. Extrieurement, on a

gnral, le chaman sibrien et nord-asiatique ne donne pas ,igne de dsintgration mentale (4). Sa mmoire et ,a capacit d'auto-contrle sont nettement suprieures la moyenne. D'aprs Kai Donner (5), on peut soutenir que cbez les Samoydes, les Ost yaks et certaines
autres tribus, le chaman est ordinairement sain et qu'il est, sous le rapport intellectuel, souvent suprieur BOn. milieu . Chez les Bouriates, les chamans sont les principaux gardiens de la riche littrature

beau jeu de remarquer nombl'e de ressemblance, entre la phnomF ~,nf T,",C~.tU8, CM8U , Codl arld Epileptic8 (in
DUJ

hroque orale (6). Le vocabulaire potique d'un chaman yakoute

rell flo8en Yor.kllunlen, p. 457. 2) \V. SIERosZEwu: r, Du chamanme d'apr. le. croyanu. tU. Yakoute. , p. 310. 3~ L. SURIUBRG, Dilline Ekction in Primiti~ Reli,ion, p. 476 sq. On trouvera la SU lle de ce lte impor Lante auto-biographie du chaman gold e plus bas, p. 73 aq. (4) Gar ma SANDSCIIBJEW, Weltotllchofw nt und Schamani.mu. thr Alann.Burjaun

de Kelantan, p. 5 i J. W. LA YAnO, Mal-tkula: Journal or the Royal AnthropoIO~lcal. IJ:tstltute., LX, Londres, 1930, p. 50 1-24) i NADU, op. cit ., p. 36 i HARVA,

(1)

~ ea nn ~ CU ISINIER, Danse. mafiquu

g E. J.

p.977. (5) L. STF.I\~Rr.RC, Di"ine Elect ion in Prim iti"e Reliion , p. 474 .

'

'arn

1) KARJALAINEN, Die Religio" der Jugra-Y61ker, 111 , p. 247-248. 2) LIN DG R!': ". The R eilldeer l'ungUB of Manchuria (<< Joul'nal of the Royal entral Asian Society., vol. 22, 1935. p. 218 sq.), cite par N. K . CHADWI CK, Poc'ry and Prophecy (Ca mbridge. 1942) . . 17. CASTAGNR , Ma fie et exorcisme, 99. 4 Cf. H . M . eL N. K. CHADWICK, The GroMh of Likrature (Cambridge. 3 vol., '1932-40). III, p. 214; N. K. CUADWI CI:, Poetry and p,.op~, p. 17 sq. L e chaman doit tre parfaitement sain; h I:ONEN. ll eid ni8che Relagion, p. 116. {5 La Sibrie. La Vie en Sibrie, k. temp. anciens (Paris, 194 6) , p. 223. (6 O. SANDSC HEJEW, op. cit ., p. 983.

!3i

42

GN RALITS. MTllODES DE RE CRUTEMENT

CRA!'IIANISME ET VOCATION MY ST IQ UE

43

comprend 12000 mots, alors que son langage usuel - le seul que connaisse le reste de la communaut - n'en comporte que 4000 (H. M. et N. K. Chadwick, The Growth of Literature, III, p. 199). Chez
les Kazak-Kirghizes, ]e baqa, cha nteur, pote, musicien, devin, prtre et, m del}n, parait tre le gardien des traditions religieuses, popu-

laires, le conservateur de lgendes vieilles de plusieurs sicles t (Castagn, Magie et exorcisme, p. 60). On a pu laire des remarques semblables au sujet des chamans d'autres rgions. D'aprs Koch-Grnberg, , les chamans TaulipAng sont d'une faon gnrale des individus intelligents, parfois russ mais toujours d'une grande force de caractre, car dans leur formation et
dans l'exercice de leurs fonctions, ils ont besoin de faire preuve d'ner-

gie et de maltrise d'eux-mmes , (1). A. Mtraux observe propos des chamans amazoniens: (C Aucune anomalie ou particularit physique ou physiologique ne semble avoir t choisie comme le symptme - d ~une prdisposition spciale l'exercice du chamanisme, (2). Chez les Wintu, la transmission et la perlection de la pense spculative sont entre les mains des chamans (3). L'efTort intellectuel du prophte-chaman dayak est norme et dnote une capacit mentale bien au-dessus de celle de la collectivit (4). Mme observation pour les chamans alricains en gnral (N. K. Chadwick, Poetry and Prophecy, p. 30). Quant aux tribus soudanaises tudies par Nadel, il n'existe pas de chaman qui soit, dans sa vie quotidienne, un individu anormal " un neurasthnique ou un paranoaque: s'il tait tel, on le rangerait parmi les fous, on ne le respecterait pas comme un prtre. En fin de compte, le chamanisme ne peut pas tre mis en relation avec une anormalit naissante ou latente; je ne me rappelle pas un seul chaman chez qui l'hystrie prolessionnelle ait dgnr en un srieux dsordre mental , (5) . En Australie, les choses sont encore plus claires: les medicine-men doivent tre parfaitement sains et normaux et le sont la plupart du temps (A. P. Elkin, Aboriginal Men of High Degree, Sydney, 1946 (1), p. 22-25). Et il laut aussi tenir compte du lait que l'initiation proprement d~te ne comporte pas uniquement une exprience extatique, mais, alflsi que nous allons le voir dans un instant, une instruction thorique et pratique trop complique pour tre accessible un malade. Qu'ils soient encore ou ne soient pas sujets aux attaques relles d' pilepsie ou d'hystrie, les chamans, les sorciers, les medicine-men en
(1) :it par A. M TR AUX, lA! S hamanisTnt CMZ le, Indien, tU "Amirique du Sud lroplcale, p. 201. A. M TRAUX, op. cil., p. 202. (3 C?R A DU BOIS, Winlu Elhnography (Universily of California, Publications in Amerlcan Archaeology and Ethnology, XXXVI, l , Berkeley, 1935), p. 11 8. (4) N. K . CIIADWICK, Poe!ry and Prophecy, p. 28 sq.; H . M . et N, K . CHAD W IC K, The Growth of Literature, 111 , p. 476 sq. (~) N AD n, A S ludy o( Shaman i.m, p. 36. On ne peut donc pas dire que. le chama-

121

gnral, ne peuvent pas tre c~ nsid rs comme de sim~les malad~~ : leur ex prience psychopathologlque a un c~ nte nu th oflqU~ . Car s lis se sont guris eux-mmes et savent gu~rlr les autre~, c est, entre autres, parce qu' ils connaissent le mcamsme - ou mIeux encore la thorie - de la maladie. Tous ces exemples mettent en lumire, d'une manire ou d'une autre, la singularisation du medicine-man l'intrieur de la socit. Qu'il soit choisi par les dieux ou les esprit~ pour tre leur porte~~arol e, ou qu:~l soit prdispos une telle lonctlOn par des tares phySIques, ~u qu ~l soit porteur d'une hrdit qui quivaut une vocatIO n m~glCo-reh gieuse, le medicine-man se s~pare du ~onde des profanes lust er:nent parce qu' il se trouve en relatlO~s plus. dIrectes avec .le sacr et m.ampule plus efficacement ses mamfe8tatl~n s. InfirmIt, ma.ladle nerveuse vocation spontane ou hrdIt sont autant de signes extrieurs' d'un choix t d' une .. lection t. ParCois, ces signes sont physiques (infirmit de' naissance ou acquise); ailleurs, il es~ question d'un accident mme des plus courants (p. ex. tomber d un arbre, tre mordu p;r un serp ent, etc.) ; d'habitude, comme nous allons le voir plus en dtail dans le chapitr~ ~uiva~t, l'lection s'annonce par un accident insolite : Coudre, apparItIOn, reve, etc. Il importe de mettre en lumire cette notio~ de singularisation par une exprience insolite et anormale cB:r, ~ bien r~garder, la slOgUlarisation comme telle relve de la dIalectique meme du sacr. En effet, les hirophanies les plus lment~ires ne sont autr~ chose qu'une sparation radicale, de valeur ontologlque,entre un objet quelconq?e et la zone cosmique environnante: tene pIerre, t el arbre, tel endrOIt, par le lait mme qu'ils se r.lent comme ~acrs, qu:i1s ont t en quelque sorte choisis comme rceptacle d u~e mamfestatlOn du sacr, se sparent ontologiquement des autres pIerres, ~ es autres arbres et des autres endroits et se situent sur un plan dIfTrent, surnaturel. Nous avons analys'ailleurs (v. Trait d'histoire des religions, passim) les structures et la dialectique des hiropbanies et des kratophames, en un mot des manifestations du sacr magico-religieux. Ce qu'il importe d'observer maintenant, c'est la sy~trie qui existe e!ltre la singularisation des objets, des tr~s et des signes. sacr~, et la ~lllgula risation par l'lection, par le .. chOlx ., de ceux qUI font 1 ex prl~~ce du sacr avec une intensit autre que le reste de la communaut, qUI mcarDent en quelque sorte ce sacr, puisqu' ils le vivent abonda~~ent! ou plutt .. sont vcus t par la .. C orme t reHgi~~se qui le~ ~ C~OISlS (dieu, esprit, anctre, etc.). Ces quelques prCl ~lOns prbmmaires trouveront leur porte quand nous aurons tudi les mthodes de prparation et les t echniques d'initiation des Cuturs chamans.

nisme absorbe l'a normalit mentale ll l'tat diffus dans la com munau t ni qu'il est fond sur \}nc prdisposition psychopdhique marque et rpandue. Sans a ucun doute le c~amanlsm e .ne peut pD8 tre expliqu simplement comme un mcani.!me culturel des tm~ . pa rfa.l ~ l'anormalit, ou exploiter la prdisposition psychopathologique hrditaire 1 (Ibid., p. 36).

MALADIES ET RiVES INITIATIQUES

45

CHAPITRE Il

MALADIES ET Rt;:VES INITIATIQUES

MALADIE-INITIATION

Les maladies, les rves et les extases plus ou moins pathognes sont, nous l'avons vu, autant de moyens d'accs la condition de chaman. ParI~isJ ces ex~riences singulires ne signifient rien d'autre qu'un ,choIx, venu d en haut, et ne font que prparer le candidat de nouveUes rvlations. Mais, la plupart du temps, les maladies, les rves et Jes extases constituent, en elles-mmes, une initiation c'est--dire qu'eIl.es parviennent transformer l'homme profane' d'avant le '. choIX' en un technicien du sacr (1). Bien entendu, cette expnence d'ordre extatique est toujours et partout suivie d'une instruction thorique et 'pratique de la part des vieux maltres, mais eUe n'est pas pour cela moins dcisive car c'est elle qui modifie radicalement le statut religieux de la personne, choisie t. . Nous allons .voir dans un instant que toutes les expriences extatIques qUI dCIdent de la vocation du futur chaman comportent le schma traditionnel d'une crmonie d'initiation: souffrance, mort et rsurrection. Vue sous cet angle, n'importe queUe maladie-vocation .. remplit le rle d'une initiation car les souffrances qu'elle provoque corresponde~t. aux tortures initiatiques, l'isolement psychique d'un , malade chOISI t est le pendant de l'isolement et de la solitude ritueUe des crmoni~s .initiati9ues, l'imminence de la mort connue par le malade (agome, mconsClence, etc.) rappeUe la mort symbolique figure dans la majorit des crmonies d'initiation. Les exemples qui suivent montreront combien le rapprochement maladie-initiation va loin. Certaines souffrances physiques trouveront leur traduction prcise sous la forme d'une mort (symbolique) initiatique comme, par exemple, le morcellement du corps du candidat (= malade), exprience extatique qui peut se raliser soit grce aux souffrances de la maladie-vocation., soit par certaines crmonies rituelles, soit, enfin dans les rves. ' .Quant au .conte!lu de ces expriences ext~tiques initiales, bien qu'il SOIt assez rIche, il comporte presque touJours un ou plusieurs des
(1) Ct. M. ELlA.DE, Mythes, ~"eB ~t mystef'eB (Paris, 1957) , p. 106 sq.

thmes suivants: morcellement du corps suivi d'un renouvellement des organes intrieurs et des viscres; ascension au Ciel et dialogue avec les dieux ou les esprits; descente aux Enfers et entretien avec les esprits et les mes de chamans morts ; rvlations diverses d'ordre religieux et chamanique (secrets du mtier). Tous ces thmes, on le voit aisment, sont initiatiques. Dans certains documents, ils sont tous attests; ailleurs, on n'en mentionne qu'un ou deux (morcellement du corps, ascension au Ciel). En outre, il se peut que l'absence de certains thmes initiatiques soit due, au moins en partie, l'insuftisance de notre information, les premiers ethnologues s'tant contents gnralement de renseignements sommaires. Quoi qu'il en soit, la prsence ou l'absence de ces thmes indiquent aussi une certaine orientation religieuse des techniques cbamaniques affrentes. Il y a, sans aucun doute, une diffrence entre l'initiation chamanique cleste. et celle qu'on pourrait appeler, sous certaines rserves, inlernal . Le rle qu'un f:tre Suprme et cleste joue dans l'octroi de la transe extatique, ou, au contraire, l'importance accorde aux esprits des chamans morts ou aux dmons t, marquent des orientations divergentes. Il est probable que ces diffrences sont dues des conceptions religieuses diverses et mme opposes. En tout cas, elles impliquent une longue volution et certainement une histoire, qu'au stade actuel des recherches on ne peut qu'esquisser d'une manire hypothtique et provisoire. Pour l'instant, nous n'avons pas nous occuper de l'histoire de ces types d'initiation et, pour ne pas compliquer l'expos, nous prsenterons sparment chacun des grands thmes mythico-rituels : morcellement du corps du candidat, ascension au Ciel, descenta aux Enlers. Mais il ne laut jamais perdre de vue que cette sparation ne correspond que rarement la ralit et que, ainsi que nous le verrons l'instant chez les chamans sibriens, les trois thmes initiatiques principaux coexistent parfois dans l'exprience d'un mme individu, ou qu'en tout cas ils se rencontrent souvent l'intrieur d'une mme religion. Enfin, on devra tenir compte du fait que ces expriences extatiques, tout en constituant l'initiation proprement dite, sont toujours intgres dans un systme complexe d'instruction traditionnelle. Nous commencerons la description de l'initiation chamanique par la prsentation du type extatique, pour la double raison qu'il nous semble tre le plus ancien et qu'il est le plus complet, en ce sens qu'il inclut tous les thmes mythico-rituels numrs plus haut. Nous donnerons immdiatement aprs des exemples de ce mme type d'initiation dans d'autres rgions que la Sibrie et l'Asie nord-orientale.
EXTASES ET VISIONS INITIATIQUES DES CHAMANS YAKOUTES

Dans le chapitre prcdent, nous avons cit plusieurs exemples de vocations chamaniques manifestes sous forme de maladies. Parfois, il ne s'agit pas exactement d'une maladie proprement dite, mais

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MAL ..... OJES ET RV ES INITIATIQ UES

MALADIE S ET nvES INITIATIQ UES

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plutt d' un changement progressif de conduite. Le candidat devient mditatif, cherche la solitude, dort bea uco up, semble absent, a des rves prophtiques, quelquefois des attaques (1). Tous ces symptmes ne sont que le prlude de la vie nouvelle qui attend son insu le candidat. Son comportement l'appelle d'ailleurs les premiers signes de la vocation mystique, les mmes da ns toutes les religions et trop connus pour qu'on s'y arrte. Mais il y a aussi des. maladies " des attaques, des rves et des hallucinations qui dcident en peu de temps de la carrire d'un chaman. Peu nous importe si ces extases pathognes ont t rellement vcues, imagines ou a u moins enrichies ultrieurement de souvenirs folkloriques qui ont fini par tre intgrs dans les cadres de la mythOlogie cbamanique traditionnelle. L'essentiel nous semble tre l'adhsion de telles expriences, le fait qu'elles justifient la vocaLion et la force magico-religieuse d'un chaman, qu'elles ont t invoques comme la seule validation possible d'un changement radical de rgime religieux. Par exemple, un chaman yakoute, Sofron Zateyev, affirme qu'habituellement le fulur chaman meurt et gt trois jours dans la yourto sans manger ni boire. Jadis on subissait trois lois ]a crmonie durant laquelle on tait taill en pices. Un autre cham a~, Pyotr 1vanov, nous renseigne plus longuement sur cette crmOOie : les membres du candida t sont dtachs et spars avec un crochet en fer; les os sont nettoys, la chair racle, les liquides du corps sont jets et le, yeux arrachs de leurs orbites. Aprs cette opration, tous les os sont rassembls et joints avec du fer. Suivant un autre chaman, Timofei Romanov, la crmonie du dpcement dure de 3 7 jours (2) ; durant tout ce temps,le candidat reste presque sans respirer, comme un mort, dans un lieu solitaire. Le yakoute Gavriil A1ekseyev affirme que chaque chaman a un Oiseau-de-Proie-Mre, qui ressemble un grand oiseau, avec un bec en fer, des serres crochues et une longue queue. Cet oiseau mythique se montre deux fois seulement: la naissance spirituelle du chaman , et sa mort. Il lui prend l'me, la porte en Enfer et la laisse mrir s,u~ ]e rameau d'un faux-sapin. Quand l'me est venue maturit, 1 OIseau retourne sur terre, coupe le corps du candidat en petits morceaux qu 'il distribue entre les mauvais esprits des maladies et de la mort ..Chacun de ces esprits dvore le morceau du corps qui lui revient ce qUI a pour effet de co nfrer au futur chaman la facult de gurir les mal.adies correspondantes. Aprs avoir dvor le corps entier, les mauvais esprits s'loignent. L'Oisea u-Mre remet les os en place et le candidat se rveille comme d'un sommeil profond. D'aprs un autre renseignement yakoute, les mauvais esprits portent l'me du futur cham.an aux Enfers et l l'enferm ent dans une maison
(1) Voi~ qu.elques exe mples tcho uktches et bouriates dans M. A. CZAPLICKA, Abori. cmal S,bel'ta , p. 179, 185, e tc., ct notre cha pitre prcdent. (2). Ces nombre~ n~ ystiq u es)ou e llt ~n rOle impo rtant dans les religions et les mythologl~s ~ ntral.as lallqu es (vo ir pl us JOIll , p; 222 ). Il s'agit , en ellet, d'un cad re tho rique tra~ltlOnnel dans lequeJ est rapporte l' exprience ex tatique du chaman pour y tre vahde.

pendant trois ans (un an seulement pour ceux .qui d e.v i.e~d~o nt des chamans infrieurs). C'est l que le chaman subIt son InitlatlOfl : les esprits lui co upent la tt e qu'ils mettent de ct (car le candidat doit assister de ses propres yeux sa mise en pic~s) et le t~Illent en me~us morceaux qui sont ensuite distribus aux esprIts des dlverses maladIes. C'est cette condition seulement que le futur chaman gagnera le pouvoir de gurir. Ses os sont ensuite reco uverts de chairs fraches et dans certains cas on lui remet aussi du sang nou vea u (1). Suivant une autre lgende yakoute, recueillie galement par Ksnofontov (Legendy i rasskazy, p. 60 sq. , ou Schamanenge.schichlen, p. 156 sq.), les chamans naissent dans le Nord. L-bas croit un sapm gant qui porte des nids dans ses branches. Les grands chamans se trouvent dans les branches les plus bautes, les moyens au milieu et les plus petits au ba, de l'arbre (2). Au dire de certains, l'Oiseau-de-ProieMre, qui a une tte d'aigle et des plumes de fer, se pose sur l'Arbre, pond des ufs et les couve; l'closion des grands chamans deman?e trois ans d'incubation, celle des moyens deux ans et celle des petits chamans un an. Quand l'me sort de l'uf, l'Oiseau-Mre la confie pour tre instruite une diablesse-chamane qui n'a qu' un se ul il, un seul bras et un seul os (3). Celle-ci berce l'me du futur chaman dans un berceau de fer et le nourrit de sang caill. Surviennent ensuite trois diab les noirs qui lui coupent le corps en pices, lui enfon cent une lance dans la tte et jettent des morceux de chair en diffrentes direction, comme offrandes. Trois autres diables, lui coupent la mchoire: un morceau pour chaque malad ie qu'il sera appel soigner. S'il se trouve qu'un os manque au compte total, un membre de sa famille doit mourir pour le remplacer. 11 arrive parfois qu' il meure j usqu' 9 personnes apparentes (4) . D'aprs un autre renseignement, les 41 diables. gardent l' me du candidat jusqu' ce que celui-ci ait assimil leur science. Dur~nt tout ce temps, le candidat git malade. Son me est transforme SOlt en un oiseau, soit en un autre animal, ou mme en homme. La $ force. du i I o. W. K SNO FO .. TO\" Legendy i 1'4ukazy 0 shamanach ttjaJeutov, burjat i (ungusov

2e d ition, Moscou, t 930), p. 44 sq. (voir a ussi la traducl?n. ~Jlema nd~ dans A. FR IEDItICII ct G. B UD oRuss, Schamanengeschichtell aus S ,blnen, MUnich: et Plan egg, 1955, p. 136 sq.) ; T. LEIiTiULO, Del' T Oll lWd die Wit::del'geburt dc,s k~nftlgen S chamamm (e J ournal de la Socit finnoougrienne " XLVIII, Helstnkl, 1937 , rase. 3, p. 13/11, p. 13 sq. . S h (2) D'aprs une au tre lgende yakoute (Lege ndy t l''!-5ska:.y, p. 63; c ~manen geschichteTl, p. 159 ), Jes mes des chama.ns prc Jln e~t nalssa l~ce dans un sa pm sur le Mont Dl.Okuo. Une autre croyance, enfi n , parl e de 1 Arbre YJyk-~1ar, dont le so mm et atteint le ge Ciel. Ce derni er arbre n'a pas d e branches, Ill tUS l e~ am es des chalT~a ns se trou vent dans ses nuds (ibid. ). ~vid.el1l mcn t,.nous avons ::d~alre l'Arbre U ll1v e~sel qui croit au Centre du Monde et relie les troIs zo nes cos rmques.: en fer, terre, ciel. Ce symbole joue un rle co nsid ra ble dans toutes les myLhologles nordet cent, al asiatiques. Voir plu s loin, p. :H~ . . . (:J ) C'est une fi~ure d mon iaque. q.u~ apparait ass~z frequemmenl d~ns les ml:tho. logies rie J'Asie centra le et de la SlberlC: cf. Anakh al, le de mon un (XlII des Bouriates (U. H Anu, Die religiosen V.orslelluligen, p. 378), ~r~ari des Tchouvaches IUIl s~ ul il , UI\ seul bras, un se ul pied, e tc. ; cr. HA RVA, tbtd.,. p. 39), la ~esse ~lb~lOe Rai Ocing ma (lin pied, un sein d cha rn, une dent, un il, etc.) ,.les dieu x LI bym ha ra , etc. (R. de NIiWeSK.\'-WoJKOWlTZ, Oracles and Dem(HUl of T,bel, La Haye, '1 956, p. 122 ). . r: (ft ) cr. KSNOFONTOV, Legendy, p. 606 1; Scllamanengeschlcltleli, p. 10(,57.

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MALADIES ET RtVES INITI ATIQUES

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candidat est conserve dans un nid cach dans le feuillage d' un arbre, et quand les chamans luttent entre eux - sous la forme d'animauxils s'efforcent de dtrui re le nid de leur adversaire (Lehtisalo, op. cit., p. 29-30). Dans tous ces exemples nous rencontrons le thme central d'une crmonie d'initiation: dpcement du corps du no phyte et renouvellement de ses organes i mort rituelle suivie d'une rs urrection et d'une plnitude mystique. Retenons a ussi le motiC de l'Oiseau gant qui co uve les chamans dans les hranches de l'Arbre du Monde; il a une grand e porte dans les mythologies nord-asiatiques, spcialement dans la mythologie chamanique.

RVES INITIATIQUES DES CHAMAN S SAMOYDES

D'aprs les inCormateurs yurak-'QlDoyde. de Lehtisalo, l'init iatio n proprement dite commence avec l'apprentissage du tambourin j c'est cette occasion qu'on arrive voir les esprits. Le chaman Ganykka lui raconta qu' un jour, alors qu'il battait son tambour, les esprits descendirent et le coup rent en morceaux, lui tra nchant aussi les mains. Sept jours et sept nuits il demeura tendu, inconscient, sur le sol. Pendant ce temps-l, son me se trouvait au Cie], se promener avec l'E.prit du Tonnerre et rendre visite au dieu Mikkulai (1). A. A. Popov raconte ce qui suit d'un cham an des AvamSamoyde. (2). Malade de la petite vrole, celui-ci resta trois jour. inconscient, presq ue mort, tel point qu'il faillit tre enterr le troisime jour. Son initiation eut lieu pendant ce temps. Il se souvient d'avoir t port au milieu d' une mer. L, il entendit la voix de la Maladie (c'est--dire de la petite vrole) lui disant: , Tu recevras le don de chamaniser de la part de. Seigneurs de l'Eau. Ton nom de chaman sera huottarie (Plongeur) . Ensuite, la Maladie t roubla J'eau emme de la mer. Il sortit et gravit une montagne. L, il rencontra une C nue et commena tter son sein. La C emme, qui tait probablement la Dame de l'Eau, lui dit : Tu es mon enfant; c'est pour cela que je te laisse tter mon sein. Tu rencontreras maintes diffi cults et t u seras bien fatigu. , Le mari de la Dame de l'Eau, le Seigneur de l'EnCer, lui donna ensui te deux guides, une hermine et une souris, pour le cond uire en EnCer. Arrivs sur un lieu lev, ses guides lui montrrent sept tentes aux toits dchirs. Il pntra dan. la premire et y rencontra les habitant. de l'EnCer et les homme. de la g rande Maladie (la vrole). Ceux-ci lui arrachrent le cur et le jetrent dans une marmite. Dans les autre. t ente. il fit la connaissance du Seigneur de la Folie et
(1.) .T. LE.UTlSA.LO, J?nlwur{ einer MythoJie .thr Jurak-Samoje~n (Mmoires de la SOcuH Fmno-Ougrlennc, vol. LIlI , Helsmkl 19271, p. 146; ,d., Der Tod und d~ Wiedergeburt ths IdJ.n{tien Schamanen, p. a. (2) A. A. Popov, Tal1g~jcy. Matuialy po etnografii avamskich i vedeevskich ta"gicev (Trudy InstituLa Antropologii i ELnografii, l, 5, Moscou eL Leningrad, 1936), p. 84 sq' voir aussi LEHT ISALo, Der 1'od und die Wiedergeburt, p. asq. ; E. EMSII EIM En, Sch(1m~ nenlrommcl und Trommelbaum (1 ELhnos -', vol. IV, 1.946, p. 166-181.), p. 173 sq.

des Seigneurs de toutes les maladies nerveuses j il Y rencontra aussi les mauvais chamans. Il apprit de la sorte connaltre les diffrentes maladies qui t orturent les humains (1)_ Le candidat, toujours prcd de ses guides, arriva ensuite dans le pays des chamanes, qui lui Cortifirent la gorge et la voix (2). Il Cut port ensuite au hord des NeuC Mers. Au milieu de l'une d'elles se trouvait une tle et, au milieu de l'Ue, un jeune bouleau s'levait jusq u'au Ciel. C'tait l'Arbre du Seigneur de la Terre. Prs de lui poussaient 9 herbes, anctres de t outes les plantes de la t erre. L'Arbre tait entour des Mers et dans chacune nageQlt une espce d'oiseau avec ses petits j il Y avait plusieurs varits de canards, un cygne et un pervier. Le candidat visita toutes ces mers; certaines taient sales, d'autres si chaudes qu'il ne pouvait pas s'approcher du rivage. Aprs en avoir C ait le tour, le candidat leva la tte et aperut, au sommet de l'Arbre, des hommes (3) de plusieurs nations: des Samoydes-Tavgy, des Russes, des Dolganes, des Yakoutes et des Tongouse . JI entendit des voix : JI a t dcid que tu auras un tambourin (c'est--dire la rame d'un tambour) C ait des rameaux de cet Arbre (4). > 1\ commena voler avec les oiseaux des mers. Comme il s'loignait du bord, le Seigneur de l'Arbre lui cria: Mon rameau vient de tomber j prends-le et fais-t' en un tambour qui te servira durant toute ta vie. ,. Ce rameau avait trois fourches et le Seigneur de l'Arbre lui ordonna de se faire trois tambours qui devraient tre gards par trois femmes, chacun de ces tambours tant utilis pour une crmonie particulire : un pour chamaniser les accouches, le deuxime pour la gurison des malades, le dernier pour retrouver les hommes perdus dans la ,neige_ Le Seigneur de l'Arbre donna galement des rameaux tous les hom mes qui se trouvaient au sommet de l'Arbre. Mais, prenant figure humaine et sortant de l'Arbre jusqu' la poitrine, il ajouta: Il n'y a qu' une seule branche que je ne donne pas aux chamans, car je la garde pour le reste de. humains. Ils pourront .'en Caire des habitations et pourront aussi l'utiliser pour leurs besoins. Je suis l'Arbre qui donne la vie t ous les humain . > Serrant C ort la branche, le candid at tait prt reprendre .on vol quand il entendit de nouveau une voix hu maine lui rvlant les vertus mdicinale. des .ept plante. et lui donnant certaines instructions concernant l'art de cham aniser. emme. (ce q u'il fit, par Mais, ajouta la voix"jl devrait pouser trois C ailleurs, en pousant t'roi. orpheline. qu'il avait guries de la variole). Ensuite, il arriva prs d' une mer sans fin et trouva l des ar~res et sept pierres. Ce. dernires lui parlrent tour de rle. La premIre avait des dents comme les dents de l'ours et une cavit en forme de corbeille; elle lui rvla qu'elle tait la pierre de presse de la Terre: elle

les co nnattre et les gurir. Ell es lui ont probablement enseign chanter. a Il s'agit des anctres des nations, qui se trouvent entre les branches de l'Arbre du Monde, my the que nous rencontrerons aussi aill eurs (voir p. 220 sq). (4 ) Sur le symbolisme du tambour = Arbre du Monde, et sur les consquences qu'il comporte dans la technique chamanique, voir plus loin, p. 1014 sq.

i i C'est--dire qu'il apprit

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Le Chamanisme

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MALADIES ET RVES INITIATIQUES

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pesait de tout son poids sur les champs pour qu'ils ne soient pas emports par le vent. La deuxime servait fondre le fer. Il resta sept jours prs de ces pierres et apprit de la sorte quoi elles pouvaient
servir aux humains. Les deux guides, la souris et l'hermine, le conduisirent ensuite Sur une montagne haute et arrondie. Il aperut une ouverture devant lui et il ~~ntra dans un~ caverne trs lumineuse, couverte de glaces, et

candidat se retrouva sur la cime d'une montagne, et enfin se rveilla

dans la yourte, prs des siens. Maintenant, il peut chanter et chamaniser indfiniment, sans jamais se latiguer (1).
Nous avons reproduit ce rcit cause de
SOD

tonnante richesse

mythologique et religieuse. Si on avait mis le mme soin recueillir les confessions d'autres chamans sibriens, il est probable qu'on ne serait jamais rduit l'habituelle lormule : le candidat resta un certain nombre de jours dans l'inconscience, rva qu'il tait coup en morceaux par les esprits et port aux Cieux, etc. On voit que l'extase

au mlheu de laquelle Il y avait quelque chose qui ressemblait un leu.


Il remarqua deux femmes nues, mais couvertes de poils comme des ren~es (1). Il.obs,erva ensuite qu'aucun feu ne brlait, mais que la lumire venaIt d en haut, par une ouverture. Une des femmes lui annona qu'elle tait enceinte et donnerait naissance deux rennes:

l'unserait l'animal sacrificiel (2) des Dolganes et des Evenkes, l'autre celUI des Tavgy. Elle lui donna aussi un poil qui lui serait prcieux
lorsqu'il serait appel chamaniser pour les rennes. L'autre femme donna pareillement le jour deux rennes, symboles des animaux qui aideraient l'homme dans tous ses travaux et qui serviraient aussi sa nourriture. La caverne avait deux ouvertures, vers le Nord et vers ]e Sud .; par chacune d'eUes les femmes envoyrent un jeune renne pour

initiatique suit de trs prs certains thmes exemplaires: le novice rencontre plusieurs figures divines (la Dame des Eaux, Le Seigneur des Enfers , la Dame des Animaux) avant d'tre conduit par ses guides. animaux au Centre du Monde, sur le sommet de la Montagne CosmIque, o se trouve l'Arbre du Monde et le Seigneur Universel; il reoit de l'Arbre Cosmique et de la part du Seigneur lui-mme le bois pour se
construire un tambour; des tres semi-dmoniaques lui rvlent la nature et le traitement de toutes les maladies; enfin, d'autres tres dmoniaques lui coupent le corps en morceaux qu'ils cuisent et chan-

servIr aux gens de la lort (Dolganes et Evenkes). La deuxime


femme lui . donna, eUe aussi, un poil; lorsqu'il chamanise , il se dirige , en esprIt, vers cette caverne. Ensuite, le .candidat arriva dans un dsert et, une grande distance, aperut au lorn une montagne. Aprs trois jours de marche, il s'approcha, pntra par une ouverture et rencontra un homme nu travaillant avec 1!. ~ soumet. Sur le feu se trouvait une chaudire. grande comme la mOitI de la terre J. L'homme nu l'aperut et le saisit avec UDe norme tenaille. 4: Je suis mort 1J, eut le temps de penser le novice. L'homme lui coupa la tte, lui divisa le corps en petits morceaux et mit le tout

gent contre des organes meilleurs. Chacun de ces lments du rcit initiatique est cohrent et s'encadre dans un systme symbolique ou rituel bien connu de J'histoire de. religions. Sur chacun d'entre eux nous aurons revenir. L'ensemble constitue une variante bien articule du thme universel de la mort et de la rsurrection mystique du candidat par le truchement d'une
descente aux Enfers et d'une ascension au Ciel.
L'INITIATION CHEZ LES TONGOUSES, LES BOURIATES, ETC.

dans la chaudire. Il lui cuisit ainsi le corps pendant trois ans. Il y avait
aUSSI trOIS enclumes et l'homme nu forgea sa tte sur la troisime celle qui servait forger les meilleurs chamans. Il jeta ensuite la tt~ dans l'une des trois marmites qui se trouvaient l et dont l'eau tait la .plus Iroide. Il lui ~vla cette occasion que, l'orsqu'on est appel SOIgner quelqu'un, SI l'eau est trs chaude, il est inutile de chamaniser

Le mme schma initiatique se rencontre aussi chez d'autres peuples

sibriens. Le chaman tongouse Ivan Tcholko assure qu'un futu r


chaman doit tre malade, avoir le corps coup en morceaux et que

car l'homme est dj perdu; si l'eau est tide il est malade mais guremit ensemble et les recouvrit de chairs. Il les compta et lui r~la qu'il possdait trois pices en trop: il devrait donc se procurer trois costumes de chaman. Il lui forgea la tte et lui montra comment lire les lettres qui se trouvent dedans. Il lui changea les yeux et
c'est pour cela que, lorsqu'il chamanise, il ne voit pas avec ses yeux rira; l'eau froide est caractristique d'un hom'me sain. Le forgeron repcha ensuite ses os qui flottaient dans un fleuve les

charnels mais avec ces yeux mystiques. Il lui pera les oreilles, le rendant capable de comprendre le langage des plantes. Ensuite, le
(1) Ce sont des person!1i,Ocations ,de la Mr:e des Animaux, tre mythique qui joue un grand rOle dans les rehglOns ar<:tl~ues et Sibriennes. (2) C'est-dire qu'il serait laiss libre par le malade.

son sang doit tre bu par les mauvais esprits (saargi). Ceux-ci - qui sont en ralit les mes des chamans morts - lui jettent la tte dans une chaudire o on la lorge avec d'autres pices mtalliques qui leront ensuite partie de son costume rituel (2). Un autre cbaman tongouse raconte qu'il a t malade toute une anne. Pendant ce temps, il chantait pour se sentir mieux. Ses anctres-chamans sont venus et l'ont initi: ils l'ont perc de flches jusqu' ce qu'il et perdu connaissance et lt tomb terre; ils lui ont coup la chair, lui ont arrach les os et les ont compts; s'il lui en avait manqu, il n'aurait pas pu devenir chaman. Durant cette opration, il resta un t entier sans manger ni boire (Ksnofontov, Legendy, p. 103; Schamanengeschichten, p. 212-13).
(1) LBIITI SALO pense que le rOle jou par le ro~e ron est seco ndaire dans les lgendes samoyde~ et, sp ~CaJ e ment dans des affabulations ~m~ e cell e que nous venons de citer tralut une mfluence trangre (Del" Tod und d,e Wu!'del"gebul't, p . .13). En ertet, les rlations ent.re la mtallurgie e t le chamanisme sont beaucoup plus important.es dans la myt.hologie et les croyances bouriates. Voir plus loin, p. 866 sq. (2) KdNOFONTOV, utend". p. 102; Scltamanengelehiehten, p. 211.

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MALADIES ET n VES I N ITIATIQ UES

MALADI ES ET RtVE S INITIATIQ UES

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Bien que les Bouriates aient des crmonies publiques de conscration chamanique trs complexes, ils connaissent aussi les maladiesrves, de type initiatique. Ksnofontov rapporte les expriences de Michail Stepanov : celui-ci sait qu'avant de devenir chaman le candidat doit tre longtemps malade ; les mes des anctres-~hamans l'entourent alors, le torturent, le frappent, lui coupent le corps avec .un .couteau, etc. Durant cette opration, le futur chaman reste marum : sa face et ses mains sont bleues son cur bat peine (Ksnofontov, Legeruly, p. 101; Schamaneng;'chichten, p. 208). D ' a~rs un :utre chaman bouriate, Bulagat Buchatcheyev, les esprIts des ancetres portent l'me du candidat devant l' Assemble des Saaitans , dans le Ciel et c'est l qu'on l'inst.ruit. Aprs l'initiation on lui cuit les chai~ I?~ur.lui enseigner l'art de chamaniser. C'est pendant cette torture ImtIatlque que le chaman reste sept jours et sept ~uits comme mo~. A cette occasion les parents (sauf lei femmes) s approchent de lUI et chantent: Notre chaman ressuscite et il va nous aider l , Pendant que son corps est morcel et cuit par les anctres aucun tranger ne peut le toucher (ibid., p. 101; Schamanengeschicluen; p. 209-10). Les mmes expriences se retrouvent ailleurs (1). Une femme tloute est devenue chamane aprs avoir vu, en vision des hommes inconn~B lui co uper le, ~orp B en morceaux et le cuire da'ns une marmite (2). D aprs les tradItIOns des chamans altalques, les esprits des anctres leur mangent la chair, leur boivent le sang, leur ouvrent le ventre, etc. (3). Le baqa kirghi ze-kazak a ffirm e : , J 'ai dans le ciel cinq esprits qui me coupent avec 40 couteaux, me piquent avec 40 clous, etc. (4). , L'exprience extatique du morcellement du corps suivi d'un renouvellement des organes est connue aussi des Esquimaux. Ils parlent d'un animal (ours, cheval de mer, morse, etc.) qui blesse le candidat, le dpce ou le dvore; ensuite, une chair nouvelle croit autour de 8es os (L~htisalo: p. 20 sq.). Parfois, l'animal qui le torture devient l'esprit aUXIlIaIre meme du futur chaman (,bid., p. 21-22). D'habitude, ces cas de vocation spontane se manifest ent, sin on par une maladie du moins par un accident singulier (lutte avec un animal mario, chute sous la glace, etc.) qui blesse srieusement le futur chaman. Mais la plupart des chamans esquimaux cherchent eux-mmes l'initiation
(1 ), cr. H . FIND~IS~N , SC Mmanentum, d41'ge8tcllt am Beispicl du BCSCS8cntheiu_ pr,es/eT nortkuraslatuchu. Volker (Stuttgart, 1957) , p. 36 sq. (2) ~. P . DYRE,rn', o.wA. clto par V. 1. PROPP, Le radici storieM dei rauo nti di (ate (Tunn , 1.9~9; 1 .dltlon russe date de 1946), p. 154. Chez les Bhaiga et les Gond, 10 chaman primord ial demand e ses fils, ses frres et son disciple de (aire bou illir son corps dans un chaudron pend ant douze ans; cf. R. RAil MANN', Shamanistc and R e16tecl PMnomena in NOf'thun and Middle l ndia (in . Anthropos. LIV 1959 p . 681-760) , p. 72627. Voir d'autres exemples dans H . F INDEISEN, S;hama~entum:

extatique et, au cours de cette initiation, ils subissent maintes preuves, parfois bien proches du morcellement du chaman de Sibrie et d'Asie centrale. En l'occurrence, il s'agit d'une ex prience mystique de mort et rsurrection provoque par la contemplation de son propre squelette et sur laquelle nous aUons revenir tout l'heure. Pour l'instant, citons quelques expriences initiatiques parallles aux documents que nous venons de passer en revue.
L ' INITIATION DE S MAGI CIEN S AUSTRALIENS

Les premiers observateurs ont attest depuis longtemps que certaines initiations des medicine~men australiens comportent la mort rituelle et le renouvellement des organes du candidat, action accomplie soit par des esprits soit par les mes des morts. Ainsi, le colonel Collins (qui publiait ses impressions en 1798), rapporte que chez les trIhus de Port Jackson, on devenait medicine ~man si on dormait sur un tom~ beau . L'esprit du mort venait, le prenait par la gorge, l'ouvrait, lui prenait les viscres, les remplaait et la plaie se fermait d'elle-mme, (1). Les tudes rcentes ont pleinement confirm et complt ces informations. D'aprs les renseignements de Howitt, les Wotjoballuk pensent que c'est un tre surnaturel, Ngatya, qui consacre le medicine man: il lui ouvre le ventre et y insre les cristaux de roche qui con frent la puissance magique (2). Pour en faire un medicine-man, les Euahlayi procdent de la faon suivante: ils portent le jeune homme choisi dans un cimetire et le laissent l, li, pendant plusieurs nuits. Ds qu'il reste seul, nombre d'animaux (ont leur apparition, touchent et lchent le no phyte. Apparalt ensuite un homme avec un bton ; il lui enfonce le bton dans la tt e et dpose une pierre magique de la grosseur d'un citron dans la plaie. Surviennent alors les esprits qui entonnent des chansons magiques et initiatiques, pour l'instruire de cette faon dans l'art de gurir (3). Chez les;autochtones de Warhurton Ranges (Australie occidentale), l'initiation a lieu de la manire suivante : l'aspirant pntre dans une caverne et deux hros totmiques (le chat sauvage et l'meu) le tuent, lui ouvrent le corps, en retirent les organes qu'ils remplacent par des substances magiques. Ils enlvent aussi l'omoplate et le tibia, qu'ils schent, et, ava nt de les replacer, ils les farcissent des mmes substances. Durant cette preuve, l'aspirant est surveill par son mattre initiateur, qui maintient les (eux allums et contrle ses expriences extatiques (4).
(1) COLLIN S cit par A. W. HOWITT, The Native Tribe. of South-ElUe Au.tralia

p. 52 sq.

(3 ) A. V . AI'IO CRI N, Afaurialy po "hamanstvu u altajuv, p . 1.31 i LERTI S AL O Du Tod und die Wiedergdurt. p . 18. ' (4) W, R ADLOV, Probtn du YolksliUeratw' der tilrkischtn Stmme Sild-Sibirit118 V?1. IV (~ t-Pters~ouI1, 1870 ), p. 60.; id., A us Sibir:n . Lose Blul!1' aus dem Tagebuch eme. rel"enden Llngulsten, Il (Leipzig, 18 8~), p. 65; LEHTISALO, op . cit. , p . 18.

(London , 19(4), p. 405; voir aussi M. M:,-u ss, L'ori,ine de. pouoi,.. magiqlU' dan. ~, .ocitis australienn~. (19011; repubh dans H . H UBERT et M. MA USS, M ilanle. d'histoire des religions, 2' dition, Paris, 1929, p, 131-181). (2) A. W. H ~WITT, On Au.tralian M edicine Men. (1 J ournal. or th~ Royal Anth ro~ pologicallnsbtute., XVI, 188 7, p . 2358 ), p . ~8 ; ,d., The Nal"'~ T"be. of SouthEa, t Au,'ralia, p, ~04. K. LANCLOH PARKER, The Euahlayi Tribe (Lond res, 1905), p. 25-26. ( ~ A. P. ELK.IN, The Australian Aborigine" (Sydney~Londres. 1938), p. 223.

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MALADIES ET n:~VES INITIATIQUES

MALADIES ET RVES INITIATIQUES

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o Les Arunta con~~8Bent trois mthodes pour faire des medicine-men : 1 par ],8S ~runtarl.nta ou esprits.; 20 par les ETuncha (c'est-A-dire l~s esprIts des. ~ommes Eruncha des temps mythiques Alchera) ; 30 par d a~tres medlCtn~-men. Dans ]e premier C8S, le candidat s'approche d~ louvertur,e dune cav,ern,e. et 8'e~dort. Arrive un lruntarinia qui C Jette sur l~l une lance IDV1sible qm lui coupe la nuque, traverse la

langue en faIsant une large blessure et sort par la bouche . La langue du ca?dldat reste perfore par la suite; on peut facilement y mettre le petIt d?lgt. La deux:me lance lui coupe la tte et la victime succombe. L Iruntannta 1 em porte l'intrieur de la caverne, qu'on dit trs.prorond~ et o l'on suppose que les lruntarinia vivent dans une lumIre contmuelle et prs de sources fralches (en effet, c'est le paradis ~me des Ar,unta). Daos la caverne, l'esprit lui arrache les organes l~terne~ et lUI en remet d'autres, tout neufs. Le candidat revient A la vie ~als, pend.a~t quelque temps, se comporte comme un fou. Les esprIts Irun.ta.nnta - qui sont invisibles pour le reste des humains, sa~f les med,ne-men -le portent ensuite dans son village. L'tiquette lm mterdlt de pr~tlquer avant un an; si, entre-temps, l'ouverture faite d.ans la langue s est ferme, le candidat renonce car ses vertus magIques sont ce~ses avoir disparu. Durant cette priode il apprend de~ .autres medtctne-men les secrets du mtier, spcialement comment utlhser les morceaux de quartz (atnongara) (1) que les lruntarinia lui ont enfoncs dans le corps (2). La de~xime m~nire de faire un medicine-man ressemble sensiblement a la premIre, avec cette diffrence que les Eruncha au lieu d'emporter le candidat dans une caverne, l'entralnent avec ~ux sous la terre. Enfin, la troisime mthode comporte un long rituel dans un heu dsert .o le ca~d.ldat dOit souffrir, en silence, l'opration faite p~r deux VIeux medlCtne~men : ceux-ci lui frottent le corps avec des cristaux de roche de mamre corcher la peau, lui pressent des cristau~ sur le. cuir ?hevelu, lui percent un trou sous l'ongle de la main dr.Olte et lUI pratiquent u:De incision sur la langue. Finalement, on lui faIt sur le front un dessm nomm erunchilda, , la main du diable, Eruncha ~tant le mauvais esprit des Arunta. Sur le corps, on lui fait u~ autre deSSIn, avec en son centre une ligne noire reprse ntant l'Eruncha e~, autou~. d'elle, des lignes symbolisant, semble-t-il, les cristaux magIques qu Il porte dans son corps. Aprs cette initiation le candidat est sou.mis un rgime spcial comportant d'innombrable~ tabous (3). I1pallurkna.. un clbre magICIen de la tribu Unmatjera, raconta Spencer e~ Gille~ que . lorsqu'il devint medicine-man, un trs vieux docteur vmt un Jour lUI jeter quelques pierres atnongara (4) avec un
(1) Sur ces pierres magiques, voir plus bas, note 4. et .F. J. OILLBN, TM Native T,.ibe. o{ Central Australi6 (Londres 1899), p. 522 sq.; Id., TM Arurtta. A study o{ IJ SUme Age People (Londres t9' 7)' vol. Il, p. 39 1 sq. ' 4., (3) Th,!: Na~ve Tribe., p. 526 sq . ; TM A.runtIJ! II , p. 394 sq. (t,,) ~es pl~rres atnongara son t de petits crIstaux qu'un m.edicine-man est cens pouvOI r so rtir volon t de son corps, dans lequ el on croit qu'ils sont rpart's C' t la possession de ces pierr~s qui donne son pouvoir au medicine-man (SPB~~1Ul e: t OrLLZl'f, The Nortlul"n Tnbe. o{Central AWltralia (Londres, 1904), p. 480, note 1).
(2 ) B. SPENCER

lance-javelot. Quelques-unes de ,ces pier~es l'a,tteignirent la poitri~e, d'autres lui traversrent la tte d une oreille 1 autre et le turent. PUllS, le vieillard lui enleva tous les organes internes - l'intestin, le foie, le cur et les poumons - et le laissa tendu toute la nuit sur le sol. Il revint le lendemain, le regarda et, aprs avoir plac d'aut~es pierres atnongara l'intrieur de son corps, de ses bras et de ses Jambes, le couvrit de feuilles; puis il chanta au-dessus de son corps jusqu' ce que celui-ci se ft enfl. Ille munit ensuite d'organes neufs,. dposa en lui beaucoup d'autres pierres atMngara, et lUi tap?ta la tet.e,. ce qw le ranima et le fit sauLer sur ses pieds. Alors, le Vieux med/.Cme-man lui fit boire de l'eau et manger de la viande contenant des pierres atnongara. Lorsqu'il s'veilla, il ne savait pas o il tait: .Je .crois ~~e je suis pe rdul~, dit-il. Mais, ayant regard autour de lu~, Il ":It le ~lIeIl lard ses cts, qui lui dit: Non, tu n'es pas perdu: Je t 'al tu II y a longtemps. , I1pailurkna avait tout ouhli de lui:mme et de sa vie passe. Le vieillard le ramena enswte au camp eLIUl montra sa femme, sa lubra: il avait tout oubli d'elle. Son retour si curieux et son compor~ t ement trange firent comprendre tout de suite aux indignes qu'il tait devenu medicine-man (1). > Chez les Warramunga, l'initiation se fait par les esprits puntidir, qui sont les quivalents des lruntarinia des Arunta. Un medicine-man raconta Spencer et Gillen qu'il avait t poursuivi pendant deux jours par deux esprits qui se disaient tre son pre et son frr~ ~. La deuxime nuit, ces esprits s'approchrent de nouveau de lUI et le turent . Pendant qu'il gisait l, mort, ils lui ouvrirent le corps et en retirrent les organes qu' ils remplacrent, cependant, .par de nou: veaux ; finalement, ils dposrent dans son corps un petit. serpent qUI lui confra le pouvoir de medicine-man> (The Northem Trtbes, p. 484). Une exprience similaire a lieu l'occasion ~e la d~u~me initiation des Warramunga qui, d'aprs Spencer et GIlIen (,bid., p. 485), est encore plus mystrieuse. Les candidats doivent marcher ou rester debout continuellement jusqu' ce qu'ils s'effondrent extnus et inconscients. (C Alors on ouvre leurs flancs et, comme de coutume, on enlve leurs organes internes qu'on remplace par des nouveaux . On leur introduit un serpent dans la tte et on leur perce le nez avec un objet magique (kupitja) qui leur servira plus tard soigner les malades. Ces objets ont t faits dans les t emps mythIques Alchertnga par certains serpents trs puissants (ibid., p. 486) . Chez les Binbinga, les medtcme-men sont censs etre. c.onsacrs p~~ les esprits Mundadji et Munkaninji (pre et fils). Le magICIen KurkutJl raconta comment, pntrant un jour dans une caverne, ~. tr~uva ~e vieux Mundadji qui le saisit au cou et le tua. , MundadJlIUl ouvrIt le corps au niveau de la taille, lui enleva les org~nes ~ternes et, dp?sant les siens propres dans le corps de KurkutJI, y ajouta un certam nombre de pierres sacres. Quand tout cela fut fini, l'esprit plus jeun e, Munkaninji , s'approcha de lui et lui redonna la vie; il lui signi-

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MALADI ES ET RtVES I N I T I A TI QU~S

MALAD I ES E T R tVES I N ITI AT IQUES

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fia qu 'il tait maintenant medicine-man et lui montra comment arra chef des 08 et dlivrer les hommes victimes d'un mauvais 8ort. Aprs l'avoir fait monter jusq u'au ciel, Ble r am6 DQSU r terre, son cam p, o on le pleurait, les indignes croya nt qu 'il tait mort. Il demeu ra longtemps dans un tat de st upeur, mais il revint. petit petit lui-mme i les indignes comprirent alors qu'il tait devenu medicine-man. Lorsqu'il efTectue une opration magique, l'esprit Mu nkaninj i est cens se trouver prs de lui pour le surveiller saos, naturellement, tre vu par le vulgai re. Lorsqu'il arrache un 08 - opra tion ralise communment so us le couvert de la nuit - Kurkutji suce tout d'abord intensment l'end roit de l'estomac du patient et en enlve une certaine ait des pa.. es au-dessus d u corps, lui quantit de sang. Ensuite il C donne des coups de poing, le martle et le suce jusqu' ce que l'os en soit sorti, puis le jette t out de suite, avant que les assistants puissent s'en ape rcevoir, vers le lieu o Munkaninji est assis et d'o il surveille tout calmement. Alors Kurkutji raconte aux indignes qu'il doit aller demander Munkaninji la permission de fai re voir l'os; aprs l'avoir obtenue, il s'en va vers l'endroit o il en avait probablement dpos un a uparavant, et s'en retourne avec lui . (ibid., p. 487-88). Dans la t ribu Mara, la technique est pres que identique. Celui qui dsire devenir medicine-man allume un feu et brle de la graisse, at t irant de la sorte deu x esprits, Minungarra . Ceux-ci s'approchent et encouragent le candidat , en l'assurant qu'ils ne le tueront pas to ut fait . E n premier lieu, ils le rendent insensible et, comme d' habitude, ils lui C ont un e entaille dans le corps et lui retirent les organes qu'on remplace ensuite par ceux d' un des esprits, Puis, on lui redon ne la vie, on lui dit qu'il es t maintenant medicine- man , on lui montre comment extraire des os aux patients ou librer les hommes de sortilges ; il est ensuite transport au ciel. Finalemen t , on l'en C ait descendre et on le place tout prs du cam p, o .le t rouvent ses amis qui le pleuraie nt ... Parmi les pouvoirs que possde un medicineman de la tribu Mara, figure celui de grimper pendant la nui t, l'aide d' une co rde invisible au commun des mortels, jusqu' au ciel, o il peut s'entretenir avec les esprits sidraux. (ibid., p. 488 i sur d'autres aspects de l'initiation des medicine-men australiens, voir plus loin, p. 120 sq.) .

P AR ALL LES A USTRALIE -SIB RIE-AMRIQU E DU SU D, ETC.

duire dans le corps du candidat australien (1), cette pratique n'a qu' un e importance minime chez les Sibriens. En effet , comme nous l'avons vu ce n'est que rarement q u'on fait allusion des morceaux de fer et ~u tres obj ets mis fondre dans la mme chaudire o l'on a jet les os et les chairs du futur chaman. Une autre diffrence s pare la Sibrie de l' Australie : la plupart des chamans y sont , choisis par les esp rits et les dieux, tandis qu 'en Australie la carrire des .m edicine-men semble tre aussi bien le rsultat d'une q ut e volontaire de la part du candidat que celui d' une, lection . spontane par les esprits et les tres divins. . . . . . aut ajouter que les mthodes IDltlatlques des magID'autre part, il C ciens australiens ne se rd uisent pas aux types qu e nous avons C its (voir plus bas, p. 120 sq.). Bien que l'lment important d'une init iation semble tre le morcellement du corps et la substitution d'organes internes, il existe encore d'autres moyens de consacrer un medicine-man : en premier lieu l'exprience extatiq ue d' une asce nsion au Cie] incluant une instruction de la part des tres clestes. Parfois, l'initiation comporte tout la C ois le dpcement du candida t et son ascension au Ciel (nous venons de voir qu e c'est le cas chez les Binbinga et les Mara). Ailleurs, l'initiation se parfait au cours d' une descente mystique aux Enfers. Nous rencontrons galement t ous ces types d'initiation chez les chamans de Sibrie et . d'Asie ce~trale . Une symtrie pareille entre deux groupes de t echmques mys tIques, appartenant des populations archalques si loignes dans l'espace, n'est pas sans co nsquences sur la place qu'il convient d'accorder au chamanisme dans l' histoire g nrale des religions. De toute manire, cette analogie entre l'Australie et la Sibrie confirme sensiblement l'authenticit et l'anciennet des rites chamaniques d'initiation. L'importance de la caverne dans l'initiation du medicine-man australien renforce enco re ce so upon d'antiquit. Le rl e de la caverne dans les religions palolithiq ues semble avoir t asse z important (2). D'autre part, la cavern e et le labyrint he contiooent de remplir une fonction de premier ordre dans les rites d' initiation d'autres cultures archaques (co mme, p. ex., Malekula) i les deux sont , en efTet, des symboles co ncrets d' un passage vers .l'autre monde, d'une descente aux Enfers. D'aprs les premiers renseignements qu' on a eus sur les chamans Araucan du Chili, ceux-ci ralisaient leur initiation dans des cavernes souvent dcores de ttes d'animaux (3).
(1) Sur l'importance accorde par les m~dic in~-m~n aus~ralien s a~x cristaux de roche, voir plus bas, p. 122 sq. Ces cr5taux sont eens~ ~tre J~ts du. ~lel par les t tres Su prmes ou dtachs des trnes clestes de ces divlntts; 1Is parllClper.t par consquent la rorce magieoreligieuse ouranien ne, . , (2) Voir en der nier lieu O. R . L~v,:, l'he Gat~ of H orn. A study of tM r~h g l ott8 conu p ,ion. of lM Slo n ~ A 8~, and IM lr tn flu~nc~ upon ~urop~a n thought . (Lo,ndres, 1 ~4~) , spcialement p. 46 sq., 50 sq., 151 sq. ; J . MARINGER , Vor g~8ch lChlhcht R~h g l on ZuriCh et Cologne, 1956). p. 148 sq. Revista dei Inslituto de Antropologia \ 3) A. M t TI\A. UX, Le .hamanism~ araucan de la Universidad nacional de Tucuma n ., l , 10, T.ucum n, 1942!,P. 309-62), P.' 313. En Australie aussi il existe des cavernes peintes, malS elles &Ont utiliSes pour d autres

Comme nous venons de le voir, l'analogie entre les initiations des chama ns sibriens et celles des medicine-men australiens est assez troite. Dans un cas comme dans l'autre, le candidat sub it, de la part d'tres semi-divins ou d' anctres, une opration qui comprend le dpcement du corps et le renouvellemen t des organes internes et des os. Dans un cas comme dans l'autre, cette opration a lieu dans un t enfer . ou comporte une descente au x enfers. Quant aux morceaux de quar tz ou autres objets magiques que les esprits sont censs in tro-

Il

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MALADIES ET R:~VES INITIATIQUES


MALADIES ET atvE s INITIATIQUES

Ch~z le~ E8qu~aux de Smith Sound, l'aspirant doit s'approcher, de .nU1~., d une faJ a1~e caverne~se et marcher droit devant lui dans le
noIr. S il est prdestm devemr chaman il pntrera directement dans une caverne, smon il 8e cognera contre la roche. Ds qu'il est entr la caverne se ferme derrire lui et ne s'ouvre de nouveau que quelqu 1 temps apr~s. Le candidat doit profiter de cette rouverture pou~ sortIr ~lte , autrement, il rl~que de rester enferm pour toujours dans l~ f~lalse (1). Les cavernes Jouent aussi un rle important dans l'ini. ttatJOD.. des chamans nord-amricains; c'est l que les aspirants ont leurs reves et rencontrent leurs esprits auxiliaires (2). D'autre part, il importe de mettre ds maintenant en vidence les p.arallles qu'on peut trouver ailleurs la croyanco dans l'introduotlOn de crIstaux de roohe dans le corps du candidat par les esprits et les initiateur~. On rencontre cette croyance chez les Semang de Malaoca (3): Mats elle est un~ des caractristiques les plus marquantes du chamamsme sud-amrICaIn. (1 Le chaman Cabeno introduit dans la tte du novice des c.ristaux de roche qui lui rongent le cerveau et les yeux pour ~e substttuer ces organes et devenir sa , force, (4). Ailleurs, les crIstaux de roche symbolisent les esprits auxiliaires du ~haman (Mtraux, ibid ... p. 210). En gnral, pour les :ohamans de 1 AmrIque. du Sud tropIcale, la force magique est conortise en une substance mVIslbl~ gue les maUres passent aux novices, parfois de ho~che ho~che (,bid., p. 214) . Entre la substance magique, masse IDv,slble maIS tangIble, et les flches, pines, cristaux de roche dont le chaman est farci , il n'y a pas diffrence de nature. Ces objets matflah sent la force du chaman, laque lle, dans de nombreuses tribus, est conue sous l~ forme. ~Ius vague et tant soit peu abstraite d'une substance magl~ue , (,bid.,p. 215; of. Webster, Magic, p. 20 sq.). Ce tr.alt archal(~'ue qUi rehe le chamanisme sud-amricain la magie australienne est Important. Nous allons voir dans un instant qu'il n'est pas le seul (5) .
rit~. Au stade !lctuel de nos connaissances, il est mal ais de prciser si les cavernes p~mte8 de l'Afrique du Sud ont ser vi jad is pour des crmOnies d'initia tion chamamques; v. L EVY, The Gale of Horn , p. 38-39. (}lNA. L. KR.OEBRa, The Eskimo of Smith So und (Bulletin of the American Museum a a1ural Hlstory,. ~I.I, 1899, p. 303 sq.), p. 307. Le . motif des portes qui s'ouvrent .seule.ment pour les Imtl!J .e t ne restent ouvertes que peu de t emps es t assez frquent dans les lgendes chamanlques 13.1 au.tres ; voir plus loh , p. 371. WILLARD Z . PARK, Shamanlsm ,.n W estern North America, p. 27 sq. (3 P. SClIEBBSTA, $ Pygm, (Parls, 1940), p . 154 . Cf. aussi Ivor EVANS Schebesta t~e Sacerdo.Therapy of tk Semangs (i n . J ournal of the Royal Anth~pologicaJ n~t~tute ., L~, 1930, p. t15 -25), ~. 119 : le hala, le medicineman des Semang, traite 1 ~de des cristaux ~e quartz, qUI peuvent tre obtenus directement des Cenoy. Ces dern!ers sont des esprits clestes. Ils viven~ parfois aussi dans les crista ux et, dans ce C3JJ! ils sont a.ux ordres du hala; avec le~r a ide, le hala voit dans les crista ux le mal qui ~ml.~ le patien t et, d.u mme cour' il trouve le moyen de Je gurir. Remarquons 1 orlglO~ ~Ieste des ~rlStaux (Cenoi : elle nous indique dj la source des pouvoirs du med'c&ne-man. VOIr plus 1010 , p. 122. (4) A. MTRAUX, 3kamanisme che:: les Inditms d" l'Amrique du Sud tropicali1

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ET DU SUD,

DtP CEMENT I NITI AT I QUE EN AMtRIQUE DU NORD EN AFRIQUE ET EN INDONtSIE

En effet, aussi bien la vocation spontane que la qute initiatique impliquent, en Amrique du Sud comme en Australie ou en Sibrie, soit une maladie myst rieuse, soit un rituel plus ou moins symbolique de mort mystique, suggre parfois par un morcellement du corps et un renouvellement des organes. Chez les Arauoan, le cboix se manifeste gnralement par une maladie soudaine : la jeune personne tombe comme morte. et, quand ene retrouve ses forces, dclare qu'elle deviendra machi (1). Une fille de pcheurs raconta au P . Housse: Je ramassais des coquillages parmi les rcifs, quand je sentis comme un choc sur la poitrine, et une voix du dedans, trs nette, me dit: Fais-toi machil C'est ma volont l , En mme temps, de violentes douleurs d'entrailles me firent perdre la conscience. C'tait videmment le Ngenechen, le dominateur des hommes, qui descendait en moi . (Mtraux, Le shamanisme a-raucan, p. 316). En gnral, comme le remarque juste titre Mtraux, la mort symbolique du chaman est suggre par les vanouissements prolongs et par le sommeil lthargique du candidat (2). Les nophytes Yamana de la Terre de Feu sc frottent le visage jusqu' ce qu'apparaisse une deuxime et mme une troisime peau, la peau nouvelle &, visible seulement aux initis (3) . Chez les Bakairi, les Tupi-Imba et les Carabes, la mort, (par le suc de tabac) et la rsurrection, du candidat sont formellement attestes (4). Durant la fte de conscration du.chaman araucan, les maltres et les nophytes marchent pieds nus sur le feu sans se brler et sans que leurs vtements prennent feu. On les voyait aussi s'arracher le nez ou les yeux. L'initiateur faisait croire aux profanes qu'il s'arrachait la langue et les yeux pour les ohanger contre ceux de l'initi. Ille transperait aussi d'une baguette qui, entre par le ventre, lui sortait par l'chine sans efTusion de sang
Polynisieru et les Australiens en Amrique (~Anthropos" XX, t 925, p. 5t -54 rapprochements linguistiques entre P\ltagons et Australiens, p. 52) . Cf. aussi plus bas p. 120 sq. 1) A. IH TRAUX, Le shamansme araucan, p. 315. 2 )3~9MtTRAUX ' u ,hamani,m" lndi,n, ( "Am"iqU4 du Sud '''pi..""

(21

in

~.

216.

v. W. KOPP!!:Rs, Dit: Frace e"entuelli1,. aU",. KulturbeJehungen ::wischen Sada .h' und sdost-AU$tra!j~n (. Proceedings XXIII Inter. Congress of Americani:~' .a Ne" York, 1928, lb,d., New York, 1980, p. 678-686). cr. aUSli P. RIYU, Le. Melano:

(5) Sur le problme. des relations cultur~lIes en tre l'Australie et l'Amrique du Sud

3) M. GUSI NDF., Une cole d'hommes-mdecine CM:: les Yamanas de ~a Terre de Fe." Revue Ciba " no 60, aoOt 19'.1, p. 2159-2162), p. 2162: L'anC ienne peau dOIt isparaltre et faire place un o nouvelle couche dlicate et translucide. Si les premires semaines de frottement et de peinture l'ont enfin rendue appareille - du moins selon l'imagination et les hallucinations des yhamush (:c-lhomme-mdecine) expriments - les vicux initis n'prouven t plus a ucun doute l'gard des capacits du candidat. Ds ce moment, il doit redo ubler de zle et trotter I.oujours dlicatement ses joues jusqu' ce qu'unc troisime peau encore plus fine et dlicate survienne; elle est alors si sensible qu'on ne peut l'e mourer sans causer de violentes douleurs. Lorsgue l'lvo a n[lulement a tteint ce stade, l'instruction habituelle, telle que peul l'oftrlr Loima-Ykamush. est termine . (4 ) Ida L U BLINSI.I, De,. Medizinmann bti den Nruu,.,,61ke,.n SiJdame,.iktU (. Zeit Bchrirt fr Ethnologi e ., vol. 52-53, 1920-1921, p. 2a~-263). p. 2~8 sq.

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MALADIES ET Rt VES INITIATI QUES

MALADIES ET RtVES INITIATIQ UES

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ni douleur ( H osa l ~s , Historia general dei Regna de Chile , t. J, p. 168) . Les chamans Lobyeoivent en pleine poitrine une baguette qui pntre en eux comme une balle de fusil . (1). Des traits similaires sont attests dans le chama nisme nord-amricain. Les initiateurs Maidu placent les candidats dans une fo sse pleine de mdecine t) et les tuent avec une 41 mdecine-poison ; la suite de cette initia tion, les no phytes deviennent capables de tenir dans les mains, sans se Caire de mal, des pierres rougies au feu (2). L'initiation dans la socit chamanique 41 Ghost ceremony des Porno comporte la t orture, la mort et la rsurrection des nophytes ; ceux-ci gisent terre comme des cadavres et sont couverts de paille. Le mme rituel se rencontre cbez les Yuki, les Huchnom et les Miwok de la cte (3) . L'ensemble des crmonies initiatiques des chamans Porno de la cte porte le nom significatif de t aillade (4). Chez les River Patwin, l'as pirant la socit Kuksu est cens avoir l'ombilic transperc avec une lance et une fl che par Kuksu lui-mme i il trpasse et est ressuscit par un chama n (5). Les chamans Luiseno se tuent l' un l'autre avec des fl ches. Chez Jes Tlingit, la premire possession d'un candidat-chaman se manifeste par une transe qui le terrasse. Le nop hyte Menomini est. lapid> avec des objets magiques par l'initiateur; il est ensuite ressuscit (6). Inutile d'ajouter qu'un peu partout en Amrique du Nord les rites d'initiation des socits secrtes (chamaniques ou non) comportent le rituel de la mort et de la rsurrection du candidat (Loeb. op. cit., p. 266 sq.). Le mme symbolisme de la mort et de la rsurrection mystiques, sous la forme soit de maladies mystrieuses, soit de crmonies d'initiations chamaniques, se retrouve ailleurs. Chez les Soudanais des Monts Nub a, la premire conscration initiatique s'appelle tte " et l'on raco nte qu' on ouvre la tte du novice pour que l'esprit puisse entrer t (7) . Mais on co nnait aussi les initiations par voie de rves chamaniques ou d'accidents singuliers. Par exemple, un chaman eut, vers l'ge de 30 ans, une srie de rves significatifs: il rva d'un cheval rouge au ventre blanc, d'un lopard qui lui posait la patte sur l'paule, d'un serpent qui le mordit - et tous ces animaux jouent ~n rle important dans les rves chamaniques. P eu de temps aprs, il commena t out co up trembler, perdit conscience et se mit
(1) A. MiTuux, Le shamaniBme al'aucan, p. 9t 9-314.. Lors de l'initiation du chaman Warrau, on annonait sa mort . Ii grands cris; MiTRA UX, Le shamani.me chez le. Indiens de l'Amrique du Sud tl'opicale, p. 339. (2) E. W . GIHORD , Southern M aidu reli&ioUl ceremonie. (. American AnthropoIOfst., vol. 29, nO 3,. 1927, {> 2~4~257), p. 24". .. . . .. (3 E. M . Lo n, Tl'lbal In&tl alwn and Secl'er SocaetlU (Urnv. of Cahforma Publications in American Archaeology and Ethnology, XXV, 3, p. 249-88, Berkeley, '9291. p. 267. 4) Lon, op. cil., p. 268. 5) Lou, ibid., p. 269. 6) Constance Godda rd DU BOIS, The Religion of the Luiserl 0 In diant (Univ. oC alilornia Publ. iry A:llleric~n Archaeology a nd :Ethnology, VIlI, 1908), p. 81 ; SWANTON, The Thngl t / ndlafU fAn nual Report, Bur~au of American Ethnology, vol. 26, 1908 ), p. 466; Lou, op . Clt., p. 270-278. Cr. aussI plus bas, p. 254 sq. (7) S. F. N ADU, A S tudyof S hamanism in the Nub a MourHain., p. 28 .

prophtiser. C'tait le premier signe de l' lection " mais il attendit 12 ans avant d'tre consacr Kujur. Un autre chama n n'eut pas de rves mais, une nuit, sa cabane fut frappe de l ~ foudre et il . resta comme mort pendant deux j ou~s (Nadel, of' co'" p . 28;29) . .. Un sorcier amazulu raconte a ses amIS qu Il a rev qu une rIVIre l'emportait. Il rve de diffrentes choses. Son co rps est a ffaibli et il est hant de rves. Il rve de nombreuses choses et son rvell il dit ses amis: Mon corps est bris auj ourd' hui. J'ai rv que de nombreuses personnes taient en trai~ de me tu~r. J e me suis chapp, je ne sais trop comment. A mon rveil une partIe de mo~ corps prouvait des sensations difTrentes de l'autre. Mon corps n'taIt plus partout le mme (1) . Rve maladie ou crmonie d'initiation, l'lment central reste toujour~ le mme : mort et rs urrection symboliques du no phyte, com portant un morcellement du co rps excut so us diverses formes (dpcement, taillade, ouverture du ventre, etc.) . Dans les. exem ples qui vont suivre, la mise mort du candIdat par les maUres IDltlateurs est encore plus clairement indique. . . Voici la premire phase d'une initiatio n de medtcme-man Male~ kula (2) : Un Bwili de Lol-narong reut la visite du fils de sa sur qul lui dit : , - J e dsire que tu me donnes qu elque chose. , Le BWllt dit: , _ As-tu rempli les conditions ? - Oui, je les ai remplies. , Il dit encore: - N' as-tu pas co uch avec une femme? Le neveu rpond : ,_ Non. ' Le Bwili dit: . -C'est bien . lldit alors son neveu: _ Viens ici. Couche-toi sur cette feUlne. , Le leune homme se co ucha sur elle. Le Bwili se fit un couteau de b ambou. Il coupa le bras du jeune homme et le plaa sur deux feuilles. Il rit de, son neveu et celui-ci rpondit par un clat de m e. JI coupa alors 1 a utre bras et le plaa sur les feuilles auprs du premier .. JI revmt et les deux rI~ent. JI coupa un e jambe la hauteur de la C UIsse et 11 la plaa c~e des bras. Il revint et il rit ainsi qu e le jeune homme. 11 co up a alors 1 autre jambe et l'tendit auprs de la premire. Il revint et rit. Le neveu riait toujours. Enfin il trancha la tte et il la tmt devant lUI. Il rIt et la tte aussi riait. JI remit ensuite la tte sa place. JI reprIt les bras et les jambes qu' il avait enlevs et il les remit en place. , La Sut te de cette crmonie initiatique com prend la transformatIOn maglq~e du maltre et du disciple en poule, symbole bien con nu de la , PUISsance de voler . des chamans et des sorciers en gnral, et sur laq uelle nous aurons revenir. Selon une tradition des Papous Kiwai, une nuit, un homme fut tu par un aboro (esprit d1un mort) j ce dernier !ui r~tira to us les. os et les rem plaa par. des os d'O?oro. ,Lor8qu~ 1 esp ~~t le ~esSu sClta, l'homme tait pareIl aux esprIts, c est--dlre qu Il taIt devenu
(1 ) Canon C,uLAWAY, T~ l!eligio./U .S.ysm of tM AmaJulu (Natal , 1870), p. 259 sq., cilfar P. RADIN, lA religion prlmltl."e (tra4 fr., 19li1 ), p. 10li. . . (2) W . Lu UD, Malehula : Flyln g Tl'lcksters, GJwsts, Codl ~~ Epl.lep'l~C', p. 507. Nous utilisons la traduction de M TR AUX (P. R ADIN, La Reli gion prunil UJe , p. 99 sql

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MALADIE S ET ntvEs INITIATI QUES

MALADIES ET RVE S INITIATIQUES

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chaman. L'oboro lui donna un os avec lequel il pouvait appeler les esprits (1). Chez les Dayak de Borno, l'initiation du manang (chaman) comporte trois crmonies diffrentes, correspondant aux Lrois degrs du chamanisme dayak. Le premier degr, besudi (vocable qui signifi e, parat til, palper, toucher '), est aussi le plus lmentaire et s'ohtient moyennant trs peu d'argent. Le candidat gt, comme un malade, sur la vranda et les autres manang lui font des passes durant la nuit entire. On suppose qu'on lui enseigne de cette manire comment le futur chaman pourra dcouvrir les maladies et les remdes par la palpation du patient. (Il n'est pas exclu qu' cette occasion les vieux maUres introduisent la force It magique dans le corps du candidat sous la forme de petits cailloux ou d'autres objets.) La deuxime crmonie, beklili (. ouverture '), est plus complique et revt un caractre nettement chamanique. Aprs une nuit d'incantations, les vieux manang conduisent le nophyte dans une chambre isole par des rideaux . L, d'aprs ce qu'ils a ffirm ent, ils lui coupent la tte et lui enlvent le cerveau; aprs l'avoir lav, ils le remettent en place afin de donner a u candidat une intelligence limpide pour pouvoir pntrer les mystres des mauvais esprits et des maladies; ils lui insrent ensuite de l'or dans les yeux afin de lui donner une vue assez pntrante pour tre capable de voir l'me o qu'elle puisse se trouver gare et vagabonde; ils lui plantent des crochets dents au bout des doigts pour le rendre capahle de capturer l'me et de la tenir fortement; enfin, ils lui percent le cur d'une flche pour le rendre compatissant et plein de sympathie pour ceux qui sont malades et souffrent (2) . Bien entendu, la crmonie est symbolique; on lni met une noix de coco sur la t te et on la brise ensuite, etc. Il existe encore une troisime crmonie qui parfait l'initiation chamanique, et qui comprend un voyage extatique au Ciel sur une cheUe ritueUe. Nous reviendrons sur cette ultime crmonie dans un chapitre ultrieur (p. 113 sq.). Comme on le voit, on est en prsence d'une crmonie symbolisant la mort et la rs urrection du candidat. La substitution des viscres se fait d'une manire rituelle qui n'implique pas ncessairement l'exprience extatique du rve, de la maladie ou de la folie provisoire des candidats australiens ou sibriens. La justification qu'on donne du renouvellement des organes (confrer une meilleure vision, la tendresse de cur, etc.) trahit - si eUe est authentique - l'oubli du sens original du rite.
(1) G. LA NDT MA N, The Ki.wai PapuaTU of B ritish New Guinea (Londres, 1927),
(2) H. Ling ROTH TM Nati(le, o( Sarawak and B,.itish North Bonuo (Londres, 1896), l , p. 280-281, en citant les observations publies par l'Archdeacon J . P orham, dans le. Journal of the Straits Brandl of Asiatic Society J, 19, 1887. Cf. aussi L. NVUAI:, R eliriolU Rite. and ClUwm. o( tM [ban Dvalcs o( Sarawak (in. An .. thropos " l, 1906, p. 1.1-23, 165-8", 403-25/, p. 173 sq .; E.li. 00MB8, S~!(Itlntt!en Year. amon&, tlu Sea DlIak, o( Bomeo (Philade phia, 1911), p. 178 sq. ; et le mythe du dmembrement du chaman primordial chez les Nodora Gond, in V. ELW Il'I, Mye'" Df Middk 11lllia (Londrea, 19f,,9), p. 450.
~. 32S.

INITIATIONS DES CHAMANS ESQUIMAUX

Chez les Esquimaux Ammasilik, ce n'est pas le disciple. qui se prsente devant le vieux angakok (pluriel angakut) pour etre lmtl ; c'est le chaman luimme qui le choisit, ds l'ge le plus tendre (1). Celui-ci distingue parmi les garons (de 6 8 ans) ce.ux qu'il juge les mieux dous pour l'initiation, afin que la connaIssance, des ~lus hauts pouvoirs existants puisse tre ~onserve pour les genrat~ons futures , (Thalbitzer, The Heatken Pnests, p: .454) . .' Seules certa~nes mes spcialement doues, des rveurs, des VISIOnnaIres diSpositiOns hystriques, peuvent .tre choisis. Un vieil angakok trouve un lve et l'enseignement a lieu dans le plus profond mystre, lolO de la hutte, dans la montagne (2). L'angakok lui enseigne comment se retirer dans la solitude auprs d' une vieille tombe, au bord d'un lac, et, l, , sur une autre en attendant 1' vnement. ~ Alors frotter une pierre l'ours du lac ou du glacier de l'intrieur sortira, il dvorera toute la chair et fera de toi un squelette, et tu mourras. Mais tu retrouveras ta chair tu t e rveilleras et t es vtements voleront vers toi (3). Chez les' Esquimaux du Labrador, c'est le Grand Esprit lui-mme, Torngarsoak, qui apparat BOUS la forme d'un no~me ours blanc, et dvore l'aspirant (Weyer, op. cit., p. 429). Dans 1 ouest du Groenland, quand l'esprit apparat, le candidat reste mort trois jours (ibid.). U s'agit, bien entendu, d'une exprience extatique de ~ort et de rsurrection rituelles, pendant laquelle le garon perd conSCience pour quelque temps. Quant la rduction du disciple en squelette et son recouvrement ultrieur d'une nouvelle chair, c'est l une note spcifique de l'initiation esquimaude que nous retrouverons tout l'heure, en tudiant une autre technique mystique. Le nophyte frotte ses pierres l't entier, et ~me durant .plusieu~~ ?ts consc~tiCs, jusqu'au moment o il obtIent ses esprlt~ auxIhaIres (T~albltzer, The Heatlten Priests, p. 454; Weyer, op. e,t., p. 429) ; malS chaque saison il cherche un nouveau maUre pour largir ses expriences (car chaque angakok est spcialiste d'une certaine t echnique) et se constituer une troupe d'esprits (Thalbitzer, Les Mag,aens, p. 78). Pendant qu'il frotte les pierres, il est soumis diffrents tabous (4). Un angakok instruit 5 ou 6 disciples la fois (Thalbitzer, Les M ag'(1 ) W. THALBITZ ER , T iu Heathen p,.iest. o( E4!fe Gre~nl.a~ (angakUl) (XVI. Inter nationalen Amerikanisten-Kongresses, 1908, Vlenne-Lelpzlg, 1910, Il, p. f"ft7-4.64.), p. 4S2 sq. . d J. J. ' " (2) W. THALBtTZER, Les Magicuns esquimaux! ku!,s COncephOTU u monue, .ue ume et de la (lie (_ J ournal de la Socit des Amrlcamstes." N. S. , ~Xll,.ParlS, 1930, p. 13.106). p. 77. cr. aussi E. M. WEYER, Jr., The Eshmos: TheIl' En(llronflUnl and. Folkways (New Haven , 1932!o.p. 428. . . . (3) W. THALBITZ F,R , Les Maglcltns esqutmaux, p. 78 ; Id., The IleatMn Prlests, p. 454. (4) TIIALBITZER, T M H eathen Prults, p. 454. Partout dans le monde, et d~ ~uelque ordre qu'elle soit, l'initia tionincJut un certain nombre de tabous. Il serait:fasttdleux de rappeler l'norme morphologie de ces interdits qui sont, en somme, sans intrt direct pour nos recherches. Voir H. WBB STBR, Taboo . A .ociolotical.tudy, (Stanford, 1942), spcialement p. 213-76.

0,.

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MALADIE S ET RtVE S INITIATIQ UES

MALAD I ES E T R VES I N ITI ATI QUES

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ciens, p. 79) et il est pay pour leur instruction (id., The H eatken Priests, p . 454 ; Weyer, p. 433-434) (1). Chez les Esquimaux 19lulik, les choses semblent tre diffrentes. Quand un jeune homme ou une jeune femme dsirent devenir chamans, ils se prsentent avec un cadeau devant le matre qu'ils ont choisi et dclarent : J e viens chez toi parce que je dsire voir . Le soir mme, le chaman interroge ses esprits afin d'carter tous les obstacles . Le candidat et sa famille procdent ensuite la confession des pchs (infractions aux t abous, et c.) et , ce faisant, se purifient devant les esprits. La priode d'instruction n'est pas longue, surtout lorsqu'il s'agit des hommes. EUe peut mme ne pas dpasser cinq jours. Mais il est entendu que le candidat poursuivra sa prparation dans la solitude. L'instruction a lieu le matin, midi, le soir et pendant la nuit. Durant cette priode, le candidat mange trs peu et sa famille ne participe pas la chasse (2). L'initiation proprement dite dbute par une opration sur laquelle nous sommes assez mal renseigns. Des yeux, du cerveau et des entrailles du disciple, le vieil angakok extrait son me l), afin qu e les esprits connaissent ce qu'il y a de meilleur dans le futur chaman (Rasmussen, op. cit., p. 112). A la suite de cette . extraction de l'me., le candidat devient capable de retirer lui-mme l'esprit de son corps et d'entreprendre les grands voyages mystiques travers l'espace et les profondeurs de la mer (ibid. , p. 113). Il se peut que cette myst rieuse opration ressemble en quelque sorte aux t echniques des chamans australiens que nous avons tudies plus haut. En tout cas, l'extraction de l'me des entrailles camoufle mal un renouvellement des organes internes. Ensuite, le maUre lui procure l'angakoq, appel aussi qaumaneq, c'est--dire so n clair J) ou son illumination 1), car l'angakoq consiste .. en une lumire mystrieuse que le cha man sent soudainement dans son corps, l'intrieur de sa t te, au c ur mme du cerveau, un inexplicable phare, un feu lumineux, qui le rend capable de voir dans le noir, a u propre aussi bien qu'au figur, car maintenant il russit, m me les ye ux clos, voir travers les t nbres et apercevoir des choses et des vnements futurs cachs aux autres humains ; il peut de la sorte connat re aussi bien l'avenir que les secrets des autres (Rasmussen , op. cit. , p. 11 2) . Le candidat obtient cette lumire mystique aprs de longues heures

passes, assis sur un banc dans sa cab ane, invoquer les esp rits. Quand il en fait pour la premire fois l'expri ence, c'est (c comme s i la maiso n dans laquelle il se trouve s'levait t out co up ; il voit bien loin devant lui, t ravers les montag nes, exactement comme si la terre tait une grande plaine, et ses yeux touchent aux confins de la terre. Ri en n'est plus cach devant lui. No n seulement il est mme de voir trs loin , mais il peut galement dco uvrir les mes voles, qu'elles soient ga rd es, caches dans d'tranges rgions lointaines, ou qu'elles aient t em portes en haut ou en bas dans le pays des morts J) (ib id. , p. 113). Nous rencontrerons ici aussi cette exprience d'lvation et d'ascension, et mme de lvitation, qui caractrise le chamanisme sibrien mais qu'on retrouve ailleurs et qui peut tre considre comme un trait spcifique des techniques chamaniques en gnral. No us a urons l'occasion de reveni r plus d' une fois sur ces techniques ascensionnelles et sur leurs implicati ons religieuses. Pour l'instan t , not ons que l'exprience de la lumire intrieure qui dcide de la carrire du chaman iglulik est familire nombre de myst~que~ su~rieures. Pour. no.us borner quelques exemples, la lumire mtrleure ) (antar Jyottlt) dfinit, dans les Upanisbads, l'essence mme de l'tman (1). D~n s les t echniques yogiques, spcialement celles de t elles coles bouddhIqu es, la lumire diffremment colore indique la russite de certaines mdit ations (2). De mme, le Livre des morts tibtain acco rde un e grande importance la lu mire dans laquelle, semble-t-il, baigne l' me du mourant pendant l'ago nie et immdiatement aprs la mort : de laJermet avec laquelle on choisit la lumire immac ule dpend la destme post-mortem des humains (dlivra nce ou rincarnation) (3) . Enfini n'oublions pas le rle immense jou par la lumire intrieure dans la mystique et la t hologie chrtiennes (4). Tout ceci nous invite juger avec plus de comprhension les expriences des chamans esquimaux ; on a des raiso ns de croire que de t elles expriences mystiques ont t en qu elque so rte accessibles l'humanit archaque ds l'poq ue la plus recule.

LA CON T EM PLATIO N

D E SON PROP RE SQUELETTE

(1 ) Sur l'instruction des asp iran ts, voir aussi STE FA NSSON , T M M aclceruie E slcimo (<< Anthropological papers or the American Museum or Natural History li , X IV P t . l , 1914 ), p. 367 s~. ; F. BO AS, The Central Esleimo (<< Sixth allnual report of th~ Bureau or American Ethnolog.v li, 1884.85, Washington, 1888, p. 399 675), p. 591 sq. ; J . W. B IL BY, Among Un lenown Eslcimos (Lond res, 1923 ), p. 196 sq. (Iles BatTi n). Knud ~~S M ~ S SENt A crou A rc ti~ A~erica (New York et Londres, 1927 ), p. 82 S'I" rel~te 1 histOire d.u chaman IngJugarJ uk qUi , {len~a~t .s!l re ~raite initiatiq ue dans a sohlude, se sen taIt . un peu mor t li . Par la sUlte, tl mItla lUI-mm e sa bellesur en dchargeant sur elle une balle (dont il avait remplac le plomb par un e pierre). Un troisime cas d' in it i ati~ n fait mention d~ cinq jours passs dans J'cau glace, sans que les vtem ents du candidat russent mOUIlls. (2 ) Knud RA SMUSSBN , l ntelkctual Culture of the 19lulilc Eslcimos (Report on the FiCt h Thule Expeditio n 1921.1924, vol. V II, no l , Copenhague, 1929 ), p. 111 sq.

Qaumaneq est une facult mystique que le matre procure parfois au disciple de l' Esprit de la lune. Elle peut aussi tre obtenue direct ement par le disciple avec l'aide des esp rits des morts, de la Mre des Caribo us ou des ours (Rasmussen, op. cit., p. 113). Mais il s'agit t oujours d' une ex prience perso nnelle; ces tres mythiques ne so nt que les sources do nt le nophyte sait qu'il est en droit d'attendre la rvlation moyennant prpa ration.

(p~ris , 1?62 ), p. 27 sq . . 2 Voir M. E L IADE Le Yoga. l mmorlaltti et berLe (PariS, 1954. ), p. 198 sq. 3 W. Y. EV ANS.\VE NTZ (d. ), The Tibetan Boole of the Dead (Londres, 3e dition, 1957 ), p. 102 sq. (4) Ct. M. ELIA DE, M phistophls et l'androgyne, p. 73 sq .

1 1 Cf. M. EI_IADB , M phistophls et l 'a~rogyne

Le Chamanisme

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MALADIES ET RtVES I NIT IATI QUES

MALADIES ET RtVES INITIATIQUES

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Avant mme d'entreprendre l'acquisition d'un ou plusieurs esprits auxiliaires, qui sont comme les nouveaux organes mystiques de n'importe quel chaman, le nophyte esquimau doit subir avec succs

la Vie ce qu'elle eot en vrit : une illusion phmre en perptuelle transformation (voir plus bas, p. 339 sq.) .
Remarquons que de telles contemplations sont restes vivantes au sein mme de la mystique chrtienne, ce qui prouve encore une fois que les situations-limites obtenues par les premires prises de conscience de l'homme archaque restent inchangeables. Certes, une diffrence de contenu spare ces expriences religieuses, ainsi que nous le verrons propos de la rd uction l'tat de squelette en usage chez les moines bouddhistes de l'Asie Centrale. Mais, sous un certain angle, toutes ces expriences contemplatives s'quivalent : partout nous

une grande preuve initiatique. Cette exprience exige un long e!Tort d'ascse physique et de contemplation mentale ayant pour but l'obtention de la capaciM de se "oir soi-mime comme un squelette. Sur cet
exercice spirit.uel, les chamans questionns par Rasmussen ont donn des renseignements bien vagues, que l'illustre exp lorateur rsume comme suit: t Bien qu'aucun chaman ne puisse expliquer comment et pourquoi, il peut nanmoins, par la puissance que sa pense reoit

du surnaturel, dpouiller son corps de chair et de sang, de telle manire qu'il n'y reste que les os. Il doit alors nommer to utes les parties de son
corps, mentionner chaque 08 par son Dom; pour ce la , il ne doit pas utiliser le langage humain ordinaire, mais uniquement le langage

retrouvons la volont de dpasser la condition profane, individuelle,


et d'atteindre une perspective trans-temporelle; qu'il s'agisse d'une r-immersion dans la vie originaire afin d'obtenir un renouvellement

spirituel de tout son tre ou (comme dans la mystique bouddhiste et


le chamanisme esquimau) d'une dlivrance de l'illusion charnelle, le rsultat est le mme: retrouver en quelque sorte la source mme de la vie spirituelle, qui est tout la fois vrit, et vie .

spcial et sacr des chamans qu'il a appris de son instructeur. En se regardant ainsi, nu et compltement dlivr de la chair et du sang prissables et phmres, il se consacre lui-mme, toujours dans la langue sacre des chamans, sa grande tcbe, travers cette partie de son corps qui est destine rsister le plus longtemps l'action du soleil, du vent et du temps. (Rasmussen, op. cit. , p. 114). Cet important exercice mditatif, qui quivaut aussi une initiation (car l'octroi des esprits auxiliaires est rigoureusement li sa

INITIATIONS TRIBALES ET SOCITfs SECRTES

Nous avons remarqu plusieurs reprises l'essence initiatique de la t mort)) du candidat suivie de sa t: rsurrection t, sous quelque forme

russite), rappelle trangement les rves des cha mans sibriens, avec cette di !Trence que la rduction l't at de squelette y est une
opration remplie par les anctreschamaos ou par d'autres tres

mythiques, tandis que chez les Esquimaux il s'agit d' une opration mentale obtenue par une ascse et des e!Torts personnels de concentration. Ici comme l, les lments essentiels de cette vision mystique sont le dpouillement de la chair et le dnombrement et la dnomination des os. Le chaman esquimau obtient cette vision la suite

qu'elle se prsente : rve extatique, maladie, vnements insolites ou rituel proprement dit. En e!Tet, les crmonies qu'impliquent le passage d'une classe - d'ge une autre ou l'admission dans une socit secrte, quelconque prsupposent toujours une srie de
rites qui peuvent se rsumer dans la formule commode : mort et r-

surrection du candidat. Rappelons les plus usuels (1) : a) Priode de rclusion dans la brousse (symbole de l'au-del)
et existence larvaire, la manire des morts: interdictions imposes

d'une longue et dure prparation. Les chamans sibriens sont dans la plupart des cas choisis. et assistent passivement leur propre dpcement par des tres mythiques. Mais dans t ous ces cas, la rd uct ion au squelette marque un dpassement de la condition humaine profane et, partant, une dlivrance de celle-ci. Il reste ajouter que ce dpassement ne conduit pas toujours a ux
mmes consquences mystiques. Comme nous aurons l'occasion de le

aux candidats, drivant du fait qu'ils sont assimils aux dfunts


(un mort ne peut manger de certains mets ou ne peut se servir de

voir en tudiant le symbolisme du costume chamanique (voir p. 128 sq.), dans l'horizon spirituel des chasseurs et des pasteurs,
l'os reprsente la source m me de la vie, aussi bien de la vie humaine

ses doigts, et o.). b) Figure et corps passs la cendre ou certaines substances calcaires pour obtenir l'clat blafard des spectres; masq ues fun raires. c) Inhumation symbolique dans le temple ou la maison des ftiches. d) Descente symbolique aux enfers. e) Sommeil hypnotique ; boisson qui rend les candidats inconscients . () preuves difficiles : bastonnade, les pieds approchs du feu
pour les faire rtir, suspension en l'air, amp utation de doigts et autres cruauts diverses.
H. SCRURTZ, Alt.erskl(Usen und Miinnt:rbunl (Berlin 1902) H . WUSTIIR Primitive Secret Societies: a IItud.y in early polilie. and ,.eligi~n (Ne~ Y ork 1908 2' .6~ .,1932 ) ; A. Van G~N~ EP. 48 ris de.passpge (Paris, 1909) '; R. M. Lou: Tr ibal lnlf umons a11l S ecret SOCletU!1I (UIllV. of Cahfomla Publications IR Am erican Arehaeo. logy and Ethnology, vol. 25, 3, p. 249-288, Berkeley, 1929) . M. EL IADE Na i;sanu. my~,iqun (Paris, 1.9.59). Nous reviendrons sur ce problme d~n8 un volu';le en prpa. ratIOn, Mort et lnulahon .
ft )

que de la Grande Vie animale. Se rduire soi-mme l'tat de squelette quivaut une rintgration dans la matrice de cette Grande
Vie, c'estdire un renouvellement total, une renaissance mys tique. Par contre, dans certains types de mditation de l'Asie centrale, d'origine ou tout au moins de structure bouddh iste et tantrique,

cr.

la rduction l't at de squelette a une valeur plutt asctique et mtapbysique : anticiper l'uvre du temps, rduire, par la pense,

68

MAL AD I ES ET R ;;V ES I N ITI ATI QUES

MAl. ADIE S ET n : VES I N ITI ATIQ UES

69

Tous ces rit.uels et toutes ces pre uves ont pour but de faire oublier la vie passe. C'est pourquoi, en maint endroit, le candidat, rentr a u village aprs l'initiat.ion, fait sembla nt d'avoir perdu la mmoire; on doit nouveau lui enseigner marcher, manger, s'habiller. Les no phytes apprennent gnralement un e langue nouvelle et portent un nom nouveau. Pour le reste de la communaut, les candidats sont considrs, pendant leur sjour dans la brousse , comme morts et enterrs ou dvors par un monstre ou pa r un dieu et, quand ils rentrent au village, on les regarde comme des revenants. Morphologiquement, les preuves initia tiques du fuLur chaman sont solidaires de cette grande classe de rites de passage et de crmonies d'entre dans les socits secrtes. Il est parlois difficile de distinguer entre les rites d'initia tion tribale et ceux d' un e socit secrte (co mme c'est le cas en Nouvelle-Guine; cl. Loeb, Tribal 1nitiatio n, p. 254.), ou entre les rites d'admission dans une socit secrte et ceux d'ini tiation cha manique (spcialement en Amrique du No rd; Loeb, p. 269 sq.) . Il s'agit d'ailleurs, da ns to us ces cas, d' un e qute , des pouvoirs de la part du candidat. Il n'existe pas de rites initiatiques de passage d' un e classe d'ge une autre en Sibrie et en Asie centrale. Mais on aurait t ort d'accorder une importance trop grande ce fait et d'en dduire cer~ tain es consquences quant l'ventuelle origine des rites sibriens d' initiation chamanique car les deux gra nds groupes de rituels (initiation tribale - initiation chamanique) coexistent ailleurs : par exemple en Australie, en Ocanie, dans les deux Amriques. En Australie, les choses sem.blent mme tre assez claires : bien qu e tous les hommes soient censs tre initis pour obtenir le sta tut de membre du clan , il existe une nouvelle initiation rserve aux med.icine~ men. Cette dernire confre au candidat des pouvoirs autres que ceux octroys par l'initiation tribale. Elle est dj une ha ute spcialisation dans la manipulation du sacr. La grande diffrence qu'on remarque entre ces deux typ es d'initiation est l'importance capitale de l' exp ~ rience intrieure, extatique, dans le cas des aspirants la profession de m.ed ic ine~man. N'est pas medicine~ man; qui veut: la vocation est indispensable, et cette vocat ion se manifeste surtout par un e capacit singulire d'exp rience extatique. Nous aurons l'occasion de revenir sur cet aspect du chamanisme qui nous parai t caractristique et qui, en fin de compte, diffrencie le type de l'initia tion tribale ou de l'admission dans les socits secrtes d'une initia tion chamanique proprement dite. Remarquons enfin que le m ythe du renouvellement par le morcellement, la cuisson ou le feu a continu de hanter les humains mme en dehorS de l'hori zon spirituel du chamanisme. Mde r ussit raire assassiner P lias par ses propres filles en les convaincant qu'elle le ress uscitera et le rajeunira, comme elle l'a rait avec un blier (Appollodore, Bibliothque, l, IX, 27) . Et quand Tantale tue son fil s Plops et le sert au banquet des di eux, ce ux~ci le ressuscitent en le fa isant

bouillir da ns une marmite (Pinda re, Olymp., l , 26 (40) sq. ); il n'y manqu a que l'paule qu'avait, par inadvertan ce, mange Dmter (sur ce motif voir plus loin , p. 139 sq.). Le mythe du raj eunissement par le dmembrement et la cuisson s'est aussi transmis dans le folklore de la Sibri e, de l' Asie centrale et de l'Europe, le rl e du forgeron tant alors jou par J s us-Christ ou par certains saints (1).
(1) Voir Oskar DA II :.' ILAR uT, N al ul'sage fl (Leip zig, 1909-1( 12), vol. IL, p. 154 ; J . BO LTE c t POLlV" A. A nmerkullgefl :u !kn Kln der - und Ha u l'm iirchefl !kr BraMr Grimm (Leipzig, 1913-1930), vol. JlI, p. 198 , n. :1 ; S tith '1'1I 0:.l P SOl'\ , M otil-Jn tkx 01 Folk-Literature, vol. Il ( H c l ~ ink i, 1933), ~ . 294; . M. E D S MA N, 19nu di" inWl: le {eu com me moytm tk r a l eun,ss(!1~ nt et d' m/mortallt: contes , lgendes, mythes et rites (Lund, '1\)(,9), p. 30 sq. , 151 sq. EOSN A N utilise a ussi le riche article de C. MAR ST II A l'\ D En, Deux contes irlandais (Miscclla ny presenled to Kuno Meyer, Halle, 1912, p. 371-486), q ui a chappe nOL TE el PoLv u e t S. T l10 1dP so~.

.,

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANIQUES

71

CHAPITRE ]11

L'OBTENTION DES POUVOIRS COAMANIQUES

Nous avons vu qu'une des form es les plus courantes de l'lection futur chaman est la rencontre d'un tre divin ou semi-divin, qui apparat l~ Caveur d'un rve, d'une maladie ou de quelque autre CIrconstance, lUI rvle qu'il a t choisi . et l'incite suivre dornavant une nouvelle rgle de vie. Plus souvent, ce sont les mes des anctres chamans qui lui communiquent la nouveBe. On a mme suppos que l'lection chamanique avait des relations avec le culte des anctres. Mais, comme le remarque juste titre L. Sternberg (Divine Eleclwn, p. 4.7/1 sq.), les anctres ont d tre eux-mmes * choisis l'aube des temps, par un tre divin. Selon la tradition bouriat~ (Sternberg, p. 475), dans les temps anciens les cbamans tenaient leur utcha (le droit divin chamanique) directement des esprits clestes ce n'est que de DOS jours qu'ils le reoivent uniquement de leurs anct~es. Cette croyance s'encadre dans la conception gnrale de la dcadence des ~hamans, a tteste aussi bien dans les rgions arctiques que dans l'~sle centrale; d'aprs cette conception, les. premiers chamans volaIent rellement dans les nues sur leurs chevaux et opraient des miracles que leur( descendants actuels sont incapables de rpter (1).
d~ I~I
MYTHES SIBRIENS SUR L'ORIGINE DES CRAMANS

Certaines lgendes expliquent la dcadence actuelle des chamans par l'o~gueil du premier chaman , qui serait entr en concurrence avec DIeU. D'aprs la version des Bouriates, le premier chaman, KharaGyrgan, ayant dclar sa puissance illimite, Dieu voulut la mettre l'preuve; il prit l'me d'une jeune fille et l'enlerma dans une bouteille. Pour tre sr que l'me ne s'chapperait pas, Dieu boucha la bouteille du dOIgt. Le chaman s'envola dans les Cieux assis sur son tambourin ape.rut l:me de la) eune ?l1e P.t, pour la dlivrer, se transforma e~ araIgne J au~e et piqua Dieu au visage; celui-ci retira son doigt et l'me de la Jeune fille s'chappa. Furieux, Dieu limita la puissance
(1 ) Ct., entre autres, !tASMUSSBN, lnulctual Cultu,.e of the I glulik Eskimos, p. 131 ; MehI?ed Fuad KOPRUL OZAD8 , Influence du chamanisme tu,.co-mongol su,. Its o,.d,.e. my,tlq(U' nuuulmqns (d ans Mmoires de l'Institut de Turcologie de l'Universit de Stamboul., N. S., l , lstamboul, 1929), p. 17.

de KharaGyrgiin et par la suite les pouvoirs magiques des chamans diminurent sensiblement (1). D'aprs la tradition yakoute, le cc premier chaman .. dt enait une puissance extraordinaire et, par orgueil, refusa de ~econnaltr~ le Dieu suprme des Yakoutes. Le corps de ce ch",?an tait lorm dune masse de serpents. Dieu envoya le f~u pour le brul~r, malS un crapaud sortit des flammes; c'est de cet ammal que sont ISSUS les t dmons .. qui, leur tour, donnrent d' minents chamans et chamanes ~ux Yako uteB (2). Les Tongouses de Turukhan ont une lgende ddT rente : le t premier chaman s'est fait tout seul, par ses propres lorces et avec l'aide du diable. Il s'envola par le trou de la yourte et revint aprs quelque t emps accompagn de cyg~es (3). . Nous sommes ici en prsence d' une conceptlOn dualIste, relevant probablement d'influences iraniennes. Il n'est pas interdit de supposer non plus que cette classe de lgendes concerne plutt l'origine de!. .. chamans noirs It, rputs n'avoir de ~elation ,qu.'a.vec l'Enfer .&k Diable . Mais la majorit des mytnes sur l orlgme des chamans font intervenir directement l'J;;tre Suprme ou son reprsentant, l'Aigle, l'oiseau solaire. . , . Voici ce ql1:e raconten.t les Bo~riates : Au comm.encem~nt, Il, n ~XIS tait que les DlOUX (teng,,) l'OCCident et les MauvaiS Espflts 1 Orient. Les dieux crrent l'homme et celui-ci vcut heureusement Jusqu'au moment o les mauvais esprits rpandirent la maladie et la mort sur la terre. Les dieux dcidrent de donner un chaman l'humanit pour lutter contre la maladie et la mort, et ils envoyrent l'Aigle. Mais les hommes ne comprirent pas son langage ; d'ailleurs, ils n'a:aient pas confiance en un simple oiseau. L'Aigle retourna chez les dIeux et .les pria de lui donner le don de la parole, ou bien d'envoyer aux humalOs un chaman bouriate. Les dieux le renvoyrent avec l'ordre d'accorder le don de chamaniser la premire personne qu'il rencontrerait s ~r terre. De retour sur la terre, l'Aigle apert une femme endormIe prs d'un arbre et il eut commerce avec elle. Quelque temps aprs, la femme donna naissance un fils qUI devmt le premIer chaman )}. SU Ivant une autre variante, la Cemme, la suite de ses rapports avec l'Aigle, vit les esprits et devint ellemme chamane (4) .
V. M. MlIlHAI LOWSK I, Shamanlsm ,,~ Srberla, p. ~3; a utres v,arlantes. HARVA,
(1) S. SU ASlII.O V, Shamanstpo
p.

Sib ~,.ii (Sai~ t-P tersbourg, 1864) . p. 81: cit par

Die ,.eligiosen Vo,.sullun gM, p. 543-44. Le thme my thique du conflit .entre le chamj.nmagicien ell' Elre Suprme SEl retrouve galement ch e:,: les Andamanals et les Semang ; cf. R . PETTAZZO Nt, L onniscien:a di Dio (Turin, 1955) , p. 4.H sq. et 458 sq. 2) PRIP UZOV, cit par MIKIIAtLOW SKI, p. Gt". . .... . 3) P . J. 'fRETYAIt OV , Tu,.ukhansk ij K,.aj, ego. p,.,,.od'! 1 Jluh (SamtPtersbourg, \ 18'1), p. 210-211 ; MtKIIAILOWUI, p. 64 . Certl;llRS dtalls de ~s lgendes (le vol par

le t rou de la yourte, les cygnes, etc.) nous reltcn~ront pl.us 1010. . . (4) AOAPITOV et CUANOALOV" Mau".i.aly' dlya lZu~Mnul .hama~t~pa '"' Slbm. Sha1nt:llut'"'O u buryat /,.kuukol gubemu (in. h,ves tta Vostochno-Swlrskovo Otdela Russkovo Geograficheskovo Obshchestva J, X IV, 1-2, Irk~utsk, 1883, trad. et rsum da ns L. STlBDA, Da. Schamanenthum unU" den DurJa~, 1 ~~obus J, LIt, 16,188'], p. 25053), p. 41-42 ; MII.HAILOWS KI , p. 64.i. J-lARVA, Die reh,il5~en Vo,.,/el lun gen p. t,,65-'. 66. Voir une autre variante dans J. LURTlN, A J ourney ln Southern Siberi~ (l~ ndrcs, 1909 ), p. 105. Un mythe similaire est attest chez les Pondo d e l'Afrique.du Sud; cr. W. J . PERRY, The Primo,.dial vcean (Londres, 1935 ), p. 1ft31ft4.

74

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANIQUES

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANIQUE S

75

t rai des esprits qui t'aideront dans l'art de gurir j je t'apprendrai cet art et t'assisterai moi-mme. Les gens nous apporteront ]a nour1 riture. 1 Constern, je voulus lui rsister. Si tu ne veux pas m'obir,

l'ide de la transmission hrditaire des esprits (op. cit., p. 480). Il


rappelle plusieurs autres faits corroborant tous, d'aprs lui, son inter-

me dit-elle, tant pis pour toi. Jete tuerai. ,


c Elle ne cessa, depuis, de venir chez moi: je couche avec elle comme avec ma propre femme, mais nous n'avons pas d'enfants. Elle vit tout fait seuJe, sans parents, dans UDe cabane situe sur une mon-

tagne. Mais elle change souvent de domicile. Elle se prsente parlois


sous l'aspect d'une vieille femme ou d'un loup, aussi ne peut-on la regarder sans frayeur. D'autres fois, empruntant la forme d'un tigre ail, elle m'emporte pour me faire voir diverses rgions. J'ai vu des montagnes o ne vivent que des vieux et des vieilles, et des viJiages o il n'y a que des hommes et des femmes, tous jeunes : ils res -

prtation : une chamane, observe par Shirokogorov, prouvait des motions sexuelles pendant les preuves initiatiques ; la danse rituelle du chaman golde en train de nourrir son dyami (qui est:cense pntrer en lui pendant ce temps) aurait un sens sexuel; dans le folklore yakoute tudi par Trostschansky, il est toujours question de jeunes esprits clestes (les enlants du Soleil, de la Lune et des Pliades, etc.)
qui descendent sur terre et pousent des femmes mortelles, etc. Aucun

de ces laits ne nous parait dcisil : dans le cas de la chamane observe par Shirokogorov et du chaman golde, les motions sexuelles
sont nettement secondaires, sinon aberrantes, car de nombreuses autres observations ignorent entirement ces sortes de transes ro

semblent aux Goldes et en parlent le langage; il leur arrive parlois d'tre transforms en tigres (1). Actuellement, mon dyami vient chez
moi moins frquemment qu'auparavant. A l'poque o elle m'ins_ truisait, eBe venait toutes les nuits. Elle m'a donn trois assistants : le jarga (la panthre), le doonto (l'ours) et l'amba (le tigre). Ils me visi-

tiques. Quant au lolklore yakoute, il rend compte d'une croyance populaire gnrale qui ne rsout nullement le problme qui nous intresse, savoir: pourquoi, parmi une foule de sujets fi possds. par les

esprits-clestes, seuls quelques-uns: sont-ils appels devenir chamans? Ds lors, il ne semble pas que les relations sexuelles avec les

tent dans mes rves et lont leur apparition chaque fois que je les appelle lorsque je chamanise. Si l'un d'eux refuse de venir, Pdyami l'y oblige; mais on dit qu'il y en a quelques-uns qui rsistent mme ses injonctions. Quand je chamanise, je suis possd par l'dyami et

esprits lorment l'lment essentiel et dcisil de la vocation chamanique_ Mais Sternberg lait aussi tat d'inlormations indites sur les Yakoutes, les Bouriates et les Tloutes, inlormations d'un grand intrt en ellesmmes et sur lesquelles nous devrons nous arrter un moment. D' aprs son inlormatrice yakoute N. M. Sliepzova, les abass1j,

les esprits auxiliaires: ils me pntrent comme le lerait la lume ou l'humidit. Lorsque l'dyami est en moi, c'est elle qui parle par ma bouche et dirige tout. Et, de mme, quand je mange les sukdu (olTrandes) ou bois du sang de cochon (seul le chaman a le droit d'en boire, les profanes ne devant pas y touch er) , ce n'est pas moi qui mange et qui bois, c'est mon dyami seule ... , (2). Les lments sexuels jouent sans aucun doute un rle important dans cette autobiographie chamanique. Mais il y a lieu d'observer que l'dyami ne rend pas son poux. capable de cham aniser par le
seul fait qu'eUe entretient des rapports sexuels avec lui: c'est l'instruc-

garons ou fllles, pntrent dans le corps des jeunes gens de sexes


opposs, les endorment et font l'amour avec eux. Les jeunes gens

visits par des abassy ne s'approchent plus des jeunes filles et plusieurs d'entre eux restent clibataires pour le reste de leur vie. Si une abassy aime un homme mari, celui-ci devient impuissant avec sa femme. Tout ceci, conclut Sliepzova, arrive chez les Yakoutes en gnral; fortiori, la mme chose devrait se passer avec les chamans. Mais dans le cas de ces derniers, il est question aussi d'esprits d'un autre ordre . Les maltres et les maitresses des abassy du monde suprieur ou infrieur, crit Sliepzova, apparaissent dans les rves du chaman, mais ils n'entrent pas personnellement en relations sexuelles avec lui : c'est rserv leurs fils et leurs filles, (ibid., p. 482). Ce

tion secrte qu'elle parfait pendant de longues annes et les voyages extatiques dans l'au-del qui changent le rgime religieux de l'. poux>, le prparant petit petit sa lonction de chaman. Comme nous le
verrons dans un instant, n'importe qui peut avoir des rapports sexuels avec les femmes-esprits, sans acqurir pour cela les pouvoirs magicoreligieux des chamans. Sternberg estime, au contraire, que l'lment primaire du chama-

dtail est important et va contre l'hypothse de Sternberg sur l'origine rotique du chamanisme car la v ocation du chaman, d'aprs

le tmoignage mme de Sliepzova, est dcide par l'apparition des Esprits clestes ou inlernaux et non pas par l'motion sexuelle provoque par les abassy. Les rapports sexuels avec ces derniers suivent

nisme est l' motion sexuelle, laquelle se serait ajoute par la suite
(1 ) Tous ces renseignements sur les voyages extatiq ues sont trs importants. L' Esr.rit1Rs tructeur des jeunes cand idats l'initiatio n 8ppa ratt, dans l'Asie septentriona e et sud-orientale, sous la C orm e d'un ours ou d'un tigre. ParCois, le candidat est porl dans la jungle (symbole de l'au-del) sur le dos d'un tel animal-esprit. Les geM qui S8 transforment en tigres sont des initis ou des morts. (co qui, dans les mythes est partois la mme chose) . ' (2) L.. SUI\l'f;BBRG, DiCline Ele4:lion, p. "76 sq. On lira plus loio. {p. 329 sq.} quelques autobIOgraphies de chamans et chamanes saoras dont. le manage avec des esprits habitant le monde sou terrain constitue un parallle Crappant des documents recueillis par Sternberg.

la conscration du chaman par la vision extatique des Esprits.


D'ailleurs, comme Sliepzova le remarque elle-mme, les relations sexuelles des jeunes gens avec les esprits sont assez frquentes chez

les Yakoutes ; elles le sont galement chez un grand nombre d'autres


peuples, sans qu'on puisse affirmer pour cela qu'eUes consLituent l'exprience 'primaire gnratrice d'un phnomne religieux aussi complexe que le chamanisme. En lait, les abassy jouent un rle secon-

daire dans le chamanisme yakoute ; d'aprs les inlormations de Sliep-

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L'OBTENT ION DES P OUVO IR S CIf A MAN IQUES

L'O BT EN TI ON DES P OUVO IRS CHAl\I AN IQU ES

77

ZQva, si le chaman rve d'une abassy et de rap po rts sexuels avec elle, il sc rveille bien dispos, sr d'tre ap pel cn consultation le jour mme el sr aussi d'y russir ; si, au contraire, il vo it en rve l' abass1j pleine de sang et avalant l'me du malade , il sait que ce dernier ne v ivra pas et, s'il est appel le lendemain pour le soigner, il fail tout ce qu'il peut pour se drober. Enfin, s'il est appel sans avoir aucun rve, il est dconcert et ne sait que faire (ibid., p. 483) .

lieu cette occasion rappellent celles d'un mariage, car les possibil its de rjouissances collectives sont, on le sait, peu nombreuses. Mais le

rle de l'pouse cleste semble secondaire : il ne dpasse pas celui


d'inspiratrice et d'au xiliaire du chaman. Nous v errons que ce rle

doit tre interprt la lumire d'autres faits a ussi. Utilisant les matriaux de V. A. Anochin sur le chamanisme chez les Tloutes, St ernberg affirme (p. 487) que chaque chaman tlo ute a une pouse cleste qui habite le 7" Ciel. Durant son voyage extatique
vers lgan, le chaman rencontre sa femme et cell e.ciYinvite res L~r avec elle ; elle a, cette fin , prpar des mets exquIs: Mon man,

L 'LECTION CH EZ LES B OUR IATES ET

u :s

T L tOU TES

mon jeune kam (lui dit -elle), asseyons-nous la table bleue... Viens 1

SUI' le chamanisme des Bouriates, Sternberg dpend des inform ations


d'un de ses disciples, A. N. Mikhailor, bouriate luimme et ay ant

nous nous cacherons l' ombre du rideau - et nous ferons l'amo ur et nous nous amuserons 1.. . (ibid.). Elle l'assure que la route du Ciel

particip autrefois aux crmonies chamaniques (ibid., p. 485 sq.).


D'aprs lui , la carrire du chaman commence par un message de la parL d'un a n cLre~ch a m a n qui porLe ensuite son me au Ciel pour l'in sLruire. En ro uLe ils s'arrtent chez les dieux du Milieu du Monde,
chez Tekha Sbara Matzkala, la divinit de la da nse, de la fcondit et des

a t coupe. Mais le chaman refuse de la croire et raffirm e sa volont


de continuer l'ascension: Nous avancerons sur les tap ty (chelons de l'arbre chamanique) et ferons l'hommage la Lune 1. . (i bid., p. 488

richesses, qui vit avec les neuf filles de Solboni, le dieu de l'aurore.

Ce sont des divinits spcifiques des chamans et seuls les chamans


leur font des ofTrand es. L'me du jeune candidat entre en relations amoureuses avec les neuf pouses de Tekh a. Quand l'instruction c ha~ manique esL parfaite, l'me du chaman rencontre sa future pouse

_ allusion la halte que fait le chaman dans son voyage cleste pour vnrer la Lune et le Soleil). Il ne touchera aucun plat avant de revenir sur la terre. Il l'appelle son pouse chrie t, et l'pouse terrestre n'est pas digne de verser l' eau dans ses mains t (ibid.). Le chaman es~ ass i s t~
dans ses travaux non seulement par son pouse cleste, malS aUSSI par d'autres femmesesprits. Dans le 14 e Ciel se tr~uvent ~ es neuf

cleste dans le Ciel ; avec celle-ci aussi l'me du candidat a des


rapports sexuels. Deux ou trois ans aprs cette exprience extatique, a lieu la crmonie d'in iLiati on proprement dite, qui comporte une ascension au Ciel et qui est suivie de trois jours de fte d'un caractre assez licencieux . Avant cette crmonie, le candid at parcourt tous les villages vo isins et reo iL des cadeaux qui ont une signification

filles d'lgiln : ce sont elles qui accordent ses pouvOIrs magiques au chaman (avaler des charbons hrlants, etc.) . Quand un homme meurt,
elles descendent sur terre, prennent son me ct la portent dans les

Cieux.
De ces informations tloutes, plusieurs dtails sont retenir. L'pisode de J' pouse cleste du chaman qui invite son mari man~er

nup tiale. L'arbre qui sert l'initiation et qui est semblable celui
qu'on place aussi dans les maisons des jeunes maris, reprsenterait

rappelle le thme mythique bien connu du repas que les femmes-espnts


de l'au-del offrent tout mortel qui parvient dans leur domaine, afin de lui faire oublier la vie terrestre et de l' avoir pour touj ours en leur pouvoir: ceci est vrai aussi bien pour les semidesses que pour

la vie de l'pouse cleste, d'aprs Mikhailof, et la corde qui relie cet arb re (plant dans la yourte ) avec l'arbre du chaman (qui se trouve
dans la cour) serait l'emblme de l'union nup tiale du chaman avec sa femmeesprit. Touj ours d'aprs Mikhail of, le rite de l'initiation chamanique bouriate signifierai t le mariage du chaman avec sa fiance

les fes de l'au-del. Le dialogue que le chaman a avec son pouse


durant son ascension fait partie d'un scnario dramatique long et complexe sur lequel nous reviendrons, mais on ne peut.en a~~~n cas l'estimer essentiel' comme nous le v errons par la sUlte, 1 element essentiel de toute' ascension chamanique est le dialogue fin al avec dramatique assez vivant qui est, bien e~ten d u., capabl~ d mtresser l'assistance durant une sance qui, parfOIS, deVIent plutot monotone. Nanmo ins il garde encore sa porLe in itiatique entire : le fait que

cleste. E n efTet, Sternberg rappelle que pendant l'initiation on boit, on danse et on chan te exactement comme lors des mariages (i bid. , p. 487).
Tout ceci est peuttre vrai , mais n'explique pas le chamanisme bouriate. Nous avons vu que l'lection du chaman, chez les Bouriates comme partout ailleurs, imp1ique une exprience extatique assez

lgAn. Il doit tre considr, par consquent, comme u~ lment

com plexe, durant laq uelle le candidat est cens tre tortur, coup en
pices, mis mort pour ressusciter enfi n. C'est lLniquement cette mort et cette rsurrection initiatiques qui consacrent un chaman. L'instruction par les esprits et les vieux chamans comp lte, par la suite, cette premire conscration. L'initiation proprement dite - sur laquelle nous reviendrons dans le chapitre suivant - consiste dans le voyage triom-

le chaman ' ait une pouse cleste qui lui prpare ses repas dans le
7e Ciel et qui couche avec lui est enco~re une p~e u~e. qu'il participe, en quelque sorte, la condition des etre~ seml.d l'~'1nS, qu il . es~ u.n hros qui a connu la mort et la rs~ rrectlO n et qUI, de ce fait, JO UIt d'une deuxime existence dans les CIeux. Sternberg cite encore (i bid., p. 488) une lgende Uriankhai concer-

phal au Ciel. 11 est naturel que les rjouissances populaires qui ont

nant le premier chaman, B-Khn. Celui-ci aimait une fille cleste.

78

L'OBTENTION DES POUVOIRS CRAMANIQUES

L'OBTENTION DES POUVOIRS CUAMANIQ UES

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Dcouvrant qu'il tait mari, la fe les fit engloutir, sa femme et lui par la terre. Elle donna ensuite naissance un garon qu'elle aban: donna sous un bouleau o il fut nourri par sa sve. De cet enfant descend la race des chamans (Bo-Khll-nlikn). Le motif de l'pouse-fe qui quitte son mari mortel aprs lui avoir donn un fils est universellement rpandu. Les pripties de la recherche de la fe par son mari refltent parfois les scnarios d'initiation (ascension aux Cieux, descente aux Enfers, etc.) (1). La jalousie des fes l'gard des femmes terrestres est aussi un thme mythique et folkloflque assez frquent : les nymphes, les fes, les demi-desses, envient le bonheur des pouses terrestres et volent ou tuent leurs enfants (2). Elles sont regardes, par ailleurs, comme les mres, les pouses ou les ducatrices des hros, c'est--dire de ceux d'entre les
humains qui russissent dpasser la condition humaine et obtiennent sinon une immortalit divine, au moins un Bort privilgi post-mortem: Un nombre considrable de mythes et de lgendes attestent le rle essentiel jou par une fe, UDe nymphe ou une femme demi-divine dans les aventures des hros: c'est elle qui les instruit, les aide dans leurs preuves (qui sont souvent des preuves iuitiatiques) et leur rvle les moyens de s'emparer du symbole de l'immortalit ou de la longue vie (l'herbe merveilleuse, les pommes miraculeuses la fontaine de jouvence, etc.). Une importante section de la m~thologie de la Femme' est destine montrer que c'est toujours un tre fminin qui aide le Hros conqurir l'immortalit ou sortir vainqueur de ses preuves initiatiques. ~e ?-'est pas i~i le l!~u d'entamer la discussion de ce motif mythique, malS il est certam qu Il conserve des traces d'une mythologie matriarcale, tardive, o l'on identifie dj les signes de la raction, masculine , (hr~que) contre la toute-puissance de la femme (= mre)_ Dans certames varIantes, le rle de la fe dans la qute hroque de l'immortalit est presque ngligeable: ainsi, la nymphe Siduri, qui, dans les versIOns archaques de la lgende de Gilgamesh, le hros avait demand dlrectement l'immortalit, passe inaperue dans le texte classique. Parfois, bien qu'invit . participer la condition batifique de la femme semI-dIvme, et partant, son immortalit, le hros accepte contre cur cette batitude et s'elTorce de se librer le plus tt possible pour aller rejoindre sa femme terrestre et ses compagnons (le cas d'Ulysse et de la nymphe Calypso). L'amour d'une telle femme semi-divine devient plus un obstacle qu'un secours pour le hros. .
(1) L:pouse .du hros ma'lri Taw~aki, fe descendue du ciel, ne reste avec lui que Jusq!l la nrussance ~e son premier enfant, aprs quoi elle monte sur une cabane et d~sparatt . T~whakl s'Jn au ciel en grimpant sur un cep de vigne et russit, enSUite, revemr sur la terre (Sir George GUY, Polgnesian ftlythology, rimpression Auckland,192~, p. 42 sq.). Selon d'autres variantes, le hros alteinU e ciel en montant dans un co?otler. ou. sur une corde, un fil d'araigne, un cerf-volant. Dans les Iles HawaI, on dtt qu'il grimpe sur l' ~rc-en-ciel ; Tahiti, qu'il gravit une montagne leve ~~).'ntre sa femme en chemtn (cC. COADWICK., TM Crowth o( Literatuu, vol. ]11, f2) Cf. Stith Tao.uoN, Moti(-Irukz of Folk-Likrature, 'ToI. III, p. 4.4 Iq. (F 820 sq,).

LES FEMMES-ESPRITS PROTECTRICES DU CHAMAN

C'est dans un horizon mythique pareil qu'on doit intgrer les rapports des chamans avec leurs pouses clestes , : ce ne sont pas elles qw consacrent proprement parler le chaman, mais elles l'aident soit dans son instruction, soit dans son exprience extatique. Il est naturel que maintes fois l'intervention de l' t pouse cleste t dans l'exprience mystique du chaman soit accompagne d'motions sexuelles: toute exprience extatique est sujette de telles drivations et l'on connatt assez les relations troites entre l'amour mystique et l'amour charnel pour ne pas se mprendre sur le mcanisme de ce changement de niveau. D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que les lments rotiques prsents dans les rites chamaniques dpassent les rapports chama.n- pouse cleste . Chez les Koumandes de la rgion de Tomsk, le sacrifice du cheval comporte aussi une exhibition de masques et de phallus en hois ports par trois jeunes gens : ceux-ci galopent avec le phallus entre les jambes, < comme un talon >, et touchent les assistants. Le chant qu'on entonne cette occasion est nettement rotique (1). Chez les Tloutes, quand, pendant l'ascension de l'arbre, le chaman arrive sur la troisime tapty, les femmes, les jeunes fiUes et les enfants quittent la place et le chaman commence un chant oh scne qui ressemble celui des Koumandes; le hut en est la fortificatio~ sexuelle des hommes (Zelenin, op. cit., p. 91). Ce rite trouve des parallles ailleurs (Caucase, Chine ancienne, Amrique, etc. ; cr. Zelenio, p. 9~ sq.) et son sens est d'autant plus explicite qu'il s'intgre dans le sawfice du cheval, dont la fonction cosmologique (renouvellement du monde et de la vie) est bien connue (2). Pour en revenir au rle de l' pouse cleste ., il est remarquable que le chaman semble tre aussi bien aid qu'importun par son ayami, exactement comme dans les variantes tardives des mythes auxquels nous avons fait allusion. Tout en le protgeant, elle s'elTorce de le garder pour elle seule dans le 7' ciel et s'oppose la continuation
(1) Z~LEI'iIN, Ein .~rotischu Ritus in den Op{erungen du allaischen Tarken (<< Intern. AtChlV ftir EthnolOgie " vol_ 29, 1928, p. 83-98), p. 88-89. (2 ) Sur les lments sexuels dans l'a"amcdha et dans d'autres rites similaires v . P. DU.ONT, L'Ai"al1ledha (Paris, 1927 ), p. 276 sq.; W. KOPPER ! Pferdeopfu und P{~r~ekult du I ndQgermanen . ( Wiener Beitrl1ge zur Kulturgcschichte und LingU1Stlk ., 'fol.. IV, Salzbo,:,rg-Lelpr.ig, 1936, p. 279-411 ), p. 341. sq., 4.01 sq. A ce propos on pourrait signaler aussI un autre rite chamanique de fcondit' qui se ralise u~ niveau religieux tout difTrent. Les Yakoutes vnrent une desse de la fcondit et de la procration, Aisy t, qui rside fi l'est, dans la partie du Ciel o le soleil se lve en t. Ses ftes ont Ii e ~ le printe.mps et l't et so nt du ressort ~es :chamans spciau, appel~s chamans d t. (samgy) 011 chamans blancs J. Atsyt ost invoque pour o.btemr des enfants, sp~lalement des enrants mAles. Le chaman, chantant e t tambourl~ an t, ouvre la procession en ~te de neu f jeunes gens et jeunes filles vierges qui le sUivent ~n se tenant ~ar la maJll et en chantant en chur. Le chaman monte ainsi v ers le Ctel et y co nduIt les jeunes couples; mais les sorviteurs d'Aisyt se tiennent au portes, arms de fouets d'argent: ils repoussen t tous ceux qui sont corrompus mchants, dangereux; on n'y admet pas non plus ceux qui ont perdu trop lot leur inno~ can.ce . (SIE ROSUW S I.I, Du chanlanume d'ap re., le, t,!0yances de. YakoUle', p. 336-337). MaiS Atsyt est Ulle desse assez complexe; cf. O. R.HIK., Lapp Female Deit~8, p. 56 sq.

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L'OBTENTION DES P OUVO IRS CHAMANI QUES

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de son asce nsion cleste. Elle le tente aussi avec un repas cleste, ce qui pourrait avoir comme consquence d'arracher le chaman 8a femme terrestre et la socit des humains. Pour conclure, l'esprit protect eur (yami, etc.), conu aussi sous la (orme d' une pouse (ou d' un poux) cleste, joue, dans le chamanisme sibrien, un rle important mais non dcisif. L'lment dcisif ~st, nous l'avons vu, le drame initiatique de la mort et de la rsurrectiOn rituelles (maladie, dpcement, descente aux enfers, ascension aux cieux, etc.). Les rapports sexuels que le chaman est suppos avoir avec son dyami ne sont pas constitutifs de sa vocation extatique: d'une part, la possession sexuelle onirique par des esprits n'est pas limit.e aux chamans et, d'autre part, les lments sexuels prsents dans certaines crmonies chamaniques dbordent les rapports entre le chaman et son ayami et s'intgrent dans les rituels bien connus destins augmenter la lorce sexuelle de la communaut. La protection accorde au chaman sibrien par son ayami rappelle, on l'a vu, le rle dvolu a ux fes et aux demi-desses dans l'instruction et l'initiation des hros. Cette protection reflte indubitablement des conceptions matriarcales . La Grande Mre des Animaux - avec laquelle le chaman sibrien et arctique entretient les meilleurs rap ports - est une image encore plus nette du matriarcat archaque. On est lond croire que cette Grande Mre des Animaux s'est substitue un certain moment la fonction d' un f;tre Suprme ouranien, mais le problme dborde notre suj et (1). Retenons seulement que, de mme que la Grande Mre des Animaux accorde aux hommes -:- et spcialement aux chamans - le droit de chasser et de se nourrir des chairs des animaux, les esprits protecteurs femmes donnent aux chamans les esprits auxiliaires qui leur sont en quelque sorte indispensables pour leurs voyages extatiques.

LE RLE DES AMES DES MORTS

On a vu que la vocation du lutur chaman peut tre dclenche dans les rves, dans l'extase ou pendant une maladie - par la ren contre fortuite d'un tre semi-divin, d'une me d'anctre, d'un animal, ou encore la suite d' un vnement extraordinaire (foudre, accident mortel, etc.) . Gnralement, cette rencontre inaugure une damiliarit. entre le futur chaman et 1' . esprit qui a dcid de sa carrire; cette
(1) cr. A. GA ll S, Kop(-, Schiidel- und LanrknOChenoP(u bei R entiul'olkern .( F est. schrirt W. Sch midt, Vienne, 1928, p. 231-268, p. 241 (Sa moydes, etc.), 249 (J\ino us), 255 (Esqu imaux). cr. a ussi U. H OLMBERG (p us tard HARVA)., Ube,.. dte Jagd,..llen de,. nIj,.dlichen V6lke,. Asiens und Eu,.opas (. J ournal de la SoCit Fmno OugrlCnne " XLI, fasc. l , Helsinki 1926) ; loi. L OT.FALCK,. Les ri~s c!e. chcu,e che, .les peu.pk.. ,ibiens (Paris, 1953) ; B. DONl'fERJEA, Hunlln B. SupUShttons o( Amef'lcan Abo,.tgenet (, internationales Atchiv fr Ethnograp'hle .! 1934, vol. 32, p. 180 sq.); O. ZERRIES,)Yild- und D'l$c~Bei4le" in SdamUIka (Wiesbaden, 195if) . .La. ~~rc des Animaux. se renco n t re aussI dan!'l le Caucase, cf. A. DIRR, Der kaukculche H(dd. und J ar1dgoll (1 Anthropos " XX, 1905, p. 1 39-147), p. 146. Le domaine africain a t rcemment explor par H . DAUVANN, A(,.ihanuche Wild und DWlchgeiste,. (. Zeit.schri!t fr Ethnologie " LXX, 35, 1939, p. 208289).

familiarit nous arrtera plus loin. Pour l'instant, regardons de plus prs la part des Ames des morts dans le recrutement des futurs chamans. Comme nous l'avons vu, les mes des anctres prennent souvent en quelque sorte possession. d'un jeune homme et procdent son initiation. Toute rsistance est inutile. Ce phnomne de pr-lection est gnral dans l'Asie septentrionale et arctique (1). Une fois consacr par cett e premire possession . et par l'initiation qui s'ensuit, le chaman devient un rceptacle susceptible d'tre int.gr indfiniment par d'autres esprits aussi i mais ces derniers sont toujours des mes de chamans morts ou d'autres. esprits, qui ont servi des anciens chamans. Le clbre chaman yakoute Tspt racontait Sieroszewski : Un jour que j'errais dans les montagnes, l-bas, vers le nord, je m'arrtai auprs d'un monceau de bois pour cuire mon repas. J'y mis le feu ; or, un chaman tongouse tait enterr sous ce bcher. Son esprit s'empara de moi > (Du chamanisme, p. 314). C'est pour cela que, pendant les sances, Tspt prononait des mots tongo uses. Mais il recevait d'autres esprits aussi: Russes, Mongols, etc., et parlait leur langue (2). Le rle des mes des morts dans l'lection du futur chaman est aussi important a illeurs qu'en Sibrie. Nous examinerons tout l'heure leur fonr.tion dans le chamanisme nordamricain. Les Esquimaux, les Australiens, d'autres aussi, qui dsirent devenir medicine-men couchent auprs des tombes, et cette coutume a survcu jusque chez des peuples historiques (p. ex. chez les Celtes). En Amrique du Sud, l'initiation par les chamans dfunts, sans tre exclusive, est assez frquente. Les chamans Bororo, qu'ils appartie nnent la classe des aroettawaraare ou celle des bari, sont choisis par une me de mort ou un esprit_ Dans le cas des aroettawaraare la rvlation se produit ainsi : l'lu se promne dans la fort et voit soudain un oiseau se poser porte de sa main pour disparatre aussitt. Des voles de perroquets descendent vers lui et s'vanouissent comme par enchantement. Le futur chaman rentre chez lui pris de tremblements et prononant des paroles inintelligihles. De son corps mane une odeur de pourriture (3) et de r OUCOll. Soudain un coup de vent le rait t rbucher : il s'effondre comme mort. A ce moment il est devenu le rceptacle d'un esprit qui parle par sa bouche. A partir de cet instant il est un chaman (4) . Chez les Apinay, les chamans sont dsigns par l'me d'un parent qui les met en rapport avec les esprits; mais ce sont ces derniers qui leur transmettent la science et les t echniques chamaniques. Chez
(1 ) Bien entendu , le mme phnomne se rencontre. ailleurs. ~ez les Bat...'lk.de Su matra, par ex., le relus de devenir chaman aprs aVOir t. ChOISI . par les esprt Ls, cst suivi de la mort. Aucun Batak ne devient. chaman de sa propre volon t (E. M. LOEB, Sllmatl"a, Vienne, 1935, p. 81 ). . .. (2) Mmes croyances chez les Tongouses ~.t les Goldes; cf. HAR \'A! DI~ 1"~llgl Q8e n Vo,.stellungen, p . 463. Un charnai H ada, S Il est possd par un esprit Thnbl.t, parle la langue Uingit, bien qu'il l' ignore le reste du temps (J . R. SWANTON, Cit par H. Wn sTER, Magic, P.. 213). 3) Comme on le voit, Il est dj, rituellement, u!, mort ,.. . . 1 .'1) A. MTnA ux, Le shamanisme che, ka I ndien, de 1 Am,.'qtu du Sud t,.0plcale, p. 203. (Voir ci-dessous, p. 86 sq.).

Le Chamanisme

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L'OBTENTION DES PO UVOIRS CUAM AN I QVES

L'OBTENTION DE S PO UVOIRS CHAMANIQ UES

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d'autres tribus, on devient chaman aprs une exprience extatique spontane : par exemple aprs une vision de la plante Mars, et c. (Mtraux, ibid., p. 203). Chez les Campa et les Amahuaca, les candidats reoivent leur instruction d'un chaman vivant ou mort (ibid.). L'apprenti-chaman des Conibo de l'Ucayali tient sa science mdicale d'un esprit. Pour entrer en rapport avec ce dernier, le chaman boit une dcoction de tah ac et fume tant qu'il peut dans une hutte herm tiquement close, (ibid., p. 204) . Le candidat Cashinawa est instruit dans la brousse : les mes lui donnent les substances magiques ncessaires et les lui inoculent en outre dans le corps. Les chamans Yaruro sont instruits par leurs dieux, bien qu'ils apprennent la technique proprement dite des autres chamans. Mais ils ne se considrent pas capables de pratiquer avant d'avoir rencontr un esprit en rve (ibid., p. 204-5). Dans la tribu des Apapocuv-Guarani, on ne devient chaman que par la connaissance de chants magiques dont bn est instruit en rve par quelque parent dcd. (ibid. , p. 205). Mais, quelle qu'ait t J'origine de la rvlation, tous ces chamans pratiquent d'aprs les normes traditionnelles de leur tribu. C'est don c qu'ils se conforment des rgles et une technique qu'ils n'ont pu acqurir qu'en se mettant l'cole d'hommes expriments " conclut Mtraux (p. 205). Ce qui se vrifie pour tout autre chamanisme. Comme on le voit, si l'me du chaman mort joue un rle important dans l'closion de la vocation chamanique, elle ne fait pas autre chose que prparer le candidat des rvlations ultrieures. Les il.mes des chamans morts le mettent en rapport avec Jes esprits ou le portent au Ciel (cf. Sihrie, Alta, Australie, etc.). Ces premires expriences extatiques sont d'ailleurs suivies d' une instruction reue des vieux chamans (1). Chez les Selk'nam la vocati on spontane se dclare par l'attitude trange du jeune homme : il chante dans son sommeil, etc. (Gusinde, Die Selk' nam, p. 779) . Mais un tat pareil peut aussi tre obtenu volontairement : il s'agit seulement de voir les esprits (ibid., p. 781-82) . Voir les esprits . en rve ou l'tat de veille est le signe dcisif de la vocation chamanique, spontane ou volontaire car avoir des contacts avec les mes des morts signifie en quelque sorte tre mort soi-mme. C'est bien pourquoi, dans toute l'Amrique du Sud (2), le chaman doit mourir pour pouvoir rencontrer les mes des chamans et tre instruit par eHes, car les morts sa ve,n t tout (Lublinski, p. 250 ; c'est une croyance universelle qui explique la mantique par le commerce avec les morts). Comme on l'a dit, l'lection ou l'initiation chamaniques en Amrique du Sud gardent parfois le schma parfait d'une mort et d'une rsurrectionrituelles. Mais la mort peut tre suggre par d'autres moyens aussi: fatigu e extrme, tortures, jene, co ups, etc. Qua nd un jeune Jivaro
(1) Cf: M. GUI INDE, D~r Medizinma.nn hei,cn IJadanurikanucMn I ndianern, p. 293; ,d., Die Feuerland In dl anern. 1 : Die Selle nam, p. 782786, etc.; Mhu.uX', op. eit.,

so dcide devenir chaman , il cherche un maltre, lui paie ses h o no ~ raires et s'engage ensuite dans un rgime extrmement svre: pendant des jours, il ne touche aucune nourriture et prend des boisso ns narcotiques, spcialement du suc de tabac (qui, on le sait, joue un rle essentiel dans l'initiation des chamans sud-amricains). A la fin , un esprit, Pasuka, apparalt devant le candidat sous la forme d' un guerrier. Immdiatement, le matre commence frapper l'apprenti jusqu' ce qu'il tombe terre inconscient. Quant il se rveille, tout le corps lui fait mal : c'est la preuve que l'esprit a pris possession de lui ; en fait, les so uffrances, les intoxications et les coups qui ont provoqu l'vanouissement sont en quelque sorte assimils une mort rituelle (1) . Il rsulte de l que les mes des morts, quel qu'ait t leur rle dans le dclenchement de la vocation ou de l'initiation des futurs chamans, ne crent pas cette vocation par leur simple prsence (possession ou non), mais servent au candidat de moyen d' entrer en contact avec les tres divins ou semi-divins (par les voyages extatiques au Ciel et aux Enlers, etc.) ou rendent le futur chaman capahle de s'approprier les ralits sacres accessihles seulement aux dfunts. C'est ce qui a t trs bien mis en lumire par Marcel Mauss propos de l'octroi des pouvoirs magiques par la rvlation surnaturelle chez les sorciers australiens (cl. L'origine des pou"oirs magiques, p. 144 sq.). Ici aussi, le rle des morts se co nfond souvent avec celui des esprits purs . Qui plus est, mme quand c'est l'esprit du mort qui accorde directement la rvlation, celle-ci implique soit le rite initiatique de mise mort, suivi de la renaissance du candidat (v. le chapitre prcdent), soit les voyages extatiques au Ciel, thme chamanique par excellenoe o l'esprit-anctre remplit le rle de psychopompe; ce thme, par sa structure mme, exclut la possession J . Il semble bien que la principale fonction des morts dans l'octroi des pouvoirs chamaniques est moins de prendre possession du sujet que d'aider celui-ci se transformer en * mort . : on un mot, de l'aider devenir lui aussi esprit .

VOut

LES ESPRITS

Ce qui explique l'extrme importance de la . vision des esprits t dans toutes les varits d'initiations chamaniques, c'est qu e voir un esprit dans ses rves ou en tat de veille est un signe certain qu'on a obtenu en quelque sort e une t: co ndition spirituelle t, c'est--dire qu'on a dpass la co ndition humaine profan e. C'est pourquoi , chez les Mentawe i, la vision t (des esprits), qu'elle Boit obtenue spontanment ou par un effort volontaire, octroie instantanment le pouvoir magique (kerei) aux chamans (2). Les magiciens a ndama nais se retirent dans la jungle pour obtenir cette vision *; ceux qui n'ont eu que des rves
(1) M. W. S TIRLING, Jivaro Shamanism (. Proceedngs of the American Philoso phica1 Socie ty., vol. 72 , 1.':133, p. 1400 sq .) ; H . W USTU, Ma.t;e, p. 213. (2) E . M. Lou, Shaman and Seer (. Am erc8n Anthropologi~l " vol. 91, 1929, p. 60S91. p. 66 .

p. 206 sq.

cf. aussi le chapitre prcdent, p. 59.

(2) Cf. Ida

L UBLINSJU,

Der M edizinmann hei den Na tUi'96lkern Sdamerilra. p . 2409 .

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reoivent des pouvoirs magiques moins importants (1). Les dukun des Minangkabau de Sumatra parfont leur instruction dans la soli tude, sur une montagne; c'est l qu'ils apprennent devenir invisibles et russissent voir, la nuit, les mes des morts (2), ce qui veut dire qu'ils de" iennent des esprits, qu'ils sont des morts. Un chaman australien de la tribu des Yaralde (Lower Murray) dcrit admirablement les t erreurs initiatiques qui accompagnent la vision des esprits et des morts : Quand tu t'tendras pour avoir es seront horribles, mais Jes visions en question, et que tu les auras, eU ne crains point. Il m'est difficile de les dcrire, bien qu'elles soient dans mon esprit et mon miwi (force psychique), et encore que je pourrais en projeter l'exprience en toi aprs que tu aurais t bien prpar. , Cependant, certaines de ces visions sont des esprits mauvais, certaines sont pareilles des serpents, certaines sont semblables des chevaux ttes d'homme, et certaines encore sont des esprits d'hommes mauvais qui ressemblent des feux dvorants. Tu verras brler ton cam pement, monter les eaux de sang; il Y aura le tonnerre, les clairs et la pluie ; la terre tremblera, les collines s'branleront, les eaux tourbillonneront et les arbres qui se dresseront encore ploieront sous le vent. Ne crains point. Si tu te lves, tu ne verras pas ces scnes; mais si tu te recouches, tu les verras, moins que ta frayeur ne devienne trop grande. Si c'est le cas, cela rompra la toile (ou le fil) laquelle ces scnes sont suspendues. Il se peut que tu voies des morts marchant vers toi et que tu entendes Je c1iquetis de leurs os. Si tu entends et vois ces choses sans peur, tu ne craindras plus jamais rien. Ces morts ne t 'apparattront plus, car ton miwi sera devenu fort. Tu seras puissant alors, parce que tu auras vu ces morts. (Elkin, Aboriginal Men of High negree, p. 7071). En efTet, les medicinemen sont capables de voir les esprits des morts prs de leurs tombeaux, et il leur est Cacile de les capturer. Ces esprits deviennent alors leurs auxiliaires et, pendant la cure chamanique, les medicine-men les envoient de grandes distances rcuprer l'me vagabonde du malade qu'ils sont en train d9 soigner (Elkin, op. cil. , p. 117). Toujours chez les Mentawei, c un homme et une femme peuvent devenir voyants s'ils sont enlevs physiquement par les esprits. Selon l' histoire de Sitakigagailau, le jeune homme fut emport au ciel par les esprits du ciel o il reut un corps merveilleux semblable au leur. Il revint sur la terre o il devint voyant; les esprits du ciel l'aidaient dans ses cures ... Pour devenir voyants, jeunes gens et jeunes filles doivent subir un e maladie, avoir des rves et passer par une priode de folie passagre. La maladie et les rves sont envoys par les esprits du ciel ou de la jungle. Le rve ur s'imagine qu'il monte au ciel ou qu'il va dans les bois en qute de si nges ... (3) . Le matrea~~~:.' exemples (Dayaks maritimes, e1<:.) dan. l'arlie , de Lo , Shama. and,

voyant procde ensuite J'initiation du jeune hom me: ils vont. ensemble dans la fort pour cueillir des plantes magiques ; le maitre chante: Esprits du talisman, rvlez-vous. Clarifiez les yeux de ce garon pour qu'il puisse voir les esprits. En rentrant la maison avec son disciple, le maitre-voyant invoque les esprits: Laisse tes yeux devenir clairs, laisse tes yeux devenir clairs, pour qu e nous puissions voir nos pres et nos mres dans les cieux inCrieurs. Aprs cette invocation, c le maUre frotte J es yeux de son disciple avec les herbes. Pendant trois jours et trois nuits les deux hommes se tiennent l' un vis--vis de l'autre, chantant et sonnant leurs cloches. Ils ne prennent aucun repos jusqu' ce que les yeux de J' apprenti soient devenus clairvoyants. A la fin du troisime jour ils retournent dans la fort pour chercher de nouvelles herbes ... Si au septime jour le jeune homme voit les esprits des bois, la crmonie est termine. Autrement ces sept jours de crmonie doivent se rpter , (Loeb, ibid., p. 67 sq.). Toute cette longue et fatigante crmonie a pour but de transfor mer l'exprience extatique initiale et passagre de l'apprenti-magicien (l'exprience de l' c lection t) en une condition permanente: celle o l'on peut c voir les esprits ., c'est--dire participer leur nature spirituelle .

LES ESPRITS AUXILIAIRES

(i ) A. R. Ihow~ , TM Andaman l81anders (Cam brid~e , 1(22), p. 177 ;

cr.

qu el~ lI es

w,

2) E. M. LOEil, S umatra, p. 125. 3) Lon, Shaman a~ Seer, p. ?? sq. (Nous utiliso ns la traduction d'Alfred MTRA ux: aul RADIN, La religion pnnulwt, p. 101 sq.).

Ceci ressort plus clairement encore de l'examen des autres catgories d' esprits ., qui eux aussi jouent un rle, Boit dans l'initiation du chaman, soit dans le dclenchement de ses expriences extatiques. Nous disions plus haut qu' un rapport de familia rit s'tablissait entre le chaman et ses esprits . On les appelle d'ailleurs esprits famili ers, esprits auxiliaires ou esprits gardiens dans la littrature ethnologique. Mais il y a lieu de bien distinguer entre les esprits familiers proprement dits et une autre catgorie d'esprits, plus forts, qu'on appelle esprits protecteurs ; il faut de mme faire la diffrence entre ceux-ci et les tres divins ou semi-divins que les chamans voquent pendant les sances. Un chaman est un homme qui a des rapports concrets, immdiats avec les dieux et les esprits: iJ les voit race face , il leur parle, les prie, les implore - mais il ne contrle j qu'un nombre limit d'entre eux. N'importe quel dieu ou esprit invoqu pendant la sance chamanique n'est pas pour autant un (C familier ou un auxiliaire du chaman. Il invoque so uvent les grands dieux, comme c'est le cas chez les Altaques: avant d'entreprendre son voyage extatique le chaman invite Jajyk Kan (le Seigneur de la Mer), Kaira Kan, Bai Ulgan et ses filles, ainsi que d'autres figures mythiques (Radlov, Aas Sibirien, II , p. 30 sq.). Le chaman les invoqu e et les dieux, les demi-dieux et les esprits arrivent - tout comme les divinits vdiques descendent prs du prtre qua nd, pendant le sacrifice, il les invoque. Les chamans ont d'aiUeuTs des divinits qui leur sont spcifiques, inconnues du reste de la population, et auxquelles eux seuls offrent des

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L'OBTENTION DES PO UVO IRS CHAM..\NIQU ES

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANtQUES

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sacrifices. Mait tout ce panthon n'est pas la disposition du chaman comme le sont les esprits familiers, et les tres divins ou semi-divins qui aident le chaman ne doivent pas tre intgrs parmi ses esprits familiers, auxiliaires ou gardiens. Ces derniers jouent pourtant un rle considrable dans le chamanisme i on verra leurs fonctions de plus prs en tudiant les sances chamaniques. En attendant, prcisons que la plupart de ces esprits familiers et auxiliaires ont des (ormes animales. Ainsi, chez les Sibriens et les Altaques, ils peuvent apparattre sous la forme d'ours, de

loups, de cerfs, de livres, de toutes sortes d'oiseaux (spcialement


l'oie, l'aigle, le hibou, la corneille, etc.), de grands vers, mais aussi comme fantmes, esprits des bois, de la terre, du foyer, etc. Inutile de complter la liste (1) . Leur forme, leurs noms,leur nombre diffrent d'une rgion l'autre. D'aprs Karjalainen, le nombre des esprits auxiliaires d'un chaman vasIugan peut varier, mais ils sont gnrrue ment sept. En plus de ces familiers " le chaman jouit encore de la protection d'un. Esprit de la Tte, qui le dfend pendant ses voyages extatiques, d'un fi Esprit en forme d'ours,. qui l'accompagne dans ses descentes aux Enfers, d'un cheval gris sur lequel il monte aux Cieux, etc. En d'autres rgions, un seul esprit correspond cet appa reil d'esprits auxiliaires du chaman vasiugan : un ours chez les Ostyak septentrionaux, un messager qui apporte la rponse des esprits chez les Tremjugan et d'autres peuples encore; ce dernier rappelle les messagers, des es prits clestes (les oiseaux, etc.) (2). Les chamans les appellent de tous les coins du monde et ils arrivent, l'un aprs l'autre, et parlent par leurs voix (3). La diffrence entre un esprit familier forme d'animal et l'esprit protecteur proprement chamanique s'accuse assez clairement chez les Yakoutes. Les chamans ont chacun un i-kyla (. animal-mre .), sorte d'image mythique d'animal auxiliaire, qu'ils tiennent cach. Les faibles sont ceux qui ont pour i-kyla un chien; les plus puissants jouissent d' un taureau, d'un poulain, d'un aigle, d'un lan ou d'un ours brun; ceux qui possdent des loups, des ours ou des chiens, sont les plus mal lotis. L'amagiit est un tre compltement diffrent. Gnralement, il est l'me d'un chaman mort ou un esprit cleste mineur. e Le cbaman ne voit et n'entend que par son iimiigiit, m'enseignait Tspt ; je vois et j'entends une distance de trois nosleg, mais il y en a qui voient et qui entendent beaucoup plus loin , (4). On a vu qu'un chaman esquimau, aprs son illumination, doit se
4

(1 ) Voir, entre autres, NIORADZE, Schamanismus, p. 26 sq.; U. l.avA, Die relii6sen Vor31ellungen, p. 334 sq. ; OIiLMAau, S tudien, p. 170 sq. (qui donne une descnplion assez pousse, bien que prolixe, des esprits auxiliaires et de leur fonction dans les sances chamaniques) ; W. SCHM IDT , Der Ursprulig der GotU'$dee, vol. XII (Mnster 1955) , p. 669-80, 705-06, 709. ' K. F. K.A.IUALAINEN , Dle R~ligio n de,. Jug,.aViilker, vol. III, p. 282-283. 3 I bid., p. 311. Les esprits sont gnralement appels par le tambourin (ibid., p. 318). l,1 chamans peuvent don ner leurs esprits auxiliaires ft des collgues (i/lid., p. 282) Us peuvent mme les vendre (cher. les Jurak ct les Ost yak, par exemple; v. Mn~lIAI: OWSIU, S hamanism in Siberia , p. 137. 38)FI) SIEROSZllW SK I, Du chamanisme, p. 3h-313; cf. M. A. CUPL ICKA, Aboriginal Siberia (Oxford , 1914 ), p. 182, 219, etc.

procurer tout seul ses esprits auxiliaires. Ceuxci sont gnralement des animaux apparaissant sous forme humaine; ils viennent de leur propre volont si l'apprenti montre des mrites. Le renard, le hibou, l'ours, le chien, le requin et toutes sortes d'esprits des montagnes sont des auxiliaires puissants et efficaces (1). Chez les Esquimaux de l'Alaska, plus ses esprits auxiliaires sont nombreux, plus le chaman est fort. Dans le Groenland du Nord, un angakok a jusqu' 15 esprits auxiliaires (2). Rasmussen a recueilli de la bouche mme de quelques chamans l'histoire de l'obtention de leurs esprits. En recevant son IJ illumina tion ., le chaman Aua sentit, dans son corps et son cerveau, une lumire cleste qui manait en quelque sorte de son tre entier; bien qu'ina perue des humains, elle tait visible tous les esprits de la terre, du ciel et de la mer, et ceux ci vinrent lui et devinrent ses esprits auxi Haires. Mon premier esprit auxiliaire tait mon homonyme, une petite aua. Quand elle vint chez moi, ce fut comme si le toit de la maison s'tait soudainement so ulev et je sentis une telle puissance de vision que je voyais travers la maison, travers la terre et loin dans le ciel; c'tait ma petite aua qui m'avait apport cette lumire intrieure, voltigeant par-dessus moi pendant que je chantais. Ensuite, je la plaai dans un coin de la maison, invisible aux autres, mais toujours prte si j'avais besoin d'elle, (lntelleetual Culture orthe 19lulik Eskimo, p. 11 9). Un deuxime esprit, un requin, vint un jour qu'il tait en mer, dans son kayak; en nageant, il s'approcha de lui et l'appela par son nom . Aua invoque ses deux esprits auxiliaires par un chant monotone: 4: Joie, joie, - Joie, joie, - Je vois un petit esprit de la plage, - Une petite aua, - Je suis moi-mme une aua, - l'homologue de l'esprit, - Joie, joie... Il reprend ce chant jus qu'au moment o il clate en larmes; il sent alors en lui une joie illimite (ibid., p. 119-120). Comme on le voit, dans ce cas, l'exprience extatique de l'illumination est lie en quelque sorte l'apparition de l'esprit auxiliaire. Mais cette extase n'est pas dpourvue de terreur mystique: Rasmussen (op . cit., p. 121) insiste sur le sentiment de terreur inexplicable, qu'on ressent quand on est fi attaqu par un esprit auxiliaire!) ; il met cette crainte terrible en relation avec le pril mo rtel de l'initiation. Toutes les catgories de chamans ont d'ailleurs leurs esprits auxi liaires et protecteurs, ceux-ci pouvant diffrer co s i~rablement de nature et d'efficacit d'une catgorie l'autre. Le oyang "akun os sde un esprit familier qui lui vient en rve ou qu'il rI e un autre chaman (3) . Dans l'Amrique du Sud tropicale, les esprits gardiens
(1) RASMUS S EN, lntelkctuol Culture of tlfe 19lulik Eskimo, p. 113 i cf. aussi WUBl'l The Eskimos, p. 42 5-4 28. ' p} H . WEBSTSR, Magic, p. 231, r . 36. Les esprits se manifestent tous travers le chaman, en donnant li eu des bruits tranges, sons inintellillibles, etc. i cf. 'rUALHITZBR, TM Heathen Priesu, p. 460 .. Su.r les es~ri.ts auxiliaires des Lapons, voir MIKIIAILOW SKI, p. 149; ITlt ONEN, lieldnuCM RellglOn und .piiterer Aberglaube bei den finn3 ch~ n Lappen, . 1 52. (3) I vor H . N. Ev ' ,udie. in Relit:ion, Follelon and Ctuwnu in Brit6h North alav eninsu.la (Cambridpc, 1923), p. 264. Bornel) /ln r

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L'O DTENTION DE S POUVOIRS C HAM AN I QUES

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAJ\.f AN I QUES

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s'acquirent la fin de l'initiation: ils. pntrent t dans le chaman soit directement, soit sous la forme de cristaux de roche qui tombent dans sa sacoche ... Chez les Caribe du Barama chaq ue classe d'esprits avec IC3queis le chaman entre en rapport, est reprsente par des petits cailloux de nature difTrente. Le piai les insre dans sa sonnaille et ainsi peut les invoq uer son gr t (1) . En Amrique du Sud, comme partout ailleurs, les esprits auxiliaires peuvent tre de diffrentes sortes: mes d'anctres-chamans, esprits de plantes ou d'animaux. Chez les Bororo, on distingue les deux classes de chamans d'aprs les esprits dont ils reo ivent leur puissance: dmo ns de la nature ou mes de chamans dfunts - ou mes d' anctres (Mtraux, op. cil. , p. 211). .\!lais, dans ce cas, nous avo ns moins affaire des esprits auxiliaires qu'aux esprits protecteurs, bien que la diffrence entre ces catgories d'esprits ne soit pas toujours facile tracer. Les relations entre le magicien ou sorcier et ses esprits varient de celles du bienfaiteur avec son protg celles du serviteur vis-vis de son matre, mais elles sont to uj ours d'ordre intime (2). Les esprits reoivent rarement des sacrifices ou des prires, mais, s'ils sont lss, le magicien soutTre lui aussi (voir, p. ex., Webster, p. 232, n. 41). En Australie, en Amrique du Nord, ailleurs a ussi, les formes animales des esprits auxiliaires et protecteurs dominent i on pourrait les comparer en quelque sorte au c bush soul de l'Afrique occidentale et au nagllal de l'Amrique Centrale et du Mexique (3) . Ces esprits auxiliaires de forme animale jouent un rle important dans le prambule de la sance chamanique, c'est-dire dans la prparation du voyage extatique aux cieux ou aux enfers. Gnralement, leur prsence est rendue manifeste par l'imitation, par le chaman, des cris des animaux ou de leur comportement. Le chaman tongouse, qui a un serpent comme esprit auxiliaire, s'etTorce de mimer les mouvements d u reptile pendant la sance; un autre, parce qu' il a le tourbillon comme syr;n, se comporte en consquence (Harva, Die religiosen VorsteUllngen, p. 462) . Les chamans tchouktches et esquimaux se transforment en loups (4), les chamans lapo ns deviennent loups, ours, rennes, poissons (5), le hala sema ng peut se transformer
~

aU:Cl!lalrcs d'\ns la .sorcellerle europenne du moyen ge, cr. ~Margaret Alice MURR.\Y , Th e Cod of Ik !Vltche" (Londres, 193ft). p. 80 sq . ; O. L . KITTftEOGE Witchcraft i n Old and New En,land (Cambridge, Mass., 1929), p. 613, s. v . familia~.; S. Tuoyp_ SON, vol. III , p. 60 (F. 403), p. 215 (G. 225). (3) Cl. WEBSTER, o.P. cil., p. 215. Su r les esprits galdiens en Amrique du Nord, cr. FRAZER, T otemlsm and E:rofamy, III (Londres, 1910), p. 370t,,56; Ruth BE i'o EDICT, The co.ncepl of the Guardian Spirit in North Amuica (Memoirs of the American Anthropologlcal Association, no 29, t 923). Voir aussi plus loin, p. 93 sq., 2/j,t,. sq. (t,, ) W. O. BOCORAZ, TM ChukcMe (Memoirs of the American Museum of Nalural History, XI, Jesup North Pacific Expedition, VII, Leyde et New York, 1904) p. 437; K. RA SMUSSEN, l ntcllectual Culture of the Coppu Eskimos (in 1 Report oi the Firth Thule Expedition ., I X, Copenhague, 1932), p. 35. ' (5) LEIITISALO, Entwurf, p. t H, t59; ITJl ONEN, H eidnisch~ Religion, p. 116, 120 Bq.

( l'Amrjqu~ du SuA tropicak p. 210211. On se rappelle la sign ilication cles te des crislpux de rochl'l rlans la reH: ~ion aust.ra lienne ; celle signiOcalion est bien entendu t\bscu rcie dans le chamanisme suri -a mrica in actuel, ma is elle n'indique pas moins J'origine des pouvoirs cha ma niques. Voil ftuss i plus bas, p. 122 sq. (2) .':_.\V!O!'TER, Ma~ ;c . I? 2t~; d. aussi ibid., p. 39-4/1, 388391. Su r les espri ts

(1) A. M TRAUX, lA Bhamanisme CMZ les l mliens

en tigre (1), comme le halak des Sakai (2), comme l e~JWlOr-de Kelantan (3) . "-Eiaj)j5irence, cetLe imitation chamanique des gestes et des voix d'ani maux peuL passer pour une t: possession . Mais il seraiL peuttl'e plus exact de parler d'une prise en possession, par le chaman, de ses esprits auxiliaires: c'est lui qui se transforme en animal, de mme qu'il obtient un rsultat semblable en mettant un masque d'animal, ou, encore, on pourrait parler d'une nour;elle identit du chaman, qui devient an imal~ esprit, et t: parle " chante ou vole comme les animaux et les oiseaux. Le langage des animaux f n'est qu' une variante du c langage des esprits f, le langage secret chamanique sur lequel nous reviend rons dans un instant. No us voudrions auparavant attirer l'attention sur le point suivant : la prsence d'un esprit auxiliaire sous la form e d'un animal, le dialogue avec celuici dans une langue secrte ou l'incarnation par le chaman de cet esprit-animal (masques, gestes, danses, etc.) - sont encore des moyens de montrer que le chaman est capable d'abandon ner sa condition humaine, qu'il est capable, en un mot, de mourir ... Presque to us les animaux ont t conus, ds les temps les plus reculs, soit comme des psychopompes qui accompagnent les mes dans l'au-del, soit galement comme la nouvelle forme du dcd. Qu'il soit l' c anctre t ou le maUre de l'initiation., l'animal symbolise une liaison relle et directe avec l'au-del. Dans un nombre considrable de mythes et de lgendes du monde entier, le hros est transport dans l'au-del (4) par un animal. C'est toujours un animal qui porte le nophyte sur son dos vers la brousse (= l'Enfer), ou le tient dansJ?es mchoires, ou l' c engloutit pour le tuer et le ressusciter .. , etc. (5). Enfin, il faut tenir compte de la solidarit mystique entre l'homme et l' animal, qui constitue une note dominante de la religion des palo chasseurs. Du fait de cette solidarit, certains tres humai ns sont capables de se transformer en animaux, de comprendre leur lang ue ou de partager leur prescience et leurs pouvoirs occultes. Chaque fois qu' un chaman arrive participer au mode d'tre des animaux, il rtablit, en quelque sorte, la situation qui existait in illo tempore, dans les temps mythiques, lorsque la rupture entre l'homme et le monde animal n'tait pas encore consomme (voir plus loin, p. 93).
(1) Ivor EVANS, SCMbt8!a on the Sacu,wThuapy of the Semang (. J ourn al of the Royal Anlhropological Inst.i lule ., 1930, vol. 60, p. 11 5125), p. 120. (2) Ivor EVANS, Studiu in Religion ... p.210. Le tt". jour aprs la mo rt, l'.me se transforme en tigre (ibid., p. 211 ). (3) J . CUISIl'fUR, Danses mafiqlU8 tk K elantan, p" 38 sq. Nous avons a fla ire ici une croyance universellement rpandue. Pour 1 Europe ancienne el moderne, v. KITTREDCS, Witchcrafl, p. 174184; TII OMPSON, vol. JIl , p. 212-213; Lily ,"VEI S ER' AALL, Heu (in H andworterb uch d. tkutsch. Aberglauben, vol. III ) ; Arne RUNEBERC, WitcheS', Demo'lS and Fertility M agic: Analysi,. of TMir Signl(lCanct and Mutual RelatioM in Wut European FeUe Religion (Helsmgtors, 1947). p. 212213; cf. aussi le livre confus mais abondamment rlocument de Montague SUMMERS, Tlie Wuewolf (Londres, 1933) . (t,,) Ciel, enfer souterrain ou sous-marin, fort impntrable, montagne, lieu dsert, jungle, etc. etc. (5) cr. C. HE NTZE , Die Sak ralbronun und ihre Btdtutung in de n frh chineaiachen KulturM (Anvers, 191,,1), p. 46 sq., 67 sq., 71 sq. etc.

