Après L'extase, La Lessive - JACK KORNFIELD
Après L'extase, La Lessive - JACK KORNFIELD
Après L'extase, La Lessive - JACK KORNFIELD
'
APRES
L'EXTASE
LA
LESSIVE
Comment
la sagesse du cur se dveloppe
sur la voie spirituelle
LA
TABLE RONDE
DU MME AUTEUR
Prils et promesses de la vie spirituelle,
JACK KORNFIELD
La Table Ronde
7, rue Corneille, Paris 6e
SOMMAIRE
1.
Un hommage rvlateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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LA PRPARATION L'EXTASE
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8. Au-del du satori . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9 L'veil n'est pas une fin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10. Le linge sale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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rs.
UN HOMMAGE RVLATEUR
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UN HOMMAGE RVLATEUR
avant toi et qui sont moines depuis plus longtemps que toi sont
tes ans. Il me fallut juste un instant pour raliser que cela
signifiait tout le monde.
Je commenai donc m'incliner devant tous les moines. Parfois
c'tait tout fait normal- bon nombre d'ans, sages et respectables, vivaient dans la communaut- mais d'autres moments, cela
me semblait ridicule. Je croisais des moines d'une vingtaine d'annes,
pleins de morgue, qui n'taient l que pour plaire leurs parents ou
avoir une nourriture meilleure que chez eux, et je devais m'incliner
devant eux simplement parce qu'ils avaient pris les vux une
semaine avant moi. Ou bien encore, je devais me courber face un
vieux paysan dbraill, venu au monastre quelques mois plus tt
selon le plan de retraite des cultivateurs, qui mchait constamment
des noix de btel sans jamais avoir mdit un seul jour de sa vie.
C'tait dur de rendre hommage ces rustres comme s'ils taient de
grands matres.
Malgr tout, je m'inclinais et, comme cela me posait problme,
je cherchai un moyen pour sortir de ce dilemme. Finalement, alors
que je me prparais une nouvelle journe de rvrence envers mes
ans ,je me mis chercher ce qu'il y avait de respectable en chacune
des personnes devant lesquelles je m'inclinais. Je rendis hommage
aux rides du vieux paysan pour toutes les difficults qu'il avait vues,
endures et surmontes. Je saluais la vitalit et la joyeuse insouciance
des jeunes moines et par l mme les possibilits incroyables que leur
offrait la vie qu'ils avaient encore devant eux.
Je commenai aimer rendre hommage. Je m'inclinais devant
mes ans, je m'inclinais avant d'entrer dans le rfectoire et en sortant. Je m'inclinais en pntrant dans ma cahute au milieu des bois,
je m'inclinais devant le puits avant de me laver. Au bout d'un certain
temps, rendre hommage devint ma voie, je ne faisais que cela : si
quelque chose bougeait, je joignais les mains et m'inclinais.
UN HOMMAGE RVLATEUR
I3
UN HOMMAGE RVLATEUR
INTRODUCTION
QUELQUES VRAIES QUESTIONS
INTRODUCTION
INTRODUCTION
r8
INTRODUCTION
rent. je vis comment le flot de la vie se droule en une trame que nous
modelons selon le courant de notre karma. je vis toute ide de renoncement spirituel comme une sorte de jeu consistant vouloir contraindre
notre tre abandonner la vie ordinaire et les plaisirs. En foit, le nirvana est ouvert, tellement ouvert, joyeux, tellement joyeux, tellement
au-del de tous ces petits plaisirs auxquels nous nous accrochons. Vous ne
renoncez pas au monde, vous recevez le monde.
La description d'un veil de cet ordre apparat habituellement la fin des rcits spirituels. L'veil est obtenu, l'individu
entre dans le courant des tres de sagesse, tout se droule ensuite
naturellement. Concrtement, nous restons sur l'impression que
la personne veille vit dsormais heureuse en permanence. Mais
que se passe-t-il si, au lieu de quitter ce rcit, nous demandons
en entendre quelques chapitres supplmentaires?
Quelques mois aprs cette extase, j e me sentis dprim et vcus dans le
mme temps quelques trahisons d'ordre professionnel assez significatives. j'avais aussi continuellement des problmes avec mes enfants et
ma fomille. Oh! mes enseignements taient bien. je donnais des confrences trs inspires mais si vous parlez avec ma femme, elle vous
dira que plus le temps passait, plus je devenais grincheux, impatient
comme jamais. je savais que cette vision spirituelle grandiose tait la
vrit et qu'elle tait l, sous-jacente, mais je reconnaissais galement
que bon nombre de choses n'avaient pas du tout chang. dire la
vrit, mon esprit et ma personnalit taient rests pratiquement
identiques, mes nvroses galement. Peut-tre tait-ce mme pire, car
maintenantje les voyais plus clairement. Ily avait ces rvlations cosmiques et moi,je continuais avoir besoin d'une thrapie simplement
pour me dbrouiller parmi les erreurs et les leons d 'une simple vie
quotidienne d'tre humain.
~el bienfait pouvons-nous tirer d'un tel rcit de l'veil de
INTRODUCTION
20
INTRODUCTION
tre une aide dans le monde moderne et pour voquer aussi les
difficults que nous rencontrions. La salle tait pleine de matres zen, de lamas, de moines et de matres de mditation bienveillants et compassionns dont la sagesse, le travail et les communauts avaient apport leur bienfait des milliers de
personnes. Nous parlions des nombreux succs et de notre joie
d'y tre pour quelque chose. Mais quand vint le moment de
parler honntement de nos problmes, il devint manifeste que
la vie spirituelle n'tait pas totalement harmonieuse: nos luttes
collectives et nos nvroses personnelles s'y rvlaient aussi.
Mme au sein d'une si noble et si pieuse assemble, des zones
importantes de prjugs et d'aveuglement perduraient.
Sylvia Wetzel, une enseignante bouddhiste allemande, expliqua combien il tait difficile pour les femmes et la sagesse fminine
d'tre totalement intgres dans la communaut bouddhiste. Elle
montra les Bouddhas dors et les splendides peintures tibtaines
qui entouraient la salle, faisant remarquer que tous taient reprsents sous une forme masculine. Puis elle demanda au DalaLama et aux autres matres et lamas de fermer les yeux et de mditer avec elle: d'imaginer qu'ils entraient dans cette salle et que
celle-ci avait t transforme, de sorte qu'ils se prosternaient maintenant devant la quatorzime rincarnation fminine du DalaLama. Avec elle, se trouvaient bon nombre de conseillres qui toujours avaient t des femmes et autour d'elles, il y avait des reprsentations de Bouddhas et de personnes saintes, toutes videmment sous une forme fminine. Il n'avait, bien entendu, jamais t
enseign qu'il tait moins bien d'tre de sexe masculin, mais il fut
nanmoins demand ces hommes de s'asseoir derrire et de rester
silencieux puis aprs la runion d'aller aider en cuisine. Au terme
de cette mditation, chaque homme rouvrit les yeux passablement
branl.
INTRODUCTION
2I
Ensuite, ce fut le tour d'Ani Tenzin Palmo, une nonne tibtaine d'origine anglaise, pratiquante depuis vingt ans, dont douze
dans une grotte la frontire tibtaine. D'une voix douce, elle
dcrivit l'aspiration spirituelle et les difficults inimaginables des
femmes pratiquantes, autorises vivre uniquement la priphrie
des monastres et la plupart du temps prives d'enseignement, de
nourriture ou de soutien. Lorsqu'elle eut termin, le Dala-Lama
prit sa tte entre ses mains et pleura. li s'engagea tout mettre en
uvre pour que la place des femmes dans sa communaut
devienne plus quitable. Pourtant dans les annes qui suivirent,
beaucoup d'enseignants parmi les anciens ont continu, dans tous
les pays bouddhistes, rsister et lutter contre ces changements,
parfois au nom de la tradition, parfois au nom de facteurs psychologiques et culturels. Lors de ces assembles avec le Dalai-Lama,
un des suprieurs de la communaut zen admit que sa relation
douloureuse avec sa mre l'avait rendu pratiquement incapable de
guider le groupe de femmes devenues officiantes dans son temple.
D'autres encore reconnurent leurs propres conflits dans ce
domaine.
Nos discussions s'orientrent alors vers d'autres formes
d'aveuglement: le sectarisme et les conflits de pouvoir destructeurs qui existent entre certains matres bouddhistes et des
communauts; l'isolement et la solitude du rle d'instructeur;
les enseignants qui un beau jour profitent de leurs tudiants par
un mauvais usage du pouvoir, de l'argent et de la sexualit. Au
cours de conversations informelles, nous avons aussi parl de
problmes plus personnels : des enseignants dcrivirent des
divorces douloureux, des priodes de peur et de dpression, des
conflits familiaux ou avec d'autres membres de la communaut.
Des matres de mditation parlrent de stress et de maladie,
d'adolescents menaant de se suicider, de jeunes enfants qui,
voulant rester dehors toute la nuit, faisaient face leurs parents
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INTRODUCTION
INTRODUCTION
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Les surs taient maintenant contraintes d'aborder leur vie spirituelle haute voix, sans s'tre entranes au pralable user de la
parole avec sagesse. Beaucoup fuirent le couvent et il fallut quelques
annes la communaut pour retrouver dans les mots humains la
grce qu'elles avaient ressentie dans le silence. La vie spirituelle a
besoin des deux. Tout comme le soufRe entre et sort du corps, il nous
faut intgrer connaissance intrieure et expression extrieure. li ne
suffit pas d'accder l'veil, nous devons trouver les moyens de vivre
pleinement sa vision.
Le parfait veil apparat dans beaucoup de textes mais, parmi
les matres et enseignants occidentaux que je connais, une telle perfection absolue n'est pas manifeste. Les priodes de grande sagesse,
de profonde compassion et de conscience relle de libert alternent
avec des phases de peur, de confusion, de nvroses et de luttes. La
plupart des enseignants admettent facilement cette vrit. Malheureusement, quelques Occidentaux prtendent avoir atteint une
perfection et une libration que rien ne saurait ternir. C'est dans
leurs communauts que les choses sont les pires : par auto-inflation, ils ont souvent cr les groupes les plus destructeurs et les plus
axs sur le pouvoir de toutes nos communauts.
Les plus sages, eux, expriment une humilit plus grande. Des
pres abbs comme par exemple Frre Thomas Keating du
monastre de Snowmass ou Norman Fisher du centre zen de San
Francisco disent rgulirement: J'apprends, Je ne sais pas.
Dans l'esprit de Gandhi, de Mre Teresa, de Dorothy Day ou du
Dala-Lama, ils comprennent que la perfection spirituelle ne nat
pas du seul individu mais de la patience et de l'amour qui s'panouissent grce la sagesse d'une communaut plus large. Ils
ralisent galement que l'accomplissement spirituel et la libration portent en eux une compassion envers tout ce qui se manifeste sous cette forme humaine.
INTRODUCTION
ce stade, on peut se demander ce qu'il en est des vieux matres orientaux? Peut-tre les matres zen et les lamas occidentaux
sont-ils trop jeunes et pas assez avancs pour manifester un veil
total? Beaucoup d'enseignants occidentaux diront qu'en ce qui les
concerne c'est vrai. Mais s'il est possible de trouver un tre loign
qui semble correspondre l'image d'un veil parfait, cette apparence peut tre le rsultat d'une confusion entre les niveaux de
l'archtype et de l'humain. Au Tibet, un dicton affirme que votre
gourou doit vivre une distance d'au moins trois valles. Ces valles tant spares par des montagnes gigantesques, cela implique
que, pour rencontrer votre instructeur, de nombreux jours de
voyage difficile sont ncessaires. L'ide est qu' cette distance seulement vous pouvez tre inspir par la perfection du gourou.
Lorsque je me plaignis mon suprieur Ajahn Chah, considr comme un grand saint par des millions de personnes, qu'il
n'agissait pas toujours comme s'il tait parfaitement veill, il rit et
me dit que c'tait bien ainsi, car autrement vous continueriez
imaginer pouvoir trouver le Bouddha l'extrieur de vous-mme.
Et il n'y est pas .
En fait, la plupart des matres asiatiques parmi les plus charismatiques et les plus hautement considrs disent qu'ils sont encore
eux-mmes des tudiants et qu'ils continuent toujours apprendre
de leurs erreurs. Certains, comme le matre zen Shunryu Suzuki,
ne prtendent mme pas tre veills. Suzuki Roshi disait au
contraire : vrai dire, il n'y a pas d'individus veills mais seulement une activit veille. Cette affirmation remarquable nous
indique que l'veil ne peut tre dtenu par qui que ce soit. n existe
simplement en instants de libert.
Pir Vilayat Khan, matre de l'ordre soufi en Occident, g
de soixante-quinze ans, rvle sa propre conviction :
INTRODUCTION
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Tous les grands matres que j'ai rencontrs en Inde et en Asie, si vous
les ameniez en Amrique et leur donniez une maison, deux voitures,
une femme, trois enfants, un travail, des polices d'assurances, des
impts... ils auraient tous beaucoup de dijjicults.
Qyelle que soit notre vision initiale de la vie spirituelle, pour
tre authentique, elle doit tre ralise ici et maintenant,
l'endroit o nous vivons. quoi ressemble le cheminement d'un
Occidental au sein d'une socit complexe? Comment ceux qui
ont consacr vingt-cinq, trente ou quarante ans de leur vie une
pratique spirituelle ont-ils appris vivre? Voil les questions que
j'ai commenc poser aux Occidentaux qui sont devenus des
matres zen, des lamas, des rabbins, des pres, des nonnes, des
yogis, des enseignants et leurs plus anciens tudiants.
Pour comprendre la vie spirituelle, j'ai commenc par le
commencement. J'ai demand ce qui nous amne la vie spirituelle et quelles difficults nous avons traverser sur ce chemin.
J'ai demand quels prsents, quels veils nous taient offerts et
ce que nous pouvions savoir de l'illumination. Puis j'ai
demand ce qui arrivait aprs l'extase, lorsqu'on mrit au cours
des cycles de la vie spirituelle. Y a-t-il une sagesse qui intgre
la fois l'extase et la lessive?
PREMIRE PARTIE
LA PRPARATION L'EXTASE
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LA PRPARATION L'EXTASE
Partout dans le monde, on trouve des rcits de ce cheminement, des images de l'aspiration l'veil; y sont dcrits les diffrentes tapes que nous avons tous parcourir, les voix qui
appellent, l'intensit de l'initiation laquelle nous allons peuttre tre soumis, le courage dont nous avons besoin. Au cur
de chacune de ces histoires, il y a la sincrit primordiale du
chercheur qui doit reconnatre honntement quel point notre
connaissance de l'univers est infime et combien l'inconnu
demeure immense.
L'honntet requise par la qute spirituelle nous est rvle
dans le conte initiatique russe de Baba Yaga. Baba Yaga est une
vieille femme sauvage au visage de sorcire. Elle connat tout et
vit au plus profond de la fort, faisant bouillir son chaudron.
Lorsque nous partons sa recherche, nous sommes effrays car
elle nous oblige avancer dans le noir, poser des questions
dangereuses et sortir du monde de la logique et du confort
Le premier venir la trouver est un jeune homme. Il frappe
en tremblant la porte de la cabane. Baba Yaga lui demande :
Viens-tu de ton propre choix ou es-tu envoy par
quelqu'un? Le jeune homme, encourag dans sa qute par sa
famille, rpond : Je suis envoy par mon pre. Baba Yaga le
jette alors prestement dans son chaudron pour le faire cuire. La
prochaine tenter sa chance est une jeune femme; elle voit le
feu qui couve et entend les ricanements de Baba Yaga. Baba
Yaga demande nouveau : Viens-tu de ton propre choix ou
es-tu envoye par quelqu'un? La jeune femme qui toute seule
avait t attire dans les bois pour voir ce qu'elle pouvait y trouver rpond: Je suis ici de mon propre choix. Baba Yaga la
prcipite dans le chaudron et la fait cuire aussi.
Plus tard, un troisime visiteur arrive, encore une jeune
femme. Elle est profondment trouble par le monde et se prsente devant la hutte de Baba Yaga au cur de la fort. Elle aussi
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voit la fume et sait qu'il y a grand danger. Baba Yaga lui fait face :
Viens-tu de ton propre choix ou es-tu envoye par quelqu'un? >>
Et la jeune femme de rpondre sincrement : Je viens en grande
partie de ma propre initiative, mais en grande partie aussi cause
des autres. Je suis aussi venue en grande partie parce que vous tiez
ici, parce qu'il y a la fort et pour une autre raison que j'ai oublie.
Mais en grande partie je ne sais pas pourquoi je suis venue. Baba
Yaga la regarde alors pendant un moment et dit : a va et elle
l'invite entrer dans sa hutte.
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LA PRPARATION L'EXTASE
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LA PRPARATION L'EXTASE
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LA PRPARATION L'EXTASE
Retour l'innocence
Il ne faudrait pas penser que cette ouverture ne se fait qu' travers
la douleur : un autre aspect de ces forces conduit lui aussi bon
nombre d'entre nous dans la fort : c'est l'appel de la beaut, de la
plnitude dont nous connaissons l'existence. Les soufis parlent de
la voix du Bien-Aim et nous sommes venus au monde avec ce
chant dans nos oreilles. Dans un premier temps pourtant, c'est par
son absence que nous commenons le connatre.
Lorsque nous vivons sans aucun lien ni clairage spirituel, nous
pouvons ressentir le dsir profond de l'enfant perdu, l'aspiration
subtile de celui qui sait que quelque chose d'essentiel fait dfaut:
quelque chose qui danse la limite de notre vision, toujours prsent comme l'air que nous respirons et que nous oublions jusqu'
ce que le vent se mette souiller. C'est pourtant cet esprit insaisissable qui nous soutient, nourrit notre cur et nous somme de
chercher en quoi consiste la vie. Nous sommes amens revenir
notre vraie nature, notre cur sage et connaissant.
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LA PRPARATION L'EXTASE
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La question sacre
La premire vision des traces du buf est dcrite par Joseph
Campbell comme un appel l'veil, une pulsion intrieure.
Arrive en mme temps la question sacre, diffrente pour
chacun de nous. Il y a ceux qui se dbattent avec la douleur,
ceux qui veulent simplement savoir comment vivre mieux. Certains s'interrogent sur ce qui est important ou sur le sens de la
vie. D'autres se demandent comment aimer, qui ils sont ou
comment tre libres. D'autres enfin, courant jour aprs jour, se
posent la question : quoi sert de tant courir?
Certains des matres interrogs disent s'tre tourns vers la
philosophie pour rpondre leurs questions, alors que pour
d'autres ce fut la voie de la posie et des arts. Le questionnement sacr est la source de nombreux pomes. Yeats crivit :
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LA PRPARATION
L'EXTASE
LA PRPARATION L'EXTASE
Appels de L'au-del
L'ouverture de l'esprit et du cur survient parfois comme s'il y
avait un appel des dieux, une impulsion trangre notre vie ordinaire. Comme si nous tions contraints par des forces qui dpassent nos connaissances pntrer dans la fort, la recherche de
Baba Yaga. Le pome de Rumi cit prcdemment en introduction conseille d'tre reconnaissant envers quiconque se prsente
nous, car chacun est envoy comme un guide de l'au-del.
Des milliers d'Amricains trouvrent dans le choc extrmement puissant des expriences de mort imminente l'occasion
d'une ouverture spirituelle. Dans son livre Des erifants dans la
lumire de l'au-del, le docteur Melvin Morse tudie les expriences de mort imminente des enfants. Une petite fille se
rveilla d'un coma la suite d'une noyade et parla son mdecin stupfait d'un personnage dor, un ange, qui l'avait tire
hors de l'eau sombre et entrane vers un tunnel o elle avait
rencontr son grand-pre mort des annes plus tt puis le Pre
Cleste. Les uns aprs les autres, les rcits des enfants voquent
la dcouverte d'une lumire dont nous sommes tous constitus, d'une lumire porteuse de tout ce qui est bon. Aprs
cela, vous n'avez, disent-ils, plus peur de devoir vivre quoi que
ce soit.
Un matre soufi parle de l'accident de moto qu'il eut dixneuf ans:
j'tais dans un tat critique, avec des fractures et des lsions internes.
En revenant moi, je me suis souvenu avoir regard, pendant une
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seconde aprs le choc, mon corps et la rue, d'en haut, une courte distance. je pouvais voir mais mon tre tait totalement immatriel.
j'tais serein, tranquille, soulag. je savais qu'ily avait deux options:
retourner dans mon corps ou me laisser glisser dans ces tnbres merveilleusement apaisantes. Mais en regardant la scne en dessous de
moi, j'prouvai un sentiment intense d'amour pour ce corps et pour la
vie. L'amour et la joie m'ont retenu et l'on m'a racontpar la suite que
dans l'ambulance je pleurais et riais.]'exprimentais la ralit d'une
libert qui n'avait rien de physique, unejoie intense et un bonheur qui
ont motiv ma vie spirituelle depuis maintenant plus de trente-cinq
ans. j'aime cette ralit;j'ai suivi son appel.
