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Trafics D'armes - Jacques Monsieur

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Laurent Léger Trafics d’armes : enquéte sur les marchands de mort secréte Flammarion ant terroriste re de 1’Inté- ors titulaire re des armes la remonter er intégrale- déguisés en < terroristes. eprésentants atérieur des omment, les ’amateur |,» mpossible & lusieurs’ per- Snombre pas en France, Air et des n Czarnecki ques-uns de : police sur ien sénateur vain du mer- impliqué en arg. vendues e document ied a Vétrier ‘e du cabaret Yarmes his- s devant faire res, navals et ne Armes, éd. CHAPITRE 3 Monsieur Monsieur, l’espion du Roi Ce ne sont que quelques mots dans un document de dix-neuf pages. A peine quelques lignes, mais qui font basculer d’un monde l’autre. De l’univers connu de Jacques Monsieur, banal trafiquant d’armes condamné par ce document de la justice belge, un jugement rendu le 19 décembre 2002, a celui de Jacques Monsieur, l’espion au service de 1’Ouest. Deux itingraires paralléles, une méme vie, o4 l'on voit un méme personnage incarner un jour la raison d’Etat, et le lendemain Pillégalité des trafics d’armes internationaux. Installé dans la France profonde pendant des années, bourlinguant sans cesse d’un pays 4 autre, d’un continent & autre, l’agent-trafiquant traine dans son sillage un parfum entétant de protections poli- tiques et secrdtes, de manipulation, de corruption et d’intéréts @’Etat, voire d’Etats. Et plus de questions laissées en suspens que de réponses tranchées. Ce 19 décembre 2002, épilogue de son proces, les juges du Tribunal correctionnel de Bruxelles jettent un coup de pro- jecteur sur la vie de Jacques Monsieur, jusque-la restée dans Yombre. Un bref, trés bref éclairage. Pour des raisons’ de sécurité, les audiences se sont tenues en grande partic & huis clos, dans d’acrobatiques conditions. Chargée de juger l’af- faire, la 49° chambre correctionnelle, située au ‘niveau moins un de V'immense palais de justice de Bruxelles, au pied d’un imposant escalier, change certains jours de salle d’audience 47 Trafics d’armes sans crier gare, comme pour éviter d’étre piégée par des micros ou se soustraire A la présence d’importuns spectateurs, Magistrats, greffier, avocats, prévenus, gendarmes... tout ce beau monde se transporte donc dare-dare dans un autre local ! Considéré comme dangereux par la justice belge, le « pré- venu » est amené au Palais cagoulé et menotté. Il n’est pour- tant officiellement que « directeur de société», comme le présente la jeune et brune présidente, Laurence Massart. Méme le réquisitoire du procureur, moment clé d’un proces, puisque o’est lui qui réclame les peines devant étre infligées 4 Vaccusé au nom de la société, ne se déroule pas comme pour un procés lambda. L’aprés-midi, pendant une heure, Jean-Francois Godbille, le tenace représentant du parquet qui suit le dossier depuis des années, se live, face au public. Ensuite, la salle est évacuée, Madame la présidente a décrété le huis clos. L’information ne doit pas circuler. Les mésa- ventures iraniennes de Jacques Monsieur expliquent les consignes de sécurité, Le public évacué, le procureur termine ses réquisitions. « Si la sanction se doit d’étre sévére, le Tri- bunal en tempérera’ la hauteur a la lumiére des activités du prévenu quant aux activités de renseignements évoquées dans le présent dossier' », argumentent les magistrats belges dans leur décision. ‘Au cur de Ia zone grise entre services et trafics Trafiquant international, Jacques Monsieur est suspecté davoir alimenté en armes des contrées a feu et A sang et viol& allégrement embargos internationaux et lois nationales, endos- sant Pimper mastic de agent secret au service d'une ou plusieurs nations... Agent ou trafiquant ? Espion ou truand ? Ses amis eux-mémes ne savent pas bien, « C’est un agent secret de haut niveau ou un vendeur d’armes traité par les . Archives de auteur. 48 } f i j t services! gable ma en. Franc 4 novemt s’accomp: ou moins seraient s qu’elles 1 qu’elles n elle, n’a} blance qu génératric jugement dignes du Pour c parler les vérités ad rencontre, Jacques | Inconnu ¢ de lui éta Le Berry: Monsieur pas trés 4 n’a jamai photo ori d’armes ; Cher, Ser rachat pai village de A part avaient di le parcou 1. Entre viégée par des ns spectateurs, mes... tout ce un autre local ! elge, le « pré- Il n’est pour $», comme le ence Massart. & d’un proces, t Gtre infligées le pas comme it une heure, du parquet qui ace au public. lente a décrété ler. Les mésa- 2xpliquent les. cureur termine sévére, le Tri- es activités du évoquées dans its belges dans et trafies r est suspecté a sang et violé ionales, endos- vice d’une. ou on ou truand ? Dest un agent 3 traité par les Monsieur Monsieur, Vespion du Roi services! », hésite Yves Deloche, I’un de ses associés, infati- gable marchand @avions civils. Les policiers qui ont enquété en France restent sceptiques, 4 lire leur synthése du 4 novembre 1997: « L’argumentation de Jacques Monsieur s’accompagne parfois d’allusions certaines structures plus ou moins secrétes pour lesquelles il agirait en coulisses et qui seraient susceptibles de le protéger. Force est de constater qu’clles n’ont pas été efficientes jusqu’d présent, A moins qu’elles n’observent un attentisme prudent. » La justice belge, elle, n’a pas tranché. « II n’est pas dénué de toute vraisem- blance que le prévenu exerga une activité de renseignements génératrice de revenus », reconnaissent les juges dans leur jugement du 19 décembre 2002. Des phrases de jésuites, dignes du mystérieux Jacques Monsieur. Pour comprendre, il faut s’asseoir avec l’intéiessé, faire parler les « services », pénétrer des zones d’ombres ot les vérités adoptent des contours trés flous... Avant la premiére rencontre, début 2003, au Royal Windsor Hétel de Bruxelles, Jacques Monsieur n’avait jamais parlé A un journaliste. Inconnu des rédactions, inconnu du public. Une seule photo de lui était disponible dans les agences de presse, prise par Le Berry républicain, le quotidien de la région de Bourges ot Monsieur a vécu entre 1992 et 1999, On y voit un homme pas trés 4 l’aise face a l’objectif, un verre a la main. Le cliché n’a jamais été publié dans son intégralité: 4 gauche sur la photo originale figure en fait la compagne du marchand @armes ; 4 droite, le’ président RPR du conseil général du Cher, Serge Vingon, qui a fété en 1999, avec’ le couple, le rachat par la collectivité de-leur demeure a I’écart du petit village de La Celle-Condé, dans le Cher. A part cela, seuls certains spécialistes de la presse hippique avaient déja croisé Monsieur. Mais ils connaissaient 4 peine le parcours de ce cavalier émérite, dresseur d’équidés pas 1, Entretien du 23 avril 2004. 49 Trafics d’armes comme les autres. Pour décrocher ce rendez-vous dans I’hétel chic et discret du coeur de Bruxelles, il en a fallu des messages passés A de prudents avocats, a des amis du Belge, A des proches ou se disant tels... Ainsi que des coups de fil et e-mails sa seur Anne ; comme lui une fine silhouette au caractére trempé. « C’est une digne représentante de la bourgeoisie wal- lonne », dit une de leurs connaissances. Ce 29 janvier 2003, lors du rendez-vous, ’homme revient de loin. Tl a quitté depuis peu la prison de Forest, dans la banlieue de la capitale belge, ‘ov il avait « emménagé » en octobre 2002. Avant cela il avait pendant plus d’un an et demi connu Venfer véritable. D’abord comme détenu pour « espionnage et corruption » en Iran, puis comme prisonnier en Turquie. Méme si ce n’est plus Midnight Express dans les gedles stambouliotes, il était bon d’étre extradé vers la Belgique. Traqué par la justice frangaise Le voici, lors de cette premiére rencontre, au bar désert de Vhétel. Taille moyenne, allure distinguée, lunettes fumées, cravate et veste de bonne coupe. L’homme sourit peu. Il est concentré sur ses mots. Revétu de l’inévitable imper de agent secret, il joue son rdle 4 fond. « Au Service on est toujours habillé impeccable», dira-t-il plus tard. Malgré un déjeuner belge typique a la Taverne du Passage, un bon restaurant & touristes, et un second rendez-vous le 13 mars 2003, Jacques Monsieur tarde & se raconter. Au cours du déjeuner, il glisse sur les sujets. Iran, Congo, Bosnie, Croatie, les services secrets, les ventes d’armes... Il suffit d’un coup de fil sur son téléphone mobile pour que le James Bond qui sommeille en lui se réveille 4 nouveau : « Tiens, mon contact au service... » On n’en saura pas plus. Entre deux croquettes. aux crevettes, Monsieur s’interroge 4 haute voix : « Si je vous raconte qu’en pleine guerre des Balkans, j’ai fait atterrir sans encombre un avion bourré d’armes, en pleine violation de l’embargo, sur T'aéroport de Pula, en Croatie.., Pourrez-vous l’écrire I» 50 i 1 | | | Officielle voix flaté sont ses ¢ et des pe: Ilyad d'autres @ cher dans est mis « Bourges ' sans autc ment », v un mand: le 8 mars qui lui ¢ tidres, so he parle éviter de simpler conseillé Monsiev francais internati en 2003 yeau juy Gérard ¢ belge a Parrét < la fin de europée Etat. M table a1 avant d Bourge: us dans l’hétel 1 des messages Belge, a des e fil et e-mails e au caractére urgeoisie wal- janvier 2003, aquitté depuis zapitale belge, nt cela il avait table. D’abord » en Iran, puis plus Midnight rit bon d’étre | bar désert de 1ettes fumées, ait peu. Il est iper de l’agent n est toujours 6 un déjeuner n restaurant & 2003, Jacques uner, il glisse , les services de fil sur son sommeille en au service...» aux crevettes, raconte qu’en encombre un “embargo, sur 1s Vécrire ? » Monsieur Monsieur, l’espion du Roi - Officiellement, I’argument pour ne pas parler, explique d’une voix fldtée celui qui a toujours ceuvré dans les coulisses, ce sont ses affaires iraniennes. A Téhéran, il a connu la prison, et des personnes toujours emprisonnées risqueraient le pire. Tly ade ga, mais Jacques Monsieur se garde bien d’évoquer autres arguments plus prosaiques. Des faits qu’il faut recher- cher dans V’affaire judiciaire qu’il traine comme un boulet. I est mis en examen dans un dossier volumineux instruit 4 Bourges depuis 1999 pour « commerce de matériels de guerre sans autorisation du ministre de la Défense » et « blanchi- ment», une affaire qui l’empéche de voyager. Et pour cause : un mandat d’arrét