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L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAJUAN IQUES

L'O BTENTION DES POUVQIHS CIIAM .'-NI QUJ::S

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L'animal protecteur des chamans bouriates s'appelle khubilgan, terme qu'on peut in terprter comme, mtamorphose (de khubilkhu, se transformer,., prendre une autre forme ) (1). Autrement dIt, non seulement l'animal protecteur permet-il au chaman de se mtamorphoser, mais il est en quelque sorte son, do uble >, son alter ego (2) . Ce dernier est une des mes. d u chaman, l' me sous une forme animale. (Harva, Die religiosen Vorstellungen, p. 478), ou, plus exactement, l' me-vie (3). Les chamans s'affrontent sous form e d' animaux et, si son alter ego est tu dans le combat, le chaman ne tarde pas mourir lui aussi (4). On peut, par consquent, co nsidrer les esprits gardiens et auxiliaires, sans lesq uels aucune sance chamanique n'est possible, comme les signes authentiques des voyages extatiques du chaman dans l'audel (5). Ceci revient dire que les animaux-esp rits rejoignent le rle des mes des anctres : ceux-ci aussi portent le chaman dans l'au-del (Ciel, enfer), lui rvlent les mystres, l'instruisent, etc. Le rle de l'animal-esprit dans Jes rites d'initiation et dans les mythes et les lgendes concernant le voyage d'un hros dans l'au-del rejoint celui de l'me du mort dans la. possession. initiatique (chamanique) . Mais on voit bien que c'est le chaman qu,i devient le mort (o u l'an imalesprit, ou le dieu, etc.), pour pouvoir dmontrer sa capacit. relle d'ascension cleste ou de descente aux enfers. De cette mamre, on conoit la possibilit d'une explication commune de tous ces groupes de laits: il s'agit en quelque sorte de la rptition priodique (c'est-dire recommence chaque nouvelle sance) de la mort et de la rs urrection du chaman. L'extase n'est que l'exprience concrte de la mort rituelle ou, en d'autres termes, du dpasseroentde la condition humaine, profane. Et, comme nous le verrons, le chaman est capable d'obtenir
(1) Cf. U. HUVA (H oUBEnG), F'inno-U~l"ic [and) Sibel"ian (Mythology] (ill' My thology or Ail Races., Boston ct Londres, IV, 1927), p. 406, 506. (2) Sur les rapports en tre l'ani mal protecteur, te chaman et la Tiermutte~ 1 dll dan chez. les Evenkes, cf. A. F. ANISIMOV, P,-edstavlenija tvenkolJ 0 dU8,~ , p ,.oblema p,.okJwsIJdenija animis,,!.a (in. ~odovoyc ~~shchestvo I! Moscou, ~951, p. 109-118). p . 110 sq.; id., Samamklle dltch, po 1I0ss,.enllam e"enko (m 1 Sbornlk Muzeya Antropologii i Etnografli " X III , Moscou et Leningrad , 1 951, p. 187-215 ), p. 196 sq. ; voir aussi A. FRIEDRICH, Du Bewusstsein tne. NaW,."olkes "on Il altsha ~tnd V ,. 'pmng des Ltbens, (in . Paideu ma . , VI, 2, aoQt 1955, p. 47 -54), p. 4.8 sq.; Id. e t G. BUDDRUSS, Schamanengeschichten, p. MI sq. . (3) V. DIOSZBCt, K IJOP"osu 0 borbe shamano(' IJ obraze jivotnik, (in Acta orientaha hunll'arica', 11 , Budapest, 195 2, p. 303-16), p. 312 sq . (4.) Sur ce tlime, extrmemen t frquent dans les croyan~efl et le folklore chamaniques, cf. A. FRIBDRICH ct G. BUDDRu!S, Schamanengeschuhten, p. 160 sq. , 164 sq.; W . SCHMIDT, De,. Ul"Sp,.un g, vol. XII, p. 634 ; V. DIOSZEGI, A viask0.d6 w lwsbika s a samn llatala kil t'et/dke (La lutti! du tau,.eau mil"aculeu~ et l'dme IJltale du chaman susceptible de ,.tv~ ti,. la fo,.me d'un animal), (in. Ethnographia " LX I Il , 1952, p. 30857), passim ; id., K (Jop rosu 0 bo,.be, Qassn. Dans ce dernier R.rticl~, "auteur pens~ pouvoir p rciser qu' l'origine l'animal de combat des chamans .tait le ren~ e. ~~CI semble confirm par le fait que les de'lsins rupestres de Snymah Tas, en KirghIZIe, qui remo ntent aux deuxime et premit:>r millnaires avan t notre re, reprsentent des cham ans s'a fTron tant SOliS la forme de rennes ; cf. en particulier K vOP"osu, p. 308, n. et fig. 1. Sur le Ullos hongrois, cf. ibid., p. 306, et la bibliographie donne dans la note 19. (5) Pour Dominik SCHRODBR, com me ils habitent l'autre monde, les esprits protec. teurs assurent l'existence du chaman dans l'au-del; cf. Zu,. SI,.uktu,. du Schamanumw (in fi Anlhropos J, L, 1955, p. 849-81). p. 863 sq.

cette mort. par toutes sortes de moyens, des narcotiques et du tambour la (t possession. par des esprits.

LANGAGE

SECRET' -

* LANGAGE

DES ANI MA UX'

Au cours de l'initiation, le futur chaman doit apprendre le langage secret qu'i l utilisera pendant les sances pour communiquer avec les esprits et les esp rits-animaux. Cette langue secrte, il l'apprend soit d'un maUre, soit par ses propres moyens, c'est--dire directement des esprits.; les deux mthodes coexistent chez les Esquimaux, par exemple (1) . On a pu constater l'existence d'un langage secret spcifique chez les Lapons (2), les Ostyak, les Tchouktches, les Yakoutes, les Tongouses (3). Pendant sa transe, le chaman tongouse est sup pos comprendre le langage de la Nature entire (4). Le langage secret chamanique est trs labor chez les Esquimaux, o il est employ ~omme un moyen de communication entre les angakltt et leurs esprlts (5). Chaque chaman a son chant particulier qu'il entonne pour invoquer les esprits (6). Mme l o il n'est pas directement question d'un langage secret, on en distingue encore les traces dans les refrainS mcom~ prhensibles qu'on rpte pendant les sances, comme c'est Je cas, par exemple, chez les Altaques (7) . . . . Ce phnomne n'est pas exclusivement nord~aslatlque et arctIque: on le retrouve un peu partout. Pendant la sance, le hala des Pygmes Semang parle avec les Cheno (esprl !..Qksc el!. _dans.leurJangue ; ds qU'1 sort de la hatte cermomelle, il prtend avoir tout oubli (8). Chez les Mentawei le maitre initiateur souffie travers un bambou dans l'oreiUeTePapprenti, afin de le rendre capable d'entendre les voix des esprits (9) . Pendant les sances, le chaman batak utili.se la , langue des es prits, (Loeb;ofumatr,. e es c ants chamamques des DUFn jBorneo septentrional) sont en langage secret (10): Selon la tradl Ion Caribe , le premier piai (chaman) fut un homme qUi, entendant un chant s'lever d'une rivire, y plongea hardiment et n'en sortit qu'aprs avoir appris par cur le chant des femmes-esprits et avoir reu de celles~ ci les aocessoires de sa profession . (Mtraux, Le shamanisme ch.z les Indiens de l'Amrique du Sud tropicale, p. 210).

) Cf. RASMUSSEN, lntellectual Culture of the 19lulik Eski.mos, p. 114.. 2) Cf. Eliel LA. c&II.cRANT1., Die Ceheimsprachen de,. Lappen (1 J ou rnal de la Soc. inno-Ougrienne l , XLII , 2, 1928, p. 1.1~ ). . . (3) '1'. LEIITlSAI,O, Beobachtungen aber du Jodle,- (1 Journal d e la SoCit FmnoOugrienne . , XLV III, 19361937, 2, p. 1-34), p. 12 sq.

5) THALB ITZER, J'he H eathen PrieBu, p. 448, 1 p. 75' WEYER, The Eskimos, ]l . 43536.

4) LEHTISAI.O, 8eobachtungen, p. 13.

. . . . 45'* sq.; ,d., Les mag iciens esqu tm au~,

(6) R~SIrf USSBl'f, lnullectual Cultu,.e of the 1 glulik Eskimos, p. 111, 122. Voir les textes dans. la langue secrte. (ibid., p. 125, 131, etc.). (7) LEHTIULO , B eobachlUnge", p. 22. (8) SC HE 8!.STA, J~B Pygm~eB, p. 1 ~3 ; 1. ~VANS, Sehebesla on lM Sacerdo-Tlte,.apy of lhe Semang, p. 118 sq. ; ,d., Studle,. p. h6 sq., 160, etc. (9) LoES, Shaman and Seer. p. 71. (la) EVANS, Studies, p. 4. Cf. aussi L. ROTH. The Nati"e. of Sa,.awak, l, p. 270.

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L'OBTENTION DES POUVOIRS CH .-\MANJQUES

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANIQUES

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Trs souvent, cette langue secrte est en (ait le langage des animaux ou a comme origine l'imitation des cris des animaux. En Amrique du Sud, pendant la priode d'initiation , le nophyte est tenu d'apprendre imiter la voix des animaux (1). Mme chose en Amrique du Nord: chez les Porno et les Menomini, entre autres, les chamans imitent les chants des oiseaux (2). Durant les sances des Yakoutes, des Yukaghirs, des Tchouktches, des Golde" des Esquimaux et d'a utres encore, on entend des cris d 'animaux sauvages et d'oiseaux (3). Castagn nous prsente le baqa kirghiz-tatare courant autour de la tente, faisant des bonds, poussant des rugissements, sautant : il aboie ainsi qu 'un chien, flaire les assistants, beugle ainsi qu'un buf, mugit, crie, ble comme un agneau, grogne ainsi qu'un porc, hennit, roucouJe, imitant avec une prcision remarquable les cris des animaux, les chants des oiseaux, le bruit de leur vol, etc., ce qui ne manque pas d'impressionner les assistants. (Magie el exorcisme, p. 93). La descente des esprits. se produit souvent de cetle manire. Chez les Indiens de Guyane, le silence est soudainement interrompu par une explosion de cris bizarres, mais rellement terribles; ce sont des mugissements, des hurlements qui emplissent la hutte et en lont vibrer les parois. Cette clameur s'lve comme un mugissement rythmique qui devient progressivement un grognement sourd et lointain pour rebondir de nouveau' (4). C'est la prsence des esprits qui est annonce par de tels cris, exactement comme elle est proclame aussi par des comportements animalesques (voir plus haut, p. 86). Quantit de mots utiliss pendant la sance ont comme origine des cris d'oiseaux et d'autres animaux (Lehti,alo, Beobachtungen, p. 25). Comme l'a remarqu Lehti,alo (ibid., p. 26), le chaman tombe en extase en utilisant son tambour et le Jodler " et les textes magiques sont partout chant,. Magie. eL chant, - spcialement le chant la manire de, oi,eaux s'expriment frquemment par le mme terme. Le vocable germanique pour la formule magique est galdr, driv du verbe galan, chanter ., terme qu'on applique spcialement aux cris des oiseaux (5). Apprendre le langage des animaux, en premier lieu celui des oiseaux, quivaut partout dans le monde connaltre les secrets de la Nature et, partant, tre capable de prophtiser (6). Le langage de, oiseaux s'apprend gnralement en mangeant du serpent ou d'un autre ani2 1

mal rput magique (1). Ces animaux peuvent rvler les socrets de l'avenir parce qu'ils sont conus comme les rceptacles des mes des morts ou les piphanies des dieux_ Apprendre leur langage, imiter leur voix, quivaut pouvoir communiquer avec l'au-del et avec les Cieux. Nous retrouverons la mme identification avec un animal, spcialement avec l'oiseau, quand nous parlerons du costume des chamans et du vol magique. Les oiseaux sont psychopompes. Devenir soi-mme un oiseau ou tre accompagn par un oiseau indique la capacit d'entreprendre, tant encore en vie, le voyage extatique dans le Ciel et l'au-del. Imiter la voix des animaux, utiliser ce langage secret pendant la sance, est encore un signe que le chaman peut circuler librement entre les trois zones cosmiques: Enfer, Terre, Ciel, ce qui revi ent dire qu 'il peut pntrer impunment l o ,eul, les morts ou les dieux ont accs. Incorporer un animal pendant la sance est, comme nous l'avons vu propos des morts, moins une possession qu'une transformation magique du chaman en cet animal. Une pareille transformation s'obtient d'ailleurs par d'autres moyens aussi: en revtant, par exemple, le costume chamanique ou en cachant sa figure sous un masque. Mais il y a plus encore. Dans de nombreuses traditions, l'amiti avec les animaux et la comprhension de leur langue constituent des syndromes paradisiaques. Au commencement, c'est--dire dans les temps mythiques, l'homme vivait en paix avec les animaux et comprenait leur langue. Ce n'est qu' la suite d'une catastrophe primordiale, comparable la chute. de la tradition biblique, que l'homme est devenu ce qu'il est aujourd'hui : mortel, sexu, oblig de travailler pour se nourrir et en conflit avec les animaux. En se prparant l'extase, et pendant cette extase 1 le chaman abolit la condition humaine actuelle et retrouve, provisoirement, la situation initiale. L'amiti avec les animaux, la connaissance de leur langue, la transformation en animal, sont autant de signes qu e le chaman a rintgr la situation paradisiaque, perdue l'aube du tem ps (cl. M. Eliade, Mythes , rves et mystres, p. 80 sq.) .

LA QUTE DES POUVOIRS CHAMANIQUES EN AMtRIQUE DU NORD

'1
s

Lous, Tribal Initiation, p. 278. LEIITISALO, Beobachtunen, p. 23 sq.

Ida LUBLIN SKI, Der Medinmann, p. 247 sq. j MiTIlA UX , ibid., p. 206 210 etc.
' ,

. . THURN, Among the lmllans of Guiana, p. S36-S37, cit et traduit pnr MiTllAux U shamanisme che~ le. Indiens, p. 326. ' (5) Jan de VRIES, Altgermani8che ReligionBge.chichu (2' d., Berlin et Leiptig, 1956-57, 2 vol.), l , p. 304 sq.; LBUTt5ALO, Beobachtungen, p. 27 sq. ; cr. caml/!n chan t magique; incantare, enchanter ; roumain, dt.cdntau (litt. dk-enchanter) exorciser; tUscntec. illcsntaton, exorcis m e. 6 ) Voir Antti AARNB, Del' tierspracMnkundige Mann und /Jene neugierige Frau Folklore Fellows Com municatIOns, Il , 15, H amina, 1914) ; N. M. PENUR d. 1 et C. H. TAWNEY, trad., The Ocean of Swry (Som~a'. Ka th.taritBdf.ara Lond re,, ' 10 vol., 1924-28), l, p. '18; II, 107, note i Stitb THONI'SON, Imhx vo. l'p. 814 sq'

Nous avons dj lait allusion aux diverses modalit, de l'obtention des pouvoirs chamaniques en Amrique du No rd. La source de ces pouvoirs y rside soit dans des tres divins, soit dans les mes d'anctres chamans, soit dans des animaux mythiques, soit, enfin, dans certains .objets ou zones cosmiques. L'obtention des pouvoirs a lieu spontanment ou la suite d'une qute volontaire; dans un cas comme
(1) c r . PHILOSTRATE, Vie d'Apollonius de Tyane, 1, 20, e tc. Voir L. 'rIiOflNOIK.f!, A U iBtory of Magic afld Experimen'al Science (Lond res, '1923), vol. l, p. 26 1; N. M. PeNnR, d ., ct C. H . T AW ;'\ .:v, trad., The Ocean of Story, vol. Il , p. 108, n. 1.

lB 2'5).

"

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L' O BTENTION DES POUVOIRS CHAMA N IQ UES

L'O BTENTION DES POUVOIRS CUAM ANIQUES

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dans l'autre , le futur chaman doit subir certaines preuves de . caractre initiatique. Gnralement, en AmrIque du Nord comme ailleurs, l'octroi des pouvoirs chamaniques se traduit par l'obtention d' un esprit protect eur ou auxiliaire (1). . Voici comment se passent les choses chez les Shushwaps, tribu de la famille Salish de l'intrieur de la Colombie britannique: , le chaman est initi par des animaux qui deviennent ses esprits protecteurs. Les rites d'initiation, dont l'objet n'est autre que l'obtention d' un secours surnaturel pour tout ce qu'il dsire, paraissent tre les mmes pour les guerriers et les chamans. Le jeune homme qui est arriv la pubert, avant mme d'avoir touch une femme, doit s'en aller dans les montagnes et y accomplir un certain nombre d'exploits. 11 lui faut construire une case de sudation (sweat-house) dans laquelle il doit passer les nuits i au matin, il lui est permis de regagner son village. Durant la nuit, il se purifie dans les vapeurs, danse et chante. Il mne cette vie, parfois pendant des annes, jusq u' ce qu 'il rve que l'animal dont il a dsir faire son esprit protecteur apparatt et lui promet de Paider. Ds son apparition, le novice tombe en pmoison. Il se sent comme ivre, incapable de savoir ce qu'il lui arrive ou s'il fait jour ou nuit (2) . La bte lui dit de l'invoquer s'il a besoin d'aide et lui communique un chant particulier grce auquel il pourra l'appeler. C'est pourquoi tout chaman a son propre chant, que personne d'autre n'a le droit de chanter, sauf lorsqu'on essaie de dcouvrir un sorcier. L'esprit descend parfois sur le novice sous la forme d' un coup de foudre (3). Si un animal initie le novice, il lui apprend son langage. On raconte qu' un chaman de Nicola Valley pade, dans ses incant ations, le langage du coyote . .. Qu'un homme dispose d'un espri~ protecteur, et il devient invulnrable aux balles et aux fl ches; et SI UDe balle ou un flche le touche, sa blessure ne saigne pas, le sang coule dans son estomac : il le crache et se porte aussi bien qu'avant ... Les hommes peuvent acqurir plusieurs esprits protecteurs: les chamans puissants en ont toujours plus d'un leur aide ... , (4). Dans cet exemple, l'octroi des pouvoirs chamaniques a lieu la suite d'une qute volontaire. Ailleurs en Amrique du Nord, les candid at s se retirent dans les cavernes des montagnes ou dans des end roits

i ) Cf. Joset HUK;EL, Schutzc~iltsuche und Ju gendwtihe im we!aicMn No,.dame,.ika in. Ethnos . , X II , 1947, p. 1 06-22~. 2) Ceci est le signe, on le sait, d'une exprience extati1uc authentique: ct. la terreur inexplicable 1 des apprentis esquimaux devant 'apparition de leurs esprits auxiliaires (plus haut, p. 86 sq.). (3) On a vu (p. 33) que, chez les Bouriates, celui qui a t fr:app par la. foudre est enterr co mme un chamnn et ses proches parents ont le drOit de ilevilnlt chamans car, en quelque sorte, il a t . choisi . par la divinit du Ciel (M!K;lIA1L~WSU , ~h4man u m , p. 861. Les Soyotes, les Kamchadals, cntrc antres, crOlcnt qu on deVient chaman quand, durant les orages, la foudre se dchalne (MIlUIAJT.OWSKI, p. 68). Une chamane esquim aude a obtenu son pouvoir aprs avoir t frappe par une 1 balle de fer . (RASMUSSEN, lnu lketual Cultu,.e of the 19lulik Eskimos, p. 122 sq. ). (f.l Franz Bou , The ShlUhwap (Sixth Report of the Commitee on the North. Western l'ribes of Canada; Report of the British Association, Leeds, 1890, tir part), p. 93 Iq;. Nous aurons l'occasion de revenir sur la valeur chamanique de la case sudation (.weClt-hDuse).

solitaires et s'efforcent, par une concentration intense, d'obtenir les visions qui seules dcident d'une carrire chamanique. On est tenu, habituellement, prciser quelle sorle de, pouvoir , on demande (1): dtail important, car il nous indique qu' il s'agit d' un e technique gnrale destine procurer les pouvoirs magico-religieux, et non seulement chamaniques. Voici l'histoire d'un chaman Paviotso recueillie et publie par Park : cinquante ans, il dcide de devenir docteur , . Il pntre dans une caverne et prie : Mon peuple est malade, je veux le sauver, et c . Il s'efforce de dormir, mais en est em pch par des bruits tranges : il entend des grognements et des hurlements d'animaux (ours, lions des montagnes, daims, et c.). Finalement, il s'endort et assiste, dans son sommeil, une sance de gurison chamanique : , ils ta ient l-bas, au pied de la montagne. Je pouvais entendre leurs voix et leurs chants. Par la suite, j'ai entendu gmir le malade. Un doct eur chantait et le soignait . A la fin, le malade meurt et le candidat entend les lamentations de la famille. La roche commence craquer. Un homme part dans la fente: il tait grand et mince. Il avait une plume d'aigle dans les mains. , Il lui ordonne de se procurer de t elles plumes et lui apprend comment obtenir une gurison. Quand le candidat se rveille le matin, il ne trouve personne prs de lui (Park, Shamanism, p. 27-28). Si un candidat ne respecte pas les instructions reue8 dans ses rves ou leurs schmas traditionnels, il est vou l'chec (Park, ib id., p. 29) . En certains cas, l'esprit du chaman morl apparait dans le premier rve de son hritier mais, dans les rves suivants, des esprits suprieurs apparaissent qui lui octroient le pouvoir . Si l'hritier ne prend pas ce pouvoir, il tombe malade (ibid., p. 30); on se rappelle qu' on a rencontr la mme situation un peu partout ailleurs. Les mes des morts so nt co nsidres comme une source de pouvoirs chamaniques chez les Paviotso, les Shoshoni, les Seed Eaters et, plus au Nord, chez les Lilloet et les Thompson (2). En Californie du Nord, cette modalit d'octroi des pouvoirs est extrmement rpandue. Les cha:ma ns Yurok rvent d'un mort, gnralement mais pas t ouj ours un chaman. Chez les Sinkyone, on reoit parfois le pouvoir dans des rves o apparaissent les parents dcds. Les Wintu deviennent chamans la suite de tels rves, spcialement s' ils rvent de leurs propres enfants morts. Chez les Shasta, la premire indication
(t ) Willard PAU, Shamanism in Westun North Amuiea, p. 27. Ct. aussi Marcelle BOUT1!:ILLU, D . n chamClniltiqlU et adaptation la JI~ Che6 . IndiJ:1lS de l'Amrique du No,.d, passim; id., Chamanumtl et gurison magique (Paris, 1950), p. 57 sq. (2) PAU , op. cil., 79; J . 'rEIT, The Lill~t IndiallS (Memoirs or the American Museum of Nalura History, vol. IV, The Jesup North Pacifie Expedition, lI, 5, New York , 1906, p. 193-300), p. 287 sq.; id., The Thompson I ndiana of B,.i6h Columbia (Memoirs or the American Museu m of Nalural His tory, Il , The J esup North Pacifie Expedition, l , New York, 1900, p. 16B-392), p. 353. Les apprentis Lillooct dorment sur les tombes, partois durant plusieurs annes (TE1T, TM Lillooet,

f'

p. 2S 7) .

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L'OBTENTION DES POUVOIRS CI:IAMANIQUES

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANIQUES

97

d' un pouvoir cbamanique suit des rves dans lesquels apparaissent la mre, le pre ou un anctre mort (1) . Mais en Amrique du Nord il existe aussi d'autres sources de pouvoirs cha maniques et galement d'autres espces d'instructeurs que les mes des morts et les animaux gardiens. Dans le Grand Bassin il est ques tion d' un 41 petit homme vert ., qui n'a que deux pieds de haut et porte un arc et des flches. JI vit dans les montagnes et lrappe ceux qui parlent mal de lui de ses flches. Le petit homme vert , est l'esprit gardien des medicine-men, de ceux qui sont devenus magiciens uniquement par une aide surnaturelle (Park, p. 77). Le th me du nain qui octroie le pouvoir ou sert d'esprit gardien est trs rpandue l'Ouest des Montagnes Rocheuses, dans les tribus du Plateau Groups (Thompson, Shushwap, etc.) et en Calilornie septentrionale (Shasta, Atsugewi, Maidu septentrionaux et Yuki) (2). ParCois, le pouvoir chamanique est driv directement de Pf:tre Suprme ou des autres entits divines. Ainsi, par exemple, chez les Cahuilla de la Calilornie mridionale (Dsert Cahuilla), les chamans sont censs obtenir leur puissance de Mukat, le Crateur, mais ce pouvoir est transmis par l'intermdiaire des esprits gardiens (le hibou , le renard , le coyote, l'ours, etc.), qui se conduisent comme des messagers du Dieu aux chamans (Park, p. 82). Chez les Mohawe et les Yuma, le pouvoir vient des grands tres mythiques qui l'ont transmis aux chamans au commencement du monde (ibid., p. 83). La transmission a lieu dans les rves et comporte un scnario ini tiatique. Le chaman Yuma assiste en rve aux origines du monde et revit les temps mythiques (3). Chez les Manicopa, les rves initiatiques suivent un schma traditionnel : un esprit prend l'me du futur ch.aman et la promne de montagne en montagne, lui rvlant chaque loIS des chants et des cures (4). Chez les Walapai, le voyage sous la conduite d'esprits est une caractristique essentielle des rves chamaniques (Park, p. 116). Comme nous l'avons dj vu plusieurs fois , l'instruction des cha m~~ s a sou~ent lieu au cours de rves. C'est dans les rves qu'on reJ oint la VIe sacre par excellence et qu'on rtablit les rapports directs avec les dieux, les esprits et les mes des anctres. C'est toujours dans les rves qu'on abolit le temps historique et qu'on retrouve
(1) PAU, op . cit., p. 80. Mme tradition chez les A~ugewi, les Maidu septentrio naux, les Crow, Arapaho, Gros Ventre, etc. Chez certames de ces tribus ainsi qu'ai] leurs, on qute les pouvoirs en dormant prs d es tombes; parfois (che; les Tlingit, p. ex.) , on recourt un moyen encore plus impressionnant : l'apprenti passe la nuit avec le. co rp~ du cha man mort (~ r. FRAZER , T olemism and Exo ~amy , vol. III , p. 439 ). (2) VOU ' la hste e:o mplte d es tribus dans PARK, p. 77 sq. Cf. Ibid .. p. 111 : le. petit homme vert . qUi apparalt aux futurs chamans Ute durant leur ado lescence. (3) A. L . KROEBER , Handbook of I~ Ind ,ans of California (Bureau of American Eth~ o l ogy, D.ull. , 7~. 1925), p. 754. sq., 775; C. D. FORDE, Ethnography of the Yuma lndl ~ns (U~ !v : ~a l.lf . Publ. Am.erlcan Archaelogy a: nd Et~nolofSY,. 28, 1931, No 4), p. 20 1 sq. L initiatIOn de la soClt secrte chamamque Mld l!'wlwlI1 co mporte aussi un r~ to ur aux teml's mythiques de~ commencem ents du monde, quand le Grand Esprl~ rvla les mystres aux premiers . grands md ecins '. Nous verrons qu'il est ques tion, dans ces ritu els initiatiques, d'une com munication entre la Terre et le Ciel te1Je qu'ell e rut tabli e lors de la cration du monde. ' (4) I.J. SP IER, Yuman 7'ribes of the Cila River (Chicago, 1933), p. 2'. 7 ; PA flK, p. 11 5.

le temps mythique, ce qui permet au futur chaman d'assister aux commencements du monde et, partant, de devenir contemporain a~ssi bien de la cosmogonie que des rvlations mythiques primordIales. Parfois, les rves initiatiques sont involontaires et commencent dj dans l'enfance, comme, par exemple, chez les tribus du Grand Bassin (cl. Park, p. 110). Les rves, bien qu'ils ne suivent pas un scnario rigide, sont nanmoins strotyps: on rve des esprits et des anctres ou on entend leurs voix (chants et instruction). C'est toujours en rve qu'on reoit les rgles initiatiques (rgime, tabous, etc.) et qu'on apprend de quels objets on aura besoin dans la cure chamanique (1) . Chez les Maidu du Nord-Est aussi, on devient chaman en rvant des esprits. Bien que le chamanisme soit hrdi taire, on ne reoit la qualification qu'aprs avoir vu les esprits en rve i ceuxci, du reste, sont en quelque sorte hrits d'une gnration l'autre. Les esprits se montrent parfois sous la form e d'animaux (et dans ce cas le chaman ne doit pas manger de l'animal en ques tion ), mais ils vivent aussi, sans avoir de formes prcises, dans les roches, les lacs, etc. (2) . La croyance que les animauxesprits ou les phnomnes naturels sont des sources de pouvoirs chamaniques est trs rpandue dans toute l'Amrique du Nord (3). Chez les Salish de l'intrieur de la Colombie britannique, seuls quelques chamans hritent les esprits gardiens de leurs parents. Presque tous les animaux et un nombre considrable d'objets peuvent devenir des esprits : tout ce qui a une relation quelconque avec la mort (p. ex. , les tombes, les os, les dents, etc.) et n'importe quel phnomne naturel (le ciel bleu, l' Est et l'Ouest, etc.) . Mais ici, comme dans beaucoup d'autres cas, nous avons affaire une exprience magicoreligieuse qui dpasse la sphre du chamanisme car les guerriers ont, eux aussi, leurs espritsgardiens, dans leurs armures et les fauves; les chasseurs trouvent les leurs dans l'eau, les montagnes et dans les animaux qu'ils chassent, etc. (4). Aux dires de certains chamans Pavintso, le pouvoir leur vient de l' Esprit de la Nuit . Cet Esprit se trouve partout. Il n'a pas de nom. Il n'existe pas de nom pour lui . L'Aigle et le Hibou sont seulement les messagers qui transmettent l'instruction de la part de l'Esprit de la Nuit. Les water-babies ou un autre animal peuvent aussi tre ses messagers. Quand l'Esprit de la Nuit donne le pouvoir de cham aniser (power (or doctoring), il dit au chaman de demander l'aide des waterbabies, de l'aigle, du hibou, du daim, de l'antilope, de l'ours ou d' un autre animal ou oiseau. (5). Le coyote
p. 82. Rves p: 23, etc. Chez les Okanagon du Sud, le futur chaman ne voit pas les esprits Il entend seulement leurs chants et leurs instructions, ibid., p. 11 8. 2 R. DIXON , Th e Nort~rn lUaid" (New York , 1905), p. 214 sq. 3 Vo ir la liste des tribus et les rensei nements biblio raphiques dans PARK p. 16 sq. F. BOAS, 'l'he Salis" Tribes of the 1mcriol' of Brilisl Columbia (Annual A'rchaeolo. gl cal Report for 1905, Toronto, 1906), p. 222 sq. (5) Informateur paviotso cit par PARK, p. 11. L' Esprit de la Nuit. est probable. ment ur,'e formule .m ythologique tardive de l' gtre suprme, devenu en quelque sorte deus ohosus et qUI Ride les humains au moyen de messagers ' .
audl~lfs,

(1) .P~l\'iotso, PARK , p. 23 ; tribus de la Californie mridionale, ibid.,


a rdl e n s,

~~I

Le Chamanisme

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L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANIQ UES

L'OBTENTION DES POUVOIRS CHAMANIQUES

99

n'est jamais une source de pouvoir pour lea Paviotso, bien q~'il .oit le personnage prominent de leurs contes (Park, p. 19). Le. esprits qui confrent le pouvoir sont invisibles : seuls les chamans peuvent les apercevoir (ibid.). .. . Il faut ajouter encore los peines (pauz.s) qUi sont co n9u~s aussI bien comme sources de pouvoir que comme causes des maladies. Les peines semblent tre animes et parCois o~t mme. une certain.8 personnalit. Elles n'ont pas de formes humames, mats sont consIdres comme concrtes (1). Chez les Hupa, par exemple, il en existe de toutes les couleurs: l'une ressemble un morceau de chair crue, d'autres sont pareilles des crabes, des petits daims, ~ des pointes de flches, etc. (Park, p. 81). La croyance dans les pemes , est gnrale chez les tribus de la Californie septentrionale (ibid., p. SO), mais elle est inconnue ou rare dans les autres rgions de l'Amrique du Nord (ibid ., p. 81). Les damagomi des Achumawi sont la fois des esprits gardiens et des peines . Une chamane, Old Dixie, raconte comment elle av~ut eu la vocation : elle tait dj marie quand, un jour mon premier damagomi est venu me chercher. Je l'ai encore. Gest une petite chose noire, on peut peine le voir. Quand il est venu la premire Cois, il a fait un grand bruit. C'tait pendant la nuit. JI m'a dit que je devais aner le voir dans la montagne. Alors j 'y suis alle. Cela me faisait grand-peur. Je n'osais presque pas. Ensuite, j'en ai eu d'autres. Je les ai attraps, (2). C'taient des darnagomi qui avaient appartenu d'autres chamans et qui taient envoys pour empoisonner les gens ou pour d'autres missions chamaniques. Oid Dixie envoyait un de ses propres damagomi et les capturait. De la sorte, ene tait arrive possder plus de cinquante damagomi alors qu'un jeune chaman n'en a que trois ou quatre (J. de Angulo, p. 565) . Les chaman. les nourrissent avec le sang qu'ils sucent pendant la cure (ibid., p. 563). D'aprs de Angulo (p. 580), oes damagomi sont la foi s rels (os et ohair) et fantastiques. Quand le chaman veut empoisonner quelqu'un, il envoie un damagomi : Va trouver un tel. Entre en lui. Hends-le malade. Ne le tue pas tout de suite. Fais-le mourir dans un mois.
(ibid.).

1a Jeune

aux chamans: la nuit, la brume, le ciel bleu l'Est l'Ouest la femm fil] AI' ," e, e a~o escente, 1 enfant, les mains et les pieds de l'homme les organes sexuels de l'homme et de la femme , la chauve-souris' le pays des mes, les revenants, les tombes, les os, les dents et le~

cheveux des morts, etc. (1). Mais la liste des SOurces des pouvoirs chamaniques est loin d'tre puise (cf. Park, p. 18, 76 sq.). Comme on vient de le constater, n'importe quelle entit spirituelle,
a~llmale ~u ~hyslque peut devernr SourCe de pouvoir ou esprit gardIen aUSSI bleD du chaman que de tout autre individu. Ceci nous

semble assez important pour le problme des origines des pouvoirs


chamamques : en aucun cas leur qualit spciale de c pouvoirs chamaniques. n'est due .leurs s.ources. (~ui souvent sont les mmes pour tous les autres pouvons maglCo-rehgleux), ni au lait que les _ pouvoirs chamaniques )) sont incarns en certains animaux-gardiens. Tout

Indien peut obtenir son esprit-gardien s'il est prt faire un certain effort de volont et de conoentration (2). Ailleurs, l'initiation tribale
se conclut par l'obtention d'un esprit gardien. De ce point de vue la qute des pouvoirs chamaniques s'intgre dans la qute beauco'up

plus gnrale des puissance. magico-religieuses. Nous l'avons dj vu dans un chapitre prodent : les chamans ne se diffrencient pas de. autres membres de la conectlvlt par leur qute du sacr - laquelle est le comportement normal et universel de tous les humainsmais par leur capacit d'exprience extatique, qui se rduit, ]a plu-

part du temps, une vooation.


Par co.nsquent, nous pouvons conclure que les esprits gardiens et les ammaux mythiques auxiliaires ne sont pas une note caractristi.q.u~ et exclusive du chamanisme. Ces esprits protecteurs et auxil18lres se rcoltent un peu partout dans le Cosmos entier et ils sont accessibles . tout individu dcid . passer certaines p~euves

pour les obtenir. Cela signifie que J'homme archaque peut identifier
u~e source du sacr magico-religieux n'importe o dans le Cosmos, que

n Import~ quelJragment du Cosmos peut donner lieu une hirophanie, conformement la dIalectIque du sacr (cf. notre Trait d'Hi:JI<Jire rks Religions, p. 15 sq.). Ce qui distingue un ohaman d'un autre indiv~du du c~an ,n'est flas la possession d'un pouvoir ou d'un esprit gardIen, malS 1 exprience extatique. Or, nous l'avons dj vu et le verrons mieux par la suite, les esprits gardiens ou auxiliaires ne sont

Comme nous l'avons dj vu propos des Salish, tout animal


ou objet cosmique peut devenir source de pouvoir ou espriL gardien.

Chez les Indiens Thomp.on, par exemple, l'eau est regarde comme
l'esprit gardien des chamans, des guerriers, des chasseurs et des pcheurs i le soleil, la foudre o~ l'oiseau de la foudre, les som~ets des mon Lagnes, rours, le loup, l'algIe et le corbeau sont les esprits gardiens des chamans et des guerriers. D'autres esprits gardiens sont communs aux chamans et aux chasseurs, ou aux chamans et aux pcheurs. Il existe aussi des esprits gardiens rservs exclu sivement
(1) KROEBER, Handboolr, p. 63 sq., 111 , 852; R. DIXON , TM ShtutQ (Bull. Am. Mus. of Nat. History, XVII, V, New York, 1901), p. ~12 sq. ('2) Jaim e de ANcuLo , La p.ychologi~ , eli,ieu.e dt. Achumawi: IV. Le chamani,me (1 Anthropos J, t. 23, i988, p. 561-582), Q. 565.

pas les auteurs directs de cette exprience extatique. Ils ne sont que
les messagers d'un tre divin ou les auxiliaires dans une exprience qui implique bien d'autres prsences que la leur. D'autre part, nous savons que le pouvoir)) est maintes fois rvl par les mes des anctres chamans (qui, leur tour l'ont reu dIVlllS et dem t-d lvIns , parfOis par un f;trc suprme. On a, ici aussi,
i) James TEIT. TM 7'lwmpaon Indiana of Brituh Columbia, p. 354 sq. 2). H. H.t.BBJtRLIN et E. GUNTHItl, EthnographiscM Notuen abe, di. lndian.,atamlM de, Pu~e,-S~nda (~ Zeilschrift fr Ethno.lol{ie ., vol. 56, 1924, p. 1-7 4 1, p. 56 sq. Sur les esprits spCifiques des chamans, vOIr ,bUi., p. 65, 69 sq.

l'aube des temps, dans les .temps mythiques), par de~ personnages

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L'OBTENTION DES POUVOIRS CII .urANIQ uES

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l'impression que les esprits gardiens et auxiliaires ne sont que des instruments indispensables l'exprience cbamanique, comme de nouveaux organes que le chaman reoit la suite de son initiation pour pouvoir mieux s'orienter dans l'univers magico-religieux qui lui est dornavant accessible. Dans les chapitres suivants, le rle des esprits gardiens et auxiliaires comme organes-mystiques. sera encore plus clairement mis en lumire. Comme partout ailleurs, en Amrique du Nord l'obtention de ces esprits gardiens et auxiliaires est soit spontane, soit volontaire. On a voulu diffrencier l'initiation des chamans nord-amricains de celle des chamans sibriens en affirmant que, pour les premiers, il est toujours question d'une qute "olontaire, tandis qu'en Asie la vocation chamanique est en quelque sorte inflige par les esprits (1). Bogoras, utilisant les rsultats de Ruth Benedict (2), rsume de la faon suivante l'obtention des pouvoirs chamaniques en Amrique du Nord: pour entrer en contact avec les esprits ou obtenir les esprits gardiens, l'aspirant se retire dans la solitude et se soumet un rgime rigoureux d'auto-torture. Quand les esprits se manifestent sous forme animale, l'aspirant est cens leur donner sa propre chair en nourriture (Bogoras, p. 442). Mais l'o ffre de soi-mme en nourriture aux espritsanimaux, ralise par le dpcement de son propre corps (comme p. ex., chez les Assiniboin, ibid.) , n'est qu' une formule parallle au rite extatique du morcellement du corps de l'apprenti, rite que nous avons analys dj dans le chapitre prcdent et qui comporte un schma initiatique (mort et rsurrection). Il se rencontre d'ailleurs en d'autres rgions aussi - comme, p. ex., en Australie (3) ou au Tibet (dans le rite tantrique-bon, chad) - et il doit tre considr comme un substitut ou comme une formule parallle au dpcement extatique du candidat par les esprits dmoniaques: l o il n'existe plus, ou est plus rare, l'exprience extatique spontane du dpcement du corps et du renouvellement des organes est remplace parrois par l'offrande de son propre corps aux animaux-esprits (comme chez les Assiniboin) ou aux esprits dmoniaques (Tibet). S'il est vrai que la qute .. est la note dominante du cha manisme nord-amricain, elle est loin d'tre la mthode exclusive d'obtention des pouvoirs. Nous avons rencontr plusieurs exemples de vocation spontane (p. ex ., le cas d'Old Dixie, cl. plus haut, p. 98), mais leur nombre est sensiblement plus grand. Qu'on se rappelle seulement la transmission hrditaire des pouvoirs chamaniques, o la dcision
(1) Waldemar O. BOGous, The Shamani.,: Gall and. the Puiod of Initiation in

appartient, en dernire instance, aux esprits et aux mes des anctres. Qu'on se rappelle aussi les rves prmonitoires des futurs chamans, rves qui, d' aprs Park, tournent en maladies mortelles s'ils ne sont pas bien compris et pieusement obis. Un vieux chaman est appel les interprter : il ordonne au malade de suivre les injonctions des esprits qui ont provoqu ces rves . Gnralement, une personne accepte ~ contre cur de devenir chaman et ne se dcide prendre les pouvoirs et suivre les injonctions de l'esprit que quand les autres chamans l'assurent qu'autrement la mort s'ensuivra. (Park, p. 26). C'est exactement le cas des chamans de Sibrie et d'Asie centrale, et d'autres aussi. Cette rsistance l' lection divine .. s'explique, on l'a dit, par l'attitude ambivalente de l'homme envers le sacr. Ajoutons qu'en Asie aussi on rencontre, bien que plus rarement, la qute volontaire des pouvoirs chamaniques. En Amrique du Nord, et spcialement dans la Californie mridionale, l'obtention des pouvoirs chamaniques est sOl.lvent associe aux crmonies d'initiation. Chez les Kawaiisu, les Luiseno, les Juaneno et les Gabrielino, comme chez les Diegueno, les Cocopa et les Akwa'ala, on attend la vision de l'animal protecteur la suite d'une intoxication provoque par une certaine plante (jimson weed) (1). Nous avons plutt aITaire ici un rite d'initiation dans une socit secrte qu' une exprience cham anique. Les auto-tortures des aspirants, auxquelles faisait allusion Bogoras, appartiennent plutt aux preuves terribles qu'un candidat doit supporter pour tre admis dans une socit secrte qu'au chamanisme proprement dit, bien qu'en Amrique du Nord il soit toujours difficile de prciser nettement les limites de ces deux formes religieuses.
(1) KROEBER , Hand.boolr, p. 604 sq., 71.2 sq. : PUIt, p. 8'.

Nor'hern Alia and Norlhern America (1 Proceedings of the XXIII International Congress of Americanists " New York, 1930, p. 441.444), spc. p. 443. (2) Cf. R. BEIUDICT, The Vision in Plau Culture (1 American Anthropologist _, XXIV, 1922, p. 1-23). (3) Chez les tribus australienn es Lunga et Djara, celui qu; veut devenir mcdic ineman entre dans un tang rput habit par des serpents monstrueux. Ceux-ci le _ tuent, et, la suite de cette mort inittatique, l'aspirant obtient ses pouvoirs magique~ i v. A. P . EU IN, The Rainbow-Sl!:rptn! A!Ylh in North-l'yw Au~t~alia (. Oceama', 1930, vol. L, nO 3, p. 3'19-353), p. 350; cC. 1C1., The AlU'lralianAbor'glnts, p. 223.

L' INITIATION CHAMANIQ UE

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CHAPITRE IV

VINITIATION CHMIANIQUE

L ' INITIATION C HEZ LE S TONGOUSES ET LES MANDCHOUS

L'lection extatique est gnralement suivie, aussi bien en Asie septentrionale qu'ail1eurs dans le monde, d'une priode d'instruction pendant laquelle le nophyte est dment initi par un vieux maltre. C'est maintenant qu e le Cutur chaman est cens apprendre dominer ses. techniques mystiques et assimiler la tradition religieuse et mythologIque de la tribu. Souvent, mais pas touj ours, l'tape prparatoire est ~~u.r~n~e par une srie de crmonies qu'on a l'habitude d'appe. 1er 1 mltlatlO n du nouveau chaman (1), Mais, comme le remarque juste titre Shirokogorov propos des Tongouses et des Mandchous, Il ne, peut pas tre question d'une initiation proprement dite, les candIdats tant, en effet, initis 1) bien avant leur reconnaissance form elle par les maltres-chamans et la communaut (Ps1Jclwmental Complex of the Tangas, p. 350). La mme chose se vrifi e d'ailleurs u? peu parto u~ en Si~ rie et en Asie Centrale: mme l o il s'agit dune crmome pubhque (p. ex., chez les Bouriates), celle-ci ne fait que confirmer et valider la vritable initiation extatique et secrte qui, on l'a vu, est l'uvre des esprits (maladies, rves, etc.) complt~ par l'apprentissage auprs d'un maitre-chaman (2). Il existe nanmoins une reconnaissance formelle de la part des maltres-chamans. Chez les Tongouses de la Transbakalie un enfant est choisi et duqu en vue de devenir chaman . Aprs u'n e certaine prparation, il subit les premires preuves: il doit interprter les rves, ~montrer ses. capacits divinatoires, etc, Le moment le plus dramatique est le SUivant : ]e candidat, en extase, dcrit avec une parfaite prcision les an im aux qui lui seront envoys par les esp rits pour qu'il s~ fasse un costume de leurs peaux, Longtem ps aprs, quand les aDlmaux ont t chasss et le costume dj confectionn,
et d'Asie centrale, cr. W. SCHMIDT, Del' U'.prlJ.ng, X II , p. 653-68. (2) Ct. p. ex. E . J. LI NDGUN, The R einde(!,. 1'ungus ' f Manchul'ia (. Journal of th e R oyal Central Asia n Society., vol. 22, 1935, p. 22131). p. 221 sq .. C UADWI CK Poe'", and Prophecy, p. 53. ' 1

(li Pour une vue synthtique sur j'institution et l'initiation des chamans de Sibrie

a lieu une nouvelle runion : on sacrifie un renne au chaman mort, le candidat revt son costume et chamanis8 en grande sance (Shirokogorov, op. cit. p. 351). Chez les Tongouses de la Mandchourie, il en va un peu diffremment. L'enfant est choisi et instruit, mais ce sont ses possibilits extatiques qui dcident de sa carrire (voir plus haut, p. 32) . Aprs la priode de prparation laquelle nous avo ns dj fait allusion, vient la crmonie proproment dite d' initiation t . On dresse deux tura (arbres dont on a coup le8 grosses branches mais dont le sommet a t prserv) devant une maison. Ces deux taro sont relis par des traverses d'environ 90 ou 100 cm de long, en nombre impair, savoir 5, 7 ou 9. On dresse un troisime tllro vers le sud une distance de quelques mtres et on le relie au taro Est par une fi celle ou UDe mince lanire (s ijim, * corde ), garnie tous les 30 cm environ de rubans et de plumes d'oiseaux divers. On peut employer de la soie de Chine rouge ou des tendons teints en rouge. Tel est le chem in le long duquel les esprits se dplaceront_ Sur la ficelle on passe un anneau de bois qui peut glisser d'un turo l'autre. Au moment o le mattre l'envoio, l'esprit se trouve dans le plan de l'anneau (jldu) . Trois fi gures anthropomorphiques en bois (an'n akan), assez larges (30 cm), sont places prs de chaque tura. Le ~ca ndidat s'assied entre les de ux tura et bat du tambour. Le vieux chaman appelle les esprits un par un et, avec l'anneau, les envoie a u candidat. A chaque fois le maltre reprend l'anneau avant d'expdier u n nouvel esprit : s'il n'agissait pas ainsi, les esprits s'insinueraient dans le candidat pour ne plus en sortir... Au moment o il est possd par les esprits, le candidat est interrog par les anciens et il doit raconter toute l'histoire (la hiographie . ) de l'esprit dans tous ses dtails, notamment qui il tait auparavant, o il vivait, ce qu'il faisait, avec quel chaman il tait et quand celuici est mort ... j tout cela a fin de convaincre les spectateurs que l'esprit visite vrita blement le candidat ... Tous les soirs, ap rs la dmonstration, le chaman grimpe sur la plus haute traverse et y reste un certain t emps. On suspend son costume sur les traverses du tura... (Shirokogorov, op. cit., p. 352) . La crmonie dure 3, 5, 7 ou 9 jours. Si le candida t russit, on sacrifie aux esprits du clan , Laissons de ct, pour l'instant, le rle des esprits. dans la cons cration du fu tu r chaman; en effet le chamanisme tongouse semble tre domin par les esprits-guides. Retenons seulement deux dtails: 10 la cord e appele chemin, ; 20 le rite de la monte. On verra tout l'heure l'importance de ces ri tes : la co rd e est le symbole du chemin , qui relie la Terre au Ciel (bien que chez les Tongouses de nos jours le chemin 1) serve plutt assurer la communication aveo les esprits) ; la monte de l'arbre signifiait originairement l'ascension du chaman au ciel. Si, comme il est probable, les Tongouses ont. reu ces rites initiatiques des Bouriates, il se peut bien qu'ils les aient adapts leur propre idologie, les vidant en mme temps de leur signification premire i cette perte de signification pourrait avoir eu

10!,

L' INITI ATIO N CHAMANIQUE

L'INITIATION CH.o\.MANIQUE

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lieu tout rcemment, sous l'influence d'autres idologies (p. ex., le lamasme). Quoi qu'il en soit, ce rite initiatique, qu' il ait t emprunt ou non , s'intgrait en quelque sorte dans la conception gnrale du chamanisme tongouse car, ainsi que nous l'avons dj vu et le verfons mieux par la suite, les Tongouses partageaient, avec toutes les autres populations nord-asiatiques et arctiques, la croyance l'ascension cleste du chaman. Chez les Mandcho us, la crmonie de l'initiation publique comportait jadis le passage du candidat sur des charbons brlants: si l'apprenti disposait effectivement des esp rits qu' il prtendait avoir, il pouvait marcher impunment sur le feu. Aujourd'hui, la crmonie est devenue assez rare; on assure que les pouvoirs des chamans ont diminu (Shirokogorov, p. 353), ce qui correspond la co nception gn rale nord-asiatique de la dcadence actuelle du chamanisme. Les Mandchous co nnaissent encore une autre preuve initiatique: l'hiver, on creuse neu! t rous dans la glace i le candidat doit plonger par un de ces trous et ressortir en nageant sous la glace par le deuxime, et ainsi de suite jusq u'au ge trou. Les Mandchous prtendent que l'excessive rigueur de cette preuve est due l' influence chinoise (Shirokogorov, p. 352). En effet, elle ressemble certaines preuves yogico-tantriqu es tihtaines qui consistent scher, mme le corps nu, un certain nombre de draps mouills pendant une nuit d'hiver et en pleine neige. L'apprenti yogi donne ainsi la preuve de la , chaleur psychique qu'il est capable de prod uire dans so n propre corps. On se so uvient que, chez les Esquimaux, une preuve similaire de rsistance au !roid est considre comme le signe sr de l'lection chamanique. En effet, produire de la chaleur volont est un des prestiges essentiels du magicien et du medicine-man primitifs; nous aurons encore y revenir (cf. plus haut, p. 64, n. 1 ; plus bas, p . 369 sq.).
Y AKOUTES,

I NITIATION DES

DES SAMOYDES ET DES OSTYAK

On dispose seulement d'informations prcaires et vieillies concernant les crmonies initiatiques des Yakoutes, des Samoydes et des Ostyak. Il est fort probable que les descriptions commuuiques sont superficielles et approximatives car les observateurs et les ethnographes du X I X e sicle ont souvent vu dans le chamanisme une uvre dmoniaque i pour eux, le futur chaman ne pouvait qu e se mettre la disposition du ({ diable )). Voici comment Pripuzov prsente la crmonie initiatique chez les Yakoutes : la suite de l' lection!} par les esprits (voir plus haut, p. 31), le vieux chaman conduit son disciple sur une colline ou dans une plaine, lui remet le costume chamanique, l'investit du tambour et du bton, et place sa droite neuf jeunes gens chastes et sa gauche Qe.U.Lti.erges. Ensuite, tout en rVtnt son costume, il passe derrire le nopnyte et lui fait rpter certaines formules. Il lui demande premirement de renoncer Dieu et tout

ce qu' il chrit, et lui fait promettre de consacrer sa vie entire au diable, moyennant quoi celui-ci rem plira tous ses vux. Ensuite, le maitre-chaman lui dsigne les endroits o habite le dmon, les maladies qu'il gurit et la manire de l'apaiser. Finalement, le candidat abat l'animal destin au sacrifice i son costume est arros du sang et la viande est co nsomme par les participants (1). Selon les informations recueillies par Ksnofontov chez les chamans yakoutes, le maitre prend l'me du novice avec lui dans un long voyage extatique. Ils commencent par gravir un e montagne. De lhaut, le matre montre au novice les bifurcations du chemin d'o d'autres sentiers montent vers les crtes: c'est l que rsident les maladies qui harassent les hommes. Le matre conduit ensuite son disciple dans une maison. Ils revtent l les costumes chamaniques et cham anisent ensemble. Le maitre lui rvle comment reconnatre et gurir les maladies qui att aquent les diverses parties du corps. Chaque fois qu'il nomme une partie du corps, il lui crache dans la bouche, et le disciple doit avaler le crachat, afin de connaitre il les chemins des malheurs de l'Enfer ~. Finalement, le chaman conduit son disciple dans le monde suprieur, chez les esprits clest es. Le chaman dispose dsormais d'un co rps consacr. et il peut exercer son mtier (2). D'aprs Tretjakov, les Samoydes et les Ost yak de la rgion de Turushansk procdent l'initiation du nouveau chaman de la faon suivante: le candidat se tourne face l'Occident et le matre prie l'Esprit des t nb res d'aider le novice et de lui donner un guide. Ensuite, il entonne un hymne l'Esprit des tnbres, hymne que le candidat rpte son tour. Finalement se droulent les preuves que l'Esprit inflige au novice, en lui demandant sa femme, son fils, ses biens, etc. (3). Chez les Goldes, l'initiation a lieu en public comme chez les Tongouses et les Bouriates : la lamille du candidat et nombre d'invits y prennent part. On chante et on danse (il doit y avoir au moins neuf danseurs) et on sacrifie neuf porcs; les chamans boivent leur sang, tombent en extase et chamanisent longuement . La fte dure plusieurs jours (4) et devi~nt en quelque sorte une rjouissance publique. On se rend compte qu' un tel vnement concerne directement la tribu entire et que les dpe nses ne peuvent pas tre toujours supportes par la famille seule. A cet gard, l'initiation joue un rle important dans la sociologie du chamanisme.
(1) N. V . PRIPUZOV, Svetknija 1885), p. 64-65; MIIi:HAILOWSKI, Vorstellungen , p. 485-86; V. L. GOllesitke, X I (Mnster, 1954),

dlja izutchenija shamantsva !l jakutov (Irkoutsk, Shamallism, p. 85-86; U. l1AavA, Die religiosen PRIKLONSKY, in W. SC HMI DT, Der UrJprung der p. ~7 9, 286-87; On est.probablementenyrsence, ici d' un e initia bon de chamans nOirs " dvoues excl U Sivement aux es prits et aux di~inits infernales, et qui se rencontrent a ussi chez les autres populations sibriennes j cr. U . HARVA, Die religiosen Vorst.ellungen, p. 482 sq. (2) G. V. KSNOFONTOV, in A. FRIEDR ICII et G. DUDDRUSS, Schamanengeschichten, p. 169 sq. ; H. F IND EISEN, Schama~~ntum.' p. 68 5q. 3) P. 1. 'l'RETJAX.OV, Turukhanskl) Kra), p. 210211 ;. MIKH AILOWSK.I, p. 86. 4) HUVA , Die religiosen Vorst.ellungen, p. 486-487, citan t 1. A. LOPATIN. 1

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L'INITIATION CRAMANIQUE

L'INITIATION CHAMANIQUE

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L'INITIATION CHEZ LES BOURIATES

La crmonie initiatique la plus complexe et la mieux CODoue est celle des Bouriates grce surtout Changalov et au Manuel. publi par Pozdneyev et traduit par Partanen, (1). Mme dans ce cas, la vritable initiation a lieu avant la consoration publique du nouveau chaman. Durant de longues annes aprs les premires expriences extatiques (rves, visions, dialogues avec des esprits, etc.) l'apprenti se prpare dans la solitude, instruit par de vieux maltres et spcialement par celui qui deviendra son initiateur et qui est appel le chaman-pre . Pendant tout ce temps, il chamanise, invoque les dieux et les esprits, apprend les secrets du mtier. Chez les Bouriates aussi l' initiation t sera la dmonstration publique des capacits mystiques du candidat, suivie de la conscration par ]e maltre, plutt qu'une vritable rvlation des mystres. Une fois fixe la date de la conscration, une crmonie purificatoire a lieu qui, en principe, doit se rpter de 3 9 Cois, mais qu'on se contente de laire deux lois seulement. Le , chaman-pre, et neul jeunes gens, nomms ses fils t, apportent de l'eau de trois sources et offrent des libations de tarasun aux esprits de ces sources. Au retour, on arrache de jeunes bouleaux qu 10n apporte la maison. L'eau est bouillie et, pour la purifier, on jette du thym sauvage, du genvrier et de l'corce de sapin dans la marmite; on ajoute aussi quelques cheveux coups de l'oreille d'un bouc. Ensuite, l'animal est tu et on laisse tomber quelques gouttes de sang dans la marmite. La viande est donne prparer aux lemmes. Aprs avoir procd la divination l'aide d'une omoplate de mouton, le c chaman-pre. invoque les anctres chamans du candidat et leur offre du vin et du tarasun. En trempant dans la marmite un balai lait de leuillage de bouleau, i! touche le dos nu de l'apprenti. Les fils du chaman. rptent leur tour ce geste rituel pendant que le , pre, dclare: , Quand un pauvre a besoin de toi, demande lui peu et prends ce qu'il te donne. Pense aux pauvres, aide-les, et prie Dieu de les protger contre les mauvais esprits et leurs puissances. Quand un riche t'appelle, ne lui demande pas beaucoup pour tes services. Si un riche et un pauvre t'appellent en mme temps, va chez le pauvre et ensuite chez 1.
('1) N. N. AGAPITOV et M. N. CRA.NGALOV, Matel'ialy . Samanst"o u bUl'jatll'kut.tlcoj fubernii, p. 42-52, traduit et rsum par L. STIEDA, Das Schamanenthum Ul1tU den BUl'jlitel1 (l'initiation se trouve aux pages 287-88); MlitHAILOWSKl, p. 87-90; HARVA, Die l't:ligiij,en VOl'8tellungen, p. 487-496 ; W. SCIUIIDT, Del' UI'SPl'unf, X,

p. 399-1.22. Instituteur Irkoutsk et lui-mme desccndant de Bouriates, Changalov avait. communiqu Agapitov une trs rche information de prem ire main concernant nombre de rites et de croyances chamaniques. Voir au.s.si Jorma PARTANElC A Descl'iption of BUl'ia' Shamani8m (_ Journal de la Socit Finno-Ougrienne ., "01. LI, 19411942, 34 pages). Il s'agit d' un manuscrit. trouv par POZDNEYlV, en 1879 dans un village bouriate et. publi par lui dans sa Chrutoma,hie monrok (St.-Ptersboutg, 1900, p. 293-311 ). Le texte es t crit en mongollitt.raire, avec des t.races de bouriate moderne. L'auteur semble avoir t un bouriate moiti lamaiste (PARTANEN, p. 3). Mal heureusem en t, ce document ne rapporte que le cOt extrieur du rituel. Plusieurs dtails nots par CBANGALOV y manquent.

riche (1) . L'apprenti promet d'observer les rgles, et rpte la prire dite par le maltre. Aprs l'ablution, on offre de nouveau des libations de tarasun aux esprits-gardiens, et la crmonie prparatoire est close. Cette purification par l'eau est obligatoire pour les chamans au moins une fois l'an, sinon tous les mois l'occasion de la nouvelle lune. De plus, le chaman se purifie de la mme manire chaque lois qu'il encourt une souillure i si la souillure est particulirement grave, la purification se fait aussi par le sang. Quelque temps aprs la purification a lieu la crmonie de la premire conscration, khiiriigii-k.hulkhii, aux Irais de laquelle participe toute la communaut. Les offrandes sont recueillies par le chaman et ses neuC auxiliaires (les fils t) qui vont en procession, cheval, d'un hameau l'autre. Les offrandes consistent gnralement en mouchoirs et en rubans, rarement en argent. On achte aussi des coupes en bois, des clochettes pour les btons tte de cheval (horsesticks), de la soie, du vin, etc. Dans la rgion de Balagansk, le candidat, le chaman-pre, et les neul fils du chaman, se retirent sous une tente et jenent pendant neuC jours, vivant seulement de th et de farine bouillie_ Autour de la tente, on passe trois Cois une corde laite de poils de cheval, laquelle on fixe de petites peaux d'animaux. A la veille de la crmonie, une quantit suffisante de bouleaux solides et droits sont coups par le cbaman et ses neul fils . L'abat tage a lieu dans la lort o sont enterrs les habitants du village et, pour apaiser l'esprit de la fort, on fait des offrand es de viande de mouton et de tarasun. Dans la matine de la lte, les arbres sont disposs en ordre: on commence par fixer un bouleau solide, dans la yourte les racines dans l'tre et le sommet sortant par l'orifice suprieur (trou de lume). Ce bouleau est nomm udeii-burkhan, le gardien de la porte, (ou. dieu portier .) car il ouvre l'entre du Ciel au chaman. Il restera toujours dans la tente, servant de marque distinctive de la demeure du chaman. Les autres bouleaux sont placs loin de la yourte, l o aura lieu la crmonie d'initiation, et ils sont plants dans un certain ordre: 1. un bouleau sous lequel on pose du tar~un et d'autres offrandes, et aux branches duquel sont lis des rubans rouges et jaunes, s'il s'agit d' un 4( chaman noir t, blancs et bleus dans le cas d'un cha man blanc .) et de quatre couleurs si le nouveau chaman est dcid servir toutes les catgories d'esprits, bons et mauvais; 2. un autre bouleau auquel on aUache une cloche et la peau d'un cheval sacrifi; 3. un troisime, assez solide et bien plant dans la terre, auquel le nophyte devra grimper. Ces trois bouleaux, gnralement arrachs avec leurs racines, sont appels c piliers 1) (sarga) . i 4. neuf bouleaux, groups par trois, relis ensemble par une corde de poil

_.-

(1) HAan (op. cit., p. 493), dcrit. ce rite de purification aprs l'initiation proprement dite. En effet, comme nous aUons le voir Il l'instant, un rite analogue a lieu immdiatement aprs la monte crmonielle des bouleaux. 11 est d'aill eurs probable que Je scnario initiatiqu e a bea ucoup vari au cours du temps; il existe aussi des diffrences notables d'une tribu l'autre.

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L' I N ITI ATION CIJAMAN IQUE

L'INITIATI ON CHAMANIQUE

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de cheval blanc sur laquelle sont attachs des rub ans diversement colors el disposs dans un certain ordre: blanc, bleu, rouge, jaun e (ces co uleurs signifient peut-tre les ditTrents niveaux clestes); sur ces bouleaux seront exposes les peaux des neuf btes sacrifi es, el des aliments; 5. neuf poteaux auxquels on attache les animax destins au sacrifice ; 6. de gros boulea ux arrangs dans un ordre bien dfini et auxquels seront suspendus plus tard les os des anima ux sacrifis envelopps de paille (1) . Du bouleau principal, qui se trouve A l'intrieur de la yourte, tous les autres arb res rangs l'extrieur, co urent deux rub ans, l' un rouge et l'autre bleu; c'est le symbole de l' arc-cn-ciel ., du chemin par lequ el le chaman atteindra le domaine des esprits, le Ciel. Ces divers prparat ils termins, le nophyte et les fil s du chaman " tous vtus de blanc, procdent ]a conscration des instruments chamaniques : on sacrifie un mouton en l'honn eur du Seigneur et de la Dame du bto n tte de cheval, et on otTre du tarasun. ParCois, on barbouille le bton avec du sang de l'animal sacrifi: ds ce moment le bto n tte de cheval s'anime et se transforme en cheval vritable. Aprs cette conscration des instruments chamaniques commence un e longue crmonie qui consiste dans l'offrande de taras un aux divinits tutlaires - les Khans occidentaux et leurs neul fils et aux anctres du pre-chaman ., aux esprits locaux et aux esprits protecteurs du nouveau chaman, quelques clbres chamans morts, aux burkhan et d'autres divinits mineures (2). Le pre-chaman , lve de nouveau une prire aux diffrents di eux et esprits, et le candidat rpte ses paroles i d'aprs certaines traditions, il tient une pe dans la main et, ainsi arm, grimpe au bouleau qui se trouve l'intrieur de la yourte, atteint le sommet et, sortant par le trou de fum e, cri e avec force pour invoquer l'aide des dieux. Pendant ce temps-l, les personnes et les objets dans la yourte sont continu ellement purifis. Ensuite, quatre , fils du chaman , portent
(1) Le texte traduit par Partanen donne quantit de dtails sur les bouleaux et les poteaux rituels ( 10-15). L'arbre situ a u nord s'appelle Arbre-Mre. A son som met est suspendu, par des rubans de soie ou de coton, un nid d'oiseau dans Je~uel sont pla cs, sur du co ton ou sur de la laine blanche, Q.Q.uf uls..et une lune faite d un morceau de velours blanc, coll sur un rond d'corce d8J5OUl ea u ... Le grand arbre du sud s'appelle Arbre-Pre. A son sommet (un morceau ) d'corce reco uvert de velours rouge (est suspendu ) qu'on appelle Soleil. (1 10). Au nord de l'Arbre-Mre, du cOt de la you rte, on plante sept bouleaux ; sur chacun des qu atre cots de la yourte on place quatre ~rbres et Jeur pied on installe une marche pour y brler (co mme encens) du gcm vre et du thym. Ceci s'a ppelle l'~chell e (sita ) ou Marches (geskigilr ) ( 15). On trouvera une a nalyse dtaille de tou tes les sources concernan t ces bouleaux ( " exception du texte traduit par Partanen) dans W. SC HMIDT, Der Ursp runr,
X, p. '105-08.

( 2 ) Sur les Khan s et le pan thon assez complexe des Bouriates, v. SAl'I'n CRZU V, IVdtanschauunG und Schamanismu&, p. 939 sq. ; \V. SCHMIDT, Der Ur&prun f. X, p. 250 sq. Sur les burkhan, vOr la longue note de SHIROll:OGOROV (Srama,,!a-Sh aman, p .. 120-121 ) . contre les vues de B. LAUFER (Burhhan , J ournal of the American Oriental Society . , XXXV I, 1917, p. 390-95) qui nie les traces bouddhistes chez les Tongouses ? ' ~mou r . Quant aux Significa tions ultrieures du terme burkhan chez les Turcs (ou Il est apphqu Lour tour Bo uddha, Man i, Zarathustra etc.) v. PuTALI.OZU, Il manichei& mo pre&So i Turchi occide ntali td orientali, p. 456, a.

n.

le candidat sur un tapis de feutre l'extrieur de la yourte, en chantant. Le groupe entier, ayant sa tte le pre-chaman t suivi du candidat et des neuf fil s " des parents et des assistants, se dirige en procession vers le lieu o se trouve la range de bouleaux. A un certain point, prs d'un bouleau, la procession s'arrte: on sacrifie un bouc et le candidat, torse nu, est oint de sang la tte, aux yeux et aux oreilles, pendant que les autres chamans jouent du tambourin. Les neul fils , trem pent leurs balais dans l'eau, en lrappent le dos dcouvert d u candidat et chamanisent. On sacrifie aussi neuC animaux ou davantage, et pendant qu'on prpare la viande a lieu le rituel de l'ascension au ciel. Le pre chaman. gravit un bouleau et rait neuf incisions au sommet. Il descend et prend place sur un tapis que ses fils, ont apport au pied de l'arbre. Le candidat monte son tour, suivi par les autres chamans. En grimpant, ils tombent tous en extase. Chez les Bouriates de Balagansk, le candidat, assis sur un tapis de feutre, est port neuf C ois autour des bouleaux: il monte sur chacun d'entre eux et CaiL neuC incisions leur sommet. Pendant qu'il se trouve en haut, il chamanise : terre, le pre-chaman . chamanise lui aussi, en C aisant le tour des arbres, D'aprs Potanin, les neuf bouleaux sont plants l'un prs de l'autre et le candidat, port sur un tapis, saute devant le dernier, y grimpe jusqu'au sommet et rpte le mme ritu el sur chacun des neuf arbres, ceux-ci symbolisant, comme les neuf entailles, les neuf cieux. A ce moment, les mets sont prts et, aprs avoir fait des offrandes aux dieux (en jetant des morceaux dans le leu et en l'air), le banquet commence. Le chaman et ses fils se retirent ens uite dans la yourte, mais les invits continuent longtemps festoyer. Les os des animaux sont suspendus, envelopps dans de la paille, aux neuf bouleaux. Dans les temps anciens, il y avait plusieurs initiations i Changalov et Sand che je v (Weltanschauung, p. 979) parlent d~, Petri de cinq (Harva, p. 495). D' aprs le texte publi par P ozdneyev, une deuxime et une troisime initiation devaient avoir lieu aprs 3 et. 6 ans respectivement (Partanen, p. 24, 37). Des crmonies similaires sont attestes chez les Sibo (population apparente aux Tongouses), chez les T atars d'Altai et aussi, dans un e certaine mesure, chez les Yakoutes et les Goldes (Harva, p. 498). Mais, mme l o il n' est pas question d'une initiation de ce type, nous rencontrons des rituels chamaniques d'ascension cleste qui lont tat de co nceptions analogues. On se rendra compte de cette unit londamentale du chamanisme du centre et du nord de l'Asie en tudiant la technique d~s sances_ On pourra alors dgager la structure cosmologique de tous ces rites cbamaniques. Il est vident, par exemple, que le bouleau symbolise l'Arbre Cosmique ou l'Axe du Monde et que, par consquent, il est suppos occuper le Centre du Monde: en y grimpant, le chaman entreprend un voyage extatique

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L'INITIATION CHAMANIQUE

L'INITIATION CHAl'ttAN IQUE

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au Centre . Nous avons dj rencontr cet important motif mythique propos des rves initiatiques et il apparaitra encore plus nettement propos des sances des chamans altaiques et du symbolisme des tambours. On verra d'ailleurs que l'ascension au moyen d'un arbre ou d'un poteau joue un rle important dans d'autres initiations de type cham anique; elle doit tre considre comme une des variantes du thme mythico-rituel de l'ascension au Ciel (thme qui comprend aussi le vol magique " le mythe de la chaine des flches >, de la corde, du pont, etc.). Le mme symbolisme ascensionnel est attest par la corde (= Pont) qui relie les bouleaux et sur laquelle sont suspendus des rubans de diverses couleurs (= les rayons de l'Are-en-Ciel, les diffrentes rgions clestes). Ces thmes mythiques et ces rituels, bien que spcifiques des religions sibriennes et altaques, ne sont pas exclusivement propres ces cultures, leur aire de diffusion dpassant, et de beaucoup, le Centre et le Nord-Est de l'Asie. On se demande mme si un rituel aussi complexe que l'initiation du chaman bouriate pourrait tre une cration indpendante car, ainsi qu'Uno Harva l'a observ il y a dj un quart de sicle, l'initiation bouriate rappelle trangement certaines crmonies des mystres mithriaques. Le candidat, torse nu, est purifi par le sang d'un bouc qu'on immole parfois au-dessus de sa tte; en certains lieux, il doit mme boire du sang de l'animal sacrifi (cf. Harva (Holmberg), Der Baum des Lebens, p. 140 sq. ; Die religiOsen Vorslellungen, p. 492 sq.), crmonie qui ressemble au taurobolwn, le rite principal des mystres de Mithra (1). Et, dans les mmes mystres, on utilisait une chelle (climax) sept chelons, chaque chelon tant fait d' un mtal diffrent. D'aprs Celse (Origne, Contra Celsum, VI, 22), le premier chelon tait de plomb (correspondant au ciel, de la plante Saturne), le deuxime d'tain (Vnus), le troisime de bronze (Jupiter), le quatrime de fer (Mercure), le cinquime d' alliage montaire (Mars), le sixime d'argent (la lune), le septime d'or (le soleil). Le huitime chelon, nous dij.Celse, reprsentait la sphre des toiles fixes. En gravissant cett chelle crmonielle, l'initi parcourait effectivement les sept cieux " s'levant ainsi jusqu' l'Empyre (2). Si on tient compte des autres lments iraniens prsents, BOUS une forme plus ou moins dfigure, dans les
(1) Au Il ' sicle de notre re, PRUDENCE (Pel' sreph., X, 1011 sq.) dcrit ce rituel en Iason avec les mystres de la Magna Mater, mais il y a des raIsons de croire que Je taurobolion phrygien a t emprunt aux Persans; cf. Fr. CUMONT, Les religions orientales dans le paganisme romain (al d., Paris, 1929), p. 6a sq., 229 sq. (2) Sur J'ascension au Ciel par des marches, chelles, montagnes, etc., cf. A. DU~TB RICH, Eine Mithrasliturgie (21 d., Leipzig-Berlin,<1910), p. 183 et p. 254.; v. plm bas, p. 378 sq. Rappelons que chez les Altaques et les Samoydes le nombre sept joue galement ur rOle important. Le . pilier du monde . avait sept tages (U. HUVA. (HOLMBERa), FinnoUgric (and] Siberian [Mythalogy], p. 338 sq.), l'Arbre Cosmiq ue sept branches (id., DerBaum chs Lebem, p. 137 ; Die reliqiosen Vorstellun~e". p. 51 sq.) , etc. Le nombre 7, qui domine le symbolisme mithri aque (sept sphlrel'i clestes; sept toiles, ou sept couteaux, ou sept arbres, ou sept autels, etc., dans les monuments figurs ), est dO aux influences babyloniennes qui se sont exerces de bonne heure sur le mystre iranien (cl. par ex., R. PBTTAZZ ON J, 1 Mi8~ri: saggio di una reoria storico-religiosa, Bologne, 1924., p. 231, 24.7, etc.). Sur le symbolisme de ces nombres, v. plus bas, p. 222 sq.

mythologies de l'Asie centrale (1), et si on se rappelle le rle important jou, au premier millnaire de notre re, par les Sogdiens comme intermdiaires entre la Chine et l'Asie centrale, d'une part, l'Iran et le Proche-Orient, de l'autre (2), l'hypothse du savant finlandais apparalt vraisemblable. . . . . Il nous suffit, pour l'instant, d'aVOIr mdlqu ces quelques mfluences iraniennes probables sur le rituel bouriate. Tout ceci montrera son importance quand il sera question des apports du sud et de l'ouest de l'Asie dans le chamanisme sibrien.

INITIATION DE LA CHAMANE ARAUCANE

Il n'est pas dans notre intention de chercher tous les parallles qu'on pourrait trouver ce rituel d'initiation ohamanique bouriate. Nous rapp ellerons seulement les plus frappants , et spcialement ceux qui comportent oomme rite essentiel la monte d'un arbre ou un autre moyen plus ou moins symbolique d'ascension au Ciel. Nous com~en ons par la conscration sud-amricaine: celle de la macht, la chamane araucane (3). Cette crmonie d'initiation est centre sur la monte rituelle d'un arbre ou plutt d'un tronc dcortiqu qui porte le nom de rewe : celui ci est d'ailleurs le symbole mme de la profession chamanique et toute machi le garde indfiniment devant sa hutte. On corce un arbre de trois mtres, qu'on entaille en forme d'escalier, et on le plante solidement en terre devant l' habitation de la future chamane, (t un peu inolin en arrire pour en faciliter l'ascension . Parfois, des hautes branches so nt fiches en terre tout autour de la rewe lui faisant une enceinte de 15 m sur 4 (Mtraux, p. 319). Quand cet'te chelle sacre est installe, la candidate se dshabille et, ne gardant que sa chemise, s'tend sur une couche faIte de peaux d~ mouton et de couvertures. Les vieilles chamanes commencent lm frictionner le corps avec des Ceuilles de canelo, tout en excutant des passes magiques. Pendant ce temps, les ~ssistantes chantent. en ch~r et agitent les sonnailles. Ce massage rituel se. rpte plUSIeurs fOl~. Ensuite, ses aines se penchent sur elle et lUi sucent la pOItrme, le
(1) Signalonscn quelques-uns: le mythe de l'Arbre miraculeux Gaokrna qui crott sur une Ile du lac (o u de la mer) Vourukasha, et prs dl:'quel se trouve le lzard monstrueux cr far Ahriman (Vid"dt, XX, 4.; Bundahlsn XVI II, 2; XXVII, 4., etc.), mythe qu on rencontre aussi chez les Kalmouks (u!l drar;n se trouve dans J'ocan prs de l'arbre miraculeux Zambu), chez les Bouriates le serpent Ab.yrga auprs 'de l'arbre dans le lac de lait ) , et ailleur~ (l!. HARVA i OLMBER~), Fmn~ Ugric [and) Siberian (Mythalogy), p. 356 sq.). MaiS il faut envisager aussI la POSSIbilit d'une influence indienne; cr. plus bas, p. 216 sq. .. . . . (2) Voir Kai DONN~R, a,ber so.ghdisch ,,:m . Gesetil . und samoJedlsch nom. Hlmmel, Gott (dans. Sludla OrlCnlaha., Helsmglors, 1925, vol. 1 ; p. 1-8). . .. (3) Nous suivrons la description de A. MTRA UX, Le shamantsme araucan, q,ul utIlise toute la documentation antrieure, spciale ment E. ROBLES ROORIGUBS, Gutllatunes, costumbreB y creencias araucanas (Anales de la Universidad de Chile, t. 127, Santiago du Chili, 1910, p. 151-177) et R. P. Houssa, Une Epop~e indienne. Ls Araucans du Chili.

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L' INITIATION CHAMANIQUE

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ventre et la t te avec un e t elle foree que le sang jaillit, (Mtraux, p. 321). Aprs cette premire prparation, la candidate se relve, s'habille et s'assied sur une chaise. Les chants et les danses cont.inuent toute la journe. Le lendemain, la fte bat so n plein. Une foule d'invits arrivent. Les vieilles machi font cercle, tambourinant et dansant tour de rle. Enfin, les machi et la candidate s'approchent de l'arbre-chelle et commencent la monte, l'une aprs l'autre. (D'aprs l'informateur de Moesbach, la candidate monte la premire). La crmonie s'achve par le sacrifi ce d'un mouton. Nous venons de rsumer la description de Robles Rodriguez. Le R. P. Housse donne plus de dtails. L'assistance fait cercle autour de l'autel, o l'on sacrifie des agneaux offerts par la famille de la chamane. La vieille machi s'adresse Dieu: 0 Dominateur et Pre des hommes, je t 'asperge avec le sang de ces animaux que tu as crs. Sois-nous propice 1 etc. L'animal est abattu et son cur est suspendu l'une des branches du canelo. La musique commence et tous s'assemblent autour de la rewe. Suit le banquet et la danse, qui se prolongent toute la nuit. A l'aube, la candidate rapparalt et les machi so utenues par les tambours, recommencent danser. Plusieurs d'entre elles tombent en extase. La vieille se bande les yeux et, avec un couteau de quartz blanc, en ttonnant, fait plusieurs incisions sur les doigts et les lvres de la candidate; ensuite elle pratique les mmes incisions sur ellemme, et mle son sang celui de la candidate. Aprs d'autres rites, la jeune initie monte au rewe, en dansant et tambourinant. Les aInes )a suivent, et s'tayent sur les degrs j les deux marraines l'encadrent sur la plate-forme. Elles la dpouillent du collier de verdure et de la toison sanglante (n. b. avec lesquelles elle venait d'tre orne peu de temps avant) et les accrochent aux rameaux des arbustes. Le temps seul doit peu peu les dtruire, car ils sont sacrs. Puis, le collge des sorcires redescend, leur cadette la dernire, mais reculons et en cadence. A peine ses pieds touchent-ils le sol, une immense clameur la salue ; c'est le triomphe, c'est du dlire, c'est la bousculade, chacun veut la voir de prs, lui toucher les mains, l'embrasser 1 (Housse, Une pope indienne, cit par Mtraux, p. 325) . Suit le banquet, auquel participe toute l'assistance. Les blessures gurissent en huit jours. D'aprs les textes recueillis par Moesbach, la prire de la machi semble tre adresse au Dieu-Pre (c Padre dios rey anciano " etc.). Elle lui demande le don de doubl e-vue (pour apercevoir le mal dans le corps du malade) et l'art de tambouriner. Elle lui demande en plus un cheval " un taureau. et un couteau. - symboles de certains pouvoirs spirituels - et, enfin, une pierre raye ou de couleur . (Cette dernire est une pierre magique qui peut tre projete dans le corps du patient pour le purifier; si eUe ressort sanglante, c'est signe que le malade est en danger de mort. C'est avec cette pierre qu'on frictionne les malades). Les machi promettent l'assemble que la jeune initie ne pratiquera pas la magie noire. Le texte de Rodriguez ne fait

pas tat du Dieu-Pre., mais de (lUeo, qui est le machi du Ciel, c'est -dire le Grand Chaman cleste. (Les vileos habitent , le milieu du Ciel . ). Comme partout o il est question d' une Jt8cension initiatique, la mme ascension se rpte aussi l'occasion de la cure chamanique (Mtraux, p . 336). Retenons les notes dominantes de cette initiation : la monte extatique d'un arbre-chelle, symbolisant le voyage au ciel et la prire adresse sur la plate-forme au Dieu suprme ou au Grand Chaman cleste qui sont rputs octroyer la machi aussi bien les pouvoirs de gurir (clairvoyance, etc.) que les objets magiques ncessaires la cure (la pierre raye, etc.). L'origine divine ou, au moins, cleste des pouvoirs mdicaux est atteste chez nombre d'autres population's archaques: p. ex. chez les Pygmes Semang, o le hala traite les mala dies avec l'aide des Cenoi (intermdiaires entre Ta P edn, le Dieu suprme, et les humains) ou avec des pierres de quartz dans lesquelles souvent ces esprits clestes sont supposs habiter - mais aussi avec l'aide de Dieu (voir plus loin , p. 268). Quant la pierre raye ou de co ul eur , elle aussi est d'origine cleste ; nous en avons dj rencontr nombre d'exemples en Amrique du Sud et ailleurs (supra , p. 54 sq), et nous aurons encore y revenir (1) .

L'ASCEN SION RIT U ELLE DES ARDRES

La monte ritu elle d' un arbre comme rite d'initiation chamanique se rencontre aussi en Amriqu e du Nord . Chez les P orno, le crmonie d'entre dans les socits secrtes dure quatre jours, dont un jour entier est rserv l'ascension d'un arbre poteau de 8 10 mtres de hauteur et de 15 cm de di amtre (2). On se rapp elle que les futurs chamans sibriens grimpent Bur des arbres pendant ou avant leur conscration. Comme nous le verrons (p. 316 sq .), le sacrificat eur vdique monte lui aussi au poteau rituel pour atteindre le Ciel et les dieux. L'ascension par le moyen d'un arbre, d'une liane ou d'un e corde est un motif mythique trs rpandu: on en trouvera des exemples dans un chapitre ultrieur (p . 378 sq.). Ajoutons, en fin, que l'initiation au troisime et plus haut degr
(f ) 11 faut aussi noter que, chez les Araucans, ce sont. les femmes qui prat.ique!lt. le chamanisme; jadis, il tai t l'apanage ries inver tis sex uels. On rencontre un~ S l tu~ tion assez analogue chez les Tchouk tches: la plupart des chamans sont des IRvertls et parfois pren nent mOme des maris; mais, mme s'ils sont sexuellemen t n~rlllaux s sont contraints par leurs espri ts-guides de s'habiller en femme (cf. W. BOG~RAZ, TM Chuhchee, The J esup North Pacific Expedition, vol. VII , New York, 190fl, p. 450 sq.). y a-t -il une relation gntique entre ces deux chamanismes? Il nous semble difficile d'en dcider. (2) E. M. Lou, Pomo Folhway, (Univ. of California Publications in Am erican Archaeology and Ethnology, X I X, 2, Berkeley, 1926 , p. H. 9-40ft), p. 372-374. Cf. d'autres exemples provenant des deux Amriques dans M. E LIA DE, Nausaflu. mystiqll~s, p. 155 sq. Voir aussi Josef Hu .. u, KOlmischu Baum und Pfahl im Mythtu und K ult MI' Stiimme NOl'dwestamel'iheu (in Wiener VO lkerkundliche Milteilungen " V l t 1958, n. s. 1, p. 33-81), p. 77 !q . I..e Ch a uulnis mc
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L' U'IlTIATIQ N C HAM AN IQ UE

L' I NIT I ATION CHAMANJQUE

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chamanique du manang (voir ci-dessus, p. 62 sq.) de Sarawak comporte une monte rituelle: on apporte, dans la vranda, une grande cru che aux bords de laquelle on appuie deux petites chelles; se faisant face pendan t toute une nuit, les matres initiateurs conduisent le candidat sur une des chelles et le lont redescendre par l'autre. Un des premiers observate urs de cette initiation,l'Archdeacon J. Perham, crivant vers 1885, avouait qu'il ne put obtenir aucune explication du rite (1). Pourtant, le sens semble assez clair: il ne peut s'agir que d' une ascension symbolique au ciel suivie de la redescente sur terre. Des rituels similaires se rencontrent Malekula : un des degrs suprieurs de la crmonie Maki s'appelle justement . chelle. (2) et la monte sur un e plate form e constitue l'acte essentiel de cette crmonie (3). Mais il y a plus encore : les chamans et les medicine-men, tou t comme, d'ailleurs, certains types de mystiques, sont capables de s'envoler, tels des oi sea~x, et de se percher sur des branches d'arbre. Le chaman hongrois (tltos) pouvait bondir dans un saule et s'asseoir sur une branche qui e t t trop laible pour un oiseau . (4). Le saint iranien Qutb ud-dln Haydar tait Irquemment aperu au sommet des arbres (voir plus bas, p. 315, n. 2) . Saint J ose ph de Copertino s'envola SUl' un arbre. et resta une demi-heure sur une branche que l'on voyait osciller comme si un oiseau avait t pos dessus . (cf. plus loin, p. 375) . f Les expriences des medicine-men australiens sont galement intressantes. Ces derniers prtendent disposer d' une sorte de cord e magique l'aide de laquelle ils peuvent grim per au sommet des arb res. Le magicien s'allonge sur le dos sous un arbre, fait monter sa corde et y grimpe jusqu' un nid plac au sommet de l'arbre; il passe ensuite dans d'autres arbres, et, au coucher du soleil , redescend le long du tronc , (A. P. Elkin, Aboriginal M en of High Degree, p. 64-65) . Selon les inlormations recueillies par R. M. Berndt et A. P. Elkin , un magicien wongaibon, tendu sur le dos au pied d'un arbre, fit monter tout droit sa cord e et y grimpa, la tte ram ene en arrire, le corps dgag, les jambes cartes et les deux bras aux cts. Parvenu au bout, qu arante pieds, il agita les bras en direction de ceux qui taient en bas, puis il descendit de ]a mme manire, et, tandis qu'il tait encore sur le dos, la corde rentra dans son corps,. (Elkin, ibid. i cl. aussi M. Eliade, Mphistophls et l'androgyne, p. 231 sq.). Cette corde magique n'est pas sans nous rappeler le tour de la corde. (rope-trick) indien dont nous allons tudier plus loin la stru cture chamanique (cl. p. 335 sq.).
(1 ) Texte reproduit par H. Ling ROTH, The Nat ives of Sarawak, l , p. 281. Voir aussi E. H. OOM85, Seventeen Y ears among tlu Sea Dyaks of Borneo, p. 178 sq. (2) Sur cette crmonie, voir J. LUARD , Stone M en of Malekula (Londres, 1942), ch. X I V. (3) cr. aussi A. B. DU.CON, M alekula. A Vanishing People in the New H ebride. (Londres, 193(1 ), p. 379 sq. ; A. RIESENFELD, The Megalilhic Culture of Melane.ia (Leyde, 1950), p. 59 sq., etc. ' ('. ) Ol.a R611& IM, Hu ngarian Shama nism (in . Psychoanalysis and the Social Sciences ., Ill, tA, New York, 1951, p. 131-69), p_ 13tA.

LE VOYAGE CLESTE DU CHAMAN CA RIBE

L'initiation des chamans caribes de la Guyane hollandaise, hien que centre, elle aussi, sur le voyage extatique du nophyte au Ciel utilise des moyens diffrents (1). On ne peut devenir pujai que si l'on russit voir les esprits et nouer avec eux des relations directes et durables (2). Il s'agit moins d'une possession , que d'une vision extatique rendant possible la communication et le dialogue avec les esprits. Cette exprience extatique ne peut avoir lieu qu'en montant au Ciel, mais le novice ne peut entreprendre le voyage que s'il a t la lois instruit d~ns l'idologie traditionnelle et pr"ar, physiquement et psychologiquement, pour la transe. L'apprentissage, on va le constater, est d'une extrme rigueur. Habituellement, six jeunes gens sont initis ]a fois. Ils vivent compltement isols dans une hutte leve spcialement cet effet et couverte de feuilles de palmier. On exige d'eux un certain travail manuel: ils s'occupent du cham p de tabac du maitre-initiateur et, d'un t ronc de cdre, constrUisent un banc en forme de caman qu'ils portent devant la hutte; c'est sur ce banc qu'ils s'assoient tous les soirs pour couter le maitre ou pour attendre les visions. Chacun d'entre eux se fabrique, en outre, ses propres sonnailles et un bton magique, long de 2 mtres. Six jeunes filles, surveilles par une vieille instructrice, sont au service des candidats. Elles pourvoient journellement au jus de tabac que les nophytes doivent boire en grande quantit, et , tous les soirs, chacune d'elles frotte avec un liquide rouge le corps entier d'un apprenti; c'est pour le rendre beau et digne de se prsenter devant les esprits. Le cours d'initiation dure 24 jours et 24 nuits, et il est divis en quatre parties: chaque srie de trois jours et trois nuits d'instruction est suivie de trois jours de repos. L'instru ction a ' lieu, pendant la nuit, dans la hutte : on danse en rond , on chante et ensuite, assis sur le banc en form e de caman, on coute le maitre discourir sur les esprits, bons et mauvais, et spcialement sur le Grand-Pre Vauto ur I , qui joue un rle essentiel dans l'initiation. Celui-ci a l'aspect d'un Indien nu i c'est lui qui aide les chamans s'envoler au Ciel au moyen d'une chelle tournante. Par la bouche de cet Esprit parle le Grand-Pre
(t ) Nous su ivrons l'Lude de F riedrich ANDRES, Die Himmeureue der caraibillchen Medi=in'." an.~r ZeilschriCt lr Ethnologie -, vol. 70, 1938, Hett3 /S, 1939, p. 331 342), qUI utilise es recherches d es ethnologues hollandais F. P. et A. Ph. PENARD, W. AHLBRI NCI; et C. H: de OOE~E. cr. aussi W. E. ROTU, An Inquiry into tlu Animum and Folklore of the GUlana- Ind,a ns (30 th Annual Report oCthe Bureau oCAmerican Ethnotogy 1908-1909, Washington, 1915, p. 103-386); A. MiTRAUX Le IIhamanisme che~ l~. I ndiens ~ ~'A.mrique du Sud tropicale, p. 208-209. Voir a~ssi C. H . de OOEU,. Phl.losophy, lnltl.atlon and M.yLhs of tlu lndia~ of Guiana and Adjacent Countrles, (IR l!lte~natlOnal es A~C~ly ~r Ethnographie _, XL IV, Leid en, 1943, p. 1-136), en parltcuiler p. 60 sq. (uutJallon du mtdiclne.man/ 12 (la t ra nse considre co mme un moyen de vorager jusqu'au ciel), 82 (l'chet ~ conduisant a'u ciel). (2) AIILBRINCK le nomme p yl et traduit ce terme pa r ' exorciseur d'esprit _ (ANDRES p. 333). Cr. ROTH , p. :126 sq. '

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L ' INITIATION CUAMANIQUE

L' I N ITIATI ON CH AMAN IQVE

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Indien ., c'est--d ire le Crateur, l'"f:tre suprme (1). Les danses imitent les mouvements des animaux dont le matre a parl dans son instruction. Le jour, les candidats restent dans les hamacs, l'intrieur de la hutte. Pendant la priode de repos, ils gisent sur le banc et, les yeux bien frotts avec du jus de piment, ils pensent a ux leons du maitre et s'efforcent de voir les esprits (Andres, p. 336-337) . Pendant to ute la dure de l'instruction, le jene est presque absolu: les apprentis fum ent continuellement des cigarettes, mchent des feuilles de tabac et boivent du jus de tabac. Aprs les danses extnuantes de la nuit, le jene et l'intoxication aidant, les apprentis sont prpars pour le voyage extatique. La premire nuit de la deuxime priode, on leur enseigne se transformer en jaguars et en chauvessouris (Andres, p. 337). La cinquime nuit, aprs un jene total (mme le jus de tabac est interdit) , le maitre t end plusieurs cord es diffrentes hauteurs et les apprentis dansent tour de rle sur ces cord es ou se balancent en l'air en se tenant avec les mains (ibid., p. 338). C'est alors qu' ils ont leur premire exprience extatiq ue: ils rencontrent un Indien, qui est en ralit un esprit bienveillant (Tukajana) : Viens, novice. Tu te rendras au Ciel par l'chelle du Grand-Pre Vautour. Ce n'est pas loin. L'apprent i , grimpe une sorto d'chelle tournante et parvient au premier tage du ciel o il traverse des villages d'Indiens et des villes habites par des Blancs. Ensuite, le novice rencontre un Esprit des Eaux (Amana), femme de grande beaut, qui l'engage plonger avec elle dans la ri vire. L, elle lui communique des charmes et des formules magiques. Le novice et son guide abo rdent sur l'autre rive de la rivire et parviennent au carrefour de la Vie et de la Mort . Le futur chaman peut, son choix, se rendre dans le Payssans-soir It ou dans le Pays-sans-aube . L'esprit qui l'accompagne lui rvle alors le sort des mes aprs la mort. Le candidat est brusquement ramen sur L erre par une vive sensation de douleul'. C'est le maUre qui a app1iqu, contre la peau, le maraque, sorte de natte dans les interstices de laquelle sont insres de grosses fourmis venimeuses (2) . Dans la deuxime nuit de la quatrime priode d' instruction, le maltre place les apprentis tour de rle sur une plate-forme suspendue au pla fond de la hutte par plusieurs cordes tordues ensemble qui en se droulant font tourner la plate-forme de plus en plus vite. (Mtraux, ibid. , p. 208) . Le novice chante: La plat e-forme du pujai me portera au Ciel. J e verrai le village de Tukajana . Et il pntre successivement dans les difTrentes sphres clestes et a des visions
(1) Friedrich ANDI\ES, p. 336. Notons que, chez les Caribes aussi, le pouvo ir cha manique drive en dernire instance du Ciel et de l'~tre Suprme. Rappelons galement le rO le de l'Aigle dans les mythologies chamaniques sibriennes: pre du premier cham an , oisea u 80laire, messager du dieu cleste, intercesseur en tre Dieu et les hum ains. (2) MTRAUX, Le ,hamarli,me che~ le. ITidien.$ de "Amrique du Sud tropica, p. 208 , rsumant F. AND RU, p. 838 -339. Voir aussi Alain GHEERBRAN T, Journey to tM FaI' Amalion : an E'Xpeditlf)7t inlo Unlcnown Territory (New York, 1954), p. 115 128 ainsi que les iIIustrotions de muraque qui accompagnent ce texte . "

des esprits (1). On utilise galement l'int.oxicat.ion avec la plante takini, qui donne une forte fivre. Le novice tremble de tous ses membres et on croit que les ma uvais esprits sont ent rs en lui et lui dchirent le corps. (On reconnait le motif initiatique bien connu du morcellement du corps par les dmons). A la fin, l'apprenti se sent port dans les cieux et jouit des visions clestes (Andres, p. 341). Le folklore caribe gard e le souvenir d'un temps o les chamans taient t rs fort.s : ils pouvaient, dit-on , voir les esprits avec leurs yeux charnels et taient mme capables de ressusciter les mort.s. Une fois, un pujai monta au Ciel et menaa Dieu ; celui-ci, s'emparant d'un sabre, repoussa l'insolent et, depuis, les chamans ne peuvent plus se rendre au Ciel qu'en extase (Andres, p. 341-42) . Soulignons la ressemblance entre cos lgendes et les croyances nord-asiatiques relatives la grandeur initiale des chamans et leur dchance ultrieure, encore accrue de nos jours. Nous pouvons dj y lire, comme en filigrane, le mythe d'une poque primordiale o la communication entre chamans et Dieu tait plus directe et avait lieu d'une manire concrt e. A la suite d' un gest.e d' orgueil ou de rvolte d( la part. des premiers chamans, Dieu leur interdit l'accs direct aux ralits spirituelles: ils ne peuvent plus voir les esprits avec les yeux charnels et l'ascension au Ciel ne peut plus s'accomplir qu'en extase. Comme nous ne tarderons pas de le voir, ce motif mythique est encore plus riche. A. Mtraux (p. 209) rappelle les observations des anciens voyageurs propos de l'initiation des Caribes des Iles. Laborde rapporte que les maltres lui (au nophyte) frottent aussi le corps de gomme, et le couvrent de plumes pour le rendre adroit voler, et aller la case du zemeen (esprit.s) ... Dtail qui n'est pas pour nous surprendre, le costume ornithomorphe et les autres symboles du vol magique faisant partie intgrante du chamanisme sibrien, nord -amri cain et indonsien . Plusieurs lments de l'initiation caribe sc retrouvent ailleurs en Amrique du Sud : l'intoxication par le tabac est une note caractristique du chamanisme sud-amricain; la rclusion rituelle dans une hutte et les dures preuves physiques auxquelles sont soumis les apprentis forment un des aspects essentiels de l'initiation des Fugiens (Selk'nam et Ya mana) ; l'instruction pa r un mattre et la visualisation > des esprits sont galement des lments constitutifs du chamanisme sud-amricain. Mais la technique prparatoire du voyage extatique au Ciel semble tre particulire au pujai caribe. Remarquons que nous avons affaire un scnario complet do l'initiation-type : ascension, rencontre avec une Femme-esprit, immersion dans les eaux, rvlation des secrets (concernant en premier lieu le sort postmortem des humains), voyage dans les rgions de l'au-del. Mais le
(1) A~ORES, p. 3f10. Ibid., n. 3, l'auteur cite H . FORNRR, SQla na.~en ab HeralUchung$mitltJl. Eine historisch-ethnologiscM Studu (. Archiv rr experi menlell e Pathologie und Pharmakologie . , Bd. lIT , 1926, p. 28 1-2 9 ~ 1 propos de l'extase provoque par le laurier . Sur le l'Ole des narco tiques dans le cha ma nisme de Sibrie et d'a ill eu rs , voir plus loin, p. aH sq.

118

L'INITIATION CHAMANIQUE

L' I N ITI ATION C HA~IANI QUE

119

pu,j ai s'efforce d'avoir tout prix une exprience extatique de ce


schma initiatique, mme si rextase ne peut tre obtenue qu'avec des moyens aberrants. On a l'impression que le chaman caribe met tout en uvre pour vivre in concreto une condition spirituelle qui, par sa nature mme, se refuse justement tre exprimente. de la manire dont on exprim ente . certaines situations humaines. Retenons cette observation; elle sera reprise et intgre plus tard, propos d'autres techniques chamaniques.

AS CENSION PAR L'ARC-EN-CIEL

L'initiation du medicine-man australien de la rgion de Forest River comporte aussi bien la mort et la rsu rrection symboliques du candidat qu ' une ascension au ciel. La mthode habituelle est la suivante: le maitre prend la form e d'un squelette et s'attache un sachet dans lequ el il introduit le candidat rduit, par sa magie, aux proportions d 'un trs petit enfant. Ensuite, s'asseyant califourchon sur le Serpent-Arc-en-Ciel, il commence se pousser lui-mme en s'aidant de ses bras, comme on ferait pour monter la corde. Arriv prs du sommet, il lance le candidat dans le ciel en le tuant . Une fois arriv au Ciel, le mattre introduit dans le corps de l'apprenti de petits serpents-arc-en-ciel, les brimures (n. b. petits serpents d'eau dou ce) et des cristaux de quartz (qui portent d'ailleurs le mme nom que le Serpent mythique Arc-en-Ciel)_ Aprs cette opration, le candidat est ram en sur terre, touj ours sur le dos de PArc-en-Ciel. Le mattre introduit nouveau des objets magiques en lui par l'ombilic et le rveille en le touchant d' une pierre magique. Le candidat revient sa grandeur norm ale. Le lendemain on rpte l'ascension de l'Arc-en-Ciel de la mme manire (1). Plusieurs traits de cette initiation australienne nous taient dj conn us: la mort et la rs urrection du candidat, l'insertion des objets magiques da ns so n co rps. Il est intressant de remarquer que le matre initiateur, se transformant magiquement en squelette, rduit la taille de l'apprenti aux proportions d'un nouveau-n : les deux exploits symbolisent l'abolition du temps profane et la rintgration d 'un temps mythique, Je t emps du rve. australien. L'ascension se fait par le moyen de l'arc-en-ciel, mythiquement imagin sous la C orme d' un norme serpent, sur le dos duquel le mattre-instructeur grimpe comme sur une corde. On a dj Cait allusion aux ascensions clestes des medicine-men australiens et on aura bientt l'occasion d'en renco nt rer des exemples encore plus prcis.
(1) A . P. EUIN, TM Rainbow-Serpent My th in NorthWest Atutralia (i n . Oceania. , l, 3, Melbourne, 1930, p . 349-52), p. 349-50 ; id., TM Auslralian Aborigillc8 (Sydney. Londrc5., 1938), p. 22?24; id., Aboriginal M en of HighDegree, p . 139-40. c r. M. ELIA_ ~~'. N~U8.!1anct'. mY!'!qlU.!I, p. 108 s~. Sur le SerpentArc-enCiel et son rle dans les lnltlatlOns d es ~d'Clnt'-men aus traliens, voir V. LANTERNAIU, Il Serpenle Arcobaleno e il comp lesso religio.!lo deg li Eueri pluviali in Auslralia (in . Stud i e materiali di s t oria delle religioni l , XX lII , Rome, 1952, p. 11 7-28), p . 120 sq .

Quant l'arcen-ciel on sait qu'un nombre considrable de peuples y voient le pont reliant la Terre au Ciel, et spcialement le pont des di eux (1). C'est pour cela que son apparitiOil aprs la t empte es t tenue oomme un signe de l'apaisement de Dieu (chez les Pygmes, par ex. ; cf. notre Trait, p . 56). C'est toujours par l'arc-en-ciel qu e les hros mythiques atteignent le ciel (2). Ainsi, par exemple, en Polynsie, le hros maori Tawhaki et sa famille, et le hros 'hawaiien Aukelenuiaiku, visitent rgulirement les rgions suprieures en escaladant l'arc-enciel ou en utilisant un cerl- volant, pour dlivrer les mes des morts ou retrouver leurs femmes-esprits (3). Mme Conction mythique de l'arcen-ciel en Indonsie, en Mlansie et au J apon (4). Bien qu 'indirectement, ces mythes font allusion un temps o la communication entre le Ciel et la Terre tait possible; la suite d'un certain v nement ou d 'une faute rituelle, la communication a t interrompue mais les hros et les medicine-men russissent nanmoins la rtablir. Ce mythe d'une poque paradisiaque brutalement abo lie par la chute ,. de l'homme nous arrtera plusieu rs fois encore en cours d 'expos i il es t en qu elque sorte solidaire de certaines conceptions chamaniques. Les medicine-men australiens, comme nombre d'autres chamans et magiciens d'ailleu rs, ne Cont autre chose que restaurer provisoirement, et pour eux seuls, ce pont . entre le Ciel et la Terre, j adis accessible tous les humains (5) . Le mythe de l'arc-en-ciel comme chemin des dieux et pont entre Ciel et Terre se retrouve dans les traditions japonaises (6) et il existait sans doute aussi dans les conceptions religieuses mso potamienn es (7).
(1) c r. p . ex. L . FI\OBENIUS, Die Weltansc~aullng der N~tu,.{)lJlke.' (W eimar, 1 .8 98), p. 131 sq.; P. EHI\E~REIC H ,. I?ie allgemem t A~y t~oIoGlt und lhrt elhnolog18chen Crltndlagen (Mylhologlsch e B lb.l!ot.h ek~ IV, l, LeipZig, 1910), p . 141 ; R. T . CU.RIS' TA NSEN Mytl!, M etaphor and .s unlle (10 T. A. SE BEOK , d ., Mylh .- a Sympos IUm , Philadciph ie, 1955 , p . 39-49), p . 42 sq. Pour les laits finnoougriens et tatars, voir U. I-lAR vA (HOLMDERC ) , F'innoUgric [and] Siberian [.Mythology], p . 44.? sq. ; po,:,r le monde mditerranen , cl. l'tude un peu dcevante ~e Ch . RBNBL,.1~ Arc-en-Ciel dam la tradition religieuse de l'antiquit (. Revue d e l' His toire des RehglOns 1,1902, t. 1 . 6, p. 58-80). EURENREICH, op. c. p. 133 sq. 3) cr. CUADWI CK, T Iu: Crowth of Lituature, vol. III , . 273 sq ., 298, etc. ; N~ra llADW IClt, Notes on Polynes ian Mythology (e J ournal the Royal A~thropologl?aJ Society., L X, Londres, 1930, p. 425-446) ; id., The Klte. A Study ln Po.l ynesla.n Tradition (ib id., L X I, Lond res, 1 931, p. 455-491 ); sur le cerr.volant. en Chme, VOIr B. LA UFER, Th e Prehistory of Aviation (Field Museum of Na tu~a~ HlStory, A~thro pological Series, XVlll , 1 , Chicago, 1928 ), p . 31-... 3. L es lrad ll10ns polyn$lenncs font gnralemen t tat de dix cieux s uper poss; en NouvelleZla nd e, on parle de douze. (L'origin e in d ienne de ces cosmologies es t plus que probable). Le .hros passe d'un ciel dans un aulre co mme nous avons vu s'l ever le chaman bourl ate. Il ren conlre des rem mes.esp ~i ts (souven t ses propr.~ .a!lc~tres) qui !'a.idcn.t trouver le chem in ' cf. le r le des rem mes-esprits dans 1 initiatIOn du pUla, carlbe, le rle de l' po~se.clcste 1 chez les chamans sibriens, etc. ("' ) H . Th . FI SC HER, I ndonesiscM Paradiesmythen (. ZeilschrirL rr Ethnologie. L X I V 13 Berlin, 1932, p. 20 ~) , p. 208, 238 sq .; F. K. NU)lAtAWA, Die Weltan fange ' in der japanisclu:n MylMwgie (Lucerne Paris, 1946) , p. 155. (5) Sur l'arcen-ciel da ns le folklore, v. S. TII03lPSON, M otiflntkz, F. 152 (vol. III,

) g

of.

p.22). (6) Cf. R. PUTAt1.0NI, Mitologia giapponese (Bologne, 1929), p. 42, n. 1 j NUMA.ZAWA, op. cit., p. 15'. -1 55. (7) A. JEREMIA S, H andbuch der altorientaluchen Geuteskultur (2' d ., Berlin Leipzig, 1929), p. 139 sq.

\
120
L' INITIATION CHAI'tIANIQUE L'INITIATION CUAMANI QUE

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Les sept couleurs de Parc-en-ciel ont t en outre assimiles aux sept cieux, symbolisme que nous rencontrons aussi bien dans l'Ind e et la

~e

ce dernier (cf. plus haut, p. 56 sq.). Mais il existe d'autres lormes

Msopotamie que dans le judasme. Sur les fresques de Bmiyn, 1. Bouddha est reprsent sigeant sur un arc-en-ciel sept rayons (1),
c'est--dire qu'il transcende le Cosmos, exactement comme dans le

mythe de la Nativit il transcende les sept cieux en faisant sept enjambes dans la direction du Nord et en atteignant le. Centre du Monde"
le pic culminant de l'Univers.

Le trne de Dieu est entour d' un arc-en-ciel (Apocalypse, 4, 3) et le mme symbolisme persiste jusque dans l'art chrtien de la Renaissance (Rowland , op. cit., p. 46, n. 1). La ziqqurat babylonienne tait parlois reprsente avec sept couleurs, symbolisant les sept rgions clestes: en escaladant les tages, on atteignait le sommet du monde cosmique (cl. notre Trail , p. 99 sq.). Des ides similaires se rencontrent en Inde (Rowland , p. 48) et, ce qui est encore plus important, dans la mythologie australienne. Le dieu suprme des Kamilaroi, des Wiradjuri et des Euahlay, habite le ciel suprieur, assis sur un trne de cristal (Trait, p. 49) ; Bundjil, l'f:tre suprme des Kulin , se tient audessus des nuages (ibid., p. 50). Les hros mythiques et les medicine-men montent vers ces );:tres clestes en utilisant, entre bien d'autres moyens, Parc-en-ciel. On se souvient que les rubans utiliss dans les initiations bouriates

d'initiation o l'ascension joue le rle essen tiel. Chez les Wiradjuri, le maUre initiateur introduit des cristaux de roche dans le corp s de l'apprenti et lui donne boire de l'eau o on a dpos de ces cristaux, la suite de quoi l'apprenti russit voir des esprits. Le matre le conduit ensuite dans une tombe et les morts lui donnent leur tour des pierres magiques. Le candidat rencontre aussi un serpent, qui devient son totem, et celui-ci le guide vers l'intrieur de la terre o se trouvent nombre d'autres serpents; en se frottant lui , ils lui

inlusent des pouvoirs magiques. Aprs cette descente symbolique


aux Enfers, le maiLre s'apprte conduire le candidat au camp de Baiame, l' ~tre Suprme. Pour l'atteindre, ils grimpent sur une corde jusqu' ce qu'ils rencontrent Wombu , l'oiseau de Baiame. Nous tra

versmes les nuages, raconte l'apprenti, et de l'autre ct tait le


ciel. Nous pntrmes par une ouverture o passent les docteurs, et

qui s'ouvrait et se relermait trs vite . Si on tait touch par les


portes, on perdait le pouvoir magique et, une fois revenu sur terre, descente aux rgions infrieures suivie d'ascension au Ciel o l'~tre suprme octroie le pouvoir chamanique (2) . L'accs aux rgions

on tait sr de mourir (1)_ On est ici devant un schma presque complet de l'initiation :

portent le nom d' arc-en-ciel , : ils symbolisent en gnral le voyage du chaman au ciel (2). Les tambours chamaniques portent des dessins de l'arc-en-ciel, reprsent comme un pont vers le Ciel (3) . Dans les
langues turqu es, du reste, Parc-en-ciel a aussi la signifi cation de pont

(Rasanen, p. 6). Chez les Yurak-Samoydes, le tambour chamanique


est nomm arc It : par sa magie, le chaman est projet comme une fl che vers le ciel. En outre, il y a des raisons de croire que les Turcs et les Ouigours considraient le tambour comme un pont cleste

suprieures est difficile et dangereux : il importe, en effet, de pntrer l-haut en un clin d'il, avant que les portes se relerment. (Motil spcifiquement initiatique que nous avons dj rencontr ailleurs.) Dans un autre rcit, toujours not par Howitt, il es t question d'une corde avec laq uelle le candidat est emport, les yeux bands, sur un
rocher o se trouve la mme porte magique qui s'ouvre et se referme

(arc-en-ciel) sur lequel le chaman excutait son ascension (Rasanen, p. 8). Cette ide s'intgre dans le symbolisme complexe du tambour et du pont, qui reprsentent chacun une formule diffrente de la mme
exprience extatique: l'ascension cleste. C'est par la magie musicale

trs rapidement. Le candidat et ses maltres initiateurs pntrent dans le rooher et l on lui dbande les yeux. Il se trouve dans un heu entirement lumineux aux parois duquel brillent des cristaux. Il
reoit plusieurs de ces cristaux et on l'instruit sur la manire de s'en servir. Ensuite, toujours suspendu la corde, il est ramen au camp

du tambour que le chaman peut atteindre le plus haut ciel.


I NIT IATIONS AUSTRALIENNES

par la voie des airs et il est dpos sur la cime d' un arbre (3). Ces rites et mythes d'initiation s'intgrent dans une croyance plus gnrale concernant la capacit des medicine-men d'atteindre le ciel au moyen d' une corde (4), d'une charpe (5), ou simplement en
(1) A. W. H OW ITT, On Australian MediciM M en. p. 50 sq. ; id., The Native Tl'the, of SoulhEast AU81ralia (Londres, 1904), p. 404:413. . . (2) Sur les initiations des medicinemen australiens, cl. A. P. EUIN, Abor"lnal Men o( Hi,h Degree; Helmut PURI , Del' australiscM Medizinmann (in. Annali Jateranensi . Cit du Vatican, XVI, 1952, p. 159317; XVII, 1953, p. 157-2 25); Engelbert STICLMAYR, Schaman4mu. in Australien (i!1 f Wiener ytHkerkundliche Milteilungen _, V, 2, 1 9~7 , p. 1 ~ 1:9 0) ; M. ELIADE, ~al.8BanUS ~ysttl~ue., p. 206 sq. (3) H OW ITT, On Austra!t an Med lc ,"~ Men ,~. 51-52 ; td., The .Natwe rrtb.es, p. 'lOO sq . ; Marcel MAU SS L'Orig ine th. pOUVOir. magique. dans~. Bociit. austl'ahenneB, p. 159. On se rappell~ra la cavern e d'initiation des Samoydes et des chamans des deux Amriques. 1 41 VOIr p. ex. M. MA USS, op. cil., p. 149, n, 1(5 R. PUTA'Z.'Z.ONI, Miti e ~ggernk: l , Afl'ica, A""l'alia (Turin, 1948), p. US .

On se rappell e que plusieurs rcits d'initiation de medicine-men australiens, bien que centrs sur la mise mort symbolique et la rsurrection du candidat, faisaient allusion une ascension cleste
(1) Benjamin ROWLAND, Jr., Studies in the Buddhist Ar' o( Bdmiydn : The. BoddhisaUva o( Croup E (f Art and Thought " Londres, 1947, p, 46-54) ; cf. Mircea ELIADII , MytheB, rveB et myS/res , p. H8 sq. (2) U , HARv A (H OL MBERG), Del' Baum ths Lehens, p. 14 4 8.; id.,DitJ rtlig ilJse n VorBttllungen, p. 489. (3) HARVA, Die rel igiosen VorstelluI"\gen, p. 531 ; MarUi RisiNEN, Regenhogen-H imme18bl'ilcke (<< Studia Orientalia., X IV, 1, 1947, Helsinki , p. 78 ,

122

L'INITIATION CHAMANIQUE

L'INITIATION CHAMANIQ UE

123

volant (1) ou en montant un escalier en spirale. Nombre de mythes et de lgendes parlent des premiers hommes qui s'taient levs au Ciel en grimpant sur un arbre; c'est ainsi que Jes anctres des Mara avaient coutume de monter jusqu'au ciel et d'en redescendre sur un tel arb re (2). Chez les Wiradjuri, le premier homme, cr par l'ttre Su prme, Baiame, pouvait monter au Ciel par le sentier d'une montagne et, ensuite, en grimpant un escalier jusqu' Baiamc, exactement comme les medicinemen des Wurundjeri et des Wotjobaluk le font encore de nos jours (Howitt, The Nati"e Tribes, p. 501 sq.). Les medicinemen yuin montent chez Daramulun qui leur donne les remdes (Pettazzoni, Miti e leggende, p. 416). Un mythe Euahlayi raconte comment les medicine-men ont rejoint Baiame : ils marchrent plusieurs jours du ct du nord-est jusqu' ce qu'ils eurent atteint le pied du grand mont Oubi-Oubi dont les cimes se perdaient dans les nues. Ils le gravirent par un escalier de pierre en spirale et: au bout du quatrime jour, ils parvinrent au sommet. L, ils rencontrrent l'Esprit-messager de Baiame; celui-ci appela des Esprits-serviteurs qui transportrent les medicine-men, travers un trou, dans le Ciel (Van Gennep, nO 66, p. 92 sq.). Ainsi, les medicine-men peuvent rpter volont ce que Jes premiers hommes (mythiques) ont fait une lois l'aube des temps : monter au ciel et redescendre sur terre. Comme la capacit d'ascension (ou de vol magique) est esse ntielle la carrire des medicine-men, l'initiation chamanique comporte un rite ascensionnel. Mme quand on ne rait pas directement allusion un tel rite, il est en quelque sorte implicite. Les cristaux de roche, qui jouent un rle important dans l'initiation du medicine-man australien, sont d'origine cleste, ou au moins en relation - ft- eUe, parfois, indirecte - avec le ciel. Baiame sige sur un trne de cristal transparent (Howitt, The Native Tribes, p. 501). Et chez les Euahlayi, c'est Baiame lui-mme (= Boyerb) qui jette sur la terre les Iragments de cristal, sans doute dtachs de son trne (3). Le trne de Baiame est la vote cleste. Les cristaux dtachs de son trne sont de la , lumire solidifie (cl. Eliade, M phistophls et l'androgyne, p. 24 sq.). Les medicine-men imaginent Baiame comme un tre ressemblant en tout aux autres docteurs, t l'exception de la lumire qui rayonne de ses yeux. (Elkin , A boriginal Men of High Degree, p. 96). Autrement dit, ils ont le sentiment qu'il existe une relation entre la condition d'tre surnaturel et la surabondance de lumire. Baiame effectue galement l'initiation des jeunes medicine-men en les aspergeant avec une t eau sacre et puissante. qui est considre comme tant du quartz liqufi (ibid.). Tout ceci revient dire que l'on devient chaman lorsqu'on est farci avec de la lumire solidifie., c'est-A-dire avec des cristaux de quartz;
(1) MAUSS, p. 148. Les metUcine-men se transforment en vautours et volent (SUNCIU\ et GILUN, TM Arunta, vol. 11, p. "30). (2) ft:.. van GENNEP, MytMB e' lgendeB d'Australie (Paris, 1906 ), nO' 32 et "9 i cf. aussI nO "".
(3) PAI\UR, The Euahlayi Tribe, p. 7.

c~tte opration pa.rvient changer le mode d'tre de l'aspirant medic~ne-m~n, en le faIsant entrer ~ans une solidarit mystique avec le

C Iel. SI I on avale un de ces crIstaux, on vole au ciel (Howitt The Nati"e Tribes, p. 582). ' ,?es croyances similaires se retrouvent chez les Ngritos de Malacca (VOIr plus haut, p. 58, n. 3). Dans sa thrapeutique, le hala utilise de.s crist~ux ,de q~ar~z qu'il a, soit obtenus des esprits ariens (cenoi), so~t fabrlqu,es IUl-meme avec de l'eau solidifi magiquement, SOIt enfin detachs des fragments que tre suprme laisse tomber du ciel (cf. Pettazzoni, L'onniscienza di Dio, p. 469, n. 86, d'aprs Evans et Scbebcsta). C'est pourquoi ces cristaux peuvent rflchir ce qui se passe sur la t erre (voir plus loin, p. 268 sq.). Les chamans des Dayaks maritimes de Serawak (Borno) ont des, pierres de lumire, (light stones) qui refltent tout ce qui arrive l'me du malade et, partant, rvlent o eUe se trouve gare (1). Un jeune chel de la tribu Ebatisaht Nootka (ile de Vancouver) rencontra un jour des cristaux magiques qui se mouvaient et s'entrechoquaient. Il jeta son habit sur quelques-uns d'entre eux et en prit quatre (2). Les chamans kwakiutl reoivent leur pouvoir par le truchement de cristaux de quartz (3). On a vu que les cristaux de roche - en troite relation avec le Serpent-Arc-en-Ciel - octroient la facult de s'lever au Ciel. Ailleurs, J es mmes pierres donnent le pouvoir de voler: comme, p. ex., dans un myth~ amricain not par Boas (lndianische Sagen, Berlin, 1895, p. 152) ou un Jeune homme, en escaladant une . montagne brillante ., se couvre de cristaux de roche et immdiatement se met voler. La mme conception d'une vote cleste solide explique les vertus des mtorites et des pierres-de-Ioudre : tombes du Ciel, elles sont imprgnes d'une vertu magico-religieuse qui peut tre utilise communique, diffuse; c'est, en quelque sorte, un nouveau centr~ de sacralit ouranienne sur terre (4). Toujou rs en relation avec ce symbolisme ouranien, il faut aussi rapp eler le motiLdes montagnes ou palais d dstal que les hros rencontrent dans leurs aventures mythiques, motif qui s'est c~ glement dans le folklore europen. Enfin, une cration tardive d mme-symnolisme parle de la pierr frontale de Luciler et des anges dchus (dtache lors de la chute, dans certain es variantes), des diamants qUi se trouvent dans la tte ou la gueule des serpents, etc. Bien entendu, nous avons affaire des croyances extrmement corn. plexes, maintes fois labores et revalorises, mais dont la structure fondamentale reste encore transparente : il est toujours question d'un cristal ou d'une pierre magique dtachs du ciel et qui, bien que
PETTAZZONI, Essays on the H istory of Religions (Leyde, 1954), p. "2. DRucun, TM NortMrn and Cent ral Nootkan TribeB (e Bulletm or the Bureau of American Ethnology " H .", Washington, 1951 ), {>. 160. (3) Werner M OLLU, Weltbdd und Ku.l' der Kwaluutl-lndian er (Wiesbaden 1955) p. 29, n . 67 (d'aprs Boas). ' , (~l .C f .. M. ELI~D.B , Forgerons et alchimistes (Paris , 1956), p. 18 sq.; id., Trait d !lIBtolre ck. religIon., p. 59, 198 sq.

1' 1 R. (2 P.

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L'INITIATION CHAMAN IQ U ..:

L'INITIATION CHAMAffIQUE

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tombs !lur terre, continuent dispenser la s8cralit ouranienne, c'est.-dire la clairvoyance, la sagesse, le pouvoir de divination, la capacit de voler, etc. Les cristaux de roche jouent un rle essentiel dans la magie et la religion australiennes et leur importance n'cst pas moindre dans tout l'espace ocanien et les deux Amriqucs. Leur origine ouranienne n'est pas toujours nettement atteste dans les croyances respectives, mais l'oubli de la signification originaire est un phnomne courant dans l'histoire des religions. Ce qui nous importe, c'est d'avoir montr que les medicine-men d'Australie et d'ailleurs rattachent, d'une manire obscurc, leurs pouvoirs la prsence de ces cristaux de roche l'intrieur de leur corps mme. C'est dire qu'ils se sentent diffrents des autres humains par l'assimilation - dans le sens le plus concret du mot - d'une substance sacre d'origine ouranienne.

AUTRES FORMES DU RITE D'ASCENSION

Pour bien comprendre le complexe d'ides religieuses et cosmologiques qui sont la bas~ de l'idologie chamaniste, il aurait fallu passer en revue toute une srie de mythes et de rituels d'ascension. Dans les chapitres suivants, nous tudierons quelques-uns des plus importants, mais le problme dans son ensemble ne pourra tre pleinement discut ici, et il nous faudra le reprendre dans un travail ultrieur. Pour l'instant, il nous suffira de complter la morphologie ascensionnelle des initiations chamaniques par quelques nouveaux aspeots, sans prtendre, pour cela, avoir puis le sujet. Chez les Nias, celui qui est destin devenir prtre-prophte disparalt soudainement, emport par les esprits (le jeune homme est trs probablement conduit au ciel) ; il revient au village aprs trois ou quatre jours, sinon on se met sa recherche et, habituellement, on le trouve au sommet d'un arbre, conversant avec les esprits. Il paratt priv de raison et on doit faire des saorifioes pour qu'il retrouve la raison. L'initiation comporte aU8si une marche ritueUe aux tombeaux, un cours d'eau et une montagne (1). Chez les Mentawei, le futur chaman est emport au ciel par les esprits clestes et, l, il reoit un corps merveilleux semblable au leur. Il tombe gnralement malade et s'imagine qu'il monte au ciel (2). Aprs ces premiers symptmes a lieu la crmonie de l'initiation par un mattre. Parfois, pendant ou immdiatement ap rs l'initiation, l'apprenti chaman perd connaissance et son esprit monte au ciel dans une barque porte par des aigles, pour s'entretenir avec les esprits clestes et leur demander des remdes (Loeb, Shaman and Seor, p. 78). Comme nous allons avoir l'occasion de le voir, l'ascension initia-

tique octroie la facult de voler au futur magicien. En elTet, partout dans le monde, on prte aux chamans et aux sorciers le pouvoir de voler, de parcourir en un clin d'il d'normes distances et de devenir invisibles. Il est difficile de dcider si tous les magiciens qui croient pouvoir se transporter travers les airs ont connu, au cours de leur priode d'apprentissage, une exprience extatique ou un rituel de structure ascensionneJle, c'est-A-dire s'ils ont obtenu le pouvoir magique de voler la suite d'une initiation ou d'une exprience ex~atique. qui dclar~it l~ vocation chamanique. On peut supposer qu au mOlfiS une partie d entre eux ont reHement obtenu ce pouvoir magique la suite et par la voie d'une initiation. Nombre d'informations qui attestent la capacit de voler des chamans et des sorciers ngligent de nous prciser la modalit d'obtention de ces pouvoirs, malS il so peut fort bien que ce silence tienne l'imperfection de nos sources. Quoi qu'il en soit, dans bien des cas la vocation ou l'init.iation chamanique est directement lie A une ascension au ciel. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, un grand prophte Basuto reut sa vocation la suite d'une extase pendant laquelle il vit le toit de sa ?utte s'ouvrir au-dessus de sa tte et se sentit emport. au Ciel, o il rencontra une multitude d'esprits (1). De nombreux cas semblables ont t enregistrs en Afrique (Chadwick, op. cil., p. 94-95). Chez les Nuba, le fuLur chaman a l'impression que l' esprit lui saisit la tte d'en haut, ou qu'il. entre dans sa tte, (Nadel, Shamanism, p. 26). La plupart de ces esprits sont clestes (ibid., p. 27) et il est supposer que la il possession & se traduit par une transe de nature ascensionnelle. En Amrique du Sud, le voyage initiatique au ciel ou sur de trs hautes montagnes joue un rle essentiel (2). Chez les Araucans, par exemple, la maladie qui dcide de la carrire d'une machi est suivie d'une crise extatique durant laquelle la future chamane monte au ciel et rencontre Dieu lui-mme. Au cours de ce sjour cleste des tres surnaturels lui montrent les remdes ncessaires aux cure; (3). La crmonie chamanique des Manasi comporte une descente du dieu dans la hutte, suivie d'une ascension: le dieu emporte le cham~n .au ciel avec lui. Son .dpart tait a?compagn des ecousses qui faIsaIent .trembler les parOIs du sanctuaIre. Quelques instants plus tard la dlvIDlt ramenait Je chaman sur terre ou le laissait tomber ' tte premire, dans le temple (4). Citons, enfin, un exemple d'ascension initiatique nord-amricaine. Un medicine-man Winnebago se sentit tu et, aprs maintes aventures port. au ciel o il s'entretint avec l'ttre suprme. Les esprits cleste~ le mirent l'preuve: il russit tuer un ours rput invulnrable
(1) Nora CHADWICK., Potlry and Prophtcv, p. 50 51,

'21 1

E. M. LOID, Sumatra, p. 155. E. M. LoBO, Shaman and Seer, p. 66: id., Sumatra, p. 195.

3 A. MTRA.UX, Le ,hamum'fM aruucan, p. 316. 4 ) A. MhRA.ux , lA .hamu"i'me che. lu Indien, de l'AmJriqut du Sud tropicl1 1 p. 338 . . '

21

Ida

L UBL I NSI.J,

Der Med~zinmann bel thn Natur lllJllcern SUdamerilca" p. 248.

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L' I N IT IATION C UAMA NIQU E

L'INITIATION CHAMANIQUE

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et le ressuscita par la suite en so uillant sur lui. A la fin, il redescendit sur terre et naquit un e seconde Cois (1). Le fondateur de la , Ghost Dance Religion , ainsi que tous les principaux prophtes de ce mouvement mystique ont eu un e exprience extatique qui dcida de la carrire de chacun d'eux. Le fondateur, p. ex., gravit en transe une montagne et rencontra une belle femme vtue de blanc qui lui rvla que le , Maitre de la Vie, se trouvait au sommet. Suivant les conseils de la femme, le prophte quitta ses vtements, se plongea dans une rivire et, en tat de nudit rit uelle, se prsenta devant le , Mattre de la Vie . Celui-ci lui fit toutes sortes d'injonctions : ne plus tolrer les blancs sur le territoire lutter contre l'ivresse, renoncer la guerre et la polygamie, etc.' et il lui donna ensuite une prire pour la communiquer aux humains (2): Woworka, le plus remarquable prophte de la Ghost Dance Religion t, eut sa rvlation 18 ans: il s'endormit en plein jour et se sentit transport dans l'au-del. Il vit Dieu et les morts, tous heureux et ternellement jeu nes. Dieu lui donna un message pour les hommes, leur recommandant d'tre honntes, travailleurs, charitables, etc. (Mooney, op. cit., p. 771 sq.). Un autre prophte, J ohn Slocum de Puj et Sound , t mourut . et vit son me abandon ner son corps. J 'ai vu une lumire blouissante, une grande lurnil'e ... j'ai regard et j'ai vu que mon corps n'avait plus d'me; il tait mort ... mon me abandonna le corps et s'leva vers la place du jugemen t de Dieu .. . j'ai vu une grande lumire dans mon me, lumire qui venait de ce bon pays ... (3) , Ces expriences extatiques initiales des prophtes serviront de modle tous les adeptes de la Ghost Dance Religio n . A leur tour, aprs de longues danses et des chants, ces derniers tombent eux aussi en transe; ils visitent alors les rgions de l'au-del et renco ntrent les mes des morts, les anges et parfois mme Dieu. Les rvlations premires du fondateur et des prophtes deviennent, de la sorte, le modle de toutes les conversions et extases ultrieures. Les asce nsions au ciel so nt galement spcifiques de la socit secrte fortement chaman ise midwiwin des Ojibwa. On peut citer comme exemple typique la vision de cette jeun e fill e qui, entendant une voix qui l'ap pelait, la suivit, gravit un troit sentier et atteignit finalement le CIel. L, elle rencontra le Dieu cles te qui la chargea d'un message pour les humains (4). Le but de la socit midw iwin est de restaurer le chemin entre le Ciel et la Terre, ainsi qu'il a t tabli par la Cration (voir plus bas, p. 252) ; c'est pourquoi les membres de cette socit secrte entreprennent priodiquem ent le
~ 1 ! .P .. RADIN, La religion primitil'e, p. 98-99. Nous avons affaire, dans ce cas, un e 10ltlallon complte: mort et rsurrection (= renaissance), ascension, prcuvcs, etc. (2) J . MOONEY, The ChostDance Relig ~n and tM S io IU Outbreak. of 1890, (. Hth Annual Report oC the Bureau of Amerlcan Elhnology. 1892-93 Il Washington 1896, p. 64 1-11 36), p. 663 sq . " , , ~3) .J . MOONII:Y , 0l!' cit ., 752, cC. la lum ire du chaman esquimau. Pour l' .end roit u Jugement du Dieu ., c . l.es visions de l' Ascens io ~, duproph~ I sae, I ~A rd Virdf. etc. (ft) H. R. SC H OOLCRAFT, C it par PRTTA'lZOili l, DIO. Ji ormaz.lOlle e SI'UppO det 1110110 le ' ,"HI nella storia Iklle reli gioni (Ro me, 1922), p. 299 sq.

1~ dc~anc~ actu~lle

voyage extatique au ciel i ce faisant, ils abolissent en quelque sorte de l'univers et de l'humanit, et rintgrent la SituatiOn prlffiordlSle, dans laquelle la communication avec le Ciel tait aisment accessible tous les humains. . Bien qu'il n~ s?it pas question ici du chamanisme proprement dit - car aussI bien la .. Ghost Dance Heligion que la midwiwin sont des associations secrtes auxquelles chacun est libre d'adhrer condit ion de se soumettre certaines preuves ou de prsenter une certaine prdisposition extatique - on rencontre, dans ces mouvements ~eligieux nord.-amricains, nombre des traits spcifiques du chamamsme : techmques de l'extase, voyage mystique au Ciel descente aux Enfers, conversation avec Dieu, des tres semi-divin~ et les mes des morts, etc. Comme nous venons de le voir, l'ascension cleste joue un rle essentiel dans les initiations chamaniques. Rites d'ascension d'un arbre ou d' un m t, mythes d'ascension ou de vol magique, expriences extatiques de lvitation, de vol , de voyages mystiques au ciel, etc., tous ces lments remplissent un e fonction dcisive dans les vocations ou les conscrations chamaniques. Parfois cet ensemble . ' de pratiques et d'id es religieuses semble tre en relation avec le mythe d' une poque ancienne, o les communications entre le Ciel et la Terre taient bea.u co up. plus aises. Vue so us cet angle, l'exprIen ce cbamamque qUivaut a une restauration de ce temps mythique prImordial et le cha man apparat comme un tre privilgi qui retrouve, pour son compte personnel, la co ndition heureuse de l'humani t l'aube du temps. Quantit de mythes, dont quelques-uns seront voqus dans les chapitres suivants, illustrent cet tat paradisiaque d'un illud tempus batifique qu e les chamans, pour leur part, retrouvent par intermittence pendant leurs extases.

f'

ET DU TAMBOUR CHAMANIQ UES

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CHAPITRE V

LE SYMBOLISME DU COSTUME ET DU TUIBOUR CHA~IANIQUES

REMARQ U ES PRLIMINAIRES

Le costume chamanique constitue en lui-mme une hirophanie et une cosmographie religieuse : il rvle non seulement une prsence sacre, mais aussi des symboles cosmiques et des itinraires mtapsychiques. Examin attentivement, le costume dcouvre le systme du chamanisme avec la mme transparence que les mythes et les techniques chamaniques (1).
(1) ~tudes gnrales sur le costume du chaman: V. N. VASILJEV, S hamanskij kostjum i buben u jakutov (dans le 1 Sbornik Muzeja po Antropologii i Etnografii pri Akademii Nauk, 1, 8 St-Ptersbourg, 1910) j Kai DONNER, Ornements de la ~ Ie et de la cMvelure (dans le J ournal de la Socit Finno-Ougrienne, XXXV II , 3, 1920, p. 1-23) , spc. p. 10-20 : Georg NIORADZE, Der SchamanismU$ bei den sib irlchen Volkem, p. 60-78; K . F. KARJALA.lNEN, Die R eligion der J ugra- Volker, II , 1927, p. 255-259 ; Hans F INDE1SEN, Der M ensch und seine T eile in der Kun st der J enni$sejer (KetoL(in 1 Zeit.schrift fr Ethnologie ., LXIII , 1931, p. 296315 ), spc. p. 311-313 ; E. J. INDGREN, The Shaman Dres, o{ lhe Dag!us, Solons a'ld Numinchens in N. W . Manchuria (dans les 1 Geografiska Annaler ., l, 1935, p. 365 sq .) ; u no HAR VA (HOLMBERG), The Shaman Cost ume and I ts Signi(u:ance (1 Annales Universita tis Fennicae Abocnsis l , 1, 2, Turku, 1922 ) ; id., Die religiosen Vorslellungen, p. 499-525; J orm a PARTANEN, A descrip tion of Bu,.iat Shamanisnl, p. 18 sq. ; voir aussi L. STIED A, Das Schamanenthum unter den Burjiitcn, p. 286; V. M. MIKJlAILOW SK I, Shama'l ism in Siberia and European R ussia, p. 81-85; T. LEuTl sA Lo , Entwurf einer M ythologie de,,. Jura k-Samojeden, P: 147 sq. ; G. SAN DSC HEJEW, Weltanschauung und Schamam,mU8 de,. Alaren-BurJaten, p. 979-980; A. OHLM AR KS, Studien, p. 211-212; K. DONNER, La Sibrie, p. 226-227; id., Ethnological Notes about the Y enisey-Ostyak (in the Tur ukhansk Region ) (1 Mmoires de la Socit Finno-Ougrienne l, LXVI, Helsinki 1933), spc. p. 7R-84. V. 1. J OC HELSON, The Yukaghir and the Yukaghiriud Tun gU$, p. 169 sq., 176-186 (Yakoutes), 186191 (Tongouses); id., The Yakut (1 Anthropological Papers oC the American Museum oC Na tural flistory " vol. 33, 1931, p. 37-225) , p. 107-11 8. S. M. SHIR OKOGOROV, Psychomental Complex of the Tun gU$ , p. 287-303 j W. Sc IU II DT, Der Ursprung der Cot/esidee, XI, p. 616-26, XlI, 720-33 ; L. VAJDA. Zur phaseologischen StelluTlg des Schamanismus (in 1 u ra -altaische J ahrbcher l, XXXI, Wiesbaden, 1959, p. 455-85), p. 473, n. 2 (bibliographie) . On trouvera une documentation abondante sur les costumes, objets rituels et tambours des cham ans sibriens dans l'tude d'ensem ble de S. V. IV ANov, M alerialy po izobrazitelnomu iskusstvu narodov Sibiri XIX - nachala XX v, (Mosco u et Leningrad, 1954). Voir en particulier p. 66 sq., sur les cos tumes et les tambours des cha mans samoydes (fi g. 47-57, 61-64, 67 ) ; 98 sq., sur les Dolganes, les Tongouses et les Mandchous (fig. 36-62 : cos tum es, obj ets et dcora tions de tambours cha maniques chez les Evenkes) ; 407 sq. sur les Tchouktches et les Esqui maux, etc. Les chapitres IV et V son t consacrs a ux peuples turcs (p. 533 sq.) c L a ux Bouria tes (p. 691 sq .). Les dessins yakoutes (fig. 15 sq.), les figures reprsentes sur des tam bours chamaniques (p. ex. fi~. 3~ ) et les tal!lbours altaiques (p. 607 sq., fig. 89, etc.) son t d'un intrt toutyarttcuher, et spCialement les nombreuses reprsentations d'ongones (idoles) bourlates (fig. 5-8 , 11-12, 1920; sur les oogones, cf. ibid. , p. 701 sq. ).

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L'hiver, le chaman altaque revt son costume sur une chemise, et directement sur son corps nu en t. Les Tongo uses, t comme hiver, ne prat iquent que la deuxime coutume. La mme chose se passe chez d'autres populations arctiques (cr. Harva, Die religiosen Vorstellungen, p. 500), bien que dans le Nord-Est de la Sibrie et chez la plupart des tribus esquimaudes il n'existe pas des costume proprement dit (1). Le chaman met nu son bust e et (cbez les E squimaux, par exemple) il ne garde qu'une ceinture pour tout vtement. Cette quasi-nudit comporte fort probablement une signification religieuse, mme si la chaleur rgnant dans les habitations arctiques parait suffire expliquer, elle seule, cette habitude. De toute manire, qu'il s'agisse de la nudit rituelle (comme dans le cas des chamans esquimaux) ou d'un costume spcifique pour l'exprience chamanique, l'important est que cette dernire n'a pas lieu avec le costume quotidien, profane, du chaman. Mme quand le costume n'existe pas, il est remplac par le bonnet, la ceinture, le tambourin et d'autres objets magiques qui font partie de la garde-robe sacre du chaman et qui supplent le vtement proprement dit. Ainsi, p. ex., Hadlov (Aus S ibirien, II , p. 17) assure que les Tatars Noirs, les Schores et les Tloutes ne connaissent pas de costume chamanique ; nanmoins, il arrive souvent (comme, p. ex., chez les Tatars Lebed, Harva, op. cit. , p. 501) qu'on utilise un drap qu'on serre autour de la tte, et sans lequel il n'existe pas la moindre possibilit de cham an iser. Le costume reprsente, en lui-mme, un microcosme religieux qualitativement diffrent de l'espace profane environnant. D'une part, il constitue un systm e symbolique presque complet et, d'autre part, il est imprgn, par la conscration , de forces spirituelles multiples et en premier lieu d' esprits . Par le simple fait de le revtir ou de manipuler les objets qui le supplent - le chaman transcende l'espace profane et se prpare entrer en contact avec le monde spirituel. Gnralement, cette prparation est presque une introd uction concrte dans ce monde car on revt le costume aprs maintes prparations et justement la veille de ]a t ranse chamanique. Un candidat doit voir, dans ses rves, la place exacte o se trouve son futur costume et il ira lui-mme le chercher (2) . Ensuite, on achtera aux parents du chaman dfunt en payant un cheval comme prix (p. ex. chez les Birartchen) . Mais le costume ne peut pas quitter le clan (Shirokogorov, Psychomental Complex, p. 302) car, en un certain sens il intresse le clan dans sa totalit, non seulement parce qu'il a t fait ou achet grce la contribution du clan entier, mais en premier lieu parce qu'tant imprgn par les esprits ,
(1) Celui -ci se rduit une ce inture en cuir laquell e so nt a ttachs nombres de franges de peau de cari bo u et de petites ngures en os; cf. RASMUSSBN, Intellectual Culture of the Iglulik Eskimos, p. 11 4. L'instrumen t ritu el essentiel du chaman esquimau reste le tambour . (2) Ailleurs, on assiste la dgradation progressive de la con fectio n riluell e du costume ; autrerois, le chaman inissen tuait lui-mme le renne de la peau duquel il devai t faire so n costume: de nos jours, il achte la peau directement aux Russes (N IORAD ZE, Der Scharnanismus, p. 62). Le Chamanisme
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LE SYMBO LI S ME DU COSTUME

ET D U TAMBOUR CliA MANIQUES

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il ne doit pas tre port par qu elqu' un qui ne saurait pas les maltrj ser : ceux-ci troubleraient par la suite la communaut tout entire (Shirokogorov, p. 302). Le costume est l'obj et des mmes sentiments de crainte et d'ap_ prhension que n'importe quel autre emplacement pour les esprits (ibid., p.301). Quand il est trop us, on le suspend un arbre, dans la fort; les esprits qui l'habi tent l'abandonnent et viennent s'aUacher au nouveau costume (ibid., p. 302). Chez les Tongouses sdentaires, aprs la mort du chaman, le costum e est gard dans sa maison : les c esprits qui l'imprgnent donnent signe de vie en le faisant trembler, se mouvoir, etc. Les Tongouses nomades, comme la plupart des tribus sibriennes, dposent le costume prs du tombeau du chaman (S hirokogorov, p. 301; Harva , p. 499, etc.). En maint lieu, le costume devient impropre si, ayant servi soigner un malade, celuici vient mourir. De mme pour les tambourins qui ont prouv leur impuissance gurir (Kai Donner., Ornements de la tte, p. 10).

LE COSTUME SIBJUEN

danse du chaman en une sarabande infernale. Ces objet.s mtaniques ont une me * ; ils ne rouillent pas. 41 Le long des bras so nt disposes des barres reprsentant les os des bras (tabytala). Sur les cts de la poitrine sont co usues de petites feuiHes reprsentant les ctes (oigos timir) ; un peu plus haut, de grandes plaques rond es figurent les seins de la femme, le foie, le cur et les autres organes intern es . Souve nt, on y co ud galement des figuration s d'animaux et d'oiseaux sacrs. On y suspend encore un petit iimgiit (. esprit de la foli e ,) m tallique, en forme de petite pirogue avec une image d'homme (1). Chez les Tongouses nordiques et ceux de la Tra nsbaikalie prdominent deux sortes de cost.umes : l'un en forme de cana rd et l'a utre en forme de renne (2). Les btons ont un bout sculpt de manire le faire ressembler une tte de cheval. Sur le dos du kaftan pendent des rubans de 10 cm de largeur et de 1 m de longueur dnomms kulin, fi serpents l) (3). Les chevaux . a ussi bien que les fi serp ents J) sont ut iliss dans les voyages chamaniques aux Enfers. D'aprs Shirokogorov (p. 290), les objets en fer des Tongouses - la lune " le soleil l , les toiles " etc. - so nt em prunts aux Yakoutes. Les fi serpents sont pris des Bouriates et des Turcs, les chevaux des Bouriates. (Ces prcisions sont retenir pour le problme des influences mri dionales sur le chamanisme nordasiatique et sibri en.)

D'aprs Shashkov (qui crivait il y a presque un sicle), tout chaman sibrien devrait possder: 1. un kaftan auq uel sont suspendus des ronds en fer et des figures reprsentant des animaux mythiques ; 2. un masque (chez les Samoydes Tadibei, un mouchoir avec lequel on bande les yeux pour que le chaman puisse pntrer dans le monde des esprits par sa propre lumire intrieure); 3. un pectoral en fer ou en cuivre; 4. un bonnet, que l'auteur considrait comme un des principaux attributs du chaman. Chez les Yakoutes, le dos du kaftan porte en son milieu, parmi les ronds suspendus qui reprsentent le soleil , un rond qui est perc; d'aprs Sieroszewski (Du. chama nisme, p. 320), on l'appelle l' orifice du soleil (oibonkngiitii) mais il est gnralement cens reprsenter la Terre avec son ouverture centrale par o le chaman pntre dans les Enfers (v. Nioradze, fig. 16 ; Harva, op. cit., fig. 1) (1). Le dos porte de mme un croissant lunaire et aussi une chaine en fer, symbole de la puissance et de la rsistance du chaman (Mikhailowski, p. 81) (2) . Les plaques de fer servent, au dire des chamans, contre les coups des mauvais esprits. Les toulTes cousues la fourrure reprsentent les plumes (Mikhailowski, p. 81, d'a prs Pripuzov). Un bea u costume de chaman yakoute, affirme Sieroszewski (op. cit., p. 320), doit com porter de 30 40 livres d'orn ements mtalliques . C'est surtout le bruit de ces ornements qui transforme la
(1) Nous allons voi r (p. 2 t 2 sq.) quelle cosmologie co hrente un tel symbole implique. Sur le costume du cha man yakoute, voir a ussi \V. SC lillID T, Du Ur$prun g, X I, p. 292-305 (d 'aprl!s V. N. VA SIL JEV, E . K. PEUrt SK IJ et M. A. CZAf>LfCU ). Sur la lune. et le soleil l , cf. ibid., p. 300-04. (2) Bien enten du, le doubl e sym bolisme du fer . et de la chatne es t beauco up plus complexe.

LE COSTUME BO URIATE

Pallas, qui crit dans la deuxime moiti du XVIIIe sicle, dcrit l'aspect d' une chamane bouriate : elle avait deux btons termins en tte de cheval et entours de clochettes; sur ses paules 30 (j serpents , faits de fourrures noires et bla nches tombaient jusq u'au sol ; son bonnet tait form d'un casque de fer avec trois angles semblab les aux cornes d' un cerf (4). Mais c'est Agapitov et Changalov (5) que l'on doit la description la plus complte du chaman bouriate. Celui-ci doit possder : 1. une fourrure (orgoi), blanche pour le chaman blanc. (qui est aid par les bons esprits), noire pour le chaman noir . (ayant les mauvais esprits comme auxiliaires) ; sur la fourrure sont cousues nombre de figures mtalliques reprsentant des chevau x, des oiseaux, etc. ; 2. un bonnet en form e de lynx; aprs la cinquime
(1) Sn! ROSZEWSKI, op. cil., p. 321. La signillcation et le rle de chacun de ces obj ets deviendront plus clairs par la suite. Sur les iimiigiit, cf. E. LOT- FALCK, A propos d'Ata giin, p. 190 sq. 2) Sur le cos tume tong? lIsc, voir SIIII'tO.KOG Or. ov, Psychom~ ntal Complex, p. 288-97 . 3) Chez les Bira r lchen, Il es t a ppel tabJa'l, le boa constricto r .; SUIllOKOGORO V , 1 PsychomeTifal Complex, p. 301. Ce rep tile ta nt inconnu dans les co ntres nordiques, on a l un e preuve imllor ta nte des influences exerces par l'Asie centrale sur le comp lexe chamanique SLbrien. (II) P. S. PAI. LAS, treise durch ,'erschierkne Provin:.en des russischen Rtiches (3 vo l., St-Ptershourg, 177 1-1776), t. III , p. 181-1 82. Voir la description du costume d'une au tre chamane bouriatc, prl!s d e Telenginsk, donne par J . G. GMELIN, R ei~edurch SibiriCll l'on dem Jah r liJ3 bis 1743, t. Il (Gttingen, 1752), p. 11 -13. (5) N. N. ACAI'IT OV ct. M. N. CIIAN GALOV, Ma ttrialy, p. 42-'14; cr. Mn:IIAILOWU I, p. 82 ; NlonADz E, Der Schamanismus, p. 77 ; W . SC IIMI DT, Der Ursprung, X, p. 424 32.

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LE SYMBOLISME DU COSTUME

ET DU TAMBOUR CHAMANI QUES

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ablution (qui vient quelque temps aprs l'initiation) le chaman reoit un casque en fer (v. Agapitov et Changalov, fig. 3, pl. Il) ayant les deux bouts tourns de faon figurer deux cornes; 3. un bton tte de cheval, en bois ou en fer, le premier prpar la veille de la premire initiation et en ayant soin de ne pas faire mourir le bouleau duquel on lia tir ; l'autre, en fer, obtenu aprs ]a cinquime initiation seulement; le bout de ce bton est sculpt en tte de cheval et il est orn de plusieurs clochettes. Voici maintenant la description donne par le , Manuel , du chaman bouriate, traduit du mongol par Partanen : Un casque en fcr dont le sommet est form de plusieurs cercles de fer et garni de deux cornes; par-derrire se trouve une chane de fer de neuf maillons et, la partie infrieure, un morceau de fer en forme de lance appel pine dorsale (nigurasun; cf. tongouse nikima, nikama, vertbre). Aux tempes, de chaque ct de ce casque, il y a un anneau et trois tiges de fer d'un oerslwk (4,445 cm) de long, tordues au marteau et appeles golbugas (union, aller par co uple, ou paire: attache, lien). De chaque ct du casque et en arrire sont suspendus des rubans de soie, de coton, de drap fin et de fourrure de difTrents animaux sauvages et domestiques, tordus en forme de serpents; on y attache ensuite des franges de coton de la couleur de la peau du Korne, de l'cureuil et de la belette fauve. Cette coi lIure a pour nom maigabtchi (. couvre-chef . ). A un morceau de coton d' peu prs 30 cm de large, formant une bande attache au col du vtement, sont fixes des images varies de serpents et d'animaux sauvages. On appelle cela dalabtchi (. aile . ) ou ziber (. nageoire > ou aile . ; cf. A Description of BuriatShamanism, p. 18, 19-20). Deux btons en forme de bquilles d'environ deux a unes de long (grossirement sculpts) et reprsentant, leur extrmit, une tte de cheval, au cou duqu el e.t attach un anneau avec trois qolbugas et qu'on appelle Crinire du Cheval; leur extrmit infrieure sont attachs des golbugas semblables ap pels Queue du cheval. En avant de ces btons sont fixs, de la mme faon, un anneau qolbuga et (en miniature) un trier, une lance et une pe, une hache, un marteau, un bateau, une rame, la pointe d'un harpon, le tout en fer; au-dessous d'eux, comme plus haut, sont attachs trois qolbugas. Ces quatre (anneaux golbugas) sont appels Pieds, et les deux btons sont dsigns du nom de sorbi. t. Un fouet form d'une tige suqai couverte d'une peau de rat musqu enroule huit (ois autour de lui, avec un anneau de fer et trois qolbugas, un marteau, une pe, une lance, une massue pointe (le tout en miniature); de plus, on y attache des bandes de coton et de soie de couleur. L'ensemble porte le nom de Fouet des choses vivantes . Lorsqu'il chamanisc, il (le boge) le Lient la main en mme temps qu'un sorbi ; il peut se passer de ce dernier lorsqu'il chaman ise en yourtes. (ibid., p. 19, 23-24). Plusieurs de ces dtails reviendront plus loin. Remarquons pour

l'instant l'importance accorde au cheval . du chaman bouriate; le thme du cheval, en tant que moyen utilis par le chaman pour faire son voyage, est spcifique de l'Asie centrale et septentrionale ; nous aurons l'occasion de le rencontrer ailleurs (cf. plus bas, p. 260 sq., 364 sq.). Les chamans des Bouriates d' Olkhonsk ont en plus un colIret o ils dposent leurs objets magiques (tambourins, btoncheval, fourrures , clochettes, etc.) et qui est gnralement orn des images du Soleil et de la Lune. Nil, l'archevque de Jaroslav, mentionne encore deux objets de l'quipement du chaman bouriate : abagalde i, un masque monstrueux en peau, en bois ou en mtal et sur lequel est peinte une norme barbe, et toU, un miroir mtallique avec les figures de 12 animaux, suspend u Bur la poitrine ou dans le dos, ou, parfois, cousu directement sur le kaftan. Mais, d'aprs Agapitov et Changalov (op . cit., p. 44), ces deux derniers objets ont presque di. paru de l'usage (1). Nous allons revenir dans un instant sur leur prsence ailleurs et sur leur signification religieuse complexe.

LE COSTUME ALTAQUE

La description que donne Pota nin du chaman altaque laisse l'impression que son costume est plus complet et mieux conserv que les costumes des chamans sibri ens. Son kaftan est fait d'une peau de bouc ou de renne. Quantit de rubans et de mouchoirs cousus au froc reprsentent des serpents. Certains de ces rubans sont dcoups en tte de serpent, avec deux yeux et la mchoire ouverte j la queue dos grands serpents est fourchue et parfois trois serpents ont une .eule tte. On dit qu' un chama n riche doit avoir 1.070 serpent. (2) . Il y a:-aussi nombre d'objets en fer, parmi lesquels un petit arc avec des flches, pour elIrayer les esprits (3). Sur le dos du frocs ont cousus des peaux d'animaux et deux ronds de cuivre. Le collier est par d'une frange de plumes de hiboux noirs et bruns. Un chaman avait, de plus, cousu sur Bon collier sept poupes, chacune ayant une plume
(1 ) Po ur le miroir, les clochettes et autres objets magiques du chaman bourial.e, voir aussi PARTANBN, A Descriplion, 26. (2 ) Plus au nord, la signification ophidienne de ces rubans est en train de se perd re au profit d'une nouvelle valorisation magico-religieuse. Ainsi, p. ex., certains chamans ost yaks ont dclar Kai DO NNE R que les rubans ont les mmes proprits que les cheveux (Ornenunts de la tAte et de la che~elure, p. 12 ; ibid., p. 14, figure 2, costume d'un chaman ost yak avec un e C oule de rubans qui pe . den t jusqu'aux pieds; ct. HAR VA, Die religi6sen Y orsteUungen, fig. 78). Les chamans yakoutes appellent les rubans' cheveux. (H ARVA., p. 516). Nous assistons un transrert de signification , processus assez frq uent dans l'histoire des religions: la valeur magico-religieuse des serpents - valeur incon nue chez plusieurs peuples sibriens - est rem place, dans l'objet mme qui, ailleurs, reprsente les '. se~pents " par l ~ va1eur magie;oreligieuse des. cheveux J, car les longs cheve!-ix sl ~ lfi e nt, eux aUSSI, une C orte pUlSsance magico-religieuse, co ncentre, comme Il CaUait s'y attendre, dans les sorciers (p. ex. le muni du Ilig Vda, X, 136, 7), dans les rois (p. ex. les rois babyloniens), les hros (Samso n), etc. Mais le tmoignage du chaman interrog par Kai Donner ~ -.t es L plutO t isol. (3) Encore un exemple de changement de significa tion, l'arc et les flches tant en premier lieu un symbole du vol magique et, comme tels, faisant partie de l'appareil ascensionnel du chaman .

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LE SYMB O LI S M D U COST U M E

E T D U T AMB OU R C H AM AN I QU E S

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de hibou brun co mm e tte. C'tait, disait- il, les 7 vierges clestes, et les 7 clochett,cs taient les voix de ces 7 vierges qui a ppelaient les esp ri ts vers elles (1). Ailleu rs, elles so nt au nombre de 9 et sont censes tre les fill es d'lga n (v. p. ex. Harva, op. cit., p. 505). Pa rmi les autres obj ets suspendus a u costum e chama nique et dont chacun est porte ur d' un e signification religieuse, rappelons, chez les Altaques, de ux petits monstres, habitants d u royaume d' Erlik, j utpa et arba, faits d'tofTe noire ou b run e, l'ull, et verte, l'aut re, avec deux paires de pieds, une qu eue et la gueule entrouverte (Harva, fi g. 69-70, d'a prs Anochin ); chez les peuples de l'extrme Nord sibri en, certaines images d'oiseaux aquatiques, comme la mouette et le cygne, qui symbolisent l'imm ersi on du chaman dans l'enfe r so us-m arin , conception sur laqu elle nous aurons revenir en tudi ant les croyances esq uimaudes j nombre d'animaux mythiques (l 'o urs, le chien, l'aigle avec un ann eau autour du cou, symbolisant , d' a prs les Inissens, qu e l'oisea u imprial se trouve au service du chaman; cf. Nioradze, p. 70) ; mme des dessins des organes sex uels hum ai ns (ibid.) qui , eux aussi, con tribuent sanctifier le costu me (2).

L ES MI RO I RS E T LE S BON NE T S C H A M AN I QUES

Chez les d ilT rents groupes t ongouses du No rd de la Mand chourie (T onga uses Khingan, Birartchen, etc. ) les miroirs de cuivre jouent un rle important (cf. Shirokogorov, P sychomental Complex, p. 296). L'ori gine en est nettement sino-mandchourienne (i bid. , p. 299), mais la significati on magique de ces objets varie d'un e tribu l'autre : on d it qu e le miroir a ide le chaman voir le monde (c'est--dire, se co nce ntrer), ou placer les esprits , ou rfl chir les besoins de l'homme, et c. V. Di6szegi a montr que le term e mand cho-tongo use dsignan t le miroir, paltaptu, drive de pa,ta, me, esprit , plus prcisment l' (C me-ombre . Le miroir est don c un rceptacle (-p tu) de l' me ombre . En regardant dans le miroir, le chaman peut vo ir l'me d u dfunt (3) . Certains chamans mongols voient dans le miroir le 4: cheval blanc des chamans. (4). Le coursier est l'animal chama nique par excellence : le galop, la vitesse vertigineuse, sont
(1) G. N. POTA NIN, Olch~rki Ifwero-zapadnoj ilfongolii, vol. I V, p . 49-54; cf. MlltIIAI LOWSK I, p. 84 ; H ARV A, D I~ religiost n Vorsl~ll u ngen, p. 595; \V. SC ll MIDT, Der Ur$prung, I X, p. 254 sq. 8ur le coslu me des chamans altaq ues el tatars aba kans, voir a ussi ibid., p. 251-57, 69/1 -96. (2) On se demande si la coex is t ence des deux sym boles sex uels (vo ir p . ex. NIOR AD~E., fig. 32 ; d'aprs ANUTC II IN) sur le mme ornement n' implique pas une vagu e rminisce nce de l'androgynisation rituelle. cr. a ussi B. D. 8 HI1IIKI N, A Sketch of l lae Ke/, or Yen isci OSl!fak (. E th nos " I V, 1939 , p. 1'0 7-176), p. 161. (3) V. DIOSZEG I, 1 urlguso-manc=urskoj~ =erkalo 8amana (in. Act a orientalia hu ngarica . ~ 1: Buda pest, 1951, p. ~59-83) , p. 367 sq . Sur le miroir des chamans t ongouses, cf. aussI SIIIIIOKOGOIlOV, op. Cl ! ., p . 278, 299 sq. (i) W. H EISS IG, Schama nen und Geterbeschwrer im Kriye- Banner (in . F ol klore S tud ies " lIJ , Hlftft, p . 39-72) , p . '16.

des ex pressions tradi tionn elles du vol , c'est--dire de l'extase (voir plus loin , p. 364). Quand au bonnet, il est t enu dans certaines trib us (p. ex., chez les Samoydes-Youraks) pour la partie la plus impor tante du vtement chamanique . Au dire de ces chama ns un e grande partie de leur pouvoir est donc cache dans ces bonnets. (Kai Donner, Les ornements de la tte, p. 11) . C'est pourquoi il est co urant qu e lorsqu ' un e exhibition chamanique est excute la demand e de Ru sses, le chaman s'en acqu it te sans bonnet . (Donner, La S ibrie, p. 227 ). In terrogs par moi ce suj et, ils m'ont rpondu qu'en chamanisant sans bonnet ils taient dpourvus de tout pouvoir vritable, et que la crmonie entire n' tait par suite qu' une parodie destine surtout amuser l'assistance (id. , L es ornements, p. 11) (1) . Dans la Sibrie de l'Ouest, il consiste en un large bandeau faisant le t our de ]a tte et auqu el sont suspendus des lzards ou d'autres animaux tutla ires et d'innombrables rub ans. A l'Est de Ket, les bonnets , tantt ressemblent des co uronnes munies de bois de renn e fabriqu s en fer, ta ntt ils sont taills dans une t te d 'ours avec, attaches, les principales parties de la pea u de la tte, (Kai Donner, L a S ibrie, p. 228 ; v. aussi Harva , op . cit. , p. 514 sq., fig. 82, 83, 86). Le ty pe le plus co mmun est celui qui reprsente les bos d' un renne (H arva, p. 516 sq.), bien qu e, chez les T ongouses orientaux, certains chamans prt endent que les cornes de fer qui orn ent leur bonnet imitent celles d 'un cerf (2) . Ailleurs, aussi bien dans le Nord, comme chez les Samoydes, qu'au Sud, comme chez Jes Altaqu es, le bonnet chamanique est orn de plumes d 'oisea ux: cygne, aigle, hib ou. Ainsi, p. ex., des plumes d 'aigle dor ou de hibou brun chez les Altaqu es (Pota nin, Ocherki, IV, p. 49 sq.) (3), des plumes de hibou chez les Soyotes et Karagasses, etc. (Harva , ibid. , p. 508 sq .). Certains chamans tloutes font leur bonnet de la peau d'un hibou brun et laissent les ailes, et parfois la t t e, comme ornements (Mikhailowski, p. 84) (4).
i ) L'i mporta nce do nne a u bonnet ressort a ussi d ' anciens dessins rupestres de 'ge de bronze o le cham an es t muni d ' un bonnet qui a pparatt nettemen t. mais l o peuven t manquer t ous les a utres a ttribu ts indiq uan t sa dignit. ( Kai DONNER ,
1

La

cham~n i que. c~ el.

p. 227/. Mais K ARJ ALA 1NEN n e croit pas au caractre autochtone du bonn et es oS1.aks et les Vogoules ; il pense plu tt une influence s~ m oy~de (cl. Dte R ehglOnen der ugra- Vlker, 111, p . 256 sq.). E n t ou t cas , la ques t IOn n es t pas rsolue. Le baqa kaza k-kirghize es t coifT du trad ition nel malakhai, sor te de bonnet pointu en peau d'agneau ou d e renard , retomba nt longuemen t s ur le rios. Cer tains baqas porten t une non moins t range coifTure de feutre, recouverte d 't ofTe rouge en poil de chameau ; d'au tres, pl us particuliremen t dans les steppes avoisinant le Sy r-Dari a, le Tchou, la mer d'Aral, porten t un turban presque t oujours de couleu r bleue. (CASTAGN, ftfagi~ et exorcme, p. 66-67). Vo ir a ussi R. A. STEIN , R echuches sur l'pope et ~ barde au Ti.bet (Paris, 1959), p . 342 sq. (2) Sur le bonnet chamanique corn es de cerI, voir V . DI6sU!:G I, Golol,lnoi ubol' n anaiskych (goldskich) $4manol' (in. A npraj rtesl t O l, XXXV II, Buda pest, 1955, p. 8 1-108), p. 87 sq. et fi g. 1, 3-4, 6, 9, 11 , 2223. (3) Voir l'tude exhaustive d u bon net altaqu e chez A. V . AN OC HIN , Malerialy po 8hamanstf.lu u altajcel,l (Leningrad, 1924), p. 46 sq . (4) O'aill eurs en cer taines rg ions, le bon ne t d e hibou brun ne peut p as tre port par le chaman immdia temen t aprs sa conscra tion . Au cours de la /camlanle, les esprits rvlen t quel moment le bonnet et d ' autres insignes suprieurs pourront tre revtus sans danger par le nouveau cha man (MIJUIAIL OWSK I, p . 8ll-85).