Bien que notre culture et notre monde matrialiste et scientifique tentent de nous carter de la vaste source de notre vie,
celle-ci ne saurait tre nie. O!I'ils soient anodins ou marquants, nous entendons trs souvent des rcits de curs,
d'esprits ou d'mes qui s'veillent une plus large vision de la
ralit.
La maladie peut aussi nous inciter avancer. Un lama occidental raconte :
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LA PRPARATION L'EXTASE
j'tais venu en Californie oj e vivais de l'air du temps dans une communaut. Unjour,je me retrouvai avec une hpatite que j'allai soigner dans une cabane que l'on m'avait prte dans les montagnes de
Santa Cruz. je vomissais chaque nuit, ma peau tait jaune :je me
sentais au bout du rouleau physiquement et psychiquement. j'avais
tout abandonn etje ne savais plus ce que je devais foire.
Une nuit, j'entendis chanter. fe me levai et regardai par lafentre
prs du lit. travers lesgouttes d'eau,je vis un homme assez gros assis
dehors, une main sur sa coijfe noire. Des gongs et des chants rsonnaientfortement dans ma tte. Il resta l pendant longtemps etfinalement je me rendormis. Quand au matin je me rveillai et allai me
regarder dans la glace, ma peau tait claire et je me sentais mieux. fe
sortis dans les bois pour la premirefois depuis des semaines.]e m'assis
prs du ruisseau et pleurai.
Plus tard, j'entrai en contact avec une troupe de thtre tibtaine
compose de hippies que je suivis jusqu'au Npal Le seizime Karmapa, matre du bouddhisme tibtain, revint Katmandou pour la
premire fois depuis trente ans. j'allai le rencontrer avec deux autres
Occidentaux et il nous dit qu'il attendait notre visite. j 'tais stupfait,
c'tait l'homme derrire ma fentre Santa Cruz! Il nous fut alors
expliqu qu'il pouvait se manifester dans nos rves et que nous pouvions ainsi gurir de maladies.
Se rjouissant de notre visite, il nous dit, aprs de nombreuses
journes passes ensemble, que nous avions tous t Tibtains dans nos
vies prcdentes, de vieux compagnons lui. Un des lamas les plus
gs me montra une photo de notre monastre. Que tout cecift vrai
ou pas, toujours est-il que j'eus l'impression de retrouver erifin ma
maison. Aujourd'hui, trente-deux ans plus tard, nous sommes tous les
trois devenus nous-mmes lamas.
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ques, les traditions des cultures les plus anciennes incluent toutes
l'utilisation positive de substances psychotropes.
Parmi ceux qui se sont engags dans un chemin spirituel, bon
nombre virent leurs portes de perception s'ouvrir d'un seul coup
grce des expriences psychdliques. En fait, la plupart des
enseignants spirituels occidentaux actuels suivirent cette voie, au
moins en partie. Un mauvais usage de ces substances comporte
de multiples dangers et nous connaissons tous les consquences
tragiques de leur abus mais, qu'on le veuille ou non, elles font
partie de notre hritage. De la gnration zen des annes 50 aux
hippies des annes 6o et 70 jusqu'aux adeptes du chamanisme
des annes 8o, bon nombre des chefs spirituels que j'ai rencontrs
m'ont parl des consquences de leurs expriences d'altration de
la conscience.
Un matre de mditation franais qui a pass plusieurs
annes en Inde et au Tibet n'avait au dpart aucune ide du
chemin spirituel.
LA PRPARATION L'EXTASE
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LA PRPARATION L'EXTASE
m'indiqua un glacier au-del de ]amnotri, trs haut dans les montagnes himalayennes.
je suivis un sentier et, tandis que je marchais dans la neige loin
de tout tre humain, je trouvai des empreintes de pieds dans la neige.
Elles taient assez grandes et j'en fos effray. Je pensais qu'il devait
s'agir d'un ours.]e suivis ces traces pendant quelques heures et arrivai
enfin une grotte assez spacieuse. L, l'entre, assis tel un roi, il y
avait un rishifantastique. Il mefit un signe qui semblait me signifier
de ne pas entrer.
je m'assis donc dans la neige, les jambes croises etfermai les yeux.
Aprs quelques instants comme je rouvrais les yeux, il sourit. D'une
manire ou d'une autre, il savait que je parlais anglais et me dit:
Pourquoi es-tu venu si loin pour voir qui tu devrais tre?- C'est
merveilleux de me voir en vous " rpondis-je. Tu n'as pas besoin de
gourou, me dit-il. Mon gourou est mon pre, je ne cherche pas un
gourou.- Bien, alors si tu ne cherches pas de gourou, approche ici. Il
y a une autre grotte l-bas pour toi, me dit le rishi, pour que tu t'y
assoies. Il me donna ensuite une pratique accomplir: elle consistait
regarder dans mon cur avec le troisime iljusqu' ce que je puisse
le sentir ouvert comme un lotus. Ce que je fis. Il me dit ensuite:
Demeure dans la lumire, pas la lumire physique ni son reflet.
Accde la vraie lumire, c'est cela seul qui importe.
Ce n'tait pas le genre de personne avec laquelle vous pouvez discuter. Totalement illumin, il demeurait en samadhi. Le temps est
bientt venu, dit-il, o il n'y aura plus aucun rishi vivant dans ces
grottes comme je le Jais. Maintenant les tres veills devront aller
dans le monde parmi les hommes.
Aprs plusieurs jours il me dit : Tu as assez appris. Je ralisai
alors combien j'avais appris me suffire moi-mme, me dtacher
et avoir du recul j'prouvais un merveilleux sentiment de paix et
de bonheur et ne voulais plus partir. Je savais pourtant que je devais
retourner dans le monde. Ce jt un bon prodigieux sur le chemin de
toute une vie.
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so
LA PRPARATION L'EXTASE
nir, nous rappeler que nous sommes tous ici pour une mission de grande importance.
Chacun de nous, son rythme, doit s'veiller et ce qui va
nous y conduire peut rester cach dans notre grenier pendant
des annes, attendant que nous finissions d'lever nos enfants
ou que nous menions terme notre carrire professionnelle.
Mais un jour cela apparat en enfonant la porte et en nous
disant : Qte tu sois prt ou pas, me voici. >>
tre vivant est dj en soi l'expression d'un mystre. Les
indices quant notre vraie nature sont constamment autour de
nous: quand l'esprit s'ouvre, quand le corps change ou quand
le cur est touch, tous les lments de la vie spirituelle se rvlent. Les grands questionnements, les souffrances inattendues,
l'innocence originelle peuvent tous exiger que nous allions audel de notre routine quotidienne, que nous sortions du fonctionnariat de notre ego comme le recommandait le matre
tibtain Chgyam Trungpa. Chaque jour apporte ses propres
appels au retour vers l'esprit; certains sont petits, d'autres plus
importants, les uns surprenants, les autres ordinaires.
Un pratiquant zen assez avanc en ge tait en 1969 un
jeune avocat, pre de famille, lorsqu'il rencontra les uvres
d'Alan Watts sur le zen. Cela piqua sa curiosit et son esprit et
lui rappela qu'il y avait quelque chose de plus dans la vie. Il consulta donc l'annuaire la lettre Z et trouva un numro. Aprs
quelques instants, il parla avec le roshi du centre zen de San
Francisco, obtint les horaires du centre et, avec l'encouragement du matre, commena pratiquer. Trente ans plus tard, il
pratique toujours avec ardeur : Ma vie, dit-il, a t transforme par ce premier contact tlphonique.
Plus banale encore est l'histoire raconte par un autre
matre de mditation qui fut un sportif forcen il y a trente ans.
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LA PRPARATION L'EXTASE
Baba Yaga vit dans notre entourage aussi bien que dans la
fort. Elle fait partie de l'histoire de notre famille. Nous pouvons nous rendre en Inde ou Jrusalem- certains des rcits
les plus magiques faits par ces matres peuvent nous donner
penser que c'est ainsi qu'il faut commencer une vie spirituelle.
Mais cela peut aussi dbuter en jardinant ou simplement en
rentrant chez soi aprs un voyage et en redcouvrant sa vie d'un
il nouveau. Ou bien encore en percevant un morceau de
musique inspire, le chant d'un pome, le vol d'un oiseau. Tous
les regards dans lesquels nous nous plongeons peuvent devenir
les yeux du Bien-Aim.
Pour moi, grandir sur la cte Est fut associ au plaisir de
voir en t le vol des lucioles. Mais ma fille, ne en Californie,
n'en avait jamais vu. Lors d'un voyage, nous avons dcouvert
qu'il y avait des lucioles dans les nuits tropicales de Bali. Une
nuit, aprs que ma fille fut alle se coucher, je la bordai dans sa
moustiquaire et sortis en capturer quelques-unes. Ses yeux
taient ferms lorsque je les introduisis dans sa moustiquaire. Je
lui dis doucement de se rveiller : les lucioles volaient l'intrieur et, jusqu' ce que nous les librions, elle fut totalement
fascine par leurs traces lumineuses dans la nuit. Combien
improbable et fantastique, combien inattendu est le fait de
trouver de jolis insectes avec de douces lumires clignotantes!
Et pourtant ce n'est pas plus improbable qu'un cur plein
d'amour. Nos curs brillent comme les lucioles avec la mme
lumire que le soleil et la lune.
Il y a en nous une secrte aspiration nous souvenir de cette
lumire, sortir du temps et trouver notre place vritable dans
la danse du monde. C'est l o nous avons dbut, c'est l o
nous retournons.
Qye nous attendions jusqu'au dernier moment ou que nous
le voyions aujourd'hui mme, l'appel au mystre se prsente
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Parfois le bout du chemin se rvle assez tt, comme si le mystique flirtait avec nous pour nous attirer dans le monde spirituel.
Un matre de mditation s'en souvient ainsi:
Les gens parlent de moments exceptionnels. la jin de ma toute premire retraite de mditation... Eh bien, ce fot un jour entier exceptionnel Aprs une semaine de grandes souffrances, de frustrations et
de luttes considrables, le dernierjour, les couleurs des arbres le long de
la route semblrent tinceler de lumire; mon cur tait ouvert comme
la mre du monde. je sentis que je pouvais embrasser la totalit de la
vie, toutes les choses que je voyais baignaient dans un amour naturel.
Tout paraissait naturel et pur. je savais qu'il en tait toujours ainsi
mme lorsque je 1'oubliais. Cela ne dura pas mais inspira mon cur
continuer.
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j'appris que l'on ne pouvait chapper soi-mme. Si vous accomplissez rellement une pratique, vous devez faire face. Vous traversez des
priodes pnibles, mais enJin de compte vous y arrivez.
LA PRPARATION L'EXTASE
qu'elles sont. Dans toutes les disciplines, les nouveaux pratiquants sont habituellement choqus de voir combien de jugements, d'aversions et de haines ils dcouvrent en eux-mmes.
chaque fois que nous dnigrons et combattons le monde
autour de nous, nous rejetons et dchirons une partie de nousmmes. Alexandre Soljenitsyne, dont les livres sur la Russie
stalinienne nous ont veills aux souffrances de millions de personnes, crit :
Si seulement il y avait des gens mchants l-bas, commettant insidieusement des actions nuisibles et qu'il faille seulement les sparer
du reste du monde et les dtruire. Mais la ligne de partage entre le
bien et le mal passe par le cur de chaque tre humain et qui parmi
nous voudrait dtruire un morceau de son propre cur?
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monde en gnral, il nous est impossible d'tre l o nous sommes. Nous sommes comme ce peintre zen qui, ayant termin le
portrait grandeur nature d'un tigre sur le mur de sa maison,
rentre chez lui quelques jours plus tard, perdu dans ses penses,
et est effray de voir soudain un tigre, ayant oubli que c'tait
sa propre cration.
O!tand nous entreprenons de calmer notre esprit travers
la mditation ou la prire, nous voyons combien notre vie est
gouverne par ces fictions inconscientes. Les thmes peuvent
en tre l'ambition ou l'insignifiance, la scurit ou l'espoir, la
haine de soi ou l'autosatisfaction. Ces histoires refltent notre
conditionnement personnel et culturel. O!tand un groupe de
psychologues amricains rencontra le Dala-Lama, celui-ci leur
demanda quelles taient les difficults les plus courantes chez
les tudiants bouddhistes occidentaux. L'une des plus mentionnes et des plus fortes tait le mpris de soi. Le Dala-Lama eut
une raction d'incrdulit car le mpris de soi est une notion
inconnue dans la culture tibtaine. Il circula alors travers la
salle pour demander: Et vous, avez-vous aussi expriment
ce mpris de vous-mme? Pratiquement tout le monde
rpondit oui.
Dans les histoires que nous nous racontons, il y a un point
commun : les ides fixes que nous avons propos de nousmmes. Comme si nous avions t projets dans un film en tant
que personne dpressive ou trs jolie, en tant que diplomate ou
clown, victime en colre ou battant que rien ni personne ne
saurait contraindre nouveau. Comme ces penses et ces convictions sont puissantes, nous manifestons sans cesse leurs
nergies. Ces schmas de penses associs aux tensions du
corps et du cur produisent une notion limite de nousmmes. Cette trame est parfois appele le corps de peur .
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<2!tand nous vivons dans ce corps de peur, notre vie est faite
uniquement d'habitudes et de ractions.
Une pratique valable rvle ces fictions et libre ces croyances restrictives, tout comme elle ouvre le corps et le cur. Nous
commenons reconnatre ces schmas de tensions, apprendre qu'ils ne sont pas la ralit la plus fondamentale. Nous
apprenons sortir de ces vieilles peaux, de cette petite ide de
nous-mmes, et entrer dans la ralit du prsent. Nous trouvons les moyens de permettre notre corps de se dtendre,
notre cur de s'adoucir et aux vieilles histoires de notre esprit
de disparatre. C'est l'instant o les peaux du dragon sont
reconnues pour ce qu'elles sont: un sortilge karmique qui n'est
plus maintenant ncessaire. Le prince et la princesse se rvlent
tels qu'ils sont : tendres, vulnrables et neufs. Avec l'innocence
et l'ouverture, nous retournons la simplicit de l'exprience
directe. Lorsque nous sortons du courant de penses, lorsque
nous dlaissons les Comment tait-ce? , Comment cela
aurait-il d tre? , Comment devrions-nous tre? , nous
entrons dans l'ternel prsent.
Mais ce dpouillement de peaux, cette ouverture du corps,
du cur et de l'esprit n'est que la prparation un voyage plus
profond. Le prince et la princesse se sont reconnus l'un l'autre,
maintenant ils doivent ensemble faire face la vie et la mort
qui sont devant eux.
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bont adoucissante, nous nous librons des ressassements aveugles, nous cessons de transporter la douleur du pass dans le
futur. Pardonner signifie que nous n'excluons plus personne de
notre cur, comme Nachiketa qui savait qu'il ne pouvait chasser
son pre hors de son cur s'il voulait poursuivre son chemin de
tout son tre.
Rejoindre la vie est la bndiction accorde par le pardon et
ce premier vu laissa le cur de Nachiketa ouvert et limpide.
Le seigneur Yama le regarda dans les yeux et approuva : Votre
premier souhait tait sage, Nachiketa. Maintenant quel est le
second? Parlez! Aprs un instant de silence et de rflexion,
Nachiketa demanda: Je requiers la bndiction du feu
intrieur. >>
Il savait que pour russir son voyage spirituel il aurait besoin
la fois d'ardeur et de courage pour suivre de tout son tre ce chemin. Il demanda donc la force de s'adonner totalement cette
qute : le feu intrieur est l'nergie du cur, la passion spirituelle,
la shakti, la plnitude vivante d'tre.
Ce feu ou cette plnitude, ncessaire dans l'initiation, ne doit
pas tre confondue avec l'ambition, le dsir ou la saisie d'un but.
Il ne s'agit pas d'un effort pour se dvelopper soi-mme ou pour
atteindre quelque chose de spcial. Avec ce souhait d'tre pleinement vivant, Nachiketa ne demande pas d'arriver au bout d'un
voyage imaginaire mais d'tre pleinement l o il est. Rencontrer
et dompter le buf sacr requiert l'nergie de notre entire prsence. Une fois encore, le seigneur Yama rendit hommage la
sagesse de N achiketa et lui accorda la bndiction de la force
intrieure.
Libre des entraves des conflits anciens et maintenant empli
de l'nergie illimite de la persvrance, Nachiketa possdait la
plus grande partie de ce qui est ncessaire pour traverser une initiation. Le seigneur de la Mort demanda enfin Nachiketa de
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sacr, il pntra au cur des profonds questionnements spirituels qui mnent l'absence de mort. Olrand tout ce qu'il retenait fut relch et balay au loin, un cur pur et ternel
apparut: Nachiketa tait libre.
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LA PRPARATION L'EXTASE
fonction de notre me sur cette terre. L'croulement douloureux de notre monde est souvent l'opportunit prcieuse dont
notre cur avait besoin pour apprendre tre sincre avec luimme.
Mon propre matre de mditation avait l'habitude de nous
poser des questions au sujet de notre vie spirituelle : Qyelles
ont t vos leons les plus utiles, les moments agrables ou les
difficults? >> Qyand nous perdons nos illusions, la souffrance
et les troubles qui en rsultent nous donnent le courage de tout
remettre en question. Il nous est demand, comme Nachiketa, d'abandonner la certitude et le confort et de placer notre
confiance dans la recherche elle-mme. Survient alors une
aspiration tre vrai.
Kabir, le mystique indien, a compris cela. C'est l'intensit
de l'aspiration qui fait tout le travail, dit-il.
8r
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LA PRPARATION L'EXTASE
Pardon et rconciliation
L'initiation de Nachiketa exigeait galement la bndiction de
la rconciliation et du pardon. Tant qu'il abordait son voyage
comme une lutte contre son pre, il tait intrieurement distrait
de son vrai but : rencontrer sa propre peur et veiller son cur.
Dans la vie spirituelle, le pardon est la fois une prparation et un achvement, un sujet sur lequel on doit revenir frquemment. Pour pardonner, nous devons faire face la douleur
et au chagrin de la trahison et de la dception et dcouvrir le
mouvement du cur qui malgr tout s'ouvre au pardon.
Comme Nachiketa, chacun de nous va trouver son cur ferm
ou se sentir otage du pass certains moments du voyage.
Notre processus de pardon peut inclure le fait de parler sans
dtour et de demander justice, mais au bout du compte il s'agit d'un
lcher-prise plein de compassion tant dans notre propre intrt que
dans celui des autres. Une rencontre de deux anciens prisonniers de
guerre illustre ce fait. Lorsque l'un d'entre eux demanda: As-tu
pardonn tes geliers?>> I;autre rpondit: Non, jamais! Alors le
premier regarda avec bont son ami et lui dit: Bien! Alors ils te
retiennent toujours prisonnier, n'est-ce pas?
L'initiation des instructeurs spirituels avancs a toujours
exig le pardon - pour les autres, pour eux et pour la vie ellemme. Sans un cur sage sachant pardonner, nous portons le
poids du pass notre vie entire.
Une infirmire, pratiquante chevronne qui travaille dans
une maternit, raconte cette histoire :
Mme s'ils sont douloureux, la plupart des accouchements se passent
bien et ily a unejoie immense ds que les parents peuventprendre leur
enfant dans leurs bras. Mais j'ai remarqu que lorsqu'ily a un drame,
lorsqu'un enfant est mort-n ou va mourir, les autres infirmires
m'appellent. je pense que c'est cause de ce que j'ai vcu. Quand
j'avais huit ans, on me laissa un jour la garde de ma j eune sur et de
mon petitfrre g de trois mois. Ce jour-l, il mourut touff. Pendant des annes j e me sentis responsable et en prouvai une douleur
indescriptible. Ma mre ne me dit jamais que c'tait de mafoute mais
jamais elle ne me dit non plus que a ne l'tait pas. Elle ne m'autorisa
LA PRPARATION L'EXTASE
pas le moindre chagrin. j'tais une grande fille et les grandes filles ne
pleurent pas.
