Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Freud, Sigmund - 1907 - Actes Obsédants Et Exercices Religieux

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 12

Sigmund FREUD (1907)

Actes obsdants et exercices religieux


Traduction franaise de Marie Bonaparte, revue par lauteur, 1932.
Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi Courriel: jmt_sociologue@videotron.ca Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

Sigmund Freud (1907) Actes obsdants et exercices religieux


Une dition lectronique ralise de larticle Actes obsdants et exercices religieux. Traduction franaise par Marie Bonaparte revue par lauteur, 1932. Originalement publi en 1907. Rimpression. Paris : Les Presses universitaires de France, 1973, 3e dition, 101 pages. (pp. 81 94). Polices de caractres utilise : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5 x 11) dition complte le 16 aot 2002 Chicoutimi, Qubec.

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

Bibliothque de psychanalyse Dirige par Daniel Lagache Sigmund Freud L'avenir d'une illusion Presses universitaires de France Traduit de l'allemand par Marie Bonaparte

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

Le prsent ouvrage est la traduction franaise de : DIE ZUKUNFT EINER ILLUSION (Imago Publishing Co, Ltd., Londres, 1948) Sigmund FREUD avait revu lui-mme cette traduction franaise de L'Avenir d'une illusion, ainsi que celle des essais qui suivent. Dpt lgal. - 1re dition : 2e trimestre. 1971 3e dition : ter trimestre 1973 1971, Presses Universitaires de France L'avenir d'une illusion (1927)

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

Actes obsdants et exercices religieux (1907)

Zwangshandlungen und Religionsbungen. Cette tude a d'abord paru dans la Zeitschrift fr Religionspsychologie, dite par BRESLER et VORBRODT, vol. I, fasc. 1, 1907, Puis dans la deuxime suite de la Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre.

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

Je ne suis certes pas le premier qu'ait frapp la ressemblance qui existe entre les actes obsdants des nvross et les exercices par lesquels le croyant tmoigne de sa pit. Le nom mme de crmonial , que l'on a donn certains de ces actes obsdants, m'en est une garantie. Cependant cette ressemblance me semble tre plus qu'une ressemblance superficielle, de telle sorte que l'on pourrait, d'une intelligence de la gense du crmonial nvrotique, se risquer tirer par analogie des conclusions relatives aux processus psychiques de la vie religieuse. Les gens qui pratiquent des actes obsdants ou un crmonial appartiennent, avec ceux qui souffrent de penses obsdantes, de reprsentations obsdantes, d'impulsions obsdantes, etc., un groupe clinique particulier l'affection duquel on a coutume de donner le nom de nvrose obsessionnelle 1. Mais il ne faudrait pas essayer de faire driver de son nom le caractre essentiel de cette affection., car, proprement parler, d'autres phnomnes psychiques morbides peuvent galement prtendre ce que nous appelons caractre obsdant . Une connaissance dtaille de ces tats doit encore actuellement tenir lieu de dfinition, vu que nous n'avons pas jusqu' prsent russi dgager le critrium, sans doute trs profondment situ, de la nvrose obsessionnelle, critrium dont on devine cependant la prsence dans toutes les manifestations de cette affection. Le crmonial nvrotique consiste en petits actes : actions surajoutes ou entraves ou bien rangements, lesquels, l'occasion des actes de la vie quotidienne, sont excuts toujours de la mme manire ou bien d'une faon qui varie suivant des rgles donnes. Ces activits nous font l'impression de simples formalits ; elles nous apparaissent comme totalement dnues de sens. Elles n'apparaissent pas sous un autre jour au malade, et il est pourtant incapable de ne pas les accomplir, car tout cart du crmonial est puni d'une insupportable angoisse, qui oblige refaire aprs coup ce qui avait t omis. Tout aussi mesquines que les actions elles-mmes du crmonial sont les occasions et les sortes d'activits que le crmonial environne, en rendant plus difficile, et en tout cas en retardant l'accomplissement: par exemple, l'action de s'habiller et de se dshabiller, de se coucher, de satisfaire les besoins corporels. On peut dcrire la faon dont s'exerce un crmonial en remplaant en quelque sorte celui-ci par une srie de lois non crites. Par exemple, en ce
1

Cf. LWENFELD, Die psychischen Zwangserscheinungen (Les Phnomnes psychiques obsessionnels), 1904.