Sibri~,

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LE SY MBOLI S ME DU COST UME

ET OU TAMB OU R CUAa.IANIQ UES

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SYMBOLISME ORNITHOLOGIQUE

Il es t clair qu'au moyen de tous ces ornements, le costume chama. nique tend pourvoir le chaman d'un nouveau corps, magique, en forme d'animal. Les trois principaux typ es sont celui d'oiseau, de renne (cerf) et d'OUfS - mais spcialement d'oiseau. Nous reviendrons sur la signification des co rps en (orme de renne et d'ours. Occuponsnous pour l'instant du costume ornithomorphe (1). On a ren contr des plumes d'oiseau un peu partout dans les descriptions des costumes chamaniques. Qui plus est, la structure mme des costumes essaie d'imiter le plus fid lement possible la lorme d'un oiseau. Ainsi, les chamans altaques, ceux des TaLars de Minnusinsk, des Tloutes, des Soyotes et des Karagasses s'appliquent donner leurs costumes la ressemblance d'un hibou (Harva, p. 504 sq.). Le costume soyote peut m me tre co nsidr comme une parfaite ornithophanie (2). On s'eITorce surtout de reprsenter un aigle (3) . Chez les Goldes, c'est galement le costume en lorme d'oiseau qui domine (Shirokogorov, p. 296). On peut en dire autant des peuples sibriens habitant plus au Nord , les Dolga ns, les Yakoutes et les Tongouses. Chez les Yukaghir, le costume comporte des plumes (Jochelson, The Yukaghir, p. 169-76). La botte d'un chaman t ongouse imitela paUe d'un oiseau (Harva, p. 511, fig. 76). La lorme la plus complique de costume ornithomorphe se rencontre chez les chamans yakoutes ; leur costume montre un squelette d'oiseau complet, en 1er (Shirokogorov, p. 296) . D'ailleurs, d'aprs le mme auteur, le centre de diffusion du costume en forme d'oiseau semble tre la rgion actuellement occupe par les Yakoutes. . ~ me l o le costume n'offre pas une structure ornithomorph e Vlslble - comme, p. ex., chez les Mandchous, fortement influencs par les vagues successives de culture sino-bouddhiste (ibid.) - la parure de la tte est laite avec des plumes et imite un oiseau (ibid., p . 295). Le chaman mongol a des aHes ~ sur les paules et se sent transform en oiseau ds qu'il revt le costume (Ohlmarks, Studien, p. 211). Il est probable que, dans le temps, l'aspect ornithomorphe tait encore plus accentu chez lesAltaiques en gnral (Harva, p. 504) . Des plumes de hibou n'ornent plus aujourd'hui que le bton du baqa kazak-kirghize (Castagn, p. 67). Sur la foi de ses informateurs Tongouses, Shirokogorov prcise que le costume d'oiseau est indispensable au vol vers l'autre monde : Ils disent qu'il est plus lacile d'y aller quand le costume est lger, (Psychomental Complex, p. 296). C'est pour la mme raison qu e, dans les lgendes, une chamane s'envole dans les a irs ds qu'elle
(1) Sur les rapports ~hama~:oise~ ux et le. symbolisme orni.thologique du costume, H . KIRCHNER, Eln archiiologuCM1' Dellrag 2"" UI',elchichu des Schamal'/.umu. m <1 Anlhropos ., XLVII, 1952 , p. 24'1-86), p. 255 sq. 2) ~. HARVA, DU! religitJBen VorsuUungen, A g. 71-73, 8788, p. 507-08, 519-20. Cf. aussI \V. SCll MIDT, Der U, sprung, XI, p. 430-31. (3) c r. Leo STERNBERG, Der AdkrlcuU bei den Volleern Sibiriens (. Archiv fr Religionswissenschalt ., 1930, vol. 28, p. 125-153), p. 145.

atteint la plume magique (1). . Ohlmarks (Studien, p. 211) croit que ce complexe est d'origine arctique et doit tre mis en relation directe avec les croyances aux. esprits auxiliaires, qui aident le chaman accomplir son voyage arien. Mais, comme nous l'avons dj vu eL le verrons encore par la suite, le mme symbolisme arien se rencontre un peu partout dans le monde, prcisment en relation avec les chamans, les so rciers et les tres mythiques que ceux-ci, parfois, personnifient. D'autre part, il laut tenir compte des relations mythiques qui existent entre l'aigle et le chaman. Rappelons-nous que l'aigle est cens tre le pre du premier chaman, qu'il joue un rle considrable dans l'initiation mme du chaman, qu'il se trouve enfin au centre d' un complexe mythique qui englobe l'Arbre du Monde et le voyage extatique du chaman. Il ne laut pas perdre de vue non plus que l'Aigle reprsente en quelque sorte l'Lre suprme, mme s'il est fortement solaris. Tous ces lments nous semblent concourir prciser assez clairement la signification religieuse du costume chamanique : il s'agit, en le revtant, de retrouver l'tat mystique rvl et fix pendant les longues expriences et crmonies de l'initiation.

LE SYMBOLISME DU SQUELETTE

Ceci est confirm d'ailleurs par la prsence, Bur le costume charnanique, de certains objets en 1er imitant des os et tendant lui donner aussi l'as pect, mme partiel, d'un squelette. (Voir, p. ex. Findeisen, Der t.Iensch und seine Teile in der Kunst der Jennissejer, fig. 37-38, d'aprs Anuchin, fig. 16 et 37; voir aussi id., Schamanentum, p. 86 sq.) . Certains auteurs, parmi lesquels Harva (Holmberg) (The shaman costurne, p. 14 sq.), ont pens qu'il s'agissait d'un squelette d'oiseau. Mais Troschtschanskij a, ds 1902, dmontr que, chez le chaman yakoute au moins, ces os en fer s'efforaient d'imiter un squelette humain. Un I nissen disait Kai Donner que les os taient le squelette mme du chaman (2). Harva lui-mme (Die religiosen Vorstellllngen, p. 514) s'est converti l'ide qu'il s'agit d'un squelette humain , bien qu'E. K. Pekarskij ait propos entre-temps (1910) une autre hypothse: savoir qu'il serait plutt question d' un e combinaison entre le squelette humain et celui d' un oiseau. Chez les Mandchous, les ~ os sont faits en fer et en airain, et les chamans affirment (au moins de nos jours) qu'ils reprsentent des ailes (Shirokogorov, p. 294). Nanmoins, il ne
(1) OIiLKARItS, Studien , p. 212. Le motif folkl orique du vol ft l'aide des plumes d'olst>aux est assoz rpandu, spcialement en Amrique du Nord: v. Stith THOM l'SON, Motif-Index, voL III, p. 10, 38 1. Encore plus frquent est le motif d'une re-o iseau qui, marie un humain, prend.son vol ds qu'elle russit s'emparer de la plume l o ~gt~mps garde par son lfla~l. Ct. .U. HARVA ( HOLMBER G) , Finno-Utric [and] SI~"a" [M ythology], p. 50 '1. VOIr aUSSI la lgende de la chamane bouriate qui s'lve sur son cheval magique ft huit pattes, plus bas, p. 365. 2) Kai DONNER, Beitriige ::ur Frage nach de'" UrBprUnt der Jenssei-Osljalr.erl J ournal de la Socit Finno-O ugrienne " XXXV III, l, 1928, p. 1-21), p . 15; id., 1 Ethnological Notes about 1114 YenisseyOstyah, p. 80. Dernirement cet auteur semble avoir chang d'avis; cr. La Sibrie, p. 228. '

c.r.

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LE S YMB O LI S ME D U COST U ME

ET DU TAMBO UR CH A MA N I QUES

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reste pas de doute possible qu e, dan s beauco up de cns, on a en vue ]a reprsentation d' un squelette d'homm e. Findeisen (Der Jflfensch und seine Teile, fig. 39) reprod uit un objet en rer imita nt adm irablement le tibia humain (Berliner Museum fr Volkerkunde). Quoi qu'il en soit, les deux hypoth ses se ramnent au lond la mme ide fondamentale : en s'efforant d'imiter le squelette, d' homme ou d'oiseau, le cost ume chamaniq ue proclame le statut spcial de celui qui le revt, c'est--d ire de quelqu' un qui est mort et es t ress uscit. On a vu que, chez les Yakoutes, les Bouriates et d 'autres peuples sibri ens, les chamans sont censs a voir t tus par les es prits de leurs anctres, qui, aprs avoir . cuit l Ieurs corp s, en ont compt les os qu'ils ont replacs en les reliant par des lers et en les enveloppan t d'une chair nouvelle (1). Or, chez les peuples chasseurs, les os reprsentent la source ultime de la vie, aussi bien de la vie de l'homme que de celle de l'animal, source partir de laquelle l'espce se reconstitue souhait. C'est pour cette raison qu e les os du gibier ne sont pas briss, mais recuei1lis avec soin et disposs suivant la co ut ume, c'est--dire enterrs, dposs sur des platesIorm es ou dans les arbres, jets dans la mer, etc. (2). De ce point de vue, l'enterrement des animaux suit exactement la manire de disposer des humains (Harva, Die religiosen Vorstellungen, p. 440-4111) car, pour les uns comme pour les autres, l' . me rside dans les os et, par co nsquent, on peut esprer la rs urrection des individus partir de leurs os. Le squelette prsent dans le costume du chaman rsume et ractualise le drame de l'initiation, c'est--dire le drame de la mort et de la rsurrection. Peu importe qu'il soit cens rep rsenter un squelette d'homme ou d'animal; dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de la substance-vie, de la matire premire conserve par les anctres mythiques. Le squelette humain reprsente en quelque sorte l'archtype du chaman, puisqu'il est cens reprsenter la Camille d'o les anctres-chamans sont ns successivement. (On dsigne d'ailleurs la souche Camiliale comme l' os.; on dit fi d'os de N. dans le sens de descendant de N . ) (3). Le squelette d'oiseau est une va riante de la mme conception; d' une part, le premier chaman est n de l'union d'un emme et , d'autre part,le chaman lui-mme s'efforce de se aigle et d'un e C transCormer en oiseau et de voler, et, en effet, il est un oiseau dans la
(1) Cf. H . NAC IIT IG ALL, D ~ kulllUhiswrisCM Wur;el der Schamanenskeleuierung (in 1 Zeitschrilt fr Ethnologie " LXXVII, Berlin , 1952, p. 1S8-97), passim. Sur la

mes ure o il a accs, comme ce derni er, a ux rgions sup rieures. Dans le cas o ce squ elette - ou le masque - transforme le chaman en un autre animal (cerf, etc.) nous avons a ffaire une thorie similaire (1), car l'anima l-anctre mythique est conu comme la ma trice inpuisa ble de la vie de l'espce, matri ce reconn ue dans les os de ces an imaux. On hsite pa rler de totmisme. li s'agit plutt des relations mystiqu es entre l'homme et son gibier, relations Condamentales pour les socits des chasseurs et qu e Friedrich et Meuli ont, dernirement, assez bien mises en valeur.

R ENA TRE DE SES OS

Que l'animal chass ou domestiq u puisse renaitre de ses os, c'est l un e croyance qu' on rencontre a ussi dans d'autres rgions, en dehors de la Sihrie. Frazer avait dj enregistr quelques exemples amricains (2). D'aprs Frobenius ce motif mythico-rituel est encore vivace chez les Ara nda, chez les tribus de l'intri eur de l'Amriqu e du Sud , chez les Boshimans et les Chamites alricains (3) . Friedrich a com plt et intgr les laits alricains (4), tout en les co nsidrant juste titre comme une expression de la spiritualit pastorale. Ce complexe mythico-rituel s'est conserv d'ailleurs dans des cultures plus volues, soit au cur mme de la tradition religieuse, soit so us lorme de co ntes (5). Une lgende des Gagautz raconte comment Adam, pour C ournir des C emmes ses fil s, rassembla des os de diffrents animaux et pria Dieu de les animer (6) . Dans un conte arm nien, un chasseur assiste un mariage des esp rits des bois. Invit au banq uet, il s'abstient de manger mais garde la cte d u bul qu 'on lui avait offert. Par la suite, en rassemblant tous les os de l'animal pour le faire revivre, les
(1) P. ex. le costume du cham an tongouse reprsente un cerf, dont le squ elette est suggr par des morceaux de ter. Ses cornes aussi so nt en fer. D'aprs les lgendes yakoules, les chamans lullent entre eux sous la forme de taureaux, etc. cr. ibid., p. 212 ; voir plus ha ut, p. 90. (2) De nombreux Indiens Minnetaris 1 croient qu e les os des bisons qu'ils ont tus et dpecs renaissent avec un e nouvelle chair et un e nouvelle vie, s'e ngra issent et sont prts tre tus encore un e C ois ds le mois de juin suiva nt ., sir J ames FR AZER, Sp irits of lM Com and of thtl Wild (Londres, 1913) , Il , p. 256 . On trouve la mme cou tume chez les Dakota, chez les 'Esquima ux de la Terre de BalTin et de la baie d'Hudson, chez les Yuracares de Bolivie . chez les Lapons, etc. Voir ibid., Il , p. 24 7 sq.; O. ZI!RRII! S, Wild- und BlUchg$/~r in Sdamerika, p. 174 sq., 303-04; L. SC HMIDT, Der 1 JIu,. du Tiere in tlinigen Sagtlnlandscha flen Eu,.opas und Eu,.asiens (in 1 Anthropos., X~V II , ;952, p. 509-39), p. 525 sq. ~ C. a.u~si P. SAINT YVRS, u. ConIe. de Perra ult (PariS, 19.3), p. 39 sq. ; EOS MA N, 19ntl dW ln us, p. 151 sq. (3) L. FROJJ RN I us, Kulturgeschlchle Afrikas. P rokgomena zu eine,. his/orischm Ges /alt khre (Z urich, 1933), p. 183-85. (4) A. FH IEDRIC IT , Afrikan!JcM p,.itlsUrtme,. (Stuttgart, 1939), p. 184-89. (5) \Valdemar LI UNCMAN (T,.adi/ion.wanderungtln.- Euphl'l-llhn (Helsinki 19371938), vol. Il , p. 1078 sq. ) rappelle que l'interdiction de briser los os des a~i ma ux se retrouve dans les contes des Juifs et des a nciens Germ ains, da . s le Caucase la Transylva~ie, l'A utriche, les pays a~ pins, la .Fra~cc! la Belgique, l'Angleterre et la Sude. 1 aiS, esclave de ses thses orlCntalo dlfTusl mstes,Je savant sudois considre toutes ces royances comme an assez r CM es et d'origine orientale. (6) C. Fillingham COXWELI., S ibtlrian and otM r Fol/Hait. (Londres, 1925 ), p. 422 .

conception de l'os com me sige de l' me chez les peuples du nord de l'Eurasie, voir Ivar PAULS01f , D ie primit'en Seenl'orstellungM der nordelUtui,chen Vnlker (Stockholm, 1958 ), p. 137 sq. , 202 sq., 236 sq. (2) Cf. Uno HARVA (HOLMllEI\G ), ber die Ja gdrilen d~r n6rdlichM VOlker A,ien. und Europas (1 Journal de la Soci t Fi nn o-O ugri enne " XLI, l, 1925), p. 34 sq.; id., DierigosM Vors/lungM, p. 43'1 s9.; Adolf FRIEDRI CH, KnoeMn und Skeu in der Vor,'ellungswl Norda.iens (I Wiener Beitrl1ge zur Kulturgeschich te und Linguisti k " V, 19f.3, p. 189-2/17), p. 194 sq. ; K. lIh uL' , Gr ~chiseM OpferbriiueM (. Phylobolia rur Peter von der MUIIL zum 60. Oeburtstag am 1. Augus t 1945 . , lUJe, 1946, p. 185-288), p. 234 sq . avec un e trs riche docum enta tion; H. NACIITI CALL, Die u h6hte nuta~tu n g in No,.d- und H oehasien (in Anthropos., XLVIII, 1-2,1953, p. 4fI-70) , paS61m . (3) cr. A. FRIEDRICH et O. BUDDR USS , Schama nenge.ehichten, p. 36 sq.

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LE S YMB OLISME D U COSTUME

ET DU TAMBOUR CHAMANIQUES

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esprits Bont obligs de remplacer la cte manquante par une branche de noyer (1). On pourrait rappele'.-Ue propos un dtail de l'Edda en prose: l'accident du bouc de Thrr~ Parti en voyage avec son char et ses boucs, Thrr prit logement chez un paysan . Ce soir-l, TMrr prit ses boucs et les abattit. On les corcha et on les mit dans le chaudron. Quand ils lurent bouillis, ThOrr et ses compagnons s'installrent pour souper. Thrr invita aussi le paysan, sa femme et Jeurs enfants avec eux ... Puis Thrr plaa les peaux de boucs prs du loyer et dit au paysan et ses gens de jeter les os sur la peau. Thjlfi, le fil s du paysan, avait l'os d'une cuisse d'un des boucs : il le fendit avec son couteau pour atteind re la moelle. TMrr passa la nuit l. Le lendemain, il se leva avant le jour, s'habilla, prit le marteau Mjllnir et bnit les restes des boucs. Les boucs se levrent, mais l'un des deux boitait d' une patte de derrire, (Gyl{aginning, ch. 26, p. 49-50, trad. G. Dumzil, Loki, Paris, 1948, p. 45-46) (2). Cet pisode atteste la survivance, chez les anciens Germains, de la conception archaque des peuples chasseurs et nomades. Ce n'est pas ncessairement un trait de la spiritualit chamaniste J . Nous l'avons nanmoins enregistr ds maintenant, en nous rservant d'examiner les restes du chamanisme indo-aryen aprs avoir obtenu une vue d'ensemble des thories et des pratiques chamaniques. Toujours propos de la rsurrection partir des os, on pourrait laire tat de la clbre vision d'~zchiel, bien qu'elle s'intgre dans un tout autre horizon religieux que les exemples cits plus ha ut: " La main de l'ternel se posa sur moi; l'ternel m'enleva en esprit et me transporta au milieu d'une valle pleine d'ossements ... Il me dit : t: Fils d'homme, ces ossements peuvent~i18 revivre ? J e rpondis: - Seigneur ~ternel, c'est toi qui le sais 1 Alors il me dit: , - Prof phtise sur ces ossements, et dis-leur: Ossements desschs, coutez * la parole de l'ternel. Ainsi parle le Seigneur, l'ternel, ces osset: ments : je vais faire entrer l'esprit en vous, et vous revivrez; et vous saurez que je suis l'ternel. J e prophtisai donc, comme j'en avais reu l'ordre; et comme je prophtisais, il y eut un frmissement, puis un bruit retentissant, et les os se rapprochrent les uns des autres. Je regard ai, et voici qu'il se formait sur eux des muscles et de la chair ., etc. (zchiel, 37, 1-8 sq.) (3). A. Friedrich rappelle aussi une peinture dcouverte par Grnwedel
(1) COXWII.LL, op. ci", p. 1020. T . LSHTISALO ( D~r Tod und die WiedergeburtMI

dans les ruines d'un temple Sllngimllghiz et qui reprsente la rsurrection d'un homme de ses propres os, rsurrection obtenue par la bndiction d'un moine bouddhiste (1) . Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans des dtails concernant les influences iraniennes sur l'Inde boud~ dhiste, ni d'entamer le problme, encore mal tudi, des symtries entre les traditions tibtaine et iranienne. Comme J . J. Modi (2) l'a remarqu il y a plusieurs annes, il existe une ressemblance frappante entre la coutume tibtaine d'exposer les cadavres et celle des Iraniens. Les uns comme les autres laissent les chiens et Jes vautours dvorer les corps; pour les Tibtains, il est d'une grande importance que le corps se translorme au plus tt en squelette. Les Iraniens dposent les os dans l'astodan, la place des os t, o ce ux~oi attendent la rsurrec tion (3). On peut considrer cette coutume comme une survivance de la spiritualit pastorale. Dans le lolklore magique de l'Inde, certains saints et yogis sont censs pouvoir ressusoiter les morts partir_de leurs os ou de leurs cendres; c'est ce que lait Gorakhnth (4), par exemple, et il n'est pa. sans intrt de remarquer ds maintenant que ce fameux magicien est considr comme le fond ateur d'une secte yogico~tantrique, les Knphata yogis, chez lesquels nous aurions l'occasion de rencontrer plusieurs autres vestiges chamaniques. Enfin, il sera instructif de rappeler certaines mditations bouddhist es ayant pour but la vision du corps se t ranslormant en squelette (5) ; le rle important que les crnes et les os humains dtiennent dans le lamaisme et le tantrisme (6) ; la danse du squelette au Tibet et en Mongolie (7) ; la lonction remplie par la brdhmarandhra (= sutura Irontalis) dans les t echniques extatiques tibto-indiennes et dans le lamaisme (8) , etc. Tous ces rites et toutes oes conceptions nous semblent montrer que, malgr leur intgration prsente dans des systmes trs varis, les traditions archaiques de l'identification du principe vital dans les os n'ont pas compltement disparu de l'horizon spirituel asiatique. Mais l'os joue aussi d'autres rles dans les rites et les mythes chama
(1) A. GRUNWEDEL, Teufel MI A"tala (Berlin , 1924), II , p. 68-69, fig. 62; A. FR IBDRICH, Knochen und Skektt, p. 230. (2) Cf. Tibetan Mode of the Duposal of the Dead (dans les Memorial Papers, Bombay, 1922), p. 1 sq . ; FRIEDRICH, op. cit. , p, 227. Ct. Yalt, 18, 11 ; Bundahiln, 220 (renatlre de scs os ). (3) Cr. la maison des os dans une lgende des Grands Russes (COX WELL , Siberian and Other Folk-taka, p. 682), Il serait intressant de rexaminer la lumire de tes faits le dualisme iranien qui, on le sait, oppose au 1 spirituel Ile terme uSldna, osseux 1 En outre, comme le remarque FRIBDRICIJ (op. cil ., p. 245 sq.), le dmon As tovidatu, le briseur des os l, n'est pas sans rapport avec les mauvais esprits qui tourmentent les chamans yakoutes, tongouses et bouriates. (4.) Voir, p. ex., George W. BRIGGS, Gorakhndth and the Kdnphat4 Yog. (Oxford, 19381. p. 189, 190. (5) cr. A. POZDNEJEV, Dhyna und Samdhi im mongoli3chen Lamaismus (1 Un tersuchungen zur Geschichte des Buddhismus und verwandter Gebiete l, vol. XXIII, Hanovre, 1928), p. 2/1 sq. Concernant les 1 mditations sur la mort . dans le taotsme, cf. HOUSSBLLB, Die TypeR Mr M editation in China (Chinesisch-deulscher Almanach fr das Jahr 1932) spe. p. 30 sq . (6) Cf. Ro~ert BLEICBSTBIN'U, L'glise JauM (trad. de l'allemand par Jacquer Marty, Paru;, 1937), p. 222 sq.; FRIEDRICH, p. 211. 71 BLEICH8TEIN'BR, op. cie., p. 222; FRIEDRI CH, p, 225. 8 Mircea ELUDa, Le Yo,a, p. 321 sq., ~01 i FIIiIDRICH, p, 286. 1

kanftgen Schamanen, Journal de la Socit Finno-Ougrienne " XLVIII, 1937, p. 19) rappelle l'aventure semblable d'un hros du Bogda, Gesser Khan: un veau tu et dvor renalt de ses propres os, mais il lui en manque un. (2) Il existe sur ce t pisode une tude trs riche de C. W: von 8 voow (Tors fiirdrill Utgard: J. Tors bockslaktning, 1 Danske Studier l, 19tO, p, 65-105), qu'utilise EDSMA N (Igni& divinua, p. 52 sq .). cr. a ussi J. W. E. MAN'NHARDT, G~rmanilche .Mylh~n Berlin, 1858), p. 57 -75. 3} E n J!1gyple aussi les os devnient tre conserv8 pour la rsurrection: voir Le .IVre MS Moru, ch. cxxv CI. : Coran, Il, 259. Dans un e lgende aztque, l'humamt prend naissance des os ar.ports de la rgion souterraine: cf. H. B. ALBXANDU. Latin. Am~rican [Mythology] 1 The Mythology of ail Races., vol. XI, BostOIl, 1920); p.90.

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LE S" M 80LISM E 0 U COSTU ,\] E

ET DU TAMBOUR CIIAMANIQUES

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niques. Ainsi, par exemple, quand le cha man vasyugan-ostyak part.. la recherche de l'me du malade, il utilise une barque faite d'un coffre pour so n voyage extatique dans l'autre monde et il emp loie une omoplate comme rame (Karjalainen, Die Religion der JugraVolker, Il , p. 335). Il faudrait a ussi citer ce propos la divination par un e omoplate de blier ou de brebis, trs rpandue chez les Ka lmouks, les Kirghiz, les Mongols, ou pal' une omoplate de phoque chez les Koryaks (1). La divination , en elle-mme, est un e technique prop re actualiser les ralits spirituelles qui sont la base du chamanisme, ou Cacilit..er le conta ct avec elles. L'os de l'animal symbolise, ici encore, la Vie totale en co ntinuelle rgnration et, parLant, inclut en lui ne ft-ce que virtuellement - tout ce qui appartient au pass et au fu tur de cette' Vie . No us ne croyons pas nous tre trop loign de notre suj et - le squ elette reprse nt sur le costume chamanique - en rappelant tou tes ces pratiques et toutes ces conceptions. E Ues appartiennent, pres. qu e en leur totalit, des niveaux de cuJLure simiJaires ou homologables et, en les num rant, nous avons signal certains points de repre dans la vaste aire de la cuJLure des chasseurs et des pasteurs. Prcisons, nanmoins, que toutes ces reliques ne dnotent pas gale. ment une stru cture (C chamaniste ~. Ajoutons enfin qu'en ce qui concerne les symtries tablies entre certaines co utum es tibtaines, mongoles et nord-asiatiques, voire arctiques, il y a lieu de tenir co mpte des influences venu es de l'Asie mridionale et particulirement de l' Inde, influences sur lesquelles nous aurons revenir.

LE S MASQUES CH AMANIQUES

On se rappelle que Nil, l'archevq ue de Iaroslav, ment ionnait un masq ue monstrueux parmi les accessoires du chaman bou riate (voir plus haut, p. 133). De nos jours, l'usage en a disparu chez les Bouriates. D'ailleurs, les masques chamaniques se rencontent assez rarefl ) L'essentiel a dj l dil par R. ANDRBE, Scapulimantia (in. Anthropological ~apers Written in H ono ~ ot Franz ~o~ ., Ne~ Yor k, 1906, p. 14365). Voir aussi FR IEDRICH, p. 214 sq.; aJ ~ uler sa bibliographie G. L. KITTREDGE, JYitchraft in Old and N~w Eng?'nd (~ a~nbrl~ge, Mass. , 1929), p. H4 el462, n./,4. Le centre de gravit de cetle techmque dl '2!lat.omlsemble lre l'Asie Centrale; cl. B. LAUFER , Columbus a~ Cathay ~nd the M~aning of America to lhe Orientalist (1 J ournal or lhe Arnerican Orlen~al SOCiety!, L.I, 2, New, Haven , 1931, p. 87103), p. 99; elle tait trs usite en Ch~no protolustorlqu.o ds 1 poque des Chang (v. H. G. CREEL, La lIa is8anc~ Ck la Ch ln~, tra d. fr ., p~rls , 19 ~7, p. 1 7 .sq.). ?trma technique chez les Lolo; cr. L. VAN ~ I C~I.L I ,. L~ ;eg"o.lle th. Lolo (Milan, 19(1fa ), p. 151. La scapulimancie nord. a":lr.lCame, IlIn ltee d ailleurs aux tribus du Labrador e t d u Qubec, es t d 'origine asiatique.; cf. John .M. C~OI'.ER, Norlhun Algonkian Scrying and ScaplllimatJ~, (Fcs~chrl rl W. SC HMIOT, Mdhng, 1928, p. 207-215) etD. LAUFEn,op. cil., p. 99. VOir auss l .E.~. EISeNBER(;E~, Da! Wahrsag~tJ aus d~1n Schullublatt (in . Intrnalionales Arcluv fur Ethnographie _, XXXV, Leyde, 1938, p. 49-11 6), passim; H. HOFFMANN, Ouellen -zur Guchicht~ der tib~tischen Bon-R~ljgion (Wiesbaden, 1950) , p. 193 sq.; L . SCHMIOT, Pelops unddi~ lIaselhex~ (in . Laos" l , S tockholm , 1951, p. 67-78 ), p. 72 , n. 38; F. BOEHM, Spatulimantie (in . Handworterbuch des deulschen Aberglau.b ens " Vll , p. 125 sq.), passim; F. ALTlfElH, G~sclt~cht~. thr Hu.nnen (4 vo l., Berlin, 195962 ), l, p. 268 sq. ; C. R. BAWOEN, On tM PraChce of Scapultmancy among the Mongols (in 1 Cen tral Asia tic J ournal ., I V, La Haye, 1958, p. 1.31 ).

Vors l~llung~n, p. 52f, . (2 ) D. ZELE NIN, Ein ~rotisckr RitU.t in thn. Opf~rung~n der allaiscknl Trken (1 l n. ternat. Archiv tr Ethnograrhie., XX I X, 1928, p. 8398 ), p. 84 sq. 3) RADLOV, AilS Sib iri~n, l, p. 55; HA RVA, p. 525. 4) NIORAOZE, p. 77. 5) K. MEUtl, Mask~ (dans Hanns BXC HTOLO, d., HafidworMrbuch ths d~uuchen 1 A~.er glau~e.,!".' Bd. V, Berlin, 1933, col. 1 749 sq .); id., Schweizer Mask~n und Maskenbr(Iltc~ ~ (Zurich, 1 9~, 3 ), p. 4~ sq. ; A. SLAWIA, Ku.l tische G~heimb1l.l der Japaner und GermaTl!n .l- Wi ener Beltrnge zur Kulturgeschlchle und Linguislik ., I V, Sab. bourg el L~lpZlg, 1936, p. 675 764 ), p. 717 sq.; K. RANKE, l ndogermanucM TOI~Il "erehrung (m F olklore Fellows Comm un i~tio~s., LI~. 1951, 140), l , p. 11 1 sq' (6) Ct . p. e~. Geo rges MONTAN~ON, . ~ra"i d ~lhnologl~ Cullurelk (Paris, 193/l ), p. 72 3 sq. VOIr les rserves, pour 1 Amerlqu e, de A. L. KROEBER et Catharine H OI T Mas.ks and M oietics as a Culture Compl~x (. J ournal of the Royal Anthropologi~a i I ~ s tltut e . , vol. 50, 1920, p . 452. 1 , 6), clin rponse de W. SC IIM IOT Die Kullurhislo. r lsch~ M elhotk u,ui di~ rlordamuikallische Etll1lologi~ (f Anthrop~s vol 14-15' p. 546-563), p. 553 sq. ,. , s~n

ment dans la Sibrie et le No rd de l'Asie. Shirokogorov rapporte un se ul cas o un chaman tongouse a improvis un masque 41 pour mo ntrer qu e l'esprit malu est en lui (Psyclwmemal Complex, p. 152, n. 2). Chez les T chouktches, les Koryaks, les Kamchadales Youkagirs et Yakoutes, le masque ne joue aucun rle dans le cha~ an isme : il est plutt, et sporadiqueme nt, utilis pour effrayer les en fants (comme chez les Tchouktches) et, pendant les funrailles, pour n 'tre pas reconnu par les mes des morts (Youkagirs). Parmi les populations ~squ im a udes, c'est surto ut chez les Esquimaux d 'Alaska, fort.ement lllfluencs par Jes cultures amrindiennes, que le chaman utilise un masque (v. Ohlmarks, p. 65. sq.). ~n As~e ,-!es .r.ares cas attests relvent presq ue exclusiv.ement des t ,ibus mridional es. Chez les Tatars Noirs, les chamans utilisent parfois un masque en corce de boulea u dont les moustaches et les Som'. cils sont faits en queue d'cureuil (1). Mme usage chez les T atars de Tomsk (2). Dans l'A1tai et chez les Goldes, quand le chaman conduit l'me du dfunt dans le royaume des ombres, il s'enduit la face de suie pou r ~' tre pas reconnu par les esprits (3). Le mme usage se renco ntre ailleurs, et avec le mme but, dans le sacrifice de l'ours (4) . Il faut se ra!,peler ce propos que la coutume de s'oindre la figure avec. de la SUle est assez rpandue chez les primitifs et que sa signifi catIOn n'est pas toujours aussi simple qu 'e1le en donne l'impression. Il ne s'agit pas toujours d'un camouflage vis-vis des esprits ou d'un moyen de dfense contre ces derniers, mais aussi d' une technique lmentaire poursuivant l'intgration magique au monde des esprits. En efTet, en beaucoup de rgions du globe, les masques reprsenten t les anctres et les porteurs des masques sont censs incarner ces anctres mmes (5). Barbouiller so n visage avec de la suie c'est une des manires les plus simples de se masquer, c'est--dir; d'incorporer les m.es dfuntes. Les masques so nt, par ailleurs, en relation avec les soc,ts secrtes d' hommes et le culte des anctres. L'cole historico-culturelle co nsidre ]e co mplexe masques-culte des anctres-socits secrtes d 'initiation comme appartenant a u cycle culturel du matriarcat, ]es socits secrtes tant, selon ce tte cole, une raction contre la domination des femmes (6). (1) o. N. POTANIN, Otchcrki s~"ero=apadnoi M ongolii, IV, p. 54; HARVA, Di~ reli,i-

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LE SYMBOLISME DU COSTUME

ET DU TAMBOUR CHAMANIQUES

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La raret des masques chamaniques ne doit pas nous surprendre. En effet comme Harva l'a remarqu juste titre (op. cit., p. 524 sq.), le costu:ne du chaman est en lui-mme un masque et peut tre considr comme driv d'un masque originaire. On a essay de prouver l'origine orientale et, parLant, rcente ?u chamanisme sibrien en invoquant justement, entre autres, le faIt que les ~asques, plus frquents dans les rgions mridionales de l'Asie, deVIennent de plus en plus rares et disparaissent vers l'extrme Nord (1) . Nou. ne pouvons pas aborder ici la discussion de }' orlgme du chamalllsme sibrien. Remarquons pourtant que, dans le chama,nism e nord-a8ia~ique et arctique, le costume et le masque ont t dlversem~nt valorIss. En certains lieux (p. ex. chez les Samoydes, cf. Castrn, CIt par Ohlmarks, p. 67), le masque est cens faciliter la conce~tration. Nous avons vu que le mouchoir qui couvre les yeux o~ ~~me ~e, visage entIer.. du chaman remplit, pour certains, un rle slffillalre. D a~tr~ p,art., merne si parfois on ne parle pas d'un masque proprement dIt., il 8 ~glt nanmoins d' un tel objet: p. ex. les fourrures et les mouchOirs qUI, chez les

Goldes et les Soyotes, couvrent presque entirement la tte du chaman (Harva, fig. 86-88). . Pour ces raisons, et tout en tenant compte des multiples valeurs qu'ils revtent dans les rituels et les techniques de l'extase, on peut
conclure que le masque joue le mme rle que le costume du chaman

et les deux lments peuvent tre considrs comme interchangeables. En effet, dans toutes les rgions o on l'emploie (et en dehors de l'idologie chamaniste proprement dite), le masque pro?lame mamfestement l'incarnation d'un personnage mythIque (ancetre, BOlroaI mythique, dieu) (2) . De son ct, le costume transsubstantialise le chaman, le transformant, devant les yeux de tous, en un tre surhuma,in, quel que soit l'attribut prdominant qu'on veut mettre en pleme lumire: le prestige d'un mort qui est ressuscit (.quelette), la capacit de s'envoler (oiseau), le rgime de mari d'une pouse cleste, (costume de femme, attributs fminin s), etc.

LE TAMBOUR CHAMANIQUE

soit qu'il porte le chaman au Centre du Monde t, soit qu'il lui permette de voler dans les airs, soit qu'il appelle et " emprisonne, les esprits, soit, enfin, que le tambourinement permette au chaman de se concentrer et de reprendre contact avec le monde spirituel qu'il se prpare parcourir. On se rappelle que plusieurs des rves initiatiques de futurs chamans comportaient un voyage mystique au Centre du Monde >, au sige de l'Arbre Cosmique et du Seigneur Universel. C'est d'une des branches de cet Arhre, que le Seigneur laisse tomber cet effet, que le chaman faonne la caisse de son tambour (of. plus haut, p. 51). La signification de ce symbolisme nous semble ressortir assez clairement du complexe dans lequel il est intgr : la communication entre le Ciel et la Terre par le truchement de l'Arbre du Monde, c'est--dire par l'Axe qui se trouve au ; Centre du Monde . Du fail que la caisse de son tambour est tire du bois mme de l'Arbre Cosmique, le chaman, en tambourinant, est projet magiquement prs de cet Arbre ;' il est projet au Centre du Monde t et, du mme coup, peut monter aux Cieux. Vu sous cet angle, le tambour peut tre assimil l'arbre chamll.nique multiples chelons sur l qui le chaman grimpe symboliquement au Ciel. En escaladant le bouleau ou en jouant du tambour, le chaman s'approche de l'Arbre du Monde et y monte ensuite effectivement. Les chamans sibriens ont aussi leurs arbres personnels qui ne sont autre chose que les reprsentants de l'Arbre Cosmique; certains utilisent aussi des arbres renverss & (1), c'est--dire fixs avec leurs racines en l'air, et qui, on le sait, comptent parmi les symboles les plus archaiques de l'Arbre du Monde. Tout cet ensemble, joint aux rapports dj nots entre le chaman et les bouleaux crmoniels, montre la solidarit qui existe entre l'Arbre Cosmique, le tambour chamanique et l'ascension cleste. Le choix mme du bois avec lequel on faonnera la caisse du tambour dpend uniquement des esprits ou d' une volont transhumaine. Le chaman ostyak-samoyde prend sa hache et, fermant les yeux, pntre dans une fort et touche un arbre au hasard; c'est de cet arbre que, le lendemain, ses compagnons tireront le bois de
id., Eine ,ibiri'CM P(lI"aUele :lUI" lappischen Zaubertrommel' (in 1 Ethnos _, XII, 194.8, 1-2, p. 17-26) ; E. MAlfJ:ER, D~ lafPische Zaubertromnul. Il : Die Trommel als Urkumk geutigen Lebe1l8 (. Acta lappoI Ica ., VI, Stockholm, 1950), en particulier p. 61 sq. ; H. FINDBISBN, SchamalUntum, p. 14861; L . VA~DA, Zur phaseolo,iscMn Stellu",( c. Schamanismru, p. 475, n. 8; V. DI6sZBGI, D~ Typen und interethnischen Be~lehunfen der Schamanentromnuln bei den Sdhupen (Ostjak-Samojeden) (in 1 Acta ethnographica t, IX, Budapest, 1960, p. 159-79) ; E. LOTFALCK, L'aRimation du tambour, (in 1 JournaJ asiatique" CCXLIX, Paris, 1961, p. 213-39) ; id., A propos d'un tambour c chaman tongorue (in' L'H omme J, 2, Paris, 1961, p. 2350). (1) Cf. E. KAGAROW, Der umgelceheru Schamanenbaum (. Archiv fr Religionsgeschichte ',1929, vol. 27, p. 183-85); voir aussi U . HARVA (HOLfllBlRC), Der Baum c. Lebe1l8, p. 17, 59, etc.; id., Finno-Ugric [and) Siberian [1 ythology], p. 349 sq. ; R. KARSTEN, TM Relifion of ,he Samek (Leyde, t9551, p. 48; A. COOIURASWAIIIY, TM lnverud Tree (1 The Quarterly Journal of the Mythic Society., XXIX, 2, Bangalore, 19a8, p. 1-38); M. ELIADE, T rait d'Histoire c. Religion" p. 24.0 sq.
Le Cham anisme

Le tambour joue un rle de premier plan dans les ~rmoni~, chamaniques (3). Son symbolisme est complexe, ses fonctIOns magIques sont multiples. Il est indispensable au droulement de la sance,
(1) Cf. A. GADS dans W. SCHM I DT, Der Ursprung, 111 (Mnster, 1931), p. 336 sq.; opinion contraire: A. OHLMAIIKS, p. 65 sq. Vi?ir plus bas, p. ?86, sq. . . . (2 ) Sur les masques des magiciens prhistoriques et leur stgmflcatlOll rehgICuse, ct. J. MARINOU., Vorftschichdiche Religion , p . 1.84. sq. . (3) En plus de la bib iographie cite dans l,a note 1, 'page 128, v Oir A. A. PoPov, Ceremonla odjivtenija bubna U ostyak-'llJtIojedov (Lemngrad, 1934) j J. PARTANEN, A description of BUI'&at Sh4mani8m, p. 20; W . SCIUIIDT, Der Ursprung, IX, P: 258 sq. 696 sq. (Altalques, Tatars Abakan) ; XI, p. 306 sq. (Yakoutesl, Mt (lmssens) XII, p. 733-4.5 (synt.hse) ; E. EMSHEUtER. Schamanentrommel und Trommelbaum id., ZUI' I deologie derlappl.8chen Zaubertrommel (in. Ethnos . , IX, 194.4., 3-4.. p. 141-69)

'0

146

LE SYMBOLISME DU COSTUME

ET DU TAMBOUR CHAMANIQUES

147

la caisse (1). A l'autre bout de la Sibrie, chez les Altaques, le chaman reoit directement des esprits l'indication prcise de la fort et l'endroit o craU l'arbre , et il envoie ses auxiliaires pour le reco nnallre et en dtacher le bois pour la caisse du tambour (2). En d'autres rgions, le chaman ramasse lui-mme tous les clats du bois. Ailleurs, on offre des sacrifices l'arbre, en l'enduisant de sang et de vodka. On procde aussi ]' animation du tambour ,., en arrosant la caisse avec de J'alcool (3). Chez les Yakoutes, on recommand e de choisir un arbre que la foudre a frapp (Sieroszewski, Du chamanisme, p. 322). Toutes ces coutumes et prcautions ritu elles montrent clairement que l'arbre concret a t transfigur par la rvlation surhumaine et qu'en raHt il a cess d' tre un arbre profane et reprsente l'Arbre mme du Monde. La crmonie de l' animation du tambour l) est extrmement intressante. Lorsque le chaman altaque l'arrose avec de la bire, le cerceau s' anime. et, pa r le truchement du chaman , raconte comment l'arbre dont il faisait partie a pouss dan s la fort, comment il a t coup, apport dans le village, etc. Le chaman arrose ensuite la peau du tambour et, en s' c animant ., elle aussi raconte son pass. Par la voix du chaman, l'animal parle de sa naissance, de ses parents, de so n enfance et de toute sa vie jusqu'au moment o il a t abattu par le chasseur. Il finit par assurer le chaman qu'il lui rendra de nombreux services. Dans une autre tribu altaque, les Tubalares, Je chaman imite la voix et la dmarche de J'animal ainsi ranim . Comme l'ont montr L. P. Potapov et G. Buddruss (Schamanengeschichten, p. 74 sq.), l'animal qu e le chaman ranime . est son alter ego, son plus puissant esprit auxiliaire i lorsqu'il pntre dans le nbaman, ce dernier se transforme en l'anctre mythique th riomorpile. On comprend alors pourquoi , durant le rite de l' ani mation " le chaman doit ra co nter la vie de l'animal-tambour: il chante son modle exemplaire, l'animal primordial qui est l'origin e de sa tribu. Dans les temps mythiques, chaque membre de la tribu pouvait se mtamorphoser en animal, c'est--dire que chacun tait ca pable de partager la co ndition de l'anctre. De nos jours, de tels rapports intimes avec les anctres mythiques so nt rservs exclusivement aux chamans. Retenons ce fait : pendant la sance, le chaman rtablit, pour lui seul, une situation qui, l'origine, tait ceBe de tous. La signification profonde de ce recouvrement de la condition humaine originelle nous deviendra plus claire lorsque nous aurons examin d'autres exemples semblables. Pour l'instant, il nous suffit d'avoir montr qu e tant la caisse que la peau du tambour constituent des instruments magico- religieux grce auxquels le chaman est capable d'entreprendre le voyage extatique au Centre du Monde J . Dans nombre de traditions, l'anctre mythique thriomorphe vit dans le monde

souterrain, prs de la racine de l'Arbre Cosmique dont le sommet touche le ciel (A. Friedrich, Das Bewusstsein ein.. Naturvolk .. p ',52). Nous avons afTaire ici des ides distinctes, mais solidaires: D .un~ part, le chaman, en tambourinant, s'envole vers l'Arbre CosmIque ; nous verrons dans un instant que le tambour comporte un grand nombre de symboles ascensionnels (p. 148 sp.). D'autre part, grce ses rapports mystIques avec la peau , ranime. du tambour le chaman arrive parta~er la nature de l'anctre thriomorphe; autrement dIt, il peut abolIr le temps et recouvrer la condition originelle dont parlent les mythes. Dans un cas comme dans l'autre nous avons affaire une exprience mystique qui permet au cham'an de transcender le temps et l'espace. La mtamorphose en l'animala~ctre, de m~m e que l'extase ascensionnelle, sont des expressions dlffrentes, malS homologables, d'une mme exprience: la traoscen. dance de la condition profane, le recouvrement d'une existence , paradisiaque. perdue la fin du temps mythique. Le tambour est, en gnral, de forme ovale Ba peau est de renne d'lan ou de cheval. Chez le~ Ostyaks et les S~moydes de la Sibri~ oCCIdentale, la sudace extrIeure ne porte aucun dessin (1). D'aprs Georgl (2), des Oiseaux, des serpents ainsi que d'autres animaux sont reprsents sur I~ peau des tambours tongouses. Shirokogorov dcrit de la mamre swvante des dessins qu'il a vus sur les tambours des Tongouses. transbaikaliens : le symbole de la Terre ferme (car le chaman utilIse son tambour en guise de barque pour traverser la mer et c'est pourquoi il indique ses parties continentales); plusieur~ g~oup es de figures ant~opomorpbes, droite et gauche, et nombre d aOlIDaux. On ne pelOt aucune image au milieu du tambour' les huit lignes doubles qui y sont figures, symbolisent les huit ~ieds qUI supportent la Terre au-dessus de la Mer (Psychomental Complex, p. 297). Chez les Yakoutes, on observe des signes mystrieux peints en rouge et nOIr, figurant des hommes et des animaux (Sieroszewski p. 322). Des images diverses sont galement dessines sur les tambou~ des Ostyaks de l'lnisse (Kai Donner, La Sibrie, p. 230). , Derrire le tambour il y a une poigne verticale en bois et en fer que le chaman tient de la main gauche_ Des fils de mtal ou des cIis: ses de bois horizontales soutiennent d'innombrables morceaux de m tal tintinnahulants, des grelots, des sonnettes, des images de 1er reprsentant des esprits, divers animaux, etc., et souvent des armes comme une /lche, un arc ou un couteau (3). , Chacun de ces objet; magiques est investi d'un symbolisme parLiculier et remplit son rle dans la prparation ou la ralisation du voyage extatique ou des autres expriences mystiques du chama n. Les dessins qui ornent Ja peau du tambour sont une caractrisKai DONNRR. La Sibrie, p. 230 ;' . V ' HAR.VA, Pie ,.eligi6.en V01'lrellungen, p. 526 sq 2 J . G. GEORGI, Bemtrkungen ellle,. R elSe lm ,.ua.i.chen Reich im Jah,.e 1772 St-Ptersbourg, 1 775), l , p. 28. 3) K. DONNBR, La Sibrie, p. 230; IIA RvA, p. 527, 530; W. SCIIMIDT De,. U,.,p,.ung,

11

(II (2

A. A. PoPov, Ce,.emon!a ... p. 94; EMSIU!IMER. Schamanentrommel. p. 167. p. 172.

EMSHEIMBR, (3) E/lUHBIMER,

p.

168. d'aprs MENGES et POTAPOV.

1 X, p . 260, e tc.

148

LE SYMBOLISME DU COSTUME

ET DU TAMBOUR CIIAMANI QUES

149

tique de toutes les tribus tatares et des Lapons. Chez les Tatars, les deux faces de la peau sont recouvertes d'images. Elles se caractrisent par UDe grande varit, bien qu'on puisse toujours y distinguer les symboles les plus importants, comme, p. ex., l'Arbre du Monde, le Soleil et la Lune, l'Arc-en-Ciel, etc. Les tambours constituent, en effet, un microcosme : une ligne de dmarcation spare le Ciel de la
Terre et, en certains endroits, la Terre de l'Enfer. L'Arbre du Monde,

tes racontent longuement comment le chaman vole avec son tambour travers les sept cieux . Je voyage avec un chevreuil sauvage! . , chantent les chamans Karagasses et Soyotes. Dans certaines tribus

c'est--dire le bouleau sacrificiel escalad par le chaman, le cheval, l'animal sacrifi, les esprits auxiliaires du chaman, le Soleil et la Lune qu'il atteint au cours de son voyage cleste, l'Enfer d'Erlik Kan (avec les Sept Fils et les Sept Filles du Seigneur des Morts, etc.) dans lequel il pntre lors de sa descente au royaume des morts tous ces lments qui rsument en quelque sorte l'itinraire et les
aventures du chaman, se retrouvent figurs sur 80n tambour. L'espace

mongoles, le tambour chamanique est appel, cerf noir & (W. Heissig, Schamanen und Geisterbeschworer, p. 47). Le bton avec lequel on frappe le tambour reoit le nom de fouet chez les Altaques (Harva, op. cit., p. 536). Sa vitesse miraculeuse est l'une des caractristiques du td/tos, le chaman hongrois (G. R6heim, Hungarian Shamanism, p. 142). Un jour, un taltos enfourcha un roseau et partit au galop et il arriva au but avant le cavalier, (ibid., p. 135). Toutes ces croyances, ces
images et ces symboles en relation avec le vol., la chevauche, ou la c vitesse. des chamans sont des expressions figures de l'extase, c'est-dire de voyages mystiques entrepris avec des moyens surhumains et dans des rgions inaccessibles aux hommes.

nous manque pour dtailler tous les signes et images, et commenter leur symbolisme (1). Retenons simplement que le tambour figure
un microcosme avec ses trois zones Ciel, Terre, Enfer en mm~

L'ide de voyage extatique se retrouve aussi dans le nom que les chamans des Yuraks de la toundra donnent leur tambour: arc ou arc chantant. D'aprs Lehtisalo et Harva (p. 538), le tambour
chamanique servait originairement chasser les mauvais esprits, un

temps qu'il indique les moyens grce auxquels le chaman ralise la rupture des niveaux et tablit la communication avec le monde
d'en haut et d'en bas. En efTet, comme on vient de le voir, l'image du bouleau sacrificiel (= l'Arbre du Monde) n'est pas la seule ; on

rencontre galement l'Arc-en-Ciel : le chaman s'lve dans les sphres suprieures en escaladant l'Arc-en-Ciel (2). On rencontre aussi l'image du Pont, sur lequel le chaman passe d' une rgion cosmique dans l'autre (3). L'imagerie des tambours est domine par le symbolism~lLl<o'yage extatique, c'est--dire par les voyages qui impliquent une ,rupture
de niveau et, partant, un
f

effet qu'on pouvait galement obtenir au moyen d'un arc. Il est tout fait exact que le tambour est parfois utilis pour chasser les mauvais esprits (Harva, p. 537), mais dans de t els cas son emploi particulier est oubli et on a affaire la magie du bruit, par laquelle on expulse les dmons. De tels exemples de modification de fonction
sont assez frquen ts dans l'histoire des religions. Mais nous ne croyons

Centre du Monde

t.

Le tambourmement

pas que la fonction originaire du tambour ait t celle de chasser les esprits. Le tambour chamanique se distingue justement de tous les autres instruments de la magie du bruit . parce qu'il rend possible une exprience extatique. Que celle-ci ait t prpare, l'origine, par
le oharme des 80DS du tambour, charme qui tait valoris en voix des esprits , ou qu'on soit arriv une exprience extatique ]a suite de ]a concentration extrme provoque par un tambourinement prolong, c'est un problme que nous n'envisageons pas pour le moment.

initial de la sance, destin voquer les esprits et les. enfermer. dans le tambour du chaman, constitue les prliminaires du voyage extatique. C'est pour cette raison que le tambour est appel le, cheval du chaman> (Yakoutes, Bouriates). L'image d'un cheval est dessin_ e
sur le tambour altaque; lorsque le chaman tambourine, il est cens

aller au ciel sur son cheval (Radlov, Aus Sibirien, II, p. 18, 28,30 et passim). De mme, chez les Bouri~tes, le ~am~our fB;it avec une, peau de cheval reprsente ce mme anunal (MikhailowskI, p. 80). D ap rs O. Manchen-Hellen, le tambour du chaman soyote est considr comme tant un cheval et est appel khamu-at, soit, littralement, chaman-cheval (4) et, lorsque la peau est tire d'un chevreuil, le chevreuil du chaman, (Karagasses, Soyotes). Les lgendes des Yakou(1) Cf. POTANIN, OtcMrki, IV, p. 43 sq.; ANoe RIN, Matuialy, p. 55 sq.; HARVA, op. cil., p. 530 sq. (eL los fig. 89-100, et.e.) ; W. SC HauoT, Der Ursprun f, IX, p. 262 sq., 697 sq.; et surLout E. MANUtR, D ie lappische Zauber!ronlnul, II, p. 19 sq., 61 sq., 'H~ . XIV, 2) Cf. MartU R hANEN , R~fe nbogen-Himm.ebrcke (. SLudia Orienlaha., \ , Helsinki, 194. 7). (3) H. von LANK.KNAU, Die Schamalltn und d(U Schama1U'nwuen Il OIobUl., XX Il, 1872, p. 278-283), p. 279 sq. . (4.) Q. MANCHEN-HELUI'C, lleise l$ tl8ialische Tuwa (Berlm, 1931 ), p. 117.

Mais un fait est certain : c'est la magie musicale qui a dcid de la fonction ohamanique du tambour - et non pas la magie du bru antidmoniaque (1). La preuve en est que, mme l o le tambour est remplac par un arc - comme chez les Tatars Lebed et certains Altaques - c'est toujours un instrument de musique magique qu'on a affaire, et non l'arme anti-dmoniaque : on ne trouve pas de flches, et l'arc est uti-

lis comme un instrument corde unique. Les baqa kirghizes non plus n'emploient pas le tambour pour prparer la transe, mais bien
('1) Les R ches jouent galement un rOle dans certaines sances chamaniquea (cl. p. ex. Harva, p. 555). La Rche possde un double prestige 101agico-religieux : d'une part, c'est un e image exemplaire de la vitesse, du vol., et, d'autre part, c'est J'arme magique par excellence (la Rche tue de loin). Utilise dans les crmonies do'"'purification ou d'expulsion des dmons, la flche . tue . aussi bien qu'elle. loigne. eL. expulse les mauvais esprits.lVoir aussi Ren de NUBSK Y-WoaowlTz, Orac. ancl DtmOM of Tibe', p. 54.3. Pour la flche en tant quo symbole la lois du 1 vol. et de la 1 purification l, voir plus loin, p. 306.

150

LE S YMBOLISME DU

COSTU~rE

E l' D U

TA~fB OU R

CHAMANI QUES

151

le kobuz, qui est un instrument corde (i). Et la transe, comme chez les chamans sibriens, se ralise en dansant sur la mlodie magique du kobuz. La danse, on le verra mieux par la suite, reproduit le voyage extatique .du chaman au ciel. C'est dire que la musique magique, le symbohsme du tambour et du costume chamaniques, la danse mme du ch a~an , sont autant de moyens pour entreprendre ou pour a ssurer la rUSSite du voyage extatique. Les bto ns ttes chevaJines qu e les Bouriates appellent d'ailleurs , chevaux " attestent l~ mme symbolisme (2). Les peuples ougriens ignorent les dessins des tambours chamaniques. Par contre, les chamans lapons ornent leurs tambours encore plus copieusement que les Tatars. On trouvera dans le grand ouvrage de Manker sur le tambour magique lapon les reprod uctions et l'analyse exhaustive d' un grand nombre de dessins (3). II n'est pas toujours facile d'identifier les personnages mythiques et la signification de toutes les images, parfois assez mystrieuses. En gnral, les tambours lap o~8 rep rsen~ent les trois zones cosmiques, spares entre elles par des hgnes-frontlres. On reco nnalt, dans le Ciel, la lune et le soleil des dieux et des desses (p robablement influencs par la mythoiogie scandinave) (4L des oiseaux (cygne, coucou, etc.), le tambour des animaux sacrificiels, etc. ; l'Arbre cosmique, nombre de person~ages mythiques, des barques, les chamans, l ~ dieu de la chasse, des cava liers, etc., peuplent l'espace intermdiaire (la Terre) ; les dieux de

COST UME S RITUELS ET TAMBOURS MAGIQUES A TRAVERS LE MONDE

l'Enfer, les chamans avec les morts, des serpents et des oiseaux se ren contrent, ct d'autres images, dans ]a zone infrieure. Les chamans lapons utilisent a ussi leur tambour pour la divination (5). Cette co ut ume est inconnue chez les Turcs (6). Les Tongouses pratiquent une sorte de divination limite qui consiste jeter la baguette en l'air: la position de la baguette une fois retombe donne la rponse la question pose (Harva, p. 539). Le problme de l'origine et de la diffusion du tambour chamanique dans l'Asie septentrionale est extrmement complexe, et encore loin d'tre rsolu. Plusieurs indices montrent le foyer probable de diffusion dans l'Asie mridionale. II est hors de doute que le tambour lamaiste a influenc, outre la rorme du tambour sibri en, celle du tambour des Tchouktches et des Esquimaux (cf. Shirokogorov, Psyclwmental Complex, p . 299). Ces constatations ne sont pas sans consquence pour la formation du chamanisme act uel de l'Asie Centrale et de la Sibrie, et nous aurons y revenir quand nous essaierons de tracer les grandes lignes de l'volution du chamanisme asiatique.

On ne peut songer prsenter ici un tableau comparatir des costumes et des tambours ou autres instruments rituels utiliss par les sorciers (1), les medicinemen et les prtres travers le monde. Le suj et appartient plutt l'ethnologie et n'intresse que subsidiairement Phistoire des religions. Rappelons toute rois que le mme symboJisme que nous avons distingu dans le costume du chaman sibri en ap paraiL a ussi ailleurs. On y rencontre les masques - des plus simples aux plus labors - , les peaux et les rourrures d'animaux, et spcialement les plumes d'oiseaux, dont le symbolisme asce n sionnel n'est pas souligner. On retrouve les btons magiques, les clochettes et les formes multiples de tambours. H. Hoffmann a op portunment tudi les ressemblances entre le costume et le tambour des prtres bon , d'une part, et ceux des chamans sibriens, de l'autre (Quellen zur Geschi.chte der tibetiscMn B on-Religion, p. 201 sq .). Le costume de ces prtres tibtains comprend, notamment, des plumes d'aigle, un casque avec de larges rubans de soie, un bouclier et une lance (2). V. Goloubew avait dj rapproch les tambours de bronze excavs Dongson avec les tambours des chamans mongols (3). Bcemment, H. G. Quaritch Wales a prcis plus en dtail la strucl ure chamanique des tambours de Dongson ; il compare les personnages, coiffs de plumes et allant en procession, de la scne rituelle reprsente sur le tympa num avec les chamans des Dayaks maritimes qui, orns de plumes, prtendent tre des oiseaux (4). Bien que, de nos jours, le tambourinage du chaman indonsien soit susceptible de multiples valorisations, il arrive parrois qu'il signifie le voyag~ cleste, ou qu'il soit considr comme prparant l'ascension extatique du chaman (cf. quelques exemples dans Wales, op. cit., p. 86). Le sorcier dusun revt quelques ornements et plumes sacrs lorsqu'il entreprend une cure (Evans, StlLdies, p. 21) ; le chaman de Men(1) cr. p. ex. E. CRAWLE Y, Dl'eu, Dl'inks and Dl'um,: FUI'Ihu Studie, uf Sa(,logu and Sex (d . par Th. Bes terma n, Londres, 1931), p. 159 sq., 233 sq. ; MUDOI: Tlu Mediei~e Ma~, p. 95 sq . ; WEBSTER, Magic, p. 252 sq . ; e tc. S ur le tambour: chez les Bhils, vOIr Wilhelm KOP PERS, Die Bhil w :'ltl'alind ~n (Vienne, 1 9~6) p. 223 ; chez. les J akun , EVANS, S ttuliu in Religion, p. 265 ; chez les lI-1a}ays, SUAT: Malay M agiC (Londres, 1900), p. 25 sq ., ~O sq ., 512 sq. e lc.; en Afrique : H einz WIB SC HOPF, D i~ afl'ihanllchen 7'"ommeln und ihre ausserafl'ihani.$clun Bezilhunge1l (Stuttgart, 1933); Adolf Fnu:oRl c lI , Afl'ikaniselu Pl'iestertl1.mer, p. 194 s q. 32'1 e lc. CI . a ussi A. SC IlAEPNER , Ol'igine tUS inst,.uments de musique (parIS, 1936), 'p. 166 sq. ambOUr m em branes) . de NEBESKYWoaow lTz, Ol'acles and Demon8 of Tibet , p. 4.1 0 sq. Voir a ussi 2) . Se liRODER , Zur R eligion du T ujen du Sininggebiek8 ( KukunQ") (in. Anthropos _, X LVII, 195?2. p. 179. 62058 , 822.70; XLV III , 1953, p. 20259). dernier article, p. 235 sq. , _1i3 sq. 3) V . GOLOUBEW, Le, Tambour, magiques en Mongolie (in Bulle tin d e l'tcole ranai~e d:Extr m eOrient . , X~ lll, I~ano , 1 92~, p'. 40709 ; ; id., Sur l'ol'ifiM et la d'Ouslo" tUS tambours mitall'ques (m Pr aehls t orlCR Asiae orientalia _, H anoI, 1932, p. 13750). (ft ) H . O. Quaritcll WALl!S, p,.ehulory and Religion in SouthE48t A , ia (Londres ' 951) , p.

'! l

2 HARVA, D~ l'eliisen VOI'Bullun ~n, p. 538 sq. e t fig. 65. ~ E. MANI: ER, Dt~ lapp$c~ Zaut~l'tTornf1U!l. 1 : Di~ Tl'ommel a D~nl(fnal mat~ 1'~1~1' .Kultur (. :Acta lappom ca _, l , Stockholm , 1 938); voir aussi ,T. 1. lTl: ONEN , lI~ ldnuche R~h glo n und ,pii.u~1' Abe,.glaube bei tUn {i.nll uchen LapJMn, p. 139 sq . e t

CASTAGN E, ftlagi~ ~t ~xol'cisme, p. 67 sq.

g n..

~5 hl:ONEN, op. Sarneh, p. 71i.

6~ures 24. 27 .

4. MAN UR, D ~ la~pi,cM Zaubel'tl'ommel, l , p. 1 7. Clt. , p . 121 sq .; HAftVA, p. 538 ; KARSTEN, The Religion of the

(6) Avec l'exception possible des Kumandinl.es d'Allai. CI. BUDDRUSS, in FRIID. IUCD e t BUDDRVU, S chamanenge.ehichun, p. 82.

srsq:-

\
152
LE SYMBOLISME DU COSTUME ET DU TAMBOUR CUAMANIQUE S

153

tawei utilise un costume crmoniel comportant des plumes d'Discaux

et des clochettes (Loeb, Shaman and Ster, p. 69 sq.) ; les sorciers et


gurisseurs africains
S8

couvrent de peaux de fauves, de dents et d'os

d'animaux, etc. (Webster, Magic, p. 253 sq.). Bien que le costume rituel soit plutt rare en Amrique du Sud tropicale, certains accessoires du chaman en tiennent lieu, telle, par exemple, la maraca ou
sonnaille faite d'une calebasse contenant des graines ou des pierres et pourvue d'un manche Cet instrument est considr comme sacr,

.0

raut comprendre cette dernire expression dans son sens le plus large, qui englobe non seulement les dieux, les esprits et les dmons, mais aussi les mes des anctres, les morts, les animaux mythiques. Ce contact avec le monde supra-sensible implique forcment une concentration pralable, racilite par l' .. insertion . du chaman ou du magicien dans son costume crmon iel , et acclre par la musique rituelle. Le mme symbolisme du costume sacr survit dans les religions

et les Tupinamba lui apportent mme des offrandes de nourriture (1). Les chamans Yaruro excutent Bur leufs sonnailles des reprsentations fort stylises des principales divinits qu'ils visitent pendant leur transe. (Mtraux, Le shamanisme che. les Indiens de l'Amrique du Sud tropicale, p. 218). Les chamans nord-amricains ont un costume crmoniel plutt symbolique: des plumes d'aigle ou d'autres oiseaux, une sorte de
sonnaille ou un tambourin, des pochettes avec des cristaux de roche, des pierres et d'autres objets magiques, etc. L'aigle auquel on emprunte les plumes est regard comme sacr et, pour cette raison, laiss

les plus volues: les fourrures de loup ou d'ours en Chine (1), les plumes d'oiseaux du prophte irlandais (2), etc. On retrouve le symbolisme macrocosmique sur les robes des prtres et des souverains de l'Orient antique. Cet ensemble de raits s'encadre dans une t: loi. bien connue de l'histo ire des religions: on devient ce qu'on montre.

Les porteurs de masques sont en ralit les anctres mythiques figurs par ces masques. Mais il faut attendre aussi les mmes consquences
savo ir la transrormation totale de l'individu en quelque chose

d'autre -

des signes et symboles divers, parfois seulement indiqus

sur le costume ou directement sur le corps: on s'approprie la racult

de raliser le vol magique en portant une plume d'aigle, ou mme le


dessin fortement stylis d'une telle plume, et ainsi de suite. L'usage des tambours et des autres instruments de musique magique n'est cependant pas limit exclusivement aux sances. Nombre de chamans

en libert (Park, Shamanism, p. 34). La pochette avec les accessoires ne


quitte jamais le chaman; pendant la nuit, il la cache sous son oreiller ou sous son lit (ibid.). Chez les Tlingit et les Haida, on peut mme parIer d'un costume crmoniel propre (une robe, une couverture, un chapeau, etc.L que le chaman se conrectionne d'aprs les indi cations

battent du tambour et chantent aussi pour leur propre plaisir, sans


que les implications de ces actions cessent d'tre les mmes, savoir:

de son esprit protecteur (Swanton, cit par M. Bouteiller, Chamanisme et gurison magique, p. 88). Chez les Apaches, en dehors des plumes d'aigle, le chaman possde un rhombe, une corde magique (qui le rend invulnrable et lui permet aussi de prvoir les vnements futurs, etc.) et un chapeau rituel (2) . Ailleurs, comme chez les San poil et les Nespelem, la puissance magique du costume se rduit un chiffon rouge qu'on passe autour du bras (Park, p. 129). Les plumes
d'aigle se retrouvent chez toutes les tribus nord-amricaines (Park , p. 134). Elles sont d'ailleurs utilises, attaches des btons, dans

monter au Ciel ou descendre aux Enfers, pour visiter les morts. Cette
t autonomie. qui finit par gagner les instruments de la musique magi

co-religieuse a conduit la constitution d'une musique qui, si elle n'est

pas encore profane " est en tout cas plus libre et plus image. Le mme phnomne se vrifie propos des chants chamaniques qui racontent les voyages extatiques au Ciel et les dangereuses descentes aux Enrers. Au bout d'un certain temps, ce genre d'aventures

les crmonies d'initiation (p. ex. chez les Maidu du Nord-Est) et on pose ces btons sur les tombeaux des chamans (Park, 134). C'est un signe qui indique la direction que prend l'me du trpass. En Amrique du Nord (3), comme dans la plupart des autres aires, le chaman utilise un tambourin ou une sonnaille. L o le tamhour crmoniel manque, il est remplac par le gong ou la coquille (spcialement Ceylan (4), dans l'Asie mridionale, en Chine, etc.). Mais on a toujours affaire un instrument qui est capable d'tablir, d'une
manire ou d'une autre, le contact avec le .. monde des esprits . Il
(1) A. MiTuux , La. Religion th. TupinambfJ d .e. ffJpportl fJ9t!C celle th. aull'e. t",bru Tupi-Guat'ani, (Paris, 1928), p. 72 sq. (2) J. O. BoulHtE, The Medicine-Men of Ille Apache (9th Annua1 Report of the Bureau of Ethnology, Washington, 1892, p. 451-617), p. 476 sq. (le rhombe: cr. fig. (180-431(, 533 sq. (les plumes, p. 550 eq. et fig. 435-489 (le .. medicine-cord -), 589 sq. e planche V (le .. medicme-hat .). S PAU:, Shamani.m, p. 84 sq., 131 s . cr. Paul WIR'l, und He3kundt auf Ceylon (Berne, 1941).

passe dans le folklore des peuples respectifs et vient enrichir la littrature orale populaire de nouveaux thmes et de nouveaux personnages (3).
(1) Ct. Carl HII!'ITZI , D Sakralbron:.en und ihl'e Bl1dtutung in lUn fl' Uhchine.ehen KuUunn, p. 84 sq. (2) Cf. Nora CHADWI CK, P oetl1l and Prophecy, p. 58 . (3) Cr. K. MauLI, Scythica (e Hermes " LXX, 1935, p. 121 -7 6), p. 1.51 sq.

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E:%or~i.mlU

1
ET SE PTENTRIO NALE

155

CHAPITRE VI

LE

CHA~lANISME

fu" ASIE CENTRALE ET SEPTENTIUONALE

J. ASCENSIONS CLESTES, DESCENTES AUX ENFERS

FONCTIONS DU CHAMAN

Si importa nt que soit le rle des chamans dans la vie religieuse de l'Asie centrale et septentrion ale il demeure pourtant limit (1). Le chaman n'est pas sacrifi cateur: il n'entre pas dans ses attribu~ tians de veiller aux sacrifices offrir, des dates dtermines, aux dieux de l'eau, de la fort et de la famill e. (Kai Donner, La Sibrie, p. 222) . Comme l'a dj remarqu Radlov, dans l'Altai le chaman n'a rien voir dans les crmonies de la naissance, du mariage et de l'enterrement - moins qu'il n'arrive quelque chose d'insolite: c'est ainsi, par exem ple, qu'on fera appel au chaman dans les cas de strilit ou d'accouchement difficile (Radlov, Aus Sibirien, II , p. 55). Plus au Nord, le chaman est parfois invit aux enterrements pour empcher l'me du mort de revenir, et il est aussi prsent aux mariages, pour protger les nouveaux maris des mauvais esprits (2). Mais, on le voit, so n rle est alors limit celui d'une dfense magique. Au contraire, le chaman s'avre irremplaable dans toute crmo~ nie qui touche aux expriences de l'me humaine comme telle, comme unit psychique prcaire, encline abandonner le corps et proie facile des dmons et des sorciers. C'est pourquoi, dans toute l'Asie et l'Am ~ rique du Nord, ailleurs aussi (Indonsie, etc.), le chaman remplit la fonction de mdecin et de gurisseur; il formule le diagnostic, il recherche l'me fugitive du malade, la capture et lui fait rintgrer le corps qu'elle vient de quitter. C'est touj ours lui qui conduit l'me du mort aux E nfers car il est psychopompe par exceUence.

et. MIJ:.HAILOW5 IU, p. 131132.

('1 Do mme, la position sociale des chamans sibriens est de tout premier ordre 'exception des Tchouktches, o les chamans ne semblent pas Ure trop resr.ects ;
C he ~ les Bouriates, les chamana auraient t es pre~ miers chefs politiques (SANDCHEJEV, WeltanschauunG, p. 981 sq.). (2) K.4.RJ.4.LJ.IN&N, op. cil ., III, p. 295. D'aprs Siuosuwnl, le chaman yakoute serait prsent dans tous les vnements importants {Du chaman ume, p. 3221; mais il n'cn rsulte pas qu'il domine la vie religieuse. normale t : c'est assentie lement en cas de maladie qu'il devient indispensable (ibid.). Chez les Bouriates, les enfants jusqu' l'ge de 15 ans so nt protgs d es mauvais esprits par les chamans (SAND~ CHanv, p. 594).

Gurisseur et pSyChopompe, le chaman l'est parce qu'il connalt Jes techniques de l'extase, c'est~~dire parce que son me peut aban~ donner impunment son corps et vaguer de trs longues distances, pntrer aux Enfers et monter au Ciel. Il connalt par sa propre exprience extatique les itinraires des rgions extra- terrestres. 11 peut descendre aux Enfers et s'lever aux Cieux parce qu'il y a dj t. Le risque de s'garer dans ces rgions interdi tes l'este toujours grand mais, sanctifi par l'initiation et muni de ses esprits gardiens, le chaman est le seul tre humain pouvoir a ffronter ce risque et s'aventurer dans un e gographie mystique. C'est galement cette facult extatique qui vaut au chaman comme nous le verrons bientt - d'accompagner l'me du cheval offert au Dieu dans les sacrifices priodiques des Altaiques. Dans ce cas, c'est le chaman lui-mme qui sacrifi e le cheval, mais il le fait parce qu'il est appel conduire l'me de l'animal dans son voyage cleste jusqu'au trne de Bai Ulgiln et non pas parce que sa fonction serait celle d'un prtre sacrificateur. Au contraire, il semble que, chez les Tatars d'Altai, le chaman se soit substitu au prtre sacrificateur car, dans les sacrifices du cheval au dieu cleste suprme des Prototurcs (Hiungno, Tuke), des Katshina et des Beltires, les chamans ne jouent aucun rle, alors qu'ils prennent une part active aux autres sacrifices (1). Les mmes faits se vrifient parmi les peuples ougriens. Chez les Vogouls et les Ostyak de l'Irtish, les chamans sacrifient l'occasion d'une maladie et avant d'entreprendre la cure, mais ce sacrifice semble une innovation tardive; seule la recherche de l'me gare du malade serait originaire et importante dans ce cas (Karjalainen, III, p. 286) . Chez les mmes peuples, les chamans assistent aux sacrifices d'expiation et, dans la rgion d'Irtish par exemple, ils peuvent mme sacrifier; mais il n'y a rien induire de ce fait car n'importe quelle personne peut sacrifier aux dieux (ibid. , p. 287 sq.). Mme quand il participe aux sacrifices, le chaman ougrien n'abat pas l'animal, mais assume en quelque sorte le ct spirituel, du rite : il rait des fumigations, prononce des prires, etc. (ibid., p. 288) . Dans le sacrifi ce des Tremyugan, le chaman es t appel l'homme qui prie " m~is il n'est ,pas indispensable (ibid.). Chez les Vasyugan, aprs aVOI r consulte le chaman propos d'une maladie, on sacrifi e selon ses injonctions, mais la victime est abattue par le mattre de la maison. Dans les sacrifices collectifs des peuples ougriens, le chaman se contente de dire les prires et de conduire les mes des victimes aux diffrentes divinits (ibid., p. 289). En conclusion, mme quand il prend part aux sacrifi ces, le chaman joue plutt un rle, spirituel, (2) : il s'occupe exclusivement de l'itinraire mystique de l'me de l'animal sacrifi. On comprend facilement pourquoi : le chaman connait cet itinraire et, par sur
(1) Cr. W.
SCHM IDT, Dt ,. Ursp,.v.ng du Gottesidtt, IX, p. 14., 31, 63 (Hiungno, Tukile, etc.) , 686 sq. (Katshina, Beltires), 771 sq. (2) Remarquer l'analogie avec la fonction du b,.ahman dans le rituel vdique.

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LE CHAMANISME EN ASIE CENTRA LE

ET SEPTENTRION ALE

157

crolt, il est capable de mattriser et de convoyer une c me ., que ce soit celle d'un homme ou celle d'une victime. Plus au Nord, le rl e r eligieux du chaman semble croitre en importance et en complexit. Dans l'extrme Nord de l'Asie, quand le gibier se rarfie, il arrive que l'on recoure l'intervention du chaman (Harva, Die religiosen Vorstellungen, p. 542). La mme chose se pas,e chez les Esquimaux (1) et chez certaines tribus nord-amricaines (2), mais on ne peut pas considrer ces rites de chasse comme proprement chamaniques. Si le chaman parait jouer un certain rle dans ces circonstances, cela tient toujours ses facults extatiques : il prvoit le changement de l'atmosphre, il jouit de la clairvoyance et de la vue distance (il peut donc dcouvrir le gibier) ; en plus, il a des rapports plus troits et d'ordre magico-religieux avec le, animaux. La divination, la clairvoyance, font partie des techniques mystiq ues du chaman. Aussi consulterat-on un chaman pour retrouver les hommes ou les animaux gars dans la toundra ou dans les neiges, pour retrouver un objet perdu, etc. Mais ces menus exploits sont plutt le lot des chamanes ou d'autres classes de magiciens et magiciennes. De mme, ce n'est pas la spcialit des chamans de nuire aux adversaires de leurs clients, bien qu'ils s'y prtent parfois. Mais le chamanisme nord-asiatique est un phnomne extrmement complexe et grev d'une longue histoire, et il a fini par absorber nombre de t echniques magiques, la suite surtout du prestige qu e les chamans ont accumul au cours du t emps.
CHAMANS

BLANCS

i ET

NOIRS .

MYTHOLOGIES

DUALISTES

La plus nette des spcialisations est, au moins chez certaines populations, celle des chamans blancs et (C noirs , bien qu'il ne soit pas touj ours facile de dfinir l'opposition. M. A. Czaplicka (3) mentionne, pour les Yakoutes, les ajy ojuna, qui sacrifient aux dieux, et les abasy ojuna, qui ont des relations avec les (C mauvais esprits. Mais, comme le remarque Harva (op. cit., p . 483), le ajy ojuna n'est pas ncessairement un chaman: ce peut tre aussi bien un prtre sacrifi cateur. D'aprs Pripuzov, le mme chaman yakoute peut voquer indiffremment les esprits suprieurs (clestes) ou ceux des rgions infrieures (4). Chez les Tongouses de Turushansk, la classe des chamans ne connalt aucune diffrenciation; peut sacrifier au dieu cleste n'importe quel
(1) P. e~. RASMUSSllN, l ntellectual CultUl'e of ,he 19lulik Edimos, p. 109 sq. ; WBYllR, T~ EBbmoB, p. 422, etc. (2) Par exemple, l' antelope-charming 11 des Paviotso, ct. PARI., Shamanism, p. 62 sq., 139 sq. (3) Abol'iginal Sibe"ia, p. 247 sq.; voir aussi W. SCHM IDT, De" U"sp"ung, XI, p. 27378, 28790. (4) HARVA , Die religwsen Vorslellungen, p. 483. SIEROSZEWSK I classifie les chamans yakoutes d'aprs leu.r puissa~ce et distingue: a) les. der!liers. (kenn iki oilna ), qui

prtre sacrificateur en dehors du chaman, et ces rites ont toujours lieu durant le jour tandis que les rites chamaniques S6 pratiquent la nuit (Harva, op. cit., p. 483) . La distinction est clairement accuse chez les Bouriates, qui parlent des chamans blancs, (sagani bo) et des , chamans noirs, (karain bol , les uns ayant des rapports avec les dieux, les autres avec les esprits (1). Leur costume est diffrent, blanc pour les premiers, bleu pour les autres. La mythologie elle-mme des Bouriates prsente un dualisme trs marqu : l'innombrable classe des demi-dieux se subdivise en Khans noirs et Khans blancs, spars par une farouche inimiti (2). Les Khans noirs sont servis par les (j chamans noirs ; ces derniers ne sont pas aims, sans toutefois laisser d'tre utiles aux humains car eux seuls peuvent remplir le rle d'intermdiaires auprs des Khans noirs (Sandschejew, p. 952). Pourtant, cette situation n'est pas primitive : d'aprs les mythes, le premier chaman tait blanc.; le noir, n'est apparu que plus tard (ibid., p. 976). On se rappelle aussi (cf. plus haut, p. 71 sq.) que c'est le dieu cleste qui avait envoy l'Aigle pour investir des dons chamaniques le pre~ mier tre humain rencontr sur la terre. Cette bipartition des chamans pourrait bien tre un phnomne secondaire, voire assez tardif, d soit des influences iraniennes, soit une valorisation ngative des hirophanies chtoniques et infernales. qui ont fini, avec le temps, par dsigner des puissances dmoniaques> (3). N'oublions pas qu'une grande partie des divinits et des puissances de la Terre et des Enfers ne sont pas forcment mauvaises 1) ni dmoniaques ,. Elles reprsentent gnralement des hirophanies autochtones, voire topiques, dchues de leur rang la suite des modifications survenues l'intrieur du panthon. Quelquefois, Ja bipartition des dieux en clestes et chtonico-infernaux n'est qu'une classification commode, sans aucune implication pjorative pour ces derniers. Les Bouriates viennent de nous montrer une opposition assez tranche entre les Khans blancs et les Khans noirs. Les Yakoutes connaissent, eux aussi, deux grandes classes (bis) de dieux: ceux d' en haut , et ceux d' en bas >, les tangara (<< clestes.) et les souterrains 1) (4), sans qu'on puisse parler pour autant d'une opposilui-mme a envoy un esprit protecteur (Du chamanisme, p. 315). Com me nous le verrons... t(~ut l'heure, le panth o n~d es Yakoutes: se signale par une bipartition, mais il.lne ..semble pas qu'elle ait son pendant dans une diffrenciation de la classe des chamans. L'opposit IOn est plutO(entre les prHres sacrificateurs et les chamans. On parle nanmoms des chamans blancs ou chamans d't " spcialiss dans les crmonies de la desse Aisyt ; voir plus haut, p. 79 n. 2. (1) N. N. AGAPITOV et M. N: CHANGALOV, Shamanstvo u burjat, p. ~6 ; MI I. HA1 LOWSJU, p. 130; HARVA , op. c,t., p. 48~. (2) Garma SANDSCHBJEW, Weltanschauung und Schamanismus, p. 952 sq. ; cr. W. SC HMIDT, De" U"8p"ung, X, p. 250 sq. (3) S,!-r I ~s ra pPC?r f.s entr~ l'orsanisation dualiste du monde spirituel et une possible orgamsatlOn SOCiale duahste, cf. Lawrence K RA DER, Buryal R eli gion and Society (in Southwestern J ournal oi Anthropology " X, 3, Albuquerque, 1 954, p. 322-51), p. 338 sq. (4 ) Le 1 haut . et le bas son t d'ailleurs des termes assez vagues : ils peuvent a ussi dsigner des rgions situes en amon t ou en aval d'une rivire 8n:Rosu:wur p. 300. Cf. aussi W . JOCBItLSON, TM Yakut, p. 107 sq. ; B. D. SBn"I.IN, A S ketch of the K el, p. 161 sq .

sont plutOt des devms, des mterprtes de songes et qUi traitent uniquement les maladies lgres; b) les chamans communs. (o"to oilna) , qui sont les gurisseurs habituel!!; cl les grands chamans, les puissants magiciens, a uxquel!! OUlou-Toton

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LE CHAM.ANISME EN ASIE CENTRALE

ET SEPTENTRIONALE

159

tion nette entre eux (Sier08zewski, p. 300 sq.) i il s'agit plutt d'une classification et d'une spcialisation des diverses formes et puissances religieuses. Tout bienveillants que sont les dieux et les esprits d' en haut ., ils sont malheure usement passifs et, partant, ne sont peu prs d'aucun secours dans le drame de l'existence humaine. Ils habitent les sphres suprieures du ciel, ne se mlent gure des affaires humaines et ont relativement beaucoup moins d' influence sur le cours de la vie que les esprits du bis d'en bas t, vindicatifs, plus proches de ]a terre, allis aux hommes par des liens de ,sang et d'une organisation en clans beaucoup plus rigoureuse, (Sieroszewski, p. 301). Le chel des dieux et des esprits clestes est Art-Toion-Aga, le Seigneur Pre Chel du Monde " qui rside. dans les neul sphres du ciel. Puissant, il reste inactif i il resplendit comme le soleil qui est son emblme, il parle par la voix du tonnerre, mais se mle peu des afTaires humaines. C'est en vain qu'on lui adresserait des prires pour nos besoins journaliers : on peut troubler son repos dans des cas extraordinaires seulement, et encore met-il peu de bonne volont se mler des affaires humaines, (1). En dehors de Art-Toion-Aga, il existe encore sept grands dieux d' en haut , et une multitude de dieux mineurs. Mais leur demeure cleste n' implique pas ncessairement une structure ouranienne. A ct du Seigneur-Crateur Blanc , (Urang Ai-Town) , qui habite le quatrime ciel, nous rencontrons, par exemple, La Douce MreCratrice " La Douce Dame de la Nativit, et La Dame de la Terre , (An-Alai-Chotoltn). Le dieu de la chasse, Bai Bainai, habite aussi bien la partie orientale du ciel que les champs et les forts . Mais on lui sacrifie des humes noirs, un indice de son origine tellurique (2). Le bis d'en bas, comprend huit grands dieux, ayant leur tte Le Tout-Puissant Seigneur de l' Infini (Oltloutouier Oltlou-Toion), et une quantit illimite de ~ mauvais esprits . Mais Oulou-Taan n'est pas mc hant: il est seulement trs rapproch de la Lerre dont les affaires l'intressent vivement ... Oulou-Taon personnifie l'existence active, pleine de souffrances, de dsirs, de luttes .. . Il faut le chercher vers l'Occident, dans le troisime ciel. Mais il ne faut pas invoquer son nom futilement: la terre tremble et s'agite quand il pose le pied: le coeur du mortel clate d'elTroi s'il ose contempler 80n visage. Personne ne l'a donc vu. Cependant, il est le seul des puis(1) S IB ROSUWS IU , p. 302 d'aprs CIIU DJAK OW. Sur le t.'lracLre passir des : f arcs Suprmes ouraniens, voir notre Traiti d'histoir~ ck. r~ligio'ls , p. 53 sq. (2 ) Quand les chasseurs ne sont pas heureux la chasse ou que l'un d'eux tombe malad e, on saerine un bume noir dont le chaman brle les chairs, les entrailles et la graisse. Pendant la crmonie, on lave dans le sang de la bte sacririe une figure en bois de Rainai, couverte d'une peau de livre. Quand le dgel vient dlivrer les eaux, on plante au bord de l'eau des pieux relis entre eux par une corde de cheveux (s tV) o so nt suspendus des chillons bigarrs et des chevelures; en ou tre, on jette 1 eau du beurre, des gteaux, du sucre, de l'argen t . (SIEROSZEWSIO, p. 303). C'est le type mme d'un sacrricc mtiss; cr. A. OAIlS, Kop{ , ScMd- und Lallgknochcnop{er bei llentier polkern, passim.

sants habitants du Ciel qui descende dans cette valle humaine pleine de larmes ... C'est lui qui a donn aux hommes le feu , c'est lui qui a cr le chaman et qui lui a appris lutter contre le malheur ... C'est le crateur des oiseaux, des animaux des bois, des forts ellcs-mmes (Sieroszewski, p. 306 sq.). Oulou-Toion n'obit pas Art-ToionAga, qu'il traite comme son gal (1). Trait significatif, on offre des animaux blancs ou aubres en sacrifice plusieurs de ces divinits d' en bas, : Kahtyr-Kaghtan Bourai-Toon, dieu puissant ne le cdant qu' Oulou-T oon, on sacrifie un cheval gris Iront blanc; la Dame au poulain blanc " on offre un poulain blanc; au reste des dieux et des esprits ct' en bas _, on sacrifie des juments aubres jarrets blancs ou tte blanche, ou des jum ents gris pommel, etc. (Sieroszewski, p. 303 sq.). Bien entendu, les esprits d' fi en bas * comptent aussi quelques chamans illustres. Le plus clbre est le , prince des chamans, des Yakoutes; il rside dans la partie occidentale du Ciel et appartient la lamille d' Qulou-Toion . C'tait nagure un chaman de l'ulus de Nam, du Msleg de Btign, de la race Tchaky ... On lui olTre en sacrifice un chien de chasse, couleur d'acier avec des taches blanches, tte blanche entre les yeux et le museau ' (ibid. , p. 305). On voit par ces quelques exemples combien il est diffi cile de tracer un e fronti re nette entre Jes dieux ouraniens et les dieux telluriqu es., entre les puissances religieuses rputes *bonnes. et les autres, les mauvaises . Ce qui ressort avec prcision, c'est que le dieu suprme cleste est un deus otiosus et que, dans le pantho n yakoute, les situations et les hirarchies ont t plusieurs Cois changes, sinon mme usurpes. tant donn ce , dualisme, complexe et vague la Cois, on com prend comment Je chaman yakout.e peut servir . aussi bien les dieux d' en haut que ceux d' en bas " car ~e (C bis d'en bas ne veut pas toujours dire esprits mauvais . La diffrence entre les chamans et les autres prtres (les (f sacrifi cateurs ) n'est pas d'ordre rituel, mais extatique: ce n'est pas le Cait qu'un chaman peut ou ne peut pas offrir tel ou te l sacrifice qui caractrise et spcifie sa situat.ion singulire au sein de la communaut religieuse (englobant aussi bien les prtres que les laies), mais la nature particulire de ses rapports avec les divinits, aussi bien celles d' en haut . que celles d' . en bas . Ces rapports - nous le verrons mieux par la suite - sont plus . familiers i, plus 4: concrets que ce ux des autres, prtres sacrificateurs ou laques, car, chez le chaman, les expriences religieuses ont toujours une structure extatique, quelle que soit la divinit qui provoque cette exprience. Sans tre aussi nettement diffrencie que chez les Bouriates, la mme bipartition se rell co ntre chez les chamans altaques. Anochin (2)
(1) On se rend compte d'aprs cette description combien est inadquate l'intgration d'Oulou-Tolon parmi les divinits. inCrieures. d' en bas 1 . 11 cumule, en eNet, les attributs d'un Seigneur des Animaux, d'un dmiurge et mme d'un dieu de la fertilit. (2) Materialy po Bltamallst"" " allajce", p. 33.

160

LE CHAMANISMB EN ASIE CENTRALE

ET SEPTENTRIONALE

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parle des chamans blancs . (ak kam) et de. chaman. noirs . (kara kam). Radlov et Potapov n'enregistrent pas cette diffrence: d'aprs
leurs renseignements, le mme chaman peut excuter aussi bien le voyage au Ciel que la descente aux Enfers. Mais ces affirmations ne sont pa. contradictoires: Anochin (p. 108 .q.) observe qu'il existe galement des cbamans noirs-blancs, qui peuvent entreprendre les deux voyages; l'ethnologue russe a rencontr six chamans t blancs., trois noirs et cinq blancs-noirs . Fort probablement, Radlov et Potapov ont eu affaire uniquement avec des cbamans de cette dernire catgorie. Le costume des chamans blancs est plus sommaire; le kaftan (manyak) ne semble pas indispensable mais ils ont un cbapeau en fourrure d'agneau blanc et d'autres insignes (1). Les chama nes sont toujours noires car elles n'entreprennent jamais le voyage au Ciel. En rsum, les Altaques paraissent connattre trois groupes de chamans: ceux qui s'occupent exclusivement des dieux et puissances clestes, ceux spcialiss dans le culte (extatique) des dieux de l'Enfer et, enfin, ceux qui ont des rapports mystiques avec les deux classes de dieux. Ces derniers semblent tre numriquement assez importants.
SACRIFICE DU CHEVAL ET ASCENSION DU CHAMAN AU CIEL (ALTA)

Le premier soir e,t ddi la prparation du rite. Le kam, ayan t choisi une place dans un pr, y installe une yourte nouvelle, l'intrieur de laquelle il place un jeune bouleau dpouill de ,es brancbe, basses et sur le tronc duquel on mnage neuf degr, (tapty). Le feuillage terminal du bouleau, portant sa cime un drapeau, sort par l'ouverture suprieure de la yourte. On lve une petite palissade en btons de bouleau autour de la yourte et, l'entre, on plante un bton en bois de bouleau avec un nud fait de poils de cheval. On
choisit ensuite un cheval robe claire et, aprs avoir vrifi s'il est agrable la divinit, le cbaman le confie l'une des personnes prsentes, nomme, pour cette raison, Bas-tut-kan-kisi, c'es t--dire

la personne qui tient la tte . Le chaman agite une brancbe de bouleau sur le dos du cbeval, pour forcer l'me de l'animal sortir et pour en prparer l'envol vers Bai Vigan. Il rpte le mme geste sur la personne qui tient la tte, car l' me de cette personne devra accompagner l'me du cheval durant tout son voyage cleste et devra, pour ce motif, tre la disposition du kam.
Le chaman revient dans la yourte, jette des branches sur le feu et enfume son tambourin. Il commence invoquer les esprits leur ordonnant d'entrer dans le tambour: il aura besoin de chacun d'entre eux dans son ascension. A chaque appel nominal, l'esprit rpond: Je suis ici, kam 1 et le chaman manuvre le tambourin en faisant

Tout ceci deviendra plus clair quand nous aurons expos quelques sances cbamaniques, ralises des fins diverses: sacrifice du cbeval
et ascension au ciel, recherche des causes d'une maladie et traitement

le geste d'y attraper l'esprit. Aprs avoir assembl ses esprits auxiliaires (qui sont tous des esprits clestes), le cbaman sort de la yourte. A quelques pas se trouve un pouvantail en forme d'oie; il l'enfourche
tout en agitant rapidement les mains, comme pour voler, et chante:

du malade, accompagnement de l'me du dfunt dans les Enfers


et purification de la maison, etc. On se limitera, pour l'instant, la

description des sances, sans tudier la transe proprement dite du


chaman et en se contentant de quelques allusions seulement aux

conceptions religieuses et mytbologiques qui valorisent ces voyages extatiques. Ce dernier problme, celui des fondements mythiques et thologaux de l'extase chamanique, sera repris plus tard. Il faut aussi ajouter que la pbnomnologie de la sance varie d'une tribu
l'autre, bien que la structure reste toujours la mme. On n'a pas

Aud essus du ciel blanc, Au-del des nuages blancs, Audessus du ciel bleu, Audel des nuages bleus, Monte au ciel, 0 oiseau 1 D

trouv ncessaire de prciser toutes ces diffrences, qui portent plutt


sur des dtails. Dans ce chap itre, on a poursuivi en premier lieu une

description aussi pousse que possible des types de sances cbamaniques les plus importants. Nous commencerons par la description

A cette invocation, l'oie rpond en cacardant : , Ungaigakgak ungaigak, kaigaigakgak, kaigaigak., C'est, bien entend u, le chaman luimme qui imite le cri de l'oiseau. Assis sur l'oie, le kam poursuit l'me du cheval (piira) - qui est prsume avoir fui - et hennit comme un coursier. Avec le concours des assistants, il force l'me de l'animal
dans la palissade et mime laborieusement sa capture: le chaman hennit,

classique que Radlov a donne du rituel altaque, et qui se fonde non


seulement sur ses propres observations mais aussi sur les textes des chants et invocations enregistrs, au commencement du XIX e si-

rue et fait semblant que le lacet qu'on a lanc pour prendre l'animal lui serre le cou. Parfois, il laisse tomber le tambourin pour signifier
que l'me du cheval s'esL enfuie. Finalement, elle est recapture, le chaman lui fait des fumigations avec du genvrier et renvoie l'oie.

cle, par les missionnaires de l'Alta et rdigs plus tard par le prtre Verbitskii (2). Ce sacrifice est clbr de temps autre par chaque
famille, et la crmonie dure deux ou trois soirs conscutifs.
(1) ANO CHIN, Mat.uialy, p. 34; HA RVA, p. 482; W. SCHM IDT, De,. U,.,p ,.unB, IX,
~. 241,. (2) RADLOV, Au' Sibi,.ien, II, p. 20-50. VERBITSJt Il en a publi, en 1870, le texte tatar dans un journal de Tomsk, aprs avoir donn, en 1858, lIn e description de la cr

Ensuite, il bnit le cheval et, avec l'aide de quelques assistants, il le


monie. La traduction des chants et u \'ocations tatars, ainsi que leu r intgration dans la prsentation du rituel, est. l'uvre de RADLOV. Un rsume de cette description classique Il L donn par MIKHAILOW S U, op. cil., p. 7 ... -78; cr. aussi HARVA, Die l'eligiosen Vo,., lelluflgen, p. 553-556. Dernirement, W. SC IIMIDT Il ddi tout un chapitro du IX- tome do so n D~,. U"'p,.ung de,. Golt.~,idee (p. 278-3'.1) fi ta prsentation e t fi l'analyse du texte de Radlov. Le Chamani sme
11

162

LE CHAilfANISME EN ASIE CENTRALE

ET SEPTENTRIONALE

163

tue d'une manire cruelle, en lui brisant la colonne vertbrale de manire qu'aucune goutte de Bang ne tombe terre ni n'clabousse les sacrificateurs (1) . La peau et les os sont exposs suspendus une longue perche (2). Aprs avoir procd des offrandes aux anctres et aux esprits protecteurs de la yourte, on prpare la chair et on la mange crmoniellement, le chaman recevant les meilleurs morceaux. La deuxime partie de la crmonie, et la plus importante, a lieu le soir suivant. C'est maintenant que le chaman va (aire montre de ses capacits chamaniques pendant son voyage extatique jusqu'au sjour cleste de Bai lglin. Le feu brle dans la yourte. Le chaman offre de la viande du cheval aux Maitres du tambour, c'est--dire aux esprits personnifiant les puissances chamaniques de sa famille, et chante: .. Accepte ce morceau, Kaira Khan 1 Mattre du tambour six bosses Viens vers moi en tintant! Si je crie tchok/, incline-toi ! Si je crie ma. l, accepte ceci 1. .. J
Il s'adresse de la mme faon au Maitre du feu, symbolisant la puissance sacre du propritaire de la yourte, organisateur du festival. levant une coupe, le chaman imite avec les lvres la rumeur d 'une assemble d'invits invisibles occups boire; puis il dcoupe des morceaux du cheval pour les distribuer aux assistants (reprsentants des esprits) qui les dvorent bruyamment (3). Ensuite, le chaman fait des fumigations aux 9 vtements suspendus une corde comme l'offrande du maltre de la maison Bai lglin, et chante :

Revtant son costume chamanique, le kam s'assied Sur une banquette et, tout en enfumant son tambour, il commence invoquer une multitude d'esprits, grands et petits, qui rpondent, chacun son tour: Me voici, kamI .. Il invoque ainsi : Yayyk Kan, l'Esprit de la Mer, Kaira Kan, Paisyn Kan, ensuite la famille de Bai Igan (la Mre Tasygan avec 9 filles sa droite et 7 fiUes sa gauche), enfin les Maltres et les Hros d'Abakan et d'Alta (Mordo Kan, Alta Kan, Oktu Kan, etc.). A la fin de cette longue invocation , il s'adresse Markt, l'Oiseau-du-ciel :
Oiseau cleste, les cinq Miirkt Vous avec vos puissantes serres d'airain, Les serres de la lune sont de cuivre Et le bec de la lune est de glace; ~uissant est le ballement de tes longues ailes, '1 a longue queue es t semblable un ven tail, Ton aile gauche cache la lune, Ton aile droite cache le soleil, 'l'ai, mre des neuf aigles, Sans t'garer tu voles sur Yaik, Tu n'es pas C atigue au-dessus d'Edil! Viens chez moi en chantant! En jouant, approche-toi de mon il droit, Pose-toi sur mon paule droite! .. J

qu'aucun cheval ne peut porter, Alils 1 Al.s 1 Al.s 1 Qu'aucun homme ne reut soulever, Alas 1 Alas 1 Alas Vtements triple collet, Retourne-les trois Cois et regarde-les, Qu'ils soient une couverture pour le coursier, Alas! Alils 1 Alils 1 Prince Vigan, toi, trsor de joie!... Il
(1) D'aprs POTANIN ( Otc~rhi, IV, 11. 79 ), on fixe prs de la table sacrificielle deU1 perches portant leur sommet des oiseaux en bois; une corde, laquelle on suspend des bran ches vertes et une peau de livre, runit les deux perches. Chez les Dolgans, des perches avec des oiseaux en bois leur sommet reprsentent les. colo~nes ~o.~.mi~ ques : cf. HAR v A ( HOLMBERG ), Der Daum des Lebens, p. 16, fig. 5-6 ; Id., Die rehglOsen Vorsldlungen, p. 44. Quant l'oisea u, il sy mbolise naturellemen t le pouvoir magique de voler que dtient le chaman. (2) Mme manire de sacrifier le cheval et les brebis chez d'autres tribus altaques et chez les Tloutes : cr. POTANIN, op. cil., IV, p. 78 sq. C'est le sacrifice spcifique de la tte et des os longs, dont les formes les plus pures se rencoi trent ch~7. les populations arctiques; cf. A. GAHS, Ko]!{-, Schiidel~ und LallghnocMnopfer bCI Renlier"iil hern; W. SCHMIDT, Der Ursprung, III (Mnster, 1931) ; p: 334, 367s9., 462 sq., etc. ; VI (1935) , p. 70-75, 274-281, etc.; IX , p. 287.292; Id ., Das lbmmclsopfer bei <kn inneraslalischen PfC Nkzllchler"olhern (l Ethnos ., vol. 7, 1942, p. 127-14.8). Voir aussi K. lthULI, Criechische Op{erbraucM, p. 283 sq. (3) Sur les implications palethnologiques et religieuses de ce rite, cf. lthULI , op. cif., p. 224. sq. et passim.

Dons

Le chaman imite le cri de cet oiseau pour annoncer sa prsence : Kazak, kak, kakI Me voici, kamI Et, ce faisant, ]e chaman plie son paule, comme cras par le poids d'un norme oiseau. L'appel des esprits continue, et le tambour devient lourd. Muni de ces nombreux et puissants protecteurs, le chaman fait plusieurs fois le tour du bouleau qui se trouve l'intrieur de la yourte (1) et s'agenouille devant la porte pour priel' l'Es prit-Portier de lui donner un guide. Ayant obtenu la rponse fa vo rable, il revient au milieu de la yourte, battant du tambour et convulsionnant son corps tout en murmurant des mots inintelligibles. Ensuite, il purifie tout le monde avec son tambour, en commenant par le matre de la maison. C'est une crmonie longue et complexe, qui s'achve par l'exaltation du chaman. C'est aussi le signal de l'ascension proprement dite car peu de temps aprs le chaman se place soudainement sur la premire entaille (tapty) du bouleau, tout en frappant avec force son tambour et en criant: Tchok! tchok! Il fait aussi des mouvements pour indiquer qu'il s'lve au ciel. En , extase ( Il) il fait le tour du bouleau et du feu, imitant le son du tonnerre, et s'approche ensuite rapidement d'une banquette co uverte d'une couverture de cheval. Celle-ci repr. sente l'm e du pra, le cheval sacrifi. Le chaman monte dessus et s'crie:
(1) Celui-c! symb?l ise. l'Arb.re du Monde, ~l!,i se trouve au milieu de l'Univers, l'axe cosnuque qUl,.relle le Ciel! la Terre et 1 Enfer: les 7, 9 ou 12 entailles (tap ty ), r eprsen tent les Cieux ., les nivea ux clestes. A remarquer que Je voyage extatique du c~aman sc ralise toujour:s prs du Centre ~.u :Monde _. Rappelons que chez les Bouriates le bouleau chamamque se nomme ude81~burhhan le gardien de la porte. car il ouvre au chaman l'entre du Ciel (d. p. 107). ' ,

164

LE CHAMANISME BN ASIE CENTRALE

ET SEPTENTRIONALE

165

J ' ai mont une marchel Aikhai 1 aikhai 1 J'ai . tteint une rgion (clesle)

J'ai grimp jusqu' la cime des tapty /


J e me suis lev jusqu ' la pleine lunel

S.g.rb.tal

S.garb.ta 1

S.garb.t. 1 (1)

Dans le sixime ciel le chaman slincline devant la lune - et devant le soleil dans le septime. Il traverse ciel ap rs ciel jusqu'au neuvime et s'il est vraiment puissant, jusqu'au douzime et mme plus haut; l'~scension dpend exclusivement de la force du chaman. Quand il a atteint le sommet que lui permet sa puissance, le cbam~n s'arrte, laisse t omber son tambour et invoque humblement Bai VIgan dans les termes suivants:

Le chaman s'excite encore plus et t out en continuant de frapper son tambour , ordonne Bas-tut-kan-kisi de se presser. En effet, l'me de la personne qui tient la tte. ~andonne s,on corps en mem~ temps que l'me du cheval sacrifi. Le Bas-tut-kan-klSl se plaInt de la dIfficult du chemin et le chaman l'encourage. EnsUlte, montant sur le deuxIme tapty, il pntre symboliquement dans le deuxime ciel, et s'crie:

Dieu qui mnent trois escaliers, Bai OIgan maitre de trois troupeaux, La pente bleue qui vient d'apparattrc, Le ciel bleu qui se montre, Le nu age bleu qui roule rapid oment, J naccessible ciel bleu 1 Lieu unc anne de distance de l'eau 1 Pre l~iin trois lois exalt 1 Pour qUI les bords de la lun e brillent, Qui utilise le sabot du cheval Toi, Dlga n, t u as cr tous les humains Qui sc meuvent autour de nous. 1'oi, Olgan, tu nous a dots, nous tous, de troupeaux! Ne nous laisse pas tomber dans la peinel Fais que nous puissions rsister au Mchant, Ne nous montre pas Karmas (le mauvais esprit) Ne nous livre pas en ses mains 'l'oi qui as tait tourner le ciel toil Mille et mille lois 1 Ne cond amne pas mes pchs 1
[n3ccessible ciel blanc 1

c J'ai travers le deuxime plafond, J'ai mont la deuxime marche, Vois 1 le plafond gtt en morceaux!. ..

Et, imitant de nouveau la foudre et le tonnerre, il proclame: Sagarbatal Sagarb. tal J'ai mont la deuxime marchel etc. 1 Dans le troisime ciel, le pra est bien fatigu et, pour l'allger, le chaman appelle l'oie. L'oiseau se prs~nte : Kagak, Kagakl, je su~s ici kami. Le chaman lamonteet contmue son voyage cleste. Il dcrIt ra~cension eL imite le cacardement de l'oie, qui se plaint, son tour, des difficults du voyage. Dans le troisime ciel a lieu une hal te. C'est l'occasion pour le chaman de parler de la fatigue de son cheval et de la sienne. Il donne aussi des informations sur le temps qu'il fera, sur les pidmies et les malheurs qui menacent et sur les sacrifices que devrait offrir la collectivit. . Aprs que le Bas-tut-kan-kisi s'est bien repos, le voyage contmue. Le chaman grimpe l'une aprs l'autre les entailles du bouleau, pntrant ainsi successivement dans les autres rgions clestes. Pour animer la performance, diffrents pisodes ~pr~n~ent plao.e, certains. assez grotesques: il olTre du tabac Karakus, 1 OIseau NOIr, au servIce du chaman et Karakus chasse le coucou ; il abreuve le p ra en lffiltant le bruit 'd'un cheval qui boit; enfin, le sixime ciel est le thtre du dernier pisode comique: la chasse d' un livre (2). Dans le cmqwm_e ciel le chaman a une longue conversation avec le pwssant Yayutsl (le Crateur Suprme .), qui lui rvle plusieurs secrets de l'avenir; certains so nt communiqus baute voix, les autres sont murmurs.
Tout ceci est, videmment, une exagration due ~ l 'ivr~se de la rupture. du I?re lfiler nivea u cosm ique car, en ralit, ~ e cha~a n na attemt que .Ie p~mler cl ~ l; il n'a pas grimp la cime .d~ tapl]/ ; 11 ne s est mme pas lev Jusqu la pleine lune (qui se trouve dans le SIXime Clel). (2) Le livre tan t un animal lunaire, il est naturel que sa cllasse ait lieu dans le sixime ciel, celui de la Lune.
(1)

Le chaman apprend de Bai lglIn si le sacrifice a t agr et reoit des prdictions sur le temps et la nouvelle rcolte; il app rend aussi quel autre sacrifice la divinit attend. Cet pisode marque le point culminant de l' extase,. : le chaman s'croule, extnu. Le bas-tutkan-kisi s'approche et prend de ses mains le tambour et le bton. Le chaman reste immobile et muet. Aprs quelque temps il frotte ses yeux, parait se rveiller d'un sommeil profond et salue les prsents C ()mm8 aprs une longue absence. Parfois la fte se termine avec ce crmonial j plus souvent, spcialement chez les gens riches, elle dure encore une journ e, passe en libations aux dieux et en banquets o se consomment d'normes quantits de boissons alcooliques (1).
(1) HARVA reproduit (Die l'eligi6$en VOI'$ullungen. p. 557.. fig. 105) .le dessin d'un chaman nltnIque qui reprsente J'ascension cl;leste 1 occaSion du sacrlryce du ~ h eval. A!'t'OCIIIl( publie des texte! (pom~s et p!lres) prononcs durant .1 ascension ~u chaman au ciel avec l'me du poulam sacrifi, dans le cadre d.u sacrifice Kari.t, le fils le plus populaire de Bai. Olgl1o (A. V. A.NOC Itl N, Mater&aly po .hamanstvu u altajcev, p. 101104 ; cf. traduction et commentaire dans W. SC HMIDT, Del' UI',prun~, IX, p. 357-363). W . AMSCHUR prsente l e~ observati on~ d~ VI!:RBlT5ItY sur le sacrifice du chevaJ cher: les Tlingites de l'Altal ; cf. Uebel' die Tlel'opfel' (be.ondel" Pft!l'ik opfel' ) du T elingiun iTrl sibil'uchen Altai (ir: Anthropos ., x'XY llI, 34. 1 939 , p. 305-13) . D. ZnE!'t'IN dcrit le sacri fice du cheval chez les Ku mandines del'Altal. rite qui suit d'assez prs celui dcrit par RADLOV, sauf qu'il ignore le voyage cleste du chaman pour prsenter l'me du chevalA Sutta-Khan (= Bai OIgtln) ; ct. D. Zn.NIN, Ein el'ol uchu Ritus in lk ,1 Opferungen du altai8cMn Tal'lren, p. M-lI6. ellel

166

LE CHAMAN I SME EN ASIE CENT RALE

ET SE PTENTRIONALE

167

BA I

LGAN

ET LE CH AMAN ALTAQUE

Quelques observations seulement sur le rituel que nous venons d'analyser. On voit clairement qu'il est constitu de deux parties diffrentes, nullement insparables: a) le sacrifice l't:tre cleste; b) l'ascension sym bolique du chaman (1) et sa com parution, avec l'me de l'animal sacrifi, devant Bai lgan. Dans la forme qu'on trouvait encore au X I X e sicle, le sacrifice altaque du cheval ressemblait aux sacrifices offerts aux lt.tres suprmes clestes dans l' Extrme Nord de l'Asie, rite connu ailleurs aussi dans les religions les plus archaques et qui ne demande aucunement la prsence d'un chamansacrificateur. En erret, nous l'avons dit, plusieurs peuples turcs con naissent le mme sacrifice du cheval ad ress l'~tre cleste, sans faire appel pour a utant a u chaman. Le sacrifice du cheval tait aussi pratiqu par la majorit des peuples indo-europens (2), et toujours l'intention d'un dieu du ciel ou de l'orage. On peuCdonc lgitimement conj ecturer que le rle du chaman dans le rite altaque est rcent et vise d'autres buts que l'ofTrande de l'animal l'f:tre suprme. La deuxime observation porte sur Bai lgan lui-mme. Bien que ses attributs soient clestes, on est C ond croire qu'il n'est pas nettement, ni depuis toujours, un dieu suprme ouranien. Il prsente plutt le caractre d'u n dieu de l' atmosphre, et de la lertilit car il a une po use et de nombreux enlants et il prside la lcondit des troupeaux et l'op ulence des rcoltes. Le vritable dieu cleste suprme des Altaques semble tre Tengere Kaira Kan (3) (. le misr icordieux Seigneur Ciel .), en juger par sa structure plus proche du samoyde Num et du turco-mongol Tengri, Ciel , (4). C'est Tengere Kaira Kan qui joue le rle principal dans les mythes sur la cosmogonie et sur la fin dumonde, alors que Bai Igan en est toujours absent. II est remarquable qu'aucun sacrifice n'est prvu pour lui,
les Tatars Lebed, on sacrifie un cheval la plein e lune qui suit le solstice d't; le but es t agraire (<< que le bl pousse .) et il es t ror t possible qu'on ail affaire une substitution tArdive (HUVA, p. 577 d'aprs K. HILDt.N) . La mme 1 agrarisation du sacrifice du cheva l se rencontre chez les Tloules (sacrifice du 20 j uillet, 1 dans les champs., HARVA , p. 577 ). Les Bouriates rratigucnl galemen t le sacrifice du che val , mais le chaman n'y joue aucu n r6le; i s'agit d'une crmonie caractristique des peuples leveurs de cheva ux . J erem ia h CURT IN donne la description la plus labore du sacrifi ce dans A Journe.'l in Soulhern S ibl!,.ia. p. 44-52. On trouvera d'aut res dtails dans HARVA , Die ,.igiosen Vorstellungen, p. 574 sq. (d'aprs SRASII~OV), et dans \\ . SC HauDT, De,. UrSp,.unK, X, p. 226 sq. Sur cc motir, cr. aussi W . SC HMIDT, Der U,.sp ,.ung, X I, p. 651-58. (2 Cf. W. KOPPEns, Pfmkopfe.~ und Pfe,.ddult der Indoge,.manen (1 Wiener Bei t rllge zur Kulturgeschlchte und Linguis ti k _, vol. IV, Salzbourg-Leipzig, 1936, p. 279-/112) ; id., U,.W,.Jcenlum und U,.indogermanentum im Lichte der vllre,.lrundlichen Uni"ersalgeschichte (1 Belleten _, N 20, Ankara, 1941, p. 481-525). (3) SULCC nom, voir Paul PELLl OT , Ta~ > ta,.im (1 T'oung Pao l, vol. 37, _ 19'l ff P. 165- 18B: .Ie nom..d"u .-.CieL.. lus-ancien nom atles( dans les langu-"s i l faiqlle&,-pUqu'on -18 oonnalt-dj cn hiong-nou aux a.lentours de l're chrtie.illle 1

(II

tandis qu'on en 0111'8 d'innombrables Bai lgan et El'lik Kan (Schmidt, Der Urspmng, I X, p. 143). Mais cette retraite de Tengere Kaira Kan hors du culte est le destin de presque tous les dieux ouraniens (cf. Eliade, Trait, p. 53 sq.). Il est probable qu' l'origine le sacrifice du cheval s'adressait Tengere Kaira Kan i nous avons vu, en effet, que le rite altaque s'intgre dans la classe des sacrifices de la tte et des longs os, propres aux divinits clestes arctiques et nord-asiatiques (cl. A. Gahs, op. cit.). Rap pelons ce propos que, dans l' Inde vdique, le sacrifice du cheval (ava medhaL primitivement offert Va runa et vraisemblablement Dyaus, a fini par tre adress Prajpati et mme Indra (Eliade, Trait, p. 92) . Ce phnomne de substitution progressive d' un dieu de l'atmosphre (et, dans les religions agricoles, d'un dieu fcondateur) un dieu cleste, est assez Irquent dans l'histoire des religions (ibid. , p. 92 sq.). Bai lglin, comme en gnral les dieux de l'atmosphre et. de la fcondit, est moins distant, moins passif que les divinits ourafll en~es pures: il s'intresse au sort des humains et les aide dans leurs beSOIns quotidiens. La prsence, de ce dieu est plus concrte, le dialogue, avec lui est plus . humain t et plus. dramatique t . Il est permis de prs umer que c'est en vertu d.'une ex pri ence religieuse pl~s. c~ n~rte et morphologiquement plus riche que le chama n a rU SSI a eVlficer l'ancien sacrificateur dans le sacrifice du cheval, exactement comme Bai Igan a vinc l'ancien dieu cleste. Le sacrifice devient maintenant une sorte de psychophorie t qui aboutit une rencontre dramatique entre le dieu et le chaman, et un dialogue concret (le chaman allant parfois jusqu' imiter la voix du dieu). Il est lacile de comprendre pourquoi le chaman qui, parmi toutes les varits de l'exprience religieuse, est sollicit par les formes. extatiques par excellence - a russi s'approprier ~a foncti?n princi: pale dans le sacrifice altaque du cheval: sa techmque de 1 extase lm perm ettait d'abando nner son corps et d'entreprendre le voyage cleste: Il lui tait donc ais de rpter ce voyage en emportant avec lm l'me de l'animal sacrifi pour le prsent er directement et d'une manire concrte Bai lgan. Qu'il s'agisse d'une substitution, fort probablement assez tard ive, on en a la preuve aussi dans la mdiocre intensit de la . transe . Dans le sacrifice dcrit par Radlov, l'. extase. est nettement imite. En ralit, le chaman mime laborieusement une ascension (d'aprs le canon traditionnel: vol d'oiseau, chevauche, etc.) et l 'intr~ du rite est plutt dramatique qu'extatique. Ce qui ne prouve nullement que les chamans altaques ne sont pas capables de transes; seulement, celles-ci ont lieu l'occasion d'autres sances chamaniques que celle du sacrifi ce du cheval.
LA DESCENTE AUX ENFERS (ALTAI)

ese

(i5Ul . p. 165). (fI) Cf. EUAOP., Traiti d'his toire des ,.igions, p. 65. Voir aussi .-P. Roux~ 'J'ling,.i. Essai su,. le ciel-dieu des peupl1!8 altaqUl!s, passim; N. PALLU N, Die aUe llcli,ion du Mongolen und du Kultus Tchingis-Chanl' (i r Numen " Ill. 1956, p. 178229).

;;

en particulier p. 185 sq.

L'ascension cleste du chaman altaque a sa contrepartie dans sa descente aux Enlers. Cette crmonie est de beaucoup plus difficile

168

LE

CUA M AN I S ~(E

EN AS I E CENT IULE

ET SEPT E NTR IO N ALE

169

et, bien qu'elle puisse tre entreprise aussi par des chamans qui Bont en mme temps blancs et noirs , eH e est naturellement ]a spciali t de ces derniers. Rad lov n'a russi assistcr aucune sance chamanique de descente aux Enfers. Anochin , qui a recueil1i les tex tes de cinq crmonies d'ascension, n'a rencontr qu'un s6ul chaman (Mampi) qui ait consenti lui rpter les formules d' une sance de descente aux Enfers. Mampi, son informateur, tai t un chaman blanc et noir & ; c'est pourquoi, peut-tre, dans 80 n invocation Erlik (= arlik) ... Khan , il faisait aussi allusion Bai lglin . Anochin (1) donne seulement les textes de la crmonie, sans aucune information sur le rituel proprement dit. Suivant ces textes, J e chaman semble descendre verticalement et l'un aprs l'autre les sept escaliers 1) ou rgions souterraines appels p"dak, obstacles . Il est accompagn de ses anctres et de ses esprits au xiliaires. A chaque * obstacle, franchi, il dcrit une nouvelle piphanie souterraine; le mot noir revient presque chaque vers. Au deuxime obstacle " il parait faire allusion des bruits mtalliques; au cin quime * obstacle t, il entend des vagues et le siffiement du vent j enfin, au septime, o se trouvent aussi les bouches des neuC fleuves souterrains, il apero it le palais d'Erlik Khan, bti en pierre et en argile Doire, et dfendu de toutes parts. Le chaman prononce une longue prire devant E rlik (o il mentionne a ussi Bai lglin, celui d'en haut ) j il revient ensuite dans la yourte et fait part aux assistants des rs ul tats do son voyage. Potanin a donn une bonne description du rit uel de la descente _ mais sans les textes - d'aprs les informations d'un prtre orthodoxe, Tchiva lkov , qui avait assis t dans sa jeunesse plusieurs crmonies et avait mme fait partie du chur (2). Il existe quelques dilTrences entre le rituel dcrit par Potanin et les t extes recueillis par Anochin, dllTrences du es sans doute a u fait qu'il s'agit de tribus dilTrentes, mais aussi au C ait qu'Anochin n'a donn que les textes des invocati ons et des prires, sans aucune explication du rituel. La diffrence la plus sensible est celle de direction : verticale chez Anochin, hori zontale et ensuite douhlement verticale (ascension suivie de descente) chez P otanin. Le chaman commence son voyage de sa yourte mme. Il prend le chemin du Sud, traverse les rgions voisines, gravit les monts Alta et dcrit en passant le dsert chinois de sable rouge. Il cheva uche ensuite travers une steppe jaune qu'une pie ne pourrait pas survoler. Par la force des chants, nous la traverserons 1, s'crie le chaman en s'adressant aux ass istants, et il entonne un chant que ceux-ci poursuivent en chur. Une nouvelle steppe, de couleur hla farde, qu'il serait impossible un corbeau de survoler, s'ouvre devant lui. De
(1) A. V. ANOC UI N. M aterillly p() dam ans"'" Il altajCt!I1, p. 84-91 ; cf. le comm entaire de W . S CH MIDT. Der U r8pru ng, I X, p. 384-393. (2) S. N. PO TA IUN , Dtc/urh i 8t1jJero-~apadMj M ongolii , t. IV, p. 64-68; rsum dans M!IU IAI LOWS KI, p. 72-73 i...!"fA IlV A, D ~ religi6en Vor8tellu ngM, p. 558-559; co mmenta Ire chez S CHMI D T , Der u rBpr ung, IX , p. 393-98 .

nouveau, le chaman C ait appel la puissance magique des chants , et les ass istants l'accompagnent en chur. E nfin il atteint la Montagne de Fer, Ternir taiksa, aux sommets touchant le Ciel. L'escalade est dangereuse, le chaman mim e sa difficile ascension et il respire profondment, puis, q uand il parvient la cime. La montagne est parseme des ossements blanchis des aut res cha mans qui n'ont pas eu la force d'atteindre le sommet et de ceux de leurs chevaux. La montagne dpasse, une nouvelle chevauohe conduit le chaman devant un trou qui est l'entre de l'autre monde, yer mesi , les mchoires de la Terre t, ou yer tu.nigi, le trou de Cume de la Terre t . Le chaman, S' y engageant, arrive tout d'abord un plateau et l'encontre une mer que franchit un pont de la large ur d'un cheveu i il l'emprunte, et pour donner une image saisissante de son passage sur ce pont prilleux, il chancelle et manque de t omber. Il aperoit au fond de la mer les os des innombrables chamans qui y sont t ombs car un pcheur ne russit pas passer le pont. Le chama n passe devant le lieu de ta rt ure des pcheurs et il a le t emps de voir, clou par l'oreille un pilier, un homme qui durant sa v ie avait cout aux portes ; un autre, qui avait calomni, est pendu par la langue, un glouto n est ento ur des meilleurs plats sans po uvoir les aUeindre, etc. P ass le pont, le chaman chevauche de nouveau en direction de la demeure d' Erlik Khan. Il russit y pntrer, malgr les chiens qui la gard ent et le portier qu i, finalement, se laisse convaincre par des cadeaux. (De la bire, du buf bouilli et des peaux de moulTette on t t prpars pour cette occasion avant le dpart du chama n pour l' EnCer.) Aprs av oir reu les cadaaux, le portier laisse le chama n entrer dans la yo urte d' Erlik. Alors commenceJa..s'li>ne la plus mouvemente. Le cham an se dirige vers la porte <tOla ten te o se droule la sance et fait semblant de s'approcher d'lE rlik. Il s'incline devant le Roi des morts et, t ouchant son front avec le t ambour, et rptant M ergu! mergul , il essaie d'attirer l'attention d' Erlik. Aussit t le chaman commence orier, pour signifier que le dieu l'a remarqu et qu'il est trs courrouc. Le chaman se rfugie prs de la porte de la t ente, et la crmonie se rp te trois fois. Finalement, Erlik Khan lui adresse la parole: , Ceux qui ont des plumes ne peuvent pas voler jusqu'ici, ceux qui ont des griffes ne peuvent pas arriver jusqu'ici ; toi, noir et dgota nt escarbot , d'o es-tu venu ? Le chaman lui dcline son nom et les noms de ses anctres et invi te Erlik boire; il fait semblant de verser du vin dans son tamhour et l'offre au Roi de l'EnCer. Erlik accepte, commence boire et le chaman imite jusqu' ses hoquets. Il olTre ensuite Erlik un buf prcdemment abattu et plusieurs vtements et C ourrures qui se trouv ent suspendus sur une corde. Le chaman, en les offra nt, touche avec la main chacun de ces objets. Mais les fourrures et les vtements restent en possession du pro prita ire. Pendant ce temps, Erlik s'enivre compltement et le chaman mime laborieusement les phases de son iv resse. Le dieu devient bienveillant, le bnit, promet la multiplication du btail , etc. Le chaman retourne

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joyeusement sur la terre, en chevauchant non un cheval mais une oie, et il marche dans la yo urte sur la pointe de ses pieds comme s'il volait, en imita nt le cri de l'oiseau : Naingak 1 naingak! La sance prend fin, le cham an s'assoit, quelqu' un lui prend le tambour des mains et frappe trois C ois. Le chaman se frotte les yeux comme s'il se rveillait. On lui demande: t Vous avez bien chevauch ? Avez-vous russi ? Et il rpond : , J 'ai fa it un voyage admirable. J 'ai t trs bien reul . On entreprend ces descentes dans les Enfers spcia lement pour rechercher et ramener l'me du malade. On trouvera plus loin plusieurs rcits sibriens de ce voyage. Bien entendu, la descente du chaman a lieu a ussi pour le but inverse, savoir pour accompagner l'me du dfunt jusqu'au royaume d' Erlik. Nous aurons l'occasion de comparer ces deux typ es de voyages extatiques - a u Ciel et aux Enfers - et de montrer les schmas cosmographiques qu'ils impliquent. Pour l'instant, regard ons de plus prs ce rituel de descente dcrit par Potanin. Certains dtails appa rtiennent spcifiquement aux descentes infernales: ainsi, par exemple, le chien et le portier qui dtend ent l'ent re du royaume des morts. C'est un motiC bien connu des mythologies inCernales et on le renco ntrera plusieurs fois par la suite. Le motif du pont troit comme un cheveu est moins spcifiquement infernal ; le pont symbolise le passage vers l'au-del, mais pas ncessairement le passage aux Enfers i seuls les coupables ne russissent pas le traverser et sont prcipits dans le gouffre. Le passage d'un pont extrmement troit qui relie deux rgions cosmiques signifie aussi le passage d'un mode d'tre un autre: du non-initi l'initi, ou du t vivant. au mort . (Cf. plus bas, p. 375 sq.). Le rcit de Potanin prsente plusieurs disparits: le chaman, da ns sa chevauche, se dirige vers le Sud, escalade une montagne et descend ensuite par un trou en Enfer, d'o il revient non plus sur son cheval, mais sur une oie. Ce dernier dtail a quelque chose de suspect; non qu'il soit difficile d'imaginer un vol l'intrieur du trou qui mne aux Enfers (1), ma is parce que le vol a dos d'oie rapp elle l'ascension du chama n au ciel. No us avons fort probablement aITaire ici une contamination du thme de la descente par celui de l'ascension. Quant au fait que le chaman chevauche d'abord vers le Sud , gravit une montagne et descend aprs seulement dans la bouche de l'Enfer, on a vu dans cet itinraire le so uvenir vague d'un voyage vers l' Inde et on a mme essay d'ident ifier les visions infernales avec les images qu'on pourra it renco nt rer dans les temples-cavernes du Turkestan ou du Tibet (2). Les influences mridionales, et en dernire instance
(1)lDans le folklore sibrien, le hros est maintes fois ~rt par un aigle ou par un autre oiseau du fond de l' E nfer la surface de la terre. Chez les Goldes, le cha mlln ne peut pas entreprendre le voyage exta tiq ue aux Enfers sans l'aid e d' un oiseau esprit (hoori), q ui assure son retour la surface: la portion la plus difficile de ce voyage de retour le chama n la fait sur le dos de so n koori (ct. HUVA, op. ci,-, 338) . (2) N. K, CH,\o wrC It, S hamani. m amon, the TatarIJ of C~ntr(Jl A. ill (I J ourn al ? f the Royal Anthropological Jn slitute lO, LXVI, Londres, t 93 6, p. 75-112 ), p. 111 ; Id" P oetry and Prophecy, p. 82 , tOt ; H. M. et N. K. C HADWI CK. , The CrowllI of Literlltur~. III, p, 2t7.

indiennes, existent coup sr dans les mythologies et les folklores Seulement, ces influences ont yhicul une gog raphie mythIque et non pas de vagues souvenirs d' une gogra phie relle (orographie, itinraires, t emples, cavern es, etc.) . Il est probable que l'Enfer d'Erlik a eu des modles irano-indiens, mais la discussion de ce problme nous mnerait trop loin et nous le rservons pour une tude ultri eure.
ce~ tral-asi ~ tiqu es.

L E CHAMA N PSY CHOPOMP E (ALTA QUES, G OL DES, Y URA K)

Les peuples de l'Asie Septentrionale conoivent l'autre monde comme une image renverse de celui-ci. Tout s'y passe comme ici-bas, mais rebours: quand il fait jour sur la terre, il fait nuit da ns l'au-del (c'est pourqu oi les ftes des morts ont lieu aprs le coucher du soleil: c'est alors qu'ils se rveillent et commencent leur journeL l't des vivants correspond l' hiver dans le pays des morts, le gibier ou le poisso n est-il ra re sur la terre, c'est signe qu'il a bonde dans l'autre monde, etc. Les Bel Lires posent les rnes et la bouteille de vin dans la main gauche du mort; car celle-ci correspond la main droite sur terre. E n Enfer, les fleuves remontent vers leurs sources. Et tout ce qui est renvers sur la terre, est en position normale chez les morts : c'est pour cette raison qu'on renverse les obj ets qu'on offre, sur la t ombe, l'usage du mort, moins qu'on ne les casse, car ce qui es t cass ici-bas est intact dans l'autre monde et vice versa (1) . L'image renverse se vrifi e galement dans la co nception des tages infrieurs (les. obstacles ,., pudak, que jt raverse le chama n dans sa descen te). Les Tatars sibriens connaissent sept ou neuf rgions so ut erraines ; les Samoydes parlent de neuf couches sous-ma rin es. Mais comme les Tongo uses et les Yakoutes ignorent ces tages inrernaux, il est vraisemblable que la conception tatare est d'origine exotique (Harva, ib id., p. 350 ; voir plus loin, p. 225 sq.). La gographie funraire des peuples du Centre et du Nord de l'Asie est asse z complexe, ayant t continuellement co ntamine par l'inva sion des ides religieuses d'origine mridionale. Les morts se dirigent soit vers le Nord , soit vers l'Ouest (Harva, p. 346). Mais on rencontre aussi la conception suiva nt laquelle les bons s'lvent a u Ciel et les pcheurs descend ent sous la terre (par exemple chez les Tatars d'Alta; cf. Radl ov, Aus S ibirien, II, p. 12) ; to utefois, cet te valorisation morale des itinra ires d'outre-tombe semble tre une innovation assez ta rdive (Harva, p. 360 sq.). Les Yakoutes croient qu' la mort les bons comme les mauvais montent au Ciel, o leurs mes (k ut) prennent la form e d'o iseaux (Harva , ib id .). Vraisemblablement, les mesoiseaux ,. se posent sur les branches de l'Arbre du Monde, image mythique q ue nous rencontrertms aussi ailleurs. Mais comm e, d' autre part, selon les Yakoutes les mauvais esprits (abas1J), qui sont, eux
ft ) Ct. Hu.VA, Die religio6en Vor6,.,Uungen , p. ! H, S sq , Sur tout ceci, voir notre ouvrage en prparation : Mylltologie, th III Mort.

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aussi, des mes de morts, habitent sous la terre - il est vident que nous avons alTaire une double tradition religieuse (1). On rencontre galement la conception selon laquelle certains privilgis, dont on brle le corps, s'envolent avoc la fume au Ciel o ils mnent une existence pareille on tout la ntre. C'est ce que les Bouriates pensent de leur chamans et la mme croyance so retrouve chez les Tchouktches et les Koryaks (voir plus bas, p. 204 sq.). L'ide que le feu assure une destine cleste post-mortem est confirme aussi par la croyance d' aprs laquelle ceux qui sont Irapps par la loudre s'envolent au Ciel. Le feu l, quelle qu'en soit )a nature, transforme l'homme en cc esprit ; c'est pourquoi les chamans sont rputs maitres du feu et deviennent insensibles au contac t des braises. La Il mattrise du feu ou l'incinration quivalent en quelque sorte une initiation . Une ide semblable est sous-jacente la conception selon laquelle les hros et tous ceux qui ont eu une mort violente, montent au Ciel (Harva, p. 362) : leur mort est considre comme une initiation. Au contraire, la mort la suite d'une maladie ne peut conduire le dfunt qu'aux Enfers oar la maladie est provoque par les mauvais esprits ou les morts. Lorsque quelqu'un tombe malade, les Altaq ues et les Telengites disent qu'il est en train d'tre mang par les karmas D (les morts). Et de quelqu'un qui vient de mourir, on dit: , il a t mang par les karrnQs (Harva, p. 367)_ C'est pour ce motif que les Goldes prennent cong du mort qu'ils viennent d'enterrer en le priant de ne pas emmener avec lui sa veuve et ses enfants. Les Ougours Jaunes lui parlent ainsi: Ne prends pas ton enfant avec toi, ne prends pas ton btail, ni ton avoir 1 Et si la veuve, ou les enfants , ou les amis viennent dcder peu de temps aprs la mort de quelqu'un, les Tloutes pensent que ce dernier a emport leurs mes avec lui (Harva , p. 281 ; cf. aussi p. 309). Les sentiments Al'gard des morts sont ambivalents: d'une part on les v nre, on les convie nux banquets funraires, on les considre avec le temps comme des esprits protecteurs de la lamille - d'autre part on les craint et on prend toutes sortes de prcautions contre leur retour parmi les vivants. En fait, cette ambivalence peut se ramener A deux comportements opposs et successifs : on craint les morts de frafclle date, on vnre les morts anciens et on attend leur protection. La crainte des morts est due au fait qu' au dbut auoun trpass n'accepte son nouveau mode d'tre: il ne veut pas renoncer 0: vivre et il retourne auprs des siens. Et c'est cette tendance qui trouble l'quilibre spirituel de la sooit : n'tant pas encore intgr au monde des trpasss, le mort rcent s'efforce de prendre avec lui sa fam iUe et ses
(1) D'aprs SIEROSU:WSX I , cerLains Yakoules situenL le royaume des morts au-del du huitime ciel, au sepLentrion, dans une conLre o rgne une nuiL L ernelle, oil souffie sans cesse un vent glacial , ail brille le ple soleil du Nord, o la lune ne se montre que renverse, o les jeunes fill es et les jeunes gens restent L ern ellemen t vierges .... ; tandis que selon d'autres. il existe so us la Lerre un autre monde exaclement semblabl e au nOtre, o l'on peut parvenir grce l'orifice laiss par les habitants des rgions soutorraines pour leur aration (Du chamanisme, p. 206 sq.). Ct. aussi B. D. S HIMK.lN, A Sk.etch of the Ker, or Yen ue i OBryak, p. 166 sq.

amis et mme ses troupeaux; il veut continuer son existence brusquement interrompue, o'est-A-dire, CI vivre parmi les siens. C'est donc bien moins une mohancet du mort que l'on redoute que son ignorance de sa nouvel1e condition, son refus de quitter K son monde 1). D'o toutes les prcautions que l'on prend pour empcher le mort de revenir au village: on prend un autre chemin au retour du cimetire pour garer l'me du mort, on quitte en t oute bt e la tombe et on se purifie en rentrant la maison, on dtruit au cimetire tous les moyens de transport (tralneaux, charrette, eto_ : et tout ceci servira aux morts dans 1eur nouveau pays), enfin on gard e quelques nuits de suite les voies menant au village et on allume des leu x (Harva, p. 282 sq.). Toutes ces prcautions n'empchent pas les mes des morts de rd er autour de leurs maisons trois ou sept jours (ibid., p. 287 sq.). Une autre ide se prcise en relation avec cette croyance: celle que les morts ne se dirigent dfinitivement vers ' -del q!!'.!!jlrs le banq_ uet lun? Ire qu on donne en 1 u onueur troi'h sept ou quar " te jours aprs le dcs (1). A cette oooasion, on leur olTre des victuailles et des boissons qu'on jette dans le feu, on se rend en visite au cimetj~re, on sacrifie le cheval prlr du trpass, on le mange prs de.la--tombe et on suspend la t te de l'animal un pieu qu'on fiche ensuite directement dans la tombe (Tatars Abakan, Beltires, Saga!, Karginz, etc. ; cl. Harva, p. 322 sq.). Or, cette occasion on procde une purification de la demeure du mort par un chaman. La crmonie comporte, entre autres, la recherche dramatique de l'me du trpass et son ex pulsion finale par le chaman (Tloutes, cf. Anochin, Materia/y, p. 20 sq. ; Harva, p. 324) . Certains chamans altalques accompagnent mme l'me du mort jusqu'aux Enfers et, pour ne pas tre reconnu des habitants des rgions infrieures, ils se barbouillent le visage avec de la suie (Radlov, Aus Sibirien, II , p. 55). Chez les Tongouses de Turushansk, on ne lait appel au chaman que dans le cas o le mort continue hanter les lieux lamiliers longtemps aprs les lunrailles (Harva, p.541). Le rle du chaman dans le complexe lunraire altaique et sibrien est olairement mis en relief par les coutu mes que nous venons de mentionner. Le chaman devient indispensable lorsque le mort tarde quitter le monde des vivants. Dans un t el oas, seul le chaman a pouvoir
(1) Ces croyances des ~euples altaIques onL Lrs probablement t inOuences I!ar le chris tianisme el l'ISlamisme. Les Tloutes appellent le banquet fu nraire qui a lieu sept ou quarante jours, ou un an aprs la mort, UziU pairamlJ : le nom mme de pairam traduit l'origine mridionale (persan bairam, !ete 1; HARVA , p. 323). On renco nLre aussi la co utume d'honorer le Ulort49 jours aprs le dcs, ce qUI aLtesL e une inOuence lamaIste (ibid ., p. 332). Mais il y a lieu de su!,poser que cesinfl uences mridionales se sont greffes sur ur e ancienne fL e dos morts, en changeant quelque peu sa significaLion car la veille du mort 1 est une co ulu me largemenL rpandue el a pour buL premier l'accompagnement symbolique du mort dans l'au-delll, ou a rciLaLion de l'itinraire inCernal Q,ue ce lui-ci doit suivre pour ne pas s'ga rer. Dans ce sens, le Li"re de. morts tibhaln d6noLe un taL de choses bien an trieur au lamalsme : au lieu d'accompagner le morL dans son voyage d'outre-tombe (co mme le chaman sibrien ou indonsien) , le lama lui rappelle tous les itinraires possible! pour un trpass (comme les pleureuses indonsiennes, etc. ; ct. plus bas, p. 342 sq.). Bur le nombre mystique 49 (7 X 7\ en Chine, au Tibet, el chelles Mongols, v. R. STBIN, ao-TcM (c T'oung-Pao l, XXXV, Leyde, 1940, p. 1-154), p. 118 Bq.

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de psychopompe: d 'une part, il co nnalt bien le chemin des Enfers, pour l'avoir fait lui ~mme bien des fois; d'autre part, lui seul peut capturer l'me insaisissable du trpass et la porter sa nouvelle rsi dence. Le lait que le voyage psychopompe a lieu l'occasion du banquet iunraire et de la crmonie de purification , et non pas imm diatem ent. aprs le dcs, sem ble indiquer que pendant trois, sept ou quarante Jours l'me du mort habite encore le cimetire, et que c'est seulement au bout de ce terme qu'eHe est cense se di riger dfiniti vernent vers les Enfers (1) . Quoi qu'il en soit, chez certains peuples (comme les Altalques, les Goldes, les Yurak) le chaman conduit les morts dans l'au-del la fin du banquet fun raire, tandis que chez d'autres (Tongouses), il n'est appel remplir ce rle de psychopompe que SI le mort, pass le t erm e habitue), continue de hanter les lieux des vivants. Si l'on tient compte du fait que chez d'autres populations pratiquant une sorte de chamanisme (comme p. ex., chez les Lolos) , le chaman est t enu de diriger tous les morts, sans distinction, leur deme~re, on peu~ co nclure qu' l'origine, cette situation tait gnrale en ASIe septentrIOnale et que certaines innovations (comme celle des Tongouses) sont tardives. Voici comment Radlov dcrit la sance organise pour conduire l'me d'une femme morte depuis quarante jou rs. La crmonie a lieu le soir. Le chaman commence par faice le tour de la yourte, tout en batt ant du tambourin; puis il pntre l'intrieur de la tente et s'approchant du leu, invoque la trpasse. Tout co up , la voix d~ chaman change : Il commence parler sur un registre aigu en vo ix de tte car, en ralit, c'est la morte qui parle. Elle se plaint de ne pas connatre le chemin, d'avoir peur de s'loigner des siens, etc., mais finit par accepter d 'tre conduite par le chaman, et les deux partent ensemble vers le domaine souterrain. A l'arrive, le chaman se voit refuser par les mes des morts l'entre de la nouvelle venue. Les prires res tent sans rsultat et on leur offre alors de l'eau-de-vie ' la sance , . . ' s amme ~ e u peu, Jusq u' devenir grotesque, car les mes des morts, par la VOlx du chaman, commencent se quereller et chanter toutes ensemble; la fin, elles acceptent de recevoir la dlunte. La de uxime partie du rituel reprsente le voyage de retour; le chaman danse et crie jusqu' ce qu'il tombe terre, inconscient (Radlov, Aus Sibirien, Il, p. 52-55). Le~ Goldes ont deux crmonies funraires: le nimgan, qui a lieu sept.Jours ou mme davantage (deux mois) aprs le dcs, et le kazataurt , la grande crmonie qui se clbre qu elque temps aprs la premire et qui s'achve par la cond uite de l'me aux Enfers. Durant le nimgan, le chaman en tre dans la maison du mort avec son tambou r cherche l'me, la capture et la fait entrer dans une sorte de couss~
(1) On lie!1dr~ comPote nanmoio:, ~u fait que pour la plupart des peuples lur'f:latars et Sibriens. 1 bom':'lc a troiS ames, dont tore au mOIllS reste touJours dans a -to mbe~f. ~. P luLSoN, Dii'j)rtmuwen 3eelenvorstellungen der nordeurasuchen V6lker, ell partlcuher p. 223 sq.; A. FR ieDRICH, D(UI Bewusstsein tints Natur"olkes "on IIa ushalt und Ursprun, des Lebens, p. 111 sq.

(fanja) (1). Suit le banquet, auquel prennen t part tous les parents et les amis du dlunt prsent dans le fanja; le chaman otTre de l'eaude-vie celui -ci. Le kazatauri commence de la mme faon. Le chaman revt son costume, saisit le tambour et part la recherche de l'me autour de la yourte. Pendant tout ce t em ps, il danse et raconte les difficults du chemin qui mne aux Enfers. Finalement, il capture l' me et la rapp orte dans la maison, o il la fait entrer dans le coussin (fanja). Le banquet se prolonge jusque tard dans la nuit et les victuailles qui restent sont jetes au leu par le chaman. Les lemmes apportent un lit dans la yourte, le chaman met le fanja dans le lit, Je couvre avec une co u verture et dit au mort de dormir. Lui-mme s'allonge dans la yourte et s'endort. Le lendemain, il revt de nouveau so n costume et rveille le mort au so n du tambour. Suit un nouveau banquet et, la nuit venue, - car la crmonie peut durer plusieurs jours -le chama n remet le fanja au lit et le recouv re d'une couverture. Finalement, un matin, le chaman commence son chant et, s'adressant au mort, lui conseille de bien manger mais de boire peu car le voyage de l'Enfer est extrmement difficile pou r un homme ivre. Au co ucher du soleil, on fait les prpa ratifs du dpart.. Le chaman chante, danse et barbouille son visage avec de la SUle. Il mvoque les esprits auxiliaires et les prie de les guider dans l'au-d el, lui et le dfunt. Il quitte quelques instants la yo urte et monte sur un arbre entailles qui a t pralablement dress : de l il voit de chemin de J'Enler. (Il vient en etTet d 'e'faIaa< J'Arbre du Monde et se. trou;e au sommet du .monde.) A cette occa~onJ il voit galement bien d autres choses: neige abond ante, chass;Aliboyeuse, heu reuse pche, etc. En rentrant dans la yourte, il appelle son aide deux puissants esprits protecteurs: butchu , sorte de monstre u n seul pied et figure humame avec des plumes, et koori, oiseau long cou. (Il existe aussi des fi gu rines en bois de ces tres mythiques; cl. Harva, fig. 39-40, p. 339. Le chaman les porte sur lui pendant la descente aux Enlers). Sans l'aide de ces deux esprits, le chaman ne pourrait point revenir de l'Enfer ; la part.ie la plus dure du chemin de retour , illa fait assis sur le dos du koon,. Apr.s avoir chamanis jusqu' l'puisement, il s'assoit, les yeux tournes vers l'Ouest, sur une planche q ui reprsente un traineau sibrien. On pose prs de lui le co ussin (fanja) , dans lequel est incorpore l'me du mort, et une co rb eille avec des victuailles. Le chaman prie les es prits d'atteler les chiens au traneau ct il demande aussi un va let pour lui tenir compagnie pendant le voyage. Et qu elques instants plus tard il est parti vers le pays des morts. Les chants qu'il entonne, les paroles qu'il change avec le l( vale t
(1) A l'or~gi~le, le t~ r me f4n~a ((all'a) signHiaiL om bre " me-ombre. ($chatunseele), mais 11 a fiRl par dsigner galement le rcep tacle matriel de l'me' cr 1 P" ULSON, Die. primiti~~n . Se!!'e""ors~!l/l ~tge", P; 120 sq. (d'aprs 1. A. LO'P";IN: G~ldy f!1,!HLrsk!e, ussun~sJ{le t sungarl)sku, Vladivostok, 1922). Voir a ussi O. R!a Dte Mlltge Htnterecke lm H auskult der Volker No rdosu uropas und Nordasiem (in Folklore FeUows Communications
l ,

LVII, 137, 19if9) , p. 179 sq.

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permettent de suivre son itinraire. Au commencement, le chemin est facile, mais les difficults se multiplient mesure qu'on approohe du domaine des morts. Un grand fleuve barre la route et il faut tre bon chaman pour russir faire passer l'quipage sur l'autre rive. Quelque temps aprs, on aperoit des signes d'activit humaine: traces de pas, cendre,s, morceaux de bois; c'est que le village des morts n'est plus trs lom. En efTet , on entend courte distance les chiens qui aboient, on distingue la fum e des yourtes, on rencontre les premiers rennes. Ils sont arrivs aux Enfers. Immdiatement les morts se rassemblent et demandent au chaman son nom et celui du nouveau venu. Le chaman se garde bien de dire son vritable nom; il cherche parmi la foule des esprits les proches parents de l'me qu'il amne, pour la leur confier. Il s'empresse ensuite de regagner la terre, et, une fois revenu, raconte longuement ce qu'il a vu au pays des morts et les impressions du trpass qu'il a accompagn. Il apporte chacun des assistants les salutations de leurs parents morts et il distribue mme des petits cadeaux de leur part. A la fin de la crmonie, le chaman jette le coussin (fanja) dans le feu. Ainsi prennent fin les obligations proprement dites des vivants l'gard du trpass (1) . Une crmonie semblable a lieu chez les Yurak forestiers, dans la Sibrie centrale, une grande distance des Goldes. Le chaman cherche l'me du mort et l'emmne avec lui aux Enfers. Le rituel se droule en deux temps: le premier jour voit s'achever la descente au pays des morts, le deuxime jour le chaman revient, seul, sur la terre. Les chants qu'il entonne permettent de suivre ses aventures. 11 rencontre un fleuve plein de morceaux de bois ; son espritoiseau jorra lui ouvre le chemin travers ces obstacles (qui sont vraise~blabl~ment les vieux s k~s, hors. d'usage, des esprits). Un deuxime fleuve est plein des dbrIS des VIeux tambours chamaniques, un troisime est rendu impratiquable par les vertbres cervicales des chamans morts. Jarra lui frayant la voie, le chaman arrive la Grande Eau audel de ' y mener l aquelle s' tend le pays des ombres. Les morts continuent la mme existence que sur terre: ]e riche continue d'tre riche, le pauvre reste pallvre. Mais ils redeviennent jeunes et se prparent renaitre sur terre. Le chaman conduit l'me au groupe de ses parents. Lorsqu'il rencontre le pre du mort, celuici s'crie: uTiens, mon fils est l 1. .. Le retour du chaman a lieu par un autre chemin et il est fertile en aventures. Le rcit de ce voyage de retour occupe une journe entire. Le chaman rencontre tour tour un brochet ' un renne , un . lIvre, etc., il les chasse et apporte sur terre de la chance la chasse (2).
(1) HARVA. Die nligi6,en YOfltellun~en, p. 33 .... 340. 345. d'aprs I. A. L OP ATIN, Goldy. et P. P. SHUU.ZWITCIJ. M atenaly dlja i.z.utcMnija ,hamansU>a u goldo" (Cha1896). L'essentiel du livre de SUIMKBWITCU a dj l co ndens dans 1 a rlIele de W. Ga uII!. D(U Schamanen'um bei!Un Golden (. Globus. 1891 vol 71 p. 8993). Crmonie se mblable chez les Tongouses; cf. SIIIROKOGOROV,' P,y'cho~ menlal Comple:t p. 309. Sur la crmonie tibtaine de la pro/'eCtion de l'me du m ~r" dans une clfigie afin de lui v iter' une rincarnation dans es mondes inlrieurs vOir plus bas, p. 343. ' (2) T. LalJTlSAJ.o, Entwur' einer Mythologi~ der JU1'a k-Samojeden (Helsinki 1921\ p. 133135. lbitkm, p. 135131 (les chansons rituelles des chamans samoydes:
~ aro.vsk ,

Certains de ~es thmes de descentes chamaniques aux Enfers sont passs dans la httrature oral e des peuples sibriens. C'est ainsi qu 'on raconte les aventures du hros bouriate Mu-monto qui descend aux Enfers la place de son pre et, revenu sur terre, dcrit les tortures des pcheurs (Harva, op. cit., p. 354355). A. Castrn a recueilli chez les Tatars de la steppe Sajan l'histoire de Kubaiko la jeune fille courage~se ~ui descend aux Enfers pour en rapporter' la tte de son frr~, de?aplt par. un monstre. Aprs maintes aventures, et aprs aVOir .assIst aux dIfTrentes tortures qui punissent les divers pchs, Kubalko se trouve devant le Roi de l'Enfer luimme Irle Kan Celuici lui permet de rapporter la t te de son frre si elle' sort victo: n euse d'une preuve: extraire du sol un blier sept cornes si profondment enterr qu'on ne distingue plus que les cornes. Kubaiko r ?ssit ]a prouesse et revient sur terre avec la t te de son frre et l'eau miraculeuse que le dieu lui a donne pour le ressusciter (1). . ~es .Tatars possdent une littrature considrable sur le sujet, mais Il s agl,t plutt de cycles hrorques o le personnage principal, entre bien d autres preuves, doit galement descendre aux Enfers (2). De t~lles de~ce ntes ne sont pas toujours de structure chamaniqlle _ c est-dIre fonde sur le pouvoir qu'a le chaman de se mler impunment aux mes des morts, de chercher aux Enfers l'me du malade ou d'y accompagner un trpass. Les hros tatars sont tenus de passer ce ~taines pr~u ves qui, comme nous venons de le voir propos de Kubatko, constituent un schma d'initiation hrorque faisant a.ppel l'audace,. au courage et la force du personnage.' Dans la l e~end e de Kub81ko, toutefois, certains lments sont chama niques : I ~ Jeune fille dcscer;d aux Enfers p0.ur..en rapporter la tte de son frre (3) , c est--d,I,:e son u ame , exactem~nt'comme le chaman rapporte des E~f~rs 1 am~ du ~mal~d e ; elle aSSIste aux tortures infern ales, qu'elle decrlt et qUl, merne mfluences par des ides de l'Asie mridionale ou du Proche Orient antique, recouvrent certaines descriptions de la topographie infernale que les chamans furent, partout dans le monde, les premIers communiquer aux vivants. Comme on aura l'occasion de le mieux voir par la suite, plusieurs des plus illustres voya~es aux Enfers, entrepris dans le but d'apprend re le sort des hu mams aprs la mort, sont de structure u cham anique l) en ce sens
Le~ Yuraks pensen t que ce ~la.ins cl'entre I~ hum ains n~ontent au Ciel aprs la mort. malS I ~u r nombre est trs hmlt el se rdUit ceux qUI onl l pieux et purs durant leur vie terrestre ( ibi~ ., p. 13~ 1 .. L'ascension clesle pos/morlem est atteste aussi dans les .contes : un Vieux, VyrllrJe Seerracleella, annonce il ses deux jeunes pouses q.ue I~ dl e ~ (N um ) l'appelle chez lui ct que le lendemain un fil de rer descendra du c,lel ; Il .grlmpera su~ ce fil jusqu' la demeure de Dieu (ibid., p. 139). cr. le ma tit de 1 ascenSIOn sur une ha~e, un arbre, unc charpe. etc., plus loin, p. 318 sq. (1) A. CASnKN, Nord,seM R eistm und Forschuncen, vol. III (Sl . Plersbourg 1853) p. 1ft 7 51" ' ~2) Voi r e bOl rsum qu'cn donnent H . M. et N. K. CUADWI CK. (d'aprs les tex tes e RADLOV et CUTRb) dans T~ GrowLh of Litera/ure, vol. Ill . p. 81 sq. Cf. aussi N . P OPPB, Zum khalkhamongol18c~n Heliknepos (f. Asia Major . vol V 1930 p. 1832 13). spc. p. 202 sq. (la geste de Dalot Khan). . ,., , (3) M ~ IIl ~ .. motir d'Orphe 1 chez les Mandchous. les Polynsiens et les No rdAmrlcu ms; cf. plus bas, p. 198 , 249 sq., 290 sq.

Le Chamanisme

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qu'ils utilisent la technique extatique des chamans. Tout ceci n'est pas sans importance pour la comprhension des u origines Il de ]a littrature pique. Lorsque nous essaierons d'valuer l'apport culturel du chamanisme, nous aurons l'occasion de montrer combien les expriences chamaniques ont contribu cristalliser les premiers grands

thmes piques (voir plus loin, p. 396 sq.) .


CHAPITRE VII

LE CHMIANISME EN ASIE CENTRALE ET SEPTENTRIONALE: n. GURISONS MAGIQUES. LE CHAl\IAN PSYCHOPOMPE

La principale fon ction du chaman de l'Asie centrale et septentrionale est la gurison magique. L'ensemble de cette rgion prsente plusieurs
conceptions sur la cause de la maladie, mais celle du rapt de l'me
.1

est de beaucoup prdominante (1). On attribue alors la maladie l'garement ou au vol de l'lne - et le traitement se rduit en somme A la rechercher, la capturer et lui faire rintgrer le corps du malade. Dans certaines rgions de l'Asie, la cause du mal peut tre l'intrusion d'un objet magique dans le corps du malade ou sa possession.
par des mauvais esprits; dans ce cas, la gurison consiste en extraire l' obj et nocif ou en expulser les dmons. Parfois, la maladie a une double cause : le vol de l'me, aggrav d'une possession par les mauvais es prits, et la cure chamanique comporte aussi bien la qute de l'me que l'expulsion des dmons.

videmment, tout ceci se complique du fait de la multiplicit des lnes. Comme t ant d'autres peuples primitifs - et spcialement les Indonsiens - les peuples nord-asiatiques esti}llnnt que l'homme
peut avoir jusqu' trois ou mme sept mes. (Sur tout ceci, voir 1. Paulson, op. cit., passim.) A la mort, l'une d'elles reste dans la tombe, une autre descend au Roy aume des ombres el une troisime monte au Ciel. Mais cette conception, qu'on trouve par exemple chez les Tchouktches et les Yukaghirs (2), n'est qu'une des nombreuses ides concernant le sort des trois mes aprs la mort. Pour d'autres peuples, une me au moins disparatt la mort, ou est dvore par les dmons, et c. (3) . Dans le cas de ces dernires conceptions, c'est prci(1 ) Cf. FORRRsT E . CU!lUI'tTS, Primitive Concep ts o( Dea., e (Univ. or Calirornia, Publica tions in American Arehaeologr and Ethnology, vol. 32, 1.932, p. 18525f,,), p. 1. 90 sq. Voir aussi I. PA ULS ON, Die p"imitiven Sunvorltellungen, p. 337 sq. ;

L . H ONIC.O, K"an lr.Mitsp,,~j ectife: U nte"suchung aber eine Il ,,t mliche K"afllr.Mil.le"lr.Ui"llfi g (in . Folklore F CUOW8 Com munications., LXX II, 178, 1959), p. 21. cr. BOGORAZ, The Chulr.chee, p. 332 ; JO CBELSON, TM Yukaghirs, p. 157. {a Sur les trois mes des Bouriate9, voir SA NDSC IIEJBW, W eltanschauunr und Schaman mu. , p. 51 8 sq., 933, etc. i la premire rside dans les os; la deuxime

(21

- qui rside probablement dans le sang - ~eut quitter le corps et circuler sous la forme d'une guO pe ou d'une abeille ; la trOIsi me, semblable en tout l'homme,

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sment l'me qui, la mort, ~st dvore par, le~ mauvais esprits ou descend au pays des morts, qUi, au cours de 1 eXlstence terrestre, pro vaque les maladies par sa Cuite. Seul le chaman peut entreprendre une t elle gurison car lui seul Il voit les esprits et sait comment les exorciser; lui se ul reconnait la fuite de l'me et est capable de la rejoindre, en extase, et de la rendre 80n corps. Bien des fois, la gurison im plique certains sacrifices, et c'est toujours le chaman qui dcide de leur ncessit et de leur forme; le recouvrement de la sant physique dpend troitement d'une restauration de l'quilibre des forces spirituelles car il arrive souvent que la maladie soit due une ngligence ou une omission l'gard des puissances infernales, qui participent, elles au~s~l . la sphre ~u sacr. Tout ce qui t ouche l'me et son aventure, ICI-bas et d an~ 1 au-del, est du ressort exclusif du chaman. Par ses propres expn ences prinitiatiques et initiatiques, il connait le drame de l'me ~wnaine, son instabilit, sa prcarit; il conn ait, en outr~, les forces qUlI~ mell:acell:t et les rgions o elle peut tre emporte. S.la cure chamaruque .mphque l'extase, c'est justement parce que la maladie est conue comme une altratjrJD ou une alination de l'me. Dans C6 qui va suivre, nous rapporte rons un certain nombre de sances de gurison, sans prtendre puiser l'abondante docu~entatio n runie et publie jusqu' ce jour. Pour rduire la monotome (car! au fond, la plupart des descriptions se ressem~l ent), n~us avons pris la libert de grouper les matriaux sans toujours t emr com pte de la continuit gographique ou culturelle.
RAPPEL ET QU NTE DE L'AME:

T . \.TARS,

BOURIATES , KIRGHIZES

Voici comment le chaman t loute appelle l'me de l'enfant malade:


Reviens dans ta patrie!. .. dans la yourte, prs du feu brillant!... Reviens auprs de ton pre, ... auprs de ta mre !. .. (Harva, Die

religiosen Vorstellungen, p. 268). Le rappel de l'me constitue chez certains peuples une tape de la gurison chamanique. Ce n'est que si l'me du malade refuse ou est incapable de rintgrer son corps que le chaman procde sa recherche et finit par descendre au Royaume des Morts pour la ramener. Les Bouriates, par exemple, connaissent aussi bien l'invocation de l'me que sa qute par le chaman. Chez les Bouriates de la rgion Alarsk, le chaman s'assoit sur une carpette prs du malade, entour de plusieurs objets parmi lesquels une flche: de sa pointe, un fil de soie rouge mne jusqu'au bouleau dress l'extrieur de la yourte, dans la cour. C'est par ce fil que l'me du malade est cense rintgrer son corps; pour cette raison, la porte de la yourte reste ouverte. Prs de l'arbre, quelqu'un tient
est une sorte de fantme. A la mort, la premire me reste dans le sQ.uelette, la deuxime est dvore Poer les esprits et la troisime se montre aux IlUm ~Hn s SOUfJ la forme d'un fantOm e (Ibid., p. 585). Sur les sept A.mes des Ket, cf. B. D. S UI Mlt I N, A Sketch of the Kel, p. 166.

un cheval i les Bouriates croient que le cheval est le premier percevoir le retour le l'me et le manifeste en se mettant trembler. Sur une table de la yourte, on dpose des gteaux, du tarasun, de l'eaude-vie, du tabac. Si le malade est vieux, on invite plutt des vieux assister la sance i s'il est adulte, on invite des hommes faits, et des enfants lorsqu'il s'agit d'un enfant. Le chaman commence pa r invoquer l'me: Ton pre est A, ta mre est B, tO D propre nom est C. O estu ? o estu alle 1... Triste est la yourte, etc. , Les assistants fondent en larmes. Le chaman s'tend longuement sur la douleur de la famill e et la tristesse de la maison. Tes enfants se demandent: o es-tu, notre pre ? Entends-les et aie piti d'eux; reviens 1. .. Tes chevaux se demandent: O es-tu, notre mattre? Reviens auprs de nous! " etc. (1). Ce n'est l, en gnral, qu'une premire crmonie. Si elle ne russit pas, le chaman renouvelle ses efforts dans un autre sens. D'aprs les renseignements de Potanin, le chaman bouriate procde une sance prliminaire pour tablir si le malade a gar son me ou si elle lui a t ravie et se trouve captive dans la prison d' Erlile Le chaman commence chercher l'me et, s'il la rencontre porte du village, la rintgration est Cacile. En cas contraire, il la cherche dans les forts, dans les steppes et mme au fond de la mer. S'il ne la trouve nulle part, c'est signe que l'me glt prisonnire d'Erlik et il n'y a plus qu' recou rir des sacrifices dispendieux. Erlik demande quelquefois une autre me la place de celle qu'il tient prisonnire et il s'agit d'en trouver une disponible. Avec le consentetileDt\ du malade, le chaman dcide quelle sera la ~ctime . Pendant le sO~"leil de celle-ci, il s'approche, transform en algie, et, lUi arrachant 1 tyne, Il descend avec elle dans le Royaume des morts et la prsente ' Erlik, qui lui permet d'emporter celle du malade. La victime meurt peu de t emps aprs et le malade se rtablit. Mais il ne s'agit que d' un rpit, car il mourra, lui aussi, trois, sept ou neuf ans aprs (2) . Chez les Tatars d'Abakan , la sance dure jusqu' cinq et six heures et comporte, entre autres lments, le voyage extatique du chaman dans des rgions lointaines. Mais ce voyage est plutt figuratif : aprs avoir longuement cham anis et pri le Dieu, pour la sant du patient, le kam quitte la yourte. Une lois de retour, il allume la pipe et raconte qu'il est aU jusqu'en Chine, qu'il a franchi montagnes et mers, pour chercher le remde ncessaire la gurison (3). On est ici
(1) HARv.\, op. cil., p. 268-272, d'aprs BARATov; cf.
S A.NDSC HEJ EW, JVelta~chauu".,

und Schaman umu8, p. 582-583. Sur la sance chamamque chez les Bouriates, vOir aussi L . S TIBDA , D48 Schama/Unthum untu den Burjiiten (e Olobus l, 1887, vol. 52), spc. p. 299 sq., 316 sq.; N. MEL NlltOV, Die elumaligen Men,elunopfer und der SchamanitmIU bei den B llrjaten de, irkut,l,clun Gouver/UfMntI (e Globus l , 1899,

vol. 75, p. 132 -134 ) ; W. SC lililDT , Der Ur$prung, X, p. 375-85 ; L. J{UDER , Burya~ Religion and Socuty, p. 330-33. (2) G. N. POTA NIN, Olcherki .e"ero-zapad1loj MonKolii, IV, p. 86-87 ; MU;HAlLOWI 1:1, Shamani.m, p. 69-70; cf. S AND SC HEJEW, op. cil., p. 580 sq. Voir aussi MI!:u AILOWSl:I, p. 127 sq. sur lea diverses tech niques de gurison bouriatcs. (3) H . von LA N!:B N AU , Die Schamanen und da.s Schama/Unwe'en (_ Globus t, XXII, 1872, p. 278-283 ), p. 281 sq. Sur les chan sons rituelles chez les Tlo utes, cf. MI. u uLOWU t, p. 98.