international, délivré contre lui par la justice Je 8 mars 2001, a été renouvelé le 12 mai 2004. De ce mandat qui lui colle aux basques et lui interdit de franchir les fron- tigres, sous peine d’étre arrété (il ne sera levé qu’en 2005), il ne parle pas en ce début d’année 2003. Certes il admet vouloir éviter de mettre les pieds en France, oi il risque purement ot simplement d’étre placé en détention provisoire. Bien conseillé par une batterie d’avocats de Paris et de Bruxelles, Monsieur insiste par contre pour étre entendu par le juge frangais dans la capitale belge, selon les régles de Ventraide internationale. La justice frangaise n’est pas d’accord. Mais en 2003, le dossier de Bourges est largement enlisé. Un nou- veau juge dinstruction a succédé A un bouillant magistrat, Gérard Canolle. L’affaite sera relancée en 2005 : le trafiquant belge accepte de se rendre, aprés qu’un nouveau mandat arrét a été émis par le juge. Une modification de la loi signe la fin de la tranquillité de notre trafiquant. Désormais un pays européen peut extrader Tun de ses ressortissants vers un autre Etat. Monsieur a rangé ses affaires, laissé son éléphone por- table & la maison et pris rendez-vous a la prison de Bruxelles, avant d’étre extradé et transféré vers la maison d’arrét de Bourges, le 18 avril 2005. Trafies d’armes «Middleman » regu par les chefs d’Etat Le 22 octobre 2004, quelques mois avant son retour en prison, nous nous retrouvons dans le vieux centre de la capi- tale belge. Jacques Monsieur accepte de livrer ses souvenirs et sa « vérité ». Entre-temps, notre enquéte a progressé — de trés nombreux proches, associés, enquéteurs, membres des services, ont accepté une rencontre, en dépit des pressions. Coincé en Belgique a cause du mandat d’arrét international, Monsieur Monsieur visiblement s’ennuie... Il tente de reprendre un business, monte ses chevaux en forét, et peaufine sa légende ! Mal a l’aise dans la lumiére, embarrassé face quelques certitudes, homme est fier, voire orgueilleux, ne supporte pas de remise en cause et met une énergie puissante au service de « sa» vérité. II se voit en James Bond dans sa version de l’agent ceuvrant en secret a la sécurité des nations démocratiques. Cela arrangerait bien ses affaires de trafiquant empétré dans les filets de la justice. Hélas, la réalité, sa réalité, est plus grise ; c’est celle de Vintermédiaire, marchand @armes ou trafiquant, auquel les services d’Etat recourent parfois en secret pour les basses besognes, ou qu’ils envoient «au contact », dans ces endroits de la planéte que les agents officiels ne peuvent infiltrer ; ce sont ces « middlemen » qui sont regus par les chefs d’Etat, volent en jets privés, dorment dans les palaces, et sont utilisés pour franchir les limites de la légalité, en lieu et place des industriels et des Btats acheteurs. En cas de pépin, plus personne ne les connait. Dans ce cas, o’est la disgrice. Les remerciements pour services rendus prennent la forme de commissions impayées, de pro- cédures judiciaires, de confiscations de comptes bancaires, voire de séjours en prison... Les traces tortueuses de Jacques Monsieur, fils de notaire, né en Belgique en 1953, ménent a l'Afrique déchirée par les guerres civiles, aux pays du pacte de Varsovie, bien avant le sursaut démocratique qui abattra le mur de Berlin, en Amé- rique latine, aux Etats-Unis, en Israél, Libye et Chine. Espion 52 ou pas ? C’e conduites pi synthése! di Fievez, pou Haan, met 2 Jacques Mo: Un ancie Tout dém ceptée par diriger les documents ¢ vierges suis douane, app Elle contien qui Benelie tation falsif quant d’arnr interpellatio raissent : ag tenance de israéliens » Benelie rest celui de Da lité, israélic comme le t Ancien offi la sécurité utilisera un Son frére A semble du dc 2. Hest at trader dont 1, veille de son ion retour en te de la capi- ses souvenirs rogressé — de membres des les pressions. international, Il tente de 4t, et peaufine artassé face & -gueilleux, ne rgie puissante Bond dans sa té des nations 3 de trafiquant lité, sa réalité, ce, marchand tat recourent wils envoient que les agents idlemen » qui ‘ivés, dorment les limites de et des Etats connait, Dans pour services ayées, de pro- tes bancaires, ils de notaire, schirée par les , bien avant le rlin, en Amé- Chine. Espion Monsieur Monsieur, l’espion du Roi ou pas ? C’est la question centrale des diverses investigations conduites par les enquéteurs belges sur ses activités. Une synthése! du dossier réalis¢e par l’enquéteur en chef, Piette Fievez, pour le compte du juge d’instruction bruxellois De Haan, met ainsi le doigt sur les mystéres de la nébuleuse de Jacques Monsieur. Un ancien de Tsahal au départ de lenquéte Tout démarre en 1986 avec une mystéricuse valise. Inter- ceptée par les Douanes de Charleroi, en Belgique, elle va diriger les enquéteurs sur sa piste. La valise, remplie de documents concernant l’achat-vente d’armements, de papiers vierges suisses et sud-afticains, de négatifs de cachets de douane, appartient 4 un drdle de personage, David Benelie. Elle contient aussi des papiers de la société de Monsieur, avec qui Benelie fait du business, et un certificat de non-réexpor- tation falsifié. C’est en somme le parfait nécessaire du trafi- quant d’armes, qui vaudra aux deux compéres leur premigre interpellation. Rapidement, les premiéres interrogations appa- raissent : agents ou trafiquants ? « L’enquéte révélera l’appar- tenance de David Benelie au Mossad, les services secrets israéliens », écrit alors Penquéteur belge Pierre Fievez. Benelie reste une énigme. II affiche différents « alias », dont celui de David Azoulay, L’homme détient la double nationa- lité, israélienne et sud-africaine, et dispose d’un CV long comme le bras dans le secteur militaro-sécuritaire israélien. Ancien officier de Tsahal, l’armée israélienne, et ex-chef de, la sécurité de la compagnie aérienne El Al a Johannesburg, il utilisera un temps un bureau dans Jes locaux de Monsieur. Son frére Avner’, colonel des forces armées et haut gradé du 1, Datée du 15 décembre 1997, elle reprend les éléments de I’en- semble du dossier Monsieur depuis 1986. ; 2. Test aujourd'hui le bras droit en Israél de Mare Rich, le célébre trader dont la gigantesque fraude fiscale fut effacée par Clinton & la veille de son départ de Ia Maison-Blanche, en janvier 2001. 53 Trafics d’armes Mossad, serait entré dans les annales de la bravoure israé- lienne en ayant contribué 4 l’enlévement en Argentine du nazi Adolf Eichmann, l’organisateur de la solution finale. En 1985 Jacques Monsieur et David Azoulay ont vendu a la Chine des lance-grenades fabriqués en Belgique, alors que Vacheteur était officiellement les Pays-Bas. En route, les lance-grenades s’étaient métamorphosés en « matériel de signalisation maritime ». A l’époque, Monsieur est le repré- sentant 4 Bruxelles d’une société de sécurité israélienne, Elgard, qui proposait un systéme de détection des métaux enterré dans le sol. Azoulay en est I’un des consultants. Mon- sieur garde un curieux souvenir de son ancien associé, proche du Mossad. « Je me suis rendu compte a un moment que nos bureaux, avenue Moliére 4 Bruxelles, étaient. visités pendant la nuit, raconte-t-il. Le compteur de la photocopieuse conti- nuait 4 tourner aprés 1a fin de la journée, C’était Azoulay qui revenait le soir et visiblement photocopiait mes dossiers. J'ai déposé plainte pour vol de documents et abus de confiance, mais il avait quitté la Belgique pour l’Espagne'. » De bons amis au Mossad David Azoulay a-t-il introduit Monsieur auprés du Mossad ou de l’Aman, le service de renseignements de I’armée israé- lienne ? Mystére. Une ancienne connaissance de Jacques Monsieur, Claudine Fraiture, polytechnicienne, consultante pour des sociétés américaines et lobbyiste officiellement habi- litée auprés des milieux militaires belges et A 1’Otan?, se souvient des « confideiices » de Monsieur. A la fois pas- sionnés d’équitation et intéressés a la chose militaire, ils avaient sympathisé. « Un jour, il m’a raconté qu’il fréquentait 1. Entretien du 16 mars 2005. 2. En Belgique, sa société North Atlantic Consult (NAC) dispose de la licence de vente d’armes. 54 le Mossad, explique ce partie de se juste en fac avoir eu le 1994, Claus quée, quest Monsieui étroites ave les policier contacts avi d’entre eux avait un nut dans les 20 gait pas de dire que le belge qui o ture. Je cor question qu rité.» Ensu les blindés rencontrer, mars 1996. sement, aux Moti Hod, aérienne, q La relati VEtat hébre vice de ren Tespondant des militair canon, ent Sactions d 1, Entreti youre istaé- tine du nazi vale, ont vendu 4 ¢, alors que 1 route, les matériel de est Je repré- israélienne, des métaux Itants. Mon- ocié, proche lent que nos ités pendant vieuse conti- Azoulay qui lossiers. Jai e confiance, » 3 du Mossad armée israé- de Jacques consultante Jement habi- POtan?, se la fois pas- militaire, ils il fréquentait NAC) dispose Monsieur Monsieur, l’espion du Roi Je Mossad, et qu’il avait “retourné” un Itanien pour eux! », explique celle qui avait loug, au début des années 1990, une partie de ses grands bureaux au trafiquant. Des locaux situés juste en face du quartier général de I’Otan, A Bruxelles. Pour avoir cu le malheur de préter son fax @ Jacques Monsieur en 1994, Claudine Fraiture ne décolére'pas d’avoir été convo- quée, questionnée, soupgonnée par les enquéteurs Monsieur a entretenu durant des années des relations &troites avec des « correspondants » israéliens. Interrogé par les policiers le 7 novembre 1996, il assure « avoir eu des contacts avec divers agents traitants du Mossad ». Le premier d’entre eux, explique Jacques Monsieur : Michael Farby. « II avait un numéro de bip en Belgique ; j’appelais et il rappelait dans les 20 minutes pour convenir d’un rendez-vous. II n’exer- gait pas de fonction officielle a l'ambassade d’Israél. Il faut dite que le Mossad posséde en Belgique des sociétés de droit belge qui opérent officiellement sous des activités de couver- ture. Je connais certaines de ces sociétés mais il est hors de question que je révéle les noms, pour des questions de séou- rité. » Ensuite, un certain « Gabriel, colonel de Tsahal dans les blindés ». Et puis « Simon, venu expres d’Israél pour me rencontrer, avec qui j’ai eu plusieurs contacts entre janvier et mars 1996, Aprés j’ai décidé d’arréter », assure: Curieu- sement, aux flics il ne dit mot d’un autre de ses amis israéliens, Moti Hod, décédé en 2003, un ancien général de la force aérienne, qu’il commandait lors de la guerre des Six Jours. La relation de Monsieur avec ces « correspondants » de V'Etat hébreu est-elle celle existant entre un officier d’un ser- vice de renseignements et sa « source », son « honorable cor- respondant » ? Ou bien s’agit-il simplement de business entre des militaires reconvertis dans les affaires et un marchand de canon, entre deux intermédiaires internationaux de tran- sactions d@’armement ? Dans les documents saisis chez 1. Entretien du 29 septembre 2004. 