Lorsque j'entrai l'cole d'infirmires, je me sentais encore coupable. je travaillais la nuit dans un centre pour cancreux, auprs de
malades sous respiration artificielle. Parfois ils me suppliaient de les
laisser mourir. L'extrieur tait le reflet de ce qui tait l'intrieur de
moi. C'tait terriblement dur. je partis ensuite pour ma premire
retraite de mditation. Dans le silence, tout cela ressurgit. Tellement
de scnes :la mort de monfrre, les hpitaux, les vagues de douleurs et
de chagrins du pass. je ralisai que pendant toutes ces annes je
n'avais jamais pardonn ni ma mre ni moi-mme. Des jours
entiers, en silence, je demeurai assise avec toute ma douleur, comme si
j'allais accoucher. je pleurai chaudes larmes; puis le pardon que
j'avais recherch toute ma vie arriva.je ressentis une grce. Mon cur
s'ouvrit l'amour de moi-mme et au pardon de ma mre, librant
tout ce qui en moi tait vivant et aimait.
j'ai mditpendant maintenant presque vingt ans et d'une certaine manire je suis capable d'aborder l'angoisse et la douleur sans
avoir les contrler ou les transformer, tel point que maintenant
les mdecins et les infirmires font appel moi. Parfois je m'assieds
avec les parents, nous nous tenons simplement les mains et pleurons
ensemble notre vulnrabilitfoce un ftus malform pour lequel ils
doivent prendre de terribles dcisions. Seul le pardon peut rendre cette
vie supportable.
ss
Parfois il ne s'agit pas tant de pardonner des actions nfastes que d'apprendre reconnatre et respecter le dur combat
de la vie elle-mme. Un pisode de la Seconde Guerre mondiale montre comment un cur tendre sachant pardonner peut
permettre la rintgration dans le monde.
Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux soldats
japonais taient en poste dans les les du Pacifique. Qyand les
Japonais battirent en retraite, ils abandonnrent ces es si rapidement qu' la fin de la guerre des centaines de soldats loyaux
restrent en activit, ignorant tout de leur dfaite. Au cours des
annes suivantes, la plupart de ces hommes furent retrouvs et
ramens la ralit par la population locale mais, comme
chacun sait, un petit nombre cach dans des grottes et des
forts continua tenir ses positions. Tous pensaient tre de
valeureux soldats, essayant de rester fidles leur pays et de
dfendre la nation japonaise du mieux qu'ils le pouvaient face
de terribles difficults.
Comment ces hommes furent-ils traits lorsqu'ils furent
enfin retrouvs aprs dix ou quinze ans? Ils ne furent pas considrs comme des mutins ou des fous, bien au contraire : chaque
fois qu'un de ces soldats tait localis, le premier contact tait
toujours tabli avec beaucoup d'attention. Un ancien officier
japonais de haut rang pendant la guerre ressortait de son armoire
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LA PRPARATION L'EXTASE
Le feu intrieur
La deuxime requte de Nachiketa fut celle du feu intrieur:
l'ardeur et le courage ncessaires pour persvrer dans ce
voyage, mme au risque de sa vie. Cette passion et cette volont
d'ouvrir, de dcouvrir, d'apprendre, sont l'une des qualits centrales de tous ceux qui progressent dans la vie spirituelle.
La qualit du feu intrieur peut transformer tous les obstacles et toutes les difficults en processus d'veil et d'illumina-
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Bndictions ternelles
La dernire requte de Nachiketa fut celle de la connaissance
de ce qui est immortel, ternel. Le seigneur Yama rpondit :
Pour trouver ce qui est ternel, tu dois regarder au cur de la
vie elle-mme. Puis il tendit un miroir Nachiketa.
Le mystre de l'identit, Qyi suis-je? , est une des questions spirituelles centrales du genre humain. Sommes-nous ce
corps de chair et de sang? La conscience est-elle simplement le
produit de notre systme nerveux, de nos penses, de nos
sensations? Sommes-nous la rsultante de notre hritage gntique et de nos anctres ou notre nature essentielle est-elle plus
fondamentalement spirituelle? Sommes-nous une cration de
la conscience elle-mme, une tincelle du Divin, le reflet de
l'esprit universel? Telles sont les questions des mystiques et des
sages.
Dans les monastres o je pratiquais dans la fort, tout
nouveau venu est introduit dans un bosquet sacr pour y recevoir l'ordination. Puis les Ans enseignent au nouveau moine
sa premire et plus importante pratique mditative : l'examen
du mystre de la naissance et de la mort. Vous tes ainsi amen
mditer la question Qyi suis-je? , Au dbut vous devez
observer votre corps physique, voir qu'il est compos de terre,
d'air, de feu et d'eau, comprendre comment ces lments se
combinent dans les diffrentes parties de la peau, des cheveux,
des ongles, des dents, des fluides, du sang, du cur, du foie, des
poumons, des reins. Qyi tes-vous l'intrieur de ce sac de
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Tandis queje regardais tout ce quej'avais considr comme tant moimme, un individu distinct, les choses commencrent se dmler. Au
dbut ily eut une ouverture et un vide, mais cela s'accompagna d'une
pousse de peur, d'une lutte pour exister, une sorte de terreur. je sentis
que je lchais tout - toute ide de moi avait compltement disparu.
Un jour, durant cette priode, j'tais en avion, assis prs d'un hublot
etj'eus l'impression de tomber par le hublot; la terreur m'envahit par
grandes vagues, irrationnelle, puissante. je me sentis comme un
animal tombant dans l'espace. Plus tard seulement, ayant appris
m'abandonner cela et laisser tomber mon ego, un ciel sans nuage
s'ouvrit dans lequelje disparus.
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LA PRPARATION L'EXTASE
DEUXIME PARTIE
Aussi srement que chacun de nous connat son propre prnom, une partie de nous-mmes connat l'ternit. Ce peut tre
oubli ou recouvert mais c'est l. Comme Nachiketa, nous avons
seulement solliciter la vrit et nous apprendrons qu'elle se trouve
dans un miroir. Mon matre Ajahn Chah appelait ce centre de
sagesse l'intrieur de nous : Celui Qui Sait.
Les pratiquants interrogs dans ce livre l'ont dcouvert en
eux-mmes. Mais Celui C21Ii Sait n'existe pas uniquement chez
100
les pratiquants. Une enqute clbre sur la vie spirituelle amricaine rvla que la plupart des personnes interroges avaient
eu un moment de leur vie une exprience mystique. Les
enquteurs dcouvrirent galement que la plupart de ces gens
ne souhaitaient pourtant pas que cela se reproduise. Pourquoi?
Lorsque nous n'avons pas de mots pour une chose, nous ne
pouvons la comprendre; elle n'entre pas dans notre vision du
rel. Et si nous tombons dessus, nous risquons, comme le
montre cette tude, d'tre pris par surprise et effrays. Les
anciens cartographes avaient pour habitude d'indiquer sur leurs
cartes les rgions inconnues en les nommant Territoires des
Dragons.
S'il ne fait aucun doute que notre existence demeure au sein
du mystre de la naissance et de la mort, s'il est vident que la
nuit est emplie d'toiles et s'il est sr que nous reconnaissons la
ncessit de l'amour, il est tout aussi certain que nous portons
en nous la possibilit de l'veil. Mme de nos jours, dans de
nombreux endroits sur la plante, bon nombre d'individus sont
reconnus comme des tres veills ou illumins de saintet et
les sages sont largement vnrs. Le sage qui est en nous peut
lui aussi s'veiller; Celui Olti Sait peut se rvler dans notre
propre VIe.
Il y a de nombreux points d'accs la sagesse ternelle du
cur. On peut les appeler les portes d'veil car elles nous
ouvrent nous-mmes et la vrit. En voici quatre parmi les
plus puissantes, chacune d'elles sera dcrite par ceux qui
l'empruntrent. Vous reconnatrez ces portes dans votre propre
vre.
(Souji.)
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bre ou dans des hpitaux, souffrant de maladies dont nous connaissons et possdons les remdes et les vaccins prventifs. Cette
souffrance est la ntre, nous n'en sommes pas spars. L'enseignante bouddhiste Sylvia Boorstein dcrit sa visite la synagogue
un jour o la Prire pour les personnes en deuil tait dite pour ceux
qui avaient perdu des proches dans l'holocauste. Beaucoup de
monde tait debout et rcitait la prire. Je regardai combien de
personnes taient l debout et pensai : Est-il possible que toutes
ces personnes soient de vrais survivants? Puis je ralisai que nous
tions tous des survivants et je me levai aussi.
Il y a des moments dans la vie spirituelle o il semble que
toutes les barrires que nous avons riges pour nous protger
des douleurs du monde se sont croules. Nos curs deviennent tendres et vif; nous ressentons une filiation naturelle
avec tout ce qui vit. Les pleurs des enfants des rues rsonnent
dans notre esprit, les scnes de terrorisme, de racisme, de destruction cologique, de pauvret et d'esclavage emplissent
notre conscience, comme si celle-ci s'tait ouverte aux problmes de l'humanit et du monde en gnral. On peut avoir le
sentiment d'tre dans un charnier et voir la souffrance de gnrations innombrables, tout en reconnaissant qu'il n'y a aucun
moyen d'chapper cela.
Pourtant, en ouvrant simplement nos yeux et notre cur
la souffrance du monde, nous pouvons trouver la libert et la
paix. Comme un futur Bouddha, chacun doit, sa manire,
examiner cette vaste question : quelle est la vrit de la souffrance dans la vie humaine et quelle est la cause de cette
souffrance?
Dans le Sermon du Feu, le Bouddha parle de la gense des
peines du monde.
I04
Tout brle. L'il brle, les choses visibles brlent. Les oreilles et les
sons qu'elles peroivent brlent; le nez, la langue, le corps et l'esprit
brlent. Et de quels feux brlent-ils? Des feux de l'avidit, de la haine
et de l'ignorance; ils brlent d'anxit, de jalousie, consums par la
perte, le dclin et la douleur. Celui qui suit la voie considre cette
souffrance et se lasse de ces feux; il se lasse de l'avidit et de la haine
qui alimentent l'attachement ce qui est vu, entendu, senti, got,
touch, pens. Fatigu de cela, il se dtourne de cette saisie et, par
absence de saisie, il devient libre.
ros
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IIO
vie. Quandje rencontre la douleur, ce n'estplus ma douleur mais la douleur sainte qui ouvre le cur. Tel est le sens divin de nos peines: relier
nos curs. Il y a tant de misricorde. De misricorde l'intrieur de la
misricorde.
III
II2
RIEN ET TOUT
LA PORTE DE LA VACUIT
Rinpoch.)
ralit, elle nous ouvre la paix et la joie de faon remarquable. Anglus Silesius, mystique chrtien de la Renaissance,
expliquait :
Dieu, dont l'amour et la j oie sont omniprsents,
ne peut vous visiter
moins que vous ne soyez l.
Lorsque le seigneur de la Mort tendit un miroir Nachiketa, celui-ci fut invit rechercher la source de son tre. Dans
les profondeurs de cette qute, les mditants peuvent dcouvrir
l'exprience de la vacuit. Cette vacuit a deux aspects: la
vacuit du soi et la vacuit du vide.
La vacuit du soi se manifeste en premier lieu dans notre
manque de contrle sur notre ego prsuppos existant. Qyiconque se tourne vers l'intrieur pour mditer ou prier rencontre immdiatement le flot constamment mouvant des penses
de notre esprit et les ondulations incessantes des tats d'esprit
et des motions qui colorent chaque instant. Ces courants de
penses et ces motions ont leur vie propre. travers eux, la
vision complte de notre enfance apparat, nos expriences
complexes d'adultes sont rejoues, attirant notre attention pour
disparatre l'instant suivant. D'ordinaire nous nous prenons
pour la somme de ces penses, ces ides, ces motions, ces sensations physiques, mais elles n'ont rien de tangibles. Comment
pouvons-nous affirmer tre nos penses, nos opinions, nos
motions ou notre corps quand rien de tout cela ne demeure
jamais identique? Peut-tre pourrions-nous prendre un peu de
recul et regarder qui est celui qui exprimente tout cela, quel est
cet espace de connaissance dans lequel cela apparat.
Dans la mditation, nous pouvons dplacer notre
attention : abandonner le sentiment que toutes les choses sont
RIEN ET TOUT
ns
n6
j'taisfut balay. Au dbut jeJus incapable de nommer ce qui m'arrivait. Vous ne pouvez lui donner un nom, pas mme celui de nirvana,
car c'est bien au-del des mots. Une telleflicit! je sus que ce n'tait
plus mon propre cur ni mon propre corps, c'tait le cur et le corps du
monde.
La vacuit du soi nous ouvre l'exprience du vide luimme, de cette vacuit dynamique d'o naissent toutes choses.
Dans la tradition bouddhiste, s'veiller la vacuit est la porte
du nirvana, la libration du cur; cela fait rfrence au NonN, Non-Cr, Non-Conditionn.
La ralisation de cette porte a t loue par les mystiques de
tout temps. On peut y accder de nombreuses manires. Les trois
moyens les plus courants sont la mditation, la rencontre d'un tre
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koans. La rponse du matre zen Hui Neng propos d'un drapeau flottant au vent est ce titre exemplaire. tait-ce le drapeau
qui bougeait ou le vent? Hui Neng rpondit: Ni l'un ni l'autre.
C'est l'esprit qui bouge.
En prsence d'un matre comptent, une telle question peut
amener quelqu'un sortir des particularits du moment pour
entrer dans une perception d'ternit. Nous nous souvenons
alors de notre nature originelle, de ce cur sans limite qui contient toutes choses sans pour autant tre limit par elles. Un
enseignant bouddhiste occidental se souvient d'un moment
vcu dans les montagnes indiennes :
je m'tais ddi avec passion la mditation pendant de nombreuses
annes. Un soir, le matre nous appela pour le chant, la prire et un
enseignement. j'tais assis au premier rang, totalement attentif Au
milieu de son enseignement, j'entendis le matre dire" Votre visage est
comme un masque. Ce fut comme un clair dans un ciel bleu sans
nuages : cela fissura mon univers. En un instant toutes les choses que
je pensais et que je connaissais disparurent. Avant de venir en Asie,
j'avais pris une centaine d'acides, mais compares cela, toutes ces
expriences taient bien ternes. C'tait d'une dimension totalement
nouvelle, en dehors de toutes perceptions connues. Cela transcendait
compltement mes sens, mon identit, tout ce que je pensais tre.
C'tait au-del du plaisir et de la douleur, de l'extase et de la joie.
Devant tant de beaut, je pleurai longuement. C'tait ily a vingt-six
ans. Durant toutes ces annes c'est cette ralit non ne qui a compt
plus que toute autre chose. C'est une torche qui illumine tout. Il n'y a
que cela. D'une certaine manire c'est l, prsent en ce moment mme.
Diverses conditions doivent tre runies pour ces instants
d'veil partag: l'ouverture de l'tudiant, une volont sincre
de dcouverte et souvent une importante priode prparatoire
de pratique ou de purification. Le rcit prcdent faisait suite
122
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partie, nulle part etpartout. Vinrent ensuite des clats de riresformidables, de la joie et des pleurs. Tout ce qui dans ma vie semblait
m'avoir conduite ce moment prit un sens :toutes les luttes, toutes les
peurs. Maintenant c'taitfini. j'tais tout, je n'tais rien,j'tais compltement libre. Voil. Aprs cela, ma gratitude tait tellement grande
que je ne serai jamais capable de me jeter ses pieds suffisamment de
fois. je lui aurais tout donn mais, bien sr, il ne voulait rien. Maintenant, dans mon travail avec mes tudiants, je vois que ma plus
grande surprise est que les gens pensent qu'ily a quelque chose obtenir, quelque chose Jaire, alors qu'il est tellement vident qu'il ny a
rien Jaire- saufqu'ilfaut leJaire quand mme. Il y a l'agir qui est
ncessaire pour arriver l'endroit du non-agir.
j'avais une ide nave de la facilit faire don de cette libration
aux autres. Vous ne devez pas aller en Inde pour l'obtenir. Une intention vraiment sincre est la seule chose dont vous avez besoin. O que
vous soyez, si vous voulez rellement la libration, l'univers vous
rpondra. Ille doit. Le chemin vous sera montr.
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VAGABOND?
'
,
LE SATORI ET LA PORTE DE L UNITE
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Les plerinages peuvent certes inspirer notre veil mais voyager n'est pas l'essentiel. Le but est de dcouvrir cette exprience
en nous-mmes, o que nous soyons. Dans son livre Returning to
the Source*, Wilson Van Dusen explique en quoi consiste le fait
d'tre un mystique en Occident, c'est--dire quelqu'un ayant
expriment le Divin d'innombrables fois : dans un coucher de
soleil en t, dans les yeux d'un enfant ou dans le got d'une
pomme.
tre un mystique dans ce monde, c'est en partie triste. Les mystiques peuvent traverser de longues priodes durant lesquelles ils font
l'exprience de Dieu, mais ils restent incertains. Un jour, aprs une
causerie dans une glise, une vieille femme attendit que la foule se
disperse pour venir vers moi. Je vis qu'elle n'en avait plus pour longtemps dans ce monde. Agissant de faon trs circonspecte, elle me
raconta un rve assez court dans lequel un soleil extraordinaire en or
tait venu vers elle. Elle me demanda si c'tait Dieu. Je pensai tout
d'abord ma rponse habituelle: Nous devons examiner ce rve et
voir ce qu'il en est. >> Puis je fus touch par l'impact motionnel
d'une situation plus large. Cette vieille femme tait mourante et il
tait trs important pour elle qu'elle ait rencontr Dieu au moins
une fois dans sa vie. Je lui affirmai donc: Oui, c'tait Dieu>> et
nous fondmes en larmes. Mais que c'est triste! Elle montrait les
signes d'une personne de grande spiritualit dont la vie tait indis Retour la source.
132
133
Le monde est notre cabane. Nous savons que nous partageons l'air que nous respirons avec les chnes et les sapins des
forts, que l'eau que nous buvons tombe des nuages sous forme
de pluie avant de parvenir nos cellules. Tout ce que nous possdons, tout ce que nous sommes est un don qui nous est fait
par l'ensemble dont nous provenons et auquel nous retournons.
Nos esprits et nos corps ne sont pas spars. Entrevoir cette
unit veille une compassion et un sens de justice naturels
partir desquels nous commenons traiter avec sagesse les
autres parties de nous-mmes, c'est--dire tout ce qui est. En
nous veillant l'unit, nous dcouvrons que nous portons le
mme nom que les montagnes, les rivires et les forts de
squoias.
L'exprience complte de cette vrit est appele satori:
c'est le premier got de l'veil. Nous sommes tous candidats au
134
satori; pour nous souvenir de notre vrai nom, nous devons simplement apprendre lcher. Un matre zen europen eut
trente-sept ans sa premire exprience de satori. Etudiant, il
vint la vie spirituelle en partie pour fuir la douleur et la confusion qui rgnaient dans sa famille et en partie pour accder
une ralit plus large qu'il savait possible. La discipline qu'il
suivit ne se limita pas aux pratiques traditionnelles zen; elle
inclut un travail sur le rve, le traitement et la thrapie. Chaque
discipline l'aida dmler et librer ses peines et ses dfenses
passes. Dans le mme temps, il continua la pratique de zazen.
Ma premire exprience de satori s'leva au cours d'une session de zen
mais seulement aprs neufans de soins psychologiques et de pratiques
intensives de mditation. Ce fut en quelque sorte comme si, la prparation et la purification tant suffisantes, j'tais maintenant mr.
Une nuit, je rvai d'une montagne sacre avec ses pieds les temples
ddis aux saints du pass. je sus qu'ils n'taient visibles que pour une
minorit. En rve, j'escaladai la montagne tout en mangeant un
grand cornet de glace, tandis que tous les enfonts du monde dvalaient
de son sommet, galopant joyeusement vers le monde. Moi j'avais une
glace et je m'esclaffais. Pour nous tous, il n'y avait que rires et innocence. C'tait trs dijfrent de mon enfance relle: comme si de nouvelles possibilits s'ouvraient l'intrieur de moi.
Peu de temps aprs ce rve, je participai une retraite de printemps. je me souviens avoir expriment une mditation profonde et
pure. je pensai queje commenais trouver ce quej'avais tant cherch
- mais j'en savais suffisamment pour ne pas m'accrocher cette
pense et continuai mditer. Puis au quatrime jour, mon esprit
sombra dans le chaos etje me dis : Bon! je m'tais tromp. Mais au
lieu d'utiliser ma concentration comme une pe pour trancher la confusion et chasser au loin tout cela, mis part cette base de lumire,
j'embrassai ce chaos de tout mon cur. Mon corps, mon esprit et le
monde commencrent alors s'ouvrir. Il y eut comme une grande
vague dferlant au-dessus de moi. j'tais empli de joie et de clart.
I35
la fois vide et plein, un hiverfroid en mme temps qu'un chaudprintemps. je sentis que je pouvais tout comprendre.
Cela continua pendant des jours et des semaines. je me souviens
des sessions du milieu de l'aprs-midi lorsque tout le monde taitfatigu, assoupi, luttant contre le sommeil. Moi, j'tais tellement heureux.