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en prsence d'un type bybride de sance chamanique, o la qute de l'me gare du malade .e transforme en un pseudo-voyage extatique ayant comme but la recherche des remdes. Le mme procd 8e retrouve l'extrmit nord-est de la Sibrie, chez les Tchouktches, o le chaman simule une transe d'un quart d'heure, pendant laquelle il est cens voyager extatiquement pour demander conseil aux esprits (Bogora., The Chukchee, p. 441). Le recours au sommeil rituel pour entrer en communication avec les esprits afin de gurir une maladie se rencontre aussi chez les peuples ougriens (voir plus bas). Mais, chez les Tchouktches, il s'agit plutt d'une dcadence rcente de la technique chamanique. Comme nous le verrons tout A l'heure, les t vieux chamans t entreprenaient de vritables voyages extatiques la recherche de l'me. Une mtbode hybride o la gurison chamanique se trouve dj transforme en crmonie d'exorcisme, est celle du baqa kazak kirghize. La sance dbute par l'invocation Allah et aux saints musulmans, et se continue par un appel aux djins et des menaces aux mauvais esprits. Le baqan'arrte pas de chanter. A un moment donn, les esprits prennent possession de lui et, pendant cette transe, le baqa se met marcher, les pieds nus, sur un fer rougi au feu)} et introduit plusieurs fois une mche allume dans sa bouche. Il touche le fer rougi avec la langue et, de son couteau, tranchant ainsi qu'un rasoir, il se porte des coups sur le visage, sans qu'aucune trace apparente ne subsiste . Aprs ces prouesses chamaniques, il invoque de nouveau Allah : 0 Dieul, donne le bonheur 1 Oh, daigne regarder me. larmes! Je sollicite ton secours l, etc. (1). L'invocation au Dieu suprme n'est pas incompatible avec la gurison chamanique, et nous la retrouvons en effet chez certains peuples de l'extrme nord-est de la Sibrie. Mais, chez les Kazak-Kirghizes, la premire place revient l'expul. sion des mauvais esprits qui ont pris possession du malade: pour y parvenir, le baqa se met en tat chamanique c'est-A-dire qu'il obtient l'insensibilit au feu et aux coups de couteaux; en d'autres termes, il s'approprie la condition de l' esprit t : comme tel, il a le pouvoir d'effrayer et d'expulser les dmons de la maladie.

LA SANCE CHAMANIQUE CHEZ LES OUGRIENS ET LES LAPONS

Lorsqu'il est appel pour une cure, le chaman treroyugan commence battre du tambour et joue de la guitare jusqu' ce qu'il tombe en extase. Abandonnant le corps, son me pntre dans les Enfers et se met la recherche de l'me du malade. Il obtient des morts la permission de la ramener sur la terre A condition de leur promettre le don d'une chemise ou d'autres objets; mais il lui arrive d'tre rduit des moyens plus violents. Quand il se rveille de son extase, le cha(1) CUTAOl'f!,!, MalU et exorcisme cMs 1 er XQ:&ak-Ki1',hes, p. 68 sq., 90 8Q 10f. .sq., 125 sq. \...1. aussi MIXIIAILOW!KI, p . 98 : le charnan cllcvauche longua'ment dans la steppe et, . son retour, frappe le malade avec le C ouet.

man tient l'me du malade enferme dan on poing et lui fait rintgrer le corps par l'oreille droite (1). Chez les chamans ostyaks d'Irtisch, la technique est sensiblement diffrente. Appel dan. une maison, le chaman procde des fumigatIOns et ddie une toffe Silnke, l'f:tre cleste .uprme. (Le sens originaire de siinke tait ~ lumineux, brillant; lumire .. j cf. Karjalainen, II, p. 260.) Aprs avoir jen toute la journe, le soir, il prend un bain, mange trois ou sept champignons et s'endort. Il se rveille brusquement quelques heures plus tard et, tout en tremblant, communique ce que les Esprits lui ont rvl par leur messager : l'esprit auquel il faut sacrifier, l'homme qui a compromis le succs de la chasse, etc. Le chaman retombe ensuite dans un profond sommeil et, le matin suivant, on procde aux sacrifices demands (2) . L'extase par l'intoxication de champignons est connue de toute la Sibrie. Dans d'autres rgions de la terre, elle a pour pendant l'extase provoque par les narcotiques ou le tabac, et nous aurons revenir sur le problme des valences mystiques des toxiques. Remarquons en aLtendant quelques anomalies dans le rite que nous venons de dcrire: on ofTre une toffe ]' Btre Suprme, mais on communique avec des Esprits et c'est eux qu'on offre des sacrifices ; l'extase proprement chamanique est obtenue par intoxication avec des champignons, un moyen qui permet d'ailleurs aux chaman es de tomber elles-aussi dans des transes analogues, la diffrence prs qu'elles s'adressent directement au dieu cleste Silnke. Ces contradictions trahissent un certain hybridisme dans l'idologie sousjacente aux techniques de l'extase. Comme):a dj observ Karjalainen (Ill, p. 315 sq.), ce type de chamanisme oug~en semble tre assez rcent et avoir t emprunt. Chez les Ostyak-Vasiugan, la technique cham nique est beaucoup plus complique. Si l'me du malade a t ravie p r un mort, le chaman enVOle un de ses esprits auxiliaires la chercher. Celui-ci prend l'aspect d'un trpass, descend aux EnCers. L, ren contrant le ravisseur, il 80rt soudainement de son sein un esprit ayant la forme d'un ours: le mort a peur et laisse s'chapper l'Ame du malade de sa gueule ou de son poing. L'esprit auxiliaire l'attrape et la rapporte son maUre, sur la terre. Pendant tout ce temps, le chaman joue de la guitare et raconte les aventures de son messager. Si l'me du malade a t ravie par un mauvais esprit, c'est le chaman lui-mme qui est oblig d'entreprendre le voyage de dlivrance, ce qui est beaucoup plus difficile (Karjalainen, Ill, p. 308 sq.).
(1 ) K. F. KARJALUNBN, Die Religion der Ju~ra- Volker, vol. Ill, p. 305. On recourt aux mmes moyens pour se procurer l'extase (tambour, guitare) quand on chamanise pour la chasse ou pour s'assurer des sacrifices que dsiren t les dieux (ibid. p. 306). Bur la recherche de l'me, voir ibid., vol. J, p. 31. ' 21 KARJALAINEN, III, p. 30.6. Une coutume similaire est a ttesle chez les 'fsingala Ost yak) : on offre des sacrlfl ces BAnke, le chaman mange trois cha mpignons et ~mb~ e~ transe. Les <:hamanes utilisont des moyens semblables i au moyen d'une in toxication de champignons, elles aboutissent l'extase, rendent visite Banke el rvlent alors en chanso ns ce qu'elles viennent d'apprendre de l'~tre Suprme lui-mme (ibid., p. 307). Cf. aussi JOCHELSON, The KO'1lak, vol. Il, p. 582-583.

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T ouj ours chez Jes Vasiugan, on cbamaoise encore de la manire suivante: le chaman s'assied dans ]e coin le plus obscu r de la maison et commence jouer de la guitare. Dans sa main gauche il tient une sorte de cuillre qui sert, par ailleurs, de moyen de divination. Il invoque ensuite ses esprits auxiliaires, qui sont au nombre de sept. Il dispose d'un messager puissant, la t Femme- rigoureuse-avec-Iebton ., qu 'il envoie, en volant, co nvoquer ses a uxilia ires. L 'un aprs l'autre, ce ux-ci se prsentent et le chaman se met raconter leurs voyages sous lorme de cha nts. Des rgions clestes de Mliy-junkkAn, on m'accorde les fillettes de May-junk-kn ; j'entends leur arrive des six rgions de la Terre, j'entends co mment la Bte-poilue-de-laGrande-Terre (= l'Ours) vient de la premire rgion so uterraine et atteint l'eau de la deuxime rgion . (A ce moment, il se met rem uer la cuillre.) De la mme manire, il dcrit l'arrive des esprits de la deuxime, de la troisime rgion souterraine et ainsi de suite jusqu' la sixime, et chaque arrive nouvelle est annonce par la cuillre. Ensuite, les esprits des diffrentes rgions cles tes se prsentent. Ils sont voqus, un par un , de toutes les directions: c De la rgion cleste des Renn es-Samoydes, de la rgion cleste des peuples du Nord, de la cit des princes des esprits des Samoydes avec leurs pouses, etc., etc . . Suit un dialogue entre tous ces esp rits qui parlent par la bouche du chaman - et le chama n. Cette opration se prolonge pendant toute une soire. Le deuxime soir a lieu le voyage extatique du chaman , accompagn par ses esp rits au xiliaires. L'audience est abondamment informe des pripties de cette diffi cile et dangereuse expdition: elle ressemble en tous poin ts a u voyage qu' entreprend le chaman pour co nduire au ciel l'me du cheval sacrifi (Karjal ainen, ibid., p. 310-317). Il n'est pas question d'une t 'possession du chaman par ses esprits auxiliaires. Comme le remarque Karjalainen (p. 318), ces derniers murmurent l'oreille du chaman tout fait de la manire dont les oiseaux. inspirent les bardes piques. c Le souffie des Esp ri ts vient dans le magicien _, disent les Ostyak septentrionaux j leur souffie " touche, le chaman, affirment les Vogoules (ibid.). Cbez les Ougriens, l'extase chamanique est moins une transe qu'un c tat d'inspiration t; le chaman voit et entend les esp rits j il est <c hors de lui parce qu'il voyage en extase dans les rgions lointaines, mais il n'est pas inco nscient. C'est un visionnaire et un inspir. L'exprience fondamentale est pourtant une exprience extatique et le principal moyen de l'obtenir reste, comme dans bea uco up d'autres rgions, la musique magico-religieuse. L'intoxication par les champignons produit, elle aussi, le co ntact avec les esprits, bien que d' une ma nire pass ive et brutale. Mais, nous l'avons dj remarqu, cette technique chamanique semble tre tardive et emprunte. L'intoxication reproduit d'une faon mcanique et subversive l' <c extase ., la * so rtie de Boi-mme : eUe s'efTorce d 'imiter un modle qui lui est an trieur et qui appartient un autre plan de rfrences. Chez les Ost yak de l'I niBBi, la gurison comporte deux voyages

ex tatiques : Je premier constitue plutt une rapide prospection et c'est au co urs du deuxi me, qui aboutit la transe, qu e le ch a~an pntre prolondment dans l'au-del. La sance dbute comme d' habitud e par l'invocation des esprits introd uits l'un aprs l'autre dans le tambour. Durant tout ce temps, le chaman chante et danse. Lorsque les esp rits sont arrivs il commence sauter en l'air: cela veut dire qu'il a quitt la terre et s'lve vers les nuages. A un certain moment il cri e : f J e me trouve trs haut et je vois l'Inissi sur une di stanc~ de cent verstes 1 Chemin faisant , il rencontre d'autres esprits et raco nte l'assistance tout ce qu 'il vo it. Puis, s'adressant l'esprit _ auxiliaire qui le porte dans les airs, il s'crie : f Oh, ma petite mouche, emporte-moi plus haut enco re, je veux voir encore plus loin!. ... Peu de temps aprs, le chaman, entour de ses esprits, retourne la yourte. Vraisemblablement, il n'a pas trouv l'me du malade ou il l'a vue bien loin 1 dans la rgion des morts. Pour la rejoindre, le chaman recommence sa danse jusqu' ce qu e la transe s'ensuive; touj ours port par les esprits, il quitte alors son corps et pntre dans l'au-del ' d 'o il revien t finalement avec l'me du malade (1). Pour ce qui est du chamanisme lapon, on se contentera d' une simple m ention car il a disp~ru ds le XVIII e sicle et, pnr sureroit, les mfluences de la mythologie scandinave et du christianisme dcelables dans les traditions religieuses lapones nous imposaient de situer leur tud e dans le cadre de l'histoire religieuse de l'Europe. D'aprs les auteurs du XVIIe sicle, confirms par le folklore, les chamans la pons pratiquaient leur sance tout nus, comme chez bea ucoup d 'autres populations arctiques, et ralisaient des vritables transes cataleptiques pendant lesquelles leur me tait cense descendre aux Enfers pour accompagner les trpasss ou chercher les mes des malades (2). Cette descente au Pays des Ombres commenait par un voyage extatique ver' une Montagne (3), comme chez les Altaques: la Montagne, on le sait, symbolise l'axe cosmique et se trouve par co nsquent au f Centre du Monde t . De nos jours, les magiciens lapons se rappellent encore les miracles de leurs anctres, qui pouvaient voler dans les airs, etc. (4). La sance comprenait des chants et des invo c~tion s au~ esprits j le tiilJo ur - dont on a remarqu qu'il portait des dessms semblables ce ux ) es tambours altaques - jouait
Probkm MS Schamanismu.t, p. 184, citan t V. I. ANujcni$cjskich tntjakop (St .-Pterbourg, 1914), p. 28.31 ; cf. aU~1 B. D. S ItI,"~I N! A Sketch of tM X et, or Yenissei O'tyak. p. 169 sq . Su r tout ce qUI co ncern e 1 Justolre culturelle de ce peuple, cf. Kai DONNER, Derge z;ur Prae nach dem Urspru nc Mr Jen isseiO,tj aken. Sur le chamanisme chez les SQyo tes habi tant la rgion du Inissi, voir V. DI6sUGI, Der W erdega nf zum & hamanen bei den nONJ~stlichen Sojoten .tin '. Acta ethnographica . , VII l, Budapest, 1959, p. 269-91 ) ; ,d., Tupa Shamam,m (m Acta ethnographlca. XI Budapest 1962 p. Ho 3-90). ., " (2) Cf. OHL MAR I:S, Studien zum Problem eUs Schamanisn u.t , p. 3ft, 50, 51 .176 sq. (descen le a ux En fers), 302 sq., 312 sq. (3) H. R. ELLIS, T,/u Road ta H el : a S ludy of lM Conception of tM Dead in Otd Norse 1,teratu.re (Cambridge, 19ft 3) , p . 90. (4) OHLlII.lUS, op. cit ., p. 57, 75.

(1) O ULIUU 5, Studn zum TCUIN, [)tchuk shaman$tva u

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LE CHAMANISME EN ASIE CE NTRALE

ET SEPTENTRI ONALE

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un grand rle dans la ralisa tion de la transe (1). On a essay d'expliquer le seidhr scandinave par un emprunt au chamanisme lapon (2). Mais, on au ra l'occasion de le voir, la religion des anciens Germains conservait assez d'lments qu'on pourrait co nsidrer comme chamaniques. pour qu'il ne soit pas ncessaire de faire intervenir les influences de la magie lapone (3).
SAN CES CHEZ LES O STY A KS, LE S YURAK S ET LES SAMOYD ES

Dans les chants ritu els des chamans ostya ks et y urak-samoydes, enregistrs par Tretjakov pendant les sances de gurison, on raconte longuement le voyage extatique entrepris au profit du patient. Mais ces chants ont dj acquis une certaine autonomie par rapport la cure proprement dite: le chaman exalte ses propres aventures au plus haut des cieux et dans l'au-del, et on a l'impression que la
1 ) Cf. MlI( HAT LOWS I.I , Shamanism in S i heria, p. 14.4 sq. Sur la divination par le tambour, cr. ibid., p. 148-149. Su r le magicien lapon de nos jours et son rolklore, voir T. I. ITI.ONBN, lIeidni&che Religion und spiitere,. Abuglaube bei den finnuchen Lappen, p. 11 6 sq. ; sur les rites de gurison ma-iqu e, d. J . QUIOSTAD, Lappuche Heilkunde (Oslo, 1932) ; R. KAR STEN, The R eligIon o( the Samek, p. 68 sq. (2 ) J . FRITZNER (Lappernes Herhnskap og Trol.dd4mskuTl8t ), en 1877 dj, et, plus rcemment, D. STRMSACJt (Sejd. T e:z:tstudier i nordisk religioTl8historia, Stockholm et Copenhague, 1935) j voir la discussion de cette thse dans OIl LMAR KS, Studien,

p. 310-50. (3 ) Le chamanisme hongrois avait soulev l'intrt du psychanalyste et ethnologue Gza R6 uEUI qui, deux a ns avant sa mort, publia son H ungarian Shamanum j ce mme problme est aussi abord dans so n ouvrage posthume, H ungarian and Vogul M ythology (e Monographs or the Am erican Ethnological Society ', X.x II l , New York, 1954; voir en particulier p. 8 sq., 48 sq., 61 sq.). R6heim considre l'ori_

gine aSia ti,\ue du chamanisme magyar comme vid ente . Assez curieusement, on en trouve es parallles les plus fra ppants chez les Samoydes, les Mongoloid es (Bou ria tes) , les tribus turques orientales et les Lapons, et non chez. les Ougriens (Vogouls et Ostiaks) , cousins ger mains des Magyars . (/Jungarian Shamanism, p. 162 ). En bon psycha nalyste, Rheim ne pouva it rsister la tentation d'expliquer 10 vol ct J' ascension chamaniques d' uno manire freud ienne: ... un rve de vol es t un rve d'rection, [c'est-A-dire que] dans ces rves le corps reprsento le pnis. Notre conclusion hypothitiqUl! serait qUI! le ,.~{)e du ,,01 est l'liment central du chamani,me J [c'est R6hei m qui souligne] (ibid., p. 154). R6heim soutient qu' il n'y a a ucune preuve directe que le wltos [c'est--dire le cho.man hongrois1 tombe en transe, (ibid ., p. 1(7). Cette affi rm ation est directement contredite par DI6sZEG I dans son tude sur Die berre.t.e de. Schamanismus in der ungarischen Volkskultur (in 1 Acta ethnographica " VII , Budapest, 1958, p. 97 135), p. 122 sq. Dans ce t article, l'auteur rsume le volume abondamment document et traitan t du mme problme qu 'il a publi en hongrois (A smanhit emlki a magyar npi m."elugben, Budapest, 1958). Di6szegi montre quel point le teillas hongrois diffre des fig ures, apparem ment sem blables, qu e l'on trouve dans les pays proches de la Hongrie, c'est--dire du solomonar rouma in, du planetnik polonais et du garabancias des Serbes et des Croates. Seul le uiUos fait l'exprience d' une sorte de 1 maladie chamanique , (Die berr~st.e, p. 98 sq.) , du long sommeil 1 (soit d'une mort rituelle) ou du 1 dmembrement inHiatique (i bid., p. 103 sq., 106 sq.) ; lIeul le uiltos subit une initia tion, possdo un costum e particuli er et un tambour et entre en ex tase (ibid., p. 11 2 sq. , 115 sq., 122 sq.). Com me tous ces lmen ts se retrouvent aussi chez les peuples turcs, finn o-ougriens et sibriens, l'auteur conclut quo le chamanisme reprsente un l ment magico-religieux qui a ppar tient la culture originaire des Magyars. Les Hongrois ont appo rt le chamanisme avec eux lorsqu'ils vinrent d'Asie dans le terri to ire qu'ils occupen t aujourd'hui. {Dans une tude sur l'extase du chaman hongrois, J nos Buizs insiste sur l'exprience de la , chaleur magique , ; d. A magyar saman riUet.e (rsum allemand: Die Elwas. de. ungarischen Schamanen) (in . Elhnographia J, LXV, 3-4. 1954, p. U6 ~ ~0 )) .

qu te de l'me du malade - le motif premier d' un t el voyage extatique - es t passe au second plan et a mme t oublie car l'obj et du chant concerne plutt ses propres expriences extatiques; il n'est pas difficile de reconnaitre en de tels exploits la rptition d'un mod le exemplai re : celui, notamment, du voyage initiatique du chaman aux Enfers et de son ascension a u Ciel. En effet, il raconte comment il s'lve au Ciel l'aide d'une corde spcialement descendue pour lui et com me il bouscule les toiles qui obstruent son chemin . Dans le ciel, le chaman se promne dans une barque et descend ensuite sur la terre le long d' une rivire, avec une rapidit telle qu e le ven t lui passe travers. Avec l'assistance des dmons ai ls, il pntre sous la terre: il y fait si froid qu'il demande un manteau l'esprit des t nbres, Ama, ou l'esprit de sa mre. (A ce point de son rcit, qu elqu'un des assistants lui jette un manteau sur les pa ul es.) Finalement, le chaman remonte sur terre et entretient chacun des assistan ts .de son avenir, et dclare aussi au malade que le dmon qui a caus son mal a t loign (1). On voit qu' il n'est plus qu estion d'une extase chamanique, impliquant l'ascension et la descente concrte, mais d'un rcit plein de souvenirs mythologiques et aya nt comme point de dpart une exprience qui prcde sensiblement ]e moment de la cure. Les chamans tazowsky ostyaks et yuraks parlent de leur vol merveiUeux travers des roses en fl eur j ils s'lancent si loin dans le Ciel qu'ils voient la toundra une distance de sept verstes; trs loin, ils aperoivent le lieu o leurs mattres ont fait jadis leurs tambours. (En efTet, ils aperoivent Je Centre du Monde .) Ils pa rviennent finalement au Ciel et, aprs maintes avent ures, pntrent dans un e hutte en fer o ils s'endorment, entours de nuages pourpres. Pour descendre sur terre, ils empruntent un e rivire; et le chant finit par un hymne d'adoration t outes les divinits en commenant par le Dieu du Ciel (Mikbailowski, p. 67). Maintes fois, le voyage extatique s'accomplit en vision : le chaman voit ses esp rits auxiliaires, sous la forme de rennes, pntrer dans les autres m ondes, ct il chante leurs aventures (2). Chez les chamans samoydes, les esprits auxiliaires remplissent une fonction plus c religieuse t que chez les autres populations sibriennes. Avant d' entreprendre une gurison, le chaman entre en contact avec ses esprits pour s'informer de la cause de la malad ie: si elle a t envoye par Num, le Dieu suprme, le chaman..reCuse de la tra iter, et ce sont ses esp.its qui montent alors a u Ciel demande. l'aide de Num (3). Ce qui
(1) P . I. TunA.Ko v, TUf'ukhaTt8kl Kraj, ego},iroda i jteli (St.-Ptcrsbourg, 1871), p. 217 sq. j Mll.llAILOWSIU , p. 67 sq.; SHIMIl IN, p. 169 sq. (2) LEIITI SAL O, Entwur{ einu Mythologie Mr Jurak- Samojerhn, p. 153 sq. (3) A. CASTRiN, Nordischc ReiSM und Forschungen. 11 ." R eisebcrichtc und Br iefe a us rhn Jahrctl / 846- 1849 (herausgogeben von A. Schicfn er, St .- Ptersbourg, 1856), p. 19!1 sq.; sur le chamanisme sa moyde, d. aussi W. SCUMIDT, Der Ur6p runc, III , p. 364-66. V. D I6 <;n GI, Denkmler fUr samojedllClum KulEur in Schamanismus rh. osuajanischen Vlilker (. Acta ethnographica ., XII , 1963, p . 139-178); P. HAJD U, V on der"Klauifikation rhr .amojedischen Schamanen (in V . D I!\ZeGT , d. GlaubensweU und Follclore der sibirischen Volker, Budapes t, 1968, p. 161-190). '

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ne veut pas dire que tous les chamans samoydes sont (( bons ~ j ,bien qu'ils ignorent la sparation entre les. chaman~ bl~ncs ,. et nOirs " on sait que cerla in s pratiquent aussI la magie nOIre et font le mal (Mikhailowski, p. 144). . . Les descriptions des sances samoy?es dont n?U8 disposons lal~. sent l'impression que le voyage extatIque est SOIt .. chan~ I, 8? lt excut par les esprits auxiliaires au nom du chaman. ParfOIS, le dta logue avec ses espri ts suffit au chaman pour appre~dre ~a .. volont des dieux . Tmoin la sance laqu elle Castrn avait aSSIst chez les Samoydes de Tomsk et qu'il a dcrite comme suit: l'assistance se groupe auto ur du chaman, en ayant so~ d'viter la porte que ~elUl.Cl regarde fixement. Il tient dans sa malll gau che un bton qUI porte une extrmit des signes e t des figurin es mystrieux. Dans sa ~am droite il tient deux fl ches la pointe tourne vers le baut ; la pomte d e chacun e porte un e clochette. La sance dbute par un chant qu e le chaman entonne tout seul en s'accompagnant des deux flches clochettes qu'il frappe rythmiquement sur le bton. C'est l'vocation des esprits. Ds que ceux-ci arri vent, le chaman se lve et comme.nc~ danser avec des mouvements aussi difficiles qu'ingnieux. MaiS il poursuit' son chant et continue fr~pper le,. bton: Il reproduit, e.n chantant, le dialogue avec les esprIts, et 1 mtenslt du chan t s~t l'intrt dramatique de la conversation. Quand le chant attemt son paroxysme, l'assistance commence chanter e~ ch ur. Aprs avoir reu de ses esprits la rponse toutes ses questIOns, le chaman s'arrte et comm unique l'assistan ce la volont des dieux (Castrn, op . cit. , p. 172 sq.). . 11 existe, bien entendu, de grands chamans qUI entreprennent en transe le voyage extatique la recherche de l'me du malade : tmoin le chaman y urak-samoyde Ganjkka, observ par Lehtlsalo (Entwur{, p. 153 sq.). Mais, ct de tels maltres, on trouve une proportion apprciable de visionnaires _, qui reo ivent l.es InstructIon s des dieux et des esprits en rv e (ibid., p. 145), ou qUI font appel l'intoxication au moyen de champignons pour apprendre, par exem ple, la modalit d'une gurison (ibid., p . 164 sq.). En tout cas, on a l'impression nette que les vritables transes chamamques sont plutt rares et que la majorit des sances co mportent seulement un voyage extatique entrepris par les esprits ou le rcit fabuleux d'aventures dont on connalt dj le prototype mythologique (1). Les chamans samoydes pratiquent aussi la divination l'aide d'un bton marqu de certains signes et qu'on jette en l 'ai~: on lit l'avenir dans la position du bton retomb terre ..Ils font ~uss~ m?Dtre de prouesses spcifiquement chamaniques : se laissant h ~r, ll~ mvoquent les esprits (dont les voix animalesques s'entendent bICntot dans la yourte) et, la fin de la sance, on les tro uve dlis de leurs cordes.
(1) Pour le co mplexe culturel samoyde, cr. Kai DONNER , Zu du iill~awi BeriJhrung zwisCMn Samoje(kn und TiJrken~ C Journal de la Socit Finno-Ougr.lenne .1, vol. 40,

Ils se tailladent avec des couteaux et se frappent brutalement la tte, etc. (cf. p. ex., Mikhailowski, p. 66) . On renco ntrera continuellement, propos des chama ns d'autres populations sibriennes et mme de peuples non-asiatiques, les mmes faits qui participent en quelque sorte du fakirisme. Tout ceci n'est pas , chez le chaman, simple jeu de vantardise ou brigue de prestige. Les. miracles. ont une affinit organique avec la sance chamanique : il s'agit, en effet, de raliser un tat second qui se dfinit par l'abolition de la co ndition profane. Le chaman justifie l'authenticit de son exprience par les miracles. qu'elle rend possibles.
CHAMANISME CHEZ LES YAKO UTES ET LES DOLGANS

Chez les Yakoutes et des Dolgans, la sance chaman ique com porte gnralement quatre tapes: 10 l'vocation des esprits aux ~liaires ; 20 la dcouverte de la cause du mal, le plus souvent un esprit mauvais qui a vol l'm e du malade ou s'est introd uit dans so~ corps; 3 0 l' expulsion du mauvais esprit par des menaces, des brUits, etc. ; et enfin 4 l'ascension du chaman au ciel (1). , Le problme le plus diffi cile rsoudre est de dcouvrir les causes de la maladie, de connaitre l'esprit qui tourmente le patient, de dterminer son origine, sa situation hirarchique, sa puissance. La crmonie comprend donc touj ours deux parties: d'ahord on appelle du ciel les esprits protecteurs, on invoque leur aid e pour connatre les causes du malheur, et ensuite vient la lutte contre l' esprit ennem i ou contre l'or t . Suit obligatoirement le voyage au Ciel (2) . La lutte avec les mauvais esprits est dangereuse et, la longue, elle puise le chaman . Nous sommes tous destins tomber au pouvoir des esprits, disait le chaman Tspt Sieroszewski j les espri ts nous dtestent, car nous dfendons les hommes ... , (op. cit., p. 325). En efTet, bien souvent le chaman est oblig, pour extra ire les mauvais esprits du malade, de se les incorporer lui-mme j en se les incorporant, il se dbat et soulTr. plus que le patient mme (Harva, op. cil., p . 545-46). Voici la description classique donne par Sieroszewski d'une sance chez les Yako utes. Elle a lieu le soir, dans la yo urte, et les v oisi ns sont invits y prendre part. , Quelquefois, le maltre de la maison confectionne deux nuds coulants avec de solides co urroies: le chaman se les attache aux pa ules et les autres personnes en tiennent les extrm its pour le retenir dans le cas o les esprits tenteraient de l'enlever (3) . Le chaman regarde fixement le feu du foyer: il bille,
H AnvA, Die rdigiaen Vora/dlungen, p. 545, rs V1TASHBVSltlJ ; Y OC IIZL SON, The Yaleu!, p. 120 sq. (2) S IBRO SUWS U, Du chamanisme d'aprs . les croy?nces des Yaleoutca, p. 3 24 .

(1)

d'j'

nl> l, 1924, p. 1-2 t,,); A. O.UiS, Ko -, Schii(kl- und LanglenocMnop{er bel Renher"lJlkern, p. 238 sq. ; W. SC UI(I DT, Der "prung, III, p. 334 sq.

La contradiction enlre les affirmations de VltashcvsklJ (sance en quatre tapes) e l Sieroszewski (c deux parties ., suivies du voyage Cles te) n'cst qu'apparenle : en tail les de ux observateurs disent la mme chose. (a) SIB'ROSZ8WItI, p. 326. Cet usage se ~en?Onl~ chez. plusieurs popu~alio ns ~ib riennes el arctiques, bien qu'avec des slgnl flcalions diffrentes. Po rtols, on he le

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il pousse des hoquets spasmodiques, il est seco u par intervalles de tremblements nerveux. Il endosse son costume chamanique et se met fum er. Il bat tout doucement du tambour. Peu de temps aprs, son visage plit, la t te lui tombe sur la poitrine, ses. yeux sc ferm ent demi. On tale au milieu de la yourte une peau de jument blanche. Le chaman boit de l'eau fralche et fait des gnuflexions aux quatre points cardinaux tout en crachant de l'eau droite et gauche. Le silence rgne dan~ la yourte. L'aide du chaman jette quelques poils de cheval sur le (eu qu'il recouvre ensuite comp!te~ent de cendres. L~obscurlt devient alors complte. Le chaman s assoIt sur la peau de jument et rve tourn vers le Sud . Tous retiennent leur so uffie. Tout co up retentit, on ne sait pas o, un cri a igu, intermittant, pntrant comme le grincement de l'acier, et tout retombe dans le silence. Puis, nouveau cri; tantt en haut, tan tt en ba~, tanLt d~vant, tantt derrire le chaman se font entendre des brUIts myst rIeux des billements nerveux, effrayants, des hoquets d'hystriques j on croirait entendre le cri plaintif du vanneau, ml au croassement d ' u~ faucon qu'interrompt le siffiement de la bcasse : c'est le chaman qUi crie ainsi en variant les intonations de sa voix. 1) Tout d'un coup il s'arrte; le silence rgne de nouveau, sauf un faibl e hourdonnement, pareil celui d'un moustique. Le chaman commence hattre d u tambour. Il murmure un chant. Le chant, le battement du tambour s'amplifient en crescendo. Bientt le chaman mugit. < On entend le croassement des aigles auquel se mlent les plaintes des vanneaux, les cris .per~nts des bcasses e~ le/ efram des coucous . La musique s'lve Jusqu au paroxysme, pUlS s mterrompt brusquement pour ne plus laisser entendre que le bourdonnement des moustiques. L'alternance des cris d'oiseaux et des silences se renouvelle plusieurs lois. Finalement, le chaman change le rythm e de son tamhour et entonne son hymne. Le puissant taureau de la lerre, le cheval de la steppe, Le puissant taureau a mugi 1 Le cheval de la steppe a frmi 1 J e suis au-dessus de vous tous, je suis homme 1 Je suis l'homme dou de tout! Je suis l'homme cr par le Seigneur de J'In fini! Arrive donc, 0 cheval de la steppe, et enseigne 1 Sors donc, taureau merveilleux de l'Univers, el rponds 1 0 Puissant Seigneur, ordonnez 1. .. etc., ele. 0 Dame ma Mre, montre-moi mes erreurs et les routes que c J'ai suivre 1 Vole devan t moi, suivant une large route; Prpare-moi mon chemin 1 . . 0 Esprits du Soleil qui demeurez dans le Midi sur les neuC coll mes boises 6 Mres de lumire vous qui connaissez la jalousie, je vous implor~ : que vos trois omb'res se tie nn eJ~t bien haut, .~ien haut 1 Et toi l'Occident sur ta mon lagne, Selgneur mon Aleul la force redoutable, au co~ puissant, sois avec moi 1 etc .

La musique reprend de plus helle et a tteint son paroxysme. Le chaman invoque ensuite l'aide de l'iimiigiit et de ses esprits familiers. Ceux-ci n'obtemprent pas immdiatement: le chaman les supplie, ils t ergiversent. Parfois, ils a rrivent si brusquement que le chaman en t omhe la renverse. Alors les assistants font retentir un hruit de ferraille au-dessus de lui en murmurant: Le fer solide retentit - Jes nuages capricieux tourbillonnent, de nombreuses nues se sont leves 1 A l'arrive de l' tmagtt, le chaman se met sauter; il fait des gestes rapides et violents. Il s'installe finalement au milieu de la yourte, on rallume le feu et le chaman recommence ba ttre du tambo ur et danser. Il s'lance en l'air, une hauteur qui atteint parfois quatre pieds (1). Il crie en dlire. , Puis nouvel arrt: il entonne alors d'une voix grave et basse un hymne solennel. Suit une danse lgre pendant laquelle il chante sur un mode plutt ironique ou, au contraire, maudit : tout dpend des tres dont il imite la voix. Finalement il s'approche du malade et somme la cause de la malad ie de S8 r etirer ; < ou hien il enlve le mal, le porte au milieu de la salle et sans interrompre ses im prcations, il le chasse, le crache par la bouche, le pousse co ups de pieds, le chasse de la main en souillant. (2). C'est alors que commence le voyage exta tique du chaman qui doit convoyer au ciel l'me de l'animal sacrifi. A l'extrieur de la yourte on plante trois arbres branchs ; celui du milieu est un houleau l'extrmit duquel on a fix un alcyon mort. A l'est du houleau on plante un pieu avec un crne de cheval au bout. Les trois arbres sont relis entre eux par un fil en poil de cheval. Entre les arbres et la yourte on dispose une petite table et sur la table une cruche contenant de l'eau-de-vie. Le chaman se met faire des mouvements qui imitent le vol d' un oiseau. P etit petit, il monte au ciel. Le chemin a neuf stations et chacune d'elles le chaman fait des ofTrandes l'esprit local. Au retour de son voyage extatique, le chaman demande tre purifi. avec du feu (charbons brlants) sur une partie de son corps (pied, cuisse, etc.) (3). Bien entendu, la sance chamanique yakoute prsente nombre de variantes. Voici comment Sieroszewski dcrit le voyage cleste. Alors on aligne avec soin de petits sapins choisis d'avance a uxquels
(1) Il s'agit videmment d'une. ascension ) ex tatique au Ciel. Les chamans es~u i maux Hahakuk essaient, eux aussi, d'atteindre le ciel par les sauts rituels en 1air (RAS ai USSI!N , cit par OHLMARX:S, Studien, p. 131 ). Chez les Men ri de Kelantan, les medicine-men bondissent en l'air tout en chantant et en lana nt un miroir ou un collier vers Karei, le dieu suprme (Ivor EVANS, SCMbella on tM Sacerdo- TMrapy of llu Semang, p. 120) . (2: ) SUROSZBWSK T, D u chamanilme, p. 326-330. Certains savants ont mis des doutes sur l'authenticil des textes liturgiques enregis trs par ST EROSUWSK I ; cf. JO CHRLIION, The Yak ut, p. 122. (3) H uVA, op. cil., p. 547. Le sens de ce ri te es t pou clair. Kai DONNER affirme que les Samoydes a ussi puri fien t leurs chamans avec des charbons ardents au terme de",la sance (HARVA, ibid.). On purifie vraisemblablement la partie du corps par laq uclJe ont t. absorb . les mauvais esprits qui malFenaient le malade' mais &!o~, p'o~rquoi la pur~ficatio~ du. cha!Dan au re ~ur dj:! s~n voyage cleste?.. N~ s agirait-li pas, en ralit, de 1 ancien rlte chamamque de Jouer avec le feu .? (voir plus loin p. 368 sq.).

il finit toujours par

chaman pour qu'il ne s'envole pas; chez les Samoydes et.les Esq uima ux, au contraire, la chaman se laisse lier pour montrer ses puissances maglques car, pendant la sance , dlier. avec l'aide des esprits .

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on attache de, guirlandes de crins de cheval blanc (les chamans n'en emploient pas d'autres); puis on plante trOl,S pot~a~x, ahgns en ordre portant leur sommet des reprsentatIOns d oiseaux : sur le premier se trouve le oksokjou deux ttes ; .8~r le deuxime, le g~a~a nour (kougos) ou bien un corbeau; sur le trOisime un coucou (kogo). Au dernier poteau, on attache la bte offerte en sacrifi ce. Une c~rde fixe en baut reprsente la route vers le ciel par laquelle vont s envoler les oiseaux et qu e suivra la bte , (Sieroszewskl, ,bid. , p. 332) . A chaque reposoir (oloh), le chaman s'assied et se repose; quand il se relve c'est signe qu'il reprend 80n voyage. Il reprsente ce voyage par des 'mouvements de danse et de, gestes qui imitent le vol de l'oiseau: La danse figure toujours un voyage dans les alTS en compagnie des esprits ; quand on conduit la bte expiatoire il faut g.alement danser. D'aprs la lgend e, il existait nag~re des cha~an8 qUI s'e~vo laient rellement vers le ciel, et les assistants voyaient un ammal voguant dans les nues, suivi du ~ambourin chamanique j le ?harr;an lui-mme tout vtu de fer fermaIt le cortge. t. Le tambourm, c est " " disent les chamans. (ibid., p. 331; VOIr . P1us h au t, notre cheval p. 148). La peau, les cornes et les sabots de l'animal sacrifi sont ex poss sur un arbre dessch. Sieroszewski a trouv bien souvent les vestiges de tels sacrifices dans des lieux dsertiques. Tout prs, parfois sur le mme arbre, , on peut dcouvrir un kotchai, longue fl che de bois, plante dans le tronc dessch. EUe joue le mme rle que la corde avec les poignes de cheveux de la crmome prcdente. EUe indique la partie du ciel o doit se rendre la victime , (ibid.,.p. 332-33) . Toujours d'aprs le mme auteur, le chaman arrachaIt Jad iS .de sa propre main le cur de l'animal s8crifi. et l'levait vers le ?lel. Il barbouillait ensuite de sang son propre visage et son costume, lim age de son iimiigiit et le, petites figurines en bois des Esp rits (ibid. p. 333)(1). Ailleurs, on plante 9 arbres proximit desqu~ls on fixe ,un pieu porta nt un oiseau son sommet. Les ar~ res et .le pieu s?nt relIs entre eux par une corde qui monte, signe de 1 ascenSiOn au CICI (Harva, op. cit., p. 548). Chez les Dolgans aussi on trouve les 9 arbres, por~ant chacun un oiseau de bois leur extrmIt et ayant toujours la merne signification: le chemin du chaman et de l'me de l'animal sacrifi vers le Ciel. De fait, chez les Dolgans aussi les chamans escaladent les 9 cieux l'occasion de la cure. D'aprs leurs dires, devant chaque nouveau ciel se trouvent des esprits gardiens qui ont mission de B urveiller le voyage du chaman et d'empcher en mme temps l'escalade des mauvais esprits (2).
(1) Nous avons afTaire dans ce cas un sacrifice forlem en t mtiss : o~ ran~e symbolique du cur l'trc Cleste et libation de sang aux puissa.nccs mfrleures (sj aadai, etc.), Mme rituel cruel chez les ch aman~ a~aucans ; vOir plus bas, p. ~63. (2) HAIlVA, op. cit., p. 5109. Voir d'autres descriptions de la sance .chamanlque yakoutc dans J . G. GNEL IN, Rese durch S ibirien, (Io n dem Jahr 1733 b18 1731, t. Il Gttingcn, 1752) , p. 349 sq. ; V. L. P1UItLOWSKIJ, Dai Scha"~a'tenthum du Ja huten Min der Wiener Anthropologische GesellschaCt J , XVIll, Vienn e, 1888, p. 165-82 : c'est I ~ traduction allemande de l'tude 0 shamans' "e u jahuto", parue en 1886 dans

Dans cette sance chamanique longue et mouvemente, un se ul point reste obscur: si l'me du malade a t ravie par les mauvais esprits, pourquoi est-il indispensable que le chaman yakout~ entreprenne le voyage du ciel? Wasiljev a propos l'explication SUi vante: le chaman emporte l' me du malade a u ciel pour la purifier de la souillure provoq ue par les mauvais esprits (cf. Harv8, op. cit., p. 550). De son ct, Trotchshanskij a affirm que, parmi les chamans de sa connaissance, aucun n'entreprenait le voyage aux Enfers : tous, l'occasion de leurs cures, n'utilisaient que l'ascension au ciel (Harva, p. 551). Ceci prouve la varit des t echniques chamaniques et la prcarit de nos informations j trs probablement, les descentes aux Enfers, plus dangereuses et plus secrtes, taient plus difficilement accessibles aux observateurs europens. Mais il est hors de doute que les voyages aux Enfers taient galement connus des chama ns yakoutes, au moins de certains d'entre eux, car leur costume comporte un symbole du (1 Trou de la Terre., nomm justement (1 Trou des Esprits t (abasy-oibono) et par lequel les chamans pouvaient descendre dans les rgions infrieures. En outre le chaman yakoute est accompagn dans ses voyages extatiques par un oiseau aquatique (mouette, grbe) qui symbolise justement l'immersion dans la mer, c'est--dire une descente aux Enfers (Harva, ibid.). Enfin, le lexique technique des chamans yakoutes utilise deux termes diffrents pour dsigner les directions du voyage my,tique : alLara kyrar (vers les esp rits d'en bas ,) et sa kirar (vers les, esprits d'en haut, ; cf. Harva, p. 552). D'ailleurs, Wasiljev avait aussi remarqu que, chez les Yakoutes et les Dolgans, le chaman qui cherche l'me du malade drobe par les dmons se comporte comme s'il plongeait, etles Tongouses, les Tchoukt.ches et les Lapons parlent de la transe chamanique comme d'une immersion t (Harva, ibid.) . Nous retrouverons le mme comportement et la mme technique extatique chez les chamans esquimaux car nombre de populations, et. fortiori les populations maritimes, situent l'Au-del dans les profondeurs de la mer (1). Pour comprendre la ncessit d u voyage cleste des chamans yakoutes, l'occasion de la cure, il faut tenir compte de deux choses: d' une part, de l'tat complexe et mme confus de leurs conceptions religieuses et mythologiques, et, d'autre part, du prestige des ascensions clestes chamaniques dans toute la Sibrie et l'Asie Centrale. Comme no us l'avons vu, ce prestige explique pourquoi le chaman altaque finit par emprunter certains traits caractristiques de la
les Izvetija VostotchnoSibirskago Otdela Russgago Geografitcheskago Obsh tcheslva J, XVII, 1.2, Irkoutsk, 1886). Il existe galement un long ~~um anglais du gros livre de SIEROSZEWSK I, Yahuty (St.-Ptersbourg, 1896) : Wllham O. SUMNEil, TM Ya huts. Abridged [rom lM Rus6an of Si~rOluw.hi (. Journal of the Anthropological Ins titute of reat Dritain _, vol. 3t, 1901, p. 65-110) i les p. 102-08 sont consacres au chamanisme (d'aprs YakulY, p. 621 sq.). Cf. W. JOCHELSON, TM Yahul, p. 120 sq. (d'aprs VITASHBVSKIJ). Voir la discUSSion dans W. SCHMIDT, Der UrspruliK. XI, p. 322-29; cr. ibid., p. 329-32 sur la cure chamanique de la st rilit des femmes. (1) Mais, ainsi qu'oll le verra par la suite, jamais ~clusivemellt : ce rtains. lus et privilgi s _ montent au Ciel ap rs le ur mort. \ Le Chamanisme 1;j

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technique ascensionnelle l'occasion de sa descente extatique B:ux

En[ers (toujours pour dlivrer l'me du malade de l'emprtse, d'Erlik Khan). . , . Pour ce qui est des Yakoutes, on p~urralt par c?ns~uent s ~~ giner les choses peu prs de la faon s,Ulvante : du [aIt qu on sacrlflalt des animaux aux f:tres clestes et qu on mdlqualt, par des symboles sensibles (flches, oiseaux en bois, corde mont.a!'te, etc.) la direction que prenait l'me de la victime, on a fini par utilIser le cbama~ comme guide de cette dernire dans son voyage cleste ; et parce qu'il accompagnait l'me de l'animal sacrifi l'oecasio.n ~e la cure,. on ~ pu
croire que cette ascension avait comm e objet prlllClpalla . purIficatIOn.

SANCES CHAMANIQUES CHEZ LES TONGOUSES ET LES OROTCH IS

Le chamanisme tient une place considrable dans la vie religieuse


des Tongouses (1) . On se souvient que le terme mme de chaman.

de l'me du malade. En t out cas, sous sa [ofllle prsente, le rituel de


cure chamanique est hybride; on sentqu'ils'estconstitu sous l'influence

de deux techniques diffrentes: 1 la recherche de l'me gare


du malade ou l' expulsion des mauvais esprits et 2 l'ascension au

ciel. Mais il faut aussi tenir compte d'un autre fait: en dehors des rares cas de spcialisation infernale .. (desce~te~ exclusives D:ux Enfers), les chamans sibriens sont capables aUSSI bien des ascenSIOns clestes que des descentes dans les rgions infrieures. No~s ~~o~s vu ~ue cette double t.echnique tient en quelque sorte de leur lllltiatlOn merne : e.n effet les rves initiatiques des futurs chamans comportent la fOlS des descentes (= souffrances et mort rituelles) et des ascensions (= rsurrection). Dans ce contexte, on conoit facilement la ncessit o se trouve le chaman yakoute, aprs avoir lutt contre les mauvais esprits ou aprs tre descendu aux Enfers pour rcuprer l'me du malade, de rtablir son propre quilibre spirituel en rptant l'ascension cleste. Remarquons, ici encore, que le pres.tige et l~ puissan~e du cha~an drivent exclusivement de sa capaCIt extatIque. Il s est substItu au prtre dans les sacrifices qu'on offrait l'~t:e c~lest~, mais po.ur lui comme pour le chaman altaque, cette sub stl~utIOn, s est trad~lte par un changement de la structure mme du flte : 1 offrande s est transforme en une psychophorie, c'est--dire en une crmome dramatique base d'expriences extatique. C'est toujours ses capacits mystiques que le chaman doit de pouvoir dcouvrir et combattre les mauvais esprits qui se sont empars de l'me du malade: il ne s.e contente pas de les exorciser, il les intgre dans son propre corps, Il les, possde " les tourmente et les expulse: tout cela parce qu' il participe leur nature, c'est-A-dire est libre de quit.ter son corps, de se dplacer des distances considrables, de desce~dre .aux En!ers, de monter aux Cieux, etc. Cette mobilIt et cette hberte ,splfltuelles., qui nourrissent les expriences extatiques du chaman, le rendent en mme temps vulnrable et, nombre de fois, A force de lutter avec les mauvais esprits, il finit par tomber sous leur emprise, c'est-A-dire il finit par tre rellement e possd .

est tongouse (Saman) , quelle que soit l'origine de ce vocable (voir plus lorn, p. 385 sq.). Il est trs probable, comme l'a montr Shirokogorov et comme nous aurons A le redire, que le chamanisme tongouse, au moins sous sa [orme prsente, a t [ortement influenc par des ides et des techniques sino-lamaistes. D'ailleurs, ainsi que nous l'avons soulign plusieurs [ois, des influences d'origine mrid;onale sont prouves pour l'ensemble du chamanisme central-asiatique et sibrien. On verra un autre endroit comment il faut se reprsenter l'expansion des complexes culturels mridionaux vers le Nord et le Nord-Est de l'Asie (c[. p. 387 sq.). De toute manire, le chaman;sme tongouse prsente aujourd'hui une physionomie complexe; on peut y dceler nombre de traditions diffrentes dont la coalescence a produit parfois des [ormes nettement hybrides. Ici aussi on constate une certaine e dcadence, du ohamanisme, dcadence atteste un peu partout dans l'Asie septentrionale: les Tongouses comparent notamment la [oree et le courage des, anciens chamans, la pusillanimit des chamans actuels, qui, dans certaines rgions, n'osent plus entreprendre la prilleuse descente aux Enfers. Le chaman tongouse est appel exercer son pouvoir en de multiples occasions. Indispensable la gurison - soit qu'il cherche l'me du malade, soit qu'il exorcise les dmons - il est, d'autre part, psychopompe; il porte les sacrifices au Ciel ou aux En!ers, et, en particulier, il lni incombe de garantir le maintien de l'quilibre spirituel de la socit tout entire. Les maladies, la malchance ou la strilit menacent-elles le clan, ce sera au chaman de diagnostiquer la cause et de rtablir la situation. Plus que leurs voisins, les Tongousesinclinent accorder une assez grande importance aux esprits, Don seulement aux espri ts du monde infrieur, mais encore aux esprits de ce monde-ci, auteurs virtuels de toutes sortes de dsordres. C'est pour cela qu'en dehors des moti!s classiques de la sance chamanique, - maladie, mort, sacrifices aux dieux - les chamans tongouses entreprennent des sances, et spcialement de e petites sances. prliminaires, pour une multitude d'autres raisons qui impliquent cependant toujours la ncessit de connattre eL de matriser les esprits t. Les chamans prennent galement part un certain nombre de sacri(1) Cf. J. G. GlfELIN, Reisedurch Sibirun,lI, p. 44-46, 193-195, etc. ; MIKOAILOWSE.I p. 64.-65, 97, etc. ; S. SUIROKOGOII.OV, Gene,.al TMory of ShamanSffl among lM Tun: gus (. Journal of tho North-Ch ina Dranch of the RoyaI Asiatc Society " vol. 54. ShanghnT, 1923, p. 246-2(9); id., Northun TungWJ Migrations in the Fa,. Erut (ibid., vol. 57, 1926, p. 123-183) ; id., Versuch eine1" Erforschung dei" Grundlagen tUs Schamatunlums bei chn Tungwen (. Baessler-Archiv " vol 18, II , 1935 I? 41-96

trad. allemande d'un article paru en russe Vladivostock, en 1919) ; et spc'alemeni la grande synthse de BIIIBOJ;OGOROV, Psychomenkll Comple% of tM TU1I8U1. Cf. aussi W. SC IIMIDT, Der Urspru ng, X, p. 578-623.

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ficee. Le sacrifice annuel qu'on offre aux esprits d'un.chama~ consti~ue,

en outre un grand vnement religieux pour la tribu entire (Shlrokogorov: Psychomental Comp lex, p. 322 sq.). Et les chamans s~nt, hien entend u, indispensables dans les rites de chasse et de peche
(ibid.). 1 Les sances qui comportent une d escent~ aux ,En ers peuventAetre entrep rises pour les motifs suivants: 1) 8acrl~ces a pOl'~er ~ux anc~tres et aux morts des rgions inlrieures ; 2) qu ete et restitutIOn de 1 me du malade; 3) conduite et intgration dans le pa;,'s des ombres des trpasss qui ne veulent pas quit~er ce monde (,bid., p. 307). Malgr l'abondance des occasions la cermome est assez rare car elle est rpute dangereuse et peu de chamans osent l'affronter (,i~id:, p. 306). Son nom technique est orgiski, litt . dans la directIOn d org' , ,(rgIOn infrieure occidentale lt). On ne se rsout a entreprendre l orgLSkl. qu'aprs ~n e sance prliminaire de petit cha~anisme . Par exemple, on constate une srie de troubles, de maladies ou de mal~eurs au sein de la tribu j le chaman, pri d'en trouver I~ cause, ~'~nco rpore un esprit et apprend le motif pour leque~ les esprits des reglOn.s 1Olrieures ou les morts et les mes des ancetres provoquent le desq Ullibre; il apprend galement le sacrifice qui pourrait les a paiser. On dcide alors de procder au sacrifice et la descente mlernale du chaman. Un jour avant l' orgiski, o~ runit les ?bjets dont le cham~n se servira dans son voyage extaLlque; parmi eux fi gure I!.n..IillJ.LI:a!l.ea.u sur lequel le cham~traversera la ~er .e lac Bakal), une sorte de lance pour briser les rochers, des petlts objets reprsentant deux o ur~ et deux sangliers, qui soutiendront la barque .en cas d~ naufr~ge et qUI Irayeront un sentier travers la lort paisse de 1 au-dela, . quatre petits poissons qui nageront devant la b~rqt~e , une . ldole qUl r~pr sente l'esprit auxiliaire du chaman ~t qm l'aidera . porter le sacrifice, diffrents instruments de purificatiOn, etc. Le sOir de la sance, le chaman revt son costume, bat du tambour, chante et invoq~e le feu. la. Terre Mre. et les t anctres. auxquels on offre le sacrIfice. Aprs' des fumigations, on procde la divination: les. yeux ferms, le chaman jette en l'air la baguette de son tambour j SI elle retombe l'envers, c'est un bon signe. . ., . La deuxime partie de la crmome db ute par le saCrifice de 1 ~m mal, gnralement un renne. On barbouille avec. son sang l es obj ets exposs; la viande sera prpare plus tard. Des pieux sont mtrodUlts dans le wigwan, leur sommet sortant par le trou de fume. Un l?ng fil relie les pieux aux objets expos~s dehors sur la platelorme ; c est le, chemin> pour les esprits (1). C e~ diverses dlSpoSltlOns prises, le~ assistants se rassemblent dans le w~gwan. Le chaman commence a battre du tambou r, chanter et danser. Il saute en l'air de plus en
(1) On se rend compte qu'il s'agit ici d'une contamination avec le .voyage chamanique au Ciel, dont n,ous donnerons plus loi~ de,s ~xempl es. car les pieux mergeant I?ar le trou de fUI.ne slmbolisent, on .le salt, 1 axu fttund, le long duquel on achemmc les sacri fices Jusqu au plus haut ctel.

plus baut (1). Ses assistants reprennent en chur avec les spectateurs, le refrain du cbant. Il s'arrte un instant, boit un verre de vodka , lume quelques pipes et reprend la danse. Peu peu, ils 'chauffe jusqu' ce qu'il tombe sur le sol, inanim, en extase. S'il ne reprend pas ses sens, on l'arrose trois fois avec du sang. Il se lve et commence parIer d'une voix aigu, rpondant aux questionscbantes quelui adressent deux, trois personnes. Le corps du chaman est maintenant habit par un esprit, et c'est ce dernier qui rpond sa place car le chaman, lui, se trouve dans les rgions infrieures. Quand il revient, tout le monde salue avec des cris de joie son retour du monde des morts. Cette deuxime partie de la crmonie dure environ deux heures. Aprs une interruption de deux ou trois heures, c'est--d ire l'aube, on procde la dernire phase, qui ne se distingue pas de la premire, et durant laquelle le chaman remercie les esprits (Shirokogorov, p. 304 sq.) . Chez les Tongouses de la Mandchourie on peut sacrifier sans l'assistance des chamans. Mais seul le chaman peut descendre dans les rgions inlrieures et en rapporter l'me du malade. Cette crmonie comporte eUe aussi trois moments. Lorsqu'on dcouvre, par une sance prliminaire de petit chamanisme t, que l'me du malade est rellement captive aux Enfers, on sacrifie aux esprits (sven) pour qu'ils aident le chaman descendre dans les rgions in frieures. Le chaman boit du sang et mange de la chair d e l'animal sacrifi et, s'tant ainsi incorpor l'esprit, il aboutit l'extase. Cette premire phase acheve, commence la deuxime: le voyage mystique du chaman. Il atteint une montagne du ct nord-ouest et la descend vers l'autre monde. Les dangers se multiplient mesure qu 'il approche de l'Enfer. Il rencontre des esprits et d'autres chamans, et se dfend de leurs fl ches avec son tambour. Le chaman chantant toutes les pripties du voyage, les assistants peuvent le suivre pas pas. Il descend par un petit trou et passe trois rivires avant de rencontrer les esprits des rgions inlrieures. Finalement, il atteint le monde des tnbres et les assistants lont des tincelles avec des pierres lusil : ce sont les c clairs. grce auxquels le cbaman pourra voir son chemin. Il retrouve l'me et, aprs des lutte. ou des ngociations prolonges avec les esprits, il la ramne au prix de mille difficults sur terre et lui lait rintgrer le corps du malade. La dernire partie de la crmonie, qui a lieu le lendemain ou quelques jours plus tard, constitue une action de grces aux esprits du chaman (Shirokogorov, p. 307). Chez les Rennes-Tongouses de Mandchourie, on garde le souvenir d'un c temps jadis. ou l'on c chamanisait vers la terre ., mais, actuellement, aucun chaman n'ose plus le laire (ibid.). Chez les Tongouses nomades de Mankova, la crmonie est dilTrente : on sacrifie, la nuit, un bouc noir, dont on ne mange pas la viande j en atteignant les rgions infrieures, le chaman tom be sur le sol et reste une demi-heure immobile. Pendant ce temps, les assistants sautent par trois fois sur
(1) Encore un indice de la confusion avec l'ascension cles te : les sauts en l'ait

signifient le

vol magique '.

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le feu (ibid., p. 308). Chez les Mandchous galement, la crmonie de la t descente au monde des morts . est assez rare. Pendant son long sjour, Shirokogorov n'a pu assister qu' trois sances. Le chaman invoque tous les esprits - chinois, mandchous et tongouses - leur explique le motif de la sance (dans le cas analys par Shirokogorov, la maladie d' un enfant de huit ans) et demande leur aide. Il se met ensuite battre du tambour et, s'tant incorpor Bon esprit particulier, le chaman tombe sur le t apis. Ses assistants lui posent des questions, et on comprend d'aprs ses rponses qu'il se trouve dj dans les rgions infrieures. L'esprit qui le. possde , tant un loup, le chaman se comporte en consquence. Son langage est diffioile comprendre. Nanmoins, on saisit que la cause de la maladie n'tait pas imputable l'me d'un mort, comme on l'avait pens avant la sance, mais un certain esprit qui demande, en retour de la gurison, qu'on lui fasse un petit temple (m'ao) et qu'on lui ofTre rgulirement des sacrifices (ibid., p. 309). Une descente semblable dans le monde des morts, est raconte dans le pome mandchou NiSan saman, que Shirokogorov considre comme le seul document crit sur le chamanisme mandchou. L'histoire est la suivante: au t emps de la dynastie des Ming, un jeune homme, fils de parents riches, va la chasse dans les montagnes et trouve la mort dans un accident. Une chamane, Nisao, dcide de rapporter son me et descend au monde des morts J. Elle rencontre nombre d'esprits, entre autres celui de son mari dfunt, et, aprs maintes pripties, russit regagner la terre avec l'tune du jeune homme qui ressuscite. Le pome - que tous les chamans mandchous connaissent - ne donne malheureusement que trs peu de dtails sur le ct rituel de la sance (Shirokogorov, p. 308). Il a fini par devenir un texte littraire " qui se distingue des pomes tatars analogues par le fait qu'il a t enregistr et difTus sous forme crite il y a dj bien longtemps. Son importance est nanmoins considrable car il dmontre quel point le thme. descente d' Orphe, est proche des descentes chamaniques aux Enfers (1). Toujours avec le mme but de gurison, on trouve des voyages extatiques en sens contraire, c'est-A-dire comportant une ascension cleste. Dans ce cas, le chaman dispose 27 (9 X 3) jeunes arbres et une chelle symbolique sur laquelle il commencera son ascension. Parmi les objets rituels prsents, on remarque de nombreuses figurines d'oiseaux, une attestation du symbolisme ascensionnel bien connu. On peut entreprendre le voyage cleste pour bien des raisons, mais la sance dcrite par Shirokogorov avait pour objet la gurison d'un enfant. La premire partie ressemble la prparation d'une sance de descente aux rgions infrieures. Par le petit chamanisme, on apprend le mom ent exact o dayatchan, A qui l'on demande de restituer l'me de l'enfant malade, est dispos A recevoir le sacrifice. L'animal
rican Folklore., vol. 46, 1933, p. 272286), p. 273 sq. ; A. H ULTK.RANTZ, Tiu No1'th American lndian Orpheu8 Tradition (Stockholm, 1957), p. 191 Bq.
(1)

- dans ce cas un agneau - est abattu rituellement: on lui arrache le cur et on recueille le sang dans des vases spciaux, en ayant soin qu'aucune goutte ne tombe terre. La peau est ensuite expose. La deuxime partie de la sance est entirement consacre la ralisation de l'extase. Le chaman chante, bat du tambour, danse et saute en

l'air, tout en se rapprochant de temps en temps de l'enfant malade. Il passe ensuite le tambour son assistant, boit de la vodka, fume et reprend la danse jusqu' ce qu'il tombe terre extnu. C'est le signe qu'il a quitt 80n corps et vole vers le Ciel. Tous se pressent autour de lui, et son assistant, comme pour les descentes aux rgions infrieures produit des tincelles avec une pierre fusil. Ce genre de sance peut se drouler aussi bien le jour que la nuit. Le chaman utilise un costume assez sommaire et Shirokogorov pense que ce type de sance com portant l'ascension au ciel a t emprunt aux Bouriates par les Tongouses (op. cit., p. 310-11). Ce qui semble vident, o'est le caractre hybride de cette sance: bien que le symbolisme cleste soit dment illustr par les arbres, l'chelle et les fi gurines d'oiseaux, le voyage extatique du chaman trahit une direction contraire (les tnbres, qui doivent tre claires pa r les tincelles) . D'ailleurs, le chaman ne porte pas l'animal sacri fi Buga, l' ~tre Suprme, maisaux esprits des rgions suprieures. Ce type de sance se rencontre chez les Rennes-Tongouses de Transbakalie et de Mandchourie, mais il est inconnu chez les groupes tongouses de la Mandchourie septentrionale (ibid. , p. 325), ce qui confirme l'hypothse de l' influence bouriate. Out~e ce~ deux grands types de san?es chamaniques, les Tongouses connaIssent plusleurs autres formes qUI n'ont pas de relations prcises avec le mo~de d'en bas ou d'en haut, mais concernent les esprits de ce monde-cl. Leur but est de matriser ces esprits, d'loigner les mauvais, de sacrifier aux esprits qui pourraient devenir hostiles, etc. videmment, nombre de sances sont motives par des maladies car on suppose que certains esprits les provoquent. Pour identifier l'auteu.r du trouble, le chaman s'incorpore son esprit familier et feint de dormir (mdiocre imitation de la transe chamanique), ou s'efforce d'vo quer et d'incorporer l'esprit auteur du mal dans le corps mme du ma. lade (ibid. , p. 313), car la multiplicit des mes (il en existe trois: ibid., p. 134 sq. ; 1. Pa ulson, Die primiti"en SeeleMorstellungen, p. 107 sq.) et leur instabilit rendent parfois difficile la tche du chaman. Il s'agit d'identifier laquelle des tunes a quitt le corps et de la chercher ; dans ce cas, le chaman rappelle l'tune par des formules toutes raite~ ou par des chants, et il s'efforce de la rintgrer au corps en esqUIssant des mouvements rythmiques. Mais il arrive parfois que des esprits se soient installs dans le malade; le chaman les expulse alors l'aide de ses esprits familiers (1). L'extase joue un grand rle dans le chamanisme tongouse propregalement la
( 1 ) S HI ROItOGORO':, P sychomental Compl~:z:, p. 318. Les chamans tongouses pratiquent succIOn; c r. lIh KIlA IL OWSX: l, p. 97; S HIROK:O COROV, op . Ctt., p. 3t 3.

cr. aussi Owen LUTlll on,

Wulakai Tales (rom Mafl churia (c Journ al of Ame.

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LE CHA MANISME EN ASIE CENTRALE

ET SEPTENT RI ONALE

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ment dit; la danse et le chant (1) sont les moyens les plus usits pour y aboutir et la phnomnologie de la sance tongouse rapp elle cn tout les sances des autres peuples sibriens : on entend les voix des esprits; le chaman devient trs .. lger . et peut sauter en l'air avec son costume qui pse parfois 30 kg ; le patient sent peine le chaman marcher sur ,on corp' (Shirokogorov, ibid., p. 364) - ce qui ,'explique par le pouvoir magique de lvitation et de , vol . (ibid. , p. 332); le chaman prouve une grande chaleur pendant la transe et peut, de ce fait, jouer avec la braise et le fer rougi; il devient tota lement insensible (il se blesse profond ment, par exemple, sans que le sang coule), etc. (ibid. , p. 365). Tout ceci, on le verra mieux pa r la suite, fait partie d' un ancien hritage magique qui survit encore dans les coins les plus reculs du monde et qui a prcd les influences mridionales qui ont tant contribu donner au chamanisme tongo use son aspect actuel. Il nous suffit, pour le moment, d'avoir brivement indiqu les deux traditions magiques dcelables dans le chamanisme tongouse : le C ond, qu'on pourrait appeler .. archaque t, et l'apport mridional sino-bouddhi,te. Leur importance se rvlera quand nous essayerons de retracer les grandes lignes de l'histoire du chamanisme en Asie centrale et septentrionale. On rencontre une forme similaire de chamanisme chez les tribus Orotchi et Udehe. Lopatin donne une longue description de la sance de guri,on des Orotchi d'Ulka (sur le lIeuve Tumnin) (2) . Le chaman commence par une prire son esprit-gardien car lui, le chaman, est faible, mais son esprit est t out-puissant et rien ne peut lui rsister. Il danse neuf reprises autour du feu, puis entonne un chant adress 80n esprit. Tu viendras l, lui dit-il. Oh!, tu viendras ici! Tu auras piti de ces pauvres gens, etc. , Il promet du sang frais son esprit qui, d'aprs les quelques allusions qu 'il fait, semble tre le Grand Oiseau du Tonnerre . Tes ailes de fer !. .. Tes plum es de fer rso nnent quand tu voles 1. . Ton bec puissant est prt sa isir tes ennemis 1. . Cette invocation se prolonge une trentaine de minutes et le chaman l'achve p ui,. Tout d' un co up, il crie d'une voix diffrente: c Je suis ici!. .. J e suis arriv pour aider ces pauvres gens !. .. t Le chaman touche l'extase; il danse autour du reu, il tend ses bras, tout en gardant son tambour
(1 ) D'aprs J. Y.uSER, Musical Mom~nts in th~ Shamanistic Rites of the Siberian Pagan Tribes (1 Pro-Musica Quarterly . , New York, mars-juin 1926, p. 4-15, cit par SlI lun KocoRoV, p. 327), les mlodies tongouses rvlent une origme chinoise, ce qui confirm e les hypothses de SHIII. Oli:OCOROV concernant les fortes influences sino-Iamaistes sur le chamanisme longouse. Cf. aussi H. H. C HRI STENSEN, K. GRONBECII , E . EM S Hf!:IMBR , The MlUic of the Mon go18. Part J : Eastern ltfongolia (Stockholm , 1943), p. 13-38, 69-100. Sur certains complexes. sudiques. chez les Tongouses, voir aussi W. KOPPBRs, TunglUen u.nd M iao (e Mitteil ungcn der Anthropologischen Gesellschaft in Wien . , vol. 60, t 930, p. 306-3 19). (2) Ivan A. LOPATI I'I, A Shaman&tic Performance fol' li Siclr. Boy (e Anthropos ., vol. 41 -MI, 1946-194 9, p. 365-368) ; cf. id., A Shamani&tic Performance to Regain the F'a"our of the Spirit (ibid., vol. 35-36, 1940-19o't1, p. 352-355 ). Cf. aussi Bronislav PIL5U DSIO, Du Shamanismu& bei den Ainu-Stiimmen "on Sachalin (e G10 bus ., 1909, vol. 95, p. 72-78).

et son bton, et crie de nouvea u: J e vole!... Je vo le !. .. J e vais t'atteindre l. .. J e vais te saisir. Tu ne pourras pas m'chapper!. ... Comme on l'expliqua plus tard Lopatin, cette danse reprsentait le vol du chaman dans le royaum e des esprits o il chassait le mauvais esprit qui avait emport l'me du garon malade. Suit un dialogue plusieurs voix maill de mots incomprhensibles. Finalement, le chaman s'crie: Je l'ail J e J'ail. et , serrant les mains comme s'il avait pris quelque chose, il s'approche du lit o glt l'enfant malade et lui rend son me car, ainsi que le chaman l'expliqua le lendemain Lopatin il avait captur l'me de l'enfant sous la form e d' un moineau. ' L'intrt de cette sance consiste en ce qu e l'extase du chaman ne se traduit pas par une transe, mais est atteinte et se poursuit durant la danse qui symbolise le vol magique. L'esprit protecteur semble tre l'Oiseau du tonnerre ou l'Aigle, qui joue un si grand rl e dans les mythologies et les religions de l'Asie septentrionale. Ainsi donc, bien qu e l'me du malade ait t ravie par un mauvais esprit, celui-ci n'est pas chass, comme on s',! serait attendu, dans les rgions infrieures, mais trs haut dans le C,el.
LE CHAMANISME YUKAGHIR

Les Yukaghir connaissent deux termes pour dsigner le chaman: a'lma (du verbe. fai re . ) et i'rkeye, litt . celui qui tremble.(1). ,j 'lma traite les malades, ofTre des sacrifi ces, prie les dieux pour une chasse heureuse, et entretient des rapports aussi bien avec le monde surn aturel qu'avec le Royaume des Ombres. Dans les temps anciens son rle tait srement plus important car toute, leBtribus yukaghi; font re~o nter leur origine un chaman . Jusqu'au sicle dernier , on vnralt enco re les crnes des chamans morts : on les enchssait dans un e figurine en bois qu 'on gardait dans une boite. On n'entreprenait rien sans procder la divination par les crnes ; on utilisait pour cela la mthode la plus commune dans l'Asie arctique : la lourd eur ou la lgret du crne qui quivalait respectivement un non, ou un oui t, et on respectait la lettre la rponse de l'oracle. Le reste des os tait rparti entre les parents et on desschait la chai r pour la mieux conserver. On levait aussi des hommes-e n-bois t la mmoire des anctres chamans (Jochelson, op. cil., p. 165). Lorsqu'un homme meurt, ses trois mes se sparent: l'une d'elles reste prs du cadavre, la deuxime se dirige vers le Pays des Ombres la troisime monte au Ciel (Jochelso n, p. 157). II semble bien qu e cett~ dernire ai1le rejoindre le Dieu suprme, qui porte ]e Dom de Pon li tt. Quelque chose, (ibid., p. 140). De toute manire, la plus impor: tante parai t tre l'me qui se transforme en ombre. Elle rencontre en chemin une vieille remme, gardienne du seuil de l'au-del puis elle arrive devant UDe rivire qu'elle traverse dans une barqu e: Dans le Royaume des Ombres, le trpass continue de mener la mme exis(1) Waldemar JOCRELSOl'f, The Yukaghir and Yuha ghiriud TungUJI, p. 162 sq.

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animaux-ombres

ten ce qu'il avait sur terre, auprs de ses proches, occup chasser des J . C'est dans ce Royaum e des Ombres que le chaman descend pour chercher l'me du malade. Mais il y pntre une autre occasion aussi: pour y fi voler 1 un e me et la Caire naitre ici-bas en l'introduisant dans le ventre d'une femme, car les morts reviennent sur t erre et y commencent une nouvelle existence. Mais, parfois, lorsque les vivants oublient leurs devoirs l'gard des trpasss, ceux-ci refusent de leur envoyer des mes - et les lemmes n'engendrent plus. Alors le chaman descend au Royaume des Ombres et, s'il ne russit pas convaincre les morts, il vole une me et l'introd uit de lorce dans le corps de la lemme. Mais, dans ce cas, les enfants ne vivent pas longtemps. Leurs mes ont hte de retourner au Royaume des Ombres (1). On r encontre quelques vagues allusions une ancienne division des chamans en bons et mauvais f, de mme que la mention de chamanes aujourd'hui disparues. Chez les Yukaghir, il n'y a a ucun e trace de parti cipation des lemmes ce qu'on a appel le chamanisme fam ilial, domestique ., qui survit encore chez les Koryak et les Tcho uktches, et qui permet aux lemmes de garder les tarnhours lamiliaux (voir plus loin, p. 206). Mais, dans les temps anciens t oute lamille yukaghir possdait son propre tambour (Jochelson, op. cit. , p. 192 sq.), ce qui prouve que certaines crmonies, chamaniques . au moins taient pratiques priodiquement par les membres de la maison. Parmi les diverses sances dcrites par JochelsoD, et qui ne sont pas toutes intressantes (voir, p. ex., ibid. , p. 200 sq.) on se co ntentera de rsumer la plus importante qui a pour but la gurison. Le chaman s'assoit par terre et, aprs avoir longtemps tambourin, invoque ses esprits protect eurs en imitant des voix d'animaux: Mes anctres, s'crie-t-il, venez prs de moi. Pour m'aider, approchez-vous mes jeunes filles-esprits 1 venez ici! ... ) Il recommence tambouriner et, .se dressant avec l'aide de son assistant, s'approche de ]a porte et aspire prolond ment, pour avaler de la sorte les mes des anctres et les autres esprits qu 'il vient de conjurer . L'me du malad e, sembl e-t~il, s'est dirige vers le Royaume des Ombres l J, annoncent, par sa VOlX, les esprits des anctres. Les parents du patient l'encouragent : Sois lort! sois lort! , Le chaman dpose son tambour et s'tend plat ventre sur la peau de renne; il reste immobile, signe qu'il a qui tt son corps et voyage dans l'au-d el. Il est descendu au Royaume des Ombres c travers son tambour comme s'il avait immerg dans un lac, (2). Il reste longtemps sans bouger et tous les assistants attendent patiemment son rveil.
(1 ) JO CHU SON', ibid., p. 1 60. (Mme concep tion ~ 'u n 1 ternel retou~ des A.~es des morts en Indon6sie et ailleurs.) Pour dcouV1'lr quel anctre vemnt de se rmcarner, les Yukaghir pratiquaient autrefois la d!vination par ,les os des .chamans : on prononait les noms des mor ts, et l'os devenait lger lorsqu on tombait sur celUI qui s'tait rincarn. De nos jours encore, on rcite les noms devant le nouveaun, et celuici sourit quand il entend le vrai (ibid., p .. 1 ~1) . . . (2) Ibid., p. 197. Le tambour s'appelle d'ailleurs yalgll, 1 mer. (&bl., p. 195).

Le chaman raconta ensuite son voyage extatique Jochelson. Accompagn par ses esprits auxiliaires, il avait suivi le chemin qui mne au Royaume des Ombres. Il arriva devant une petite maison et renoontra un chien qui se mit aboyer. Une vieille femme, gardienne du chemin, sortit de la maison et lui demanda s' il tait venu pour toujours ou pour quelque temps. Le chaman ne lui rpondit pas et s'adressant ses esprits: N'coutez pas, dit-il, les paroles de la vieille! Continuez votre chemin 1 & P eu de temps aprs, ils arrivrent une rivire. Une barque se trouvait l et, sur l'autre rive, le chaman aperut des tentes et des hommes. Toujours accompagn de ses esprits, le chaman monta dans la barque et traversa la rivire. Il rencontra les mes des parents morts du malade et, entrant dans leur tente, il y dcouvrit aussi l'me du malade. Les parents relusant de la lui livrer, le chaman lut oblig de la prendre de lorce. Pour pouvoir la rapporter sans risques sur la terre, le chaman aspira l'me du malade et se bOU4 oha les oreilles pour l'empcher de s'chapper. Le retour du chaman se manifesta par quelques mouvements qu'il fit. Deux jeunes filles lui massrent les jambes et le chaman, revenu compltement, rintgra l'me dans le co rps du malade. Il se dirigea ensuite vers la porte et renvoya ses esprits auxiliaires (1). Le chaman yukaghir ne procde pas ncessairement la gurison en allant drober l'me aux Enlers. Il lui arrive de raliser la sance sans mentionner les mes des chamans morts et, tout en invoquant ses esprits auxiliaires et en imitant leurs voix, il s'adresse au Crateur et d'autres puissances clestes (Jochelson, The Yukaghir, p. 205 sq.). Cette particularit montre la polyvalence de ses capacits extatiques, caf il sert galement d' intermdiaire entre les humains et les dieux et, pour cette raison, il joue un rle de premier ordre dans la chasse i c'est touj ours lui qui peut intercd er auprs des divinits qui rgnent d'une ma nire ou d'une autre sur le monde animal. Ainsi, lorsque la famine menace le clan, le ohaman procde une sance qui ressemble en tout point celle de la gurison. Seulement, au lieu de s'adresser au Crateur-d e-Ia-Iumire ou de descendre chercher l'me du malade aux Enfers, il s'envole vers ]e Maitre-de-Ia-Terre. Arriv devant lui, il le supplie: Tes enlants m'ont envoy pour qu e tu leur donn es de la nourrit ure 1... Le Maitre-de-Ia-Terre lui donne }' me. d'un renne et, le lendemain, le chaman se rend dans un certain lieu situ prs d'une rivire et attend : un renne passe et le chaman le tue d' un coup de fl che. C'est le signe que le gihier ne manquera plus (ibid., p. 210 sq.). En dehors de tous ces rituels, le chaman est galement utilis comme matre en divination. Celle-ci se pratique soit au moyen des os divinatoires, soit par le truchement d'une sance chamanique (ibid., p. 208 sq.). Ce prestige lui vient de ses relations avec les esprits, mais on peut supp oser que l'importance des esprits dans les croyances des
(1) Ibid ., p. 19699. On a reconnu le scnario classique d'une descenle aux Enfers : la gardienno du seuil, le chien , le passage de la rivire. Inutile de rappeler tous les parallles, chamaniques ou autres; nous reviendrons sur certains de ces motirs plus ba.s.

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LE CIIAM ."NISME EN ASIE CENTRALE

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Yukaghir ~st fortement tributaire d 'influences ya koutes et to ngo uses. En efTet , deux faits nous semblent significatifs cet gard: d' une part, la conscience, chez les Yukaghir, d'une d cadence actuelle de leur chamanisme ancestral ; d'autre part, ]es fortes influences ynkoutes et tongous.s dcelables dans les pratiques actuelles des chamans yu kaghir (ibid. , p. 162).

R ELlGWN ET CHAMANIS&IE CHEZ LES KORYAKS

Les Koryaks co nn aissent un f:tre Suprme cleste: , Celui-d'.nhaut , auquel il s sacrifi ent des chiens. Mais cet f:tre Suprme, comme partout ai lleurs, est plutt passil : les hommes sont en proie des attaqu es du mauvais esprit, Kalau, et Celui-d'en-haut leur vient rarement en aide. Nanmoins, t andis que chez les YakouLcs et les Bouriates l'importance des mauvais es prits es t devenue co nsidrabl e, la religion des Koryaks garde encore une place assez grande l' f:tre Suprme et aux esprits bienveillants (1). Kalau ne cesse de s'appliqu er intercepter les sacrifi ces qu'on offre Celui-d'en-haut ., et il y russit bien des C ois. Ainsi, lorsque, penda nt la cu re, le chaman sacrifie un chien il l'~tre Suprme, Kalau, peut intercepter l'offrande et alors le malade succombe; si, au co ntraire, le sacrifice atteint le ciel, la guriso n est assure (2). Kalau est le Mauvais Sorcier, la Mort et probablement le Premier Mort. En tout C8S, c'est lui qui provoque la mort des humains, en dvorant leurs chairs et spcialement le C oie (J ochelson , The Koryak, p. 102). Or, on sait qu 'en Australie et ailleurs, oie et les organes les sorciers tuent leurs victimes en leur mangeant le C internes pendant leur sommeil. Le chaman isme joue encore un rl e assez notable dans la religion des Koryaks. Mais ici aussi nous rencontrons le motif de la dchance du chaman . Et, ce qui nous semble plus important encore, ceLte dchance du chama n lait suite la dchance de l'humanit en gnrai, un e tragd ie spiritu elle qui s'est passe il y a trs longtemps. Dans l're mythique du hros Grand-Corbeau , les hommes pouvaient sans peine monLer au Ciel et descendaient Lout aussi aisment aux Enfers ; aujou rd 'hui, il n'y a plus que les chamans qui en sont encore capables (ibid., p. 103, 121). Dans les mythes, on escaladait le ciel par l'ouverture centrale de la vote, travers laquelle le Crateur-de-IaTerre regardait ici-bas (ibid., p. 301 sq.); ou bien on y montait en suivant la route que traait une flche lance ve rs le Ciel (ibid., p. 293,
(1) W. L JOCIIELSOI'I , The Koryak, p. 92 , 117. (2 ) Cf. J OC Ilf'!LSON' , ibid., p. 93, figures 40 et 4'1, les dessins naUs d'un Koryak reprsenta nt deux sacrifices chamaniques : dans le premier, Ka/au intercepte l'o lTrande avec la consquence que l'on sait; dans le deuxime, le chien sacrill monte jusqu ' Celui -d'en-haut _ el le ma lad e est sauv. On sacrille Dieu en se tournant vers J'Est, tandis qu'on sc tourne vers l'Ouest lorsqu'on sacrifie b. Kalau . (Mmes directions du sacrifice chez les Yako utes, les Sa moydes et les AltaTques. Chez les Bouriates sculs, les direction s sont contrai res : l'Est pour les mauvais 1'engri , l' Ouest pour les bons Tcngrl; cr. AGAl'lTOV et CHAI'IGALOV , Shaman!/(lo u bUl'jat, p, 4 ; JOCIIELSON.
The KOl'yak, p. 93 .

304 ; l~ur ce ~Z.~I mythique, voir plus loin, p. 381). Mais, ainsi que nous avons. J. ap pl'l~ en prsentant d'autres traditions religieuses, ces commUU1catlOns faciles avec le Ciel et les Enfers ont t brutalement interrompues (les Koryaks ne prcisent pas la suite de quel vnement) et dep uis lors seuls les chamans sont encore en tat de les r tablir. .Mais, de nos j,o urs, mm,e les chamans ont perdu leurs pouvoirs mlr~culeux, Il n.y a p~,s SI long~emps, les chamans trs puissants avaIe~t le pouvOlr de remtgre: 1 me d ' une personne qui venait de mourIr dans son co rps et de la fa 1re revenir la vie; Jochelson a encor e entendu raconter de teHes prouesses sur le com pte des \1: anciens cha ~a!1s ., mais Lou,s ces chamans taient morts depuis bien longtemps (tbid., p. 48). MIO UX, la prolession de chaman tait en rglession. Jo chelson n'~ pu rencontrer que deux jeun es chamans, assez pauvres ~t ~a~8 prestige. L~s sances auxquelles il a assist Laient sans grand lllteret. On entend aIt des sons et des voix tranges venant de tous les coins (les espriLs .auxiliaires) et ~ui cessaient brusquement; en rallumant, on trouvaIt le chaman gIsant terre puis, et il annonait gau~heme?t que . l~s esprits lui avaient assur que la maJadie . quitteraIt le v,llIag.e (tbid., p. 49). A une autre sance, qui avait commenc comme d habItude avec des chants, des tambo urin ements et l'vocation des esprits, le chaman demanda J ochelson son coutea u car disait-il, les esprits lui avaient ordonn de se taillader. Mais il n'en rien. Il est vrai qu 'on racontait d'au t res chamans qu'ils ouvraient le corps du patient, cherchaient la cause de la maladie et mangeaient le morceau de chair qui la reprsentait - et la blessure se fermait sur-l e-champ (ibid. , p. 51). . Le nom du chaman Koryak est eneiialan, c'est--d ire un homme IdnsPdir par les esprits, (ibid., p. 47). Ce sont, en eITet, les esprits qui Cl ent de la carrire d'un chaman; personne ne voudrait devenir eiienalan de sa prop re volont. Les esprits se manifestent sous la form e d '~ iseaux et d 'a utre~ ~ ni.ma ux. Il y a tout heu de sup poser que ~es anCiens chamans, utilIsaIent ces esprits pour pouvoir descendre Impunment a ux Enfers, comme nous l'avons v u faire aux chamans yukaghir et autres. Ils devaient vraisemblablement gagner la bienveillance de Kalau et d'autres figures inlernales car la mort l'me m?nt~ au Ciel, vers l'~tre Suprme - mais l'ombre et le t;pass IUI-meme descendent aux rgions infrieures. L'entre des Enfers est ga rde par des chiens. L'Enler proprement dit est constitu de villages pareils ceux de la terre, chaque famill e ayant sa maison. Le chemin d e l'Enfer commence directement au- dessus du bcher, et il ne reste ouvert qu e le temps ncessaire au passage du mort (1).

fit

(1 ) ib id" p. 103. A l' ouverture ._ du Ciel correspond l'ouverture de la Terre, qui ~on!1e passage. vers les ~nrers, slI.lvant un schma cosmologique carac tristiqu e de 1 A~ le septenlrlOnal e ; vOir plus lOIR, p. 212 sq. Le chemin qui s'ouvre et se referm e rapidement es t un symbole trs frquent de la . rupture des niveaux . aussi revient.il abo ondamment dans les r~cit.s initia tique.s. Cf. dans ibid" p, 302 sq., u'n co nte koryak (n 112) dans lequel une Jeune fille se l3ISSe dvorer par un monstre cannibale a fin de pouvoir descendre assez vite a ux Enfers el revenir sur la lerre a vant que le 1 chem in des

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LE CHAMANISME EN ASIE CENTRALE

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La dcadence du chamanisme koryak se traduit aussi par le lait que le chaman ne fait plus usage d'un costume spcial (Jochelson, The Koryak, p. 48). JI n'a pas davantage de tambour propre. Chaque lamille dispose d'un tambour qui lui sert ce que J ochelson et Bogoras, et d'autres auteurs aprs eux, on~ appel le chamanisme d0-?Ies~ tique , . En efIet, chaque lamille pratique une sorte de chamams.me
Poccasion de ses rituels domestiques: les sacrlfices et les crmomes, priodiques ou nOD , qui constituent les devoirs religieux, de la co~~ u naut. D'aprs Jochelson (ibid.) et Bogora., le chamamsme famlher >

D'ailleurs, des sances chamaniques proprement dites ont lieu le soir, l'issue des crmonies religieuses que nous venons d'voquer; elles sont excutes par des chamans proCessionnels. Le . chamanisme

domestique> semble bien tre un phnomne hybride, procdant vraisemblablement d'une double cause: d' une part, un grand nombre de Tchouktches prtendent tre chamans (presque un tiers de la population, d'aprs B ogoras, ibid.) et, comme chaque maison possde son
tambour, nombreux sont ceux qui, les soirs d'hiver, se mettent chanter et tambouriner, et parCois aboutissent mme une extase parachamanique; d'autre part, la tension religieuse des ftes priodiques encourage l'exaltation latente et Cacilite une certaine contagion. Mais, rptons-le, dans un cas comme dans l'autre, on s'efforce d'imiter

aurait prcd le chamanisme professionnel. Nombre de faits que nous ne tarderons pas rappeler s'opposent cette conception. Comme
partout ailleurs dans Phistoire des religions, le ~h~manisme s~~~Ien vrifie l'observation que ce sont les profanes qm s efforcent d unlter les expriences extatiques de certains individus priviligis, et Don l'inverse.
CHAMANISME CHEZ LES TCHOUKTCHE S

un modle prexistant: la technique extatique du chaman professionnel.

Chez les Tchouktches, comme dans toute l'Asie, la vocation chamanique se maniCeste gnralement par une crise spirituelle, provoque so~t par une maladie initiatique , soit par une apparition surnaturelle (un loup, un morse, etc. apparaissant un moment de grand

Le chamanisme domestique. se retrouve aussi chez les Tchouktches,

en ce sens que, pendant les crmonies clbres par le chef de famille,


tout le monde, jusqu'aux enlants, s'essaie au tambour. Il en est amSI, par exemple, l'occasion de l' c abattage d'automne lt, lorsqu'on

immole des animaux en vue d'assurer le gibier pour l'anne: on bat le tambour - car toute famille possde son tambour elle - et on s'efIorce de s'incorporer les esprits t etdechamaniser(1). Mais, de l'avis mme de Bogoras, il est clair qu'il s'agit d'une mdiocre imita~ion des
sances chamaniques ; la crmonie a lieu dans la tent.e extrIeure et

danger et sauvant le futur chaman) . De toute faon, la crise dclenche par le , signe> (maladie, apparition, etc.) est radicalement rsolue dans l'exprience chamanique elle-mme: la priode de prparation est assimile par les Tchouktches une grave maladie, et l' inspiration t (c'est--dire, l'accomplissement de l'initiation) est homologue la gurison (ibid., p. 421). La plupart des chamans rencontrs par Bogoras prtendaient n'avoir pas eu de maltres (ibid.,
p_ 425), mais ceci ne veut pas dire qu'ils n'aient pas eu d'instructeurs surhumains. La rencontre des animaux chamaniques )) Cournit, elle seule, une indicationsur le genre d'instl'uction que peut. recevoir un apprenti. Un chaman racontait Bogol'as (ibid., p. 426) qu'tant encore adolescent, il entendit une voix lui ordonnant : Va dans la solitude: tu trouveras un tambour. Mets-t.oi le battre et tu verras le monde

pendant le jour, tandis que les sances chamaniques se droulent dans la chambre coucher, de nuit, et dans l'obscurit co~plte ; les membres de la famille imitent tour tour la possessIOn par les
esprits. la manire chamanique, en se contors ionnant, en sautant en l'air et en s'efforant d'mettre des sons inarticuls, qui sont censs tre les voix et le langage des. esprits t. Parlois, on s'essaie mme des gurisons chamaniques et l'on prononce des prophties, sans que personne y accorde aucune attention (Bogoras, ibid., p .. 413). Tous ces traits prouvent qu' la Caveur d'une exaltatIon rehgIeuse passagre les proCanes s'efforcent d'atteindre l'tat chamanique en mimant

tout entierl > Il oouta la voix et ill'ussit en erret monter au ciel et mme fixer sa tente sur les nuages (1). Car, quelle que soit la tendance gnrale du chamanisme tchouktche dans sa phase actuelle (c'est--dire observe par les ethnographes au commencement de ce sicle), le chaman tchouktche est capable, lui aussi, de voler dans les
airs et de traverser les cieux l'un aprs l'autre, en passant par l'ori-

tou; les gestes des chamans. Le modle est bien la transe du vritab~e chaman, mais l'imitation se limite plutt l'aspect extfleur de celle-Cl : les voix des esprits> et le langage secret >, la pseudo-prophtie, etc.
Le .. chamanisme domestique t, au moins sous sa Corme actuelle n'est qu'un dmarquage simiesque de la technique extatique du chaman proCessionnel.
morls 1 ne se referme avec toutes les autres victimes du Cl.l:nnibale. Ce conte co,;serve pluaieurs IDOlir! initiatiques avec une tonnante cohsion: pe..ssage aux Enre~ par l'estomac d'un monstre i qute et sauvetage des victimes innocen tes i le chemm vers l'au-del qui s'ouvre et se referme en quelques instants. (1) Waldemar O. BOGous, TM Chukchu, p. 974, 419.

fice de l' toile Polaire (Bogoras, The Chukchee, p. 331).


Mais, comme nous l'avons remarqu propos d'autres populations sibriennes, les Tchouktches ont conscience d'une dcadence de leurs

chamans. Par exemple, leurs chamans font appel au tabac comme stimulant, coutume qu'ils ont prise aux Tongouses (ibid., p. 434). Et, alors que le lolklore est prolixe sur les transes et les voyages
(1 ) La tradition des ascensions clestes est de mme parliculirement vivante dans les mythes tchouktcbes. Voir p. ex., J'histoire du jeune hom me qui, pousant une fe-cleste {I skygirl.}, monte au Ciel en gravissant une Montagne verticale; W. BoGORAS, Chukchee Mythology (Memoin or the American Museum or Natural Hislory, XII, Jesup North Pacific Expedition, VIII, Leyde et New York, 1910-12), p. 107 sq.

208

LE CHAMANISME EN ASIE CENTRALE

ET SEPTENTRIONALE

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extatiques des anciens chamans en qute des mes des malades, actuellement le chaman t chouktche se contente d'une pseudo-transe (ibid. , p. 441) . On a l'impression que la technique extatique est en dcadence les sances chamaniques se rduisant la plupart du temps l'vocation des esprits et des prouesses fakiriques. Et pourtant le lexique chamanique lui-mme traduit la val~ur extatique de la transe. Le tam~our est no~~ barque 1 et d u~ chaman en transe on dit qu' il plonge, (,bid., p. 438). Tout ceCI prouve que l'on considrait la g ance ,comme un voyage ~an,s l'a~ del sous-marin (comme chez les EsqUlmaux, p. exL ce qm n ~mp~ chait pas, d'ailleurs, que le chaman montt au plus ha~t Cl~l s? le dsirait. Mais la recherche de l'me perdue du malade unphqualt une descente aux Enfers, comme l'atteste aussi le folklore. De nos jours, la sance de gurison se passe de la .manire suivante: le chama? enlve sa chemise et , torse nu, fume la pIpe et commence tambourIner et chanter. C' est une mlodie simple, sans paroles ; chaque chaman a ses propres chants et souvent il improvis~. Tout d' u~ coup, on entend les voix des esprits dans tous les coms ; ces VOIX semblent surgir de so us la terre, ou venir de tr~ loin. Le.k'let entre d~ns le co rps du chaman et celui-ci, tout en. agltan: raplde~e nt ~a t ete, commence crier et parler d' une VOIX de tete, la VO IX meme de l'esprit (1). P endant ce temps, dans l'obscurit de la tente, il se produit toute sorte de phnomnes tranges : lvitation des objets, branlement de la tente, pluie de pierres et de mor?eaux de bois, etc. (Bogoras, TM ChukcMe, p. 438 sq.). A travers la VOIX du chaman, les esprits des mo rts s'entretienn~nt av.e~ les aSSIstants (cf. ibid., p. 440 les rvlations de l'me d une VIeille fill e). Si les sances sont riches en phnomnes para psychologiques, la transe proprement chamanique est devenue de plus en plus rare. Parfois le chaman tombe terre inconscient et son me est cense quitter ' le corps pour aller demander co~seil aux esprits. Mais c.e tte extase n'a lieu que si le patient est assez rIChe pour bIen la r~un~ re~. Et, mme en ce cas, d'aprs les observations de Bogoras! 11 s agIt d'une simulation: interrompant brusquement ses tamboufmements, le chaman res te terre, immobile ; sa femme lui couvre la figure avec une toffe, rallume et se met tambouriner. Au bout d'un quart d'heure, le chaman se rveille et donne des . conseils 1 au malade
(1) BOG ou s, (ibid. , p. 435 sq.) , pense pouvoir expliquer les. voix sp.ares 1 des chamans tchouktches par la ventriloquie..M~is son phonogra~he.a enregls~r tou~es ces . voix. exactement comme elles se falS3Jent entendre de l'assis tance, c es t-due com me arrivant par les portes ou surgissant des coins de la chambre., et. non pas comme m ises par le chaman. Les .enregistt?ment:> montrrent u!1e ddTrence. trs nette entre la voix du chaman, qUI rsonn8.lt dlStance, et .Ies VOIX des esprits . , qui se mblaient parler directement dans le C?Ornet de l'app~re!l (I? 436 ). On rapportera plus loin quelques autres dmonstraltons des POUVOII'S magiques. ~es chamans tchouktches. Comm e nous l'avons dj dit, le problme de l' ~ authen ~lclt de tous ces phnomnes chamaniques dpasse le cadre du prsent hvre. VOir une analyse et une audacieuse interprtation ~e tels ph~omnes d3:ns E. de MARTI}'( O, Il mon~ magico. Prole gomena a una Ito"a ckl magl8mo, (Turm, . 1948) . pa88 lm , (les fal!S tchouktches, p. 46 sq.). Sur les . shamanistic tricks l , VOir Ml'I.HAIL OW Sl. I, op. Clt. p. 137 sq.

(ibid., p. 441). La vritable qute de l'me du malade se ralisait jadis dans la transe; aujourd'hui, elle est remplace par la pseudotranse ou par le sommeil, car les Tchouktches voient dans les rves une pri.se de contact avec .les esprits, et, aprs une nuit de profond somm611 le chaman se rveille avec l'me du malade dans son poing et procde sur-le-champ sa rintgration dans le corps (ibid., p. 463) (1). A ces quelques exemples, on mesure la dcadence actuelle du chamanisme tchouktche. Bien que les schmas du chamanisme classique survivent encore dans les traditions folkloriques et mme dans les techniques de gurison (ascension j descente aux Enfers ; qute de l'me, etc.), l'exprience chamanique proprement dite se ramne une sorte d'incorporation 1 spirite, et des performances d'ordre fakirique. Les chamans tchouktches connaissent galement l'autre mthode classique de gurison : la succion. Ils montrent ensuite la cause de la maladie : un insecte, une petite pierre, une pine, etc. (Bogoras, The ChukcMe, p. 465). Souvent, ils procdent mme une 1 opration)) qui garde encore tout son caractre chamanique : avec un couteau rituel, bien chauff 1 par certains exercices magiques, le chaman prtend ouvrir le corps du malade afin d'examiner les organes internes et en extraire la cause du mal (ibid., p.475 sq.). Bogorasa mme assist une, opration, de ce genre: un garon de 14 ans s'tendit tout nu sur le sol, et sa mre, une chamane renomme, lui ouvrit l'abdomen; on pouvait voir le sang et la chair bante ; la chamane enfona profondment sa main dans la blessure. Pendant tout ce temps la chamane se sentait comme en feu et ne cessait de boire de l'eau. Quelques instants aprs, la blessure avait disparu et Bogoras ne put en dceler la moindre trace (ibid., p. 445) . Un autre chaman, aprs avoir longtemps tambourin afin de chauffer , son corps et son couteau au point, disait-il, de rendre insensible le coup de couteau , s'ouvrit l'abdomen (ibid.). De telles prouesses sont frquentes dans toute l'Asie septentrionale et eUes sont en liaison avec la 1 maltrise du feu " car les mmes chamans qui se tailladent le corps sont capables d'avaler des charbons ardents et de toucher au fer rougi blanc. La majorit de ces tours, sont excuts la lumire du jour. Bogoras a assist, entre autres, au fait suivant: une chamane frottait une petite pierre et quantit de cailloux tombaient de ses doigts et allaient s'amasser dans le tambourin. A la fin de l'exprience, ces cailloux formaient un assez gros monceau, cependant que la pierre, que la femme avait frotte entre ses doigts restait intacte (ibid., p. 444). Tout ceci fait partie du concours de performances magiques auxquelles se livraient les chamans, grand renfort d' mulation,
(1) Le chaman passe pour ouvrir le crne du malade et y repl acer l' me qu'il vient de cap turer sous la f!,rme d'une ~ou ~he; mais on peu~ ~ussi introduire l' me par la bo u c ~e, par les dOigts ou par 1 orteil; cf. BOG ous , lb,d., p. 333. L'me hu maine se manifeste gnralement sous la forme d'une mouche ou d'une abeille. Mais co mme chet les autres peuples sibriens, les Tchouktches co nnaissent plusieurs lm es ~ aprs la ~ o rt , l'~ ne s'envole a?- Ciel avec la fum e du hOcher, l'autre descend aux Enfers, ou son eXistence se contlOue exactement co mme sur la terre (ibid., p. 334 sq.).

Le Chamanis me

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LE CHAMAN ISME EN ASIE CENTRALE

l'occasion des crmonies religieuses priodiques. Le folklore (ait constamment allusion de tels exploits (ibid., p. 443), ce qui semble indiquer des capacits magiques encore plus tonnantes chez les < anciens chamans, (1). Le chamanisme t chouktche est encore intressant par un autre lait: il existe une classe spciale de chamans < translorms en lem mes . Ce sont les hommes mous 1 ou semblables aux femmes I, qui, la suite d'une injonction du k'let, ont chang leurs v~ement~ et leurs manires d'hommes pour ceux des (emmes, et ont meme fim par pouser d'autres hommes. Gnral~ment,. l'?rdre ~u k,'let n'e~t suivi qu' moiti: le cham~ se travestit, mals,il contll~ue co~abl ter avec sa lemme et aVOIr des enlants. Certams, plutot que d ex cuter l'ordre, ont prfr se suicider, bien que l'homosexualit ne soit pas inconnue chez les Tchouktches (Bogoras, The Chukchee, p. 448 sq.). La translormation rituelle en lemme se rencontre encore chez les Kamchadales, les EsqUImaux aSiatiques et les Koryaks.; mais chez ces derniers Jochelson n'en a plus trouv que le souvemr (cl. The Koryak, p. 52). Le phnomne, hien que rare, n'est pas limit au nordest de l'Asie: par exemple, on rencontre le travestis sement et le changement rituel de sexe en Indonsie (les manang bali des Dayaks maritimes), en Amrique du Sud (les Patagoniens et les Araucans) et chez certaines tribus nordamrlcames (Arapaho, Cheynee, Ute, etc.). La translormation symb~lique et rituelle en lemme s'explique vraisemblablement par une Idologie drive du matriarcat archaque; mais, comme on aura l'occasion de le mont~er, elle ne semble pas indiquer la priorit de la lemme dans. le plus, anCien chamanisme. En tout cas, la prsence de cet.te classe speCIale d horo mes semblables aux Cemmes qui joue, d'ailleurs, un rle secon daire dans le chamanisme tchouktche - n'est pas imputable la dchance du chaman " phnomne qui dborde l'aire de l'Asie septentrionale.

CHAPITRE VIlI

CHAMANISME ET COSMOLQ,GIE

LES TROIS ZONES COSMIQUES ET LE PILIER DU MONDE

*-

(1) Quant la divination, elle est pratique aussi bien p~r l es,cham~ns que par les profanes. La mthode la plus frquente est la suspenSiOn d u.n . obJ ~ t au bout d'un fil, com me chez les Esquimaux. On pratique ,~gale me!'t la dlvma tlOn avec la tte ou le pied de J' homme; ce dernier syst.m~ est utilis 5p~lalement par les rem,m,es, comme chez les Kamchadales et les EsqUimaux amrlcams; cf. BOCOR":S, Ibid., p. 484 sq. ; F, BoAS, TM Eskimo ,of Baffin Land and Hudson Bay (. Bullelill of the American Museum of Nalural Hlstory ., vol. XV, part. l , 1901), p, 135, 363. Sur la divination par l'os de l'paule d'un renne, ?f" BOC,ORAS, The Chukchtt, p. 481s9 On se souvient que cette dernire mthode dlvmalolre est com mune toute 1 Asie centrale et est nlement atteste dans la proto-histoire de la Chine (cf, pl~s haut, p. 141 sq.). On n'ia pas cru ncessaire de noter, pr~pos de chaque popuJ ~t~o n d~nt on exammait les traditions et les techniques chamaOlques, les mthodes dlvmatolres respectives. En gros, elles se ressemblent. Mais il est ':1lile de ra~peler que ,les fondements idologiques de la divination, dans ~oute l'ASie s~ptentrlOnal~, dOlve~t tre cherchs dans la croyance d'une. incorporation . des esprits, comme c est aussI le cas pour une grande partie de l'Ocanie.

La technique chamanique par excellence consiste dans le passage d'un,e rgion cosmique une autre: de la Terre au Ciel, ou de la Terre aux Enlers. Le chaman connalt le mystre de la rupture des niveaux. Cette communication entre les zones cosmiques est rendue possible par la structure mme de l'Univers. Celui-ci en efTet, on va le voir dans un instant, est conu, en gros, comme ayant trois tages - Ciel, Terre, Enfers - relis entre eux par un axe central. Le symbolisme par lequel on exprime la solidarit et la communication entre les trois zones cosmiques est assez complexe et n'est pas toujours exempt de contradictions: c'est que ce symbolisme a eu une histoire. et a t maintes fois contamin et modifi, au cours du temps, par d'autres symholismes cosmologiques plus rcents. Mais le schma essentiel reste toujours transparent, mme au terme des nombreuses influences subies : il existe trois grandes rgions cosmiques, qu'on peut traverser successivement parce qu'elles sont relies par un axe central. Cet axe passe, bien entendu, par une f ouverture &, par un trou; cfest par ce trou que les dieux descendent sur la terre et les morts dans les rgions souterraines; c'est galement par l que l'me du chaman en extase peut s'envoler ou descendre lors de ses voyages clestes ou inCernaux. Avant de donner quelques exemples de cette topographie cosmi que, faisons une remarque prliminaire. Le symbolisme du Centre .. n'est pas ncessairement une ide cosmologique. A l'origine, est centre *, sige possible d' une rupture des niveaux, tout espace sacr, c'est-dire tout espace soumis une hirophanie et mani lestant des ralits (ou lorces, Figures, etc.) qui ne sont pas de notre monde, qui viennent d'autre part et en premier lieu du Ciel. On est arriv l'ide d'un. Centre .. parce qu' on avait l'exprience d'un espace sacr, imprgn d'une prsence transhumaine : en ce point prcis quelque chose d'en haut (ou d'en has) s'est manilest. Plus tard, on a imagin que la manifestation du sacr, en elle-mme, impliquait une rupture de niveaux (1).
(11 Sur tout ce problme de l'espace sacr et du Centre, voir EOIADR, T,.aiti d'hi.l't Ugion., p. S15 sq. ; id., lmagt. tt .ymbo., e.8ai su,. le ,ymbolisme magico* nligituz, (Paris, 1952), p. S3 sq. ; id" Cenf.1'e du momk. umple, maison {in Le
rOlre de.

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CH A MANIsnE ET COSMOLOGIE

CHAM A NIS ME ET COS MOLOGIE

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Les Turco-Tatars, ainsi que nombre d'autres peuples, s'imaginent le ciel comme une tente ; la Voie Lacte est la co uture. ; les toiles, les , trous. pour la lumire (1). Suivant les Yakoutes, les toiles sont les fentres du monde . : elles sont des ouvertures mnages pour l'aration des diffrentes sphres du Ciel (gnralement au nombre de neuf, mais parfois aussi de 12, 5 ou 7) (2). De temps en temps, les

dieux ouvrent la tente pour regarder sur la terre, et ce sont les mtores (3). Le Ciel est galement conu comme un co uvercle; il arrive qu'il ne soit pas parfaitement fix sur les rebords de la Terre, et alors les grands vents pntrent par l'interstice . C'est de mme travers cet espace rd uit que des hros et d'autres tres privilgis peuvent se glisser et pntrer dans le Ciel (4). Au milieu du Ciel brille l'toile Polaire, qui fixe la tente cleste comme un piquet. Les Samoydes l'appellent , Le Clou du Cielo, les Tchouktches, les Koryaks : L'toile Clou . Mme image et mme

t erminologie chez les Lapons, les Finnois, les Estoniens. Les TurcoAltaques conoivent l' toile Polaire comme un Pilier: elle est Le Pilier d'Or 0 des Mongols, des Kalmoucks, des Bouriates, , Le Pilier de Fer 1 des Kirghizes, des Bashkirs, des Tatars sibriens, t Le Pilier solaire. des Tloutes, etc. (5). Une image mythique compl-

mentaire est celle des toiles relies, d'une manire invisible, l'~toile Polaire. Les Bouriates se figurent les toiles comme un troup eau de chevaux et J'toile Polaire (, Le Pilier du Monde . ) est le piquet auquel on les attache (6). Comme on devait 8'y attendre, cette cosmologie a trouv une rplique parfaite dans le microcosme habit par les humains. L'Axe du Monde a t reprsent d'une faon concrte, soit par les piliers qui so utiennent l'habitation, soit so us la forme de pieux isols, ap pe ls Piliers du Monde o. Pour les Esquimaux, par exemple, le Pilier
symbolisme cosm ique des monuments religieux I , Serie Orientale Roma, XIV, Rome, 1957) , pas,im . Uno HARVA., Dia religio,en VOfl~llungt!n, p. 1 78 sq., 189 sq. . 2 S IER OSUWU,I, Du cMmanme d'aprs les croyance, de, l'ahou. , p . 2 1 5. 3) Hu.vA. , op. cir., p. 84 sq. On trouve des ides similaires chel. les Hbreux (Isale, 1 ch . 40). etc. ; ct. Hobert EI5LBR, lYeltt'nmanl und Himme18:.elt (Munich, 1910), vol. 1(, p. 601 sq., 619 sq. (4) Uno HARVA. (H OLJfBE RC ), Du Baum de, Lebenll, p. 11 ; id. Die reliri6.tm Vo,.,ullun gen, p. 35. P . EUJI.INRZICH (Die allgemeine M y!howgu und ihre ethnologuchen Gl'Ilndlagell, Mylhologische Bibliothek, IV, l , Leipzig 1910, p. 205), remarque que cette ide my thicoreligieuse domine tout l'hmlSphre Nord . C'est encore une expression du symbolisme trs rpandu de l'accession au Ciel par un e. porte troite, : l'interstice entre les deux niveaux cosmiques ne s'largit qu'un ins tant et le hros (ou l'initi, le chama n, etc.) doit pronter de cet ins tant paradoxal pour pntrer dans l'. audel . (5) Cf. HARVA. (H OUIBERG), Du Boum rhs Lebens, p. 12 sq. ; Die rdigiosen Vor,tel lungen , p. 38 sq. L' jrminslll des Saxons est nomm par Rudolf von FULDA. (Trans latio S. Alezarni) unper,al. columna, quasi 81utinens omnia. Les Lapons de Scan dinavie ont reu cette notion des anciens Germains; ils appellent 1 '~ toi1e Polaire Le Pilier du Ciel . ou le Pilier du Mond e . On a pu comparer "lrrninsl avec les colonnes de Jupiter. Des ides similaires sur vivent encore dans le folklore du Sud Est de l' Eu rope; cC. par exempl e Coloana Ceriului (la Colonne du Ciel) des Roumains (voir A. ROSETTI, Colindelt: Romdnilor, Bucarest, 1920, p. 70 sq.). (6) L'ide esl commune aux peuples ougriens e l turcomongols; cf. HuvA (Hou"BUG), Del' Baum de, .bens, p. 23 sq. ; Die religisen Vorstellu1I gen, p. ft O sq. cr. aussi J ob, 38, 31 ; le skambha indien (Athar"a V~da, X, 7, 35; etc.).

'1

du Ciel est en tout point identique au pot ea u qui se trouve au centre de leurs maisons (1). Le piquet de la tente est assimil par les Tatars d'Alta, par les Bouriates et les Soyotes au Pilier du Ciel. Chez les Soyotes, il dpasse le sommet de la yourte et son extrmit est orne de chiffons bleus, blancs et jaunes, reprsentant les co uleurs des rgions clestes. Ce piquet est sacr; il est considr presqu e comme un dieu. A son pied se trouve un petit autel de pierre sur lequ el on dpose les offrandes (2). Le pilier central est un lment caractristique de l'haIlitation des populations primitives (l' Urkultur. de l'cole de Graebner-Schmidt) arctiques et nord-am ricaines j il se rencontre chez les Samoydes et les Anous, chez les tribus californiennes du Nord et du Centre (les Maidus, les Porno orientaux, les Patwin) et chez les Algonkins. Au pied du pilier ont lieu des sacrifices et des prires, car c'est lui qui ouvre le chemin vers l' ll:tre suprme cleste (3). Le mme symbolisme microcosmique s'est galement conserv chez les pasteurs-leveurs de l'Asie Centrale, mais comme la forme de l'habitation s'est modifie (de la hutte toit conique avec un pilier central, on passe la yourte), la fonction mythico-religieuse du pilier est dvolue l'ouverture suprieure par o sort la fume. Chez les Ostyaks, cette ouverture correspond l'orifice similaire de la f Maiso n du Ciel . et les Tchouktches l'ont assimile au , trou , qu e fait l'toile polai r~ dans la vote cleste. Les Ostyaks parlent aussi des tuyaux d'or de la Maison du Ciel , ou des, Sept tuyaux du Dieu-Ciel . (4). Les Altaques croient de mme que c'est travers ces tuyaux . que le chaman pntre d'une zone cosmique dans l'autre. Aussi la tente leve pour la crmonie de l'ascension du chaman altaq ue est-elle assimile la vote cleste et, comme cene-ci, elle a une ouverture pour la fume (Harva, Die religi osen Vorstellungen, p. 53). Les Tchouktches savent que le , trou du Ciel, est l'toile Polaire, que les trois mondes sont relis entre eux par des trous semblables et que c'est par l que le chaman et les hros mythiques communiquent avec le ciel (5).
(1 .1 T H.lL8ITUR, Cultic Caille. and Festivals in Greenland (Congrs des Amrican18te8 Compte rendu de la XXle session, 2 e partie " Gteborg, 192ft , p. 236.55) , p. 239 sq. (2) J:I.u.v ... , ibi~ . , p. 46. Cr. les chiffons de diverses couleurs utiliss dans les cr. mOnles chamantques ou da ns les sacrifices, et qui indiquent toujours la traverse symbolique des rgions clestes. a) Cf. les matriaux groups par W. SCHMIDT, Del' U"'pr/lnt rhr GoueBitke VI M':nster, 1935), p. 67 sq., et les remarques du mme auteur, Del' Milite Milte/p(ahl tk. Hatue. (dans. Anthropos " 19ftO'-1, vol. 3536, p. 966969), p. 966; id., Del' Ur.prunt, XII, p. ft7 1 sq. (ft ) Cf., par ex., ,K. F. KAIUALAHfBN, Die Reli,ion tkr Jugra Vlker, II, p. ft8 sq. Rappelons que 1entre dans le monde souterrain se trouve exactemen t a u.dessus du . Cen tre d!! Monde. (Cf. HARVA (HOL MBERG) , Del' Baum tk. kbel18. p. 30.3 t, et fig. 13, le disque ya koute avec un trou cen tral). Le mme srmbolisme se retrouve d ~ns l'~r!en t a!'ltiQ,ue, l' Inde, Je monde ~colatin, etc. ; c . ELIADE, Co.molotie l' ~h,mu: bab~lon,and , p. 35 sq. ; A. K. COOMARASWAMY, Spayamdtrnnd: Janua Cath (1 ZalmoxlS " Il, 1939 , p. 351 ). (5) BOGO RAt, TM Chukc~e, p. 331 ; JOCHU SON, The K oryak , p. 301. L;,. mme ide se rencontre chez les Indiens Blackfoot; cf. ALEXA NDER , North American [Mylho. lorY) Mythotogy ~f Ali. Races., ~,Boston et. Londres, 1916), p. 95 sq. Voir aussi le tab eau comparahf ASie septentrlonaleAmrlq ue du Nord dans J OCHELSON The Koryak, p . 371. 1

II

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CHAMANI S ME ET COSMOLOGIE

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Et chez les Altaques - comme chez les Tchouktches - le chemin du Ciel passe par l':etoile Polaire (1). Les ude!iburkhan des Bouriates ouvrent le chemin au chaman comme on ouvre des portes (Harv8, Die religiosen Vorstellungen, p. 54). Ce symbolisme, bien entendu, n'est pas limit aux rgions arctiques et nord-asiatiqu es. Le pilier sacr s'levant au milieu de la maison se rencontre aussi chez les pasteurs hamtes Galla et Hadiya, les hamitoides Nandi et chez les Khasi (2). Partout, on ap porte des offrandes sacrificielles au pied de ce pilier; ce sont parfois des oblations de lait au Dieu cleste (comme chez les tribus africaines cites ci-dessus) ; dans certains cas mme, on offre des sacrifices sanglants (p. ex., chez les Galla) (3). Le Pilier du Monde, ' est parfois reprsent indpendamment de la maison: c'est le cas chez les anciens Germains (Irminsl, dont Charlemagne dtruisit une image en 772), chez les Lapons, chez les populations ougriennes. Les Ostyaks appellent ces poteaux rituels les pieux puissants du Centre de la Ville , ; les Ostyaks de Tsingala les connaissent sous le nom de HommePilier de Fer J, les invoquent, dans leurs prires, comme t Homme et Pre , et leur offrent des sacrifices sanglants (4). Le symbolisme du Pilier du Monde est familier galement aux cultures plus volues: :egypte, Inde (p. ex. Rig Vda, X, 89, 4 ; etc.),

Cosmos, par ex., conue d'aprs certains lments matriels de l'habitation , ex~li tables, eux, par les ncessits de }'adal?tatioo au milieu, e tc.), est une question mal pose et, par consquent, strile. Car il o'y a pas, pour les primitifs. en gnral, une diffrence bien nette entre. naLurel. et surnaturel I , enlre objet empirique et symbole. Un objet devient. lui-mme. (c'est-tl-d ire porteur d'une valeur) dans la mesure o il par ticipe un symbole 1; un acte gagne de la signification dans la mesure o il rpta un archtype, etc. En tout cas, cc problme de l' , origine des valeurs appartient piutO t la philosophie qu' l'histoire. Car, pour ne citer qu'uo seul exemple, on ne voit pas trop bien en quoi le tait que la dcouverte des premires lois gomtriques ait t due aux ncessits empiriques de l'irrigation du delta nilotique peut avoir une importance quelconque dans la validation ou . l'invalidation de ces lois. (4 ) K UJALAIlUN (Di" Relirion d"" J urra- Volker, vol. II, 42 sq.) estime, il tort, que le rOle de ces pieux serai t de fixe r la victime s3crHlciei e. En ralit, comme l'a montr R ....,v!. (HOLY:BBRG), ce pilier est appel c: sept-tois Homme-Pre divis " tout comme Sanke, le dieu cleste, est invoqu comme Grand Homme sept-fois divis, S!\nke, mon Pre, mon Homme-Pre qui regarde dans trois directions, etc. (HUVA (HOLMBERG), Finno-Urric [and] siberian [My thologyJ, p. 338). Le pilier tait parfois marqu de sept entailles; les Ost yaks de Salym, quand ils ofTrent des sacrifices sanglants, tont sept incisions dans un pieu (ibid., p. 339). Ce pieu rituel correspond au Sain t Pieu d'Argent pur divis en sept parts 1 des contes vogoules, auquel les fils du Dieu attachent leurs chevaux quand ils renden t visite a leur Pre (ibid., p. 339-40) . Les Yurak! aussi ofTrent des sacri fices sanglants aux idoles en boS (sjaadai) sept races ou sept entailles; ces idoles, d'aprs LBIlTISALO (Entwur{ einer Mythologie ck,. Jurak-Samojeden, p. 67, 102, etc.), sont en relation avec les arbres sacrs. (c'est-a-dire avec une dgradation de l'Arbre Cosmique seft branches). Nous assistons ici un processus de substitution, bien connu dans 1 histoire des religions, et qui se vrifie aussi en d'autres cas dans l'ensemble religieux sibrien . Ainsi, par exemple, le pilier qui, l'origine, servait de place d'orrrande au dieu cleste Num, devient, chez les Yurak-Samoydes, un objet sacr auquel on ofTre des sacrifices sanglants; cr. A. GAIl: s, Kop{-, SChiifl- und Langknochenop{er bei R entierv6lkern, p. 240. Sur la signification cosmologique du nombre 7 et son rle dans les rituels chamaniques voir plus loin, p. 222 sq.

I ! A. V. Al'fOCRIN', },faut'ialy_po .hamalUtp" , p. 9. 2 W . SCHMIDT, Der heilige MitUlp(ahl, p. 967, ci tan t Der Ursprung, VII, p. 53, 5, 165, 449, 590 sq. (3) La ques tion de l' c: origine . empirique de tell es conceptions (la structure du

f.'

Chine, Grce, Msopotamie. Chez les Babyloniens, par exemple le lien entre le Ciel et la Terre - lien symbolis par une Montagne osmique ou ses rp liques: ziqqurat, temple, ville royale, palais - tait parfois imagin comme une Colonne cleste. On verra tout de suite que la mme ide est exprime aussi pa r d'autres images: Arbre, Pont, Escalier, etc. Tout cet ensemble fait partie de ce que nous avons appel le symbolisme du Centre. qui semble assez archaque, car on le retrouve dans les cultures les plus primitives 1). Nous voulons souligner to ut de suite le fait suivant : bien que l' exprience cbamanique proprement dite ait pu tre valorise en exprience mystique grce la conception cosmologique des 'trois zones communicantes, cette conception cosmologique n'appartient pas exclusivement l'jdologie du chamanisme sibrien et central-asiatique, ni d'ailleurs d'aucun au tre chamanisme. Elle est une ide universellement rpand ue qui se rattache la croyance en la possibilit d'une communication directe avec le Ciel. Sur le plan macrocosmique, cette communication est figure par un Axe (Arbre, Montagne, Pilier, etc.) ~ sur le plan microcosmique elle est signifie par le pilier central de l'habitation ou l'ouvert ure suprieure de la tente ; ce qui veut dire que toute habitation humaine est projete dans le , Centre du Monde (1), ou que tout autel, tente ou maison rend possible la rupture de niveau et partant l'ascension au Ciel. Dans les cultures archaques, la communication entre Ciel et Terre est utilise pour envoyer les olTrandes a ux dieux clestes, et non pas pour entreprendre une ascension concrte et personnelle : celle-ci reste l'apanage des chamans. Eux seuls saVent pratiquer l'ascension par l' ouverture centrale 1 ; eux seuls traM torment une conception cosmo-thologique en une exprience mystique concrte. Ce point est important: il rend compte de la diffrence qui existe entre, par exemple, la vie religieuse d'un peuple nord-asiatique et l'exprience religieuse de ses chamans ; cett e dernire est une exprience personnelle et extatique. En d'autres termes, ce qui, pour le rest e de la communaut, demeure un idogramme cosmologique, devient un itinraire mystique pour les chamans (et les hros, etc.). Aux premiers, le Centre du Monde. permet d'acheminer leurs prires et leurs offrandes vers les dieux clestes, tandis que pour les second s, il est le lieu d'un envol au sens strict du mot. La communication relle entre les trois zones cosmiques n'est possible qu'aux derniers. A ce propos, on se rappellera le mythe, plusieurs fois invoqu, d' un ge pa radisiaq ue o les humains pouvaient monter aisment au Ciel et entretenaient des rapports familiers avec les dieux. Le symbolisme cosmologique de l'habitation et l'exprience de l'ascension chamanique confirment, bien que sous un autre aspect, ce mythe archaque. Voici comment : ap rs l'interruption des communications faciles qui, l'aube des temps, existaient entre le Ciel et la Terre, entre les bumains et les dieux, certains tres privilgis (et en premier
(1) Voir EL IA.DE, Trait d'hiltoire cU& rtligiolt&, p . 924 sq .. U Mythe cU l'l(!rnel ' retour. Archtype8 et rptilion (Paris, 194.9), p. 119 sq.

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lieu lcs chamans) continurent pouvoir raliser, pour leur compte personnel, la liaison avec les rgions suprieures; de mme, les cha~ mans ont le pouvoir de s'envoler et d'accder au Ciel par P ouverture centrale ., alors que pour le l'este des humains cette ouverture sert uniquement transmettre des offrandes. Dans un cas comme dans l'autre, le rgime privilgi du chaman est d sa facult d'expriences extatiques. Il nous a fallu insister plusieurs reprises sur ce point, capitQ.l d'aprs nous, pour mettre en lumire le caractre universel de l'idologie qui se trouve implique dans le chamanisme. Ce ne sont pas les chamans qui ont cr, tout seuls, la co.mologie, la mythologie et la thologie de leurs tribus respectives; ils n'ont fait que l'intrioriser, l' exprimenter * et l'utiliser comme itinraire de leurs voyages extatiques.
LA MONTAGNE COSMIQUE

pour remuer l'Ocan, crant ainsi le Soleil, la lune et les toiles (Harv8, Die religiosen Vors/elLungen, p. 63). Un autre mythe central-a.iatique montre la pntration des lments indiens : sous la form e de

l'aigle Garide (= Garuda), le dieu Otchirvani (= Indra) attaqua le


serpent Losun dans l'Ocan primordial, l'enroula trois fois autour du

Mont Sumeru et finalement lui cra.a la tte (1). Inutile de rappeler tous le. autre. Monts Cosmiques des mythologies orientales ou europennes: Haraberezaiti des Iraniens, par exemple, Himingbjorg des anciens Germains, etc. Dans les croyances msopotamiennes une montagne centrale runit le Ciel et la Terre: c'est le Mont des Pays ., qui relie entre eux les territoires (2). Mais

le nom mme des temples et de. tours sacres babyloniens tmoigne de leur assimilation la Montagne Co.mique : , Mont de la Maison t, Maison du Mont de toutes les terres " Mont des temptes ., Lien entre le Ciel et la Terre t, etc. (3). La ziqqurat tait proprement parler une Montagne Cosmique, une image symbolique du Cosmos;

Une autre image mythique de ce Centre du Monde " qui rend possible la liai.on entre la Terre et le Ciel, est celle de la Montagne Cosmique. Le. Tatars d'Alta s'imaginent Bai lglin au milieu du Ciel, assis sur une Montagne d'or (Radlov, AIlS Sibirien, Il, p. 6). Les Tatar. Abakan l'appellent. La Montagne de Fer, ; les Mongols,
les Bouriates, les Kalmoucks la connaissent sous les noms de Sumbur, Sumur ou Sumer, qui trahissent nettement l'influence indienne
(= Meru). Les Mongols et les Kalmouck e la repr.entent avec trois

.cs sept tages reprsentaient les sept cieux plantaires (comme Borsippa) ou avaient les couleurs du monde (comme Ur) (4). Le temple Barabudur, vritable imago mundi, tait construit en lorme de montagne (5). Les montagnes artificielles .ont attestes en Inde, et se retrouvent chez les Mongols et dans l'Asie du Sud-E.t (6). Il
est vraisemblable que les influences msopotamiennes ont atteint

l'Inde et l'Ocan indien, bien que le symbolisme du . Centre t (Montagne, Pilier, Arbre, Gant) appartienne organiquement la spiritualit indienne la plus ancienne (7).
Le mont Thabor, en Palestine, pourrait signifier labbr, c'est-dire

ou quatre tages; pour les Tatars sibriens, la Montagne Cosmique a sept tages; dans son voyage mystique, le chaman yakoute escalade, lui aussi, une montagne sept tages. Son sommet se trouve

nombril ., omphalos. Le mont Gerizim, au centre de la Palestine,


tait sans doute investi du prestige du Centre car il est nomm nombril de la terre ' (/abbr ere$; cl. Juge. IX, 37 : ... C'est l'arme, qui descend du nombril du monde .). Une tradition recueillie par Petrus Corne.tor dit que, lors du .olstice d't, le .oleil ne porte pas d'ombre
OtcM,1ci IV, p. 228; HuYA, Die ,eli{iosen Vor.tellungen, p. 62. Sur les mon~aies grecQues, un serpent est enroul troiS fois autour de l'ompltalo. (ibid., p. G3). (2) A . JERUIIAS, Handbuch, p. 130 : cr. ELIADE, Le MytM th l'ternel ,etou" p. 31 8.q. ?our les f ai~ i~aniens , A .. CURISTE NS~N , Le. Type, du pr~miu homm~ el du p,emlu ,oi dan. l"",wlre Ugenda"e des banle1l8, Il (Uppsala-Leyde, 1934 ), p. 42 . Th . DOJlBAI\T, De, Sa1c,abu!"m, 1 : Ziqqu,a~ (~unich, 1920), p. 34. (4 Th . DOJlBAI\T, De, babylonucM Tu,m (LeipZig, 1930), p. 5 sq.; M. ELI;tDB, COI,"ologie fi alchimie babiloniand (Bucarest., 193'), p. 31 sq. Sur le symbolIsme de la :isru,at ct. A. PARROT, Zig~u,au et Tou, r Babel (Paris, 1949). (5) P . Mus, llarabudu,. Esquisse dune hisloi,e du Bouddhisme fondie . Ur la c,itique ar-chiofo#ique du texle. (Hano, 2 vol., 1935 sq.) , l , p. 356. (6) Cr. W. Foy, Indi.che Kultbaukn ah Symbole de. Cotte,buges (1. F~stschrirt Ernst. Windisch zum siebzigsten Geburtstag am 4. Septem ber 1914 " LeipZig, 1914 ), p. 213216; HUVA, D.ie religi6se ,! Vorskllu.ngen, p: 68 ; R. von HBI NE-GELDUI'f, W ebbild und Bauform ln Sudo,tlUlt1l8 (1 Wiener Belt.rAge zur Kunst.- und Kultur geschichte Asiens " vol. IV, 1930), p. 48 sq.; cf. aussi H. G. Quaritch W.UIS, The Mountain. of Cod: a Study in EaI'ly Religion and King.hip, (Lon dres, 1953 ), passim. (7) Cf. P. Mus, Bar-abudu" l, p. t17 Bq.; 292 B q., 351 Bq ., 385 sq., etc.; J. PUy LUSKI, Le, . ept k"lU,e. r Bar-abudlU (1 Harvard Journal of As~atic Studies " juillet, 1936, p. 25156) ; A. ~O OJlUASW.JlY, Eurrunu .of !1uddJ:u~ le0n.0l,<!phy (Cambridge, Mass., 1935), plU.lm; M. ELlAD., Co.mologlt l' alchimie babilonland, p_ 43 sq.
(i) POTANIN

dans l' Ihoile Polaire, au nombril du Ciel . Les Bouriate. disent que l't;toile Polaire est accroche .on .ommet (1). L'ide d'une Montagne Cosmique = Centre du Monde n'est pas
ncessairement d'origine orientale car, nous l'avons vu, le symbolisme

du Centre

.emble avoir prcd l'essor des civilisation. palo-

orientales. Mais les anciennes traditions des peuples de l'Asie centrale et septentrionale - qui, sans doute, connaissaient l'image d'un

Centre du Monde , et de l'Axe co.mique - ont t modifie. par. l'affiux continu de. ide. religieu.e. orientale., que celles-ci aient t
d'origine msopotamienne (et diffuses travers l'Iran) ou indienne travers le lamasme). Dans la cosmologie indienne, le Mont Meru s'lve au centre du monde et au-dessus de lui scintille l'toile

(3i

Polaire (2). Tout comme les dieux indiens ont empoign cette Montagne o.mique (= Axe du Monde) et ont agit avec elle l'Ocan primorial, donnant ainsi naissance l'Univers, de mme, un mythe kalouck raconte que les dieux ont utilis Sumer en guise de bton
1) Uno. H~II.VA. ( H OUfBZII.G), De, Baum de. Ldelu, p. U, 57; id., Finno-Ug,ic / an~ S ,berlan [MytholoIYJ. p. 3U ; id., Die religi6.en Yor.teUungen, p. 58 sq.

(2)

Li ig, 1920), p. -1 5.

V. KII\FBL, Die Ko.mograpltie de, l1Ur, nach den Quelkn dar-ge,tellt (Bonn_

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CHAM AN IS ME ET COS MOLOOJE

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la , Fontaine de Jacob , (prs de Gerizim). En effet, prcise Come.tor, sunt qui dicunt locum ilIum esse umbilicum terrae nostrae habitabilis (1). La Palestine, tant le pays le plus lev - puisque voisine du sommet de la Montagne Cosmique - ne lut pas submerge par le Dluge. Un texte rabbinique dit: , La terre d' Isral n'a pas t noye par le dluge, (2). Pour les chrtiens, le Golgotha se trouvait au centre du monde car il tait le sommet de la Montagne Cosmique et tout la fois le lieu o Adam avait t cr et enterr. C'est ainsi que le sang du Sauveur tombe sur le crne d'Adam, inhum au pied mme de la Croix, et le rachte (3). Nous avons montr ailleurs combien ce symbolisme du Centre est frquent et essentiel aussi bien dans les cultures archaques (. primitives .) que dans t outes les grandes civilisations orientales (4). En effet, pour nous rsumer trs brivement, les palais, les villes royales (5) et mme les simples habitations taient censs se trouver au Centre du Monde, sur le sommet de la Montagne Cosmique. Nous avons vu plus haut le sens profond de ce symbolisme: dans le , Centre est possible la rupture des niveaux, c'est--dire la communication avec le Ciel. C'est une telle Montagne Cosmique que le lutur chaman escalade en rve pendant sa malad ie initiatique at qu'il visite, plus tard, dans ses voyages extatiques. L'ascension d'une montagne signifie touj ours un voyage au c Centre du Monde t . Comme nous l'avons vu, ce c Centre est rendu prsent de multiples faon" mme dans la structure de l'habitation humaine - mais ce sont uniquement les chamans et les hros qui escaladent effecti.ement la Montagne Cosmique, tout comme c'est en premier lieu le chaman qui, en grimpant son arbre rituel, grimpe en ralit l'Arbre du Monde et, de la sorte, parvient au sommet de l' Univers, dans le Ciel suprme.

sont que des lormules mythiques plus labores de l'Axe Cosmique (Pilier du Monde, etc.). Il n'est pas question de reprendre ici le dossier considrable de l'Arbre du Monde (1). Il nous suffira de rappeler les thmes les plus frquents en Asie centrale et septentrionale en indiquant leur rle dans l'idologie et l'exprience chamaniques. L'arbre cosmique est essentiel au chaman. De son bois il faonne son' tambour (voir plus haut, p. 144 sq.), en escalada nt le bouleau ri tuel il monte effective- _ ment au sommet de l'Arbre Cosmique, devant sa yourte et l' int~ rieur de celle-ci se trouvent des rpliques de cet Arbre et il le dessine a ussi sur son tambour (2). Cosmologiquement, l'Arbre du Monde s'lve au centre de la Terre, l'endroit de son ~ ombilic lt, et ses branches suprieures touchent le palais de Bai lg~n (Radlov, Aus S ibirien, JI , p. 7). Dans les lgendes des Tatars Abakan, un bouleau blanc sept rameaux pousse au sommet d'une Montagne de Fer. Les Mon~ gols se figurent la Montagne Cosmique comme une pyramide quatre faces, ayant au milieu un Arbre: les dieux s'en servent, de mme que du Pilier du Monde, comme d'un piquet pour attacher leurs chevaux (3). L'Arbre relie les trois rgions cosmiques (4). Les Vasyugan-Ostyaks croIent que ses branches touchent le Ciel et que ses 'racines plongent dans l'Enler. D'aprs les Tatars sibriens, une rplique de l'Arbre cleste se trouve en Enfer : un sapin neuf racines (ou, dans d'autres variantes, neuf sapins) s'lve devant le palais d'Irle Khan i le roi des mort' et ,es fils attachent leurs chevaux son tronc. Les Goldes com ptent trois Arbres Cosmiques: le premier dans le Ciel (et les unes des humains sont poses sur les branches comme des oiseaux, attendant d'tre descendues sur terre pour donner naissance des enfants), un autre Arbre sur terre et le troisime en Enfer (5). Les Mongols connaissent l'Arbre zambu dont les racines s'enfoncent la base du mont Sumer et dont la couronne s'panouit son sommet; les dieux (Tengeri) se nourrissent des fruits de l'Ar~oire

L'ARBRE DU MONDE

En effet, le symbolisme de l'Arbre du Monde est complmentaire de celui de la Montagne Centrale. Parlois, les deux symboles se recouvrent ; gnralement ils se compltent. Mais l'un comme l'autre ne
11 ) E~l c BU~ROWS , Some C06mological PAtterM in Babylonian Religion (dans TM iAbyrrnth, dit par S. H . Hoo ke, Londres, 1935 , p. '7-70), p. 51 , 62 n. 1. (2) Cit par A. WINSIlf C"K., TM ldecu of tM W e6tern Semites concerning lM Na~d OftM Earth (Amsterdam, 1916) , p. 15 ; B U RR OWS (op. cit., p. M l mentionne d'autres textes. 3) W ElfSINCr., op. ci'., p. 22; ELIADE, CNmologie, p. 34 sq. La croyance suivant aquelle le Golgotha se trouve au Centre du Monde s'est conserve dans le folklore des chrtiens d'Orient (par ex. chez les Petits Russiens; cl. Hun (HOLll8B11.C), D e,. Baum lU6 LdeM, p. 72). (4 ) M. ELIADE, C06molocie, p. 31 sq.; Traiti d'hi6toire de. religiolU, p. 315 sq. ; Le M ythe de l'ternd rewur , p. 30 sq. (5) Cf. P. Mus, Barab udUJ', J, p. 354 sq., et passim ; A. JEREMI AS, /landbuch, p. 113, 142, etc.; M. GUNBT, La Pens chinoise (Paris, 193ft), p. 923 sq. ; A. J. W.tNSINC"K., Tree and Bird cu COImo logical Symbols in We.~rn A.ia (Amsterd am, 192 1), p. 25 B q. ; Birger PUING, Die geflUgelte Scheibe (dans. Archiv fr Orientrorschung " vol. VIII, 1935, p. 281-96) ; Eric DURROWS, SOTM C06mological Pat.~rn., p. 48 sq.

(1) On trouvera les lments et les bibliographie sessentiels dans notre Traiti d'hi.cU6 religioTU , p. 239 sq. , 28 1 8q . (2) Voir, par ex., le dessin sur le tambour d'un. ~h ama n al ~tque, HARVA , Die religilisen Vorsullungen, figu re 15. Les chamans utlhsent parfOiS un 1 arb~c renvers " qu'ils installent prs de leur habitation et qui es t cens protger cellesCi ; cr. E. KAcuov Der Umgekehr~ Schamanenbaum (1 Archiv IO r Religionswissenschaft J, 27, 1929, p. 183-85) . L' 1 arbre renvers 1 est, bien entendu, une image mythique du Cosmos; cf. A. COOHAI\ ASWAMY, TM Jn~erud Tue (1 The Quarter!)' Journal of the Mythic Society _, Bangalore, vol. 29, nO 2. 1938, p. 1-38) avec une riche documentation indienne; ELIADE, Traiti d ' hi~w.ire cU. rel~g ioru , p. ~ftO sq., 281. Le ~~e symbolisme s'est conserv dans les traditIOns chrllennes et tslamlques : .cf. ,but, p. 2ftO; A. JA COBY, Der Baum mit tkn WurU!l~ .nach .oben und den Zwe'Ien nach unt.en (1 Zeischrirt rUr Missionskunde u~d RehglOnsw~.enscha rt I! vol. fta , 1928, 7885); Carl-Martin EDSHAN, A rbor ,"~er8a (e RehglOn och Blbel l , Uppsala, Il , 19". p. 533). (3) cr. HARvA (Ho.u8nc), De: Bau.m cU6 LebeM, p. 52: i~., Die reli,i6.e!, VOTltellungen, p. 70. Odlun attache, lUi aUSSI, son cheval Y$'gdrasll ; cf. notre Tralti, p. 242. Sur l'ensemble mythique cheva l-arbre (poteau) en Chme, v. H ENTU, FrCihchine.i6Che Bronu n und Ku lldar6!ellun gen (Anvers, 1937), p. 123-30. (ft) CI. H. BERGE MA, D e Boom des Le~erl$ in Schrift. en Hi. 'orie (Hilversum, 1938 ), p. 539 sq. (5) HU VA, D ie religiosen VOfstellungen, p. 71.

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hre et les dmons (asuras), cachs dans les crevasses de la Montagne, les regardent pleins d'envie. Un mythe analogue se rencontre aussi chez les Kalmoucks et les Bouriates (1). Plusieurs ides religieuses sont impliques dans le symbolisme de l'Arbre du Monde. D'une part, il reprsente l'Univers en continuelle rgnration (cf. Eliade, T,ait, p. 239 sq.), la source intarissable de la vie cosmique, le rservoir par excellence du sacr (parce que c Centre. de rception du sacr cleste, etc.) ; d'autre part, l'Arbre symbolise le Ciel ou les Cieux plantaires (2). On reviendra tout l'heure sur l'Arbre en tant qu e symbole des cieux plantaires ce symbolisme jouant un rle essentiel dans le chamanisme centralasiatique et sibrien. Mais il importe de rappeler ds maintenant que dans nombre de traditions archaques, l'Arbre Cosmique, exprimant la sacralit mme du monde, sa fcondit et sa prennit se trouve en relation avec les ides de cration, de fertilit et d'initiation en dernire instance avec ride de la ralit absolue et de l'immorta~ lit. L'Arbre du Monde devient ainsi un Arbre de Vie et de l'Immortalit. Enrichi d'innombrables doublets mythiques et symboles complmentaires (la F emme, la Source, le Lait, les Animaux, les Fruits, etc.), l'Arbre Cosmique se prsente toujours nous comme le rservoir mme de la vie et le maltre des destins. Ces ides sont assez anciennes car on les retrouve intgres dans un sy,;"bolisme luna ire et initiatique chez de nombreux peuples pflmltlfs (cl. Ehade, T,a, p. 241). Mais elles ont t maintes fois modifies et dveloppes, le symbolisme de l'Arbre Cosmique tant presque mpUisable. Il est hors de doute que des influences sud-orientales ont fortement contribu donner aux mythologies des populations de l'Asie centrale et septentrionale leur aspect actuel. C'est surtout l'ide de l'Arbre Cosmique rservoir des mes et t Livre des destins , qui semble avoir t importe des civilisations plus volues. L'Arbre du Monde est en effet conu comme un Arbre pipant et faisant "i"re. Pour les Yakoutes, au nombril d'or de la Terre. s'lve un arbre huit rameaux: c'est une sorte de Paradis primordial car c'est l que le premier bomme est n, et il est nourri par le lait d'une Femme demi sortie du tronc de l'Arbre (3). Comme le
(1). ~ARVA (HOU:B ERC), Finno, U f ": [and] Sib~,.ian. [MytholofY), p. 356 sq.; Die NlI",6.en Yo,.,tellungen, p. '2 sq . Nous avons dj fait allusion un modle Iranien possible: l'Arbre Gaokrna situ da ns une lIe du lac Vourukasha et prs duquel se trouve le lzard mons~rueux ~ par Ahrim a~ .lvoir J?lus ha ut, p. 111, n. t ). Quant a.u mythe mon~ol, li est , bien entendu, d'ongme indienne: Zambu """ Jamb . c r. aussI l'Arbre de Vie (= Arbre Cosmique) de la tradition chinoise ctOssant sur une montagne et dont les racines pJon~nt dans l'Enfer : ' .c~NT~d.Le clI.lte th l'our. ou du ti,,.e et le ,'Mt'Uf (e ZalmoXlS., l , 1938, p. 50-68/'p. 57; iii;' Die SaJu'al b,.onun und I~ Bethwunf in thn f,.ahchine.ilchen KlI.ltu.ren p. 24 sq. (2) Ou, parrois, la Voie Lacle; cr., par ex., Y . H . TOIVON~N, lA G,.o. Chtne th. chanu populai,.e. finnois (1 J ournal de la Socit Finno-Ougrienne ., LIli, 19461947 . p. 37-771. (3) H.uv (HOLIIUERG), Die ,.eligio.en Yorstellll.nfen, p. 75 sq. ; id., De,. Baum. th. LebelU, p. 5? sq. Po ur les rrototypes palo-orientaux de ce motif mythique, cf. ELIADIt, TI'I1It, p. 24 7 sq.; c . aussI G. R . Lsvy, The Gate of lIorn , p. j56, n. 3. Sur le thm~ Arbre.Desse (= Premire Femme) dans les mythologies de l'Am rique ' de la Chme et du Japon, cl. C. Harnu, F,.uMhim.i.cM B,.OlUefI., p. 129.

remarque Harva (Die ,eligiosen Vorstellungen, p. 77), il est difficile de croire qu' une telle image ait pu tre invente par les Yakoutes dans l'pre climat de la Sibrie septentrionale. Les prototypes se rencontrent dans l'Orient antique et aussi dans l' Inde (o Yama le premier homme, boit avec les dieux prs d' un arbre miracule~x, Rig Vda X, 135, 1) et l'Iran (Yima sur la Montagne Cosmique communique . l'immortalit aux hommes et aux animaux ' Yasna 9 , 4 sq. ; Vidpdat, 2, 5). Les Goldes, les Dolganes et les Tongouses disent que les mes des enfants, avant la naissance, reposent comme de petits oiseaux sur les brancbes de l'Arbre Cosmique et que c'est l que les chamans vont les chercher (Harva, Die religiosen Vorstellungen , p. 84, 166 sq.). Ce motif mythique, dj renco ntr dans les rves initiatiques des futurs cbamans (voir p. 49), n'est pas limit l'Asie centrale et septentrionale ; on le trouve, par exemple, en Afrique et en Indonsie (1). Le schma cosmologique Arbre-Oiseau (= Aigle), ou Arbre avec l'Oiseau au sommet et le Serpent sa racine, bien qu e spci fique des peuples de l'Asie centrale et des Germains, est vraisemblablement d'origine orientale (2) mais le mme symbolisme es t dj formul sur les monuments prhistoriques (3) . Un autre thme, d'origine nettement exotique celui-ci, est celui de l'Arbre - Livre des destins. Chez les Turcs Osmans l'Arbre de Vie a un million de feuilles, sur chacune desqu elles est i~scrit le destin d'un humain ; chaque fois qu' un homme meurt, il tombe une feuille (Harva, Die religwsen Vorstellungen, p. 72). Les Ost yak croient qu' une Desse, assise sur une Montagne cleste sept chelons, inscrit le sort de l'homme, immdiatement aprs sa naissance, sur un arbre sept branches (ibid., p. 172). On retrouve la mme croyance chez les Batak (4), mais comme les Turcs aussi bien que les Batak n'ont reu l'criture qu'assez tardivement, l'origine orientale du mythe est vidente (5). Les Ostyak pensent aussi que les dieux cherchent l'avenir de l'enfant dans un livre de la Destine; d'aprs les lgendes des Tatars sibriens, sept di eux crivent le sort des nouveau-ns dans un livre de la Vie. (Harva, Die religiosen Vorstellungen, p. 160 sq.) . Mais
1{

et

l~ Jette sur terre (H. BAUMAriN, Lunda. B ei Baue,.,., und J agern in /nne,.Angola, B erl~n, 1935. p. 95); sur le mY,the afri cain de l'o:igine de l'homme .par ~ir des arbres, cr. I~., SeMprunf und Uru lt de. MenAchen lm MythtU de,. af,.,lcanllchen Yllcc,.

(t ) D~ns le Ciel il y a un arbre sur leq uel se trouven lles enfants ; Dieu les cueille

(Berh,n, 1936), p. 224 i matriaux comparatifs dans ELIAOE, T,.ait, p. 259 sq. L e p~emlCr couple des A~n c t re~~ ! sel0.!0~s CJ'9t! .ances d ~ Da)~..d.eJ!Arbl!.. yl~ (H ..SC IlUlER, Dr.e-Gotu!~ 'i! lU,. !,~a)""ilD!AJafin SiiiJ.-]Jo,.neo, 1946), p. Si;

il,

vO ir aussI plus bas, p. 279. MalS tI raut remarquer que l'image Ame (enrant) - oiseau Arbre du M OI~de e~t. spcifique de l'Asie centrale et. septentrionale. (2) HARVA, Du: f"Chgl6.en Yo,.stellungen, p. 85. Sur le sellS de ce symbolisme voir ELIA DB, ~,.ait, p. 252 sq. Matriau:,: A. J. WSNSINCK:, T,.ee and Bil'd as Co.mol~gical Symbo~ ln W c.tem A , ta. Cf. aussI H EriTZE. f ,.hc;hine.uche. B,.onun, p. 129. (3) V:0lr .G. WILK.E, Du JYcltenba.u~ und dIe belden ko.mllchen Y6gel in du ClorUCh'Ch'lr.Chen Kun~t f. ~l~nnu s-B lbh ot h e k " ~lV, Leipzig, 1922, p. 73-99). 4) J . WAR~It C K. , Du R ch g lo,!- de,. .BtUalc (lOUlOgen, 1909), p. 4.9 sq. Sur le sym ohsme de 1 arbre en Indon ile, VOlr plus 1011\, p. 229, 283, 5 ) c r. G, WI~ .t:N.CRBN~ TIte. A.ce,lSio'! of the Aposde of God and tlu HeaClenly Boole, Up,p~a l a et LeipZig, 19,,0) ; Id ., The King and the T"ee of Life in Ancient Nea,. Eastern elltlOn (Uppsala, 1951).

~ ~

222

CHAMANISME ET COSMOLOGIE

CHAMANISME ET COSMOLOGIE

223

toutes ces images drivent de la concepti?D m sopotam~enne des sept cieux plantaires considrs comme un Llvre de la Destme. Nous les avons rappeles dans ce contexte parce ~ue l~ ch~an, en ac~dan~ au sommet de l'Arbre Cosmique, au dermer CIel, mterroge lm aussI en quelque sorte r Cl avenir de la communaut et la (1. destine de l' me Jo

p. 50). Un signe de plus qui montre sa capacit de voyage extatique dans les rgions clestes. Nous avons vu que les Piliers Cosmiques des Ost yaks portaient sept incisions (voir plus baut, p. 214, n. 4). Les Vogoules s'imaginent qu'on atteint le Ciel en montant un escalier sept chelons. Dans toute la Sibrie de Sud-Est, la conception des sept cieux est gnrale. Mais elle n'est pas la seule atteste: l'image de neul niveaux
clestes, ou encore de 16, 17 et mme 33 cieux n'est pas moins rpandue. Comme nous le verrons bientt, le nombre des cieux n'est pas en

LES NO MBR ES ?llYSTIQU ES

ET

rap port avec le nombre des dieux; les corrlations entre le panthon et L'identification de l'Arbre Cosmique 7 rameaux avec les sept
cieux plantaires est certainement due des influences d'origine msopotamienne. Mais, pour le rpter, ceci ne veut pas dire que la le nombre des cieux semblent parfois assez forces.

Ainsi, les AltaIques parlent aussi bien de sept cieux, que de 12, 16 ou 17 cieux (RadJov, Aas Sibirien, JI p. 6 sq.) ; ohez les Tloutes,
l'arbre chamanique n seize incisions, reprsentant autant de ni veaux c-

notion de l'Arbre Cosmique = Axe du Monde ait t apporte aux


Turco-Tatars et aux autres populations sibriennes par les influences

lest es( Harva, ibid.,p. 52) . Danslecielle plus lev habite Tengere Kaira
Kn, 0: L'Empereur misricordieux Ciel; dans le~ trois tages infrieurS" se trouvent l es trois principaux dieux produits par Tengere Kaira Kn grce une sorte d'manation : Bai lgan sige dans le seizime, sur un trne d'or au sommet d'une montagne d'or ; Kysgan Tengere, .Le Trs Fort , dans le neuvime (on ne donne aucun ren-

orientales. La monte au Ciel le long de l'Axe <lu Monde eJlt une ide uni verselle et archa!que, antrieure l' ide de la traverse des sept rgions clestes (= sept cieux plantaires), laquelle n'a pu se rpand~ dans l'Asie centrale que longtemps aprs les spculations msopotamiennes sur les sept plantes. C'est un fait connu que la valeur reli-

gieuse du nombre 3 - symbolisant les trois rgions cosmiques (1) - a prcd la valeur du nombre 7. On pa~le aussi de9 cieux (et de neul dieux, neul branches de l'Arbre Cosmique, etc.), nombre mystlque exphquer vraisemblablement comme 3 X 3 et considrer, par consquent,
comme- faisant partie d'un symbolisme plus archaque qu o celUi que

seignement sur les habitants du 15e au 10e ciel) ; Mergen Tengere,


Il

L'Omniscient , dans le septime ciel, l o se trouve aussi le Soleil.

Dans les autres tages infrieurs habitent le reste des dieux et nombre d'autres figures semi-divines (Radlov, ibid., p. 7 sq.).
Anochin a trouv, chez les mmes Tatars d'AltaI, une t radition

rvle le nombre 7, d'origine msopotamienne (2) . Le chaman escalade un arbre ou un poteau entaill de sept.ou neul tapty, reprsentant les sept ou neul niveaux clestes. Les, obstacles (pudak) qu'il doit vaincre sont en ralit, comme l'a remarqu Anochin (Materialy, p. 9), les cieux que le chaman doit pntrer. Q~and les Yakoutes lont des sacrifices sanglants, leurs chamans dressent en plein air un arbre neul chelons (tapty) et l'escaladent, pour porter l'offrande jusqu' Ai-tojon. L'initiation des chamans Sibo
(apparents aux Tongo uses) comporte, nous l'avons vu, la prsence d'un arbre chelons; le chaman en garde un autre, plus petit, incis de neul tapty dans sa yourte (Harva, Die religiosen VorsteUlLngen .
(t) Sur l'anciennet, la cohrence et l'importance des conceptions cosmologiques bases sur un schma tripartite, voir A. K. COOM ARASWAMY, Svayamdlrnnd: J anua Cotli, peu,im. (2) Sur les implications religieuses et cosmologiques des nombres 7 et 9, ct. W. SC HMIDT, Du U"'P,.unt, IX, p. 9t sq., 423, etc. HARVA. (Du ,.eli,io'tn vo,.,tellungen p. 51 aq., etc.), au co ntraire, considre le nombre 9 comme plus rcent. II croit a'ussi que les neuf cieux sont une conception tardive s'ex'pliqual~l.par l'ide des neuf plantes, atteste aussi dans l'Inde, mais d'origine ira81en!le (Ibid., p. 56). Il s'agi t, en tout cas, de deux complexes religieux dillrents. ~vldemmcnt, da!U les contextes 00. le nombre 9 trahit nellement une multiplication du n0!l1bre troIS, on est fond il le considrer comme antrieur au nombre 7. Voir aussI F. R OC K:, Neunmalneun und Siebenmaieben (in . Mitteilungen der anthropo logischen Gesellsehaft in Wien ., LX, Vienne, 19aO, p. 320-30), pcuIJn; H. J -IoPPMAl'fN, Queln .lUI' Ge8chichte i,. 'ibe'uchen Bon-ReUion, p. 150, 153, 245 ; A. FR IBDRICH et O. BUDDa uss, SchamaMA,e8chichten aU6 Sibl,.ien, p. 21 sq., 96 sq.,101 sq., etc. ; W. SC HMIDT, De,. Ur.p,.un" XI, p. 713-16.

toute diffrente (Mat.rialy, p. 9 sq.) : Bai Ulgan, le dieu suprme, habite le ciel suprme - le septime ; Tengere Kaira Kn ne joue plus aucun rle (nous avons dj remarqu qu'il est en train de disparaitre de l'actualit religieuse) ; les 7 Fils et les 9 Filles d'lgiin habitent dans les Cieux, mais on ne prcise pas dans lesquels (1). Le groupe de 7 ou 9 Fils (ou Serviteurs , ) du dieu clest e se rencontre frquemment dans l'Asie centrale et septentrionale, aussi bien

chez Jes Ougriens !lue chez les Turco-Tatars. Les Vogoules connaissent Sept Fils du DlOU, ' es Vasyugan-Ostyaks parlent de Sept DIeux rpartis dans Sept Cieux : dans le plus lev se tient Num-trem, les six autres dieux sont appels Les Gardiens du Ciel , (Trem-karevel) ou Les Dolmetchers du Ciel (2). Un groupe de Sept Dieux suprmes se rencontre aussi chez les Yakoutes (3). Dan, la mythologie mongole on
parle, au contraire, de Neuf Fils du Dieu ou t( Serviteurs du Dieu 11, qui sont la lois des dieux protecteurs (sulde-tengri) et des dieux guerriers. Les Bouriates connaissent mme les noms de ces neuf Fils
(1 ) Voir l'analyse de ces deux conceptions cosmologiques dans W. SCHMIDT, De,. V,,/! ,.u.nC, IX, p. 84 sq., 135 sq., 172 sq., 449 sq., 480 sq., etc. (2) Il est probable, comme l'a montr KARJALAIl'f&l'f (Die Relilion de,. Jug,.aV611ce,., II , p. 305 sq.), que ces noms ont t emprunts aux Tatars conjointement

avec la conception des sep t cieux. ' (3) HARVA, Die ,.eli,i",en Vo,.,ttllungen, p. 162, d'aprs PIUI.LONS.l.U et. PR IP UZOY . SIBROSZB.WSI.I alllrme que Ba Balna, dieu yakoute de la chassa, a sept. compagnon. , don t troIS so nt favorablea et deux dfavorables aux chasseurs (Du chamanj.me p. 30a). '

224

CHAMANISME ET COSMOLOGIE

du Dieu suprme, mais ils varient d'une rgion l'autre. Le nombre 9 revient aussi dans les rituels des Tchouv ach-es de la Volga et des Tchrmisses (Harva, ibid_, p. 162 sq.). En plu. de ce. groupes de 7 ou 9 dieux, et des images respective. de 7 ou 9 cieux, on rencontre dans l'Asie centrale des groupes encore plus nombreux, comme les 33 dieux (tengeri) qui habitent Sumeru, et dont le nombre pourrait tre d'origine indienne (ibid., p. 164) . Verbitzki a trouv l'ide de 33 cieux chez les Alta!ques, et Katan ov l'a rencontre galement chez le. Soyote. (ibid., p. 52) ; nanmoins la frquence de ce nombre est extrmement limite, et on peut supposer qu'il est une importation rcente, vraisemblablement d'origine in-

dienne. Chez les Bouriates, le nombre de dieux est trois (ois plus grand:
99 dieux , diviss en bons et en mauvais et distribus par rgions : 55 dieux bons dans les rgions sud-ouest, et 44 mauvais dans les nordest. Ces deux groupes de dieux luttent depuis trs longtemps entre eux (1). Les Mongols aussi connaissaient 99 tengri autrefois (Harva, p_ 165). Mais ni les Bouriates, ni les Mongols ne peuvent ~ien dire de prcis sur ces dieux, dont les noms sont obscurs et artIfiCiels. Il faut se rappeler toutefois qu e la croyance en un Dieu cleste suprme est originaire et trs ancienne en Asie c~trale et dans l.es rgions arctiques (Eliade, Trait, p. 63 sq.) ; la croyance dans les FIl. de Dieu D est tout aussi ancienne, bien que le nombre sept reprsente une influence orientale et, partant, rcente. Il est probable que l'idologie chamanique a jou un rle dan. la dilTusion du nombre 7. Gah. pense que le complexe mythico-culturel de l'Anctre lunaire est en relation avec les idoles sept entailles et l' Arbre- Humanit sept rameaux, et aussi avec les sacrifices sanglants priodiques et 1: chamanis tes . , d'origine mridionale, qui se sont substitus aux sacrifices non-sanglants (offrandes de la tte et des os aux dieux clestes suprmes) (2). Quoi qu'il en soit, chez les Yurak-Samoyde., l'Esprit de la Terre a sept fils et les idoles (sjaadai) ont sept visages, ou un visage sept entailles, ou seulement sept incisions; et ces sJaada" sont en relation avec les arbres sacrs (3). On a vu que le chaman a, sur son costume, sept clochettes reprsentant les voix des Sept Filles clestes (cf. Mikhailov.ki, Shamanism, p. 84). Chez les Ost yaks de l'Inissi, le futur chaman se retire dans la solitude, y fait cuire un cureuil volant, en fait huit parts, en mange sept et jett e la huitime. Au bout de sept jours il revient au mme endroit et reoit un signe qui dcide de sa vocation (4) . Le nombre mystique 7 joue vrai.emblablement un rle important dans la technique et Jlextase du chaman car, chez les Yurak-Samoydes, le futur chaman git .ept jours et sept nuits inconscient, pendant que les esprits le dpcent et procdent l'ini-

225 tiation (Lehtisalo, Entwur!, p. 147) ; le. chaman. o.tyak. et lapon. mangent des cha~pignons 7 taches pour entrer en transe (1) ; le chaman lapon reOIt de son maltre un champignon 7taches (Itkonen p. 159) ; le chaman yu rak-.amoyde possde un gant sept doigt~ (LehtlSalo, p. 147) ; le chaman ougrIen a .ept esprits auxiliaires (Ka rJalamen, II r, ,p. 311), etc. On a pu montrer que, chez les Ost yaks et les Vogo~ls ,. llmpor.tance du nombre 7 e.t due des influences prCIse. de 1 OrIent anCIen (2) - et il est hors de doute que le mme phnomne s'est galement produit dan. le reste de l'Asie centrale et septentrionale. C~ qui imp orte pour notre recherche, .c'est que le chaman semble aVOir une. connaissan?e plus directe de tous ces cieux et, partant , de tous les dwux et deml-dleu~ qui les habitent. En elTet, s'il peut pnt~er succeSSivement les rglOns clestes, c'est aussi parce qu'il y est aId par leurs hab itant. et, ava nt de pouvoir parler Bai lgan il 8'entre~ient avec les autres figures clestes et leur demande ap pui' et protectIOn. Le cha~an fait preuve d'une connaissance exprimentale semblable en ce qUI concerne les rgions du monde souterrain L'entre dans l'?nfer es t conue par les Altalques comme une 1( Ouverture pour la fum ee de.la Terre, et elle'se trouve, bien entendu, dans le II: Centre (au Nord, SUivant les mythes de l'Asie Centrale, ce qui correspond au C~ntre du Ciel; Har.va! Die religiOsen Vorstellungen, p. 54 i on le 8,alt , le , No~d ~st aSSImIl au cc Centre J dans toute l'aire as iatiqu e, de 1 Inde a la SIbrIe). Par une sorte de symtrie, on a imagin, pour l'Enfer, le mme nombre d' tages que pour le Ciel: trois, chez les Karagasses. et. les Soyotes, qui connaissent trois cieux ; sept ou neuf pour la majorIt des population. de l'Asio centrale et .eptentrionale (3). Nous avons vu que le chaman altalque franchit successivement les sept obstacles (~udak) de PEnfer. En elTet, c'est toujours lui, et lui seul,' qUI dispose.cl une connaIssance expnmentale des Enfers car il y pnetre de son VI vant, tout comme il escalade et descend les sept ou neuf cieux.