55 Trafics d’armes Monsieur, ce dernier, 4 la recherche, pour la Corée du Sud, de munitions qui ne sont plus fabriquées, mais qui sont sus- ceptibles d’étre peut-étre encore utilisées dans ’armée istaé- lienne, traite en 1992 avec son contact Moti Hod: il est a la recherche, pour la Corée du Sud, de munitions qui ne sont pas fabriquées, mais susceptibles d’étre encore utilisées dans Varmée israélienne. « Les contacts téléphoniques étaient réguliers entre Jacques et Moti, un homme chaleureux et bon vivant' », se souvient Fabienne Devinat, qui partageait alors la vie du marchand d’armes. «II est venu parfois déjeuner chez nous», relate cette brune discréte et réservée, fille de diplomate. Elle dit n’avoir jamais su la nature exacte des relations entre le Belge et I’Israélien. Aprés le général, un autre Israélien serait apparu dans le paysage relationnel de Monsieur, Mais entre eux les rapports se sont dégradés et ont dégénéré, homme finissant méme par menacer Fabienne au téléphone... Les enquéteurs qui ont mis la main sur les archives du trafiquant y ont vu apparaitre des sociétés d’ar- mement de V’Etat hébreu, souvent les mémes : Dexord, spé- cialisée dans les systémes électroniques d’armements, Israél Military Industry (IMI), Soltam. Jeu trouble dans l’Iran des mollahs Marchand d’armes 4 I’épais carnet d’adresses international, en contact, selon lui, avec des agences de renseignements, Jacques Monsieur ne pouvait qu’intéresser les Israéliens, Sur= tout que le Belge a commencé a s’introduire dans quelques pays particuligrement fermés. La Libye, par exemple. Un de ses anciens associés, Yves Deloche?, le négociant en aéro- nautique, témoigne : « L’une des preiniéres fois que nous avons travaillé ensemble, il nous a mis en contact avec son réseau @agents commerciaux libyens. Il avait une tres bonne 1, Entretien du 9 mars 2005. 2. Entretien du 23 aodt 2004, 56 | | filiére chez le lendemai pays, mais vigueur. Ai c’est ainsi Libyens pe Waffaire fa Autre po ses aises : | au début de sont arrivé: anti-occider élites sont voilées de 1 avec le vo cadres, le r tous les mc forcément | la guerre a’ F-4, F-5 ¢ missiles, 1 qui se méf Pasdarans, cain, a lad 1. Le live pour l'Iran, différents pa au régime de moments jus: de poudre, « livrée a Parr alors société lent grace a Selon les aut @expérience clandestins 4 Jement aupré orée du Sud, qui sont sus- *armée israé- id: il est a la 3 qui ne sont utilisées dans ques étaient sureux et bon ttageait alors fois déjeuner rvée, fille de © exacte des > général, un elationnel de igradés et ont Fabienne au nain sur les sociétés d’ar- Dexord, spé- ments, Israél international, \seignements, raéliens. Sur- ans quelques omple, Un de iant en aéro- vis que nous tact avec son ae trés bonne Monsieur Monsieur, l’espion du Roi filitre chez les militaires. Kadhafi avait contacté Airbus dés le lendemain de la levée des sanctions européennes contre son pays, mais les sanctions américaines étaient toujours en vigueur. Airbus m’a demandé de faire le lien avec Tripoli, et c’est ainsi que Jacques nous a aidés, On a négocié avec les Libyens pendant prés de deux ans, mais il n’y a jamais eu daffaire faite. » Autre point chaud de la planéte of Jacques Monsieur prend ses aises : l’Iran des ayatollahs et des mollahs. Nous sommes au début des années quatre-vingt, les hommes en turban noir sont arrivés au pouvoir, portés par une révolution religicuse anti-occidentale, Au nom de l’islamisme le plus radical, les élites sont pourchassées, les idées bafouées, les femmes voilées de la téte aux pieds. Entré dans une guerre sans merci avec le voisin irakien, doté d’une armée décapitée de ses cadres, le nouveau régime iranien cherche & se réarmer' par tous les moyens. Sans dresser un inventaire trop précis mais forcément lassant, les forces iraniennes possédent au début de la guerre avec l’Irak environ 450 avions, principalement des F-4, F-5 et +14 de fabrication... américaine, équipés de missiles, 1 125 chars, et 1 000 piéces d’artillerie. Le pouvoir, qui se méfie de ses soldats, s’appuie sur l’organisation des Pasdarans, les gardiens de la Révolution. Le Congrés améri- cain, 4 la demande du Président Jimmy Carter, a décrété un 1, Le livre de Jean-Charles Deniau et Walter de Bock, Des armes pour I’Iran, Gallimard, 1988, raconte comment des entreprises de différents pays européens, dont la France, ont vendu des. armements au régime de Khomeyni, « A partir de 1980 une part essentielle, par moments jusqu’aux deux tiers de la capacité de production des usines de poudre, d’explosifs et de munitions d’Europe occidentale a été livrée 4 l’armée iranienne », et ce jusqu’en 1985 environ. La SNPE, alors société publique frangaise, a participé a ces trafics, qui se dérou- lent grace a 1a complicité de pays qui font transiter les marchandises. Selon les auteurs, les Iraniens se font « facilement gruger par manque a'expérience » au cours des négociations pour leurs premiers achats clandestins d’armes. Le pays se livrait auparavant tout a fait officiel- lement auprés d’Etats comme les Etats-Unis ou Israél. 37 Trafics d’armes embargo des fournitures d’armement a I'iran, Alors que cer- taines nations décrétent aussi I’embargo vers I’Irak, et que T'Europe! enti’re emboite le pas des Américains, des émis- saires de Téhéran parcourent la planéte A la recherche de matériel militaire. Monsieur l’agent des Américains ? Vers la capitale iranienne convergent du monde entier mar- chands et trafiquants pourvoyeurs d’armes. A Genéve, Munich, Londres, Paris, Rome, des colonels iraniens et des hommes d’affaires de toutes nationalités négocient en secret. Des businessmen américains, voire israéliens, se prennent d'une telle passion pour le régime de Khomeyni qu’ils ne peuvent s’empécher de lui proposer leurs matériels de mort... Tsraél sera méme violemment mis en cause dans les livraisons d’armes 4 Téhéran. En ces années-la, germe déja un scandale qui éclatera plus tard : l’Irangate, le dossier des armes amé- ticaines yéndues clandestinement a I’Iran en violation des décisions du Congrés américain, notamment pour financer la rébellion contre les Sandinistes au pouvoir au Nicaragua. Jacques Monsieur avouera lui-méme, au cours de son procs tenu 4 huis clos 4 Bruxelles, fin 2002, avoir connu le lieute- nant-colonel Oliver North, le fameux « héros » américain de V'Irangate. Autre acteur moins prestigicux de ce scandale avec qui il tentera quelques « coups»: Georges Drouviotis, un homme d’affaires belge d’origine grecque. Ce dernier est dans la mire de la justice : il fricote en Iran, trafique dans I’arme- ment et sera condamné dans 1’Irangate. Ce n’est pas un hasard si Monsieur a croisé les pas de divers protagonistes de ce scandale : trafiquant a l’allure d’aristo, il a débarqué dans le jeu iranien. Les services américains, coupés de cet immense pays pris dans les tourbillons d’une révolution. et d’une guerre, y auraient utilisé « l’agent Monsieur ». C’est 1. Sauf le Portugal, qui levera les sanctions en 1983. 58 A du moins ce ¢ en quéte des iraniennes. « avaient été Téhéran. Ave lution, tout a purge a suivi informaient 1 américano-ire fichiers, et n Israéliens aus En 1997, la rations : il as but. « Jacque services sect: informés sur fournir des re sion de fagon iranienne, le sous leur cc communicat policiers. VRP pou Le Belge « ancien vice-1 hang Ardalar été un fidéle régime des a finit, dans 1 hommes se si Ardalan arrai Varmée de I 1, Entretier lors que cer- Trak, et que as, des émis- recherche de ie entier mar- A Genéve, aniens et des ent en secret. se prennent yni quils ne iels de mort... les livraisons aun scandale s armes amé- violation des ur financer la u Nicaragua. de son procés nnu le lieute- américain de scandale avec drouviotis, un otnier est dans » dans I’arme- spas de divers are aristo, il icains, coupés ane révolution asieur ». C’est 83. Monsieur Monsieur, U’espion du Roi du moins ce que ce dernier affirme. Les Etats-Unis sont alors en quéte des détails les plus pointus sur les forces militaires iraniennes. « Les fichiers américains de renseignements avaient été centralisés a I’ambassade des Etats-Unis & ‘Téhéran. Avec la prise du lieu par les Gardiens de la Révo- lution, tout a été perdu en quelques minutes. Une énorme purge a suivi ; mais les agents locaux les plus importants, qui informaient les Américains jusqu’a la rupture des relations américano-iraniennes, n’apparaissaient pas en clair dans les fichiers, et n’ont pas été grillés'», raconte Monsieur. Les Israéliens aussi s’intéressent A I’état de l’armée de Téhéran. En 1997, la synthése policiére sur le Belge cite ses décla- rations : il assure avoir été approché par le Mossad dans ce but. « Jacques Monsieur explique qu’il a été contacté par les services secrets israéliens, deux membres du Mossad, bien informés sur ses relations avec I’Iran, qui demandent de leur fournir des renseignements a propos de I’Iran. Mis sous pres- sion de fagon 4 maintenir ses relations avec la Force aérienne iranienne, le Mossad demande a Jacques Monsieur de fournir sous leur contréle certains équipements et obtenir ainsi communication du matériel commandé », racontent les policiers. VRP pour Parmée de Pair iranienne Le Belge a un contact sur place, et pas n’importe qui: un ancien vice-ministre des Affaires étrangéres du Shah, Hous- hang Ardalan. Politiquement « neutre », ce dernier n’a jamais 66 un fidéle zélateur du Shah. Il a done été épargné par le régime des ayatollahs. Aussi vrai que tout commence et tout finit, dans les romans d’espionnage, A Istanbul, les deux hommes se sont connus sur les bords du Bosphore... Houshang Ardalan arrange les rendez-vous & Téhéran avec les gradés de Varmée de I’air iranienne. Le colonel Mansour Sattari, chef . Entretien du 18 novembre 2004. 