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

qui touche le crmonial du lit : la chaise doit se trouver devant le lit dans une position dtermine, les vtements doivent y tre plis dans un certain ordre ; la couverture du lit doit tre borde aux pieds. Le drap doit tre bien tir, sans plis ; les oreillers doivent tre disposs de telle ou telle manire, le corps luimme doit se trouver dans une attitude strictement dtermine ; ce n'est qu'alors qu'on a le droit de s'endormir. Dans les cas lgers, le crmonial parat tre l'exagration d'un ordre habituel et justifi. Mais la conscience toute particulire avec laquelle il est excut et l'angoisse qui surgit s'il est omis donnent au crmonial le caractre d'un acte sacr . Tout ce qui le trouble est en gnral mal tolr ; il doit tre accompli l'exclusion du public, de la prsence d'autres personnes. Toutes les formes d'activit peuvent devenir des actes obsdants au sens le plus large, quand ces activits sont surcharges de petites actions surajoutes, sont rythmes d'arrts et de rptitions. On ne peut s'attendre trouver de frontire nette entre le crmonial et les actes obsdants . Le plus souvent, les actes obsdants sont issus d'un crmonial. La maladie est constitue, en plus de ces deux phnomnes, par des interdictions et des empchements (aboulie), qui en ralit ne font que poursuivre l'uvre des actes obsdants, en tant que certaines choses ne sont pas du tout permises au malade, et que d'autres ne le sont qu' la condition d'observer un crmonial prescrit d'avance. Il est curieux de voir que la compulsion comme les interdictions (devoir faire une chose et ne pas avoir le droit d'en faire une autre) ne frappent au dbut que les activits solitaires des hommes et laissent intact pendant longtemps leur comportement social ; c'est pourquoi de tels malades peuvent, pendant de longues annes, traiter leur mal en affaire prive et le dissimuler. Bien plus de gens d'ailleurs souffrent de semblables formes de la nvrose obsessionnelle que ne l'apprennent les mdecins. En outre, beaucoup de ces malades trouvent cette dissimulation une circonstance favorisante dans ce fait qu'ils arrivent fort bien remplir leurs devoirs sociaux pendant une partie de la journe, aprs avoir consacr un certain nombre d'heures leurs mystrieux agissements dans une retraite la Mlusine. Il est ais de voir o se trouve la ressemblance entre le crmonial nvrotique et les actes sacrs du rite religieux : dans la peur, engendre par la conscience, en cas d'omission, dans la complte isolation de toutes les autres activits (dfense d'tre drang) et dans le caractre consciencieux et mticuleux de l'excution. Mais les diffrences sont tout aussi frappantes, diffrences dont quelques-unes sont si clatantes qu'elles font de cette comparaison quelque chose de sacrilge : la plus grande diversit des actes crmoniaux par opposition la strotypie du rite (prire, gnuflexion, etc.) ; le caractre priv de ceux-ci par opposition au caractre public et collectif des exercices religieux ; et surtout cette diffrence que les petits actes du crmonial religieux ont un sens et une intention symbolique, tandis que ceux du crmonial nvrotique semblent niais et dnus de sens. La nvrose obsessionnelle semble ici la caricature mi-comique, mi-lamentable d'une religion prive. Cependant, c'est justement cette diffrence la plus tranche entre le crmonial nvrotique et le crmonial religieux qui disparat lorsque, grce la technique d'investigation psychanalytique, on pntre assez avant pour

