Le Jean-Foutre Et La Marie-Salope, Supplément 2016
Le Jean-Foutre Et La Marie-Salope, Supplément 2016
Le Jean-Foutre Et La Marie-Salope, Supplément 2016
Le jean-foutre
et la marie-salope
Les prnoms dnigrs,
dvoys ou encanaills
du Moyen ge nos jours
DU MME AUTEUR
Un retour de Toine Culot - Pastiches et hommages en lhonneur du centenaire dArthur Masson, Vers
lAvenir, Namur, 1996 (puis).
Le Dico des prnoms bavards, 2000-2003 ; version abrge publie en feuilleton par les
ditions de lAvenir, Namur, 2003-2004.
Li latin sins dre mn - Langue du culte et parodies dialectales, Muse en Piconrue, Bastogne,
2007 (ouvrage couronn du Prix triennal Langue et Littrature Joseph Hanse, dcern par
lAssociation Charles Plisnier en 2008).
Prte-moi ta plume : laile, les noms et les mots, in Anges & dmons en Ardenne et Luxembourg
(collectif), Muse en Piconrue, Bastogne, 2008.
Le jean-foutre et la marie-salope - Les prnoms dnigrs, dvoys ou encanaills du Moyen ge nos jours,
Namur, 2013.
Avant-propos
RIAN ET GONTRAN. Par ces deux marqueurs sociaux fortement typs et promus
gnriques, un psychologue belge baptisait en 2014 lcolier harcel et son harceleur. La
mme anne, a circul lexpression phmre faire sa Raymonde ( se comporter avec excs et
intolrance ) : Namur, une syndicaliste ainsi prnomme avait t filme semant le dsordre dans
une boutique demeure ouverte lors dune grve gnrale. En France, o des millions de
manifestants se proclamaient Charlie 1 aprs les attentats de janvier 2015, des centaines de zadistes 2
ont milit sous le pseudonyme collectif de Camille, sexuellement indiffrenci, et cens retarder leur
identification par la force publique. Le jour o celle-ci tua lun deux par un jet de grenade, ils ont
en outre adopt Rmi, le prnom de la victime, brandi en symbole communautaire. Depuis peu,
chez les jeunes des banlieues, Jean-Pierre caricature le monde des adultes et des enseignants, aux
antipodes du leur, et, chez les chmeurs, Popaul se substitue avec dsinvolture Ple Emploi, histoire
dhumaniser cet organisme charg de laide lembauche 3. Quant aux commmorations de la
Grande Guerre, elles ont rouvert les tiroirs poussireux du vocabulaire des Poilus : ils appelaient
Stphane, par calembour sur Stphane Mallarm, un biplan faible puissance de feu ( mal arm ), et
grosse Julie lappareil biplace large surface portante, en cho la rengaine Ma gross Juli-i-i-i-e, qui
clbrait depuis 1895 une nourrice sans rien de factice sur le devant comme au verso .
Cest dire si les prnoms se plaisent continuellement scarter de leur vocation spcifique
distinguer une personne dtermine pour se faufiler parmi les mots et creuser leur trou dans les
faons de parler et dcrire, de manire volontiers pjorative. Il a donc paru lgitime daugmenter
dun Supplment les cinq cents pages voues cette pratique ancestrale dans louvrage de 2013 Le
jean-foutre et la marie-salope - Les prnoms dnigrs, dvoys ou encanaills du Moyen ge nos jours. Un
dictionnaire est une entreprise sans fin, une toile de Pnlope, pour reprendre une locution
prnominale classique. Se rclamer ici du grand mile Littr serait prtentieux, mais fond. En
1877, en ajoutant un volume une uvre pourtant dj boucle de A Z quatre ans plus tt, il
dclarait 4 : Mais qui peut esprer de clore jamais un dictionnaire de langue vivante ? Encore aujourdhui, je relve
sans sourciller ce que mes lectures ou des communications spontanes mindiquent comme oubli, comme lacune, comme
erreur. Sa remarque pourrait sappliquer aussi aux prnoms, matire vivante par nature, et qui le
devient doublement ds quils investissent le discours et le parsment de leur malice.
Limposteur et le singe
Martin, cest acquis, fut lun des premiers masculins dconsidrs, ds le XIIIe sicle, sous le
sens de lourdaud, imbcile , mcompte accru par son appariement un vaste bestiaire5. Pour
1 Emprunt lhebdomadaire Charlie Hebdo dont le sige fut la cible dune des tueries, ce prnom sera vite
mis toutes les sauces, jusqu labsurde : Manger ses crottes de nez, pourquoi cest Charlie, lira-t-on le 29 mai en
couverture du Gorafi Magazine, sur son site dinformations parodiques.
2 Les zadistes (nologisme entr au Robert et au Larousse 2016) occupent une ZAD (Zone dfendre) pour
sopposer aux grands projets damnagement du territoire en milieu rural.
3 Il se confond ainsi avec le Popaul, un des sobriquets du sexe masculin, ce qui encourage les quivoques du
style Il est dur mon Popaul ! , relatives la svrit de linstitution.
4 Dans sa causerie Comment jai rdig mon dictionnaire.
5 Le populaire aime donner aux animaux des noms chrtiens (Clair TISSEUR, Le Littr de la Grand Cte, 1894,
publi sous le pseudonyme de NIZIER DU PUITSPELU).
lhistorien, son discrdit pesa parfois sur le destin mme dun individu. Spcialiste du XVIe sicle
franais, lAmricaine Natalie Zemon Davis a montr en effet que Martin Guerre6, n en 1524 au
Pays basque, avait un prnom bien lourd porter Artigat, quand sa famille vint sy tablir en
1527 : dans cette localit de lArige, il essuya les quolibets de ses camarades, les Jehan, les Antoine,
les Guillaume, les Bernard, etc., pour qui Martin tait ridicule et parfaitement insolite : Ctait un
nom dne, et dans la tradition locale les bergers le donnaient lours quils rencontraient dans les montagnes. Ces
blessures denfance, certes suivies dautres contrarits, comptrent parmi les circonstances qui
poussrent un jour Martin disparatre, 24 ans, de son village dadoption et dun foyer, o, huit
ans plus tard, simmisa limposteur fameux qui se fit passer pour lui. Sil nveille plus prsent
que le nounours des bambins (leur tintin), Martin sassociait nagure au singe en Wallonie et en
Picardie par ses drivs maurticot et marticot, qui y clipsrent mme le vocable singe, et quon
destinait notamment un quidam farfelu ou un gamin espigle, prompt la grimace. Cette
simiesque reconversion sancra si fermement dans lusage que le philologue ligeois Maurice Piron
la dnona comme exemplaire de la dchance dun prnom dans le rgne animal 7.
Dgoter plus consternant nest pourtant pas mission impossible. Voyez plutt Robin,
noble abrviatif mdival de Robert : insparable de lespce ovine et des robinets (une tte de
mouton en garnissait jadis le bec), il lest aussi des roubignoles, qui, avant leur report argotique sur
lanatomie virile, ont dsign les testicules du blier, cet ardent ruminant, puis, par analogie, les
boules que manipulait le robignoleur dans un jeu dargent (et de dupes) proche du bonneteau. De
surcrot, le diminutif sillustra en Normandie au rayon des vgtaux, o bitte-de-robin fut un nom
vernaculaire de larum tachet : la silhouette, laspect charnu et la couleur de la partie matresse de
cette plante suggraient au paysan amateur de mtaphores lorgane turgescent de ses bliers, mais
galement celui de ses taureaux 8, les seconds ayant gagn le surnom des premiers par leurs
prouesses reproductrices. Les poissons, eux, ont nag moins trivialement, et de prfrence dans le
sillage de notables : le bocal o frtillait dj le saint-pierre jailli de la lgende de laptre se garnira du
Ren, truite saumone du pays dpinal, daprs le duc Ren II de Lorraine qui en apprciait la
chair, puis, en Wallonie, du lodj, perche goujonnire, que taquinerait Ogier le Danois, hros dune
chanson de geste. Pour ce trio cailles, invoquera-t-on un prnom mlioratif le contraire de
pjoratif ? Pas vraiment, car un prnom, attribut de lintimit de lhomme, se destitue ipso facto de sa
fonction ds quil est dvolu dautres qu lui : des animaux, ou, pire encore, des objets,
ustensiles ou rcipients. Le chercheur serait tent de sen rjouir : le champ si fertile de la
dconsidration parat toujours plus attrayant et plus captivant prospecter que les gisements,
honorables mais rabougris, pargns par la rprobation 9.
Dans le film de Daniel VIGNE Le retour de Martin Guerre (1982), inspir dun cas authentique dusurpation
didentit, Grard DEPARDIEU incarnait le faux Martin et Bernard-Pierre DONNADIEU le vrai. Sous le mme
titre, Natalie Z. DAVIS, la conseillre historique du tournage, a publi ses travaux sur la vie des deux
protagonistes et sur le procs pour mystification (Robert Laffont, 1982).
7 Les noms wallons du singe, 1944.
8 Ceux qui connaissent la plante devineront sans peine pourquoi (Achille DELBOULLE, Glossaire pour servir
lintelligence du dialecte haut-normand, 1876). Le paysan fait dailleurs chorus avec le botaniste, pour qui
larum gant, dont linflorescence est la plus grande du monde, est le phallus de titan (Amorphophallus titanum).
Honni soit qui mal y pense : larum, modle courant, a dcor quantit de bouquets de marie. Dans le
langage des fleurs, il exprime llgance, la profondeur de lme et lharmonie des tres, mais aussi, mots
couverts et par son symbolisme priapique, le vif dsir dune relation charnelle.
9 Pourquoi lhistorien est-il plus laise sur le terrain documentaire du pjoratif que sur celui du laudatif ? , sinterroge
Michel PASTOUREAU, mdiviste et smiologue (Ltoffe du diable, 1991).
formes locales de Rosalie et de Bastien, par prnom employ dans un sens pjoratif 10 . En
raillant la niaiserie, leur tte de Turc, les prnoms exercent une drision similaire celle inflige par
la masse des argotismes : eux aussi nembrassent quun nombre restreint de notions, mais le niais
sy arroge la place privilgie avec quatre-vingt-six faons dexprimer ses travers, a constat Pierre
Guiraud 11.
On dcouvrira par ailleurs de nouveaux exemples o, par subtilit phontique, un prnom
a endoss un sens burlesque : Germaine pour une enquiquineuse (elle gre et mne) ; Lancelot pour un
pompier (il lance leau) ; Sosthne ou Sostne pour un soutien-gorge (de lespagnol sostn) ; Luigi pour le
mouvement brusque du tire-slip, o lon remonte par llastique le sous-vtement dun(e) camarade
(de langlais wedgie) ; Henri pour le Christ ou le crucifix chez les croquemorts (de linscription INRI
surmontant la croix) ; Lambert pour une sonnerie mortuaire (daprs la plainte Lambert est mort ! que
propagerait la sonnerie du glas) ; Pancrace pour un pouilleux (couvert de crasse) ; Philippe (filipp) pour
un coup de fouet (onomatope).
Dans ses recoins, lunivers des strotypes se visite lui-mme avec un profit sans cesse
renouvel. loccasion, le prnom qui y inoculait autrefois sa pertinence ou sa fantaisie sest
volatilis : Bien jou !, exclamation dsormais si quelconque, nest que la version tronque de Bien
jou, Marguerite ! quadresse un Buridan revanchard la cruelle Marguerite de Bourgogne 12 ; le tour
si courtis Quand il ny en a plus, il y en a encore, est scalp de sa plaisante amorce, Cest comme les
cheveux dlonore, qui lui ouvrait rime 13. Comme on connat ses seins, lonore , samusait en 1958
Frdric Dard : transition commode vers ces pourvoyeurs sculaires de prnoms que sont les
saints. Ils ont coiff dauroles saugrenues un chapelet de locutions : tre brouill avec sainte Vronique
( souffrir de la syphilis , maladie vrolique) ; drober la bosse saint Roch ( sapproprier nimporte
quoi , jusquau bubon de peste propre ce bienfaiteur) ; porter la Sainte-Agathe ( porter quelquun
sur ses mains croises , cette martyre ayant crois les siennes sur sa poitrine pour la protger, en
vain, de la mutilation). Dautre part, le succs dun culte a pu entacher dinfortune le nom de llu :
saint Amadour, que perptue Rocamadour (Lot) o il fonda un rayonnant sanctuaire marial, fut
lponyme au XVe sicle de lamadour, personne de murs peu avouables , condamne pour
choses vilaines et honteuses un plerinage expiatoire 14 ; sainte Odile, prie au Mont-SainteOdile (Bas-Rhin), fortifia si bien la dvotion que naquirent dans la Lorraine voisine beaucoup de
petites Odile, un stock do mergea, en milieu rural autour de Metz, une lexicalisation en Oudile
visant, au XIXe sicle encore, une fille simplette et une servante maladroite15.
entendez des vases de nuit, feuilles, latrines ou cabinets daisance auxquels on les a attachs. Aux
quinze dvoys dnombrs en 2013 viendront donc incontinent saccrocher plusieurs autres, dont
Eugne (Ugne), Brenger et Brengre (Brengui, Berenguiera) ou (villa) Louise. Leur drive obit
tantt un rflexe de familiarit gratuite (Pierrot), tantt un persiflage dlibr : cest bien sr le
Kaiser que lon brocardait en 1914-1918 avec aller chez Guillaume, sasseoir sur le trne Guillaume, se
torcher avec du guillaume. Concdons au prnom dvergond dans lexcrtion le mrite dy tre, par
essence, utilis au singulier, linverse de la plupart des mots habituels convoqus en cette
occurrence. Voil une qualit qui aurait d apaiser Clair Tisseur, intrigu sa vie durant par cette
bizarrerie grammaticale dun pluriel de ncessit pour les lieux qui le sont tout autant, chalets,
toilettes, cabinets, goguenots, recoins et retraits 18.
Cocasse : par de piquants dtours, un prnom dbauch en Italie au temps de la
Renaissance est capable de se travestir en un mot qui colore encore joyeusement la langue wallonne
un demi-millnaire plus tard. Il en va ainsi de pasquye ( priptie factieuse, msaventure
Namur) 19, qui se prvaut, bien discrtement, dun tailleur la clientle huppe, un certain Pasquino
(en franais Pasquin, li, comme Pascal la fte chrtienne). Pour sa mdisance proverbiale, ce
commerant de Rome fut lponyme en 1501 dune statue antique exhume prs de sa boutique et
dont le socle se garnit rapidement de venimeux pamphlets contre le pouvoir. Pasquin passera en
franais pour un moqueur, un conteur de sornettes, et pasquinade pour des quolibets, railleries ou
fredaines. On relvera chez Rabelais pasquil ( plaisanterie grossire ) ; en 1601 Lille pasquille
( rcit en patois, pice satirique dialogue ), puis en Ardenne pasquye ( drlerie, bouffonnerie en
famille ), tandis qu Lige pasquie devint le nom gnrique de la chanson wallonne .
On nappelle plus bb Pasquin ou Pasquine 20, mais, plus dune fois, ce sont les prnoms
dmods qui auront mitonn les meilleures soupes : Fulcran (do foucaran, individu sans grce ou
querelleur ) ; Gaudemar (do goudoumarou, homme peu civilis, ours mal lch ) ; Gerbold (mal
Saint-Garbot, diarrhe ) ; Thcle ( fille effronte et mprisable ). Un sobriquet flanquant un
prnom au Xe sicle est mme de resurgir en fanfare au XXIe, invit par lanalogie et lrudition : le
Bluetooth (Dent bleue), ce procd facilitant le transfert et lchange de donnes, ne remmore-t-il
pas Harald la dent bleue ( 986) ? Ce roi du Danemark fdra des peuplades htrognes,
composites, tout aussi disparates que les appareils interconnects par le systme, ont compar les
concepteurs de celui-ci, des informaticiens frus dhistoire. En caractres runiques et sur fond bleu,
le logo Bluetooth reproduit dailleurs les initiales du souverain scandinave, dont la dent bleue
provenait dun abus de myrtilles ou dune peinture masquant les caries.
Donomastique et lexicographie
propos des noms propres donc des prnoms , on a pu dire quils ont longtemps t
les parents pauvres de la linguistique21. Le clivage entre eux et les noms communs, consacr par
une rpartition en nomenclatures distinctes, les a souvent confins dans le primtre strict de
lonomastique, science qui leur est spcialement voue depuis le XIXe sicle 22. Les noms propres
prennent toujours une majuscule , inculque lcolier le Petit Grevisse 23. Il saute pourtant aux yeux
18
On lit en effet dans son Littr de la Grand Cte (op. cit., 1894), s.v. Chiottes : Vilain mot pour communs.
Pourquoi les mots exprimant cette chose sont-ils pluriels : des latrines, des water-closets, des privs, des
lieux, des commodits, des communs, des chiottes ? Jai pass une grande partie de ma vie rflchir ldessus [sic], sans le pouvoir trouver. Peut-tre cela vient-il de ce que les planches des latrines avaient
ordinairement deux lunettes. Cest encore lusage dans le Forez et dans la Suisse romande.
19 En 2015, le quotidien LAvenir (Namur), publie toujours sa chronique wallonne sous le titre Chjes t
pasquyes, que lon traduira par Soires et histoires amusantes.
20 En France, les derniers Pasquin sont ns en 1968 et les dernires Pasquine en 1975.
21 Jean MOLINOT, Le nom propre dans la langue, in Langages, n 66, 1982, cit par Sarah LEROY, De lidentification
la catgorisation : lantonomase du nom propre en franais, Peeters, Louvain-Paris, 2004.
22 Elle se subdivise en anthroponymie (noms de personnes), toponymie (noms de lieux) ou hydronymie
(noms de cours deau et dtendues deau).
23 d. De Boeck, Bruxelles, 2005. On ne stendra pas ici sur les caprices apparents de la majuscule : on lit du
Simenon en coutant du Vivaldi, mais on mange du gouda en buvant du bordeaux.
quils sont dous pour se lexicaliser tels quels (le rugby, le diesel, un kir, un mcne 24), et, plus encore,
pour produire des mots qui leur tour nourriront la langue : saxophone, shakespearien, ubuesque,
poujadiste, freudien, baonnette, limoger. Leurs proprits morphologiques, syntaxiques ou tymologiques
ont conduit rvaluer et revaloriser leur rle dans le discours. On a baptis donomastiques, terme
bien plus rbarbatif que ce quil recouvre, les appellatifs issus de ce vivier opulent et en constante
expansion, soit tirs dun nom (propre) comme un dverbal est tir dun verbe (de marcher, vient
la marche). La discipline qui les tudie sintitule aussi donomastique. Elle englobe les phnomnes
dantonomase o un nom propre se transforme en nom commun en vhiculant son smantisme
(un don Juan, un adonis, un chauvin), ainsi que les drivs danthroponymes (dantesque, herculen,
platonique) et de toponymes, dont les gentils, ces noms dhabitants dun lieu (Bruxellois, Ardennais),
dont certains sont dj substantivs (spartiate, parmesan, charentaise). Tout ce matriau, ferment dune
nologie prolifique (sarkozyste, simenonien, Grexit, goncourable 25), entretient avec le lexique beaucoup
plus daffinits quon ne le croyait, a montr en 1993 la linguiste va Bchi26, pour qui la
lexicographie franaise en est cependant encore ses dbuts en ce domaine : Ni les
onomasticiens ni les lexicologues nont produit des dictionnaires historiques de donomastiques 27.
Leur traitement se limite donc, pour le moment, celui offert par les dictionnaires de langue
gnrale. En 2013, dans la Belle Province, o lon substitue onomastismes donomastiques, Jol
Martin a sign un Dictionnaire des onomastismes qubcois 28, o lon croise, outre chapdelainien (de Maria
Chapdelaine, le roman de Louis Hmon), dionesque (de Cline Dion) ou charleboisien (de Robert
Charlebois). Quelques prnoms gratigns aussi, pour en revenir enfin eux, mais quintgrait dj
le Jean-foutre 29 : sraphin pour avare (de lusurier Sraphin Poudrier dans Un homme et son pch, du
romancier Claude Henri Grignon) ; luciennes et camiliennes pour toilettes publiques (du maire de
Qubec Lucien Borne et de celui de Montral Camilien Houde).
Si lon ngligeait leurs exploits passs ou prsents, les prnoms dpriss, malmens par
lusage, ne constitueraient eux-mmes quune tribu de parents pauvres, une sous-espce
priphrique, alors quils ont tant offrir la curiosit et lagrment du lecteur. Celui-ci ne sera
pas tonn de retrouver, parmi les entres principales de ce Supplment, et ct dune trentaine
de nouveaux articles 30, nombre de vieilles connaissances de 2013, sans quon puisse jamais parler
de doublons, puisquelles nont t reprises quau bnfice de sens nouveaux, dextensions
ponctuelles, de nuances ou damplifications rgionales. Les notices actualises prolongent et
compltent ainsi leurs devancires, de faon logique et naturelle. En outre, des recrues viennent
sinsrer par dizaines sous les chefs de file ou vedettes dj bien tablis : par exemple Alexis,
Alexandra et Sandrine sous Alexandre ; Luigi et Louis-Philippe sous Louis.
La tentation de la rcidive
Lorsquelle stend aux prnoms dnigrs, dvoys ou encanaills, la notion de pjoration,
dostracisme ou de marginalisation est parfois sujette la subjectivit, larbitraire. Il importait tout
la fois de montrer que la mine est inpuisable et den contenir les flux. Le propos a donc t
24
Respectivement, et pour mmoire : de Rugby, ville anglaise ; de lingnieur Rudolf Diesel, inventeur de ce
moteur ; du chanoine Kir, maire de Dijon (marque dpose pour un vin blanc-cassis) ; de lhomme politique
romain bienfaiteur des arts.
25 Susceptible dobtenir le prix Goncourt (entr au Robert 2014).
26 Traitement historique des donomastiques dans la lexicographie franaise, communication (en allemand) au Congrs
international dOnomastique de Trves, actes publis en 2002 (Tbingen, Niemeyer). Absorbe par ses
multiples fonctions (directrice au CNRS, directrice de lATILF, Analyse et traitement informatique de la Langue
franaise, codirectrice du Dictionnaire tymologique roman), va BCHI sest loigne depuis une dizaine
dannes de ce champ de recherches (courriel du 19 mai 2015).