59 Trafics d’armes de la force aérienne', fait le nécessaire pour la délivrance du premier visa de Jacques Monsieur et le regoit lui-méme. Par- fait VRP, ce dernier a apporté son lot de catalogues de matériels américains et allemands. Son expérience dans les pays de l’Est, notamment en Pologne, se vante-t-il, garantit ses chances de succés en Iran. Rétrospectivement, il fait l’ar- ticle. « On les a appatés », assure-t-il crénement. Un des premiers dossiers, qui n’a pas abouti, concerne la vente @avions F-S aux Iraniens, désireux de renforcer leur capacité aérienne. Historiquement, la flotte iranienne est constituée davions américains... Ca tombe bien: Jacques Monsieur a entendu parler d’une vingtaine de F-5 dont le Chili cherche 4 se débarrasser. Un colonel, jeune retraité de la Royal Air Force britannique, trés proche des patrons de 1a junte militaire au pouvoir a Santiago, joue les intermédiaires. L’affaire n’aboutit pas. Le Belge multiplie néanmoins les visites. Il fera 4 Téhéran une rencontre capitale, grace a laquelle sa carriére d’agent- trafiquant prendra tout son essor au pays des ayatollahs : le docteur Bijan Sharif Pakdaman. Cet ancien médecin, bel homme 4 la carrure athlétique, issu de la vieille aristocratic iranienne et maniant autant l'anglais et ’allemand que le farsi, n’a plus du docteur que le nom. Naviguant dans les cercles du pouvoir, conseiller de Hachemi Rafsandjani, alors prési- dent du Parlement, et donc numéro trois du régime iranien2, ila trouvé plus utile de se reconvertir dans le business. Quand on dispose comme lui d’un passeport diplomatique, c’est tel- lement plus facile... En tant qu’« ami » des mollahs, il béné- ficie donc de quotas de pétrole A vendre sur les marchés internationaux. Sa mission en échange : aider le régime a se 1. Le colonel Sattari est mort dans un accident d’avion qui fera plusieurs morts chez: les militaires iraniens, en 1995. 2. Hachemi Rafsandjani, ancien collaborateur de Khomeyni, sera président de la République islamique d’Tran et chef du gouvernement de 1989 & 1997. 60 i | | i i | t | | | fournir en arr daman a créé1 Company. Il j a de bons con qui construit munitions et + rencontre Jac livrer I’Iran s affaires cor Lorsqu’il « auditions’, le ceuvrer autar relations avec suis en contac de défense a demande du belges [...]. Jc au bénéfice Pakdaman je aux question: belge] conce Sa société A écouter besoins de p tubes pour ¢ missiles et d fournira ave témoigne un ‘Téhéran che: Le marche Matimco. Ei Bruxelles, o« 1, En 1987 ‘la délivrance du it lui-méme. Par- le catalogues de sérience dans les ante-til, garantit ment, il fait l’ar- nement. Un des neerne la vente seer leur capacité te est constituée ques Monsieur a > Chili cherche 4 Royal Air Force ante militaire au ’affaire n’aboutit {l fera 4 Téhéran rarriére d’agent- '$ ayatollahs : le n médecin, bel cille aristocratic tand que le farsi, dans les cercles ani, alors prési- régime iranien, business. Quand atique, o’est tel- aollahs, il béné- ur les marchés ‘le régime a se @avion qui fera 5 > Khomeyni, sera du gouvernement Monsieur Monsieur, l’espion du Roi fournir en armes. En ‘Allemagne, 4 Bréme, « docteur » Pak- daman a créé une société de trading pétrolier, HPT Oil Trading Company. Il joue le VRP pour les Iraniens, notamment gréce a de bons contacts avec Krauss-Maffei, l’entreprise allemande qui construit les chars d’assaut Leopard. A la recherche de munitions et de pitces détachées pour les blindés iraniens, il rencontre Jacques Monsieur. Les Allemands, qui ne peuvent livrer ’Iran sous embargo, veulent utiliser le duo @’hommes Waffaires comme écran. Lorsqu’il est interrogé, pendant l’une de ses premiéres auditions', le Belge évoque le docteur Pakdaman et assure ceuvrer autant pour les Américains et les Belges : relations avec lui sont politico-commercialo-militaires [.. suis en contact avec lui a la demande de CIC USA [une société de défense américaine, installée dans le Connecticut], a la demande du gouvernement américain, au profit des services belges [...]. Je peux vous affirmer qu’actuellement je travaille au bénéfice des services de renseignements et que gréice & Pakdaman je suis au top-niveau iranien. Je peux ainsi répondre aux questions du SDRA [ancien nom du service d’espionnage belge] concernant les besoins irakiens et iraniens... » Sa société: un commerce de confection ! A écouter Jacques Monsieur, les Iraniens avaient d’énormes besoins de piéces a usure rapide : chenilles de chars blindés, tubes pour canons de chars ; ils étaient aussi demandeurs de missiles et d’avions... ou de simples pneus Dunlop, qu’il leur fournira avec le méme empressement. En 1990, comme en témoigne un fax adressé par Monsieur 4 son ami iranien, Téhéran cherche des hélicoptéres Bell 205. Le marchand d’armes a démarré son business via sa société Matimco. Enregistrée en 1980 au registre du commerce de Bruxelles, cette société qu’il a reprise 4 un homme d’ affaires 1, En 1987. 61 Trafics d’armes dispose, selon les documents déposés au registre du commerce, d’un curieux objet social: « L’importation et commerce de gros de confection pour dames, messieurs et enfants ; intermédiaire commercial ; bureau d’études et de cons » On réve : la société qui sert donc de « couverture » aux discrétes activités du trafiquant est enregistrée comme entreprise textile ! Il utilisera également d’autres sociétés : en fait de simples coquilles, telles que la nébuleuse CIC Benelux, dont il dit étre le représentant, elle-méme liée 4 CIC USA et CIC Madrid, ou une structure enregistrée dans le paradis fiscal de Guernesey, Globian International Trading. Muni de sa carte de visite commerciale, il se rend désormais 4 Téhéran huit & dix fois par an — et ce jusqu’en 2000. « Au fil des années j’ai pu créer un véritable réseau de renseignements! », assure Monsieur. En clair, une filigre d’espions a la solde des pays démocratiques. Le marchand d’armes recrute, dit-il, des agents au sein des élites iraniennes, des taupes en rupture avec le régime des mollahs et acquises a l’Occident. Le Jacques Monsieur qui affirme avoir été briefé sur les techniques de l’espionnage, le recrutement des agents, le trai- tement des documents et les mille et une maniéres de les transmettre en secret 4 bon port, est-il un réel espion, un simple trafiquant d’armes frimeur et vantard, ou un marchand qui va glaner des informations sur le terrain et les remettre & un ou plusieurs services de renseignements, en échange de faveurs et de protections ? A I’entendre, Monsieur a été enrdlé par Vancétre du service de renseignements militaire belge actuel. On l’appelait encore le SDRA ~ aujourd’hui on parle du SGRS’, Aprés avoir terminé ses études de droit a 1, Entretien du 18 novembre 2004. 2. Le Service général du Renseignement et de la Sécurité (SGRS), qui dépend du ministre belge de la Défense, correspond globalement aux services frangais de la DGSE (dédiée au renseignement extérieur tous azimuts) et de la DRM (renseignement militaire) réunis. Un autre service de renseignement, la SOreté de l’Etat, sous la tutelle du ministre 62 P’Université bonne fami taire. Tl est blindée, od qui est pas: unité de rer la star inter Oliveira, a1 et signe ave offte la pos militaire. Py on lui prop (en Poceun service des cipe des ac Voila Jac traitant?” ¢ Partillerie « sous-lieuter bon pare de trés droit, ¢ avec le se papiers, les rendais le n pas que je s Gtait une ta surveillaier belge de la DPSD, I’ex- 1, Le SG 2, Dans 1 qui assure i informations 3. Entreti registre du aportation et messieurs et études et de couverture »» strée comme i sociétés : en CIC Benelux, CIC USA et paradis fiscal ini de sa carte éhéran huit a 2s années j’ai its'», assure ride des pays 2, dit-il, des rupture avec oriefé sur les gents, le trai- niéres de les 1 espion, un un marchand es remettre a 1 échange de a été enrdlé ilitaire belge hui on parle s de droit a curité (SGRS), 1d globalement sment extérieur sunis, Un autre alle du ministre Monsieur Monsieur, l’espion du Roi l'Université de Louvain, en 1978, le jeune homme, issu d’une bonne famille flamande, est réquisitionné pour le service mili- taire. Il est affecté A Arlon, a l’école d’Infanterie-Cavalerie blindée, ot il acquiert ses galons d’officier de réserve. Lui qui est passionné d’équitation est chasseur & cheval dans une unité de reconnaissance. Aprés deux ans passés aux cétés de la star internationale du dressage de chevaux, l’écuyer Nuno Oliveira, & Malveira, au Portugal, Monsieur reprend du service et signe avec l’armée un contrat d’« officier temporaire » — qui offre la possibilité de rempiler un ou deux ans apres le service militaire. Peu aprés son recrutement comme chasseur & cheval, on lui propose, dit-il, de rejoindre les services secrets belges (en occurrence le SDRA), avec une affectation officielle au service des achats du ministére de la Défense, chargé en prin- cipe des achats de matériels militaires! Voila Jacques Monsieur espion du Roi. « Pai un “officier traitant” depuis le début : le colonel Hayot, un ancien de Partillerie ensuite rattaché au SDRA, raconte-t-il. Il avait été sous-lieutenant en Corée, dans le détachement de l’ONU. Un bon pare de famille distingué mais au physique passe-partout, tras droit, d’une extréme prudence. C’est lui qui faisait le lien avec le service pour chacune de mes missions, pour les papiers, les passeports a utiliser. Pour étre trés discret je me rendais le moins souvent possible dans les locaux — il ne fallait pas que je sois repéré par les Iraniens. On savait que Bruxelles était une taupiniére a agents, les envoyés spéciaux de Téhéran surveillaient tout ce qu’ils pouvaient’... » belge de la Justice, équivaut & peu prés en France a la DST et a la DPSD, I’ex-Sécurité militaire. 1. Le SGA, Service général des Achats. 2. Dans le langage de P’espionnage, V’officier traitant est l'homme qui assure la liaison avec le service de renseignement, recueille les informations de Ia source et transmet les demandes du service. 3. Eniretien du 18 novembre 2004. 