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

comprendre les actes obsdants 1. Cette investigation permet de mettre radicalement fin l'apparence d'aprs laquelle les actes obsdants seraient niais et dnus de sens. Elle rvle aussi d'o provient cette apparence. On apprend voir que les actes obsdants sont, sans exception et dans tous leurs dtails, pleins de sens, qu'ils sont au service d'intrts importants de la personnalit et qu'ils expriment et des vnements influence persistante, et des penses charges d'affect de l'individu. Ils ralisent ceci de deux manires., en tant que reprsentation directe ou bien en tant que reprsentation symbolique ; il convient donc de les interprter soit biographiquement, soit symboliquement. Je ne pourrai me dispenser de citer ici quelques exemples l'appui de cette assertion. Quiconque s'est familiaris avec les rsultats dus l'investigation psychanalytique des psychonvroses ne sera pas surpris d'apprendre que ce que reprsentent les actes obsdants ou le crmonial drive de la vie la plus intime, voire de la vie sexuelle du malade. a) Une jeune fille observe par moi tait soumise la compulsion, aprs s'tre lave, de faire tourner plusieurs fois la cuvette en rond. La signification de cet acte crmonial se trouvait dans le proverbe : Il ne convient pas de jeter de l'eau sale avant d'en avoir de propre 2. Cette action avait pour but de donner un avertissement sa sur, qu'elle aimait beaucoup, et d'empcher celle-ci de divorcer d'avec un mari peu satisfaisant avant d'avoir nou des relations avec quelqu'un de mieux. b) Une femme qui vivait spare de son mari obissait pendant les repas la compulsion de laisser les meilleurs morceaux, par exemple de ne manger que les bords d'une tranche de viande rtie. Ce renoncement s'expliquait par la date o il avait pris naissance. Il s'tait manifest pour la premire fois le jour o elle avait annonc son mari qu'elle lui refuserait dsormais les rapports conjugaux, c'est--dire le jour o elle avait renonc ce qu'il y avait de meilleur. c) La mme malade ne pouvait en ralit s'asseoir que sur un seul sige et ne parvenait s'en relever qu'avec difficult. Le sige, d'aprs certains dtails de sa vie conjugale, symbolisait pour elle son mari, qui elle restait fidle. Elle expliquait par cette phrase sa compulsion : On se spare si difficilement (d'un homme, d'un sige) aprs s'y tre assise une premire fois. d) Pendant tout un laps de temps elle avait eu coutume de rpter un acte obsdant particulirement frappant et absurde. Elle courait de sa chambre une autre pice, au milieu de laquelle se trouvait une table, elle arrangeait d'une certaine faon le tapis qui se trouvait dessus, elle sonnait la fille de chambre, qui devait s'approcher de la table, puis elle congdiait celle-ci avec un ordre indiffrent. Au cours des efforts que nous fmes pour expliquer cette compulsion, il lui vint l'esprit que le tapis de table en question portait une tache d'une vilaine couleur et qu'elle disposait chaque fois le tapis de telle sorte que la tache dt sauter aux yeux de la fille de chambre. Le tout tait ainsi
1 2

Cf. S. FREUD, Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre (Suite de petites tudes sur la doctrine des nvroses), Vienne, 1906 ; 3e d., 1920. Man soll schmutziges Wasser nicht ausgiessen, ehe man reines hat.

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

la reproduction d'un vnement relatif son mariage, vnement qui avait ensuite donn son esprit un problme rsoudre. Son mari, au cours de leur nuit de noces, avait t victime d'une mauvaise fortune qui n'est pas rare. Il se trouva impuissant et courut plusieurs fois cette nuit-l de sa chambre la sienne afin de rpter la tentative. Le matin suivant il avait dit qu'il devrait avoir honte devant la fille de chambre de l'htel, qui allait faire les lits ; aussi prit-il un flacon d'encre rouge et en versa-t-il le contenu sur le drap, mais d'une faon si maladroite que la tache rouge se produisit un endroit vraiment peu en rapport avec son dessein. Elle rejouait ainsi par cet acte obsdant la scne de sa nuit de noces. La table et le lit font en effet eux deux le mariage. e) Cette mme malade prsentait une compulsion noter le numro de chaque billet de banque avant qu'il ne sortt de ses mains : or, cette compulsion comportait aussi une explication biographique. Au temps o elle admettait encore l'ide de quitter son mari, au cas o elle trouverait un autre homme plus digne de confiance, elle s'tait laiss faire la cour, dans une ville d'eaux, par un monsieur des intentions srieuses duquel elle doutait cependant. Un jour o elle avait besoin de petite monnaie, elle le pria de lui changer une pice de cinq couronnes. Il le fit, empocha la large pice d'argent et ajouta galamment qu'il ne s'en sparerait jamais, cette pice ayant pass par ses mains elle. Au cours de rencontres ultrieures, elle fut maintes fois tente de lui demander qu'il lui montrt la pice de cinq couronnes, en quelque sorte pour se convaincre de la foi qu'il convenait d'accorder ses hommages. Mais elle s'en abstint en vertu de la bonne raison que l'on ne saurait distinguer l'une de l'autre des pices de monnaie de mme valeur, Ainsi le doute ne fut pas dissip, et il laissa aprs lui la compulsion noter les numros des billets de banque, numros grce auxquels chaque billet se distingue individuellement de tous les autres de mme valeur. Ces quelques exemples, emprunts au vaste ensemble de mes observations, ne sont destins qu' illustrer la proposition d'aprs laquelle tout, clans les actes obsdants, est plein de sens et interprtable. Il en est (le mme du crmonial proprement dit ; la preuve en exigerait seulement un expos plus circonstanci. Mais je ne m'y mprends nullement : nous semblons nous tre fort loigns, par l'lucidation des actes obsdants, de la sphre d'ides de la religion. C'est une des conditions de l'tat pathologique que la personne qui obit une compulsion le fasse sans en connatre la signification, au moins la signification principale. Seuls les efforts du traitement psychanalytique pourront lui rendre conscient le sens de l'acte obsdant et par l les mobiles qui l'y poussent. Nous exprimons cet tat de choses important en disant que l'acte obsdant sert manifester des mobiles et des reprsentations inconscientes. Il semble y avoir l une nouvelle diffrence d'avec les exercices religieux, mais il faut se rappeler qu'aussi bien le dvot isol exerce en rgle gnrale le crmonial religieux sans demander quel en est le sens, tandis que le prtre et l'investigateur peuvent cependant connatre ce sens, le plus souvent symbolique, du rite. Les mobiles qui poussent imprieusement les croyants aux exercices religieux leur restent cependant tous inconnus, ou bien sont reprsents dans leur conscience par d'autres mobiles mis en avant leur place.