Nous pouvions aller voir le matre zen pour qu'il nous pose ses impossibles questions. je souriais moi-mme. "Oh! j'en connais la
rponse. Et je me contentais de rester simplement assis. L'nergie
s'levait, s'levait. Pourfinir, j'allai voir le matre et il me posa l'un
des plus vieux koans, ponctu d'un petit geste de la main. Avec ce
geste, la chambre entire s'effaa. Tout avait disparu - le vent, les
toiles, les chiens au dehors. Nous disparmes tous dans la mme
immensit. Il n'y avait rien, il y avait tout.fe me mis rire et rire,
merveill. je connus l'esprit de mon matre et l'ge du monde. Mon
corps tait transparent, le soujjle du vent devint ma respiration et mes
pas la terre en mouvement. Aprs cela, ma vie fut trs joyeuse,
vivante; mes peurs les plus anciennes furent balayes, elles disparurent tout simplement. j'tais enfin vraiment vivant. Mme si pendant des semaines et des mois j'ai souri, ce fot une priode bizarre.
Dans la communaut, je ne parlai personne de ce qui m'arrivait car
je savais que les gens, d'une manire ou d'une autre, se sentiraient
exclus. C'est ainsi queje devins trs vite conscient de toutes les limites
douloureuses du monde et compris comment, mme l'intrieur de
cette grande ouverture, les limites doivent absolument tre respectes.
En nous veillant, notre sens d'identit se dplace totalement. Nous dlaissons l'troite ide de nous-mmes et pntrons
la conscience illimite dont nous sommes issus. Avec une certitude absolue, nous savons que nous ne sommes pas et n'avons
jamais t spars du monde. Il apparat que notre cur et notre
prise de conscience s'tendent toujours d'avantage jusqu' tout
englober, jusqu' ce que nous soyons le monde.
Un autre enseignant dcrit la
reconnaissance :
simplicit de
cette
Pendant une seconde vous voyez et, voyant le secret, vous tes le
secret. Les soufis appellent cela l'union avec le Bien-Aim. Ce que
nous avons cherch connatre illumine notre propre corps et notre
37
cur comme ce fut le cas pour une nonne dominicaine qui demeura
quarante-deux ans dans cet ordre.
ments de l'Advata.)
I39
Pour mieux comprendre, nous devons distinguer deux chemins complmentaires permettant de dcouvrir l'veil et l'illumination. Le premier est celui de la lutte et de l'effort, le second
celui de l'absence d'effort. Dans la voie de l'effort, vous vous
purifiez, vous luttez pour vous dfaire de tout ce qui vous empche d'tre prsent; vous vous focalisez sur l'veil ou l'illumination
un point tel que toute autre chose disparat. Pour finir vous tes
oblig de relcher la dernire saisie, le dsir de l'veil, et dans ce
lcher-prise tout devient clair. Sur la voie du non-effort, il n'y a
pas de lutte. Vous vous ouvrez la ralit du prsent. Demeurer
dans la perception de l'tat naturel est la seule chose requise. La
comprhension et la compassion en dcoulent.
En fait ces deux chemins existent des moments diffrents
dans la dmarche de chacun. Tous deux mnent au lcherprise. Un de mes instructeurs, Dipama, avait coutume de dire
que tous les deux taient meilleurs. Un effort judicieux est
important. Peu importe la difficult du chemin, peu importe la
quantit d'efforts dpenss, la fin, l'veil du cur arrive
comme un acte de grce, comme un vent printanier qui
emporte toutes nos proccupations et nos peurs et rafrachit
notre cur.
En mditant, en priant et en coutant, nous ouvrons grand
portes et fentres. Vous ne pouvez programmer le vent. Vous
ne pouvez, disait Suzuki Roshi, prendre rendez-vous avec
l'veil. Un dicton rappelle d'ailleurs que l'obtention de
l'veil est un accident. La pratique spirituelle nous prdispose
simplement cet accident.
Lorsque nous cristallisons, nous manquons l'instant prsent. Nous sommes comme ce disciple zen ambitieux qui arrivant dans un temple demande : Je veux me joindre la communaut et travailler pour obtenir l'veil. Combien de temps
cela prendra-t-il?- Dix ans, rpondit le matre. Bien! Et
143
Plutt que de concevoir l'veil comme un tat loign, apprenons reconnatre qu'il est plus proche que proche , comme
l'enseigne le zen. La porte sans porte honore cet veil naturel; c'est
notre droit de naissance.
Ajahn Chah, qui vivait dans une culture bouddhiste mettant trop fortement l'accent sur la longueur et la difficult du
144
145
Une bouddhiste, matre de mditation, nous raconte comment sa vie fut transforme. Pour elle aussi, aucun vnement
marquant, aucun satori n'est signaler, seule une suite sans fin
de prises de conscience.
je suis l etj'enseigne des centaines et des centaines d'tudiants dont
certains ont expriment grce la mditation de puissants tats
d'ouverture. Mais ce nejtpas mon cas, ce qui d'ailleursfut pour moi
pendant longtemps la chose la plus difficile accepter: il ne s'est rien
pass. je ne suis pas de celles qui eurent de grandes expriences bouleversantes. Depuis maintenant trente ans, je poursuis simplement ma
pratique sans me laisser emporter par mes propres ides de dcouragement ou de succs. j'ai particip de longues retraites de pratique
intensive et aucune exprience spectaculaire ne m'est jamais arrive.
Ce fut particulirement difficile pendant les dix premires annes
mais, au moins, je ne suis jamais tombe dans le pige de croire que
j'tais quelqu'un de spcial spirituellement.
Pourtant, d'une certaine manire, quelque chose a chang. Ce qui
m'a le plus transforme, ceJurent ces heures innombrables de vigilance
durant lesquelles je prtais soigneusement attention ce quejefaisais.
je compris queje n'allais pas me dfaire de monfardeau d'un seul coup
mais petit petit. je laissai donc tomber le poids de mes jugements, de
mes peurs, de mon manque de corifiance en moi-mme, de la raideur
de mon corps et de mon esprit. un certain moment, je dcouvris comment les tensions et la saisie prenaient place automatiquement et, en
ralisant cela, je commenai lcher prise, apprendre apprcier la
vie et trouver le calme. Lentement les enseignements traditionnels
s'incarnrent en moi -lefait que dans la ralit, rien ne vient, rien
ne part et quefondamentalement il n'arrive rien l'tre et il n'arrivera jamais rien. Cette prise de conscience corifirma ce que je savais
dj. je devins moins srieuse, moins concerne par moi-mme. Ma
bienveillance commena s'approfondir. Bizarrement, quelques-uns
de mes amis me dirent que je devenais de plus en plus moi-mme. Ils
affirment qu'il y a eu une grande transformation en moi; mais ce ne
I47
Ryokan demeure dans la comprhension du cur. N'attendant plus rien du monde, il fait confiance au tao. L'veil est sa
propre prsence, sa rponse au monde est naturelle et compassionne.
Une chrtienne contemplative qui eut une vie spirituelle
active pendant trente ans raconte son histoire :
j'avais toujours t touche par la ferveur de mystiques comme sainte
Thrse d'Avila ou saint jean de la Croix. Lorsqu' la suite d'un chec
relationnel et de problmesfamiliaux je passai un an dans un couvent,
je lus et relus leurs paroles. j'avais l'ide romantique d'tre en train de
traverser la nuit obscure de mon me. Mais cela ne s'arrtajamais,je
n'eus aucune exprience importante ni aucune illumination mystique.
Quandje quittai le couvent pour devenir assistante sociale, je poursuivis ma vie de prire et de pratique contemplative mais cela resta
ordinaire et obscur pendant des annes. Maintenant je ralise que
j'tais en foit dprime et seule, et qu'il n'y avait l rien de vraiment
mystique.
Puis il y a dix ans, jefis une retraite avec le pre Bede Griffiths,
un vieux moine catholique rayonnant qui avait un ashram en Inde.
Il portait une robe de yogi, couleur orange; des cheveux blancs et une
joie profonde jaillissaient de lui comme des narcisses resplendissants
aprs un long hiver. Nous avons parl et il me dit que je m'tais foit
toute une histoire propos du cheminement spirituel et de la manire
dont il devait se drouler. Puis ilprit mon visage dans ses mains et me
transmit un tel amour! Pourquoi ne pas tre toi-mme, me dit-il,
dans toute ton unicit? C'est la seule chose que Dieu dsire de toi. je
pleurai, je dansai, riant de tout ce que j'essayais d'tre. Et maintenant, depuis des annes, ma vie de prires et de contemplation continue de faon ordinaire mais cela ne me dprime pas etj'en suis venue
aimer cette vie. Aucune grande exprience ne m'est jamais arrive
mais en m'aimant moi-mme, tout a chang.
La tradition zen est pleine de rcits de ce genre. Le matre
zen Kassan avait un disciple qui dans un premier temps vcut
ses cts puis, trouvant que ses enseignements ne lui convenaient pas, partit en plerinage. Partout o il allait, les gens faisaient l'loge de son matre Kas san, considr comme le plus
grand. Pour finir le disciple revint, salua son vieux matre et lui
demanda: Pourquoi ne m'avez-vous pas rvl votre profonde ralisation? Le matre lui rpondit avec un sourire :
Qyand tu faisais cuire du riz, n'ai-je pas allum le feu? Qyand
tu me portais de la nourriture, n'ai-je pas tendu mon bol pour
la recevoir? Qyand t'ai-je jamais tromp? ces mots le
moine s'veilla.
La sainte perfection que nous recherchons a toujours t
prsente. Dame Julienne de Norwich exprime cette perfection
au cur de ses prires lorsqu'elle crit: Tout sera bien, oui,
tout sera bien. Absolument tout sera bien. Reconnatre la
perfection des choses telles qu'elles sont est une ouverture
du cur radicale, un respect de la plnitude sacre sous-jacente
tous les phnomnes. Cette plnitude tant toujours prsente,
nous pouvons nous y veiller en toute occasion.
Une question peut cependant se poser: Pourquoi aucune
saveur d'veil ou de perfection ne s'est-elle manifeste moi?
Le fait est que cela s'est sans doute produit mais que nous ne
l'avons pas remarqu ni reconnu. Comme l'air invisible qui
nous entoure et nous maintient en vie.
149
ISO
orienter sa mditation d'amour et de bienveillance vers luimme. Au dbut il rsista; comme beaucoup d'entre nous, il
tait mal l'aise de devoir se concentrer sur sa propre personne.
Ddier soi-mme, pendant des jours et des jours, cette intention d'amour et de bienveillance tait embarrassant. Mais peu
peu son cur s'attendrit et le pardon arriva, pour lui-mme et
pour les autres. Le monde commena sembler plus beau et la
ralisation eut lieu.
C'est moi qui dois m'aimer. Personne d'autre ne peut me faire sentir
la plnitude. Moi seul peux procurer cet amour. Maintenant je sais
que tous les tres et moi-mme avons accs cette plnitude, toujours
et partout. Savoir cela mepermet de vivre avec une srnit nouvelle
et une bienveillance envers les autres et moi-mme. De la manire la
plus simple, cela a compltement chang ma vie.
Une fois encore, le propos d'une pratique spirituelle n'est pas
d'acqurir un savoir mais d'apprendre comment nous aimons.
Sommes-nous capables d'aimer ce qui nous est donn? D'aimer en
toutes circonstances? De nous aimer nous-mmes, d'aimer les
autres? Sommes-nous capables de voir l'illumination que nous
offre le soleil chaque matin? Si nous en sommes incapables, que
devons-nous faire au niveau de notre corps, de notre cur et de
notre esprit pour nous permettre de nous ouvrir, de lcher prise, de
demeurer dans notre perfection naturelle? La porte est ouverte, ce
que nous cherchons est juste en face de nous. Il en est ainsi
aujourd'hui et chaque jour.
Larry Rosenberg, qui enseigne la mditation, alla pratiquer
en Core chez un matre zen, Seun Sahn. Durant son sjour, il
entreprit un plerinage auprs d'autres matres et de temples.
Voyageant sur une route perdue, il passa devant un sanctuaire
bouddhiste particulirement soign, une sorte de stoupa au
rsr
TROISIME PARTIE
AU-DEL DU SATORI
'
LES CARTES DE L ' EVEIL
traditionnel)
AU-DEL DU SATORI
I57
AU-DEL DU SATORI
159
r6o
Sans doute le mieux est-il de considrer authentiques ces nombreuses voies. I.:entre dans le courant survient ds que nous abandonnons sincrement l'ide troite de nous-mmes et que nous
nous ouvrons totalement la libert et la confiance. Peut-tre estce semblable ce que Louis Armstrong disait : Je ne peux pas
vous parler de jazz - quand vous l'entendez, vous savez ce que
c'est.
AU-DEL DU SATORI
r6r
AU-DEL DU SATORI
chute. C'est l, dans ma pire douleur, que j'ai appris qu'il n'y a pas
d'autre choix que de vivre dans la grce de Dieu.
AU-DEL DU SATORI
166
Dans le zen, une image diffrente nous est propose, tout aussi
potique dans sa manire d'induire l'interconnexion.
Avec cette toile,
toutes les choses et moi-mme s'veillent.
AU-DEL DU SATORI
168
AU-DEL DU SATORI
170
AU-DEL DU SATORI
qr
172
1 75
Comme le moine dans les illustrations du bouvier, la plupart d'entre nous doivent retourner sur la place du march pour
parfaire leur ralisation. En redescendant de la montagne, nous
pouvons tre choqus de voir avec quelle facilit nos vieilles
habitudes nous attendent, comme des vtements confortables
et familiers. Mme si notre transformation est de taille, mme
si nous nous sentons sereins et inbranlables, par certains cts
notre retour va invitablement nous tester. Nous pouvons devenir confus vis--vis de ce que nous allons faire de notre vie et de
la manire de vivre dans notre famille et dans la socit. Nous
allons peut-tre nous inquiter de savoir comment intgrer
notre vie spirituelle un mode d'tre et un travail ordinaires.
Nous pouvons avoir envie de nous enfuir pour revenir la simplicit de la retraite ou du temple. Mais quelque chose d'important nous pousse nouveau vers le monde et cette transition
difficile fait partie du chemin.
Un lama se souvient:
IJ8
Chutes et brlures
Ces cycles ordinaires d'ouverture et de fermeture sont des
remdes ncessaires l'intgration de notre cur. Dans certains cas, cependant, il n'y a pas simplement des cycles mais une
chute. Autant nous pouvons grimper haut, autant nous pou-
vons tomber bas et cela doit galement tre indiqu dans nos
cartes de vie spirituelle, et respect comme faisant tout naturellement partie de ce grand cycle.
Le koan zen cit en introduction du huitime chapitre
demandait aux disciples qui avaient expriment un premier
veil: Un tre totalement veill tombe dans un puits. Comment est-ce possible? Un matre zen rappelle ses tudiants :
Aprs toute exprience spirituelle forte, on redescend invitablement, on a du mal intgrer ce que l'on a peru. Le puits
dans lequel nous tombons peut tre cr par la saisie de notre
exprience et de nos idaux spirituels ou parce que nous nous
accrochons des ides excessives sur nos matres, notre chemin
ou nous-mmes. Ce peut tre d au travail inachev de notre vie
psychologique et motionnelle, au refus de reconnatre nos zones
d'ombre, de tenir compte des ncessits humaines, de la douleur
et de l'obscurit dont nous sommes porteurs, de voir que nous
gardons toujours un pied dans l'obscurit. Si lumineux soit-il,
l'univers a aussi besoin que l'on s'ouvre son autre aspect.
Une enseignante de l'ordre soufi avait vingt-trois ans
lorsqu'elle entra dans une tradition consacre aux louanges de
Dieu et aux rcitations de prires. Elle vendit ses biens et vcut
pendant plus de dix ans dans une communaut soufie contemplative, voue la prire. Ce fut une priode radieuse de sa vie
durant laquelle elle ouvrit son cur. Puis elle dcida de se
marier et repartit vers le monde.
On m'avait enseign tre ouverte et pleine d'amour. j'avais eu de
stupifiantes expriences d'extase et dejoie; notre vie de prires en tait
emplie. Lorsqueje quittai la communaut, je ne sus quefoire. Quand
/a jalousie, la peur et la solitude s'/evrent,je dus me dbrouiller toute
seule, sans le soutien de mon matre ou de mes amis soujis. je n'avais
eu aucune exprience en rapport avec la douleur et les besoins. Mon
r8o
conjoint, souji lui aussi, tait pire. Il ne pouvait supporter defoire foce
la colre, lafrustration et les exigences d'une vie de couple autonome.
Alors il me quitta. je restai seule dans cettepetite maison. Quel queft
le niveau que j'avais atteint, je retombai encore plus bas. Son dpart
souleva en moi une vague de fond, charge de dsespoir, provenant de
la noyade de ma sur et de l'abandon conscutifde mafamille par ma
mre- choses que je m'tais empresse d'aller soigner auprs des soufis. Dieu que cefut dur! Il n'y avait aucune lumire au bout du tunnel
et au milieu de tout cela, ce n'tait qu'obscurit. Peu importait que ce
ft le milieu de la nuit, l't ou l'hiver. Cela dura une anne et tout ce
que je pus foire fut de rechercher des gens capables de me soutenir, de
simplement couter mes larmes et ma rage jusqu' ce qu'enfin je puisse
demeurer avec moi-mme. Ces annesfurent certes douloureuses mais
elles m'apportrent quantit de gurisons et d'assimilations. j'aurais
juste souhait avoir cette poque plus de recul ou un meilleur accompagnement spirituel.
r8r
182
Si vousjouez avec la Mre Divine, elle vajouer avec vous car elle
est tout. . . Elle est tous les dsirs, toutes les colres, toutes les
convoitises; elle est tout. Si vous voulez un nom, une rputation, vous
pouvez l'avoir- Mre va vous le donner. Mais ce quej'avais atteint
par la pratique provenait de la grce de vivre auprs des saints. Vous
dtenez cet espace grce la bndiction des saints. En commenant
tre complaisant avec moi-mme,}'interrompis ma vritable pratique
etje perdis tout.
La vie spirituelle ne se joue pas une bonne fois pour toutes; c'est
un processus constant. Aprs trois ans d'une vie spirituelle qui tait
en fait des mondanits, j'en eus assez et dcidai de rentrer chez moi
auprs de mes enfants. je retournai dans le monde ordinaire et vendis
des voitures d'occasion Santa Cruz. je devins un homme d'affaires
et peu peu perdis totalement conscience du divin.
Vingt ans plus tard, un ami m'amena voir un saint qui tait de
passage. Pendant trois heures, je tombai dans une mditation profonde.
Puis la voix de mon gourou me parvint et je voulus chanter le nom de
Dieu. C'est donc ce que j'aifait, jusqu' maintenant. Mais cettefois je
suis plus attentifetje regarde avec qui je passe mon temps. Vous devez
faire attention si vous pensez avoir ralis quelque chose car vous
pouvez encore le perdre. Vous devez prserver vos engagements spirituels et continuer votrepratique. Maintenantj'essaie simplement d'tre
un vritable tre humain et si mon exprience peut servir d'autres,
alors tout ceci ne sera pas arrivpour rien.
Honorer la chute
Qyand la mystique chrtienne Julienne de Norwich affirme
qu'elle ne connat personne aimant Dieu qui puisse tre sr de
ne pas chuter, elle exprime sa comprhension que la chute est
aussi une volont divine. Qye nous le comprenions ou pas,
Mara revient. La chute, la descente et l'humilit qui en rsulte
peuvent tre perues comme une autre forme de bndiction.
r8s
une exprience avec Toni Packer. Un soir, lors d'un enseignement, elle
mentionna le fait que les gens, aprs avoir expriment de grands
tats d'ouverture, taient souvent assez dprims. Au moment mme
o j'entendis ces mots, ma dprime commena s'allger. C'tait
comme si j'avais eu besoin d'une permission pour accepter ce qui tait
et pour qu'ensuite le cycle puisse se poursuivre.
La chute nous invite une transformation la fois intrieure
et extrieure. Mais parfois cette difficult d'ordre spirituel ne se
rsout pas rapidement et cela peut prendre des annes avant de
passer la phase suivante. Un moine catholique, enseignant,
quitta son abbaye au bout de douze ans pour retourner dans le
monde du travail et mener une vie de couple. Il dcrit ce qui lui
arriva alors :
Nos journes dans l'abbaye suivaient un rythme harmonieux de prires et de silence, de communion sacre et de solitude. Si je quittai cet
endroit, cefut cause de ce qui ne vivait pas en moi. Parmi toutes les
merveilles et toutes les extases de la vie clotre, j'avais essay d'inclure
toute ma passion, mon tre physique, mon humanit et, bien que cela
fonctionnt pour certains, pour moi, au bout du compte, cela semblait
impossible. Aprs mon dpart, l'euphorie initiale fut vite recouverte
par une nuit sombre. j'avais appris demeurer dans le calme, couter, tre confiant dans la prire; de ce ct-l mon esprit tait mr.