63 Trafies d’armes Révélations des services secrets belges Le SDRA aurait donné son feu vert & son premier voyage cn Iran, L’objectif que, dit-il, les services Ini assignent, consiste les aider A humer sur place le clintat politique, & identifier les nouveaux dirigeants et responsables des organi- sations et structures qui déticnnent réellement le pouvoir. Qui est qui, qui fait quoi... Bref, reconstruire les organigrammes du pouvoir iranien a la fois dans les domaines militaire, poli- tique, économique... « Avec les Belges nous avons organisé ma couverture commerciale. Il était convenu que je me pré- sente sous mon véritable passeport belge, comme responsable de ma société Matimco. Cette société existant déja, cela faci- litait ma couverture. »> A Bruxelles, au sein du gouvernement, on ne voit pas exac- tement les choses de la méme fagon. Pour la premitre fois, les services secrets belges ouvrent le « dossier Monsieur ». Sollicité fin 2004 pour les besoins de cette enquéte, le ministre de la Défense! a donné son feu vert. L’objectif est de rectifier les déclarations de Jacques Monsieur? dont on estime en haut lieu qu’elles prennent trop de libertés avec la réalité — au risque d’éclabousser les autorités. Le chef du service de ren- seignements* du SGRS — il a le grade de colonel — a accepté un entretien, Avant le rendez-vous il a passé un aprés-midi 4 lire ’intégralité du dossier. Nous sommes dans une brasserie, le colonel, qui souhaite rester dans l’anonymat, est en tenue sportswear... Il a posé devant Iui un petit paquet de notes imprimées sur des feuillets roses ou jaunes, assure qu’il se réserve la possibilité de ne pas répondre & tout. Revendiquer 1. Il s’agit du socialiste André Flahaut, nommé a ce poste en juillet 1999. 2. Notamment Pinterview réalisée sur RFI par David Servenay le 30 novembre 2004. Il sagit de sa premitre interview. 3, Le SGRS est composé de quatre branches : le service-de rensci- gnement, qui traite le renseignement extérieur, le service de contre- espionnage, le service de sécurité et la division des attachés de défense. 64 A des liens offir sieur ne s’ap de communic sieur est 2 nv marchand d’ du terme, de que ce soit ¢ colonel. C’es mation sur ui de sa propre que nous n’a obtenir une } développée ¢ un passeport toujours refu Dans le « belges, on tr « officier tra prévenu a I’ Monsieur, po contrairemen services belg AP Etat-majc des choses q de ce quill contact avec a toujours es Son manque trop visible, € son habitu ment le genr du métier... claites : Mo salarié, emp Secrets appe lement et di emier voyage ui assignent, it politique, a 2s des organi- » pouvoir. Qui -ganigrammes nilitaire, poli- vons organisé ue je me pré- ve responsable Igja, cela faci- voit pas exac- premiére fois, rt Monsieur ». ite, le ministre ast de rectifier sstime en haut a réalité — au ervice de ren- el — a accepté 1 aprés-midi a une brasserie, 5 est en tenue quet de notes ssure quil se . Revendiquer A ce poste en vid Servenay le srvice de rensei- vice de contre- chés de défense, Monsieur Monsieur, l'espion du Roi des liens officiels avec un personnage sulfureux comme Mon- sicur ne s’apparenterait stirement pas 4 une bonne opération de communication pour les services belges... « Jacques Mon- sieur est 4 nos yeux un marchand d’armes, et seulement un marchand d’armes. Il n’a jamais été un agent, au sens propre du terme, des services de renseignements militaires belges, que ce soit dans les années 1980 ou aujourd’hui, martéle le colonel. C’est vrai qu’il nous a fourni des rapports d’infor- mation sur un certain nombre de sujets, mais c’était toujours de sa propre initiative. Des dons volontaires, en quelque sorte, que nous n’avons jamais rémunérés. En échange il souhaitait obtenir une protection, notamment lorsque son activité s’est développée en Iran, au moment de la guerre avec I’Irak, ou un passeport diplomatique, protection que nous lui avons toujours refusée. » Dans le « dossier Monsieur» conservé dans les services belges, on trouve effectivement trace du colonel Hayot, son « officier traitant », aujourd’hui décédé, « Ce militaire avait prévenu a I’époque qu’il entretenait des liens avec Jacques Monsieur, poursuit le responsable des services secrets. Mais contrairement a ses affirmations, il n’a jamais appartenu aux services belges de renseignements, mais a l’armée de terre et AT Etat-major. » « Jacques Monsieur nous a servi a confirmer des choses qu’on savait déja. Aujourd’hui on se tient informé de ce qu’il fait, on le suit de loin et nous n’avons aucun contact avec lui», confie le colonel du SGRS. Il rigole : «On a toujours estimé qu’il risquait d’avoir un jour un probléme. Son manque de discrétion risquait de nuire au Service. Il était trop visible, du style 4 se rendre dans un café populaire habillé a son habitude, c’est-d-dire de manidre distinguée, pas vrai- ment le genre a se fondre dans la foule. » Pourtant le B.A.BA du métier... Pour Jes autorités belges, les choses sont done claires: Monsieur n’est qu’un informateur. Pas un agent, salarié, employé du Service. Méme pas ce que les services secrets appellent une « source » — une taupe traitée officiel- lement et de manitre permanente par le Service, protégée, 65 Trafics d’armes voire rémunérée pour les informations qu’elle prodigue. Juste un « honorable correspondant », un informateur, qui a apporté de « bons tuyaux », des « informations d’ambiance », notam- ment sur les besoins en armement des pays de l’Est 4 l’époque du pacte de Varsovie. Toujours est-il qu’au début de ses activités, Jacques Mon- sieur est surveillé par le renseignement militaire belge..A Bruxelles, ot il loue des bureaux en face de 1’Otan, I’un des collaborateurs de la société, Iui-méme ancien militaire, est chargé en secret de ne pas le licher d’un pouce, et de rapporter ses faits et gestes. Cela dure un an ou deux. Plus tard, c’est au tour de la Sareté de I’Etat de s’intéresser de prés A lui. Le contre-espionnage belge récupére a cette date un lot de dis- quettes du trafiquant. En 1996 et 1997, les services militaires se replongent dans le dossier Monsieur. Visiblement a la demande d’autres pays que les activités du Belge ne laissent pas indifférents. Jouant de Popacité qui envelope traditionnellement I’ac- tion des services secrets, Monsieur enjolive ses contacts informels et occasionnels avec le renseignement belge, au point de se tailler un costume d’espion sur mesure... Pour mieux s’en parer, il enrichit quelques passages de son CV — que le colonel du renseignement belge s’empresse de réta- blir: 4 I’en croire, homme n’a jamais regu d’affectation au sein du bureau des achats du ministére de la Défense. Habile, Jacques Monsieur s’affiche avec d’influents mili- taires : l'un de ses proches n’est autre qu’un ancien haut gradé des services secrets du royaume. Aujourd’hui a la retraite, ami des chevaux comme Monsieur, le colonel Jean Kamps a en effet, comme reconnaissent pudiquement ses anciens col- Iégues, «un trou de quelques années dans son CV ». Un trou frappé du tampon secret défense... Patron de la branche « contre-espionnage » du service de renseignements, entre 1984 et 1987, Jean Kamps fut également attaché de défense 4 Kinshasa, 4 Bangkok, détaché 4 Beyrouth, au Cam- bodge, a Téhéran. A la demande d’un avocat du Belge, il s’est 66 | 1 | | | démené pour niennes... At réserve Jacqt renseignemer qui a fait sa belge. Il sere d’armes. Désireux a belge, Jacqu dont il park Fabienne De France, dans aussi il trie s de I’ancien n Bourges, il ¢ «On veut ul Algérie pou lunettes de t de 1997, Tr Bourges a de missiles. I judiciaire vit 1, Datée d de gendarmes bilan de Penc odigue. Juste quia apporté ice», notam- ist ’époque acques Mon- ire belge. A yan, l'un des militaire, est tde rapporter us tard, c’est orés a lui. Le in lot de dis- ces militaires olement a la fe ne laissent Ilement I’ac- ses contacts int belge, au esure... Pour 3 de son CV esse de réta- iffectation au Hfense, ifluents mili- on haut gradé retraite, ami Kamps a en anciens col- ‘V». Un trou > la branche signements, it attaché de uth, au Cam- 3elge, il s’est Monsieur Monsieur, l’espion du Roi démené pour tenter de sortir l’agent-trafiquant des gedles ira- niennes... Autres amis militaires, le lieutenant-colonel de réserve Jacques Snaps et le colonel Uyttersprot, anciens du renseignement belge. Et le commandant Jos Van Tichelen, qui a fait sa carriére au service des Achats de la Défense belge. Il sera plus tard lui aussi mis en examen pour trafic d’armes. Désireux au début des années 1990 d’échapper A la grisaille belge, Jacques Monsieur souhaitait s’installer au Portugal, dont il parle couramment la langue. Mais sa compagne, Fabienne Devinat, est frangaise. Ce sera donc le centre de la France, dans le Bas Berry, le domaine des Amourettes. La aussi il trie ses amis sur le volet, Ainsi Patrice Bourges. Fils de lancien ministre frangais de la Défense de Giscard, Yvon Bourges, il connait les spécificités techniques des matéricls. «On veut utiliser ses contacts 4 Chypre, en Turquie, ou en Algérie pour proposer 276 tonnes de cartouches ou des lunettes de tir israéliennes' », relate une synthése de police de 1997. Toujours actif dans les milieux de la défense, Bourges a depuis été recruté € MBDA, la société frangaise de missiles. Il se fait discret en attendant la fin de l’enquéte judiciaire visant son ancien partenaire d'affaires. 1, Datée du 4 novembre 1997 et signée de la section de recherches de gendarmes de Bourges, elle dresse en une quarantaine de pages le bilan de Penquéte sur Jacques Monsieur. ?ologne trafiquant, les ‘ormations sur xs projets qui 1981, sous la &te du pays, a et le syndicat sen main. A vus les réseaux, ntreprise d’ar- © une version wils tentaient 1 “fire control : V’époque, et Duest, comme ‘autre c6té du er sur le char A infrarouge. 