27 dfaut de dictionnaires historiques purs, il existe une srie douvrages thmatiques ou anecdotiques sur la
question (cf. Le jean-foutre, Introduction, notes 15 et 19).
28 Sous-titr Les mots issus de nos noms propres, d. du Fleurdelys, Sherbrooke.
29 En se rfrant au Dictionnaire des canadianismes de Gaston DULONG, 2me d., 1999.
30 Dont Adrien, Amadou, Amde, Amlie, Amilcar, Armand, Benjamin, Bondon, Bonnet, Brian, Candy, lonore,
Emmanuel, Fulcran, Gaudemar, Gerbold, Gisquette, Gontran, Harald, Hyacinthe, Jemima, Lancelot, Melvin, Nathan,
Nmsis, Nicomde, Odile, Pasquin, Plagie, Thcle.
recentr en priorit sur les dconvenues encourues par lindividu, en se dtachant, sauf exceptions,
des emplois relatifs la faune, la flore et aux autres excroissances.
Par les possibilits de recherches acclres dans les 13 500 pages du texte intgral, la mise
en ligne, au moins partielle en 2014 (avec une traduction franaise, elle-mme rduite), de
lirremplaable somme quest le Franzsisches etymologisches Wrterbuch de von Wartburg 31, a stimul
lexploration historique et comparative de lample domaine galloroman : langue dol (du franccomtois au picard, du bourguignon au wallon) ; francoprovenal ; occitan. Elle a permis denrichir
de quelques nouveaux venus le stock des Pjors et, surtout, de confronter les acceptions, flexions
et graphies dveloppes par ces derniers au fil des temps et des lieux, au besoin en consultant
dautres sources, dont Lou Tresor du Felibrige (1879-1886) de Mistral32 pour les dialectes de la langue
doc 33.
Un autre facteur dterminant aura assurment favoris la rdaction des prsents feuillets :
les ractions positives, voire enthousiastes, et en tout cas trs gratifiantes, mises par les lecteurs du
recueil de 2013, y compris parmi les linguistes et les scientifiques en gnral. On pardonnera
limmodestie consistant en reproduire de brefs extraits : Cest vraiment une trs belle tude, la fois
srieuse, bien documente, rfrence, mais aussi vive, pleine desprit, amusante lire (Jean Germain 34, UCL) ;
Quel bonheur de dcouvrir ces pages o vous nourrissez votre lecteur dune rudition remarquable, servie par une
criture particulirement agrable lire [] Flicitations pour cette importante contribution lanthroponymie
romane (Michel Francard, UCL) ; Le sujet est passionnant et vous me semblez lavoir parfaitement
matris (Laurence Rosier, ULB) ; Une somme impressionnante dinformations la fois utiles et
croustillantes, fruit de patientes recherches [], sans oublier le style qui se plie toujours admirablement la
matire traite (Jacques Merceron, Indiana University, Bloomington) ; Je travaille depuis plus de deux
ans sur les noms communs issus de prnoms en allemand et en franais et jai dpouill nombre de dictionnaires sur le
sujet. Le vtre est sans conteste le plus riche de tous (et le plus amusant lire) (Vincent Balnat, Universit de
Strasbourg).
Toujours disponible en version lectronique et en intgralit chez plusieurs hbergeurs 35,
ltude a t spontanment recense par ce biais dans les pages de sites spcialiss, dont, en mai
2014, languefrancaise.net, avec ce commentaire : Ample somme originale riche et pleine dinformations, prises
un grand nombre de sources rcentes et anciennes, crites et orales []. Concerne les prnoms pris comme noms
communs (antonomase), porteurs dune charge symbolique remarquable. Beaucoup de lectures, large panorama.
Enfin, en dcembre 2013, le trimestriel Francophonie vivante lui a consacr un article circonstanci, o
lon lit notamment : On dgustera comme des bonbons les rubriques des prnoms pour lesquels on veut
approfondir le dvoiement quils ont subi, et on ira dabord voir ce quon dit de son propre prnom, prt supporter
pour lun le pot de chambre, pour lautre landouillerie, ou pour un troisime la charge rotique.
Que souhaiter de mieux, sinon que ce petit dernier soit la hauteur de son grand frre ?
31 Cf.
10
A
ABRAHAM
Une coutume de La Gleize (Stoumont, pays de
Lige) fut de baptiser Abraham le mannequin
hiss chaque anne au sommet du grand feu.
En tournant autour du bcher, les danseurs le
narguaient en criant : Abraham !, Abraham !
Avec dautres emprunts lAncien Testament
la faveur de la Rforme, ce prnom avait
engrang quelque succs au village, remarquait
en 1937 le linguiste Louis Remacle dans Le
parler de La Gleize (Palais des Acadmies,
Bruxelles, et Vaillant-Carmanne, Lige). Lors
de la sortie de son tude, le bonhomme de
paille saccoutrait encore de son sobriquet. On
comparera avec la Suisse, o Abraham
produisit les diminutifs populaires Abr,
Abrami, Bretchon et Britchon, le dernier affublant
les Neufchtelois et les Jurassiens passs au
protestantisme, et ainsi gratigns par les
Franc-Comtois rests catholiques. Britchon sest
mme lexicalis dans le dialecte : loccasion, il
y est adjectif ( un humour britchon ), mais il
dsigne surtout, outre une ptisserie
Neufchtel, un fromage pte mi-dure de la
valle de la Brvine, la Sibrie de la Suisse .
La pjoration se marqua davantage dans la
valle de Joux (canton de Vaud) avec la
variante Brino, pour homme fin, matois ,
dfinition prsente aussi, mais prolonge par
lpithte indiscret , sous lentre Brinon
du Glossaire du Patois de la Suisse romande
du doyen Philippe Cirice Bridel (Lausanne,
1866).
Quant au droutant mal dAbraham, cit en
1485 dans une Vie de Jsus-Christ, il se
rclamait de la croyance selon laquelle les Juifs
taient priodiquement affligs dune perte de
sang hmorrodal, en conformit avec une
prophtie de David. En ralit, le signe bien
horrible [de] chaque mois tait destin, non
aux fils dAbraham, mais aux Philistins, leurs
adversaires, que Dieu voulut punir : Percussit
inimicos suos in posteriora, opprobrium sempiternum
dedit illis (Psaume 77, verset 73). Ce qui fut
librement traduit par : Il frappa ses ennemis
de plaies si honteuses au fondement quelles les
couvrirent dune confusion ternelle , dautres
ADRIEN
Quantit de noms propres renseigns par
Mistral comme synonymes de niais ou
niaise parsment les deux volumes du
Trsor du Flibrige (1879-1886) et taient donc
en usage ce titre en provenal et dans les
dialectes de langue doc, sans que soit toujours
dcele la raison de leur disgrce. Adrien et
Adrienne (Andrian, Andriane) sont de ceux-l.
Six papes et plusieurs saints, dont un martyr
vnr Marseille, ont prcd les six mille
Adrien ns en Belgique au XXe sicle, le
pionnier historique restant lempereur romain,
hros, avec un H linitiale, du roman de
Marguerite Yourcenar (Mmoires dHadrien,
1951). Cest Adria, ville de Vntie fonde par
les trusques, qui fit clore ce prnom. La
mme racine flotte dans lAdriatique, une mer
dont les rivages ont naturellement produit
ladrien. De ce vin et dautres, ainsi que des
personnages des critures qui en consomment,
le moine Adso de Melk, assoupi loffice,
reoit une vision initiatique dans Le nom de la
rose (1980), dUmberto Eco : Et tous de boire,
Jsus du vin de paille, Jonas de lentre-deuxmers [], Mose du vin de canne, Isaac du
crtois, Aaron de ladrien, Zache du vin brl,
Tcla du capiteux, Jean de lalbain, Abel du
campanie, Marie du bouquet, Rachel du
florentin. (TDFM)
Adrian. Dans les syntagmes baraque Adrian et
casque Adrian, le nom, patronymique, est celui
de lingnieur franais Louis Adrian (18591933) qui, pendant la Premire Guerre,
imagina, dune part des constructions
prfabriques pour le cantonnement provisoire
des soldats ou le stockage du matriel, et,
dautre part, le casque en tle dacier bleut qui
quipa les fantassins partir de lautomne
1915. (BOBA)
AGATHE
Dans liconographie, cette vierge et martyre du
IIIe sicle exhibe sur un plateau les seins que lui
arrachrent ses bourreaux. Sous leffet de la
logique analogique , cette reprsentation
suffira linstituer patronne des nourrices, qui
la prenaient jadis tmoin en sexclamant :
Par les ttons de sainte Agathe ! La tournure
locale porter la Sainte-A(u)gathe, qui consiste,
AGLA
La beaut dAgla, une des Trois Grces des
mythes antiques, a t balaye en Gaume, o,
12
AGNS
Le Vocabulaire des poissardes du Pays wallon
(1867) reprend mot mot la dfinition du
Dictionnaire des proverbes franais dAndr
Joseph Panckoucke (1750) : Agns : fille
idiote,
simple,
facile
persuader.
Ltymologie (grec agnos, pur, chaste ) et le
lien phontique entre Agns et niaise et entre
Agns et lagneau, symbole dinnocence, ont
consolid lacception. Le sens classique
( ingnue, de peu de jugement ) a suscit le
verbe phmre dsagntiser, correspondant
dniaiser . Spcialiste du XVIIIe sicle
franais, le Sudois Gunnar von Proschwitz
( 2005), professeur de littrature Gteborg
et la Sorbonne, la point dans Lne promeneur
dAntoine-Joseph Gorsas, en 1786. Il sagissait
l, nuance-t-il, dun pendant parodique au
nologisme
dessuzaniser
imagin
par
Beaumarchais propos de Suzanne, dans son
Mariage de Figaro (1784). (VPPW)
LAgns la plus ingnue du rpertoire classique
est certes la jeune fille de Lcole des femmes
(1662), celle qui annonce lacte II Le petit
chat est mort . Phrase quivoque parmi dautres
dans cette comdie, et qui, pour certains
exgtes, signe la perte du pucelage. On ne
peut leur donner tort dans le cas de la cratrice
du rle en 1662, Catherine Leclerc du Ros,
alias Mlle de Brie : cette matresse de Molire
avait dj 32 ans lorsquelle pronona pour la
premire fois cette rplique culte, et pas moins
de 55 quand on la pressa de renoncer enfin
jouer les jouvencelles.
ALBERT
Dans les croyances mdivales, et parmi bien
dautres noms, le diable portait ceux dAlbert et
de mauvais Bert. Le second provient dune
rinterprtation de lancien nom de baptme
germanique Amalbehrt, soit fort brillant :
perdant sa voyelle initiale, il se romanisa en
Maubert, avec une premire syllabe parfois
ressentie comme un signe du mal ou du
Maudit. (GLPM, DINO, DNWB)
ALEXANDRE
Alexandra. Je suis le Mithridate de
lalexandra ! , annonce ses visiteurs Prtextat
Tach, ladipeux hros dHygine de lassassin
(Albin Michel, 1992), premier roman dAmlie
Nothomb. Dans ce cocktail rput, base de
13
AMADOUR
Lancien nom de baptme Amadou(r), forme
occitane dAmateur, rappelle un saint ermite
aimant Dieu (latin amare Deum) quune lgende
identifia au Zache de lvangile, et dont le
souvenir demeure prsent dans Rocamadour,
la clbre ville touristique du Lot. L, au creux
de la falaise, il tablit en lhonneur de la Vierge
un sanctuaire, destination majeure de la
chrtient mdivale avec Rome, Jrusalem et
Compostelle. Amadour fut cependant un
excrable surnom, et curieusement dans les
Flandres. On lit en effet chez Ernest Rupin
(Roc-Amadour, tude historique et archologique,
Baranger Fils, 1904) : Vers 1473, un certain
Joas Pieterssenne, condamn par les magistrats
dYpres au plerinage de Roc Amadour pour
meurtre involontaire, sempresse de faire appel.
Il fait ressortir que ce plerinage est une peine
plus forte que toute autre, et que ceux qui
doivent la subir gardent toute leur vie le
sobriquet damadours, mot qui, dans les
environs dYpres, est devenu synonyme de
gens de murs peu avouables. Il ajoute que ce
nest pas son cas, puisquil a t condamn
pour meurtre et non pour choses vilaines et
honteuses. Nagure, pour accder au lieu
rserv aux dvotions, les plerins gravissaient
genoux 143 marches ; un ascenseur supple
aujourdhui cette preuve (Deroy et Mulon,
1992). (DILI)
son tour, un second saint Amateur, vque
dAuxerre (Ve sicle), contribua lessor du
prnom (et patronyme) Amadou sous lequel
on le vnrait, et quon soutirait tort au
provenal amadou ( pris, brlant de dsir ),
lui-mme source de lamadou, la substance
inflammable extraite dun champignon. En
Wallonie et dans lYonne, par la vertu de cette
identit rectifie, il a parfois concurrenc
Valentin dans les parrainages amoureux. Dans
le Lyonnais, la comparaison sec comme saint
Amadou sappliquait quelquun qui nest pas
gras : on le prsumait consum par un feu
intrieur. Dans la Somme, la question Es-tu
l ? , la coutume tait de rpondre, pour la
AMDE
Le jargon des pilotes a baptis de ce masculin
la servocommande de lavion Mercure, appareil
qui intgra pendant vingt ans, jusquen 1995, la
flotte franaise dAir Inter : Amde
supprime lhypersensibilit du manche proche
du neutre. Des prnoms sont ainsi associs,
par pure connivence, divers mcanismes et
accessoires des cockpits : Arthur fait varier le
bras de levier sur la commande , et Oscar est
la vanne acclromtrique. En dsutude au
moment de cette reconversion utilitaire (
peine quinze attributions en France entre 1951
et 2000), Amde correspond lAmadeus ou
lAmadeo latin et au Thophile grec ( ami de
Dieu ou aim de Dieu ). Mozart, qui reut
au baptme le second prnom de Theophilus,
pencha plus tard pour Amad, sans jamais
laisser dcrits signs Amadeus. Amde fut
hrditaire dans la maison de Savoie, le pieux
duc Amde IX ( 1472) tant mme lun des
saints patrons. Selon le pre Englebert (1946),
cet adepte du jene et de la pnitence ne
tolrait pas les jurons, et mettait lamende les
courtisans qui en profraient. Moins austre
est, dans les sketches de lhumoriste belge
Franois Pirette, le personnage rcurrent
dAmde, pensionnaire dune maison de
retraite, impnitent blagueur et philosophe
parfois attendrissant. (PARM, FLES)
AMLIE
Passe-moi la dernire dpche dAmlie ! : les
milieux
journalistiques
franais
ont
familirement surnomm Amlie lagence
14
AMILCAR
Un Amilcar tait un compagnon agrable,
jovial, plaisant. Ou, tout le moins, qui
prtendait ltre, a-t-on tempr. Mince
restriction, certes, mais qui lui vaut sa petite
entre dans nos pages. Archaque aujourdhui,
lantonomase nchappait pas Molire, dont
lune des Prcieuses ridicules (1659), Cathos,
constate, propos de Mascarille : Je vois bien
que cest un Amilcar. Paru au mme moment,
le Grand Dictionnaire des Prcieuses,
dAntoine Baudeau de Somaize, dfinissait
Amilcar par homme enjou . Le nom propre
et son sens manent dun personnage majeur
de Cllie, histoire romaine, le roman kilomtrique
de Madeleine de Scudry, publi de 1654
1660, en dix volumes. Dans cette uvre cls,
Amilcar est, avec Artaxandre, le pseudonyme
du pote Jean-Franois Sarasin, qui a
rellement exist (1614-1654). Intime de Mme
de Scudry et assidu de ses salons littraires et
mondains cultivant la prciosit, il meurt sous
sa plume comme il meurt dans la vie. Modle
de bonhomie, mais inconstant et sceptique, il
fut un ami dvou, ngociateur habile et
adroit, hardi avec grce, et dune galanterie
vive . Joignant le savoir au gnie, il sut si
bien lart de plaire quil plut mme ses
ennemis , glorifie son pitaphe. De Cllie, la
postrit a retenu, davantage que ce pote,
lexpression carte du Tendre, allgorique dun
pays imaginaire, le Tendre, royaume de lamour
courtois.
Fleurant lantique, le prnom a glan une
centaine de titulaires en France au XXe sicle
(dont treize en 1971). Il scrit aussi avec un H
linitiale : Ctait Mgara, faubourg de
Carthage, dans les jardins dHamilcar est lincipit
insigne du Salammb de Flaubert (1862). Parmi
les titulaires, quatre chefs ou gnraux
carthaginois. Conakry, luniversit AmilcarCabral perptue le pre de lindpendance de la
Guine-Bissau et du Cap-Vert, assassin en
1973. Amilcar tait le second prnom de
Benito Mussolini (1883-1945), quil reut en
hommage au patriote italien Amilcare Cipriani
(1843-1918), fondateur de lInternationale et
lun des chefs de la Commune de Paris.
Amilcar a t choisi par Anatole France pour
baptiser le chat de Sylvestre Bonnard, le savant
hros de son premier roman (1881).
Ltymologie est phnicienne : frre de
Melqart , un dieu dont le nom signifie luimme roi de la cit . Pas de divinit en
revanche derrire lAmilcar, voiture sportive
franaise de lentre-deux-guerres, mais
15
ANASTASIE
Rput pour tre allgorique de la censure sous
les traits dune mgre castratrice, le prnom
fut plus discrtement associ par largot
de Paris, au XIXe sicle, la jeune fille sotte,
oiselle ou oie blanche, quun homme fait mine
daimer. (PAGV)
ANDR
Diminutif dAndrew, Andy, jadis Dandy en
cosse, rpond au Dd franais. Pour Jean
Tournier (1998), l est la souche du mot dandy,
lgant aux manires affectes , qui se
pique dune suprme lgance dans sa mise et
ses attitudes , voire, aujourdhui, snob, blas,
prtentieux . Outre-Manche, le terme serait
dabord apparu dans le tour Jack-a-dandy, petit
homme vif et bien mis . Jean-Paul Kurtz
(Dictionnaire tymologique des anglicismes et
des amricanismes, 2013) date de 1780 la
premire attestation de Dandy, dans une
ballade anonyme de la frontire cossaise, l
o, dit-il, il abrgeait Andrew depuis le moyen
anglais. Dandy distinguait alors le jeune homme
qui, pour frquenter lglise ou la foire annuelle
dans cette rgion du Border, shabillait de
vtements excentriques. Londres, dans les
annes 1810, comme en France qui limporta
la faveur de la vague danglomanie de la
dcennie suivante, il pousa le sens de raffin,
distingu . Type littraire majeur au XIXe, le
dandy glissa peu peu vers une pjoration que
consacra Littr : homme [] recherchant les
modes jusquau ridicule . Ainsi le fringant coq
du village des origines prit-il parfois du plomb
dans laile, jusqu devenir un synonyme
occasionnel de fat ou de godelureau . En
1821, une fminisation passagre en dandizette,
trenne par langlais avec une terminaison
franaise dlibre, na rencontr aucun succs
sur le continent. (MANF, PROB, TLFI, DIHL)
Les tymologistes napprouvent pas tous
lclairage par le prnom. Littr (Supplment,
1877) reproduisait lopinion dun lecteur
ddimbourg, pour qui le dandy anglais
provenait plutt du franais dandin, dadais,
nigaud, aux manires empruntes , ou, selon
Furetire (1690), grand sot qui na point de
contenance ferme, qui a des mouvements de
pieds et de mains dshonntes . Sous plusieurs
ANNE
Non, lorvale de la Sainte-Anne nest pas la bire
trappiste que lon savourerait en lhonneur de
la mre de la Vierge Marie. Rpandu en Suisse
romande et en Franche-Comt, le terme orvale
signifie dgt caus aux cultures par les
caprices du temps . Il englobe la grle, les
bourrasques, les pluies torrentielles, les orages,
les boulements, les ravinements, la gele, etc.
En observant quautour du 26 juillet, jour de la
fte patronale, des pluies diluviennes
sabattaient souvent sur les campagnes, le bon
peuple a propag ladage Sainte Anne tous les
ans fait ses orvales (Charles Alexandre Perron,
Proverbes de la Franche-Comt, Besanon-Paris,
1876). Pour repousser ces calamiteux assauts
clestes, les villageois sen remettaient, non
une sainte, mais une fe, tante Arie : ce bon
gnie des familles rurales protge chaumires et
rcoltes contre les orvales et les esprits
malfaisants, empche de sembrouiller la
quenouille des femmes et la vertu des filles
(Victor Du Bled, Lgendes et traditions populaires
de Franche-Comt, in Revue des Deux Mondes,
1893).
Reine Anne est morte, tour dorigine anglaise, fut
de mise pour ponctuer une nouvelle connue de
tous, une vrit premire, alors que Du temps de
la reine Richard impliquait un fieff mensonge
dans la conversation, puisquil ny a jamais eu
de reine de ce nom. En Italie, lide dune
poque rvolue tait rendue par Du temps de
Marie-Chtaigne et du roi enrag (Joliet, Largot,
langage excentrique des peuples trangers, 1891). (CJPE)
16
ANTOINE
Dans le sud de la France, les abrviatifs issus
de ce chef de file ont multipli les mcomptes :
tni-boui, nigaud brutal, imbcile mchant ;
Touni ou Ton, bent, nigaud ; E toco, Toni !
pour Et fouette, cocher ! ; Jan, Pire, Tni
(Jean, Pierre, Antoine) pour nimporte qui, le
tout-venant (notre Pierre, Paul ou Jacques). Les
prnoms ont fait l-bas leur fminin en - o, sans
pourtant se soustraire aux dboires : Tnio et
Tounio (Antoinette) ont ainsi caractris une
femme lourdaude et grossire, et Touniasso une
empote. En 1929, Peterson notait ce
propos : Dans les patois, on trouve assez
souvent des cas o une influence smantique
du nom dhomme correspondant est possible,
mme si le nom de femme nest pas
simplement la forme fminine du nom
gnrique masculin : Basse-Manche : Michon
sotte ; provenal Tonio femme stupide,
niaise,
Touniasso
grande
imbcile.
DHombres et Charvet (1881) crivaient
Tougnas et Tougnasso le sobriquet donn
respectivement un homme et une femme.