Mais de nombreuses parties de ma vie restaient immatures.
je ne pouvais revenir en arrire etje nepouvais avancer. je dcidai
donc de me mettre au service des autres. Je pris un travail la soupe
populaire. je pris une matresse et nous essaymes de vivre ensemble. je
dus m'appuyer sur la force spirituelle pour traverser les doutes et une
dpression suicidaire. Ce furent les trois annes les plus dijjiciles de ma
vie. Maintenant je peux voir qu'ellesfurent essentielles la dcouverte
de ma vraie vocation spirituelle, une vie consacre servir. Cefurent ces
annes qui m'apprirent avoir confiance en ce que ma vie m'apportait.
186
Lcher prise
Parmi ces hauts et ces bas invitables, ces phases d'expansion
et de contraction qui surviennent lorsque vous donnez naissance
vous-mme, il peut y avoir des moments o il convient d'insister et de faire des efforts en direction d'un but spirituel. Mais le
plus souvent, la tche consiste lcher prise, dcouvrir un cur
empli de grce, qui honore les changements de la vie.
Suzuki Roshi rsuma une fois tous les enseignements bouddhistes en ces trois simples mots : Pas toujours pareil. Les conditions changent toujours. Nous descendons du sommet. Mara
revient. Honorer cette vrit de l'phmre permet notre exprience de l'obscurit et de la chute de faire partie d'une plnitude
plus large.
Un lama occidental sortit d'une retraite silencieuse de sept
ans pour aller voyager et enseigner sept ans galement.
La plus grande surprise fut pour moi de voir quel point j'avais
encore besoin d'apprendre tre confiant. Pendant des annes, je pensais que la vie spirituelle consistait en des tats spciaux de perfection
ou d'veil. Il s'agit en foit d'abandonner l'attachement. La vie ne
dpendpas seulement de ce que vousfoites. Les grandes illusions pour
lesquelles nousfoisons des efforts, que ce soit dans le monde ou dans la
vie spirituelle, se rvlent trefousses. Quand vous apprenez lcher,
vous trouvez unefoi immense vis--vis de tout et dcouvrez ce qui est
et demeure vrai avant et aprs tous vos projets. Tout apparat et passe
-voil la vraie perfection. j'ai ralis queje pouvais avoir confiance
en cela.
188
L'treinte secrte
Mme si cela semble simple, le lcher-prise est une pratique
avance. Elle nous est demande dans les plus grandes preuves
de nos vies et nos derniers instants. C'est l que le cur
apprend le secret : lcher prise, c'est aussi treindre ce qui est
vra1.
Une enseignante bouddhiste, ayant pratiqu pendant des
annes dans la voie monastique, vcut ensuite un divorce douloureux puis la mort d'un de ses enfants. Cela la plongea dans
un chagrin profond qui l'amena rexaminer toutes ses annes
de pratique.
je Jus submerge. je sanglotai pendant des jours sans jin, ne sachant
comment vivre ni que Jaire. C'tait un enseignement auquel mes
mditations, si nombreuses soient-elles, ne m'avaient nullement prpare. Il mefallut vraimentJaireface la sou.ffrance du monde et la
sou.ffrance de mon propre esprit. Au bout de ces annes, j'avais enfin
appris la ncessit de lcher prise et de m'ouvrir la vrit quelle
qu'elle soit.
10
LE LINGE SALE
CIJ ans son livre publi rcemment, Lift in The Shadow*, Radha Rajagopal Sloss dcrit de
faon intime comment elle grandit auprs de Krishnamurti.
Elle dpeint comment il encouragea des milliers d'tudiants
travers le monde et leur offrit des possibilits d'veil; elle
raconte les nombreuses annes durant lesquelles Krishnamurti
fut pour elle un second pre trs affectueux. Mais elle rvle
aussi quel point elle fut choque d'apprendre, dans le dtail,
* La Vie dans l'ombre.
LE LINGE SALE
193
194
LE LINGE SALE
195
que nous allons examiner certains des principaux domaines problmatiques auxquels sont confronts des enseignants de la voie spirituelle et les communauts.
LE LINGE SALE
197
prent de l'le, les pcheurs et les bergers qui levrent les yeux
les prirent pour des dieux.
La Crte ayant disparu derrire eux, Icare se rjouit de la
puissante porte de ses battements d'ailes et il commena
s'lever, s'abandonnant l'ivresse du vol. S'levant de plus en
plus, il approcha du soleil avec la sensation de pouvoir atteindre
les cieux. Mais bien vite la chaleur fit fondre la cire et les plumes
tombrent de ses ailes. Hurlant au secours, Icare tomba comme
une feuille dans la mer et s'y noya, laissant juste quelques
plumes la surface de l'eau. Le cur empli de chagrin et de
dsespoir, Ddale rentra dans son pays, accrocha ses ailes dans
un temple ddi Apollon et ne tenta plus jamais de voler.
Nous pouvons, nous aussi, nous retrouver comme Ddale,
prisonnier du labyrinthe de la vie que nous avons cr nousmmes. Grce une longue et patiente pratique, nous pouvons
dvelopper les moyens qui nous permettent de nous en chapper.
Une partie de nous-mmes connat nos limites et peut naviguer
travers les dangers d'un envol librateur. Mais si nous oublions
que nous sommes des humains, si une partie de nous pense
qu'elle peut s'lever trs haut sans prendre de prcautions, alors
c'est le vol lui-mme qui va nous laisser tomber et nous allons
invitablement tre prcipits dans les eaux sombres.
LE LINGE SALE
199
quelqu'un de parfait, un Bouddha, un Christ, un matre totalement pur. Mais le monde des dieux est attirant - en gotant
aux fruits de la libert, on risque d'tre emport par ces expriences. Des problmes se posent alors si l'on croit pouvoir
rester l, sans jamais avoir revenir aux ralits temporelles,
terrestres et humaines. En psychologie, cette dynamique est
dite inflationniste .
Dans la plupart des cas o le rle des enseignants est abusif,
ceux-ci ne sont pas intentionnellement malhonntes. Entours
d'une foule de disciples qui veulent les considrer parfaits, ils en
arrivent croire leurs propres communiqus de presse et
s'identifier au rle de matre. Une intoxication collective se
dveloppe, cre par l'enseignant tout autant que par les tudiants, chacun avec de bonnes intentions. Mais dans ce climat
d'attentes irralistes, un enseignant peut facilement perdre pied
et se mettre hors d'atteinte, ayant le sentiment, comme Icare
avant sa chute, qu'il peut s'envoler pour toujours.
Isolement et reniement
Lorsqu'une communaut s'tablit l'cart du monde ou a tendance s'enfermer dans un semblant de culte, il n'y a plus de
possibilits relles pour un regard critique. De la mme
manire, quand des enseignants sont ports aux nues et considrs comme des tres parfaits, ils peuvent devenir isols et
coups de leurs semblables intgres, de leurs partenaires et de
leurs amis spirituels. Les membres de la communaut peuvent
dans cette situation perdre de vue ce qui se passe rellement.
Les enseignants entours d'tudiants qui les idoltrent plus que
des pairs peuvent tre en proie la solitude et au manque de
reconnaissance de leurs besoins de vritable intimit; pire
zoo
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Confusion interculturelle
Les traditions d'origine asiatique rencontrent une autre difficult
en Occident : la confusion interculturelle. Venant d'un environnement dans lequel l'habillement est sans prtention et les hommes
et les femmes strictement spars, les enseignants peuvent perdre
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nions nos idaux et nos fautes, que nous nous dbattions dans
le pardon. Peu de tches sont aussi riches d'enseignements.
Qyand la communaut Kripalu Yoga du yogi Amrit Desai
clata en 1994, un immense sentiment de trahison balaya la communaut. La rvlation publique des affaires secrtes du matre
et des manipulations de pouvoir et d'argent durant vingt ans fit
perdre toute illusion de nombreuses personnes. Mais comme
Amrit Desai tait aussi un enseignant plein de crativit et de
sagesse, ses tudiants furent capables d'utiliser les pratiques qu'il
leur avait enseignes - d'analyse, d'quilibre et de compassion
-pour grer ces dsillusions. Aprs des mois de rencontres et de
runions difficiles, il fut demand au matre de partir et les tudiants durent par eux-mmes faire un travail sur leurs confusions
et leur dsespoir. Depuis lors, au fil des ans, la communaut s'est
reconstruite et se ddie aux principes de yoga et de saine spiritualit que la crise due la trahison leur a enseigns. Le matre a
dclar que lui aussi avait beaucoup appris dans cette affaire.
Le matre zen Dogen affirme que la vie d'un matre zen est
une erreur permanente c'est--dire une opportunit
d'apprendre, erreur aprs erreur. travers la trahison et l'abus
de pouvoir nous rencontrons les checs qui rsultent du fait
d'tre des humains. En consquence, que nous quittions une
communaut en crise ou que nous restions, il nous faudra de
toute faon apprendre la vraie pratique de la sagesse et de la
compasswn.
En arant ce linge sale, ne soyons pas trop empresss de
juger. Les forces impersonnelles d'idalisme et d'exagration, la
profondeur des illusions et des peurs, les mandres subtils de
l'auto-illusion et de l'ambition font partie de notre nature
humaine. Les tragdies grecques, les vedas indiens, les mythes
des tribus africaines, les koans zen sont en prise avec ces forces
qui depuis des temps anciens ont faonn notre lot humain.
216
QUATRIME PARTIE
II
LE MANDALA DE L'VEIL
DE QUOI NE TIENS-TU PAS COMPTE?
220
tais-je en train de devenir fou? Je russis me lever et me dirigeai vers la porte. Je voulais le rconfort d'un visage ou d'une voix
humaine. Juste ct, il y avait le couloir menant au quartier des
moines. Je frappai une cellule.
Qy'est-ce que tu veux? dit une voix endormie.
- Dis-moi de quoi je ne tiens pas compte.
- De moi >>, rpondit-il.
Je frappai la porte suivante.
Qye veux-tu?
-Dis-moi de quoi je ne tiens pas compte.
-De moi ...
Une troisime, une quatrime cellule, toujours la mme
rponse.
Ils sont tous focaliss sur eux-mmes , pensai-je. cur, je
sortis du btiment. Juste cet instant le soleil se leva. Je n'avais jamais
parl au soleil auparavant mais je m'entendis implorer: Dis-moi de
quoi je ne tiens pas compte. >>
Et le soleil de me rpondre lui aussi : << De moi. Cela
m'acheva.
Je me jetai sur le sol; la terre me dit alors : De moi non plus. ,.
LE MANDALA DE L'VEIL
221
Le Mandala d'Intgralit
Un mandala est une image souvent complexe. Il reprsente le
grand cercle de l'existence, la compltude sacre, un univers
entier. Le but d'une vie spirituelle sense consiste dcouvrir et
incarner dans notre vie cette intgralit sacre.
Il y a deux principes essentiels pour s'veiller cela. Tout
d'abord, pour que la libert puisse s'panouir totalement, tous
les domaines importants de notre exprience terrestre doivent
tre inclus dans notre vie spirituelle. Aucun aspect significatif
ne peut tre exclu de notre prise de conscience. Les Ans
bouddhistes disent qu'il faut cultiver les quatre fondements de
l'attention sacre: vis--vis du corps, des sensations, de l'esprit
et des principes qui rgissent la vie. Leurs enseignements tendent ensuite la mme prsence d'esprit sacr la famille, la
communaut, aux moyens d'existence et d'une faon plus large
aux relations avec le monde. C'est seulement travers une
attention l'gard de chacune de ces choses que nous accomplissons l'veil. Ces aspects seront plus largement dvelopps
dans les chapitres suivants.
Le second principe pour s'veiller la plnitude consiste
tenir compte du fait que notre conscience dans un domaine ne
se retrouve pas forcment dans les autres aspects de notre vie.
Nous savons que les athltes de niveau olympique sont trs
entrans et ont une grande conscience de leur forme physique,
ce qui n'empche pas certains d'tre motionnellement immatures ou mentalement limits. l'inverse, certains intellectuels
brillants souffrent parfois d'ignorance et de manque d'intrt
en ce qui concerne leur corps ou leurs motions. D'autres, conscients de leurs sensations et experts en relations humaines, peuvent tre terriblement inconscients des systmes de pense et
des croyances qui les enferment.
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semences tandis qu'elle-mme, dans l'esprit de son ami et instructeur Krishnamurti, anime des retraites contemplatives
travers le monde. Ses mditations et prires ne sparent pas la
pratique spirituelle de la politique, la compassion de la justice,
la connaissance de soi des moyens d'existence. Tout ceci est pris
comme un ensemble.
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La voie du milieu
Ce vocabulaire d'une comprhension plus large montre comment
le cur s'assouplit et se sensibilise. Les tendances dogmatiques et
rigides de la ferveur religieuse laissent place la voie du milieu,
une prsence sage qui n'est ni indulgente ni craintive.
Mon matre Ajahn Chah manifestait cette souplesse
lorsqu'il se montrait le plus incohrent, contredisant des choses
qu'il avait affirmes auparavant, rejetant des enseignements
qu'il avait prconiss la veille. Qiand un tudiant frustr (moi)
lui en fit la remarque, Ajahn Chah se mit rire. C'est comme
LE MANDALA DE L'VEIL
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ne pas trouver un seul tre plus digne d'amour et de bienveillance que vous-mmes.)) Nous devons parfois nous dfaire
de notre ego mais parfois ce sont notre haine et notre mpris de
nous-mmes qui posent problme. Dans ce cas, la gurison et
la libration de notre cur ne peuvent se faire qu' travers
l'amour de cet ego que nous avons rejet.
La sagesse du cur apporte de la compassion l'imperfection elle-mme. Une tude sur les thrapeutes blesss)) a t
faite l'universit de Stanford. Elle compare les psychologues
qui travaillent de manire dtache, sans rien rvler d'euxmmes, ceux qui partagent certaines de leurs difficults et de
leurs blessures. Les thrapeutes blesss gurissent leurs patients
plus rapidement.
Un cur de sagesse est en paix avec le mode d'tre des choses. N'tant plus en conflit avec le monde, nous nous dtendons
sans nous y perdre. Les qualits saintes de comprhension,
d'humilit et de patiente attention sont nos dons. Notre corps,
notre parole et notre esprit deviennent, l'image du tao,
satisfaits du changement des saisons)). Nous devenons l'amour
que nous avons cherch. Et dans cet amour, nous sommes aussi
ramens nous-mmes.
L'enseignant zen Edward Espe Brown est l'auteur de nombreux livres de cuisine inspirs du zen, dont The Tassajara Bread
Book*. Tout en dcrivant ces pratiques culinaires, il parle des
vrits du cur.
Lorsque pour la premire fois je commenai cuisiner Tassajara,
j'eus un problme. Je n'arrivais pas ce que mes biscuits sortent
comme ils auraient d. J'avais suivi une recette et tent des variantes
mais rien n'y faisait. Ces biscuits n'taient pas comme il fallait.
Le Livre du Pain Tassajara.
LE MANDALA DE L'VEIL
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Qyand nous acceptons notre place dans le mandala d'intgralit, nous revenons simplement l o nous sommes. Et l,
nous dcouvrons la joie, le bien-tre, la simplicit, le courage et
ce queT. S. Eliot nomme la libert de se soucier ou de ne pas
se soucier . Les chapitres suivants illustrent cet panouissement de la plnitude et du retour nous-mmes.
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2 37
notre bonheur alourdis par les parties abandonnes de nousmmes que nous ne regardons pas.
Un abb bouddhiste dcrit ce qui lui arriva aprs avoir survcu une intervention chirurgicale et aux radiations subies
cause d'un cancer.
Lorsqu'enfin je revins dans ma communaut,je la considrai d'un il
nouveau. je vis de vieux tudiants qui taient l depuis longtemps
sans sejeter vraiment l'eau. j'en vis d'autres qui nepratiquaientpas
mais taient simplement dpendants et avaient besoin d'un endroit
pour vivre. j'avais pris les vux de bodhisattva ce qui, pensais-je
cette poque, signifiait que je devais essayer de prendre soin de tous de
faon inconditionnelle. En tant que bodhisattva, je voulais que tous
restent; mais mon corps qui avait ajfront la vrit de la vie et de la
mort en dcida autrement. je renvoyai la moiti des tudiants. En fin
de compte, jefos forc d'couter la sagesse de mon corps.
Un manque de lien avec cette vie qui s'incarne n'est pas uniquement notre lot individuel; cette carence est lie la dispersion rapide et gnrale de la socit de consommation
moderne. La femme pote Adrienne Rich se fait l'cho du chagrin cach derrire nos vies affaires :
Le problme, jusqu' prsent non abord,
est de savoir comment vivre dans un corps endommag,
dans un monde o la douleur est garantie,
laisse sans soins ni rconfort.
Le problme est de relier, sans hystrie,
la douleur du corps de chacun la douleur du corps du monde.
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Illumination incarne
L'illumination doit tre vcue ici et maintenant, dans ce corps
mme, sinon elle n'est pas authentique. C'est dans ce corps et
cet esprit que nous trouvons la cause de la souffrance et la fin
de cette souffrance. Pour que l'veil soit une ouverture la
libert dans cette vie mme, le corps doit en tre la base.
L'illumination incarne n'est pas l'obtention d'accomplissements psycho/physiques spciaux, ni la matrise des yogas du
feu intrieur, ni la ralisation des tantras sexuels, ni la manifestation d'un corps d'arc-en-ciel. Bien sr, certains lamas tibtains sont capables de s'asseoir nus dans la neige cinq mille
mtres d'altitude et de produire suffisamment de chaleur pour
faire fondre cette neige vingt pieds autour d'eux. Des saints
catholiques ont montr des stigmates et des pouvoirs de gurison miraculeux. Mais ces pouvoirs ne sont pas le vrai miracle,
dit le Bouddha. S'veiller la vrit, voil le miracle. L'illumination incarne consiste vivre avec sagesse au jour
d'aujourd'hui, dans son propre corps, tel qu'il est dans cette vie
stupfiante.
Pema Chdrn, nonne bouddhiste occidentale et matre de
mditation, nomme cette comprhension la sagesse de ne pas
fuir! .
Il est utile de raliser qu'tre ici, assis en mditation ou accomplissant les choses simples de tous les jours - travailler, marcher
dehors, parler aux gens, manger, aller aux toilettes - est en fait
exactement ce dont nous avons besoin pour tre pleinement veills,
totalement vivants, parfaitement humains. Il est utile de raliser
galement que le corps que nous possdons, ce corps qui est assis ici
mme, maintenant, dans cette pice, ce corps qui est parfois douloureux et cet esprit que nous avons l'instant mme sont exactement
ce qu'il nous faut pour tre totalement humains, totalement veills
et totalement vivants. En outre, les motions que nous avons juste
l'instant, qu'elles soient ngatives ou positives, sont ce dont nous
avons rellement besoin. C'est exactement comme si nous cherchions alentour quelle pourrait tre la plus grande richesse qu'il nous
serait possible d'avoir pour mener une vie dcente, bonne, totalement satisfaisante, nergique et inspire, et que nous trouvions cette
richesse ici mme.
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Ne rien dlaisser
Comme nous l'avons vu, vivre cette illumination incarne comporte des dfis dont l'un des plus importants est li la sexualit. Les traditions religieuses nous mettent souvent en garde
contre les risques de nous perdre dans le monde sensoriel et il
est vrai que nous pouvons nous y attacher et trop nous identifier
au corps et ses plaisirs. Notre culture a exploit cette tendance
jusqu' l'extrme. Mais dans les cercles spirituels, le danger
oppos, celui de l'aversion, de la peur et de l'inconscience est
peut-tre encore plus courant. Il existe, comme le suggre le
Bouddha, une voie mdiane trouver dans chacune de nos vies.
Lorsqu'elle enseignait une posture difficile, une femme, professeur de yoga, s'arrtait souvent un instant et recommandait
ses lves: Vous, les acharns, dtendez-vous! Et vous, les
indolents, redressez-vous!
Jung dcrivit l'quilibre ncessaire entre notre corps animal
et son lien avec les plus hautes formes de spiritualit travers
l'ros.
L'instinct rotique est quelque chose de problmatique et le sera toujours, quoi que puissent dire les lois sur ce sujet. D'un ct, il appartient la nature animale originelle de l'homme et existera aussi longtemps que l'homme aura un corps animal. D'un autre ct, il est reli
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La sagesse de L'incarnation
En mai rgg8, dans notre Centre de Mditation de Spirit Rock,
nous avions organis une grande collecte destine aux soins mdicaux de Ram Dass qui avait eu une grave attaque l'anne prcdente. Aprs presque un an de convalescence, Ram Dass tait
capable de parler, bien qu'hsitant et cherchant encore ses mots.
la fin de la journe, on amena son fauteuil roulant sur l'estrade pour
qu'il puisse parler. Rappelant, parmi les rires, qu'on l'avait prvenu
qu'il tait peu recommandable de venir juste pour son propre bienfait- et pourtant il tait l pour a - Ram Dass fit un discours
qui posa la question de l'identit.