CHAMAl'flSME ET COSMOLOGIE

CHAMANISME ET COS MO LOGIE DANS L'AIRE OCAN I ENNE

.1

c~ama nIs~e du C?~tre et du ,Nord ~e l'Asie, d'une part, et le cham a-

Sans prtendre cdroparer deux phnomne. aussi complexes que le

marne de 1 Indonesle et de 1 Ocame, de l'autre, on passera rapidement en revue certains faits de l'aire sudest asiatique afin de mettre en lumire deux points: 1) la prsence, dans ce. rgions , du symbolisme
(1) KAR~AL~IN' .EN, D,ie. Religion der Jugra-Y6lku, vol. II , p. 278, III , p. 306; In o. IUN', Ht ldnucM llehguJ.n und ,pdterer Abergla.ube bei ckn fin ni,chen Lappen, p. H.9. Chez I~s Ost yaks de Tsmgala, le malade pose un pain sept incisions sur une table et sacrifie S~nke (K ARJA LAI Nt:N', III , p. 307). (2) J ~se.f HU CK:RL, . Idolh ul' und DuCJ.y'tem bei den U,r it,.n . Zum Probm de. eura.ua.tucMn TotemumlU (. Archiv f r VO lkerkunde. J Vienne 194" P 95-1 &3 ) p. 136. ' , ",. , (~) hez les Ougriens, l'Enfer a toujours sept tages mais l'ide ne sem ble pas origmalre; ct. KARJALAINEN', Il, p. 318.

Welta mchauung und Schamanmu., p . 939 sq. . 2) A. OARS , K opf , Schdel- und LangknocMnOpftr, p. 237 ; id., Diuljgt und unblu~t,e Opfer bei de n allaucMn H irttn(161 kern (Semaine d'Ethnologie Religieuse, IV seSSion 1925J, Paris, 1926, p. 217-32), p. 220 sq. 3) LEHTISALO, Entwurf einu Mytholog~ du Jurah-Samojeden, p. 67, 77 sq., 102 . ur ces idoles sept visages, voir aussi Kai DONNP.I\, La Sibrie, p. 222 sq. (4 ) Kai DONNER , La. S ibrit, p. 223 .
SANDSC H J:.n:W,

l ) G.

Le Chamanisme

15

226

CHAMANISME ET COSMOLOGI E

CHAMAN ISME ET COSMOLOGIE

227

archaIque de trois zones cosmiques ~ _ d~.J'Axe du Monde i 2) les infl uences indiennes (dcelab les surto_ ut grce au rle cosmologique et la fonction religieuse du nombre 7) qui sont venues s'ajouter au C ond de la religion autochtone. Il nous semble, en 'elTet , que les deux blocs culturels, l'Asie centrale et septentrionale d'une part, l'Indonsie et l'Ocanie de l'autre, prsentent cet gard des traits communs dus au fait que l' un comme l'autre ont v u leurs traditions religieuses archaIques sen~ment modifies la suite d~ r ~o nneme nt des cultures su perie~res. Il ne s'agit pas de faire, ici, l'analyse historicocultu relle de l'aire indonsienne et ocanienne, travail qui sortirait par trop de notre sujet (1). Il nous importe seulement de fixer quelques jalons pour montrer partir de quelles idologies et grce quelles techniques le chamanisme a pu se dvelopper. Parmi les populations les plus archalques de la pninsule de Malacca, chez les Pygmes Semang, nous trouvons le symbole de l'Axe du Monde: un norme rocher, Batu-Ribn, se dresse au centre du monde; au-dessous se trouve l'Enfer. Autrefois, sur Batu-Ribn, un tronc d' arbre s'levait vers le Ciel (Schebesta, L es Pygmes , p. 156 sq.). D'aprs les informations recueillies par Evans, une colonne de pierre, Batu Herem, supporte le Ciel; son sommet traverse la vote et ressort au-dessus du ciel de Taperu, dans une rgion nomm e Ligoi, o babitent et s'amusent les Chino! (2). L'Enler, le centre de la Terre et la porte JI du Ciel se trouvent sur le mme axe, et c'est par cet axe que se faisait autrefois le passage d' une rgion cosmique une autre. On hsiterait croire l'authenticit de ce schma cosmologique chez les Pygmes Semang si l'on n'avait des raisons de croire qu'une thorie semblable tait dj esquisse aux temps prhistoriques (3). Quand nous examinerons les croyances relatives aux gurisseurs semang et leurs t echniques magiques, nous aurons l'occasion de noter certaines influences malaises (p. ex., le pouvoir de se transformer en tigre). On peut encore dceler quelques traces du mme genre dans leurs ides concernant le sort de l'me dans l'au-del. A la mort, l'me
!1) L'csscntiel a t dit, dans une synthse rapide et audacieuse, par P. LA VIOS AZn.BoTTI, LeI Origines et la diDurion de la ci"ilisation {trad. fr. PariS, Payot, 19/19), p. 337 sq. Sur l' histoire la plus ancienne de l' Indonsie, voir G. CODES, s tata hindouus d'Indochine et d'/ndOMsie (Paris, 1 9~8). p. 67 sq. i cr. aussi H . G. Quaritch WALES, Prehistory and R eligion in South-Ea8t A sia, en particulicr p. ~8 sq., 109 sq. (2 ) Ivor H . N. EVAN S, Studiel in R eligion , Folk-Lore, and Custom in British North )Jorneo and the Mala!! Peninsula, p. 156. Les Chinol jSchebesta : cenoi) so nt la tois des mes et des esprits de la Nature, qui servent d'mtermdiaires entre Dieu (Tata Ta P EI,d n) et les humains (Schebesta, p. 152 sq. i EVANS, Studies, p. 148 sq.). Sur leur rOle dans les gurisons, v. plus bas, p. 268 sq. (3) Cf. par ex., W. Gu RTE, Kosmische Vorsllungen itn Bilde p riihistorischer Zeit : rdberg, Himmelsberg, E rd"abel und WeStrome 1_ Anthropos l, lX,1 91~, p. 956-79). Quant au problme de l'authenticit et de l'archaIsme de la culture des p~fm es thse vaillamment souLenue par W. SCHVIDT et O. MI!:NGH IN, on sait qu i n'est E.8.8 enCOre rsolu i J.>our une vue contraire, ct. LAVI08A-ZAIIBOTTI , op. cil., p. 192 sq. Quoi qu'il en soit, li est hors de doute que les Pygmes actuels, bien que marq us par la culture suprieure de leurs voisins, conservent encore bien des traits archaTq ues -' ce conservatisme se vriOe surtout dans leurs croyances religieuses, si difTrcn tes celles de leurs voisins pl us volus. Par consquent, nous nous croyons ronds classer le schma cosmolo ~ique et le mythe de l'Axe du Mondo parmiles restesautb en _ tiques de la tradition rehgieuse des Pygmes.

quitte le corps par le, talon et se dirige vers l'Orient, jusqu' la mer. Pendant sept jours, les trpasss peuvent revenir A leur village i pass ce t erme, ceux d'entre eux qui ont men une vie honnte sont escorts par Mampes vers une Ue miraculeuse, Belet ; pour y arriver, ils tra versent un pont en forme de montagne russe jet au-dessus de la mer. Le pont s'appelle Balan Bacham ; Bacham est une sorte de fougre qui pousse l'autre bout du pont; l, se trouve une femme-chinaI, Chinol .. Sagar ; elle s'orne la t te avec des lougresB acham, et les morts doivent faire la mme chose avant de poser le pied dans l'ile Belet. Mampes est le gardien du pont et il est imagin comme un ngrito gant; c'est lui qui consomme les offrandes faites A l'intention des morts. En arrivant dans l'ile, les trpasss se dirigent vers l'Arbre Mapic (vraisemblablement, l'Arbre se dresse au milieu de l'ile), o se trouvent tous les autres dfunts. Mais les nouveaux venus ne peuvent pas porter les fleurs de l'Arbre ni goter de ses lruits avant que les morts qui les ont prcds n'aient bris tous leurs os et ne leur aient retourn les yeux dans les orbites, de laon les laire regarder l'intrieur. Ces conditions dment remplies, ils deviennent de vritables esprits (kemoit) et peuvent manger des lruits de l'Arbre (1). Celui-ci est , bien entendu, un Arbre miraculeux et la Source de la Vie car des seins gonfls de lait poussent sa racine et c'est l que se trouvent aussi les esprits des petits enlants (2) - v raisemblablement les mes de ceux qui ne sont pas encore ns. Bien que le mythe recueilli par Evans soit muet sur ce point, il est probable qu e les trpasss redeviennent de petits enlants, se prparant ainsi A une nouvelle existence sur t erre. Nous retrouvons ici l'ide de l'Arbre de Vie, dans les branches duquel reposent les mes des petits enfants, et qui semble tre un trs vieux mythe, bien qu'appartenant un autre com plexe religieux que celui centr sur le Dieu Ta Pedn et le symbolisme de l'Axe du Monde. On dchilTre, en elTet, dans ce mythe, d'une part, la solidarit mystique homme-plante et , d'autre part, des traces d'une idologie mat riarcale, qui sont trangres au complexe archaque : Dieu suprme du Ciel, symbolisme des t rois zones cosmiques, mythe d'un t emps primordiaJ o existaient des communications directes et faciles entre la Terre et le Ciel (mythe du Paradis perdu . ). En outre, le dt ail que les trpasss peuvent, pendant sept jours, revenir leur village, d~ntreJussi une influence indo-malaise enco re plus rcente. Chez les akai de telles influences s'accentuent : ils croient que l'me quitte le corps par la partie postrieure de la t te et se dirige vers l'Occident. Le mort essaie de pntrer au Ciel par la porte mme par laquelle entrent I;js mes des Malais, mais, n'y russissant pas, il s'engage sur un pont, Menteg, jet au-dessus d' un chaudron d'eau
(1) Le broyage des os et la rtroversion des yeux nous rappellent les rites initiatiques destins il transror mer le candidat en un - esprit . Sur 1 - Ile des Fruits. paradisiaque des Semang, Sakai et J akun, cf. W. W. SI:BAT et C. O. BLAGDZN, Pagan R ace, of lM Malay Pen in.ula (Lond res, 1906), vol. II,p. 207, 209, 321. V. a ussi plus bas, p. 228, n . 2. (2) EVANS , Studiel, p. 157; SCHEBZSTA, s Pugmes, p. 157 -1 58; id., Jel1leitaglaube der Semang au! Malakka (in _ FestschriCt. Pub1ication d' hommage ofterte au P[re]. W. SClf'UDT', d. W. Koppers, Vienne, 1928, p. 695-'4).

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bouillante (cette ide est d'origine malaise, Evans, Stlldies, p. 209,n. 1). Le pont est en ralit un tronc d'arbre dcortiqu. Les mes des m chants tombent dans la chaudire. Yenang s'en saisit, les brle jusqu' ce quelles soient devenues poussire; alors il les pse: si les mes sont devenues lgres, il les envoie au Ciel, sinon il continue de les brler pour ls purifier par le feu (1). Lesl Sesisi '\lu district Kuala Langat de Selangan, comme ceux de Bebrang;pr"lent d'une Ile des Fruits o se dirigent les mes des morts. L'lle est comparable l'Arbre Mapik des Semang. L bas, quand les hommes vieillissent , ils peuvent redevenir des en fants et recommencer grandir (2) . D' aprs les Besisi, l' Univers est divis en six rgions suprieures, la Terre et six rgions so uterraines (Evans, Studies, p. 209210), ce qui trahit le mlange de l'ancienne conception tripar tite aveo les ides cosmologiques iodo-malaises. Chez les Jakun (3), on dpose sur la tombe un poteau de cinq pieds de longueur et ayant 14 incisions : 7 sur une face, en montant, et 7 sur l'autre face, en descendant; le poteau porte le nom d' escalier de l'me (ibid., p. 266-67). On aura l'occasion de revenir sur le symbolisme de l'escalier (cf. plus has, p. 378 sq.) ; pour l'instant, remar quons la prsence des sept incisions qui reprsentent, que les J akun s'en rendent compte ou non , les sept niveaux clestes que l'me doit traverser, ce qui prouve la pntration des ides d'origine orientale mme chez les populations aussi primitives" que les J akun. Les pusun (~) du NordBorno se rep" scntent le chemin des morts comme--escatrd'ant une montagne et traversant une rivire (ibid., p. 33 sq.). Le rle de la montagne dans les mythologies funraires s'explique t oujours par le symbolisme de l'ascension et implique la croyance une demeure cleste des trpasss. Nous verrons un autre endroit que ont les morts s'accrochent aux montagnes , exact ement comme le C les chamans ou les hros dans leurs ascensions initiatiques. Ce qu'il importe de prciser ds maintenant c'est que, chez toutes les popula tions que nous passons en revue, le chamanisme dpend troitement des croyances Cunraires (Montagne, Ile paradisiaque, Arbre de Vie) et d s conceptions cosmologiques (Axe du Monde = Arbre Cosmique, kQis rgions cosmiques, sept cieux, etc.) . En exerant son mtier de guris
(t ) EUN!, Studies, p. 208. La pese de l'me et sa purification par le feu son t des ides orientaJe!. L'Enfer des Sakai trahit de lortes influences, probablement rcentes, qui se sont substitues aux conceptions a utochtones de l'audel. (2) C'est le mythe trs rpandu du paradis, o la vie s'coule indfinim ent, dans un ternel recom mencement. Cf. Tuma, l'Ue des esprits (= mortsl des Mlansiens de Trobriand : lorsqu'Us (les esprits] se trouvent vieillis, ils rejettent leur peau flasqu e, ride et mergent avec un corps couvert d'une peau tendre, a vec des boucles noires, des dents saines et pleines de vigueur. C'est ainsi que leur vie constitue un recommencement, un rajeunissement perpluel, avec Lo ut ce que la jeunesse co mporte d'amours et de plaisirs. MALtl'lOWSllI, La vie se%lUlle des ,auvages du Nord OlUst de la M lansie (trad. r . P aris, 1930), p. 409 ; id., M y th in Primitive Psychology (Londres et New York, 1926), p. 80 sq. (MyLh o( Dt;alh and the rtcUf'rent cycle o(

'lB.

seur ou de psychopompe, le chaman utilise les donnes trad itionnell es sur la topographie inCernale (qy'elle soit clest e, maritime ou so uter raine), donnes C ondes en derni ere instance sur un~ cosmologie a~chai que, bien que mainte C ois enrichie ou a ltre pard eS lDflue ?ceSexotlque~. Les Ngadju Dayak du SudBorno ont une conceptIOn plus part. culire de l'Univers i en effet, bien qu'il existe un monde suprieur et un autre inCri eur, notre monde ne doit pas tre co nsidr comme un troisime terme, mais comme la totalit des deux autres, car il les refl te et les reprsente la lois (1). Tout ceci lait d'ailleurs partie de l'idologie archaque, d'aprs laquelle les choses de la Terre ne sont qu'une rplique des modles exemplaires existant au Ciel ou dans l' au-del . Ajoutons que la conception des trois zones cosmiques ne contredit pas l'ide de l'unit du monde. Les nombreux symbolismes qui expriment la similitude entre les trois mondes et les moyens de communication entre eux, expriment en mme temps leur unit, leur intgration dans un seul Cosmos. La tripartition_ des zones cosmiques - motiC qu e, pour les raisons exposes plus haut, il nous importe de mettre en reliel - n'exclut nullement l'Unit pro Conde de l'Univers ni son apparent dualisme . . . . La mythologie des Ngad ju Dayak est assez comphque ma.s on peut en dgager une dominante, et c'est justement celle d'u.n dualisme cosmologique . L'Arbre du Monde prcde ce duahsme ca.' il reprsente le Cosmos dans sa totalit (SchArer, Die Gottesidee, p. 35 sq.) ; il symbolise mme l'unification des deux divinits supr mes (ibid. , p. 37 sq.). La cration du monde est le rsultat du co nfl.t entre les deux dieux reprsentant les deux principes polaires : fmi nin (cosmologique ment infrieur, reprsent par les Eaux et le Serpent) et masculin (la rgion sup rieure, l'Oiseau). Durant la lutte entre ces dieux antagonistes, l'Arbre du Monde (= la totalit primordiale) est dtruit (ScbA rer, ibid., p. 34), mais cette destruction n'est que provisoire: archtype de toute activit humaine cratrice, l' Arbr~ du Monde n'est dtruit qu e pour pouvoir renaUre. Nous inclinons voir dans ces mythes aussi bien l'ancien schma cosmogonique de la hirogamie CielTerre, schma exprim galement, sur un autre plan, par le symbolisme des opposs complmentaires Oiseau-Serp ent, que la structure t dualiste. des anciennes mythologies lunaires (l'opposition entrel es contraires, l'alternance des destructions et des crations, l'ternel reto ur). Il est par ailleurs incontestable que des influences indien nes se sont ajoutes postrieurement l'ancien C ond autochtone, bien que mainte rois ces influ ences se soient limites la nomenclature des dieux. Ce qu'il nous importe surtout de remarquer, c'est que l'Arbre du
(t) Cf. H. Sc aARER, Die Vorsttl~u ngen der Oher und Unltr,pelt hei dm Ngadj~ Daja~ l'on SadBonuo (. Cultureel Ind ic" IV, Leyde, 1942, p. 73-8t), spc. p. 78; id., D I~ Gotfe,ilke de r Ngadju Dajak in SQ~.Bornto, p. 31 sq. Cf. aussi .W. 1t~(}NSTERBERGER,

(3) D'aprs EVANS (Studies, p. 26", ), ceuxci seraien t de race maJaise mais reprsen teraient une vague plus ancien ne (arrive de Sum a tra ) que les Malais proprement dits. "(fI ) De race proto-malaise ct les habitants aborignes de l'Ile; EVA NS , Studies , p. 3.

Li'_).

EthnologiscM Studlen an Indon's"chtn SchOpfungsmythen. Eln B elvag .;ur Ku/turanalyse Sdoslasien.r (La Haye, 1939), spc. p. H 3 sq. (Born o); J . G. R Ouit, Alahatala. Die Religion dt,. Inland. tmme ftfiuelctram6 (Bamberg, t 9",8), p. 33 sq. , 63 sq., 75 sq., 96 sq. (Cra m).

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CHAMANISME ET COSMOLOGIE

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Monde est prsent dans tout village et mme dans toute maison dayak (cf. Schlirer, ibid., p. 76 sq. et que planches 111), et que cet Arbre est figur avec sept branches. La preuve qu'il symbolise l'Axe du Monde et, partant, le chemin vers le Ciel se trouve daus le fait qu'un .. Arbre du Monde . pareil se trouve toujours dans les, ba.teaux des trpasss. indonsiens, qui sont censs transporter les morts dans J'au-del cleste (1). Cet Arbre, dessin avec six branches (sept avec la touffe du sommet) et ayant le soleil et la lune .ses cts, prsente parfois la forme d'une lance orne des mmes symboles qui servent dsigner l' chelle du chaman " sur laquelle celui-ci grimpe aux Cieux pour en rapporter l'me fugitive du malade (2). L'Arbre-Lance-chelle, figur dans les, barques des trpasss. n'est que la rplique de l'Arbre miraculeux qui se trouve dans l'au-del et que les mes rencontrent dans leur voyage vers le dieu Devata Sangiang. Les chamans indonsiens (par exemp}e, chez les Sakai, les Kubu et les Dayak) possdenf galement un arbre dont ils se servent comme chelle pour parvenir dans le monde des esprits et chercher les mes des malades (3). On se rendra compte du rle jou par l'Arbre-Lance quand on examinera les techniques du chamanisme indonsien. Notons au passage que l'arbre chamanique des Dusundayak, qui Bert aux crmonies de gurison, a sept branches (Steinmann, Das kultische Schiff, p. 189). Les Batak, dont la plupart des ides religieuses drivent de l' Ind e, conoivent l'Univers comme divis~@.-.!tO!f rgions: le Ciel sept tages o- habitent les dieux, la Terre occupe par les humains, et l'Enler, demeure des dmons et des trpasss (4). On rencontre ici aussi le mythe d'un temps paradisiaque o le Ciel tait plus rapprQ:: ch de la Terre et o des communications continues existaient entre les dieux et les humains; mais, cause de l'orgueil de l'homme, le chemin vers le monde cleste a t interrompu. Le dieu suprme, Mula djadi na bolon (, Celui quia son commencement en lui-m me ),~le crateur de l'Univers et des autres dieux, habite le dernier ciel et semble tre devenu - comme tous les dieux suprmes des t pdmitirs. - un deus otiosus ; on ne lui offre pas de sacri nces. Un Serpent cosmique vit dans les rgions souterraines et, la fin, il dtruira le monde (5). Les Minangkabau de Sumatra ont une religion hybride, base d'animisme, mais fortement influence par l'hindouisme et l'isla~risch~ e thn o.graphi~he

misme (1). L'Univers a sept tages. Aprs la mort, l'me doit pa er sur le fil d'un rasoir tendu au-dessus d'un Enfer brlant; les pcheurs tombent dans le feu, les bons montent au Ciel o se trouve un grand Arbre. C'est l que les mes restent jusqu' la rsurrection finale (2). On reconnalt facilement ici le mlange des thmes archaques (le pont, l'Arbre de Vie rceptacle et nourricier des mes) avec des influences exotiques (le leu de l'Enler, l'ide de la rsurrection finale). Les Nias connaissent l'Arbre. Cosmique qui a donn naissance toute chose. Les morts, pour monter au Ciel, prennent un pont; sous le pont, c'est le go uffre de l'Enler. Un gardien est post l'entre du Ciel avec un bouclier et une lance i un chat lui sert jeter les mes coupables dans les eaux inlernales (3). Arrtons ici les exemples ' indonsiens. Nous reviendrons sur tous ces motifs mythiques (Pont fun raire, ascension, etc.) et sur les techniques chamaniques qui leur sont en quelque sorte lies. ~s a suffi de montrer, au moins dans une partie de l'aire ocanienne, la prsence d'un complexe cosmologique et religieux d'une trs haute antiquit diversement modifi par des influences successives des ides indiennes et asiatiques.
(1) Comme nous l'avons remarq u plusieurs reprises, et comme nous aurons J'occasion de le prciser par la suite, le phnomne est gnral pou'r tout le monde malais. cr., par exemple, les influences mahomtanes en Toradja, Lou, Shaman and Seu, p. 61; influences indil!nnes complexes sur les Malais, J . Cu ISI lU !R, Danses magiques de Kelantan, p. 16, 90, 108, etc. ; R. O. WINSTEOT, Sharnan, Sai"a and Sufi. A Study of the E"olution of Malay Magic (Londres, 1925), spc. p. 8 sq., 55 sq., et passim (influences islamiques p. 28 sq., et passim ) ; id., lndian Influenc~ in the Malay World (1 J ournal of the Royal Asiatic Society _, III -IV, 194.'1, p. 186-96) ; MONSTP.R8.8RGBR, Ethnologiaclu Studicn, p. 83 sq., influences indienn es en Ind onsie; influences hindouistes en Polynsie, E. S. C. HA NDY, Polynesian R~ligion (. Berenice P. Bishop Museum Bulletin _, 4., Honolulu , 1927 ), passim; CIIADWICK, Th~ Growth of Literature, III, ,P. 303 sq ; W. E. MOHLMANN, AriQi und Mamaia. Eine ethnologische, religiOllssozlologisclu und historische Studie ber Kullbnde jWieSbaden, 1955) , p. 177 sq. (influ ences hindoues et bouddhiques en Polynsie). JI, ais il ne faut pas perdre de vile quo ces influences n'ont gnralement modifi que l'expression de la vie mngico-religieuse, qu'elles n'ont pas cr, en tout cas, leSjrandS schmas mythicocosmologiques qui nous intressent dans le prsent trava' . (2 ) J . LOBS, Sumatra, p. 12'1. (3) J. LOEB, Sumatra, p. 150 sq. L'auteur remarque (p. 154) la simil arit entre ce complexe de la mythologie infernale Nias et les ides des populations indiennes Nagas. La comparaison pourrait s'tendre aussi d'autres-peup'lerabol'igne!<J l'Inde; il s'agit de restes de ce qu'on a appel la ~ivilis at io n a.qstro~aLiq.ue...1.i..q.Y.rlle participent les peuples pr-aryens et pr:dra.vidiens_ de rIn4.e:, et la plus grande partie des populations aborignes de l'Indochine et de l' Insulinde. Sur certains de ses caractres, cr. EL IADB , U Yoga, p. 340 sq.; Cotou, s Etats hinCluiss, p. 23 sq.

(1 ) Atrred SUINIIANN, Das kuhi8che SchifJ in IndoF1e8ien (in. Jahrbuch fr prAhisKU,!-st _, XIII-XIV, Berlin, 1939-40, p. tfi9-205), p. 163; id., Elne Gel8tuschlfJmakrel alU Sdborneo (extr . 1 Jahrbuch des Bernischen Hislorischen Museums in Bern ., XXII, 1942, p. 107-12 ; publi aussi sparmen t) p. 6 (de J'extrait). ' A. STEUCIIANN, DiU kultuche SchiO , p. 163. (8. SUtNII.ANN, ibid., p. 163. Au J apon aussi,le mAt et l'arbre son t encore considrs aUJourd'huI comme le 1 chemin des dieux.; cf. A. SLAVIK, Kultische Geheimbunck fr Japane~ und Germ.aMn, p. 727-28, n. 10. (fi) Mw, comme Jl fallut s'y attendre, quantit de morts accdent au ciel; L. LOBR Sumatra, p. :75. [Sur la pluralit des itinraires fun raires, voir plus bas, p. 281: (5) J. LOBR, Sumatra, p. 7lt.-78.

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LE C HAMANISME NO RD ET SU D-AMRICAIN

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CHAPITRE IX

LE CHAMANISME NORD ET SUD-AIIRICAIN

LE

CHAMANISME CHEZ LES ESQUIMAUX

Quoi qu'il en soit des relations historiques entre l'Asie septentrionale et l'Amrique du Nord, la continuit culturelle entre Esqui maux et peuples arctiques actuels de l'Asie et mme de l'Europe (les Tchouktches, les Yakoutes, les Samoydes et les Lapons), ne lait pas l'ombre d'un doute (1). L'un des principaux lments de cette continuit culturelle est constitu par le chamanisme: les ch~ mans jouent dans la vie religieuse et sociale des Esquimaux le mme rle capital que chez leurs voisins asiatiques. On a vu que leur iiltiation presente partout les mmes grandes lignes des initiations la vie mystique: vocation, retraite dans la solitude, apprentissage auprs d' un mattre, acquisition d'un ou plusieurs esprits familiers, rituels symbolique de la mort et de la rsurrection, langage secret. Comme nous le verrons tout l'heure, les expriences extatiques de l'angakok esq uimau lont tat du vol mystique et du voyage dans les prolondeurs de la mer, deux exploits qui caractrisent le chamanisme nordasiatique. On remarque aussi des rapports plus pousss entre le chaman esq uimau et la divinit cleste ou le dieu cosmocl'ate qui lui lt substitu dans la suite (2). Il existe pourtant certaines diffrences mineures par rapport l'Asie du Nord-Est: l'abse nce, chez le chaman esquimau , d'un costume rituel proprement dit et du tambour. Les principales prrogatives du chaman esquimau sont la gurison, le voyage sous-marin jusqu' la Mre des Animaux afin d'assurer
(1) cr. w. TULBIUU, Paralle within the Culture o( t~ Arclic People. {. Annaes do XX Congresso Internacional de Americanistas ., vol. l , Hio de J aneiro, 1925, ~. 283-287) ; Fr. BIRUT-S MITH, Uebel' die Hel'lr.un(t der E,lrimo, und ilve Stellun6 ln du :r.il'lr.umpolaun Kultul'entwicklunc (. Anlhropos ., vol. 25, 1930, p. 1-23); Paul RIVET, Lo. origine, dei Mmbl'e amel'icano (MeXICO, 1943), p. 105 sq. On a mme essay de trouver une parent linguistique en tre l'esquimau et les parlers de l'Asie Centrale; cC. p. ex., Aurlien SAVVAGEOT, Eskimo et Ouralien, Journal de la Socit des Amricanistes., Nil. Srie, t. XVI, Paris, 1924, p. 279-316. Mais l'hypothse n'a pas encore obtenu l'adhsion des spcialistes. (2) Cf. K. HAsMUSSEN , Die Thuk(ahl't (Francfort-su r-le-Main, 1926), p. 145 sq.; les chamans, tan t les intermdiaires entre les hommes et Sila (le Cosmocra tor, le Maitre de l'Univers), vouent une vnration touto spciale ce Grand Dieu, en s'e ffora nt d'enlrer en contact avec lui par la co ncentration et la mditation.

l'abondance du gibier, le beau temps, par ses contacts avec Sila et aussi l'aide qu'il apporte aux lemmes striles (1). La maladie est provoque par la violation des tabous, c'est--dire par un dsordre dans le sacr - ou provient du rapt de l'me par un mort. Dans le premier cas, le chaman s'efforce d'effacer la souillure par des con lessions collectives (2) ; dans le deuxime cas, il entreprend le voyage extatique au Ciel ou dans les prolondeurs de la mer pour y retrouver l'me du malade et la ramener son corps (3). C'est toujours par des voyages extatiques que l'angakoWa pproche TakAnakapsluk au lond de l'ocan ou Sila dans les Cieux. Il est d'ailleurs un spcialiste du vol magique. Certains chamans ont visit la Lune, d'autres ont fait le tour de la Terre en volant (4). D'aprs les traditions, les chamans volent comme des oiseaux, en cartant les bras comme l'oiseau ses ailes. Les angakut connaissent galement l'avenir, lont des prophties, annoncent les changements atmosphriques, excellent en prouesses magiques. Pourtant, les Esquimaux se souviennent d'un temps o les angak~t taient beaucoup plus puissants qu'aujourd'hui (Rasmussen, Iglultk Eskimos, p. 131 sq. ; id., Netsilik Eskimos, p. 295) . Je suis chaman moi-mme, disait quelqu'un Rasmussen , mais je ne suis rien compar mon grand-pre Titqatsaq. Lui, il vivait dans les temps o un chaman pouvait descendre jusqu' la Mre des animaux de la mer, voler jusqu' la Lune ou faire des voyages travers les airs ... t (Rasmussen, The Netsilik Eskimos, p. 299). Il est remarquable de constater ici aussi cette conception de la dcadence actuelle des chamans, dj rencontre dans d'autres cultures. Le chaman esquimau ne sait pas seulement prier Sila pour obtenir le beau temps (cl. Rasmussen, Die Thulefahrt , p. 168 sq.) ; il est capable aussi d'arrter la tempte par un rituel assez compliqu, comportant la fois l'assistance des esprits auxiliaires, l'vocation des morts et un duel avec un autre chaman, au cours duquel celui-ci est plusieurs lois tu. et ressuscit. (5). Quel que soit leur objet, les sances ont lieu le soir, en prsence du village tout entier. Les spectateurs encouragent de temps en temps l'angakok par des chan(1) W. THAUITUR, The H eathen Pl'ies.LI o( l?ast Creenland .. p. 457; Knud RASMU SSEN, lntellectual Cul/ure o( lM 19lullk E,k&mo&, p. 1~9; Id., lnteilectual Culture of tM Coppel' Eskimo., p. 28 sq. E. M. WEYER, The E.klmOl, p. 422, 437 sq. 121 cr. p. ex. HUMU ISE N, lntellectual Culture of the 1 glulik E.Jci'!'o., p. 133 sq.,.144 sq. (3 L'me du malade est rpute se diriger vers les rgions riches en sacrahl: les grandes rgions cosmiques (. Lune ., Ciel.), les lieux han.ts par les morts, les sources de la vie (e le pays des ours ., co mme chez les EsqUIm aux du Groenland; ct. THALDITUR, Le. MaflcielU e'quimau:t:, p. 80 sq.). . . . . (41 K. RASitl USSBI'I, The Netlililr. Eskimos. Social LI(e and Spll'1tual Culture (In A-eport or the Firth Thule Expedition l, VIn, 1-2, Cope~hague , 1 93~) , J>.. 299 sq. ; G. HOLM (dans 'fIIALBITUR d., The Amma$lalik E,k&mo: ContrlbtJ.tlon, to the Ethnolocy o( the E48t Grunland Nati"e,. l, Copenhague ,1~14, p.1-1.47), p. 96 sq. S~r le voyage des Esquimaux Centraux dans I~ lune, vOir plus lOIR p. 235. Trait surprenant: ces traditions de voyages extatiques des chamans tont totalement. dfaut ch ez les Copper Esquimaux ; cf. RASYU SSBN, lntellettual Culture o( the Coppe,. E,himos, p. 33. (5) Voir la longue description d'une sance de cette est;'ce dans RAS~uSSf,N, Intelkc~ tuai Culture of the Copper E.kimos, p. 34 sq. ; cf. aUSSI le com mentaire pntrant de Ernesto de MARTINO, Il Mondo Macico, p. 14849.

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SODS stridentes et par des cris. Le chaman prolonge longuement ses chants en langage secret J, pour voquer les esprits. Tombe en t ranse, il parle d'une voix haute, trange, qui semble ne pas lui appartenir (1). Les chants improviss pendant la transe laissent percer parfois certaines des expriences mystiques du chaman. t Tout mon corps n'est que des yeux. Regardez-lei N'ayez pas peurl Je regarde de tous les cts 1 > chante un chaman (Thalbitzer, Les magiCiens esquimaux, p. 102), faisant allusion sans doute l'exprience mystique de la lumire intrieure qu'il prouve avant d'entrer en transe. Mais, en plus de ces sances imposes par des problmes coll ectifs (temptes, disette de gibier, renseignements sur le temps, etc.) ou par la maladie (qui, elle aussi, menace d'une manire ou d'une autre l'quilibre de la socit) le chaman entreprend des voyages extatiques au Ciel, dans le Pays des Morts, pour le plaisir (. for joy alone .). Il S8 laisse a~tacher, comme c'est l'habitude lorsqu'il se prpare pour une ascenSIOn, et s'envole dans les airs j l il s'entretient longuement avec les morts et, de retour sur la terre, il raconte la vie des trpasss dans ledel (Rasmussen, 19lulik Eskimos, p. 129-31). Ce trait prouve le besom q~e ressent le. chaman esquimau de l'exprience extatique pour elle-meme, et exphque galement son penchant pour la solitude et la mditation, ses longues conversations avec ses esprits auxiliaires et son besoin de quitude. On distingue gnralement trois rgions pour le sjour des morts (cf. p. ex., Rasmussen, The Netsilik Eskimos, p.315 sq.): le Ciel un Enfer situ immdiatement sous l'corce terrestre et un deuxime Enfer situ trs profondment sous Terre. Dans les Cieux comme dans l'Enfer vritable et profond, les morts mnent une existence heureuse jouissant d:une vie de joie et de prosprit. La seule grande dlffrence avec la VIe terrestre est que l-bas les saisons sont toujours le contraire de la saison de la terre: quand c'est l'hiver ici-bas c'est l't dans le Ciel et aux Enfers, et vice versa. C'est seulement dans l'Enfer souterrain plac immdiatement sous l'corce terrestre et rserv :ceux qui se sont rendus coupables de diverses violation~ de tabou, ainsi qu'aux cbasseurs mdiocres, que rgnent la famine et le dsespoir (RasmuBBen, ibid.). Les chamans connaiBBent parfaitement toutes ces rglOns et lorsqu'un mort, craignant d'afTronter t,out seul le chemin de l'au-del, s'empare de l'me d'un vivant, 1 angakok sait o la chercher. Parfois, le voyage outre-tombe du chaman se droule durant une transe ~ta1eptiq.ue prsentant tous les caractres d'une mort apparente. C est le fait d un chaman d'Alaska qui dclare avoir t mort et aVOir ,Pendant deux jours suivi le chemin des trpasss: c'tait un che~m bIen battu par tous ceux qui l'avaient prcd. En marchant, il entendait continuellement des pleurs et des lamentations;

il apprit que c'taient les vivants qui pleuraient leurs morts. Il arriva

dans un grand village, tout pareil aux villages des vivants; l deux ombres le conduisirent dans une maison. Un feu brlait au milieu de la maison et quelques morceaux de viande grillaient sur la braisemais ils avaient des yeux vivants qui suivaient les mouvements du chaman. Les compagnons lui enjoignirent de ne pas toucher la viande (le chaman ayant got une fois aux mets du pays des morts aurait eu des difficults revenir sur la terre). Aprs tre rest quelque t emps dans le village, il continua son chemin, arriva dans la Voie Lacte, la parcourut longuement et descendit finalement sur sa tombe. Ds qu'il eut rintgr la tombe, son corps revint la vie et, quittant le cimetire, le chaman entra au village et raconta ses aven tures (1)_ Nous avons affaire ici une exprience extatique dont le contenu dborde la sphre du chamanisme proprement dit, mais qui, tout en tant accessible d'autres tres humains privilgis, est pourtant trs frquente dans les milieux chamaniques. Les descentes aux Enfers ou les ascensions au Paradis cleste dont font tat les exploits des hros polynsiens, turco-tatars, nord-amricains et autres, s'intgrent dans cetLe classe de voyages extatiques dans les zones interdites, et les mythologies funraires respectives y sont alimentes par des prouesses de ce genre. Pour revenir aux chamans esquimaux, leurs capacits extatiques leur permettent d'entreprendre n'importe quel voyage. en esprit _, dans n'importe quelle rgion cosmique. Ils prennent toujours la prcaution de se faire lier avec des cordes, de manire ne pouvoir voyager qu' t en esprit . ; autrement, ils seraient emports dans les airs et disparaltraient pour de bon. Dment lis, et parfois spars des autres assistants par un rideau, ils commencent par invoquer leurs esprits familiers et, avec leur aide, ils quittent la terre et atteignent la Lune ou pntrent dans les entrailles de l'ocan ou de la terre. C'est ainsi qu'un chaman des Esquimaux Baffin fut port dans la Lune par son esprit a uxiliaire (en l'occurrence, un ours) ; l, il rencontra une maison dont la porte, constitue par la gueule d'un morse, menaait de dchirer l'intrus (motif bien connu de l' entre difficile >, sur lequel nous reviendrons plus loin). Ayant russi pntrer dans la maison, il y rencontra l'Homme-de-Ia Lune et sa femme, le Soleil. Aprs maintes aventures, il revint sur terre, et son corps, qui, pendant l'extase, tait rest inanim, donna signe de vie. Finalement, le chaman se dlivra de toutes les cordes qui le tenaient prisonnier, et raconta l'assistance les pripties de son voyage (2).
(1) E. W. NBLSON. Tlu EBkimo about BeTint Strait (. 18th Annual Report ot the Bureau or Am erica n Elhnology _, 1896-97, l , Washinglon,1899, p. 19-518), p. 433 sq . (2 ) Fram~ BOA S, The Central EBltimo, p. 598 sq. La dlivran ce du chaman des cordes qui le liennent forlem ent li constitue, entre tanl d'aulres, un problm e de parapsychologie que nous ne pourrons pas aborder ici. Du point de vue o nous nous sommes placs - et qui est ce lui de l'illstoire des religions -la dlivrance des cord es co mme nombre d'autres miracles. chamaniques, signifie la condition d' esprit. que le chaman esl cens avoir obtenue par 80n initiation.

(t) Ct. p. ex., RUIIIU8Ulf, TM Neuililt Edimo., p. 294 : WSYS1t. p. 437 sq.

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De tels exploits, entrepris sans motir apparent, rptent dans une certaine mesure Je voyage initiatique sem de dangers et spcialement le passage par une , porte troite, qui ne reste ouverte que l'espace d'un instant. Le chaman esquimau ressent le besoin de ces voyages extatiques car c'est surtout pendant la transe qu'il devient vritablement lui-mme: l'exprience mystique lui es t ncessaire en tant qu'elle est constitutive de sa propre personnalit. Mais ce ne sont pas seulement les voyages c en esprit. qui le mettent devant de telles preuves initiatiques. Les Esquimaux sont priodiquement terroriss par les mauvais .esprits, et les chamans

sont appels les loigner. La sance, dans les cas de ce genre, implique une lutte aigu entre les esprits lamiliers du chaman et les mauvais esprits (ceux-ci tant soit des esprits de la Nature, exasprs par la violation des tabous, soit les mes de certains morts). Parfois, le chaman quitte la cabane et revient les mains ensanglantes (Rasmussen, 19l1llik Eskimos, p. 144 sq.). Lorsqu'il est sur le point d'entrer en transe, le chaman fait des mouvements comme s'il plongeait. Mme quand il est cens pntrer dans les rgions souterraines, il donne l'impression de plonger et de revenir la surface de l'ocan. On racontait Thalbitzer qu'un chaman fi revint de nouveau pour la troisime fois , avant de plonger pour de bon. (The H ea/hen Pries/s, p. 459). L'expression utilise le plus communment pour parler d'un chaman est celui qui descend au lond de la mer, (Rasmussen, 19l1llik Eskimos, p. 124). Les descentes sous-marines sont, nous l'avons vu , figures symboliquement sur le costume de nombreux chamans sibriens (pattes de canards, dessins d'oiseaux plongeurs, etc.). En effet, au fond de l'ocan se trouve la Mre des animaux marins, lormule mythique de la Grande Desse des Fauves, source et matrice de la vie universelle, de la bonne volont de laquelle dpend l'existence de la tribu. C'est pourquoi le cbaman doit descendre priodiquement pour rtablir le contact spirituel avec la Mre des Animaux. Mais, comme nous ravons dj remarqu, la grande importance que celle-ci tient dans la vie religieuse de la collectivit et dans l'exprience mystique du chaman n'exclut nullement la vnration de Sila, l');;tre Suprme de structure cleste, qui, lui aussi, rgne sur le temps en envoyant les ouragans ou les temptes de neige. C'est pour cela que les chamans esquimaux ne semblent point tre spcialiss en descentes sous-marines ou en ascensions clestes: leur mtier implique aussi bien l'une que l'autre. La descente auprs de Tak anakapsluk, la Mre du Phoque, est entreprise la demande d'un individu soit pour cause de maladie, . SOlt pour malchance la chasse, et dans ce cas le chaman est rtribu. Mais il arrive parlois que le gibier manque totalement et que le village entier soit menac de fam ine: alors tous les habitants se runissent dans la maison o a lieu la sance, et le voyage exta tique du chaman se fait au nom de la communaut tout entire. Les assistants doivent dlier leurs ceintures et leurs lacets, et rester silencieux, les yeux ferms. Le chaman respire quelque temps profondment, en

silence, avant d'voquer ses esprits auxiliaires. Lorsqu'ils arrivent, le chaman commence murmurer: le chemin est ouvert devant moi 1 Je chemin est ouvert! - et l'assistance rpte en chur: Ainsi soit-il J Et en effet la terre s'ouvre, mais elle se referme un instant aprs, et le chaman lutte encore longtemps avec des forces inconnues avant de s'crier finalement: Maintenant le chemin est bien ouvert!. Et les spectateurs de s'exclamer en chur: Que le chemin reste ouvert devant lui, qu'il ait un chemin devant lui! On entend, tout d'abord sous le lit, puis plus loin, sur le passage, le cri de : balala-behe-he, balala-he-be-he l ; c'est le signe que le chaman est dj parti. Le cri se fait de plus en plus lointain, jusqu' ce qu'il disparaisse compltement. Pendant ce temps, les invits chantent en chur, J es yeux ferms, et il arrive que les vtements du chaman - dpouills par lui avant la sance - s'animent et se mettent A voler travers la maison, au-dessus des ttes. On entend aussi des soupirs et la respiration profonde des personnes mortes depuis longtemps ; ce sont les chamans dfunts, arrivs pour aide r leur conlrre dans son prilleux voyage. Et leurs soupirs et leurs respirations semblent venir de trs loin sous l'eau, comme s'ils taient des animaux marins. A' Parvenu au fond de l'ocan, le chaman se trouve devant trois grandes pierres, en continuel mouvement, qui lui barrent le chemin: il doit passer entre elles, au risque d'tre cras. (Encore une image du passage troit Il qui interdit l'accs du plan d'tre suprieur quiconque n'est pas c initi _, c'est-A-dire capable de se com porter en esprit Il.) Pass cet obstacle, le chaman suit un sentier et arrive une sorte de baie j sur une colline se dresse, en pierre et munie d'une entre troite, la maison de T aknakapsluk. Il entend les an imaux marins soumer et haleter, mais il ne les voit pas. Un chien qui montre les dents dlend l'entre : il est dangereux pour tous ceux qui ont peur de lui, mais le chaman passe au-dessus de lui et le chien comprend qu'il a afTaire un trs puissant magicien. (Tous ces obstacles attendent le chaman ordinaire j mais ceux qui sont vraiment trs forts, arrivent au lond de la mer et auprs de Taknakapsluk direct ement, en plongeant au-dessous de leur t ente ou de leur cabane de neige, comme en glissant dans un tube... ) Si la desse est irrite contre les humains, un grand mur s'lve devant sa maison. Et le chaman doit l'enfoncer d'un coup d'paule. D'autres disent que la maison de Taknakapsluk n' a pas de toit, pour que la desse puisse mieux voir - de sa place prs du leu - les actes des hommes. Toutes sortes d'animaux marins sont rassembls dans un t ang situ la droite du loyer et on entend leurs cris et leurs respirations. Le visage de la desse est couvert de ses cheveux et elle est sale et nglige: ce sont les pchs des hommes qui la rendent presq ue malade. Le cbaman doit s'approcher d'elle, la prendre par l'paule et lui peigner les cheveux (car la desse n'a pas de doigts pour se peigner elle~mm e). Avant d'y arriver, il a encore un obstacle A lranchir : le pre de Takanakapsluk, le prenant pour un mort qui se

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dirige vers le Pays des Ombres, veut mettre la main sur lui, mais le chaman s'crie : Je suis de chair et de sang! D et russit passer. Tout en peignant Taknakapsluk, le chaman lui dit: Les hommes n'ont plus de phoques ... 1 Et la desse lui rpond dans le langage des esprIts: Les secrtes fausses couches des femm es et les violations des tabous en mangeant la viande bouillie ont barr la route des animaux 1 Le chama!l d~it mettre e~ ~uvre tous 8es moyens pour apaiser la desse et celle-Cl fimt par OUVrIr 1 tang et laisser libres les animaux. On peroit leurs ,:"ouvements au fond de la mer, et peu de temps aprs on entend la reSp iratIOn entrecoupe du chaman, comme s'il mergeait la surface de l'eau. Un long silence suit. A la fin le chaman annonce: J 'ai quelque chose dire l . Tous lui rpondent: Dites-leI dites-leI Et le chaman, dans le langage des esprits, rclame la confession des pchs. L' une aprs l'autre, les femmes avouent leurs fausses couches ou les violations des tabous, et se repentent (1). Comme on le voit cette descente extatique au fond de la mer comporte une srie ininterrompue d'obstacles qui ressemblent, s'y mprendre, aux preuves d'une initiation. Le motif du passage trav.ers un espace sans cesse en train de se referm er et sur un pont trOit comme un cheveu, le chien infernal, J'apaisement de la divinit irrite, reviennent comme des leitmotifs aussi bien dans les rcits initiatiques que dans ceux des voyages mystiques dans l' CI: au-del :b. Dans un cas comme dans l'autre, la mme rupture de niveau ontologi~u e intervient: il s'agit des preuves destines confirmer que celUI qw entreprend un tel exploit a dpass la condition humaine c'est--dir~ qu'il est assimil aux c esprits (image qui rend sensibl~ une mutatlO~.d'0,rdr~ ontologique : a:voir accs a u monde des esprits ); autrement, s Il n taIt pas un esprit , le chaman ne pourrait jamais passer par un passage si troit... En [dehors des chamans, tout Esquimau peut galement consulter les esprits, par la mthode appele qilaneg. Il suffit d'asseoir le malade te:re et de lui tenir la t te leve avec la ceinture. On invoque les esprIts et, quand la t te devient lourde, c'est le signe que les esprits sont prsents. On leur pose alors des questions ; si la tte devient encore plus lourde, la rponse est positive; si, au contraire, elle semble lgre, la rponse est ngative. Les femmes utilisent frquemment ce moyen commode de divination par les esprits. Les chamans y recourent parfOIS en se servant de leur propre pied (Hasrnussen, I glulik Esk,mos, p. 141 sq.). T~ut ceci est rendu possible par la croyance gnrale aux esprits et spCialement par la communication ressentie avec les mes des morts. Une. sorte de spiritisme lmentaire fait, d'une manire quelconque partie de l'exprience mystique des Esquimaux. Ne sont craint s qu~ les morts qui, la suite de diverses violations de tabous, deviennent cruels et mchants. Avec les autres, les Esquimaux entrent volontiers en rapport. Aux morts vient s'ajouter le nombre infini des esprits de
(1 ) R.uMUSSBN, Intelkctual Cuure of the Iglulik Eskimos, p. 1 24 sq. Cf. aussi ~rland EUKMARI:, Anthropomorphum and Mi,.ac (Uppsala-Lelpdg, 19S9), p. 151 Bq.

la nature qui, chacun sa manire, leur rendent service. Tout EsquiDlau peut obtenir l'aide ou la protection d'un esprit ou d'un mort, mais de t els rapports ne suffisent pas confrer les pouvoirs chamaniques. Ici comme dans tant d'autres cultures, n'est chaman que celui qui, par vocation mystique ou par qut e volontaire, se so u~.et. ~ l' ~n seignement d'un maitre, passe avec succs les preuves de IlmtlatlOn et devient capable d'expriences extatiques inaccessibles au reste des mortels.
CHAMANISME NORD-AMRICAIN

Chez beaucoup de tribus nord-amricaines, le chamanisme domine la vie religieuse ou, du moins, en constitue l'aspect le plus important. Mais nulle part le chaman ne monopolise l'exprience religieuse tout entire. Il existe, en dehors de lui, d'autres t echniciens du sacr: le prtre, le sorcier (magicien noir) ; d'autre part, tout individu, nous l'avons vu (ci-dess us, p. 93 sq.), s'efforce d'obt enir, pour son profit personnel, un certain nombre de pouvo.ir magico-religieux, id~~t~fis la plupart du temps avec certains esprIts protecteurs ou auxihrures. Le chaman se distingue nanmoins des uns et des autres - de ses collgues et des profanes - par l'intensit de ses propres expriences magico-religieuses. Tout Indien peut obtenir un es prit protecteur ou un CI: pouvoir quelconque qui le rend capable de visions et accroit ses rserves de sacr, mais seul le chaman, grce ses relations avec les esprits, parvient pntrer assez profondment dans le monde surnaturel; en d'autres termes, lui seul arrive s'approprier une technique lui permettant des voyages extatiques volont. Quant aux difTrences qui distinguent le chaman des autres spcialistes du sacr (les prtres et les magiciens noirs), e1les sont moins nettes. Swanton a propos la bipartition suivante : les prtres travailleraient pour la tribu ou la nation entire, ou en tout cas pour une socit quelconque, tandis que l' autorit des chamans dpendrait uniquement de leur habilet personnelle (1). Mais Park observe justement que, dans plusieurs cultures (p. ex . celles de la cte Nord-Ouest), les chamans remplissent certaines fon ctions sacerd otales (2). Wlssler opte pour la distinction traditionnelle entre la connaissance et la pratique des rituels, qui dfiniraient le sacerdoce, et l'exprience directe des forces surnaturelles, caractristique de la fonction du chaman (3) . En gros, cette difTrence s'impose; mais il ne faut pas oublier que le chaman, pour le rpter, est lui aussi tenu d'acqurir un corpus de doctrines et de traditions, et se soumet parfois un apprentissage auprs d' un vieux maUre, ou subit une initiat.ion par le truohement d' un (( esprit ", qui lui communique la tradition chamanique de la tribu.
(1 ) J ohn SWANTON, Shamana and Priests, in J . H. STEWARD , ?, Hand book of American Indian, No,.'h of Mexico (1 Bulletin of the Bureau or AmeMcan Ethnology., 30, 1. Il, 2 vol., Washington, 1907, 1910), II , p. 5222" .. 21 Willa rd Z. PARK., Shamanism in Western North America, p. 9. 3 Clark WI!!LBR, TM American I ndiana (New York, 2- d., 1922), p. 200 Bq. 1

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A son tour, Park (Shamanism, p. 10) dfinit le chamanisme nord amricain par le pouvoir surnaturel que le chaman acquiert la suite d'une exprience personnelle direct e. ft: Ce pouvoir cst gnralement utilis de t elle faon qu'il intresse la socit entire. Par suite, la pratique de la sorcellerie peut tre une partie aussi importante du chamanisme que le traitement de la maladie ou le charme du gibier dans la chasse commune. Nous dsignerons par le t erme de chamanisme t outes les pratiques au moyen desquelles le pouvoir surnaturel peut tre obtenu par les mortels, l'utilisation de ce pouvoir pour le bien ou pour le mal, ainsi que tous les concepts et les croyances associs avec de t els pouvoirs. La dfinition est commode et permet d'int grer nombre de phnomnes assez disparates. En ce qui nous concerne, nous prfrerions mettre en vidence la capacit extat ique du chaman vis-A -vis du prtre, et sa fonction positi"e en comparaison des activits anti-sociales du sorcier, du magicien noir (bien que dans nombre de cas, le chaman nord-amricain, comme ses pareils de partout ailleurs, cumule ces deux attitudes). La fonction principale du chaman est la gurison, mais il joue aussi un rle important dans d'autres rites magico-religieux, comme, p. ex. la chasse commune (1) et, l o elles existent, dans les socits secrtes (type Mid'wiwin) ou les sectes mystiques (type GhostDance Reli gion ). Comme t ous leurs semblables, les chamans nord-amricains prt endent dtenir un pouvoir sur l'atmosphre (ils attirent ou arrtent la pluie, et c.), connaissent des vnements luturs, dcouvrent les auteurs des vols, etc. Ils dfendent les hommes contre les charmes des sorciers et, dans des temps plus anciens, il suffisait qu'un chaman paviot so accust un sorcier de crime pour que celui-ci ft mis mort et sa maison brle (ibid., p. 44). 11 semble que dans le pass, au moins chez certaines tribus, la lorce magique des chamans ait t plus grande et plus spectaculaire. Les Paviot so parlent encore des vieux chamans qui mettaient des charbons brlants dans leur bouche et touchaient impunment au 1er rouge (ibid., p. 57 ; mais voir aussi plus bas, p. 253, n. 1). De nos jours, les chamans sont devenus plutt des gurisseurs, bien que leurs chants rituels et mme leurs propres dclarations fassent tat d'une toute-puissance presque divine. Mon frre blanc, affirmait un chaman apache Reagan, vous ne me croirez probablement pas, mais je suis tout-puissant. Je ne mourrai jamais. Si vous me visez avec un fu sil, la balle ne pntrera pas dans ma chair, ou si elle y pntre, elle ne me fera pas de mal... Si vo us m'enloncez dans la gorge un couteau, en le poussant vers le haut, il sortira du sommet de mon crne, sans me faire de mal... J e suis t out-puissant. Si je veux tuer quelqu'un, je n'ai qu' tendre la main et le toucher, et il meurt. Mon pouvoir est comme celui d'un Dieu (2) .

Il S8 peut que cette conscience euphorique de toute-puissance soit en relation aV8C la mort et la rsurrection initiatiques. En tout cas, les pouvoirs magico-mdicaux dont jouissent les chamans nord-amricains n'puisent pas plus leurs oapacits extatiques que leurs capacits magiques. Il y a tout lieu de supposer que les socits secrtes et les sectes mystiques modernes ont confisqu en grande partie l'activit extatique qui caract risait auparavant le chamanisme. Qu'on se rappelle, par exemple, les voyages ext atiques au Ciel des fondateurs et des prophtes des mouvements mystiques rcents, auxquels nous avons dj lait allusion, et qui, morphologiquement, appartiennent la sphre du chamanisme. Quant l'idologie chamanique, elle a fortement imprgn certains secteurs de la mythologie (1) et du folklore nord-amricain, spcialement ceux ayant trait la vie d'outret ombe et aux voyages aux Enfers.

LA

SANC E ClI AMANIQUE

Appel auprs d'un malade, le chaman s'efforce t out d'abord de dcouvrir la cause de la maladie. On distingue deux principaux types de maladies: celles qui rsultent de l'introduction d'un objet pathogne et celles qui rsultent de la perte de l' me (2). Le traitement diffre essentiellement d' une hypothse l'autre: dans le premier cas il s'agit d'expulser l'agent du mal, dans le second, de trouver et de rintgrer l'me fugitive du malade. Dans ce dernier cas le chaman s'impose saus conteste car lui seul peut voir et capturer les mes. Dans les socits qui comptent, en dehors des chamans, des m edicinemen et des gurisseurs, ces derniers peuvent bien traiter certaines maladies, mais la perte de l'me 1 est toujours rserve aux chamans. Dans le cas d' une maladie provoque par l'introduction d'un objet magique perturbateur, c'est t oujours grce ses capacits ext atiques, et non pas par un raisonnement ressort issant la science profane, que le chaman arrive diagnostiquer la cause; il dispose en effet de nombreux esprits auxiliaires qui cherchent pour lui la cause de la maladie, et la sance implique ncessairement l'vocation de ces esprits. Les causes du vol de l'me peuvent tre multiples: rves qui provoquent la fuite de l'me; morts qui ne se dcident pas se diriger ve rs le pays des ombres et rdent autour des camps, cherchant emmener avec eux une autre me ; ou, enfin, l'me mme du malade s'gare loin de son corps. Un informateur Paviotso disait Park: Quand quelqu'un meurt subitement, il faut appeler le chaman. Si l'me ne
(1) c r. par exemple, M. E. QpLER, TM CI'~ati(l~ Role of Shamanum in M escaluo A,pache Mythology (. J ournal of American Folklore ., vol. 59, 1946, p. 2688t ). (2) cr. F. E. CLEMENTS, Primiti(l~ Conupt8 of Di8~tU~ (University or California, Publications in American archaeology and an thropology, vol. 32 1932, No. 2, p. 185-252), J.l. 193 sq . Cf. aussi William W. ELIIIB NDORf , Soul Los, lU n~Bs in W~,tel'n North America (in. lndian Tribes or Aboriginal America: Selected Papers or the 29th Inlernational Congress of Americanists ., d . Sol Tax, Ill, Chicago, 1952, p. 104-14. ) ; . HULTI.RANTZ, Conception, orthe Soul amonl No rth American IndiaM : a Study in R~li,io lU E'hnowty (Stockholm, 1953), p. 44.9 sq.
Le Chamanisme
16

ibid., p. 62 sq., 139 sq. Note. on the IndiaM of th~ Fort Apa.eh~ R~,ion (Amcrican fuseum or Na tural .Hstory, Anthropological Papers, XXXI, 5, New York, 1930, p. 2~ 1 34.5), p. 319, Cit et traduit par Marcelle BOUTEILLER, Chamani8m~ ~'furuon maglqu~, p. 160.
PAR K ,

II Sur ce rite, voir 2 Albert

B . RUGAN,

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LE CHAMANISME NORD ET SUn-AMI\ I CA tN

LE CHA MANISME NORD ET SUnAMRICAIN

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s'est pas trop loigne, le chaman peut la ramener. Il tombe en transe pour ramen er l'me. Quand l'me s'est avance profondment vers l'autre monde, le chaman ne peut rien faire: il y a trop de distance entre l'me et lui (Park, Shamanism, p. 41) . L'me quitte le corps pendant le sommeil et, en rveillant quelqu'un brusquement, on peut le fai re mourir. Il ne faut jamais rveiller un chaman en su rsaut. Les objets malfaisants sont gnralement projets par les sorciers. Ce sont de petites pierres, de menus animaux, des insectes; ils ne sont pas introduits in concreto par le magicien, mais crs par la puissance de sa pense (ibid., p. 43). Ils peuvent tre envoys galement par les esprits qui, parfois, s'installent eux-mmes dans le corps du malade (Bouteiller, p. 106) . Une fois dcouverte la cause de la maladie, les chamans extraient les objets magiques par succion. Les sances ont lieu pendant la nuit et presque t oujours la maison du malade. Le caractre ritu el de la cure est nettement prcis: le chaman et le malade sont tenus de respecter un cert ain nombre d'interdictions (ils vit ent les femmes enceintes ou en priode de menstruation, et en gnral toute so urce d'impuret; ils ne touchent pas aux aliments carns ou sals j le chaman procde des purifications radicales en utilisant des vomitifs, etc.). Parfois, la famill e du patient observe, elle aussi, le je ne et la continence. Quant au chaman, il se baigne l'aurore et au crpuscule et s'adonne des mditations et des prires. Comme les sances sont publiques, elles provoquent une certaine tension religieuse dans la communaut tout entire et, en l'absence d'autres crmonies religieuses, les gurison.s chamaniques constituent le rituel par excellence. L' invitation qu' un membre de la famille fait au chaman et la fixation de l'honoraire ont elles-mmes un caractre ritu el (Park, p. 46 ; Bouteiller, p. 111 sq.). Si le cbaman demande un prix trop lev, ou s'il ne demande rien - il tombe malade. D'ailleurs, ce n'est pas lui, mais son pouvoir li qui fixe les honoraires de la cure (Park, p. 48 sq.). Seule sa famille a droit un traitement gratuit. Un grand nombre de sances ont t dcrites dans la littrature ethnologique nord-amricaine (1). Dans leurs grandes lignes, elles se ressemblent. Partant, il y aura intrt prsenter plus en dtail une ou deux sances choisies parmi les mieux observes.
CURE CHAMANIQUE CHEZ LES PAVIOT SO (2)

Aprs avoir accept d'entreprendre la cure, le chaman s'enquiert des actions du patient avant sa maladie pour deviner la cause de celle-ci. Il donne ensuite des instructions pour la co nfection du bton
(1) Ct. p . ex. les indications groupes par Marcelle BOUTBIl. LE R, op. cil., p. 13(" n . l. Voir aussi ibid., p. 128 sq. Cf. Rola nd DIXO N, Some Aspec!s of the American Shaman (1 J.ourn al oCAmerica n Folklore ., 1908, vol. 21, p.1-12 ) ; Frederick JOIINSON, No. on Mu:"!ac Shamani8f11 (1 Primitive Man ., XV I, 19'13, p. 53-80 ) ; M. E. OPLER, No~, on Chlrlcahua Apache Culture : 1. Supernal ura[ J'oU'er and the Shama n (. Primitive Man . , XX, 19(17, p. 1- 11. ). (2) D'apres Willard Z. PAR.K, Pa"iouo Shamanism (. Awerican Anthropologist ., 19a4, vol. 36, p. 98-113) j id., S hamansm in Westerrl North America, p. 50 sq,

qu'on placera auprs de la t te du malade : c'est un bton de 3 4 pieds, fabriquer en bois de saule, et qui portera son sommet une plume d'aigle procure par le chaman. Cette plume rest e prs du malade la premire nuit et le bton est soigneusement gard des contacts impurs. (11 suffit qu'un chien ou un coyote le touchent pour que le cbaman t ombe malade ou perde son pouvoir.) Notons en passant l'importance de la plume d'aigle dans la gurison chamanique nordamricaine. Ce symbole du vol magique est trs probablement en relation avec les expriences extatiques du chaman. Celui-ci arrive la maison du patient vers neuf heures du soir accompagn de son interprte, le parleur " dont la fonction est de rpt er haute voix toutes les paroles murmures par le chaman. (L'interprte reoit lui aussi des honoraires, s'levant gnralement la moiti de ceux du chaman.) Parfois, l'interprte prononce une prire avant la sance et s'adresse directement la maladie pour l'inform er que le chaman est arriv. Il intervient de nouveau au milieu de la sance pour implorer rituellement le chaman de gurir le malade. Certains chamans utilisent, en outre, une danseuse, qui doit tre belle et vertueuse; celle-ci danse avec le chaman ou seule, lorsq ue ce dernier procde la succion. Mais la participation des danseuses aux gurisons magiques semble une innovation assez rcente, au moins chez les Paviotso (Park, Shamanism, p. 50). Le chaman s'approche du malade, torse et pieds nus, et commence chanter en sourdine. Les assistants, qui se tiennent le long des murs, reprennent ensemble, avec l'interprte, les chants l'un aprs l'autre. Ces chants sont improviss par le chaman et il les oublie, la sance termine; leur rle est d'appeler les esprits auxiliaires. Mais l'inspiration en est purement extatique: certains chamans affirment que c'est leur 0: pouvoir qui les inspire pendant la concentration prliminaire la sance ; d'autres prtendent que les chants leur viennent par le truchement du bton plume d'aigle (ibid., p. 52) . Aprs un certain temps, le chaman se lve et se promne en cercle autour du feu central de la maison. S'il y a une danseuse, elle le suit. Il revient ensuite sa place, allume sa pipe, en tire quelques bouffes puis la passe aux assistants qui, sur sa recommandation, fument la ronde un e ou deux boufTes. Pendant tout ce temps, les chants continuent. C'est la nature de la maladie qui dcide de J'tape suivante. L'e patient est-il inconscient, il est vident qu'il souffre de la perte de l'me,.; le chaman doit alors immdiatement entrer en transe (yaika) . Si la maladie est provoque par une autre cause, le chaman peut entrer en transe pour pouvoir tablir le diagnostic, ou pour discuter avec ses (l pouvoirs * du traitement pratiquer. Mais, en ce qui concerne ce dernier type de diagnostic, on ne recourt la transe que si le chaman est assez fort. Quand l'esprit du chaman revient victorieux de son voyage extatique la poursuite de l'me du malade, l'assistance est informe par le chaman , qui raconLe longuement }'avenLure. Lorsque la transe a pour objet de dco uvrir la ca use de la maladie, les images

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LE CHAMAN ISME NORD ET

SUD~AMRICAIN

LE CHAMANISME NORD ET SUD-AMtRICAIN

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rencontres par le chaman durant son extase lui rvlent le secret: s'il rencontre l'image d'un tourbillon, c'est le signe que la maladie a t cause par un tourbillon; s'il voit le patient se promenant parmi les fleurs, la gurison est certaine j si, au contraire, les fleurs sont fanes, la mort est invitable, etc. Les chamans reviennent de leur transe en chantant jusqu' ce qu'ils aient pleinement repris conscience. Us s'empressent de communiquer leur exprience extatique et, s'ils ont reconnu la cause de la maladie dans un objet introduit dans le corps du patient, ils procdent alors l'extraction. Ils sucent la partie du corps qu'ils ont vue en transe comme tant le sige de la maladie. Gnralement, le chaman suce directement la peau; certains, pourtant, la sucent au moyen d'un os Ou d'un tuyau en bois de saule. Tout le temps que dure cette opration, l'interprte et les assistants chantent en chur jusqu' ce que le chaman ]es arrte en secouant vigoureusement la sonnaille. Aprs avoir suc le sang, le chaman le crache dans un petit trou et rpte la crmonie, c'est-dire tire quelques bouffes de sa pipe, danse autour du feu et se remet sucer jusqu' ce qu'il ait russi extraire l'objet magique : une petite pierre, un lzard, un insecte ou un ver. Ille montre la ronde, et le jette ensuite dans le petit trou en le recouvrant aveo de la poussire. Les ohants et le fumage. rituel de la pipe se poursuivent jusqu' minuit; on observe alors une pause d'une demi-heure j on sert de la nourriture aux assistants, d'aprs les directives du chaman, mais celui-ci n'y touche pas, et on a soin qu'aucune miette ne tombe terre; on enterre soigneusement la nourriture qui reste. La crmonie s'achve peu avant l'aurore. Juste avant la fin, le chaman invite les assistants danser avec lui autour du feu pendant cinq quinze minutes. Il conduit la danse en chantant. Ensuite, il donne des instructions la famille concernant la nourriture du patient et il dcide quels dessins doivent tre peints sur son corps (Park, Shamanism, p. 55 sq.). Le chaman paviotso extrait de la mme manire les balles et les pointes de fl ches (ibid. , p. 59). Les crmonies chamaniques de clairvoyance et de rgulation du temps sont beaucoup moins frquentes que les sances de gurison. Mais on sait que le chaman peut procurer la pluie, arrter les nuages, fondre la glace des fleuves, simplement en chantant ou en agitant une plume (ibid., p. 60 sq.). Comme nous l'avons dit, ses vertus magiques semblent avoir t beaucoup plus grandes jadis, et il se plaisait autrefois en faire talage. Certains chamans paviotso font des prophties ou interprtent les rves. Mais ils n'ont aucun rle dans la guerre, o ils sont subordonns aux chefs militaires (ibid., p. 61 sq.).
StANCE CHAMAN IQUE CHEZ LES ACHUMAWI

Jaime de Angulo a donn une description trs complte de la Cure chamanique chez les Achuma\vi (1). Comme on le verra tout l'heure,
Anthrop08 1

1) Jaime de ANGULO, La PBycholosie relisieusB!ka Achumawi: 1 V. _, 23, 1928, p. 561 . 82) .

Chamanisme

la sance n'a rien de mystrieux ni de so~r.e . Le chaman se perd arfois en mditations et parle soUo fJoce : il dIalogue a~ec ses damaPomi ses t pouvoirs , (esprits auxiliaires), pour dcouvrIr la cause de ra n:aladie, car ce sont les damagomi qui tablissent en ralit le d agnostic (ibid. p. 570). On distingue en gros SIX catgOries de malal , . d' un ta bou;.3) l' epou. dies: 1) les accidents visibles; 2) la transgressIOn vante cause par l'apparition des monstres j 4) le t mauvQls, sang . ; 5) l'empoisonnement par un autre chaman; 6) la perte de 1 Ame. La sance a lieu le soir, dans la mQlson du patlent. Le ch~man se et genoux ct du malade qui est couch par terre, la tete vers :::'st JI se balance en les yeux demi clos. D'abord 'est un bourdonnement sur un ton plaintif, comme si le chaman ~oulait chanter malgr une souffrance intrieure. Le bourdonnement devient plus fort, prend la forme. d'une vraie mlodi~, mais eo?ore en sourdine. On commence se taire, ~ couter, faIre attentlOfl' Le chaman n'a pas encore son damag.om,. Il est, lIuelque part, peut-etre trs loin dans la montagne, peut-etre dans 1 ru~. dola n.Ult tout prs d'ici. La chanson c'est pour le charmer, pour 1 mVlter a ventr, pour l'y forcer mme [ ... J. Ces cbansons, comme toutes l es chansons des Acbumawi, se composent d'une ligne ou deux, faIsant de~x, ~rOls, ou tout au plus quatre phrases de musique. On la rpte dIX, vmgt, trente fois de suite, sans aucune interruptIOn, la dermre note tant suivie immdiatement par la premire note du commencement, sans aucun reste musical. On chante l'unisson. Quant la mesure, on la bat avec les mains. EUe n'a rien voir avec le rythme de la mlodIO. Elle est sur un rythme diffrent, un rythme d'ailleurs quelconque, mais uniforme et sans accent. En gnral, au commencement d'une chanson chacun bat une mesure un peu diffrente. Mais au bout de quelque~ rptitions, elles s'unifient. Le chaman ne chante gure que quelques mesures lui -mme. D'abord il est seul, P':lls quelques VOI~, enfin tout le monde. Alors il se tait, laissant l'assistance le travail d'attirer le damagomi. Naturellement, plus fort on chan.te, et mIeuX l'unisson mieux cela vaut. On a plus de chance de rveiller le damagomi s'il d'ort quelque part au loin. Ce n'est pas seulement le bruit physique qui le rveille. C'est tout. autant, et. encore plus, l'ardeur motionnelle. (Ceci n'est pas mon mterprtatlOn. Je rpte ~e que m'ont dit beaucoup d' Indiens.) Quant au chaman, il se. rec~eille: Il ferme les yeux, il coute. Bientt il sent so~ damagomt qUi arrIve, qui s'approche, qui voltige dans l'air de la nUIt, dans la brousse, SO.U8 la terre, partout, mme dans son propre ventre. [ ... J. Alors soudam, le chaman frappe des mains, n'importe q~ el lD 8 ta~t du c~ant, et tout le monde se tait. Silence profond (et c est trs ImpreSSIOnnant au milieu de la brousse, sous les toiles, la lueur vacillante du foyer, que ce silence soudain aprs le rythme rapide et tant soit peu hypno . tisant de la chanson). Alors le chaman s'adresse son damagomi. Sa voix est haute, comme s'il parlait un sourd. Il. p~rle d'une voix rapid e saccade monotone, mais en langage ordmalre que tout le mond~ comprend. Les phrases sont courteo. Et tout ce qu'il dit

cbanto~nant,

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LE CHAMA N I SME NORD ET SU D -A M tR I CA I N

LE CHAMANISME N O RD ET SUD-A M RI CAI N

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1' interprte le rpte exactement, mot pour mot [ .. .]. Le chaman est
teU ement surexcit qu'il s'embrouille dans ce qu'il dit. Son interprte, si c'es t son interprte ordinaire, connait depuis longtemps les embrouillements qui lui sont habituels [ ...). Lui, le chaman, il est en tat d'extase, de plus en plus, il parle son damagomi, et son damagomi rpond ses questi ons. Il s'unit tellement son damagomi , il se projette tellement en lui , que lui-mme, le chaman, rpte exactement t outes les pa roles du damagomi [ ... ). (J aime de Angulo, op. cil. , p. 567-68.) nante monotonie; le maUre se plaint que le damagomi se soit fait attendre, et celui-ci se justifi e: il tait endormi prs d'une rivire, etc. Le matre le renvoie et en ap pelle un autre. ~ Le chama n s'arrte. 11 ouvre les ye ux. On dirait quelqu'un qui se rveille d'une mditation profo nde. II a l'air un peu hbt. Il demande sa pipe. Son interprte la bourre, l'allume , la lui passe. Tout le monde s'tire on allume des cigarettes, on fume, on cause, on dit des plaisanterie's, on garni t le foy~r. Le ch.aman lui-mme prend part aux plaisanteries, mais de mOInS en moms, mesure qu'une demi-heure, une heure, deux heures pa~sent. Il devient de plus en plus distrait, farouche. Il recommence, et il recommence [ ... l. Cela dure quelquefois des heures et des heures. Quelquefois cela ne dure gure plus d' une heure. Quelquefois le chaman abandonne la g uri son, dcourag. Ses damagomi ne trouvent rien. Ou bien ils ont peur. Le ' poison, est un damagomi trs puissant plus fort qu'eux [ ... ]. Ce n'est pas la peibe de l'attaq uer , (ibid.: p. 569). Aprs avoir trouv la cause de la maladie, le chaman procde la gurISon. Sauf dans le cas de la perte de l'me le traitement consiste dans l'extr~ction du ~ mal ou la succion du ~ang. Par la succion, le chaman retIre avec les dents un petit obj et comme un petit bout de m blanc ou noir, qu elquefois comme une rognu re d'ongles * (ibid. p. 563). Un Achumawi disait l'auteur: Je ne crois pas que ce~ choses-l sortent du co rps du malade. Le chaman les a toujours dans sa bouche avant de commencer la cure. Seulement il y a ttire la maladIe, a lUI sert attraper le poison . Autrement comment ferait-il pour l'attraper 1 (ibid.). C~rt~in~ chamans .su~e nt dir~cteme,nt Je sang. Un chaman expliquaIt aInSI comment Il s y prenait: C est du sang noir c'es t du mauvais sang. D'abord je le crache dans mes mains pour 'bien voir si la maladie est l-dedans. Et alors j'entends mes damagomi qui se disp ut ent. Ils veulent tous que Je leur donne boire. Ils ont bien travaill pour moi. Ils m'ont aid. Maintenant ils sont tous chaufTs. fi s ont soif. Ils veul ent boire. Ils ve ul ent boire du sang ... (ibid.). S'il ne leur donne pas du sang , les damagomi s'agitent comme des fous et protestent bruyamment. , Alors je bois d u sang. J e l'avale. J e leu r do nne. Et cela les apaise. Cela les calme. Cela les rafralchit ... (ibid.) . , D'aprs les observations de Jaime de Angulo, le mauva is sang n est pas suc du corps du malade; ce serait * le produit d'une extra-

Le dialogue entre le chaman et ses pouvoirs *est parfois d'une ton-

vasion hmorragiqu e d'origine hystrique, dans l'estomac du chaman) (ibid. , p. 57!.). En efTet, le chaman est trs fatigu la fin de la sance et, aprs avoir bu deux trois litres d'eau, il s'endort d'un lourd sommeil (ibid.). Quoi qu'il en so it, la succion du sang semble tre plutt une forme aberrante de la gurison chamanique. On se rappell e que certains chamans sibriens boivent aussi le sang des anima ux sacrifis et prtend ent que ce sont en rali t leurs esprits auxiliaires qui le demandent et le boivent. Ce rite, extrmement complexe, fond sur la valeur sacre du sang chaud , n'est chamaniqu&. que subsidiairement et par coalescence avec d'autres rites appartenant des complexes magico-reli gieux difTrents. S'il s'agit d'un empoisonnement par un autre chaman, le gurisseUf, aprs avoir longuement suc la peau, saisit l'obj et magique avec les dents et le montre. Parfois, l'empoisonneur se trouve parmi l'assistance, et le chaman lui rend l' objet . : .. Tiens Ile voil ton damagoni, je ne veux pas le ga rd er pour moi! (ibid.). Dans le cas de la perte de l'me, le chaman , toujours inform par ses damagomi, se met sa recherche et la retrouve gare dans des lieux sauvages, sur un roc, etc. (ibid., p. 575-77).

LA

DE SCEN TE AUX ENFERS

La sance des chamans achumawi se distingue par sa modration. Mais cell e-ci n'est pas touj ours la rgle. La transe qui , chez les Achumawi, semble plutt faible, est accom pagne ailleurs de mouvements extatiques assez prononcs. Le chaman shushwap (tribu de l'intri eur de la Colombie britannique) agit comme s'il tait fou. ds qu'il a mis sa coifTure rituelle (faite d' un e natte de deux mtres de long et d'un de large). Il se met chanter les chants que son esp rit protecteur lui a appris au moment de l'initiation. 11 danse jusqu' ce qu'il transpire abondamment et que l'esprit vienne et lui parle. Alors il s'allonge ct du malade et lui sue la partie douloureuse. Il finit par extraire une lanire ou une plume, cause de la maladie, et les fait disparaltre en soufflant sur elles (1). Quant la recherche de l'me gare ou ravie par les esprits, elle prend parfois un aspect dramatique. Chez les Indiens Thompson, le chaman met son masque et commence par prendre l'ancien sentier que suivaient autrefois les anctres pour se rendre au pays des morts; s'il ne rencontre pas l'm e du malade, il !ouille les cimetires o sont enterrs ceux d'entre les Indiens qui ont t christianiss. Mais, de toute faon, il lui faut lutter avec les fantmes avant de pouvoir leur arracher l'me du malade et, quand il revient sur terre, le chaman
ff) Franz Bo u, TM Shushwap, dans son The lndiana of British Columb ia: Lku't'1.,en,

Noolka , Kwakiutl, Shushwap (in British Association for the Advancement of Science, Sixth Report on the North -Western Tribes of Canada " 1890, publi en f89f, p. 553-7 f 5 ; publi aussi dans le tir part du Six th Heport " p. 93 sq.), p. 95 sq. du tir part.

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LE CHAMANISME NORD ET SUD-AMRICAIN

LE CHAMANISME NORD ET SU D-AMKRICAI N

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montre aux assistants sa massue ensanglante. Chez les IndiEfDs Tuanas du territoire de Washington, la descente aux Enfers est p~us raliste encore: souvent on ouvre la surface du sol j on imite le pas,age d'un cours d'eau j on mime vigoureusement la lutte avec les esprits, etc. (1). Chez les Nootka, qui attribuent le <vol de l'me, aux esprits maritimes, le chaman plonge, en extase, au fond de l'ocan et revient mouill, perdant parlois son sang en abondance par le nez et les tempes et portant l'me vole dans une petite houppe de plumes d'aigle, (P. Drucker, The Northern and Central Nootkan Tribes, p. 210 sq.) . Comme partout ailleurs, la descente du chaman aux Enlers en vue de ramener l'me du malade emprunte l'itinraire souterrain des trpasss, et s'intgre, par consquent, dans les mythologies lunraires de chacune des tribus. Pendant une crmonie lunraire, une Yuma perdit connaissance. Quand, aprs quelques heures, eUe lut ranime, eUe raconta ce qui lui tait arriv. Elle s'tait soudain trouve cheval derrire un de ses parents, dcd depuis des annes. EUe tait entoure d'un grand nombre de cavaliers. Se dirigeant vers le Sud, ils taient arrivs un village dont les babitants taient des Yuma. Elle avait reconnu bien des gens qu'elle avait connus de leur vivant. Tous taient venus sa rencontre en manifestant une grande joie. Cependant, peu de temps aprs, elle avait vu un gros nuage de lume, comme si tout le village Lait en leu. Tous avaient pris la luite. EUe s'tait mise courir mais, ayant buL contre un morceau de bois, elle tait tombe terre.>C'eBt ce moment qu'eUe avait repris connaissance et vu un chaman, pench sur elle, en train de la soigner (C. D. Forde, Ethnography of the Yuma Indians, p. 193 sq.). Plus rarement, le chaman d'Amrique du Nord est appel ramener l'esprit gardien d'une personne, esprit emport par des trpasss dans la rgion des morts (2). Mais c'est surtout pour la rechercbe de l'me du malade qu'il met en uvre ses connaissances de topographie infernale et ses capacits de clairvoyance extatique. Il est inutile de grouper ici toutes les donnes relatives la perte de l'me et sa recherche par le chaman nord-amricain (3). Il nous suffira de noter que cette croyance est assez lrquente en Amrique du Nord, spcialement dans la zone
(1) J. TaiT, TM Tlwm'l,on IndiUM of Brituh Columbia, p. 363 89,. iRv. M. EELLII. A Few Facl$ in Rega,. to the Twana, Clallam and Chemakum IndIana of Washington Te,.,.itory (Chicago, 1880), p. 677 sq., cit par FRAZER, Tabou et le. pil8 de l'dme (trad. fran aiso, Paris, 1927), p. 48 sq. Dans J'Ile Vea du Pacifique,le mediciru.man ~e ~nd galement au cimetire, en procession. Mme rituel Madagascar; ct. FRAZRR, lb1d., p. 45. (2) CI., p. ex., H ermann HUBERL1N , Sbddda'q, A Shamanutic P erformance of the C0a8t $alish (. American Anthropologist l , 1918, n. 8., 20, p. 249-57). Au moins huit chamans la fois excutent cette crmonie. qui comporte un voyage extatique aux

ocidentale, et que sa prsence en Amrique du Sud galement exclut l'hypothse d'un emprunt assez rcent lait la Sibrie (1). Comme on aura l'occasion de le montrer par la suite, la thorie de la perte de l'me comme cause de la maladie, bien que probablement plus rcente que l'explication par un agent pert.urbateur, semble nanmoins assez archaque, et sa prsence dans le continent am~rjca~ ne ~e laisse pas justifier par une influence tardive du chamamsme sibrien. l ei comme partout ailleurs, l'idologie chamaniste (ou, plus exactement, cette partie de l'idologie traditionnelle qui avait t assimi: le et abondamment dveloppe par les chamans) se rencontre aussI dans des mythes eL des lgendes qui ne font pas intervenir des chamans proprement dits. Tel est le cas, pal' exemple, de ce qu'on a appel le mythe nord-amricain d'Orphe " qu'on rencontre dans la majorit des tribus, spcialement dans les rgions de l'Ouest et de l'Est du continent (2). Voici la version des Telumni Yokuts: Un bomme perd sa lemme. Il dcide de la suivre et veille le tombeau. La deuxime nuit, la femme se lve et, comme endormie, se met marcher vers Tipikinits, le pays des morts, qui se trouve vers l'Ouest (ou le NordOuest). Son mari la suit jusqu' ce qu'elle arrive une flvl re sur laqueUe s'tendait un pont qui tremblaiL et s~ mouvait conti,:,u~lle ment. La lemme se retourne et lUi dit: , Qu est-ce que tu lalS ICI? tu es vivant) et ne pourras pas traverser le pont. Tu tombe~as .dans l'eau et tu deviendras un poisson. ,. Au milieu du pont veillait un oiseau; par ses cris, il effrayait les passants et certains tomhaie.nt dans le gouffre. Mais l'homme avait un talisman, une corde magique; l'aide de celle-ci , il russit traverser la rivire. Sur l'autre . rive, . il rencontre sa femme au milieu d'une foule de trpasss qUi danSaIent en rond (la lorme classique de la , Ghost Dance .). L'bomme s'approche et tous commencent se plaindre de Ba mauvaise odeur. Le messager de Tipikinits, le Seigneur de l'Enler, l'invite table. La lemme du messager eUe-mme lui sert d'innombrables plats dont il mange sans arriver les laire diminuer. Le Seigneur de l'Enler lui demande le motif de sa visite. L'apprenant, il lui promet qu'il pourra ramener sa lemme sur la terre s'il est capable de veiller toute la nuit. La ronde recommence, mais l'homme, pour ne pas se fatiguer, reste l'cart regarder. Tipikinits lui enjoint de Be baigner. Ensuite, il appelle sa femme, pour vrifier si elle est bien son pouse. Le couple passe toute la nuit dans un lit converser. Avant l'aurore, l'homme s'endort et,
C'est l'h;pothse de R. L . L~WIB (p,.imitille R :'igi,!n, New Yo~k, 1924, p. 1765<1,.) il aquelle il a renonc par la sUite: cf. On tM Hlsto1'lcal Connectlon between Cutatn Otd Wo,.ld and New Wo,.ld Beliefs (Congrs International des Amricanistes tenu ~ Gteborg en 1924, XXI- Session, 2- p:u-Lie, Gteborg, 1925, p. 546-549). Cf. aussI CLEMENTS, p. 196 sq.; PARK. Shamanf.Bm, p. 137. (2) Cf. A. H . GAYTON, Tiu O,.pMU' My th in North Ame,.ica J ournal of the Ameriean Folklore l, XLVII1, 189, 1935, p. 263-293). Voir, p. 265, a distribution gograp'hique du mythe; cr. HULT ItRANTZ, TM No,.th Ame,.ican l ndian O,.pMUS Tr.adition (la carte, p. 7, et la. liste des tribus, p. 313-14. ).kmy..the...9.i! inconnu des Ea.a.wmaux. ce qui nous malLexchlre lh~poll1~~l.lfi6-.in.Ouence-5ibto=-aiaIliii.e. Cf) aussi -A-: L . l<inu, A Ka,.ok lJi'iM~fyth (in 1 Journal of American F"olklore, LIX. 194.6, p. 13-19): les hrones sont deux femmes qui poursuivent un jeune homme a.u.x Enters mais chouent compltement dana leur entreprise.

(il

Il

Enfers dans un e barque imaginaire. (3) Cf. Robert H . Lown, Notes on ShoshoMan Ethnography (1 American Museum of Natural His~o ry, Anthropological Papers, XX, 3, 1924, p. 183-314), p. 294 sq. PARK, Shamantsm, p . 137 j CLBMBNTS, Pl'imitille ~Ollcepts of Disease, p. 195 59>; HULT&RA NTZ.ponceprions of tlu Soul, p. 4.49 sq. ; Id., The North Amerlcan Indlan Ol'PMUS T,.adltlon, p. 24.2 sq.

250

LE CHAMANISME NORD ET SUD-AMtnIcAIN

LE CHAMANISME NORD ET SUD-A l\f tn l cA IN

251

en se rveillant il trouve une bche pourrie dans ses bras. Tipikinits envoie son messager Pinviter djeuner. Il lui donne encore une chance, et l'homme dort toute la journe pour n'tre pas fatigu la nuit suivante. Le soir, tout recommence comme la veille. Le co uple rit et s'amuse jusqu' l'aube, lorsque l'homme s'endort. de nouveau pour se rveiller avec la bche pourrie dans ses bras. Tipikinit.s le mande de no uvea u, lui donne qu elques grains qui lui permet.tront de traverser le fleuve et lui enjoin t de quitter l'enfer. Rentr chez lui, il finit par raco nter son aventure, mais prie ses parents de la taire car, s'il ne russit pas rester cach six jours, il mourra. Na nmoins, les voisins ap prennent sa disparition et son retour, et l'homme dcide de tout avouer, a fin de pouvoir rejoindre sa femme. Il invite le village il un grand banq uet et il raconte ce q'il a vu et entendu dans le royaume des morts. Le lendemain il meurt mordu par un serp ent. Ce mythe prsente une tonnante unifoT'mi t dans toutes Jes variantes enregistres. Le pont, la cord e sur laq uelle le hros traverse le fl euve infernal, Je personnage bienveillant (une vieille ou un vieux, Seigneur de l'Enfer), l'animal gardien du pont, etc., tous ces motifs class~q ues de la .descente aux En fers sont prsents dans la presq ue totalIt des val'lanLes. Dans plusieurs versions (Gabriel1ino, etc.), l'preuve que doit subir le hros est celle de la chastet : il doit rester chaste pendant trois nuits a uprs de son pouse (Gay ton, p. 270, 272). Une version alibamu , met en scne deux frres qui suivent leur sur morte. Ils marchent vers l'Occident jusqu' ce qu'ils aient atteint l'horizon ; l, le ciel est instable, se dplaant continuellement. Se transrol'mant en animaux, les deux frres pntrent dans l'au-del et avec l'aide d'un Vieux ou d'une Vieille, ils sortent victorieux de quatr~ preuves. Une fois arrivs l-ba ut, on leur montre leur maison terrestre, qui se tro uve exactement sous leurs pieds (motif Centre du Monde .). Ils assistent la danse des morts ; leur sur se trouve l et, en la touchant avec un obj et magique, ils la font tomberetl'emportent dans une calebasse. Mais, une fois revenus sur terre, ils entendent leur sur qui pleure l'intrieur de la calebasse et imprudemment ils l'ouvrent. L'me de la jeune fill e s'enluit (ibid.: p. 273) . ' Nous verrons un mythe sim ilaire en Polynsie, mais le mythe nordam~ricain garde mieux le souvenir de l'preuve initiatique qu'impliquaIt la descente aux EnCers. Les quatre preuves auxqu elles font allusion la variante Alibamu, l'preuve de chastet et surtout l'preuve de la ct veiIJe , ont nettement un caractre initiatique (1). Ce qui est chamanique dans tous ces mythes, c'est la descente aux Enfers pour ramener l'me de la Cemme aime. En efTet, les chamans sont rputs capables. non seulement de rintgrer les mes vagabo ndes des malades, malS g~l ement de Caire revivre les morts (2) ; et ceux~Clller SIX JOUI'!! et.sl:~ n .Ults de SU ite, pour obtemr l'Immortalit, et, tout com me 1 O rph ~e nordamrlcam, il ~ho u e: cf. ELIA.DE, Traite d'hisloire du religions, p. 251 6q. (2) Vo~r! p. ex., la rsurrect!o n d'un garon par les /If id'wiwin, exploit conserv dans

ci, leur retour des Enfers, racontent aux vivants ce qu' ils ont vu, exactement comme le font ceux qui sont descendus cc en esprit li au pays des morts, ceux qui ont visit en extase les EnCers et les Paradis, et qui ont aliment la littrature visionnaire multi-millnaire du monde entier. Il serait exagr de considre r de tels mythes comme des crations exclusives des ex priences chamaniq ues i mais ce qui est sr, c'est qu'i ls utilisent et interprtent de t eHes expriences. Dans la variante alibamu, les hros capturent l'me de leur su r de la mme faon que le chaman s'empare, pour la ramener sur terre, de l' me du malade rav ie dans le pays des morts .

LE S CONFRtR IE S S E CR ,TE S ET LE CHAMANIS ME

Le problme des rapports ex istant entre le chamanisme proprement dit, d'une part, Jes diverses socits secrtes et les mouvements mystiques nord-amricains, d'autre part, est assez com plexe et loin d'tre rsolu (1). On peut dire que toutes ces conlrries base de mystres ont pourtant une structure chamanique, en ce sens que leu r idologie et leurs techniques participent la grand e tradition chamanique. Nous en donnerons l'instant quelques exemples emprunts aux socits secrtes (type A1id'wiwin) et aux mouvements extatiques (type Ghost dance religion .). On y reconnattra lacilement les grandes lignes de la tradition chaman ique : initiation comportant mort et rsurrection du candidat, visites extatiq ues au pays des morts et au Ciel, insertion des substances magiques dans le corps du candidat, rvlation de la doctrine secrte, enseignement de la gurison chamanique, et c. La diffrence principale entre le chamanisme traditionnel et les socits secrt es rside dans 1 0 lait que ces dernires sont ouvertes toute personne qui fait preuve d'une certaine prdisposition ext atique, qui est dispose pay~r la contribution demande et, surtout , qui accep t e de se soumettre l' apprentissage et aux preuves initiatiques. On obser ve mainte fois une cert aine opposition, et mme un antagon isme, entre les confrries secrtes et les mouvements extatiques d'un ct, et les chamans de l'autre. Les con frries, comme les mouvements extatiques, s'opposent au chamanisme dans la mesure o celui-ci est assimil la sorcellerie et la magie noire. Une autre opposition a sa raison d' tre dans l'esprit exclusiviste de cerM~d~i1U Society. of tM Ojibwa (in . Seventh Report ot the Bureau of American Elhnology " 188586, Washington, 1891, p. 143300), p. 241 sq. Ct. aussi B ULT:r.RANTZ, TM Norlh American Indian Orp MIJ.S Tradi/m, p. 247 sq. (1 ) CC . quelques indications d'ensemble dans Marcelle BOUTBILLBR, Chamanme, p. 51 sq. Clark W ISSLER (General Discussion of Shaman tic and Dancing Societies, American Museum oC Natural Hislory, An Lhropological Papers, XI, 1 2 , 1916, p. 853876) tudie la. diffusion d'un certai!l compl exe chaman istique partir des Pawnee d'autres ulbus, et montre (spCialement, p. 85'62 ) le p'fOceSSUS d'assimilation des techniques mystiques. Voir aussi W. MLLER, ",eltblld und Kul' ckr Kwiahufl lndianer, p. U 4 sq.; J . HuuL, Ini!ialionen und CeheimbUnck an ckr Nordwesth8te Nordamerihas (in 1 Mitteilungen der anthropologischcn Oesellschart in Wien ., LXXXIII, Vienne, 1954 , p. 1?690).

(1). Dan~ J:U e de 1'~ncL!'e myth~que Ut-Napis~tim! Gilgamesh doit, lui aussi,

fa traditIO n de cette conCrriC secrte. W. J .

HOFFMA N ,

The Mid'wiwin or , Grand

252

LE CHAMANISME NORD

ET SUn .o\MtRICAIN

LE CHAMANISM.E NORD ET SUDAMRICAI~

253

tains milieux chamaniqu8s ; les socits secrtes et les mouvements extatiques manirestent, au contraire, un esprit de proslytisme assez accentu qui tend, en dernire, i~nstance, l'abolition du privilge des ch~ans. Toutes ce~ confr~r~es et toutes ces sectes mystiques pourSUIvent . une ~~volutlOn rehgwus8, du fait qu'eHes proclament

on les garrotte (1)_ Les uns comme les autres s'affilient pourtant volontiers la Mid'wiwin : le Wbno', quand il s'est spcialis dans la mdecine magique et les incantations, Je jls'sakkid', quand il veut augmenter son prestige dans la tribu_ Ils sont, bien entendu, en

la rgnratIOn spIrItuelle de la communaut entire, et mme de la totalit des tribus nord-ind,i;nnes (,cf. la Ghost-Dance religion )_ AussI ont-elles consCIence d etre 1 oppos des chamans qui Sur ce point, reprsentent la lois les lments les plus conserv'ateu;" de la
tradition religieuse et les tendances les moins gnreuses de la spiri-

minorit, puisque la conlrrie de la Grande Mdecine est largement


ouverte ceux qui s'intressent aux choses spirituelles et ont les

moyens d'acquitter les taxes d'entre_ Chez les Menomini, qui taient,
au temps de HofTman, au nombre de mille cinq cents, cent personnes

tualit tribale_

Mais, en ralit, les choses se passent d'une manire infiniment plus complexe car, si tout ce que nous venons de dire est exact il n'en est pas moins vrai qu'en Amrique du Nord les dilTren~es entre les profanes et les hommes-sacrs 11 ne sont pas tant d'ordre q.u~litatil que d'ordre quantitatil : elles .rsident plutt dans la quantLt de sacre que ces dermers ont assImil. Nous avons eu l'occasion ~e ~ont:er que ,tout in~ien rec.herche le pouvoir religieux, que tout

taient membres de la Jl.fid'wiwin, parmi lesquelles on comptait deux W4bn,;' et cinqj ls'sakkid' (Hoffman, The lI1id'wiwin, p_ 158)_ Mai. il ne devait pas rester beaucoup d'autres chamans n'tre pas affilis la lI1id'wiwin_ L'important dans ce cas, c'est que la conlrrie de la Grande Mdecine elle-mme dnonce une structure chamanique, D'ailleurs ses membres, les mid, Bont appels r: chamans par HofTman, bien que d'autres auteurs les appellent la fois chamans et medicine-men,

Indien dIspose d un esprtt gardIen obtenu par les techniques mmes


que le chaman met en uvre pour obtenir les siens (cr. ci-dessus,

prophtes, voyants et mme prtres_ Toutes ces appellations sont en partie justifies car les midi lont office aussi bien de chamans gurisseurs que de voyants et, dans une certaine mesure, mme de prtres. On ignore les origines historiques de la Mid'wiwin, mais ses tradi-

p- 93 sq.)_ La diffrence entre un prolane et un chaman est de si~ne quantitatil : le chaman dispose d'un plus grand nombre d'esprIts protecteurs ou gardIens, et d'un
ct
Cl

pouvoir magico-religieux

plus lort (1)_ A cet gard on pourrait presque dire que tout Indien chaman_ Si la diffrence entre les prolanes et les chamans est si flou e elle
chamanise , mme si, consciemment, il ne dsire pas devenir

n'est pas plus nette entre les milieux chamaniques et les conr~ries sccr~tes ou les sec~cs mystiques. D'une part, on rencontre chez ces d?rmres les techmques et les idologies rputes chamaniques ;

tions mythologiques ne sont pas trop loignes des mythes sibriells II. On raconte, en efTet, que Mi'nabo'zho, le messager du Dzhe Manido (le Grand Esprit) et l'intercesseur en~re celui-ci et les humains, voyant la misre de l'humanit malade et affaiblie, rvle les secrets les plus sublimes la loutre et introduit dans son corps des migis (symbole des mid) afin qu'elle devienne immortelle et puisse initier et du mme coup consacrer les hommes (2). Aussi la sacoche en peau de loutre joue-t-elle un rle capital dans l'initiation des midi: c'est l qu'on dpose les migis, les petites coquilles qui
du premier chaman
(1.) w. J. HOFFMAN, TM Midl'wiwin or 1 Grand Mt!diciM Society 1 of lM Ojibwa, p. 1.57 sq. Cf. quelques exemples des pouvoirs magiques des jls'.aJcJcld' (ibid . p, 275 sq.). MaIS il convient d'ajouter que les prouesses magiques des chamans nord-amricains sont loin de s'arrter l. On leur attribue le pouvoir de faire germer et pousser un grain de bl sous les yeux du spectateur; de faire venir en un clin d'il des branches de sapin de montagnes trs lo~nes ; de faire apparaltre des lapins et des chevreuils, de taire voler des plumes et d autres objets, etc. Ils peuvent aussi se prcipiter des hauteurs dans de petites corbeilles, tirer d'un squelette de lapin un lapin vivant, transformer divers objets en animaux. Mais surtout les chamans sont 1 mattres du feu _ et oprent toutes sortes de 1 tire tricks _, de tours avec le feu: ils brOient un homme dans la braise, le rduisent en cendre - et cet homme, quelques instants aprs. participe une danse trs loin de l i cf. Elsie Clews PARSONS, Pudlo Indian lleligion (Chicago, 1.939), l, p. ~~o sq . Chez les Zuni et les Keresan, il existe des co ntrries secrtes spcialises dans les tire tricks. et leurs membres sont capables d'av!lier des ch~bons. de marcher sur le feu et de toucher du fer rouge, etc. i ct. M ltfda Coxe SUVIINSON. TM Zwu lnalan8: TM" lI1ow, fY' E80tU'iFraurnie6 and Ceremonie. (e 23rd Report of the Bureau of Amerlcan Ethnology _, 1.901 -1902, Wash.ington 1.90~, p. 1.634. ), p.503, 506, etc., qui relate aussi des observations personnelles (un cbaman gardant de la braise dans sa bouche pendant 30 60 sccondes. eLe.). (2) W. J. HOPFMA N, The MUU'wiwin, p. 166 sq.; id ., Piclographyand Shamani.tic .RIU. of lM Ojibwa (1 American Anthropologist _, l, 1.888, p. 209-29), p. 213 sq. Cf. aussi Werner MULLER, Die blaUt! H tu (Wiesbaden, 1. 954) ; Sister Bernard COLSKAN, TM Religion the Ojibwa of Northern Minm.ota (e Primitive Man _, X, 1.937, p. 33-57), p. ~t. sq. sur la Midt'wiwin} .

d autre part, les "hamans parttc!Eent gnralement aux socits secrtes mystres les plus importantes et il leur arrive de s'y substitu~r :,ompltement_ Ces ra~ports sont trs bien mis en lumire par la lI1ide ~'WLn ou comme on 1 a appele (par erreur) La Socit GrandeMdecme " des Ojibwa_ Les Ojibwa connaissent deux sortes de chamans: les Wbno' (1' ft homme de l'aurore l) 1' homme oriental It) et les jls'sakkrd', prophtes et voyants, appels aussi jongleurs et rvlateurs des vrtts caches . Les deux catgories lont preuve des prestIges chamanlques : les W db n,;' sont galement appels
manteurs. de feu)) et manipulent impunment des charbons br.

lants; les J ls'sakkid' oprent des gurisons, les dieux et les esprits
parle~t par leur bouche, et ils sont des jongleurs renomms car ils

rUSSIssent se dfaire instantanment des cordes et des chalnes dont

vers

Amerlcan archaeology and eth!10graphy, vol. 30, Berkeley, 1930\', p. 93 sq. (1 The Powale'tQ udes!j -), p. 107 sq. {la diffrence quantitative des pouvoirs p 2',9 sq (l'uni J e a qute), ete. ,. . -

rJs/s exem~es dj cits (plus haut, p. 93 sq.), ajoutons la belle analyse de le. PlU. lamath EthTWgraphy (University of Calitornia Publications in

0(.

254

1.E CHAMANts ME NORD ET SU O ~ AM RI C AIN

LE CHAMANISME NORD ET S UD-AM RI CA IN

255

sont rputes contenir la rorce magico-religieuse (HofTman, The M id'wiwin , p. 21 7, 220 sq.). L'initiation des candidats suit les grandes lignes de toute initiation chamanique. Elle comporte la rvlation des myst res (c'est-dire, en premier lieu le mythe de A1i' nab o'zho et l'immortali t de la Loutre), la mort et la rsurrection du candidat , et l'introdu ction dans son corps d' un grand nombre de m igis (ce qui rappelle trangementles pierres magiques dont on farCIt le corps de l'apprenti magicien en Australie et ai lleurs) . 11 exist e quatre degrs initia tiques, mais les Itrois dernires initiations ne sont que la rptition de la premire crmonie. On construit le midwigan , la Grande Loge-M decine D, sorte de clture de vingt-cinq mtres sur huit et, entre les pieux, on dispose du feuillage pour se dfendre des indiscrtions. A une trentaine de mt.res, on lve un wigiwam , le bain de vapeur pour le candidat. Le chel dsigne un instru cteur, qui rvle les origines et les proprits du t ambour et des sonnailles au candidat et lui enseigne la manire de s'en servir pour invoquer le Grand Dieu (ManidoJ!,) et exorciser l es dmons. On lui enseigne ausSI les chants magiques, les herbes mdi cinales, la thrapeutique et spcialement les lments de la doctrine secrte. A partir du sixime ou cinqu ime jour qui prcde la crmonie d'initiation, le candidat se purifie qu otidiennement dans le bain de vapeur et assist e ensu ite la dmonstration des pouvoirs magiques des mid i ; ceux-ci, J'intrieur du. m id iwigan , font mouvoir distance diverses fi gurines en bois et nota mment leurs sacoches. La dernire nuit, il rest e seul avec son instruc t.eur dans ]e bain de vapeur et , le lendemain, aprs une nouvelle purifica t.ion et si le ciel est clair, on procde la crmonie d'initiation. Dans la Grande Loge-Mdecine sont assembls tous les mid. Aprs avo ir fum longt emps en silence, ils entonnent des chan ts rituels rvlant des aspect s secret s (et la plupart du t emps inintelligibles) de la tradition primordiale. A un moment donn, tous les midi se dl'essent et , s'approchant du candidat, le tuent en le toucha nt avec des migis (1 ). Le candidat tremble, t ombe ge noux et , quand on lui introduit une migi dans la bouche, il s'aUonge inanim sur le so1. On le touche ensuite avec la sacoche et il ressuscite . On lui donne un chant magique et le cheClui prsente une sacoche en peau de loutre o le ca~did at. dpose ses propres mgis. P our v rifier le pouvoir de ces coqUIlles, li t ouche successivement tous ses conCrres, < lui tombent terre comme foudroys puis ressuscitent par le mme procd d'att ouchement. Il a mai ntenant la preuve q ue les coquilles donne nt aUSSI bIen la mo rt que la vie. Au banquet qui clt la crmonie le plus ancien mid raco nte la tradi tion de la J I1 idc'wiwin et pou r fi~ir le nouveau membre chante son chant et Crappe ]e ta m bo~ rin . .. , La deuxime initiation a lieu au moins un a n aprs la premire. La C orce ~agiqu e se voit. alors accrue par le grand nom bre des m igis do nt on C arCit le corps de l'initi, spcialement l'endroit des articulat.ions
(1)

t du cur. Avec la troisime initiation, le midi obt.ient assez de poupour devenir un js'sakkid', c'es.t- A-dire qu'il est . ca~able ~~ex cu ter toutes les jongleries li cbamamques e~" en ~a ~t~cu.l lC r ,. qu il e~t promu mai tre dans les .gurisons. La quatneme m~tl ~tt.On mtrodmt encore de nouvea ux m igl.S dans son corps (HolTman, ,bid., p. 204-276). On se rendra compte, par cet exemple, des relations troites entre I.e chamanisme proprement dit et les conCrries secrt es nord-am.rtcaines : l'un comme les autres participent la mme tradition maglCoreligieuse archaque. Mais on peut a~ ss,i d~st.i ngu er d an~ de t elles conCrries secrtes, et surtout dans la Midi w/.w m , un essaI de retour aux origines en ce sens qu'on s'efforce de reprendre contact avec la tra dition primordi ale et d'liminer les sorciers. Le rle des esprits protecteurs et. auxiliaires s' avre assez mdiocre, t andis qu'on accorde, au contraire, beauco up d'importance au Gra nd E sprit et aux voyages clestes. On s'e fforce de rtablir les communications entre la Terre et le Ciel t elles qu'elles exist aient l'aube des temps. Mais, malgr son caractre rformateur li, la Mid'wiwin reprend les techniques les plus archaIques de l'init~atio n m~gico-religi.eu se (la mort et la rsurrection (1), le corps C arci des pwrres magiques , etc.). Et, comme nous J' avo ns vu, les mid deviennent des medicine-men, . l'initiation . leur apprenant aussi les diverses t echniques de gurison magIque (exorcisme, pharm acope magique, traitement par succion, etc. ). Un peu diffrent est le cas du , Medicine Bite des Winnebago dont le crmonial initiatique complet a t publi par Paul Badm (2). li s'agit, ici aussi, d'une conCrrie secrte dans laq uelle on . n'est admis qu'aprs un rituel d'initiation trs complexe, conSIst ant en premier lieu en la mort et la rsurrection du candidat , par attouchement. de coquilles magiques conserves dans les sacoches en peau de loutre (Badin, ibid., p. 5 sq. , 283 sq., et c.) . Mais la ressemblance avec la M id' wiwin des Ojibwa et des Menomini s'arrte l. Il est vra isemblable que le rite qui consiste projet er des coquilles dans le corps du candidat a t intgr assez tardivement (vers la fin du XVII e sicle) dans une crmonie winnebago plus ancienne, riche en lments chamaniques (ibid., p. 75). Comme le, Med icine Bite des Winnebago prsente plusieurs similitudes avec la crmonie des medicine-men des Pawnee, et comme la dista nce q ui s pare ces deux tribus exclut la possibilit d' un emprunt direct, on peut en conclure que J'un comme l' autre ont conserv des r estes d'un rituel assez archal que, appartenant un complexe culturel d'origine mexicaine ( Badin, ibid. ). Il est galement fort probable qu e la M id'wiwin des Ojibwa n'es t que le dveloppement d' un te l rituel. En tout cas, le point qu'il importe de souligner c'est q ~e le Med icine Rite, des Winnebago avait comme but la rgnratIOn perp tuelle de l'homme initi. Le dmi urge mythique, le livre, qui a t envoy

~oir

)1

(1 ) Sur le caractre chamaniq ue de la Socit des Cannibales

kwa kiutl ,

cr. w. MOLL ER , Die blaue

/J Ulie , p. 52 sq .

W. MOLLF. R, lVeltbild Iwd K ult, p. 65 sq.; M. EL IA UF., Naissa llCe, m ysliqueB, p. 14ft 6q . (2) Paul RA U1N, The Road of L ife and Dea/Ii . A Ri/ual Dram a oftlle Am ericuli / lldian s (New York, 19'( 5).

cr.

256

LE CHAMANISME Nono ET SUD~AMIUCAIN

LE CHA MAN ISME NORD ET SUD -AM R ICAI N

257

sur la Terre par le Crateur pour assister les humains, a

~t

trs impres-

sionn par le fait que ceux-ci mouraient. Pour remdier au mal, il construit la loge initiatique et se transforme lui-mme en un petit enfant. Si quelqu'un rpte ce que j'ai fait ici, dclare-t-il, voici l'aspect qu'il aura. (ibid., p. 31). Mais le Crateur interprte la rgnration qu'il a accorde aux humains d'une autre manire: les hommes pourront se rincarner le nombre de fois qu'ils dsirent (ibid. p. 25). Et le ct Medicine Rite D communique au fond le secret d'un retour

chamans, les shakers parvenaient ressusciter les morts (voir, p. ex., le cas des quatre per~on~es ressuscites, ibid.,'p' 748). Le rituel

capital de cette secte conSIstaIt dans la contemplatlOll prolonge du


ciel et dans le tremblement continu des bras, techniques sommaires qu'on rencontre, sous des aspects plus aberrants encore, dans I~Proche Orient antique et moderne, et toujours en relations avec des milieux chamanisants . D'autres prophtes aussi dnonaient les pratiques magiques et les medicine-men de la tribu, mais c'tait plutt pour les rformer et les rgnrer ; exem ple, ce prophte Shawano, qui , vers l'ge de trente ans fut ravi aux Cieux et reut une nouvelle rvlation

ad infinitum sur t erre, cn rvlant le vritable itinraire post-mortem et les paroles que le trpass doit adresser la Femme gardienne de l'au-del et au Crateur lui-mme. videmment, on rvle a ussi la
cosmogonie et l'origine du Medicine Rite D, car il s'agit toujours de retourner aux origines mythiques, d'abolir le temps et de rejoindre ainsi l'instant miraculeux de la Cration.

du Mattre de la Vie, lui permettant de connaitre les vnements passs et


futurs - et qui, tout en dnonant le cham an isme, dclarait avoir reu le pouvoir de gurir toutes les maladies et d1loigner la mort mme au

milieu des batailles (ibid., p. 672). Ce prophte se considrait d'ailleurs


comme l'incarn ation de Manabozho, le premier Grand Dmiurge"

Nombres d'lments chamaniques survivent galement dans les


grands mouvements mystiques connus sous le nom de Ghost~Dance

Religion . qui, bien qu'ils fussent dj endmiques au commencement du


XIX e

sicle, n'ont profondment boulevers les tribus nord~amri

lies Algonkins, et voulait rformer la Mid'",i",in (ibid., 675-676). Mais l'tonnant succs populaire de la Ghost-Dance Religion tenait la simplicit de sa technique mystique. Pour jHj paruj'auive du Sauveur de la race, les membres de la coilCrrie dansaient de q'Uatre cinq jours consc ut ifs, et tombaient de la sorte dans des transes pendant lesquell es il s voyaient les morts et conversaient avec eux. On dansait en rond prs des feux, on chantait, mais sans accompagnement de tambour. L'aptre confirmait les nouveaux prtres en

caines que vers la fin du sicle (1) . Il est fort probable que le christianisme a influenc au moins certains de ses a prophtes (cC. Mooney, p. 748 sq., 780, etc.). La t ension messianique et l'attente de l'imminente fin du temps . proclame par les prophtes et les maltres de la , Ghost-Dance Religion. taient faciles intgrer dans une exprience chrtienne fruste et lmentaire. Mais la structure mme de cet important mouvement mystique populaire n'en est pas moins autoch tone pour autant; les prophtes ont eu leurs visions dans la plus pure manire archaque: ils sont morts et sont monts aux Cieux, et l, une Femme cleste leur a appris comment se prsenter devant le 1: Matre

leur donnant une plume d'aigle pendant la danse. Et il lui suffisait


de toucher un danseur avec une telle plume pour que celui-ci tombt

inanim : il restait longtemps dans cet tat, pendant que son me rencontrait les morts et s'entretenait avec eux (ibid., p. 915 sq .) . Il
ne manquait aucun autre lment cbamanique essentiel : les danseurs '

de la Vie (Mooney, p. 663 sq., 746 sq., 772 sq., etc.); ils ont eu leurs grandes rvlations dans des transes, pendantlesqueIJes ils ont voyag
dans les rgions de l'au-del et, revenus eux, il s ont racont ce

devenaient des gurisseurs (ibid., p. 786), ils revtaient des

ghost

shirts " qui taient des costum es rituels avec des figurations d'astres

qu'ils avaient vu (ibid., p. 672 sq.) ; pendant leurs transes volontaires,


ils pouvaient tre taillads avec des couteaux et brls sans rien

d' .ll:tres mythologiques et mme de visions obtenues pendant les transes (ibid., p. 789 sq., pl. CTTI, p. 895), il se paraient de plumes d'aigle (p. 791), utilisaient le bain de vapeur (p. 823 sq.), etc. On remarquera qu'ils dansaient - technique mystique qui, sans tre exclusivement cbama nique, joue, comme nous l' avons vu, un rle dcisif

sentir (p. 719 sq.), etc. La , Ghost-Dance Heligion prophtisait l'approche de la rgnratIOn unIverselle: alors tous les Indiens, les morts comme les vivants, seraient appels vivre sur une terre rgnre Il ; ils parviendraient

dans la prparation extatique du chaman. Il reste bien entendu que la Ghost-Dance Religion dborde, et de
toutes parts, le chamanisme stricto sensu. L'absence de l'initiation et d'une instruction traditionnelle secrte, par exemple, suffit la sparer du chamanisme. Mais nous avons aITaire une exprience religieuse collective cristallise auto ur de l'imminence d'une fin du monde" : la source mme de cette exprience - la co mm unication avec les morts - imp1ique, pour ce lui qui J' obtie nt, l'abolition du monde prsent et l'instauration (mme provisoire) d'une f( confusion J qui constitue aussi bien la clture du cycle cosmique actuel que le germe de la restauration glorieuse d'un nouveau cyc le, paradisiaque . Comme les visions mythiques du commencement Il et de la fin du Temps sont homologables, Pestchatologie rejoignant, au moins sous
Le Chamanisme

cette terre paradisiaque en volant travers les airs l'aide de plumes magiques (ibid., p. 777 sq., 781, 786) . Certains prophtes - comme
John Slocum, le crateur du mouvement des trembleurs - s'levaient contre l'ancienne religion indienne et spcialement contre les medicine-men. Cela n'a pas empch les chamans d'adhrer au mouvement: o'est qu'ils y retrouvaient l'ancienne tradit.ion des ascensions clestes et des expriences de lumire mystique, et que, comme les
(1) ~f. James ~~OONKY, The Ghos t-Dance Religion and lhe Sioux Ou,break of 1890 Leshe SPUR, 7 he P rophet Dame of fhe Norfliwesl and 11.8 Derivatives: the SQlJ.rce Qf ,hl Gh~1t Dance (. Oeneral Series in Anthropology., l , Menasha, 1935) ; Cora A . Du DOIS, 7 he 18'10 Chost Dance.

.7

258

LE C IlAM AN l S~U': NOR D ET SUD-AMRICAIN

LE C IIAAf.o\NISMENORD

ET SUO-AMmCAIN

259

certains aspects, la cosmogonie,l'eschaton de la Ghast-Dance R~lig~on ractualisait Pillus tempus mythique dans lequel les co mmUnICatIOn s , avec le Ciel, le Grand Dieu et les morts taient accessibles t.out tre humain. De tels mouvements myst..iques 58 sparaient du chamanisme traditionnel par le fait que, tout en conservant les lments essentiels de l' idologie et des techniques chamaniques, ils croyaient les temps venus pour le peuple indien tout entier d'obtenir J'tat privilgi du chaman, c'est-A-dire de voir rtablies les communications faciles l'l avec le Ciel, exactement comme elles existaient l'aube du Temps.
LE CHAMANISME SUD -AMRI CA I N : HITUELS DIVER S

Le chaman semble jouer un rle assez important chez les t ri bus de l'Amrique du Sud (1). li n'est pas seulement le gurisseur par excellence et , dans certaines rgions, le gu\de de l'me du trpass vers sa nouvelle demeure; il est aussi l'interm diaire entre les hommes et les dieux ou les esprits, se substituant parfois aux prtres (p. ex ., chez les Maja et les Manasi de la Bolivie orientale, chez les Taino des Grandes Antilles, etc.) (2), il assure le respect des interdictions rituelles, dlend la tribu contre les mauvais esprits, indique les lieux de la chasse et de la pche lructueuses, multiplie le gibier (3), commande aux phnomnes atmosphriques (4), lacilite les naissances (5), rvle les v(1) A. MTRAux, Le Shamanisme che: k. I ndun. de l'Amrique du Sud tropicale, p. 329 aq.; ct. aussi id., Reli,ion and Shamanism (in J . H . SnWAftD, d., Hand~ook of South American l nditln.t. V: The Compara/ive Elhnolo KY of So uth Amencan fndian8, Washington, 191,,9, p. 559-99) ; E . H" AUEU.NECHT, M~djcal Pr:accice!, (in ibid., p. 621 Sql; J . H . STRWARD, S~amanlSm .am?ng rh~ Margl.nal T",beB, { I~ ,bid., p. 650 Sq'l; . MU RAUX, TM Social Or,anuahon of CM MOjo a.nd A1an~Sl, {in. Primitiv e i\ an., XVI, Washington, 1943, p. 130), p. 916 (chamamsme mOJo), 22-28 (chamanisme manasi) ; W. MAD S E N, Shamansm in Mexico (in Southwestern Journal of Anthropology . , XI, Albuquerque, 1955, p. 4.8-57 ) ; Nils M. HOLM&R et S. Henry WASSN, d. et trad., N ia-/lcala. .: Canto mg ico para curar la loc ura (E lnologiska Studier, 23, Gteborg, 1958); Nils M. H OUlER et .S. Hen ry Wus . N, Do, Canto, ,hamanl&ticos de w. /ndio. Cun~ (E~nologiska St~~ l er, 27, G?tebo.rg, 1 96~); O. ZERRIE!I Kran/cML6d '"imomn und n,lfsgelSl.u des MedummanMs ln Sadamer,lca (in Proceedings of the 30th International Congress of Americanists ., Londres, 1955, p. 162-78). Sur le problme des c~cl es c~ll urels en ~m~ique d!! Su~, v~!r W. SCIlIAIOT Kulturkrei.e und KulturlChu:hlen 1Il Sdam.er,ka (m Zellschrltt l ur Ethnologie.: XLV, Berlin, 1913, p. 101li.-1124.); crilique par R~land B. DUON, The Buildin, of Cultures (New York, 1928), p. 182 ~q. , et diSCUSSion par V;1'. . Ko~PEJI.S in Anthropo. (XX IV, 1929), p. 695-99. Cf. aUS;S1 R. KARSTBN, T,M CI~lh7all.on of the South American Ind ians, (Londres, 1926) ; Id., Zur Psychologie du IfIdla/llsclle n Medizinman m. (in . Zeitschrift tur Ethnologie . , LXXX, 2, Berlin, 1955, p. 170- 77) ; John M. COOPBR Areal and Temporal Aspects of A boriginal South American Cullure (in Primitive Man ", XV, 12, Washington, 194.2, p. 138). Sur l'o:i~ine et l'histo.ire des civilisations sud-amricaines, voir J.; rland NORDB!'IUIOLD, O"'glfl of lhe Indlan Ci"ili=ation in Soulh America (Comparative Ethn~8!aphica,1 Studies, l ~! 9,.Gteb0!'i' 1931), en particulier p. 176; Paul RIVET, Les Orlglfles de 1 homme amencaln, prusun. 121 A. MTRAUX, Le Shamanl&me cM= lu I nduru ... , p. 337 sq. 3 I bid., p. 330 sq. 4. Les c hamans a rrtent les pluies torrentielles (ibid., p. 331 sq.) . Les chamans \ purin a envoient leur double au ciel pour leindre les mtores qui menacent de bnl.ler l' univers . (ibid., p. 332). (5) Selon les 'l'apirap e t d'autres tribus aussi, les lemmes ne peuvent e ~l ge ndrer et meUre au jour Ull ellfant que si le chaman fait descendre un en ra ntesprit dans leur ventre. Chez certaines tribus, le chaman est appel pour identiflcr l'esprit qui s'est incarn dans l' enlant (i bid., p. 332).

nements futurs ('1), etc. Ainsi jouit-il dans les socits sudamricaines d'un prestige et d'une autorit considrables. Seuls les chamans peu: vent s'enrichir, c'est--dire amasser des couteaux, des peignes, des haches, etc. lis passent pour faire des miracles (en l'occurrence, de caractre $trictement chamanique: vol magique, ingestion de braise, etc.' cf. Mtraux, ibid., p. 334). Les Guarani poussaient si loin la vn~ ration de leurs chamans qu'ils rendaient un culte leurs os : on gardait les restes des magiciens particulirement puissants dans des huttes eton ven~it les y consulter en leur ap portant, l'occasion, des oITrandes (2). Bien entend u, le chaman sud-amricain, comme ses coll g ues de par. tout ailleurs, peut remplir aussi le rle du sorcier; il peut, par exemple se transformer en animal et boire le sang de ses en nemis. La croyance aux loups-garous est trs rpandue en Amrique du Sud (Mtraux, ibid., p. 335-36). Toutelois, c'est plutt ses capacits extatiques qu' ses prestiges de magicien que le chaman sud-amricain doit sa position magico-religieuse et son autorit socia le, car de L eHes capacits extatiqu es lui permettent, en plus de sa prrogative habiLuelle de gurisseur, des voyages mystiques au Ciel pour rencontrer directement Jes dieux et leur transmettre les prires des hum ains. (Parlais, c'est le dieu qui descend dans la hutte crmonielle du chama n : c'est Je cas chez les Manasi, o le dieu descend sur terre, converse avec le chama n et l'enlve finalement avec lui au Ciel, pour le laisser retomber quelques instants plus tard ; cl. Mtraux, ibid., p. 338.) Comme exemple de lonction sacerd otale assume pal' le chaman, rapp.elons la crmonie collective priodique des Araucans, ngillatun, qui a pour but de renlorcer les relations entre Dieu et la tribu (3). La machi y t ient le rle principal. C'est ----..0 elle qui tombe cn transe et enVOle son me devant le P re Cleste. pour prsenter les dsirs de la communa ut. La crmonie a lieu en public; autrefois, la machi montait sur la plate-larme soutenue par les arbustes (la rewe) et l, contemplant long uement le ciel, elle avait ses visions. Deux des assistants remp lissaient une fonction dont le caractre chamanique est vident : casqus d' un mouchoir blanc, le visage barbouill de noir califourchon sur un cheval de bois, une pe de bois et leur marott~ aux poings " ces de ux pages font caracoler leur cheval de bois et
(1) Pour cO l\nait~e l'avenir , l ~s chamans Tupinamba ~e retiraient d,a.ns des petites

(2) A. M TRAUX, La ReliGion tk. Tupinamba, p. 81 sq.; id., Le8 l1ommes.dieuz chez les Chiriguano et @/u i'Alllique du Sud (<< Revista dei Instituto de Etnologia de la U'.tiversidad nacio~a l de Tucuman ", Il, 1931, p. 61-91), p. 66, elc. ; id., Le Shamallume chez les IndIens ... , p. 334. (3) A. 1olTRA UX, Le Shamanisntt! araucan, p. 35 1 sq. Voir maintenant Rodolfo M. CAS . .ullQ li El.A, Est'!;dio dei ,!,G,illalun y !a religion arauc~na (Bahia Blan ca, 1964). Ct. le cham an ynrnro, mtcrmdwlre entre 1homme c t les dieux' Vicenzo PETRULLO The l'arlmM o( the Capa 1luparo R'er, Vene:.uela (Smithsonian' Ins Litution Durea~ oCAmerican Etlmology, BulicLin 123, Anthropological Papers, NQ il, Washington

huttes aprs aVOir observ divers tabous, dont neuf JOurs de co ntlilence (ib id. p. 331). Les espri ts descendaient et rvlaient les vnements futurs dans la langu~ des esprits. Cr. aussi A. MTRAUX , La Religion de. Tupinamba , p. 86 sq. A la veille des expditions guerrires, les rves du chaman prennent une importance toute particulire ( M TRA UX, Le Shamanisme che:. les IndieTil de i'Amrique du Sud tropicale
p. 331 ).

1939, p. 161290), p. 2', 9 sq.

'

260

LE CHAMANISME NORD ET SUD-AMRICAIN

La: CHAMAN ISME :NonD ET SUD-AMtRICAIl'f

261

agitent leurs sonnailles avec une affolante frnsie, (R. P. Housse) ds que la machi entre en trallse. (On se reportera au cheval, du . chaman bouriate et aux danses sur un cheval de bois des Murias) (1) . Pendant la transe de la machi, d'autres cavaliers luttent contre les dmons et on procde une expulsion des mauvais-esprits (2). Quand la mach" a repriS ses sens, elle raconte son voyage dans les cieux, et annonce que le Pre Cleste a exauc tous les dsirs de la communaut. Ces paroles sont accueillies par des ovations prolonges et dclenchent un enthousias";'e gnral. Lorsque le tumulte s'est un peu calm, on raconte la mach, tout ce qUI a eu lieu pendant son voyage au Ciel: la lutte avec les dmons, leur expulsion, etc.
La ressemblance est frappante entre ce rituel arauean et le sacri-

LA GURISON CHAMANIQUE

Comme partout ailleurs, la fonction essentielle et rigoureusement

personnelle du chaman sud-amricain reste fa ' gurison (1). Elle


nta pas toujours un caractre exclusivement magique. Le chaman sud-amricain connait, lui aussi, les vertus mdicinales des plantes

et des animaux, il utilise le massage, etc. Mais la grande majorit


des maladies ayant, dans son opinion, une cause d'ordre spirituel c'est--d~re impliquant soit la fuite de l'me, soit l'introduction, par des esprits ou des sorciers, d'un objet magique dans le corps - il est oblig de recourir la gurison chamanique.

fice altaque du cheval suivi du voyage clste du chaman jusqu'au palais de Bai tJlglln: des deux cts, on a affaire un rituel communal priodique destin prsenter au Dieu cleste les vux de la tribu des deux cts, c'est le chaman qui tient le rle principal, et cel~ umquement grce ses capacits extatiques, qui permettent son voyage mystique au Ciel et son dialogue direct avec Dieu. Il est rare
que la fonction religieuse du chaman - intermdiaire entre les hommes

et le Dieu - ressorte aussi nettement que chez les Araucans et chez les Altaiques. Nous avons dj relev d'autres similitudes entre les chamanismes sud-amricain et altaique : l'ascension d'une plate-forme vgtale (chez les Araucans, cf. p. 112 sq.) ou d'une plate-forme suspendue au plafond de la hutte crmonielle par plusieurs cordes tresses (chez les Caribes de la Guy"-;"e hollandaise, cl. p. 116 sq.), le rle du Dleu cleste, le cheval de bOlS, les galopades effrnes des assistants. Notons enfin que, tout comme chez les Altaques et chez les Sibriens Bab.m, le voyage ~ers l'au-del est trop difficile pour qu'un mort puisse le faIre tout seul; Il a beSOIn de quelqu'un qui connaisse le chemin qui l'ait dj fait plusieurs fois; or le chaman atteint le Ciel en u~ cli~ d'il: pour lui, disent les Bakairi, le Ciel n'est pas plus haut qu'une maISon (3). Chez les ManaclCa, le chaman condmt l'me du trpass au C,el ds que les fun railles sont finies. Le chemin est extrmement
long et difficile j on traverse une fort vierge, on escalade une : Montagne, on franchit d,es me~1 de,s rivires et des marais jusqu'au

La conception de la maladie sous la forme d'une perte de l'me, gare ou enleve par un esprit ou un revenant, est fort rpandue dans les rgions de l'Amazone et des Andes (2), mais paraIt plutt rare dans l'Amrique du Sud tropicale. On l'a pourtant observe chez un certain nombre de tribus de cette dernire rgion (3) et elle est mme atteste chez les Yahgan de la Terre de Feu (4). Gnralement, cette conception coexiste avecla thorie de l'introduction d'un objet magique dans le corps du malade (5) , thorie qui semble tre plus rpandue.
Lorsqu'il s'agit de retrouver l'me ravie par les esprits ou les morts,

le chaman est cens quitter son corps et s'engager dans les Enfers ?u dans les rgions habites par le ravisseur. Ainsi, chez les Apinay,
Il se rend au pays des morts; ceux-ci, pris de panique s'enfuient et

le chaman capture l'me du malade et la ramne ;on corps. Un mythe taulipang relate la qute de l'me d'un enfant, que la lune avait
ravie et cache sous un pot; le chaman monte dans la lune et, aprs

certa~n.s chamans sud-amricains sont psychopompes. Chez le~

maintes pripties, dcouvre le pot et dlivre l'me de l'enfant (6). Dans les chants des rnachis araucanes, il est parfois question des msaventures de l'me: un mauvais esprit a fait marcher le malade sur

un pont ou un mort lui a fait peur (7). Dans certains cas la rnachi au lieu de se mettre en qute de l'me, se contente de la ~upplier d; revenir et de reconnaitre ses parents (ibid.), comme cela se pratique aussi ailleurs (cf. p. ex . l'Inde vdique). Le voyage extatique entrepris par le chaman afin d'oprer une gurison, prsente quelquefois
le caractre aberrant d'une ascension cleste dont on a cess de

moment o on aboutIt la flve d un grand fleuve, qu'il s'agit de passer sur un pont gard par une divlmt (4). Sans l'aide du chaman l'me
ne pourrait jamais y russir.
1

comprendre le but: ainsi on nous dit que pour les Taulipang le rsultat d'une cure dpend parfois du combat entre le double du chaman et le sorcier. Afin de gagner le pays des esprits, le chaman boit

(t) Le chaman yaruro e lYeclue son v0l.age au pays des morts, qui est aussi le pays de la Grand,e ,Desse Mre, sur le dos d un c cheval_ (PETIlULLO, ibid., p. 256) . (2) 1 ,1 es t d,311!eurs probable que la tte ng,natun lait partie du complexe des crffiom es prIOdiques de rgnration du Temps: cl. EL1ADE Le Mythe de l'Etemel R erour, p. 83 sq. ' (3) Karl von den STEtNBN, Unte,. den NatlU{)(jllrern ntral-Brasiliens (Berlin 18 94 p. 357. ' (4) , heodor Koclf, Zum Ary.imismus ,adamerikanisCMlt lndianern (Supplement %U Band X III von, Internationales ArchlV fUr Ethnographie_ Leyd e 1900) p 129 d'aprs des sources du xvm. sicle. ' , ,. sq.,

cr. aussi Ida LUBLINSl.I, De,. Medi~illmann bei (n Natu,."olkern Sdame,.i/u18, 247 .q. . (2) Cf. F. ~. CI,EMENTS, p,..imitipe Concepts of Disease, p. 196-97 (table); MtTuux, Le shamanl8rne che~ ks lnduru ... , p. 325.
(t)

p.

(3) Chez

de:

les Caingang, Apinay, Cocamo, Tucuna, Colo, Cobeno Taulipang ltonama et Uitoto ; ibid., p. 325. " (4) Ct. p. ex. ,w. KOPPBI\s, Unte,. F~ue,.land-llldiane7'll (Stuttgart, 1924 ) p. 72 172. (5) Comme c est le cas, par exemple, chez les Araucans; ct. MATuux, u Shamanlsm~ arallcan, p. 331. 6) Id., Le Shama,!ism~ che~ ks Indiens de l'Amrique du Sud t,.opica~, p. 828. 7) Id., Le Shamanl$me 4J"aucan, p. 3Si. 1

202

L E C IIAM AN I S ME

NORD

ET SUO- .o\i\ltRICAIN

L E C HAM AN I S ME

NO RD

ET SU I)-AM nt CA I N

263

un e in fusion prpare avec une liane, dont. la forme suggre un e chelle It (M tra ux, Le S/wmanisme chez les indiens ... , p. 327). Le symbolisme de J'chelle ind iq ue la signification asce nsionn elle de la transe. Mais g nralement, les es prits ravisseurs d 'mes ou les sorciers n'habitent pas les rgions c~ estes . Com me en tant d'a utres cas, le chaman taulipang prs~ nte un e confusion d' ides religieuses dont le sens profond es t en tram de se perdre. Le voyage extatique du chaman est la plupart du temps indispensable, mme si la ma ladie n'est pas du e au rapt de l'me par les dmons ou par ,les ,~orts . La ~I'an se chamanique fait partie de la cu re: qu elle que SO it 1 mterprtatlOn que le chaman lui acco rde, c'est toujours par le moyen de s?n extase qu'il trouve la c,! use pl'cise de la malad i et apprend le tl'a.teme nt le plus efficace. La transe abo utit parlais la possesslO~ t du chaman par ses espriLs fam iliers (ainsi, p. ex., che.z les Taulipang et les Yekuana ; Mtraux, ibidem, p . 332). MaiS nous avons dj vu que la t possession . consist e so uv ent po~r le ch.aman, entrer en possession de to us ses organes mystiques.: qUl co nstituent en quelque sorte sa personnali t spirituelle vritable et com plte. Dans la plupart des cas, la possession. se born e mettre la disposition du chama n ses esprits auxiliaires raliser leur prsence eIJective, manifes te par tous les moyens se~sibl es ; et cette prs~n ce, Invo qu e pal' le chaman , n'aboutit pas la transe *, mais au dIa logue entre le chama n et ses esprits a uxiliai res. La raJit est d'~ill ~urs encor~ plus com plexe car le chaman peut se transformer IUl-m~me .en aOlmal, et on se dema nde parfois dans qu elle mesure les c.rls am~~lesques po usss au cours de la sance appartien nent aux esprits lam.lIers (1) ou reprsentent les tapes de la propre translormatIon du chaman en animal, c'est--d il'e la rvlation manifeste de sa vritable personnalit mystique. La morph~logie de la cure chamanique sud -amrica ine est presque partout la meme. Elle comporte des fumigations de tabac des chants des massage~ de la rgion malade du co rps, l'id ~mtifi catio~ de la caus~ de la maladie avec l'aide des esprits auxiliaires (et ici intervient la t transe ~ du cham an, pendant laquelle l'assistance lui pose parfo is des qu estIOns sans rapports directs avec la maladie) et en fin l'extraction de l'objet pathogne au moyen de la .uccion (2).' Chez 'les Ara ucans, par exemple, ]a machi s'adresse tout d'abord Dieu-le-Pre. lequel, bien que des influences chrtien nes ne soient pas exclure' ?onserve encore sa structure a rc haiqu ~ (p. ex, l'androgynie : il eSL mvo qu co~me fi Pre-Dieu, vieille qui .es a u Ciel... t; MLraux, Le Shamam sme araucan, p. 333) . La mach~ s'adresse ens uite Anchima len, la femme ou l'am ie t du Soleil, et a ux mes des machis

g) ~~r !a conception sud-am ricain e des espri ts-an im aux, voir R T he WIZlltlOfl of the South Atrn;, ican I mlians, p. 265 sq. cr. ibid., p. 86 sq. (J e l'O le des
KAR STEN

pJ lln~cs comme .o rnemen ts rituels chez les mediciM-men ) et p. 365 sq. fIe pouvoir
ma i{lq ~ e

If ) ~o:r, p. ex., la descrlpllon de la sa nce des tribus cA rib de la


1

des cristaux e~ d~s pierres de roche).

mortes, celles dont il esL dit qu' elles sont dans les cieux et qui a baissent leur regard sur leur collgue d'ici-bas , (Mtraux, ibid.) ; on les prie d'intervenir auprs de Dieu. Il y a lieu de remarqu er l' importance des motifs d'ascension cleste et de chevauche arienne dans la technique des machis car, peu de temps aprs avo ir invoqu l'aide et la protection de Dieu et de. machis mortes, la chamane annonce. qu'elle va monter cheval avec ses assistantes, les machis invisibles, (ibid., p. 334). Pendant la transe, so n me abandonn e le corps et vole dans les airs (ibid., p . .336) . Pour abouti r l'ex tase, la machi emploie les moye ns ' lmentaires ; danse, mouvements des bras, accom pagnement de sonn ailles. Tout en dansant, elle s'adresse a ux machis clestes pour qu' elles l'aident durant so n extase, (t Quand la chamane est sur le point de s'effondrer par t erre, sans co nnaissance, elle lve les bras et se met tourn.er sur elle-mme. A ce moment un homme s'approche d'elle pour la soutenir et l'em pcher de tomber. Un autre Indien accourt et excute une danse a ppele laiikaii, destine la ranim er , (ibid., p. 337). On obtient la transe en se balana nt a u sommet de l'chelle sacre (rewe). Qurant toute la c rmonie, on fait grand usage de tabac. La machi tire une bouffe d-tum:"e-et- l'envoie vers le ciel, vers Dieu. Je t'otIre cette fum e ! ., dit-elle. Mais, prcise Mtraux, en aucune occasion il ne nous est spcifi qu e le tabac l'aide obtenir un tat extatique (ibid., p. 339) . D'aprs les voyageurs europens du XVIIIe sicle, la cure chamanique com portait aussi le sacrifice d' un mouton: le chaman lui arra chait le cur tout pal pitant. De nos jours, on se contente de faire un e incision l'anim al sacrifi ciel. Mais la plupart des observateurs anciens et mod em es sont d'acco rd qu e la machi, par un tour d'illusionnisme, fait croire l'assistance qu'elle ouvre la poitrine et le ventre du malade et met nu ses entrailles et son foie (1) . D'apr. le R. P. Housse, la machi parait ouvrir le corps du malheureux, y fouill er, en extraire qu elque chose ; .- Elle montre ensuite la cause du mal : une petite pierre, un ver, un insecte, etc. La bless ure ; est rpute se ferm er toute seule. Mais comme la cu re habituelle n'implique pas l'apparente ouverture du co rps, mais seulement la succion (d'ailleurs parlais jusqu 'au sang) de la partie du corps indique par l'esprit (cf. ibid. , p. 341) , il es t fort probable que nous avons aITaire, dans ce cas, une application aberrante de la technique initiatique bien connu e : on ouvre magiquem ent le corps du nophyte pour lui donn er des organes de rechange internes eL le faire renaltre . Dans le cas de la gurison arauca ne, les deux techniques - le remplacement des organes internes d'un candidat, l'extraction de l'objet pathogne - se sont conlondues, san. doute parce que le .chma initiatique (mort et rsurrection, co mportant le renouvellement des organes internes) tait en train de se perdre.
(1) cr. M tTRAUX, Le S hamani. me MaucaR, p. 339 s~ . (d'aprs un auteur du xVIII'sicie, Nuftes de Pineda y BascUI'Ian ), 3',1 sq . (d aprs Manuel Manquilet et le R. P . Housse).

e~ ls e un; ab0':lda nle documen tation) par MTRA UX, Le Shamanisme chez II!. /rllile/is de 1 Amrique du S ud 't'apicale, p . 325 sq. (e t note 90) . .

Guyane (sur laquelle

264

LE C U.UIANISAIE N' O nD

E'r SVD - AMlhUCAJN

LE CHAMANISME NORD ET SUD-AMRICAIN

265

Quoi qu' il en Boit, cette opratio ~ magique tait accompagne, au XVIne sicle d' une transe cataleptIque : le chaman (car le chams . nisrn e tait ~etle poque l'apa nage des hommes et des invertis plutt que des femmes) tombait . comme mort . (ibid., p. 340) . P endant sa transe on lui posait des questions concernant le nom du sorCier qui avait pro~oqu la maladie, etc. De 0 0,,8 jours, ,la machi tombe, elle aussi en tran.e, et on apprend de la meme mamre la cause de la maladie e't 80n remde - mais cette transe n'a pas lieu immdiatement aprs l' ouverture' du corps du patient. Dans certains caB, il n'y a pas trace d'une toIle opration magique, ma,ia unique~ ent d ~ la succion, qu'on pratique aprs la transe et SUivant les InstructIOns des esprits. . La succion et l'extraction de l'objet pathogne restent toujours de. oprations magico-religieuses. La plupart du temps cet, objet . est, en efTet, d'ordre surnaturel, ayant t projet dans le corps, d:une manire invisible, par un sorcier, un dmon ou un ~ort. L' obJet . n'est que la manifestation sensible d'un c mal qm n' est pas de ce mond e. Comme nous l'avons vu dans le cas des Araucans, le chaman est aid dans son travail par ses esprits familiers sans doute, mais galement par ses confrres morts e~ mme par ~ieu .. ~s formules magiques de la machi sont mme dICtes par DIeu (,hid., p. 338). Le chama n ya ma na, qui utilise lui aussi la succion pour extraire le yekush (le. mal . projet magiquement da n. le corps du patient), n'ignore pas pour auta nt les prires (1). Lui aussi dispose d' un y.fatchel, d' un es prit auxiliaire, et tant qu'il est possd * par celui-ci il est insen. ible (2). Mais cette insensibilit appartient plutt sa condition chamanique car il peut jouer sur le feu pieds nus et il peut a valer des cha rbons brla nts (Gusinde, Il, p. 1426) , l'gal de ses conrrres ocaniens, nord-amricains et sibriens. P our nous rs umer, le chamanisme sud-amri cain prsente encore nombre de caractres extrmement archaques : l'initiation par la mort et la.rsurl'ection rituelles du candidat, l'insertion dans son corps de s substances magiques, l'ascension cleste pour prsenter au Dieu suprme les vux de la socit entire, la gurison chamanique p ~ succion ou la qu te de l' me du malade, le voyage exlatique du chafoon en qualit de psychopompe, les , chan,s secret rvl. par Dieu ou par des anima ux, et plus specialement par les oiseaux. JI est inutile de dresser ici un tableau compa ratif de tous les cas o se retrouve le mme complexe. Nous rappellerons simplement les ressemblances avec les medicine-men ausLraliens (l'ipsertion de susbsta nces magiques dans le co l'p. du candidat , le voyage initiatique clesle, la gud son par succion) pour montrer l'extrme a nciennet de certaines des techniques et des oroyances des cbamans sud-amricains. No us n'avons pa. dcider si ces ressemblances frappantes sont du es au fait qu e les plus anciennes couches sud pamricaines reprsentent, comme les Aus-

extrm~s de l'cumne - ou s'il a exist des contacts directs, par les

traliens

les restes d'une humanit archaque refouls aux points

rgions antarctiques, entre l'Australie et l'Amrique du Sud. Cette dernire hypothse e.t soulenue par des savant. comme Mendes Correa, W. Koppers et Paul Rivet (1). On envisage galement l'hypothse de migrations ultrieures de l'espace malayo-polynsIen vers l'Amrique du Sud (2).

ANCIENNET

DU

CHAMANISME

SUR

LE

CONT I NENT

AMRICAIN

Quant au problme de l' origine, du chamanisme dans les deux Amriques, il est encore loin d'tre rsolu. Il est vraisemblable qu'un certain nombre de pratiques magico-religieuses sont venues, au cours du temps, s'ajouter aux croyances et aux ~ratiques de~ premiers habitants des deux Amdques. Si on considre les F'!Qgwns comme les descendants d'une des premires vagues d'immigrants qui onL pntr en Amrique, on est en droit de supposer que leur religion reprsente la survivance d' une idologie archaque comprenant, du pomt de vue qui nous intresse, la croyan ce un Dieu cleste, l'initiation chamanique par vocation ou qute volontaire, les rapports avec les. ~es es chamans morts et les esprits familiers (rapports alla nt parfOIS Jusqu'a la possession . ), la conception de la maladie comme l'intrusion d'un obj et magique ou comme la perte de l'me, l'insensibilit du chaman au feu. Or, il semble que la plupart de ces trails se ren contrent aussi bien dans les zones o le chamanisme domine ]a vie religieuse de la communaut (Am rique du Nord, Esquimaux, Sibriens) que dan s des rgions o il n'est qu'un des phnomnes constitutif. de la vie magico-religieuse (Australie, Ocanie, le Sud-Est asiatique) . Jl est
(1) Cf. W.
KOPPER S, Di~ Prag~ ~entueller alter Kultul'b ~zi~ hu,!gen zll'iBchen s ~dlic~ten Sdam~rika und Sudost-A u'trali~n (XXI ll e Congrs Internallonal des Am rlcamstes,

(1) M. OUSINolil,r.. D ie Feue,.land /ndiantr. 11: Die Yamalla, p. 141 7 sq ., H 21. Ct. la sa nce chez los ~ Ik'n a m. ibid., J.' Die Sdk'nam, p. 757 sq . (2) Ibid., II, p. 11. 29 sq.

New York, 1930, p. 678-686) ; sur les simili.tudes lin.gui s .ti~ues , Paul ~IVET , Les Australiena en Amrique. ( Bulleti~ ~e la SO~lt de Llngt.Ils~lque de Paris l,. XXV~ Paris, 1925, p. 23-65) ; Id., us Or&Glnes rk 1 homlM amir&cam, p. 88 sq . VOir a ussI W. SCHMIDT, Der Ur.sPl'unl der GotteBuue, VI , p. 361 sq. . (2) Cf. 'Paul RI~!T; Malayo-Polynisiens en Amrique (1 J ournal de la SoCit NUe Srie XVIII Paris, 1926, p. 141-2 78) ; Georg FRI EDERICI, des Aml'Ie.mts Zu den IIorkolumbischen Verbindu n gen du Sdsee-Vlker mit Amuilca (1 Anthropos l , 1929, p. ', "1-87); Walter . LEHMA N ~, Di~ I;rag~ II~lkerk undl.it;her B eliehun gtn :lWuchen der S adsee und Amel'lka, (1 Orlentahs bsc he L,te ra turze~tu ~g l, X XXIII , Berlin, 1930, p. 322-39) ; RIVET, S Origines de l'homme amr&ca ln , p. 103 sq .. ; James HORl'ULL, Was There Pre-Columbian Contact. beIWte!' lM Peoples of i?ceanla and Soulh America ? (1 The Journal oC the Polyneslan So c~e ty l, LIV, Well lll ~ ton, 19"5, p. 167-91 ). Pa ul RIVIT croit pouvo.ir di.stingu ~r, ~u PO l~\L ~ e vue chro n ~l ogl que . trois migrations qui ont peupl .le con li!1ent amrICain : a~l a tJqu e , aus tra h~ nne et mlano-polynsienn e. Cette d e rlll r~ sera it. nettement p ~ u s Imp~rtante qu e 1 1l, ~ ~ tra lienne. Bien qu'on n'ait pas trouv Jusqu ' prsent. de s~tes do 1 homme palo ht.lqu e en Amrique du Sud, il es t fort probable que les ffi!gra tlOns e ~ les co nt~c'" culturels entre celle-ci et J'Ocanie (da ns le cas o leur ralit ne serRlt plus mise en doute) ont t assez prcoces. Voir aussi D. S. DAVIDSON, The Q/Ustion of R elatiolu hip between the Cultures of Australia and Tierra dei Fuego (in 1 American Anthropologist l , n. S. , XXXIX, 2, Menasha, 1937, p. 229-4.3) ; C. SCHUSTER, Joint -Marks: a Possible lnrk% of Cultural Contact between America, Oceania and the Far EfUt (Koninklijk Institut voor de Tropen, Mededeling 9", Amsterdam, HI51 ).

ILe.

2".

266

LE CHAM ..\ N IS ME NORD ET SU D-A~r Rl CA I N

LE C IIAM AN IS ME NO RD ET SU n-.HU: RI CA I N

267

donc supposer qu' une cerLaine forme de chamanisme s'est diffuse dans les deux continents amricains avec les premires vagues d 'immigrants, qu elle qu' en ait t ]a patrie origwaire J . Certes, les co ntacts prolongs entre l'Asie septentrionale et l'Amriqu e du Nord ont rendu possibles des influences asiatiqu es bien postrieures la pntration des premiers occupants (1) . Aprs Tylor, Thalbitzer, Hal10well et autres, Robert Lowie (2) a remarqu nombre de ressemblances entre les Lapons et les tribus amricaines, spcialement celles du NordEst. En pa rticulier, les dessi ns du tambour lapon rappellent d 'une faon tonnante le style picto-graphique des Esquimaux et des Algonkins orientaux (Lowie, Religious Ideas, p. 186). Le mme savant a attir l'attention sur la similitude entre . le chant du chaman lapon, inspir par un animal , et en premier lieu
(1 ) Sur ce problme il existe une bibliographie considrable , Voir W. G. BO Gou s, TM Folklore of N orllieQ.$fern A,ria, as Compa red with That of Norlh"'es fern America
ColumblU and Cathay, and the Meaning of America to the orientali,,; n, Frhr, von RI C "TII O n~, ZUt' Frage der archiiologi,chen B e:iehun gell z.wi,chen Nordamuika und NordQ.$terl' (t Anthr:oPos l, 27, ~ 93 2 , p. 123-15t ); Diam ond Je N:oIESS, prehi.rtoric Culture JVa"c.r from A 81a to America (e Annual Heport ot the Smit hsonia n Institution " t 9'10, Washingto n, 1941, p. 383-96 ) ; G. HATT, A sialic Infl flulce, in Amcrica n Folklore (Oct Kg!. Dtjnske Videnskabernes Selskab . Hist.-Filol. Medd ., XXXI , 6, Copenhague, H1/(9) ; n. von H EINE-GELDEftN, Cultural Co nnectiotLI beUt-'eu&A ,ia and Pre- ~olum bian A"~~(r*nttrropos ., 45, 1950, p. 350-521' propos du Congrs

(in. American Anthropologis t

l ,

n. s., IV, 4, 1902, p. 577-683); Berthold LA u rER ,

il pense a voir Idenbfi le mme prm Clpe styhstlque chez lcs tribus c6tircs d'e ta Colombie Brita nniq ue et de l'Alaska mridional, a u nord de la No uvelle- Irlande en Mlansie, s~r certains monuments et objets rituels de Borno, de Sumatra et d~ la Nouvelle-Gume, et fin alement dans l'art chinois de l'poque Chang. L'a uleur su ppose 9u e ce s tyle artis tique, d'origine chinoise, s'est propag d'une part vers l'ln,donsle et la ~rlansie et, d'a utre part., en direction orienta le, vers l'Am riqu e oil Il n'est pas arriv plus. tard que la premire partie du premier millnaire av. J .' C. Rappelons qu e, l e. parallhs lll ~ Chine 3!,cienne-Amrique, tudi spcialement sur les documents a~lls llqu es, a. dJ .t miS ~n lumire par C. HF. NTZE, Objet. ,.ituel., c~oya.nce.r el d,ellX . de ~a Chute antique et de 1 Amiqlle (A nvers, t 936), Sur les influences s lb ~ rlenn es ct chm olses dcelables dans la culture prhistorique d' Ipiuta k (Alas ka occidental), date provisoirement du premier sicle de notrc re cr. H. LAR SEN The Ip iul~k Cul/u,.e : 1,. Origin and Relationship (in 1 Indian Tribes of Aborigin al America: Sclected .P apers of the 29th Inte :nati o~al Congress 01 American ists . , d. 50! T.u, II.1, ClucagO,,1952, p. 22-34 ). VOIr aussI C. SCHUSTER, A S urvival of the EuraSlalle At1llnal Slyk III M odern Alaskan E.rkimo (in ibid., p. 34-45) ; R. von HEINB -GELDERN, Das Problenl vo,.kolumbischer Be: iehungen :wi.ehen Aller und Nette.: Wdl und .eine Bedewung fa,. die allgem.eine Kultll.rge.rchiehte (in Ameiger d~r Osterreichischen Akad emie der WissenschafLen ., phil,-hist. Klasse XCI 24 Vlcnne , 1955 , p, 3,, 3-63). ' " (2 ) R?bert H. LOW~B. R eligious l dea.r and Practice.r of lM EUI'a.riatic and No,.th Ame,.lcan Area.r (1 Essays presented lo C. G. Seligman l, d. par E . E, EVAN S-PRITCIlARD, et aL, Londres, 1934, p, 183-88) ; cr. aussi id., On ,he H u torical Connec/ion bdween lM 0'4 W o,.ld a!,d 'he New JYo,.ld Belief" spc. p. 54 7 sq. Un voyageur de la fin d~ XVII Sicle dcr!t de la sort~ u~e coutu~e finn oise: les paysans cha uffaient des pu:rres au ~enlre d un e tu~e, Jetaient de 1 eau dessus, restaient quelque temps p0';lr bien ouvrir leurs pores, I?UlS, sortant, se j e tai~ nt dans un e rivire ext rmement froid e. La mme coutume tait atteste a u XVIe Sicle chez les Scandinaves. Lowi. rappell e que les THngit et les Crow se je ttent pareillement dans une rivire glace al?rs tre res.ts longtemps dans un bain de vapeur \op. cir., p, t 88). On verra plus 1 010 que le bam d~ va peur tait p<l;rtie des techniqu es menlaires visant augmenter la chaleur mys.tl.que " la suda ~lOn ayant une va leur cratrice par excell ence; dans no.mbr~ de tradi tions I .nythologlques, l'homme primordial a t cr par Dieu la SUI le d un e forle sud a tion ; sur ce motif, et. K. MEUL', Scy'hica (<< Hermes " LXX, t9 35, p . 121-76), p. t 33 sq ., et plus loin p . 323.

~ n lumire l'~ri~in e ~siatiqu e d eJ'a r~ d ~s tribu~ a!"ricaines de la CO le Nord-Ouest;

International des Amrlca nastes, tenu New York en t 949, l EINE-G BLDEft N a mis

pa l' un oiseau, et le chan t des chamans nord -amricains qui a une mme origine (ibid., p. 187) . Prcisons, pourtant, que le mme phnomne se vrifie en Amriqu e du Sud, ce qui exclut, d'a prs nous, une influence eurasiatiqu e rcente. Lowie remarque aussi les ressem blances entre la t hori e de la pelte de l'me, chez les Amri cains du Nord et les Sibri ens, le jeu cbaman ique avec le feu (commun l'Asie du Nord et nombre de tribus nordamricaines comme les Fox et les Meno mini), l'branlement de la hutte crmonielle (1) et la ventriloquie chez les T chouktches et les Cree, les Saulteaux et les Cheyenne, et enfin certains traits communs au bain de vapeur initiatique en Am rique du Nord et en Europe septentrionale, ce qui porterait supposer non se ul ement un e solidarit culturelle Sibrie Amriqu e occidentale, mais aussi des relations AmriqueScandinayie. Remarquons toutefoi s que tous ces lments culturels (la qute de l'me, l'agitation d e ]a hutLe chamanique, la ventriloquie, le bain de vapeur, l'insensibilit au feu) se renco ntrent non se ul ement en Amrique du Sud mais que les plus spcifiques d'entre eux (le jeu avec le feu, le bai n de vapeur, l'branlement de la hutte crmonielle, la qute de l' me) se rencontrent galement dans beaucoup d'autres endroits (Afrique, Australie, Ocanie, Asie) et justement en relations avec les form es les plus archaiques de la magie en gnral et surtout avec le chamanisme. Le rle du feu * et de la , chaleur * dans le cha manisme sud-amricain nous semble particuJirement important. ee , feu ' et cette chaleur . mystique sont toujours en rapport avec l'accs un certa in tat extatique - et on vrifie la mme relation -dans les co uches les plus archaiques de la magie et de la religion uni verselles. La matrise du feu, l'insensibilit la chaleur et, partant, la chaleur mystique. qui rend supportable aussi bien le froid extrme qu e la temprat ure de la braise, est un e vertu magico-mystiqu e qui, accompagne d'autres qualits non moins prestigieu8es (ascension, vol ma gique, etc.), traduit en termes sensibles le fait que le chaman a dpass la co ndition humaine et qu'il participe dj la co ndition des esprits, (cf. plus bas, p. 369 sq.). Ces quelques prcisions nous suffisent pour mettre en doute l'hypothse de l'or::igine rcente.du chamanisme amricain. Nous retrouvons leBgran des lignes d'un mme complexe chamanique de l'Alaska jusq-ll' la T erre du Feu. Les apports nord-asiatiques, ou mme asiaticoocaniens, n'ont trs probablement fait que fortifier, et parfois modi fi er dans leu rs dtai1s, un e idologie et une technique cha maniques dj largeme nt rpandu es dans les deux Amriques et en qu elque sorte naturalises .
( 1) Sur ce com plexe culturel , voi r Regina FLAN NERY , TM G,.Ol Ventre S haki"g Tent (t Primitive lIt an ., XV II, 19(t'" p. 54-84 ), p, 82 sq, (lud e com para ti ve).

ET EN OctANtE

269

CHAPITRE X

LE CHAMAIIIISME DANS LE SUD-EST DE L'ASIE h'T EN OCANIE

CROYANCES ET TE CH NIQUES CHA MANIQ UES CHEZ LES SEMANG LES SAKAI ET LES J AKUN '

On s'accorde reconnaltre dans les Ngritos les plus anciens habitants. de la pninsule de Malacca. Kari, Karei ou Ta Pedn, l':f;tre Sup~em e ,des Semang, a tous les caractres d'un dieu cleste (Kari slgmfte d ailleurs 41 foudre ., orage t), mais il n'est pas l'obj et d' un culte propre~ent. dit: on l'invoque seulement en cas d'orage par des offrandes expJatotres de sang (ElIade, Trait, p. 53 sq.). Le medicineman des Se,,?ang s'appell~ hala ou halak, terme utilis aussi par les Sakal.(1). Des que quelqu un tombe malade, le hala et son assistant se retirent dans une cabane de feuillage et commencent chanter pour lIlvoquer les cenQ, l es. ne"elll_d.e Dieu, 2) . Aprs quelque t emps, les voix des cenoi eux-mmes montent de la cabane' le hala et ~on as~istant chantent e~ parlent dans une langue inconnue' et, quand lis qUIttent la cabane, ils prtendent l'avoir oublie (3). En ralit, les ceno ont chant par leur bouche. La descente de ces esprits
et C. O. BLAGJ}~N, .Pagan:!!aceB O(IM M alay Peninsu14, H , p. 229 sq; 252. sq.,lvor H. N. EVA!!- SWdU !8 t n Rehglon, Folkw,.e, and CU8tom in BriliBh.North Borneo and the Malay P enlluula, p. 158. Il exis te deux classes de h.ala: le 8nahud du verbe Bahud, voquer , ne peut qu'tablir le diagnos tic ; le puuu peut aussi gurir (Ivor EVANS, ScMbe8ta on the SacerdQTherapy of the Semang p H 9f. -Sur le halak cf. aussi F.ay.Cooper Cou:, TIte Peoples of MalaYBia {New York 1'9!l5) 67 73 108 : '1(. SCIII<!ID~, Der UrBprung der GotteBidee, Ill, p. 220 sq.; R. 'PETTA'ZZON I; L'~nni8~ clenza d,.DlO, p. 453 ~q., ',68, n . 86; E. STIGLIIAYR, SchamaniBmus bei den NegritoB S Udosttllllen8 (m WIener VlkerkundHclle Mitteilungen l , n, 2, 1954, p. 156.64; , III , 1 p19~5, p. 1421 ; IV, 1, 1956, p. 13547 ), premire par tie. ~~).-. ebts ,tres .cl.estes, aim abl~s et lumineux; pelits enra nts et serviteurs de la ,~m lt .: c ~t ainSI ~u~ les dcrIt, SC UEBB STA, us Pygmes, p. 152 sq. Ce sont eux qUI serven t d mtermdJa lres entre 1 homme el Ta Pedn. Mais ils sont aussi considrs col.Jlme-.les-anctl'CS_d~ Ngritos (EVANS Schebesta orl~SUrdo~41if ~ 11 8; Id., Sl,,!dieB, p. 1481. .cr. a ussi id., Pap~rB on the Ethnowgy and Archaeowgy of Malay Pen"Ulula (Cambridge, 1927 ), p. 18, 25; CO LB , op. Cil., p. 73. (3) S~"~:B:STA, p. 153 sq. C'est, bien entendu, la langue des esprits. le lan~age secre sp ~I flq u e des cha mans. EVANS (Studies, p. 159) donne quelq ues 'invocations ettranscr;t (p. 161 sq.) des textes de cha nts, d'une tonnante Simplicit. D'ap rs le m m~ a.u eur, durant la sa nce, le hala est contrOl par les cenoi (p 160) mais la desc!tsIPtlonil~e.SCUEB&sTA laisse plutot l'impression d'un dialogue en t~e le h~la ol ses esprl aux laJ.res.

p) w. 'V!' Su u

lumineux se manifeste par l'branlement de la cabane (cf. les sances des chamans de l'Amrique du Nord, plus haut, p. 267). Ce sont eux qui rvlent la cause de la maladie et en indiquent le traitement; et c'est cett e occasion que le hala est cens tomber en transe (Evans, Schebesta on the Sacerdol'herapy, p. 115). En ralit, la technique n'est pas aussi simple qu'il paraltrait. La prsence concrte des cenoi implique, d'une manire ou d'une autre, une communication entre hala et le Ciel, si ce n'est mme avec Je Dieu cleste. Si Ta Padn ne lui avait pas dit quelle mdecine employer, le moment de la donner au malade, et les mOLS qu'il doit prononcer, comment le hala pourrait-il gurir ? >, demandait un pygme Semang (Schebesta, p. 152). Car les maladies sont envoyes par Ta Pedn lui mme, pour punir les pchs des hommes (Evans, Schebesta on the Sacerdo-Therapy, p. 119). Qu'il existe des rapports plus directs entre le hala et le Dieu cleste qu'entre celuioi et les autres Ngritos, on en a une autre preuve dans le fait que les Menri de Kelantan prtentent que les halas ont des pouvoirs divins et, partant, ne font pas d'oblations de sang pendant l'orage (ibid., p. 121). Le hala des Meuri saute en l'air durant la crmonie, chante et jette un miroir et un collier vers Karei (ibid.) ; or on sait que le saut crmoniel symbolise l'ascension cleste. Mais il existe des donnes encore plus prcises sur les rapports du chaman pygme avec le Ciel: pendant la sance du halak des Ngritos pahang, celui-ci tient entre ses doigts des fils faits de feuilles de pal. mier, ou, d'aprs d'autres informations, des cordl'es trs fin es. Ces fil s et ces cordes s'tendent jusqu' Bonsu, le Dieu cleste qui habite au dessus des sept tages du ciel. (Il vit l avec son frre, Teng; dans les autres tages du Ciel, il n'y a personne.) Tant que dure la sance, le halak est direct ement reli au Dieu cleste par ces fils ou cordes, que celui-ci fait descendre et qu'il ramne de nouveau lui aprs la cr monie (Evans, Papers, p. 20). Enfin , un lment essentiel de la g~. rison est form par les cristaux de quartz (chebl<ch), dont nous avons dj remarqu les relations avec la vote cleste et les dieux du ciel (cf. plus haut, p. 123 sq.). Ces sortes de cristaux peuvent tre obtenus directement des cenoi ou peuvent tre confectionns j des cenoE sont rputs vivre l'intrieur de ces pierres magiques et sont aux ordres du hala. On dit que le gurisseur voit la maladie dans les cristaux, c'est--dire que les cenoE qui se trouvent dedans 1ui montrent la cause de la maladie et son traitement. Mais, dans les cristaux, le hala peut aussi voir un tigre qui s'approche du campement (Evans, Schebesta on the sacerdo-therapy, p. 119). Le hala lui-mme peut se transformer en tigre (Evans, ibid., p. 120; Schebesta, p. 154), exactement comme les bomors de Kelantan et Jes chamans et chamanes de Malacca (1). Une telle conception trahit des inOuences malaises. Il ne faut pas
fi ) ~ eanne CUISIN IBR, I?anBe, ma.gique~ tk Kelantan, p . 38 sq., 74 sq. ; sur le rOle lu ltgre dans le chamaRisme malaiS, VOLr plus ba~ p. 274. Les Sungkai Sakai croient aussi q ue le chaman peuL se transformer en tigre (.l!.iVANS Studies, p. 210). En tout caa le 14 ' jour aprs sn mort, le chaman devient tigre (ibid., p. 211 ). '

270

L E CH AMAN I S M E DAN S l.E SU OE ST DE L'A S l E

ET EN OCtAN t E

271

oublier, nanmoins, que le Tigre-Anctre mythique est regard dans toute la zone sud-cst asiatiq ue comme l' fi initiant t; c'est lui qui conduit les nophytes dans la jungle pour les initier (en ralit, POUl' les $' tuer 1) et le~ ~ ress usCl~er .) . En 'd'autres termes, il fait partie d'un complexe relIgIeux extl'cmcment archaque (1 ). Une lgen e ngrito nous semble conserver un ancien scna l'io d'initiation chama nique. On raco nte qu' un grand serpent Mat Chinoi vit sur le chemin qui mne au Palais de Tapern (Ta Pedo) . C'est qu i conrectionne les tapis pour Tapern : ce sont de beaux tapis, avec de ~ombreux ornements, tendus Sur une traverse; sous ces tapis habite le Serpent,. Dans son ventre se trouvent vingt. trente C emmesChin ~i extrmement b.elJes et, en outre, qu antit de parures de t.te, de peIgnes, etc. Un Chmoi nomm Halak Gihmal (. l'Arme-Chaman.) VIt sur le dos du serpent, comme gardi en de ses trsors. Quand un Chinoi ~sire entrel' dans le ventre du Serp ent, Halak Gihmal le ~o.u~e.t a deux preuves de structure et de signi fi cation nettem ent ' Illlt~atiqu es. L~ serp ent est tendu sous une poutre supportant sept tapIs et ces tap iS remuent, s'approchant et s'loignant continuellement les uns des autres. Le Chinoi candidat doit passer assez vite pOUl' ne pas tomber sur le dos du Serpent. La deU Xime preuve con siste entrer dans une boite tabac dont le co uvercle s'o uvre et. se referme trs vite. Si le candidat sort victorieux de ces deux preuves il peut pntrer dans le Serpent et prendre une pouse parmi les femmesChinoi (Evans, Studies, p. 151). On retrouve ici le motif initiatique de la porte magique, qui s'o uvre et se referme en un clin d'il, motif que nous avons dj ren contr en Australie, en Amrique du ~o~d et e~ Asie. Rappelons aussi que le passage dans un mo nstre ophidIen qUIvaut UDe ini tiation . Chez les Batak de Palawan , une autre branche pygme de Malacca le chaman (balia,, ) obtient sa transe en dansant. C'est dj un sign~ que la techmque a subtles mfluences mdomalaises. De telles influences sont encore plus sensibles dans les croyances fun raires. L'me du mort reste quat.re jours a up rs des siens i ens uite, elle traverse une pla ine, au milieu de laquelle se dresse un arb re. Elle l'escalade et attein.t le poin~ o la Terre touche le Ciel. L se trouve un esprit-Gant qUi declde, SUIvant ses actIOns dans la vie, si elle peut avancer ou si eUe doit tre prcipite dans le feu. Le pays des morts a sept I&g~' autant dire que c'est le Ciel. L'esprit les parcou rt l'un ap rs l'autre: Quand il atteint le dernier, il se transform e en ver luisant (2) . Le nombre 7 et la punition par le feu sont, nous l'avons vu (cf. p. 227 sq.) des ides d'origi ne indienne.

lui

Les deux a utres populations aborignes, pr-malaises, de Malacca les Sakai et les Jakun, posent nombre de problmes l'ethnologue (1). Du point de vue bistorico-religieux, il est sr que le chamanisme y joue un rle beaucoup plus important que chez les Pygmes Semang, bien que la technique reste essentiellement la mme. On retrouve la hutte circulaire btie en feuillage o pntre le hala (Sakai) ou le poyang (Jakun : variante du term e malais, pawang) avec ses assistants i on retrouve aussi les chants qu'ils entonnent, les invocations aux esprits auxiliaires. L'importance accrue de ces derniers, qu'on hrite et qu'on bbtient la suite d'un rve, dnote les influences malaises. On invoque parC ois les esprits a uxiliaires en malais. A l'intrieur de la cabane se trouvent deux petites pyramides pourvues d' chelons (Evans, Studies, p. 211 sq.) , signe d'une escalade symbolique au ciel. Pour la sance, le chama n revt un co uvre-tte spcial orn de nombreux rubans (ibid., p. 214), a utre indice d'une influence malaise. Les cadavres des chamans sakai sont la isss da ns les maisons o ils .ont morts, sans spult ure (cf. Evan~, Studies, 217). Les pllte" des Ken ta Semang sont enterrs la tte mergeant de la tombe; on croit que leur me se dirige vers l' Est, au lieu de l'Ouest comme les mes des autre.s mortels (Evans, Schebesta 0" the Sacerdo-Therapy, p. 120). Ces particularits montrent qu'il est question d'une classe d'tres privilgis qui jouissent, par consquent, d'un sort post-mortem diffrent du reste de la tribu. Aprs leur mort, les poyang des Jakun sont disp oss sur des plates-formes car . leurs mes montent au Ciel, tandis que celles du commun des mortels, dont on enterre les corps,descendent. aux rgions infrieures (2) t.
CHAMANISME DANS LES LES ANDAMANE S ET N I COBAR

('1) Un ~omor bdian (c'es t--~ire un spcialiste des in vocations l'esprit du tigre) de la rgion ~e Kelantan n'avait retenu de sa priode initiaJe de folie que le tait d'avoir ~rr ~ans la Jungle et d'avoir rencontr un t igre; il tait mont sur son dos eLle Ligre Ila va l~ em men KadanK baluk, l'endroit mythique Oll vivent les hommes-tigres .revln,t a8rs.une absence de trois ans ct, parti r de ce moment, il n'eut plus a~ crises d pi epslC (J .. C~IS I N I ER,'p .. ~ sq.). Kadan K baillk est, bien entendu, l'. cnler ~~~e~a brousse. ou s achve 1 initiatIO n, laq uelle n'es L p ilS ncessairemen t chama-

D'aprs les l'enseignements de Rad clifTe-Brown , dans les i1es Andamanes du Nord le medecine-man (oko-juma, litt. rveur ou ~ celui qui parle des rves t) obtient son pouvoir par Je contact avec les esprits. On rencontre les esprits directement, dans la jungle, ou dans les rves. Mais le moyen le plus habituel d'entrer en contact avec les esprits est la mort; qu and quelqu' un meurt et revient la vie, il devient dso rmais oko-juma. Ainsi, HadclifTe-Brown a vu un homme gravement malade qui demeura douze heures plong dans l'inconscience eLfut consid r comme mort. D'u n auLl'e, on racontait qu' il tait mort. et ress uscit trois fois. On reconnait sa ns peine, da ns cette tradi tion, le schma de la mO I't initiatique suivie de la rsurrection du cand idat. Mais on ignore les a utres dtails portant sur la thori e et la
ft) Cf. COLE, p. 92 sq., 1'11 sq. ; EVAN g, Studies, p. 208 sq. (Sakai), 264 sq. (Jakun ).