1é en Pologne joue son réle jets d’expor- des munitions de rechanges s faites. « ly $ des dossiers xe les pays en done que les sour de vrai », @argent d’un e d’armement s systémes de se défaire’ le Agent ou trafiquant ministére des Affaires étrangéres de Varsovie. Les ambassades polonaises dans le monde étaient munies de systémes soviétiques, tellement « buggés » qu’ils permettaient 4 Moscou d’écouter en permanence les coups de téléphone échangés par les diplomates polonais. Souhaitant se débar- rasser de cette encombrante surveillance, Varsovie aurait doté ses chancelleries, via ’entregent de Jacques Monsieur, d’un systéme suisse, moins perméable aux écoutes soviétiques. Mais il est probable que ce procédé ait permis A d’autres Etats de se renseigner a leur tour en direct sur les conversations des ambassadeurs polonais C’est A cette époque, au début des années 1980, que Mon- sieur se fagonne son personage a deux faces qui, aujourd’hui encore, comporte une large part d’ombre, insaisissable, invé- rifiable. Le Jacques Monsicur qui faréte dans les usines et explore les stocks d’armes 4 Varsovie pour en rendre compte Al’Ouest serait aussi un Jacques Monsieur qui s’entremet pour vendre l'industrie de défense polonaise a |’étranger. Agent, mais aussi marchand. Rusé comme un renard, il brandit cette double casquette comme une carte maitresse,’a I’attention de tous ceux qui s’intéressent de trop prés a ses activités — juges, policiers, journalistes... Autre argument sorti de son chapeau, ultra-rodé : « Avec ma couverture de négociant, représentant d'une société commerciale, il fallait bien de temps en temps noyer le poisson et démontrer ma crédibilité en concluant un contrat, histoire de montrer que mon activité était réelle », confesse-t-il. Quoi qu’il en soit, ses comptes bancaires & Létranger n’ont pas été décortiqués par la justice, belge et frangaise. Et il affirme de son cété qu’il n’a pas tiré d’in- croyables profits de son activité de marchand d’armes. De nombreuses factures ont certes été retrouvées, mais ont-elles toutes && honorées? Il aurait fallu pour en savoir plus se plonger dans les livres! de la filiale luxembourgeoise d’une 1. Comme le montrent divers documents saisis par la justice. 139 Trafics d’armes banque polonaise, 1a Bank Handlowy, de la Discount Bank de Montevideo (au nom de la société Kerel), de la BNP de Genéve (Rostral Corporation), de la Bank Austria Creditans- talt, la plus grande banque d’Autriche... Monsieur sait qu’il peut & pou prés justifier Ja dizaine de millions de francs (1,5 million euros) déposés sur les seuls comptes que les enquéteurs ont passés au crible, ceux de la banque Hervet — lui qui, issu d’une famille aisée, a hérité tot de sa mare, Ila @ailleurs en partie convainou les juges belges qui l’ont jugé le 19 décembre 2002: « Il n’est pas dénué de toute vraisem- blance que le prévenu exergat une activité de renseignements génératrice de revenus. Par ailleurs, Jacques Monsieur jouit d'une aisance pécuniaire indéniable et non contestée’..», ont-ils écrit dans leur jugement, tout en reconnaissant qu’il existe’dans la nébuleuse de ses activités une « certaine confu- sion destinée & annihiler toute velléité d’enquéte ». Echantillons prélevés pour les services secrets Dans le climat post-guerre froide qui prévaut au début des années 1980, les agences américaines de renseignements, elles, ratissent l’information tous azimuts. Une coopération étroite se serait nouée avec les Belges 4 propos de Jacques Monsieur. On l’aide a @tre au bon moment sur les bons marchés, assure-t-il : ses contacts américains’ se débrouillent pour récupérer les listes de besoins en atmes et pidces de rechange de pays « sensibles », que ce soit & l’Est ou en Iran. Et les lui transmettent. Monsieur débarque alors, comme une fleur, avec des catalogues d’équipements adéquats dans ses valises, prét a vendre des matériels américains ou, a partir de la chute du Mur, des équipements issus des viewx stocks de Pex-Union soviétique. Bon commergant, il vend, mais achéte aussi, L’intérét, c'est d’obtenir des prototypes de la production 1, Jacques Monsieur est condamné a 40 mois d’emprisonnement et 1000 euros d’amende, 140 locale, afi sophisticati les service échantillon qui seront vendu. «€ chargeais. Etats-Unis, rasser de tc laient pas essayait di achat. » Quelle q les services néanmoins une enquét compagnie vérifiant I’e Tessés aux gistrée a B davions F documents demment qi explique le en partie far a V’Iran. M la mesure « achats des transmette: commercial rapport et p gique. Voilé contre le tr: 1, Entretic Discount Bank , de la BNP-de istria Creditans- asieur sait qu’il lions de franes comptes que leg anque Hervet — de sa mére. Ila s qui Pont jugé s toute vraisem- renseignements Monsieur jouit contestée'... », mnnaissant qu’il certaine confu- Ste». ecrets ut au début des enseignements, ne coopération pos de Jacques t sur les bons se débrouillent s et piéces de Est ou en Iran, 1s, comme une quats dans ses ou, a partir de ‘ieux stocks de id, mais achéte ela production aprisonnement et Agent ou trafiquant locale, afin de pouvoir en évaluer la qualité, le degré de sophistication... Pour ce qui est des achats aux pays ciblés par les services, il préléve done sur les quantités acquises des échantillons « pour le renseignement », selon ses affirmations, qui seront transmis 4 qui de droit; le reste étant réellement vendu. «On m’aidait 4 trouver un acheteur, ou je m’en chargeais. Les stocks acquis partaient souvent vers les Btats-Unis, qui redistribuaient, l’objectif étant de se débar- rasser de tous ces matétiels iraniens que les Américains n’al- laient pas stocker indéfiniment, explique-t-il. Parfois on essayait de trouver l’acquéreur avant de s’engager pour Vachat. » Quelle qu’ait été la proximité de Jacques Monsieur avec les services américains, 'administration de Washington serait néanmoins & lorigine de sa chute. Tout aurait commencé par tune enquéte menée par les Douanes dans les locaux de la compagnie US Material Supply, un de ses fournisseurs. « En vérifiant ’ensemble des archives, les enquéteurs se sont inté- ressés aux dossiers de ma société Matiimco, une société enre- gistrée A Bruxelles, qui avait acheté des pices de rechange davions F-4, F-5, F-14 pendant des années, grace A des documents “end-users” belges. Les douaniers savaient évi- demment que ces avions ne sont pas utilisés en Belgique! ! », explique le trafiquant, « Il est vrai que ces documents étaient en partie faux, puisque les piéces de rechange étaient destinées 4 [’lran. Mais ils étaient en méme temps authentiques, dans la mesure of les papiers étaient délivrés par le bureau des achats des forces armées belges. » Les Douanes américaines transmettent le dossier Matimco-Monsieur a Vattaché commercial de l’ambassade américaine a Paris, qui fera un rapport et portera plainte devant le procureur du Roi, en Bel- gique. Voila comment la toute premiére procédure est ouverte contre le trafiquant belge. 1, Entretien du 9 décembre 2004. 141 Trafics d’armes L’opération « Matra »: recruter un militaire iranien Retour en Iran. Le « réseau de renseignements » de Mon- sieur est désormais rodé, Des comptes bancaires ont été ouverts a l’étranger en faveur de certaines taupes que I’on remercie pour les informations données, voire pour des services rendus. Rétribution ou corruption, difficile de faire la part des choses. « Des filiéres de sortie des documents ont été mises sur pied, il était en effet difficile de mémoriser Vintégralité des informations, explique Jacques Monsieur. Il était hors de question que j’en emporte moi-méme en passant la frontiére. Et je ne suis jamais entré en Iran avec de grosses sommes d’argent liquide. Sur place nous avions des hommes d'affaires qui nous remettaient des rials, en échange de quoi nous les payions a I’étranger en dollars.» A V’entendre, les services américains ont monté dans les années 1993-1994, avec son aide, I’« opération Matra», Objectif : se renseigner sur les radars iraniens, les capacités anti-aériennes et systtmes de défense cétiére dont dispose le pays, etc. Le nom de l’en- treprise frangaise de défense Matra est utilisé sans que son patron, Jean-Luc Lagardére, soit mis au courant: il s’agit de procéder au recrutement d’un général iranien au top-niveau de l’armée de I’air, une vieille connaissance de Monsieur. « Je connaissais ce militaire depuis une dizaine d’années, mais je n’arrivais pas a sentir s’il était loyal envers le régime ou pas. Je ne pouvais pas me permettre de lui faire des propositions de travailler pour I’étranger sans étre certain qu’il accepte'. » Selon lui, les espions mettent sur pied un stratagéme ; il s’agit de proposer au militaire une modernisation et une mise & jour des systémes iraniens déja en place ; cela permettrait de connaftre exactement les atouts et les failles de leurs défenses, héritées de la coopération avec les pays occidentaux A l’époque du Shah, mais peu entretenues depuis. Le général iranien se rend donc a Bruxelles. Il y rencontre une vraie 1, Entretien du 9 décembre 2004, 142 fausse déléga Matra, catalo américains dé tard, le milita et dégradé p dossiers de Ji a proposé a détection des vendu a arn: @utiliser les de fabricatior des ventes co cours de ces hélicoptéres a matériel de { radars au s¢ détachées de dans la totali permettait de perdre du tem munitions! », Aprés Téh Jacques M ‘Téhéran com: sidence de le Rafsandjani, : Tage, qui m’a ministres de Rafigh Doust: chefs d’état-n années 1980 ¢ trés élevés. 