Pendant des annes j'ai pratiqu le karma-yoga, la voie du service.
j'ai crit des livres montrant comment apprendre servir, comment
aider les autres. Maintenant c'est le contraire. j'ai besoin que les gens
m'aident me lever ou me mettre au lit. Ce sont les autres qui me
nourrissent et me lavent le derrire. Et je peux vous dire : il est plus
dur d'tre celui qui est aid que celui qui aide!
Mais c'est juste une autre tape. C'est comme si je mourais et
renaissais encore et encore. Dans les annes 6o, j'tais professeur
Harvard puis quand cela se termina, je partis avec Tim Leary diffuser le LSD. Dans les annes 70, cette vie-l m'a tu. Alors je revins
d1nde en tant que Baba Ram Dass, le gourou. Dans les annes 8o,
toute ma viefut consacre servir-j'aifond avec d'autres la Seva
Foundation, construit des hpitaux et travaill auprs des rfugis et
des prisonniers. Pendant toutes ces annes,j'aijou du violoncelle, fait
du golf, conduit ma MG. Depuis mon attaque, la voiture est au parking, le violoncelle et les clubs de golfdans un placard Si maintenant
je pense tre celui qui nepeut plus jouer de violoncelle ni conduire ou
travailler en Inde, je vais me sentir terriblement dsol pour moimme. Mais je ne suis pas celui-l. Pendant l'attaque je suis mort
nouveau et maintenant j'ai une nouvelle vie dans un corps infirme.
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C'est dans ce corps-l que je suis. Vous qui tes ici maintenant, vous
avez eu droit mon curriculum.
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25!
Le courage incarn
Les fruits de l'intgration, de la plnitude, de la sagesse et de la
compassion ont un prix. Qyand mon matre Ajahn Chah eut
soixante-trois ans, il entra l'hpital pour un ensemble de
symptmes : dme du cerveau, diabte, attaque et problmes
cardiaques. Hospitalis pendant neuf mois, il souffrit normment et fut souvent incapable de parler. Lorsqu'il ressortit
l'anne suivante, certaines de ses capacits taient revenues et il
put recommencer enseigner, bien que de faon limite. J'allai
lui rendre visite dans un temple prs de Bangkok et vis quel
point il semblait plus faible et combien il avait vieilli travers
cette preuve. Je m'inclinai respectueusement. un moment de
notre conversation, je me souvins que pendant des annes il
nous avait souvent exhorts rflchir au caractre invitable
de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Je fis remarquer
d'une voix forte que manifestement ces choses lui arrivaient
maintenant. Ajahn Chah me fixa d'un regard perant et dit :
Ne dis pas cela si lgrement!
Se ddier la spiritualit n'offre aucune immunit contre les
joies et les tristesses de la vie du corps. Comme nous, chaque
matre spirituel doit affronter les difficults de la fatigue, de la
maladie et de la mort. Ce que donne la pratique, ce sont les
moyens d'veiller la compassion et la conscience dans ce royaume
humain, moyens pour le cur d'intgrer tout cela.
Chaque partie de la vie est une terre fertile pour la pratique.
Rachel Naomi Remen, mdecin et thrapeute, parle de la
maladie comme d'une porte, une invitation approfondir le
lien de notre me avec la vie. Elle affirme que le but d'une
maladie est de nous ramener ce qui est important pour nous,
de nous rveiller. Le propos d'une pratique spirituelle n'est pas
d'attendre qu'une maladie ou la mort vienne nous rveiller mais
d'encourager la vie et la sant que nous avons maintenant procurer de la paix notre corps, notre cur et notre esprit.
Si nous n'avons pas le courage d'assumer compltement
notre corps, alors la vie elle-mme va tout simplement insister.
Comme Marcel Proust nous le rappelle :
La maladie est le plus cout des mdecins. la bont, au savoir on
ne fait que promettre. On obit la souffrance.
Apprcier pleinement les particularits de notre incarnation est une bndiction. Un matre zen explique :
Mon enseignement du zen s'est approfondi en encourageant les tudiants se jeter vraiment dans le monde et dans la vie. je veux que
les gens entrent dans la vie, qu'ils incarnent leur pratique et sy adonnent avec leur cur. Prendre soin de la vie, de ce corps, c'est l'aimer,
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Incarnation et lessive
Hakuin Zenji crivait dans son ancien Chant de Zazen: Tous
les tres sont par nature des bouddhas, comme la glace est par
nature de l'eau. Comme il est triste que les gens ignorent ce qui
est proche et cherchent au loin la vrit. Ils sont semblables
celui qui, au milieu de l'eau, se lamente de la soif.. . Honntement, quelque chose nous manque-t-il maintenant? Le nirvana est juste ici, devant nos yeux; cet endroit mme est la pure
terre du lotus; ce corps mme est le Bouddha.
Pour Hakuin, la porte pour demeurer dans le nirvana est
l'attention incarne. La saintet d'tre vient en pntrant compltement l'instant, de toute notre attention. Toutes les formes
extrieures de religion -les temples, les enseignants, les pratiques- nous convient simplement l'ternel prsent: elles
nous invitent incliner notre cur pour qu'il touche chaque
instant.
Une fable chinoise parle d'un jeune homme qui observe un
sage prs du puits du village. Le vieil homme fait descendre un
seau en bois avec une corde puis remonte doucement l'eau la
main. Le jeune s'loigne et revient avec une poulie. Il s'approche du vieil homme et lui montre comment utiliser cet outil.
Regardez! Vous placez la corde dans la roue et faites remonter
l'eau en tournant la manivelle. Le vieil homme refuse alors :
Si j'utilise un outil comme celui-ci, moa esprit va se croire
intelligent. Avec un esprit malin, je ne vais plus mettre mon
zss
cur dans ce que je fais et bientt seuls mes poignets travailleront. Si mon cur et tout mon corps ne participent pas ce travail, celui-ci deviendra sans joie. Si mon travail est sans joie,
quel got aura l'eau selon toi?
Il est dit dans le zen que l'ensemble du ciel et de la lune se
reflte dans une goutte de rose sur un brin d'herbe. Chaque
petite chose, chaque instant contribue l'ensemble et le reflte.
Border un enfant dans son lit, payer ses factures, couter un
associ, payer le pompiste la station d'essence, crire une
lettre ou taper un mmoire, se runir autour d'un repas, planifier un travail, arroser le jardin- chaque chose devient l'incarnation du cur veill. Il est incroyable que nous puissions
oublier cette vrit.
Une petite fille de six ans demanda sa mre ce qu'elle faisait l'universit o elle allait chaque jour. Je suis dans le
dpartement des beaux-arts. J'apprends aux gens dessiner et
peindre , rpondit la mre. Stupfaite, la petite fille
demanda : Tu veux dire qu'ils oublient?
Qyand nous oublions, l'veil nous rappelle la bndiction
de l'activit simple de chaque instant. Un lama occidental se souvient d'avoir recouru un travail physique, associ la prire,
pour rester conscient et pos aprs tre sorti d'une retraite tibtaine de trois ans :
Le plus dur fut de maintenir vivante ma vie spirituelle parmi leflot
d'activits quotidiennes innombrables et l'norme complexit inutile
de la vie occidentale. Les cinq premires annes furent les plus
dijjiciles : garder intrieurement la simplicit du cur quand je me
trouvais avec des gens qui n'taient sensibiliss qu'au gain et la prcipitation. Au dbut ce fut trs instable, presque dment. Comme
j'avais peur d'oublier ce que j'avais appris, je m'appuyai sur un travailphysiquepour stabiliser ma pratique et mon esprit.]epassai mon
257
chaque porte, une pense avant de manger, une pause pour respirer consciemment avant de rpondre au tlphone. Une
prire ou un vers peuvent mme tre composs pour la tlvision, dit le matre zen Thich Nhat Hanh : En regardant le
journal du soir, je sais qu'il s'agit de mon histoire. Inspirant avec
calme, je nous maintiens tous dans la compassion. En nous
souvenant du souffle, nous rtablissons toutes les choses leur
place dans le corps.
Lorsqu'un tudiant zen affirma son matre: Tout ce qui
est laiss de ct, ce ne sont que des dtails ,le matre s'exclama :
Des dtails, oui! Mais il n'y a rien d'autre. Incarner la prsence, c'est ne pas oublier d'tre avec chaque chose qui se prsente. Gandhi appelait cela la monotonie bnie et comparait
ce rythme quotidien au soleil et la lune sur leurs orbites rgulires et aux cycles silencieux des toiles et des saisons. Le zen
rapproche cela de la cuisson du pain dans un four : vous enfournez chaque jour et vous dgustez la saveur particulire de chaque
miche de pain. Claude Monet, qui vcut Giverny pendant
trente-cinq ans, a peint les mmes nnuphars, anne aprs anne,
dans la lumire nouvelle de chaque journe. Voir avec la fracheur
des yeux qui peroivent la lumire particulire de l'instant-c'est
l'esprit du dbutant.
Cette intimit simple d'aide relle et physique tait galement au centre de l'activit de Mre Teresa.
chose pour votrefamille, la mme chose dans votre glise et votre communaut. Simplement dmarrer- un, puis un, puis un.
13
MOTIONS VEILLES
ET PERFECTION ORDINAIRE
Moines, vous devez tre conscients des sensations plaisantes, des sensations neutres et
des sensations dsagrables; vous devez
dvelopper une attention des sensations
dans les sensations. (Satipatthana Soutra.}
Lorsqu'un tudiant demanda : Vous nous
enseignez de simplement nous asseoir
quand nous nous asseyons et de manger
quand nous mangeons; un matre zen peutil, de la mme manire, tre simplement en
colre? , Suzuki Roshi rpondit : Vous
voulez dire avoir simplement une colre qui
clate comme un orage et qui, une fois passe, est termine? Ah! Comme j'aimerais
en tre capable. , (Shunryu Suzuki Roshi.)
D'ordinaire je suis trs courageux, mais
aujourd'hui j'ai mal la tte. (Tweedledum.)
z6o
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263
je travaillais sur les koans et certainesfois, en me rendant des entretiens, je ne pouvais mme pas parler de mon koan. je devais parler de
mes motions car elles taient tellement au centre de ma pratique. Il
tait parfois question de joie, mais le plus souvent il s'agissait de sentiments difficiles et de conflits avec mes parents ou mon partenaire. Il
coutait et pleurait avec moi. Il me disait: Oui, je sais comme c'est
dur. C'estpareil dans mafamille aussiparfois. je pensais qu'il n'tait
pas cens dire cela. Son ouverture pour ressentir ma vie allait ouvrir
mon cur. Il tait tellement humain dans sa volont d'tre prsent.
!:esprit et le cur
Le Joyau dans le Lotus est la traduction du mantra universel
de compassion Om Mani Padme Houng >>.Il a de nombreuses significations mais une des explications de son symbolisme
est que la compassion s'lve lorsque le joyau de l'esprit
demeure dans le lotus du cur. L'esprit veill a la clart d'un
diamant. Qyand cette vision claire demeure dans la tendre
compassion du cur, les deux dimensions de la libration sont
runies.
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266
Sentiments et temprament
S'veiller aux motions signifie les ressentir- ni plus, ni moins. Il
n'est donc pas ncessaire de modifier nos sentiments- ils changent tout le temps d'eux-mmes. Cela ne veut pas dire non plus
changer de temprament. <2!Ie nous soyons nerveux, bilieux, sanguins ou lymphatiques, cela va rester pratiquement tel quel.
L'ventail sera plus large mais notre temprament et notre person-
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nalit vont dans les grandes lignes demeurer identiques. Un enseignant bouddhiste raconte qu'il s'attendait avec l'veil une
transformation personnelle>>. Il eut la surprise de voir qu'en fait
une transformation impersonnelle s'accomplissait. Il s'agit
d'une ouverture du cur et non d'un changement de personnalit.
Cet enseignant poursuit :
Sous de nombreux aspects, la transformation spirituelle de ces dernires dcennies fut diffrente de ce que j'avais imagin. Je suis toujours
la mme personne bizarre avec peu prs le mme style et les mmes
modes d'tre. Extrieurement, je ne suis donc pas cette personne
veille, transforme defaon incroyable, quej'avais espr devenir au
dbut. Mais intrieurement, une grande transformation s'est opre.
Ces an nies de travail sur mes sentiments et mes rapports familiaux
ont adouci mon humeur et ma manire de les aborder. travers les
luttes menes pour connatre et accepter ma vie en profondeur, celle-ci
s'est transforme, mon amour s'est dvelopp et largi. Ma vie ressemblait un garage encombr dans lequel je passais mon temps me
cogner contre les tagres et me juger moi-mme; aujourd'hui, c'est
comme si j'avais dmnag dans un hangar avion avec les portes
ouvertes. Toutes mes vieilles affoires sont l mais elles ne m'encombrent pas comme avant. Je suis toujours le mme mais maintenantje
suis libre de bouger et mme de voler.
Nous l'avons vu plus haut, c'est une erreur de croire que
nous pouvons fuir notre karma, l'histoire dont nous sommes la
rsultante. Cela m'apparut trs clairement, il y a vingt ans, lorsque je dirigeai pour la premire fois une grande retraite en
Suisse. Les participants taient originaires de toute l'Europe.
Lors des entretiens privs avec ces tudiants, j'essayai d'largir
la conscience de chaque individu sans prjuger ni tenir compte
de sa culture ou de son pays. Je fus donc surpris la fin de la
retraite de dcouvrir que pratiquement tous les entretiens avec
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actuellement principal matre de l'cole zen Rinzai en Occident, pourquoi il tait venu enseigner ici, il rpliqua: Je ne
suis pas venu en Amrique pour enseigner. Je suis venu en
Amrique pour prendre du bon temps. Je veux que les Amricains apprennent rire vraiment.
On nous a enseign craindre nos motions de multiples
faons; de nombreux concepts errons nous enferment dans cette
peur. Le traumatisme, le jugement, la peur, la honte que nous
rencontrons dans l'enfance peuvent tre terriblement inhibants.
Nous imaginons parfois que la quitude spirituelle est la
meilleure rponse - ne pas trop ressentir, ne pas sombrer dans
l'excitation ou la colre sous peine de faire chavirer le bateau qui
vogue vers l'illumination. Des notions de passivit, de reniement
de soi, de cessation de vie palpitante se mlent alors la pratique
spirituelle.
Mme les pratiquants sincres peuvent confondre un dcorum extrieur factice avec l'aspect paisible de la libert intrieure. Nous pouvons secrtement croire que, si nous nous
autorisons vraiment exprimenter nos sentiments et nos
dsirs, la complaisance vis--vis de nous-mmes n'aura plus de
limite, notre agressivit et notre indolence vont nous submerger. Croire cela, c'est confondre sa vraie nature avec les sentiments associs une ide de soi dficiente et mesquine. Si les
motions sont en fait des forces puissantes, ce n'est ni la peur ni
la rpression qui vont nous librer de leur emprise -la seule
rponse est la prise de conscience.
Tant que nous ne les avons pas reconnues pour ce qelles sont
vraiment, nous craignons le pouvoir destructeur de nos motions.
Nous confondons le fait de nous autoriser tre conscients d'elles
avec l'obligation d'y ragir. Mais pour intgrer la totalit de notre
tre au chemin, nous avons besoin de comprendre comment nous
nous sommes emptrs dans nos motions et identifis elles.
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Les temples bouddhistes asiatiques sont pleins de reprsentations de Bouddhas sereins mais aussi de Bouddhas qui pleurent et de bodhisattvas courroucs, reprsents avec des pes
de feu, chacun exprimant la puissance des motions aprs
l'veil. Mme des matres comme Thich Nhat Hanh et le
Dala-Lama reconnaissent avoir d'occasionnels accs de colre.
Lorsque, en 1991, le bombardement amricain de l'Irak rveilla
en lui les horreurs du Vietnam, Thich Nhat Hanh dans un premier temps ressentit une colre telle qu'il annula son programme d'enseignements en Amrique. Il raconte qu'il lui
fallut plusieurs jours pour souffler, calmer son cur et transformer cette colre en chagrin et en une puissante compassion
ardente, ce qui lui permit de se rendre en Amrique et de parler
avec passion du problme sa racine.
Le Dala-Lama a crit : Dans les situations de grande
injustice, je peux tre en colre pendant un certain temps; mais
bien vite je me demande quoi a sert? et petit petit cette
colre se transforme en compassion. Ses enseignements
reconnaissent qu'une grande force est ncessaire pour agir dans
le monde. Les Bouddhas courroucs ne brandissent cependant
pas l'pe de la haine mais celle d'une puissante compassion.
Collectivement et individuellement, il y a des moments o
il faut utiliser cette pe avec adresse. J'ai vu un matre zen
coren utiliser cette force de compassion avec un tudiant de
longue date, tomb amoureux d'une femme nouvelle dans la
communaut, laquelle, moins d'un an plus tard, le quitta brusquement pour un autre homme. Durant plusieurs mois le
matre zen montra de la comprhension vis--vis du chagrin de
son disciple et prit soin de sa douleur. Puis il entreprit un
voyage de neuf mois d'enseignements travers l'Europe et la
Core. son retour, il prit le temps de faire le point avec
chacun des membres de sa communaut.
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Qiand cet tudiant lui fit savoir qu'il tait toujours afflig
par cette perte, le matre zen fouilla dans son sac et en sortit un
rosaire de perles magnifiquement sculptes qu'il lui donna. TI le
posa dlicatement dans les mains de son tudiant ravi, l'y maintenant de sa propre main. Puis d'un seul coup, le matre leva
l'autre main et gifla violemment la joue du disciple en lui
criant : Laisse-la tomber.
Le matre s'inclina ensuite et sortit. Tous ceux qui avaient
assist la scne taient stupfaits. Mais nous remarqumes
bien vite que l'tudiant avait t radicalement transform par ce
soufflet. Il lcha prise et continua sa vie.
Avec la force du cur, nous pouvons faire face l'ensemble
des motions humaines, sans avoir peur de ce que nous ressentons, sans identification ni lutte. Qiand nous acceptons les
motions comme des forces impermanentes et impersonnelles,
nous sommes libres de les honorer sans tre mis bas, effrays
ou encore emports par elles. Wilhelm Reich fit un jour remarquer une de ses patientes qui s'efforait de ne rien ressentir:
Vous avez un masque. La femme rtorqua : Mais docteur,
vous aussi, vous avez un masque! Il rpliqua : Oui, c'est vrai.
Mais le masque, lui, ne m'a pas!
Morrie Schwartz enseigna la psychologie sociale Brandeis. Le best-seller Tuesdays with Morrie* a pour thme les derniers enseignements qu'il donna son ami Mitch Albom avant
sa mort. Au milieu de l'angoisse de la maladie de Lou Gehrig,
il dit son dernier tudiant :
-Maintenant, continua-t-illes yeux encore clos, je me dtache de
l'exprience.
-Vous vous dtachez?
*Les Mardis avec Morrie.
Perfection ordinaire
Dans la maturit spirituelle, nous devons trouver la perfection
dans ce qui est imparfait. Seng-Tsang, fondateur du zen, enseigne que l'illumination ne commence poindre que lorsque
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Messieurs,
J'ai discut avec mes voisins pour dterminer ce qu'ils en penseraient. Tous disent que ce serait un sale tour fait par une socit minable avec laquelle ils ne voudraient plus jamais traiter.
Sincrement vtre,
M. Jones.
zSz
Devenir excentrique
Lorsque les motions sont libres, lorsque le cur peut s'exprimer sans se proccuper de l'opinion des autres, cette libert
s'tend tous les aspects de notre caractre. Si vous deviez rencontrer Ruth Denison, vous la verriez comme une vieille
femme excentrique. Si nous regardons honntement la communaut des enseignants spirituels, nous trouvons bon nombre
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Ajahn Sumedho, moine occidental qui tablit une demidouzaine de monastres en Thalande et en Occident, se souvient de ses premiers pas en tant qu'abb:
je ne savais pas vraiment ce que je devais faire ni comment j'tais
suppos lefaire. j'essayai donc d'tre simplement comme mon matre.
je l'admirais tellement que j'essayai de diriger le monastre comme il
l'auraitfait lui-mme. Mais cela ne marchait pas : cefot un dsastre
carje ne suis pas lui.]e ralisai alors que ce que les gens admiraient en
lui tait le fait qu'il tait simplement lui-mme. je dcouvris ainsi ce
que je devais faire: tre moi-mme.