(2) 1". C. COLE, The People, of Ma laysia, p. 70 sq.

Un esstt i de d finition des croyances religieuses des trois peuples pr-malais de la pninsule de Malacca - les Pygmes, les Sakai et les Jakun - da ns S, .l. F.A Tet BI. ACD RN Pagan R ace, OrlM Malay Peniruwla, Il , p . 17~ sq. ' (2) EVANS, Studies, p. 2&5. Sur k s implications coslllologico-religieuses de ces coutumes ct croyance f1ln raires, voir plus bas, p. 281 sq. Sur le poyang des Ben uaJaku il de J ohore, ct. S IOLU et nL .\GD E ~, Pagaft Race, of the Malay Peninsula, Il , p. 350 sq .

272

LE CHAMANISME DANS LE SUD-EST DE L'AS IE

ET EN OCEANIE

273

t echnique de l'initiation; les derniers oko-Juma taient dj morts quand, vers le commencement de ce sicle, on pensa les tudier objectivement (1). Les oko-juma imposent leur rputation par l'efficience de leurs gurisons et de leur magie mtorologique (car ce sont eux qui so nt censs prvenir les orages). Mais le traitement propl'ement dit consiste en la recommandation de remdes dj connus et utiliss de tout le monde. Parfois, ils procdent aussi l'expulsion des dmons qui provoquent la maladie i ou encore, ils promettent de parfaire la cure directement dans les rves. Les esprits leur rvlent la proprit magique de divers obj ets (substances minrales et plantes). Ils ignorent l' usage des cris taux de quatrz.

Quand son initiation prend fin, les maUres lui donnent un bton. Il existe certainement une auLre crmonie qui le consacre chaman mais on n'a pu obtenir a ucune information prcise son sujet (1). Cette trs intressante initiation chamanique ne se ren contre que dans l'ile Car i elle est inconnue dans le reste de l'archipel Nicobar. Certains lments sont certainement archaques (l'ensevelissement 80US les feuilles, la retraite dans le pays des esprits _) mais quantit d'autres trahissent une influence indienne (le trne du novice, la lance, le spectre, le bton) . Nous avons afTaire ici un exemple typique de l'hybridation d' une tradition chamanique la suite de contacts culturels avec une ha ute civilisation ayant labor un e technique magique extrmement complexe.

Les medicine-men des tles Nicobar connaissent aussi bien la gurison par]' extraction de l'obj et magique qui a provoqu la maladie (un fragment de charbon ou une petite pierre, ou un lzard, etc.) que la qute de l'me ravie par les mauvais esprits. Dans l'il6 Car de l'archipel de Nicobar, il existe un e trs intressante crmonie d' initiation des futurs m edicine-men. Gnralement, le suj et qui montr~ un temprament maladif est destin devenir chaman ; les esprits des parents ou des amis rcemment dcds manirestent leur choix en laissant, pendant la nuit, certains signes (des feuilles, des poules ayant les pattes lies, etc.) dans la maison . Si le malade reluse de devenir chaman, il meurt. A la suite de cette lection, on procde une crmonie publique qui marque le dbut du noviciat: les parents et les amis se rassemblent devant la maison; Pintrieur, les chamans tendent le novice par terre et le reco uvrent avec des feuilles et des rameaux, en lui mettant les plumes d'ailes d' un e poule sur la tte. (Dans cet ensevelissement vgtal on pourrait dchifTrer une spulture symbolique et , dans les plumes, le signe magique de la capacit mys tique de vol.) Quand le novice se relve, les ass istants lui donnent des colliers et divers bijoux qu'il devra porter autour du cou pendant toute la dure de son noviciat; il retournera ces obj ets leurs propri taires quand son apprentissage prendra fin. On lui labrique ensuite un trne, sur lequel le novice est promen de village en village, et on lui remet une sorte de sceptre et une lance pour lutter contre les mauvais esprits. Quelques jours aprs, il est port par les maltres chamans dans le coeur de la jnngle, au milieu de l'tle. Certains amis accom pagnent le groupe jusqu' une certaine distance i ils s'arrtent avant de pntrer dans le pays des esprits . car les mes des morts pourraient prendre peur. L'enseignement secret se ramne essentiellement apprendre les danses et devenir capable de voir les esprits. Au bout de quelque temps pass dans la jungle (c'est--dire dans le pays des morts), le novice et ses matres retournent a u village. Le jeune apprenti continue de danser toutes les nuits au moins une heure devant sa maison, tout le temps de son noviciat .
(1) A. R. RAO~LIFFB-BROWN, TM Andaman I llanc,, : a Study in Social Anth,opology (c;ambr,dge, 1922), p. 175 Bq.; cr. aussi E . STIGLMU R, Schamani'mus hei den Nes" to. SUdo.uuieTl8, deuxime par.Ue.

LE

CHAMANISME MALAIS

Ce qu'on appelle le chama nisme malais a pour notes distinctives l!!ocation de l'esprit du tigre et l'obtenLion d'e l'tat lupa. Celui-ci est l'tat d'inconscience dans lequel tombe le chaman et au cours duquel les esprits qui s'emparent de lui le , possdent , et rpondent aux questions poses par l'assistance. Qu'il s'agisse d'une cure individuelle ou d'une crmonie de dfense collective contre les pidmies (comme c'est le cas, par exemple, des danses belian de Kelantan) , la sance malaise implique habituellement l'vocation du tigre. Cela tient au rle d'AncLre mythique et, partant, de matre de l'iniLiation, dvolu au Tigre dans tout cct espace. Les Benua, tribu proto-malaise, croient que le poyang se transform e en tigre le septime jour a prs son dcs. Son fils dsire-til hriter de ses pouvoirs, il doit veiller seul a uprs du cadavre, en brlant des parfums. Le chaman dfunt apparat le septime jour sous la forme d'un tigre prt s'lancer sur l'aspirant. Sans donner signe du moindre effroi, celui-ci doit continuer l'encensement. Alors le tigre s'vanouit, remplac pa r l'apparition de deux belles femmes-es prits i l'aspirant perd connaissance et, pendant la transe, a lieu l'initiation. Les femmes deviennent ensuite ses esprits familiers. Si le fils du poyang n'observait pas ce rite, l'esprit du mort resterait jamais dans le corps du tigre et son nergie,. chamanique serait irrmdiablem ent perdue pour la collectivit (2). On reconnait ici le scnario d'une initiationtype: la solitude dans la brousse, la veille prs d'un cadavre, l'preuve de la peur, l'apparition terribl e d u Mattre de l'initiation ( = Anctre mythique) , la protection d' une belle lemmeesprit. La sance proprement dite a lieu l'intrieu r d' une hutte circulaire ou d' un cercle magique, et la plupart des sances ont pour but

1'\ qeo rgc WUITEIlBAD,.1.n tM Nicoha~ ~slands (Londres, 1 92~t ).' p. 128 sq., 147 s q . (2 1 . J . NEW Pohllcal and Stahslical A ccount of the B"ttsh Stttiements in lM
DOLO,

Straits of Malacca (2 vol., Londres, 1839) , Il, p. 387.89; R. O. WINSTEIV Shaman Saiva and Su{i. A study of the Evolution of Malay Ma 6ic , p. -4?'.45;irr.;-Ki';sship and Entli,ontment jrl Malaya (1 J ournal of lloyal Asialie Society. 19'. 5 p. 13445 ) p. '135 sq. (1 'l'he Malay King as Shaman 1). '"
Le Cll amanisme
18

274

LE CHAMAN IS ME DAN S LE SU D EST DE L'ASIE

ET EN OCAN IE

275

des gurisons, la dcouverte des objets vols ou perdus, ou la connaissance de l'avenir. Habituellement, le chaman reste sous une couverture pendant la sance. L'encensement, la danse, la musique et le batte-

fontanelle. La mort est, en ralit, le rapt de l'me par un esprit

(beJ!!l ' si le dfunt est jeune, une femme-begu l'a pris pour poux,
et vice' versa. Les morts et les esprits parlent par le truchement des

ment du tambour sont les lments prparat oires indispensables de


toute sance malaise. L'arrive de l'es prit se manifeste par le tremblement de la flamme d'une chandelle. L'esprit, croit-on, pntre tout

mdiums. . " Cbamans (sibaso, la parole ) et pretres (da/u) , bIen que dliTrents
par la-structure et la vocation religieuse, poursuivent le mme but:

d'abord dans la chandelle, et c'est pourquoi le chaman garde longt emps les yeux fix s sur la flamme, essayant par l de dcouvrir la
cause de la maladie. La cure consiste gnralement dans la succion

des parties malades mais, quand il tombe en transe, le poyang peut aussi chasser les dmons et il rpond toutes les questions qui lui sont adresses (1). L'vocation du tigre a pour but l'appel et l'incarnation de l'An ctre mythique, le premier Grand Chaman. Le pawang observ par Skeat se transformait effectivement en tigre : il courait quatre pattes, il rugissait et lchait longtemps le corps du patient comme une tigresse ses petits (2). Les danses magiques des belian bomor de Kelantan comportent ncessairement l'vocation du tigre, quel que soit

dlendre l'me (tondi) contre un rapt par les dmons, ass urer l'intgrit de la personne humaine. Chez les Batak du Nord, sibaso est toujours une lemme et le chamanisme est gnralement hrdit~ire.
Il n'existe pas d'mstructlOn par un maitre; celUi qUi a t ChOISI par les esprits reoit l'initiation directement d'eux, c'est~-dire

qu'il devient capable de voir et de prophtis.er, ou

d'tr~

possd .

par un esprit (1), en d'autres termes de s'ldentlfier avec lm. La sance des sibaso a lieu la nuit; le chaman bat son tambour et danse autour

du leu pour invoquer les esprits. Chaque esprit a sa mlodie particu


lire, et mme sa couleur propre - et le sibaso revt un costume plusieurs couleurs s'il dsire invoquer plusieurs esprits. Leur prB~nce S8 manifes te par les paroles en langage secret, en langage des esprIts , que prononce le sibaso et qui doivent tre interprtes. Le dialogue porte sur la cause de la maladie et son traitement ; le begu assure qu'il

le motil qui a provoqu l'organisation de la sance (3). La danse aboutit l'tat lupa, 1' oubli ou la c transe. (du skr. lopa, PiJ~e disparition) o l'acteur perd la conscience de sa propre personn lt et incarne un esprit quelconque (Cuisinier, p. 34 sq., 80 sq., 102 sq.).
Suivent des dialogues sans fin entre ]e danseur en transe et les assis-

tants. Si la danse a t orgauise pour une cure, le gurisseur profite de la transe pour poser des questions et trouver les causes de la maladie et son traitement (ibid., p. 69). Il ne semble pas qu'on doive considrer de t elles danses magiques et de t elles gurisons comme des phnomnes chamaniques au sens
propre du terme. L'vocation du tigre et la transe-possession ne sont pas limites la sphre des bomor et des pawang. Nombre d'autres individus peuvent voir, voquer le tigre ou se trans form er en lui. Quant Ttat lupa, ailleurs en Malaisie (p. ex. chez les Besissi) il est accessible tout le monde; pendant l'vocation des esprits, n'importe

oprera la gurison condition que le patient oiTre certams sacrifices (2). Le prtre batak, da/u, est toujours un homme et jouit de la situation sociale ln plus leve aprs le cbef. Mais lui aussi est un gurisseur
et, lui aussi, invoque les es prits dans un langage secret. Le datu pro-

tge des maladies et des sortilges; la sance de gurison consiste dans la recherche de l'me du malade. En outre, il peut exorciser les begu entrs dans les malades; il peut aussi empoisonner, bien qu'il
soit cens n'tre qu'un magicien blanc )J. A la difl'rence des sibaso, le da/u est initi par un maltre; on lui rvle spcialement les secrets de la magie, inscrits dans des (( liv res confectionns en corce d'arbre. La maltre porto le nom indien de guru ; il attache une grande importance son bton magique, incrust de figures ancestrales et ayant

qui peut tomber en transe (c'est -dire tre possd ) et rpondre aux questions qu'on lui pose (4). C'est un phnomne de mdiumnit tr~ caractristique aussi des Batak de Sumatra. Mais, d'aprs t out
Il

un trou dans lequel sont fixes les substances magiques. A l'aide de ce bton, le guru protge le vi11age et peut provoquer la pluie: Mai. la labrication d'un tel bton magique est extrmement compbque ;
on sacrifie mme, cette occasion, un enfant, en ]e tuant aveo du
11 ) La p,0ssession, spo ntane ou provoque, est un phnomne lr9,uenl che!: l~ 'Batak. N importe qui peut devenir le rceptacle d'un bi!gu, c'est--dire de l'esprit d'un drunt cel ui-ci parle par la bouche du mdium et rvle des secrels. La possession prend s~uvcnt des lormes chamaniques : le mdium prend des charbons ardents elles met dans sa bouche, danse et sautille jusqu'au paroxysme, etc. cr. J. WJ..RBl CK, Die Religion der Batak, p. 68 sq. ; T. K . OESTBRREICII, U8 Possds, p. 330 sq. Mais, la dilTrence du cham an, te mdium batak no (>6ut pas conlrOler son begu etH est-- la merci de celu i-ci ou de tout autre dfunt qUI dsire le. possder ., Cette mdiumnit spontane, qui caractrise la sensibilit religieuse des Batak, peul tre regarde comme une imitation simiesque 'de certaines t.echniques cha man iques. Sur le chamanismo indonsien en gnral, voir aussi G. A. WILKRN, H et Shamani.me bij de Volken "an dtn l ndischen Archipel; A. C. KHUYT, /Jet Animismi!l in den Indi'chen Archipi!ll (La Haye, 1906), p. 443 sq. (2) E. M. LOEIl , Suma/J'a, p. 80-81.

ce qu'on a essay de montrer dans ce livre, on ne doit pas confondre possession J et chamanisme.
CHAMANS ET PRTRES A SUMATRA

La religion des Batak de Sumatra, lortement influence par les ides arrives de l'Inde (cl. plus haut, p. 230 sq.) , est domine par le concept de l'me (tondi) ; celle-ci pntre et quitte le corps par la

('1
{2 (3

WIl'UTBDT, Shaman, Sa'IJ and Sufi. p. 96-t01. W. W. SKUT. Malay Magic, p. !ta6 Bq. ; WIN ST EDT, Shaman , p. 97 sq. Jeanne CU I SI NI ER , p. 38 sq., 74 sq. etc.

(4

W. W. S1tEAT et C. Q .

BUCOBN.

Pagan RaC~8 of Malay Penin8ula, II, p. 307.

276

LE CHAMANISME DANS LE SUO-EST DE L'ASIE

ET EN OCtANtE

277

plomb fondu, pour lui extirper l'me et le transrormer en un esprit

aux ordres des magiciens (Loeb, Sumatra, p. 80-88).


Tout ceci trahit les influences de la magie indienne. Il est permis de

simples la suite d'un ~oyage cleste. La tra?se n'est pas dramatique; on n'assiste pas au dialogue avec les esprits clestes. Il ne semble pas avoir de rapports avec les dmons, de pouvoir J sur eux.

prsumer que le datu figure le prtre-magicien , tandis que le sibaso reprsente uniquement l'extatique, l' homme-A-esprits Jo Le datu ne connalt pas l'extase mystique j il opre en magicien et en
1(

Une technique similaire est utilise par le chaman Kubu (du Sud de Sumatra) : il danse jusqu' ce qu' il t ombe en transe et il voit alors
l'me du malade prisonnire d'un esprit ou perche comme un oiseau

ritualiste

il exorcise les dmons. Lui aussi est oblig d'aller la recherche de l'me du malade, mais ce voyage mystique n'est pas exta:1 :

sur un arbre (Loeh, Sumatra, p. 286).


CHAMANISME A BORNO ET DANS LES CLBES

tique; ses rapports avec le monde des esprits sont des rapportsd'hostilit ou de supriorit, des relations de maltre servIteur. Le sl.baso est l'extatique par excellence; il vit dans la familiarit des esprits, il se laisse. possder " il devient clairvoyant et prophte. 11 a t l' lu - et contre l'lection divine ou semi-divine, on ne peut rien faire. Le dukun des Minangkabau de Sumatra est la lois gurisseur et mdium. L'office, gnralement hrditaire, est accessible aussi bien aux femmes qu'aux hommes. On devient dukun aprs avoir subi une initiation, c'est--dire, aprs avoir appris se rendre invisible et voir les esprits pendant la nuit. La sance a lieu sous une couverture; au bout d'une quinzaine de minutes le dukun commence .

Chez les Dusun du Nord de Borno, qui sont de race proto-malaise et reprsentent les hab.i tants aborignes de l'Ue, les prtresses jouent
un rle cap ital. Leur initiation dure trois mois. Pendant la crmonie, elles utilisent un langage secret. A cette occasion, elles revtent un

costume spcial : une toile bleue leur cache la figure et elles portent !!!l-Jlhapeau en lorme de cne, orn de plumes de coq et de coquilles.
La sance consiste en danses et en chants, tandis que les hommes se contentent d'un accompagnement musical. Mais leur technique

spcifique est divinatoire et appartient plutt la petite magie qu'au


chamanisme proprement dit; la prtresse tient une tige de bambou en quilibre sur son doigt et demande: si un tel est voleur, que la tige lasse tel mouvement, etc. (1).

trembler, signe que son me a quitt le corps et est en route pour le


e village des esprits J. On entend des voix sous la couverture. Il demande ses esprits de chercher l'me lugitive du malade. La transe est simule; le dukun n'a pas le courage de laire la sance la vue de

Chez les Dayak de l'intrieur, il existe deux sortes de magiciens


gurisseurs: les daya beruri, gnralement des hommes, qui s'occupent des cures, et les barich, recruts habituellement parmi les fem-

tout le monde, comme son collgue batak (Loeb, Sumatra, p. 125-26). On retrouve le dukun Nias, ct d'autres classes de prtres et
de gurisseurs. Pendant la cure, il revt un costume spcial: il pare ses cheveux et jette une toffe sur ses paules. Ici aussi, la maladie est

gnralement due un rapt de l'me par des dieux, des dmons ou des
esprits, et la sance consiste en sa recherche; on arrive gnralement

mes:spcialistes du " traitement . des rcoltes de paddy. 1,;1 maladie est interprte soit par la prsence d'un wallY 's esprit dans le corp~, soit par le dpart de l'me. Les chamans des deux classes ont la faCUlt
extatique de voir l'me humaine ou l'me de la rcolte, mme si elles

dcouvrir que l'me a t ravie par les Serpents de la MeLL.(la mer tant un symbole de l'au-del). Pour la ramener, le medicineman s'adresse aux trois dieux - Ninwa, Falahi. et Upi - et les voque en aimant sans cesse jusqu'au moment o il obtient la communication avec eux; c'est alors qu'il tombe en transe. Mais le dukun procde aussi par succion et, lorsqu'il russit trouver la cause du mal, il

se sont enluies de trs longues distances. Ils poursuivent alors les mes lugitives, les capturent (sous la lorme d'un cheveu) et les rintgrent dans le corps (ou les rcoltes). Quand la maladie est provoque par un mauvais esprit, la sance se rduit une crmonie

d'expulsion (2). Le chaman des Qayak maritimes porte le nom de manang. 11


jouit d'un rang social considrable
j

montre aux assistants des petites pierres rouges et blanches (ibid., p_ 155 sq.).
Le chaman de Mentawei pratique aussi la cure avec des massages, des purifications, des herbes, etc. Mais la vritable sance suit le

il vient immdiatement aprs le

cher. Gnralement, la prolession de manang est hrditaire; mais


on distingue deux classes : ceux qui ont eu la rvlation sous forme de rves et ont reu de la sorte la protection d'un ou plusieurs esprits, et ceux qui sont devenus manang par leur propre volont et, partant, ne disposent pas d'esprits familiers. De toute faon, on ne reoit la qualification de manang qu'aprs avoir t initi par des mattres

schma habituel en Indonsie: le chaman danse longtemps, tombe


terre inconscient et son me est porte au Ciel dans une barque tire par des aigles. C'est au Ciel qu'il discute avec les esprits des causes de la maladie (fuite de l'me; empoisonnement par d'autres sorciers) et reoit les mdicaments. Le chaman de Mentawei ne donne jamais signe de a possession li et il ne sait pas exorciser les mauvais esprits

autoriss (voir plus hau t, p. 62). On connait des manang hommes et


femmes, et des hommes asexus (impuissants) ; on verra tout A l'heure signification rituelle de ces derniers.
('Ilvor
(2 H. Ling
EVANS, Stu.dUB, p. '1 sq., 21 sq., 26 sq. ROTH, Native' of Sarawak alld British

du corps du malade (1). 11 est plutt un ph armacien qui trouve ses


(1) LOEB, Sumatra, p. 19S sq.
j

id., Shaman and Sur , p. 66 sq.

No,.th

Bo,.,~o,

l, p. 25963.

278

LE CIJ A?tI A NIS M E D AN S LE SU O EST DE L' ABl E

ET EN OCtANIE

279

Le manang possde une boite avec quantit d'obj ets magiques, parmi lesquels les plus importru>ts ,ont des cristaux de qu artz, bata ilalt (c la pierre de lumire ' ), l'aide desqu els le chaman dcouvre l'me du malade. Car la maladie est, ici aussi, une fuite de l'me, et la , ance a pour but sa dcouverte et ,a rintgration dans le co rps du patient. La sance a lieu la nuit. On frotte le corps du ma lade avec des pierres, ensuite les assist ants commencent entonner des chansons monot ones t andis que le manang chef danse jusq u' puisement: il cherche et invoq ue de la sorte l'me du malade. Si la malad ie est grave, l'me s'chappe plusieurs C ois des mains du manang. Une fois le chaman-cbef t omb terre, les assist ants jettent une couvertu re ,ur lui et attendent le r,ultat de son voyage extatique car, ds qu' il est en extase, le. manang descend aux Enfers pour chercher l'me du malade. Il fini t par la ca pturer et se relve tout d'un co up, en tenant dans la m ain l'me du patient, qu'il rinsre par la t t e. La sance s'appelle belian, et Perham en distingue jusqu' quatorze espces, suivant leurs difficults t echniques. La cure prend fin avec le sacri fice d'une poule (1). Sou, sa form e actuelle, le belifln des Dayak maritimes ,emble tre un phnomne magico-religieux assez complexe et composite. L'initiation du manang (la friction avec les pierres magiques, le rituel de l'ascension, etc.) et certains lments de la cure (l'importance des crist aux de qu artz, la Criction avec les pierres) indiquent une technique chamanique assez ancienne. Mais la pseudo-t ranse (qu'on prend soin de cac ber sous la couvert ure) trahit les influences rcentes, d' origine indo-malaise. J adis, tous les manang revt aient, une Cois initis, des vt ements fminins qu' ils gardaient pour le rest e de leur vie. Aujourd ' hui, la coutume est devenue trs rare (2). Nanmoins, une classe spciale de manang, les manang bali de certaines tribus maritimes (et d'ailleurs inco nnus chez les Dayak des collines) portent des vt ements fminin s et s'appliquent aux mmes travaux que les femmes. Parfois, ils prennent un mari , en dpit de la rise du village. Le t ravestissement, avec t ous les changements qu 'il comporte, est accept la suite d'un ordre surnaturel reu par t rois C ois dans les rves : refuser serait aller au devant de la mort (3). Cet ensemble minine et d'une d'lments dnot e des traces prcises d'une magie C
PSR II AM " M anangi,m i n B orneo J , 1 9, Singapou r, 1 887 , 87-103), R OT II , 27 1 W. 870 11 11, Das To!en rilUal tr Dajah (.. E thnologica, n. s., l, Cologne, 1959), p. 152 sq. ; cr. aussi ibid., p . li 8 sq. (le chaman accompagne l'me du mort dans l'au-del), 125 sq. (le rituel fun raire). (2) Ling ROTII, I , p. 282. c r. la dispari tion des travestis e l des in vertis sex uels chez les chamans araucans (A. M iTRAUX , Le Shamanism.e araucan, p. 315 sq.). (3) Ling ROTH , l , p. 270 sq. Un jeune homme de vien t rarement manans hali. Co sont gnralement des vieux ou des hom mes sans en rants, a ttirs par la situation mat rielle extrmement tenta nte. Pour le travestissement et le ch a n ~em ent do sexe chez les Tchouktches, cf. BOGouz, 'l'he Chukchu, p. lili8 sq. Da ns Ille Ram bree, sur la cOte de la Birmanie, certa ins sorciers adoptent le costume fminin , deviennent l' .. pouse. d' un collgue el lui appor tent ensu ite une femme en guise de deuxime po use, avec l a~~ e lle l ~s deux hommes cohab iten t (WEBSTER, Magic , p. 192). On voit clairement qu 11 s'agit d'un travestissement rituel, accep t soil hl su ite d'un ordre divin, soit pour les prestiges magiques de l a F emme.
i)

cr. sq ; Arch. J . J ournal or the Straits Branch of the Royal Asiatic Socie ty l p. repris par Ling l, p. sq. Voir a ussi
Ling R OT II, 0l!' cil. , t, p . 265

mythologie matriarcale qui ont d dominer autrefois le chamanisme des Dayak maritimes : presque t ous les esprits sont invoqus par les manang sous le nom d'lni, Grande Mre (Ling Rotb , I , p. 282). Nanmoins, le C ait qu e les manang bali soient incon.nus l'intrieur de l'Ue prouve que le complexe entier (travestissement, impuissance sexuel1e, matriarcat) est arriv du dehors, bien que dans des temps reculs. Chez le, Ngadju-Dayak du , ud de Borno, les intermdiaires eJ1ke. les homme' et les dieux (spcialement les Sangiang) ,ont les balian et lS basir, prtresses-chamanes et prtreschamansasexus (le terme basir signifie incapable de procrer, impuissant XI). Ces derniers sont de vrais hermaphrodites, vtus et se comportant comme des fem mes (1) . Les balian comme les basir sont" choi,is par Sangiang, et sans son appel on ne peut pas devenir son serviteur mme si on recourt aux techniques habituelle, de l'extase: la danse et le tam bour. Le, Ngadju-Dayak sont tr, net, sur ce point: pas d' extase possible ,i on ne ,e sent pas appel par la divinit. Quant la ,bisexualit et l'impuissance des basir , elle tient au fait que ceux-ci sont considrS comme des inte'r mdiaires entre les deux plans cosmologiques Terre et Ciel - et aussi au fait qu'ils runissent en leur personne l'lment fminin (Terre) et l'lment ma,culin (Ciel) (2). Il s'agit d'une androgynie rituelle, formule archalque bien connue de la biunit divine et de la coincidentifl oppositorum (3). Comme l'hermaphrodisme des basir, la prostitution des balian est pareillement fonde sur la valeur sacre de l' uintermdiaire , sur la ncessit d'abolir les polarits. Les dieux (Sangiang) s'incorporent dan, les balian et le, basir et parlent directement par eux. Mais ce phnomne d'incorporation n'est pas une possession . Jamais les mes des anctres ou les dCunts Qe prennent possession des balian ou des basir; ceux-ci sont exclusivement les instruments d'expression des divinits. Lee S moJ'ts 8e servent d' une autre classe de sorciers, les tukang tawur. L'extase des balifln et de, basir est provoque par Sangiang, ou la suite de, voyages mystiques que ses serviteurs entreprennent dans le Ciel pour visiter le ( village des dieux . Plusieurs traits sont retenir: la vocation religieuse, dcide uniquement par les dieux d'en haut i le caractre sacr du comportement ,exuel (impuissance, prostitution) ; le rle modest e jou par la technique de l'extase (danse, mu, ique, etc.); la transe provoque par l'incorporation de Sangiang ou par le voyage mystique au Ci.el; l'absence des rapports avec les mes des anctres et, partant, l'absence de la possession JI , Tous ces caract res contribuent faire ressortir l'archasme d'un tel phnomne religieux. Bien que la cos11 ) Sur ce problme, voir J. M. van det..J{aO Ed Tl'aTUpe"itilm and the RdifioUl Hermaph,od ire in lndonuia (in .. Journal of Easl AsiaLie Studies J , Ill , Manila, 1959, p. 257-65), p as,im. . .. (2) H . SC If ARU , D i~ Yo ,,~llun f~n de,. a.bu- und Unl~l'welt . b~, tn Nsad)u Da)ak "on SdBorMo, p. 78 aq . i Id., Du GOlu, Uke de,. NfadJu DaJaIt, p . 59 sq. (aL Cr. ELIADE, 'l'raili d'h iltoire de, religiolU, p. 359 sq.

280

L E CHAMAN IS M E D ..o\NS LE SUD-EST DE L'ASIE

ET EN OCAN I E

281

mologie et la religion des Ngadju-Dayak aient probablement !lIhi des influences as iatiques, on est en droit de prsumer que les balian et les basir reprsentent uno forme de chamanisme ancienne et autochtone. Les basir des Ngadj u-Dayak ont un pew:lant dans les baiasa (<< trompeurs li) des Toradja. Ceux-ci sont gnralement des femmes et leur tec bnique particulire consiste en voyages extatiques au Ciel et aux Enfers, qu e les bajasa peuvent effectuer soit en esprit, soit in concreto. Une crmonie importante est la momparilangka (<< s'asseoir dans la place vnrable li), qui dure trois nuits co nscutives i la bajasa conduit les mes des femmes et des jeunes filles au Ciel a fin de les purifier, et la troisime nuit les rapporte sur terre et les rintgre dans les corps. Il appartient pareillement. aux bajasa de chercher les mes vagabondes des malades; avec le concours d'un esp rit. wurake (qui appartient la classe des esprits de l'atmosphre) , la baiasa monte sur l'arcenciel jusqu' la maison de Pu di Songe et. ram ne l'me {lu -patient.. Elle cherche et. rint.gre aussi 1' me du riz " quand, celle 1ci ayant dsert les rcoltes, elles se lanent et risq uent de prir_ Mais les capacit.s extatiques des bajasa ne sont pas limites aux voyages clestes et hori zon taux ; l'occasion de la grande fte fun raire mompemate, elles conduisent Jes mes des morts dans l'au de l (1) , Selon R, li. Downs, ' La litanie dcrivait comment les morts t aien,t tirs de leur torpeu r, comment ils s'habillaient et taient conduits, , tl'avers les enfers, l'arbre dinang qu'ils escaladaient pour atteindre la terre, sur laquelle ils dbouchaient Mori ( l'Est des Torad ja), pour tre finalement mens au tem ple ou la hutte de crmonie. L, ils taient accueillis par leurs parents, et ces derniers et le reste des partici pants se chargeaient de les distraire par des chants et des danses .... Le jour suivant , les chamans conduisaient les angga (c'est -di re les mes) leu r lieu de repos final . (p_ 89, d'aprs Kruyt), On voit par ces quelques indications que les bajasa des Clbes sont des spcialistes du grand drame de Fme : purificatrices, gurisseuses ou psychopompes, elles interviennent uniquement quand il s'agit de la condition m me de l'me humaine. Il est remarquable que leurs rapports les plus Irqu ents soient avec le Ciel et les esprits clestes_ Le symbolisme du vol magique ou de l'ascension par l'arcenciel, qui domine le chamanisme australien, est archaque. D'ailleurs, les Toradja connaissent, eux aussi, le myt.he de la liane qui reliait jadis la Terr
(t) N. ADRIAN I et A. C. KRUYT, De Bat'e'e-sprekende Toradja's "'an Micn-Celdes (Batavia, 4 vol., 1912-14), 1-11, en particulier l , p. 361 sq. ; 11 , p. 85- t 06, 109-46, et p8sim; e t le long rsum de H . H . J UYNDOLl., Reliionen du Natur",r;lh er Indonesie ns

au Ciel, et se souviennent d' un temps paradisiaque o les hommes communiquaient facilement avec les dieux (1).
LA t BARQ UE DES MO RTS ET LA BARQUE CHAM AN I QUE

La barque des morts > joue un grand rle en Malaisie et en Indonsie, aussi bien dans les pratiques proprement chamaniques, que dans les co utumes et les lamentations funraires. Toutes ces croyances 8ont, bien entendu, en rapport., d' une part, avec l'usage de charger les morts sur des canots ou de les jeter dans la mer et, d'autre part, avec les mythologies funraires. La co utume d'exposer les morts dans des barques pourrait bien s'expliquer par de vagues so uvenirs des migrations a ncestrales (2) : la barque ramnerait l'me du mort dans la patrie d'origine d'o sont partis les anctres. Mais ces so uvenirs ventuels ont perdu ( l'exception, peut-tre, des Polynsiens) leur signification hisLorique .. ; la patrie originaire. devient un pays mythique et l'Ocan qui la spare des terres habites est assimil aux Eaux-de-Ia-Mort_ Le phnomne est d'ailleurs Irquent dans l'horizon de la mentalit archaque, o l' histoire . est continuellement translorme en catgorie mythique_ Des croyances et des pratiques lunraires analogues (barque des morts, etc_) se retrouvent chez les Germains (3) et chez les Japonais (4) _ Mais, chez les uns comme chez les autres, de mme qu e dans l'espace ocanien, ct d' un audel maritime ou so usmarin (complexe t horizontal t), il existe encore un complexe vertical: la montagne comme dom aine des morts (5), ou mme le Ciel. (On se rappelle que la montagne est charge> d'un symbolisme cleste_) G nralement, seuls les privilgis (les chels, les prtres et les chama ns, les init is, etc_) se dirigent vers le Ciel (6) ; le reste des mortels voyage horizonta lement ou descend dans les Enfers souterrains. Ajoutons qu e le problme de l'audel et de ses orientations est extrmement com plexe et qu'on ne saurait le rso udre uniquement par les ides de t patries origina ires. ou par des formes de spulture. En dernire instance, nous
J. G. R D U, Alahatala, p. 46 sq., 71 sq., 83 sq., 11 8 sq.
ft) Sur l'idologie et les pratiques chamaniques des habitants de

Cram, cf,

(in 1 Archiv rr Heligionswissenscha rt " XVII, L6Jpzig, 1914 , p. 582-606), p. 583-88 . Voir a ussi R. E. DowNs, The Religion of the Bat'e',-speaking Toradja of Central Celdes, /Diss., Leyde, 1956), p. 47 sq., 87 sq. Ct. J. FUZER, Afurmath : a S upplement to The Golden Bough (Lond res, 1936), p. 209-t2 (rsuman t ADRIANI el KRUYT, l , p. 376-93); H. G. Quaritch \VAL U, Prehistory and Religion in South-ElUt Asia, p. 81 sq. On trouvera d'autres descriptions de sancea chamaniques destines ramener l' me du malad e dans FUZER, A ftumath, p. 212-13 (Dayak du Sud de Borno) 214-1 6 (Kayans de Sarawak, Borno). '

(2) CC . Rosalind Moss, TM Life afur Death in Ocea,ua and the Malay Archipelag(Londres, 1925), p. 4, sq., 23 sq. , etc. Sur les relations entre les C ormes des s pulture, et les conceptions de la vie a prs la mort en Ocanie, voir aussi FRAtER, La crainto rhs ~oru, l, p. 231 sq. ; Erich DOKRR, Bestattungsformen in Ouanien, Cc Anthropo ~_s XX X, 1935 p. 369-420, 727-765) ; Carla Van WYLICK, BestattungsbraucM und Jensellse Ilaube au f Celebes (Diss., Ble, 1940; La Haye, t 9/d ); H. G. Quaritch WA LE!. Prehistory, p. 90 sq. (3) Cr. W. GOLTHER, Ha ndbuch rhr germaniAchen M ythologie (Leipzig, 1895), p. 90 sq., 290, 3t 5 sq. ; O. A LM GR!N, Nordische Fels:eichnungen au religiose Urkunrhn (Francfor t-sur-leMain , 1934), p. 191, 321, etc.; O. HOFLER , K ultischeCeheimbnde der Cermanen, 1 (Francfort-sur-le-Main, t 934) , p. 196, etc. Alexander SLAWU, KuUiAclu Geheim bnde rhr Japaner und Germa'len, p. 701i sq. 5 HOFLER, l, p. 221 sq ., etc. ; SL AWII: , p. 687 sq. 6 P our nous lImiter au domaine qui nous intresse, ct. W. J . P ERRY, Megalithic Culture of Indone.ia (Manchester, t 918), p. 11 3 sq. \aprS leur mort, les chels se dirigent vers le Ciel) ; n. Moss, p. 78 sq., 84 sq. (le Cie, Heu de repos ~our certaines classes privilgies) ; A. RIEUNrlllt.D, Tlu M egalithic Culture of Melane6la. p. 654 sa.

'! !

282

LE CH AMAN IS ME DAMS LE SU D-E ST D E L'ASIE

ET E N OCAN IE

283

avons alTaire des mythologies et des conceptions religieuses qui, si elles ne sont pas toujours indpendantes de, usage, et pratiques matriels sont pourtant autonomes en ta nt qu e stru ctures spirItuelles. E~ dehors de la coutume d'exposer des morts dans les canots, il existe encore, en Indonsie et, en partie, aussi en Mlansie, trois importantes catgories de fa its magico-re1igieux qui impliquent l'utilisation (relle ou symbolique) d' un e barque rituelle : 1) la barque pour expulse r les dmons et les maladies; 2) celle qui sert au chaman indonsien voyager dans r air la recherche de l'me du malade; 3) la barque de, esprit, qui transporte les mes des mort, dans l'au-del. Dan, les deux premires catgories de rites, les chamans jouent le rle capital sinon exclusif j la troisime catgorie, bien que consistant en une descente aux enfers de type chamanique, dborde pourta nt la fonction du chaman. Comme nous ne tarderons pas le voir, ces barqu es des trpasss, sont plutt voques que manipules, et leur vocation a lieu au cours des lamentations funraires rcites par des 41 pleureuses . et non par des chamans. Annuellement ou l'occasion des pidmies, on expulse les dmons de la maladie de la manire suivante: on les capture et on les enferme dans une bolte, ou directement dans la barque - et on rej ett e la barque dans la mer; ou, en fin, on fao nne de nombreuses fi gures en bois, reprsenta nt les maladies, et on les fixe dans une barque que l'on abandonne la mer. Cette pratique, largement rpandue en Malaisie (1) et en Indonsie (2), est souvent excute par les chamans et les sorciers. L'expulsion des dm ons de la maladie pendant les pidmies est probablement un e imitation du rituel, plus a rchaque et plus umversel, de l'expulsion des. pchs , l'occasion de la Nouvelle Anne, quand on procde la restauration intgrale de la force et de la sant d' une ,ocit (3). En outre, le chaman indonsien utilise une barque pendant sa cure magique. Dans tout l'es pace indonsien, l'ide qu e la maladie est due la fuite de l'me domine. Le plus souvent, l'me est considre comme ayant t ravie par des dmons ou des esprits et, pour la chercher, le chama n utilise une barque. C'est le cas, par exemple, du balian des Dusun : s'il pense que l'me du malade a t capture par un esprit arien, il se faonne une barque en miniature ayant l'une de ses extrmits un oiseau en bois. Sur cette barque le chaman voyage extatiquement dans les airs, regardant droite et gauche, jusqu' ce qu'il retrouve l'me du malade. Cette technique est connue a ussi bien des Dusun du Nord que de ceux du Sud et de l'Est de Borno. Le chaman maangan dispose, en outre, d'u ne barqu e longue de un deux mtres, qu'il garde dans sa maison et dans laquelle il monte qu and il veut rejoindre le dieu Sabor et lui demander ,on aide (4).
(t ) cr. par exemple SS: EAT, llfala.'lltfagit!, 427 sq., ete.; J ean ne CUISIN IER, p. ~08 s9: Mme coutu me dans les tics Nicobar: c. O. WlIlTBHeAD, p. 152 (pho tographut). {2} A. STBINMANN, Das K ultische SchifJ in lndonesien, p. 184 sq. (Nord-Borno, Sum atra, Java, Moluques, ctc.). (3) Cf. Mircea E LUDE, lA MytM ( l'ternel rtUour, p. 86 sq. (4) A. ST!INMANI'I, p. t90 Iq. La barque chamanique se rencontre aussi ailleurs:

L'ide d'un voyage en barque dans les airs n'est qu' un e application indonsienne de la t echnique chamanique de l'ascension cleste. Du fait qu e la barque remplissait le rl e essentiel dans les voyages extatiques dans l'au-del (pays des morts et pays des esprits), ,:oyages entrepris, SOIt pour accom pagner le trpass aux enfers, SOIt pour chercher l'me du malade ravie par des dmons ou des esprits - on en est ven u utiliser la barque mme quand il s'agissait de se transporter dans les cieux en transe. La fu sion ou la coexistence de ces deux symbolismes chamaniques (le voyage horizontal dans l'au-del, l'ascension verticale a u Ciel) est rendue manifeste par la prsence d'un Arbre Cosmique dans la barqu e mme du chaman. Cet Arbre est reprsent parlois se dressant au milieu de la barque so us la form e d'une lance ou d'une chelle qui relie la Terre au Ciel (1). Nous retrouvons ici le mme symbolisme du Centre qui permet au chaman de pntrer au Ciel. En Indonsie, le chaman conduit le trpass dans l'au-del et il utilise souvent une barque pour ce voyage extatique (2). Nous verrons bientt que les pleureuses dayak de Borno remplissent le mme rl e, en rcitant des chants ritu els o il est question de voyage du mort dans un e barq ue. En Mlansie exist e aussi la co utume de dormir prs d u cadavre ; en rve, on accom pagne et on guide l'me du trpass dans l'au-del, et on raco nte, au rveil, les prip ties du voyage (R. Moss, p. 104 sq .). 11 y a lieu de rapprocher cette dernire pratique, d'une part, de l'accompag nement rituel du mort par le chaman ou la pleureuse (Indonsie) et, d'autre part, des oraisons funbres prononces devant la t ombe, en Polynsie. Sur des plans diffrents, tous ces rites et co ut umes fun raires poursuivent le mme but: accompagner le mort dans l'au-del . Mais seul le chaman est un psychopompe proprement dit, lui seul accompagne et guide le mort in concreto.
p. ex. en Amrique (le chaman descend aux Enfers dans une barque; cf. O. BUSCHAN, d., Illustr ~r te Vlkerkunde (S tuttgart, 2 vol., 1922-1926), J, p. t 34; SU INMAN N p. 192). ft) A. SUI NMANN, p. 193 sq.; H. O. Quarit.ch WALE S, I;r~h istory, p. tOi sq. I?'aprs W. SC HMID T (Grundlinie n einer Vergleichung ~r ~eltglonen und ~fytho log le~ der auslronesischut Volker (Dcnkschrillcn der kalserhchen AkademlC der W lSScnschaften in Wien, Phil.-hlst. Klnsse, LUI, p. 1-142, Vienne, 19101,I'Arbre Cosmique indonsien est d'origine lunaire, et c'est pourquoi il app'araH au premier plan dans les mythologies de la partie occidentale de 1 Indonsie (~O lt .Borno, a ~ sud de Sumat~a et Malacca), tandis q u'il est absent dans les par tlcs onen tales, ou une mythologie lunaire aurait t rem place par des mythcs solaires; cf. 5.TK1NKAI'II'I, p. 192,. t 99 . Mais on a aRPort des critiques importantes cett.e cons tru~taon !,stro:mythologlque; cf. p. ex . F. SPEISER , Melanesien und l ndone"en (. ZCltschrllt fr EthnologlC l , L XX,1938, p. 463 -81 ), p. 46ft sq. Il convien t d'observer aussi que. l'Arbre Cosmique comporte un sym bolisme beauco up plus complexe et que certams se ul ement de ses aspec ts (p. ex. le renouvellement prIOdique) .supporten t d'tre interprts en fonction d'une mythologie lunaire; cr. ELIADK, Tralti, p. 236 sq. (2) c r. par exemple A. C. KRUJT (KnuYT), I ndonesians (in J . H AST INGS, d., Encyclopedia of Reli,ioll and E'lhics, VII , New York, 1951, p. 232-50), p. 244; R. Moss, p. 106. Chez les 'l'oradja orientaux, huit ou neuf jours aprs un dcs, le chaman descend dans le monde infrieur afin de ramener l'me du trpass et de la conduire au ciel dans une barque (B O. Quaritch WALE S, Prehistory, p. 95 sq., d'aprs N. Adria ni e l A. C. Kruyt) .

r..

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VOYAGES n'OUTRE-TOMBE CElEZ LE S DAYAK

Sans tre excutes par des chamans, les crmonies fun raires des Daya k maritimes ont qu elque rapport avec le chamanisme. Une pleureuse professionnelle, dont la vocation a nanmoins t dcid e par l'appa rition d' un dieu en rve, rcite long uement (le rcit dure parfois douze heures) les prip ties du voyage du trpass dans l'au-del_ La crmonie a lieu immdiatement aprs le dcs. La pleureuse s'assoit a uprs du cadavre et rcite d'une voix monotone, sans l'aide d'au cun instrum ent musical. Le but du rcit est d'viter que l'me du mort ne s'gare dans son voyage vers l'Enfer. En effet, la pleureuse joue le rle d' un psychop ompe, bien qu'elle n'accompagne pas ellemme le mort j mais le texte ritu el co nstitue un itinraire assez prcis. La pleureuse cherche avant tout un messager pour transmettre l'EnCer la nouvelle de l'arrive prochaine d'un nouveau venu . Vainement s'adresse-t-elle a ux oiseaux, aux btes sauvages, aux poissons : ils n'ont pas le courage de Cranchir la Crontire qui spare les vivants des morts. Enfin, l'Esprit du Vent accepte de C aire parvenir le message. 11 s'engage dans une plaine sans fin ; il monte dans un arbre pour chercher son chem in, car il Cait sombre et de tous les cts s'tendent les sentiers qui mnent aux EnCers ; en effet, il y a 77 X 7 chemins conduisant a u roya ume des morts. Au sommet de l'arbre, l'Esprit du Vent dcouvre le meilleur sentier; il abandonne sa Corme humaine et s'lance comme un ouragan vers l'EnCer. Les morts, effrays par cette tempte subite, s'inquit ent et lui en demandent le motif. Un tel vient de mourir, rpond l' Esprit du Vent, et il C aut se hter d'en ame ner l'me. Joyeux, les esprits sautent dans une barque et rament avec un e telle C orce qu 'ils tuent t ous les poissons rencontrs sur leur chemin. Ils arrtent la barque devant la demeure du mort, se prcipitent et saisissent l'me qu i, effraye, se dbat en criant. Mais, avant mme d'atteindre les rives de l'Enfer, eUe semble apaise. La pleureuse achve son chant. Son rle est accompli: en racontant toutes les prip ties de ces deux voyages extatiques, elle a, en ralit, guia le mort vers sa nouvelle demeure. Le mme voyage dans l'audel est racont par la pleureuse l'occasion de la crmonie pana, quand elle fait passer en Enfer les offra ndes de nourriture pour les morts; c'est seulement aprs la crmonie pana que les trpasss prennent conscience de leur nouvelle condition de morts. Enfin, la pleureuse invite les mes des morts au grand Cestival Cunraire gawei anl .. qui se clbre de un quatre ans aprs le dcs; un grand nombre d' invits se rassemblent et les morts sont censs tre prsents. Le chant de la pleureuse dcrit comment ils quittent joyeusement l'EnCer, s'embarqu ent et se prcipitent au banquet (1) .
(11 La plupart des textes et rcits des pleureuses dayak ont t publis par l' Archdeacon P~RHAM dans son Manan ,ism in Borneo (el republis, sous une forme abrge, par H. Lmg ROTH, Tk Natives o( S arawak and British North B orneo, l, p. 203 sq.l el par le Rv. W ..HOWE~L, A Sea.Daliak D il'.e (e Sarawak Museum Journal ., l, 1911 , p. 5-73), article qUI nous a t lIlaccesslble et que nous connaissons par les

videmment, toutes ces crmonies Cunraires n'ont pas un caractre chamanique; il n'existe pas, au moins dans le pana et le gawei antu., de re.lation directe de nature mystique entre le mort et la pleureuse qui dcrit les voyages dans l'nu-del. En somme, nous avons affaire ici avec une littrature rituelle qui conserv e les schmas des descentes a ux EnCers, qu'elles soient chamaniques ou non. Ma is il faut se rappeler que le chaman, altaque ou autre, cond uit lui aussi les .mes des morts dans l'Enrer ; et, comme nous venons de le voir , dans tout l'espace indonsien la t barque des trpasss .. - laquelle on a fait continuellement all usion dans les rcits Cunraires que nous venons de rsumer - est par excellence un moyen chamanique de voyage extatique. La pleureuse elle-mme, bien que n'ayant aucune Conction magico-religieuse, n'est pas pour autant un personnage proCane . Elle il t choisie pa r un dieu, elle a eu des rves rvlat eurs. E lle est d'un e manire ou d' une autre un e voyante " un e inspire l, qui assiste en vision aux voyages inCernaux et, partant, connait l'autre monde, sa top ographie et ses itinraires. : Morphologiquement, la pleureuse dayak se sit ue sur le mme plan que les voyantes et les potesses du monde archa qu e indo-europen ; une certaine classe de crations littrai res traditionnelles drive des visions .. et de l' inspiration .. de teUes Cemmes choisies par les dieux et dont les rves et les rvesveills so nt autant de rvlations mystiques.
CHAMANISl\IE M LANSIEN

Il n'est pas question de rsumer ici les croyances et les mythologies mlansiennes qui servent de C ondement idologique aux pratiques des medicine-men. No us dirons simplement qu 'on peut distinguer, en gros, trois types de cultures en Mlansie, diffuss chac un par un des trois groupes ethniques qui semblent avo ir colonis (ou seulement travers) cet es pace: les Papouas aborignes, les conquera nts peau blanche qui ont apport l'agriculture, les mgalithes ct autres formes de civilisation et qui sont passs ensuite en Polynsie, et enfin les Mlansiens peau noire, les derniers arrivs dans les Iles (1). Les immilarges ex traits de H . M. el N. K. CJlADWICIt , Tk Growth o( Li/ua/ure, III, p. 488 sq. Sur les croyances eL coutu mes fun raires chez les Ngadj u Daya k du sud de Borno v. H . SCH ARER, Die Gotlesidee du Ngadju Dayak, p. 159 sq. ' (1) A . RIESB:'iFELD, The M egalithic Culture of Melanesia, p. 665 sq., 680, elc. On trouvera, da ns cet ouvrage, une immense bibliographie el l'examen critiq ue des travaux prcdents, eL spcia lement de ce ux de RIV ER!!, DRACON, LAYARD, Sr E1 SER. Pour les relations culturelles entre la Mlansie el l' In do nsie, voir F. SPEI SB R Melanesien und l lidomsien ; pou r les relalions avec la Polynsie (e l dans un sen~ anti-historiciste Il, voir R. W . WILLIAMSON, Euays i/~ Polynesian ethnology (Ralph PIDDI NG TON , d., Cam brid~e, 1939), p. 302 sq. Pour tout ce qui concerne la prhiStoire et les premires migra tions des Auslronsiens qui onl diffus leur culture ~gal ith iq ue et une ido!ogie sp~ci nque (la. chasse aux ttes, elc.) de la Chine mridionale la No uvelleGum e, vOIr le mmO ire de R. von H EIIU-GUDERN Urheimat u~d frh~sle Wanduun gen du Austronesiu, fi Anthropos . XXV II , 1932, p'. 543-619). D aprs . les recherches de ~IESENFELD, les .auteurs. de la culture mgalithique cn MlanSie semblent provenl~ d ' un. espace clrcons:crlt par Formose, les Phil ipp in es eL les Clbes (p. 668 ). VO ir maliltenanl J oachi m STEIlI.\', J/ eiligc M iI /I IIU ulld M edizilimiiTlncr ill M elanesiell (Diss., Cologne, 1905).

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grs peau blanche ont diffus une trs riche mythologie, centre sur un hros-culturel (Qat, Ambat, etc.) en relation directe avec le Ciel, que ce hros prenne comm~ pouse une le cleste dont il vole, et cache les ailes par prcautiOn, pour la pousUlvre enswte Jusqu au Ciel en escaladant un arbre, une liane ou une 1 chaine de fl cbes _, ou bien qu'il soit lui-mme originaire du Ciel (1). Les mythes de Qat correspondent aux mythes polynsiens de Tagarao et Maui, dont les rapports avec le Ciel et les tres clestes sont bien connus. Il est possible que le thme mythique du , Voyage cleste, aIt t applIqu aux nouveaux venus peau blanche par les aborignes Papouas, mais il serait vain d'expliquer l' origine)) d' un tel mythe (d'ailleurs universellement rpandu) par l'vnement historique de l'arrive ou du dpart des immigrs (2). Pour nous rpter, les vnements historiques, loin de crer les mythes, finissent par tre intgrs dans les catgories mythiques. Quoi qu'il en soit, ct des techniques de gurison magique dont l'archasme semble hors de doute, on constate l'absence d' une tradition et d'une initiation chamaniques proprement dites en Mlansie. Faut-il attribuer la disparition des initiat.ions chamaniques au rle considrable des socits secrtes base initiatiq ue: c'est possible (3). En tout. cas, la (onction essentielle des medicine-men se limite aux gurisons et la divination. Certains autres prestiges spcifiquement chamaniques (le vol magique, par exemple) restent l'apanage peu prs exclusil des magiciens noirs. (D'ailleurs, nulle part autant qu'en Ocanie, et spcialement en Mlansie, ce qu'on appelle en g nral le c chamanisme)) n'est aussi miett entre une multit.ude de groupes magico-religieux - o l'on peut distinguer les prtres, les medicine-men, les sorciers, les devins, les (t possds., etc.). Enfin, et ceci nous paratt important, nombre de motifs qui (ont partie, d' une manire ou d'u ne autre, de l'idologie chamanique, survivent uniquement dans des mythes ou des croyances funraires. Nous avons fait allusion, cidessus, au motif du hros-civilisateur qui communique avec le Ciel l'aide d'une*, chaIne de fl ches 1) ou d'une liane, etc. j nous aurons l'occasion d'y revenir (cl. p. 331 sq.). Notons aussi la croyance d'aprs la quelle le dfunt, en arrivant dans le pays des morts, subi t la mutilation suivante de la part du Gardien : on lui perce les oreilles (4). Or, nous avons vu que cette opration est spcifique des initiations chamaniques.

(~ cr. RIBUNPBLD, p. 78, 80 sq., 97, 102, et panim. (2 ~ que R IU"NPELD semble essayer de prouver dans son ouvrage au demeurant

a mlrable. J3) Le problme ost trop complexe pour que nous puissions J'aborder ici. 11 existe lOcontestablement une similitude morphologique fra ppante enLre toutes les formes d'initiation, initiations d'Age, initiations aux ~ocit~s secr ~es. ou initiations chamaniques. Pour donner un seul exemple, le candidat d une SOCit secr te de Malekula monte su r une plate-forme pour sacrifier un porc (A. B. DUCON, Mahula, p. 379 sq. ); or, on a vu (p. 11 3 sq.) que l'escalade d'une plate-forme ou d'un arbre est un rite particulier aux initiations chamaniques. (4) C. O. SELIG MAN, TM Altlane8ian8 of Bl'iti,h New Guinta (Cambridge, 1910) , p. 158, 273 sq. (Roro), 'p. 189 {Koital. Voir aussi Kira W&INBKRGBR-OO&BBL, MtlanesjscM Jenttiuledanktn (e Wiener Beitr9.ge l ur Kulturgeschichte und Linguistik . , V, 1943, p. 95-124), p. 114.

A Dobu, une des ties de la Nouvelle-Guine orient.ale, le sorcier est rput tre, brlant " et la magie est associe avec la chaleur et le feu, ide qui appartient au chamanisme archaique et qui a survcu mme dans des idologies et des techniques volues (voir plus bas, p. 369 sq.). C'est pour cette raison que le magicien doit maintenir son corps sec. et brlant. ; il s'efforce d'y parvenir en buvant de l'eau sale et en mangeant des mets piments (1). Les sorciers et 80rcires de Dobu volent dans les airs et, pendant la nuit, on peut voir les t races de leu qu'ils laissent derrire eux (2). Mais ce sont surtout les femmes qui volent car, Dobu, les techniques magiques sont rparties entre les deux sexes de la manire suivante: les femmes sont les vritables magiciennes, elles oprent directement par leur me, pendans que leur corps est plong dans le sommeil, et s'attaquent l'me de la victime (qu'elles peuvent extraire du corps, et puis dtruire) ; les sorciers oprent uniquement au moyen des charmes magiques (Fortune, ibid., p. 150). La diffrence de structure entre les magiciensrit ualistes et les extatiques revt ici l'aspect d'une division fonde sur le sexe. A Dobu, ainsi que dans d'autres rgions de la Mlansie, la maladie est provoq ue soit par la magie, soit par les esprits des morts. Dans un cas comme dans l'autre, c'est l'me du malade qui est attaque mme si eUe n'est pas ravie hors du corps mais simplement dtriore: Dans les deux hypothses, on lait appel au medecine-man qui dcouvre la eause de la maladie en regardant longuement dans les cristaux ou dans l'eau . On dduit que l'me a t ravie grce certaines manifestations pathologiques du malade; celui-ci dlire ou parle de bateaux en mer, etc. j c'est le signe que son me a qujtt le corps. Dans le cristal, le gurisseur peroit la personne qui a provoqu la maladie qu'elle soit vivante ou trpasse. On achte l'aut.eur du charme pou; dsarmer son inimiti ou on fait des offrandes au mort si on apprend que c'est lui la cause de la so uffrance (3) . A Dobu, la divination est pratique par tout le mond e, mais sans magie (Fortune, p. 155) ; de mme, tout le monde possde des cristaux volcaniques qui sont rputs voler par leur propre pouvoir s'ils sont laisss vue, et qui servent aux sorciers voir les esprits (ibid., p. 298 sq.). Il ne subsiste plus aucun enseignement sotrique touchant ces cristaux (ibid.), ce qui montre la dcadence du chamanisme masculin Dobu car il existe par ailleurs, un enseignement du mattre au novice pour tout ce qui concerne la science des charmes malfiques (ibid., p. 147 sq.). Dans ~oute la Mlansie, on commence traiter une maladie par des sacrifices et des prires adresss l'esprit du mort, afin qu'il reprenne la maladie . Mais si cette dmarche assume par les membres de la lamille choue, on lait alors appel un mane kisu, un, doc(1) R. .F. FORTUNE, SorcererB of Dobu. (Londres, 1932). p. 295 sq. (~ ). i bld., p. 150 sq., 296, elc. L'origine mythique du feu . partir du vagin d'une Vieille fomme (ibid., p. 296 sq.) se mbl e indiquer l'antriorit de la magie fminine

Sa)

~ar

rapport . la sorcellerie masculine. i bid., p. 154 sq. Sur la mthodo vada (meurtre par la magie), cf. ibid., p. 284. sq. ELIG IilAN', p. 170 sq .

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t eur .0Celui-ci dcouvre par des moyens magiques le mort qui a provoqu la maladie, et le prie de retirer la cause du mal. En CRS d'chec, on recourt un autre docteur. En dehors de la cure proprement magique le man. kisu frictionne le corps du malade et lui fait toutes sortes de m~ssages. A Ysabel et Florida, le docteur suspend un obj et pesa nt au bout d'un fil et se met prononcer les noms de personnes rcemment dcdes; quand on arrive celle qui est l'auteur de la maladie, l'obj et commence s'agiter. Le mane kisu demande quel ~ac~ifi ce il dsire : un poisson, un porc, un homme - et le trpass mdlque sa rponse de la mme manire (1) . A Santa Cruz, les esprits provo que~t les maladies en lanant des flches maglques, que le gurtSseur extralt par des massages (Codrington, p. 197). Dans les Iles Bank, on expulse la maladie par des massages ou par la succion j le chaman montre euille et lui donne ensuite au patient un fragment d'os, de bois ou une C boire de l'eau dans laquelle on a dpos des pierres magiques (2) . Le mane kisu applique la mme mthode divinatoire en d'autres occasions encore; par exemple, avant le dpart des pcheurs, on demande un lindalo (esprit) si la pche sera heureuse, et le bateau donne la rponse en s'agitant (Codrington, 210). A MoUav et en d'autres Iles de l'archipel Bank, pour dcouvrir l'auteur d'un vol, on utilIse un bton de bambou dans lequel niche un esprit: le bton se dirige de luimme vers le voleur (ibid.) (3). En dehors de cett e classe de devins et de gurisseurs, tout tre humain est susceptible d'tre possd par un es prit ou par un mort ; quand cela se produit, il parle avec une voix trange et il prophtise. La plu part du temps, la possession est involontaire: l' homme est avec ses voisins, traiter telle ou telle affaire; tout d'un coup, il commence ternuer et trembler. , Ses yeux jettent des regards farouches, ses membres se contorsionnent, son corps tout entier entre en convulsions, l'cume lui monte aux lvres. Alors on entend sortir de sa go rge une voLX", qui n'est pas la sienne, et qui approuve ou dsapprouve l'entreprise projete. Un tel individu n' utilise aucun moyen pour voquer l'esprit; ce dernier vient sur lui, ce qu'il croit, de son propre gr, son mana le domine et quand il s'en va, il le laisse compltement ' puis. (4). Dans d'autres rgions de la Mlansie, par exemple en NouvelleGuine, on utilise volontairement, et dans toutes les circonstances,
(1) R. H . COORINGTON, TM Melane.ia1l8 : StrJ.die. in TMir A"thropology and Follelore (Oxford , 1891), p. 194 sq. (2) I bid., p. '198 ; mme technique Fidji (ibid., p. 1). Sur les pierres magiques et les cristaux de quartz des sorciers mlansiens, voir SEL I GIIlAN, . ~. 284-85. (31 Le medicine-man Koila, cr. SELIGMAN, p. 167 sq.; Roro, Ibid., p. 278 sq. ; BarUe Bay, p. 59 1 ; Massim, p. 638 sq. ; dans les Trobri ands, p. 682. (~l CO ORINGTON, p. 209 sq. Dans l'Ile Lepers, on croit que l'esprit Tagaro infuse son pouvoir sp irit uel dans un ho mme pour qu e celui-ci puisse dcouvrir des c ~ oses caches et les rvler (ibid. , p. 210). Les Mlansiens ne con fondent pas la rolte qui , eUe a ussi, est possession par un tindalo - avec la vossession proprement dite, qui po ursuit un but: rvler quelque chose de precis.libld., p. 219). Pendan t la posseSSion, l'homme dvore une quantit considrable d' imenls et dmontre ses vertus magiques: il mange des charbons brillants, soulve d'normes rardeaux et prophtise (ibid., p. 2'1 9).

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1a po~session pa~ un J?arent mort. Lorsque quelqu' un est malade, ou qu on veut decouvnr quelque chose d'inconnu un membre de la famille prend l'image du dfunt auquel on veut' demander conseil sur ~es. genoux ?u sur son paule, et se laisse CI: possder li par l'me de celUl-Cl (1). Mats de tels phnomnes de mdiumnit spontane trs fr.quents en Indonsie .et en Polynsie, n'ont que des rapports s;lperfiCiels avec .Je chamamsme proprement dit. Nous avons cependant tenu les citer pou; rappeler le climat spirituel dans lequel se sont organIses les t echmques et les idologies chamaniques.

CHAMANISME POLYNSIEN

tec?mque : l'c ntr~ en contact avec les dieux ou les esprits, l'inspiratI~n ou I ~ possession par eux. Il est probable que certaines au moins des Idolog:lOS et des .techniques religieuses ont t influences par des Ides aSiatiques, maiS Je problme des relations culturelles entre la Polynsie et l'Asie mridionale est loin d'tre rsolu et de toute manire, on peut l'ignorer ici (2). 1 Nous devon.s remarquer. ds l'abord .que l'essentiel de l'idologie et de la techmque chamamques, saVOir la communication entre les trois zones cosmiques le long d'un axe se trouvant au Centre et la facult d'ascension ou de vol magique, est abondamment attest dans la mythologie polynsienne et continue de survi vre dans les croyances populaires. re~atives aux sorciers. Contentons-nous de quelques exemples; aUSSI bleD aurons-nous encore revenir sur ce thme mythique de l'ascension. Le hros Maui, dont les mythes se rencon(I) J. G. FRAZER, TM B elief in Im mortality and the Worship of tlu Dead (Londres S vol., 1913-2/1). l, p. 309. ' ~2 ) E. S. H ANDY (Pol~n~8an ReliK~on) avait essay de prciser ce ~u 'iI appelait les r e~x couches ~e la rel.iglOn polynslety-ne, l'un~ d'origj~e indienne. 1 autre ayant ses y~clR es .en .C hIn e..~alS ses comparaiso ns la.ienl Mlles sur des analogies plu tt d gRes , vOir la critique de PIDOINGTON. dans l e~ E".ay~ in Polynesian Ethnology e . W. WIL~r~MSON' ,. p. 257 sq. (S ur les analogtes aSlatlco-polynsiennes, cr. ibid . 268 sq). ~als t1 .es t IOcontestable que l'on peut tablir certaines squences culurelles en l ol,fn.sle et, partant, raire l'his toire de complexes culturels et mme rn0t:t trcr leur orlgtoe probable ; c~. p. ex .. Edwin., G. BURROWS , Culture-A rel1$ in PoZyne~,a .(e J ourn al or th e Po lyneslan Society ., XL IX Wellington 1 9~0 p 31.9-363) QUl dIScute jus tement les critiques prsentes par' PIDDIN'GTO~ \vo'r 'pluJs haut; 2 cur ~ 'I, n. 1). .Cependant, nous ne croyons pas que de telles tec lerchcs mal r t I~tr t, sOle,nt appeles rsoudre le problme des idologies chamaniqu~s e t Ses r~chOIQu~s de 1 ~xtase. Q,uan t a ux ventuels contacts entre la Polyn sie et l'Amqu e, vO ir la claire vue d ensemble de. J ames HOII.NBLL, Wtu There Pre-Columbian ontact Detween the People. of Oceama and South America? Le Chaman isme

pl us18~rs cl~sses de spcialistes du sacr, ayant tous des rapports plus ou ~oms directs a.vec .les dieux et les esprits. En gros, on a a fTaire t~OI.S grandes categorIes de fonctionnaires religieux : les chefs divins (ankt), les prophtes (taula) et les prtres (tohunga), mais il faut y ajouter les gu~nsse urs, les sorciers, les ncromants et les possds li 8pont~ns qUi, tous, utilisent en fin de compte ' peu prs la mme

E? Polynsie,

les choses se compliquent encore du fait qu'il existe

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ET EN OCtANIE

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trent dans toute l'aire polynsienne et la dbordent mme, est connu pour S8S ascensions au Ciel et ses descentes aux Enfers (1). Il s'envole sous la forme d'une colombe et, quand il veut descendre aux Enfers, il enlve le pilier central de sa maison et, par l'ouverture, il sent le vent des rgions infrieures (2). Nombre d'autres mythes et lgendes parlent d'ascension au Ciel au moyen de lianes, d'arbres ou de cerfs-volants, et la signification rituelle de ce jeu indique, partout en Polynsie, la foi dans la possibilit d'une ascension cleste et le dsir correspondant (3). Enfin, comme partout ailleurs, les sorciers et les prophtes polynsiens sont rputs pouvoir voler dans les airs et parcourir en un clin d'il des distances immenses (Handy, p. 164). Il nous faut aussi rappeler une catgorie de mythes qui, sans appartenir l'idologie chamaniste proprement dite, rvle pourtant un thme chamanique essentiel : celui de la descente d' un hros aux Enfers afin de ramenit l'me de la femme bien-aime. Ainsi le hros maori Hutu descend aux Enfers la recherche de la princesse Pare qni s'tait suicide cause de lui. Hutu rencontre la Grande-Damede-la-Nuit, qui rgne sur le Pays des Ombres, et obtient son aide: elle le renseigne sur le chemin prendre et lui donne une corbeille de vivres pour qu'il ne touche pas aux mets de l'Enfer. Hutu retrouve Pare parmi les ombres et russit la ramener avec lui sur la terre. Le hros rintgre ensuite l'me dans le corps de Pare, et la princesse ressuscite. Dans les Ues Marquises, on raconte l'histoire de la bienaime du hros Kena, qui s'tait, elle aussi, suicide parce que son amoureux l'avait gronde; Kena descend aux Enfers, capture son me dans une corbeille et retourne sur la terre. Dans la version de Mangaiana, Kura se tue accidentellement et est ramene du pays des morts par son poux. A HawaI, on parle de Hiku et de Kawelu, dont l' histoire ressemble celle de Hutu et Pare de la Nouvelle-Zlande. Abandonne par son amant, Kawelu meurt de chagrin . Hiku descend aux Enfers le long d'un cep de vigne, s'empare de l'me de Kawelu, l'enferme dans une noix de coco et revient sur terre. La rintgration de l'me dans le corps sans vie se fait de la manire suivante: Hiku force l'me dans l'orteil du pied gauche puis, en massant la plante du pied et le mollet, il finit par la faire passer dans le cur. Avant de descendre aux Enfers, Hiku avait pris la prcaution d'oindre son corps avec de l'huile rance, afin de sentir le cadavre, chose que n'avait faite Kena, qui avait t immdiatement dcouvert par la Dame des Enfers (Handy, p. 81 sq.). Comme on le voit, ces mytbes polynsiens de descente aux Enfers se rapprochent plutt du mythe orphique que du chamanisme proMaul-ofa-Thou,and-Trielr,.- Jlis Oceanie and European BIOBrapMr~ (1 Be!"O-ice P.. Bishop Museum Bulletin " 198, Honolulu, 1949 ). Sur le thme de 1 ascenSion, vOir N . K . CBADWICK., Nok. on Polyne,ian MytholoKY. (2) HANDY, Polynuian Religion, p. 83. La descente aux en fers sous la lorme d'une colom~e, .N: K. CH~DWIC-:. TM Xik .- A "udy in Polynesian Tradition, p. 478. (3) VOIr Ibid. , pasllm. VOlt aussi plus ha.s, p. 972 aq.
~) On trouvera tous ~tharin e LUOIIAU,

les mythes et une riche documentation dans le volume de

prement dit. On a eu d'ailleurs l'occasion de retrouver le mme motif dans le folklore nord-amricain (cf. p. 248 sq .). Remarquons nanmoins que la rintgration de l'me de Kawelu se droule suivant le procd chamanique. Et la capture do l'me descendue aux Enfers rappelle elle-mme la manire dont s'y prennent les chamans pour cbercher et attraper les mes des malades, qu'elles soient dj entres dans le Pays des morts, ou simplement gares dans des rgions lointaines. Quant l' u odeur des vivants ", c'est un thme folklorique largement rpandu! intgr soit aux mythes du type orphique, soit aux descentes chamamques. Nanmoins, la majorit des phnomnes chamaniques polynsiens sont d'un ordre plus particulier; ils se rduisent la plupart du temps une possession par les dieux ou les esprits, gnralement demande par le prtre ou le prophte, mais pouvant aussi se produire spontanment. La possession et l'inspiration par les dieux est la spcialit des taula, des prophtes, mais elle est pratique aussi par les prtres et Samoa et Tahiti, par exemple, elle est accessible tous les chefs de famille; le dieu patron de la famille parle habituellement par la boucbe du chef vivant de celle-ci (Handy, p. 136). Un taula atua prtend communiquer avec ses frres dfunts. Il se dclare capable de les voir clairement et, quand a lieu l'apparition, il perd connaissance (Loeb, The Shaman of Niue, p. 399 sq.). Dans son cas, ce sont les esprits de ses frres qui lui rvlent les causes et les remdes de la maladie, ou qui lui indiquent si le patient est condamn. Mais on a gard le souvenir d'une poque o le chaman tait possd des dieux seuls, et non pas, comme aujourd'bui, possd des esprits (ibid. p. 394). Bien que reprsentant plutt la tradition ritualiste de l~ religion, les prtres (tohunga) ne sont nullement exempts d'expriences extatiques; ils sont mme tenus d'apprendre les arts magiques et la sorcellerie. Fornander parle de dix collges de prtres Hawal : trois sont spcialiss dans la sorcellerie, deux dans la ncromancie, trois dans la divination, un dans la mdecine et la chirurgie, un dans la construction des temples (Handy, p. 150). Ce que Fornander appelait des collges tait plutt dilTrentes classes d'experts, mais ~ette information montre que les prtres recevaient galement une lOstruction magique et mdicinale qui, en d'autres rgions, tait l'apanage des chamans. Les gurisons magiques sont, d'ailleurs, pratiques aussi bien par les taula que par les tohunga. Le prtre maori, appel en cas de maladie, s'elTorce d'abord de dcouvrir le chemin par lequel est venu le mauvais esprit du monde infrieur; cet elTet, il plonge la tte dans l'eau. Le chemin est gnralement la tige d'une plante, et le tohunga la prond et la pose sur la tte du malade; il rcite ensuite des incantations pour que l'esprit quitte sa victime et retourne aux rgions infrieures (ibid., p. 244). A Mangareva, ce sont aussi les prtres qui se chargent des gurisons. La maladie tant habituellement provoque par la possession d'un dieu de la famille Viriga, les proches du malade consultent immdiatement un prtre; celui-ci faonne un petit canot

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U: CII A MAi'i' IS ME UAN S LE SU V EST DE

L'AS I E

ET EN OC A NIE

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en bois et le porte la maison du patient, priant le dieu-esp rit de quitter le corps et de s'embarquer (1)_ . Comme nous l'avons dit, la possession par les dieux ou les caprI.ta est une particularit de la religion extatique polynsienne. Tant qu' ils sont possds, les prophtes, les prtres ou les Simples m ~d.lUms sont considrs comme des incarnations divines et sont traItes en consquence. Les inspirs sont comme des . vases,. dans !esquels entrent les dieux et les esprits. Le t erme maori waka donne c)81rement entendre que l'inspir porte le dieu en lui comme un canot porte son propritaire (Handy, op. cil., p. 160). Les manifestations de l'incorp oration du dieu ou de l'esprit ressemblent celles qu'on observe partout ailleurs: ap rs une tape prliminaire de calme ~on ce ntra tion survient un tat frntique, pendant lequel le mdIUm parle avec une voix de tte, entrecoupe de spasmes; ses paroles sont oraculaires et elles dcident de l'action entreprendre, car les consultations mdiumniques ont lieu non seulement pour apprendre queUe aorte de sacrifice tel dieu dsire, mais aussi avant de commencer une guerre, ou do partir pour un long voyage, etc. On dcouvre de la mme manire la cause et le traitement d'une maladie ou l'auteur d'u n vol. Il est inutile de reproduire les descriptions que les prem iers voyageurs et les ethnologues ont accumules sur la phnomnologie de l'inspiration et de la possession en Polynsie. On trouvera les descriptions classiques chez W. Mariner, Ellis, C. S. Stewart, etc. (2); Prcisons simplement que les sances mdlUmmques but prIve ont lieu pendant la nuit (3) et sont moins frntiques que les grandes
(t) Te Rangi HI l\OA (Peter H. Bun ), E lhnology MangareCla (1 Bernice P. Bishop Museum BuUelin,157, Honolulu, 1938), p. 475 sq . 1 y a lieu cep.endant de remarquer que le nom des prtres, il Mang'areva, est 'au.ra, v~le qUI co r~spo nd il taula (Sa moa et Tonga) , kaula (Hawaii) et taua (Iles MarqUises), t~rm es dSign ant, co ~m e nous l'avons vu , les 1 prophtes. (cC. HANDT , p. 159 sq.) . MalS il Mangarova la dlcho tomie religieuse n'est pas exprime par le couple tohunfa (prtreHaula (prophte), mais bien par le couple taura (prtre) et akarata {de vin. i cr. Honor LAV~L , Man ,areCla. L'/{i. toire ancienne d'un peupk polyn.ien (Brame-Ie-;om te et. ParlS, 1938 ), p. 309 aq. Les uns comme les autres sont possds par les dle~x, maiS les akarata obtiennenlleur lHre lia suite d'une inspiration so~da in e, suiVie d'une courte crmonie de conscration (cr. HIII. OA, p. 446 sq.) , landls que les 'aura ~nt longuem.en t initis dans une mar/lll (ibid., p. 443 ). Honor LAVAL (p. 309) et d autre~ aulorlts encore affir ment qu'il n'existe pas d'initiation pour les akarala i nanmOinS, HIR OA P. 446 sq.) a prouv que le crmonial d'ins tall ation (qui dure cinq jours, et pendant equel le prLre invite les dieux rsider dans le corps du nophyte) ~ la s tru c~u re d'une initiation. La ~ande di fTrence entre les. prtres. eL I~ devms consis te . en la vocation extatique extrmement accentue de ces de rRlc~. (2) Sances il Tahiti, William ELLIS, Polyne.ian lle.ta:rche. dW'ln( a Rt8ltlence of Nearly Eighl Yea:r. in .Iu Society and Sandwich 1814nc (3' d., Londres, 4 .vol., 1853), l , p. 373~74 (convulsions.. c~is, . ~ots incom prhensibles que les pNHres dOivent interprter, etc.); Iles de la Socate: Ib id., l, p. 370 sq. i J . A. M onE~ ll ouT, Voyase. a U% tk. du Grand Odan (Paris, 2 'Y0l., 1837)., l , p. i 1I~ M ~rquises: C. ~. SnWllT, A Vuit ' 0 tIu South Suu, ln tlu United. State. Sh,p Vancenne., dur,ng the Yeal". 1829 and 1830 (New York, 1831 i Londres, 1832; 2 vol.), l , p. 70 i Tonga : W MAIU l'fICR An A ccounl of lM NatiCles of lM Tonga l d aru, (Londres, 181 7; Doslon, 1820; 2 voL), l , p. 86 sq ., 101 sq., etc. ; Samoa, Hervey Jsla~ds : ~obert W. W~L. LUMSON, Reli,iofi and Social Ol"ganiution in Ctlllral Polyne.,a (dit par R. Plddinglon, Cambridge, 1937), p. 112 sq. i Puk apuk.a: E. et P. BBA GL EfloLP., Ethnology of Pukapuha (1 Bernice P. BiShop Museum Bulletm l,HO, Honolulu, 1938, p. 323 sq. i Mangarcva : HIR O,,", op. cit., p. 444 sq. . . (3) Voir la descri ption d'une de ces sances dans BAN DY, The Nalwe Culture an ,he Mal"que.a.8 (1 Bernice P . Bishop Museum Bulletin l, 9, Honolu lu, 1923), p. 265 sq.

0l

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sances publiques, tenues en plein jour, pour connaUre la volont des dieux. La difTrence .entre un po.ssd apont.an et te~po raire et un prophte, rSide dans le fait que ce derOler est touJours inspir par le mme dieu ou le mme esprit, et qu'il peut l'incor~orer volontai rement. En efTet , on procde la conscration d'un nouveau prophte la suite d'une authentification officielle de l'espritdieu qui le domine ; on lui pose des questions et il est tenu de prononcer des oracles (1) . Il n'est pas reconnu comme taula ou akarata tant qu'il n'a pas fait la preuve de l'authenticit de ses ex priences extatiques. S'il est le reprsentant (ou, plutt, l'incorporation) d'un grand dieu, sa maison et lui-m me deviennent tapu et il jouit d'~ne situation sociale considrable, galant ou dpassant mme en prestIge celle du chof polit ique. Parfois, le fait d'incarner un grand dieu se traduit par l'obtention de pouvoirs magique supranatu rels; le prophte des tles Marquises" par exen:tple, peut j e n~r un mois; il est capable de dormir sous 1 eau et VOIt les choses qUi se passent de grandes dist ances, etc. (Ralph Linton, p. 188). A ces grandes classes de personnages magico-religieux, il fa.ut ajouter les sorciers ou les ncromants (tahu , kahu, etc.), dont la spCIalit est d' avoir un esprit auxiliaire (<< familiar ) qu' ils se procurent en l'extrayan t du corps d' un am i ou d'un parent dcd (2). Ils sont gurisseurs comme los prophtes et les prtres; on les cons?lte g~e. ment pour dcouvrir des vols (p. ex. dans les Ues de la SOCIt), bIen qu'ils se prtent souvent des oprations de magie noire. (A Hawal, le kahu peut dtrui re l'me de la victime en l'crasant entre ses doigts, Handy, Polynesian Religion, p. 236; Pukapuka, le tangata wotu a le pouvoir de voir les mes qui vagabondent pendant le sommeil, et il les tue parce que ces mes se prparaient peut-tre causer la malad ie, E. et P. Beaglehole, p. 326.) La diffrence essentielle entre les sorciers et les inspirs, c'est que les premier8 ne sont pas possds par les dieux ou par les esprits mais ont, au contraire, leur disposition un es prit qui fait pour eux le travail magique proprement dit. Aux lles Marquises, par exemple, on fait nettement la distinction entre: 10 les prtres ritualistes, 20 les prtres inspirs, 30 les possds par les es prits, et 40 les sorciers. Les , p08Bds ont, eux aussi, des relations suivies avec certains e.sprits, .mais ces relations n'aboutissent pas leur confrer des pouvOIrs magIques Ceux-ci sont le monopole exclusif des sorciers, qui peuvent tre lus par les esprits ou acqurir la puissance par l'tude et par l'assassinat d'un proche parent dont l'me deviendra leur serviteur (R. Linton, p. 192). e Enfin il faut aussi rappeler que certains pouvoirs chamaniques B transmettent par hrdit l'intrieur de certaines familles. L'exem(1) A Mangareva : Huto A , op. cil., p. 444; aux Iles Marquiael : Ralph LINTON, dans Abraham KUDIN'U, d., The InfliClidual and H u Society (New York, 1939), ~.1 8'~ . .. .. . (2 ) Sur les magiciens eLleur art, voi r H"'NDY, Polynu lan Rd'~lon (HawaII, MarqulIes), p. 235 sq. i WILLUUON, op. cir., p. 238 sq. (Ues de la SoCit) i HI Ra., p. 473 sq. (Mangareva) i E. et P. BUGLIHOLa, p. 826 (P ukapuka ), etc.

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ET E N OCANIE LE CHAMANISME DAN S LE s un EST D E L'AS I E

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pIe le plus illustre qu'on puisse citer est le pou voir de marcher sur les charb ons a rd ents ou sur des pierres chaufTes blanc, pouvoir rse rv certaines familles des Fidji (1). L'authenticit de tels exploits est hors de doute ; nombre de bons obser vat eurs ont dcrit le miracle )l , aprs avoir pris toutes les garanties d'obj ectivit. Mieux encore, les chamans fidjiens peuvent rendre insensibles au feu la tribu entire et mme des trangers. Le mme phnomne a t enregistr ailleurs, par exemple dans l'Inde mridionale (2). Si l'on se rappelle que les chamans sibriens passent pour avaler des charbons ardents, que la chaleur et le feu sont des attributs magiques prsents dans les couches les plus arohBiques des socits primitives, que des ph nomnes analogues se rencontrent dans les systmes suprieurs de magie et dans les t echniques contemplatives asiatiques (le Yoga, le tantrisme, et c.) on peut en conolure que le pouvoir sur le feu dont font preuve certaines familles fidjiennes appartient en droit au vritable chamanisme. Ce pouvoir n'est d'ailleurs pas limit aux nes Fidji. Sans avoir la mme intensit, et sans se manifester avec la mme envergure, l'insensibilit au feu a pu tre attest e propos de nombreux prophtes ou inspirs polynsiens. Cet ensemhle de constatations nous porte conclure que les t echniques chamaniques proprement dites se rencontrent d'une manire plutt sporadique en Polynsie (<< fire-walking ceremony Fidji, vol magique des sorciers et des prophtes, etc.), cependant que l'idologie chamanique est uniquement prsente dans la my thologie (l' ascension cleste, la descente aux Enfers, et c.) et survit, demi oublie, dans des crmonies en voie de devenir de simples jeux (le jeu des cerfs-volants). La conception de la maladie n'est pas celle du chamanisme proprement dit (la fuite de l'me) ; les Polynsiens attribuent la maladie l'introduction, par un dieu ou un esprit, d' un objet dans le corps, ou la possession. Et le traitement consiste dans Pextraction de l'objet magique ou dans l'expulsion de l'esprit. L'introduction et, symtriquement, l'extraction d'un objet magique font partie d'un complexe considrer, semhle-t-il, comme archaque. Mais en Polynsie la gurison n'est pas l'apanage exclusif du medicine-man, . comme en Australie et ailleurs; l'extrme frquence de la possession par des dieux et des esprits a rendu possible la prolifration des gurisseurs. Comme nous l'avons vu , les prtres, les inspirs, les medicine-men, les sorciers, peuvent t ous entreprendre la cure magique. En fait, la facilit et la frquence de la possession quasi mdiumnique ont fini par dborder de tous cts les cadres et les fonctions des u spcialistes du sacr ; devant cette mdiumnit collective, l'insti tution traditionaliste et ritualista du sacerdoce a d elle-m me modi(1) cr. p. ex. W . E. GUDGI ON, T e Umuri, 0 ,. FireWalking Ce,.emony (c The J ournal of th.e Polynesian Society ., VIII. 29, Wellington, 1899 , p. 5860) et au tres mmoires admirablement analyss par E. de MA RTI NO, Il mondo magico, p. 29 sq. Sur le cha maniame ~ ~idji, voir B. THOMP SON, Th, Figan. (Londres, 1908) , p . 158 sq, (2) Cf. Ohvler Luoy , Mil Hommell S alamandrell. R echerchea e l rf!ez iolU II U,. l'incombU8,ibiliu du CO" PII humain (Paris, 1931 ), pasll im.

on comportement. Seuls les sorciers ont rsist . la possession, eril sest probable que les rest es de l'idologie chamamque archalque :!nt chercher dans les traditions secrtes de ces dermers (1).
laiss de cOt le cham anisme africain: la prsenta tion des ~lmenls e:ha . (1) ?~~:s qu'on pourrait identifier dans les diverses religions et t,echmqu~s ~aglc~ Plf.n' euses africames nous aurait mens trop loin. Sur le chamamsme afrlcal~, vOir r;d~11 FRIBDRI CII, Af,.ikanucM Priesul'tilme,. (Stut~art, 1939) , P: 292-3~Sd' ~. ,F . N DEL A S,udy 01 Shamanu m in ,he Nu ba M ountalnl;' sur les diverses 1 0 O gl~S ttech~iques magiques, cf. E. E. E VANS -PRITCHARD, W't.chcral', o,.~~, andz,. Mit c e tM A.ande (Oxford 1937)' H B AU MA NN , Lihundu. Du Sek',on du u urr::r~~" Zei~chriCt fr Ethnologi~'., LX, Berlin, 192 8, p. 7~ .85}(; ~r~' N . 'ivYi~' lVitchcl'tl ft, D"ination and MaBle among tM Balovak T,.,be_ c rlca . , , Londres, 19li8, P, 81104), etc.

fi

CHEZ LES IND OEUROptENS

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CHAPITRE XI

IDOLOGIES ET TECHNIQUES CHMfANIQUES CHEZ LES INDO-EUROPENS

REMARQUES PRtLIMINAIRE S

Comme tous les autres peuples, les Indo-Europens eurent Jeurs magiciens et leurs extatiques. Comme partout ailleurs, ces mag iciens et ces extatiques remplissaient une fonction bien dfinie dans l'en semble de la vie magicoreligieuse de la socit. En outre, le magicien aussi bien que l'extatique disposaient parCois d'un modle mythique: ainsi, par exemple, on a vu en Varuna un Grand Magicien t ct en Odin (entre bien d'autres choses 1) un extatique d'un type particulier: JtVodan, id est furor, crivait Adam von Bremen , et on n'a pas manqu de retrouver un certain pathos chamanique dans cette dfinition lapidaire. Mais peut~on parler d' un chamanisme indoeuropen, dans le sens o l'on parle du chamanisme altaique ou sibrien? La rponse cette question dpend en partie de la signification que l'on donne au terme chamanisme . Si l'on entend par ce vocable n'importe qu el phno mne extatique et n'importe quelle technique magique, il va de soi qu'on trouvera nombre de traits chamaniques chez les Ind o~E uro pens comme d'aiBeurs, pour le rp ter, chez tout autre groupe ethnique ou culturel. Pour exposer, mme le plus brivement possible, l'norme dossier des techniques et idologies mag icoextatiques attes t es chez to us les peuples indoeuropens, il faudrait un volume sp . cial et de multiples comptences. Heureusement, nous n'avons pas aborder ce problme qui dborde de t ous les cts le sujet du prsent ouvrage. Notre rle se borne seulement chercher dans qu elle mesure les divers peuples indo-europens gardent des traces d' une idologie et d'une technique cha maniques dans l'acception stricte du terme, c'est;\dire v rifi ant quelques-unes de ses notes essentielles: l'ascen sion au ciel, ]a descente aux Enfers afi n de rame ner l'medu malade ou cond uire les trpasss, l'vocation et l' incorporation des (( es prits. pour pouvoir entreprendre le voyage extatique, la mattrise du Ceu ., etc. De telles traces subsistent chez presqu e tous les peuples indoeuropens et nous les recenserons dans un instant; leur nombre est pro-

bablement plus lev, car nous n'avons nullement la prtention d'avoir puis le dossier. Toutefois, deux remarques s'imposent au pralable : pour rpter ce que nous avons dj dit propos d'autres peuples et d'autres religions, la prsence d'un ou de plusieurs lments charoaniques dans une religion indoeuropenne n'est pas un indice suffisant pour considrer cette religion comme tant domine par le chamanisme ou comme ayant une structure chamanique. Deuximement, il faut aussi se rappeler que, si l'on prend soin de distinguer le chamanisme des autres magies et techniques d'extase primitives ., les survivances chamaniques qu' on peut dpister de-ci de-l dans une religion volue , n'impliquent nullement un jugement de valeur ngatif l'gard de telles survivances ou de l'ensemble de la religion dans laquelle elles se sont intgres. Il est utile d'insister sur ce point parce que la littrature ethnographique moderne a tendance traiter le chamanisme comme un phnomne plutt aberrant, soit qu'on le confonde avec la possession ., soit qu'on se plaise a mettre en lumire ses aspects de dgnrescence. Comme cet ouvrage l'a montr plusieurs reprises, dans bien des cas le chamanisme se prsente l'tat de dsintgration, mais rien n'autorise considrer cette phase tardive comme repr sentant le phnomne chamanique dans son ensemble. Il faut aussi attirer l'attention sur une autre confusion possible, laquelle on s'expose ds qu'au lieu de prendre pour objet d'tude une religion primitive t, on aborde la religion d'un peuple dont l'his toire est beaucoup 'plus riche en changes culturels, en innovations, en crations: on risque de mconnattre ce qu e l' histoire t a pu faire d' un schma magicoreligieux archaque, quel point son co ntenu spirituel a t transform et revaloris, et on continue d'y lire toujo urs la mme signification fi primitive . Un seul exemple suffira pour illustrer le danger d'une telle co nfusion. On sait que mainte initiation chamanique comport e des fi rves,. dans lesqu els le futu r chaman se voit tortur et co up en pices par des dmons et des mes de morts. Or des scnarios similaires se rencontrent dans Jlhagiographie chl' tienne, et notamment dans la lgende des tentations de saint Antoine: des dmons torturent, meurtrissent, coupent en pice les saints, les enlvent trs haut dans les airs, etc_ En fin de compte, de telles tentations quivalent une initiation t car c'est par elles qu e les saints transcendent la condition humaine, c'est~dire se sparent de la masse des profanes. Mais un peu de perspicacit suffit pour sentir la diffrence de contenu spirituel qui spare les deux schmas initia tiques., si rapprochs qu'ils puissent paratre sur le plan de la typo logie. Malheureusement, s'il est assez facile de distinguer les tortures dmoniaqu es d'un saint ch rtien de celles d'un chaman, la distinction est moins vidente entre ce dernier et un saint appartenant une religion non-chrtienne. Or il faut toujours tenir compte du fait qu'un schma archaque est capable de renouveler perptuellement son contenu spirituel. Nous avons rencontr dj un nombre assez impor~ tant d'ascensions clestes chamaniques, et nous aurons l'occasion d'en citer d'autres; nous avons vu galement qu'il s'agit d'une exp~

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IDtOLOGIES ET TECHNIQUES CHAMANIQUES

CHEZ LES INDO-EUROPEENS

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rience extatique qui, en Boi, n'a rien d' aberrant ~t ~~e ce trs ancien schma magico-religieux, attest chez tous les prlmItlfs, est au contraire parfaitement cohrent, 41 noble., pur. et, en, fin d,e com~te, beau . Par consquent, sur le plan o n~us a.v0Ds ~ltu 1 ascensIOn

vaient leur place ct d'autres pouvoirs et d'autres prestiges magico-

religieux; ils n'taient plus les seuls mettre en uvre les techniques
de l'extase et dominer idologiquement l'horizon entier de la spiritualit tribale. C'est un peu dans ce sens que nous imaginons la mise en place, des traditions chamaniques par le travail d'organisation

chamanique au Ciel, il ne serait nullement pjoratIf de dIre, par exemple, que l'ascension de Mahomet .tr~l;lit un conten~ ch~an~que. Nanmoins,en dpit de toutes les sunilltudes typologIques, ~ n est pas P,ossible d'assimiler l'ascensIOn extatlque de Mahomet 1 ascensIOn cl un
chaman altaque ou bouriate. Le contenu, la signification et l'orienta-

des croyances magico-religieuses, travail dj achev au temps de l'unit indo-europenne. Pour utiliser les schmas de Georges Dumzil,
les traditions chamaniques se seront groupes, dans leur grande majo-

tion spirituelle de l'exprience extabque du. prophte p~supposent


certaines mutations de valeurs rehgwuses qUl la rendent IrrductIble

rit, autour de la figure mythique du Souverain terrible, dont l'archtype semble tre Varuna, le Maitre de la magie, le grand Lieur . Ceci n'implique pas, bien entendu, que tous les lments chamamques
se soient cristalliss uniquement autour de la figure du Souverain ter-

au type gnral de l'ascension (1). ,.. . Ces quelques observations pralables s Imposal~nt au seuil de ce chapitre, o il sera question de peuples et de ~1Vihs~tlon s mfinIment plus complexes que ceux qui nous ont retenu Jusqu prsent. Nous

rible, ni que ces lments chamaniques aient puis, l'intrieur de la religion indo-europenne, toutes les idologies et les techniques magiques ou extatiques. Il existait, au contraire, et des magies et des techniques d'extase trangres la structure ohamanique " par exemple : la magie des guerriers ou la magie et les techniques d'extase

ne savons, avec certitude, :que trs peu de choses concerna,nt la p~

histoire et la protohistoire religieuses des Indo-Europens, c est-A-dIre


sur les poques o l'horizon spirituel de ce groupe ethnique taIt vraI-

semblablement comparable A celui de nombre de peuples dont nous avons parl. Les documents dont nous dispos?ns tmoignent de ,religions dj labores, systmatIses, parfOIS meme fossilises. Il s agIt
de reconnattre dans cette masse norme les mythes, les rites ou les teohniques de l'extase qui peuvent avoir une structure c.hamanique. niques de l'extase sont attests, sous une forme plus ou moins * pure" chez tous les peuples indo-europens. Mais nous ne croyons pas qu'on

en relation avec les Grandes Desses Mres et la mystique agricole, qui n'taient nullement charoaniques.
La deuxime raison qui nous semble avoir contribu diffrencier

les Indo-Europens des Turco-Tatars, en ce qui concerne l'importance accorde au chamanisme, serait l'influence des civilisations

orientales et mditerranennes, de type agraire et urbain. Cette


influence s'est exerce, directement ou indirectement, sur les peuples mdo-europens au fur et mesure que ceux-ci s'avanaient vers le Pro ohe-Orient. Les transformations qu'a subies l'hritage religieux

Comme nous le constaterons l'instant, de tels mythes, rItes et tec.h-

puisse dceler la dominante de la vie magi~o-religieuse. des IndoEuropens dans le chamanisme, constatatIOn d a utant plus Inatte.ndue que, morphologiquement et dans les grandes hgnes, la rehglOn mdoeuropenne ressemble A celle des Turco-Tatars: suprmatIe du DIeu
cleste absence ou moindre importance des Desses, culte du feu, etc.

des diverses immigrations grecques qui dferlaient des Balkans vers l'f:ge, sont un indice du phnomne trs complexe d'assimilation et de revalorisation qui a rsult du contact avec une culture de type
agraire et urbain.

On pourrait expliquer sommairement la .dilTrence qui spare les religions des deux groupes sur le pomt prCIS de la prd?mmance ou
de la moindre importance du chamarusme, par deux faIts rlOhes en

TECHNIQUES D'EXTASE CHEZ LES ANCIENS GERMAINS

consquences. Le premier est la grande innovation des Indo-Europens, brillamment mise en lumire par les recherches de Georges
Dumzil: la tripartition divine, correspondant aussI. bien une o!ga-

Dans la religion et la mythologie des anciens Germains, certains

nisation particulire de la socit qu' une conceptIOn systmatIque de la vie magico-religieuse, chaque type de dlvl~t. tant pourvu d'une fonction particulire et d'une mythologIe qUI lUI faIt pendant. Une telle rorganisation systmatique de l'ensemble de la vie magicoreligieuse, acheve dj dans ses grandes lignes A une po9ue ? les proto-Indo-Europens ne s'taient pas encore. spars, Imphqualt
assurment l'intgration de l'idologie et des exprIences chamaruques ; mais cette intgration se soldait par une spcialisation et, en fin de compte, par une limitation des pouvoirs chamaniques : ceux-ci trou(1) Sur les dinrentes valorisations de l'ascension, cf. ELtAD'!, My t'M" rble, et my,Ure" p. 183-&~.

dtails se laissent comparer des conceptions et des techniques du chamanisme nord-asiatique. Nous rappellerons les plus frappants. La figure et le mythe d'Odin - le Souverain Terrible et le Grand Magicien (1) - prsentent plusieurs traits trangement charoaniques .
Pour assimiler la sagesse occulte des runes, Odin reste neuf jours et

neuf nuits suspendu un arbre (Hyaml, v. 138 sq.) . Certains germanistes ont vu dans ce rite un rite d'initiation; Hofler (2) le compare
mme l'escalade initiatique des arbres par les chamans sibriens.

L'arbre sur lequel Odin s'est pendu, lui-mme ne peut tre que
(1) Voir l-dessus, O. DUMZIL, MytM' et dJIU th, Germain, (Paris, 1939). p. 19 sq., o l'on trouvera la bibliographie essentielle. Sur le chamanisme des anciens Germains, cr. Jan de VRIES, AllfumaniscM Religwn,gelehiehu (2' d.), l, p. 326 sq. (2) Otto HFLE R , KlJ,llisCM GeMimbnde der Gumanen, l, p. 23'. sq.

300

ID O LOG I ES ET TE CHNI QUES CH A MAN IQUES

CHEZ LES }l"lD O-EU n OPEEN S

301

l'Arbre Cosmiq ue, Yggdrasil : son nom veut d'a illeurs dire le ~ co ursier d'Ygg (Od in) , . Dans la tradition nordique, on appelle le gibet le .. cheval du pendu . (Haller, p. 224), et certains rites d'initiation germanique comportaient la .. pendaison It symbolique du candidat; cette co utume est abo nd amment atteste ai lleurs (cf. les indications bibliographiques dans ibid., p. 225, note 228 ). Mais Odin attache aussi so n cheval Yggdrasil, et on co nnait la difTusion de ce thme mythique dans l'Asie Centrale et Septentrionale (cf. plus haut, p. 212). Le co ursier d' Odin, Spleipnir, possde huit pattes et c'est lui qui porte so n maUre, et mme d'autres di eux (p. ex. Hermdhr), en EnCer. Or le cheval huit pattes est le cheval chamaniq ue par excellence; on ]e rencontre chez les Sibriens et aussi ailleurs (p. ex. les Murias), toujours en relation avec l'exprien ce extatique des chamans (voir plus bas, p. 364). Il es t vraisemblable, ainsi que le suppose Hofler (p. 46 sq., 52) que Sleipnir est l'archtype mythique d'un cheval jupon , polypo de remplissa nt un rle important dans le culte secret de la socit d' hommes (1). Mais ceci est un phnomne magico-religieux qui dborde le chamanisme. Parlan t de la lacult d'Od in de changer volont de lorme, Snorri crit: c son corps gt comme s'il dormait ou tait mort, mais il devient un oiseau ou une bte sauvage, un poisson ou un dragon , et voyage en un clin d'il dans de trs lointains pays ... , (2). On est lond rapprocher ce voyage extatique d'Odin sous des form es animales de la transformation des chamans en animaux car, tout comme ces derni ers lutta ient entre eux sous form e de taureaux ou d'aigles, les traditions nordiques font ta t de plusieurs combats entre magiciens so us forme de morses ou d'autres animaux i et, pendant le combat, leurs corps restaient inanims, de mme que celui d'Odin durant son extase (3). Bien entendu , de telles croyances se rencontrent aussi en dehors du chamanisme proprement dit, mai!~ le rapprochement avec les pratiq ues des chamans sibriens s'imposait, d'autant plus que d'aut res croyances scandinaves pa rl ent des esprits auxiliaires sous lorm e d'animaux perceptibles aux seuls chamans (Ellis, p. 128), ce qui nous rappelle encore plus nettement des ides cha maniques. On peut mme se demander si les deux corbeaux d'Odin, Buginn (. Pense . ) et Muninn (<< Mmoire . ), ne reprsentent pas, fortement mythiss, deux esprits a uxiliaires. forme d'oiseaux, que le Grand Magicien
(1) Sur les relations forgeron, 1 cheval _ - socit secrte, cf. ibid., p. 52 sq . Mme co mplexe religieux au J apon : cr. Alexa nder SLA wu:. , Kullische GeheimbUmJ.e du la paner IUld Gel'ma'Mn, p. 695. (2) Ynglinga Saga, VU ; cr. le co mmentaire de Hilda R. ELLIS, TM Road to H el, p. 122 sq. (3) Saga lfjlmths ok Oll'S (XX), cite par Hilda EL LI S, TM Road to H el, p. 123. Cr ibid., p. 1 ~UI , l' histoi re de deux matricien nes qui , pendant qu'elles restaient inanim es su r la 1 plate-forme d'in ca ntatIOn 1 (se idhjalll' ), taient vues sur la mer, une trs grande distance, chevauchant une ba leine; elles poursuivaient le bateau ~'ury hros et s'nppliquaien t le faire naufrager, mais le hros russit leur briser 1tpme dorsale et, cet instant prcis, les sorcires tombrent de leu r plate-form e e e~r:enl le do~ fractur. S aga S tul'lan g8 S ' al'fsama (X Il ) raconte comment deux ~a~~c~i.ns luttaient entre eux sous la forme de chiens et ensuite d'aigles (ibid. ,

env?yait ( la manire chamanique 1. .) aux quatre coins du mond e (1). C est toujours Odm qUI fonde la ncromancie. Sur son cheval Sleipnir, il pntre dans le Hel et ordonne un e prophtesse morte depUIs longtemps de se lever de la tombe pour rpondre ses questions (Baldrs Draumar, v. 4 sq . ; Ellis, p. 152). D'autres perso nnes ont pratiqu depuis ce genre de ncromancie (ibid., p. 154 sq.), qui, videmment, ? '.est pas du chamanisme stricto sensu, mais participe un horizon splrltuel fort rapproch. 11 faudrait citer aussi la divination avec la tte momifie de Mimir (Volusp, v. 46; Ynglinga Saga IV Ellis p. 156 sq.), qui lait songer la divination des Yukaghirs l'aide de~ crnes des anctres chamans (cf. plus hau t, p. 201). On devient prophte en s'asseyant sur les tombes et on devient c po.te . , c'est--dire inspir, en dormant sur le tombea u d' un pote (Elhs, p. 105 sq. , 108). Meme co utume chez les Celtes : le fil i mangeait de la chair crue d'un taureau, buvait de son sang et dormait ensuite envelopp dans sa peau i pendant son sommeil, des amis invisibles. lui communiquaient la rponse la question qui le trava illait (2) . Ou encore, on dormait directement sur la tombe d' un parent ou d'un anctre, et on devenait prophte (3). Typologiquement, ces co utumes se rapprochent de l'initiation ou de l'inspiration des fu turs cha mans et magiciens pasgant la nuit auprs des cadavres ou dans les cimetires. L'ide sous-jacente est la mme : les morts connaissent l'avenir ils peuvent rvler les choses caches, etc. Le rve joue parfois u~ rle similaire: dans la Csla Saga, le pote montre le sort de certains privilgis aprs la mort (XXII sq. ; Ellis, p. 74). Il n'est J?as qu es tion d'examiner ici les mythes et lgendes celtiques et g~rma fllques consacrs aux voyages extatiques da ns l'au-d el, et spCIalement aux descentes aux Enlers. Rappelons sim plement que les ides concernant l'existence aprs la mort, chez les Celtes comme chez les Germains, n'taient pas exemptes de contradiction. Les tradi~i~ns mentionnent . plusieu~s lieux de destination pour les trpasss, rejoIgnant sur ce pomt la lOI d'autres peuples la pluralit des sorts

(1 ) Ib id., p. 127. Parmi les a ttribu ts cham a,n iq u ~ d 'Od i~ , Alois Cl.OS S compte, l ~s deux loups, le nom de 1 Pre _ qu on lUi donnait (galdrs fadj, le pre de. la m?-~Ie ; Baldl's dl'aumal', 3, 3), le 1 .motif de. l'ivresse 1 et les Walkyries; cf. D./.e R.eh ,on des SemnonenstamT1M8 (1 Wiener Beltrge zur Kulturgeschichte und LmgulSlik l, IV, 1936, p. 54.9.?73), p. 665 sq., n. 62. N. K. CHADW ICK avait depuis longtemps vu dan s les Walkyries des cra tures mythiques plus proches des 1 loupsgarous .1 que des fes cl.estes ; cl. ELLIS, p. 77. Mais tous ces motifs ne so nt pas D ce~alrement cha mamques _. Les Walkyries son t des psychopompes et jouent par.rols le rO le des po uses.clest.es 1 ou des femmes-esprits 1 des cham ans sibriens; mal~ ~o u s av~ n s. vu qu e ce dermer. co mplexe dbord e la sp hre du chamanisme et partiC ipe aUSSI b.len la m ytho l ogl~ de la Fer~me qu' la mythologie de la Mort. Sur le ch.a manlsrn e .1 chez ~es a~clens ~ermallls, voir A. CLOSS, Die Religion der Germanen ln ethnologlscMr Sulu (In ChrLStus und die Religionen der Erde . Handbuch der Religion~geschic~te I! Vienne,.3 voL, 1951, Il , p. 267-366) , p. 2'96 sq. ; H. KIRCII NP.R , .El.n tll'ch,!olo g'8cher B eltrag ZUI' Ul'gesch tchte des $chaman isnius, p. 24 7, n . 25 (b ibliograp hie) ;. H. R. EI.l.IS DAVIDSON , Cotis and Myths of Nortlu:m Eurof.e (Har mondsworth-Dal hmore, 1963), p. 141-149 ( Od in as a Shaman 1) (2) 1homas ~. O'R~IIIL L Y , Early Iri. h f!" .tory a".d My thology (Dublin, 194'6), p. 323 sq ... VOir aussI quelques rfrences bibhographlques sur le chamanisme celte dans H . KlilCH 1'1 ER, p. 247, n . 24. (3) Cf. les textes dans ELL IS, p. 109.

en outre,

E:II

302

IDtOLOOlES ET TECHNIQUES CBAMAl"fIQUES

CHEZ LES INDO-EUROPENS

303

post-mortem. Mais, d'aprs Grimnismdl, le Hel, l'Enfer proprement dit, se trouve sous une des racines d'Yggdrasil, c'estdire au Centre du Monde . On parle mme de neuf tages souterrains; un gant prtend avoir obtenu sa sagesse en descendant. les neuf mondes infrieurs, (Ellis, p. 83). Nous rencontrons ici le schma cosmologique central-asiatique des 7 ou 9 EnIers correspondant aux 7 ou 9 Cieux. Mais ce qui nous semble plus significatif, c'est la dclaration du gant: il devient . sage, - o'est--dire clairvoyant - la suite de la descente aux Enfers, descente qu'on a, de ce fait, le droit de considrer comme une initiation. Dans le Gyl(aginning (XLVIII), Snorri nous raconte la descente de Herm6dhr da~s le Hel, mont sur le coursier d'Odin, Sleipnir, pour en rapporter 1 me de Balder (1). Ce type de descente aux Enfers est nettement chamanique. Comme dans les diverses variantes non-europennes du mythe d'Orphe, dans le cas de Balder la descente aux Enfers n'a pas donn les rsultats escompts. Qu'un tel exploit ait t considr comme possible, le Chronicon Nor.gia. le confirme: un chaman oherohait rapporter l'me d'une femme morte subitement lorsqu'il tomba mort lui-mme, frapp d'une terrible blessure l'estomac. Un deuxime chaman intervint qui ranima]a femme; celle-ci de raconter alors qu'elle avait vu l'esprit du premier chaman traverser un lac 80us1a forme d' un morse, lorsque quelqu'un lui avait port avec une arme .un c~up dont le rsultat se voyait sur le cadavre (Ellis, p. 126). Odon lUI-mme descend aux Enfers, sur son cheval Sleipnir, pour ressusciter la ii/a et apprendre le sort de Balder. Un troisime exemple de descente se trouve dans Saxo Grammaticus (Historia Danica l , 31) et a pour hros Hadingus (2) : une femme parait soudainement pendant qu'il dine et l'invite la suivre. Ils descendent sous la terre traversant une rgion humide et tnbreuse, trouvent un chemi~ battu sur lequel s'avancent des gens bien vtus, pntrent ensuite dans une rgion ensoleille o poussent toutes sortes de fleurs, et arrivent devant un fleuve qu'ils passent sur un pont. Ils rencontrent deux armes engages dans un combat que la femme dclare ternel : ce sont les guerriers tombs Sur les champs de batailles qui continuent leur hltte (3). Enfin ils arrivent devant un mur que la lemme essaye en vain de franch,,; elle tue un coq qu'elle avait apport et le jette par-dessus le mur; le coq revient ln vie, car l'instant suivant on entend son chant de l'autre ct du mur. Malheureusement Saxo interrompt ici sa description (Ellis, p. 172). Mais il en a assez dit pour qua, dans la descente de Hadingus guid par la femme mystrieuse noUl!! puissions retrouver le motif mythique bien connu: le chemin de~
(t) Herm6dhr chevauche dans des. valles tnbreuses et prorond cs pendant n eu~ nuits. et passe sur le pont Gjallar qui est pav d'or (ELLIS, p. 85 t 71 DUMtZlL LAI" {ParIS, 19'18', p. 53. " , (2) Voir G.,oUMtzIL, La Sala r HadinglU, Sou Gl'ammazclU l , (J,'iii, elc. (Bibliolhque de 1 cole des Hautes tudes, Section des sciences religieuses LXVI Paris 1953 ), pa..im. ' , ,
l"

morts, le fl euve, le pont, l'obstacle initiatique (le mur). Le coq qui revient la vie ds qu'il se retrouve de l'autre ct du mur semble indiquer la croyance que certains privilgis (c'est--dire initis .) au moins peuvent compter sur ]a possibilit d'un retour la vie t aprs la mort (1). La mythologie et le folklore germaniques conservent encore d'autres rcits de descentes infernales, o l'on peut galement retrouver les preuves initiatiques (p. ex. la traverse d'un mur de flammes t, etc.), mais pas ncessairement le type de la descente chamanique. Comme l'atteste le Chronicon Nor"egiae, ce type tait connu des magiciens nordiques et, si l'on songe leurs autres exploits, on peut conclure une ressemblance assez caractrise avec les chamans sibriens. On se contentera ici de faire allusion aux guerriers fauves ., aux berserkir qui s'appropriaient magiquement la fureur ,. animale et se transformaient en fauves (2). Cette technique d'extase guerrire, atteste chez les autres peuples indo-europens et dont on a aussi trouv des parallles dans les cultures extra-europennes (3), n'a que des rapports superficiels avec le chamanisme stricto sensu. L'initiation de type militaire (hroque) se spare, par sa structure mme, des initiations chamaniques. La transformation magique en fauve appartient une idologie qui dborde la sphre du chamanisme. On retrouvera les racines de cette idologie dans les rites de chasse des peuples palosibriens, et l'on verra (plus loin, p. 358) quelles techniques d'extase peuvent surgir d'une imitation mystique du comportement animal. Odin, nous apprend Snorri, connaissait et utilisait la magie dnomme seidhr : grce celleci, il pouvait prvoir l'avenir et causer la mort, le malheur ou la maladie. Mais, ajoute Snorri, cette sorcellerie impliquait une telle turpitude que les hommes ne la pratiquaient pas sans honte; le seidhr restait plutt l'apanage des gydhjur (<< prtresses ou desses lI) . Et dans le Lokasenna, on reproche Odin de pratiquer le seidhr, ce qui est indigne d'un homme (4).
(1) On pourrait rapprocher ce dtail enregistr par Saxo du rituel funraire d'un chet scandinave (. Rus ,) auquel avait assist le voyageur arabe Ahmed ibn Fadlan en 921 sur la Volga. Une des esclaves, avant d' tre immole pour pouvoir suivre son m~ttre, accomplit le rite suivant: par trois fois les hommes la, hjssre~t pour la faire regarder au-dessus du cadre d'une porle, et elle raconta ce qu elle avait vu : la premire rois, son pre et sa mre; la deuxime fois, tous ses parents; el la troisime rois, Bon maUre. assis a.u paradis '. Ensuite. on l!li donna une po~le, ~ t l'esclave lui coupa la tte qu'elle Jeta dans le bateau runratre (le bateau qUI allait se transformer peu aprs en son bl1eher). Cf. les texLcs et la bibliographie dans ELLIS, (J . 45 sq. (2) Voir G. DUMblL, MytM8 et dieux, p. 79 sq. ; id., Horace et les CUI'iate8 (les mythe. l'ornain.! ) (Paris, 19(12), p. 11 sq. (3) Cf. DUMP.zIL, Hora ce et le.! CUl'iaCe8, pa8sim; Stig WIKAND ER, Der ari8che MiinMI'bund \Lund, 1938). -Pa8sim; G. WIDENDRBN, Hochgottglaube im alten Iran (Uppsa a-Leipzig, 1938), p. 324. sq. . . . .. . . (4) Cf. Dag STRMBACJe Sejd. Teztltudle1' l nordlsh l'ellglon.shlllol'la, p. 33, 21 sq. ; Arne RUl"IBBu.a, WitChe8. Demons and Fertility Magic, p. 7. Strmback pense que le 8ejd (seidhl') a t emprunt par les anciens Germains au chamanisme lapon (p. 110 sq .. 121 sq .). Olof PETTEflSSON partage la mme opi nion; cr. Jabmek an.d JabrruaiTM : a Comparatipe Siudy of the Dead and the Realm of Ihe Dead in Lappuh Religion (Lund, 1957) , p. 168 sq.

(3) C'est la Wfilende Heer " thme mythique sur lequel voir Karl MElSEN Die Sag~n (Jom WUtenden Heer und Wilden J alel' (Mnster, 1935) i O. DUMblL, Mythe. clleuz, p. 79 sq.; HPLu, p. 154. sq.

CHEZ LES IND O-EUROPENS

305

304

IDEOLOGIES ET TECIINIQUE S C HAMA N I QUES

Les sources parlent des magiciens (seidhmenn) et des magiciennes (seidhkonltr), et l'on sait qu'Odin a appris le seidhr de la desse Freyja (1). Aussi y a-t-il lieu de supposer que cette sorte de magie tait une spcialit C minine; c'est pour cette raison qu'elle tait considre comme indigne d'un homme . .. En tout cas, les sances de seidhr dcrites dans les textes nous prsentent toujours une seidhkona, une sptikona (c clairvoyante ., prophtesse) . La meilleure description se trouve dans la Eiriks saga rautha; la spakona dispose d' un costume crmoniel assez volu: un manteau bleu, des bijoux, un bonnet d'agneau noir avec des peaux de chat blanc; elle porte aussi un bton et, durant la sance, s'assied sur une plate-forme assez haute, sur un coussin en plumes de poule (2). La seidhkona (ou viilva, spakona) va de ferme en ferme pour rvler l'avenir des hommes et prdire le temps, la qualit des rcoltes, etc. Elle voyage avec quinze jeunes filles et autant de jeunes gens qui chantent en chur. La musique joue un rle essentiel dans la prparation de l'extase. Pendant la transe, l'me de la seidhkona quitte son corps et voyage dans l'espace; elle prend le plus souvent orme d'un animal, comme le prouve l'pisode cit plus haut la C (p. 300, n. 3). Nombre de traits rapprochent le seidhr de la sance chamanique classique (3) : le costume rituel, l'importance du chur et de la musique, l'extase. Mais il ne nous parait pas indispensable de considrer le seidhr comme du chamanisme stricto sensu : le vol mystique a est un leit-motiv de la magie universelle et spcialement de la sorcellerie europenne. Les thmes spcifiquement chamaniq ues - descente aux Enfers pour ramener l'me du malade ou conduire le trpass - bien qu' attests, nous l'avons vu, dans les traditions de la magie nordique, ne reprsentent pas un lment capital dans la sance

du seidhr. Celle-ci, au contraire, semble se concentrer ~ur la d.ivination, c'est--dire, en fin de compte, relve plutt de la (( petite magie .
GRCE ANCIENNE

l ! Jan de VRIE!, Allgermanuche Rdigio/Uft!schichk (2' d.), l, p. 330 8q. 2 SnlhiDACK., p. 50 sq.; RUN'BBI!I\C, p. 98q. 3 STR1i8ACI. voit .dans le .eidlv un chamanisme au sens rigoureux; cf. la critiq ue de QULIURU, Studun ,;um Problem des SchamanumlU, p. 3'10 sq. ; id., ArktiSCMr Schamanumus und allnorducher seidlv (. Archiv filr Religionswissenschart *, X X XV l, 1939, p. 17180). Su r les traces du chamanisme nordique, ct. aussi Carl-Marlin EO!l)(.t.N , Akrspeflar Volusp 2 : 5-8 en sMmanistik ritual eller en kdtislr dlder,uer" (1 Arkiv fr Nordisk Filologl *, LXIII, Lund, t948, p. 1-54). Pour tout ce qui concerne les ~!lception8 ~agiqu~ . chez les Scandinaves, voir Magnus aLUN, .Le pr~tre ma~u:un et k duu-mat&Cun dan. la Norpfe ancienM (1 Revue de l'Histoire des RehglOns *, t. 111, 1935, p. 177-221 ; 1. 112, p. 5-49). A/'outons que certains t raita 1 ch~maniq u es . *, au s~ns large du terme, percent dans a trs complexe figure de Loki ; sur ce dieu, VOlt l'excellent. ouvrage de Georges DUllhIL, Lolri. Transform en jument., Loki en ranta , avec l'l.a.lon Svadhilfari, le cbeval . huit patles, Sieipnir (voi r les textes dans ibid., p. 28 sq.). Loki peut prendre diverses form es animales : phoque, saumon, etc. Il engendre le Loup e Lle Serpent du Mond e. Il vole aussi dansles airs aprs avoir revtu le costume de I?lumes de raucon ; mais ce vtement magique ne lui aPl'.arlient p~: il es~ . Freyj~ (ibid. , p. 35; voir aussi p. 25, lU ). On se rappelle que Fre,YJa a apprIS le seidlu- ~ Odm et. on co mparera cette tradition de l'art du vol magique e n ~e i~n ~ par u!1e ~esse (~ u un e magiCienne) ~ un ~ieu (ou un souverain), aUI lgeodes Similaires chmolSes IVOlt plus bas, p. 350). FreYJ8, lIlattresse du seidhr, possde un cost.ume magique en p umage ~ui lui permet. de voler de la mme faon que les chamans; Loki semble disposer d une magie plus tnbreuse, dont le sens est. nettement indiqu par ses transformations animales. Nous n'avons pas pu consult.er la thse de W. MUITER, Der Schamani.mus und .eine SplU'en in ckr SalO im deutscMn Brauch, Marchen und Glauben, (Diss., Graz) . '

Nous n'entamerons pas ici une tude des diverses traditions extatiques de la Grce ancienne (1). Nous ne ferons allusion q,:,'aux do?uments que leur morphologie peut rapproch~r du chamamsm~ stnc/a sensu. Inutile de rappeler les ba?chanales dlOnyslaq~~s pour 1 umque raison que les auteurs clasSiques parlent de l msens,bilit des bakhai (2); inutile de parler del'enthousiasmOs, des d,v?rses techruques oraculaires (3), de la ncromancie ou de la conceptIOn des Enfers. On trouvera l, bien entendu, des motifs et des techmques analogues celles que met en uvre le chamanisme, r:nais ces colnClde~ce8 s'expliquent par la survivance, en Grce anCIenne, d~ cor:ceptlOn~ magiques et de techniques archalques de l'extase de d,ffuslOn quasI universeUe. Nous ne parlerons pas davantage d?s mythes et des lgendes relatives aux Centaures (4) et aux prem,ers gurISseurs et mdecins divins, bien que ces traditions laissent perce:, l' ~ccaslO~, quelques faibles traits d' un certain chamanisme prImordial .. MaIS t outes ces traditions sont dj interprtes, labores, revalorlSes; eUes font partie intgrante de mythologies et de thologies complexes; eUes prsupposent des contacts, des mlanges, des synthses avec le monde spirituel gen et mme oriental, et leur tude rclamer31t beaucoup plus que les quelques pages de la prsente esq~,sse. , Remarquons que les gurisseurs, les devms ou les ex~atlques qu ?n pourrait rapprocher des chamans ne sont pas en relatIOn avec DIOnysos. Le courant mystique dionysiaque semble aVOIr ':lne t out autre structure : l'enthousiasme bachique ne ressemble pomt l'extase chamanique. C'est, au contraire, d'Apollon que se rclar;nent les quelques personnages lgendaires grecs supportant la comparmson avec
(1) Cf. Erwin RonDE, Psychi. Le Culte ck l'dme che~ tes. Grecs et kur croyan~e d fim mortalitl (trad . fran aise, Paris, 1928), p. 264 sq.; Ma:t.m P. NILSSON, Gesch&chu der riechuchen Religion (Munich, 2 vol.,1941-50), l , spCialement. p. 518 sqi,~.~!,, ment, E. R. DODDS a accord un rle important au cham 3;nisme scythe dans. 15 Ire de la spiritualit grecque; cf. The Grteks and the Irrahonal . (Sather Classlcal Lectures, XXV, Berkeley et Los Angeles , 1951l, ch. V (e The Ore~k ~I~amans 3:"d _th~ Origin or Puritanism *)\ p. 135. sq. Cf. aussi F. M. ORNFORD, PrwClpu.,!n Sa~Henha\ the Orjgi/U of Grt!ek Phllosophlcal Thouhl (Cambridge, 195~ l, p. 88 sq. ,W'C" URp'hEilR r OHL . Zum griechischen 1 SchamanismlU 1 (in 1 Rheimsches Museum ur . 0logie *, n. s., CV, Francfort.-surle-Main, 1962, p. 36-55) ; J. D. P. BOLTON, ArLStlGl of Proconne.1U (Ox.rord, 1962). (2) cr les textes groups par ROKDE, Psych, p. 278, n. 3 . . .. (3) Ri'en de 1 chamamque dans l'oracle de Delphes. et la mantique apolhnten~e ; voir le dossier et. les com mentaires tout rcents de Plerre AMANDR':, La Mantt9 ue apollinienne Il DelpJus. Essai sur le fonctionnement ck l'Orack (ParIS, 1950 : BibI. des ~coles Franaises d'Athnes et de Rome, fasc. 170), les text.e.s, p. 241-60. Pe.u t-on rapprocher le fameux trpied delphique de la plate-for me de la seldhkona g~rmaDlque 7 ( Mais c'est. normalement. Apollon qui est assi.s sur son trI;'ied. La Pythie ne prend qu'exceptionneUement sa place, comme substlt.ut de son dieu. (Amandry, p. 140). (4) Voir le beau livre de Georges DUM~IL, U Prob~me du cen~aures. ttruU. de mythowgit! compare indo-europenne (PariS, '1929) otJ. il est question de certaines initiations 1 chamaniques l, dans le sens large du terme. 20 Le Chamanisme

306

IDOLOGIES ET TE CIHilQU ES CIIAMA N IQU ES

CHEZ LES INDOEUROPENS

307

les chamans. Et c'est du Nord, du pays des Hyperborens, de la patrie originaire d'Apollon, qu'ils sont censs arriver en Grce (1).
C'est le cas , par exemple, d'Abaris. 1: PorLant dans ses mains la flche d'OT, signe de s& nature et de sa mission apolliniennes, il parcourait le monde, cartant les maladies au moyen de sacrifices, prdisant les tremblements de terre et les autres calamits (Rohde, Psych,

ment chamanique

J.

Ce sont les extases d'Epimnide, ses gurisons

magiques, ses puissances divinatoires et prophtiques qui le rapprochent du chaman. Avant de parler d'Orphe, jetons un regard aux Thraces et aux Gtes, c les plus vaillants des Thraces et les plus justes - au dire d'Hrodote (IV, 93). Bien que plusieurs auteurs aient reconnu en
Zalmoxis un chaman
J

p. 337). Une lgende postrieure nous le montre volant travers les airs sur son trait, comme Muse (ibid., p. 337, n. 1). La fl che, qui joue un certain rle dans la mythologie et la religion des Scythes (2), est un symbole du c vol magique (3). On se rappellera ce propos la prsence de la fl che dans mainte crmonie chamanique sibrienne (cf. par ex. , plus haut, p. 180). Aristas de Proconnse est galement en relation avec Apollon : il tombe en oxtase et le dieu lui c saisit li J'm e. Il lui arrive d'apparatre simultanment dans des lieux loigns les uns des autres (4) ; il accompagne Apollon sous la lorme d'un corbeau (H ro dote, IV, 15), ce qui nous fait songer aux transrormations chamaniques. Hermotimu8 de Clazomnes avait le pouvoir d'abandonner son corps c pendant de nombreuses annes li i durant cette longue extase, il v oyageait au loin et rapportait. une connaissance prophtique de l'avenir. Enfin ses ennemis brlrent son corps, qui gisait

(1), nous ne voyons aucune raison pour

accepter cette interprtation. La c dputation d'un messager Zalmoxis, qui avait lieu tous les quatre ans (Hrodote, IV, 94), aussi
bien que la .. demeure souterraine" o il disparut et vcut trois ans,

pour reparaltre ensuite et dmontrer aux Gtes l'immortalit de l'homme (ibid., 95), n'ont rien de chamanique. Un seul lment
semble indiquer l'existence d'un chamanisme gte : c'est l'information

de Strabon (VII, 3, 3 ; C, 296) sur les kapnobdtai mysiens, nom que l'on a traduit (2) par ceux qui marchent dans les nues " par analogie avec les derobdtes d'Aristophane (Les Nues, v. 225, 1503), mais qu'il laut traduire par ceux qui marchent dans la lume. (3). Il s'agit
vraisemblablement de la fume de chanvre, moyen rudimentaire

d'extase connu aussi bien des Thraces (4) que des Scythes. Les kapnobtltai seraient des danseurs et des sorciers gtes ayant utilis la lume
de chanvre pour les transes extatiques. Il est certain que d'autres lments .. chamaniques persistaient

inanim, et son me ne revint jamais plus (Hohde, p. 341, avec les sources, spc. Pline, Naturalis Historia, VII, 174). Cette extase a tous les aspects de la transe chamanique. Rappelons aussi la lgende d'Epimnide de Crte. Il avait longtemps dormi J dans la caverne de Zeus sur le mont. Ida; l , il avai t jen et appris les extases prolonges. Il avait quitt la caverne maitre
dans la .. sagesse enthousiaste J , c'est-A-dire dans la technique extatique. Alors .. il s'tait mis courir le monde, prat.iquant l'art de gurir,

dans la religion thrace, mais ce n'est pas toujours lacile de les identifier. Citons toutelois un exemple qui prouve l'existence de l'idologie et du rituel de l'ascension cleste par le truchement d'un esca-

lier. D'aprs Polyaenus (Stratagematon, VII, 22), Kosingas, prtreroi des Kebrenoi et des Sykaiboai (tribus thraces), menaait ses sujets de monter chez la desse Hra par une chelle de bois pour porter plainte la desse contre leur conduite. Or, comme nous l'avons dj
vu plusieurs fois, l'ascension symbolique au Ciel par un escalier

prdisant l'avenir en sa qualit de voyant extatique, ex pliquant le


sens cach du pass, et loignant, en sa qualit de prtre purificateur, les maux envoys par les dmons pour les crimes particulirement

graves (5). La retraite dans la caverne (= descente aux Enlers)


est une preuve initiatique classique, mais ell e n'est pas ncessaire11 ) w. K. C. OU TH IUE es t enclin croire qu'Apollon es t orig in aire du Nord-Esl de l'Asie, peul- tre de Sibrie ; cr. The Cf'eeka and Th eil' Cod. (Londres 1950' rimprim, Boslon, 1955), p. 204. ' , cr. Karl Ah uLt , Scytltiea, {' . 161 sq. ; DOD DS, p. 140 sq. (3 Sur les aulres lgendes simil aires chez: les Grecs, voir P. WOLTUS, D tf' ge.llUlelle Seltet; {dans. Sitz:ungsberichte der Akad emie der Wissenschaften ., Phil. hisl . Klasse l , Mumch, 1928). Sur le vol magique " voir aussi plus bas, p. 372 sq . ('-). Ct. R O BU , p. 338 sq. ; NIUSON , p. 584. Sur l'Arimtj.ptia , po me a tlribu Ar,:,las, voir MEU Lt , Scylltiea, p. 15ft sq. cr. aussi E. D. PIII LL IPS, T he u gtnd of Ar'! teCJ:6: Faet ~nd Fa~ in Eaf'ly Cru k Notion. of Etut R UoUia, Sibuia, and Jnner A . ,a (m Artlbus M lae " XVI l, 2, 1955, p. 16 177) , en particulier p. 176-77. (5) HO HDJI:, p. 342-43. DODDS pr tend q ue les fragments d'Empdocle reprsen leul 1 la seule source .de premire main partir de laquelle nous pouvons encore nous ~~~T~r une ce.rtame notion de ce quoi ressemblait rellement \In chama n grec ; Il ait le dermer exemple d'un e espce qui , sa morl, s'teignit dans le monde grec f!1me qu'el!e Oorlssail encore ailleurs. (The Crub and ,he /rra,ional, p. 145): . e mterprtatlon a t rej ete par Charles H. K .H I N : 1 L'me d'Em pdocle ne q:tte pas Ion corps co mm e celles d'H ermolime et d '~pi mnide. Il ne chevauche p une fl che, comme Abaris, ni n'apparatt so us ln forme d'un corben u, com me

est t ypiquement chamanique. Le symbolisme de l'escalier, nous le montrerons plus tard, est attest galement dan, d'autres religions du ProcheOrient antique et de la Mditerrane. Quant Orphe, son mythe prsente plusieurs lments qui se
Aristas. On ne le voit jamais deux endroits la fois, el il ne descend mme pas enfer, comm e Orphe el Pylhagore '; cr. Religion and Natuf'al Philo.ophy in Ernpedoc:le. ' D()(:trin~ of the Soul, (in 1 Archiv fr Geschichle der Philosophie " XLll, Berlin, 1960, p. 3-3 5) , en parliculier p. 30 sq. (1 Empedocles among lhe Shamaos ,). (1) Ct. p. ex . Ah uLI, Scythiea, p. 163; Alois CLOSS, D~ Relifion de. Semnonerut6rnmu, p. 669 sq . Sur le problme de ce dieu, voir Carl CUKBN, Zalmoxi. (dans. Zalmoxis " Il , 1939, p. 53-62) ; Jean COMAN , Zalmoxu (in ibid ., p. 79-110) ; Ion I. Ru ssu , Relif ia CetoDacilD f' (1 Anuarul Inslilulului de S tudii Clasice " V, Clu), 194 7, p. 61-131). On a essay rcemm enl de rhabiliter l'lymologie de ZalmoxlS avance par Porphyre (1 le dieu-ours. ou 1 le dieu peau d'ours .) ; cr. p. ex . Rhys CUPBNTBR , Folk Tale, Fiction and Sala in the Hornerie Epie. (Berkely el Los Angeles, 1946), p. 112 sq. (1 The cult of the sleeping bear .). Mais, voir Alfons NuaING, Studun ~Uf' indo fermani8clun Kul!ur und Urhrnat (1 Wiener Beilrage ZUt Kultur~eschi c hte und Linguis tik " IV, 1936, p. 7-229), p. 212 sq . (2) Vaslle PAIlVA.N , Cetica. 0 pf'Ow8Iof'ie a Daciei (Bucares t, 1926), p. 162 . J. COIIIA.N, Zalmoxi., p. 106. ~ Si loulefois l'on interprle en ce sens un passage de Pomponius Mela (2, 21) , 1 cil par ROUDE , p. 217 , n. 1. Sur les Scythes, voir plus loin, p. 310 sq.

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3/

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IDOLOGIES ET TECHNIQUES CUAMANIQUES

CHEZ LES INDO-EUROPENS

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laissent comparer l'idologie et la teohnique chamaniques. Le plus import.ant est, naturellement, sa descente aux Enfers pour en rapporter l'me de 80n pouse" Eurydice. Une versio,a. ~u ~ythe au moins ne fait p"s mention de 1 chec final (il. La poss,blht d arracher quelqu' un aux Enlers est d'ailleurs confirme par la lgende d'Alceste. Mais Orphe prsente galement d'autres traits d'un 1 Grand Chaman li : son art de gurisseur 1 son a mour pour la musique et pour les animaux ses charmes l , sa puissance divinatoire. Mme son caract re de 1 h:os civilisateur (2) ne contredit pas la meilleure tradition cbamanique : le c premier chaman n'tait-il pas le messager envoy par Dieu pour dfendre J'humanit contre les maladies et la civiliser? Enfin, un dernier dtail du mythe d'Orphe est nettement chamanique : coupe par les bacchantes et jete dans l' Hbron, la tte d' Orphe flotta en chantant jusqu' Lesbos. Elle servit ensuite d'oracle (3), comme la tte de Mimir. Or, les crnes des chamans yukaghirs jouent galement leur rle dans la divination (cf. cidessus, p. 201). Quant l'orphisme proprement dit, rien ne le rapproche du chamanisme (4), hormis les lamelles d'or qu'on a trouves dans des tombeaux, et qu'on a considres longtemps comme q.rphiqucs. Elles semblent plutt orphico-pythagoriciennes (5). En tout cas, ces lamelles contiennent des textes qui indiquent au mort le chemin prendre dans l'au-del (6); elles reprsentaient en quelque sorte un livre des morts . condens, et doivent tre rapproohes des textes similaires utiliss au Tibet et chez les Mo-So (voir plus loin, p. 348). Dans ces derniors cas, la rcitation au chevet du mort des itinraires funraires quivalait l'accompagnement mystique du chaman psychopompe. Sans vouloir presser la comparaison, on pourrait voir dans la gograpbie lunraire des lamelles orphico-pythagoriciennes le succdan d'une psychopompie de caractre chamanique. On se contentera d'une allusion Herms psychopompe; la figu re du dieu s'avre trop complexe pour pouvoir tre ramene un guide cbamani,!uc aux Enlers (7). Quant aux ailes d' Herms, symbole du vol magique, de vagues indices semblent pro uver que certains
(i) Ct. W. K. C. GUTIIRIB, Orphetu and Greek reli,ion: G StlUly of tM Orphie. MoWJ(Londres, 1935) , p. 31. ... (2) Voir le8 textes convenablement groups dans J ean COMU, Orphie, cwduatelU' c l'AumaniU (1 Zalm oxis . , l, 1938, p. 13076) ; la mU8iqu e, p. 146 sq. j la po6ie, p. 153 8q. j la magie, la mdecine, p. 157 sq . (9) OUTHIU B, Orpheu., p. 35 SQ. Sur les lments chamaniquca dans le mythe d'Orphe, ct. DODDS, p. 14.7 sq.; K. H ULTIlR.ANTI , The North Anurican lndian OrpMIU Traditwn, p. 236 8q. (.fa) Vittorio MA CC HIOilO \Za,reu. Studi inlol'IIO aU'o,. fmo, Florence, 1930, p. 291 sq.) compare l'atmo8phre re igieuse dans laquelle s'est form l'orphisme a vec la Ghoat,.. dance religion . et d'autres mouvements extatiques populaires j mais il n'y a l que dei rapporta fortuits avec le chamanisme proprement dit. (5) Voir ~-'ranl CUMONT, Lu.:tperpetua (Paris, 1949), p. 249 sq., "06. Sur le problme d'ensemble, cf. Karl Kn!Nvl, Pytha,or(J8 und OrphelU (3' d. , Albae Vigilae, n. S., I X, ZUrich, 1950). cr. les textes el le com mentaire dans OUTHRI8, Orphetu, p. 171 sq. , P. RA.INGURD, HermA. P'lIchafo,ue. Ea' .ur lu orifin" du culte d'lIerm 1 aris, 19351"; l ur les plumos d'H erm s, p. 38U sq .
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sorciers prtendaient munir d'ailes les mes des trpasss pour leur permettre de s'envoler vers les cieux (1). Mais nous avons alTaire ici l'ancien symbolisme de l'me = oiseau, compliqu et contamin par de nombreuses interprtations rcentes d'origine orientale, en relation avec les cultes solaires et l'ide -le l'ascension-apothose (2). Pareillement, les descentes aux Enlrs attestes dans les traditions grecques (3), de la plus illustre - celle qui constitua la preuve initiatique d' Hracls - jusqu'aux descentes lgend aires de Pythagore (4) et de Zoroas tre (5), n'ont pas la moindre structure cbamanique. On invoquerait plutt l'exprience extatique d'Er le Pamphilien, fils d'Armnios , enregistre par Platon (Rpublique, 614 B sq.) : Il tu sur le champ de bataille, Er revient la vie le douzime jour, quand son corps est dj sur le bcher, et raconte ce qu'on lui a montr dans l'autre monde. On a vu dans ce rcit l'influence des ides et des croyances orientales (6). Quoi qu'il en soit, la transe cataleptique d'Er ressemble celle des cbamans et son voyage exLatique dans l'au-del nous rappelle non seulement !'Ard Virt mais aussi nombre d'expriences chamaniques ". Er voit, entre autres choses, les couleurs du Ciel et l'Axe ;central, et (aussi le sort :des hommes fix par les toiles (Rp ., 617 D - 618 C); on pourrait rapp rocher cette vision extatique du Destin astrologique des mythes, d'origine orientale, de l'Arbre de la Vie ou du Livre Cleste " sur les leuilles ou les pages desquels tait inscrite la destine des hommes . Le symbolisme d'un livre cleste ", contenant la Destine et communiqu par le Dieu aux souverains et aux prophtes la suite de leur ascension au Ciel , est trs ancien et largement rpandu en Orient (7). On mesure quel point un mythe ou un symbole archalques peuvent tre rinterprts ; dans la vision d'Er, l'Axe Cosmique devient le Fuseau de la Ncessit et le Destin astrologique prend la place du livre cleste . Remarquons pourtant que la situation de

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ARl'fOBE, II, 33; F. CUMONT, Luz perpetua, p. 294 . (2 Ct. E. BICItBRMANN, Die r6mische KaiserapolMose (1 Archiv fUr R eligionswissensc art . , XXV II, 1929, p. 1-24) ; J. KnOLL, Die lIimmelfahr, der Seele in der Antike ( Co l o~ne, 11J31) j D. M. PIPPIDI, R echerchessur le culte impbial {Bucarest, 19391, p. 159 sq. j ,d., Apotho.e. impriale. et apothose de Prgrinos (1 Studi e materiali di storia delle religioni ., XX, Rome, 194 ' -1 9"' 8, p. " -1 03). Ce \',roblme dborde notre sujet, mais nous l'avons ellieu r en passant pour ra ppeler corn ien un symbolisme archatque (ici, le vol de J'Amo .) peut tre red couvert ou radapt par des doctrines qui ont l'air d'innover. (3) Sur tout ceci, voir J osef KROLL, Gou und lU11e (Leipzig, 1932), p. 363 sq. Ce mme ouvrage examine les traditions orientales et judo-chrtienn es de la descen te aux Enfers, qui n'o fTrent que de trs vagues ressemblances avec le cha manisme .tr;to sens u. (4) Cr. Isidore Ltvy, La Lgende rU Pythagore de Grce en Pale,tine (Paris, 1927), p. 79 sq. (5) Ct. J oseph BIDEZ et Franz CUM.ONT, Les Mages hellniss: Zoroastre, Ostams ee Hys/aspe d'aprs la tradition grecque (Paris, 1938, 2 voL ), l, p. 113 ; II, p. 158 (textes, . (6) VOir l'tal de la question et la discussion du problme dans J oseph BIDEZ, 110s ou Pla'on et l'Orient (Bruxelles , 1945), p. 43 sq. (7) Cf. Geo WIDE NGRRN, 7'he A scension of the Apostle of God and the H ea"enly Book, pcusim. En Msopotamie, c' ta it le Roi (en sa 'lualit d'Oint) qui recevait du dieu, et la suite d'une ascension, les Tablettes ou 0 Livre cles te (ibid., p. 7 sq.) j en Isrdl, Mose reoit les tables de la Loi de Yahveh (i bid., p. 22 sq.).

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mtoLOGIES ET TE CHNIQUES CHA"'fANIQUES

CHEZ LES INDO-EUROPEN S

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l'homme reste constante: c'est toujours par un voyage extatique, exactement comme chez les chamans et les mystiques des civilisations rudimentaires, qu'Er le Pamphilien reoit la rvlation des lois qui gouvernent le Cosmos et la Vie i c'est par une vision extatique qu'il est amen comprendre le mystre de la Destine et de l'existence d'aprs la mort. L'norme cart qui spare l'extase d' un chaman et la contemplation de Platon, toute la diffrence creuse par l'histoire et la culture, ne change rien la structure de cette prise de conscience de la ralit ultime : c'est travers l'extase que l'homme ralise pleinement sa situation dans le monde et sa destine finale. On pourrait presque parler d'un archtype de la II: prise de conscience existentielle " prsent aussi bien dans l'extase d'un chaman ou mystique primitif, que dans l'exprience d'Er le Pamphilien et de tous les autres visionnaircs du monde ancien qui ont connu, ici-bas dj, le sort de l'homme outre-tombe (1).

SCYTHES, CAUCASIENS, IRANIENS

Hcrodote (IV, 71 sq .) nous a laiss une bonne description des coutumes funraires des Scythes. A l' issue des Cunrailles on procdait des purifications: on jetait du chanvre sur des pierres surchauffes et on en respirait la Cume; c: charms d'tre ainsi tuvs, les Scythes poussent des hurlements (IV, 75). Karl Meuli (2) a trs bien mis en lumire le caractre chamanique de cette purification Cunraire; le culte des morts, l'usage du chanvre, l'tuve et les hurlements constituent en efTet un ensemble religieux spcifique, dont le but ne pouvait tre que l'extase. Meuli (ibid., p. 124) rappelle ce propos la sance altalque dcrite par Radlov (voir plus haut, p. 174) au cours de laquelle le chaman conduisait aux EnCers l'me d'une femme morte depuis quarante jours. Le chamanpsychopompe n'est pas attest dans la description d'Hrodote: il parle seulement des purifications qui suivent les funrailles. Mais de telles crmonies de purification colncident chez nombre de peuples turco-tatars avec l'accompagnement du trpass par le chaman vers sa nouvelle demeure, les EnCers. Meuli a galement attir l'attention sur la structure chamanique des croyances scythes d'outre-tombe, sur la mystrieuse maladie de femme qui, d'aprs une lgende transmise par Hrodote (l, 105), avait transform certains d'entre les Scythes en Enares . , et que le savant suisse compare l'efTmination des chamans sibriens et
11) Wilhelm Munu (Du SchalllaftumtU bei tUn EII'udern FrUhgcschichle und 8prachwissenschaft " J, Vienne, t9",S, p. 60-77) a essay de comparer les croyances concernant l'au-del. et les voyages aux EnJers des etrusques avec le cha manisme. On ne. voit ras l'intrt qu'il peut y avoir appeler. chamaniqu es 1 des ides et dei falu qu appartiennent la magie en gnral et aux diverses mythologies de la mort. (2) Scyrhica, p. 122 Iq. E. ROROE avait dj. remarqu le rle ex tatique du chanvre chez les Scythell et les Musagtes, Pf'Vchi, p. 277, n. 1.

nord-amricains (1), et sur l'origine IX chamanique J de l'Arimdspeia et mme de la posie pique en gnral. Nous laissons de plus comptents la discussion de ces thses. Un rait du moins est certain: le chamanisme et l'ivresse extatique provoque par la fume de chanvre taient connus des Scythes. Comme nous allons le voir, l'usage du chanvre des fins extatiques est galement attest chez les Iraniens, et c'est le nom iranien du chanvre qui sert Adsigner l'ivresse mystique en Asie centrale et septentrionale. On sait que les peuples caucasiens, et spcialement les Osstes, ont conserv nombrc des traditions mythologiques et religieuses des Scythes (2). Or les conceptions d'outretombe de certains peuples caucasiens se rapprochent de celles des Iraniens, notamment en ce qui concerne le passage du trpass sur un pont troit comme un che veu, le mythe d' un AIbr. Cosmique dont le sommet touche le Ciel et A la racine duquel jaillit une source miraculeuse, etc. (3). D'autre part, les devins, les voyants et les ncromantspsychopompes jouent un certain rle chez les tribus gorgiennes de montagne; les plus importants parmi ces sorciers et ces extatiques sont les messulethe; ils se recrutent la plupart du temps parmi les C emmes et les jeunes filles. Leur principale fonction est d'accompagner les trpasss dans l'autre monde, mais eUes peuvent galement les incorporer, et alors les morts parlent par leur bouche; psychopompe ou ncromancienne, la messulethe s'acquitte de sa mission en tombant en transe (4). Cet ensemble de traits rappelle trangement le chamanisme altaque. Dans quelle mesure cet tat de choses rflchit des croyances et des techniques des Iraniens d'Europe _, c'est-A-dire des Sarmato-Scythes, il n'est pas possible de le trancher (5).
(1) Scythica, p. 12 7 sq. Comme le note MZULI (ibid., p. 131, n. 31, W. R. HALLIDAY avait dj propos en 1910 d'cxpliquer les 1 Enares 1 par la transformation magique des chamans sibriens en femmes. Pour un e autre interprtation, voir Georges DUM Z IL , us 1 narts scythiques et la gl'ossesse du Nal't~ Hamyc (1 Lalomus " V, Bruxelles, 19",6, p. 249-55). 2) r. Georges DU.MZII" UgernUs SUI' les N(U'te,. Suivies rU c,inq notes mythologiques, PariS, 1930), prus"n, e t, en gnral, les quatre volumes de id., Jupitel' Ma,., Qui1 rinw, (Paris, 1940-"'S). ' , (~) Robert BLBICIISTEINER, R 08SweiM und P(ertUI'ennen im Totenkult tUI' kauka'!.IcMn Volkel' (<< Wiener Beilrage zur KulLurgeschichte und Linguislik " IV, 1936, p. fa13-'.95 ), p. "'67 sq. Chez les Osstes, 1 le mort, aprs avoir pris cong des siens, ~aut~ cheval. Il rencontre bientt sur sa route des sorles de senlinelles auxquelles tl dOit donner quelques galettes - celles-l. mmes qu'on a eu soin de placer dans ~ tombe. Puis il arrive . une rivire sur laquelle est jete, en guise de pont, une Simple poutrc ... Sous les pas du juste, ou plutt du vridique, la poutre s'largit, se fortifi e et devient un magnifique pont., . (O. DUM1:IL, UgenrU' 'Ul' le. N(U'le., p. 220-21.) 11 n'est pas douteux que le pont 1 de J'au-del vienne du mazdisme, comme le pont trOit 1 des Armniens, le pont de cheveu 1 des Gorgiens. Toutes ces poutres, cheveux, etc., ont la proprit de s'largir magnifiquement devant l'me du juste et de s'amincir pour l'me coupable l'paisseur d'une lame d'pe. (ibid. p. 202). Voir aussi plus loin , p. 375 sq. ' ("' ) BLEICB STE INU , R08lweihe, p. ",70 sq. On rapprochera de ces raits la fonction des. pleureuses. indonsiennes (ct. plus haut, p. 21S4 sq.). (51 Cf. aussi W. N LLE, lI'ani.ch-nordlUiatische Beziehungen im Sc1aamanumru fin Jahrbuch des Museums tr Vlker~unde l,. XlI, LeiPlig, .1953, p. 86-90); H. 'W. HA VSSIG, Theophylakls Exkurs abel' dut .kyth,sclun VOlkel' (an. Byuntion. XXIII Bruxelles, 1953, p. 275-"'62), p. 360 et note 313. Sur les cavaliers 1 chama~isanu ! qui pntrrent en Europe vers la fin du deuxime millnaire et le dbut du premier cf. F. ALTHIHM, Jl amiscke Ge.chichte (Baden-Baden, 2 YOI., t951 -S3) , l, p. 37 sq.;'

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IDOLOGIES ET TECHNIQUES CHAMANI QUES

CHEZ LES tHDO-EUROP ENS

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N DUS avons not la ressemblance Irappante entre les conceptions d'outre-tombe des Caucasiens et celles des Iraniens. En efIet, le Pont Cinvat joue un rle essentiel dans la mythologie lunraire iranienne (i) ; son passage commande en quelque sorte la destine de l'me, et ce passage est une preuve difficile, quivalant, pour la structure, aux preuves initiatiques : le Pont Cinvat est comme une poutre plusieurs laces (Dataistdn-i-Denik, 21, 3 sq.) et il est divis en plusieurs passages j pour les justes, il est large de neuf longueurs de lance, pour les impies, il est troit comme la lame d'un rasoir (Dnkart, IX, 20, 3). Le pont Dnvat se trouve au Centre du Monde J. Au milieu de la Terre , et haut de 800 mesures d'hommes. (Bundahilo, 12, 7) , s'lve Kakd-i-Ditlk, le Pic du Jugement , et le I:0nt Cinvat se dresse jusqu' Albtlrz du Kakd-i-Ditlk; ce qUI rev19nt dire que le pont relie, dans le Centre , la Terre au Ciel. Sous le pont Cinvat s'ouvre le trou de l'Enler (Viddat, 3, 7) : la tradition le reprsente comme une continuation d'Albtlrz (Bundahin, 12, 8 sq.). Nous sommes en prsence du schma cosmologique. classique , des trois rgions cosmiques relies par un axe central (Pilier, Arbre, Pont, etc.). Les chamans circulent librement ent.re les trois zones j les trpasss doivent traverser un pont au cours de leur voyage vers l'audel. Nous avons rencontr nombre de fois ce motif funraire, et nous le rencontrerons encore. L'important, dans la tradition iranienne (au moins sous la lorme o elle a subsist aprs la rforme de Zarathoustra), c' est que, au passage du pont, une sorte de lutte s'engage entre les dmons, qui s'efforcent de prcipiter l'me dans l'Enfer, et les esprits protecteurs (invoqus d'ailleurs par les parents du mort il cet efIet) qui leur rsistent: Aristt, . le conducteur des tres terrestres et clestes " et le bon Vayu (2). Sur le pont, Vayu soutient les mes des hommes pieux j les mes des morts viennent galement les aider passer (Soderblom, p. 94 sq.). La lonction de psychopompe assume par le bon Vayu pourrait reflter une idologie. chamaniste . , Les Gth lont trois lois allusion il ce passage du pont Cinvat (45, 10-11 ; 51, 13). Dansles deux premiers passages, Zarathoustra, d'aprs l'interprtation de H . S. Nyberg (3), parle de lui-mme comme d'un
H . Klll.CBNlR, E in archiiowt8che,. Btrrlt Jur U,.,e.chich th. Schamani.mu., p. 24.8 sq. L'article d'Arnulf KOLLA NTZ, Der Schamanumu. thr Awaren (in e Palaeologia ., IV, 34, Osaka, 1.955, p. 6373), est rendu peu prIJ inutilisable par les erreurs typographiques qu'il contient. (1) cr. N. SOOB RBLON, La Vie future d'apria le ma.di8me (Paris, 1901), p. 92 sq. ; H . S. NVBBRG, Que.tiofU de CMmo,onie et Ik cMmologie mazdiennea (in. Journal Asiatique " CCXIX , 1931, p. 1 134), II , p. 119 sq . j id., Die R elitionen dea alUn Iran (Leipzig, 1938), p. 180 sq. (2) Sur Vayu, voir O. WI DBNGRBN, H ochgoutlaube im ~n Iran, p. 188 sq. ; Stig WII:A NOBR. Vayu ; Te:r und Unu rauchungen.lUl" indoiraniacMn Relig iona,eachichu, (Uppsala, 1'J',1 ), 1 ; Georges D UIIZI L, Tarpeia. ElSai tk philologie comparatipe indo eUJ"openne (Paris, 1941) , p. 69 sq. On a Signal ces trois importants ouvrages pour meUre en garde 10 lecteur contre le caractre sommaire de notre expos j en ralit, la ronction de Varu est plus nua nce et son caractre sensiblement plus complexe. (3) Dit R eli,ionen cha alUn Iran, p. 182 sq. Prs du pont, le trpass rencontre une belle jeune fille anc deux chiens (VUUpdat, 19, 30), un co mplexe infernal indoiranien atteat auasi ailleurs.

psychopompe: ceux qui ont t runis il lui en extase passeront lacilement le pont; les impies, ses adversaires, seront c jamais les htes de la maison du Mal (trad. Duchesne-Guillemin). Le Pont, en efIet, n'est pas seulement le passage des morts j il est en outre - et nous ois rencontr comme tel - le chemin des extatiques. l'avons maintes C I traverse le pont Cinvat, au C'est galement en extase qu'Ard VIrA co urs de son voyage mystique. Suivant l'interprtation de Nyberg, Zarathoustra aurait t un extatique trs proche d'un . chaman , par l'exprience religieuse. Le savant sudois croit pouvoir trouver dans le terme gthique maga la preuve que Zarathoustra et ses disciples provoquaient une ex prience extatique par des chants rituels qu'on entonnait en chur dans un espaceclos, consacr (ibid., p. 157, 161, 176, etc.). Dans cet espace sacr (maga) , la communication entre le Ciel et la Terre tait rendue possible (ibid., p. 157), c'estiI-dire, conlormment une dialectique universellement rpandue (cl. Eliade, Tra,t, p. 319 sq.), l'espace sacr devenait un Centre . Nyberg insiste sur le fait que cette communication tait de nature extatique, et il compare notamment l'exprien ce mystique des chanteurs , au chamanisme proprement dit. Cette interprtation a runi contre elle la plupart des iranisants (1). Remarquons pourtant que les ressemblances entre, d'une part, les lments extatiques et mythologiques dcelables dans la religion de Zarathoustra, et, d'autre part, l'idologie et les teohniques du chamanisme, s' intgrent dans un ensemble plus vaste, qui n'implique nullement UDe structure c chamanique de l'exprience religieuse de Zarathoustra. L'espace sacr, l'importance du chant, la communication mystique ou symbolique entre le Ciel et la Terre, le Pont initiatique ou funraire, ces diffrents lments, tout en faisant partie intgrante du chamanisme asiatique, le prcdent et le dbordent. En tout cas, l'extase chamanique provoque par les lumes de chanvre tait connue dans l'Iran ancien. Bangha n'est pas mentionn dans les Gth, mais dans le FraaSi-yalt on parle d'un nomm Pourubangha, possesseur de beaucoup de chanvre , (Nyberg, p. 177). DaDa le Yalt , on ditqu'AburaMazdab est *sans transe et sans chanvre . (19,20; Nyberg, p. 178), et densle Viddat le chanvre estdmonis
(t) r. 1t;'S observa tions, in galement convaincantes, de Otto PA UL, Zur Geachichu tkr "anuchen R eligionen (e Archiv fr R eligionswissenschall ., XXXV I Leipzig, t~4.0, . p. 21534.), p. 221. sq. ; Walt~er WST, Bestand ~ie. .lOroastrische U; emtimk w"khch au.9 beruf.mdaal,en Eksta.tllr.ern und achllmanltaurenden R indtl"h ll'l~n der Sppe' (in ib id., p. 2B4"9): W. B. HB J'(N ING. Zoroast~r : Politician or WitchDoctor' (Londres, 1951), passm. G. WIDENGREN a rcemment repris le dossier des lments chamaniques dans le %oroaslrisme; cr. Stand und Aufgaben der iraniachen R~liKions geschichu (in . Numen., l, 1954, p. 2683; II, 1955, p. 41134), 2 e partie p 66 sq Ct. aussi J . SC UIlIOT, Dru Etymon rUs persschen Schamalle (in Nyel vt'ud~m:\nyi kO~I ~ m nyek l, XLIV, Budapest, p. 41014.) ; J . de MENASCE, Lea Mystires el la l'~h,um de l'll'an (. Eranos J ahrbuch " XI, Zr!c,h, 1944, p. 16786) , spc. p. 182 sq. ; J . DU CHBSNB-OU IL L.,U N, Zoroastre. tw cnque apec une traduction COlnmmU6 tks Gdlhd (Paris, 1948), p. 1 ~0 sq. Rappelons que Stig WIKANDER (Der a,.iacM Mdn. nel'bund, p. 64 sq,) ct G. WIDEN GREN (flochgoUglaube, p. 328 sq. 342 sq. etc) ont fort bien mis en lumire l'existence des e soci ts d'ho mmes 1 irnni~nnes de structu~e initiatique et exta tique, rpliques des bersel'kil' germaniques et des mcvya vdiques.