1 1, Entretien Agent ou trafiquant fausse délégation de responsables dune filiale de l’entreprise Matra, catalogues en main — en fait, une poignée d’agents américains déguisés en commerciaux... Quelques années plus tard, le militaire sera arrété 4 deux reprises, torturé, condamné et dégradé par le régime. La justice retrouvera dans les dossiers de Jacques Monsicur des documents prouvant qu’il a proposé 4 Téhéran un systéme radar ultra-sophistiqué de détection des missiles Hawk, le radar Electron. Il a également yendu a l’atmée de lair iranienne les informations permettant (utiliser les missiles frangais Matra Magic-2 sur ses avions de fabrication américaine, les F-4 Phantom... La liste globale des ventes conclues avec les mollahs s’avére trés longue. Au cours de ces nombreuses années, Monsieur leur vend des hélicoptéres américains, des pitces de rechange d’avions, des matériels de télécommunication de toute taille, des pitces de radars au sol, des composants de missiles, des pitces détachées de blindés... « On n’a jamais alimenté les Iraniens dans la totalité de leurs besoins. Livrer partiellement nous permettait de rester dans la course avec eux et de leur faire perdre du temps. Et je n’ai fourni ni armes en tant que tel, ni munitions! », insiste-t-il. aire iranien nts » de Mon- oaires ont été upes que l’on dire pour des — Yicile de faire documents ont de mémoriser 3 Monsieur. Il me en passant vec de grosses s des hommes hange de quoi Ventendre, les 2s 1993-1994, se renseigner es et systémes »nom de l’en- sans que son it: il s’agit de au top-niveau Monsieur. « Je anées, mais je égime ou pas. 8 propositions il accepte'. » stratagéme : il m et une mise la permettrait illes de leurs 's occidentaux is. Le général itre une vraie Aprés Téhéran, les Balkans Jacques Monsieur est avec les ayatollahs au pouvoir 4 Téhéran comme un poisson dans l’eau. Il est admis a la pré- sidence de la République islamique, et rencontre en direct Rafsandjani, alors président. « Je connais trés bien son entou- rage, qui m'a énormément pistonné ; j’ai aussi rencontré les ministres de la Défense, l’ancien ministre des Pasdarans, Rafigh Doust, les personnages clés de l’armée tels que certains chefs d’état-major. Ce sont des gens que j’ai connus dans les années 1980 alors qu’ils n’étaient qu’a des niveaux pas encore tres élevés. Depuis, ils sont montés dans la hiérarchie du 1. Entretien du 9 décembre 2004, 143 Trafies d’armes régime! », explique-t-il. I a aussi connu amiral Javadi, qui fut 'un des commandants iraniens sur le front de la guerre avec I'Irak. Javadi s'est discrétement rendu au milieu des années 1990 a Paris : le régime cherchait remettre & niveau des Mirage, confisqués aux Irakiens pendant le conflit, ainsi que des vedettes frangaises vendues autrefois & Iran. Les fréres Ali-Akbar et Ahmad Nateghnouri, respectivement ancien président du Parlement et député iraniens, sont égale- ment des proches. Bras droit du Guide supréme, ayatollah Khamenei, Ali-Akbar Nateghnouri est plutot étiqueté pro-conservateur. C’est lui qui introduit Jacques Monsieur — auprés de la Modlex, la société de I’Btat iranien chargée de vendre et d’exporter les armes fabriquées par l'industrie natio- nale, En échange, cet homme politique de premier plan pergoit selon le trafiquant des commissions, un pourcentage sur les contrats réalisés par Monsieur, sur des comptes bancaires 4 Dubai. « C’est son fils Said qui gérait ses comptes a I’étranger, car Ali-Akbar Nateghnouri ne parle pas anglais” », raconte notre agent-marchand. A cette époque, Jacques Monsieur pénétre la zone instable des Balkans. Dernier bastion communiste en Europe, la You- goslavie s’appréte a imploser et, comme 4 Téhéran en d’autres temps, les marchands d’armes de la planéte défilent dans les points chauds de Ja fédération. « Les services américains m’envoient en Croatie deux a trois semaines aprés le début du conflit faire une étude d’évaluation des besoins’ », raconte Jacques Monsieur. La situation militaire y est simple : l’em- bargo’ décrété par les Nations unies en septembre 1991 4 1. Eniretien du 9 décembre 2004. 2. Entretien du 9 décembre 2004. 3, Entretien du 2 février 2005. 4. Le premier embargo sera maintenu jusqu’en 1996, Un second embargo de PONU & Vencontre de la République fédérative de You- goslavie, qui deviendra la Serbie-Monténégro, sera en vigueur entre 1998 et 2001 144 Yencontre de Fédération y Yougoslavie industrie d’at Serbie ; les apres le déby yougoslave I les Croates s ou presque. Franjo Tuc le président visite expres: encore, l’em unies. Le 25 tionale, la C: de la méme issus de l’e Croatie sera 15 janvier 1¢ de la méme Rendez-vi «Ce sont ce rendez-ve vol Swissair regu en tant assure l’aget cratie des B allure. Il reg« ne peut pas lignes sont avant de se pendance de 1. Entretiet Agent ou trafiquant Jencontre de l’ensemble des pays issus de 1’éclatement de la Fédération yougoslave va bénéficier 4 la Serbie. Car si la Yougoslavie se distingue de longue date par une puissante industrie d’armement, celle-ci se trouve surtout concentrée en Serbie ; les stocks sont énormes et la production a perduré apres le début de embargo. Alors que dans l’armée fédérale yougoslave les officiers supérieurs d’origine serbe sont légion, Jes Croates se comptent quasiment sur les doigts d’une main, ou presque, Franjo Tudjman est I’un d’eux. Jacques Monsieur rencontre Je président croate au début de l'année 1991, au cours d’une visite express. A cette époque, l’aéroport de Zagreb fonctionne encore, ’embargo n’a pas encore été décrété par les Nations unies. Le 25 juin 1991, appuyée par la communauté interna- tionale, la Croatie proclame son indépendance. En septembre de la méme année, I’embargo onusien touche tous les Etats issus de I’ex-Yougoslavie. La toute jeune République de Croatie sera reconnue par la Communauté européenne le 15 janvier 1992 et admise au sein des Nations unies le 22 mai de la méme année. tral Javadi, g nt dé la guerre au milion do tespectivement — ons, sont égale. me, ayatollah lutét étiqueté ques Monsieur tien chargée de industrie natio. tier plan pergoit centage sur leg tes bancaires & tes A létranger, lais*», raconte a zone instable ‘urope, la Yous ‘ran en d’autres Sfilent dans les 2es_américains aprés le début vins* », raconte simple : l’em- vembre 1991 a Rendez-vous chez le président croate «Ce sont mes correspondants de la DIA qui ont organisé ce rendez-vous. On m’attendait 4 la descente de l’avion, un vol Swissair, avec une voiture officielle. J’ai clairement été regu en tant qu’“envoyé spécial” des services américains' », assure agent-trafiquant. Dégageant un air de vieille aristo- cratie des Balkans, Tudjman le nationaliste se donne fitre allure. Il recoit habillé en civil, un traducteur 2 ses c6tés. « On ne peut pas tenir. On se bat avec des fusils de chasse ; nos lignes sont enfoncées », discourt-il, & en croire Monsieur, avant de se livrer A quelques tirades nationalistes sur l'indé- 996, is é i 6. Ua. secon pendance de son pays. Un entretien est également organisé Aérative de You- ‘era en vigueur 1, Entretien du 2 février 2005. 145 Trafics d’armes avec le chef des services seorets qui regoit la fine 6quipe dans son « bunker » de Zagreb. Archétype du sinistre apparatchik de l’Est, Manolic est un ancien Premier ministre croate, un affidé du parti présidentiel, le HDZ. «Il voulait des contacts avec les services frangais pour réorganiser le renseignement croate de maniére moderne’ », explique le partenaire de Mon- sieur, Pierre Ferrario. Ce dernier, qui se targue d’étre bien regu a Ja DST, assure: «On a transmis A qui de droit.» Rapidement, Jacques Monsieur est présenté a la garde préto- rienne de Tudjman, chargée au palais présidentiel des appro- visionnements en armes : les deux généraux qui le regoivent sont deux pivots de la clique qui entoure Tudjman, Le premier, pas anglophile pour un sou, roule en Jaguar dans une Croatie en guerre. Selon le trafiquant, il se remplit les poches — et ses comptes en Autriche — au fur et & mesure qu’il passe commande pour son pays, de maniére tellement voyante que Phomme est viré au profit de son adjoint. Le second, lui, se contentera d’une vieille BMW 316, mais se montre néanmoins pas peu fier de Iui-méme. Agé d’une trentaine d’années seu- lement, c’est un ancien officier de police qui a été promu général de brigade. Il va prendre la téte de l’entreprise publique d’armement, RH Alan. Il est pistonné par le futur ministre de la Défense, un proche parmi les proches du pré- sident Tudjman, Gojko Susak. Ce dernier se révélera des années plus tard l’un des trois titulaires? d’un compte secret dans une banque autrichienne. Un compte bancaire sur lequel ont été stockés, au début des années 1990, environ 50 millions d’euros, réservés 4 des achats d’armes clandestins, notamment pendant la période noire de l’embargo. 1, Entretien du 26 mai 2005. 2. Selon la presse croate de 2002, les deux autres titulaires du compte sont l’ancien ministre des Finances, Jozo Martinovic, et l’an- cien chef de cabinet du président croate, Hrvoje Sarinic. Ce dernier, seul sutvivant, a toujours nié ces faits. Le compte aurait pu aussi servir de cagnotte secréte au parti présidentiel, 146 Avec la gu pays. Ils sont indépendanc mafieux, alléc les services d tique de la Cr Communauté prééminent da ficié d’énorme tuel & Dintéric Study of Dem rang va ainsi rouages entre et ’équipe de aidant, ce der pays et enfile | avec une ‘cont Ante Roso qu Vancien colla Borde, qui tr choc, On le v tecéle bien de Les comm: Pour la Cro les. besoins e1 1, Partners ii Bulgarie, se vet trés documentée les Balkans. Da Autres l’accent s citant par exemy cation dans un tr __ la drogue a été 2. Entretien ¢ ne équipe dans re apparatchik stre croate, un. it des contacts renseignement maire de Mon- ve d’étre bien yui de droit, » la garde préto- tiel des appro- ui le regoivent an, Le premier, ng une Croatie yoches — et ses e qu'il passe at voyante que second, lui, se tre néanmoins dannées seu- ia &é promu le Ventreprise 1é par le futur roches du pré- 2 révélera des compte secret caire sur lequel on 50 millions ns, notamment res titulaires du ttinovie, et I’an- inic, Ce dernier, lit pu aussi servir Agent ou trafiquant ‘Avec la guerre, de nombreux Croates émigrés affluent au pays. Ils sont simples patriotes, galvanisés par la toute neuve indépendance, exilés politiques, voire mercenaires ou mafieux, alléchés par le chaos ambiant... « La symbiose entre les services de sécurité et le crime organisé était caractéris- tique de la Croatie dirigée par Franjo Tudjman et le HDZ, la Communauté démocratique croate [...]. A cause de son réle prééminent dans la création de ’Etat croate, l’armée a béné- ficié d’énormes priviléges et fonctionnait comme un Etat vir- tuel 4 l’intérieur méme de I’Etat », reléve le Center for the Study of Democracy! (CSD). Un sulfureux militaire de haut rang va ainsi contribuer a verser un peu d’huile dans les rouages entre la jeune garde prétorienne du président croate, et I’€quipe de Jacques Monsieur : Ante Roso. Bruits de bottes aidant, ce dernier, proche de Tudjman, rentre dare-dare au pays et enfile le costume de général. Roso fait déja du business avec une’connaissance de Jacques Monsieur. « C’est grace & ‘Ante Roso qu’on a vendu des armes aux Croats” », confie ancien collaborateur de Monsieur, Jean-Claude Uthurry- Borde, qui trouve du « charisme » cet ex-légionnaire de choc. On Ie verra, le clan avec qui Jacques Monsieur se lie recéle bien des surprises... Les commandes d’armements se succédent Pour la Croatie qui vient de proclamer son indépendance, les besoins en armes sont énormes. Il y a une armée de 1, Partners in Crime, Le CSD, organisation indépendante basée en Bulgarie, se veut le watchdog de la démocratie dans ce pays, et est trés documentée sur les phénoménes de corruption, en Bulgatie et dans les Balkans. Dans les paragraphes sur la Croatie, le CSD met entre autres l’accent sur les liens entre généraux croates et crime organisé, citant par exemple le cas du général Andabak, arrété pour son impli- cation dans un trafic de 665 kg de cocaine. En provenance d’Equateur, la drogue a été saisie dans le port de Rijeka en 1999. 