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Bonheur d'tre
Ryokan, le pote zen le plus apprci au Japon, tait clbre pour
sa sagesse et son absence de prtention. Comme saint Franois, il
aimait les choses simples, les enfants et la nature. Dans ses pomes,
il parle ouvertement de ses larmes et de sa solitude pendant les longues nuits d'hiver, de son cur qui frmit avec les bourgeons du
printemps, de ses deuils et de ses regrets, de la confiance profonde
qu'il a apprise. Ses motions coulent librement comme les saisons.
C29and les gens lui posent des questions sur l'illumination, il leur
offre le th. Lorsqu'il se rend au village en qute de nourriture et
pour y donner des enseignements, il finit le plus souvent par jouer
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avec les enfants. Son bonheur rside dans le fait d'tre en paix avec
lui-mme.
La qute d'aumne est termine pour aujourd'hui:
au croisement, je me promne le long du temple bouddhiste,
parlant avec quelques enfants.
L'anne dernire un moinefou.
Cette anne, rien n'a chang!
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14
C'est une chose d'offrir une multitude de prires pour les malades et les pauvres ou de faire des
mditations sur la bont et la compassion que l'on ddie des
milliers d'tres vivants de par le monde, mais c'en est une autre
que d'appliquer ces mmes pratiques sa propre famille et son
entourage immdiat.
Mme le Bouddha et Jsus rencontrrent des difficults
lorsqu'ils rentrrent chez eux aprs avoir commenc prcher.
Le saint ministre de Jsus fut rejet par sa famille, sans aucun
respect. <2ltand par la suite sa mre et ses frres arrivrent
l'endroit o il enseignait, Jsus refusa de les laisser entrer et
dsigna ses disciples en disant : Voici ma vraie mre et mes
vrais frres, ceux qui accomplissent la volont de Dieu.
De faon similaire, lorsque le Bouddha rentra chez lui aprs
son illumination, son pre lui reprocha d'tre un mendiant peu
prsentable et lui demanda avec sa belle-mre de cesser d'tre
membres du clerg, portent eux aussi de profondes blessures familiales. Eux aussi peuvent avoir au dpart espr que le dtachement
spirituel et la paix les libreraient du fait d'avoir maille partir avec
la douleur familiale.
Mais un matre chan, de Chine, nous prvient :
Ne confondez pas le non-attachement et la libert avec la fuite. Votre
ide de quitter votre famille et vos enfants pour renoncer au monde
revient fuir votre ombre. C'est de la fausse vacuit. Il n'y a nul
endroit o vous puissiez aller qui soit un peu plus ou un peu moins
vide que votre propre maison. L'illumination est ici, depuis toujours.
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assis prs de lui comme cela un bon nombre de nuits. Il n'y avait
pas grand-chose dire. Je lui tenais la main, il avait peur. Il ne
voulait rien savoir de la mditation, il ne voulait mme pas en
parler. L'important tait que je sois assis, ici, sans peur, sans rejeter sa peur ni sa douleur, simplement lui tenir la main. Il
mourut quelques jours plus tard. J'tais heureux d'avoir pu
m'asseoir ainsi ses cts pendant ces moments extraordinaires.
Peut-tre est-ce ce que nous pouvons faire de mieux : aider
quand nous le pouvons; tmoigner l'autre de la bont; offrir
notre prsence; montrer la confiance que nous avons dans la
vie. La vie spirituelle ne consiste pas beaucoup savoir mais
beaucoup aimer.
La plupart d'entre nous doivent dans leur vie spirituelle
effectuer un grand travail de gurison au niveau familial. Arriver tre capable de m'asseoir prs de mon pre en toute tranquillit fut le rsultat de nombreuses annes de travail intrieur.
Ma douleur familiale avait t recouverte par mes premires
mditations monastiques, durant lesquelles je m'tais focalis
sur le fait d'tre vide, serein et sage. Mais elle tait toujours l,
sous-jacente, attendre, influenant inconsciemment tout mon
mode d'tre et, quand je me retrouvai avec une famille et des
relations intimes, tous les conflits ressortirent. Sans doute
auraient-ils fini par ressurgir galement si j'tais rest dans une
voie asctique.
Devoir me dbattre nouveau avec mes motions fut difficile.J'avais besoin de l'aide de la mditation et en mme temps
d'une thrapie pour tre enfin capable de reconnatre les
niveaux les plus profonds de peur, de colre, de jugement et de
peine dont j'tais porteur. Le thrapeute tait essentiel en tant
que tmoin compatissant, un tre diffrent de moi qui puisse
m'aider faire face aux images et aux peurs inscrites dans mon
corps et tout ce que je n'avais pas t capable d'affronter seul.
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tu devrais tre. Tu n'utilises pas tes dons; tu n'en fois pas assez.
jamais assez! j'avais tellement l'habitude d'tre critique et je me
sentais si mal Mais avec une bonne thrapie et beaucoup de travail
intrieur, j'ai commenc comprendre : maintenant je vois tout cela
comme des cyclesfamiliaux, des phases de honte qui simplement s'lvent. je les reconnais pour ce qu'elles sont. Oh! Une autre phase de
honte. Aujourd'huije peux mme en rire. Cette vision aplus contribu la gurison de mon cur que mes annes de lutte pour tre une
sainte.
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j'en tais arrive une chose essentielle: la volont d'avoir une relation continue avec le bien et le mal, de m'autoriser soujfrir consciemment, d'tre le champ de tolrance o se dversent les larmes du
monde, proches comme lointaines. Ma spiritualit ne s'oppose dsormais plus la colre, la passion ni au conflit. Cela ne vaut rien. Ces
enseignements ontfait plus de tort que de bien. lafin, on ralise qu'il
n'y a rien condamner. jefois vu de non-violence vis--vis de tout.
Ne te tourmente pas, n'accrois pas la douleur en toi-mme ni autour
de toi, voil maintenant l'une de mes plus grandes prires.
JOI
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d'un cancer ou d'une attaque. D'autres auront affaire des adolescents difficiles, une dpression familiale ou seront impliqus dans des conflits matrimoniaux, des divorces chez nos
proches, nos enfants ou nous-mmes. Les sacrifices dans une
famille sont semblables ceux de tout monastre exigeant et ils
offrent exactement le mme genre d'entranement au renoncement, la patience, la fermet et la gnrosit.
Aussi, lorsqu'un moine d'un certain ge m'affirma que les
moines avaient s'autodiscipliner et se sacrifier alors que dans
la vie laque on tait par nature indulgent, je me mis rire. Il
poursuivit : Vous pouvez manger quand vous voulez, porter les
vtements que vous voulez, faire la fte, jouir d'une multitude de
partenaires, vivre une vie insouciante. Je me demandai quel
genre de vie laque il tait en train de dcrire. Une conversation
plus approfondie rvla qu'il avait pris les vux monastiques
vingt et un ans, de sorte que sa vision de la lacit se basait sur ses
annes d'adolescence. Il ne comprenait donc pas que le mariage,
le travail, l'ducation des enfants et la citoyennet avaient aussi
leurs propres formes de discipline.
L'enseignant et pote zen, le pre Gary Snyder, crit:
Nous sommes tous des apprentis ayant le mme enseignant - la
ralit ... Il est aussi difficile de prparer des enfants et de les conduire jusqu'au bus que de chanter des soutras dans un temple
bouddhiste par un matin froid. L'un n'est pas mieux que l'autre; les
deux choses peuvent tre assez pnibles et elles ont toutes deux la
qualit vertueuse de la rptition. La rptition et ses effets positifs
font de nos activits quotidiennes un chemin.
jeune catholique, j'tais inspire par les saints. j'avais toujours voulu
foire des choses comme travailler avec Mre Teresa en Inde mais la plus
grande partie de ma vie nefut pas aussi glorieuse. Aprs mes tudes, je
suis devenue institutrice dans une coleprimaire. Puis ma mre a eu une
attaque etj'ai d arrter l'enseignementpour lui venir en aidependant
deux ans :la laver, prendre soin de ses escarres, cuisiner, rgler lesfactures, entretenir la maison. Parfoisje voulais enfinir avec ces responsabilits et retourner ma vie spirituelle. Puis un matin, la lumire sefit
dans mon esprit-j'tais en train defoire le travail de Mre Teresa, et
je lefaisais dans ma propre maison.
Chez soi ou dans un temple, c'est pareil. Une vieille histoire raconte que le Bouddha trouva un de ses moines malade
et sans aucun soin car les autres moines taient tous occups
mditer. Le Bouddha lava et soigna lui-mme le moine puis
il appela tous les membres de la communaut pour les rprimander et les instruire : Si vous ne prenez pas soin les uns
des autres comme une famille, qui le fera? Moines! Ceux qui
veulent servir le Bouddha doivent servir le malade. Cinq
cents ans plus tard, le Christ dit ses disciples : En vrit je
vous le dis, tout ce que vous faites au plus petit de mes frres,
c'est moi que vous le faites. Voil l'amour qui sait que nous
sommes une famille. Tous les amours ultrieurs de notre vie
seront issus de celui-ci.
Robert Johnson, psychanalyste jungien et auteur, raconte
son premier voyage en Inde il y a quelques annes. On l'avait
averti du chaos, de la salet et de la pauvret mais personne,
dit-il, ne m'avait prpar au bonheur profond et intense de pratiquement tout le monde en Inde . Puis il dcrit comment,
dans ce pays, notre sens de la ralit se dilate pour inclure plus
de vie, souffrance et sublime coexistant ensemble. S'il rencontra
des difficults normes, il fut dans le mme temps entour de
l'amiti immdiate de la communaut indienne. Ses amis lui
Amba Shankar ajouta : << Dis un seul mot et je pars mourir pour que
tu te portes mieux. >>Je restai sans parole. Je ne comprends pas ce
genre de choses. Je parvins enfin dire: Amba,je ne pense pas tre
si malade. Ne fais rien d'irrflchi maintenant, s'il te plat. Je pense
que nous allons nous en sortir tous les deux. Et c'est ce qui arriva.
Mais cet homme m'avait offert un prsent inestimable- sa vie.
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la base d'une amiti spirituelle authentique et d'une bonne thrapie. Un matre zen raconte comment cela lui fut ncessaire
pendant sa premire anne d'enseignement. Il avait pratiqu
pendant trente ans lorsqu'il reut la transmission formelle de
roshi. Des mois plus tard, il se retrouva douloureusement perdu
et incertain, comme il l'avait t des annes plus tt avant de
pratiquer.
Dsespr, je me rendis auprs d'un vieux matre zen de ma ligne.
j'avais peur qu'il condamne mon incertitude mais, au contraire, il me
fit entrer, me manifesta son amour et exprima sa totale confiance en
moi. Il m'aida aborder ma souffrance et ma confosion avecfermet et
foi. Mon esprit se dtendit et mes enseignements enforent transforms.
JII
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je t'ai trouv un travail et que je t'ai laiss vivre ici dans ma maison. C'est comme cela que j'ai commenc te changer. Ce
garon a maintenant disparu. Aujourd'hui, puisque mon fils est
parti, puisque son assassin est parti aussi, je veux te proposer de
rester ici. Tu as une chambre et je souhaiterais t'adopter si tu le
veux bien. >> Elle devint ainsi la mre du meurtrier de son fils,
la mre qu'il n'avait jamais eue.
(Bouddha.)
Les saints sont ce qu'ils sont, non pas
cause de leur saintet mais parce qu'ils ont
le don vertueux de savoir admirer tous les
tres. (Thomas Merlon.)
Tu dis que tu ne peux rien crer
d'original? Ne t'inquite pas. Fabrique un
bol en terre pour que ton frre puisse
boire. (Rumi.)
De L'isolement La communaut
Un vieux rabbin pratiquant l'hassidisme demandait ses lves
comment ils arrivaient dterminer la fin de la nuit et le lever
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Au dpart, il y a la peur. Si nous nous ouvrons compltement aux autres, comment ne pas tre submergs par leur
souffrance? Il semble que notre cur ne soit pas suffisamment
vaste pour la contenir toute. Ou alors nous sommes effrays de
devoir tout donner, y compris nous-mmes. Mais ce n'est pas
ce qui nous est demand. Ce qui nous est demand, c'est notre
attention compatissante, c'est le fait d'accueillir dans notre
cur les joies et les peines de nos frres et de nos surs. Qyand
nous voyons le Bouddha qui vit l'intrieur de tous les tres,
une rponse sage et naturelle apparat.
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que toutes les colres et les peurs prsentes dans la salle. Nous restmes silencieux pendant un moment.
En coutant avec le cur, en donnant voix la vrit de la
compassion, un tre peut orienter vers la paix une nergie de conflit. Dans toute relation et communaut, il y aura de la frustration,
du blme, de la saisie, de la colre et de la trahison. Peu importe qui
nous sommes ou quel point nous sommes veills, tout cela arrivera. Et c'est l que notre connexion avec la communaut va nous
aider. En dsignant la sangha comme tant le Bouddha, Thich
Nhat Hanh nous rappelle que la sagesse est un bien collectif. Lorsque nous-mmes ou notre communaut sommes dans l'impasse et
que nous ne pouvons trouver les bndictions de la compassion, en
nous apportant une vritable amiti spirituelle un autre peut ouvrir
les portes du ciel.
La table du rabbin, la runion des Alcooliques Anonymes,
l'Assemble de vrit des soufis, le Concile bouddhiste ont ce
pouvoir. Dans notre propre communaut, nous suivons la tradition ancienne des Ans bouddhistes et recherchons le consensus
en nous runissant rgulirement en conseil. cette assemble
d'coute, nous avons ajout le bton palabres des Amrindiens
et encourag la simplicit et la vrit spontane. Qyand des problmes difficiles apparaissent, comme la rsolution de conflits
entre des enseignants, le choix d'une quipe ou l'tablissement de
nouvelles perspectives pour notre centre, nous tenons une assemble. Qyiconque tient le bton palabres est cout sans interruption. Ce bton est ensuite pass d'autres et ainsi, chacun
peut dire ce qu'il a sur le cur. Grce cette coute respectueuse,
nous trouvons les solutions, le consensus et de nouvelles directions. Au fil des ans, ces assembles ont par leur sincrit rvl
la sagesse de notre exprience collective, une sagesse plus vaste
que celle que chacun d'entre nous peut avoir individuellement.
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L'amiti spirituelle peut nous aider mme distance. L'analyste jungien James Hillman raconte l'histoire du dissident chinois Liu Qjng qui fut dtenu pendant onze ans dans la clbre
prison Weinan numro 2. Il fut forc de s'asseoir sans bouger
sur un tabouret minuscule, dix heures par jour. S'il remuait ou
parlait d'autres prisonniers, on le frappait. Pour mettre fin
cette souffrance, il lui suffisait seulement de signer une dclaration admettant les erreurs de son mode de pense. Mais rien
n'y faisait, il refusait de signer. Lorsqu'on lui demanda plus tard
comment il avait pu rester fort, Liu Qing raconta qu'il avait vu
devant lui le visage de ses amis et de sa famille et qu'il savait
qu'il ne pouvait signer. Le lien de son cur avec la communaut
des tres ne lui permettait pas de les trahir.
Le Gyari 14 est un groupe de jeunes nonnes tibtaines, ges
de quatorze vingt et un ans, qui furent emprisonnes et battues
par l'arme communiste chinoise pour avoir publiquement rcit
leurs chants et leurs prires. Mme en prison, elles dcidrent de
rester unies dans leur dtermination prier et chanter librement. Lorsqu'elles russirent faire sortir un enregistrement des
prires chantes en prison, leur sentence fut double. Elles
demeurrent pourtant inbranlables et crivirent: Nous
sommes reconnaissantes du soutien de tant de gens l'extrieur
de la prison et nous n'oublierons jamais. Le plus remarquable
est qu'elles ne prient pas pour elles-mmes mais pour les gens de
leur pays - et pour leurs geliers. Dans le documentaire film
qui retrace leur lutte, A Prayerfor the Enemy*, elles s'expriment
travers une lettre passe en fraude: Nous avons t traites tellement mal. Qye devons-nous faire? Qye pouvons-nous faire?
Nous prions pour l'ennemi.
Une prire pour l'ennemi.
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!:intention du cur
Devenir conscient d'une intention est une cl pour s'veiller
la pratique de l'instant. Dans chaque situation qui requiert
notre engagement, une intention intrieure va prcder notre
rponse. La psychologie bouddhiste enseigne que cette intention est ce qui fait la trame de notre karma. Le karma, la loi de
la cause et du rsultat de toute action, provient des intentions
du cur qui prcdent chaque action. Qyand elles sont bonnes,
le rsultat karmique est trs diffrent de celui qui rsulte de
celles bases sur l'avidit ou l'agression. Si nous ne sommes pas
attentifs, nous allons inconsciemment agir par habitude et par
peur. Mais si nous veillons nos intentions, nous allons dterminer si elles proviennent de notre corps de peur ou d'une
rflexion dlibre et de notre attention.
Chaque tradition propose des prires et des mditations pour
tablir la meilleure des intentions du cur. Celles-ci sont parfois
gnrales. Puissent les paroles prononces par ma bouche et les
ddicaces de mon cur vous servir, oh seigneur!~ Puisse chaque
activit tre une prire. Puisse mon cur offiir librement la bienveillance et le pardon. Je fais vu d'apporter l'veil chaque tre
que je rencontre en pense, en parole ou en action. La tradition
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(Gary Snyder.}
Chaque matin, je m'veille tiraill entre le
dsir de sauver le monde et celui de le
dguster. (E. B. White.)
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Les organes de notre corps, nos bras, nos mains, nos poumons, nos
reins fonctionnent comme une cooprative afin de survivre. Les
humains, les animaux, les arbres et la terre sont entremls, associs
en cooprative. Le soleil, la lune, les plantes et les toiles sont aussi
une cooprative gigantesque. En nous veillant ce qui est au-del
de notre intrt individuel, nous dcouvrons une cologie naturelle
de l'esprit et de la nature, frache, ouverte, joyeuse, dans laquelle
nous sommes organiquement relis toute chose.
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tian la terre s'est peu peu glisse dans nos actions et nos prires.
Nous apprenons cela ceux qui nous rendent visite. Certaines de nos
surs sont devenues militantes en Amrique latine. Cela ne veut pas
dire que tout ceci tait exclu de nos prires vers Dieu, mais maintenant les espces en voie de disparition, lafort tropicale et les cultivateurs pauvres sont intgrs notre activit sacre; ils sont une partie
de nous-mmes.
Au dpart, la vie spirituelle peut se concentrer sur la transformation de l'tre et la sagesse dans les relations humaines.
Mais une perception non gotique doit aussi nous conduire la
globalit qui nous unit aux montagnes. Voici les rflexions d'un
enseignant de yoga :
Quand je vivais en Inde dans les annes 70, l'un de mes gourous
enseignait le yoga dans une ville bruyante, sale et pollue. Nous
apprenions tout ce qui concernait la puret intrieure mais jamais il
ne mentionna la misre autour de nous. Mon deuxime gourou avait
un ashram la campagne et, l aussi, nous tudiions le yoga, la mditation et de puissantes pratiques de respiration pour transcender le
monde. L encore, l'environnement tait laiss lui-mme. C'tait
choquant de voir comment la conscience cologique et la pratique du
yoga taient deux mondes tellement spars. Nous pensions qu'tre
vgtariens suffisait. Maintenant, je dirige des retraites de yoga dans
des endroits sauvages etj'essaye d'enseigner comment l'esprit pur et la
puret de nos rivires et de notre air sont interconnects. Il est devenu
ncessaire de vivre avecplus d'attention et d'avoir un yoga du monde,
pour relier consciemment nos corps avec le corps du monde.
Joanna Macy, enseignante bouddhiste visionnaire et militante, fait remarquer qu'une transformation cologique ne peut
avoir lieu que s'il y a une rvolution spirituelle, un large revirement de la conscience humaine .
Mme nos scientifiques peuvent voir qu'il n'y a pas de solution
technologique : aucune montagne d'ordinateurs, aucun produit magique ne peuvent nous sauver de l'explosion dmographique, de la dforestation, du drglement climatique, de l'empoisonnement par la
pollution et de l'extinction massive des espces vgtales et animales.
Nous allons devoir aspirer des choses diffrentes, rechercher des
plaisirs diffrents, poursuivre des buts diffrents de ceux qui nous ont
anims jusqu'alors, nous et notre conomie mondiale.
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L'interdpendance et la comprhension cologique ne sont malheureusement pas explicitement enseignes dans la plupart des
cursus spirituels traditionnels. Nous devons nous duquer nousmmes pour voir le cot invisible de nos actions, jusqu' ce que
notre vie extrieure soit en harmonie avec les vraies valeurs de
notre cur.
De nos jours, l'inventaire moral d'un tre humain doit
tre tendu son mode de vie. L'Octuple Sentier bouddhiste
comporte la pense juste, l'action juste, la parole juste et les
moyens d'existence justes. Notre mode de vie, notre travail,
notre maison, nos revenus, nos voyages, notre niveau de consommation, notre participation politique et sociale sont-ils en
harmonie avec notre comprhension nouvelle et largie de
l'interdpendance? O!Ielle direction notre attention la terre et
notre ralisation de l'interdpendance nous demandent-elles de
prendre dans notre vie? Comment devons-nous changer, non
pas par culpabilit mais par amour? Cette transformation commence par l'acte mme de nous poser ces questions.