Dfinition : Gros Antoine, gros bent, gros
pataud, gros imbcile, gros joufflu, paysan
lourd et grossier, gros nigaud. (TDFM, PPNP, LFHC)
Avec quelques autres, le faubourg SaintAntoine fut rput faubourg souffrant par largot
du XIXe sicle, soit, selon Rigaud (1888),
ARMAND
Hier, je suis tomb par hasard sur un matre
trou ! , annona triomphalement, le 18
septembre 1897, Louis Armand, forgeron de
son tat. Il venait de dcouvrir, en Lozre, sur
le Causse Mjean, une des plus remarquables
grottes de France, qui perptuera dsormais
son nom : lAven Armand. Et il tait loin de se
douter que lappellation de ce gouffre honor
de trois toiles au Michelin serait rcupre par
le vocabulaire rotique. Dans la pice Les mots
et la chose de Jean-Claude Carrire (2007),
adapte de son ouvrage sous-titr Le grand livre
des petits mots inconvenants, la trouvaille livre sa
pleine mesure. Consult par une dialoguiste de
films X qui se dit afflige de la pauvret du
lexique sexuel, un vieil rudit, superbement
camp par Jean-Pierre Marielle, la dtrompe en
lui fournissant une fastueuse panoplie de
termes et de mtaphores, anciens et modernes,
relative laccouplement, la fellation, la
sodomie, la masturbation, au sexe masculin et
au sexe fminin. Ce dernier y est mme dclin
selon les occupations de ceux qui lvoquent :
Pour les alpinistes, cest la grande crevasse ; pour les
militaires, la forteresse ; pour les sapeurs, la brche ;
pour les laboureurs, le sillon ; pour les littraires, le
rouge et le noir ; pour les splologues, lAven Armand,
17
ARTHUR
Hros des lgendes mdivales, le roi Arthur
sest par de diverses graphies, dont Artu et
Artus. La premire a eu cours en Gaume pour
distinguer un individu obstin et sournois
(douard Ligeois, Lexique du patois gaumais,
1897). La seconde renvoie un oiseau de
mauvais augure dans lexpression lou rey Artus
(le roi Arthur) par laquelle on dsignait le chathuant. Annonciateur de malheurs, celui-ci
prcdait les chasses sauvages ou fantastiques,
ces quipages fabuleux de cavaliers et de chiens
qui, la nuit, semaient leur effroyable tintamarre.
Il sagissait en fait du fracas dun orage ou
dune tempte, mais ces signes taient
rinterprts de bonne foi, dans une large
partie de lEurope, comme la manifestation
dun cortge diabolique ou maudit. En 1979,
la srie tlvise Inventaire des campagnes,
dEmmanuel Le Roy Ladurie et Daniel Vigne,
a montr que cette croyance a pu subsister
18
AZOR
Si ce masculin est attest chez lvangliste
Matthieu et au XVIe sicle en Artois, sa
prsence dans lopra-comique de Grtry
Zmire et Azor (1771) dtermina son emploi
pour compagnon fidle , et, de l, sa
dvolution aux chiens. Dans largot militaire du
XIXe, o lazor tait le havresac des fantassins,
leur fidle compagnon , ceux-ci aimaient
plaisanter en disant cheval sur azor ! lorsquils
se mettaient en route (Lordan Larchey,
Dictionnaire historique, tymologique et
anecdotique de largot parisien, Polo, 1872).
Tout chien court le risque dtre grond,
circonstance de nature clairer lacception de
nigaud, malappris ( traiter comme un chien)
qui, au dbut du XXe autour de Neufchtel, fut
celle du mot azor, suivi par azorer, dabord
synonyme d injurier . En Suisse romande, ce
verbe a toujours cours pour rprimander :
Il faut que je porte vite la facture la
comptabilit, sinon je vais me faire azorer par
la bibliothcaire. (BDLP)
AUGUSTE
Quand les clowns accomplissent leur numro
trois, deux augustes occupent la piste ct du
clown blanc, et le second auguste sappelle
alors le contre-auguste. Cest un contre-pitre,
loufoque et parfois pathtique, troisime
figure dun trio, qui subit imperturbablement
toutes sortes de rebuffades (Albert Doillon,
Le langage du cirque, 1974). Dans La piste aux
toiles, qui fit les beaux soirs de la tl de 1956
1978, Nello (Lionello-Meschi-Bario) tait ainsi
le contre-auguste des clbres Bario, le rle de
lauguste tant jou par son frre Fredy
(Alfredo) et celui du clown blanc par Henny,
lpouse de Fredy.
19
B
BAPTISTE
Les comparaisons franc comme Baptiste (Picardie)
et contin come Batisse (Charleroi) ont t
recenses en 1886 par Defrecheux. Seul dans
son cas, et sans doute aveugl par le culte de
son terroir, Clair Tisseur (1894) assigne
tranquille comme Baptiste une origine lyonnaise,
avec lanecdote suivante : Baptiste tait un
canut nonchalant du dbut du XIXe sicle, dont
un voisin vint un soir interrompre la rituelle
partie de cartes lestaminet pour lui annoncer
que sa femme se trouvait en conversation
anime avec un compagnon. Sans se
dmonter le moins du monde, et malgr les
rappels insistants du messager, Baptiste
continua jouer comme laccoutume, puis
rentra chez lui, do il revint au bout de cinq
minutes. Assailli de questions, il rpondit,
toujours imperturbable : Ctait ben vrai ! Jy ai
dit comme a la Josette : Est-ce que tu es en rvation
[en train de rver] ? Oh, alle a ben compris qualle
tait dans ses torts ! Elle sa tir de ct tout de
suite ! (RCJD, LGCN)
BASILE
Pour se dvergonder, Basile naura pas attendu
la fin du XVIIIe sicle et lhypocrite don Bazile
du Barbier de Sville qui lui a valu lamalgame
avec un personnage vil et sot . Cinq cents
ans avant Beaumarchais, ladjectif bazan, driv
du prnom lui-mme emprunt au grec basileus
( roi ), quivalait insens, fou , peut-tre
par contre-emploi tymologique, mais plus
srement par lostracisme spontan qui a
matraqu laveuglette certains noms plus que
dautres. La pjoration sinstallera dans les
dialectes avec quelques nuances : pour la
Wallonie, bazou pour esprit bouch (Mons)
ou homme apathique (Nivelles) ; en
Flandre, basile, tel quel, pour sot, imbcile .
Dans le Berry, baziot demeure vivace pour
bte, niais, balourd (Pierre-Valentin
Berthier, Glossaire de la Champagne berrichonne,
Royer, 1996). Quant ltymon latin Basilius, il
a produit, par chute de la syllabe initiale et
rfection de la terminaison, le mot sille, qui,
dans le Jura, a cibl son tour un homme
stupide. (FEWI)
Bazet. Cette variante confidentielle ddaigne le
martyrologe : saint Bazet est inconnu au
bataillon, bien quil ait jadis anim lexpression
proverbiale aller Saint-Bazet (ou Saint-Bezet),
dfinie par sagiter, ne pas tenir en place , et
fonde sur le vieux verbe normand bezer ou
beser ( courir ). Celui-ci semployait propos
des vaches qui, tourmentes par les piqres
dinsectes, se tortillaient et senfuyaient. Par
extension, la tournure est passe aux femmes
moustilles par laiguillon de la chair, celles
qui ont le diable au corps. Mais cest par
calembour sur baiser quon disait faire le voyage
Saint-Bezet pour faire lamour . (DIAF, DITR, SIMF)
BARNAB
Barnaba a nomm, dans le Pas-de-Calais, une
figure grotesque, sujet dautodaf pour les
feux de la Saint-Jean , rapporte von Wartburg.
cartant toute confusion avec le brigand
Barabbas dont le peuple rclama la libration
lors du procs de Jsus, Marcel Simon (Le
christianisme antique et son contexte religieux,
Tbingen, 1981) considre que ce Barnaba est
saint Barnab, qui on prtait le pouvoir de
stopper la pluie (celle du saint Mdard pissard)
et daccrocher au firmament larc-en-ciel, dit
rgionalement couronne de saint Barnab ou saint
Barnab tout court. En rappelant que des rites
propitiatoires taient dj solenniss dans la
Gaule prchrtienne, lauteur estime que
ltablissement de la Saint-Barnab en juin,
mois des feux de la Saint-Jean et de leurs
pratiques superstitieuses, aura contribu
perptuer un hritage paen. Rien dailleurs
dans la vie ou la lgende du bienfaiteur
nexplique pourquoi son effigie mritait le
mpris et les flammes. (FEWI)
BAYARD
Racontant lcole de son enfance dans Le cheval
dorgueil (Plon, 1975), Pierre Jakez Hlias
( 1995) insiste sur le respect dont on y
honorait les grands hommes, comme ce Bayard,
sans peur et sans reproche, dont le nom se donne aux
seigneurs chevaux . Si, en Wallonie, Bayard a
aussi dsign des chevaux ou leur a servi de
20
BELIN
Dans son Glossaire de la langue romane
(1808),
Jean-Baptiste
Bonaventure
de
Roquefort dfinit certes belin par mouton et
blier franc , et figurment par sot , mais il
lui attribue en outre la valeur de sorcier,
enchanteur , raffermie par le verbe bliner
( tromper ). Les langues doc ont dispos
dembelina ( ensorceler ) et dembelinaire
( enjleur ). Par extension du sens de
tondre, filer (la laine du mouton), bliner en
vint en effet correspondre filouter
quelquun, le tondre, le dpossder, comme on
dpouille lanimal de son pelage (Annales franccomtoises, T. 10, Besanon, 1868). Chez Rabelais,
bliner veut la fois dire filouter , faire le
doucereux , et, ce qui est davantage connu,
coter, saccoupler linstar du blier. Par
ailleurs, Mon belin et Ma beline furent des
interpellations daffection, douces comme la
toison, et destines autrefois aux enfants. (FEWI)
Les bouchers [de Rouen] ne pourront mettre
ni exposer en vente mouton couille appel
belin, depuis la [sainte-] Magdeleine jusqu la
Saint-Denis , enjoignait en 1487 Charles VIII,
dans une ordonnance qui rappelle au passage
combien la vie tait rythme par les ftes
religieuses, la priode vise ici allant du 22
juillet au 9 octobre. Belin, surnom du mouton
dans le Roman de Renart (XIIe sicle) et dans le
Roman de la Rose (XIIIe) est galement, au
Moyen ge, un prnom, que porte par
exemple, chez le pote anglo-normand Wace
(Le Roman de Brut, ca 1150), le fils de Donvalo,
roi lgendaire de Grande-Bretagne. Cest au
XIIe sicle aussi que sest gnralise
limposition des noms de baptme, lun des
viviers de nos patronymes. Si Jean Germain
(2007) constate le double sens blier et
sot du mot belin dans lancien franais, il
rattache surtout le nom propre Robert ou
Hubert, aprs ttage de leurs variantes
Robelin et Hubelin. Y compris pour la Bline
de Molire (Malade imaginaire, 1673), Dauzat
(1951) convoquait le seul belin-blier, source
de sobriquets, alors que le site Behind the name
tient Blina pour un succdan de Belle ou
dIsabelle. Quant ladjectif belin, relatif au
mouton , il a prcd dune centaine dannes
celui dovin, emprunt en 1278 au latin ovis
( brebis ). Bien avant le blier (terme attest
en 1412), blait donc le belin, et son blement,
BENJAMIN
Faire le benjamin, ctait pratiquer le vol au
benjamin : un type descroquerie dcrit en 1844
par le Dictionnaire complet de largot employ
dans Les mystres de Paris, ce chef duvre
dEugne Sue, paru en 1842-1843. Il sagissait
dune technique de substitution imagine par
les vendeurs la sauvette, qui, au dernier
moment, remplaaient les marchandises
prsentes lacheteur par des modles plus
petits, de moindre qualit ou en nombre rduit.
Ainsi, l o il avait pay pour un lot de six
mouchoirs, le client flou nen recevait que
quatre. Larticle dlivr tait bien le plus
riquiqui, le cadet, le benjamin de la panoplie des
arnaqueurs ; il tait tout autant leur joker, leur
chouchou, leur prfr, le mot benjamin
voquant aussi nagure un (enfant) favori :
Les examinateurs furent trs contraris de
devoir toujours porter le premier [] sur leur
liste ce Julien Sorel, qui leur tait signal
comme le benjamin de labb Pirard , lit-on
chez Stendhal (Le rouge et le noir, 1830). Dans la
Gense, Benjamin ( le fils de la main droite ,
lenfant n du bon ct ) fut la fois le
cadet, le prfr et le bton de vieillesse , du
patriarche Jacob, qui, de ses quatre pouses
successives, eut douze fils, les fondateurs des
douze tribus dIsral. (DICR, BOBA, SURP, PERM)
Les mouvements de jeunesse et les socits
sportives ont galement leurs benjamin(e)s,
dont lge va de dix douze ans. Je suis rest
les observer sous la benjamine et le grand
hunier , consignait dans un rapport de 1874 le
capitaine Touffet : ici, dans le vocabulaire de la
marine, benjamine se disait dune voile de
golette et du foc dartimon, mais pas
forcment de la plus petite pice du grement.
Au Scrabble, on entend par benjamin un mot
form par lajout de trois lettres la gauche
dun autre dj plac : ramassis est le benjamin
dassis ; lgant de gant ; bonjour de jour ; dessein de
sein ; poulaine, de laine. Un mme terme peut
avoir plusieurs benjamins : niche fait corniche et
bonniche ; bique donne arabique, iambique et
phobique. Le Franais Benjamin Hannuna,
double champion du monde (1979, 1984), a
excell dans ce coup, quon baptisa de son
prnom (Laurent Raval et Thierry Leguay, 500
21
BENOT
Populairement illustr par lexpression Le
couvent de saint Joseph, quatre pantoufles sous le lit, le
saint tat de mariage le fut aussi par Le couvent
de saint Benot, on se couche deux, on se lve trois.
On apprciera lanecdote conte par Clair
Tisseur (1894) : Un de mes oncles avait une
petite fille qui disait toujours quelle voulait se
faire religieuse. Oui ma fille, rpondait le
bonhomme, je te mettrai au couvent de saint Benot.
Cest a, Papa, ce doit tre un joli couvent ! Elle na
pas manqu dy entrer, et elle en a si bien
observ la rgle quelle a eu dix enfants. (LGCN)
BENONI
Fils de ma douleur par lhbreu dans la
Gense, Rachel meurt en couches aprs avoir
appel ainsi le fils cadet de Jacob, qui le
renommera Benjamin , Benoni a surtout t
considr comme une variante de Benot,
avec un suffixe de fantaisie auquel a aid le
Benoni biblique , commente Tisseur (1894).
Pour cet auteur, benoni a signifi dans le
Lyonnais godiche, un peu bugne, un peu
caquenano , soit maladroit, timide, bent :
Fallait-t-i que ce Joset soye Benoni ! (Il sagit du
Joseph des critures, qui rabroua la femme de
Putiphar et ses appas.) Caquenano fusionne caca
et nano ( lit denfant, dodo ). Parmi ses Vieux
mots du Lyonnais (1907), Adolphe Vachet
accueille pareillement Benoni sous le sens de
bta, imbcile , par contamination, montre-til, de Benot, lui-mme dvoy, et dont le choix
pour dsigner la pauvret desprit na t
inspir, cest manifeste, que par le voisinage de
bent . Cest navrant, se dsolait lecclsiastique :
la souche latine benedictus ( bni ) mritait un
tout autre sort. (LGCN, GGAV)
BERNARD
Sans en fournir la gense, Villatte et Bonte
(1892) renseignent lexpression argotique et
parisienne tre bon pour Bernard ou pour Cadet,
dont le sens est tre trait comme un
paillasson, une carpette , et que lon devine
destine un homme mpris et servile, plat et
rampant limage du petit tapis. (PAGV)
Avec Michel Pastoureau (Lours - Histoire dun
roi dchu, Seuil, 2007), on observera que saint
Bernard, la clbre figure cistercienne du
XIIe sicle, portait un nom quil aurait d tre le
premier fltrir, pour sa signification de fort
comme lours (germanique bern-hard), lui qui
dnona si souvent la prsence de btes fauves,
peintes ou sculptes, dans les glises
BRENGER
Le succs de Brenger dans le sud de la France
est redevable au culte du saint ponyme, moine
22
BERTHE
En Champagne, Avenay, prs dpernay,
leau de la fontaine sainte Berthe dtient
certaines proprits contre la folie depuis que,
dans un moment de dmence, la sainte est
venue y boire, relate en 1821 Collin de Plancy
dans son Dictionnaire critique des reliques et
des images miraculeuses (Guien & Cie). On sy
rendait en longues processions en guettant le
miracle, ce qui a propag lexpression vouer
sainte Berthe pour traiter quelquun de fou, le
soigner comme fou : Toute la sainte
journe, tu cours dans la plaine, quoi
fricoter ? Je te le demande : guigner aux
mouches, couter sil pleut. Ali ! Tu fais un
joli btet ! ; tu deviens fou ! Ma parole, va
23
BONDON
En lui assignant dans le premier cas une origine
anglaise et le sens d homme de la terre ,
guide-prenom.com et asiaflash.com ont inclus dans
leur panoplie ce prnom plutt bizarre, dlaiss
par behindthename.com, site encyclopdique qui
ratisse pourtant trs large et sous toutes les
latitudes. Il existe certes un saint Bondon, mais
il na offici quau bnfice de dtournements
parodiques de la pit : lexpression avoir la
maladie saint Bondon caractrisait autrefois un
homme fort gras et en bonne sant , un
malade qui on attribuait par antiphrase des
joues plates comme une boule (Oudin,
1640). En situant dans la Nivre la dvotion
envers le bienfaiteur de lembonpoint, Jacques
Merceron (2002) estime probable un
calembour convoquant le bondon, mot dj
attest au XIIe sicle pour le bouchon en bois
obturant la bonde dun tonneau. Une lettre en
moins et voici saint Bodon, authentique vque
de Toul au VIIe sicle. Avec une fte le 11
septembre, il a fait lobjet dun culte local dans
les Vosges, o la rgion de Badonvillers fut
baptise le pays des gros rois fainants par
des gens du cru, pour qui, rappelle Wikipedia,
lo gros bodon, cest le gros ventre . (CUFR, SIMF)
BONIFACE
Tantt sobriquet des bents , tantt
personne qui a bon cur , Boniface na pas
essuy partout un gal discrdit. On la promu
synonyme de dbonnaire, bonhomme ,
d homme dune extrme simplicit et dune
bont sans pareille , ce qui est plutt gratifiant,
mais on en a fait aussi un bonasse , la
bienveillance excessive et lesprit fragile.
Bounifci et bounifcio, ses pendants mridionaux,
en appellent leur tour au caractre bon enfant
et la niaiserie. Quant au port de Corse, on
laurait baptis Bonifacio pour porter chance :
le sens tymologique de bon destin , bon
augure (bonus fatum) du toponyme rejoint ainsi
celui du prnom. (FEWI, TDFM, DILI)
Lyon, par analogie entre bonne face et le nom
propre, on entendait par Boniface un individu
malicieux comme un oison , autrement dit
un candide ou un simplet, oison (petit de loie)
tant pris ici au sens ancien et figur de trs
crdule, facile mener : Comment que te
trouve ton prtindu ?, disait-on la Touainon. A
par ben dzenti, m al in grand Boniface [Il parat
bien gentil, mais a lair dun grand Boniface].
A te fera bin tot ce que to vodr [Il te fera bien
tout ce que tu voudras] (Tisseur, 1894). (LGCN)
24
BONNET
Les vitraux de la cathdrale de ClermontFerrand (Puy-de-Dme) racontent la vie dun
vque du lieu la fin du VIIe sicle et gros
bonnet de la pit populaire : en France, une
quarantaine de toponymes perptuent son
nom, qui scrivit aussi sur les registres de
baptme jusquen 1935, et qui fut mme
attribu au fminin (Bonnette) une ultime fois
en 1978. Par nature, ce saint Bonnet tait bon
(latin bonitus, diminutif de bonus), comme le
sont certains aliments ou breuvages : Ce cidre
est bonnet , applaudissaient les Normands. Sil
est aujourdhui acquis que le prlat auvergnat
na pas le moindre brin de laine en commun
avec la coiffe qui tient la tte au chaud, il nen a
pas toujours t ainsi : Le mot bonnet a une
origine curieuse. Il servit primitivement
dsigner une certaine toffe qui se fabriquait,
dit-on, dans la ville de Saint-Bonnet. Comme la
plupart des couvre-chefs taient faits de cette
toffe, ils en reurent le nom , saventurait
encore Quitard en 1842. Mais il nen est pas
moins vrai que le protecteur a t pri, par
rflexe analogique, pour la gurison des
maladies qui se propagent, lancinantes, sous le
bonnet, migraines ou nvralgies. Lorsque les
rvolutionnaires escamotrent le mot saint
prsent dans lintitul de tant de localits de
France, plusieurs bourgs et villages appels
Saint-Bonnet ont t rebaptiss Bonnet-Rouge,
ce qui concordait avec lemblmatique bonnet
phrygien. (DILC, QUIP, SIMF, NOVI)
BUCK
Nen dplaise aux lecteurs de Buck Danny, ce
prnom sest envol depuis 1982 des registres
de naissances aux tats-Unis, o il avait obtenu
en 1908 son meilleur score du XXe sicle.