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IDOLOGIES ET TEC HNIQUES CIIA MANI QUES

CHEZ LES I NDO-EunoptENs

315

(ibid., p. 177). Ceci nous semble prouver une hostilit totale l'ivre chamanique, qui fut, probablement, pratique par les Ir~mens ..et t.tre dans la mme mesure que par les Scythes. Ce qUI est sur, ~':~t qu'Ard Virt eut sa vision aprs ~v?ir abso~b un breu,vage de vin et de narco tiqu e de Vistasp qUI 1 end ormit pour sept Jours et sept nuits (1). Son sommeil ressemble plutt aux transes de, cha mans car nouS dit }' Ard Vrf, ft l'rune de Vrf qUitta son, corps et aUa au p~nt Cinvat, sur la KakdiDitlk. Au bout de sept Jours, eUe revint et rentra dans son corps > (ch. III ; trad . Barthlemy, p. 10). Vtrf comme Dante, visita tous les lieux du Paradis et des Enfers ma zdens assista aux tourments des impies et vit les rcompenses des justes. So~ voyage outre tombe est . comparer, de. ce point d,e vue, avec les rcits des descentes chamamques dont c~r~am es , nous 1 avons vu co ntiennent a ussi des rC re nces aux pUnItIOns des pcheurs. L'i'magerie inCernale des chaman.s de l' ~sie centrale aura ~rais~m blablement subi Pinfluence des Ides orientales et , en premIer ~Ieu, iraniennes. Mais cela ne veut pas dire que la descente chamamque aux Enfers relve d'u ne inOuence exotique; Pap port orient~~ n'a fait qu'amplifier et colorer les scnB:rios dramatiques d ~s pumtIOns.i ~e sont les rcits des voyages exta tiques aux Enfers qm se sont en~lClus la suite des influences orientales; l'extase Cut de bea ucoup antrIeure ces infiuences (nous avons, en effet, rencontr la technique de l'extase dans des cultures archaques o il est impossible de souponner un e influence de l'Orient ancien). Ainsi, sans pouvoir trancher sur l'ventuelle exprience chB:ma nique t de Zarathoustra lui-mme,'. il est hors de doute que ~a ~echntque la plus lmentaire de l'~xta s~, Ilvr~sse par .Ie chanvre, eta~t con.nue des anciens Iraniens. Rien n mterdlt de crOire que les Ira01ens aient galement connu d'autres lments co nstitutifs du cham~nisme,. le vol magique, par exem ple (attest chez le, Scythes? !), ou 1 ascensIOn au Ciel. Ard Vlrl fit un premier pa, et a ttelgmt la sphre des toiles, un deuxime pas. et atteignit la sphre de la lune, le trOisime pas. le conduit la lumire qu'on appelle la plus haute des plus hautes t, le quatrime pas t la lumire d ~ ~arot~an (ch. VII-X; trad., p. 19 sq.). QueUe que ,oit la cosmologIe Imphque par cette ascension cleste, il est certa in que le symbohsme des pas. - le mme qu e nouS aurons l'occasion de rencontrer dans le myt.he de la Nativit du Bouddha - recouvre trs exactement le symbohsme des marches, ou de, encoche, de l'arbre chamanique. Cet ensomble de symbolismes est en troite relation avec l'ascensio.n rituelle au ~iel. Or, nous l'avons maintes fois constat, ces ascensions so nt co nstltutives du chamanisme. L'importance de l' ivresse demande au chanvre est confirme, d'autre part, par l'no rm e difTusion du terme iranien travers l'Asie cen.trale. Le mot iranien dsignant le chanvre, bangha, en est venu dSigner,
(1) Nous suivons la lraduction de M. A. BARTHlhElilY , A.,,4 V,(-Ndmah ou Liv'e d'Ardd n,df (Paris, 1887). Cf. a ussi S. Wnr.A NDBR, Vay", p. 43 sq.; O. WIDENCUN, S tand und Aufiaben, 2- partie, p. 67 sq.

dans nombre de langues ougriennes, aussi bien le champignon chamanique par excellence, agaricus muscariu$ (qui est justement utilis comme moyen d'intoxication avant ou pendant la sance) que l'ivre,se (1) : cf. p. ex. le vogoul pilnkh, champignon , (agaricus mu,scarius), mordvin panga, pango, tchrmisse pongo, champignon . Dans le vogoul septentrional, pnkh signifie galement * ivresse, ivrognerie t. Les hymnes aux divinits font aussi allusion l'extase provoque par l'intoxication avec les champignons (Munkacsi, p. 344). Ces constatations prouvent que le prestige magico~religieux de l'intoxication fin extatique est d'origine iranienne. Ajout aux autres influences iraniennes en Asie centrale, sur lesquelles nous reviendrons, le bangha illustre le degr qu'atteignit le prestige religieux de l' Iran. Il est possible que ]a technique de l'intoxication chamanique soit, chez les Ougriens, d'origine iranienne. Mais qu'est-ce que cela prouve pour l'exprience chamanique originaire ? les narcotiques ne sont qu 'un substitut vulgaire de la transe pure t. Nous avons dj eu l'occasion de constater chez plusieurs peupl es sibriens le fait que les intoxi cations (alcool, tabac, etc.) sont des innovations rcentes et qu'elles accusent en quelque sorte une dcadence de la technique chamanique. On s'efforce d'imiter par l'ivresse narcotique un tat spirituel qu'on n'est plus capable d'atteindre autrement. Dcadence ou, la util ajouter, vulgarisation d'une technique mystique, dans l'Inde ancienne et moderne, dans l'Orient tout entier, on rencontre touj ours ce mlange trange des * voies diffi ciles t et des voies Caciles pour raliser l'extase mystique ou telle autre exprience dcisive. Dans les traditions mystiques de l'Iran islamis, il est maJais de laire la part de ce qui est un hritage national et de ce qui est d aux influences de l'Islam ou de l'Orient. Mai, il est hors de doute que nombre de lgende, et de miracles dont lait tat l'hagiographie pel' sane appartiennent au fonds universel de la magie et spcialement du chamanisme. Il suffit de feuilleter les deux tome, de, Sainl$ des der "iches tourneurs de C. Huart pour renco ntrer chaque pas des miracles dans la plus pure tradition du chamanisme: ascensions, vols magiques, disparitions, marches sur l'eau, guriso ns, etc. (2). D'autre part, il Caut se rappeler galement le rle du hachisch et des autres narcotiques
(1 ) Bernhardt M UNK: ACS I , Pib 1 und . Rausch 1 (t Kelel1 .szemle l, VIII, Budapesl, 1907, p. 3"'344). Je dois celle rfrence J'am ab ilil de Slig Wikand er. (2 ) Cr. C. H UART , Le. Saints de. ck,,,icM. !olU'n~ u" . R cita t,aduiu du. pu.an, (Paris, 2 vol., 191822 ) : vnements connus dislance (l, p. "'5), lumire mananl du corps des saints p, p. 37 sq., 80), lvilalion (l, p. 209), incombuslibilit : _le syyd, en coulanl les inslruclions du cheikh el en dco uvranl les mystres, devenai t lellemenl enflamm qu'il plaait ses deux pieds sur le foyer du brasier el lirai l avec la main les morceaux de charbons allum s .... fi , p. 56 : on reconnall dans ce lte anecdole la mallrise du feu chamanique) ; des magiciens lancenl un jeune garon en l'air : le cheikh l'y main lient (l, p. 65) ; dis~arilion subile (l , p. 80), invisibilit (11, p . 131), ubiquil (II, p. 173), marche sur 1 eau, les jambes croises la surface de l'eau (II, p. 336), ascension et vol (Il, p . SU), elc. Le professeur Frih MEIER, de BAie, m'in Corme que, d'aprs l'ouvrage biographique encore indil d'Amtn Ahmad Rb1, rdig en 159"', le sainl Qulb uddtn Ha:r,dar (X II- sicle) avait la rpulation d'tre insen.sible au feu et au plus grand froid ; 11 tait en outre frquemmenl aperu ur les toits et aux sommets des arbres. Or, on counallie sens chamaniq ue de l'ascen.iOR des arbres (cf. plus haul, p. 113).

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ID OLOGIES ET TECHNIQUES CHAMANIQU ES

CHEZ LES INDO-EUROPENS

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dans la mystique islamique, bien que les plus purs d'entre les saints n'aient pas recouru de tels succdans (1). Enfin, avec la propagation de l'Islam parmi les Turcs de l'Asie centrale, certains lments chamaniqu6s furent assimils par les mystiques musulmans (2). Le professeur Koprlzad rappelle que, d'aprs la lgende, Ahmed Yesevl et certains de ses derviches, se mtamorphosant en oiseaux, avaient la facult de s'envoler(InfhLence, p. 9). Des lgendes analogues avaient cours sur les saints Bektchl (ibid.). Au xm e sicle, Barak Baba - fondateur d'un ordre dont le signe rituel distinctif tait t: la caillure deux cornes - se montrait en public chevauchant une autruche, et la lgende dit que
l'autruche vola quelque peu sous l'influence de son cavalier)l

hana (1), une . ascension difficile. car il implique l'ascension mme de l'Arbre du Monde. En effet, le poteau sacrificiel (ypa) est fait d'un arbre qui est assi. m.il l'Arbre Cosmique. C'est le prtre lui-mme, accompagn du bucheron, qUI le ChOISIt dans la fort (atapruhaBr., III, 6, 4, 13; etc.).
Pendant qu'on l'abat, le prtre sacrificateur l'apostrophe ainsi :

(ibid., p. 1617). Il se peut que ces dtails soient effectivement dus aux influences du chamanisme turco-mongol, comme l'affirme le

Avec ton sommet ne dchire pas le Ciel, de ton centre ne blesse pas l'atmosphre !. .. (atapatha Br., III, 6, 4, 13; Taittirlya Samhita 1 3,5; etc.) ..Le poteau s~crificiel devient une sorte de pilier cosmiq~e ~ Dressetol, eanaspatt (Maitre de la fort), au sommet de la Terre 1 c'est ainsi que l'invoque le Rig Vda (III, 8, 3) . De ton sommet t~ supporte". le Ciel, de ton milieu tu emplis l'Atmosphre, de ton pied tu affermIS la Terre 0, proclame le atapatha Brdhmana (Ill, 7, 1, 14).
Le long de ce piller oosmique, le sacrificateur monte au Ciel, seul ou

savant turcologue. Mais la facult de se mtamorphoser en oiseau appartient toutes les espces de chamanisme, aussi bien turcomongol, qu'arctique, amricain, indien ou ocanien. Quant la prsence de l'autruche dans la lgende de Barak Baba, on peut se demander si eUe n'indique pas plutt une origine mridionale.

avec son pouse. Plaant une chelle contre le poteau, il s'adresse sa femme: , Viens, montons au Ciell , La femme rpond:. Montonslo Et lis changent par trois fois ces paroles rituelles (atapatha Br.,
V, 2, 1, 10; etc.). Parvenu au sommet, le sacrificateur touche le chapiteau et, tendant les mains (comme un oiseau ses ailes!) s'crie: J'ai ~tteint le Ciel, les dieux; je suis devenu immortel! 1 (Taittiriya

L'INDE ANCIENNE : RITES Dt ASCENSION

Samhu, l , 7, 9, 2 ; etc.). En vrit, le sacrifiant se fait une chelle et un pont pour atteindre le monde cleste . (ibid VI 6 4 2
etc.). ., , , , ,

On se rappelle l'importance rituelle du bouleau dans la religion turcomongole et spcialement dans le chamanisme: le bouleau, ou le poteau sept ou neuf encoches, symbolise l'Arbre Cosmique et, partant, est rput se trouver au' Centre du Monde . En l'escaladant, le chaman atteint le plus haut ciel et arrive devant Bai lglin. Nous retrouvons le mme symbolisme dans le rituel bril.hmanique : celui-ci comporte galement une ascension crmonielle jusqu'au
monde des dieux. En effet, (( le sacrifice n'a qu'un point d'appui solide

Le poteau sacrificiel est un Axis Mundi et, tout comme les peuples archaques envoyaient les offrandes au Ciel par l'ouverture de fume ou le pilier central de leur maison, le ypa vdique tait un vhicule du sacrifice , (Rig Vda, III, 8, 3). On lui adressait des prires comme celles-et: , 0 Arbre, laisse le sacrifice aller aux dieux 1. (RV 1 13 11) . ,0 Arbre, que l'oblation se dirige vers les di~ux (ibid.). " , , On se. rappelle galement le symbolisme ornithologique du costume chamamque et les nombreux exemples de vol magique chez les cha Pancaeima Brdhmana (V, 3, 5) (2). Nombre de textes parle~t des ailes qu'on d oit possder pour atteindre le sommet de l'Arbre (Jaiminlya Upantsad Brhmana , III, 13, 9), du jars dont le sige est dans la lumire , (Katha Up. , V, 2), du cheval sacrificiel qui, sous la forme d'un OIseau, transporte le sacrificateur jusqu'au ciel (Mahtdhara, ad atapatha Br., XIII, 2, 6, 15), etc. (3). Et, comme on le verra bientt la tradition du vol magique est atteste profusion dans l'Inde ancie~e
(i } Sur le symbolis me de la dro!&ana , voir ELIA DE, D r oMna and tM WakinC i)ream (. ArL and Tho ught : a Volume in Honour of the Late Dr. Ananda K.
Coo maraswamy on the ccasion or his 70 th Birthday l, J. K. BUARATA d: Londres, 19 /. 7, p. 209 -213). ' , (2 ) Cit par A. COO MARASWAMY , S",ayamtrnn : Janua Cotli (. ZaJmoxis l , II, 1939 , p. 1-51 ). p. 47 . (3) Cf. les autres t.e xtes runis par CO O~A.RA S ,,!A.MY, ibid .,p. 8,46,47, etc. ; cf. aussi S. Lhl, La D octrin e, p. 93. Le 1.~6me ILInralr~ est SUiVI, bien entendu , aprs la mort ; cf. S. LVI, p. 93 sq .; H. GUNTERT,DerarLScMlVeltk6nig und Heiland. (HaUe 1 1923) . p. 1t 0 l sq.

qu'un seul 4, 6) . Le 2,29) ; le (atapatha

sjour: le monde cleste, (atapatha Brhmana, VIII, sacrifice est un sr barbeau de passage A itareya Br. , Ill, sacrifice, en son ensemble, c'est la nef qui mne au ciel,. Br., IV, 2, 5, 10) (3) . Le mcanisme du rituel est une dro

7:

mans sibriens. On rencontre des ides similaires dans l'Inde ancienne: Le sacrificateur, devenu oiseau, s'lve au monde cleste 1 amrme la

(1 ) ~ partir du .XII sicle, l'inn.uence des stup fiants (hachisch, opium ) 86 tail sentir dans cerlams ordres mystiques persans; cr. L. MUSI GN ON Elsai BU1' le. originu du lexiqlU technique tk la mystiqlUl mlUulmane (Paris 1922) p. 86 sq. Le "aq8. 1 danse. extatique de jubilation , le tam;;iq , laCration des' vtemnls pendant la tra n s.e ,. I ~ na:a,. pa'l mord. le regard platoniqu e I , forme trs suspecte d'edase par Inhibition roLI9ue, sont quelques indices des transes provoq ues par des sluh fiants ;.on pourrait mettre en relation ces recettes lmentaires d'extase tant aveo es technlqu e~ m ys.tiqu ~ preislamiques qu'avec certaines tochniques ind iennes aberrantes qUi auraient mnuenc le soufisme (ibid ., p. 87). (2) Ct. Meh.med Fuad K PRLU1;AOt, {nfluence du chamanj~ me turcomonlo! ' ur le. ordre, my~ hques ,". ""ulman, ; vO ir aussI le rsum de son li vre, publi en turc, sur Les Premiers Mysll que, dans la littral ure turque (Constantinopl e, 1919 ), par L. BouVA.T dans la . Reyue du Monde Musulman l, XLlIl, 1921, p. 236-66. (a) Cf. les nombreu~ textes groups par Sylvain Ltvl La D octrine du , acrifice dan, Il, Brd hmana.s (ParIS, 1898), p. 87 sq. '

318

ID O LOG I ES ET TE C IINIQ V E S C IIAMANI QU E S

CHEZ LE S IND O E U ROPJ<.: NS

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et mdivale, et toujours en relation avec des saints, des yogis et des magiciens. . . Grimper un a rbre 1 cst devenu, d~n8 les, ~extes brhma mq~e8, une image assez frquente de l'ascenSl?~ 8plrltuell~ (1). Le merne symbolisme s'est conserv dans les traditIOns folkloriques, sans que . la signification en soit touj ours transparente (2). L'asce nsion clest e de type chamaOlque se . renco ?tr~ aussI da~~ les lgendes de la Nativit du Bouddha. Auss~tt ~ e, dIt la MaJJ,manikaya, III, 123, le Boddhisattva pose ses p,eds a plat sur le sol et, tourn vers le Nord rait sept enjambes, abrit par un parasol blanc. Il considre toutes rgions alentour et dit de SQ voix de ta~reau. : Je suis le plus haut du monde, je suis le meilleur du monde, Je SUIS l'aln du monde; ceci est ma dernire naissance; il n'y aura plus dso rmais pour moi de nouvelle existence. , Les sept pas portent le Bouddha au sommet du monde ; de mme que le chaman altaque escalade les sept ou neur encoches du bouleau crmoniel ~o ur parvenir finalement au dernier ciel, le Boud dha traverse symbohquement les sept tages cosmiques a uxquels correspondent l e~ sept cieux pla?. taires. Inutile de dire que le vieux schma cosmologIque de l'ascenSIOn cleste chama nique (et vdiqu e) se prsente ici enrichi de l'apport millnaire de la spculation mtaphys ique indienne. Ce n'est plus le t mo nde des dieux. et l' t immortalit. vdique qu e pourSUIvent les sept pas du Bouddha, c'est le dpassement de la condition humaine.. En elTet, l'expression je suis le plus haut du monde. (aggo'ham asm, lokassa) ne signifie pas autre chose que la transcendance du Bouddha au.d essus de l'espace, de la mme fao n que l'expression t je suis l'a.tn, du mo nde. (jett/w' ham asmi lokassa) signifie sa supra-temporahte. Car en atteignant le sommet cosmique, le Bouddha atteint le t Centre du Monde *et, du fait que la cration est partie d' un t Centre. (= som met) , le Bouddha devient contemporain du comme~cem.,tt. dit monde (~). La conception des sept cieux, laquelle rait allUSIOn la MaJJ'manikaya, remonte au brhmanisme, .et nous a~on s pro~ablem ent affaire une influence de la cosmologIe babylomenne, qUI a gale ment marqu - bien qu'indirect ement - les conceptions cosmolo giques altaques et sibriennes. Mais le bouddhisme con~att ~u s~i un schma cosmologique neuf cieux, profondment mtrIOrIs 1 d' ailleurs car les qua tre premiers cieux corresponde nt a ux quatre

les

jhdnas, les quatre autres aux quatre sattd"t'1sa, et le neuvime et dernier ciel symbolise le Nirvna (1). Dans chacun de ces cieux se trouve projete une divinit du panthon boudd histe, qui reprsente en mme temps un certain degr de la mditation yogique. Or nous savons que, chez Jes Altaques, les sept ou neuf cieux sont habits par diverses figures di vines et semi-divines que le chaman rencontre dans son ascension, et a vec lesquelles il s'entretient; a u neuvime ciel, il se trouve devant Bai lgan. f:vid emment, da ns le bouddhisme, il n'est plus qu estion d' une ascension symbolique aux cieux, mais des degrs de la mditation et , du mme co up, des, pas, ve rs la dlivrance finale. (Il semble bien que le moine bouddhiste at teint, aprs Ba mort, le ni veau cleste a uquel il est parve nu par ses expriences yogiques de son vivant, ta ndis que le Bouddha atteint le Nirvna ; cf. aussi W. Buben, p. 170.)

L ' INDE A NC I EN NE: L E .. VO L MAG I QUE.

Le sacrificateur brA hmanique monte a u ciel pa r J'escalade rituelle d'une chelle; le Boudd ha t ranscend e le Cosmos en t raversant sym boliquement les sept cieux ; pa r la mdita tion, le yogi boudd histe ralise une asce nsion d'ordre tout spirituel. Typologiquement, to us ces actes participent la mme structure; chacun , sur le pla n qui lui est propre, indique une ma nire particulire de tra nscender le monde pro fane et d'atteindre le monde des dieux, ou l' 1!:tre, ou l'absolu. Nous avo ns montr plus haut da ns quelle mesure on peut classer de tels gestes da ns la tradition chamanique d'ascension au ciel i la seule gl'ande di fTl'cnce rside dans l'intensit de l'ex prience chamanique qui, comme nous le savons, comporte l'extase et la transe. Mais l'Inde ancienne connalt, elle a ussi, l'extase qui rend possible l'ascension et le vol magique. L' extat ique (muni) aux longs cheveux (kein) du R ig Vda dclare premptoirement: , Da ns l'ivresse de l'extase nous sommes monts sur le char des vents. Vous, mortels, vo us ne pouvez apercevoir que notre corps ... L'extatique est le cheval du vent, l'am i du dieu de la tempte, aiguillonn par les dieux .. . .t (X, 136, 3-5) (2) . Bappelons-nous que le tambour des chamans altaques est appel cheval , et que, chez les Bouriates par exemple, le bton tte de cheval, qui porte d'ailleurs le nom de .. cheval t, joue
(1) cr. W . KI RFt:!. , Die IIosmo.t;raphie der I ndu, p. 190 sq. Les neuf cieux sont co nnus a ussi de la Brihadranyaka V {l. I II, 6. 1 ; cr. W . Ru Il E l', Schantanilili UI im alMfi I ndien (1 Acta orienta lia . , XV 1, 1939, p. 164 205), p. '169. Sur les relations ex istant entn: les schmas cosmologiq ues et les degrs de md itation, cr. P. Mus, Barabltdur, prultm. (2 ) Sur ce muni, voir E. ARB~AN, Ruc/.ra: Ufll~rs u chun gen :um allifldische fl Glauhen und X ull uB (Up psala -Leipzig, 1922 ), p. 298 sq. Sur la signification magico-religieuse des lo ngs cheveux, ibid., p. :102 (cf. les serpents. des costumes chamaniques sibriens, plus ha ut, p. 133 8q.). Sur les extases vdiques les pl us ancien nes, cf. J . W . HA UER, Die An fiinge du Y .ogapraxis (St uttgart, 1922) , p. 11 6 sq ., 120; EUADE Le Y oga , p. 11 2 sq. cr. aussI O. WI DENGRE~, S land und Aufgaben du iraniscllm Religio nsgesch ichle, 2' parUe, p. 72, n. 123.

(1) cr. pa r exemple les textes rappels par COO MARASWA III V, S"aYMldtrnn6, p . " 42, ete. Voi r a ussI Paul Mus, Barabudur, l , p. 318. (2) cr. P"'N'lF,R et TAWNBY, The Ocean of Slory, l , p. 153; II , p. 38'; VIII,

p. 68 sq., eLc. . .. . 1 N . (3) Cc n'est pas ici le lieu de pousser plus lom la diSCUSSion de ce dtail de a ,atl. vit du Boudd ha; mais nous avons d le toucher e.n p ass~ n L J.>our m,ontrer, dune part, la polyvl\ lence du sym bolisme a rch af(~ e, qUI le laisse md llni menL ~ u ve rt des inter pr ta tions no uvelles, et pour pr~c~ser, d'autre ~~ r t, !l ue la surVivance d' un sch ma cha manique dans une religIOn vol';le n IIllP.hq ue l! ullement la conservation du co ntenu origin aire. La mOrne obser va tIOn s' al?ph q~e, blcn entend u, aux divers schmas ascensionn els de la mystique ehrtienne et Islalluque: cr. ELIADE, Sapla padfli kra mali ... (in 'rhe Munshi Oiamond J ubilee Co mm emo: alton Volum e l, Bo mbay, 19'f8, I , p. 180-88) et id., s Stpt pas du Bouddha, repris dans M ythe" r~"e$ et //lyslres, p. 1' , 8-55.

320

ID OLOGIE S ET TECHNIQ UES CHAMAN I QUES

CHEZ LE S I NDO-EUROPENS

321

un rle important. L'extase provoque par les sons du tambou r ou par la danse califourchon sur un bton tte de cheval (sorte de Iwbby-Iwrse) est assimile une chevauche fantastique dans les cieux. Comme nous le verrons, chez certaines populations non aryennes de l'Inde, le magicien utilise aujourd'hui encore un cheval de bois ou un bton t te de cheval pour excuter sa danse extatique (plus loin, p. 364 sq.). Dans le mme hymne du Rig Vda (X, 136), on dclare que les dieux sont entrs en eux ... t; il s'agit d'une sorte de possession mystique qui continue garder une haute valeur spirituelle, mme dans ]es milieux non-extatiques (tmoin la Brihaddranyaka Upanisad, III , 3-7). Le muni habite les deux mers, celle qui est au levant et celle qui est au couchant ... Il va par les chemins des Apsaras, des Gandharvas, des btes sauvages ... (RV, X, 136). L'Athar"a Vda (XI , 5,6) fait ainsi l'loge du disciple rempli de la force magique de l'ascse (tapas) : En un clin d'il il va de la mer orientale la mer septentrionale. Cette exprience macranthropique, qui a ses racines dans l'extase chamanique (1), persiste dans le bouddhisme et jouit d' une importance considrable dans les techniques yogico-tantriques (2). L'ascension et le vol magiq ues occupent une place de premier rang dans les croyances populaires et les t echniques mystiques de l' Inde. En efTet, s'lever dans les airs, voler oomme l'oiseau, franchir des distances immenses en l'espace d' un clair, disparatre, ce sont l quelques-uns des pouvoirs magiques que le bouddhisme et l'hin douisme confrent aux arhats, aux rois et aux magiciens. 11 existe un nombre considrable de lgendes sur les rois et Jes magiciens volants (3). Le lac miraculeux Anavatapta ne pouvait tre a tteint que par ceux qui possdaient le pouvoir surnaturel de voler dans les airs ; Bouddha et les Saints bouddhistes a rrivaient Anavatapta en un clin d'il, de mme que, dans les lgendes hindoues, les rishis s'lanaient dans les a irs vers le divin et mystrieux pays du Nord appel vetadvtpa (4). Il s'agit, bien entendu, des terres pures " d' un espace mystique qui participe la C ois de la nature d'un 41 para dis . et de celle d'un, espace intrieur )} accessible seulement aux initis. Le lac Anavatapta, comme la vetadvlpa ou les autres, paradis. bouddhiques, sont autant de modalits d'tre auxquelles on par(1) Ct. p. ex. l'hymne trs obscur du Vrtya (Athartla Vda, XV, 3 sq .). Les homologations entre le corps humain et le cosmos dpassent, bien entendu, l'exprience chaman ique proprement di te, mais on voit que le vrtya comme le muni acquiren t la macranlhropie pendant une transe exta tIque. 2) Le Bouddha se voit en rve co mme un gan t ayan t ses bras dans les deux ocans Anguttara Nikya, Ill , 240; ct. aussi W. RUBEN, p. 167) . Il est impossible de rap1 peler ici toutes Jes traces. chamaniques attestes dans les plus anciens textes bouddhiques. Nombre d'jddhi onl une structu re nettement chamanique; p. ex., le pouvoir magique de plonger dans la terre et d'en ressortir comme si c' tait de l'eau 1 (Ang uttara, l, 25', sq. ; etc.). Voir aussi plus bas p. 321 sq. ~) c r. p. ex. PB N'l.BR et TAWNEY, The Ocean of Story, 11, p. 62 sq. ; III , p. 27 , 35 i , p. 33 , 35, 169 sq . ; V III , p. 26 sq., 50 sq. ; etc. (4 ) .Cf. W. E. CLAU , SkadtlLpa and Sveladvipa (. J ournal or the American Oriental Society., XXXIX, 1919, p. 209-4.2), pass im ; "ELIADE, Le YOfa, p. 397 sq. Sur J'Anavatapta, cf. De VI SU R, The A rhats in China and J apan(Ber in, 1923) , p. 24 &q .

vient grce au Yoga, l'ascse ou la contemplation. Mais il importe de souligner l'ident it d'expression de telles expriences surhumaines avec le symbolisme arc haque de l'ascension et du vol, si usit dans le chamanisme. Les t extes bouddhiques parlent de quatre sortes de pouvoirs magiques de translation (gamana ), le premier t ant celui du vol, comme l'oiseau (1). Patanjali cite, parmi les siddhi, la facult que peuvent obtenir les yogis de voler dans les ai rs (laghiman) (2). C'est toujours par la force du yoga. que, dans le Mablibhrata, le sage Nrada s'lana dans les cieux et atteignit le sommet du Mont Meru (le Centre du Monde 1) ; de lhaut, il vit, trs loin dans l'Ocan du Lait, vetadvlpa (Mahb hrata, X II , 335, 2 sq.). Car, avec un tel corps (yogi que) le yogi se promne o il ve ut (ibid. , XII, 317, 6). Mais une autre tradition enregistre par le Mahbhrata fait dj la distinction entre la vritable ascension mystique - dont on ne peut pas dire qu'elle est toujours concrte - et le vol magiq~e l) , qui n'est qu'une illusion: ct Nous aussi, nous pouvons voler aux Cleux et nous manifester sous diverses formes, mais par illusion J) (mtlyayd i ibid. , V, 160, 55 sq.) . On se rend compte en quel sens le yoga et les autres techniques mditatives indiennes ont labor les expriences extatiques et les prestiges magiques qui appartenaient un hritage spirituel immmorial. Quoi qu'il en soit, le secret du vol magique est aussi connu de l'alchimie indienne (3), et ce miracle est tellement commun pour les arhats bouddhistes (4) qu'arahant a donn le verbe cingalais rahat fle, disparaltre, passe r inst antanment d' un point l'autre J) (5). Les daki.n8, fes-magiciennes qui jouent un rle important dans certaines coles tantriques (cf. Eliade, L. Yo ga, p. 326 sq.), sont nommes CI; celles qui marchent dans les airs en mongo l et celles qui s'en vont
(i) Ct. P. M. TIN, trad., TM Path of Purity, Being a Tran sla,io ~l o{ Buddhaghosa's Vsuddhirnagga, (Londres, 3 vol. , 1923-31 ; 11', 17 et 21 e pa~tles ), p .. 396. ~ur le gamana voir Sigurd LIND QUIST Siddhi und Abhi!1,1 : eine Stud,e aber d,e klassuchen W unde,.' de, Yoga (Uppsala, 1935), p. 58 sq. Bonne bibliographie des sources sur les abhij/id, dans glienne LAMOTTE , Le Trai.t de la Grallde Verlu de Sagesse de Ndfrjuna (Mahp,.ajnpramilsdsva) , (Louvain, 2 vol., 194 /1 , 194.9), l , p. 329, n. . (2) Yoga-Sill,.a, lII, 4.5; ct. Cheranda Somhit, Ill , 78; ELIADE,.f...e Yoga, p. 323 sq. Sur les t.raditions simila ires dans les d eux roPcs ind}en nes,. vOir E. ~V. H OPK INS, Y()tatechniq~ in the Great Epie (e J ournal 0 the AmcrlcaD Oriental Society., XX II , New-H a ven, 1901, p. 33379), p. 337, 361. . (3) EL IAD E, Le Yoga, p. 397 sq. Un auteur persan assure que les ~ogls p'e.uven t voler dans J' air comme d es poules, si invraisemblable qu.c cela parl!lS8e (,b,d .). (li ) Sur le vol des arhaf8, voir de VISSEII, p. 172 sq .. ; ~y lv.1R Livi ,et Ed. Cu AVANNE.', Le, Sei-;.e Arhats protecteurs de la loi ( Journal ASlatL que J , sr. X l , voL VU l, ParIS, 1911 p. 1-50 189-304 ) p. 23 (l'arhat Nandim itra s'leva dans l'espace la hauteur d e ,. arbres tla l, ete:) ; p. 262 sq. (l'arhat Pindola, q~i habite Anavatapta, a t puni par le Bouddha parce 9.u'il avait vol dans les a irs, .une montagne dans les mains, montrant d' une maRlre incongrue ses forces m a~pques aux pro rancs ; le bouddhisme on le sait in terdisait l'exhibi tion des ,iddh,). (5) A. M. HOCAl'tT, Flyinr. Through the Air (. Indian Antiquary " LII, Bombay, 1923, p. 80-82) , p. 80. Hocart exp lique toutes ces lgendes en co nform it avec ses thories su r la royaut: les rois, ta nt des d ieux, ne peuven t pas loucher le sol et, par consquent on suppose qu'ils marchent dans les airs. Mais le symbolis me du vol est plus co~plexe et on no peut, en aucun cas, le faire driver de la concep tion des rois-dieux. Ct. ELUDE, Mythes, r~l!es et myslres, p. 1aa sq.
Le Chamanisme
21

322

W';; OLOG IE S

ET TECIINIQUES CHAMANIQUES

CHEZ LES INDO-EUROPENS

323

au Ciel. en tibtain (1). Le vol magique et l'ascension au Ciel il l'aide d'un~ chelle ou d'une corde sont galement des motifs frquent, au Tlbe~., ou Il ne sont pas ncessairem.e~t emprunts l' Jnde, d'autant plus qu Ils sont attests dans les tradItIOns Bon-po ou dans les ritu els drivs d'elles (cf. plus bas, p. 337 sq.). D'ailleurs, comme nous ne
tarderons pas le voir, les mmes motifs jouent un rle co nsidrabl e dans. les croyances magiques et le folkl ore chinois, et ils se rencontrent

LE

tapas

ET LA

dksd

aussI un peu partout dans le monde archalque (plus loin, p. 378 sq.). Tous les faits que nous venons de grouper, un peu trop rapidement
chamaniques : chacun dans l' ensem~le d'~ i~ a ~ extr~it pour la commodit de J'expos: es~ porteur d une s lg~lfi ~atlOn qUl lUi est particulire. Mais il s'agis. 8ru~ ,de ~on~rer le~ eqUl."alences de structure de ces faits magicorelIgieux l.ndle~s . L extatique, comme le magicien, ne semble un ph~?mne, srnguher dan s, l'ensembl~ de la religion indienne que grce A lmte.ns~t de s~n exprIen~e myst~que,ou Al'~m in enc~ de sa magie, car la theone sous-Jacente - c est-A-dire 1 ascensIOn au CICI- se retrouve nous l'avons vu, dans le symbolisme mme du sacrifice brhmanique: E,n effet, ce q~i distingu e l'ascension du muni de l'ascension qu'on rahs~ par le rItuel brhmanique, c'est justement son caractre exprim ental; nous avons affaire, dans ce cas, une transe comparable la grande sa~?e des ch,amans sibriens, Mais le fait important est que cette expenence extatUJue ne contredit pas la thorie gnr~e du sacrlfic~ brhmanique, de mme que la transe des chamans
1(

La mme continuit entre le rituel et l'extase se vrifie galement propos d'une autre notion, qui joue un rle considrable dans l'ido~ logie pan-indienne: celle de tapas, dont le sens initial est chaleur extrme , mais qui a fini par dsigner l'efTort asctique en gnral.

notre gr, ne sont pas ncessairement

Le tapas est nettement attest dans le Rig Vda (cf. p. ex. VIII , 59, 6 ; X , 136, 2 ; 154, 2, 4 ; 167, 1 ; 109, 4 ; etc.) et ses pouvoirs sont
crateurs aussi bien sur le plan cosmique que sur le plan spirituel: par le tapas, l'ascte devient clairvoyant et incorpore mme les dieux.

Praj pati cre le monde en .' chauffant . un degr extrme par l'ascse (Aitareya Brdhmana, V, 32, 1) ; il le cre, en effet, par une
sorte de sudation magique. La chaleur intrieure ou la chaleur mystique est cratrice; elle aboutit une sorte de force magique qui , mme lorsqu'elle ne se manifeste pas directement comme une cosmogonie (cf. le mythe de Prajpati), cre. sur un plan cosmique plus modeste: elle cre, par exemple, les mirages ou les miracles sans nom-

bre des asctes et des yogis (vol magique, abolition des lois physiques,
disparition, etc.). Or la
Cl

chaleur intrieure fait partie intgrante

de la technique des magiciens et chamans primitifs . (cf. plus bas, p. 369 sq.) ; l'obtention de la chaleur intrieure se traduit universelIement par une Cf matrise du feu 11 et, en dernire instance, par l'abolition des lois physiques; ce qui revient dire que le magicien dment CI: chauff peut faire des ft miracles " peut crer de nouvelles conditions d'existence dans le Cosmos et rpte, en quelque sorte, la cosmogonie. Vu dans cette perspective, Praj pati devient un des archtypes des Cl magiciens ,

s encadre admirablement dans le systme cosmo-thologique des -dire qu elle e~t, en dfil\ltlve~ d ordre psychologique. Mais queIIe que
religIOns Siberiennes et altalques. La principale diffrence entre les deu: x tYP,es d'ascension e~t , due , l'intens it de l'exprience, c'est-

des tec~Dlque~ co~res pond, ~ans doute, .une multiplicit d'expriences

dans le b~uddhlSme, ou par des pratiques alchimiques. Cette pluralit

SOlt son mtenslt, cette exprIence extatique devient communicable travers un symbolisme universellement valab le, et ell e est valide d~ns la .~esur~ o elle russit s'intgrer au systme magico-relig,leux ~eJ eXIst~nt, Le ~ o uvoir de voler, nous l'avons vu, peut s obt~mr de mU,ltlples m~mres: transe chamanique, extase mystique, techmques magiques, malS a~~sl ,par une rude discipline psychomentale, comme Je ,Yoga de PatanJah, par une ascse vigoureuse, comme

On obtenait cet excs de chaleur soit en mditant auprs de feux et cette mthode asctique a connu une gra nde fortune en Inde - soit en retenant sa respiration (cf. p. ex. Baudhyana Dharma Stra, IV, 1, 24 ; etc.). Faut-il rappeler que la technique respiratoire et la rtention du souffie ont tenu une place considrable dans Jlorganisat ion de ce comp lexe de pratiques asctiques et de thories magiques, mys

tiques et mtaphysiques qu'on englobe sous le terme gnral de Yoga (1).


Le tapas, dans le sens d'effort asctiqu e, fait partie intgrante de

et aUSSI, quolqu un momdre degr, des idologies diffrentes (~l y a, en efTet, le ~apt par les esprits, l'ascension (( magique et mystique , etc,). MaiS toutes ces techniques et toutes ces mythologies o,nt une note commyne : l'importance accorde au fait de pouvoir ~ en,voler dans les al~s. ~e 1( pouvoir magique n'est pas un lm ent Isole, valable en ]~l ~mem~, !.on~ exclusivement sur l'exprience personnelle des magiciens; il s mtegre au con traire dans un ensemble tho-cosmolog , Ique blen p lus vaste que les diverses' id ologies chamamques.

t oute form e de Yoga, et il nous semble important de rappeler en passant ses implications chamaniques
lI.

On verra tout l'heure que la

chaleur mystique , dans le sens propre du terme, jouit d'une grande

importance dans le yoga tantrique himalayen et tibtain (cf. plus loin, p. 342 sq.) . Ajoutons nanmoins que la tradition du Yoga classique utilise le pouvoir confr par le prnayma comme une
cosmogonie rebours
l, en ce sens qu'au lieu d'aboutir la cration de nouvea ux Univers (c'est--dire de nouveaux cc mirages et mira-

il)B~!'x~:a~9 D,lu' ME, N2~~1I IIUI' 32


, " ,p,

le lamaisme (. Mlangcs chinois et boudd hiqucs u33HI), p, 374, n, 2, '

cles '), ce pouvoir permet au yogi de se dtacher du monde et mme de le dtruire en quelque sorte, car la dlivrance yogique quivaut
(t ) Voir EL U,DE , Techniques du Yo,.a (Paris, t 948)
j

id, LA Yoga,

324

IDOLOGIES ET TECHNIQUES CHAMANIQUE S

CHEZ

LES

INJ)O ~EU ROptEN S

325

une dsolidarisation complte d'avec le Cosmos; pour un j(.lanmukta, l'Univers n'existe plus, et si l'on projetait sur le plan cosmologique son propre processus l'on se trouverait devant une totale rsorption des formes cosmiques dans la substance premire (prakriti), autrement dit

un retour l'tat non-diffrenci d'avantla Cration_ Tout ceci dpasse,


et de loin , l'horizon de l'idologie chamanique D, mais ce qui nous semble significatif, c'est que la spiritualit indienne a utilis comme

moyen de dlivrance mtaphysique une technique de magie archaque, rpute capable d'abolir les lois physiques et d'intervenir dans la
constitution mme de l'Univers. Mais le tapas n'est pas une ascse exclusivement rserve aux extatiques ll; il fait partie de l'exprience religieuse des IaIques, car le sacrifice du soma exige absolument que le sacrificateur et sa femme accomplissent la diksd, rite de conscration qui implique le tapas (1)_ La d!ksd comporte la veille asctique, la mditation dans le silence, le jene, et aussi la chaleur., le tapas, et cette priode de conscration peut durer d'un jour ou deux un an. Or le sacrifice du Borna est

un des plus importants d. l' Inde vdique et brhmanique; c'est dire que l'ascse but extatique fait ncessairement partie de la vie religieuse du peuple indien entier. La continuit entre le rituel et l'extase, dj note propos des rites d'ascension (raliss par les profanes) et du vol mystique (des extatiques), se vrifie aussi sur le plan du tapas. Reste savoir si la vie religieuse indienne, dans son ensemble et avec

tous les symbolismes qu'elle comporte, est une cration - en quelque


sorte dgrade , pour pouvoir devenir accessible au monde profane - d'une srie d'expriences extatiques de quelques privilgis, ou si au contraire, l'exprience extatique de ces derniers n'est que le rsultat d'un effort d' intriorisation ) de certains schmas cosmo-tholo-

giques qui le prcde_ Problme gros de consquences, mais qui dborde le plan de l'histoire des religions indiennes, et d'ailleurs le sujet du prsent travail (2).
CHAMANIQUES

SYMBOLISMES ET TE CHNIQUES

EN INDE

Pour ce qui est de la gurison cbamanique par rappel ou qute de l'fune fugitive du malade, le Rig Vda en olIre quelques exemples_ Le
prtre s'adresse ainsi au moribond: Ton esprit qui s'en es t all dans

le Ciel, t on esprit qui .'en est all aux extrmits de la terre __ ., nous le faisons revenir toi pour que tu habites ici, pour que tu vives ici 1 (RV, X, 58, 2-4)_ Toujours dans le Rig Vda (X, 57, 4-5), le brhmane
fi) Sur la di/csl ct le tapas, voir H . OLDBKBERG, Die Reli8ion chs Veda (2' d.' nerlin, 1917 ), p. 397 : A. HILLEBRANDT, Vedi$cM Myaolo~ie (2' d., Breslau, 2 vol.' 1927.29), l, p. 482 sq. ; J. W. HAUBR, Die An(nge de" Yogap"axis, p. 55 sq. ; A. B' KE~TIl, TM ReliHio,~ and Philos.ophy of lM Veda and Up~nishads (Harvard Oriental Series, XXX I, XXXII, Cambridge, Mass., et Londres, _ voL, 1925), l , p..800 sq. j S. Lvi, La Doct"u du sac"ifice dans kil Brhmallas, p. 10 3 sq. cr. aussI MIULI, Scythica, p. 134 sq. (2) No us osons pourtant esprer que le l)rsen t travail indiquera en quel sens on devrait poser le problme.

conjure de la faon suivante l'~ e du pa~ient : Puiss~ l'esprit revenir t oi, pour vouloir, pour agIr, pour .vIvre, pour vOlr !ong~em ps le soleil. 0 Pres, puisse le peuple des dIeux nous rendre 1 esprIt ; nous voulons rester avec la troupe des vivants 1.. . Et dans les textes mdicaux-magiques de l'Atharva Vda,]e magicien, p o u~ r~~en.er I ~ morIbond la vie rappelle du Vent le soume et du Soleil 1 il, il rmtgre l'me dans le'corps et dlivre le malade des liens de Nirrti (A V, VIII, 2 3; VIII, 1, 3, 1 ; etc.) (1)_ _ , Il ne s'agit ici, bien entendu, que de traces de ]a gurls0!l ch~a nique, et si la mdecine indienne a ~tilis, plus tard, certal,~es Id ~s magiques traditionnelles, celles-ci n appartIennent pa~ 1 IdologIe chamanique proprement dIte (2)_ Dj le rappel des dlffrenh organes des rgions cosmiques auquel fait allUSIOn le magICIen de l'Atharoa Vda (voir aussi RV, X, 16, 3) implique une autre conception : celle de l'homme microcosme; et bien qu'elle semble assez ancienne (peut-tre indo-europenne), cette conception n'est pas chamanique . _ Nanmoins, le rappel de l'me fu gitive du malade est attest dans un livre du Rig Vda (le plus rcent) et, comme la mme idologie et la mme technique chamaniques dominent les autres populations, non-aryen nes, de l'Inde, on peut se demande~ .s'il ne faut pas invoquer une influence du substrat. En effet, le maglClCo des Oraons du Bengale cherche, lui aussi, l'me gare du malade travers montagnes et fleuves, jusqu'au pays des morts (3), exactement comme le chaman altalque ou sibrien_ . ,_ . Ce n'est pas tout : l'Inde ancienne connalt la doctrIne de 1 InstabIlit de l'fune si accuse dans les diverses cultures domines par le chamanisme. ' Dans le rve, l'me se dplace trs loin du corps, et le atapatha Brhmana (XIV, 7, 1, 12) recom mande de ne pas veiller le dormeur en sursaut, car l'me risquerait de s'garer sur le cheI~ll~ ~du retour. On s'expose aussi perdre son fune en billant (Tattttnya Samhitd, II, 5, 2, 4)_ La lgende de Subandhu rapporte comment on peut perdre et retrouve r son fune (Jaimin!ya Brdhmana , III, 168-170; Pancaoima Br_, XII, 12,5)_ Toujours en rapport avec l'ide que le magicien peut quitter son corps v olont - ide strictement chamanique, dont nous avons cons tat~ plusieurs reprises les fondements extatiques - on rencontre, aus~l bien dans les t extes techniques q~e dans le folklore, un autre pouvOIr magique, celui d' entrer dans un autre corps Il (parapu~akyapra .ea; cf_ Eliade, Le Yo ga, p. 380)_ Mais ce moyen maglq~e. porte dj l'em preinte d'une laboratiOn mdIenne : JI figure, d ailleurs, parmi les siddhi yogiques, et Patanjali le cite (Yo ga Satra, 111, 37) ct d'autres pouvoirs miraculeux. Nous ne pouvons songer recenser ici tous les aspects des tecbni(1) Sur le rappel de l'me, voir aussi W. CALA ND , Altindischu Ahnen/c ult (Leyde, 1S931 . p. 179 sq. . .. S (2) C r. p. ex. Jean FILLIOZAT, L~ D octrine classique de la IMd.eCtne tndu nne. el o"igines e t ses paralUles B"ecs (PariS, 1949). (3) Cf. F. E. CLIU.ENTS, P"imiti"e Concepts of Disetue, p. 197 (la. perte de l'Ame.

chez les Garos et chez les populations hindoulses du Nord).

326

f1) O LOGTF.S ET TE CH NIQUES CIIAMA NIQUES

CHEZ LES INDO -EU ROPEENS

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ques du Yoga qui pe uvent avoir des accointances avec le chamanisme. Du lait que la grande synthse que nous avons appele le Yoga haroque intgre un nombre considrable d'lments appartenant aux traditions magiqu es et mystiques de l'Inde , aussi bien aryenne qu'aborigne, il arrive qu'on puisse parfois identifier quelqu es lments cham aniques dans cette vaste synthse. Mais il importe de prciser chaque lois s'il faut parler d'un lment chamaniqllc proprement dit, Ou d'une tradition magique dbordant la sphre du chamanisme. Impossible d'entreprendre ici ce travail exhaustif de comparaison (1). Contentons-nous simplement de remarquer que mme le texte classique de Patanjali fait tat de certains pouvoirs fami liers au chamanisme: voler dans les airs, disparaitre, devenir extrmement grand et ex trmement petit, etc. En outre, une allusion du Yoga Stra (J V, 1) aux plantes mdicinales (ausadhi) qui, l'gal du samdhi, peuvent accorder les pouvoirs merveilleux au yogin, atteste l'utilisation des narco tiques dans les milieux yogiques dans le but, justement, d'obtenir des ex priences extatiques. Mais, d'autre part, les pouvoirs ne jouent qu'un rl e secondaire dans le Yoga classique et bouddhiste, et nombre de textes mettent en garde contre le danger que l'on court se laisser tenter par le sentiment magique de puissance qu'ils engendrent et qui est susceptible de laire ouhlier le vritahle but des efforts du yogin : la dlivra nce finale. De ce fait l'ex tase auquel on aboutit par l'u sage des narcotiques ou par d'autres moyens matriels ne peut se comparer l'extase du vritable samdhi. Mais nous avons vu que, dans le chamanisme lui-mme, les narcotiques reprsentent dj une dcadence, et qu' dfaut de moyens proprement extatiques, on a recours aux narco tiques pour amener la transe. Remarquons, en passant, que, tout comme dans le Yoga baroque (populaire), le chamanisme connait lui aussi des variantes aberrantes. Mais soulignons encore une fois la diffrence de structure qui spare le Yoga cla ssique du chamanisme : bien que ce dernier connaisse des techniques de concentration (cC . p. ex. l'initiation des Esquimaux, etc.), son but final reste touj ou rs l'extase et le voyage extatique de l'me dans les diverses rgions cosm iques, tandis que Je Yoga poursuit l'enstase, la concentration ultime de l'esprit et l' u vasion li hors du Cosmos. videmment, les origines proto-historiques du Yoga classique n'excluent nullement l'existence de Cormes intermdiaires des Yogas cham aniques, dont le but aurait t l'obtention de certaines expriences extatiques (2) .
(1) cr. EI.JA DE,.u Yoga, p. 316 sq. et id., T~cht1jqu~s du YOfa, p. 175 sq. Prcisons pourtant qu'en discutant les. origines. du Yoga, nOU5 ne nOU5 rrrons pas ncessairement au chamanisme. 'route une tradition mystique populaire, la Ma/di, 9,ui, un certain moment, envahit le Yo~a, n'es t pas chamanique. La m~lIIe observation vaut aussi po ur les pratiques d'rotique mystique ou pour d'a utres pratiques magiques parrols aberran tes (impliquant le cannibalism e, l'assassinat, etc.) qui, bien qu'tant d'origine autochtone pr-aryenne, ne sont pas cha maniques. Toutes ces confusions onl t rendues possibles par l'identification abusive entre. chamanisme. et mystique primitive f. (2) ~our .un~ opinion oppose ~ voir !ean FIl.L IOUT, s oriBin~1I d'une uc hniq~ mystlqu ~ lnd,enne (. Revue Philosophique., CXXXV1, 1946, p. 208-20), qui discute justement notre hypothse d'une origine pr-aryenne des technique. yogiques.

On pourrait trou\"el' encore certains lments chamaniqucs Il dans les croyances indiennes ayant trait la mort et au sort du trpass (1). Comme chez tant d'autres peuples asiatiques, elles ofTrent dcs traces d' une pluralit d'mes (p . ex. Taittiriya Upanisad, Il , 4). Mais, en gnraJ, l'Inde ancienne croyait qu'aprs la mort l'me montait au Ciel, auprs de Yama (Rig Vda, X, 58) et des Anctres (pitaras) . On conseillait au mort de ne pas se laisser impressionner par les chiens quatre yeux de Yama et de poursuivre son chemin pour aller rejoindre les Anctres et le dieu Yama (RV, X , 14,10-12; A.tharpa Vda, XVIII, 2,12; VIII , 1,9; etc.). Le Rig Vda ne contient pas de rlrence prcise un pont que devrait traverser le mort (Keith, ibid., Il , p. 406, n. 9). Mais on parle d'un fleuve (A V, XVIII, 4, 7) et d'une barque (RV, X, 63, 10), ce qui voque un itinraire plutt infernal que cleste. En tout cas, on reconnait les vestiges d'un ancien rituel dans lequel on rappelait au mort le chemin suivre pour atteindre le domaine de Yama (p. ex. RV, X, 14, 7-12 ; pour les Stras, cf. Keith, II, p. 418, n. 6). Et on savait aussi que l'me du trpass ne quittait pas immdiatement la terre; elle rdait autour de la maison un certain laps de temps, pouvant atteind re un an. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on l'invoquait lors des sacrifices et offrandes pratiqus en son honneur (Keith, Il , p. 412). Mais la religion vdique et brhmanique ne connat pas la notion prcise d'un dieu psychopompe (2). Rudra-Siva remplit parfois un tel rle, mais cette conception est tardive et vraisemhlahlement influ ence par les croyances des aborignes pr-aryens. En tout cas, rien dans l' Inde vdique ne rappelle les guides altaque et nord-sibrien des trpasss; on indiquait simplement au mort l'itinraire suivre, un peu dans le sens des lamentations funraires indonsiennes et polynsiennes et du Lipre des morts tibtain. La prsence d' un psychopompe tait probahlement rendue inutile l'poque vdique et brhmanique du rait qu'en dpit de toutes les exceptions et contradictions des textes, l'itinraire du mort le conduisait en direction du Ciel et, par l mme, tait moins prilleux qu'un chemin menant aux Eniers. En tout cas, l'Inde ancienne connait trs peu de t descentes aux Enlers . Bien que l'ide d'un Enler souterrain soit dj atteste dans le Rig Vda (cl. Keith , Il, p. 409), les voyages extatiques dans l'audel sont trs rares. Naciketas est donn la , Mort, pre par son et, en effet, le jeune homme se rend la demeure de Yama (l'aittirya Br. , lU , 11, 8), mais ce voyage outre-tombe ne donne pas l'impression d'une ex prience t chamanique : il n'implique pas l'extase. Le seul cas nettement attest d'un voyage extatique dans l'au-del est celui de Bhrgu, le fil s de Varuna (atapatha Br., XI, 6, 1 ; Jai(1) Voir un clair expos d'ensemble dans A . B. KEITII, The R~li8ion Qnd Philolopky of lM Veda and Upanis hads, Il, p. 4003 sq. Le monde des morts est un monde. retourn l, invers f, comme chez les Sibriens, entre autres peuples; ct. Herman LOKIII.L. Bhri(u im )ense$ (<< Paideuma " IV, 1950, p. 93-109), p. 101 sq . (2) Contrairement la thse d'E. ARBIIA.N, Rwll'a, p4ll.im.

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IDOLOGIES ET TE CHNIQUE S CIIAMA NIQUES

CHEZ LES INDO-E U ROPENS

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minya Br.} I, 42-44). Le dieu, l'ayant rendu)nconscient, envoie ~o n me visiter les diverses rgions cosmiques et les Enfers. Bhrgu aSslste mme aux punitions rserves ccux qui sc sont rendus coupables de certains crimes rituels. L'inconscience de Bhrgu, son voyage extatique travers le Cosmos, les punitioDs dont il est tmoin et qui lui sont ensuite expliques par Varuna lui-mme - tout cel~ nous rappelle l'A rd Vlrf. Avec la diffrence, naturellement, qUI peut eXIs-

clate la suite de longs efforts de concentration et de mditation est bien connue de toutes les traditions religieuses et oUe est ample~ ment atteste en Inde, depuis les Upanishads jusqu'au tnntrisme (cl. ci-dessus, p. 65 sq.). Nous avons rappel ces quelques exemples
pour llld iquer le cadre o peuvent s'inscrire certaines expriences chamaniques car, ainsi que nous l'avons souvent rp6 t au cours de cet ouvrage, le chamanisme, dans son ensemble, n'est pas toujours et

ter entre un voyage outre-tombe qui donne une image complte des rtributions post-mortem, comme c'est le cas de l'A rdd Vlrdf, et un

ncessairement une mystique aberrante et tnbreuse (1).


Citons aussi, en passant, le tambour magique et son rle dans la

voyage extatique qui ne rvle qu'un nombre limit de 8i~uations. Mais dans un cas comme dans l'autre, on peut enCOl'e dchIffrer un 8ch:na de voyage initiatique outre-tombe, repris et interprt par des cercles ritualistes. Il y aurait lieu de rappeler aussi les motifs chamaniques , qui survivent encore dans J es figures si complexes de Varuna, Yama et Nirrti. Chacun de ces dieux, sur le plan qui lui est propre, est un dieu

magie indienne (2). La lgende mentionne parlois l'origine divine du tambour; telle tradition rappeUe qu' un ndga (esprit-serpent) rvle au roi Kanishka l'efficacit du ghanta da ns les rites de pluie (3). On
souponne ici l'influence du substrat anaryen, d'autant plus que,

dans la magie des populations aborignes de l'Inde (magie qui, sans


tre toujours de structure chamanique, touche nanmoins au chama-

lieur , (1). Nombreux sont les hymnes vdiques o il est question des lacets de Varuna ,. Les liens de Yama (yamasya padbSa, AV, VI 96 2 etc. ) sont gnralement nomms les, liens de la mort (m;tyu;' llS~h A V, VII, 112, 2 ; etc.). Nirrti, lui, enchalne ceux qu'il veut perdre '(A V, VI, 63, 1-2 ; etc.) et l'on prieles dieux d'loigner , les liens de Nirrti, (A V, l , 31, 2) car les maladies sont des lacets ,
symbolisme trs complexe dans lequel s'en~dre la magie des, liens ~ (Eliade, Images et symboles, p. 120 sq.). Qu Il nous suffise ,de dire ICI que certains aspects de cette magie sont chamamques. S il est vraI que les, lacets, et les, nuds, figurent parmi les attributs les plus spcifiques des dieux de la mort, et ceci non seulement dans l'Inde
et l'Iran, mais aussi ailleurs (Chine, Ocanie, etc.), les chamans eux et la mort n'est que le
4:

nisme), les tambours tiennent une place considrable (4). C'est aussi pourquoi nous n'abordons pas l'tude du tambour dans l'lnde nonaryenne, ni ceUe du culte des crnes (5), si important dans le lamasme
et
~ans

mainte secte indienne d'orientation tantrique. Certains

dtaIls seront rapports plus bas, mais sans prtendre un expos


d'ensemble.

lien , suprme. Nous avons tudi ailleurs le

LE

CHAMANlSM CHEZ QUELQUES

TRIBUS

ABORIGNES

DE L'INDE

Grce aux recherches de Verrier Elwin , on cannait assez bien 1e


~ha,m~anisme de~ Saora, population aborigne d'Orissa d'un grand

mteret ethnologique. Ce sont surtout les autobiographies des chamans


et chamanes saora qui nous retiendront ici : elles prsentent une .ton~ante similarit avec les mariages initiatiques des chamans sibrIens que nous avons tudis plus haut (c!. p. 73 sq.). On remarque
11) Voir aussi Vf. N6LU!, SchamanuliBcM VorsUllungen im Shaktismus (in . Jahrbuch des Museum s rur V61kerkunde _, XI, Leipzig, 1952 , p. 41.-47 ). 12) E. CRA.WLEY, Dre88, Drinb and Drums, p. 236 sq. ; Claudie MAR CEL -DuBOIS L Imtruments th musique tk l'/tlde anci~nn~ (Paris,19t.1 ), p. 33 sq. (cloches) , H sq: ambour sur ca ~r e) , 46 sq. ( ta~bour deux peaux et caisse bombe), 63 sq. tambour en sablier). Sur le rle rituel du tambour dans l'aS(lamedha, ct. P. DUMONT, 'A s(lamedha, p. 150. sq: J. PRZVl. USK I ayait dj attir l'attention sur l' o ri ~ine non-aryenne du nom iOdlen du tambour, damaru; cr. Un Ancien Peuple du P enjab: lu Udumbara, (in . JournaJ asiatique ., CCV III, Paris , 1926, p. 1-59), p. 34 sq. Sur I .e tam~ou~ dans le c;ulte Y d~q!l e, cr. .J . .W. HA UER, Der Vrtya. Untersuchungen ber dU! nlchtbramanlScM Reh glon Altmd,~ns. I : D l~ Vrtya ais nj(;htbramanische Kultgenoss~n8chart~n . ari.c~r Herku,nft (S tuttgart, 1927) , p. 282 sq. (3) S. BEAL, trad., S ,-yu-Ju : Buddhtst Records of the Western World (Lo ndres 2 vol 188,. ), l, p. 66. ' " (4) Cr. quelques indica tions relatives aux Santali, aux Bhil et aux Baiga W KopPERS, Probkme thr indischen R~ligion8g~schich~ (. Anthropos _, XXXV:XXXVI 1940~1 94 1, p. 761-81 /1), p. S05 ~ t note.t76. cr. Id., Die DMl in Zentralindi~n fH or~ et Vlenn~ , 1948), p. 178 sq .. VOIr aU~ l R. RAllMA.NN, Shamanulic and Rela l~d Phenomena ln Norlhem and M ICJdle I ndla, p. 735-36. (5) P~~r le cu!te des. crnes dans 1.'lnd e non-aryenne, voir W. R UBEN , BiBe n Bchm i~tk und Damonen ln Jn dl~n (. lnternatlOnales Archiv rur Ethnographie . Suppl. XXXVII Leyde, 1939) , p. 168 , 204-0S, 244, etc. "

aussi possdent des lacets et des lassos destins au mme usage : capturer les mes vagabondes qui ont quitt leur corps. Les dieux et les dmons de la mort capturent les mes des trpasss avec un
filet ; le chaman tongouse, par exemple, utilise un lasso pour repren-

dre l'me lugitive d' un malade (Shirokogorov, Psyclwmental Complex of the Tungus, p. 290). Mais le symbolisme du , liage , dborde de
toutes parts le chamanisme proprement dit j c'est uniquement dans la sorcellerie des n uds et des liens qu'on rencontre certaines similitudes avec la magie chamanique. Enfin, on mentionnera aussi l'ascension ext.at.ique par Arjuna

de la Montagne de Siva, avec toutes les piphanies lumineuses qu'elle implique (Mahbhrata, VII, 80 sq.); sans tre, chamanique >, eUe s'encadre dans la catgorie des ascensions mystiques laquelle appartient galemen t l'ascension chamanique. Quant. aux expriences lumineuses, on se rappelle le qaumanek du chaman esquimau, l' clair ou l' 4: illumination t, qui fait soudainement vibrer son corps entier

(cl. plus haut, p. 64 sq.). videmment, la, lumire intrieure " qui
(1)

cr.

ELIADE, I mages et BYmbol~8, p. 124 8q., 130 sq.

330

mt o LOGI ES ET TE CHNIQ UES CHAM AN IQUES

C HEZ L ES

INDO- ,.: VROPI'': ENS

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cependant deux diffrences : (1) puisqu e les Saora ont a ussi bien des chamans que des chamanes, et que ces dernires so nt mme parfois en plus grand nombre que les premiers, les d eux sexes contractent ces mariages avec un tre de l'autre monde; (2) tandis que les pouses clest es des chamans sibriens habitent le ciel, ou, da ns certains cas, la steppe, les poux spirituels des Saora habitent tous le mond e souterrain, le royaume des ombres. Kintara, un chama n de Hatibadi, confia ce qui suiL Verri er EIwin: J'avais environ douze ans quand un e femme-esprit t utlaire nomme Jangmai vint moi dans un rve et me dit : t J e suis co nt ente de toi; je t'aime ; je t 'aime tant que tu dois m 'pouser. Mais je refusai et pend an t une ann e entire elle vint rgulirement me faire la co ur, tentant de me fl chir. Cepend ant, je la repoussai touj ours, jusqu'au jour o, pour finir, eHe se fcha et envoya son chien (un tigre) me mordre. Cela m'effraya et j'acceptai de l'pouser. Mais, presqu e immdiatement, une autre protectrice vint me prier de l'pouser elle. Quand la premire des deux filles l'apprit, elle dit: J 'tais la premire t'a imer, et je te considre comme mon mari. Et main te nant tu en aimes une autre, mais je ne le permettrai pas. t P ar consquent, je rpondis. non t la deuxime j eune fille. Mais la premire, dans sa rage et sa jalousie, me rendit fou, m 'entralna da ns la jungle et me droba la m moire. P end ant une ann e entire, elle fi t de moi ce qu 'elle voulut . A la fin, les parents du garon firent app el au chaman d 'un village vo isin et la premire j eune fiU e parla par sa bouche: N'ayez pas peur. Je vais l'pouser .... J 'aiderai le garon da ns toutes ses diffi cults . Satisfait, le pre arrangea le mari age. Cinq ans plus ta rd, Kintara pousa un e femme de so n village. Aprs la noce, Jangmai, la protec trice, s'adressa Dasuni, la j eun e pouse, par la bouche de leur mari toutes deux et dit : Tu vas main tenan t viv re avec mon mari. Tu puiseras son eau, tu monderas son riz et cuiras sa nourriture: tu feras tout, je ne peux rien faire. Je do i~ vivre dans le mond e souterrain. Tout ce que je peux faire, c'est aider lorsque su rvienn ent des ennuis. Dis-moi, m 'honoreras- tu ou vas- tu t e disputer avec moi ? Dasuni rpondit: Pourquoi devrais-j e me qu ereller a vec toi ? Tu es une femme-dieu et je te donnerai tout ce dont tu auras besoin. , Jangmai fut contente de cette rponse et di t : il C'est bien. Toi et moi vivrons comme des surs. t Puis elle me dit : Occup e-toi de cette femme co mme tu t' es occup de moi. Ne la bats pas. Ne la maltraite pas. , Sur quoi, eUe s'en alla . , De sa femme terrestre, Kintal'a eut u n fil s et t rois filles et, de sa protectri ce, un fils et deux fill es, vivant da ns le monde souterrain . Quand le garon v:int au monde, continua Kin ta ra, la protectrice il me l'apporta et me dit son nom; elle le posa sur mes genoux et me demanda de fair~ le ncessaire. pour sa nourritu re. Qua nd je lui eus d it que je le fer~ls , elle repartIt avec l'enfant pour le monde infrieur. J e sacrifi ai une chvre pour l'enfant et consacrai un pot . (1).
(t ) V. ELWIN', TM Relii4n o( an Indian Tr ille (Lond res et. New York, 1955 ), p. 13537.

On retrou ve le mme schma - v:i s ita~io ~. p a ~ un e.spl'ii, demand e en mariage, rsist a nce, priode d e crise algue qUI se :~sou t lorsq ue la roposition est accepte - chez le~ jeun es fille~ * choIsies. pour de;e~ir chamanes. Le rve qui contramt un e fille a accepter sa profeSSIOn et la marque du sceau de l'approbatio n surn at~relle. pr~nd la form e de visites d' un prtend ant du monde souterram qUI lUI propose le mariage avec to utes ses co nsqu ences extatiqu es et numineuses. Ce mari ~st un hind ou, beau et bien mis, riche e ~ ~bse~va~ t beaucoup de cout umes trangres aux Saora. Selon la traditIO n, Il vient a ~ plus profond de la nuit ; lorsqu'il entre dans la chambre, tO ~I S les h a bl t~nts de la maiso n sont pris sous un charme et dorm ent d un so mmeIl de mort. De prime ab ord , et dans presque t ous les ~s , la fille re fuse car la profession de chamane est la fois ardu e et pleme de da nge rs. Elle commence alors tre harcele de cauchemars : son a ~a n t dlvm l'emporte dans le monde souterrain ou menace de l~ ra lr~ tom~b er d'une grande hauteur. En gnral, elle tomb e malade j Il arr~ve merne qu' elle perde l'esprit pend ant un certain t emps et erre, p atht~qu ~ment chevele, par les champs et les bois. A c~ moment, la famIlle mtervient. Comme, dans la plupart des cas, la Jeune fille a ~eu un e du cation et un e prparation depuis un certain temps dj, c.hacun salt ce qui l'attend , et mme B i elle-mme ne rac~ nte pas ce qUl. se passe ses parents, ceux-ci en on t gnralement un e Ide assez p~CIse . Cependant , ce qu' il faut c'est que la fille eHe-mme co nfesse a .ses parents qu' elle a t. appele l, qu' elle a refu s et q~ 'eUe est . mamtenant en danger . Ceci soul age immdiatement son es prit du pOids de la culp abilit et donne t oute libert d'agir ses parents. Ils arran gen t sans tarder le mariage de la fille avec son protect eur. ' . . Aprs le mariage, le mari -esprit de la chamane lUI rend ~guh : rement visite et rest e auprs d'elle jusqu ' l'aub e. Il 'peut me,:"e lUI arriver parfois de l' emmener plusieurs jours dans la )~ngl e, ou il la ' t de vin de palme. Lorsqu e le moment est arriv, un enfant nourrI 't . f me vient au mond e et le pre-esprit l'apporte chaque nUI a s.a em our qu'elle s'en occupe. Mais leur relation n' est pas e~sen~lellem.ent i exuelle' le fait important est que le mari protecteur msplre et 1Il~ truit sa 'jeun e femme dans ses rves et que, 10~s q~'elle v~ rempl~r ses fonctions sacres, il s'assied prs d'ell e et lm dIt ce qu elle dOit faire. (Elwin, ibid., p. 11 .7-48) . . . . .' Une chamane se souvient d e la premIre VISite q~e lu~ rendIt - en rve _ un esprit prot ecteur vtu d'lga nts habIts bmdous.. E lle de ce fait dit-elle il m'enleva dans un t ourbIllon et 1e re fusa e", " . fi . m'empo rta jusqu' un t rs grand arbre o Il me lt asseOIr sur une branche fragile. Il commena alors chanter et , t out en chantant , me balancer de droite et de gauche. J e fus t ellement t errifi e l'ar l'ide que j'allais t omber d'une si grande hauteur que je m e ha.tal d' acce pter de l'pouser , (i bid. , p. 153). On a ura ,recon nu certams mot ifs t ypiquement init iatiques : le t ourbIllon, 1 arbre, le balan. f t l ' 11 cement. Une autre chamane tait dj marie et avaIt un en an orsqu e e

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IDOLOGIES ET TECHNIQUES CHAMANIQUES

CHEZ LES INDO-EUROPENS

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reut la visite d'uu protecteur et tomba malade. 1 Je fis chercher une chamane et Rasuno (l'esprit protecteur) vint et parla par sa bouche: Je vais l'pouser i si elle n'accepte pas, elle deviendra lolle. t Son mari et eUe essayrent, mais en vain, de rsister en offrant des sacrifices. pour le pro~ecteur. Elle fut finalement oblige d'accepter et apprIt, en rve, 1 art de chamamser. Elle eut deux enfants dans le monde souterrain (ibid., p. 151-52). , Dans la sance chamanique des Saora, le chaman est possd par 1 esprIt du, protecteur ~u du dieu invoqu qui parle longuement par S8 VOIX. C est cet esprit qUI, aprs avoir pris possession du chaman ou d e la .ohamane, rvle la cause de la maladie et lui dit qu'elle actIOn dOIt tre entreprIse (en gnral un sacrifice ou des olTrandes). Le chamanisme,. par possession est galement connu dans d'autres provinces de l' Inde (1). Le mariage avec un esprit des chamans saora semble tre un p~nomn~ uniqu~ en Inde aborigne; il :D'est, en tout cas, pas d'origIne kolarIenne. C est l une des conoluslOns de l'tude comparative rIChement documente de Rud olf Rahmann, Shalllanistic and Related Phenomena tn Northem and Jl.fiddle lndia (2). Nous allons citer quelques-unes des conclusions de cet import.a.nt essai. 1. L'lection. surnaturelle du futur chaman est indispensable chez les Saora (Savara), les Bondo, les Birhor et les Baiga. Chez les Balga, les Khond et les Bondo, l'lection. surnaturelle. est ncessaire mme si la fonction du chaman, est hrditaire. Chez les J uang, les Blrhor, les <?raon et les MUrI.a, 1 lu fait gnralement montre de traIts psychlques caract1'1Stlques du chamanisme (Rahmann ibid p. 730). ' ., 2. L'instruction systmatique des futurs chamans est obligatoire dans un n~mbre considrable de tribus (Santal, Munda, Saora, Baiga, Oraon, Bhll, etc. ; cf. IbId.). On trouve des preuves indiscutables de l'exJst~nce d'une crmonie d'initiation chez les Santal, les Munda, les Balga, les Oraon et les Bhil, et il y a lieu de croire que cette crmonie existe aussi chez les Korku et les Maler (ibid.). 3. Les chamans ont des esprits protecteurs personnels chez les Santal, les Saora, les Korwa, les Birhor, les Bhuiya, les Baiga, les
(1) Ct. Edward B. HARPER, Shamanism in South Indic (in. Southwes tern Journal o! AnthrodPology . , X III , Albuquerque, 195 7, p. 267-87), sur des pratiques. chamaR1q~es. a~~ le ~ord-Ouest du Mysore. Ces dernires sont des phnomnes de poss~lOn et n lmphquen~ pas ncessairement une structure ou uno idologie chamamques. O~ trouvera d a~tres exemples - correctement prsen ts comme des cas I?osscsslon par des dieux ou des dmons - dans l'excellente monograpllie do UIS DUllo!'T,? UM $0w.-Cas de l'Imk du Sud. Organisation lociale et religion <11 Pra~lala, liallar (ParIS, 1957), p. 3.-.7 sq. (possession par des dieux) 406 sq possession par des dmons). ' . (2) .Dans A!lt~ropos ., LI", 1959, p. 681-760; cf. p. 722, 754. Dans une premire 'deetlon descriptIve (p. 68~-715) , l'a~teur prsente le matriel concernant les tribus ~ anguo munda, .ou tribus kolanennes (Santal, MUllda, Korku, Savara/Saora !~~~:' 3tc)!d~es trl~OS do langue aryenne (Bhuiya, Baiga, Dhil ) e t les tribus d~ cf aussi r:Rlenye ft raon, Khond, Gond , etc.) . Sur le chamanisme des Munda d~rica (Patna vi. ~o-I O ~~~~N3~I(a;tc le Hv. A. van EMELEN), Encyclopaedia Mun~ Reli8ioru8~,chich~, p:'a01 s-q.' ,p. 422 sq., et KOPPER S, Probleme der indiuMn

f!

Oraon, le. Kbond et les Maler (ibid., p. 731) . Comme les rapports dont on dispose sur la plupart de ces tribus sont incomplets et quelque peu vagues, on peut sans crainte supposer que les caractristiques dont nous avons parl apparaissent en ralit en plus grand nombre et plus nettement qu' il n'est possible de le montrer sur la base des documents dont nous disposons. Mais le matriel dj prsent garantit l'affirmation gnrale que dans la magie et le chamanisme du Nord et du Centre de l'Inde, on trouve les lments suivants: des coles de chamans ou, pour le moins, une certaine prparation systmatique des candidats j une initiation; un esprit protecteur personnel j un appel par un esprit ou un dieu (ibid.). 4. Parmi les accessoires qu'utilise le chaman, c'est la corbeille de vannage que revient le rle le plus important. Le van est un lment ancien de la culture des peuples munda , (ibid., p. 733). Tout comme le chaman sihrien qui provoque sa transe en battant son tambour, les magiciens du Nord et du Centre de l' Inde, essaient d'obtenir le mme rsultat en secouant du riz dans le van (ibid.). C'est ce qui explique l'absence presque totale du tambour dans le chamanisme de l'Inde centrale et septentrionale. Le van a presque la mme fonction, (ibid.). 5. Des chelles jouent un rle dans les rituels chamaniques de quelques peuples. Le barua haiga se dresse un petit autel, devant lequel il plante deux mts. Prs de l'autel, il peut aussi avoir: une chelle de bois, une balanoire, une corde garnie de pointes de fer, une chaIne de fer avec des pointes aigus, une planche hrisse de pointes et des souliers percs de clous acrs. Pendant sa transe, il escalade parfois l'cheUe sans la toucher avec Jes mains et se flagelle avec les instruments mentionns ci-dessus. Il rpond aux questions ou bien du haut de l'chelle, ou bien depuis la planche pointes, (ibid., p. 702). L'chelle chamanique est aussi atteste chez Jes Gond de Mohaghir (cr. Koppers, Die Bhil in Zentralindien, pl. XIII, 1). William Crooke rapporte que le chaman des Dusadh et des Djangar (tribus de la partie orientale de l'ancienne Province du Nord-Ouest de l'Inde) construit une chelle avec les lames d'pes de bois, laquelle le prtre est oblig de monter en posant la plante des pieds sur le tranchant des armes. Quand il atteint le sommet, il dcapite un coq blanc qui est attach au haut de l'chelle (1). Chez les Saora, c on fait passer un mt de bambou travers le toit de la maison dans laquelle le rite est accompli, jusqu' ce qu'il se dresse sur le sol de la pice principale. E1win l'appelle 1' chelle cleste , .... La chamane tendit une natte neuve devant le mt et fit percher un coq sur une branche sortant de l'chelle (Rahmann, ibid., p. 696). 6. Rahmann interprte correctement comme reprsentant l'Arbre Cosmique le monticule de terre avec l'arbuste de saint basilic que l'ojlta santal et le marang deora munda entretiennent dans leurs
2 voL, 189G), cit par R.~IIMA NN , p. 737. Sur les rituels des Lolo et des Kachin, voir plus bas, p. 344 sq.

(1) W. CROOU, Popular

R~ligion

and Folk-Lore of Northern India (Westminster,

334

IO O LOGIES ET TECHNIQUES CHAMANIQUES

maisons. Le mme symbolisme de la montagne du monde ou de l'arbre chamanique se retrouve aussi dans les morceaux d'argile combins avec le serpent de fer et le trident dans l'cole des chamansserpents oraon, dans la pierre cy1indrique utilise durant la conscration prliminaire (crmonie pr-initiatique) des chamans santal de mme ,que dans le sige tournant des Munda et que, pour finir: dans la pIerre que le sokha oraon, dans UDe vision nocturne, voit comme l'image de Siva (ibid., p. 738-39). 7. Dans un grand nombre de tribus (voir la liste dans ibid. , p. 748, n. 191), le chaman rappelle l'me du trpass entre le troisime et le dixime jour aprs la mort (ibid., p. 748 sq .). Mais on ne trouve aucune preuve de Pexistence du rituel altaque et sibrien typique du chaman accompagnant l'me du dfunt au pays des morts (voir plus haut, p. 171 sq.) . En conclusion, Rahmann considre que le (l chamanisme consiste esse~tielle~ent en u.ne relation spcifique avec un esprit protecteur, rel~tlOn. qUI se maOI.feste comme suit : l'esprit s'empare du chaman qUi deVIent son mdIUm, ou alors il pntre le chaman pour l'investir d'une. connaissance et de ~ouvoirs suprieurs, et avant tout d'une emprIse sur (d'autres) esprIts (Rahmann, p. 751). Cette dfinition rend admirablement compte des caractristiques du chamanisme de l'inde centrale et septentrionale, mais elle ne semble pas pouvoir s'appl~quer, ? 'autres formes de chamanisme (comme, par exemple, celuI de 1 Aste centrale et septentrionale). Les lments, ascensionnels (chelle, pilier, arbre chamanique, axis mLLndi, eLc.) - sur lesquels, comme nous l'avons vu , l'auteur n'a pas manqu d'attirer l'attention - exigent une dfinition plus prcise du chamanisme. Du point de vue historique, l'auteur conclut que des phnomnes chamaniques se sont certainement produits en Inde avant la venue du saktisme, et [que] nous ne devrions pas supposer que les peuples mund. n'ont pas t affects par ceux-ci, (ibid., p. 753).

CHAPITRE XIl

snmOUSMES ET TECHNIQUES CHMfANIQUES AU TIBET, EN CHINE ET EN EXTHtl\IE-OHIENT

BOUDDHISME, TANTRISME, LAMASME

Lorsque, aprs l'Illumination, le Bouddha visita pOUl' la premire fois sa ville natale, Kapilavastu, il fit montre de quelques pouvoirs miraculeux . Pour convaincre les siens de ses forces spirituelles et prparer leur conversion, il s'leva dans les airs, coupa son corps en morceaux et laissa retomber sa tte et ses membres sur le sol, pour les runir ensuite sous les yeux merveills des spectateurs. Ce miracle est voqu mme par Avagosha (Buddha-carita-karya . v. 1551 sq.), mais il appartient si profondment la tradition de la magie indienne qu'il est devenu le prodige-type du fakirisme. Le clbre rope-trick (* tour de la corde .) des fakirs cre l'illusion d'une corde s'levant trs haut dans le ciel et sur laquelle le maitre fait monter un jeune disciple jusqu' ce qu'il disparaisse aux regards. Le fakir lance alors son couteau en l'air - et les membres du jeune homme tombent l'un aprs l'autre sur le sol (1). Ce rope-trick a une longue histoire en Inde et il doit tre rapproch de deux rites chamaniques : celui du dpcement initiatique du futur chaman par les dmons _, et celui de l'ascension au Ciel. On se rappelle les. rves initiatiques. des chamans sibriens: le candidat assiste au dpcement de son propre corps par les mes des anctres ou par les mauvais esprits. Mais ses os sont ensuite rassembls et souds avec du fer, les chairs renouveles et le futur chaman, en ressuscitant, dispose d'un nouveau corps .. qui lui permet de se frapper impunment avec des couteaux, de se transpercer avec des sabres, de toucher du fer incandescent, etc. Il est remarquable que les fakirs indiens passent pour reproduire les mmes miracles. Dans le rope-trick, ils pratiquent en quelque sorte sur leurs assistants le dpcement ini(1) Cf. . El.IADE, Le Y oga, p. ~19 .sq. Voir ~ussi A. J.A C? BV, .t:u.m urstckelungs und W,ederbeleblUl gswuriller der wdtschen Faktre (1 Arcillv tur RehglOnswissenschafh X VII, Leipzig, 1914, p. 455-75) .. Inuti~e de rpter que nous ne nous proccuppon~ pas de la ralit. de cc L exploiL magique. Notre seul intrt est de chercher dans quelle mesure de tels phnomnes magiques prsupposent une idologie et une techniq ue cha maniques. cr. ELIADE, AUphistophl8 et l'androgyne, p. 200 sq .

336

SYMBOLISMES ET TECHN I QUES CHAMAN I QUES

AU TIBE T , EN CHI NE ET EN EXTRME-OR I ENT

337

tiatique que leuTs conCrres sibriens subissent en rve. D'ailleurs, bien qu'i l soit devenu une spcialit du fakirism e indien, le ropetrick se rencontre aussi dans des rgions aussi distantes que la Chine, J ava, Pancien Mexique et l'Europe mdivale. Le voyageu r marocain Ibn Battta (1) l'a not en Chine au XIve sicle, Melton (2) l'a observ Batavia au XVll e sicle et Sahagn (3) l'atteste au Mexique dans des termes presque identiques. Quant J'Europe, nombre de textes, au moins partir du XIIIe sicle, font allusion des prodiges exactement pareils, excuts par des sorciers et des magiciens, qui dtenaient en outre la facul t de voler et de se rendre invisibles, tout comme les cbamans et les yogis (4). Le rope-trick Cakirique n'est qu'une variante spectaculaire de l'ascension cleste du chaman; cette dernire reste toujours symbolique car le corps du chaman ne disparatt pas et le voyage cleste a lieu en esprit )). Mais le symbolisme de la corde, comme celui de l'chelle, implique ncessai!ement la communication entre Ciel et Terre. Par la mdiat.ion d ' un~ corde ou d'une chelle (comme, d'ailleurs, par une liane, un pont, une chaine de flches, etc.), les dieux descendent sur la Terre et les hu mains montent au Ciel. Tradition archaique et largement rpandue que nous rencontrons en Inde ainsi qu'au Tibet. Le Bouddha descend du Ciel Trayastri ma par un escalier, avec l' intention de battre le chemin des humains . ; du haut de l'escalier, on peut voir, au-dessus, tous les Brahmalokas et, en bas, Jes profondeurs
(1) VOljales d'ibn Batoutah, texte arabe dit ct traduit par C. DeC rmery et le br. B. R. Sa nguinetti {Paris, 4 vol., 1853-79) , I V, p. 291292 : ... Or il prit une boule

de bois qui avait plUSieurs trous, par lesquels passaient de longues courroies. Il la jeta en l'air, et elle s'leva au point que nous ne la vlmes plus [... ]. Quand il ne resLa dans sa main qu'un petit bout de la courroie, le jongleur ordonna li un desesapprentis de s'y suspendre, et de monLer dans l'air, ce qu'il fit, jusqu' ce que nous ne le vissions plus. Le jongleur l'appela trois fois sans en recevoir de rponse j alors il prit un couteau dans sa main, comme s'il et t en colre, il s'aLtacha li la cOI'de et dispa~ut aussi. .Ensuite il j ~ La par terre une main de l'enfant, puis un pied, aprs cela 1 autre ma1O, l'autre pied , le corps et la tte. Il descendit en souffiant, tout haletant, ses habits taien t tachs de santr [... ]. L'mir lui ayant ordonn quelq ue chose, notre homme prit les membres du Jeune garon, et les attacha bout bo ut et voici l'enrant qui se lve et qui se tient tout droit. Tout cela m'tonna beaucoup: et j'en eus une palpitation de cur, pareille celle dont je souffris chet le roi de l'Inde, quand je fus tmoin d'une chose analogue ... . cr. aussi H. YULE , trad ., The Book of Ser Marco Polo (H. CORDIER, d., Londres. 2 vol., 1921 ), J , p. 318 sq. Sur le ropetrick dans les lgendes hagiographiques musulmanes, voir L. MASSIGNON, La Pas,ion d'al-Hosayn-ibn-Man,our al-Hallaj, martyr mystique de l' I slam, excut Baldad le 26 mar, !J22: tude d'histoire religieuse, (Paris, 2 voL, 1922),1, p. 80 sq. 21 Passage reproduit par A. JACOB Y, ibid., p. 460 sq. 3 E. ::)ELBR, Zaubert, im olten Mexiko (in Olobus., L XXV III , 6, 1900, p. 89-91; 1 repris dans ses Gesammdl.e Abhandluncen .lur amerikaniachen Sprach- und Alterthumskunde, Berlin, 5 voL, 1902-13, Il , p. 78-86), p. 84-85 (d'aprs Sahagtin). (4) V~ir los nombreux exemples groups par JA.coey, op. cit., p. 466 sq. et par EL IADE, Mp~UltophlA, et l'androgyne, p. 200 sq. ; cf. aussi id., u Yoga, p. 319. 11 es t encore ~alals de dcider formellement si le rope-trick des sorciers curol?ens est dO. un e lOnuence de l,a magie orientale ou s'il drive des anciennes techmques chamaniq ues locales. Le fall ~:J1.~ e., d.'un ct, le r~~e-trick so it attest a~ l'IIexique et. que, de l'autre, le dpcem~nL mJtlatlque du maglclen se rencontre aussI en Austrahe, en Indonsie e ~ en Am~que du Sud, nous. incline croire qu'en Europe, il pourrait tre quostion d une ~urvlvance dos. techmques magiques locales, pr-indo-europennes. Sur le symbohsme de la lVitation et du 1 vol magiq ue 1 voir Ananda COO MARASWAMY H,dui, m and Buddhum (New York, 194.3), p. 83, 269. '

de l'Enler (1), car c'est un vritable Axis mundi dress au Centre de l' Univers. Cet escalier miraouleux est figur sur les reliefs de Bharhut et de Sanc et, dans la peinture bouddhiste tibtaine, il sert aussi aux humains pour monter au Ciel (2). Au Tibet, la fonction rituelle et mythologique de la corde est encore mieux atteste, spcialement dans les traditions pr-bouddhistes. Le premier roi du Tibet, Gna-k'ri-bstan-po, serait descendu du Ciel au moyen d'une corde appele rmu-l'ag (3). Cette corde mythique tait aussi figure sur les tombes royales, signe que les souverains montaient au Ciel ap rs leur mort. La communication ne fut d'ai!leurs jamais interrompue, pour les rois, entre le Ciel et la Terre. Et les Tibtains croyaient que dans les temps anciens les souverains ne mouraient pas, mais qu'ils montaient au Ciel (4), conception qui trahit le souvenir d' un certain . paradis perdu t. Toujours dans les tradit.ions Bon, il est question d'un clan, dMu, nom qui dsigne en mme temps une classe de dieux; ceux-ci habitent le Ciel et les morts les y rejoignent en escaladant une chelle ou en grimpant une corde. Sur la terre se trouvait jadis une cat gorie de prtres qui prtendaient possder le pouvoir de gnider les trpasss au Ciel parce qu'ils taient les maitres de la corde ou de l'chelle : c'taient les dMu (Tucci, op. cil. , p. 714). Cette corde, qui reliait en ce temps-l la Terre au Ciel et servait l'ascension des morts vers la demeure cleste des dieux dMu, a t remplace par la corde divinatoire chez d'autres prtres Bon (ibid. , p. 716). Ce symbole survit - peuttre - dans le bout d'tolTe des Na-khi qui reprsente le pont de l'me pour se rendre au royaume des dieux (ibid., citant Rock; voir plus bas, p. 346 sq.). Tous ces traits lont partie intgrante du complexe chamanique de l'ascension et de la psychopompie. Il serait chimrique de vouloir recenser en quelques pages tous les autres motifs chamaniques prsents da ns les mythes et les rituels Bon-po (5) et persistant dans le lamaism,e et le tantrisme indo-tib-

II cr. COOMARASWA.M V, Svayamdtrrnd: f' 27, n. 8; 42, n. 64 . 2 Giuseppe T UCC I, (Rome, 2 vO ., 191,,9), II , p. 348, et I ta nka nO 12, pl. XIV-XXII. Sur le symbolisme de l'escalier, voir aussi plus bas,
A.

J anua Coeli,

Tibetan Painted, Scrou..

n:

p. 378. (3) R. SUUf, uao-Tche, p. 68, n . 1. L'auteur ra\lpelle que J aschke, dans son diction naire, cite sous ce mot le rgyal rabs et prCise qu'il semble dsigner certains moyens surn alurels de communication entre les anciens rois tibtains et leurs anctres qui demeurent parmi les dieux. Voir aussi H . HOP,.ANN , Q~lkn :zur Geschichte du tibetiachen Bon-R eligion, p. 11,,1 , 150, 153, 21,,5 ; id., The R eligio", of Ti~, (trad. angl., New York, 1961), p. 19-20 j M. HU.ARKS, M yth.en. und My,tel'ien, Magie und R eligion der Tibeler (Cologne, 1956), p. 35 sq. (4) G, Tuccr, Il, p. 733-34. L'a uLeur rarpelle le mythe chinois et t 'al d'une communication entre Ciel et Terre, sur leque nous reViendrons. A Oil@'i t, o la religion Bon a t trs vigoureuse, on rencontre encore de nos jours la trad ition d'une chaine d'or relia ~t le Ciel . la.Terre (ibid., p. 73 4, citant , ~olk -Io re J, XXV, 1914, p. 397). 5) DepUIS la Descnplion du Tubet de KLAPROTJI 10 J ournal asiatique l , sr. II , \ V, 1829, p. 81-1 58 , 24 1 -3~4 i VI , 1830, p. 161-246, 321-50; cr. p. 97, 148, etc.), les savants occidentaux, sUivant en cela les rudits chinois ont identifi le taolsme avec la reli"ion Bon-po; voir l'histoire de cette confusion (due probablement Aune fa ute d Abel R~musat, qui avait vu dans le terme tfU)-chih , le LaolSte .), dana W. ,W . ROCIt.UILL, 7 he Land of the LamQ.J: Notu of a .Journey through China, Mongoha, and Ttbet (New York eL Londres, 189 '1), p. 217 sq" cr. aussi YULE, The Book

Le CIHlmanSllle

22

338

SYMBOLISME!; ET TECHNIQ UES CUAMA N IQUES

AU TIBET, EN CHINE ET EN EXTRME-ORIENT

339

tain. Les prtres Bon-po ne se distinguent en rien des vritables chamans; ils sont mme diviss entre Bon-po. blancs, et Bon-po noirs " bien que tous utilisent le tambour pour leufs ri tes. Certains prtendent tre possds pa r les dieux ,; la majorit pratiquent l'exorcisme (Tucci, p. 71 5 sq.). Une catgorie de Bon-po s'appelaient les possesseurs de la corde cleste , (ibid. , p. 717). Les pawo et les nyen-jomo sont des mdiums, hommes et C emm es, considrs par les bouddhistes comme des reprsentants typiques du Bon . Ils ne dpendent pas des monastres Bon du Sikkim et du Bhouta n et semblent tre les vestiges du Bon dans sa Corme la plus ancienne, non organise, comme elle existait avant que le , Bon blanc, (Bon dtkar) se soit dvelopp selon l'exemple du bouddhisme (Nebesky-Wojkowitz, Oracles, p. 425). Il semble qu'ils arrivent tre possds par les esprits des morts et qu e, pendant leur transe, ils entrent en communication avec leurs divinits protectrices (1). Quant aux mdiums Bon, une de leurs principales fonctions tait de servir de porte-parole temporaire des esprits des morts, qui allaient plus tard tre conduits dans l'autre monde, (2). Les chamans Bon sont rputs utiliser leurs tambo urs comme vhicules leur permettant de se dplacer dans les airs. Le vol de Na ro bon chung l'occasion de son tournoi magique avec Milarpa en est un exemple classique (3). La lgende selon laquelle gS hen rab mi bo volait sur une grande roue, dont il occupait la position centra le tan-

of Su Afa~co Polo, l , p. 323 sq. Sur le Bon, voir Tuec l, Ti betan Paind Sc~oll.t, n, p. ?11 -38; les ouvrages dj cits d e H . H OFF MA NN el son a rticle Gien. Eine kziJr08raph8ch-reli8iofl8wi8Sefl8chaftliche UnNlu ch"ng (in Zeitschrilt der d eu lschen morgenHl.ndischen Oesellschart ' . XCVIII, Leipz ig. 1944, p. 340-58), en particulier p. 34'1 sq.; M. HERMAN NS. Mythen, p. 232 etpasA' im; LI An-che, Don: the MagicoR eligio", Delief of the Tibetan-Speaking Peoples (in Southwestern J ournal of Anthropology l, IV, 1, Albuquerque, 1948, p. 3'1 -(11 ); S. HUMM El" Ceheimn isse tibeti,chu Malutien . 1/ : Lamaistische Swdien (Lcipzil!' 2 vol. . t 9'. 9-59). p. 30 sq . ~ . de NUESltY-WO JK OW ITZ, Oracles and DemonR of 1'Ibet, p. '. 25 sq. ; id. , Die tibeh sche n 'hl- R eligio n (in . Archiv lr Vl kerkund e '. Il , Vienne. 1947, p. 26-68). Sur le pa nthon la marste el les divinits de la maladie et de la g urison , voir : Eugen PANDER. DQ.6 lama i8ti.che Pantheon (<< Zeitschrift fiir Ethn ologie " XXI, Berlin , 1889. p. 411-'8); I<~. G. REINIfOLO-MOLLI'.:R., Die Kran kheita- und H eilgouheilen de. Lamaf8mUfl (. Anthropos l , XXII, 1927, p. 956-991). H UXMEL a entrepris une analyse hIStorique du Bon, en le comparant nOIl seule ment avec les chamanismes d u Ce!ltre et ~u Nord de l' Asie, mais a ussi a vec les conceptions rcli~ie uses du ProcheOrient a~ c len et des Indo-europens; cr. Grundzge einer Urge6chlchte der tibet.schen KultW' (m Jahrbuch des Museums rr Vlkerkunde ", X III, 1 954, Leip:r.ig, 1955, p. 73-134) , spciaJement p. 96 sq. ; id . Eurasiat8che Traditionen in der tibetischen Bon-Reli8ion (in . Opuscul a ethnologica memoriae Ludovici Biro sacra Budapes t 1959, p. 165-2 t2 ), en particulier p . 198 sq . ' (t) NUBUY-WOJllOWITZ, Oracle" p. 425. Cf. aussi J . MORR IS, LIflK wilh the upchaA (Lo ndres, 1938), p. 123 sq . (description de la transe d'une mdium). Selon HERMAN N!!, le cha manisme lepcha n'est pas identique a u Bon-po mais reprsente un e forme plus archaque de chamanis me; cr. The Indo-Tibetalls (Bo mbay, '1 954), p. 49-58. '128_ Chez les Lepcha galement, la chamane !2) .NU ESIt.Y-WO.n.OWITZ , Oraclu, Ulvl~e l'esprit du mort a entrer en el e ava nt qu'il so it conduit d:ms l'au-dela; cr. id. , Anctent /'unual CU~lnoni~s of the pchas (in . Eastern An thropologis t ", V, 1, Lucknow, 195 t , p. 2? -39), p. :.i:i sq. (3) .T~x te tradUit par H . HOFPlllANN, Quellen ::ur Ceschichte der tibtlischtn BonR ell' Io n, p . 274.

dis que ses huit disciples taient assis sur les huit rayons, peut bien reprsenter une survivance d'une tradition semblable , (1). Il est probable qu' l'origine, le vhicule tait le tambour chamanique, remplac plus tard par la roue, symbole bouddhiste. La cure du chaman Bon comporte la recherche de l'Ame du malade (cf. H. Hoffmann, Quellen, . p. 117 sq.), technique spcifiquement chama nique. Une crmome analogue prend place lorsque l'exorciste tibtain est appel gurir un malade: il entreprend une qute de l'me du patient (2). Le rappel de l'me du malade exige parfois un rituel extrmement complexe impliquant des objets (des fils de cinq couleurs diffrentes, des flches, etc.) et des effigies (3). Ren de Nebesky-Wojkowitz a rcemment mis en valeur d'autres lments chamaniques dans le lamasme tibtain (cf. Oracles, p. 538 sq.). Dans l'oracle de l'tat, la transe prophtique, indispensable la divination crmonielle, prsente un caractre parachamanique trs accentu (4). Le lamasme a conserv presque intgralement la tradition chamanique des Bon. Mme les plus fameux maltres du bouddhisme tibtain passent pour avoir opr des gurisons et fait des miracles dans la plus pure tradition du chamanisme. Certains lments qui ont contribu l'laboration du lamasme sont vraisemblablement ?'origine ta~trique et, peut-tre, indienne. Mais on ne peut pas touJours en dcider; lorsque, d'aprs une lgende tibtaine Vairochana le disciple et le collaborateur de Padmasambhava, exp~lse du corp~ de la reine Ts'epongts'a l'esprit de la maladie sous la form e d'une pingle noire (5), sommes-nous devant une tradition indienne ou tibtaine? Padmasambhava ne fait pas seulement preuve de la capacit bien connue de vol magique des Boddhisattvas et des arhats car lui aussi traverse les airs, s'lve au Ciel, et devient Boddhisa ttva: Sa lgende accuse galement des ~raits purement chamaniques : sur le toit de sa maison, il danse une danse mystique vtu uniquement des. sept parures en os , (Bleichsteiner, p. 67), ce qui nous ramne au costume du chaman sibrien. On connalt le rle tenu par les crnes humains et les femmes dans les

f.'

(t) NIlBESKY-WOaowlTz. Oracks. p. 542. Sur la divination par Je tambour des ~rtr:es Bon du Sikkim el du Bhou tan, techniq ue comparable a ceUe des cha mans Sibriens, cf. id . Tbetan Drum Divination, Ngamo 1 (in Ethnos 1 XVII t 952 p. 149-57). ' , (2) cr. la. descriplion d'une sance a vec un exorciste de Lhassa da ns S. H . RIB8A.CH Drolpa Namgy al. Ein Tiberkben (Mun ich et Planegg. 1940). p. 187 sq. j cl. aussi H . H OPFMANN, Quelkn, p . 205 sq. (3) Cf. le te xt~ du ~Vlll' :sicle, tr~~uit et co~ment par F . D. LuslN c . Calling the So!,l.: a Lamaut Rituel. (m ~IIUtIC .and O rle n~ Studies: a Volume Presented 10 WIUlam P opper on the OccasIOn or hlS Seventy-Flrth Birthday October 29 1949 1 W . J. FIS CHEL, d., Berkeley et Los Angeles, 195 1, p. 263-84)_ " (4) NBUSl.Y-WOJJtOWITZ, Oraclu, p. 428 sq . ; ct. aussi id. Das tibeti,che Staauo.raJrel (in. Archiv fr Vlk~rkunde . .In, Vienne.. 1948, p. 136-55) , et, plus particuh rre ment, D. SCIiROOP.l\, ZIU' R eliGion de,. TUJ en de. Sininggebietes (K ulcunor) t ., partie,l p. 27-33, 8'16, 850; 2' partie. p. 23'-48, et id., Zur S ,ruktu,.!ks Schama ~ nI,lntu, p. 86'-68, 8?2-73 (su r le gurtum [chaman) du K ouk()u- no~). (5) R. BI.EI CIf STf. INt-:II., L'J!gltjaune, p. 71.

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SYMBOLISMES ET TE CHNIQUES CHAMANJQUES

AU TIB ET, EN CIIINE ET EN EXTf\tME -O tHENT

341

crmonies tantriques (1) et lamastes (2) . La danse dite du squelette jouit d'une importance toute spciale dans les 8cna~i.o8 ,dramatiques appels tcham qui se proposent, entre autres, de familIariser les spectateurs avec les images terribles des divmlts protectnces qUI surgIs sent dans l'tat de bardo, c'est--dire dans l'tat intermdiaire entre la mort et une nouvelle rincarnation. De ce point de vue, le tcham peut tre considr comme une crmo~e initiatique car il ap~orte certaines rvlations concernant les exprIences posthumes. Or, Il est frappant de constater combien ces costumes et ces masques tibtains en forme de squelettes rappellent les costumes des chamans de l'Asie centrale et septentrionale. Daos certains cas, on a incontestablement affaire des influences lamastes, influences trahies d'ailleurs par d'autres ornements du costume chamanique sibrien et mme par certaines formes de tambour. Mais il ne faut pas se presser de conclure que le rle du squelette dans le symbolisme du costume chaman~que de l'Asie septentrionale remonte umquement une mfluence lamruste. Une telle influence si elle s'est rellement exerce, n'a fait que raffermir des conceptio~s autochtones trs anciennes, touc~ant la s~crali~ de l'os de l'animal et, par voie de consquence, de los humam (VOIr plus haut, p. 137 sq.). Quant au rle de l'image de son propre s~ue lette, si important dans les techmques mdIta tives du bouddhIsme mongol, n'oublions pas que l'initiation du chaman esqUImau comporte galement la contemplation de son propre squelette; on se rappelle que le futur angakok dpouille par la pense son corps de la chair et du sang, de manire n'en garder que les 08 (cf. plus haut, p. 65). Jusqu' plus ample inform, nous inclinons croire ,\ue ce type ~e mditat ion appartient une couche arohaque de sptr1tu ~ht, prebouddhiste, qui se fondait d'une manire quelconque sur 1 IdologIe
(1) Voir ELUDE, Le YO g Cl, p. 291" sq. , sur les Aghorl et les K.p~ika (. p orte~rs d~ crnes _). Il est vraise mblable que ces sectes asctiqu~s et orgJ~s.tlques ~ la fO lS, q,Ul pratiquaient encore le cannibalisme la .fin du XIX ' SIcle (cf. ,b~~.) a':'81en t ,a~slmtl certaines traditions aberrantes ayan t trwt au culte des crnes (qullmphque d ailleurs, mainte fo is la manducation ritu elle des parents i cf. p. ex. la coutume des Issdons note par Hrodo te, IV, 26). Sur les prcdents .prhlStoriques du culte de~ crnes, cf. H. BRBUIL et H. OBERMAIER, Crdnes pClMolithlques fw;on nu e~ co.upe (. L Anthropologie " XX, 1909, p. 523-530) i P . W.ER.N BRT,. L' An~hropophag le ~ltlUUe et la chasse aux Uks aux poques actuelk el palo hth,q ~ (10 L Anthropologie " XLVI, 1936, . 334.3) ; id., Cul~ de. crdnes. Rep ris~ntalons des e,pri~ .des dfu~lts el de, anclln8 tn M. OOME, R. MORTIER et al., Hislol1'e gn!a .des ret.lo!'" Pans, 5 vol., 1944-51, p. 51.102) , pauim; J . MUI NGBR, Vorge.chu:hlCM Rehg lon, p. 112 sq., 220 sq., 24S . 1 P roceed (2) C . W. W. RO CItHILL, On the Use of Skulls inLamaut Ceremonle.' mgso f the Amcrican Oriental Society., XL, 18.88, Ne'!l Haven, 1890, p. x XIV-XX~I) iB. LA UFBR, Use of Human Skulls and Bones in T,bd (Field Museum of Na~ural . HlSto~{',l? epart ment of Anthropology Publication X, Chicago, 1923). Les Tlbtams utilisaient les crnes de leurs pres tout com me I~s I~~ons (ibid., p. 2) ma~s, auj?~rd'hui, le culte familial a disparu et, d '~ prs LA,!F&R (,.bld:, p. 5 ), I ~ r:01e magu~~ .rel l gl eux ~es crnes semble tre une innovatIOn tantrique (lvatste). MalS il est pOSSible que les mfluences indiennes se soien t superposes un a ncien fond de croyances lo c~l es; cf. le rO le religieux et divinatoire des crAnes. des c ham ~ns ~he:r: les Yukaglur (JOCJlELSON, The Yukaghir, p. 165). Sur les rela LlOns proto-hlstorlQ,ues en tre le culte d~s crA nes et l'ide de renouyellement de la vie cosm ique, en Chme et en IndonSie, cf. Carl l-J BN TZB, Zur ur. prUn liche Becku lu nt de. chine.i.chen ~icJ~1U t'oll = K opf (_ Anlhropos _, XLV, 1950, p . 80 1-820).

''1 .

des peuples chasseurs (la sactalit des os) et avait pour objet d' extraire l'me de son propre corps en vue du voyage mystique, c'est-dire de l'extase. Il existe au Tibet un rite ta ntrique, nomm tchoed (gtchod ), de structure nettement chamaniste : il consiste offrir sa propre chail' dvorer aux dmons, ce qui rappelle trangement le dpcement initiatique du futur chaman par des, dmons, et les mes des anct res. Voici le rsum qu'en donne R. Bleichsteiner : , Au son du tambour fait de crnes humains et de la trompette taille dans un fmur, on se livre la danse et l'on invite les esprits venir festoyer. La puissance de la mditation fait surgir une desse sabre au clair; elle saute la t te de celui qui prsente le sacrifice, elle le dcapite et le dpce; alors les dmons et les btes f.uves se prcipitent sur ces dbris pantel.nts, en dvorent la chair et en boivent le sang. Les paroles prononces font allusion certains Jatakas , qui racontent comment le Bouddha, au cours d'incarnations de jadis, livra sa propre chair des animaux affams et des dmons anthropophages. Mais en dpit de cette affabulation bouddhiste, le rite, conclut Bleichsteiner, n'est qu'un mystre sinistre remontant des temps plus primitifs. (1). On se souvient qu'un rite initiatique similaire se rencontre chez certaines tribus nord-amricaines. Nous sommes, dans le cas du tchoed, en prsence d'une revalorisation mystique d' un schma d'initiation chamanique. Le ct sinistre est plutt apparent: il s'agit d'une exprience de mort et de rsurrection qui est. t erri.fiante! co~me toutes les expriences de cette classe. Le tantrtsme mdotlbtam a spiritualis encore plus radicalement le schma initiatique de la mise mort )j par les dmons. Voici quelques mditations tantriques ayant pour obj et le dpouillement du corps de ses ch. irs et la contemplation de son propre squelette. Le yogin est invit se reprsenter son corps comme un cadavre, et sa propre intelligence comme une Desse irrite, ayant une face et deux mains et tenant un couteau et un crne. Pense qu'elle tranche la tte du cadavre et qu'elle coupe le corps en morceaux et les jette dans le crne en offrande aux divinits ... Un autre exercice consiste se voir comme un squelette blanc, lumineux et norme, d'o sortent des fl ammes si grand~s qu'elles remplissent le Vide de l'Univers D. Enfin, une troisi.mAe. ~di tation propose au yogin de se contempler, transform en dkml- irrite, arrachant la peau de son propre corps. Le t exte continue : tends cette peau a fin de recouvrir l'Univers [... ]. Et sur elle amoncelle t ous tes os et ta chair. Alors, quand les mauvais esprits sont en pleme rjouissance de la tte, imagine que la dkin irrite prend la peau et la roule [... ] et la prcipite terre avec forco, la rdUIsant, amsl que tout son contenu une masse pulpeuse de chair et d'os, que deJ
(1) R. BUI CBSTl! t NBR, L'J5glile jauM, p. 19:1-95. Su ~ le gldod, v. aussi Alexand ra thvlD -NEIL, Mystiques et Maicien. du Thloet (ParIS, 1929) , p. 126 sq.; ELiADII: , Le YOgCl, p. 321 sq.

342

SYM80LIS~[ES

ET TECHNIQIH:S CIHMANIQUES

AU TIUET, EN

CIII NE }:T EN

EXTRME-ORIENT

hordes de btes sauvages, produites mentalement, vont dvorer .. . , (1).


On se rend compte, par ces quelques extraits, de ]a transformation que peut s~bir un. schma chamanique lorsqu'i] est intgr dans un systme plulosophlque complexe, comme le tantrisme. L'important pour nous est la survivance de certains symboles et mthodes chama-

mdiaire entre le rcit du chaman-psychopompe et les tablettes orphiques, qui indiquaient sommairement au trpass les bonnes directions prendre dans son voyage de l'au-del i il prsente galement nombre de traits communs avec les chants funraires indonsiens et polynsiens. Un manuscrit tibtain de Touen-houang, intitul Expos du chemin dit mort et traduit rcemment par Marcelle Lalou (1), dcrit les directions v iter, en premier lieu le .. Grand Enfer :l, qui se trouve 8 000 yojana sous terre et dont le Centre est de fer enflamm. , A l'intrieur de la maison de fer, dans les enfers de toute sorte, d'in-

niques jusque dans des techniques de mditation trs labores et


orientes vers d'autres buts que l'extase. Tout ceci illustre assez il nous semble, l'authenticit et la valeur spiritueHe initiatique 'de mainte exprience chamanique.

Soulignons enfin brivement quelques autres lments chamaniques du Yoga et du tantrisme indo:tibtain. La , chaleur mystique " atteste dj dans les textes vdIques, occupe une place considrable
dans les tech.niqu es yogico-tantriques. Cette (( chaleuT est provoque pa~ ~a rtenhon de la respiration (cl. Majjhimanikdya, J, 244, etc.) et

nombrahles dmons

(rk~asa)

tourmentent et affiigent en brlant,

rtissant et coupant en morceaux ... Il (2). L'Enfer, le pretaloka, le monde (Jamblld"pa) et le Mont Meru se trouvent sur le mme axe, et le trpass est invit se diriger directement vers le Meru , sur le sommet duquel Indra et 32 ministres trient les te transmigrants

specIalen;ent par la , transmutation, de l'nergie sexuelle (cf. le Yoga IIbetam, p. .168 sq., 201 sq., 205 sq.), pratique yogico-tantrique a.ssez obscur~ malS fonde sur le prnayma et sur diverses visualisatIOns JI. Cer~ames preuves initiatiques in do-tibtaines consistent justement vrdier le degr de prparation d' un disciple par sa capacit de
scher, directement sur son corps nu et en pleine neige, un grand nomb~e de draps trem ps, durant une nuit d'hiver (2). Une preuve simi-

(M. Lalou, p. 45). Sous le vernis des croyances bouddhistes, on reconnait facilement l'ancien schma de l'A xis Jfundi, les communications entre les trois zones cosmiques et le Gardien qui trie les mes. Les lments chamaniques sont encore plus transparents dans le rite funraire comportant l'insertion de l'me du dfunt dans son effigie (cr.

laIre caractrise l'initiation du chaman mandchou (plus haut, p. 104),


et 1 ,1 est probable que nous sommes ici devant une influence lamaIste. MaIS la chaleur mystique. n'est pas ncessairement une cration de la magie indo-tibtai~e i nau,s 8,,:ons cit l,'exemple de ce jeune esqui-

plus haut, p. 174 sq., la description d' un rituel golde analogue). L'effigie (ou name-card) figure le dfunt agenouill, les bras levs en un geste de sup plication (3). On invoque son me : Que le mort dont
l'effigie est fixe cette carte vienne ici. Que la conscience de celui qui

a quitt ce monde et est en passe de changer de corps se concentre sur cette effigie symbolique, qu'il soit dj n dans l'une des six sphres
ou qu'il erre encore dans l'tat intermdiaire, o qu'il se trouve ... (ibid., p. 266). Si l'un de ses os est encore disponible, on le place sur la name-card (ibid., p. 267). On s'adresse encore au dfunt: , coute, toi qui erre parmi les illusions d'un autre monde! Viens cet endroit

mau du Labrador qUI resta cmq JOurs et CInq nuits dans la mer glace
et qUI, ayant prouv qu'il n'tait pas mme mouill obtint immdiatement le titre d'an gak?k. L~ chaleur intense provo~ue dans son propre corps est en relatIOn dIrecte avec la maltrisB du feu et on est fond consid rer cette dernire technique comme ext~mement

arch arque. De struct.ure chamanique galement ce qu'on a appel Le Liere des morts tl.btam (3). Bien qu'il ne s'agisse pas rigoureusement d'un guide psychopompe, on peut comparer le rl? du prtre qui rcite, l'usage du tr~pass, des textes rItuels sur les Itinraires post-mortem, avec la fonctIon du chaman altaque ou golde qui accompagne symboliquement le mort dans l'au-del. Ce Bardo thOdol reprsente un stade inter(1)leLama !<asi
et
8

des plus enchanteurs de notre monde humainl Ce parapluie sera ta place, ta protection, ton autel consacr. Cette effigie est le symbole de ton corps, cet os le symbole de ta parole, ce bijou le symbole de ton esprit ... 0, fais de ces symholes ta demeure! (ibid.). Puisque l'on croit que le dfunt est susceptible de renaltre dans n'importe laquelle
des six sphres de l'existence, on s'efforce de le librer .. de chacune

d'elles son t our en dplaant son effigie autour des ptales de lotus de telle manire qu'il progresse des enfers la sphre des esprits
malheu reux, puis celles des animaux, des hommes, des titans et des dieux . (ibid., p. 268). Le but du rituel est d'empcher l'me de s'incarner dans un de ces six mondes et de la forcer, au contraire, atteindre la rgion d'Avalokiteivara (ibid., p. 274). Mais les t echniques qui

.. des mditations de ce genre que s'adonnent certains yogins indiens dans Ible~ent, es cllnetlres.

DA;-"A-SAMOUP (lrad .) et W . Y . EVAN' S-WENU (d.), Le Yoga tibtain doctrVte8 8eC,.el!8 (trad. fr., Paris, 1938 ), p. 315 sq., 332 sq. C'est, vraisembla-

(2) En tibtain ce tte . chaleur psychique. porte le nom de gtlnHno (prononciation : tou~o) . pe.s draps sont plongs dans J'eau elace ; ils y glent el en sortent raid is. Chan es diSCiples en enroule un autour de lUi et doit le dgeler et le scher sur son corps. tU n s que le ,hnfc ~t sec, on le ~epl.ontr~ dan s l'eau et J c candidat s'en enveloppe de leoulea u. L op ration se pOUrsUit amsl Jusqu 'au lever du jour. Alors cclui qui a sch NP us A~ran~ nombre de. ~raps est proclam le premier du concours ... (A. DAV ID _ ti8~~'Stu~~tlqut'I' I et A!laglCUn8 du Thibtt, p. 228 sq.). Ct. aussi S. Hur,ufl':L, Lamai8len, ,p. ~ sq. R;JVANS-WENTZ (d.) et Lama Kasi DAWA-SA MDUP (trad .), Th e Tibttan Book of the texte' t~n:;ai;.qU I,n 1~1'ln ad' un frre e~ croyance ou un ami affectionn, doit lire le orel e u mort, mais sans la toucher.

visent faire entrer le dfunt dans une effigie et le guider travers


les enfers et les mondes extrahumains sont purement chamaniques.
(1) Marcelle LALou, Le Clumin tk8 mo,.t8 dan. le. c"oyance8 cU J{au~-A 8 ie (1 Revue de l'Histoire des Religions J , CXXXV, Paris; 1949, p. 42-48). (2) l bid., p. 44. cr. la Montagne de Fer rencontre par le chaman altalque dans sa descente aux enfers. Les tortures infliges par les ,.k~(Ua rappellent en tout point les rves iltiatiques des chamans sibriens. (3) D. L. SNKLLGI\OVB, Buddhi.t Himalaya (New York,1957), p. 265.

344

SYMBOLISMES ET TECHNIQ UES CUAl\IANIQ UES

AU TIBET, EN CH INE ET EN EXTRME-ORIENT

345

Au Tibet, nombre d'autre. ide. et technique. chamaniques ont


survcu dans le lamaIsme. Ainsi, par exemple, les lamas-sorciers

suite d'un pch " le chemin a t coup (1). Mais, en mourant,


l'homme retrouve le chemin du ciel: c'est, au moins, ce qui ressort de certains rituels funraires, o le pimo, prtre chaman, lit auprs du

luttent entre eux par des moyen. magiques tout comme le font les chamans .ibrien. (B1eichsteiner, op. cit., p. 187 .q.). Le. lamas commandent l'atmosphre exactement comme les chamans (ibid., p. 188 sq.), ils volent dans les airs (ibid., p. 189), ils excutent des danses extatiques (ibid., p. 224 sq.), etc. Le tantrisme tibtain
connaU un langage secret, nomm II: langue des dl1kint " tout comme lcs

mort des prires o il est question des batitudes qui lui choiront au ciel (Vannicelli, op. cit., p. 184). Pour atteindre celui-ci, le trpass doit
passer un pont: aux sons mls du tambour et du cor, d'autres prires

sont dites qui guident le mort vers le pont cleste. A cette occasion le
prtre-chaman enlve trois poutres du toit de la maison, pour qu'on puisse voir le ciel; Popration s'appelle ouvrir le pont du ciel" (Van-

diverses coles tantriques indiennes utili.sent le langage crpusculaire dans lequel le mme terme peut avoir jusqu'. trois ou quatre

nicelli, p. 179-180). Chez les Lolos du Yn-nan mridional, le rituel


funraire est un peu diffrent. Le prtre-chaman accompagne le cercueil en rcitant ce qu'on appelle Cl le rituel du chemin j le texte, aprs avoir dcrit les lieux que le mort traverse entre sa maison et la tombe, poursuit en mentionnant J es villes, les montagnes et les fl euves qu'il aura franchir avant d'atteindre les monts Taliang, la patrie d'origine

significations dilTrentes (1). Tout ceci se rapproche jusqu' un certain point du langage des esprits. ou du langage secret. des chamans,
aussi bien nord-asiatiques que malais et indonsiens. Il serait mme

trs instructif d'tudier dans quelle mesure les techniques de l'extase mnent des crations linguistiques, et de prciser leur mcanisme.
Or, on sait que la u langue des esprits des chamans, non seulement s'efforce d'imiter les cris des animaux, mais contient un certain

nombre de crations spontanes qui s'expliquent vraisemblablement par l'euphorie pr-extatique et l'extase.
Cette rapide revue des matriaux tibtains a permis de constater, d'une part, une certaine ressemblance de structure entre les rites et les mythes Bon-po et le chamanisme et, d'autre part, la survivance des

de la race lolo. De l, le mort se dirige vers l'Arbre de la Pense et l'Arbre de la Parole, et pntre aux Enfers (2). Laissant de ct la diffrence qui spare les deux rituels touchant la rgion vers laquelle se dirige le mort, remarquons le rle de psychopompe rempli par le chaman; 10 rituel doit tre rapproch du Bardo thOdol tibtain et des
lamentations funraires indonsiennes et polynsiennes.

thmes et des techniques chamaniques dans le bouddhisme et le lamasme. Survivance, n'exprime peut-tre pa, assez clairement le vritable tat des choses; il faut plutt parler d'une revalorisation des anciens motifs chamaniques et de leur intgration dans un systme de thologie asctique o leur contenu mme a subi une altration radicale. Rien d'ailleurs que de normal, si l'on songe que la notion mme

La maladie tant interprte comme la fuite de l'me, la gurison comporte l'appel de l'me : le chaman lit une longue litanie dans laquello l'me du malade est prie de revenir des monts, des valles, des fl euves, des forts et des champs lointains, de tout lieu o ene erre (Henry, p. 101; Vannicelli, p. 174). Mme rappel de l'me chez les
Karens de Birmanie, qui traitent d'ailleurs d'une manire similaire les u maladies l) du fiz, en priant son me de revenir aux rcoltes (3). Comme on le verra bientt, la crmonie se rencontre galement chez

de l' me - fondamentale dans l'idologie chamanique - change compltement de sens la suite de la critique bouddhiste. Quel que soit le degr de rgression du lamalsme par rapport la grande tradition mtaphysique bouddhiste, on n'a pas pu y revenir la conception raliste de l' me " et ce seul point suffit distinguer les
oontenus d'une technique lamaste de ceux d'une technique chamanique.

les Chinois.
Le chamanisme lolo semble avoir subi l'influence de la magie chinoise. Le couteau et le tambour du chaman lolo, comme d'ailleurs les

noms des esprits " portent des noms chinois (Vannicelli, p. 169 sq.). La divination est pratique la manire chinoise (ibid., p. 170). Et un des rites chamaniques lolos les plus importants, l' " chelle des
couteaux
:l,

D'un autre ct, comme nous le verrons bientt, l'idologie et les pratiques lamalstes ont pntr profondment en Asie centrale et
septentrionale, contribuant donner nombre de chamanismes

se rencontre galement en Chine. Ce rite se pratique

l'occasion des pidmies. On construit une double chelle faite de36 cou(1) Luigi VunucBLLf, La reU,ioM dei Lolo, p. 4.4.. (2 ) A. HBNRY, The Lolos and Other Tribe. of We.U1'1l China (- Journal of the Royal Anthropological Institule ., XXXIII, 1903, p. 96-107), p. 103. (3) Cf. Rv. H . l. MARSHALL, TM Karen, Peopk o{ BUl'ma: a Study in AnthropoloY and Ethnol0&tl (Colombo, 1922), p. 245 ; VANMICELLl, p. ~ 75; ~L I :\DI, ; Traili d'hlltoire ch. nlig'D~. p. 291. Le ral?pel de l'me du malade fal.t part~e mtgrante du crmonial chamantque des Kachms et des Palaungs de Btrmante, des Lakhers, des Garos et des Lushais de l'Assam; cr. FRAZBR. A{u,math, p. 216-20. Cr. aussi Ncuy!!'fYAN-1.1I0AN, Repchage ch l'me, avec une note ,ur le, Mn et lelf phdch d'aprA, lu crr;,yance. tonhinoile. act/Uille. (in. Bulletin de l'l!":cole franaise d'Extrme-Orient" XXXIII , Hanoi, 1933, p. 1134. ). Sur les Lambours mtalliques dans le culte des mort.8 des Garos, des Karens et d'autres peuples apparents, cr. H III!'fB-OELDBRN, B~utung und Jlerhun{' ch, iiltuten hinurindilchen Metallt,ommtln (Kenelgong.) (1 Asia Major., VIII, Leipzig, 1933, p. 519-5:37) .

sibriens leur physionomie actuelle.


PRATIQUES CHAMANIQUES CHEZ LES LOLOS

Comme les Thai, comme les Chinois (2), les Lolos savent que les
premiers hommes circulaient librement entre la terre et le ciel; la
2 H. MA5Pho, Ugendu mythologiq/Ui' .~M le Chou hing (~ Journal Asiali9ue " g~ . IV,. 1924, p. 1-10~ ), p. 94. sq. F. KllC hl Nu ... uw.l, Die WellIJnfthag. der Cf. ELuoa, Le Yoga , p. 251 sq.
j

Japatu.chen Mythologu, p. 3U" sq.

In

346

SYMBOLIS MES ET TECHNIQUES C HAMA NIQUES

A U TIBET , EN CHINE ET EN EXTR~IE-ORIENT

347

teaux et le chaman, pieds nus, monte jusqu'au sommet et descend de

l'autre ct. A cette occasion on chauffe blanc quelques lames de ferde


charrue et le chaman doit passer dessus. Le P. Lietard observe que ce rite est t proprement lolo car les Chinois recourent toujours aux cha-

nan (1). D'aprs Rock, l'autorit la plus rcente et la mieux inlorme en la matire, la religion des Na-khi serait du pur chamanisme Bon (2). Ce fait n'exclut nullement le culte d'un Btre suprme clest e, M,
trs voisin par la structure du dieu chinois du ciel, Ti'en (Bacot,

mans lolos pour l'accomplir (Vannicelli , p. 154-55). On a probablement aITaire un vieux rite chamanique modifi sous l'influence de la magie chinoise. En eITet, les formules prononces {~urant cet~e ~ r. monie sont en langue lolotte , seuls les noms des esprits sont ~hmOls: Ce rite nous parait trs important. Il comporte, en effet, 1 ascenSIOn symbolique du chaman sur un escalier, variante de l' ascension l'aide d'un arbre, d'un poteau, d'une corde, etc. 11 est accompli en cas d',pidmies c'est-A-dire en cas d'extrme danger pour la comm unaute, et quoi q~' il en soit de la significati?fi actuell e, le sens ori~inaire impliquait l'ascension du chaman au Cwl pour rencontrer le Dieu cleste et le prier de mettre fin A la maladie. Le rle ascensionnel de l'escalier se retrouve ailleurs en Asie et nous aurons l' occasion d'y revenir. Ajoutons pour l'instant que l~ chaman chingpo de la Ha~te Birmani~ p~a tique l'ascension d'un escalier de couteaux A l'OCcaSIO? de so~ l~ltla tion {il. Le mme rite initiatique se retrouve en Chme, malS 1~ est probable que nous avo ns aITaire, dans ce ca~, ~ un b~ritage protoillstorique commun Atous ces peuples (~olos, ClllnOls, Chmgpos, ~t?,), car le symboli sme de l'ascension chamamque se rencontre en de~ regIO~s tro~ nombreuses et trop loignes les unes des autres pour qu on pUlSs~ IUl

p. 15 sq.). Le sacrifice priodique au Ciel est mme la crmonie la


plus ancienne des Na-kh i ; on a des raisons de croire qu'il tait dj pratiqu du temps o les Na -khi nomadisaient sur les plaines herbeuses

du nord-est tibtain (3). A cette occasion les prires au Ciel sont suivies
de prires la Terre et au genvrier, l'Arbre Cosmique qui soutient

l'Univers et se dresse au Centre du Monde. (Rock, The Muan bpo Ceremony, p. 20 sq.). Comme on le voit, les Na-khi ont conserv la substance de la loi des pasteurs de l'Asie Centrale : le culte du ciel, la conception des trois zones cosmiques, le mythe de l'Arbre du Monde qui, plant au Centre de l'Univers, le soutient de ses .mme branches. Aprs la mort, l'me devraitfmonter au Ciel. Mais il laut compt er
avec les dmons, qui la forcent descendre aux Enfers. Le nombre, la puissance, l'importance des dmons ont donn la religion des Mo-so

son aspect si proche du chamanisme Bon. En effet, Dto-mba Shi-lo, le fondateu r du chamanisme Na-khi, est pass dans le mythe et le culte
comme le vainqueur des dmons. Quoi qu'il en soit de sa personnalit
historique " sa biographie est totalement mythique: il nalt du ct

gauche de sa mre, comme tous les hros et les saints , s'lve immdia-

assigner une. origine . historique prcise. Des traces d'un chamamsme

du typ e de celui qu'on trouve en Asie centrale se renco?trent c~ez. les chamans des Mos blancs d'Indochine. La sance conSiste en llmltation d'une chevauche i le chaman est cens aUer la recherche de l'me du malade, qu'il russit d'ailleurs toujours A capturer. D~ns certains cas particuliers, le voyage mystique comporte une ascenSIOn cleste. Le chaman excute une srie de bonds et on dit qu'il monte au

tement au Ciel (comme le Bouddha) et pouvante les dmons. Les dieux lui ont donn le pouvoir d'exorciser les dmons et de guider les mes des morts au royaume des dieux. (Rock, Studies, l , p.i8). Il est la fois psychopompe et Sauveur. Comme dans d'autres traditions de l'Asie centrale les dieux ont envoy ce Premier Chaman pour dfendre
(t ) Cf. Jacques BACOT, u. Mo.o (Leyde, 1913 ); Joseph F. ROCI:, The Ancien! Nakhi Kingdom of Southwe.t China, (Harvard-Yenchin Institute Monograph Series, v ol. IX, Cambridge, Mass., 2 vol., 1941). (2) Joseph F. ROCI, Studies in Na-khi Literalure .. 1. The Birth and Orifin of Dto-mba Shi-lo, the Fourukr of lM Mo-so ShamanBm Accordin, to MO-la Manrucripu (1 Artibus Asiae _, VII, 1-4, Leipziif, 1937, p. S-85: le mme texte dans le _ Bulletin de l'gcole Franaise d'Extrme-Orient " XXXVII, HanoI, 1931, p. 13 9): JI. The No-khi H 6. li p'i or tM Road the Cadi Decitk (- Bullelin" ibid., 40119). Le mme auteur a rcemment publi des ContributiolU t() 'M Shamoni.m 0 Ou Tibeton-Chiru.e Borrkrland. (in _ Anthropos " LIV, 1959, p. 196-8 18), dont la premire partie est consacre au Ua-bu , le sorcier authentique des Na-khi. Selon toute probabilit, l'office de lla -bu tait rempli par des femm es dans l'ancien temps (p. 797). Cet office n'est pas hrditaire et la vocation est dclare par une crise presque psychopathique; la personne destine devenir un Uabu danse jusqu'au temple d'une divinit gardienne. - On suspend un certain nombre de foulards rouges une corde 1 au-dessus de l'image du dieu. Si la divinit _ agre i'homme, un des foulard s rouges lui tombera dessus . Sinon, l'hom me ... n'est considr que comme un pileptique ou un fou et on le ramne la maison. (p. 191-98 - un passage qu'il faut ajouter la documentation que nous avons donne SQus Cham~nisme et psychopathologie ,; ct. plus haut, p. 36 sq.). Pendant la sance, les esprits parlent par la voix du Ua-bu, mais il ne les mcarne pas, il n'est pas _ possd - (p. 800, etc.). Le lia-bu tmoign e de pouvoirs typiquemenl chamamques : il marche dans le feu et touche du fer chauff blanc P. 80 t). L'tude de Rock contie~l aussi des observations personnelles sur le NdG-pa, J e. sorcier mo -~o du Yun.nan (Chme) !p. 801 sq.), et s,!r le . run f-ma tibtain, le - gat:dlen de la FO I' (p.. 806 sq.). Cf. aussI S. H UII.IL, Die Bedeutll.nf du Na-khi far die ErforBchll.nf chr tlbeti8chen Kultur . (3) J. F. Rocl: , The Muan bp6 Ceremo lly or lM Sacri{i.ce to H~a"en Practiced by the Na-khi (1 Monumenta Serica _, XIII, Pkin, 1948, p. 1-t60), p. a sq.

ciel (2).
CHAMANISME CHEZ LES

Mo-so

r.

Des conceptions trs proches de celles du Li"" des morts tibtain se rencontrent chez les Mo-so ou Na-khi, populations appartenant la lamille tibto-birmane et vivant depuis les dbuts de l' re chrtienne dans le sud-ouest de la Chine et spcialement dans la province Yun-

_ ! !

(1) Hans J. WElutLI, Beitrag : ur Ethnolo:~ der ChinKfaw. (Kachin) "on Ober-Durma Internationales Archiv fUr Ethnograph lc " Su pp . XVI , Leyde, 1904 ), p. 54 d'aprs Sladen). Le chaman chingpo (tum8a) utilise, lui aussi, un - langage secrel. (ibid., p. 56) . La maladie cst interprte commc le rapt de l'me ou comme son v~.8'~ bondage (ibid. ). Cf. aussi Y u LE, The Book of Su Marco Polo, Il, p. 97 sq . Sur ~ 101tiation du Mwod ft/ad des Thai noirs du Laos, voir Pierre-Bernard LUONT, Pral'qlU' midicaU' th. Thai noirs du Laos rk l'ou~s' (in _ Anthropo& " LIV, 1959, p. 819-40), p.825-21. 2) Cf. G. MORECHAHD, Prindpauz traiu du chamalllnu mo blanc en J1U)ch ine in _ Bulletin de l'gcole franaise d'Extrme-Orient " XLVII, 2, HanoI, 1955, p. 509-46), en particulier p. 51:1 sq., 522 8q .

a.

348

S YM DOLI S ME S ET TEC H NI QUES CH AMAN IQUES

A U TIB ET, E N CHINE ET EN EXTR: ME-O RI EN T

349

les hommes contro les dmons. Le mot dtomba, d'origine t ibt aine et l'quivalent du tibtain ston-pa, maltre, londateur ou prom ulgateur d' une doctrine partioulire , indique nett ement qu'il s' agit d' une innovation : le " chamanisme est un phnomne post rieur l'organisation de la religion na- khi. Il a t rendu ncessaire par l'accroissement terri fiant des dmons J) et plusieurs raisolls donne nt croire que cette dmonologie s'est dveloppe sous l'influence des ides religieuses chinoises. La biograpbie mytbique de Dto-mba Sbi-lo contient le schma de l'initiation chamanique, bien qu'avec des adult rations. Frapps par l'extraordinaire intelligence de l'enlant qui vient de natt re, les 360 dmons l'enlvent et le portent fi. l'endroit o s'entrecroisent mille chemins (o'est--dire, au , Centre du Monde ) ; l, ils le 10nt cuire dans un chaudron pendant trois jours et trois nuits j mais, quand les ~ m on s soulvent l e couvercle, l'enlant Dto-mba Shi-lo apparait mtact (Rock, S tudtell, l , p. 37). On pense aux ' rves init iatiques des chamans sibriens, aux dmons qui cuisent trois jours le corps du futur chaman. Mais comme il s'agit, dans ce cas, d'un Maitre exorcisL e qui est par excellence un tueur de dmons, le rle que jouent ces dmons dans l'initiation est camoufl: l'preuve initiatique devient une t entative d'assassinat. Dto-mba Shi-Io , Iraie le chemin l'me du t rpass . La crmonie Cunraire s'appelle just ement zhi mii., le chemin-dsir ., et les nombreux t extes qu'on rcite auprs du cadavre constituent un pendant au L i.," des morts tibtain (1). Le jour des lun railles les officiants dploient un long rouleau ou une toffe sur laquelle s~nt peintes les diverses rgions infernales que le trpass doit traverse r avant d'att eind re Je royaume des dieux (Rock, S tudies, Il , p. 41). C'est la carte de l'itinraire compliqu et dangereux au oours duquel le mort sera guid par le chaman (dto-mba ). L'Enler est const itu de neul enceintes, au xquelles on accde aprs avoir pass un pont (ibid., p. 49). La descente est dangoreuse car les dmons bloquent le pont ; le dto-mba a justeme~t pour mission de frayer le chemin . En ne cessant d'invoquer le PremIer Chaman (2), Dto-mba Sbi-lo, il par vient conduire 10 mort, d'enceinte en enceinte, jusqu' la neuvime et dernire. Aprs c~tte descente pa~mi le,s dmons, le trpass gravit les sept Montagnes d Or, arrIve au pIed d un Arbre dont le sommet porte la mdecine d'immortalit " et pntre finalement dans le royaume des dieux (3).
Le nom bre de ces textes est considrable (ib id., p. 40) .
co~mogo nie

En sa qualit de reprsentant du Premier Chaman Dto-mba Shi-Jo le dw-m.ba russi~ " frayer.le ~hemin . du mort et le guider pormi les e~cemtes de 1 E nfer, o Il r.lsquerait autrement d'tre dvor par l~s demons. Le dto-m ba condUIt le trpass symboliquement , en Jui lisant les textes rituels, mrus il se trouve t ouj ours auprs de lui 1: en esprit . Ill'averti~ de tous les dangers: a 0 mort, lorsque tu pas'seras erms par La-ch'ou. Ton me le pont et le chemlll, t u les trouveras C sera inoapable d'arriver au royaume des dieux ... (Rock S tudies Il p. 50) . E t il lui communique sur-le-champ les moyens d~ s'en ti;er ~ la lamille doit sacrifie r aux dmons car ce sont les pcbs du mort qui obstruent le cbemin, et la lamille doit rachet er ses pchs par des sacrifices. Ces quelques indications donnent une ide de la fonction du chamanisme dans la religion na-khi: le chaman a t envoy par les dieux pour dfondre les hommes contre les dmons ; cette dlense est encore plus ncessaire aprs la mort car les hommes sont de grands pcheurs, c~ q UI en laIt de drOIt la prOIe des dmons. Mais Jes dieux, pris de pitI pour les hommes, ont envoy le Premier Chaman le ur montrer le chemin de la demeure divine. Comme cbez les Tibtains la communication entre la Terre, l'Enfer et le Ciel se fait par un xe vertical l'Axis mund,i. La ~escente ~ost~ume aux Enfers, avec le passage d~ pont et la pentratIOn labyrInthique dans les neul enceiates conserve encore le schma initiatique ,: personne ne peut arriver au' Ciel sans tre auparavant descendu aux Enlers. Le rle du chaman est aussi bien celui d'un psychopompe que d'un mattre initiat eur post-mortem. Selon toute vraisemblance, la situation du chaman l'intrieur de la religion na-khi reprsente un stade ancien par lequel ont aussi d p.ass~r les autres re.ligions de l'Asie centrale; on trouve, dans les mythes sibn ens du P r~mIC r C.haman,. des allusions qui ne sont pas sans rapports avec la bIOgraphIe mythIque de Dto-mba Shi-Io.

SY MBOL ISMES ET T EC HNIQ UE S CHAMA NI QUES EN C III NE

(t ) Voir la traduction co mmente qu'en donne Roclt. St ud i~,. II . p. 46 sq., 55 qs.

Il existe en Chine la coutume suivante: lorsque quelqu' un vient de mourir, on monte sur le toit de la maison et on supplie l'me de revenir son corps, en lui mo ntrant, par exemple, un beau vtement neur. Le rit uel est amplement attest dans les textes classiques (1) et il s'est perptu jusqu' nos jours (2) ; il a mme lourni Sung Yh le sujet d' un long pome intit ul justement le rap pel de
1) Cr. S. COUVJl.EUR (trad.), Li-Ki ; ou, Mmoires SUI' k, bien8a nc~.~, l~, crmoni~. e (2 d., Ho-kien!u, 2 vo l. . 1 9~? ) . l , p. 85, 181, 199 sq.; Il . p. H . 125, 20 .... etc.;
p. - ,. ~ sq; Sur les cO II ~eptlo n s clunOises all-ch,,'j~sl8che,! {tIIS~d.,,0l"'lellun8e!, (1.

(2) E n effet, ~o us ~ rituels fun raires rptent en quelque sorle la cration du

monde et la biographie de Dto-mba Shi-Io ; chaque texte com mence par voquer la et raconte ensuite la naissance miraculeuse et les gestes hrolq ues de Shl .l ~ dana sa lutte con tre les dmons. Cette ractualisation d'un illud ~mpu~ mythique el de l'vnemen t primordial qui a rvl l'effi cacit des gestes du Premier Cha man - gestes devenus par]a ! uite exemplaires et rptables ad infinitum - est le comportement. normal de l'homme archatque : cr. ELIADE. My, h~ th l 't~rntl ,.~tou,., {> . ....... sq. et pa8l1m . (3) RoCK , S~udieB, Il . p. 91 s~ . t 01 sq. Voir aussi id. , l'h~ ZlIi Mtl Fu ne,.al Ceremony of~Jae Na-kil, of ~O U'hIWlB' Cluna : DeBcl"ibed and l'l'a nBla ~d fl"om Na-khi M anusc,.iptB (Vienne et MOdhng, 1955), p. 95 sq . 105 sq., H6 sq., t 99 sq. et pa..im.

Mitteilungen der Gesellschaft lr Vlkerkunde :f. J. LClpug, 1933. p. 1-5) ; Id. The Cod of Death in A ncien, China (1 T'oung P ao :f, XXXV. Leyde. 1940, p. 185-210). 2\ cr. p. ex. 1'heo KORNER, Da6 ZUl"ckl'ufen der See l~ in K u~ ich ou (1 E thnos , 11 4. -5, 1 ':138, p. 10811 2). '

..~. M. de GROOT. TM .Reh glo~ .~ystem of China (Leyde, 6 vol.. 1892-1910), l , de la vie aprs ]a mor t. cr. E . EUES, Di~

350

SYM BOLIS MES ET TECHNIQUES CHAMANIQUES

A U TIBET, EN CHINE ET EN EXTR ,F:r.t E-ORIENT

351

l'me (1). La maladie, elle aussi, implique souvent la fuite de l'me, et alors le sorcier la poursuit en extase, la capture et lui fait rintgrer le corps du patient (2). La Chine ancienne connaissait dj plusieurs catgories de sorciers et de sorcires, des mdiums, des exorcistes, des faiseurs de pluie, etc. Un certain type de magicien retiendra surtout notre attention: l'extatique, celui dont l'art consistait en premier lieu extrioriser son me, en d'autres termes voyager en esprit J. L' histoire lgendaire et le lolklore de la Chine abondent en exemples de vols magiques , et nous ve rrons tout l'heure qu' l'poque ancienne dj, les Chinois a vertis considraient le CI: vol. comme une formule plastique de l'extase. En tout cas, si on laisse de ct le symbolisme ornithomorphe de la Chine protohistorique - sur leq uel nous reviendrons plus tard - il est important de constater que le premier qui, d'aprs la tradition, ait russi voler, lut l'empereur Chouen (22582208 d'aprs la chrono logie chinoise). Les filles de l'empereur Yao, N Ying et 0 Houang, rvlrent Chouen l'art de voler comme un oiseau. (il) . (On remar quera en passant que la so urce du pouvoir magique rsidait, jusqu' une certaine date, dans les femmes, dtail qu'on pourrait considrer, avec quelques autres, comme l'indice d' un ancien matriarcat chinois) (4). Notons le lait qu'un Souverain parfait doit possder les prestiges d'un 1. magicien J. L' c extase n'tait pas moins ncessaire un Fondateur d'tat que ses vertus politiques car ce prestige magique quivalait une auto rit, une juridiction sur la Nature. Marcel Gra net a observ que le pas de Y le Grand, le successeur de Chouen, c ne se distingue point des danses qui provoquent l'entre en transe des sorciers (Ciaochen) ... La danse extatique lait partie des procds par lesquels s'acquiert un pouvoir de commandement sur les hommes et sur la Nature. On sait que ce Pouvoir rgulateur, dans les textes dits taoistes comme dans les textes dits confucens, se nomme Tao (5).
(2) E. EuES, Da.s 1 Zu,.ack,.u(en du Seek , (ChaoHun) dts Sung l 'a h (InauguralDlSS., Leipzig, 1914 ). Cf. aussi H. MUPERO, Le. Relifion. chinoises (Mlanges posthumes sur les religions et l'histoire de la Chine, l , Paris, 1950), p. 50 sq. (2 ) Ce type de gurison se pratique encore de nos jours; cf. d e GROOT, V I, p. 1.28 t. , 1319, etc. Le sorcier a le pouvoir de rappeler et de rintgrer rnme l'me d'un animai mort: ct. ibid., p. 12tt. (la rsurrection d'un cheval). Le sorcier Lhai envoie quelquesunes d e ses mes la recherche de l'me gare du malade, et il n'oublie pas de les prvenir de prendre le bon chemin lorsqu'eUes reviendront dans ce monde. Cf. Mu puo, Le. Rtlifions chinouel, p. 218. (3) E. CHAVANNES (trad.), Le. Mmoi,.e" huto,.iqlU. dt Se-ma-T,'un [Su-ma Ch'un], (paris, 5 voL, 18951905), l, p. 74. Cf. d'autres textes dans B. LA UFER, T~ p ,.ehutory o( A viation, p. 1'1 sq. 4) Sur ce problme, voir E . EUES, Der p,.imat dt. lYeibe. im alten China (. Sinica" \ V, 1935, p. 16676). Sur les fill es de Yao et les preuves de la succession au trne, cr. Marcel GUNn, DaMe. et Ufendu dt la Chine ancienne (Paris, 2 vol., 1926), l, p. 276 sq. et pa.s.im. Pour une critique des vues de Granet, cr. Carl H ENTl.It, B,.onze fe ,.a" Kultbauten, Relifion im tilltllten China dt,. S hanf-Ztit (Anvers, 1951 ), p. 188 sq. (5) Marcel GUNn, Remarque. ,u,. le taoume ancien (. Asia Major" Il , Leipzig, 1925, p. 1!i.5-51) , p. H,9. Voir aussi id., Danse. et UftTlde., l, p. 239 sq. et p48$tm. Sur les lments archalques du mythe de Y le Grand, cr. Carl HENTl. E, Mythes et ,ymbolt. lunai,.e. (Anvers, 1932 ), p. 9 sq. et passim. S ur la danse de Yii, cr. W . EBERHARD, Lokalkultu,.en im alten China (pe partie: Die Lokalkultu,.en des I\'O,.dtn8 und Westens, Leyde, 19'12 ; 2. partie: Die Lohalhullu,.en des Sdens und Ostells," MOllumenta serica ., Ill, P kin, 2 vol., '19/(2 ), 1re partie, p. 362 sq.; 2e partie, p. 52 sq.

En effet, nombre d'empereurs, de sages, d'alchimistes et de Sorciers. mont.aient au Ciel .t (1). Houang-ti, le Souverain Jaune, Cut enlev au Ciel par un dragon barbe, avec ses Cemmes et ses conseillers au nombre de soixante-dix personnes (Chavannes, Afmoires historiques, vol. Ill , 2' partie, p. 488-89). Mais ceci est dj une apothose, et non plus le vol magique . dont la tradition chinoise connalt nombre d'exemples (Lauler, The Prehiswry of Aviation, p. 19 sq.). L'obsession du vol s'est traduite par une Ioule de lgendes relatives aux chars ou d'autres appareils volants (LauCer, ibid.). Nous avons affaire, dans les cas de ce genre, au phnomne bien co nnu de la dgradation d'un symbolisme, un phnomne qui consiste en gros obtenir sur le plan co ncret de la ralit immdiate, des, rsultats , qui se rfrent une ralit intrieure. Quoi qu'il en soit, l'origine chamanique du vol magique est, en Chine aussi, nettement attes te. Monter au Ciel en volant. s'exprime en chinois de la manire suivante: au moyen de plumes d'oiseaux, il a t transrorm et est mont comme un immortel ,. ; et les t ermes savant plumes,. ou hte plumes,. dsignent le prtre taoste (Lau!er, ibid., p. 16). Or nous savons que la plume d'oiseau est un des symboles les plus rrquents du vol chamanique .t, et sa prsence dans J'ico nographie protohistorique chinoise n'est pas sans intrt pour valuer la difTusion et l'anciennet de ce symbole et, partant, de l'idologie qui le prsuppose (2). Quant a ux taostes, dont les lgendes lourmillent d'ascensions et de toute autre espce de miracles, il est vraisemblable qu 'ils ont labor et systmatis les techniques et l'idologie chamaniques de la Chine protohistorique et que, par consqu ent, ils doivent tre considrs comme les successeurs du chamanisme bien meilleur titre que Jes exorcistes, les mdiums et les. possds ,. dont nous parlerons par la suite ; ces derniers, en Chine, comme ailleurs, reprsentent plutt la tradition aberrante du chamanisme. Nous voulons dire que, lorsqu'on ne russit pas mattriser les esprits " on finit par tre possd .. par eux, et la technique magique de Pextase devient, en ce cas, un simple automatisme mdiumnique. A ce propos, on est rrapp de co nstat.er, dans la tradition chinoise du vol magique .. et de la danse cbamanique, l'absence d'allusions la possession. On retrouvera plus loin quelques exemples o la technique cbamanique aboutit une possession par les dieux et par les esprits, mais dans les lgendes des Souverains, des taoistes immortels, des alchimistes et mme des. so rciers " bien qu' il soit toujours
(1) En Chine comlile chez les Tha 011 trouye le souvenir de la commun ication qui existait entre le ciel et la terre dans les temps myLhiques. Selon les mythes, ceLte communication a ~ t rom:p u ~ afin que les dieux ne pui.ss~nt plus descendre opprim er les hommes (versions clullOIses) ou que les homm es n'I mportunent plus les dieux (versions thal). H . Mupuo, Le. Relifions chinoiuB, p. 186 sq. Voir a ussi plus haut, p. 336 sq. L'e:tplicntion donne par les versions cill noiscs denote une rinterprtahon tardive d'un thme mythique archaque. (2) Sur les rapport!> entre les a iles, le duvet, le vol et le taoTsme, cr. M . KAI,T F.N MARK. (d . et trad.) , Le Liesicn tchouan ( niOK,.aphi~s lgendai,.es des Immo,.tels taostel de l'antiquiti) (Pk in , 195:.1), p. 12 sq.

cr.

352

SYMBOLISMES ET TECHNIQUES CIIAMANIQUES

AU TIBET, EN CHINE ET EN EXTRftlE-ORtENT

353

question d'ascension au ciel et d'autres miracles, on ne parle pas de possession. On est fond considrer tous ces faits comme appartenant la tradition . classique t de la spiritualit chinoise, qui comporte aussi bien une mattrise spontane de soi-mme qu'une parfaite intgration dans tous les rythmes cosmiques. En tout cas, les taostes et les alchimistes avaient le pouvoir de s'lever dans les airs : Liu An, connu aussi sous le nom de Huainan Tae (2e sicle av. J.C.), montait vers le Ciel en plein jour, et Li Chao-Kn (140-87 av. J.C.) se vantait de pouvoir dpasser le neuvime ciel (1) . Nous montons au Ciel et cartons les comtes 1 t, disait une chamane dans sa chanson (2). Un long pome de K' h Yan parle de nombreuses ascensiaos jusqu'aux t Portes du Ciel t, de chevauches fantastiques, de l'ascension sur rare-en-ciel, - tous motifs familiers du folklore chamanique (3). Les contes font de frquentes allusions des prouesses de magiciens chinois rappelant s'y mprendre les lgendes cres autour des fakirs: ils volent dans la lune, passent travers les murs, font germer et pousser une plante en un clin d'il, etc. (4). Toutes ces traditions mythologiques et folkloriques ont leur point de dpart dans une idologie et une technique de l'extase impliquant le , voyage en esprit ,. Depuis les temps les plus anciens, le moyen classique d'aboutir l'extase fut la danse. Comme partout ailleurs, l'extase permettait aussi bien le vol magique J du chaman que la descente d'un t: esprit J j cette dernire n' impliquait pas ncessairement la t: possession J j l'esprit pouvait inspirer le chaman. Que le vol magique et les voyages fantastiques travers l'Univers ne fussent, pour les Chinois, que des formules plastiques pour dcrire les expriences de l'extase, le document suivant, entre autres, le prouve. Le Kwoh y raconte que le Roi Chao (515-488 av. J .C.) s'adressa un jour son ministre, en lui disant: Les critures de la dynastie Tchou affirment que Tchoung-li a t envoy comme messager dans les rgions inaccessibles du Ciel et de la Terre. Comment une telle cbose a-t-elle t possible 1... Existe-t-i! des possibilits pour les hommes de monter au Ciel 1... , Le ministre lui explique que la vritable signification de cette tradition est d'ordre spirituel: ceux qui sont justes et peuvent se concentrer sont capables d'accder sous forme de connaissance a ux hautes sphres, et aussi de descendre dans les sphres infrieures et d'y distinguer la conduite observer, les choses faire ... Cette condition ralise, des shm intelligents descendent en eux; quand le shen s'tablit de la sorte daus un homme, celui-ci est nomm hih, et s'i! s'tablit dans une femme, celle-ci est appele wu. Comme

fonctionnaires, il. ont la charge de veiller l'ordre de prsance des dieux (aux sacrifices), leurs tablettes, et aussi leurs victimes sacrificielles, aux instruments ainsi qu'aux costumes crmoniels revtir suivant les saisons. (1). Ceci semble indiquer que l'extase - qui provoquait les exprienoes qu'on traduisait par c vol magique J, c ascension au Ciel l, t: voyage mystique J, etc. - tait la cause de l'incorporation des shen, et non son rsultat: c'est parce que quelqu'un tait dj capable d' accder aux hautes sphres et de descendre dans les sphres infrieures , (c'est-A-dire, de monter au Ciel et de descendre aux Enfers), que les shen intelligents descendaient en lui . Un tel phnomne semble tre assez diffrent des (C possessions,. que nous rencontrerons plus loin. Bien entendu, et trs tt, la, descente des shen; a donn lieu un grand nombre d'expriences parallles qui ont fini par se confondre dans la masse des. possessions ;. Il n'est pas toujours facile de distinguer la nature de l'extase d'aprs la terminologie employe pour l'exprimer. Le terme taoste pour l'extase, kuei-ju, l' c entre d' un esprit _, ne s'explique, d'aprs H. Maspero, que si l'on fait driver l'exprience taoste de la c possession des sorciers 1. En effet, on disait d' une sorcire en transe parlant au nom d'un shen: c ce corps est celui de la sorcire, mais l'esprit est celui du dieu 1. Pour l'incorporer, la sorcire se purifiait avec de l'eau parfume, revtait le costume rituel, faisait des offrandes : elle mimait le voyage, une fleur la main, par une danse accompagne de musique et de chants, au son des tambours et des fltes, jusqu' ce qu'elle tombt puise. C'tait alors le moment de la prsence du dieu qui rpondait par sa bouche, (2). Plus que le Yoga et le bouddhisme, le taosme a assimil nombre de techniques archaques de l'extase, surtout si l'on parJe du taosme
(1) J. J. de GROOT, VI p. 1190-91. Remarquons que la lemme possde par les ,hm portait le nom de wu, c1es t--dire le nom qUI est deven u ensuite le terme gnral pour le chaman, On pourrait tre tent d'y voir la preuve de l'antriorit des cham.anes. Pourtant des ramons laissent croire que la wu, femme possde par les 8Mn, avait t prcde par le chama n . masque et peau d'ours,le 1 chaman danseur. que Hopkins croit avoir identifi dans une inscription de l'poque Chang et dans une autre du commencement de la dynastie 'fchou i cf. L. C. HOUIN S, The Dea.l'lkin, AnotMI' Pit:tQgraphie Reconnaissaru:e (rom Primiti"e Prophylactic to Present-Day PanacM: a Chinese Epigraphit: Pwz;le (1 Journal ol the Royal Asiatie Society., 1 r, et 2' parties, 1943, p. 11017) i id., TM Shaman 01' Chinese Wu: His In.tpired Dancin, and Vtrsati Character (ibid., trI et 2 e parties, 1945, p. 3-161' Le. chaman danseur. . masque d'ours appartient une idologie domine par a magie de la chasse, oil le rOle de l'homme s'avre dominant. Il continue d'ailleurs remplir un rle important dans les temps historiques: le cher exorciste tait vtu d'u ne peau d'ours quatre yeux d'or (E. BIOT, trad., Le TCMou-li, ou Ri/es de, T CMou, Paris, 2 vol., 1851, Il, p. 225). Mais, si tout ceci semble confirm er l'existence d'un chamanisme. masculin. . l'poque protohistorique, il n'est pas dit que le chamanisme d o type wu - qui encourage un haut degr la 1 possession. - ne 60it pas un phnomne magcoreligieux domin par la femme. Voir E. ROUSSELLE, in Sinica, XV I, 19(11, p. 134 sq.; A. WALEY, TM Nine Songs: a Studll of ShamaniAm i'l Ancient China (Lon d!-cs, 1955). Voir aussi EftKES, Der schamanlstische UI'sprung des ehine,i,che" AhnenkultU8, (in. Sinologica ., II , 4, Ble, 1950, p. 253-62 ) ; H . KftEMSMAYEn, Scharnani,mU8 und SeeletWor'teUungen im alten China (in Archiv tur VOlkerkunde " IX, Vienne, 1954, p. 6678). (2) H. MASPEI\O, Le, Religions chinoise" p. 34, 53-54 i id., La Chine ardique (Paria, 1927 ), p. 195 .q.

(1) B. LAunn, TM PI'ehiAlQry o( A"iatiofl., p. 26 sq., qui donne aussi d'autres exemples. Voir aussi ibid., p. 31 sq. et p. 90 (sur le cerfvolant en Chin e) et p. 52 sq. sur .l es lgendes du vol magique en Ind e) . 21 E. Enus, TM Cod of Dealh in Ancient Chla, p. 203. (3 P. Franz BULLAS, K ult Yan',. Fahrt in die 1<'erne . (YUan-yu ), (<< Asia Major ., V l, Leipzig, 1932, p.179-241 ), p. 210, 215, 2"17, etc. (4) Cf. les con tes du XVIIe sicle rsums par L. VANNICELIII , La rcliione chi Lolo, p. 164-66, d'aprs J . BRAND, IntroduetiOll to Ihe Lilerary Chine,e (.e d., Pkin, 193G), p. 161-75. Voil' au~si EnF.RUAIIO, LokalkultllN:1l im alwn China, Il, p. 50.

Le Cha manisme

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SYMBOLISMES ET TECHNIQUES CHAMANIQUES

AU TIBET, EN CHINE ET EN EXTRME-ORIENT

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tardil, si altr par des lments magiques (1). Nanmoins, l'importance du symbolisme ascensionnel et, en gnral, la structure quilibre et saine du taosme, le diffrencient de l'extase-possession, si caractristique des sorcires. Le chamanisme * chinois (le wuism t, comme l'appelle de Groot) a domin, semble-t-il, la vie religieuse antrieurement la prminence du confucianisme et de la religion d'tat. Dans les premiers sicles avant notre re, les prtres wu taient les vritables prtres de la Chine (de Groot, VI, p. 1205). Sans doute le wu n'tait-il pas tout fait identique un chaman, mais il incorporait les esprits et, comme tel, servait d'intermdiaire entre l'homme et la divinit, et, en outre, il tait gurisseur, toujours avec l'aide des esprits (ibid., p. 1209 sq.). La proportion de lemmes wu tait crasante (ibid ., p. 1209). Et la majorit des shen et des kuei que les wu incorporaient taient des mes de morts (ibid., p. 1211). C'est avec l'incorporation des mes des morts que commence la t possession t proprement dite. Wang-Ch'ung crivait: +: Parmi les hommes, les morts parlent travers des personnes vivantes qu'ils font tomber en transe, et les wu, en pinant leurs cordes noires, invoquent les mes des morts, et ceux-ci parlent par la voix des wu. Mais tout ce que de tels gens peuvent dire est mensonge ... (ibid.). C'est videmment l'opinion d'un auteur qui les phnomnes mdiumniques rpugnaient. Mais la t haumaturgie des femmes-wu ne s'arrtait pas l i elles pouvaient se rendre invisibles, se tailladaient avec des couteaux et des sabres, se coupaient la langue, avalaient des sabres et crachaient du feu, se laissaient emporter par un nuage qui brillait comme embras par l'clair ... Les femmes-wu dansaient en rond , parlaient le langage des esprits et riaient comme des spectres, et, autour d'elles, les objets s'levaient en l'air et se cognaient les uns contre les autres (ibid., p. 1212). Tous ces phnomnes lakiriques sont encore trs lrquents dans les milieux magiques et mdiumniques chinois. Il n'est mme pas ncessaire d'tre wu pour voir les esprits et noncer des prophties : il suffit d'tre possd par un shen (ibid., p. 1166 sq., 1214, etc.). La mdiumnit et la possession *, comme partout ailleurs, aboutissaient parfois un chamanisme spontan et aberrant. Il est inutile de multiplier les exemples de sorciers, de wu et de t possds t chinois, pour montrer combien ce phnomne, considr dans son ensemble, se rapproche du chamanisme mandchou, tongouse

l'influence de la IUafSie indienne, qui est hors de doute pour la priode qui suit la pntrat.ion des mOIRes bouddhist.es en Chine. Par exemple, Fo-t'u-t.ng, mo in e bouddhiste de Kou tcha, qui avait visit le Kashmir et d'autres rgions de l' Inde, arriva en Chine en 3tO et fit montre de nombre de prouesses magiques: il prophtisait notamment d'aprs le son des cloches; cC. A. F. WRIGHT, Fo-t'u-Ung. A Biography (0 Harvard Journal or Asiatie Studies li , XI, 1948, p. 321-70) , p. 337 sq., 346, 362. Or, on sait que les. sons mystiques. jouent un rOle important dans certaines teehniques yogiques eL que, pour les bouddhistes, les voix des Devas et des Yak~s ressemblaien t aux sons des cloches d'or (ELU.DB, U Yoga, p. 377 sq.) .

f t ) On a mme pens identifier le taoisme avee le Bon-po ehamanisant; voir plus haut, p. 337, n. 5. Sur l'assim ilation des lments ehamaniques par le no- taosme, voir aussi EBERHARD, Lolcallculturen, Il, p. 315 sq. 11 ne taut pas oublier non plus

et sibrien en gnral (1). Il nous suffira de souligner qu'au cours des ges, l'extatique chinois lut de plus en plus conlondu avec les sorciers et les possds. de type rudimentaire. A un certain moment, et :pour longtemps, le wu lut si rapproch de l'exorciste (shih) qu'il tait communment appel wu-shi (ibid. , 1192). De nos jours, on l'appelle sai-keng, et l'office se transmet de pre en fils. La prpondrance des femmes semble avoir disparu. Aprs une premire instruction dvolue au pre, l'apprenti suit les cours d'un collge * et obtient son titre de prtre-chel au terme d'une initiation de type nettement chamanique. La crmonie est publique et consiste en l'ascension du to t'l, l' chelle de sabres.: pieds nus, l'apprenti gravit les sabres jusqu'au sommet d'une plate-forme i l'chelle est gnralement faite de douze sabres, et il existe parfois une autre chelle par laquelle l'apprenti descend. On a rencontr un rite initiatique analogue chez les Karens de la Birmanie, o une classe de prtres porte justement le nom de (Vee, vocable qui pourrait tre une autre form e du terme chinois wu (2). (Il est trs probable que nous avons alTaire une influen ce chinoise ayant contamin d'anciennes traditions magiques locales; mais il ne semble pas ncessaire de considrer l'chelle initiatique elle-mme, comme un emprunt la Chine. On a relev en effet des rites analogues d'ascension chamanique en Indonsie et ailleurs.) L'activit magico-religieuse du sai-Irong rentre dans les sphres du rituel taoiste : le sai-kong s'intitule lui-mme tao shi", docteur taoiste, (De Groot, VI , p. 1254). Il a fini par s'identifier compltement au wu en raison, surtout, de son prestige d'exorciste (ibid., p. 1256 sq.) . Son costume rituel est riche en symbolisme cosmologique: on distingue l'Ocan cosmique et, au milieu, le Mont T'ai, etc. (ibid., p. 1261 sq.). Le sai-keng utilise gnralement un mdium, un , possd ,. qui, lui aussi, rait preuve de pouvoirs rakiriques : il se frappe avec des couteaux, etc. (ibid., p. 983 sq., 1270 sq., etc.). l ei encore se vrifie le phnomne, dj remarqu en Indonsie et en Polynsie, d'imitation spontane du chamanisme la suite de la possession. Comme le chaman Fidji, le sai-keng dirige le passage sur le leu; la crmonie porte le nom de se promener sur un chemin de feu. et a lieu devant le temple j le sai-kong s'avance le premier sur la braise, suivi de ses collgues plus jeunes et mme du public. Un rite analogue consiste marcher sur un pont de sabres . On croit qu'il suffit d' une prparation spirituelle avant la crmonie pour passer impunment sur des sabres et sur du leu (ibid., p. 1292 sq .). Dans ce cas, comme dans les innombrables exemples de mdiumnit, de spiritisme ou d'autres techniques oraculaires, nous avons affaire un phnomne
(11 Sur les clmcnL'i sexuels et liccneieux des crmonies des wu, voir de Groot, V I, p. 1235, 1239. (2) De OROOT, p. 12'. 8 sq. Ibid. p. 1250, note a, l'auteur cite A. R. McMAllON, The Kareru of the Goldell Chusofle$e (Londres, 1876), p. 158, pour un rite similaire chez

les Kakhyen birmans. Voir d'autres exemples (les Teh'ouang, une tribu tai de la province de Kouang-si; aborignes du nord de Formose) dans R. RAHIUNN, Shamanliic and Rated PhenomM4 in Northtrn and Middk Indio, p. 737, 74 t, n. 168.