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Faire vu d'apporter veil et compassion aux tres innombrables pendant des ons est une tche qui nous dpasse. Tout
tudiant qui s'engage ainsi doit mesurer ce que cela signifie et
comment cela doit tre vcu. Cela veut-il dire que moi, ce
petit ego ,je dois voyager travers l'univers et sauver tous les
tres? Comment puis-je valuer ma russite? Comment doisje commencer?
C'est assez simple. Les vux de bodhisattva ne parlent pas
d'un accomplissement mais d'une direction, de l'tablissement
d'une intention. Peu importe les circonstances qui s'lvent,
que ce soit la naissance ou la mort, la joie ou la tristesse,
j'engage mon corps, ma parole et mon esprit dans la direction
de la compassion et de l'veil. chaque nouvel instant, je vais
planter des graines de bienveillance et de libration pour tous
les tres vivants et moi-mme.
Les vux de bodhisattva ne sont pas une jauge mais une
boussole, un guide que le cur doit suivre. Ils deviennent la
source d'une action sage, la direction partir de laquelle tout le
reste suit. Ils deviennent notre hritage. Comme le disait
Martin Luther King Junior: Je veux que vous puissiez dire
que j'ai essay d'aimer et de servir l'humanit ... Je veux juste
laisser derrire moi une vie faite d'engagements.
Au milieu de la terrible tragdie que traverse le peuple tibtain, le Dala-Lama a souvent rappel combien il tait important
pour lui de pouvoir s'appuyer sur ses vux. Il dut, en tant que
chef politique et spirituel et exemple de la non-violence travers
le monde, prendre de douloureuses dcisions pour sa nation et
son peuple, et ce pendant de difficiles dcennies. Il avoue ne pas
tre toujours sr que sa dcision est la meilleure et admet avoir
parfois commis des erreurs. La seule chose sur laquelle je peux
compter, explique-t-il, est ma sincre motivation. La motivation de son cur consiste encourager du mieux qu'il peut, dans
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Il y a certaines choses que vous devez toujours tre incapables de tolrer. Certaines choses, vous ne devez jamais arrter de refuser de les
tolrer. L'injustice, l'outrage, le dshonneur et la honte. Peu importe
que vous soyez jeunes ou vieux. Ni pour la gloriole, ni pour l'argent.
Ni pour votre photo dans le journal, ni pour votre compte en banque.
Refusez simplement de les tolrer.
Parfois la rponse la plus puissante consiste porter tmoignage courageusement et ce seul geste suffit gnrer une transformation. Joanna Macy, enseignante bouddhiste et militante,
raconte comment elle mena son travail sur le dsespoir et l'initiation dans une des villes les plus proches de la centrale nuclaire
de Tchernobyl. La rgion de Tchernobyl tait jadis connue non
pas pour la fusion partielle des racteurs de sa centrale nuclaire
mais pour ses forts et ses montagnes magnifiques. Durant des
sicles, les gens qui vivaient l marchaient dans la montagne, y
pique-niquaient, ramassaient des champignons, pchaient, chassaient et coupaient du bois pour le feu. Maintenant, la maison
comme au travail, leurs fentres et leurs portes sont scelles par
du ruban adhsif et ils ne peuvent sortir sans courir le risque
d'irradiation meurtrire. Il ne leur reste que les photos de ces
forts accroches aux murs.
En rencontrant les responsables de ces populations,Joanna
demanda avec insistance combien de temps il faudrait avant de
pouvoir retourner dans les forts. Un homme rpondit: Mes
arrire-petits-enfants ne connatront pas ce jour, ni mme
LEURS propres arrire-petits-enfants! >> Il faudra des sicles. Il y
eut un silence.
Puis une femme se leva en colre et voulut savoir pourquoi
Joanna et son quipe mettaient leur nez dans cette histoire.
Joanna demeura calmement assise. Un vieil homme prit enfin
la parole: Nous pouvons au moins expliquer nos enfants
pour tous les tres, quelles qu'aient pu tre les choses qui lui
taient arrives. Au milieu de ses tortures, elle priait pour ses
bourreaux. Ceux-ci, lorsqu'ils virent ses lvres bouger, la billonnrent avec un ruban adhsif. Voyant le ruban bouger, ils en
rajoutrent plusieurs paisseurs mais cela ne put arrter ses prires. Et lorsqu'elle fut libre, ses prires continurent. Peu
importe ce qui arrivait, cette nonne priait pour le bien-tre de
tous. C'tait sa vraie libration, son tre vritable, que rien ne
pouvait empcher de rayonner.
l'veil, nous voyons que toutes nos actions ont des consquences pour cet ensemble.
Voir ainsi les choses rend nos vies diffrentes. Elles deviennent l'histoire d'un enseignement perptuel. Un homme, qui
visitait en Europe un gigantesque chantier couvert de pierres
avec lesquelles les ouvriers continuaient lever les tours d'un
difice attenant comme ils l'avaient fait pendant des sicles,
demanda l'un d'eux ce qu'il faisait. Celui-ci rpondit d'un ton
las : Mon travail consiste tailler des pierres et les dplacer.
la mme question, un deuxime ouvrier expliqua: Je suis
tailleur de pierres et je travaille pour subvenir aux besoins de ma
femme et de mes enfants et pour nourrir ma famille. Un troisime homme accomplissant la mme tche le regarda joyeusement et dit : Je construis une grande cathdrale. Qyand nous
sommes capables de voir que la terre est notre cathdrale, nos
yeux s'ouvrent un bonheur secret dans tout ce que nous entreprenons. Chacun des tailleurs de pierres contribuait un travail
grandiose, la seule diffrence tait que l'un d'entre eux le savait.
Qye nous prenions position politiquement ou que nous travaillions dans nos coles, que nous mditions pendant un an ou
que nous vivions un an dans un squoia- comme le fait une jeune
femme du nom de Julia Butterfly Hill pour empcher l'abattage
des vieux squoias dans le comt de Humboldt - nous devons
offrir notre contribution et faire entendre notre voix. Peut-tre nos
dons particuliers sont-ils en rapport avec le monde de l'enfance, de
la justice, du commerce, de la musique, des rseaux informatiques,
du jardinage. Peu importe le type de briques que nous apportons
l'difice, l'essentiel est de permettre notre voix, unique et singulire, d'agir en harmonie avec une direction vivante.
Car si nous sommes incapables de nous souvenir de notre
part dans la cathdrale, d'offrir nos dons spcifiques et la contribution de notre voix particulire, notre vie devient d'une grande
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LE RIRE DU SAGE
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Dans le mystre de la vie, il y a l'obscurit infinie du ciel nocturne, claire par de lointaines boules de feu, il y a la peau granuleuse d'une orange qui dlivre son parfum ds qu'on la touche, il y a l'insondable profondeur des yeux de notre amant.
Aucun rcit de cration, aucun systme religieux ne peut
dcrire compltement ni expliquer cette richesse et cette profondeur. Le mystre est tellement omniprsent que personne
ne peut savoir avec certitude ce qui arrivera d'ici une heure.
L'avantage du mystre est qu'il n'y a pas de chemin fixe. En
vrit, il n'y a pas du tout de chemin, sinon cela reviendrait
situer ce mystre dans le domaine de l'espace et du temps. Or
l'espace et le temps sont eux aussi un mystre -le pass a dj
disparu, le futur n'est qu'imaginaire et le prsent est aussi fluide
que l'eau. S'veiller ne consiste ni fixer ni dtenir tout ce qui
se prsente mais l'aimer. La connaissance de cette vrit libre
nos curs de toute saisie. Le mystre qui nous a donn naissance devient une danse.
Les sages hindous nomment cette danse lila, la danse ternelle de la vie. Les mystiques chrtiens et juifs disent qu'elle est
l'esprit de Dieu, le jeu du Divin, tandis que les bouddhistes
dcrivent la naissance et la mort comme des vagues sur l'ocan
de la conscience, vagues qui s'lvent un bref instant puis disparaissent comme un rve.
Cette vrit nous accompagne toujours. chaque fois que
nous exprimentons le contact avec cette ralit ternelle, nous
sommes guris. Cela peut arriver quand nous sommes soumis
une peur ou un dsir ardent, emports par l'amour ou la jalousie,
la colre ou le succs, gars dans le mlodrame de notre vie. un
moment, nous entendons une voix qui nous dit : Tu es vraiment
emport par cette histoire, n'est-ce pas? cet instant, nous rions
et sommes libres.
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LA VIE L'ENVERS
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Voyant la misre qui rside dans les points de vue et les opinions, je
n'en adopte aucune et trouve ainsi la paix intrieure et la libert. Celui
qui est libre ne s'accroche aucun point de vue et ne se querelle pas
pour une ide. Pour le sage, il n'y a rien qui soit plus haut, plus bas, ni
gal, aucun endroit o l'esprit puisse s'accrocher. Mais ceux qui
s'accrochent des points de vue et des opinions ne font qu'errer travers le monde en ennuyant les gens.
LE RIRE DU SAGE
Terry Dobson tait l'un des principaux matres d'arts martiaux en Occident. Lorsqu'il tudia l'akido Tokyo, il apprit
dans le mme temps le travail du bois auprs d'un matre charpentier japonais. Toute une anne durant, on lui demanda de
balayer l'atelier, d'aiguiser les outils et d'observer. Puis, lorsqu'on
lui donna enfin les premiers morceaux de bois travailler, on lui
banda les yeux. Pendant des mois, il dut apprendre galiser,
aplanir et quarrir des bouts de bois avec le seul sens du toucher.
Cette priode fut l'une des expriences les plus inoubliables de
son sjour au Japon : un apprentissage patient, avec son corps et
avec son cur, qui fait maintenant partie de sa pratique de
l'akido tout autant que de son travail du bois.
Avec la sagesse, il ne s'agit pas d'information mais de prsence permanente, d'ouverture intuitive et sentie du corps et du
cur. Dans la sagesse, le corps de peur s'vanouit, notre cur
parvient au repos. La sagesse, comme l'amour, n'a pas besoin
d'explication. Elle apporte harmonie et bien-tre comme le tao.
On comprend comment le pote zen bien-aim Ryokan pouvait rpondre aux questions de ses visiteurs au sujet de l'illumination ou de la nature du bien et du mal en disant: Je n'ai que
la tranquillit de mon ermitage offrir en rponse.
LE RIRE DU SAGE
quand les mots et les sons se mlangent au hasard, sans donner aucun
sens -juste des sons d'amour comme je les appelle. Tous les
parents l'ont fait pour un enfant malade ou effray.
Tandis que je chantais doucement son oreille et que j'embrassais son front, mes mains surent quoi faire, bien qu'il n'y ait eu aucun
but dans mon esprit. Mes doigts caressrent sa gorge, massrent son
visage puis mes mains ouvertes entourrent son cur. Nous perdmes toute notion de temps. Je pouvais le sentir couler en moi, mon
corps servant de coussin ce qui restait de sa forme squelettique. Sa
gorge commena enfin se dtendre et sa tte revenir vers l'avant.
Ses yeux s'ouvrirent. Ils semblaient soulags.
Par la suite, je me suis demand si j'avais fait la chose approprie.
Peut-tre aurais-je d suivre les conseils de l'enseignant. L'avais-je
dtourn de quelque tat de mort imminente? Avais-je interrompu
un processus de dlivrance? Honntement, je l'ignore. Je sais seulement que le cur doit s'adoucir avant que chacun de nous puisse tre
libre.
L'Esprit Enfant
Le cheminement spiriruel nous a conduits dans de nombreuses
aventures avant de nous ramener l o nous sommes maintenant.
Rumi et Nietzsche utilisent trois images potiques pour dcrire ce
parcours : le chameau, le lion et l'enfant. Ces phases de la voie ne
sont que des aspects du dveloppement de la conscience; chaque
instant ils sont tous prsents en nous. Pourtant, il nous est utile de
les apprhender comme des tapes successives du chemin.
Le chameau symbolise notre abandon initial, notre engagement, notre acceptation nous agenouiller, porter dignement
notre charge, traverser la misre et voyager dans de lointains
pays. ce stade d'veil de la conscience, nous nous ouvrons
l'esprit par la grce, l'humilit, la prire, la rptition et l'activit physique. Le respect que nous manifestons l'gard de
LE RIRE DU SAGE
L'innocence de cette sagesse semblable un enfant est clbre dans toutes les traditions. Les hindous tmoignent de cet
aspect juvnile de Dieu dans les histoires du seigneur Krishna,
cet enfant saint qui vient jouer de la flte au milieu des gardiennes de troupeaux et des fleurs. La chrtient fte la naissance du
Christ aux alentours du solstice d'hiver et reprsente l'image de
l'enfant Jsus dans les bras de sa mre. Le mystique Anglus
Silesius enseigne : Si tu tablis dans ton cur une crche pour
sa naissance, Dieu va alors une nouvelle fois redevenir un
enfant sur cette terre. Chaque anne en Thalande et au Laos,
les fidles bouddhistes versent de l'eau sur les moines des
monastres, baignant chacun d'eux comme s'il tait un Bb
Bouddha nouveau-n.
Ajahn Chah nous incite pntrer cette innocence en
demeurant simplement en notre Esprit Originel. Il enseigne
que cet Esprit Originel est toujours l - le silence entre les
penses; notre conscience fondamentale est claire, sans obstruction, pure. C'est l'ouverture qui prcde et suit l'exprience,
tellement vaste qu'elle embrasse d'une compassion illimite la
fois la souffrance et la joie. Un koan zen rvle cet Esprit Ori-
LE RIRE DU SAGE
trop loigns, trop petits pour sembler particulirement remarquables leurs yeux d'enfants.
Mais les lphants apparurent ensuite, tout caparaonns
avec leur cornaque enturbann. En formation, ils firent deux
fois le tour de la piste puis se dirigrent vers nous. L ils s'arrtrent tandis que le prsentateur parlait. D'un seul coup, le gros
lphant juste en face de nous commena uriner; un flot
norme se rpandit sur le sable, faisant une immense flaque.
Les enfants carquillrent les yeux. L'lphant commena
ensuite dfquer. Des crottes rondes de la taille de boules de
bowling tombrent sur le sol avec un bruit sourd, l'une aprs
l'autre: plop, plop, splash. Chacune d'elles tait observe avec
un tonnement et une excitation grandissants.
De retour la maison et pendant les semaines qui suivirent,
les enfants voulurent retourner au cirque. Ils ne cessaient de
raconter l'histoire de l'lphant. C'tait pour eux le numro de
cirque le plus tonnant.
Ce qui est stupfiant, c'est la vie elle-mme, chacun de ses
moments uniques. Le zen honore ce mystre en portant attention chaque chose tour tour. Comme l'enseigne Kodo
Rishi : Vous ne mangez pas pour dfquer, vous ne dfquez
pas pour produire de l'engrais. >> Avec le mme regard de
sagesse, nous ne pratiquons pas la mditation ou la prire pour
crer quelque ralit particulire. Manger, marcher, parler, voir,
respirer, dfquer - chaque chose est stupfiante en ellemme.
Ce cur innocent, notre nature de Bouddha, l'Esprit
Enfant, l'tre saint qui est en nous n'est jamais altr ni perdu.
Il n'est jamais n et ne mourra jamais. Percevoir ainsi les choses,
c'est, comme le dit le tao, regarder avec des yeux non voils
par le dsir . Qyand nous veillons ce cur innocent, nous
LE RIRE DU SAGE
Le rire du sage
La vieille ville de Kyoto abrite les plus beaux monastres du Japon.
Les gens y viennent en plerinage pour dcouvrir les jardins de
pierres, pour se prosterner dans les temples ou boire le th aux
abords des sanctuaires anciens. Un jour, le fameux pote zen Basho
visitant ces lieux dessina ces lignes :
M me Kyoto,
En entendant le chant du coucou
je suis en qute de Kyoto.
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REMERCIEMENTS
J e m'incline, tout d'abord, avec gratitude devant le vcu d'environ une centaine de personnes dont les
histoires apparaissent dans ce livre, qu'ils soient matres zen, enseignants de mditation, lamas, nonnes, moines, prtres, rabbins,
swamis ou leurs principaux disciples. Mme si certains ont t lgrement modifis pour prserver la vie intime de chacun, tous ces
rcits sont vrais. Nos entretiens eurent lieu sous le sceau d'une promesse de confidentialit (pour qu'ils puissent s'exprimer librement)
et je ne peux donc les nommer ici, mais l'engagement de leur vie sur
un chemin spirituel rayonne travers leurs mots. Merci vous tous,
amis chers et respects.
Ma profonde gratitude va ensuite Evelyn Sweeney qui, quatrevingts ans, a travaill sur ces pages pendant trois ans. Elle les a transcrites, retapes et dites avec une extrme attention. Sans le dvouement
inlassable d'Evelyn, ce livre n'aurait jamais pu tre entre vos mains.
Jane Hirshfield est la principale correctrice de cet ouvrage etc'est
une grande bndiction que de travailler avec elle. Elle est un pote
du cur, une professionnelle de l'dition qui sait annoter et trancher.
Sa comprhension lucide et son amour du chemin embellissent chacune de ces pages. Un grand merci.
Toni Burbank, mon avise et dlicieuse directrice de publication
aux ditions Bantam, m'a offert tout du long ses conseils gnreux
et pleins de bon sens. De nos jours, c'est un privilge rare que de pou-
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REMERCIEMENTS
voir travailler dans le monde de l'dition avec un mentor aussi comprhensif et encourageant.
Je ne dois pas non plus oublier tout ce que j'ai continu apprendre auprs de mes collgues enseignants au cours de ces annes;
auprs des seize membres du conseil enseignant de Spirit Rock,
Ajahn Amaro, Guy Armstrong, James Baraz, Sylvia Boorstein,
Eugene Cash, Deborah Chamberlin-Taylor, Sally Clough, Howard
Cohn, Anna Douglas, Gil Fronsdal, Robert Hall, Phillip Moffitt,
Wes Nisker, Mary Orr,John Travis, Julie Wester. Auprs de mes collgues de longue date, Stan et Christina Grof, Michael Meade,
Malidoma Som, Luis Rodriguez, Joseph Goldstein, Sharon Salzberg, Ram Dass, Stephen Levine et du cercle grandissant de tous
mes amis enseignants dans chaque ligne.
Pour finir, je remercie tout particulirement ma femme et ma
fille, Liana et Caroline. Leur amour et leur sagesse ont t mon soutien constant.
}AcK KoRNFIELD,
A plupart des
popes spirituelles s'achvent sur l'illumination ou l'veil. Mais que se passe-t-il ensuite ?
Qu'advient-il lorsque le matre zen rentre chez lui et retrouve
jmme et enfonts ? Qu'arrive-t-i/lorsqu'un mystique chrtien vafaire ses courses ? quoi ressemble la vie aprs l'extase ? Comment vivre de tout son cur ce qui a t ralis ?
C'est pour rpondre ces questions que Jack
Kornfield a men une vaste enqute auprs de nombreux matres et instructeurs qui, aprs avoir consacr
leur vie une recherche spirituelle, transmettaient
d'autres ce qu'ils avaient eux-mmes reu. Matres zen,
lamas tibtains, rabbins, abbs de monastres, nonnes
et yogis, disciples de longue date ou enseignants chevronns, en acceptant de livrer en toute sincrit les
difficults auxquelles ils ont t confronts, nous montrent que la sagesse ne consiste pas nier nos faiblesses
mais les intgrer notre dmarche. Car, comme le dit
l'adage: Ou vous entrerez entier au Paradis, ou vous
n'entrerez pas.
Jack Kornfield nous invite ne plus considrer l'veil
comme une fin en soi mais privilgier une action
veille qui, tout en accueillant nos plus profondes expriences spirituelles, accepte de procder un grand nettoyage intrieur.
N aux tats-Unis en 1945,jack Kornjield a reu une
formation de moine bouddhiste en Thalande, en Birmanie
et en Inde. C'est lui principalement que l'on doit l'introduction du bouddhisme Theraveda en Occident. L 'essentiel
de son travail consiste intgrer defoon vivante les grands
enseignements spirituels d'Extrme-Orientpour qu'ils deviennent accessibles aux tudiants et la socit occidentale contemporaine. Il est galement titulaire d'un doctorat en psychologie clinique. Il est mari, pre defamille, psychothrapeute et
fondateur de la Insight Meditation Society et du Spirit Rock
Center. Il a publiplusieurs livres aux tats-Unis.
ILLUSTRATION :ANNE-MARIE ADDA.
01-111
&
122391-6
ISBN 2-7103-2404-0
145,00 F