Sa signification anglaise de cerf subsiste
chez les Franco-canadiens : beau buck pour un
cervid mle de forte taille et large panache ;
faire le buck, imiter lappel de lanimal afin
dattirer la femelle ; buck fever (fivre du cerf)
pour le trac et les tremblements propres au
chasseur nophyte. Mais, de faon familire,
buck sest aussi appliqu l-bas, par analogie
ou innovation smantique, lindividu,
l homme en gnral, considr dans sa
virilit ( Cest le plus beau buck du village ). Les
francophones de lOntario ont dit nagure gros
buck pour un personnage influent, nanti,
cossu : Pis y avait un htel pas loin, l, un
nomm Conry, un gros buck, ctaient rien que
des gros bucks quil recevait l. Du pauvre
monde, il en voulait pas de a, lui (Sturgeon
Falls, 1959, in Germain Lemieux, Les vieux
mont cont, 1976). (BDLP)
BRIAN
loccasion dun sondage largement diffus en
Belgique en 2014 et rvlant que le
harclement lcole touchait un lve sur
trois, Bruno Humbeeck, charg de recherche
la facult de Psychologie et des Sciences de
lducation de lUniversit de Mons, appelait
gnriquement Brian lenfant prsentant le
profil typique du harcel : issu dun milieu
dfavoris, ce souffre-douleur a trs peu de
mots sa disposition et est soumis la violence
25
C
CALVIN
surtout dune danse de la Jamaque et dune
musique antillaise, sur des mlodies
popularises en 1955 par le chanteur Harry
Belafonte, roi de la calypso le mot fut
fminin jusquen 1960. Plus feutr que ces
rythmes enttants puisquil fendait les flots du
Monde du silence (film de 1955), le Calypso du
commandant Cousteau tait un dragueur
amricain de 1942, ramnag pour
lexploration sous-marine. Lui aussi fut baptis
de la sorte en rfrence lhomrique nymphe
de la mer. Pour les puristes, lorsquun bateau
porte un nom propre fminin, larticle se met
au masculin si le genre du bateau lui-mme est
masculin (le Lorraine, cuirass ; le Libert,
paquebot), et cest donc improprement que
lon a parl de la Calypso pour un navire
ocanographique. En revanche, larticle sera
fminin si le bateau lest : la Denise, une
pniche ; la Victorieuse, une frgate, etc. (Andr
Jouette, Dictionnaire de lorthographe, Nathan,
1989). (PAGV, BEHI, TLFI)
CAMILLE
Pour rpondre aux mdias, quils napprcient
gure, ils ont choisi le prnom de Camille, qui a
lavantage de coller aussi bien pour les filles
que pour les garons. Jeunes en rupture,
utopistes ou paysans, ces militants, apparus en
France en 2014, sont des zadistes, nologisme
n de lacronyme ZAD, pour Zones
dfendre (et entr au Robert et au Larousse
2016). Luttant contre des politiques quils
estiment
purement
productivistes
et
liberticides, ils occupent le terrain face aux
grands projets damnagement du territoire
dans les arrire-pays ruraux, prcisment l o
certains taient venus se rfugier (Dans
lcosystme zadiste, journal Libration, 31 octobre
2014). On les a vus se dployer en Bretagne,
sur le site de Notre-Dame-des-Landes vou
la construction dun aroport, puis Sivens
(Tarn), manifestant contre le projet de barrage.
Cest l que, le 26 octobre, lun des leurs fut tu
sur le coup par la grenade offensive dun
gendarme. Il faut faire renatre la vie dans cet
endroit de mort, dit un Camille foulard (ici tout
CALYPSO
Inusit jusquen 1986 en France, Calypso y fut
dvolu quatre cents fois au cours des quinze
annes suivantes. Lorgnant subitement sur
la mythologie grecque, largot parisien du
XIXe sicle a adopt de faon passagre
lexpression faire sa Calypso ( tre manir,
prtentieux, se donner des airs importants ).
Selon Villatte et Bonte (1892), elle sest dite
tant pour des hommes que pour des femmes.
Dans LOdysse, la nymphe de ce nom, qui se
traduit par celle qui cache, dissimule , retint
pendant sept ans sur son le le naufrag Ulysse,
dont elle tait prise, avant de le librer sur
lordre de Zeus. Cest elle qui deviendra
lponyme dune orchide (Calypso bulbosa), et
26
CANDY
propos dune jeune femme qui, de son plein
gr, avait pris part au tournage dun film X
avant de dnoncer dans les mdias le
traitement violent et dgradant subi cette
occasion, le forum de Sudpresse (23 mai 2015)
publiait cette raction dun lecteur :
Lorsquon se lance dans ce genre daventure,
on ne vient pas ensuite faire publiquement la
Candy. Je ne suis pas une candy, mais je suis
assez intelligente pour saisir le sens du mot
respect , tmoignait pour sa part, dix ans plus
tt, une internaute (ravebook.com, 9 dcembre
2005). Sous limpulsion phontique et
tymologique de sa souche latine (candidus,
dun blanc pur ; par extension, candide,
innocent, naf ), une Candy apparat ainsi
comme une fausse prude, une vraie godiche,
une oiselle qui joue les vierges effarouches et
fait mine de sindigner des vices et vicissitudes
de la vraie vie . On peut y voir aussi une
allusion lingnuit de Candy, ponyme du
dessin anim japonais de longue haleine (115
pisodes) diffus par Antenne 2 partir de
1978.
Par ailleurs, dans le jargon des drogus, candy a
identifi, selon les cas, une dose de
barbituriques ou de cocane, et candyman le
fournisseur de ces substances. Cet emploi est
rapprocher de la friandise homonyme, achete
dans un candy-bar ou un candy-shop : ces
anglicismes sont en perte de vitesse au Qubec,
mais y baguenaudent nouveau, de mme
quen France, grce au jeu vido Candy Crush
o lon crase des bonbons sur plus de 1 500
niveaux (en 2015). Pour sa forme, sa couleur et
ses rayures qui rappellent leur tour les btons
de sucreries bout coud, on dsigne
familirement par candy cane un serpent, du type
serpent des bls (Pantherophis guttattus). (DISS)
Si le nom de la friandise a pu encourager aux
tats-Unis le choix du prnom, celui-ci le fut
aussi par le diminutif port en 1942 par
CATHERINE
Ce fminin sest aussi dvoy en caturine pour
conspuer une femme aux murs dissolues
(Henri Cormeau, Essai dune phontique du BasAnjou, Crs, 1922). En Wallonie, mme
phnomne, par aphrse, avec trne : fille
publique Verviers, mais simplement
fillette Malmedy. Quand elle ne se
confondait pas avec la clibataire prenant de
lge, et par pieuse rfrence la bienfaitrice
des cousettes, la catherinette ntait quune
modeste couturire dans lYonne, mais elle
nchappait pas la vilaine connotation en
Touraine : sainte nitouche, hypocrite qui fait
ses affaires au dtriment des autres ,
dprciation galement de mise en Languedoc
avec catarin et catarinot, employs pour
fourbe . (FEWI)
Catau, dont la premire pjoration date de
1660, a march, souvent la trane, sur les
traces de catin pour fustiger la femme la vertu
quivoque. Dans le Dauphin, une catau fut
aussi une jument. (TDFM)
Catin, dabord appellatif affectueux adress
une fille de la campagne , est dj
sporadiquement attest comme terme de
mpris ds 1538, soit par usure prmature de
ce diminutif, soit par drision ou offense
envers la patronne des jeunes filles, soit par
extension de ses autres sens, ceux de
pansement et de poupe catiner, cest
aujourdhui encore, au Qubec, jouer la
poupe, cliner. En Sologne, encatiner revenait
placer un pansement (sur le doigt, il voque la
27
CCILE
George Kenneth (1993) classe parmi les
prnoms euphmiques les fminins employs,
suivant le modle anglais, pour dsigner la
cocane. Ccile est de ceux-l, avec Corinne et
Caroline, alors quHlne se substitue
lhrone dans le tour dallure innocente aller
chercher Hlne ( sapprovisionner ). Les
drogus, mal accepts par la socit
traditionnelle, adoptent par contrecoup des
formes non classiques , argumente lauteur.
Selon lui, le recours de largot aux mots jules,
thomas ou colin pour le pot de chambre
tmoignerait du mme artifice lexical. Ce
28
CLAUDE
Claude, dfini par imbcile (Dictionnaire de
Trvoux, 1771), aura durablement dferl dans
les patois pour y vilipender le lourdaud,
ltourdi, le balourd un peu toqu, voire le
cocu, le tout sous maintes variantes, dont glaude
(jadis en usage mme Paris) ; diaudiche,
daudiche, didiche (Meuse) ; didch (Lorraine) ;
diaude, iaude, yaude, liaude (Lyon) ; cludi et gludi
plus au Sud. (FEWI)
Glaudo, un pendant fminin (Claudine), fut
reint dans le Dauphin, o une grosso glaudo
29
D
DAVID
En Bretagne, autour de Redon, la charrette ou
la brouette de la mort tait appele le chariot
David. [Il] passe, la nuit, dans les rues du
village, et fait trembler ou se blottir sous la
couverture de leur lit ceux qui lentendent.
Lessieu frottant contre les roues non graisses
produit un bruit qui annonce la mort dun
chrtien. Signons-nous ! (Orain, 1897). La
course du chariot David, ou char du roi David,
sinscrivait dans le sillage des chasses
fantastiques, ces quipages nocturnes qui
semaient leffroi (cf. chasse du roi Arthur). David
est ici le roi biblique, que Dieu leva au ciel en
plaant son char parmi les toiles brillantes de
la Grande Ourse (Sbillot, 1904). Lorsquil
revient sur terre, la croyance la associ la
mort : dans le Midi, son char est celui des mes
(lou carris dis amo). Lastronomie populaire a
retenu son nom dans un dicton : Rose de mai,
grsil de mars et pluie davril / Valent mieux que le
chariot David (Calendrier des bons laboureurs,
1618). (AOVM, SCRO)
DENIS
Dans Laffaire Champignon (1899), un des
Tribunaux comiques de Courteline, Champignon
dclare maintenir sa plainte contre sa femme :
elle la dshonor, dit-il au juge, au point de
ne plus pouvoir passer sous la porte SaintDenis, ni mme sous larche de No . Ce mari
tromp sempanachait donc des cornes
symboliques surdimensionnes, ou, sous leffet
dune autre mtaphore, dun panache de cerf
la ramure considrable, puisque larcade de
ladite porte parisienne culmine plus de
quinze mtres du sol. Une version dulcore
compltait lexpression ne pas pouvoir passer sous
la porte Saint-Denis par ou ny pouvoir passer sans
se baisser . Arc de triomphe lev en 1672 la
gloire de Louis XIV, ce monument avait t
DIANE
Au moment de justifier lemploi passager de ce
fminin pour accabler une femme de
mauvaises murs , von Wartburg hasarde un
lien avec la troublante Diane de Poitiers.
Mais on pourrait aussi invoquer la desse
antique de la chasse, qui avait du chien, et dont
le nom, comme la rappel Jean Haust, a
frquemment t attribu des chiens,
animaux trs prsents dans son iconographie.
Si avoir du chien implique du charme, de lattrait,
les mots chien et chienne ont revtu ds lancien
franais un sens figur fortement pjoratif,
appliqu un homme, ou, au fminin, une
femme, avec une rfrence de rprobation
sexuelle (Alain Rey, 1992). (FEWI, DIHL)
30
E
LONORE
Comme on connat ses seins, lonore : une
trouvaille de Frdric Dard, alias San-Antonio,
qui titrera dune expression plus authentique,
Comme les cheveux dlonore, le chapitre VII de
Tu vas trinquer (Fleuve noir, 1958), avec ce
dveloppement : Ces truands amricains,
cest comme les cheveux dlonore : quand y
en a plus, y en a encore (air connu, vieux
refrain de chez nous. En vente dans toutes les
bonnes pharmacies). On se borne volontiers
la seconde partie de la formule (Quand y en a
plus, y en a encore), sans nul gard pour
llonore qui lui ouvre pourtant la rime. Le
sens est rien ne se tarit , tout arrive
profusion , et souvent ce qui agace : les
taupinires dans le jardin, les averses rptes,
les taxes, le plat quon vous ressert doffice
copieusement et que vous dtestez. La
tournure complte, qui manerait dun adage
provenal, est ancienne. De la barbe des Poilus,
on assurait ainsi en 1915 quelle tait comme
les cheveux dlonore : quand il ny en a plus
il y en a encore . Auteurs en 2008 dun
Dictionnaire des expressions quotidiennes
intitul On va le dire comme a (Balland), les
linguistes et lexicographes Charles Bernet et
Pierre Rzeau ont rcidiv en 2010 en
baptisant prcisment leur nouveau recueil
Cest comme les cheveux dlonore. Dans le Journal
du dimanche (6 novembre 2010), Bernard Pivot,
en saluant louvrage, a pingl la variante moins
courue Cest comme les ttons dlonore, o la
profusion voque peut ntre pas dplaisante.
Pour ltymologie du prnom, il y a de quoi
sarracher les cheveux : on la apparent Lon
et Hlne, et on la aussi fourr sous larabe el
nour ( la lumire ), voire sous ladjectif latin
lenis ( calme, lnifiant ). (CALB, BOBA)
LISABETH
En France aussi, les abrviatifs familiers
dlisabeth et dIsabeau se sont dprcis :
zobyat pour niaise, sotte en Moselle, babeau
pour femme de mauvaise vie Grenoble.
Liste fut un nom souvent attribu aux
juments en Normandie (Joret, 1881). Quant au
31
EUGNE
Dans son Poilu tel quil se parle (1919), Gaston
Esnault signale quEugne, prononc Ugne, a
t dvolu par certains troupiers aux feuilles.
Il date cette trouvaille de septembre 1916, et
lillustre dun bref exemple extrait dun journal
du front : Le poste dcoute quest au bout
dUgne. (PTQP)
32
F
FLIX
Flicien. Voici un prnom aux lointains
relents hrtiques : le flicien adhrait la
thse, dveloppe par lvque espagnol Flix
dUrgel (750-818), suivant laquelle le Christ
ntait que le fils adoptif de Dieu. Cette thorie
sacrilge fut condamne par le concile de
Francfort (794), qui dposa le prlat. Il y avait
de quoi en faire tout un fromage. En France,
deux fromages sappellent saint-flicien : lun
tire son nom du village de Saint-Flicien
(Ardche), o sont conserves les reliques dun
martyr du IIIe sicle ; lautre est fabriqu dans le
Dauphin. Tous deux prsentent une pte
onctueuse et une crote fleurie, linstar de
leur pieux cousin le saint-marcellin.
FRANOIS
Pour dobscures raisons, la langue verte a jadis
dsign par franois la chane servant attacher
les forats, de mme que les menottes passes
aux poignets des dtenus. (BOBA)
Fanfan. Chico, diminutif de Francesco,
correspond en franais Fanfan, sort partag
aussi loccasion par Tchantchs, ce petit
Franois du wallon ligeois. Dans les Antilles
franaises, le prnom chef de file, prononc
Fanswa, fonde le mme abrviatif Fanfan
(Raphal Confiant, Dictionnaire du crole
martiniquais, 2007). Mais cest dans le Jura que
celui-ci a subi lacception fcheuse de niais
(Patois de Chaussin, 1899). Dans Fanfan la
Tulipe, le nom nimplique cependant quune
vieille flexion (XVIe sicle) du mot enfant, la
seule dailleurs quait retenue la postrit, la
faveur, notamment, de la chanson de 1819 (En
avant, Fanfan la Tulipe !) et du film de ChristianJacque (1952). Grard Philippe y incarnait le
hros, enfant terrible, troupier courageux et
galant, volant au secours de la Pompadour,
dont il reoit une broche en forme de tulipe,
source de son sobriquet. Le Dictionnaire de
Trvoux (1771) dfinissait fanfan par terme
familier dont les pres & les maris se servent
pour caresser leurs femmes & leurs enfants. Les
femmes & les mres sen servent aussi lgard
de leurs enfants et de leurs maris. On a vu des
33
FRDRIC
Frdric semploie pour Franais moyen
parmi les jeunes revendeurs de drogue exerant
dans les halls dimmeubles des quartiers Nord
de Marseille : tonnamment, ils rvent de
devenir des Frdric, comme ils disent ,
explique lauteur du reportage Marseille, la ville
qui mange ses enfants (magazine Complment
denqute, France 2, le 3 octobre 2013). Quand
je vois des Frdric sur les chantiers, ils sont
chefs dquipe ou quoi, je ne vous mens pas, je
les envie. Un Frdric chef dquipe, il peut
faire des crdits, il dort bien ! , confiait lun de
ces dealers.
FULCRAN
Avant 1914, Lodve (Hrault), un usage
familial tait de prnommer Fulcran les fils
ans, par pit envers le saint vque
homonyme, enfant du pays et btisseur de la
cathdrale romane de la ville (Collectif, Lodve
pas pas au fil des ans, 2000). La relative
abondance du nom en Languedoc a pu jouer
en dfaveur de celui-ci, comme ce fut le cas
pour tant dautres trop distribus : par ses
variantes foucaran, floucaran, froucan, froucand, on a
point du doigt, non pas un niais une fois
nest pas coutume , mais un homme sans
grce, dgingand, ainsi quun caractre
emport et querelleur. (TDFM)
Foucaran est dfini par batailleur dans le
Dictionnaire franais-occitanien de Louis Piat
(Montpellier, 1893), et ce sens mme pourrait
apporter un nouvel clairage aux mcomptes
encourus, travers un vnement dont la
dpouille du saint fit les frais en 1573.
Particulirement belliqueux et vindicatifs furent
en effet les soldats protestants qui investirent
cette anne-l la cathdrale. Y reposait le prlat,
si bien conserv depuis sa mort en 1006 quil
animait le tour proverbial tre en chair et en os
comme saint Fulcran de Lodve pour tre intact,
inaltrable . Les hrtiques va-t-en-guerre
profanrent sa spulture et, en criant Sen
Froucan, fay d miracles ! , mirent au dfi le corps
momifi de prouver ses talents surnaturels.
Dans son loge des vques (1665), Antoine
Godeau rapporte qu cet instant le cadavre se
releva par trois fois, mais ce prodige ne
dcouragea pas les blasphmateurs : ils lui
attachrent une corde au cou, le lacrrent de
leurs pes, entreprirent de lincendier et le
promenrent dans les rues avant de le
dmembrer et de le cder un boucher pour le
mettre en vente comme lon dbiterait le buf
gras du carnaval. En dfinitive, les restes ne
furent pas consomms, mais prcipits la
rivire, o de bonnes mes les recueillirent
pour les replacer dans le saint lieu, o, depuis
1834, un tableau rappelle la scne des offenses
de 1573. Ne peut-on conjecturer que, sous
.
FULBERT
Toute pjoration cheville un prnom a pu se
produire gratuitement, sans raison dcelable :
cest lavis qumet von Wartburg propos de
Fulbert et de ses vieilles formes Foubert et
Faubert, synonymes, au XIIe sicle dj, de
lourdaud, dupe, rustre, malotru . Rcuse
donc linfluence du chanoine Fulbert, le perfide
castrateur dAblard, tandis que la dprciation
par fou interpos ne convainc gure, car ce
mot se disait autrefois fol. Klbel (1907)
penchait nanmoins pour une contamination
possible de fou par lancien franais faus ( faux,
destin tromper ). Ce saut smantique
sobserverait travers les patois, avec, dans
lAveyron, fouberto ( mensonge ), et, dans
lYonne, fuberter ( tricher ), afauberti ou
afouberto ( ahuri, affol, perverti ). A t mis
contribution son tour le lourd balai de marine
fait de cordages de remploi, qui rpond luimme au nom de faubert : dans son essai sur
Julien Green (Descle de Brouwer, 1969),
Jacques Petit fait valoir que ce terme de faubert
provient du foubert du bord, en lespce, dit-il, le
bent affect aux corves du pont. Hypothse
balaye elle aussi, au profit dun emprunt au
verbe nerlandais zwabber ( nettoyer ), auquel
ne souscrivent dailleurs pas tous les
tymologistes, certains voyant dans le nom de
lustensile une marque de fabrique ce qui
surprend, ses matriaux tant par nature
rcuprs. Quant au passage du faubert-balai
aux fauberts-favoris, il soulve fort peu de
difficults : Dans le langage du matelot, les
favoris sont appels fauberts, par assimilation
aux balais de vieux cordages utiliss (Neptunia,
1980). Par extension, largot a recouru porteur
34
35
G
GASPARD
Sil a dsign argotiquement le rat et le chat
vers 1850, Gaspard en a fait tout autant avec le
bourreau. Pour Lazare Sainan (Le langage
parisien au XIXe sicle, 1920), ce tir group se
justifiait par lanalogie de couleur : noir est le
rat, noir le chat de sinistre prsage, noire la
cagoule du bourreau, noir enfin le mage
africain des anciennes processions de
lpiphanie. Celui-ci, aujourdhui plus souvent
identifi par Balthazar, rpondait en beaucoup
dendroits au nom de Gaspard, Kaspar en
Allemagne, o la cathdrale de Cologne,
dtentrice de la chsse des trois rois depuis le
XIIe sicle, a largement contribu leur culte.
Jusque dans les Cvennes, Alais (dsormais
Als), lexcuteur des hautes uvres sappelait
Gaspard. Dans le Var, on entendait par bando
de Gaspard un groupe de brigands : allusion au
bandit Gaspard de Besso (natif de Besse, prs
de Brignoles), supplici Aix en 1776. (TDFM)
Dans son Glossaire des gones (1907), labb
Vachet sattardait sur les expressions lyonnaises
faire connaissance avec Gaspard et passer la nuit avec
Gaspard, pour tre envoy la cave, aller en
prison . Les caves de lhtel de ville, crivaitil, nont pas seulement enferm des vauriens et
des vagabonds. Plus dun honnte bourgeois,
plus dun homme des meilleures familles de
notre ville, y a pass, pendant la Rvolution, de
longues nuits de tristesse, gayes par Gaspard.