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endmique et difficile classer de pseudo-chamanisme spontan, dont la caractristique la plus importante est la (aclllt (1). Nous ne prtendons nullement avoir retrac l'histoire des ides et des pratiques chamaniques en Chine. Nous ignorons mme si une telle histoire est possible; on sait le travail d'laboration, d'interprtation et,. en fin de compte,. de , dcantage > ~,:,e leslettr_s chinois ont fait subu- depws deux mille ans aux tradItIOns archalques. Il nous suffit de marquer la prsence d'une multitude de techniques chamaniques, tout au long de l'histoire chinoise. Il reste bien entendu qu'on ne peut pas les considrer comme appartenant toutes la mme idologie ni la mme couche culturelle. On a vu, par exemple, les diffrences qui peuvent exister entre l'extase des Souverains, des alchimistes et des taostes, et l'extase-possession des sorcires ou des assistants des sai-kong. Les mmes diffrences de contenu et d'orientation spirituels peuvent tre notes propos de toute autre technique ou de tout autre symbolisme chamanique. On a toujours l'impression qu'un schma chamanique se laisse exprimenter sur des plans diffrents, bien qu'homologables, et c'est l un phnomne qni dpasse de loin la sphre du chamanisme et se vrifie propos de n'importe quel symbolisme ou ide religieuses. En gros, on constate la prsence en Chine de presque tous les lments constitutifs du chamanisme: l'ascension au ciel, le rappel et
la recherche de l'Ame, l'incorporation des esprits

.J la matrise du feu

et autres prestiges lakiriques, etc. Plus rares nous semblent, en revanche, les descentes aux Enlers, et spcialement la descente dans le but de rapporter l'me d'un malade ou d'un mort, bien que tous ces motifs soient attests dans le folklore. Ainsi, on raconte l'histoire du roi Mou de Tchou, qui voyagea jusqu'aux extrmits de la Terre, au Mont Kunlun, et plus loin encore, vers la Reine-Mre de l'Ouest (= la Mort), en traversant un fleuve sur un pont improvis de poissons et de tortues; et la Reine-Mre de l'Ouest lui donna un chant et un talisman de longue vie (2). Il Y a aussi l'histoire de l'rudit Hou Di, qui descendit aux EnCers par la Montagne des Morts, et vit un fleuve que les mes des justes Cranchissaient sur un pont d'or, tandis que les coupables le traversaient la nage, frapps par des dmons (3). Enfin, on rencontre galement une variante aberrante du mythe d'Orphe: le saint Moulilin apprend par clairvoyance mystique que sa mre, qui avait nglig de laire l'aumne pendant sa vie, souffrait de la faim en Enler, et il descend pour la sauver: il la charge sur son
(1) Sur le chamanisme dans la Chine moderne, cf. P. H. DOR, Manuel deI ,upe,.,titiOM chinoises (Chang-hai, 1. 936), p. 20 , 39 sq., 82, 98, 103, etc. ; SUI ROKOGOROV. P.ycMrrnm'al Complt% of lM TunBIU, p. 388 5q. Sur les cultes mdiumniques Singa pour, cf. Alan J. A. EUIOTT. Chinut Spirit-Medium CuIts in S~ngapo,.e (Lon~res. 1955). en particulier p. 47 sq., 59 sq., 73 sq., 154. sq. ; sur le chamaniSme chez les tnbus aborignes de Formose, cf. M. D. COE, Shamansm in the Bun un Tribe, Central Formosa (in Ethnos l, XX, 4,1955, p. 181-98 ). L'ouvrage de Tcheng-tau SH ANG, DU' Schamlmi.mlU in China, (Diss., Hambourg, 1934), nous a t inaccessible. (2) Richard WILHELM (trad.), Chinnilche Volle,marcheR (MArchen der WelUiteratur, sr. Il , Ina, t927), p. 90 sq. (3) Ibid., p. 116 sq. Voir aussi ibid., p. 18. sq. (le rcit d'un autre voyage aux Enfel"li)

dos et monte au Ciel (1) . Deux autres contes delacollection d'Eberhard (nO' 144 et 145, II) comportent le motil d'Orphe. Dans le premier, un homme descend dans l'autre monde pour chercher son pouse dcde. Il l'aperoit prs d'une source, mais la lemme le sUl'plie de s'en aller car elle est maintenant devenue un esprit. Le marI reste cependant un certain temps au royaume des ombres. Finalement, les deux poux s'enfuient mais une lois sur la terre, l'pouse entre dans une maison et disparalt. A'u mme moment, la maltresse d~ la maison donne naissance une fille. Lorsque cette dermre aUemt 8a maturIt, le mari reconnat en elle sa fem me et l'pouse pour la seconde fois. Dans l'autre conte, c'est un pre qui descend aux enfers afin d'en ramener son fils dfunt mais, comme ce dernier ne le reconnatt ;pas, l'entreprise choue (Eberhard, Typen, p. 198 sq.). Mais tous ces contes appartiennent au Colklore magiqu~ asiatique et certains ont t Cortement influencs par le bouddhIsme; il seraIt, par consquent, imprudent d'en infrer l'existence ~'un ritu~l prcis de. descente ~ux Enlers. (Par exemple, dans l'histOIre du samt bouddhIste MoulI~n, il n'est fait aucune allusion la capture chamanique de l'me.) Il est vraisemblable que le rituel chamanique de descente, s'il a exist sous la forme o nous le rencontrons en Asie centrale et septentrionale, est tomb en dsutude la suite de la cristallisation du culte des anctres qui a donn une autre valeur religieuse aux Enfers 1. Il nous faudrait insister encore sur un point, qui dpasse le problme du chamanisme stricto sensu, mais qui est important : les rapports entre le chaman et les animaux, et la contribution des mythologies animalesques l'laboration du chamanisme chinois. L? .< pas ~e Yu le Grand ne se distinguait pas de la danse des magICIens; malS Yu le Grand s'habillait aussi en ours et il incarnait en quelque sorte l'esprit de l'Ours (2). Le chaman dcrit par le Tcheou-li revtait, lui aussi, une peau d'ours, et il serait Cacile de multiplier les exemples du crmonial que l'ethnologie connalt sous le nom de bear ceremoniaHsm li et qui est attest aussi bien en Asie ~eptent~ionale qu'e.n Amrique du Nord (3). Il est prouv que la Chme anCIenne sentaIt
(Il Ibid., p. 126-2'" A ct de ces contes de descente, le nombre de ceux q~i font illusion aux ascensions et autres miracles magiques, est, dans la coll~tio.n de R . Wilhelm, sensiblement suprieur. Cf. au~i ~. EBERHARD, Ty~tn. chl7l.e,uchel' Volklmal'chen (in 11 1 Folklore Fellows CommumcatlOfls" L, 120, Helsmkl, 193') s. v. 1 Aufsleigen in Himmel 1. . , (2) Cf. C. HB NT.ZB, Mylhe, e~ '!Imbole$ lunaire., p. 6 sq, ;. i4., Le. Cul~ de 1 ours et du tig~ et le t'ao-t'.l, (. Zalm o~lS'! l, 1938 , p. 50-68l, P', M, id., D~ Salrralhronzen und ihre Bedeutung ln der frUhchmesUichen Kuuren, p. 19 , M, GRANBT, DaMe, et Ugende., II, p. 563 sq. . 1 . ,_ N L H . ,- (A (3) A. Irving H . .\LLOWBLL, BeaI' Ceremonaa "ln ln uw orillern emUpfwl'e. merican AnLhropologist " n . ~., XXV~Il,.1926, p. 1-1.75) iN. P. DYRZNK.OVA, .BeaT W orship among Turkish T"bes of Stbuta (1 Proceedmgs of the 2ard International Congress of Americanists J, 192 ~ , New Y ?rk, 1930,.p; 411:40); Hans FINOEISBN, Zur Geschichte der Biirenzeremonae (1 ArchlV ror Rehglonswissenschaft " XXXVII, 19 /,1, p. 196-200); A. AUL DI, Le Cul~ de l'ours et le matriarcat en Eura..s: (en hongrois dans la 1 KOzlemnyek " L, Budapest, 1936 , p. 5-17 ; nous devons 1 amabilit d~ professeur AlfO ldi la comm unication d'une traduction anglaise de. cet important article). Cf. aussi Marius BARBEAU, Bear Mother (1 Journal of Amerlcan Folklore', LIX, 231, 191.6, p. 1-12) .

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S YMBOLISME S ET TECHNIQ U t:S C H .HfANIQ UES

AU TIBET , EN C HINE ET EN EXTRME-ORIE NT

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une relat,ion entre la danse chumuniquc et un animal charg d'un symbolisme cosmologique et initiatique trs co mplexe. Les spcia listes se sont refuss voir dans la mythologie et le rituel qui reliaient l'homme l'animal des traces d'un totmisme chinois (1). Les rapports so nt plutt d'ordre cosmologique (l'animal reprsentant gnralement la Nuit, la Lune, la Terre, eL c.L et initiatique (animal = Anctre mythique = initiant) (2). Comm ent faut -il interp rter tous ces faits, la lumire de ce que nous venons d'apprendre sur le chamanisme chinois? Gardons-nous de trop simplifier et de tout expliquer par un schma unique. Il est hors de doute que le bear ceremonialism Il est en rapport avec la magie et la mythologie de]a cbasse. Nous savons que le chaman contribue d'une manire dcisive assu rer l'abondance du gibier et la fortune de la ch ~sse (prvisions mtorologiques, changement de temps, voyages mystiques auprs de la Grande Mre des Fauves, etc.). Mais il ne faut pas oublier que les rapports du chaman (comme, d'ailleurs, d.e l' 1( homme primitif en gnral) avec les an imaux sont d'ordre spiritu el et d' une intensit mystique diffi cile A imaginer pour une mentalit ~ oderne, dsacralise. Hevtir la peau d'un animal chass quivalait, pour l'homme pl'imitif, devenir cet animal, se sentir transform . en animal. On a vu que les chamans, de nos jours encore, ont co nSCience de pouv oir se transformer en animaux. JI ne servirait pas grand-chose de constater que les chamans revtaient des fourrures de fauves. L'important c'est ce qu 'ils prouvaient en se travestissant en animaux . On a des raisons de croire que cette transform ation magique aboutissait une sortie de soi-mme qui se trad uisait trs souvent par une exprience extatique . .En imitant la marche d' un animal ou en revtant sa peau, on acqurait un mode d' tre surhumain. J] ne s'agissait pas d' une rgression dans unc vie animalesq ue J pure : l'animal auquel on s'identifiait tait dj porteur d'une mythologie (3) ; il tait, en fait, un Animal mythique, l'Anct re ou Je Dmiurge. En devenant cet animal mythique,
(1) Cf. DVRENKoVA, p. 453; C. H ENTZE, Le Culte cU rou,.. et du tig,.e p 68' id Die Sakralbron:.en, p. 45, 161. ,. , ., (2) ~ur tout .ceci, .voir les uvres de ~ ENTU, spcialement Mythes et symbole. l unaires; Objets ntutls, croyances et duu:z cU la Ch ine antique et de l'Amrique ' ' FriJ.hchlMllisCM Bro~:.en Ifnd Kllltdarstellungen. (3) Nombre. de m<? ttfs anllna !es qu ~s ~t surtout ornithomorphes se rencontrent dans la p!us anCienne 1C0.n o~ra pJlI e chl.nolse (HE NTZE, Du Sakralbron:.en, p. 11 5 sq.). P.lusleurs de ces motifs l co n o~~phlques rappellent Jes dessins des costumes cbamaniques, p. ex. les serpents, (l bld., fig. 146- (18 ). Le costume du chaman sibrien a probablement t~ .i nnuenc par cer taines ides m agiCl? -reli ~ i e u ses chinoises (ibid., ~.. 156) .. Cf. aussI Id., Schamanenkronen :;ur Han-Zeit ln Korea (in. Ostasiatiscbe ~ I tsc hrlf t " IL ~., I.X, 5, B~rHn, 1.933, p. 156-63) ; i~., ~iM Schaman.-mdarstellung au( elnem Han -Rehef.{IIl. ASIa Major " n. s., l, LeipZIg, 19"'., p. 74-77); id., Eine Schamanentr.acht ln. Ihr~r Bedeutung (ilr. die aUchiflesuche Kun" und R eligion (in c Jahrbuch fU r pr~hl sto r18ch e ethnograptllsche Kunsl " XX, Berlin, 1960-63 , p. 55-61) Alrred. S. .\LM ONY mterprte co mme tant des chamans les deux danseurs portant d es bOIS de cerf que l'on a trouvs gravs sur un vase de bronze de la lin d e la dynastie Tch'ou dcouvert, du moins on le suppose, Tchang-cha; ct. Antier and Tonlut : an ElI$ay on Ancient ChiMse Symbolism and lu I mplicatiom (Ascona, 1954). Dans sa rc ~u e de l'ouvrage de Sa lm on~ in Artibus A.iae (XV III, Leipzig, 1955, p. 85-90), HEI NE-GEI.OEJ\N accepte cette mterprtation et remarque que William WATSOI'C

l'homme devenait qu elque chose de heaucoup plus grandiose et bien plus puissant que lui-mme. Il est permis de penser que cette proJecti on dans un tre mythique, centre la rois de la vie et du reno uvellement universel, provoquait l'exprience eup horique qui, avant d' abou tir l'extase, rvlait le sentiment de sa force et ralisait une communion avec la vie cosmique. Nous n'avons qu' nous rappeler le rle d e modle exem plaire tenu par certains animaux da,!-s les tec~~iqu es mystiques taolstes, pou r nouS rendre compte de la rIChesse spIrituelle de l'exprien ce chamanique qui hantait encore la mmoire d~s anciens Chinois. En oubliant les limites et les fausses mesures humalnes on retrouvait, condition de savoir imiter convenablement les ma:urs des animaux - leur pas, leur respiration, leurs cris, etc. - une nouvelle dimension de la vie: on retrouvait la spontanit, la libert, la (( sympathie avec t ous les rythmes cosmiq ues et, partant, la batitude et l'immortalit. Il nous semble que, vus sous cet angle, les anciens rites chinois si semblables au 1[ bear ccremonialism laissent percer leurs valeurs mystiques et nOU8 permettent de comprendre comment on pouvait obtenir l'extase aussi bien grce l'imitation chorgraphique d'un animal (1), que grce une d anse qui mimait une ascension; dans un cas comme d ans l'autre, l'me a: sortait d'elle-mme et s'envolait. L'expression de cet envol mystique par la IC descente d'un dieu ou d'un esprit n'tait parfois qu' affaire de vocabulaire.

MONGOLIE, CORE, JAPON

Un chamanisme fortement hybrid de lamalsme caractrise la religion des Monguor de Si-ning, au nord-ouest de la Chine, peuple que les Chinois connaissent sous le nom de T'u-jen, c'est-A-dire (( gens du pays (2). Chez les Mongols, le lamalsme a tent, depuis le XVII' sicle! d'annihiler le chamanisme (3). Mais la vieille religion mongole a fim par assimiler les appo rts lamalstes sans pour autant en perdre dfinitait d j arriv la mme conclusion dans son a rticle A G,.av4 Guardian (rom Ch'ang-sha (in . British Museum Quartely " XVII, 3, Londres, 1952, p. 52-56). Il Y aurait aussi toute une tude ruire sur l'innu en~ ven tuelle du costum e chamanique sur l'armure militaire; cf. K. MEULl, Scylhlca, p. 1fI7, !l' .8 ; F .. ALTHElll, Gtschichte du lIunnen , l , p. 311 sq . Le costum.e du cha~an Ch ll~ O IS, qU I co mporte une cuirasse caiUe, est attest durant la prIOde ~ rchalque dJ; cr. ~. LA uP~R , ChiMse Clay F igu,.e, (Field ~use~m of Natural HlSl? ry, Anthropologlcal Series, XII I, 2, Chicago, 191ft ), en partIculier p. 196 sq. et p~ . XV-XVII. . (t ) Il ra ut aussi tenir compte du rle ~ e la ~ t.8;lIur8 Ie e ~ de ~ n symbt?hs me dans la constitution d e la magie et de la mystaque chmolses prhlstonqu~s; vOir M. GU NET, Danses et ligenls II p. 496 sq., 505 sq. Or, on connalt les relations entre le chamanisme et les tondeu";' el forgerons; voir plus loin, p. 366 sq. Voir aussi ELIADE, Forgerons et alchimllus, p. 65 s'l' (2) Cf. D. SCHROOER, ZUT' Rtlig,on der Tujen, d ernier article, en particulier p. 235 sq. ; L. M. J. ScnRu:, TM Mongu<Jrll of tM Kan.u-Tibetan Borde,.. 1/ : TMir ReligiolU Life (Philadelphi e, 1957) , p. 76 sq. , 91 s9 (3) Cf. W . HEI SSI C, SchamaMn und. GeLllterbe.c~",iirer im Kil~iye' !1anner, p. 40 sq. ; Id., A Mongolian Source 10 the Lama,.t Supp relll ,on of Shamanum ln lM 171 C~ntury (in. Anthropos " XLVIII, 1953, p. 1-29, 493-536), p. 500 sq. et panim.

362

S YMB O LI S M ES E T T EC HNI QUES CHA MANr QUES

structure de la magie f minine, comm e, par exemple, l'arc et le cheval (, ur le, fi gurines tte de cheval, cf. Eder, i bid. , p. 378). Tout ceoi nous incline penser que nous nous trouvons en prsence d' une phase hybride et t ardive du chamanisme. D'autre part, les dieux femmesesprits " (mikogami) et certains des rituels qui les concernent peuvent tre rapprochs des traits caractristiques du matriarcat : souveraines amille, mariage matrilocal, ft mari age d't ats t erritoriaux, chfesses de C avec un visiteur (Besuchehe) , clan matriarcal a vec exogamie de clan, etc. (ibid., p. 379). Il apparalt que M. Eder n'a pas pris connaissance de l'importante tude de Charle, Haguenauer, Origines de la civilisation japonaise. Bien que, dans Je premier volume paru, l'auteur ne discute pas proprement parler l'origine du chamanisme japonais, il cite un certain nombre de C aits qui, selon lui, Cont ressortir des similarits avec le chamanisme altaique : (( Ce qu' on sait, par exemple, du comportement et du rle de la sorcire dans le Japon antique, en dpit mme du soin que les rdacteurs des Annales impriale, ont apport laire le silence son suj et et parler uniquement de sa rivale, la prtresse-vest ale, la mi-ko, qui avait pris rang, elle, parmi les ritualistes de ]a co ur du Yamato, auto rise, en effet , l'id entifier la C ois sa collgue corenne, la muday, ... et aux chamanes fminins altalques. La fonction essentiene de t outes ces sorcires a consist faire descend re (japonais ot.o-s. u) un e me dans un support (pot ea u sacr ou tout autre substitut) ou incarner cette me pour servir de truchement entre elle et les vivants, puis la renvoyer. Qu' un poteau sacr ait servi lors des pratiques en question rsulterait du lait mme que le mot ha'; i'a (colonne) a servi, en japonais, de spcifique pour compter les tres sacrs (cf. in J ournal asiatique, juillet-septembre 1934, p. 122). D'autre part, les instruments de tra vail de ]a sorcire japonaise ont t ceux-l mmes qu'emploient ses collgues du continent, savoir le tambour, .. . des grelots, .. . le miroir, .. . et ]e sabre kata.na (un autre m ot d'origine altalque) dont les ve rtus antidmoniaques sont illustres par plus d'un trait dans le lolklore japonais (Ori gines, p. 169-70). 1\ laudra attendre la suite de l'ouvrage de Charles Haguenauer pour savoir quel stade et par quel moyen le chamanisme altalque - institution presque exclusivement masculine - devint l'lment constitu t if d' une tradit ion religieuse spcifiquement fminine. Ni le sabre, ni le t ambour ne sont des instruments qui appart iennent originairement la magie fminine. Le fait qu'ils soient ut iliss par des chamanes indique qu'ils faisaient dj partie des accessoires de sorciers et de chamans (1 ). cr.
(1) L'a ttraction exerce par les pouvoirs magiques du sexe oppos est bien connue' E LIA.DE , Nai'Banc~B m ystiques, p. 1 72 sq.

e IU.PITR E XIII

MYTHES, SYMBOLES ET RITES PARAnr~ ES

Les diverses idologies chamaniques ont assimil un certain nombre de thmes mythiques et de symbolismes magico-religieux. Sans songer en dresser un inventaire complet, enco re moins en entreprendre une tude exhaustive, il n'est pas sans intrt de rappeler quelques-uns de ces mytbes et symboles pour montrer quelle a t leur adap tation , leur revalorisation, dans le chamanisme.

LE CIII E N ET LE CHEVAL

On se rapportera l'ouvrage de Freda Kretschmar pour t out ce qui concerne les mythes du chien (1). Le chamanisme proprement dit n'a pas innov sur ce point: ]e chaman rencontre le chien funraire au co urs de sa descente aux Enfers, comme le rencontrent les trpasss ou les hros affrontant une preuve initiatique. Ce sont surtout les socits secrt es base d'initiation guerrire - dans la mesure o J'on peut appeler cbamaniques " leurs extases et leurs crmonies Irntiqu es - qui ont dvelopp et rinterprt la mythologie et la magie du chien et du loup. Certaines socit, secrte, cannibales, et d'une manire gnrale la lycanthropie, impliquent la translormation magique de l'affili en chien ou en loup. Les chamans, eux aussi, peuvent se t ransformer en loups, mais dans un autre sens qu e dans la lycanthropie: ils peuvent, nous l'avons vu , prendre nombre d'autres formes animales.
(t ) Freda K UTSC H MAR, H uncU6tamm l'lJtu und Kerberos (2 vol. , Stuttgart, 1. 938). ct. spc. II . p. 222 Bq., 258 sq. Voir a ussi W. KOPPER S, Del' Hund in th,. Myllwloie de,. . irkumpazi!ischen Vlke1' (c Wiener Beilrage :tur Kulturgeschichte und Lmguistik " I, 1930 , P. . 359 sq .) et les remarques de P . PEl,LIOT sur ce t article dans le T'oung Pao " (XXV lII , 193 1, 463-70). Sur l' an ~ tre-chi e n chez les TurcoMongols, cf. PULIOT, ibid. , el Roi STEI N, leao.TeM, p. 24 sq. Sur le rle my lhoJ o~iq u e d u chien dans la Chine ancienne, voir E . EIl~ ES. Dt!' HUM im al~n China, (- f 'otl ng Pao " XXX VII, 1944, p. 186225) , p. 221 sq. Sur le chien internal dans les conceptions indiennes, ct. E . ARBXAN, Ru.dra, p. 25 7 sq . ; B. SCHLBIUTH, Der Hu.nd bei iUn ImJgermanen (in _ Paid euma " VI, 1, 1954, p. 2540) ; dans la mythologie germanique, 1-1 . GON TERT, Kalyp.a (HaHe, 1919), p. 40 sq., 55 sq. ; au J apon - o 11 n'es t pas animal fun raire Alexander SLAWIIt, Kult che Geluimb Unde der Jap aner und GermaMn, p. 700 sq . ; au Tibet, S. H UMMEL, Der Hu.nd in du reli,ioult Vors~llu.n g,welt de. Tibekrl (in - Paideuma, VI , 8,1 958, p. 500-09 j VU, 7, 1961, p. 35 2-61 ).

f'

364

MYTHES , SYl\IBOLES ET RITES PAUALLLES

MYTHES, SYMBOLES ET RITES PARALLLES

365

Toute autre est la place que prend le cheval dans la mythologie et le rituel chamaniques. Animal funraire et psychopompe par excellence (1), le cheval. est utilis par le chaman, dans des contextes
diffrents, comme moyen d'obtenir l'extase, c'est-dire la sortie

paules un cheval imaginaire, allait l'amble, caracolait, piaffait et ruait pendant trois kilomtres devant ma voiture qni avanait lentement.
1:

Il porte dieu sur son dos

l,

me dit-on, Cl et il ne peut pas s'arr-

de soi-mme qui rend possible le voyage mystique. Ce voyage mystique, rptons-le, n'a pas ncessairement une direction infernale; le cheval_ permet aux chamans de s'envoler dans les airs, d'atteindre

ter de danser pendant plusieurs jours de suite. A un mariage Malakot, j'ai vu un mdium monter sur un cheval de bois curieux; j'en
ai vu un autre, au sud, dans la rgion de Dhurwa, danser sur un cheval

le Ciel. Ce n'est pas le caractre infernal, mais bien le caractre funraire qui domine la mythologie du cheval; celui-ci est une image mythique de la Mort et, par consquent, est intgr dans les idologies et les techniques de l'extase. Le cheval porte le trpass dans l'audel; il ralise la cc rupture de niveau , le passage de ce monde-ci dansl les autres mondes, et c'est pourquoi il joue galement un rle de premier plan dans certains types d'initiation masculine (les Mannerbonde .) (2). Le cheval - c'est--dire le bton tte de cheval - est utilis
par les chamans bouriates dans leurs danses extatiques. Nous avons remarqu une danse similaire l'occasion de la sance des nzachi

de bois semblable au prcdent. Dans les deux cas, si quoi que ce soit troublait le droulement de la crmonie, le cavalier tombait en transe et pouvait alors dceler la cause surnaturelle du dsordre (1) . A une autre crmonie, le Laru Kaj des Gond-Pardhan, les chevaux du dieu excutent une danse extatique (2). Rappelons aussi que plusieurs populations aborignes de l'Inde reprsentent leurs morts cheval: les Bhi!, par exemple, ou les Korku qui gravent des cavaliers sur des tablettes en bois qu'ils dposent auprs des tombes (3). Chez les Muria, les lunrailles sont accompagnes de chants rituels,
o l'on raconte l'arrive du mort dans l'au-del sur un cheval. On

araucanes (plus haut, p. 259 sq.). Mais la diffusion de la danse extatique sur un bton-cheval est beaucoup plus tendue. Bornons-nous quelques exemples. CIrez les Batak, l'occasion du sacrifice du
cheval en l'honneur des anctres, quatre danseurs dansent sur des btons sculpts en forme de cheval (3) . A Java et Bali Je cheval est E~nt associ la danse extatique (4). Chez les Garo, le , cheval

parle d'un palais au milieu duquel se trouvent une balanoire en or et un trne en diamant. Le mort est port jusque-l par un cheval huit pattes (4). Or, nous savons que le cheval octopode est typiquement chamanique. D'aprs une lgende bouriate, une jeune femme

prend pour deuxime poux l'esprit ancestral d'un chaman et, la


suite de ce mariage mystique, une des juments de son haras met bas un

cheval huit pattes. Le mari terrestre lni coupe quatre pattes. La femme s'crie: Hlas 1 c'tait mon petit cheval sur lequel je chevauchais comme une chamane! }) et disparait, en s'envolant, pour aller

fait partf du ntuel de la cueillette. Pour le corps du cheval, on emploie des tiges de bananier, et pour la tte et les pattes, du bambou. La tte est monte sur un bton qu'un homme tient de telle manire qu'eUe
lui arrive au niveau de la poitrine. D'un pas tra1nant, l'homme excute une danse sauvage pendant que, tourn vers lui, le prtre danse en

feignant de s'adresser au cheval. (5). V. Elwin a observ un rituel analogue chez les Muria de Bastar. Le grand dieu 'gonde Lingo Pen dispose de plusieurs , chevaux en bois dans son Isanctuaire de Semur-gaon. A l'occasion du festival du
dieu, ces chevaux
Il

s'tablir dans un autre village. Elle devint par la suite un esprit protecteur des Bouriates (5). Les chevaux octopodes ou acphales sont attests dans les rites et les mythes des socits d'hommes aussi bien germaniques que japonaises (6). Dans tous ces ensembles culturels, les chevaux polypodes ou les chevaux-fantmes ont une fonction la fois funraire et extatique. C'est galement en relation avec la danse extatique
mais pas ncessairement ({ chamanique
Il -

que se trouve le cheval

sont ports par des mdiums et utiliss aussi

de bois (, Hobby Horse .) (7).


ELWIN, TM Hobby Hor.e, p. 212-13 ; id., TM MUI'la, p. 208. 2 Shamrao HIVALE, The Laru Kaj (IMan in India" XXIV, Ranchi, 1.9ft4,p.122 sq.) 1 ci par ELWIN, TM Mwia, p. 209. Cf. aussi W. AacHI:R, The Vertical Man. A Study in Primitive I ndian SCulp..tWd \Londres, 1947) , p. 41 sq., sur la danse extatique avec les images des chevaux (Bihar . (3) Cr. W. KOPPERS, Monumenl.8 ta the Dead of tM Bhils and Othe,. Primitive Tribes ln Central J ndia : a Contribution ta the Study of the Mefalith Probm (1 Annali Lateranensi" VI, Cit du Vatican, 1942, p. 117-206); ELWIN, TM Muria, p. 210 sq. (fig. 27, 29, 30). (4) li:LWIN, The Muria, p. 150. En ce qui concerne le cbeval dans le chamanisme du nord de l'Inde, voir aussi R. RAHMAN N, Shamaniltic and Related PhellOmena in Northem and Micld. India, p. 72425. ( 5 ) SANDSCHUBW, Welta""chauun8 und SchamanumtU der AlartmBurjan, p. 608. Dans les croyances des Tongouses, la 1 Mre des Animaux, des chamans enfante un chevreuil huit pattes; ct. O. V. KshoroNTov, Legendy y ra8Bl((uy, p. 64 sq. 6) H PLn, p. 51 sq. ; SLA WIIt, p. 694 Bq. 7) Cf. R. WOLfUK, Robin Hood und Hobby Hor (1 Wiener pra.bistoriJche Zeit1 schrirt " XIX, 1.932, p. 357 sq.); A. van GENNEP, Le Che"al-jupon (1 Cahiers d'ethnographie folklorique " l, Paris, 1945).

bien pour provoquer la transe extatique que pour servir la divination. J'observai Metawand quelques heures durant les gambades grotesques d'un mdium qui portait sur ses paules un cheval de bois reprsentant le dieu de son clan, et Bandapal, pendant que nous nous frayions un chemin dans la jungle pour la Marka Pandum (consommation rituelle des mangues), un autre mdium , portant sur ses
(1) Se reporter . L. MUTBlf, Dcu Pferd im Tonglauben (I Jahrbuch des kaiserlichen deutschen archl1Ologischen Instituts l, XXIX, Berlin, 1914 p. 179 256)' cf. aussi V. 1. PaoPP, Le radict 810riche dei racconti di fa, p. 274. sq. ' , (2) <::f. HOFLE~, Kultische Geheimbarnk du Germanen, p. 46 sq.; Alexander SLAWIIt, Kulluche Gehelmbarnk lkr Japaner uTm Germanen, p. 692 sq. Cf. J. WARNEIt, D~ Religion lkr Ba/ak, p. 88. 4. q. B. de ZOETE et W. SPIES, Dance and Drama in Bali (Londres, 1938), p. 78. S BIren BONNBRJEA, Ma/uia for the S,tudy o( Garo Ethnology (1 Indian Antiquary" III, Bombay, 1929, p. 121-27 ); Verner ELWHI', The Hobby )fcwe and the Ec.tatie DT~~~e (1 Folk-Lore " LIlI, Londres, 1942, p. 209213), p. 211 ; id., The .Muria and ,,,,Ir Chotul (Bombay, 1947), p. 20509.

11

~t

366

MYTHES, SYMBOLES ET RITES PARALLtLES

MYTHES , SYMBOLES ET RITE S PARALLLES

367

Mais mme lorsque le cheval n'est pas formellement attest au cours de la sance chamanique, il est symboliquement prsent par Ics poils de cheval blanc qu'on y brle o~ par une peau de jument. blanche aur laquelle s'assied le chaman. Bruler des pOlIs de cheval equlvaut voquer l'animal magique qui portera le chaman dans l'au-del. Les lgendes des Bouriates parlent des chevaux qui portent les chama ns morts leur nouvelle demeure. Dans un mythe yakoute, le cc diable renverse 80n tambour, s'assied dessus, le perce par trois fois avec son bton , et le tambour se transforme en une jument trois pattes qui l'emporte vers l'Orient (1). Ces quelques exemples montrent en quel sens le chamanisme a utilis la mythologie et les rites du cheval: psychopompe et funraire, le cheval facilitait la transe, le vol extatique de l'me dans les rgions interdites. La chevauche symbolique traduisait l'abandon du corps, la mort mystique )1 du chaman.
1{

CHAMANS ET fORGERON S

Le mtier de forgeron vient, au point de vue de l'importance, immdiatement aprs la vocation de chaman (2). Il Forgerons et chamans sont du mme nid , dit un proverbe yakoute. La femme d'un chaman est respectable, la femme d'un forgeron est vnrable , dit un autrc. Les forgerons ont le pouvoir de gurir et mme de prdire l'avenir (3) . D'aprs les Dolgans, les chamans ne peuvent lPas u avaler les mes des forgerons, parce que ces derniers les conservent dans le feu; au cont.raire, il est possible au forgeron de s'emparer de l'me d' un chaman et de la brler dans le feu. Les forgerons sont, leur t our, sous la menace permanente des mauvais esprits. Ils sont rduits travailler continueUement, manier le feu, faire un bruit incessant pour loigner les esprits hostiles (4). Suivant les mythes des Yakoutes, le forgeron a reu son mtier de la divinit 0: mauvaise K'daai Maqsin, le chef-forgeron de l'EnCer. Celui-ci habite une maison en fer, entoure d'clats de fer. K'daai Maqsin est un maitre renomm; c'est lui qui rpare les membres briss ou amputs des hros. Il lui arrive de participer l'initiation
1) v. 1. PROPP, p. 286. 2 ) Cr. M. A. CUPLICKA, Aboriginal Siberia, p. 20 /1 sq. Sur l'importance passe du RADLOV, ALTIIEIM,

des chamans fameux de l'autre monde: il trempe leurs mes comme il trempe le fer (1). D'aprs les croyances bouriates, les neuf fil s de Bos hintoj, le rorgeron cleste, sont descendus sur terre pour enseigner aux hommes la mtallurgie; leurs premiers lves furent les anctres des familles de forgerons (Sandschejew, p. 53839). Au dire d'une autre lgende, Tangri-blanc lui-mme envoya Boshintoj avec ses neuf fils sur la terre pour rvler aux humains l'art de travailler les mtaux (2). Les fils de Boshintoj se sont maris aux filles terrestres et sont devenus ainsi les anctres des forgerons; personne ne peut devenir forgeron s'il ne descend d' une de ces familles (Sandscbejew, p 539). Les Bouriates connaissent galement des 1( forgerons noirs qui se barbouillent le visage avec de la suie lors de certaines crmonies; ils sont particulirement redouts de la population (ibid., p. 540). Les dieux et les esprits protecteurs des forgerons ne se contentent pas de les aider dans leurs travaux, ils les dfendent aussi contre les mauvais esprits. Les forgerons bouriates ont leurs rites spciaux: on sacrifie un cheval en lui ouvrant le ventre et en lui arrachant le cur. (Ce dernier rite est nettement chamanique .) L'me du cheval va rejoindre le forgeron cleste, Boshintoj. Neuf jeunes gens jouent le rle des neuf fils de Boshintoj, et un homme, qui incarne le forgeron cleste lui-mme, tombe en extase et rcite un assez long monologue dans lequel il rvle comment, in illo tempore, il a envoy ses fils sur la terre pour aider les humains, etc. Ensuite, il touche le feu avec la langue. On raco nta Sandschejew que, dans la coutume ancienne, le personnage qui reprsentait Boshintoj prenait du fer en fu sion dans la main (3). Mais Sandschejew n'a vu pour son compte que toucher du fer rouge avec le pied (op. cit., p. 550 sq.). Dans de telles preuves, on reco nnatt facilement les exhibitions cha maniques : comme les forgerons, les chamans sont des matres du feu II, mais leurs pouvoirs m.agiques sont sensiblement suprieurs. A. Popov a dcrit la sance de gurison d'un forgero n par un chaman. La maladie tait provoque par les esprits du forgeron . Aprs avoir sacrifi un taureau noir K' daai Maqsin, on barbouilla tous les instruments du forgeron avec son sang. Sept hommes allu mrent un grand feu et jetrent la tte du taureau dans la braise. Cependant, le chaman entamait son incantation et se prparait entreprendre le voyage extatique chez K' daai Maqsin. Les sept hommes
(1) I bid., p. 260-61. On sc souvient du rle d es chamansrorgerons {. diables .) dans

1 AIlS Sibirien, orgeron chet les peuples du l nissi, ct. aussi F. Geschich du lIunnen, l , p. 195 sq.; D.

der Tujen des Sininggebietes (Kukunorl, 3 e arlicle, p. Scharnanenturn, p_ 94 sq. Pour loul ce qui suil, voir ELIADE, Forferons et alchimistes, en particulier p. 57 sq. Voir aussi HUMM EL, Der f ottlicM Schmied in Tibet (in }o~ ol

l, p. 1 86 sq. Voir SCHRDER, Zur Ileligion 828, 830; H. FINDB IUN,

klore Studies , XIX, 1960, p. 251-72 ). (3) SIEROS7',EWSIU, Du chamanisme d'aprs les croyanus des Yakofltes, p. S19. Cr. aussi W. JOCIIELSON, The Yak ut, p. 172 sq. (4) A. Popov, Coruecral-ion Ritual for a Hlacksmith Novice arnong the Yakut, (e Journ al of American Folklore " XLVI, 181, 1933, p. 257-71 ), p. 258-260.

les rves in itiatiques des futurs chamans. Quant la maison de K daai Maqsill, on sait que le chama n altaque entend des bruits mtalliques dans sa descente extatiq ue aux enfers d'Erlik Khan. Erlik enchane avec des liens de fer les mes cap tures par les mauvais es pri ts (S AND SC IIF.JEW, p. 95:1) . Selon les trnditions des 'l'ollgouses et des Orotchis, la tte du rutur chaman est forge en mme temps que les ornements de son costume, dans le m ~ me fournea u ; cf. A. FRIEORI CII et O. B UOI)RU SS, Schamantnceschichun ail' S ibirien, p. 30. (2) Les Tibtains connaissent galemen t un protecteur divin du forg eron et ses neuf frres. Cf, R. de NUESKYWOJKOWITZ, Oracles and Demons of Tibet, p. 539. (:1) Les forgerons dogons prennent llil fer rougi dans ln main pour rappeler la pratique des premiers forgerons ; cf. M. OIlIAUU: , Dieu d'eau. Entretiens ""'tC Ogotemmt!li (Paris, 1949), p. 102.

368

MYTHES, SY MB OLES ET RITES PARALLLES

MYTHES, S YMBOLES ET RITES PARALLtLES

369

reprirent la tte du taureau, la mirent sur l'enclume et la frap prent avec des marteaux. N'avonsnous pas ici un forgeage symbolique de la tte du forgeron parallle celui auquel se livrent les. dmons

dans les rves initiatiques du futur chaman 1 Le chaman descend aux


Enfers de K'daru Maqsin , parvient incarner un esprit. et celui-ci

lurgique est bien mis en vidence par les mythes de. populations aborignes de l'Inde (Birhor, Munda, Oraon) o l'on souligne l'orgueil d~ forgeron et sa dfaite finale par l' &tre Suprme, qui russit le faIre brler dans sa propre forge (1). Les secrets de la mtallurgie nous rappellent les secrets de mtier
qui se transmettent, par initiation, chez les chamans i de part et d'autre, on es t en face d'une technique magique de caractre sot rique.

rpond par sa houche aux questions qu'on lui pose sur la maladie et le traitement suivre (Popov, Consecration Ritual, p. 262 sq.).
Leur pouvoir sur le feu et surto ut la magie des mtaux, ont

valu parto ut aux forgerons la rputation de redoutables sorciers (1 ), d'o l'attitude ambivalente dont ils sont l'objet: ils sont mpriss et vnrs la fois. Ce comportement antithtique se rencontre surtout en Afrique (2); dans nombre de tribus le forgeron est honni, considr comme paria et on peut mme le tuer impunment (3);
dans d'autres tribus, le forgeron est, au contraire, respect, assimil

C'est pour cela que la profession de forgeron est gnralement hrditaire, comme celle de chaman. Une analyse plus pousse des rapports historiques qui ont exist entre le chamanisme et le travail

des mtaux nous loignerait trop de notre sujet. Il suffit et il importe ici de mettre en vidence que la magie mtallurgique, par le pouvoir
sur le feu qu'elle impliquait, s'est assimil nombre de prestiges

au medicine-man et il devient mme chef politique (4). Cette conduite


s'explique par les ractions contradictoires qu'inspirent les mtaux

chamaniques . Nous trouvons dans la mythologie des forgerons quantIt de thmes et motIfs emprunts aux mythologies des cham ans et sorClers en gnral. Cet tat de choses se vrifie aussi dans les traditions folkloriques de l'Europe, quoi qu'il en soit de leurs origines;

et la mtallurgie, et par les dnivellations qui sparent les dilTrentes


socits africaines : certaines ont connu la mtallurgie tardivement et dans des contextes historiques complexes. Ce qui nous imp orte ici, c'est qu'en Afrique aussi Jes forgerons constituent parfois des socits

le forgeron est mainte fois assimil un tre dmoniaque et le Diable


est connu comme jetant des flammes par sa bouche. Nous retrouvons dans cette image, valorise ngativement, la puissance magique sur

secrtes avec des rituels initiatiques spcifiques (5) . Dans certains


cas, on assiste mme une symbiose entre les forgerons et les chamans

le feu.

ou les medicine-men (6). La prsence des forgerons dans les socits base d'initiation (<< Mannerbnde ) est atteste chez les anciens Germains (7) et chez les J aponais (8). On a vrifi des rapports analogues entre la mtallurgie, la magie et les Fondateurs de dynasties dans les traditions mythologiques chinoises (9). Les mmes rapports, infiniment plus complexes cett e fois, se laissent dchilTrer entre les Cyclopes, les Dactyles, les Courtes, les Telchines et le travail des mtaux (10). Le caractre dmoniaque, surique , du travail mtalCf. M. ELIADE, ForgeronA et alchimisk" p. 57 sq. et pa88im . 2 Cf. Walter CLIl'U , Mining and MetaUUl',~ in Negro A fr ica (1 General Series in Anthr0,P0logy, 5, Menasha, 1937); cr. aUSSI B. GUTalANN, Del' Schmied und .eine Kunst lm ammltischen Denken (1 Zeitschrift fr E thnologie l, XLIV, 1912, p. 81-93) ; W USTBR, Magic, p. 165-67. (3) Par exemple, chez les Bari du Nil Blanc (Richard AN DREE, D~ M eUJUe bei den 1VatUl'~olkern; mit Derck.ichtigung priihistorischer Verhltni"e, Leipzig, 18M, 9, 1i2) ; chez. les Wolor, les Tibb u (ibid., p. 41-43) ; chez les Wanderobo, les M asaI CL IN.8, p. 11 4), etc. 4) Les Ba Lolo du Congo at tribuent une origine royale aux forgerons (CL INS , p. 22). s Wachagga les honorent et les craignen t la fois (ibid., p. 11 5). L'identification partielle des forgerons avec les chefs se rencontre chez plusieurs tribus congolaises: les Basonge, les Baholoholo, etc. (CLlI'l.8, p. 125). Cr. CLun, ibid., p. 119 i ELIADB, Fo rgeronA et alchni'k" p. 100 sq. 6 CL INE, p. 120 (Bayeke, lia, ete.) . 7 HOnBR , Kult uche Geheimbanlk cr ~rmanen, p. 54 sq. Sur J es rapports mtal~1\'5mag;. dan, traditions mythologiques Hnnoises, cl. K. M, uLI. Scy.hica,

LA CHALEUR MAGIQ UE

Tout comme le Diable dan. la croyance des populations europennes, les chamans ne sont pas seulement 1( maltres du feu ]), ils peuvent aussi incorporer l'esprit du feu au point d'mettre des flammes

par la bouche, par le nez et par le corps tout entier durant les sances (2). Ce type de prouesse doit tre rang dans la catgorie des
merveilles chamaniques portant sur la
1(

III

maltrise du feu

lI,

et dont

nous avons multipli les exemples. Ce pouvoir magique dnonce la


condition d'esprits . obtenue par les chamans. Mais, on l'a vu, la conception de la chaleur mystique. n'es t pas

le monopole du chamanisme; elle appartient la magie en gnral.


Un grand nombre de tribus 0: primitives. se reprsentent J e pouvo ir magico-religieux comme brlant et l'expriment par des termes qui signifient 0: chaleur . , brlure., t: trs chaud., etc. A Dobu, la

! ~
SI

5!

notion de. chaleur va toujours avec celle de sorcellerie (3). Mme constatatIOn aux Iles Rossel, o la. chaleur est l'attribut des magiagpur (Ranchl, 1925) , p. 402 sq. (Blrhor); E. T . DA.LToll', D~.crlpli"e Ethnology of Bengal (CaJcutla, 1872), p. 186 sq. (Munda) ; P. DUON Rdigion and ClUloml of tM Uraons (1 Memoirs oU he Asiatic Society of Bengali, l, 9, 'Calcutta, 1906) , p. 128 sq. (Or~ons). Sur tou t ce problme voir Walter RUBEN, Eu~nJchmieM und Damonm in Indien, p. 11 sq., 130 sq. , 14 9 sq ., et ptusn. (2 ) PROPP,. Le radici .toricM tlei racconti di fate, p. 284 sq. citant des exemples des chamans gIlyakes et esquimaux . (3) R. F. ) :o"ORTU NE, Sorcuus of Dobu, p. 295 sq. Ct . aussi A. RAD C LIPFE BROWN TM Andaman lslaruluB, p. 266 sq. Voir plus haut, p. 287, 342. '
~ ) Ct. Sard C~andra Rov, The Dirh;ors: a Li/th-Known Jun gle Tr ibe of Ghola

1 .,

SLAWIK, KultiscM Geheimbmle cr Japaner und Gerrnanen, p. 697 sq. 9 Marcel GRAN!.T, Dan.e, et Ugendcs, Il, p. 609 sq. et ptu.irn. I Oj Cf. L. GBRlfBT et A. BOULANCER, Le Gni~ gnc danA la religion (Paris, 1932), p. 9 i Bengt lIBalBUG, Die Kabiren (Uppsala, 1950) , p. 286 sq. et plU.im. Sur les rapports entre forgeron, danseur et sorcier, cr. Robert EnLiR, Dru Qainn~ icMn und d~ Qeniter (. Le Monde Oriental _, XXllI, fasc. 13, Uppsala, 1929, p. 1i8-112).

Le Chamanisme

370

MYTHES , SYMBOLES ET RITE S PARALL tLES

MYTHES, SYMBOLES ET RITES PARALLiLES

371

ciens (1) . Dans les tles Salomon, t out es les personnes possdant une grande quantit de mana so nt considres comme saka, brlantes (2). Ailleurs, Sumatra et dans l'archipel malais, par exemple, les mots dsignant la chaleur expriment galement l'ide de mal, alors que les notions de batitude, paix, srnit, sont toutes traduites par des mots signifiant la fral cheur (Webst er, p. 27). C'est pour cette raison que nom bre de magiciens et de sorciers boivent de l'eau sale ou pimente et mangent des plantes extrmement piquantes: ils veulent ainsi augme nter leur chaleur intrieure (ibid. , p. 7). Une raison analogue interdit certains sorciers et sorcires australiens les substances brlantes i en effet, ils ont dj une quantit suffisante de feu intrieur (3). Les mmes conceptions se sont conserves dans des religions plus complexes. De nos jours, les Hindous donnent une divinit particulirement puissante les pithtes de prakhar, trs chaude , jjoal, brlante ou joalit, possdant du feu (4). Les mah omtans de l' Inde croient qu'un homme en communication avec Dieu devient brl ant (AlJbott, p. 6). Un homme qui opre des miracles est appel sahib-josh, josh signifiant bouillant (ibid.). Par extension, t outes sortes de personnes ou d'actions comportant un cc pouvoir l) magicoreligieux quelconque sont considres comme cc brlantes (ibid. , p. 7 sq. et l'index, s. v. heat .). C'est le moment de rappeler ici les tuves initiatiques des confrries mys tiques d'Amrique du Nord et , en gn ral, le r le magique de l'tu ve au cours de la priode prparatoire des fu turs chamans dans nombre de tribus nord-amricaines. On a retrouv la fonction ext atique de l'tuve, unie l'intoxication avec des fum es du chanvre, chez les Scythes. Toujours dans le mme contexte, il faut rappeler le tapas des traditions cosmogoniques et mystiques de l' Inde ancienne: la chaleur intrieure et la sudation sont cratrices . On pourrait citer encore certains mythes hroques indoeu l'opens, avec leur juror, Jeur wUI , leur jerg; le hros irlandais Cchulainn sort si chauff de son premier exploit (qui q uivaut d'ailleurs, Georges Dumzil l'a montr, une initiation de t ype guerrier), qu'on lui apporte trois cuves d' eau froide. cc On le mit dans la premire cuve, il donna l'eau une chaleur si forte que cett e eau brisa les planches et les cercles de la cuve comme on casse une coque de noix. Dans la seconde cuve l'eau fit des bouillons gros comme le poing. Dans la troisime cuve la chaleur fut de celles que certains hommes supportent et que d' autres ne peuvent supporter. Alors la colre ({erg) du petit garon diminua et on lui passa ses vtements (5). La mme chaleur
(1) W EBSTB R, Malic, p. 7 , citant W. E. ARMSTRONG, Rossel l .land (Cam bridge, 1928). p. 1. 72 sq. ~:) WEBSTER, Magic, p. 27; cr. R. H . CODIUNCTON, The MelaM.ians, p. 191. sq. WBB ST .!fI, p. 237-38. Sur la . chaleur intrieure. et la maftrise du feu. cr. 'L IAD!, Forgerons et alchimistes, p. 81. sq. ' (4) J . AnoTT, The Keys of Power. A Study of In dian Ritual and Belief {Londres 19 321. ~. S 'q. ' T d,Il B O Cudlnge, rsum et tradu it par Georges D(1)d~ZlL, H orace et les Curiace., (5)3 S

mystique , (de t ype guerrier ) distingue le hros des Nartes, Batradz (1). Tous ces mythes et ces croyances vont de pair, il faut le noter, avec des rituels initiatiques qui impliquent une relle. manrise du feu ' (2). Le futur chaman esquimau ou mandchou, comme le yogi himalayen ou tantrique, doit prouver sa puissance magique en rsistant aux froids les plus rigoureux ou en schant des draps mouills mme son corps. D'autre part, toute une srie d'preuves imposes aux futurs magiciens compltent, en sens inverse, cette matrise du feu. La rsistance au froid par la a: chaleur mystique ou l'insensibilit au feu, dnotent, l'une et l'autre, l'obtention d'un tat surhumain. L'ext ase chamanique n'aboutit souvent qu'aprs l' chauffement . Nous avons eu l'occasion de le remarquer: l'exhibition des pouvoirs fakiriques certains moments de la sance rsulte de la ncessit o se trouve le chaman d'authentifier l' l( tat second obtenu par l'extase. Il se la rd e avec des couteaux, il toucbe du fer rougi blanc, il avale des braises, parce qu'il ne peut faire autrement: il est tenu d'prouver la nouvelle condition, surhumaine, laquelle il vient d'accder. Il y a t out lieu de supposer que l'usage des narcotiques fut encourag par la recherche de la chaleur magique . La fume de certaines herbes, la combustion de certaines plantes avaient pour vertu d'augmenter la puissance . L'intoxiqu s' chauffe ; l'ivresse narcotique est brlante . On s'efforait d'obtenir par des moyens mcaniques la chale ur intri eure qui menait la transe. On tiendra compte galement de la valeur symbolique de l'intoxication; celle-ci quivalait une mort : l'intoxiqu abandonnait son corps, acqurait la condition des trpasss et des esprits. L'extase mystique tant assimile une 11 mort provisoire ou l'abandon du corps, toutes les intoxications aboutissant au mme rs ultat taient de ce fait intgres dans los techniques de l'extase. Mais, une tude plus attentive du problme, on a l'impression que l'usage des narcotiques dnot e plutt la dcadence d'une technique d' extase ou son extension des populations ou des groupes sociaux infrieurs (3). En tout cas, on a constat que l'usage des narcotiques (tabac, etc.) est assez rcent dans le chamanisme de J'extrme Nord-Est.

it)

p.

sq.

(1 ) cr. G. D U MZIL, Ugeruks 'ur le. Ntu'tes , p. 50 sq., 1. 79 sq. ; id., Horace et le. CuritlU$ , p. 55 sq. (2) Les mediciMmen sont rputs marcher dans le feu; cf. A. P . EU.IN, Aboriginal Men of Il igh Degree, p. 62 sq. Sur la . marche dans le leu l , cf. la bibliographie dans H. EISLER Man into W olf ~ Lo ndres, 1. 951), p. 1. 34-35. JI est probable que le nom maglar du chaman drive d un tymon signi flant 1 chaleur, ardeur, elc. ; cr. J onos BAL '/:S , A malyar samdn rUlete (Die EkBtase der ungarischen SchamaTlen), p. 438 sq. rsum allemand). 3) No us esprons reprendre aille urs cc problme dans le cadre d'un e tude comparative plus pousse deI! idologies et des techniques de la chaleur intrieure . Sur les structures de l'imagination du feu , cr. G. BA C HELARD , La p' ychanaly'. du feu, (Paris, 1935).

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MYTHES, SYMBOLES ET RITES PARALLLES

MYTHES, SYMBOLES ET R(TES PA.RALLLES

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LE t VOL MAGIQUE

Les chamans sibriens, esquimaux, nordamricains, volent (1). Dans le monde entier, on attribue aux sorciers et aux medicine-men la mme puissance magique (2). A Malekula, les sorciers (bwili) ont le pouvoir de se transformer en animaux, mais ils se transforment de prlrence en poules et en faucons car la facult de voler les fait ressembler des esprits (3). Le sorcier Marind , va une sorte de loge qu'il a construite dans la fort avec des feuill es de palmier, et il se garnit le haut des bras et les avant-bras avec les longues plumes d'un hron. Enfin, il met le feu la petite hutte sans la quitter ... la fume et les flammes doivent le soulever en l'air, et, comme un oiseau, il vole vers l'endroit ou il veut aller ... , (4). Ces traits nous rappellent le symbolisme ornithomorphe du costume des chamans sibriens. Le chaman dayak, qui escorte les mes des trpasss dans l'autre monde prend , lui aussi, la forme d'un oiseau (5). Nous avons vu que le sacrificateur vdique parvenu au sommet de l'chelle, tend les bras comme l'oiseau ses ailes et s'crie: t j'ai atteint le Ciel, etc. 1 , Mme rite Malekula : au point culminant du sacrifice, le sacrificateur tend les bras pour imiter le fa ucon, et entonne un chant en l'honneur des toiles (6). Le pouvoir de voler, suivant de nombreuses traditions, s'tendait toua les hommes de l'ge mythique; tous pouvaient atteindre le Ciel, que ce ft sur les ailes d'un oiseau fabuleux ou sur les nuages (7). Inutile de revenir sur tous les dtails relatifs au symbolisme du vol enregistrs jusqu'ici (plumes, ailes, etc.). Ajoutons qu'une croyance universelle amplement atteste en Europe attribue aux sorciers et aux sorcires la facult de voler dans les airs (8).
(1) Voir, par !lx., M. A ..CUPLICU., Aboriginal Sibuia, p. 1 7S sq., 238, etc. ; KROKTIu: Eskimos of Smith Sound, p. 903 sq. ; THALBtTZBR , us Magiciens esquimau:r, p. 8~-81 ; J. LAYAR.D, Shamanum, p .. S36 sq.; A. MTRAUX, Shamanisme c1u:~ le. Induril tk Z'AmrlqlUi du Sud troplcau, p. 209; ITI.Ol'fB~, Heidni.che Religion, p.116. (2) ~,!-8.lr~ie: W. J . Pu.RY, TIu: Children of llu: Sun: a Study of tlu Early Hutory of Cavulzatlon (2' d., Lo~dres, 1926), p. 396,4.03 sq.; Iles Trobriands : B. MALINOWSl:I, tlu Argonautl of the Pac.tfic (Londres, 1932 ), p. 239 sq. Les nijamtU des Iles Salomon ~e mtamorphosent en OiSeaux et volent; cr. A. M. Hoc ART, Medicine and Witchcraft ln Eddy.tone of'lu Solomorll (1 Journal or the Royal Anthropologica1 Institule. LV. Londres, 1925, p. 221-101, p. 23132. Voir aussi les documents que nous ~von~ cits (cr. Index, s. v. 1 voler 1). JohnLAYARD, Malekula, p. SOt. sq. {4. p, WIRZ, Die Mtl/"ind-~nim "on ,uolltndisch. Sad.Neu-Guinta (Hambourg, 2 y~1., 1922.2S), II, p. ?4., Cit e t tradUit par L . LVyBR UHL, La Mythologie pri. nutave. U Montk mythlqlUi tk. Australien" et de. PapoU8 (Paris, 1935), p. 232. (5) H. M. et N. K. CUADWICIt, Tiu grofPth of Lituature, III , p. 495; N. K. CHADWI CK, 'poetry and Proplu:cy, p, 27. J<?h": LAYARD, Stone Men of Malekula, p, 733-3'. {1 Amsl, par exemple, Yap: voir M . WALL ESER, Re!igiBe Anschauungen und b G'6""2 "UCIu der B ewohner "on Jap, Deuuc/le Sadsee (I Anthropos l, VII, 1913, p. 601.29), ~. sq. (8) VC?ir KITTREDCB, Witchcraft in Old and New England, p, 243 sq ., S'. 7-4.8 (bibliograp~le); PEN'n:R et ',l'AWNBY, TJu Ocean of Story, Il, p, 104; Stith THOMPSON, J l!otrf-./ndu or FolkLlteratUl'e , III , p. 21 7; Arne Hu:n:Buc, lVirches, Dtmons and liemlity Maglc, p, 15 Bq., 93 sq ., 'lO S sq" 222 sq .
BBR,

(31

On a vu que les mmes pouvoirs magiques sont attribus aux yogis, aux fakirs et aux alchimistes (plus haut, p. 319 sq.). Prcisons toutefois que de tels pouvoirs revtent souvent ici un caractre purement spirituel: le t vol traduit uniquement l'intelligence, la comprhension de choses secrtes ou des vrits mtaphysiques . L'intelligence (manas) est le plus rapide des oiseaux ., dit le Rig Vda (VI, 9, 5). Et la Palcaoima Brdhmana (XIV, l, 13) prcise: Celui qui comprend a des ailes. , (1). Une analyse adquate du symbolisme du vol magique nous conduirait trop loin. Notons simplement que deux motifs mythiques importants ont contribu lui donner sa structure actuelle: l'imagination mythique de l'me sous forme d'oiseau et la conception des oiseaux comme psychopompes. Negelein, Frazer, Frobenius ont runi de nombreux matriaux touchant ces deux mythes de l'me (2). L'important pour nous, dans ce cas, rside dans le fait que les sorciers et les chamans ralisent ici-bas et autant d. (ois qu'ils le dsirent, la e sortie du corps *, c'est--dire la mort, qui seule peut transformer en oiseaux,. le reste des humains; les chamans et les sorciers peuvent jouir de la condition des 4: mes t, des t dsincarns ., alors que cette condition n'est accessible aux profanes qu'au moment de leur mort. Ce vol magique est la traduction la fois de l'autonomie de l'me et de l'extase. C'est ce qui explique que ce mythe ait pu tre intgr dans des complexes culturels si diffrents: sorcellerie, mythologie du rve, cultes solaires et apothoses impriales, techniques de l'extase, symbolisme funraire, etc. Il se trouve pareillement en relation avec le symbolisme de l'ascension (voir plus bas, p. 381 sq.). Ce mythe de l'me contient en germe toute une mtaphysique de l'autonomie et de la libert spirituelles de l'homme; c'est l qu'il faut chercher le point de dpart des premires spculations sur l'abandon volontaire du corps, sur la toute-puissance de l'intelligence, sur l'immortalit de l'me humaine. Une analyse de l' t imagination du mouvement mon~ trera combien la nostalgie du vol est essentielle la psych humaine (3). Le point capital ici, c'est que la mythologie et les rites du vol magique propres aux chamans et aux sorciers confirment et proclament leur transcendance par rapport la condition humaine; en s'envolant dans les airs, sous Corme d'oiseaux ou sous leur forme normale, les chamans proclament en quelque sorte la dchance humaine, car nombre de mythes font allusion, nous l'avons vu, un temps primordial o tous les humains pouvaient monter aux Cieux, en escaladant une montagne, un arbre ou une chelle, en s'envolant par leurs propres moyens ou encore en se laissant porter par des oiseaux. La dchance

(61

(1) Sur le symbolisme du vol dans les airs l, cf, Ananda K. COOMARASWUIY, Figure. of Speech and FigUl'eB of Thought (Londres, 194.6), p. 183 sq. (2) Ameoiseau: J . von NECUEIN, Seeu als Voge! (1 Globu8 l, LXXIX, 23, p. 3S1-61, 381-84); James George FunR, Tabou et u. prll.tk l'me, p. 28 sq. Oiseaupsychopompe: L. FROBENIUS, Die Wdlorllchauung der Natur"61ker, p, 11 sq,; FllAzu, La craink t. moru (lrad. rr. Paris, 1934. ), l, p. 2i19 sq, (3) Voir, par ex" Oaslon BACHELARD, L'Air et lu ,onge. EBBai .ur l'imagination du mou"ement (Paris, 1943); ELUDE, Drohana and the . waleing drtanl 1 i ct, aussi id., Mytlu., r~"e. et my.ure., p. 133 Bq.

MYTHES, S YMBOLES ET RITES PARALLLES

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MYTHE S, SYMBOLES ET RITE S PARALLLES

de l'humanit interdit dsormais la masse des hommes de s'envoler au Ciel : seule la mort restitue aux hommes (et encore, pas tousl) leur condition primordiale i alors seulement ils peuvent monter au Ciel et voler comme des oiseaux, etc. Encore une fois, sans pousser ici l'analyse de ce symbolisme du vol et de la mythologie de l'Ame-oiseau, nous rappellerons que la concept ion de l' me-oiseau et, partant, l'identification du mort avec un oisea,:" sont dj attestes dans les religions du Proche-Orientarchaque. Le Lwre des morts gyptien dcrit le mort comme un faucon qui s'envole (ch. XXVIII , etc.) et, en Msopotamie, on se figure les trpasss sous la forme des oiseaux. Le mythe est vraisemblablement plus vieux ~ncore : Bur 1~8 monuments prhistoriques de l' Europe et de l'Asie, 1 Arbro Cosffilque est reprsent avec deux oiseaux dans ses branches (1) j en dehors de leur valeur cosmogonique, ces oiseaux semblent avoir symbolis aussi l'Ame-Anctre. On se souvient, en efTet, que dans les mythologies d'Asie centrale, de Sibrie et d'Indonsie les oiseaux perchs Bur les branches de l'Arbre du Monde reprsentent les mes des hommes. Les chamans, du fait qu'ils peuvent se transformer en c oiseaux t, c'est--dire du fait de leur condition d' c esprits t, sont capables de voler jusqu' J'Arhre du Monde pour en rapporter des t mes-oiseaux t. L'oiseau perch sur un bton est un symbole frquent dans les milieux chamaniques. On le retrouve, par exemple, sur le tombeau des chamans yakoutes. Un tltos hongrois, avait un bton ou un pieu devant sa hutte et un oiseau tait perch Bur ce bton. Il envoyait l'oiseau l o il devait aller , (2). On voit dj un oiseau perch sur un poteau dans le clbre relief de Lascaux (homme t te d'oiseau) dans. lequel Horst Kirchner a vu la reprsentation d'une transe chamamque (3). Quoi qu'il en soit, il est certain que le motif de l' oisea,: perch sur un poteau & est extrmement archaque. Jn VOit, ces quelques exemples, que le symbolisme et les mythologws du vol magique dbordent le chamanisme stricto sensu et lui sont antrieurs; ils appartiennent l'idologie de la magie universelle et jouent un rle essentiel dans bea ucoup de complexes magicoreligieux. On s' explique pourta nt l'intgration de ce symbolisme et de toutes ces mythologies dans le e hamanisme : ne mettaient-ils pas en relief et ne rendaient-ils pas Vldente la condition surhumaine de. chamans et, en d~rnire instan~e , leur libert de se mouvoir impunm ent dans les trOIS zones cosmIques et de passer indfiniment de la ~ vi.~ It ,la 41 mort t et. vice versa., exactement comme les t esprits t, dont ils s talent appropri les prestiges? Le vol magique. des Souverains rvle la mme autonomie et la mme victoire sur la Mort.
(1) c.r. G: WILK E, Der Wt'lunbaum und du beidtn kOBm iscMn YiJ,el in dtr vor,e.chlchlllchen K un,t. (2) G. R6I1EIM, /Jun garian Shamanism, p. 38 ; cr., id., /{un,arian and Yo gul M ythowgy (. Monographs or the Americ&n Ethnological Society XXIII New York

Rappelons ce propos que la lvitation des saints et des magiciens se rencontre galement dans les traditions chrtiennes et islamiques (1). L'hagiogra phie catholique a mme enregistr un assez grand nombre de lvitations et mme de , vol, ; le dossier rcent d'Olivier Leroy le prouve (2). Le plus illustre exemple est celui de Saint J oseph de Copertino (1603-1663). Un tmoin dcrit sa lvitation de la fao n suivante: ... il s'leva dans l'espace, et du milieu de l'glise, vola comme un oiseau sur le maitre-autel, o il embrassa le tabernacle... , (ibid., p. 125). Parfois aussi on le voyait ... voler sur l'autel de saint Franois et de la Vierge de la CroteJlo ... , (ibid., p. 126). Il s'envola une autre fois sur un olivier: t et il resta genoux une demi-heure sur une branche, qu e l'on voyait osciller comme si un oiseau eut t pos dessus )} (ibid., p .. 127). A une autre occasion il vola en extase, environ deux mtres cmquante du sol, jusqu' un amandier situ une trentaine de mtres (ibid. , p . 128) . Parmi les autres innombrables exemples de lvitation ou de vol de saints ou de personnes pieuses, nous relverons encore les expri ences de Sur Marie de Js us crucifi, carm lite arabe: elle s'levait trs haut dans l'air, au sommet des arbres dans le jardin du Carmel de Bethlem, 41 mais elle commenait par se hisser l'aide de quelques branches et jamais ne flottait librement dans le vide, (ibid. , p. 178).
LE PONT ET LE C PASSAGE DIFFICILE t

Les chamans, l'gal des trpasss, ont un pont traverser au cours de leu.r voyage aux Enfers. Comme la mort, l'extase implique une. mutatiOn , que le mythe traduit plastiquement par un passage prIlleux. Nous avo ns rencontr un nombre assez considrable d'exemples, Projetant de revenir sur ce sujet dans un ouvrage spcial, nous nous c?ntenter0l1:s de remarques succinctes . Le symbolisme du pont funraire est ufilverseJlement rpandu et dborde l'idologie et la mythologie chamaniques (3). Ce symbolisme est solidaire, d' une part, du mythe d'un pont (o u d' un arbre, d' une liane, etc.) qui reliait autrefois la Terre avec le Ciel, et grce a uquel les humains communiqua ient sans peine avec les dieux; d'autre part, il est solidaire du symbolisme initia tique de la , porte troite, ou d'un , passage paradoxal que nous illustrerons par quelques exemples. On a alIaire un complexe mythologique dont les principaux lments constitu(1) S,u r la .I vit~tion dans les ,socits pri mitives, ~f. O. L EROY , lA R aison primitive. 'Ella, dt refutauon dt la tlliol'le du prlo gism.e (Parts, 192 7) , p. 174 sq. (2) La lvitation (Paris, 1928). (3) Outre les exemples cits au cou rs de cet ouvrage cf. Johannes ZEMMRICH To~ninseln und V4Il'wandu geographische My/Mn (. I ~tern&tionales Archiv r; Ethnograpl~ i e l , IV,. Leyde, 1891 , p. 217 -,24.4. ), p. 236 sq.; Rosalind Moss, The Life af~1' Dealh Ul Ocea,n,a a1ld lM. Malay Arch,pelago, s. v . brid~ o 1; Kira WEINB ERGER ~~EHEL , A~ e la1le8uc~ J eTlfe& tsgedanlcen, p. 101 sq.! ?t,farttl R:is NEN, R egenbogen!1 l1n,me18brcke, pas8vn; 1 heodor KOC H, Zum An&m1SmU8 rkr .UdamerilcaniscMn l n~lallcrn, p. 129 sq. ; F. K. N UMAZAWA, D~ Weltanfii.ll~e in eUr japa ,~i8cMn My thoW8 l8, p . 151 sq., 313 sq., a93; L. VANN ICELLl , La rehgione de i. Lolo p 179 sq . Sti lh THOMP SON , Motif-Index of F olk-Literature, Ill, p. 22 (F' 152). " .,

1954.), p. 4.9 sq. ' , , (a) Ein ar~MologiBchel' B eitl'ag :iur .ur g~sc hic h~ eUs Schamani,"~us, en particulier PI' d s,q . , ~ . MA RI N GER ( Vol'g~,chlchtllc he Religion, p. 128) considre qu'il s'agit

puv

'1;1'

uno Im age co mm morative.

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MYTHE S , SY&lBOLES ET RITE S PARALLLES

MYTHES, SYMBOLES ET RITE S PARAI. LtLES

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tifs seraient les suivan ts: a) in illo tempore, aux temps paradisiaques de l'humanit, un pont reliait la Terre au Ciel (1) et on passait d' un point l'autre sans rencontrer d'obstacles, parce qu'il n'y avait pas la mort; b) une fois interrompues les communications faciles entre Terre et Ciel, on ne passa plus sur le pont qu' en esprit _, c'est--dire en tant que mort ou en extase; c) ce passage est diffi cile, en d'autres termes il est sem d'obstacles et toutes les mes n'arrivent pas le traverser; il fa ut a ffronter les dmons et les monstres qui voudraient dvorer Pme, ou encore le pont devient troit comme une lame de rasoir au passage des im pies, etc. : seuls les. bons J, et particulirement les initis, traversent facilement le pont (ces derniers connaissent en quelque sorte le chemin, puisqu'ils ont subi la mort et la rsurrection rituelles) ; d) certains privilgis russissent nanmoins le traverser de leur vivant, soit en extase, comme les chamans, soit de force,., comme certains hros, soit, enfin paradoxalement , par la (t sagesse. ou par l'initiation (nous reviendrons l'instant Bur le paradoxe .). Le fait important ici, c'est que nombre de ritu els sont censs construire " symboliquement , un pont . ou une chelle " et ceci par la force mme du rite. Cette ide est a tteste, pa r exemple, dans le symbolisme du sacrifice brhmanique (cf. Taittiriya Samhitd, VI, 5, 3, 3; VI, 5, 4, 2; VII, 5,8,5; etc.). Nous avons vu que la cord e qui relie les bouleaux crmoniels dresss pour la sance chamanique s'appelle justement , pont , et symbolise l'ascension du chaman au Ciel. Dans certaines initiatio ns japo naises, les candidats sont obligs de construire un , pont _ sur sept fl ches et avec sept planches (2). Ce rite doit tre rapproch des chelles de couteaux gravies par les candidats durant leur initiation chamanique et , en gnral, des rites initiatiques d'ascension. Le sens de tous ces rites de passage dangereux est le suivant: on tablit une communication entre la Terre et le Ciel, en s'efforant de restaurer la communicabilit qui tait la loi in illo tempore . VU8 80US un certain angle, tous les rites initiatiques poursuivent la reconstruction d'un passage vers l'au-del et, partant, l'abolition de la rup t ure des niveaux qui cara ctrise la condition humaine aprs la chute . La vitalit du symbolisme du pont est prouve galement par le rle qu'il joue aussi bien dans les apocalypses chrtiennes et islamiques, que dans les traditions init iatiques du moyen ge occidental. La Vision de Saint Paul nous montre un pont troit comme un cheveu 1 qui relie notre monde avec le Paradis (3). La mme image se rencontre cbez les crivains et mystiques arabes: le pont est plus troit qu'un cheveu. et relie la Terre aux sphres astrales et a u Paradis (ibid., p. 182) ; tout comme dans les tradition. chrtiennes , les pcheurs ,
(1) Cf. Nu.uA. W4, p. 15511q. ; H. T. Fiscan., In c11ttli. C M Paradsmyt1un, p. 207 aq . (2) Chez les chamanes de Ryllky\1, ct. SUWIt., Kult ucM Cuimbunck de,. Japaner

incapables de le traverser, sont prcipits dans l'Enfer. La termino logie arabe souligne neUement le caractre d' . accs difficile, du pont ou du sentier , (1) . Les lgendes mdivales parlent d'un pont cach sous l'eau, et d'un pont-sabre sur leq uel le hros (Lancelot) doit passer mains et pieds nus; ce pont est plus tranchant qu'une faux et Je passage se fait tI avec souffrance et agonie t . Le caractre initiatique de la traverse du pont-sabre est confirm galement par un autre fait: ava nt de s'y engager, Lancelot aperoit deux lions sur l'autre rive mais, une fois arriv, il ne voit plus qu' un lzard : le dan ger, disparalt du fait mme que l'preuve ini tiatiq ue est vaincue (2). Dans les traditions finnoises, Vinmoinen et les chamans qui voyagent en transe vers l'autre monde (Tuonela) doivent traverser un pont fait d'pes et de co utea ux (3). Le if passage troit )) ou dangereux. est un motif courant des mythologies fun raires comme des mythologies initiatiques (on connait la solidarit et mme la coalescence qui a ffecte parfois les un es et les autres) . En Nouvelle-Zlande, le mort doit passer par un espace trs resserr entre deux dmons qui s'efforcent de le capturer; s' il est lger il russit passer, mais s'il est lourd " il tombe et est la proie des dmons (4). Lgret, ou. rapidit, - comme dans les mythes o il est qu estion de passer trs vite. ent re les mchoires d'un monstre - sont toujours une formule symbolique de l' intelligence , de la sagesse , de la te transcendance ,., en dernire instance de l'initiation . Il est malais de passer sur la lame effile du rasoir, disent les potes pou r exprimer la difficult du chemin (qui mne la connaissance suprme) _, dit la Katha Upanisad (III , 14, trad. Louis Renou) (5). CeUe formule met en lumire le caractre initiatique de la connaissance mtaphysique. t roite est la porte et resserr le chemin qui mnent la vie, et il y en a peu qui le trouvent. (MaUhieu, VII, 14). En effet, le symbolisme de la porte troite, et du pont dangereux , est solidaire du symbolisme de ce qu e nous avons appel le passage paradoxal , parce qu'il se montre parfois comme une impossibilit ou une situation sans issue. On se rapp elle que les candidats chamans ou les hros de certains mythes se trouvent parfois dans une situation apparemment dsespre: ils doivent passer l o la nuit et le jour se rencontrent " ou trouver une porte dans un mur, ou monter au Ciel par un passage qui ne s'entrouvre qu'un
4

.J

l ) Ibid., p. 181 sq. La concep tion islamique du pont (s irtj est d'origine persane ibid. , p. 180). 2) Cf. les textes reproduits par H . ZIYMBR, TM King and lM Corpse: Tale, of th. Soul', Conque" of E vil (J. CAMPBELL, d., New York, 1948), p. 166 sq., 173 sq. Cr. ibid., p. 166 (fig. 3), la belle image du. passage du pont-pe J tire d'un manuscrit
(3 )

und GumaMn , p. 739.

(3) Cf. Migue.1 As il'l' PAtAcros, La e.cawlo,ia rnUlulmana en la Di"ina Conudia (2- d., Madnd et Grenade, 19t,,3 ), p. 282 .

lranais du XII - sicle. Martti HUVIO, VanmOln.tn, Eternal SaKe (1 Folklore Fellows Communications " LXI, 144, 1952) , p. 110 sq. (4) E. S. C. HAN DY, P olyne, ian ReliJn, p. 73 sq . (5) Sur le srmbolisme indien et celltque du pont, ct. Luisa COOJUR.4. SWAMV, Th. Perilou.s Bridge of Welfare (e Harvard J ournal 01 Asialie Studies l, V III , 1944, p. 19621 3); ct. aussi Ananda K. COOMAttUW AMV, Time and Eternity (Ascona, 19i11 'l, p. 28 et D. 36,

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MYTHES , SY MU Q LES ET RIT ES P A R ALLtLES

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instant, passer entre deux meules en co ntinuel mouvement, ent~e deux rocs qui se touchent tout moment, ou encore entre les mchOires d'un monstre, etc. (1). Comme l'a bien vu Coomaraswamy, toutes ces images mythiques ex ~rimen~ la ncess.it de trans?~nd er les 0.00traires, d'abolir la pola rIt qUI caractrIse la condItIOn humame, pour accder la ralit ultime. Celui qui veut se tran,sporter de ce monde-ci dans l'autre, ou en revemr, dOit le faIre dans 1 mtervalle .. unidimensionnel et atemporel qui spare des forces apparentes mais contraires, travers lesquelles on ne peut passer qu'instantanment t (Coomaraswamy, Symplegades, p. 486). Dans les mythes, ce passage paradoxal . souligne justement que celui qui russit le raliser a dpass la condition humaine: il est un chaman, un hros ou un esprit >, et en effet on ne peut raliser le passage paradoxal . que si l'on est esprit . Ces quelques exemples clairent la fonction des mythes, des rites et des symboles de , passage. dans l'id ologie et les techniques chamaniques. En traversant extatiquement le pont dangereux 1 qui relie les deux mondes et auquel seuls les morts peuvent se mesurer, le chaman, d'une part, dmontre qu'il est esprit " qu'il n'est plus un tre humain , et , d'autre part, s'efforce de restaurer la communicabilit qui existait in illo tempore entre ce monde-ci et le Ciel; en effet, ce que les chamans ralisent de nos jours en extase, jadis, l'auhe des temps, tous les tres humains taient capahles de le raliser in concreto : ils montaient au Ciel et en redescendaient sans avoir recourir une transe. L'extase ractualise, provisoirement et pour un nombre restreint de sujets, les chamans, l'tat primordial de l'humanit tout entire. A cet gard , l'exprience mystique des primitifs. est un retour aux origines, une rgression dans le temps mystique du paradis perdu. Pour le chaman en extase, le Pont ou l'Arbre, la Liane, la Corde, etc., qui racco rd ait la Terre au Ciel in illo tempore retrouve, l'espace d'un instant, sa ralit et son actualit.
L 'C HELLE LE CHEMIN D ES MORTS L'ASCENSION

fixe au milieu de la chamhre une chelle qui atteint le toit ; c'est par cette chelle que descendent le. esprits invits par le sorcier prendre possession de lui (1). Certaines tribus malaises fi chent dans les tombes des btons qu'ils appellent escaliers d'mes e, sans doute pour inviter les trpasss quitter leur tombeau pour s'envoler au Ciel (2). Les Mangars, tribu du Npal, utilisent un escalier s!.mbolique en pratiquant neu f entailles ou marches sur un bton qu Ils fich ent dans le tombeau' cet escalier sert l'me du mort monter au CIOI (3). Les gyptiens ont conserv dans leurs t.ex tes fun~aires l'expression asken pet (asken = marche) pour montrer que l chelle mIse leur disposition par R pour monter au deI estune chelle r~lI e (4) . Est installe pour moi l'chelle pour vOIr les dIBux " dIt le Lwre des morts gyptien (5)., Les dieux lui font une chelle pour que, se servant d'elle, il monte au ciel , (Weill , op. cit., p. 28) . Dans nombre de t ombeaux des dynasties archaques et mdivales, on a t rouv des a ~u lettes figu rant une chelle (maqet) ou un escalier (6) . Des figurm es similaires taient enterres dans les spultures de la frontIre du Rhin (7). Une chelle (climax) sept chelons eot attes te ?ans les my~tres mithriaques et nous avons vu (p. 307) que le pretre-rol Kosmgas menaait ses suj ets d'aller trouver Hra ~u m0'yen d'un esca.h e~. Une ascension cleste par escalade crmomelle d une chelle faIsaIt probablement partie de l'initiation orphiqu~ (8). E~ tout. cas, le symbolisme de l'ascension par le truchement d un escalier tait connu . , . . en Grce (9). W. Bousset avait rapproch depUIS longtemps l chelle mIthrIaque
(1) FU'l.EI\, Folklore in lM Otd Testament: Studie, in Comparat'e R eligion, u gend andLa.w {Londres, 3 vol. , 1919), 11 , p. 54-55. W . W. SK:EAT et BLAGD!.N , Pagan Race' of lM Mala!; Peninsula, II , p. 108, 1H. 3 H II RISLEY T M Trib es and Castes of Bengal (Calcu tta, 4 vol., 189192) , 1 p. "5. 'Les Russ~s de Voronetz fon t cuire de petits escaliers d e pte en l' honneur d~ leurs morts et ils y dsignent parlois les sept cieux par s~pt barres. L'usage a t emprunt a ussi par les Tchrm isses; cf. FRAZER, Folklore ln the Old Testa!,"en.l , II, p. 57 ; id., La crainte des morts, l , p. 235 sq. Mme coutu me chez les R usse~ slbrlen.s; ct. G. Rbl:, Die Milige lIintuecke, J,l. 73. Sur l:cheUe dans la mythologte fun raire russe cf PR OPP radici storiCM tUt racconti dL fate, p. S3S sq. (4) d., par ex., 'Wallis BUDGE, From Fdish to Cod in Anci~nt Egyp,' (Londres, 1 9~4), p. 346 ; H. P . BLOK:, Zur alUigyptiscMn Yors tellun der }llmmelsle,ter (1 Acta Orien. talia " V I, 1928, p. 257-69 ). . . ) Ci t par R . WEILL, Champ des roseaux et le cltamf. deB offrandes danB la rehglon unraire et la reli ion gnirale (Paris, 1936)! p. 52. C . aussI J . H . B RUST!.D, Th.e evelopment of R eligion and Thouqht in Anclent E gypt (Londres, 1912), p. 112 sq., 156 sq. ; F. MAX MOL LER , Egyptlan [Mythology], \_ M~tolog:r or AU Haces .,' XI1, Boston e l Lo ndres, 1918), p. 1' 6 ; W . J . PERRY., TM P"mordtal Ocean , p . 263266; J acques VA!'(DIER , La R eli gion gyptienne (PariS, 1944), p. 71-72. . (6) Cf. par exem ple Walli s BUDCE, TM Mummy: a Handbook .of Egyptlan Funerary Archaeology (2. d., Cambridge, 1925 ). p. 324-~27 . Reproductlon des chelles funraires-clestes, dans Wallis BUDGE, TM Egyptlan Heae>en and lieU (Londres, 3 vol., 1925), Il , p. 159 sq. Cf. F. CUMONT, Lux Perpetua, p. 282 . . . (8 C'est, au moins, l'hypothse de A. B. COOK, ~w, Il , i n partie, p . 1.24 sq;, qUI accumule, . sa manire, un S'rand nombre de rMrences sur les escaliers r~t~ e1.s dans d 'autres religions. Mais vOir aussi W. K. C. GUTHRII, Orphew and Cru/r. R eligion,

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On a rencontr d'innombrables exemples d'ascensions chama niques au Ciel par le truchement d'une chelle (2). Le mme moyen est utilis soit pour faciliter la descente des dieux sur terre, soit pour ass urer l'ascension de l'me du mort. Ainsi, dans l'archipel indien, on invite le dieu du Soleil descendre sur t erre par une chelle sept chelons. Chez les Dayaks de Ousun, le medicine-man, appel traiter un malade,
(1) Sur ces motifs, cf. A. B. COOK:, MW : a Study in Ancient Religion, (Cambridge, _l, p. 975-1016 ; Ananda COOMARASWAMY, SymplegadeB (1 Studies and Essays in the ~is to rl' or Science and Learning oftcrcd in Homage to George Sarton on the OccasIO n 0 his Sixtieth Birthday 31 Augus t 1944 ., d. M. F. Ashley Montagu, New York, 1946, {>. 463-88); EL I A~E, NaisBances mystiques, p. 132 sq., ; G. HATT, Asiatie I nfluence m American Folklore , p. 78 sq. (2) Voir la photographie d ' une chelle d e ce genre utilise par le sorcier BhU d ans W. KOPPERS, Die Rhil in Zentralindien , planche X III , ng. 1.

3 voL , 1914-40), III , 2. partie, Appendice P (. Floating Islands

(71

. f

208. ,- , 9) Cf. COOl:, Zeus, Il , l , p. 97, p. 127 sq. Cf. aussi C.-M. BDUAN, Le BaptJTM looK ,eu Uppsala-Leipzig, 1940), p. 41 .

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MYTHES, SYMBOLES ET RITES PARALLtLES

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des conceptions orientales similaires et montr leur symbolisme cosmologique commun (1). Mais i! importe de mettre galement en lumire le symbolisme du Centre du Monde " implicitement prsent dans toutes les ascensions clestes. Jacob rve d'une chelle dont le sommet atteint le ciel, et par laquelle 4t les anges du Seigneur montent et descendent , (Gense, 28 : 12). La pierre sur laquelle s' endort Jacob est un bthel et se trouve au centre du monde, car c'est l qu'avait lieu la liaison entre toutes les rgions cosmiques (2). Dans la tradition islamique, Mahomet voit une chelle s'levant du temple de Jrusalem (le , Centre, par excellence) jusqu'au Ciel, avec des anges droite et gauche; sur cette chelle les mes des justes montaient vers Dieu (3). L'chelle mystique est abondamment atteste dans la tradition chrtienne; citons le martyre de Sainte Perptue ou la lgende de Saint Olaf (4). Saint Jean Climaque adopte le symbolisme de l'chelle pour exprimer les diffrentes phases de l'ascension spirituelle. Un symbolisme remarquablement analogue se rencontre dans la mystique islamique : l'ascension de l'Ame vers Dieu comporte l'escalade obligatoire de sept degrs: repentir, abstinence, renon cement, pauvret, patience, confiance en Dieu, satisfaction (5). Le symbolisme de la , marche " des , chelles , et des i ascensions " n'a cess d'tre exploit par la mystique chrtienne. Dante voit dans le ciel de Saturne une chelle d'or s'levant de faon vertigineuse jusqu' l'ultime sphre cleste et sur laquelle montent Jes mes des bienheureux (Paradiso, XXI-XXII) (6). L'chelle sept chelons s'est galement conserve dans la tradition alchimique; un codex reprsente l'initiation alchimique par un escalier sept
(1) W. Boussu, Die HimnuZ,reue tkr SeekJ (1 Archiv tr Religionswissenschaft IV, 190 f , p. 136-69, 229-73), spc. p. 156-69; voir aussi A. JUIIIIAS, Handbuch' p. 180 sq. Le VIII volume des Vortrllge de la Bibliothek Warburg est consacr aux voyages .clestes d ~ l'me dans diverses traditions (Leipzig, 1930); cr. aussi F. SAXL, M,thnu (Berlin, 1931), p. 97 sq.; Benjamin ROWLAND Studie. in tM Buddhi.t Art of Odmiydn, p. 48. ' (2) Ct. ELIADE, Traiu, p. 201 sq., 326 sq. Voir aussi plus haut, ch. VIII . N'oublions pas non plu~ un a~tre type d'ascension. cleste .: celle du souverain ou du prophte pour recevolf' le 1 bvre cleste .:de la mam du Dieu suprme, un motif trs important tudi par G. WIDBNGIl!N dans The .A..ceruion oftM .A.peutkJ of Cod and the Heavenly Book. (3) Mig,uel AsiN P~~A.CIO, La e.carololl~ mwul.mana. en la Divna Comedia, p. '0. Dans d autres tradItions, Mahomet attemt le Ciel dos d'oiseau' ainsi le Llm~ de l'l?chel~ raconte qu'il a ralis son voyage chevauchant 1 une soria de canard plus gra~d qu' un ne et plus pe~it qu'un mulet l, et guid .par l'archange Gabriel; voir EnriCO ~~IlULLI (d.J,. Il hb~o delJ. .cala 1 ~ l~ que.hOM delle fonti arabo-.pa,no~ del~ DUll1Ia Comm~d,a (Studl e tesll, CL; Blbhot~ca Apostolica Vatieana, Cit du Vatican, 1949). .voir plus haut (p. 315 sq.) les rCits analogues des saints musul. mans . Vol ~aglque ., escalade, ascension, 80l'lt d'aiUeurs dei formules homologables d'un symbohsme et d'une experience mystique identiques. l la (4) Cf. EDSIIAN, Bap~me de f~u! p. 32 sq . ~{ (5) G. van der Luuw, L4 Reh'lon daM 'on euence et .e. manifestations (Paris 1948), p. 484 avec les rrrences. 1 (6) Saint ~ea!l de la Cr~ix refrsente les tapes de la perfection mystique par une escalade dlffictle : s~ Subl~a de MOl}te Co.rmefo .dcrit les etrorts asctiques et spirituels sous la forme de 1 ascension longue et fastidieuse d'une montagne. Dans certaines lgendes d.'Europe ori~ntale, la croix du Christ est considre comme un pont ou une chelle qUI sert au SeIgneur li descendre sur la terre et aux mes monter vers lui ' cr'I-!-UVA (Hou.Bucl, Del' Bau,?, de. beM, p. 133. Sur l'iconographie byzantin~ de 1 echelle du Ciel, cf. COO.411.UW"MV, Svollamdtrnnd: Jonu", Coeli, p. 47.

chelons sur lequel montent des hommes aux yeux bands; sur le septime chelon se trouve un homme sans bandeau sur les yeux, devant une porte ferme (1). Le mythe de l'ascension au Ciel par une chelle est aussi connu en Afrique (2), en Ocanie (3), et en Amrique du Nord (4). Mais l'escalier n'est qu'une des nombreuses expressions symboliques de l'ascension: on peut atteindre le Ciel par le feu ou la fume (5), en escaladant un arbre (6) ou une montagne (7), en grimpant une corde (8) ou une liane (9), l'arc-en-cieJ (10) ou mme un rayon de solei!, etc. Rappelons, enfin, un autre groupe de mythes et de lgendes qui est en relation avec Je thme de l'ascension : la c cha1ne des flches ,. Un hros monte au ciel en fichant la premire fl che dans la vote cleste, la suivante sur la premire, et ainsi de suite, jusqu' ce qu'il parvienne composer une chaIne entre le Ciel et la terre. Le motif se rencontre en Mlansie, en Amrique du Nord et en Amrique du Sud; i! est absent en Afrique et en Asie (11). L'arc tant inconnu en Australie, sa place dans le mythe est prise par une lance qui porte un long morceau d'toffe; la lance s'tant implante dans la vote cleste, le hros monte jusque-l l'aide de l'charpe (12).
(1) G. C411.BONELLI, SuUe fonti .toriche delJ. chimica e deU'alchimia i" Italia (Rome, 1925), p. 39, fig. 47 : il s'agit d'un codez dela Bibliothque Royale de Modne. (2) Cf. Alice WERNER, Afl'ican [Mythology), (in. Mythology of All Races " VII, noston et Londres, 1925), p. 136. (3) A. E. JBNSEN eL H. NIGGE.U!Il (d.), Hainuwele : Yolhser:iihlun,en "on der Moluhken-lruel Ceram, (Francfort-sur-Ie-Mam, 1939), p. 51 sq., 82, 84, etc. ; JJ!, NSEN, Die cirei Str6me (Leipzig, 1948), p. 164; H. M. et N. K . CHA.DWln, The Crowth of Lirature, III , p. 481, etc. (4) Stith THOMPSON, Motif-Index of Folk-Lirature, Ill, p. 8. (5J Cf. p. ex. R. PETTA'UONI, Salli di storia del~ reli,ioni e di mitologia (Ro me, 194 6), p. G8, n. 1 ; A. RIEuNnLD, Th~ Afegalithic Culture of Melane.ia, p.196 sq.,etc. (6) Cf. A. van GENNIl:P, Mythes et l,ende. d'AUltralie, n OI XVII et LVI ; PETTUZONI, Sani, p. 67, n. 1 ; H. M. et N. K. CHADWICI., III, p. 486, ete.; H. T.BCNuus, Le Hros civilisaur. Contl'ibution d. l'tude ethnolo,ique de la religion et de la .ociologie africaine. (Uppsala, 1950), p. 150, n. 1 ; etc. (7) Le medicl1u-man de la tribu australienne des Wotjobaluk peut s'lever jusqu'au Ciel Sombre " qui est semblable une montagne; A. W. HOWITT,t The Nati~ Tribes of South-East .A.ustralia, p. 490. Ct. aUSSl W. SCHMIDT, Der Ursprun, du Gotsidee, III, p. 8'15, 868, 87t. (8) Ct. R. PETTAZZONI, AUti e Leuende, l, p. 63 (Thonga), elc., H. 1\1. et N. K. CHAD~ WICI., III, 481 (Dayaks maritimes) ; FRAZER, Folklore in lhe Old Testament, Il, p. 54 9) H. H. J UYNBOLL, Reli,ionen der Natur,,{jlkel' Indonesieru, p. 583 (Indonsie) ; RAZER, Folklore, Il, p. 52-53 (Indonsie) ; Roland DlxoN, Oceanic [Mythology], (in. Mythology or Ali Races., LX, Boston et Londres, 1916), p. 156 ; Alice WERNER, African [Mythology), p. 135 ; H. B. ALEXANDER, Latin Anu:rican [Mythology), p. 271 ; Stith THOMPSON, Motif-index, Ill, p. , (Amrique du Nord). A peu prs dans les mmes rgions, on trouve le mythe de l'ascension par une toile d'araIgne. (10) Aux exe'!lpl.es cit.s ~u co urs de l'ouvrage, ajouter: J UY NBOLL , p. 585 (Indonsie)) EVAl'iS, Studus ln Rell,lon, Folk-lore and ClUrom, p. 51-52 (Dusun) ; H. M. et N. K. CHADWICI., Ill, p. 272 sq. ; elc. (11) Sauf chel; les Semang (cf. R. PETTAUONI, La cana di frecce : sauio lIuUa difTusione di un motivo mitico, dans ses Saggi di . toria delle reli~iolli et di mitologia, p. 63-79; La cana di frecce est la rimpression, avec des additions de l'article The Chain of Arrowl: the Diffusion of a Mythical Moti"e, Folklore " XXXV, Londres, 1924, p. 151-65), etchedes Korrak}cf. W.l. JOCHELSON, The Koryak , p. 213, 30f" j. (12) R. PETTUZOl'iI, The Cham 0 Arrows. Voir aussi JOCHELSON, The K0'1lak, p. 293, 304 ; ibid., rfrences supJ,>lmentaires sur la difJusion du motif en Amrique du Nord . Cf. aussi O. HATT, ASialie Influen ces i" American Jt'olklore, p. 40 sq.

Tchrmisses).

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MYTHES , SYMBOLES ET RITE S PAnALLtLES

MYTHE S, SYMBOLES ET RITES PARALL LE S

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Un volume serait ncessaire pour exposer convenablement ces motifs mythiques et leurs implications rituelles. Prcisons simplement que les itinraires valent aussi bien pour les hros mythiques que pour les chamans (les sorciers, les medicine-men, etc.) et pour certains morts privilgis. Nous n'avons pas Ludier ici le problme trs complexe de la varit des itinraires post-mortem dans les diverses religions (1). Notons simplement que pour certaines tribus, qui comptent parmi les plus archaques, les morts vont au Ciel, mais qu e la plupart des populations primitives J connaissent au moins deux itinraires postmortem : cleste pour les tres privilgis (les chefs, les chamans, les (( initis Il) et horizontal ou inCernal pour le reste des humains. Ainsi, un certain nombre de tribus australiennes - les Narrinyeri, les Dieri, les Buandik, les Kurnai et les Kulin - croient que leurs morts s'lancent vers le Ciel (2) ; chez les Kulin, ils montent par les rayons du soleil co uchant (3). Mais dans le centre de l'Australie, les morts hantent les lieux familiers qui furent ceux de leur vie; ailleurs, ils se dirigent vers certains t erritoires situs A l'Ouest (4) . Pou r les Maoris de la Nouvelle-Zlande, l'ascension des mes est longue et difficile car il y a jusqu' dix cieux et c'est seulement dans le dernier qu'habitent les dieux. Le prtre utilise plusieurs moyens pour y parvenir: il chante et, ce faisant , accompagne magiquement l'me jusqu'au ciel; en mme temps, il s'efforce, par un ritu el spcifique, de sparer l'me du cadavre et de la projeter vers le baut. Quand c'est un chef qui meurt, le prtre et ses assistants fixent des plumes d' oiseaux au bout d' un bto n et chantent en levant peu peu leurs btons dans l'air (5) . Remarqu ons que, dans ce cas encore, seuls les privilgis montent au ciel; le reste des mortels s'en va travers l'ocan ou verS une rgion so uterraine. Si l'on essaie d'obtenir une vue d'ensem ble de tous les mythes et rites que nous venons d'numrer succinctement, on est frapp de constater qu'ils ont en commun une ide dominante: la communication entre le Ciel et la Terre est ralisable - ou l'a t in illo tempo,e - par un moyen pbysique quelconqu e (arcenciel, pont, escalier, liane, cord e, chaine de flches ", montagne, etc., etc.). Toutes ces images symboliques de la liaison entre Ciel et Terre ne sont que des variantes de l'Arbre du Monde ou de l'Axis Mundi. Nous
(1) Nous tudierons ce problme dans notre livre, en prparation, M ywlo,u. de la M ort. 2! Cf. FRAZER , TM Be/uf in lmmortality, l, p. 134, 138 , etc. S A. W. H OW ITT, The Nati(le Tribe. of SouJh-E48t Australia, p. 438. 4 D'aprs F. GUEBNE R (Dai Weltbild der Primiti"en. Eine Unter.uchung der 1 Urfonnen weltanschaulichen Denkens bei Natur"olkern, Munich, 192fl, p. 25 sq.) el W. SC HM IDT (Der Ursprung der Gottesidee, J, 2 e d., Mnster, 1926, p. 3a4-476; III , 574-86, etc.) , les tribus australiennes les plus archaq ues seraient. celles du

avons vu, dans un autre chapitre, que le mythe et le symbolisme de l'Arbre Cosmique impliquent l'ide d' un Centre du Monde " d'un point o se raccordent la Terre, le Ciel et l'Enfer. Nous avons pareillement constat que le symbolisme du Centre , tout en jouant un rle capital dans l'idologie et les t echniques chamaniques, est infiniment plus rpandu que le chamanisme lui-mme et qu'il est son ain. Le symbolisme du Centre du Monde est galement solidaire du mythe d' une poq ue primordiale, o les communications entre le Ciel et la ::ultfe r er se rfrent gnralement cet illud tempus primordial, mais certains d'entre eux font allusion une ascension cleste ralise par un hros, par un souverain ou par un sorcier aprs la rupture des communications; en d'autres termes, ils impliquent la possibilit, pour certains lus ou privilgis, de remonter A l'origine du Temps, de retrouver l'instant mythique et paradisiaque d'avant la chute ", c'est-A-dire d' avant la rupture des communications entre Ciel et Terre. C'est dans cette catgorie d'lus ou de privilgis que rentrent les chamans; ils ne sont pas les seuls A pouvoir s'envoler au Ciel ou y parvenir par le tru chement d'un arbre, d' un escalier, etc. ; d'autres privilgis peuvent rivaliser avec eux: les souverains, les hros, les initis. Les chamans tranchent sur les autres catgories de privilgis par leur t echnique spcifique, qui est l'extase. L'extase chama nique peut tre envisage, nous l'avons vu, comme le recouvrement de la co ndition humaine d'avant la chute li; autrement dit, elle rep roduit une situatio n primordiale, accessible au reste des humains uniquement par la mort (car les ascensions au Ciel par le truchement des riLes - cl. le cas du sacrifi cateur de l'lnde vdique sont symboliques, non concrtes comme celles des chamans). Bien que l'idologie de l'asce nsion chamanique soit extrmement cohrente et solidaire des conce ptions mythiques que nous ve nons de passer en revue ((( Centre du Monde , rupture des communications, dchance de l'humanit, etc.), on a rencontr nombre de cas de pratiques chamaniques aberrantes (1) : nous pensons surtout aux moyens rudiment aires et mcaniques d'obtenir la transe (narcotiques, danses jusqu' puisement, possession ", etc.). On peut se demander si, en dehors des explications historiques qu'on pourrait trouver ces techniques aberrantes (dchance la suite d'influences culturelles extrieures, hybridation, etc.), elles ne peuvent tre interprtes galement sur
C'est peut- tre cause des espces aberrantes de transes chamaniques que Wilhe m SC IUIID T co nsidrait l'extase co mme l'attribut exclusif des chamans' noirs (cf. Der Ursprung, X II, p. 624). Puisqu e, selon son interprtation, le chaman 1 blanc. n'arrivait pas l'extase, Schmidt ne le co nsid rait pas com me. un vrai chaman . et proposait de l'appeler . Himmelsdiener 1 (serviteur du ciel) (ib id. , p. 365, 634 sq. , 696 St ). Selon toute probabili t, si W. Schmidt dvalorisait l'extase, c' tait parce qu'en on rationaliste il ne pouvait accorder un crdit quelconque une exprience religieuse qui impliquait l ~ perte de la conscience 1: Cf. 13: ?scussion de ses thses compares aux interprtatIOns avances dans la prem ire dition du prsent ouvrage duns D. SC IIRDER, ZU1' Struhtur de. Schamanismus.

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Sud-Est du continent, c'est-diNl prcisment celles o on remarque une plus ferm e concep tion fun rairecleste (en relation, sans doute, avec les croyances en un Etre suprmo de struc ture ouran ienne). Au contraire, les tribus du Cen tre de l'Australie - o domin e la concep tion fun raire . horizontale . , en relation avec le culte des a~~tres et le totmisme - seraient, du point de vue ethnologique, les moins . primlttves 11 . (5) FltAZU, The Belief in lmmonalir:y, lI, p. 24 sq.

MYTHES, SYMBOLES ET RITES PARALLLES

un autre plan. On peut se demander, par exemple, si le ct aberrant de la transe chamanique n'est pas d au fait que le chaman s'efforce d'exprimenter in concreto un symbolisme et une mythologie qui, de par leur nature mme, ne sont pas exprimentables sur le plan concret '/1 i si, en un mot, le dsir d'obtenir tout prix et par n'importe quel moyen une ascension in concreto, un voyage la fois mystique et rel, au Ciel, n'a pas abouti aux transes aberrantes que nous avons vues i si, enfin, ces comportements ne sont pas la consquence invitable du dsir exaspr de CI: vivre " c'est--dire d' exprimenter , sur le plan charnel ce qui, dans l'actuelle condition humaine, n'est plus accessible que sur le plan de l' esprit ' . Mais nous prfrons laisser ouvert ce problme qui dborde d'ailleurs les cadres de l'histoire des religions et dbouche dans le domaine de la philosophie et de la thologie.

CONCLUSIONS

LA FORMATION DU CHAMANISME

NORD-ASIATIQUE

On se rappelle que le mot ( chaman nous vient, travers le russe, du tongouse saman. L'ex plication de ce terme partir du pli samana (skr. ramana) - par l'intermdiaire du chinois cha-men (simple transcription du mot pli) - , accepte par la majorit des orientalistes du XI xe sicle, a t nanmoins mise en doute d'assez bonne heure (en 1842 par W. Schott, en 1846 par Dordji Banzarov) et repousse par J. Nmeth (1) en 1914 et par B. Laufer en 1917 (2) . Ces savants ont cru pouvoir dmontrer l'appartenance du vocable tongouse au groupe des langues turcomongoles grce certaines correspondances phontiques : le k' initial du turc archaIque devenant le tatar k, tchouvache i, yakoute x (spirante so urde, comme dans l'allemand ach), mongol IS, et mandchoutongouse s, sou s ; le tongouse saman aurait t l'quivalent phontique exact du turcomongol kam (qam) qui dsigne justement le chaman proprement dit dans la majorit des langues turques. Mais G. J. Ramstedt (3) a dmontr l'insuffisance de la loi phontique de Nmeth. D'autre part, la dcouverte de mots semblables en tokharien (~amne = , moine bouddhiste ) et dans le soghdien (sm,! = saman) met de nouveau en vedette l'hypothse de l'origine indienne de ce terme (4) . N'osant pas nous prononcer sur l'aspect
(1) U~bu den Ur,prun~ des WorUI Saman und einige Bemukungen :ZUl" WrkischmongolucMn Lautgt'ChlChu (e Keletl Stem le " XIV, 1913-1914, p. 2tIO249). (2) Origin of tM Word Shaman (. American Anthropologist " X IX , Menasha,

1917, p. 361-71 ). L'article de LA UFER contient aussi l'histoire et la bibliographie succinctes de la question. Voir aussi J .-P. Roux, Le Nom du chaman dans les Uxles turco-mongols, (in. Anthropos ' I LIlI, 12, 1958 , p. 440-56). Sur le terme turc bog, cC. H.-W. HAU SS IG, TMophylak ts Exltur' ber die skythischen V6lku, p. 359. (a) Zur Prage noeh der Stellung du tschuwassischm (e Journal de la Socit FinnoOugrienne., XXXVIII, 1922.23, p. 1-34 ), p. 20-21 ; ct. Kai DONNER, Uebu Boghdisch nmc Geset.z. und .amojedisch nOm 1 li immd, Gott. (1 Studia Orientalia " 1, Helsinki, 1925, p. 1-8) , p. 7. Voir aussi G. J. RAMSTEDT, The Relation of tM Allaic Languages 10 OtMr Language Groups (1 Journal de la Soci t FinnoOugrienne " LIll, 1,1946' 7,

p. 1526).

(4) Ct. Sylvain Livi, tutk th, documents tokhariens th la Mission Pelliot (e Journal Asiatique " sr. X, vol. XVII, 1911 , p. 431-6'), spc. p. 445./... 6; Paul PELLIOT, Sur qUl!lqUl!S mots d'Asie Centrale attesls dans ks ~%~s chinois (1 Journal Asiatique J, sr. X I, vol. l, 1913, p. 451-69), spc. p. 46669; A. MZILLET ( Tokharun , 1 Indogermanische Jahrbuch " l, Strasbourg, 191 3, p. 19 ) signale,lui aussi, la ressemblance du ~amne tok harien avec le mot tongouse. F. ROSENBERG (On Wine and Feasu in tM /l'anian National Epie, trad. du russe par L. BOGDANOV , 1 Journal of the K. R. Cama Oriental Instltute " no 19, Bombay, 1931, p. 13-44; cf. note, p. 18-20), souligne j'importance du terme soghdien Sm!'. Le Chamanisme

,.

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CONCLUS IONS

CONCLUS IONS

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linguistique de la question, et tout en tenant compte de la difficult qu' il y a expliquer la migration de ce vocable indien de l'Asie cen traIe jusqu' l'Asie extrme-orientale, nous voulons ajouter que le problme des influences indiennes sur les populations sibriennes doit tre pos dans son ensemble et en utilisant les donnes ethnographiques et historiques. C'est ce qu'a fait Shirokogorov pour les Tongouses, dans une srie de travaux (1) dont nous essayerons de rsumer les rsultats et les conclusions gnrales. Le mot saman, remarque Shirokogorov, semble tre tranger la langue tongouse. Mais - chose plus importante - le phnomne mme du chamanisme prsente des lments d'origine mridionale, en l'espce des lments bouddhistes (lamalstes). En effet, le bouddhisme avait pntr assez loin dans le Nord-Est de l'Asie: au IVe sicle en Core, dans la deuxime moiti du premier millnai re chez les Ougours, au XIIIe sicle chez les Mongols, au Xye sicle dans la rgion de l'Amour (prsence d'un temple bouddhiste l'embouchure du fleuve Amour). La majorit des noms des esprits (burkhan) des Tongouses sont emprunts aux Mongols et aux Mandchous, qui, leur tOUf, les avaient reus des lamalstes (2). Dans le costume, le tambour et les peintures des chamans tongouses, Shirokogo rov dcle des influences modernes (3). De plus, les Mandchous affirment que le chamanisme est apparu chez eux au milieu du XIe sicle mais ne s'est rpandu que sous la dynastie Ming (X I Ve-XVIIe sicles). Les Tongouses du Sud prtendent, d'autre part, que leur chamanisme est emprunt aux Mandchous et aux Dabours. Enfin, les Tongouses du Nord sont influencs par leurs voisins mridionaux, les Yakoutes. Qu'il y ait concidence entre l'apparition du chamanisme et la diffusion du bouddhisme dans ces contres du Nord de l'Asie, Shirokogorov pense pouvoir le dmontrer par le fait que le chamanisme a fleuri en Mandchourie entre le XIIe et le XVIIe sicle, en Mongolie avant le XIV. sicle, chez les Kirghizes et les Ougours probablement entre le VIle et le XIe sicle, c'est--dire peu avant la reconnaissance officielle du bouddhisme (lamasme) par ces peuplades (Srama(!a-Shaman, p. 125). L'ethnologue russe rappelle en outre quelques lments ethnographiques d'origine mridionale : le serpent (en certains cas le boa constrictor), prsent dans l'idologie et le costume
(1) N. D. MIRONOV eL S. SR IROK.OGOROV.. Srama~a-Shaman : Etymology of the Word Shaman (. J ournal or the North-Chma Branch or the Royal Asiatic Society., LV, Ch~ng-hal, 1924, p. 110-30); cr. aussi S. SR.IROX:.OGO~OV, General Theory of Shamanlsm among the TungUII; Northern Tungus MIBrCUI01l8 ln the Far East; Versuc einer Erfor8chung der Grundlagen des Schamanentunu bei den TungUllen; Psychomental Comple:r. of the TungUII, p. 268 sq. (2) MIRO NOV et SH IROX:O GOROV, 5 ramana-Shaman, p. 119 sq.; SUIROX:OGOROV, Psychomental Comple:r., p. 279 sq. La thse de SU IROK.OGOROV a t accepte aussi p~ N. N. POPPE, cr . Asia Major l , III , Leipzig, 1926, p. 138. L'influence mridionale (s,~o:bouddhiste) sur les burkhan a t mise en vidence galement par HARvA,Die rellgl6sen Vorslellunen der altaischen Vlker, p. 381. cr. aussi W. SCHM IDT , Der Ur!prung du Got~sldee, X, p. 573 ; D. SCURODER, Zur Religion der Tujen, dernier article, p. 203 sq. (3) MIRONOV e t SHlROK.OGOROV, Sramana-Shaman, p. 122' SUJROIC.OGOROV Psychomental Complex, p. 281. ,

rituel du chaman, ne se rencontre pas dans les croyances reJigieuses des Tongouses, des Mandchous, des Debours, etc., et chez certaines de ces peuplades l'animal lui-mme est inconnu (1). Le tambour chamanique - dont le centre de diffusion semble tre, selon le savant russe, la rgion du lac Baikal - joue un rle de premier ordre dans la musique religieuse lamaiste, comme d'ailleurs le miroir de cuivre (cf. plus haut, p. 134 sq.), lui aussi d'origine lamalste, et qui est devenu tellement important dans le chamanisme qu'on peut cham aniser mme sans le costume et sans le tambour, pourvu que l'on possde ce miroir. Certains ornements de tte seraient, eux aussi, un emprunt au lamaIsme. En conclusion, Shirokogorov considre le chamanisme tongouse comme un phnomne relativement rcent qui semble s'tre dif fus de l'ouest l'est et du sud au nord. Il comprend beaucoup d'lments emprunts directement au bouddhisme ... (Srama(!a-Shaman, p. 127). Le chamanisme a ses racines profondes dans le systme social et la psychologie de la philosophie animiste, caractristique des Tongouses et autres chamanistes. Mais il est galement vrai que le chamanisme, dans sa fo rme prsente, est une des consquences de la pntration du bouddhisme parmi les groupes ethniques de l'Asie du Nord-Est (ibid., p. 130, n. 52). Dans sa grande synthse, Psychomental Complex of the TlLngus, Shirokogorov s'arrte la formule: le chamanisme stimul par le bouddhisme (p. 282). Ce phnomne de stimulation est encore observable de nos jours en Mongolie : les lamas conseillent aux dsquilibrs de devenir chamans et mainte rois un lama devient chaman et utilise les es prits des chamans (ibid.). Il ne faut donc pas nous tonner si les complexes culturels tongouses sont saturs d'lments emprunts au bouddhisme et au lamasme (ibid.). La coexistence chamanisme-lamasme se vrifie d'ailleurs chez d'autres peuples de l'Asie. Chez les Touvanais, par exemple, dans beaucoup de yourtes, mme dans celles des lamas, il arrive de trouver, ct des images du Bouddha, les rni chamaniques, dfenseurs contre le mauvais esprit (2). Nous sommes pleinement d'accord avec la formule de Shirokogo rov : le chamanisme stimul par le bouddhisme . Les influences mridionales ont, en effet, modifi et enrichi le chamanisme tongouse - mais celui-ci n'est pas une cration du bouddhisme. Comme le remarque Shirokogorov lui-mme, avant l'intrusion du bouddhisme, la religion des Tongouses tait domine par le culte de Buga, le Dieu du Ciel; un autre lment jouant un certain rle tait le rituel des morts. S'il n'y avait pas de chamans dans le sens actuel du terme, il existait nanmoins des prtres et des magiciens spcialiss dans les sacrifices offerts Buga et dans le culte des morts. Aujourd'hui,
(1) Ibid. , p. 126. Un grand nombre d' 1 esprits Il des chamans tongouses sont d'ori.gine bouddhis te (PsychomenJal Comple:r., p. 278). Leur reprsentation iconographique sur les costumes chamaniqucs trahit 1 une correcte reproduction du costume des prtres bouddhistes 1 (ibid ). (2) V. BOUNU, Un Pays lU l'Asie peu connu: le Tanna-Tou,"a (1 Internationales Archiv !tir Ethllographie ., XX I X, 1928, p. 1-16), p. 9.

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CONCLUSIONS

CONCLUSIONS

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remarque Shirokogorov 1 dans toutes les tribus tongouses les chamans ne participent pas aux sacrifices en l'honneur du Dieu cleste; quant au culte des morts, les chamans y sont in vi ts, nous l'avons vu, uniquement dans les cas exceptionnels, par exemple lorsqu'un tr-

Quant aux influences du bouddhisme (Iama!sme), dcisives en ce


qui concerne le chaman isme ton go use, elles se sont amplement exerces aussi sur les Bouriates et les Mongols. Nous avons indiqu plusieurs repriss les preuves de telles influences indiennes dans la

pass ne veut pas quitter la t erre et doit tre convoy jusqu'aux Enfers par le truchement d'une sance chamanique (Psychomental Complex, p. 282). S'il est vrai que les chamans tongouses n'interviennent pas dans les sacrifices offerts Buga , il n'en est pas moins vrai que dans les sances chamaniques subsistent encore un certain nombre d'lments qu'on pourrait considrer comme clestes; le

mythologie, la cosmologie et l'idologie religieuse des Bouriates, des Mongols et des Tat ars. C'est surtout le bouddhisme qui a vhicul en
Asie centrale l'apport religieux de l'Ind e. Mais ici une remarque s'impose: les influences indiennes n'ont t ni les premires ni les

symbolisme de l'ascension est d'ailleurs amplement attest chez les Tongouses . Il se peut que ce symbolisme, sous sa forme actuelle, ait
t emprunt aux Bouriates et aux Yakoutes, mais ceci ne prouve nullement que les Tongouses ne le connaissaient pas avant d'tre entrs en contact avec leurs voisins du Sud; l'importance religieuse

du Dieu cleste et l'universalit des mythes et des rites d'ascension dans l'Extrme-Nord de la Sibrie et dans les rgions arctiques nous oblige supposer justement le contraire. La conclusion que nous
sommes ainsi en droit de tirer sur la formation du chamanisme ton-

seules influences mridionales qui ont rayonn dans .l'Asie centrale et septentrionale. Depuis la plus haute prhistoire, les cultures mridionales et, plus tard, le Proche-Orient antique, ont influenc toutes les cultures de l'Asie centrale et de la Sibrie. L'ge de pierre des rgions circumpolaires dpend de la prhistoire de l'Europe et du Proche-Orient (1). Les civilisations prhistoriques et protohistoriques de la Russie septentrionale et du Nord de l'Asie sont fortement influences par les civilisations paloorientales (2). Ethnologiquement, il faut considrer toutes les cultures de nomades comme tributaires des
dcouvertes des civilisations agricoles et urbaines
j

indirectement, le

gouse est la suivante: les influences lamaistes se sont plutt traduites


par l'importance qu'on en est venu accorder aux esprits et dans la technique utilise pour maltriser et incorporer ces esprits . Nous pourrions par consquent considrer le chamanisme tongouse sous sa

forme actuelle comme fortement influenc par le lama/sme. Mais,


a-t-on le droit de considrer le chamanisme asiatique et sibrien,

dans son ensemble, comme le rsultat de telles influences sinobouddhistes? Avant de rpondre cette question, rappelons certains rsultats du prsent travail. Nous avons pu constater que l'lment spcifique
du chamanisme n'est pas l'incorporation des esprits par le chaman, mais l'extase provoque par l'ascension au Ciel ou par la descente aux Enfers; l'incorporation des esprits et la possession par des esprits

rayonnement de ces dernires pntre extrmement loin vers le Nord et le NordEst. Et ce rayonnement, commenc ds la prhistoire, se prolonge jusqu' nos jours. On a vu l'importance des influences indoiraniennes et msopotamiennes sur la formation des mythologies et des cosmologies de l'Asie centrale et de la Sibrie. Des termes iraniens ont t attests chez les Ougriens, chez les Tatars et jusque chez les Mongols (3). Les contacts culturels et les influences rciproques entre la Chine et l'Orient hellnistique sont d'ailleurs assez bien connus.
(t) Cf. Gutorm GnssING, Circumpolar StoM AgI! (t Acta Arctica I, II, fasc . 2, 194 (1) . Voir aussi A. P. OKLADNIKOV, Ancient Cul'ure, and Cultural and Eth'lic Rela tions on the Pacifie Coast of North Asia (in Proceedings of the 32 nd Intern ational Congress of Americanisls (1956) I, Copenhague, 1958, p. 545561, en particulier p. 555 sq.; K . JE T TMAR, Urgeschichte Innerasiena, p. 150-61 ; C. S. CIIARD, An OutliM of the Prehistory of Siberia. 1: TM Pre-metal P t riodl (in 1 Southwes tern Journ al oC Anlhropology " XIV, Albuquerque, 1958, p. 1-33) . 2) Cf. par ex., A . M. TALL G R EN. The Copper ldols [rom Galich and Thei,. Relatipe' Studm Orienlalia " I. Helsinki, 1925, p. 31241 ). Sur les rapports des pr-turcs 1 et des peuples du Proche-Orien t pendant le IV- millnaire, voir W. KOPPERS, Ur trktntum und Urindogermanentum, p. 4.88 sq. D'aprs les recherches de vocabulaire de D. S Il'(OR , la patrie primitive des Proto Turcs doit tre place. beaucoup plus l'o ues t qu'on ne l'a tait jusqu'ici .; cf., Ouralo-altaque-indo-europen (1 T'oung Pao " XXXVII, Leyde, 194.4., p. 226-4.4.), p. 244.. cr. aussi K. JaTT.AR, The KarQ$ulc Culture and lu SoUleast.ern Affinities (1 Bulletin or the Museum or Far Eastern Antiquilies " nO 22, Stockholm , 1950, p. 83-126); id., The Altai before the Turlr.s; id., Urgeschichte lnnerasitns, p. 154 sq. Selon L . VA.JDA., le com pfexe cha manique du nord de l'Asie est le rsultat d'changes entre les socits d'agriculteurs du sud et les traditions des chasseurs du nord. Mais le chamanisme n'est caractristique ni des premires, ni des dernires; il est le rsultat d'une intgration culturelle et il es t plus rcent que ses composants. Le chamanisme du nord de l'Asie ne remonte pas plus haut que l'ge du bronze; cr. Zur ph(Uftologuchen St.eUung cks SchamanumfU, p. 479. Mais, com me nous le verrons r.lus loin (p. 3 91, n. 4), le prhistorien Karl J. NARa pense qu'il peut prouver que 1 origine du chamanisme d'Asie septentrionale remonte au moment de la transitIOn entre le palolithique infrieur et le palolithique suprieur. (3) Sur les lments iraniens dans le vocabulaire mongol, voir aussi B. LA.UPER, SinoJranica: Chinese Co ntributions to the Histo"j of Ciu ilization in Ancient Jran (I Field Museum or Natural Hislory , Anthropological Series " XV, 3, Chicago, 1919), p. 572-76. cr. O. Ji.HN CIIE N HELPEN, Manichaeans in Sibtria {in 1 Se mitic and

COpenhague,

sont des phnomnes universellement rpandus, mais ils n'appartiennent pas ncessairement au chamanisme stricto sensu. De ce point

de vue, le chamanisme tongouse actuel ne peut pas tre considr


comme une forme classique de chamanisme, justement cause de l'importance capitale qu'on accorde l'incorporation des esprits li et au rle mdiocre de l'ascension cleste. Or nous avons vu, d'aprs

Shirokogorov, que ce sont justement l'idologie et la t echnique mise


en uvre pour mattriser et incorporer les esprits
J -

c'est--dire,

l'apport mridional (lama!ste) -

qui ont donn au chamanisme ton-

gouse son aspect actuel. Nous sommes, par consquent, fond considrer cette forme moderne du chamanisme tongouse comme une hybridisation de l'ancien chamanisme nord-asiatique j d'ailleurs, comme nous l'avons vu, les mythes nous parlent abondamment de la

dcadence actuelle du chamanisme, et de t els mythes se rencontrent aussi bien chez les Tatars de l'Asie centrale que chez les populations de l'Extrme Nord-Est de la Sibrie.

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CONCLUSIONS

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La Sibrie a profit son tour de cet change culturel : les chiffres utiliss par les diverses populations sibriennes sont emprunts, indirectement, aussi bien Rome qu' la Chine (Kai Donner, La Sibrie, p. 215-16) . Les influences de la civilisation chinoise pntrent jusqu' l'Ob et l' Inissi (1). C'est dans cette perspective historico-ethnologique qu'on doit intgrer les influences mridionales sur les religions et les mythologies des peuples de l'Asie centrale et septentrionale. Quant au chamanisme proprement dit, on a dj vu les rsultat s de t elles influences, surtout sur les t echniques magiques. Le costume et le tambour (2) chamaniques ont galement subi des influences mridionales. Mais on ne peut pas considrer le chamanisme dans sa structure et son ensemble comme une cration de ces apports mridionaux. Les documents que

nous avons recueillis et interprts dans le prsent ouvrage nous


montrent que l'idologie et les techniques spcifiques du chamanisme sont attestes dans des cultures archaques, o il nous sera difficile d'admettre des influences palo-orientales. n suffit de rapp eler, d'une part, que le chamanisme d'Asie centrale est solidaire de la culture prhistorique des chasse urs sibriens (3) et,
Oriental Studies Presenled to William Popper on the Occasion of His Sevenly-Firth Birthday, OcLober 29, 194.9 " d. W. J. FISCHEL, Berkeley et Los Angeles, 1951, p. 311-26), sur les monuments rupestres des Soghdiens, en Sibrie mrid ionale, au IX sicle. Cf. aussi P. PBLLIOT, In/lwmce iranienne en Asie centrale et en ExtrmeOrient, (in 1 Revue d'histoire et de littrature religieuses J , Paris, 1912). (1) Cf. p. ex. F. B. STEINER, Skinboats and the Yakut 1 Xayik J ( << Ethnos J, IV, 1939, p. 177-183) . (2) Dans une tude encore indite, rsume par W. SCHMIDT (Der Ursprun g, III, p. 334-38 ), A. GARS estime que le tambour chamanique de l'Asie centraleetseptentrionale aurait comme prototype le double tambour tibtain. SK IROItOGOROV (Psychomental Complex, p. 299) accepte l'hypothse de W. SCHMIDT (Der Ur8prung, III, p. 338) d'aprs laquelle le tambour rond avec la poigne de bois - d'origine tibtaine - serait le premier avoir pntr en Asie, y compris chez les Tchouktches et les Esquimaux. L'origine asiatique du tambour esq uimau a t propose galement par W. THALB ITZER (The Ammasalik Eskimo, 2 e partie, 2 e demi-volume, p. 580). W. KOPPERS (Probleme der indischen R eligionsgeschichtt:, p. 805-07), tout en acceptant les conclusions de SH IROKOGOROV et de GA II S quant l'origine mridionale du tambour chamanique, ne croit pas que le modle en tait tibtain, mais plutOt le tambour en forme de van qui se re trouve galement chez les magiciens des populations archaques de l'Inde (Santal, Munda, Bhil, Baiga). A propos du chamanisme de ces populations aborignes (d'ailleurs fortement inRuenc, lui aussi, par la magie indienne), KOPPBRS se demande (Probleme, p. 810-12) s'il y aurai t une relation organique entre le thme turco-tatar kam, et un groupe de vocables dsignant la magie, le magicien ou le pays de la magie dans la langue des Bhil (kmru, le pays de la magie J, eLe.)et des Santal (kamru , la patrie de la sorcellerie, Kamru, le Premier Magicien, etc.) , e t galement dans l'hindi (Kmrp, sanskrit Kmarpa, eLe.). L'auteur pense (p. 783) une ventuelle provenance austro-asiatique du mot kmaru (hamru), explicit, plus tard , par l'tymologie populaire comme Kmarpa (nom du district d'Assam, clbre par l'importance qu'y a prise le shaktisme). Sur le chamanisme des Munda, cf. J. HOPPMANN, ETU:ycwpaedia Mundarica, Il, p. li22 sq. et KOPPERS, Problerne, p. 801 sq. Voir aussi A. OAKS, Die kulturhistoruchen Beliehungen der /J, dichen Paliio,ibirier liU fn austrischen ViJlkem, insbe,ondere liU jenen FormosGS (e Mit teilungen der anthropologischen Gesellschaft in Wien l , LX, 1930, p. 3-6). (3) Cf. H. FINDEISEN, Schamanentum, p. 18 sq. i F . HANAR, The Eurasian Animal Styk and tM Altai Complex (in e Artibus Nnae J, XV, Leipzig, 1952, p. 17194); K; J. :t:'fARR, Nordasiatisch-europiiische Urzeit in archiiologischer und Cllilherkundlicher Slcht (m 1 Studiu m generale l, VIl, 4, Berlin, 1954, p. 193-201) ; id., l nterpretation altatt:inuitlicher Kumtwerhe durch Clolkerkundliche Paralklen (in e Anlhropos J , L, 1955, p. 513-45), p. 544. sq. Cf. aussi A. M. TALLGRBN, Zur westsibiruchen Crup~ th,. 1 schomanistischen Fi,uren J (1 Seminarium Kondakovianum, I V, Prague, 1931).

d'autre part, que l'on trouve des techniques et des idologies cham aniques dans les populations primitives d'Australie, de Malaisie, d'Am rique du Sud et du Nord, et d'autres rgions encore. Les recherches rcentes ont fait clairement apparaitre des lment s chamaniques dans la religion des chasseurs palolithiques. Horst Kirchner a interprt le clbre relief de Lascaux comme reprsent ant une transe cbamanique (Ein archiiologischer Beitrag). Le mme auteur considre que les" Kommandost abe - mystrieux objets trouvs dans les sites prhistoriques - sont des baguettes de tambour (1). Si cette interprtation est accepte, cela signifiera que les sorciers prhistoriques utilisaient des tambours comparables ceux des chamans sibriens. A ce propos, il peut tre intressant de relever qu'on a trouv des baguettes de tambour en os sur l'ile d'Oleny, dans la mer de Barents, dans un site dat d'environ 500 avant J.-C. (2). Pour terminer, Karl J. Narr a reconsidr le problme de l' origine et de la chronologie du cbamanisme dans son importante tude Biirenzeremoniell und Schamanismus in der Jlteren Steinzeit Europas (3) . Il fait apparattre l'influence des notions de fertilit (statuettes fminines ou Vnus ) sur les croyances religieuses des chasseurs prhist oriques du nord de l'Asie j mais cette influence n'a pas rompu la tradition palolithique (p. 260). Ses conclusions sont les suivantes: les crnes et les ossements d'animaux que l'on a trouv dans les sites du palolithique eu ropen (d'avant 50000 environ 30000 ans avant J.-C.) peuvent tre interprts comme des offrandes ritu elles. n est probable qu' peu prs la mme poque, et en relati on avec les mmes rites, les conceptions magico-religieuses du retour des animaux la vie partir de leurs ossements S8 sont cristallises; c'est dans ce uVorst ellungswelt Il que plongent les racines du culte de l'ours d'Asie et d'Amrique du Nord. Peu aprs, probablement aux environs de 25000 ans avant J .C., l'Europe ofTre des preuves de l'existence des formes les plus anciennes de chamanisme (Lascaux) avec la rep rsentation plastique de l'oiseau, de l'esprit protecteur et de l'extase (Biirenzeremoniell, p. 271). Il revient au spcialiste de juger de la validit de la chronologie propose par Narr (4). Ce qui semble certain, c'est l'anciennet de rituels et de symboles u chamaniques D. Il faudra encore dterminer si les documents mis jour par les dcouvertes prhistoriques reprsentent les premires expressions d'un chamanisme in statu nascendi ou s'ils sont uniquement les premiers documents dont nous disposions aujourd'hui et concernant un complexe religieux plus ancien qui n'a, cependant, pas trouv de manifestations (( plastiques (dessins, objets rituels, etc.) avant la priode de Lascaux.
(1) Ein archiiologischer Beitrag, p. 279 sq. ( KommandosU.be J = btons de commandement. Cr. S. GJEDJON, The Etemal Present. 1 : The Beginnings of A rt, New York et Londres, 1962, p. 162 sq.). Voir la reproduction dans FINDEI SEN, Schamanentum, fig. cf. ibid., p. 158 sq. 3 l n Saeculum, X, 3, Fribourg et Munich, 1959, p. 233-72 . 4 La chronolo ie de Narr est accepte par A. CLOS S, Das Religiose im Schamanismus in Kairos J , 11. Salzbourg, 1960, p. 29-38 ). Dans cet article, l'auteur discute quelques interprtations rcentes du chamanisme : Findeisen, A. Friedrich, Eliade, D. Schrder, Stiglmayr.

2 !

14 ;

392

CONCLUSIONS

CONCLUSIONS

393

Pour se rendre compt.e de la formation du complexe chamanique dans l'Asie centrale et septentrionale, il ne faut pas perdre de vue les deux lments essentiels du problme : d'une part, l'exprience extatique comme telle, en tant que phnomne originaire; d'autre part, le

tempus mythique, dans lequel les hommes pouvaient communiquer


in CQncreto

avec le Ciel. Il est hors de doute que l'ascension cleste du

chaman (ou du medicine-man, du magicien, etc.) est une survivance,

milieu historico-religieux dans lequel cette exprience extatique a t appele s'intgrer et l'idologie qui en fin de compte devait la valider. Nous avons dsign l'exprience extatique comme un phnomne
originaire t parce que nous ne voyons aucune raison de la consid rer comme le produit d'un certain moment historique, c'est--dire comme provoque par une certaine forme de civilisation j nous sommes plutt enclin la considrer comme constitutive de la condition humaine et, par consquent, CODnue par l'humanit archaque en sa totalit; ce

profondment modifie et parfois dgrade, de cette idologie religieuse archaque qui tait centre sur la foi dans un f:tre suprme cleste et
la croyance dans les communications concrtes entre le Ciel et la Terre. Mais, comme nous l'avons vu, le chaman, cause de son exprience extatique - qui lui permet de revivre un tat inaccessible au reste de l'humanit - est consid r, et se considre lui-m me, comme un

tre privilgi. Les mythes font d'ailleurs allusion aux relations plus
intimes entre les F;tres suprmes et les chamans; il est question notamment d'un Premier Chaman envoy par l'~tre suprme ou par son

qui se modifiait et changeait avec les diffrentes formes de culture et


de religion, c'tait l'interprtation et la valorisation de l'exprience

substitut (le dmiurge ou le dieu solaris) sur la Terre, pour dfendre


les humains contre les maladies et les mauvais esprits.

extatique. Or, quelle tait la situation historico-religieus. en Asie


central e et septentrionale, l o, plus tard, le chamanisme s'est cris-

Les modifications historiques des religions de l'Asie centrale et


septentrionale, c'est-A-d ire, en gros, le rle toujours plus important qu'obtiennent le culte des anctres et les figures divines ou sernidivines qui se sont substitues . l'~tre suprme, altrent . leur tour la signification de l'exprience extatique des chamans. Les descentes aux Enfers (1), la lutte contre les mauvais esprits, mais aussi lerapports toujours plus familiers avec les t esprits l, qui aboutissent leur t incorporation. ou la t possession 1 du chaman par les 4: esprits t, sont des innovations , pour la plupart assez rcentes, impus

tallis comme un complexe autonome et spcifique? Partout dans ces


contres, et depuis les temps les plus anciens, est atteste l'existence

d'un f:tre suprme de structure cleste, qui, morphologiquement, correspond d'ailleurs tous les autres f:tres suprmes clestes des religions archaq ues (voir Eliade, Trait, chapitre Il). Le symbolisme
de l'ascension, avec tous les rites et les mythes qui en dpendent, doit tre mis en relation avec les ~tres suprmes clestes; on sait que la t hauteur 1 comme telle tait sanctifie, que nombre de dieux su-

tables la transformation gnrale du complexe religieux. Il faut y


ajouter les influences mridionales, qui se font jour assez prcocement et

prmes des populations archaques s'appellent, Celui d'en haut " Celui du Ciel, ou simplement, Ciel . Ce symbolisme de l'ascension et de l' lvation , garde sa valeur et son actualit religieuses mme aprs l' loignement, de l'f:tre suprme cleste car, on le sait, les f:tres suprmes perdent peu peu leur actualit dans le culte, laissant la place des figures ou des formes religieuses plus dynamiques et plus. familires (les dieux de l'orage et de la fcondit, les dmiurges, les mes des morts, les Grandes Desses, etc.). Le complexe magicoreligieux qu'on a pris l'habitude d'appeler matriarcat li accentue encore la transformation du Dieu cleste en un deus otiosus. La dimi-

qui ont modifi aussi bien la cosmologie que la mythologie et les


techniques de l'extase. Parmi ces influences mridionales, il convient

de compter, plus rcemment, l'apport du bouddhisme et du lamasme,


ajout aux influences iraniennes et, en dernire instance, aux influences

msopotamiennes, qui les ont prcdes. Il est vraisemblable que le schma initiatique de la mort rituelle
suivie de la rsurrection du chaman est, lui aussi, une innovation, mais qui remonte des temps beaucoup 'plus anciens; elle ne saurait en aucun cas tre imputable aux influ ences du Proche-Orient antique,

nution ou mme la perte totale de l'actualit religieuse des f:tres


suprmes ouraniens est parfois signifie dans des mythes qui font allusion une poque primordiale et paradisiaque o les communi-

le symbolisme et le rituel de la mort et de la rsurrection initiatique tant attests dj dans les religions australiennes et sud-amricaines.
Mais c'est surtout sur la structure de ce schma initiatiqu e que se sont

cations entre le Ciel et la Terre taient faciles et accessibles tout le


monde; la suite d'un vnement quelconque (et notamment d'une

faute rituelle), ces communications ont t interrompues et les f:tres Suprmes se sont retirs au plus haut des cieux. Rptons-le, la disparItIOn du culte de l'f:tre suprme cleste n'a pas rendu caduque le
symbolisme de l'ascension avec toutes ses implications. Comme nous l'avons vu, ce symbolisme se trouve attest partout, et dans tous les contextes bistorico-religieux. Or le symbolisme de l'ascension joue

exerces les innovations apportes par le culte des anctres. Le concept mme de la mort mystique a t modifi la suite des multiples mutations magico-religieuses provoques par les mythologies lunaires, par les cultes des morts et par l'laboration des idologies magiques.
Ainsi, il faut se reprsenter le chaman isme asiatique comme une

technique archaque d'extase dont l'idologie 80us-jacente originaire Ul(UOII.

la croyance en un :Btre suprme cleste avec lequel on peut

un rle essentiel dans l'idologie et les techniques chamaniques. N~us avons vu au chapitre prcdent dans quel sens l'extase chamamque pouvaJt tre considre comme une ractualisation de l'illud

li) Rappelons que l'histoire des religions connalt diflrenls types de dellcenllull ad Il suffit de comparer la descente aux enfers entreprise par Ishtar ou par Hracls avec la descente extatique des chamans pour cons tater la dilYrence. Cr. ELIADE, Naill8ance. my.tiquell, p. 126 sq., 1.88 sq. Le Chamanisme

26

CONCLUSIONS

entretenir des rapports directs par l'ascension au Ciel - a t continuellement transforme par une longue srie d'apports exotiques, couronns par l'invasion du bouddhisme. Le concept de la mort mystique a d'ailleurs encourag des rapports de plus en plus suivis avec les mes des anctres et les esprits " rapports qui ont abouti la possession, (1). La phnomnologie de la transe, nous l'avons vu, a subi mainte altration et dgradation, dues en grande partie une confusion sur la nature exacte de l'extase. Nanmoins, toutes ces innovations et toutes ces dgradations n'ont pas russi abolir la possibilit mme de la vritable extese chamanique, et nous avons pu rencontrer ici et l des exemples d'expriences mystiques authentiques de chamans, sous forme d'ascension c spirituelle au Ciel, et prpares par des mthodes de mditation comparables celles des grands mystiques de l'Orient et de l'Occident.
(1) Comme l'a si bien montr Dominik 8C HRDER, la possession., en tant qu'exprience religieuse, n'est pas sans une certaine grandeur ; il s'agit, en somme, d'incorporer les. esprits " c'est--dire de rendre prsen t, vivant et 1 concret. Je 1 mo nde spirituel. ; ct. ZIU' StrulrtlU' rk. Schamanismu., p. 865 sq. 11 se peut que la 1 possession. soit un phnomne religieux extrmement archaIque. Mais sa structure est difIrente de l'exprience extatique caractristique du chamanisme stricto .ensu. En outre, on peut concevoir comment la 1 possession. a pu se dvelopper partir d'une exprience extatique: pendant que l'Am e (ou l' Ame principale .) du chaman voyageait dans les mondes suprieurs ou infrieurs, des. esprits . pouvaient prendre possession de son corps. Mal.!! il est difficile d'imaginer le processus contraire car, un e fois que les eeprits ont pris possession du chaman, l'extase pe,..onnel~, c'est-A-dire l'ascension cleste ou la descente aux enfers, est bloque. Ce sont les esprits qui, par leur 1 possession " dclenchent et cristallisent l'exprience religieuse. P ar ailleurs, il y a une certaine. facilit ~ dans la c possession. ;lui contraste avec le caractre dangereux et dramatique de l'initiation et de la discipline chamaniques.

PILOGUE

Il n'y a pas de solution de continuit dans l'histoire de la mystique. A plusieurs reprises, nous avons dcel, dans l'extase chamanique, une nostalgie du paradis , qui rappelle un des plus anciens types d'exprience mystique chrtienne (1). Quant la lumire intrieure . , qui joue un rle capital dans la mystique et la mtaphysique indiennes, de mme que dans la thologie mystique chrtienne, elle est, nous l'avons vu, dj atteste dans le chamanisme esquimau. Ajoutons que les pierres magiques dont on truffe le corps du medicine-man australien symbolisent, en quelque sorte, la lumire solidifie, (2) . Mais le chamanisme n'est pas seulement important pour la place qu'il occupe dans l'histoire de la mystique. Les chamans ont jou un rle essentiel dans la dfense de l'intgrit psychique de la communaut. Ils sont les champions anti-dmoniaques par excellence; ils combattent aussi bien les dmons, les maladies que les magiciens noirs. La figure exemplaire du chaman-champion est Dto-mba Shi-lo, le fondateur mythique du chamanisme Na-Khi, l'infatigable tueur de dmons (voir plus haut, p. 347 sq.). Les lments guerriers qui ont une grande importance dans certains types de chamanisme asiatique (lance, cuirasse, arc, pe, etc.) s'expliquent par les ncessits du combat contre les dmons, les vritables ennemis de l'humanit. D'une manire gnrale, on peut dire que le chaman dfend la vie, la sant, la fcondit, le monde de la lumire " contre la mort, les maladies, la strilit, la malchance et le monde des tnbres . La combativit du chaman devient parfois une manie agressive; dans certaines traditions sibriennes, les chamans sont rputs s'affronter continuellement sous la forme d'animaux (voir plus haut, p. 90). Mais une telle agressivit est plutt exceptionnelle; elle caractrise quelques chamanismes sibriens et le tdltos hongrois. Ce qui est fondamental et universel, c'est la lutte du chaman contre ce qu'on pourrait appeler les, puissances du Mal . Il nous est difficile d'imaginer ce qu'un t el champion peut reprsenter pour une socit archaque. C'est, en premier lieu, la certitude que les humains ne sont pas seuls dans un monde tranger, entours par les dmons et les
{t) Ct. aussi ELUDE, La Nostalgie du paradis dans les traditions primitives _,
m Mythe., rflts et mystell, p . 80 sq. (2) Id., 1 Expriences de la lumire mystique " in MiphilltophiU. et l'andro,yn"

p. 17 sq.

396

PILOGU E

397
et surtout le chant des oisea ux . 11 finit par obtenir un tat second qui met en branle la cration linguistique et les rythmes de la posie lyrique. Aujourd' hui encore, la cration potique reste un acte de parlaite libert spirituelle. La posie refait et p,olonge le la ngage; tout langage potique commence par tre un langage secret, c'est-dire la cration d'un univers personnel, d'un monde pa rfaitement clos. L'acte potique le plus pur s'efTorce de recrer le langage partir d' une expri ence intri eure qui , pareille en cela l'extase ou l'inspiration religieuse des C pl'imitirs ,., rvle Je fond mme des choses. C'est partir de crations linguistiques de cet ordre, rendues possibles par l' tI inspiration .. pr-exta tique, que les fi langages secrets, des mystiques et les langages allgoriques traditionn els se sont cristalliss plus tard. Il faut galement dire qu elques mots du caractre dramatique de la sance chamanique. Nous ne pensons pas uniquement la mise en scne parfois trs labore de la sance qui, vid emment, exerce une influence bnfique sur le malade (1). Mais toute sance vritablement chamanique finit pa r devenir un spectacle sans gal dans le monde de l'exprience quotidienne. Les tours avec le feu, les ~ miracles, du genre du tour de la corde et du tour du manguier, l'exhibition de prouesses magiques dvoilent un autre monde, le monde fab ul eux des dieux et des magiciens, le monde o tout semble possible, o les morts reviennent la vie et les viva nts meurent pour ressusciter ensuite, o l'on peut disparaltre et rapparaltre instantanment, o les , lois de la nature, sont a bolies et o un e certa ine , libert, surhumaine est illustre et rendue prsente d' une ma nire clatante. Il nous est difficile, nous, modernes, d'imaginer la rso nance d'un t el spectacle dans une communaut primitive D. Non seulement les 1( miracles chamaniques confirment-ils et fortifi ent-ils les stru ctures de la religion traditionnelle, mais ils stimulent et nourrissent aussi l'imagination , ront disp aratre les barrires entre le rve et la ralit immdiate, ouvrent des fen tres vers les mondes habits par les dieux, les morts et les esprits. Arrtons ici ces quelques observations concernant les crations culturelles rendu es possibles ou stimules par les expriences chamaniques. Leur tude approfondie dpasse les limites de notre ouvrage. Quel beau livre on pourrait crire sur les sources,. extatiques de la posie pique et du lyrisme, sur la prhistoire du spectacle dramatique et, en gnral, sur les mondes fabul eux dcouverts, explors et dcrits par les an ciens chamans ...
(i ) Ct. aussi Lucile H. C URL U, Drama in Shamall E:corci.m (in .. J ournal of American Folklore -, LXVI, 260, 1953, p. 95-122 ), en particulier p. 101 sq., 121 sq .

* forces du Mal . A part les dieux et les Lres surnaturels auxquels on


adresse des prires et offre des sacrifices, il existe des. spcia1istes du sacr _, des hommes ca pables de t voir . les esprits, de monter au Ciel et de rencontrer les dieux, de descendre aux enfers et de combattre les dmons, la maladie et la mort. Le rle essentiel du chaman dans la dfense de l'intgrit psychique de la communaut tient surtout ce faiL : les hommes sont assurs que l'un des leurs est capable de les aider dans les circonstances critiques provoques par les habitants du monde invisible. Il es t consolant et rconfortant de savoir qu' un membre de la communaut est capable de voir ce qui est cach et invisible pour les autres et de rapporter des informations directes et prcises des mondes surnaturels. C'est grce sa capacit de voyager dans les mondes surnaturels et de voir les tres surhumains (dieux, dmons, esprits des morts, etc.) que le chaman a pu contribuer d'une manire dcisive la connaissance de la mort. Il est probahle qu'un grand nombre de traits de la , go graphie fun raire ~, de mme qu' un certain nombre de thmes de la mythologie de la mort, sont le rsultat des expriences extatiques des chamans. Les paysages que le chaman aperoit et les personnages qu'il rencontre dans ses voyages extatiques dans l'au-del sont minutieusement dcrits par le chaman lui-mme, pendant ou aprs la transe. Le monde inco nnu et t errifiant de la mort prend Corme, il s'organise en conformit avec des types spcifiques j il finit par prsenter une structure et, avec le temps, devient familier et acceptable. A leur tour, les personnages habitant le monde de la mort deviennent "isibles; ils prsentent une figure, font tat d'une personnalit, voire d'une biographie. Peu peu, le monde des morts devient connaissable et la mort elle-mme est valorise surto ut comme rite de passage vers un mode d'tre spirituel. En fin de compte, les rcits des voyages extatiques des chamans contribuent spiritualiser,. le monde des morts, tout en l'enrichi ssant de formes et de figures prestigieuses. Nous avons dj fait allusion l'existence de similarits entre les rcits des extases chamaniques et certains th mes piques de la littrature orale (1). Les aventures du chaman dans l'autre-monde, les preuves qu'il subit dans ses descentes extatiques aux enfers et dans ses ascensions cles tes, rappellent les aventures des personnages des contes populaires et des hros de la littrature pique. Il est trs pro bable qu'un grand nombre de , sujets, ou de motifs piques, de mme qu e beaucoup de personnages, d'images et de clichs de la littrature pique, sont, en dernire analyse, d'origine extatique, en ce sens qu'ils ont t emprunts a ux rcits de chamans na rrant leurs voyages et aventures dans les mondes surhumains. Il est galement probable que l'euphorie prextatique a constitu une des sources du lyrisme universel. Quand il prpare sa transe, le chaman bat le ta mbour, appelle ses esprits auxiliaires, parle un " langage secret ,. ou le la ngage des animaux ,., imitant le cri des animaux
che, ,ur l'pope et le barde au Tibet, p. 317 sq., 370 sq.

1) Voir plus haut, p. 177 sq ., 2~9 sq., 290 sq. Voir a ussi R. A.

STE IN,

Recher-

INDEX

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400

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sq. (A m

rlqu e du Nord et du Sud), 60 sq. (Afriqu e) , 61. (Borno). Voir Initiation. DES CEN TE AU POND DE L'OCAN, 236 sq.
DESCENTE AUX ENFERS, 167 sq. (Altal), 174. (Goldes), 1 76. (Yurak ), l 77 sq. (Tatars!, 196 sq. (Tongouses), 24 7 sq. (Amrique du Nord), 302 sq. (GermalOs! , 309 sq. (Grce ancienne), 31.7. (Mo-So), 356 sq. (C hin e) (VOIr IOitlatlon, Sance). DIKSA, 323 sq. CHEL LE, 376 sq., 378 sq. (Voir Pont, Ascension) . C HELLE DE COUTE AUX , 345 sq. (Lolos), 355 sq. (Chine). ENFER , 167 sq. (AHa) . Voir Descente aux EnCers. ERLIK KHA N, 169 sq., 181. (Voir Enfer Descente aux Enfers) ESCALIER, 378 sq. (Voir f;ch elle) . ' .
87 sq . (Am rique du S ud ). Voir Sance. EXTASE , 352 sq. (Chine). Voir Sance. FAKIRS, 335 sq. FEMMES-E SPRITS INITIATRI CES, 73 sq. (Sibrie), 79 sq. (protectrices des chamans). F ONC TI ON DU CHAMAN, 154 sq. (Sibrie, Asie centrale). FOR GE RONS, 366 sq. (Voir Mattrise du C eu) . Il GnosT-DANCE RELIGI ON . , 256 sq. GURISONS CUAMANIQUES, 179 sq. (Asie centrale et septentrionale) 180 sq (Bouriates), 189 sq. (Yakoutes), 195 sq. (Tongous .. ), 242 sq. (Amriqu~ du Nord). 261 sq. (Amrique du Sud) . Voir: Sance Mala die Chamantsme. ' , HY STRIE ARCTIQUE, 37 sq. (Voir Maladies). I~D E ANCIENN~, 316 sq. (Voir bo~dd~isme, lam aTsme, tantrisme, yoga) . INPL UEN~~S INDIENNE~, .276 sq., Iramennes, 110 sq., mridionales (sur les religIOns nord-asIatIques), 387 sq. INITIATI ONS AUSTRALIENNES, 120 sq. INITIATI ONS C lI~MANIQUES, 53 sq. (Australie), 58 sq., 63 sq. (Esquimaux ), 59 sq. (Am riqu e du Nord et du Sud), 104 (Mandchous), 104 (Goldcs Yakoutes), 106 sq. (BOUriates), _111 sq. (Araucan ), 115 sq. (Caribe), 2.70 sq. (Ngrlto) , 272 sq. (Iles Nicobar), Cr. Maladie, Dpce ment initiatiqu e, R ves, Mort. INITIATION ltTlDE'W IWIN , 254 sq. I NITIATION ET SEXUAL IT , 73 sq. (Sibrie). INITIATI ONS TRIBALE S, 67 sq. LAMAI SME, 339 sq., 386 (influ ence du lamasm e). Voir Ind e. LAN G;'-GE DES ANIMAUX, LANGAGE SECRET, 91 sq. LUMIERE ~IV S TI QUE, 328. (Inde). MAITRISE DU FEU, ~09. (Voir Chaleu r magique _, Forgerons). MALADIE (ConceptIO n de la), 241 sq. MALADI ES ~I EN TALE S ET CHAMANISME, 39 sq. MALADIE-INITIATI ON , 44 sq., 207. (Voir Dpce ment initiatique Rves). MA SQUES CIIA MA NIQUES, 142 sq. ' MED ICIN E RIT E _, 255 sq. (\Vinnebago). Men~rik . V~ir Hystrie arctique. M enak. VOir Hys tri e arctique. MlDi 'W IWI N, 252 sq. MIROIRS ClI AMANIQUES, 134 sq. MON TA GNE COS.MIQUE, 216 sq. (Voir .A rbre du Monde) . MORT (ConceptlOn de la), 171 sq. (Asle ce ntrale ct septentrionale) . M ~ R.T . E ~ R SURRECTION RITUELLES. (Voir Rves initiatiques dpcement InItiatique). ' Mo nT S, 327 sq. (Inde ancienne), 342 sq. (Tibet). MVTln:s DES PREMIERS Cil AMANS, 117.

ESPRIT S, Voir les E SPR ITS A UX I LIAIRES,

cr.

esprits . 85 sq. (Sibrie, Asie centrale),

l\iVTIlf.S D'OnPII~, 177 (Tatar), 198 (Ma ndch ou ), 211 9 sq. (Amrique du Nord), 290 sq. (Polyns ie). Voir Desce nte aux Enrers. NOMBRES MYST IQUES SEPT ET NEUF, 222 sq. OCTROI DES POUVO IRS C HA~A N I QUES, 28 sq. OISEAUX. Voir Sym bolisme ornithologique. OIUGINE MYT IlIQU E DES CIIAMAN S, 70 sq. (Sibrie). ORIGINE DU CHAMA NISME AM RI CAIN, 265 sq. ORPHE, 307 sq. (Voir Mythes d'Orphe). ORPIII SME, 308 sq. Os (renaltre d. ses os), 139 (Voir squelette). OURS. Voir. Bear ceremonialims -. PA SSAGE DIFFICILE, 375 sq. (Voir Pont, chelle). PIINOIIINES PARA PSVC IIOLO~I QUES, 208 sq. (Voir Matrise du C eu, Fakir). PILIER COS MI QUE, 212 sq. (VOIr Arbre du Monde). PLE URIWSES, 284 sq. (Dayak maritimes). PONT, 312 sq. (Iraniens) , 375 sq. (Voir Passage diffIcile, Initiation, Sance). P OSS ESSIO N, 291 sq. (Polynsie), 354 sq. (Chine) . P SYC IiOPATlIOLOGIE, 36 sq. (Voir Hystri e arctique, Maladie, Rves, Initiation). QUtTE DE L'AME. Voir Rappel de l'me, Gurisons chamaniques, Sance. QUtTE DES POUVOIRS CIIAMANI QUES, 93 sq. (Amrique du Nord). RAPPEL ET QU~TE DE L'AM E, 180 sq. RE CRUTEMENT DES CHAMA NS, 30 sq. (Sibrie). Voir Maladie, Initi ation, Vocation. R ~VES INITIATIQU ES, 46 sq. (Voir Dpcement initiatique, Mort et rsurrection, Maladie ). RITES D'ASCENS ION , 124. sq. (Voir Ascension, Vol Magiqu e) . ROPE-TRICK _, 335 sq. (Voir Fakirs, Inde). SACR IFI CE DU CHEVAL (Alta), 160 sq. SANCE CIIAMA NIQUE , 182 sq. (Ougriens, Lapons), 186sq. (Ost yaks), 189 sq. (Yakoules), 195 sq. (T ongouses) , 200 (Orotchi), 202 sq. (Yukaghir), 206 sq. (Tchouktches), 236 sq. (Esquimaux), 241 sq. (A mrique du Sud l' 269 sq. (Ngritos), 270 sq . (Batak, Sakai, Jakun ), 273 sq. (Malais, 275 sq . (Sumalra), 278 sq . (Dayak), 287 sq. (Mlansie), 292 sq. (Poly nsie). Voir: Gurison magique, rapp el de l'me. Seidhr, 303 sq. (Voi r cham anisme chez les Germains). SEPT, NOMBRE MV STlQUE , 222 sq. SQUELETTE, 13 7 sq., 339 sq. (Voir Contemplation de son propre squelette). S VMBOLISME OR NITII OLOGIQ UE, 136 sq. (Voir Vol magiqu e). 1'AMB OU R CilAIIIA NIQUE, 1 li4 sq, 390 sq. TAMB OU RS MAGIQUES, 151 sq., 329 sq. (Inde). TA NT RI SME , 3ftO sq. (Voir Bouddhisme, Inde, Lamasme). Tapas , 323 sq. (Voir Inde). T choed, 341 sq. (Voir Tantrisme). TRANSFORMATION RITUELLE EN FEM)tE, 210, (Tchouktches). 'l'ROIS RGIONS COSM IQUES, 211 sq., 228 sq. (Voir Cosmologie, Arbre du Monde). VISIONS PR -INI TIATI QUES, 1 Mala1 5 sq. (Voir Recrutement des chamans die, Rves). ' VOCATION CIlAMA NIQUE, 32 sq. (Voir Recrutement). VO IR LES ESPRITS _, 83 sq. (C r. Esprits, Initiation). VOL MAGIQUE, 319 sq. (Inde ancienne), 350 sq . (Chine), 372 sq. (Symbolis me du). Voir Ascension, Symbolisme ornith ologique). VOYAGF.S EXTA TI QUES AU CIEL, 106 sq. (Bouriates), 116 sq. (Caribes), 163 sq. {Alta), '191 sq. (Yakoutes). Voir Ascension, Initi ation, Sa nce, Vol magIqu e. VOYAGES D'OUTRE-TOMBE, 284.sq. (Dayak) .. Voir Descente aux EnCers. YOGA, ?25 sq. , 34.1 sq. (VOIr Inde, C akIrs, bouddhisme, lamasme, Ta ntrIsme).

TABLE DES MATIRES

AVA NT-PROPO S AVANT- PROPOS A LA D E UXI ME !DITI ON . .... . .. . . . . .. . .

9
19

CHAPITR E PR EM IER . G N !RALITS. M THODE S DE REC RU T EM E N T . CHAMA NI S ME E T VOC ATI O N MY STI Q UE . . . .. .

21

Approximations, 21. - L'octroi des pouvoirs chamaniqu es, 28. Recrutemen t des chamans an Sibrie occidentale et centrale, 30. Recrutement chez les Tongouses, 31. - Recrutement chez les Bouriates et les Altaques, 32. - Transmission hrditaire et qu te des pouvoirs chamaniques, 3/.1. - Chamanisme et psychopathologie, 36.
CHA P IT RE

II . - MALADIE S ET Riv E S INITIATIQU ES . Mal adie-initia tion, 4. 4.. - Extases et visions initiatiqu es des chamans yakoutes, 4.5. - R ves ini tiatiques des chamans samoydes. 4.8. L'initiation chez les Tongouses, les Bouriates, etc., 51. - L'initiation des magiciens australiens, 53. - Parallles Australie-SibrieAmrique du Sud, etc., 56. - Dpcement initiatique en Amrique du Nord et du Sud, en Afrique et en Indonsie, 59. - Initiations des chamans esquimaux, 63. - La contemp'lation de son propre squ elette, 65. - Initiations tribales et socits secrtes, 67.
CHAPIT RE

4.1...

III. -

L' OB TE NTI ON D ES POUVOIR S CHAMANI QUES

. .

70

Myth es sibriens sur l'origine des chamans, 70. - L'lection chamaniqu e chez les Goldes et les Yakoutes, 73. - L'lection chez les Bouriates et les Tloutes, 76. - Les femmes-espri ts protectrices du chaman, 79. - Le rle des mes des morts, 80. - Voir les esprits , 83. - Les esprits auxiliaires, 85. - Langage secret Langage des ani maux , 91. - La qu te des pouvoirs chamani ques en Amrique du Nord, 93.
C H AP IT RE

IV. - L'I N ITIATI ON CDA MA N I QUE .. ... . L'initiation chez les Tongouses et les Mandchous, 102. - Initiation des Yakou tes, des Samoydes et des Ost yak, 104. - L'initiation chez les Bouria tes, 106. - Ini tiation de la chamane araucane, 11 1. - L'ascension rituelle des arbres, 11 3. - Le voyage cleste du chaman caribe, 11 5. - Ascension par l'Are-en-Ciel, 118. - Initiations australiennes, 120. - Autres formes du rite d'ascension, 124.

102

CH AP ITR E V. L E S YM BOLI SME D U COST U ME ET DU TA MBOUR CHA MAN I QU E S. . ... . . .. . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .

128

Remarques prliminaires, 128 . - Le costume sibrien, 130. - Le costume bouriate, 131. - Le costum e alta1que, 133. - Les miroirs et les bonnets chamaniques, 134. - Symbolisme ornith ologique,

40ft

TABLE DES MATl.bu-:s

TABL E DES MA T I I\E: S

405
Mo ngolie,

136. - Le sy mbolism e du squel ette, 13 7. - n enaitre d e ses os, '139. - Les masques cha maniqu es, 11 !2. - Le tambour chamanique,1 lili. _ Cos tumes ritu els et tambours magiqu es travers le m onde, 151. CIiA PITII E VI. - LE CHAMA NISME EN AS IE t.: ENTIlALE J.: T SE PTEN TRIONA I,E : I. ASCENS ION S C LE STE S, DE SCEN TE S AUX ENFERS . F onction du cham a n, 154. - Chamans blan cs J et noirs J . Mytho logics dualis t es J, 156. - Sacrifice du cheva l e t ascension du cha man au Ciel (Alta ), 160. - Bai lgii n et le cha man a ltaque, 166. - La descente aux Enfers (AllaI), 167 . - Le chaman psych opompe

boUs mes et techn iqu es cham aniques en Chin e, 349. Core, J a pon, 359.

154

CHAPITRE XI II. - ~hTIIE S, SYMBOLE S ET RITE S PARALLL ES .... Le chien et Je cheval, 363. - Chamans e~ forgero ns, 366. - La cha leur magiq~e l ,. 369. - Le v?l m agiqu e , 372. -:- Le pont e t le passage difficile li , 375. - L chell e - Le chemm d es m or ts l' ascension, 378. CONCL US IONS. PILOG UE LA FonMAT loN DU CII .OtANI SME NO RO ASIATIQUE

363

385 395 399

(Altalqucs. Oold es. Yurakl. 171.


CUAP ITIl E V II. - LE CIIAMA NISME EN Asu: CEN TRAL E ET SE PTE N TRI ONAL E: Il. GURI SONS MACIQUE S. LE CHA MAN PSYCHOPOMPE .. Rappel e t qu te d e l' me: Tatars, Bouriates, Kirghizes, 180. - La sance cham a niqu e chez les Ougriens e t les Lapons, 182. - Sances chez les Os t yaks, les Yuraks et les Samoyd es , 186. - Chama nisme chez les Yakoutes et les Dolgans, 189. - Sances cha ma niques chez les Tongouses e t les Oro tchis, 195. - Le cha manisme yukaghir, 201. - Religion et cha manisme chez les I<oryaks, 201.. - Cha ma nisme chez les T chouktches, 206. CHAP ITR E VIII. - CIIAMAN I S~I E ET COSMO LOGIE............. . . . Les trois zones cosmiques et le Pilier du Monde, 211. - La Montagne cosmique, 216. - L'Arbre du Monde, 218. - Les nombres mys tiques 7 e t 9, 222. - Chamanisme et cosmologie d ans l'aire oca nienne, 225. CHAP ITR E IX. - LE CHAMANI SME NORD ET SUD.HIRI CAIN ...... Le cha manisme chez les E squimaux, 232. - Chamanisme nordamr icain , 239. - La sance chamaniqu e, 241. - Cure chamanique chez les Pavi otso, 242. - Sance ch amanique chez les Achumawi, 2li4. - La descente a ux Enfers, 247. - Les co nfrries secrtes et le cha manism e, 251. - Le chamanis me sudamricain : rituels divers, 258. - La gurison ch a ma nique, 261. - Ancienne t du ch amani sm e sur le continent amricain, 265. CUAPITR E X. - LE CHAMANI SM E DANS LE SUD-EST DE L'AsIE ET EN OC tA Nt E.......... . ................................ .. . . .. Croyances e t techniqu es chama niques chez les Semang, les Sakai et les J akun, 268. - Cha m anisme d a ns les tJ es Andamanes et Nico bar, 271. - Le ch amanisme malais, 273. - Chamans et prtres S umatra, 27li . - Chamanisme B orno et dans les Clbes , 277 . - La ba rqu e d es mor ts J et la barqu e chama nique , 281. Voy ages d'outretombe chez les Da yak, 284 . - Chamanisme mla nsion, 285. - Chamanisme polyns ien, 289. CHAP IT RE XI. - ID OLOG IE S ET TE CHNI QUE S CHUIA NIQUES CUEZ LES I NDOEURO PENS........ .... . .. .. . .... . ............... R emarqu es prliminaires , 296. - T echniqu es d'extase chez les a nciens Germains, 299. - Grce an cienne, 305. - Scythes , Caucasiens, Iraniens, 310. - L'Inde ancienne: rites d 'ascension , 316. L'Inde ancienn e: ]e vol magique , 319. - Le lapas et la dl ksd, 323. - Sy mbolism es et t echniques chamaniques J en Inde, 32li. - Le cham a nisme chez qu elqu es tribus aborignes de l'Ind e, 329. CHAPITR E XII. - S YMBOLISME S ET TE CHN IQ UES CIIA MAN IQUES AU TIBET , SN CUI NE ET EN EX TR tMEORIJo:NT . . . . . . .... ... ... . . . . Bouddhisme, tantris me, lam asme, 335. - Pratiq ues cham a niqu es chez les Lolos, 344. - Chamanisme chez les Moso, 346. - Sym.

.......

..... .......... .. .. .. . . . . ... .. . . . .

179

INDE X .. .... . .... ..... .. .. ... .. ....

211

232

268

296

335

ACIIEvt D' I M PR I MER

LE

29

MAI

11]68

SUR

U.s

PRESSES DE L' IMPRIM ER I E

BUSSI 8RE. SAINT-AMAND (CIIE R)

- N" d'imp. 817 . Dpt lgal: 2 e trimestre 1968 .


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