2, Entretien du 19 octobre 2004, 147 Trafics d’armes 40 000 & 50.000 hommes a équiper, entigrement ou presque. Jusqu’en 1993, seul ou accompagné, Jacques Monsieur se rend plus d'une quinzaine de fois en Croatie. Le premier rendez-vous se déroule dans un restaurant de Ljubljana, dans la Slovénie voisine. De nombreux autres suivront... « Les Croates avaient la folie des grandeurs et voulaient le nec plus ultra, se souvient Monsieur. Au ministére de la Défense, tout était neuf, des ordinateurs aux Mercedes en passant par les Mini-Moke et les camions Iveco. Les policiers avaient des uniformes neufs, des voitures neuves... » Il leur faut de tout. Jacques Monsieur ne se fait pas prier pour livrer, via sa société Matimco: obus de tous calibres, mortiers, lance-roquettes RPG, canons d’artillerie, kalachnikovs, missiles russes Igla, fusils d’assaut, pistolets Uzi, mines, roquettes, munitions en tout genre, et notamment de « .50! », ces mitrailleuses lourdes que l’on monte sur les chars blindés et qui crachent plusieurs centaines de cartouches a la minute. Des « petits bijoux » de fusils, de l’avis des trafiquants... Le 18 septembre 1991, deux commandes tombent pour quelque 14,3 millions de dollars. En mars 1992, 30000 bombes de mortier de 60 mm sont achetées pour 2,85 millions de dollars. En décembre 1992, 31 000 nouvelles bombes de mortier et 100 000 cartouches de mitrailleuses lourdes pour 2,85 millions de dollars... « Le lendemain d’un rendez-vous au Palais présidentiel, raconte Jean-Claude Uthurry-Borde, une attaque serbe démolit une aile du batiment. Le général a décidé illico l’achat de missiles sol-air. » Les armes provien- nent de Pologne, d’Israél, d’Iran, de Bulgarie, de Chine, des Etats-Unis... Parfois notre agent prodigue ses meilleurs conseils, comme le montre ce fax adressé 4 Marin Tomulic le 15 aoait 1992, dans lequel le Belge incite a acheter le missile Red Arrow américain, plutét que le Milan frangais : « Nous 1. Prononcer « point 50 148 allons rencor porter de Fre Les gendai Monsieur on’ Il s’agissait « sous embarg: Exemple : 1’ a des batteri Alors que le 1993 au jeun d'autres son’ pétrolier cro. produit ache! hydrauliques « matériel se. Une doub Dans les ¢ confidentielk ploi» de cet courrier est Finances de ont accordé 1 financement vernement, n pays est stric LONU et que des autorités financier pari pétro-chimiq ‘Au moins les «Pour un m Croatie, le co 1, Entretien at ou presque, : Monsieur se 2. Le premier jubljana, dans ivront... « Les ant le nec plus Défense, tout vassant par les ts avaient des r faut de tout. » via sa société ance-roquettes, 2s russes Igla, munitions en ‘leuses lourdes ‘hent plusieurs its bijoux » de tombent pour 1992, 30000 2,85 millions es bombes de s lourdes pour n rendez-vous Jthurry-Borde, . Le général a rmes provien- de Chine, des ses meilleurs farin Tomulic reter le missile agais: « Nous Agent ou trafiquant allons rencontrer des problémes majeurs pour pouvoir I’ex- porter de France et en plus cela prendra du temps'. » Les gendarmes qui ont mené les perquisitions chez Jacques Monsieur ont mis a jour le systéme de fausses factures utilisé. II s’agissait de masquer les opérations menées dans un pays sous embargo. Une double facturation va étre mise en place. Exemple : l’achat de 10 000 munitions de 122 mm destinées a des batteries de mortier et des canons 4 obus Howitzer. Alors que les vraies factures sont adressées le 9 septembre 1993 au jeune général Zagoree, pour 2,35 millions de dollars, d’autres sont faussement remplies et adressées au groupe pétrolier croate INA. Mais si le montant est le méme, le produit acheté différe : il s’agit désormais de 10 000 valves hydrauliques. Le libellé du contrat établi n’est autre que «matériel servant 4 l'industrie pétrochimique ». Une double facturation occulte Dans les documents saisis chez le Belge figure une lettre confidentielle qui donnera aux enquéteurs le « mode d’em- ploi» de cette double facturation. Daté du 29 avril 1992, le courrier est adressé par Jacques Monsieur au ministre des Finances de la République de Croatie. « Nos banques nous. ont accordé un délai d’un an pour monter ces opérations de financement pour achat de marchandises passé par votre gou- vernement, mais comme la vente de ces équipements a votre pays est strictement interdite pour tous les pays membres de PONU et que les banques, ici, font objet d’un contrdle strict des autorités locales, nos banques ont besoin d’un montage financier paralléle acceptable. Nous pensons que le complexe pétro-chimique de INA fournirait une parfaite couverture. » Au moins les choses sont-clles claires. Précision de Monsieur : «Pour un marché soumis 4 embargo comme celui avec la Croatie, le contrat signé entre ma société et la firme iranienne 1, Entretien du 19 octobre 2004, 149 Trafies d’armes pourvoyeuse de matériel était maquillé. Les vraies spécifi- cations figuraient dans les annexes du contrat. L’Etat iranien, qui avait la tutelle de la société Modlex, était susceptible d’étre pris en flagrant délit de violation de l’embargo, et ne voulait pas étre mis en cause', » Parallélement 4 Jacques. Monsieur, d’autres trafiquants se sont mis sur ce juteux marché croate, des Autrichiens, des Allemands, des Sud-Africains et autres intermédiaires venus du froid... Tout ce beau monde se tire dans les pattes et se marche sur les pieds. Le 2 décembre 1992, Monsieur, qui achéte en Chine des armements pour ses amis de Zagreb, s’énerve dans un fax A ces derniers : « ’ai regu trois appels de Pékin aujourd'hui ! C’est la panique la-bas et le fait que Cermak ait décidé de me court-circuiter et d’envoyer une délégation crée un désarroi total!» Le général Cermak est Vhomme chargé, au début de la guerre, des achats d’armes croates. Pas content, Monsieur poursuit, sans tourner autour du pot : « Vous savez que la Chine n’a jamais fait de cadeaux a la Croatie au sein de ’ONU. Si Cermak envoie une délé- gation et parle de crédit, cela va créer effet d’une bombe car la destination réelle du financement va remonter a la surface. Je rappelle qu’ils ont fait un financement pour une autre opé- ration qui camoufle la vraie, Vous pensez bien qu’il n’y a personne pour accorder un crédit 4 une opération qui est sous embargo de 17ONU?.» Quelques mois plus tard, en mars 1993, le sujet d’une visite secréte des Croates en Chine est toujours sur le tapis. « Ils sont d’accord pour aller 4 Pékin en visite non officielle et avec leur passeport personnel, non diplomatique ; ils sont d’accord aussi pour aller chercher leur visa 4 Vienne», faxe Monsieur a l’un.de ses contacts. 1. Entretien du 16 mars 2005. 2. Dans ce fax, Monsieur explique qu’il aurait obtenu le marché en raison de ses liens anciens avec les Chinois ; il affirme leur avoir acheté pour 80 & 100 millions de dollars de matériels entre 1985 et 1987. 150 Et bientét la Avec Paventy équipe. Pout le 1 les déchargemen Jacques Monsieu de gus : un merce et croate, James est détaché de I’ pour enforcer I’é au Congo-Brazz prendre livraison Monsieur et son une soci slo ainsi dans le ci marchés, Cette 9 _ quéte de PONU direction du Libe Pendant sa plo __ trafiquant Jacque: Tha toujours un - installée par les Yougoslavie, Pré chargée par-les musulmans bosn VIran va. fournir mmilitaires et tout futures reerues.¢ Sarajevo. Janati « du régime, Il va des petites sours Pakistan =Ie fer ¢ en Bosnie, Depu 1, Contacté part ‘Suite & nos demand maies spécifi- Etat iranien, it susceptible mbargo, et ne trafiquants se itrichiens, des Sdiaires venus 18 pattes et se Monsieur, qui is de Zagreb, u trois appels et le fait que Penvoyer une ul Cermak est chats d’armes courner autour ait de cadeaux. roie une délé- ime bombe car ra la surface, ane autre opé- mn quil n’y a mn qui est sous ‘lus tard, en yates en Chine raller 4 Pékin yersonnel, non * chercher leur contacts. ntenu le marché firme leur avoir dels entre 1985 Agent.ou trafiquant Et bientét la Bosnie... Avec V’aventure croate, Jacques Monsieur élargit son équipe. Pour le meilleur et pour le pire... Afin de surveiller les déchargements des livraisons dans le port de Rijeka, Jacques Monsieur va ainsi obtenir le coup de main d’un drdle de gus : un mercenaire disposant de la double nationalité belge et croate, James Cappiau, surnommé « Marty». Ce dernier est détaché de Punité d’artillerie qu’il commande 4 Zagreb pour renforcer I’équipe Monsieur. Plus tard, il sera a ses cdtés au Congo-Brazzaville. Lors d’un voyage en Pologne pour prendre livraison d’un stock d’armes, a destination de l’Iran, Monsieur et son équipe feront Ia connaissance du dirigeant dune société slovaque, Joy Slovakia. Andre Izdebski' entre ainsi dans le circuit. Tous deux s’associent sur certains marchés, Cette société sera épinglée dans les rapports @’en- quéte de l’ONU pour son réle dans les trafics d’armes en direction du Liberia. Pendant sa plongée dans les Balkans en éruption, Pagent- trafiquant Jacques Monsieur n’en oublie pas ses amis iraniens. Ila toujours un pied a Téhéran. A T’époque, une commission installée par les autorités fait parler d’elle jusque dans la Yougoslavie. Présidée par l’ayatollah Ahmad Janati, elle a été chargée par les plus hautes autorités d’aider la Bosnie et les musulmans bosniaques... et pas seulement spirituellement : V'Iran va fournir des armes, des instructeurs, des conseillers militaires et tout ce qui va avec. Des combattants musulmans, futures recrues d’Al-Qaida, feront également le chemin de Sarajevo. Janati est un redoutable conservateur, un pur et dur du régime. Il va faire de cette commission — qui a engendré des petites sceurs dans plusieurs pays musulmans, comme au Pakistan — le fer de lance de la propagation intégriste iranienne en Bosnie. Depuis, Janati a été nommé président du Conseil Contacté par téléphone et par mail, Andre Izdebski n’a pas donné suite 4 nos demandes d’entretien, 151

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