Qutait-ce que Gaspard ? Ctait un des
nombreux rats qui sengraissaient des reliefs
des prisonniers. Il tait plus familier que les
autres et stait fait remarquer par des traits de
gentillesse qui amusaient et lavaient rendu
populaire. Ds lors, Gaspard, la cave, la prison,
furent synonymes. Lauteur reproduisait la
Ballade de Gaspard, doyen des rats de cave
de lhtel de ville , dont voici les deux
dernires des douze strophes : Sous lisolement
je succombe / Bientt Lyon me pleurera / Mais
jespre quon inscrira / Cette pitaphe sur ma
tombe : / Ci-gt Gaspard ! Il fut lami, / Le
compagnon de maint ivrogne / Et bien souvent sur une
trogne / Doucement il sest endormi. Un autre
trait laudatif soutenait : La cave si longtemps par
lui fut amuse / Quon et d lempailler et le mettre
GENEVIVE
Ginette. Le sens d homosexuel pris par ce
diminutif a t relev par Claude Courouve
dans cet extrait du Journal 1995 de Renaud
Camus (Fayard, 2000) : Heures au London,
affreuse nouvelle bote pleine de moustachus
latins effmines, de la tendance quil tait
convenu jadis dappeler ginette. (DHMC)
GEOFFROY
Cest Geoffroy la grande dent ! , se plaisait-on
dire de celui dont une dent avance plus que
les autres (Antoine Caillot, Nouveau
dictionnaire proverbial, satirique et burlesque,
Dauvin, 1829). Cette incisive ou cette canine
protubrante fut le trait physique dominant
dun gant redoutable, Geoffroy II de
Lusignan, n la fin du XIIe sicle et identifi
en 1392 par Jean dArras, dans son Roman de
Mlusine, comme lun des dix fils de cette fe
fabuleuse. Michel Ragon (LAccent de ma mre,
Albin Michel, 1980) le prsente comme un
ogre, affubl dune dent de sanglier qui lui fait
un visage pouvantable . Le pre de cet auteur
aimait raconter aux enfants que Geoffroy se
gavait de champignons vnneux sans tre
incommod, que son arme ramassait dans les
champs des bufs comme on rcolte des
escargots et quil buvait du vin mme la
GERBOLD
manant du germanique gari-bald ( lance
courageuse ) et dvolu dose homopathique,
essentiellement en Normandie, ce masculin
garde mmoire dun vque du Calvados, tabli
Bayeux o il na pas fait tapisserie. Vivant au
VIIe sicle, le saint homme fut promu en effet
patron des diarrhiques sous le nom altr de
Garbot. Il dcore ce titre La farce de Matre
Pathelin (XVe), o, dans un jargon normand qui
rpugne peu la scatologie, Pathelin sexclame,
ladresse du drapier venu le relancer :
Les play Dieu ! / Quesse qui sataque / A men
cul ? Esse ou une vaque / Une mousque, ou ung
escarbot ? / B dea ! Jai le mau Sainct-Garbot /
Suis-je des foureux de Baieux ? (Soit : Par
les plaies de Dieu ! Quest ce qui sattache [ou
sattaque] / mon cul ? Est-ce un bousier [ou une
37
GERMAINE
Germaine (gre & mne) mritait vraiment son
nom. Toute sa vie elle avait fait chier Andr,
dcidant de tout, criant aprs lui sans arrt, se
mlant de ses affaires, bref une vraie de vraie
Germaine (Alloforum, 2014). Par dissection du
prnom, au Qubec mais aussi sur le vieux
continent, une Germaine est ainsi une femme
qui gre et qui mne, distribue ses ordres, ne se
laisse jamais marcher sur les pieds et a tout de
lenquiquineuse : Ne fais pas ta Germaine !, lance38
GRGOIRE
Ce prnom fut lun des innombrables
masculins associs la stupidit, son abrviatif
Grgo semployant dans le Jura bernois pour
nigaud . Selon la revue Les dialectes belgoromans (janvier-juin 1965), Grgoire se disait
jadis Grigou en divers endroits du Hainaut
(Chapelle-lez-Herlaimont, Morlanwelz et La
Hestre), et quelques interprtations expditives
lui rattachrent mme le terme homonyme
(grigou, avare ). En fait, celui-ci provient du
mot grec via son driv gascon gregoun, qui,
dans le sud de la France, o les colons grecs
neurent pas bonne presse, avait pris le sens de
filou, gredin . Dans Les Paysans (1844),
Balzac baptise Grgoire Rigou lusurier ; linitiale
du prnom accole au patronyme (G. Rigou)
attisait les lourdes plaisanteries de son
entourage. (DIHL)
Seul vrai patron des coliers, saint Grgoire est
encore ft ce titre dans quelques villages de
Wallonie. Ce nest que sous leffet de la
rengaine grand saint Nicolas, patron des coliers
quon lui a peu peu substitu saint Nicolas,
en charge jusque-l des enfants sages en
gnral. Dans tout le pays wallon, saint
Grgoire est appel le patron des coliers ,
constatait Monseur (1892). Le 12 mars, jour de
sa fte, les lves de Hesbaye enfermaient leur
instituteur dans sa classe et chantaient mais
pas en grgorien, ce plain-chant dont leur papal
bienfaiteur passe tort pour linventeur : Sin
Grgor / Patron d skol / Din no on djo
dkondji ! ( Donnez-nous un jour de cong ).
La Roche, ils partageaient avec leur matre une
bouillie faite dufs, de farine et de lait, le
matrou. (FOWM)
GUILLAUME
Emptr par son tiquette de demeur
ds la Farce de Matre Pathelin (XVe sicle),
Guillaume nommera souvent limbcile, le
cocu ou le valet lourdaud dans les comdies
des deux sicles suivants, alors quau XVIIe
encore, associ au supplici par rfrence au
bourreau Jean Guillaume, il le sera aussi la
corde du pendu elle-mme. Mais au XXe
surgiront des pjorations dun autre ordre, nes
de la tentation, parmi les Poilus de 14-18,
de ridiculiser
lempereur
dAllemagne
Guillaume II : aller chez Guillaume ( dfquer ) ;
sasseoir sur le trne Guillaume (idem) ; du
guillaume ( du papier pour se torcher en cette
circonstance ). Outre les pices allemandes de
vingt marks, les grenades main des tranches,
de mme que les sous-marins du Kaiser furent
GONTRAN
Oppos lcolier harcel quest le Brian,
lenfant harceleur a t tiquet Gontran : il
dveloppe une fluidit verbale importante et
est capable de casser les autres rien quavec
des mots . Socialement typs, les deux
prnoms sont apparus sous ces sens
caricaturaux en 2014, lors de la publication
dun sondage rvlant que le harclement
scolaire touchait un lve sur trois, tude
commente par Bruno Humbeeck (Universit
de Mons). Venu du germano-scandinave gundhramm ( guerre-corbeau ), Gontran a conquis
en priorit la bonne socit, sans jamais
dpasser une moyenne de vingt dvolutions
annuelles dans la France du sicle dernier. (HBSB)
39
GUSTAVE
Comit Gustave, comit Thodule, comit Hippolyte :
ainsi, dans cet ordre ternaire qui lui tait cher
(cf. La hargne, la rogne et la grogne , 1961), le
gnral de Gaulle avait-il donc aimablement
baptis en 1963 les commissions sans vritable
utilit pour le peuple franais. Un demi-sicle
plus tard, une flope de ces structures
prolifraient encore. Si, au cours de lanne
2013, quelque 128 dentre elles ont t
supprimes (dont le Comit de lutte contre la
grippe et lObservatoire des distorsions), vingtdeux nouvelles se sont cres depuis 2012 et
llection de Franois Hollande (Conseil
40
H
HARALD
Aprs Geoffroy la grande dent, voici Harald
la dent bleue, distrait pour le bon motif de sa
Scandinavie native et mdivale et plong dans
notre XXIe sicle informatis. Ce roi du
Danemark (910-986) sappelait dans son pays
Harald Bltand, en anglais Harald Bluetooth
(Dent bleue), et cest bien son surnom qui, en
1996, a t choisi par des ingnieurs aviss au
moment de baptiser un systme permettant
aux tlphones portables de communiquer
avec des ordinateurs. De la mme manire que
le souverain danois avait unifi les tribus
disparates de son royaume auquel il intgra la
Norvge, le systme Bluetooth unit dsormais
entre eux les appareils les plus divers, pour le
transfert ou lchange de leurs donnes. Le
logo de ce procd entremle dailleurs, en
caractres runiques et en bleu, les initiales H et
B, enseigne Wikipedia. Chez les Vikings, lit-on
encore, les notables limaient et coloraient en
bleu leurs dents noircies par les caries, mais,
pour Harald, cette teinte pourrait aussi
provenir dun penchant marqu pour la
consommation de myrtilles. Quant au prnom
lui-mme, il signifie chef darme . Un de ses
clbres titulaires au XXe sicle fut Harald
Jger, le garde-frontire de Berlin-Est, qui, le
premier, laissa sengouffrer vers lOuest la
foule de ses compatriotes, lors de la chute du
Mur, le 9 novembre 1989. (BEHI)
HENRI
Les croquemorts aussi ont leur jargon, et il leur
est arriv dattribuer au Christ ou au crucifix le
sobriquet de Henri, daprs le titulus (sigle) INRI
figurant sur la croix (pour Iesus Nazarenus Rex
Iudorum, soit Jsus le Nazaren, roi des Juifs). Cet
usage a t rappel par George Kenneth, dans
sa communication sur Les prnoms franais dans
les dictionnaires dargot, au congrs Onomastique et
Lexicographie - Donomastique, tenu Trves en
1993. (KGDT)
En Suisse romande, un Henri qui a rellement
vcu aurait laiss au diminutif local de son
prnom, anty, le sens d homme extravagant .
Sorcier qui attire les enfants dans le puits o il
HRODE
Chez les Poitevins, un harode, daprs Hrode,
le roi meurtrier de saint Jean-Baptiste, sest
dit par analogie dun homme dur, mchant ou
cruel. Quant au verbe haroder ( maltraiter,
malmener ), il stait aussi tabli dans le
Morvan et en Saintonge (Abb Lalanne,
Glossaire du patois poitevin, Poitiers, 1868).
HIPPOLYTE
Pipo. As-tu connu Pipo quand il tait militaire ?
As-tu connu Pipo quand il tait matelot ? Non, ce
nest pas du pipeau : depuis le dernier tiers du
41
XIXe
HYACINTHE
Selon le Glossaire franco-parisien de louvrage
rcratif Paris vol de canard (1857), on entend
ironiquement par Hyacinthe lartiste qui, sans
avoir jamais touch un piano, est possesseur
dun rard . Artiste doit se prendre au second
degr : il vise le bourgeois, propritaire de
linstrument comme dun beau meuble ,
signe extrieur de richesse. Lrard, clbre
piano droit puis queue, le plus prestigieux de
son temps, tire son nom du patronyme de ses
facteurs, deux frres puis leur neveu, de 1770
et 1855. Eugne Furpille, lauteur du livre, ne
sexprime pas sur le choix du prnom. Un
Hyacinthe jouant les Crsus ? Hyacinthe Jadin,
mort en 1800 24 ans, virtuose du clavier et
compositeur ? Faut-il remonter la mythologie
grecque ? Hyacinthe, courtis par Apollon, y
fut involontairement tu par le dieu solaire,
dont le disque avait t dvi avec perfidie par
le dieu des vents Zphyr, trs jaloux. Le sang
du malheureux se transforma en fleur, la
jacinthe, autrefois crite hyacinthe et plante au 9
floral du calendrier rvolutionnaire le nom
commun est dsormais rserv une pierre
prcieuse jaune rougetre et une toffe de
mme couleur. En Normandie, un des saints
patrons, un dominicain du XIIIe sicle, fut
invoqu pour la fcondit, avec cette chaude
recommandation : Si tu veux devenir enceinte /
Va ten prier saint Hyacinthe. Le prnom est
mixte, avec une nette prfrence masculine :
environ 1 100 garons pour 500 filles en
France pendant le sicle coul. (SIMF)
HUBERT
Incertaine demeure lorigine de lexpression
avoir vu Hubert (pour tre pris de boisson ),
encore dment consigne en 1978 par Horst
Steinmetz dans Galloromanische bezeichungen fr
betrunken / sich
betrinken,
trunkenheit,
trunkenbold (Dsignations galloromanes pour
ivre / senivrer, ivresse, ivrogne, Bonn). On a
dit aussi voir Hubert, linfinitif prsent. Von
Wartburg nexclut pas que ledit Hubert ait t
le tenancier ou le propritaire dune auberge,
encore quil puisse sagir du saint bienfaiteur
des chasseurs, loccasion de libations faites
par ceux-ci en son honneur. Mons, le pain
dSaint-Hubert tait une tartine de pain sec, sans
beurre, limage du pain bni par le prtre
en la fte patronale (le 3 novembre). On
consommait jadis ce quignon jeun, aprs
rcitation de trois ou cinq Pater ou Ave, et en
prenant soin den donner un morceau son
chien pour le prserver lui aussi de la rage. Au
pays de Lige, le jour de la Saint-Hubert ou la
veille au soir, on bourinait (tambourinait aux
42
IJK
INNOCENT
La musique de saint Innocent [est] la plus grande
piti du monde : dans sa comdie Le pdant jou
(1654), Savinien Cyrano de Bergerac souscrit
un proverbe de son poque, dcrtant que La
musique de saint Innocent [ou des Saints-Innocents]
fait piti qui lentend . Discordante, criarde ou
triviale, elle corche les oreilles. Ceux qui la
jouaient dans cette paroisse parisienne taient
de mdiocres excutants, glosera au sicle
suivant le Dictionnaire de Trvoux. clairage
trop sommaire pour Georges Kastner (1886),
qui lui prfre trois autres hypothses : les
gmissements dchirants des bambins sacrifis
sur lordre dHrode ; le caractre extravagant,
dans certains diocses et couvents, de la
clbration de la fte du 28 dcembre (
Antibes, les hymnes taient remplacs par des
chuchotements confus et des cris violents
accompagns de contorsions), et, enfin, les
sonorits dsagrables des mntriers qui se
produisaient au XVe sicle sous les arceaux des
charniers du cimetire des Innocents. (KAPA)
(Glossaire des
terroirs mauges), en
mentionnant dans la foule le Jacques dAil,
sous linvocation de qui on rangeait les niais et
les point-fins (sic) Jacques dAil
reprsentant une corruption du jacquedal,
homme naf dont la femme fait la rise .
Dans le Nord et le Pas-de-Calais, le Jacques la
tarte tait un placide ou un gourmand, amateur
de bons morceaux, et le biau Jacques un mal
bti, contrefait, mal habill , par antiphrase.
Quant Jacques Goudron, moins rudoy, il a
dsign de faon gnrique ou collective le
marin outre-Manche : Mais les choses ne se
passaient pas comme en Angleterre o Jacques
Goudron (ainsi quon surnomme nos
matelots), avec toute limportance dun matre
de maison, invite les dames prendre place et
contemple son aise leurs jolis minois (Jules
Belin de Launay, Les sources du Nil, Hachette,
1868). (BOBA, GVYD, JRSR, PBCN, CJPE)
Ct cuisine et chez Oudin (1640), le jacques
tait une pice de rosty qui a traisn
longtemps la broche, qui est dure et vieille
cuitte . On la destinait, parat-il, aux plerins
de Compostelle, pas trop regardants. Il existe
toutefois un rapport moins indigeste entre
saint Jacques et la rtisserie : Paris, lhpital
Saint-Jacques aux plerins, cr en 1319,
arborait sur son portail une statue de laptre,
au regard braqu sur la rue aux Ours, o se
concentraient la plupart des tourneurs de
broche et manieurs de gril de la ville, dont les
clients mangeaient sur place. Dun bfreur
patent, on proclamait : Il est comme saint
Jacques de lHospital : il a le nez tourn la
friandise (la friandise tant alors ce qui allche
et rend friand). Au rayon des desserts,
retenons, vers 1750 Paris, le jacque-sanguin,
fromage frais et mou, ml et ptri avec des
fraises . Le fromage bourguignon sappelait
jacque, et sanguin en exprime laspect lorsquon
le mlange avec des fruits rouges. Par
mtaphore, mettre un visage au jacque sanguin
revenait le mettre en compote : Je
commencerais par taccommoder la figure
comme du jacque sanguin (Vad, Les
JACQUES
Dadais, naf, humili, bent, dupe, faiseur
dembarras : Jacques aura t copieusement
accabl entre les XIVe et XXe sicles, avec un bel
ventail de nuances smantiques : fier,
fanfaron (do faire le Jacques) ; dconcert,
attrap ( Mons) ; bonasse (djque
Verviers) ; conscrit (en Saintonge) ; cul,
postrieur (dans largot militaire, en Suisse
romande et en Franche-Comt). Sa disgrce
sest aussi installe dans le blasonnement
populaire, comme Botz-en-Mauges (entre
Nantes et Angers) : Jadis, on surnommait
Jacques les imbciles et les simplets, rappelle
Pierre-Louis Augereau (Les secrets des noms de
communes et lieux-dits du Maine-et-Loire,
Cheminements, 2004). Dans les Mauges, on les
affublait parfois du sobriquet de Jacques de Botz.
Et lon parlait de Jacques de Botz qui mne
les poules pisser et les jaux pondre (en patois,
le jau est le coq). Jacques doseille tait rput
patron des serins (serin au sens ancien de
nigaud ), relevait en 1912 Henry Corneau
43
47
JEMIMA
Jai remarqu que, dans un certain nombre de
romans anglais, les auteurs donnent volontiers
le prnom de Jemima aux vieilles filles (old
spinsters) qui jouent gnralement dans ces
sortes douvrages un rle sacrifi. Nos voisins
attachent-ils une ide particulire de ridicule
ce prnom qui na pas dquivalent dans
notre langue ? , senqurait, le 10 octobre
1924, un abonn de LIntermdiaire des chercheurs
et des curieux. Dans le numro suivant, un autre
ophlte (ainsi les lecteurs et les chercheurs de ce
mensuel se dsignent-ils) lui rpondait que, de
fait, Jemima est actuellement dmod en
Angleterre et presque risible , mais sans
fournir de raison cette msestime, sinon que,
dans la version anglaise de la Bible (celle du roi
Jacques Ier, 1611), les trois filles du patriarche
Job sappellent Jemima, Kesia et KerenHappuch .
loccasion de la Rforme, lorsque les
protestants choisirent pour leur progniture
des noms de lAncien Testament plutt que
ceux de saints, le fminin Jemima bnficia
dun large essor chez les Anglo-saxons. Sans
doute aura-t-il vhicul une part de laustrit
ou du rigorisme lie au courant puritaniste. Si,
comme le suggrent les correspondants de la
revue, il se discrdita peu peu en GrandeBretagne, il nest pas nglig en France, avec
plus de deux cents attributions pour lensemble
du XXe sicle, et vingt-huit encore pour la seule
anne 2010. Dans le plus clbre roman anglais
du XIXe (La foire aux vanits, de William
Makepeace Thackeray, 1848), volue une
Jemima plus accorte que maussade, miss
Jemima Pinkerton, grante avec sa sur dun
pensionnat londonien pour jeunes filles. Quant
aux filles de Job, il ny en avait pas dans tout
le pays daussi belles . En hbreu, Jemima
signifie colombe et, au-del, puret ;
Kesia parfum(e) sans rival(e) ; KerenHappuch flacon de nard , le nard dgageant
de capiteuses fragrances. Une transcription
latine du Livre de Job les a baptises
diffremment : Dies ( jour ) pour lane,
belle comme le jour ; Casia ( cannelle )
pour la seconde, plus agrable que les plus
douces senteurs ; Cornustibii pour la cadette
( corne emplie de fard ), en considration de
lclat de son teint.
JSUS
Cest bien la gracieuse image de Jsus enfant
qui a attach au prnom la valeur, dabord non
connote, de joli garon , un beau gosse
dont largot du XIXe sicle, Lyon puis Paris,
tirera celles, franchement blasphmatoires, de
personnage aux allures effmines, giton,
mignon ; de bardache ( adolescent dont
les gens de murs levantines abusent ) ;
de jeune prostitu dress au vol et la
dbauche (Vidocq, 1837 ; Michel, 1856 ;
Villatte-Bonte, 1892). De surcrot, la fin du
XVIIIe, les milieux athes avaient rpandu lide
dune homosexualit de Jsus en invoquant des
liens ambigus avec ses disciples (Rey, 1992).
Sur sa relation privilgie avec laptre Jean,
prcise Courouve (1985), des allusions furent
ainsi mises par Denis Diderot et le marquis de
Sade et, avant eux, par le roi Frdric II de
Prusse et, au XVIe, par le dramaturge anglais
Christopher Marlowe. Mais il resterait alors
dterminer comment le vocabulaire de la
truanderie a pu subir linfluence de ces beaux
esprits. (AMLD, FEWI, TLFI, FMPA, PAGV, DIHL, DHMC)
Le mot jsus a rpondu dans le jargon des
Poilus (Esnault, 1919 et 1956) deux autres
sens transgressifs : phallus en rection et,
par extension, couteau . Jsus demeure
parfois en usage pour sexe dun petit
garon : Retire la main de ton Jsus, ce nest
pas le savon de Marseille qui va lui piquer les
yeux, tu sais ! , lance, dans le film Le grand
chemin (Jean-Loup Hubert, 1987), Marcelle,
alias Anmone, Louis, 9 ans, qui lui a t
confi par sa mre et qui elle donne le bain.
Jsus de quatre sous sest dit pour nouveau-n .
JRMIE
Jerry. Ce fils de Jeremy-Jrmie, on le sait,
quivalait boche pour les Anglais, qui le
rapprochaient de german ( allemand ) avec une
50
JZABEL
Il tait vraiment peu ragoutant, ce ragot de
mouton qui, la fin du XIXe sicle, atterrissait
de faon rglementaire, deux fois par semaine,
sur les tables de lcole spciale militaire de
Saint-Cyr. Ce plat, les futurs officiers, doubls
de fins lettrs, lappelaient avec humour Jsabel,
du nom dune des figures bibliques de lAthalie
de Racine (1691). En effet, lorsquen rve
Athalie cherche treindre sa dfunte mre
Jzabel, elle ne dcouvre plus devant elle quun
magma abominable, et elle scrie : Mais je nai
plus trouv quun horrible mlange, / Dos et de chair
meurtris et trans dans la fange, / Des lambeaux
pleins de sang et des membres affreux, / Que les chiens
dvorants se disputaient entre eux. Dans ces vers,
les Saint-Cyriens feignaient donc de voir la
parfaite description de leur indigeste fricot,
51
JOSEPH
La propension brocarder le Joseph des
vangiles claire dans une large mesure les
dboires du prnom, que largot du XIXe sicle
assimila donc cocu et sot . Mais on le
rudoya aussi sous des variantes dialectales
familires, dont la consonance prtait dj au
persiflage : ainsi zozo pour un imbcile Paris,
un clown Lige et Charleroi, un homme
dune simplicit comique dans la Meuse, un
bouffon des parades foraines dans le Jura
(Patois de Chaussin, 1899). Tournai, djodjo a
dsign un pitre ; Namur et Givet, un niais.
Dans lest de la France, zizi et i (Metz) ont
caractris un garon bbte ou un nigaud
grand et fluet , galement houspill par jz,
terme de moquerie dans les Vosges (Oscar
Bloch, Lexique franais-patois des Vosges
mridionales, 1915). Toulouse, ppi quivalait
toqu , linstar du ppi du Barn, qui
parle et agit sottement . Von Wartburg a
repr dans lYonne (Chablis) lexpression
scatologique faire Joseph ( dfquer ), quon ne
confondra pas avec faire son Joseph ( refuser les
avances dune femme , tel le vertueux Joseph,
ici celui de la Gense, repoussant sa tentatrice).
Lyon, tre Saint-Joseph revenait tre en
prison : la maison des anciens pres jsuites,
place sous le patronage du saint, devint plus
tard une prison ; ce fut la prison Saint-Joseph.
Elle a disparu, la locution sest perdue (Vachet,
1907). Dans la langue verte, le chapelet de saint
Joseph, par analogie avec lobjet de dvotion, a
distingu la chane entravant les dtenus ;
52
JUDAS
Rendez-vous des mlomanes parisiens, les
concerts Colonne ont pour crateur ponyme,
en 1873, Judas Colonna (1838-1910), n
Bordeaux dans une famille juive de sept
enfants, originaire dItalie. Ce musicien, qui
francisa son patronyme et troqua son petit
nom pour celui ddouard, fit connatre au
public les uvres de Bizet, Saint-Sans ou
Gounod et dirigea les interprtes les plus
53
55
L
LAMBERT
Parce que sa voix lugubre rappelait aux
paroissiens lannonce Lambert est mort !,
Lambert a dsign la sonnerie mortuaire, en
Belgique (Louvain), mais aussi en Normandie :
On dit sonner en Lambert ou sonner un
Lambert. Il y a le petit ou le grand Lambert,
suivant limportance du dfunt et surtout de la
somme paye (Bulletin de la socit dtudes
diverses de larrondissement de Louviers, Eure, 1906).
On utilisait parfois la minuscule : Le cortge
approche de Vironville ; un glas timide sonne
au clocher ; cest la premire cloche qui
sbranle doucement..., la sonnerie en mort,
le lambert, dont lironie mlancolique de
nos aeux chantait ainsi la plainte lente :
Lambert est mort (Mensuel Le Correspondant,
Paris, 1914). (LBNL)
Deux variantes wallonnes du prnom ont t
trilles, le redoublement du b renforant leur
pjoration : Stavelot et Lige, bambrt pour
nigaud ; Verviers, babit pour bonasse
(Mlanges Godefroy Kurth, Lige, 1906, et Jules
Feller, Bulletin du Dictionnaire gnral de la
Langue wallonne, Lige, 1920). (BDGW)
LANCELOT
Quobtient-on en dmembrant Lancelot ?
Lance-leau. Et qui lance leau pour teindre
lincendie ? Le soldat du feu. Voil par quelle
lourde pirouette largot a baptis de ce prnom
le pompier (George Kenneth, 1993). Plus
noblement, dans un registre soutenu et en
rfrence la belle figure de la lgende
arthurienne, on appellera un Lancelot
lhomme qui ralise le type accompli de la
chevalerie courtoise. Choisy moi quelquun
de ces beaux vieux romans franoys, comme
un Lancelot , recommandait aux futurs potes
Joachim Du Bellay (Dfense et illustration de la
langue franaise, 1549) : le nom propre a en effet
aussi tiquet indiffremment divers cycles de
rcits chevaleresques dEurope de lOuest et du
Centre, des productions unies par beaucoup de
similitudes et qui, selon Jean Duvignaud (Styles
et modes de cration, 1990), furent orales avant
dtres fixes par lcriture. (KGDT, HIMO)
LAZARE
Si encore on nous disait pour combien de
temps nous serons Lazare ! , se lamentait en
1828 une dtenue de la prison parisienne de
Saint-Lazare. De 1799 1927, celle-ci hbergea
des milliers de femmes publiques, pour les
punir et pour les soigner dans son dispensaire.
Les prostitues sentendaient alors traiter de
gibier de Saint-Lazare, de volaille de Saint-Lazare
ou de bijou(x) de Saint-Lazare. Si les plus pieuses
appelaient ltablissement pnitentiaire La
Rsurrection par allusion au Lazare vanglique
ramen la vie, Virmatre (1894) considrait
56
LON
Le sobriquet de nabot-Lon dont des dtracteurs
accoutrrent Napolon Ier puis Napolon III
(nabot-Lon le petit) a enrl une date rcente
de nouveaux destinataires, au point de passer
pour un gros mot gnrique. En ont fait
les frais, par reprsailles, des internautes
parasitant les forums, y compris ceux qui ne se
prnomment mme pas Lon ( Tes beau
comme un nabot, Lon ! , sur affection.org, 2007).
La cible la plus prise demeure cependant
Nicolas Sarkozy, dabord comme ministre de
lIntrieur ( Je mappelle Nicolas et jai lambition
dun nabot-Lon , plaisante un sarkophage en
2005), ensuite, en 2007, comme prsident
frachement lu ( Ne sommes nous pas en train de
laisser se crer un nabot-lon quil nous faudra expulser
la force des baonnettes ? , blog Ma vie, mon
uvre). Le chanteur Serge Lama est un autre
hritier du surnom, pour sa comdie musicale
Napolon (1984) et pour ses affinits avec la
droite : Ils sont tiquets de droite. Des Judas
de la patrie des arts. Que na-t-on entendu sur
les uns ou sur les autres ! Sardou ? Un
dangereux ractionnaire. Delon ? Un facho
imbu de sa personne. Lama ? Un nabot-Lon.
Clavier, Barbelivien ? Des chiens lchant la
LONARD
Longtemps emblmatique des maons de la
Creuse, ce prnom foisonna dans tout le
Limousin, au point que, devenu insipide et
quelconque, il subit les tourments de la
pjoration : ses formes dialectales Lynar (et au
fminin Lynarda) furent ravales au rang de
niais(e) par les patois du Centre, oublieux de
la vive dvotion dont bnficia le saint patron,
lermite Linart, enfant du pays. Selon sa
lgende dore, ce filleul de Clovis sauva la reine
Clotilde surprise en pleine fort par les
douleurs de lenfantement et il brisa les chanes
de beaucoup de prisonniers, avec des
circonstances extraordinaires que la crdulit
du Moyen ge pouvait seule accueillir (Louis
Monmerqu et Francisque Michel, Thtre
franais du Moyen ge, 1870). Ce qui frappe
demble, cest que le nom mme du
bienfaiteur sous-entend dj lide de lien, et,
par l, de dlivrance : on ne sest donc pas
priv de le prier pour dlier les bambins lents
marcher, pour dnouer les femmes enceintes ou
en mal denfants et pour dsentraver les captifs,
57
LORETTE
contre-courant de ltymologie habituelle,
Jules de Marthold fait tat du terme lorettes pour
des dames de petite vertu et autres filles
galantes ayant vcu une poque bien
antrieure aux datations communment
admises. Dans Le langage de Franois Villon
Argot du XVe sicle (Daragon, 1909), il crit en
effet : Partout fausses Jeanne dArc, ribaudes
au costume impudique, vendant leur soi-disant
fleur dinnocence dans les glises mme,
devenues march de dbauche, toute maison,
pourtant, en ces rues chaudes, recelant un
mauvais lieu, sans parler des tuves o tout se
passe []. Deux ordonnances, lune de 1420,
lautre de 1446, seront impuissantes
empcher les courtisanes de porter cette
ceinture dore que Martial appelle ceinture de
Vnus, Lorum, do lorette, nom dj port par
les Belles-damour sous Henri III [XVIe s.]. Il
est vrai que le mot lorum ( courroie,
ceinture ), prsent dans les pigrammes du
pote latin Martial, fut associ Vnus par la
mythologie : cet attribut magique de la desse
de lamour garantissait lirrsistible pouvoir de
sduction de celles qui en ceignaient
symboliquement leur taille. Mais lorette, ce mot
dsormais vieilli pour jeune femme de murs
lgres, grisette , napparat en vrit que vers
1840, en sappliquant par mtonymie aux belles
qui exeraient leur activit dans le quartier
parisien de Notre-Dame de Lorette, non loin
de lglise homonyme, construite en 1823.
Lorette nest ici que la transcription de Loreto
(du latin lauretum, bois de lauriers), nom dune
cit italienne : selon la lgende et ses prodiges,
des anges y transportrent jadis la Santa Casa de
Nazareth, cette maison o la Vierge reut
lannonce de sa divine maternit. Quant au
58
59
M
MACAIRE
Dans le sud de la France, cousini Macri sest dit
pour mchant cuisinier ou cuisinier du
diable , le nom propre rappelant la fois
le prnom Macaire et le grec mageiros
( cuisinier, boucher ) : Lou cousini Macri
porge lou roustit moustre ( Le cuisinier du diable
sert le rt monstrueux ), crivait Frdric
Mistral dans son pome Calendau (1867).
Mieux : lexpression servit de pseudonyme ce
mme auteur dans ses chroniques culinaires,
o il donna par exemple la recette de laoli
(Almanach prouvenau, 1874). (TDFM)
MADELEINE
Si la mante religieuse fut et l baptise
madeleine, ce nest pas sous leffet de la
pcheresse dbauche croquant lhomme
comme linsecte dvore son mle aprs
laccouplement, mais en raison du repentir de
cette mme figure vanglique, rfugie dans la
prire telle la mante qui joint ses pattes avant,
attitude qui lui vaut dj sa qualit de religieuse
(Tisseur, Les vieilleries lyonnaises, 1891). Quant
aux larmes de la femme au parfum, elles ont un
peu partout rig le prnom en synonyme de
pleureuse , avec, le cas chant, une nuance
plus dprciative : une Sinte Madlinne, pour
pleurnicheuse, geignarde Lige. Faire suer
la Madeleine revenait en argot parisien
avoir du mal gagner en trichant , mais
aussi prter usure autour de la table de
jeu . (VPPW, PAGV)
Tiens bon, Marie-Magdeleine / Tiens bon, MarieMagdelon ! : Genve, ce refrain sentonnait
tue-tte dans le quartier de la Madgeleine le 22
juillet, jour de la fte de la belle htare de
Jrusalem, de la pcheresse repentante qui avait
tant aim et qui le Sauveur du monde avait
tout pardonn (Blavignac, 1875). La jeunesse
promenait en procession un mannequin
figurant la sainte, puis linstallait sur la fontaine
quelle cerclait de ses rondes. En rendant
compte de cette rjouissance populaire, le
folkloriste y voyait la protestation nergique,
ritre chaque anne, des catholiques contre la
Rforme. Comme on ly invitait, la sainte a
MARC
Marc-Antoine. Infime nuance : Nice, un
Marc-Antni tait un nigaud pour Mistral
(1886), mais un bent pour Piat (Dictionnaire
franais-occitanien, Montpellier, 1893, rd.
Ciel dOc, 2012). Le tour toc de marc-antoni
( morceau de marc-antoine ) dnigrait, dans
les Alpes-de-Haute-Provence, une personne
sotte, dsagrable, difficile satisfaire (Franois
Arnaud et Gabriel Morin, Le langage de la valle
de Barcelonnette, Honor Champion, 1920).
MARCEL
Marcelline. Dans le sud de la France, le
prnom fminin Marcelino sest dprav et a
60
MARGUERITE
Selon le Glossary of french slang (Olivier Leroy,
Harrap, London, 1922), ce prnom surnomma
la mitrailleuse ( machine-gun ), tandis que sur
languefrancaise.net, le Dictionnaire Bob accueille
marguerite pour femme quelconque . Dautre
part, linterjection Bien jou !, aujourdhui si
commune, nest en fait que la version ampute
de Bien jou, Marguerite ! figurant au troisime
acte de La Tour de Nesle (1832), le drame de
Frdric Gaillardet et Alexandre Dumas : ainsi
Buridan sadresse-t-il en effet Marguerite de
Bourgogne, cette sanglante reine de France
dont une lgende assure quelle prcipitait ses
amants dans la Seine. Bien jou, Marguerite !
toi la premire partie, mais moi la
revanche, je lespre ! , lui lance le jeune
homme alors quelle lexpdie au cachot. On a
prtendu quavec ce Bien jou !, ctait Dumas
lui-mme qui sexprimait par sa bouche : Il y
a dans ce mot toute lallgresse du bon
dramaturge qui se rjouit de voir marcher sa
pice. Le mot est devenu clbre pour sa
bonne humeur et son lgance cavalire ; le joli
mot, et bien franais, pour un homme
[Buridan] qui joue sa tte (Albert Pauphilet,
Le thtre en France au XIXe sicle, Le Caire,
1910). (BOBA, EXOL)
Griet. Peinte vers 1562 et conserve au muse
Mayer van den Bergh Anvers, Dulle Griet, en
franais Margot la folle ou Marguerite la dbride,
est lune des toiles les plus fameuses et les plus
sotriques de Breughel lAncien (1525-1569).
Elle sinspire du personnage homonyme du
folklore flamand qui, dans les farces mdivales
dj, symbolisait la commre chevele, la
harpie cupide et dmoniaque. Son nom
redoutable fut attribu, bien avant le
XVIe sicle, une machine de guerre, une
bombarde projetant des boulets. Lartiste a
reprsent cette harengre, mi-paysanne, miguerrire, casque et arme dune pe, se
prcipitant vers la gueule de lenfer, dans un
dcor sulfureux peupl de monstres et de
ruines. Il a peint une Margot lEnrage,
faisant razzia devant lEnfer et qui a un regard
de dmente et est affuble de faon trange et
bariole , crira en 1604 Karel van Mander, le
premier biographe de lauteur (Le livre des
peintres, Harlem). Marguerite la Folle,
Marguerite la Terrible, on peut traduire comme
on veut le nom de cette mgre qui personnifie
61
MARIE
Mme si le lecteur sest dj convaincu que la
locomotive des fminins a remorqu une
kyrielle demplois malveillants, on allongera
sans peine la liste de ceux, abondants et fonds
sur le paradigme Marie + lment distinctif, o les
composs obtenus, surtout dialectaux, ont
fustig en vrac les dfaillances domestiques, les
62
MARINETTE
Dun prnom, on fait un objet : la jeannette,
planchette de repassage. Et dun objet, un
prnom : dans le sillage de Marius ou Marine,
la marinette, nom ancien de la boussole, a t
rapporte la mer, o elle est lindispensable
outil de navigation, la compagne naturelle des
marins. Bien avant que Marinette dbarque
dans les tats civils et surfe (en 1928) sur ses
meilleurs scores, les matelots personnifiaient
linstrument dans leurs chants : Marinette
semblait dire : / Bonne amie au marinier. / Ce nom
qui faisait sourire / Pilotin et timonier/ tait marqu
de tendresse / ladresse / De leur matresse dacier
(Gabriel de la Landelle, Le langage des marins,
MARTIN
Singe, ours, buf, mule, ne, mouton, bouc,
oie, martinet, martin-pcheur : Martin,
calculions-nous en 2013, est, et de trs loin, le
prnom qui a le plus investi le bestiaire. Son
palmars pourrait senrichir du blier en
Normandie ; de la vache dans les HautesPyrnes alerte Bagnres, vieille et qui
64
MATHIEU
Math. Livreur de bire et grand soiffard, un
certain Mathieu Frnai a investi la comparaison
wallonne et rime bere come (boire comme)
Math Frnai, cques et tonai (les cercles du ft
et le tonneau). Defrecheux (1886) observe
ce propos que les voituriers brasseurs
recevaient de leur patron un pcule quils
taient tenus de dpenser, le dimanche, dans
les cabarets quils desservaient. (RCJD)
Mat. Lige, o Mat loh (Mathieu los) est cet
os de jambon promen sur une civire lors de
lenterrement des ftes de la mi-aot, les coliers
du XIXe sicle baptisaient du mme nom leurs
condisciples maigrichons : Mat loh / Kwat
bos, kwat oh ( Mathieu los / Quatre bosses,
quatre os ). Par ailleurs, pour sceller une
donation qui venait de lui tre faite par un
camarade, lenfant touchait ou baisait un objet
quelconque en fer en jurant : Kr boy / Mat
loh / Vo nel rr pu jam ; / Dja bh d fyr
( Boyau gras / Mathieu los / Vous ne le raurez plus
jamais ; / Jai bais du fer ). (FOWM)
MLUSINE
Dsignant parfois en France une femme
revche, la fabuleuse crature des lgendes
mdivales na pas rechign pntrer le
lexique wallon. Le Hainaut la spcialement
associe au vent : marluzen ou marlujne,
espce de vent trs fort Thuin ; marlojne
Chimay ( Li marlojne choufle pour Il fait
grand vent ) ; berluzine, vent du nord dans
le Borinage ; marluznes Soignies, nom
donn devant les enfants aux bouffes de vent
dans la chemine . Stambrugues, en cas de
gmissements de la bise, on disait Lmrlwzine
brait , soit La mlusine pleure , ce qui nest
pas sans rappeler lexpression pousser des cris de
Mlusine. (FEWI)
MELVIN
Conqurant depuis peu la France (plus de 600
naissances en 2003), ce masculin a engrang ses
meilleurs scores ds 1930 aux tats-Unis o il
sabrge volontiers en Mel (cf. les acteurs et
ralisateurs Mel Brooks et Mel Gibson). Son
terreau est cossais, avec des racines plongeant
dans le vieux normand Melville, au sens de
mauvaise ville . Outre-Atlantique, un Melvin
quelconque, aux mauvaises manires, a laiss
son nom au melvin, une variante de la
manuvre dite du tire-slip (en anglais wedgie, cf.
Luigi), en vogue parmi certains coliers,
tudiants ou sportifs. Le wedgie le plus pratiqu
consiste, par farce ou par offense, attaquer sa
victime par larrire et lui remonter le slip ou
le caleon le plus haut possible, voire jusqu la
tte, et non sans risque, vu la pression exerce
par llastique. Dans le melvin, lagression,
dlibre, seffectue par devant, avec pour
squelle possible une lsion des parties
gnitales. Chez la femme, indique Wikipedia,
cette variante sappelle parfois la Minerva ou la
Minerve. (BEHI)
MATHURIN
Le sens de fou , jadis imprim ce prnom
par saint Mathurin, exorciste et gurisseur de la
folie, sest localement tendu par drision
dautres comportements perus par le peuple
comme draisonnables. Ainsi, dans le Maineet-Loire, un mari maussade, ombrageux et
jaloux tait-il trait de mathurin pour son
irritabilit et ses suspicions, une qualification
identique frappant aussi, pour ses frasques et
ses fredaines, lhomme adultre (Anatole
Joseph Verrier et Ren Onillon, Glossaire
tymologique et historique des patois et les
parlers de lAnjou, Germain et Grassin, Angers
1908).
MAXIME
Max, petit Maxime ou tout petit Maximilien,
est aussi le surnom familier du Maxiton dans
le jargon du dopage. Jean-Pierre de Mondenard
(Dictionnaire du dopage Substances, procds,
conduites, dangers, Masson, 2004) a rendu compte
de lhabitude, parmi les coureurs, de baptiser
les amphtamines par des raccourcis de
connivence : Mm pour le Mratran, Riti
pour la Ritaline, Tintin pour le Pervitin,
Tonton pour le Tondron. dfaut de reprer
tous les stimulants interdits, la pissette (contrle
antidopage) permettait de dbusquer du Max,
MICHEL
Sous lacception de dupe, sot , le prnom
pur sest maintenu jusquen 1900, anne de
loccurrence suivante, que lauteur devait
cependant gloser : Ce Noirot vint moi, puis,
me prenant part, il me dit quil tait avec un
michel, en terme dargot cela signifie une poire.
Alors tout rcent (1888 ou 1893), (bonne) poire
pour naf renvoyait la mollesse du fruit
66
68
N
NAPOLON
La pice de monnaie dor cre en 1803 par
Napolon, alors Premier consul, a anim,
parmi dautres, lexpression jouer du napolon,
pour dpenser sans compter (Delvau,
1866). (DILV)
NATHAN
Destry (Moselle), le sobriquet de Nathan
allait un type de croquemitaine itinrant,
appel lhomme au sac ou peuthomme ( vilain
homme ) en dautres villages du dpartement.
Mchant autant quimaginaire, ce personnage
voyage la nuit, arrte et punit les enfants
attards dans les champs ou sur les chemins, et
il les fourre dans un grand sac quil porte sur
lpaule , rsumait Raphal de Westphalen
(Petit dictionnaire des traditions populaires
messines, 1934). Le prnom, lui, neffraie plus
personne : il fut en 2010 le masculin le plus
attribu (plus de 7 000 fois) dans une France
o il tait inusit avant 1985. Il sduisit les
anglophones ds le XVIe sicle, pour avoir t
port par un prophte biblique. Son sens en
hbreu est Il a donn . (MERP, COTP)
NMSIS
Ce fminin mergent (quatre naissances en
France en 2006, trois en 2008) illustre lart de
faire du neuf avec de lantique. Il suggre une
maladie grave, diagnostique une internaute sur
meilleursprenoms.com, l o dautres saluent sa
belle sonorit, son ct audacieux, mystrieux,
sans taire ses lourds antcdents : dans la
mythologie grecque, Nmsis, dont lidentit
sappuie sur un verbe signifiant distribuer,
rpartir , ntait-elle pas la desse de la
vengeance ? Mais si elle chtiait les humains,
ctait pour veiller lharmonie du monde en
rglant les destines. Cest son pouvoir que
lon attribuait lalternance, chez lindividu et
dans la socit, de joies et de malheurs. Elle
ntait donc ni foncirement, ni gratuitement
vindicative, mais assurait une sorte dquilibre
gnral, de justice distributive.
Cest nanmoins sous le sens de punition,
riposte que sest lexicalise la tardive desse
NICAISE
Nicaise, sobriquet dun homme stupide ,
sest chevill au nigaud (Nikse Lige), un
bta quelquefois doubl dun casse-pieds : dans
les Alpes-de-Haute-Provence, le driv niqussa
blmait un crampon, un agaant personnage
(Franois Arnaud et Gabriel Morin, Le langage
de la valle de Barcelonnette, Honor Champion,
1920). Rouen, o lon prononait Nigaise,
lglise Saint-Nigaise tait celle dune paroisse
o vivaient les purins, cet inlgant surnom
dsignant les ouvriers de bas tage . (MPNC)
69
NICODME
Cest bien ce prnom, jadis prononc Nigodme
(Nigodaimo Lyon, Nicodenme Boulogne), qui,
par apocope, a donn naissance vers 1500
nigaud, en restant lui-mme synonyme de
bent, niais, imbcile . Les langues doc ont
recouru Nicoudme pour dadais , et lont
introduit dans la locution Smblo lestatuo di
Nicoudme ( Il ressemble la statue de
Nicodme ), autrement dit Il a lair nigaud .
Dans les chapelles du saint Spulcre, justifiait
Mistral (1886), les images de Nicodme
montraient un personnage reprsent avec la
bouche entrouverte. Membre du Sanhdrin, ce
Nicodme de lvangile de Jean est peu ouvert
aux enseignements du Christ, et les Mystres
du Moyen ge en caricaturrent le manque de
perspicacit et la sottise prsume. Dans
lYonne, Nicodme dsigna spcialement un
grand garon, niais et mal bti , et, en HauteSavoie (Thnes), un enfant bonasse, qui na
pas beaucoup dintelligence . Nicodme et
nigaud, a t aussi rapport le sobriquet nigousse,
dvolu nagure par drision au Breton
bretonnant et au conscrit breton. Mais plus
plausible est lhypothse qui rattache ce terme
aux mots bas-bretons Ann hini goz ( La
vieille femme ), titre dune chanson souvent
entonne par les intresss. Dans Un temps
pour aimer, un temps pour har (Grasset et
Fasquelle, 1999), Jean Ferniot rapporte
combien ceux-ci subissaient les quolibets des
Parisiens, qui leur rabchaient : la nigousse,
gousse, gousse / Les pommes de terre pour les cochons /
Les pluchures pour les Bretons ! ; Du Finistre au
Morbihan, / Ya plus dputains que dbonnes
denfants, / la nigousse, la nigousse, la nigousse
merdous ! (LGCN, PBCN, TDFM, FEWI)
NICOMDE
Daprs Sutone et sa Vie des douze Csars,
Nicomde (Nicomde IV Philopator, roi de
Bithynie, en Asie Mineure) entretint des
rapports amoureux, passionns, avec le jeune
Jules Csar, ce qui valut au futur consul un
lourd dshonneur, bien plus durable que sa
liaison, maill des moqueries de ses ennemis
politiques (dont Cicron) et mme de ses
soldats, qui le surnommrent la reine de
Bithynie . De ce Nicomde, des rudits
firent par la suite une figure typique de
lhomosexualit dans lAntiquit. Ainsi Voltaire
qui, vers 1740, dans une premire version de
La Pucelle (o il raille Jeanne dArc), le cita en
compagnie du marquis de Thibouville ( 1784)
et du duc de Villars ( 1770), qui taient deux
homosexuels avrs : Tels on a vu Thibouville et
Villars, / Imitateurs du premier des Csars, / Tout
enflamms du feu qui les possde, / Tte baisse
attendre un Nicomde ; / Et seconder, par de frquents
carts, / Les vaillants coups de leurs laquais
picards. (DHMC)
Signifiant par le grec mditer sur la victoire,
penser vaincre , le prnom, quon ne
confondra pas avec Nicodme, a dsert les
registres des naissances franaises depuis les
annes 1960. Son saint patron, un prtre
martyris sous Domitien, appartiendrait la
lgende plutt qu lhistoire. (BEHI)
NICOLAS
Nicolas est du genre faire la bte pour avoir
du son : on la assimil au nigaud et au
maladroit (Niclause Verviers, Nicou en
Rouergue, Nicot dans le Morvan, Niclaud
Saint-Malo, Nicouno et Nicoueso en Languedoc),
ou encore un individu chtif et sans lan
(niclaut dans la Manche), mais sa variante
Nicous se prvalait du sens de malin,
goguenard . Le Nicolas-tac-tac se partageait lui-
70
O
ODILE
Au Mont-Sainte-Odile (Bas-Rhin), ancestral
centre de plerinages, on invoque contre les
troubles oculaires la patronne de lAlsace
( 720), fondatrice dun monastre en ce haut
lieu de spiritualit, et elle-mme gurie dune
ccit de naissance lors de son baptme lge
de douze ans, prcisent ses hagiographes. Sous
laction de la dvotion, son prnom, de souche
germanique (od, richesse ), essaima dans la
Lorraine voisine, mais, par son caractre
devenu trop commun et sa large diffusion dans
les classes populaires, il se galvauda autour de
Metz : Une servante peu dlure, maladroite,
est encore dans nos campagnes une Oudile ,
crivait Ernest Auricoste de Lazarque ( 1894)
dans ses Noms et sobriquets au pays messin (in
Revue des Traditions populaires, 10, 1906). Cet
historien et folkloriste remarquait que certains
prnoms, une fois dfigurs (par exemple
Tontiche pour Antoinette et Jeannette, ou
Guiguite pour Marguerite), constituaient des
sobriquets fort dsobligeants pour ceux ou
celles qui les portent, ou qui ils sont infligs.
Ce fut surtout le cas, poursuivait-il, du
masculin Chan (ainsi les dialectes lorrains
crivaient-ils et prononaient-ils Jean), autrefois
trs rpandu et dont la pjoration sest
estompe, et, chez les femmes, dOudile,
toujours en butte la disgrce au moment de la
rdaction de son texte : Jignore pourquoi le
gracieux nom dOdile est employ chez nous
dans une acception niaise. la ville, on dit :
Cest une Agns, probablement par lassonance
de niaise et dAgns.
Dans Chan Heurlin ou Les fianailles de Fanchon,
un pome du XVIIIe sicle en patois de Metz,
Albert Brondex et Didier Mory opposaient la
finesse de Fanchon la gaucherie dune Oudile
( eine Oudile ), et un commentateur
expliquera : Dune jeune fille un peu
simplette, on disait quelle tait une Oudile, ou
quelle tait ne le jour de la sainte Oudile. Lors
de la rdition de luvre en 1948 (in Annales de
lEst, Berger-Levrault), la glose signe Marcel
Cressot passe de simplette sotte : certains
prnoms sattache une nuance ironique ou
pjorative : Chan implique la navet, Oudile la
OVIDE
Au XVIIIe sicle, un bijou de la foire Saint-Ovide
tait un homme de rien ou de pas grand-chose.
Dans Les Racoleurs (Vad, 1756), Javotte raille
Toupet : Il est bien camp avec ses deux
jambes de flte loignon. Adieu, bijou de la
foire Saint-Ovide ! la foire parisienne de
Saint-Ovide, tablie place Vendme jusquen
1773, on vendait quantit de menues
bijouteries et des articles de peu de valeur.
Peut-tre y a-t-il galement ici un jeu de mots
sur Ovide, os vide , conjecture Charles Nisard
(Parisianismes, 1876). (QPPN)
72
P
PANCRACE
Dans Pancrace, on entend crasse : il nen fallait
pas davantage pour que le peuple rige
rgionalement ce masculin, crit tel quil le
comprenait, en sobriquet du pouilleux ou de la
femme sale (marie-pancrasse). Mais Lige, un
Pancrace tait un gourmand, sans autre raison
que la sonorit trange du prnom . Le sens
classique de (docteur) Pancrace ( celui qui est
prt combattre sur tous les points , Littr)
rejoint le pancrace antique, un exercice mlant
lutte et pugilat, et il a rencontr un cho en
Rhne-Alpes (Saint-tienne) avec le Pancraceou,
homme qui se carre, qui se croit . (FEWI)
Pancrace appelle aussi pancras, au point quil
est arriv saint Pancrace, lun des saints de
glace de mai (avec Servais et Mamert), dtre
rebaptis saint Pancras. Panique Saint-Pancras
a intitul au surplus une BD du Franais
Vincent Vanoli (d. Les requins marteaux,
2007), o la lthargie dun bourg ainsi nomm
est brusquement trouble par un phnomne
de lvitation chez un garon de ferme.
PASQUIN
Les mots pasquin ( pamphlet , puis pitre,
turlupin, farceur ) et pasquinade ( raillerie ,
puis factie ) sont dclars vieillis par les
dictionnaires. Dsormais fort dsuet lui aussi
est le nom propre qui les fit clore et que lon
rattache, avec Pascal ou le patronymique
Pasqua, la fte de Pques : assorti de fminins
(Pasquine, Pasquina), Pasquin naura prnomm
dans lHexagone que 65 enfants au XXe sicle
(meilleure anne : 1927). Il y fut plus courtis
au XVIIe, comme il ltait ds le XVe en Italie,
o sillustra le spcialiste du bronze dart
Pasquino di Matteo di Montepulciano ( 1465).
Mais voici quen 1501, Pasquino baptisa une
statue antique, mutile et rduite un simple
torse, dcouverte un peu par hasard dans le
sous-sol de Rome. Replace prs du palais des
Ursins, elle devint une attraction, car lhabitude
fut bientt prise daccrocher sur son socle des
billets qui brocardaient les autorits. La
coutume fit grand bruit, si bien que, ds 1534,
le terme pasquin passa en France et dans
73
PLAGIE
Les dtenus de Sainte-Plagie appelaient
populairement Plage cette prison parisienne, en
se nommant eux-mmes compagnons de Plage
(Dictionnaire dargot ou La langue des voleurs
dvoile, contenant les moyens de se mettre en garde
contre les ruses des filous, Anonyme, 1847).
Gustave Courbet et Honor Daumier ont en
commun davoir t incarcrs Sainte-Plagie,
ainsi que Sade, mari en 1763 une trs
tolrante Rene Plagie. En 1920, Plagie
prnommait aussi la premire pouse du
marchal Tito. Les lecteurs dArthur Masson
connaissent Plagie Ronvaux, femme du
doctoral droguiste Adhmar Pestiaux (1938), et
ceux de lAcadienne Antonine Maillet ne jurent
que par Plagie la Charrette, prix Goncourt 1979.
Jeune vierge de quinze ans, la sainte patronne
(IVe sicle) prfra se jeter du toit dune maison
plutt que de se laisser souiller par le magistrat
dAntioche, et saint Jean Chrysostome excusa
et magnifia son suicide. Le nom propre signifie
en grec de la haute mer , ce dont a gard
trace la zoologie, qui baptisa plagie une mduse
huit longs tentacules, vivant en bancs
gigantesques dans lAtlantique. (FLES)
PATRICE
La lgende de saint Patrick ou Patrice certifie
que cet vanglisateur de lIrlande au Ve sicle
disposait de son propre purgatoire, mais aussi
dun puits dont il extrayait de lor volont.
Dans les langues doc, pour exprimer lide
quon nest ni Crsus ni Rothschild, on se
dfendait de possder lou pous de sant Patrice
( le puits de saint Patrick ). (TDFM)
PAUL
Autrefois en vogue Genve, lexpression
passer du ct de saint Paul quivalait mal se
conduire . Elle sexpliquait ainsi : Pierre est
reprsent la droite du Sauveur en croix, et
Paul sa gauche ; quitter la droite du Pre ,
position privilgie, pour aller de lautre ct,
voil qui trahit forcment un garement, une
gaucherie. (EGJB)
Paulet a de longue date subi, au nord du
domaine gallo-roman, et sans lien avec saint
Paul, une disgrce particulire, dont a fait foi sa
signification d hypocrite en moyen franais.
Celle-ci sest perptue dans les dialectes
wallons, avec Lige f lplet ( faire le paulet ,
le faux jeton) et Verviers plet, homme faux
et sournois . (FEWI)
Popaul est en France un sobriquet de Ple
emploi, lorganisme n en 2008 de la fusion de
lANPE (Agence nationale pour lEmploi) et
des Assedic (Associations pour lEmploi dans
lIndustrie et le Commerce) : Ils ont rempli tous
mes papiers nickel, et je nai donc eu aucun problme
avec Popaul. Sachant que ce mme diminutif
dsigne aussi le sexe masculin (emmener Popaul
au cirque), on la retrouv par amalgame dans le
titre de films X (Popaul emploi), tandis que la
popaul-position serait celle du client bien plac
dans la queue, ou file dattente, devant une
maison de passe (Philippe Normand, Langue de
keufs sauce piquante, Le cherche midi, 2014).
PHILIPPE
Philippe, ou mieux encore filipp, sonne comme
lonomatope dun fouet qui fend lair en
sifflant. Ce fut tout le moins limpression
perue par les oreilles lyonnaises : on a dit lbas faire filipp pour fouetter lair avec une
baguette flexible , et, par extension, pour
frapper quelquun coup de verge . Gare
que je te fasse filipp ! (Collectif, Dictionnaire
tymologique du patois lyonnais, 1887, et
Peterson, 1929). En 2000, dans ses Notes sur les
donnes francoprovenales et francomtoises du
Franzsisches etymologisches Wrterbuch, Paul-Henri
Liard tablit un rapport entre cette expression
et sa voisine faire Felippe ( trembler, tre agit
de tremblements ). Ne pas confondre avec
faire (le) Philippe, technique de vol et
descroquerie au XIXe sicle, redevable de son
nom au roi Louis-Philippe, dont leffigie ornait
les pices de monnaie. Le filou sappelait luimme un Philippe ou un Philibert. On
comparera avec les mots felipo Aix-enProvence et felipoun dans le Var, signifiant lun
rossignol pour ouvrir les serrures , et lautre
passe-partout . Par ailleurs, la philippe tait
en Ardenne un breuvage base deau de vie, de
cidre et de sucre, mlange que les Normands,
eux, baptisaient flipp, de langlais flip, fouetter,
battre (cf. porto flip). (PPNP, TDFM, PNBJ, MANF)
75
PHILOMNE
Sainte Philomne a beau tre une sainte
imaginaire, elle nen fut pas moins prie avec
ferveur, par le saint cur dArs et par la masse
des fidles. Son nom senracina si bien dans les
esprits quil supplanta celui, potique, de
Philomle pour le rossignol, et quil se substitua
aussi, vers 1800, phnomne, un mot devenu
effectivement philomne en Saintonge, phulomne
Paris et flomne Nivelles. Surprenante
reconversion anticipe, sous leffet de pieuses
attractions paronymiques, dune bienfaitrice
dont le Vatican suspendit le culte en 1961.
Dans les campagnes normandes, lorsque le
terme physionomie tait incompris, on le
transformait son tour en philomie. (MPNC)
PIERRE
Dans le sud-ouest de la France, et sous ses
variantes Peyrot en Bigorre et Petiri chez les
Basques, Pierre a jadis fait escorte la faim,
non pas la simple fringale, mais la famine
endmique, calamit qui, telle une maldiction,
sabattait sur le monde rural. En 1867 encore,
dans Superstitions et lgendes des Pyrnes (in Bulletin
de la Socit Ramond, vol. IV, Bagnres-deBigorre), Eugne Cordier, pour en exorciser la
croyance crivait-il, sattardait sur cette
singulire cration de lesprit populaire ,
chausse de bas rouges, cest--dire aux jambes
nues : Hte familier du pauvre, Peyrot,
peine la faim entre-t-elle en la demeure, se
prsente et sassoit au foyer, prend place la
table entre le triste matre et la non moins triste
matresse de maison, lutte le jour avec le petit
berger qui se dbat contre le besoin, et, la nuit,
76
77
QR
QUENTIN
Dans le Gard et les dpartements voisins, finir
comme le pot de Saint-Quentin (finiras coume li toupin
d Sant-Quentin) impliquait que lon soit vou
un sort navrant, surtout quand on sait que
lexpression, toujours usite, se prolonge
volontiers par un corollaire : tu priras par la
queue ! (peri pr la co !). Ce malfice, dont on
menace plaisamment les hurluberlus et autres
ttes de linotte, se fondait sur la pitre qualit
des rcipients mnagers, grossiers et fragiles,
fabriqus autrefois Saint-Quentin, prs
dUzs. Aujourdhui, ces ateliers ont
parfaitement redress le cap : non seulement
les queues et les anses sont dsormais bien
fixes aux articles produits, mais la
manufacture recherche lexcellence, tel point
que la localit, rebaptise Saint-Quentin-laPoterie, est devenue la capitale de la spcialit.
RAOUL
Sous la devise Quand Raoul roule il ne boit pas, le
Raoul des Grand-Ducaux, chauffeur abstinent
pour sorties entre amis, cousine timidement,
depuis 2007, avec le Bob belge et le Sam
franais : Au Luxembourg, on a Raoul. En
Belgique, cela fait bien longtemps quils ont des
Bob (et des Bobettes). Dernirement, en
France, est apparu Sam. Cest un tonnant
phnomne que cette personnification du
conducteur sobre qui se rpand travers
lEurope sous des avatars chaque fois
nouveaux. Les Luxembourgeois ont suivi leurs
voisins avec Raoul et son slogan Quand Raoul
roule, il ne boit pas. part cette expression et
lindmodable Cool Raoul !, on ne comprend
pas trop le choix du prnom, qui na pas grandchose de local ma connaissance (Bob, Sam
et Raoul sont dans une auto, Chroniques du
Luxembourg, 29 mai 2007). Largot disposait
dj, au XIXe sicle, du terme raoulot pour
roulottier , soit charretier , puis nomade
habitant une roulotte , et enfin voleur la
roulotte (dans les vhicules) . (BOBA)
Raoulet. Parce quun prnomm Raoul vivant
en Normandie tait un joyeux farceur, on a
baptis raoulet une attrape, une mystification,
78
ROBERT
Comment mieux couronner les dboires de ce
glorieux prnom quen le coiffant dune paire
de cornes ? En Ille-et-Vilaine, un robert fut
effectivement un cocu. Simple emploi ironique
du nom de personne, diagnostiquait von
Wartburg, l o dautres ont mis en avant une
superstition et un toponyme du dpartement
breton, un jet de biniou de Fougres et de
Vitr : Sur le territoire de la commune de
Combourtill, est un rocher compris dans le
fief Robert, autour duquel les jeunes gens
fiancs vont, la nuit, cloche-pied, afin de ne
pas, une fois maris, tre Robert, cest--dire
tromps par leurs femmes (Orain, 1897). Au
surplus, lorsquil blasonne lpoux en disgrce,
Robert peut tout simplement sinspirer de son
abrviatif robin, appari au blier, grand porteur
de cornes. (FEWI, AOVM)
Lexpression Cest comme Robert-Macaire et
Bertrand tait de mise pour blmer un duo de
filous, lun plus pre que lautre : Cest le
fourbe, le fripon et son compre qui
sentendent comme larrons en foire pour
dpouiller leurs victimes. Cest Oreste et
Pylade sous les traits de deux galriens, lun
audacieux, lautre poltron (Kastner, 1866). La
comparaison sappuyait sur le mlodrame
succs LAuberge des Adrets (1823), o le
brigand Robert Macaire avait pour acolyte un
nomm Bertrand, plus plot. Quant Robert
Tantalan !, ce fut une exclamation quon
entendait sans aucun dplaisir dans le Pas-deCalais : Les enfants de Saint-Omer annoncent
par ce cri la fin du carme. Robert Tantalan est
le nom dune ancienne famille qui avait jadis le
privilge de conduire le buf gras (Valentin
Eudes, in Mmoires de la Socit des Antiquaires de
la Morinie, T. V, 1839, et Jules Corblet, Glossaire,
1851). Tantalan renvoie de surcrot lcho de
rantaplan, lonomatope du roulement de
tambour, et ctait bien au rythme cadenc de
la caisse que retentissaient les joyeux clats de
voix. (KAPA, GEPP)
Bob. trenn en 2013 en Belgique, le verbe
bobber a pous le sens de faire le Bob, choisir
un Bob , et, dune faon gnrale, de
planifier son retour ds avant la sortie , par
exemple en disposant des horaires des
transports en commun ou en prvoyant de
loger sur place. Le Royaume est le berceau de
Bob et Bobette, crs en 1945 par Willy
Vandersteen, et lon a soutenu que le sobriquet
des ftards abstinents se fondait sur ces hros
de papier. Mais ceux-ci sappellent Suske et
Wiske chez les nerlandophones, qui ont
80
ROCH
Dun voleur qui ne reculait devant rien, on
disait de faon image au XVIIe sicle quil tait
capable de desrobber (drober) la bosse saint
Roch, puisquil sappropriait tout ce quil
pouvait attraper, mme le plus rpugnant des
butins (Cotgrave, 1611). En effet, la bosse est
ici le bubon de peste, insparable de
liconographie du saint, le signe manifeste de sa
maladie contagieuse. lpoque, on parlait
couramment de bosse pour bubon : tant
bless de la peste par le moyen dune bosse qui
luy est sortie lune des cuisses (Chronique de
lpidmie de Verdalle dans le Tarn, 1631). (RCOT)
RODRIGUE
En diverses rgions franaises parfois fort
distantes, ce prnom fut un synonyme de
perfide, grigou : vil roudrigo pour vieux
sournois, avare (dans le Gard, vers 1770) ;
vieux matois, vaurien (Mistral, 1886). On
alla jusqu le fminiser : une rodrigue, femme
ge ayant lesprit malin (Bourbonnais). La
82
S
SALOMON
Au tout dbut du sicle dernier, le Bulletin du
Dictionnaire gnral de la Langue wallonne
dfinissait par toux le mau de Salmon, mal
de Sal(o)mon , interprtation suspecte pour
von Wartburg et mconnue des Enqutes du
Muse de la Vie wallonne. Ltymologiste
penchait pour une formation imaginative
arbitraire . Il faudra attendre lanne 1905
pour quun pharmacien nomm Albert Salmon,
de Melun (Seine-et-Marne), lance ses premires
pastilles expectorantes, les pastilles Salmon
( asthme, toux, grippe, enrouement ),
toujours en vente, et dont les anciennes botes
en fer blanc font le bonheur des
collectionneurs. (BDGW, FEWI)
SAMUEL
Sam. Le Bob belge, celui qui, lors des sorties
entre amis, conduit et ne boit pas, est rest
longtemps sans quivalent prnominal en
France, o lon privilgiait la tournure capitaine
de soire. Cest un autre masculin de trois lettres,
Sam, qui a fini par merger en 2005 dans
lHexagone : Ce soir, cest moi le Sam ; Jai
un sam pour me ramener chez moi . Il est
parfois peru comme lacronyme de Sans
Accident Mortel.
SAMSON
Sanson. Raides et droits, les cols Sanson
coupaient les oreilles. Ils les guillotinaient,
indiquait mme Pierre Larousse (Grand
Dictionnaire universel, 1869) : ils devaient leur
nom Charles Henri Sanson, le premier
bourreau de Paris actionner en 1792 la
guillotine, avec laquelle il dcapita Louis XVI
lanne suivante.
Sansonnet. Chez les Normands du pays de
Caux, un sansonnet tait un poisson,
maquereau de petite espce (de Fresnay,
1881). Pnis, prostitue, gendarme : tels
sont, parmi dautres, trois sens que le bas
peuple de Paris a attribus au diminutif. La
revue Le franais moderne (vol. 34, 1966)
remarquait cependant quils taient rarissimes
et fonds sur des attestations isoles et
SCHHRAZADE
Schhrazade (crit plus frquemment
Shhrazade) symbolise la femme orientale
soumise , souligne Le Canard enchan (6 mars
2013), en rappelant louvrage de la Libanaise
Joumana Haddad, Jai tu Schhrazade (2010),
et la chevauche impitoyable contre le
patriarcat mene par cette intellectuelle. Tuer
Schhrazade, renchrit son diteur (Actes Sud),
cest la fois vivre et penser en femme libre, en
femme arabe et libre, comme il en existe tant.
SBASTIEN
Sbasto, certes plus rare que Seb comme
abrviatif de Sbastien, mais repris par le site
sonprnom.com, fait corps dans la langue verte
83
SIMON
Dans lAllier et dans le Cher, Simon a signifi
mannequin, pouvantail (Paul Duchon,
Grammaire et Dictionnaire du patois
bourbonnais, Canton de Varennes, Moulins,
1904), ou uniquement mannequin (douard
Joseph Choussy, Le patois bourbonnais, Moulins,
1914). En 1935, Lo Olschki (Biblioteca dell
Archivum Romanicum : Linguistica, vol. 20,
Florence) a rapproch ces sens de litalien
dialectal simon, employ pour sot . Il
indiquait en outre que litalien monello ( fripon,
vagabond, garnement ) mane du nom propre
Monello, tir son tour de Simon. Nagure en
usage dans le parler de Lyon pour sot, nigaud,
penaud , les mots monet, monin et monetta
proviendraient eux-mmes de variantes
franaises de Simon, supposait Clair Tisseur
(Dictionnaire tymologique du patois lyonnais,
1887). (PLPP)
Braque sur la syllabe initiale de Simon laptre
(distinct de Simon-Pierre), et sur un rcit du
SOSTHNE
Ouille ! En argot, ce nom signifie soutien-gorge ! ,
objectait une future mre une autre, qui
annonait son intention dappeler bb
Sosthne (forum de magicmaman, 26 mai 2013).
Une troisime samusait davoir un ami qui
sappelle Soutien-gorge . Cest de lespagnol
sostn, dsignant ce sous-vtement fminin, que
provient le mot franais, aussi familier que
soutif, mais quon crit le plus souvent sans h
(un sostne) : ainsi apparat-il chez Franois
Caradec et Jean-Bernard Pouy (Dictionnaire du
franais argotique et populaire, Larousse,
2009). Par ailleurs, on sait que le sobriquet de
Sosthne, dont on gratifia Philippe De Gaulle
(le fils du gnral) et qui stendit ensuite tout
gaulliste orthodoxe , est emprunt au duc
Sosthne de La Rochefoucauld, ce prude
responsable des Beaux-arts qui, vers 1825, fit
voiler des statues dnudes. Aux yeux du
public, le prnom est aussi trs typ
aristocratique , notamment depuis la
SOPHIE
Dans le sillage du strotype faire sa Sophie
( minauder, se comporter en bcheuse, en
prcieuse ridicule ), von Wartburg a consign
les termes rgionaux sofi ( sot, niais ) et sofiat
( trs niais ), attests la fin du XIXe sicle, y
compris pour la gent masculine. (FEWI)
84
SUZANNE
Si complaisamment exploite par les artistes, la
scne biblique de Suzanne au bain, jolie juive
convoite par deux barbons pervers, a parfois
valu au prnom de dsigner une femme lgre,
en France comme en Italie ( Susanna : ragazza
leggera ). Cest l le fruit dune antiphrase
ironique, car chacun sait que la baigneuse,
chaste Suzanne , tait dune vertu proverbiale.
Une autre Suzanne, rellement libertine, na pas
joui dune notorit suffisante pour donner
corps un type thtral abouti : femme
dchue, cette hrone du Demi-monde (1855), la
pice de Dumas fils, cherche chapper son
pass orageux par un mariage, mais il lui est
impossible, quels que soient sa fortune, son
esprit et son ducation, dentrer dans le monde
des honntes gens, qui lui reste jamais
ferm (Marie-Claude Canova, La comdie,
Contours littraires, Hachette, 1993). Le demimonde o elle volue est celui o lpouse
lgale finit, et il finit o lpouse vnale
commence ; il est spar des honntes femmes
par le scandale public, des courtisanes par
largent , dcrivait Dumas lui-mme dans son
avant-propos.
Suzette. Largot parisien du XIXe sicle
baptisait Suzette le coude, sans quon puisse
dceler dans son choix une explication
pertinente. Ce sens a aujourdhui disparu des
lexiques spcialiss, mais il figurait encore dans
celui de Bruant (1901) : Coude : Os pouilleux,
Suzette . Franchira-t-on le foss jusqu la
Suze, que lon boit en levant le coude, un apritif
ainsi appel par son crateur (1855) en
lhonneur de sa belle-sur Suzanne ? Quant au
surnom de Journal de Suzette attribu pendant la
Grande Guerre au Bulletin des armes, il est
moins nigmatique : pour sauvegarder le moral
des troupes, cet organe officiel tait expurg,
pur ad usum delphini , limage de
lhebdomadaire La Semaine de Suzette (19051960), dpourvu de tout ce qui pouvait heurter
lducation des petites filles. (ARSI, BOBA)
Suzon, par dvoiement de la Suzanne des
critures, a fltri un peu partout la fille de joie
ou de mauvaise vie, mais en Wallonie cet
abrviatif a produit son tour le mot zonzon
pour bonne amie, copine : Bon
anniversaire ta zonzon, elle est adorable.
SYLVIE
Sylvain. Lantique divinit des forts, Silvanus,
sest perptue sous les formes silvain
( dmon, gnie des bois ), mais aussi serva,
sarvat ou serve, en soffrant alors des traits
cyclopens : gnome, esprit malin, lutin qui na
quun il au milieu du front. En Sologne, la
tache de saint Sylvain (ou mal Saint-Vrain)
marquait le visage des bbs souffrant de
troubles de la circulation veineuse : Si, par
malheur, lenfant nat tach, on fait un voyage
Graay dans lIndre o, pendant trois annes
successives, on fait ses dvotions au Bon SaintSylvain : la premire anne sans lenfant mais
en y faisant bnir ses langes ; la seconde et la
troisime avec lenfant (Claude Seignolle, Le
Berry traditionnel, Maisonneuve et Larose,
1990). (FEWI)
Sylvestre. Lausanne, le Sylvestre, du nom
de llu accroch au dernier feuillet du
calendrier, tait un type de personnage
hautement burlesque. Il occupait le centre
dune procession ddie lanne mourante, un
cortge plus proche du mystre thtral
traditionnel que de la fte religieuse. On
allongeait sur un lit de parade le compre
jouant le rle du saint, que veillait un mdecin
de pacotille. La foule chantait : Il est mort !...
Non, mais il veille, / Il est mort !... Non, car il dort. /
Pour le rveiller, chantons lui sans cesse : / Mort,
mort ! Ten iras-tu sans boire ? (bis).
On demandait au docteur : Dites-nous sil est
mort ou sil vit ! ; et au malade : Que feras-tu
dans lautre monde, o il ny a pas de
cabaret ? (Blavignac, 1875). (EGJB)
La lgende prte au saint pape Sylvestre ( 335)
une victoire sur un serpent ou un dragon qui
sempiffrait de vestales sacrifies, mais
Gaignebet et Lajoux (1985) linterprtent
comme le prolongement dun mythe, celui
dune anne serpentiforme dont il faut
clore la gueule dvorante avant de
recommencer . (GLPM)
85
T
THCLE
Au XIXe sicle, dans le Midi, une Thcle tait
une fille fort peu recommandable : On
donnait, dans les premiers sicles de lglise, le
nom de Thcles aux femmes courageuses.
Comme on abuse de tout, on appelle
maintenant Thcles, en Provence, les filles
effrontes et mprisables (Collin de Plancy,
Dictionnaire critique des reliques et des images
miraculeuses, 1821). Vierge dAsie mineure
convertie par saint Paul au christianisme
naissant, la jeune Thcle dIconium
(aujourdhui Konya, en Turquie) suivit les
aptres en dlaissant son fianc qui, courrouc,
la fit capturer et livrer aux juges. Ceux-ci lui
infligrent divers supplices carabins, mais qui,
assure sa lgende, restrent sans effet : les
flammes du bcher ne la consumrent pas, les
lions lchs dans le cirque pour la dvorer lui
lchrent les pieds, et un monstre marin
lpargna son tour. Tout en sachant quelle
mourut de sa belle mort prs de 90 ans, la
dvotion la regarde comme la toute premire
femme martyre, et lglise orthodoxe la
vnre tel un aptre. Quant Rome, il
supprima en 1969 son culte, pourtant bien
implant en Auvergne, rgion qui accueillit ses
reliques et o, dit-on, elle aurait elle-mme
sjourn. Chamalires (Puy-de-Dme), un
tablissement denseignement lui est toujours
ddi. Si les Thcle nes au XXe sicle se
comptent sur les doigts dune main, le prnom,
qui signifie par le grec gloire divine , a
enregistr ses meilleurs scores vers 1650.
THIBERT
Tibre. Bziers et Agde, Tibri, forme
occitane, a correspondu fou, insens .
Dans ce mme dpartement de lHrault, se
situe la ville de Saint-Thibry, source cette
synonymie quaccompagna lexpression Lou cal
menar a San Tibri ( Il faut le mener SaintThibry ), nonce ladresse dun esprit
drang, et souvent complte par basar lou
barroul ( embrasser le barroul ). Dans cette
cit, la Tour Renaissance, classe monument
historique et destine devenir le clocher dune
abbatiale jamais construite, domine la place
Saint-Sauveur depuis 1509. Jadis, une salle
vote de son rez-de-chausse hbergeait les
alins venus implorer le patron de lendroit,
Tibri ou Tibre, qui vcut vers lan 300 et
passait pour fin gurisseur des troubles
mentaux. Durant leur neuvaine, de gr ou de
force, les malades logeaient en cette salle basse
dont laccs tait ferm par un barroul (verrou).
Ils nen sortaient que pour assister aux
crmonies et pieux exercices dans un petit
oratoire souterrain, la Gleisette, amnag
lendroit mme de la spulture suppose de
leur bienfaiteur, inhum avec ses compagnons
martyrs (Modeste, son prcepteur, et Florence,
une vertueuse Romaine). Certains fidles
rintgraient ensuite sans difficult leur lieu de
confinement, mais les plus rcalcitrants
devaient y tre trans. Afin de retarder le
moment de lenfermement, ils sagrippaient au
barroul ou ils le serraient de toutes leurs dents.
Ainsi la tournure ironique prit-elle naissance
(cf. ville-saint-Thibry.fr). (TDFM)
Une autre formule moqueuse convoquant
Tiberi fut en usage Nice : estre coumo Tiberi, que
pr un pet perd lempri, soit tre comme
Tibre, qui pour un pet perdit lempire (Marie
Mauron et Jean Mascaux, Dictons dOc et
Proverbes de Provence, Morel, Forcalquier, 1965).
Si lempereur Claude fit jaser propos de
flatuosits il permit de se soulager table de
lincommodit des vents , on ignore les
circonstances qui, au-del de la rime Tiberi /
empri, valurent Tibre lhonneur de ce
THIBAUT
Le mal saint Thibaut, crivions-nous en 2013,
tait le nom populaire de la coqueluche dans le
Brabant flamand. Il le fut aussi chez les
Wallons, notamment Gembloux, Jodoigne,
Wavre, ainsi qu Pellaines (Lincent), sous
lappellation patoisante de tosse tibo ( toux
Thibaut ). Pour en gurir, les fidles
accomplissaient un plerinage la chapelle
ddie au bienfaiteur Mulk, un quartier de
Tirlemont. (FEWI)
86
THOMAS
Sous linfluence de laptre dubitatif, saint
Thomas sest aussi employ pour incrdule
au gr des patois : ainsi en Provence Es sant
Toumas lou mscresnt (mcrant). Par extension
peut-tre, le driv toumel (fminin toumla)
persiflait le lourdaud, lidiot, notamment en
Savoie (Clestin Duch et Henri Bjean, Le
patois de Tignes, Les Amis du Vieux Tignes,
Grenoble, 1998). Ladjectif fminin tomeya
quivalait simplette dans le Val dAoste
(Jean-Baptiste Cerlogne, Dictionnaire du patois
valdtain, Imprimerie catholique, Aoste, 1907),
tandis que pour les Barnais la toumasse tait
une grosse femme. Quant au rouchi (picard de
Valenciennes), il destinait le sobriquet
mprisant de gens du prince Theumas au bas
peuple, la racaille, aux bouchers et
gargotiers (Hcart, 1834). (TDFM, FEWI, ROCF)
Thomas, qui, pendant prs dun sicle et ds
1830, soit bien avant Jules (1870), dsigna
populairement le pot de chambre, soffrit une
plaisante revanche en prnommant le roi des
plombiers britanniques , concepteur de ces
87
UVWXYZ
URANIE
Uranie, cest le nom de Vnus comme desse
de lamour pur (Dictionnaire de lAcadmie,
1842, Complment la 6me d. de 1835) :
chaste et digne des belles mes, elle tait
oppose par les Anciens la Vnus Pandme
( appartenant tous, publique ) qui, libertine
et vulgaire, ravalait lhomme au rang de brute.
Traducteur en 1678 du Banquet de Platon,
Racine qualifiait de cleste lamour inspir par
lune, et de populaire celui dict par lautre.
Le baron Dupin (La Prusse galante, Voyage dun
jeune homme Berlin, 1800) tenait pour un
prsent de Vnus Uranie lamour des hommes
(en fait lamour entre hommes), sentiment
noble et divin . La littrature mdicale
sembarrassera fort peu des subtilits
mythologiques : chez Garnier et Delamare
(Dictionnaire des termes techniques de
mdecine, 1900), uraniste est le nom sous
lequel on dsigne, en mdecine lgale, les
individus qui prsentent une inversion de
linstinct sexuel, bien que leurs organes
gnitaux soient normalement conformes .
Dautres auteurs entendront par uranisme une
homosexualit
masculine
associe
VRONIQUE
Linsolite locution tre brouill avec sainte
Vronique, que Mistral (1886) donne pour
originaire du Quercy sous la forme estre broulhat
dam santo Verounico, voulait dire souffrir de la
syphilis . Avec une variante (estre brolhat dam
santa Veronica), Didier Alibeu la reprise en
2004 dans son Dictionnaire de lrotique
occitane (Amour courtois et libertinage, Des
troubadours nos jours, Loubatires). On est libre
dimaginer que lesprit du peuple a,
intentionnellement ou non, entretenu la
confusion entre le nom de la sainte et le mot
vrolique : il ne diffre que dune lettre, et les
Encyclopdistes du XVIIIe sicle le dfinissaient
par relatif la vrole ou syphilis .
Aujourdhui vieilli, cet adjectif est attest pour
la premire fois au dbut du XVIe dans Le
triomphe de dame Vrole, attribu au chroniqueur
et pote Jean Lemaire de Belges. Vrone,
diminutif ancien de Vronique, a pu galement
lgitimer une dvotion de nature paronymique
envers la pieuse protectrice ainsi tablie
thaumaturge de la vrole. Au surplus, cette
sainte qui essuya de son voile le visage
sanglant du Christ, mais napparat dans aucun
texte canonique est lponyme de la
vronique, panace de la pharmacope
traditionnelle ( Lherbe de la vronique au mdecin
fait la nique ). (TDFM, ENDI, TLFI)
Vronique joue du pinceau, et son nom est
bien verni. Cest daprs limage vraie (vera icona)
de la sainte Face que la femme compatissante
du Calvaire fut baptise par la suite Vronique,
prnom inconnu en son temps, o existait
89
VINCENT
Le mal Saint-Vincent dsignait le carreau, une
pathologie infantile o le ventre est tendu, dur
comme un carreau (au sens de plaque de
marbre ). On rangeait aussi sous ce nom ltat
dune femme aux entrailles gonfles, sur le
point daccoucher. Pour la gurison des enfants
et lheureuse dlivrance des mamans, les jeunes
mnages allaient notamment prier lglise
dHlicourt (Somme), devant la chsse
contenant des reliques du saint, au jour de sa
fte (22 janvier). Si le bienfaiteur tait
inefficace, on sadressait des toucheuses : Au
Havre, bon nombre de femmes font mtier de
toucher les enfants atteints du carreau
(Delboulle, 1876). Par ailleurs, Mouscron, et
daprs une enqute du Muse de la Vie
wallonne, on entendait par cloques saint Vinant
une sorte de petits boutons . (FEWI, GVYD)
VICTOR
Conu en 1887 et produit trois millions et
demi dexemplaires jusquen 1920, le fusil
Lebel est insparable du fantassin franais de
1914-1918, chez qui les prnoms florissaient
pour dsigner des tres ou des choses : Azor
et Philibert pour le havresac, Rosalie pour la
baonnette, marie-jeanne pour le bidon, Fritz
pour le soldat allemand, etc. On appelait le
fusil Lebel Victor et le sabre de cavalerie
Zigomar (revue Janus, 1964). Esnault (1919)
donne la fois Victor le vainqueur et
Oscar pour larme feu des Poilus. (PTQP)
Dautre part, grce ses initiales, Tonton Victor
a dsign un tlviseur, un poste de TV,
notamment dans le jargon des cibistes, qui ont
dit aussi Tante Victorine pour cet appareil. Le
hasard veut que, sur les petits crans namurois
de Canal C, apparaissait, de 1986 1993, puis
plus pisodiquement, le truculent Tonton Victor,
dans les squences djantes de la srie Victor
Poussin, bricoleur. Cet as de la rcupration,
incarn par Dominique Brumagne, proposait
les recyclages les plus farfelus pour les objets
du quotidien. Il terminait systmatiquement sa
dmonstration par : Et surtout noubliez pas
de dclarer : Cest moi-mme que jlai fait tout
seul avec les fiches de Tonton Victor ! (BOBA)
VITAL
Vitale nest pas un prnom la petite semelle :
il saccroche, fait grimper et courir. Lorsquil
dposa en 1937 la marque dune matire en
caoutchouc moul pour semelles et chaussures
dalpinisme, le Milanais Vitale Bramani (19001970) choisit de la baptiser Vibram, daprs la
premire syllabe de son prnom et de son
nom. Lui-mme guide de haute montagne, il
avait perdu plusieurs amis dans les Alpes, leurs
semelles traditionnelles, en cuir clout, ne leur
ayant pas assur ladhrence ncessaire. Il
dveloppa donc des modles spciaux, en
caoutchouc et gros relief, garantissant
davantage de scurit. Vibram est fminin au
Larousse, mais masculin pour le Dictionnaire
historique de la langue franaise. Quant la
socit fonde par linventeur, elle lana en
2006 la Fivefingers ( Cinq doigts ), une
chaussure minimaliste dite aussi gant de pied, o
les orteils sont spars. Le fabricant la destine
notamment la pratique de la course de fond,
de la randonne et des arts martiaux.
90
Bibliographie additionnelle
Quelques-uns des trois cents ouvrages de la Bibliographie du volume principal, nouveau consults,
rapparaissent la fin de certains paragraphes de ce Supplment sous leur code convenu de quatre
lettres, not cette fois en italiques, de manire les distinguer des sources additionnelles exploites pour
les prsentes pages et seules rfrences ci-aprs.
AMLD
AOVM
BDGW
BDLP
BOBA
BSLW
CJPE
DHMC
EDMP
EGJB
FEWI
FOWM
GEPP
GGAV
GLPC
GLPM
GVYD
HBSB
HSMP
JBTG
JRSR
KAPA
KGDT
LBNL
LFHC
LGCN
MPNC
NPDC
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Le fer risoles tudes ethnographiques [Empr, mot dj attest Genve au XIIIe s., signifie En premier lieu ,
Moi dabord (latin Primo ou In principio ; grec Protos) : cest le cri des coliers voulant tre les premiers
jouer. Il correspond Prems ou Preums (abrviation de Premier) des petits Franais ou Belges], 2me d., A.
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Sprachschatzes, 22 vol., Bonn-Ble-Leipzig, 1922-1978 [ labrviation conventionnelle FEW fonde sur le
titre allemand de ce trsor du lexique galloroman depuis le IXe s., sajoute ici la lettre I , initiale
dInformatis : en effet, une version lectronique de louvrage a t mise en ligne en 2014
(https://apps.atilf.fr/lecteurFEW). Encore partielle ses dbuts dans ses accs et sa traduction, et ordonne
comme son modle selon lordre alphabtique des tymons (ainsi Gautier figure-t-il sous Walthari), elle est
pourtant dj trs utile au chercheur].
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PAGV
PBCN
PDSM
PNBJ
PTLR
PTQP
QPPN
RCJD
RGLL
TDFM
VPDD
VPPW
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en nerlandais, par H.W.F. BONTE, de louvrage allemand Parisismen, qui connut neuf ditions, publies (en
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doc moderne, 2 vol. A-F et G-Z, Vve Remondet-Aubin, Aix-en-Provence ; Roumanille, Avignon ; Honor
Champion, Paris, 1879 et 1886. La rimpression consulte comporte un supplment tabli daprs les notes
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Charles BEAUQUIER, Vocabulaire tymologique des provincialismes utiliss dans le dpartement du Doubs, ParisBesanon, 1881.
Albin BODY, Vocabulaire des poissardes du Pays wallon (Lige, Verviers, Spa, Malmedy), in Bulletin de la Socit
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