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

10

L'analyse des actes obsdants nous a dj permis de jeter un coup d'il sur l'tiologie de ceux-ci et sur l'enchanement des mobiles qui les dterminent. On peut dire que celui qui souffre de compulsion et d'interdictions se comporte comme s'il tait sous l'empire d'un sentiment de culpabilit, dont il ne sait rien d'ailleurs, d'un sentiment inconscient de culpabilit, ainsi qu'il convient de dire en ne tenant pas compte du heurt des mots ici associs. Ce sentiment de culpabilit prend sa source dans certains processus psychiques prcoces, mais trouve un lment de reviviscence perptuelle dans la tentation que renouvelle chaque occasion actuelle. D'autre part, il donne naissance une angoisse expectante, une attente du malheur, toujours aux aguets, angoisse lie par le concept de la punition la perception interne de la tentation. Quand un crmonial est en train de se constituer, le malade sait encore consciemment qu'il doit faire ceci ou cela sans quoi un malheur arriverait et, en rgle gnrale, la sorte de malheur attendre est encore communique sa conscience. Mais le rapport, dmontrable dans chaque cas, qui existe entre l'occasion o l'angoisse expectante surgit et l'lment de menace qu'elle contient est dj cach au malade. Ainsi le crmonial commence par tre un acte de dfense ou une assurance contre quelque chose, une mesure de protection. Au sentiment de culpabilit du nvros obsessionnel correspondent les protestations des dvots lorsqu'ils affirment savoir qu'ils sont de grands pcheurs dans leur cur ; il semble que les exercices de pit (prires, invocations, etc.), aient la valeur de mesures de dfense et de protection, mesures par lesquelles les dvots font prcder chaque activit de la journe et surtout chaque entreprise sortant de l'ordinaire. On acquiert une intelligence plus profonde du mcanisme de la nvrose obsessionnelle si l'on estime sa juste valeur le fait primordial se trouvant sa base et qui consiste toujours dans le refoulement d'une pulsion instinctive (d'une composante de l'instinct sexuel), pulsion qui tait contenue dans la constitution de la personne en jeu, qui put se manifester un certain temps dans sa vie infantile et devint ensuite la proie du refoulement. Une scrupulosit particulire, dirige contre les objectifs de cet instinct, est engendre en mme temps que le refoulement de cet instinct. Seulement cette formation ractionnelle psychique ne se sent pas sre d'elle-mme, mais constamment menace par l'instinct demeur aux aguets dans l'inconscient. L'influence de l'instinct refoul est ressentie sous forme de tentation, et c'est au cours du processus du refoulement lui-mme que nat l'angoisse, qui, en tant qu'angoisse expectante, s'empare du domaine de l'avenir. Le processus de refoulement qui conduit la nvrose obsessionnelle est qualifier de refoulement incompltement russi, refoulement qui menace de faiblir de plus en plus. C'est en quoi il est comparable un conflit qui ne saurait connatre de fin ; des efforts psychiques toujours renouvels sont ncessaires afin de maintenir l'quilibre contre les pousses constantes de l'instinct. Les actes crmoniaux et obsdants naissent ainsi, d'une part, titre de dfense contre la tentation, d'autre part, titre de protection contre un malheur attendu. Mais contre la tentation, les actes de protection semblent bientt ne pas suffire ; alors surgissent les interdictions qui doivent nous garder distance de la situation o nous serions tents. Ainsi qu'on peut le voir, les interdictions remplacent les actes obsdants, tout

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

11

comme une phobie a pour but d'pargner la ncessit d'une crise d'hystrie. D'un autre ct, le crmonial reprsente la somme des conditions sous lesquelles d'autres choses, pas encore absolument dfendues, restent permises ; de mme le sens du crmonial religieux du mariage est de permettre au dvot la jouissance sexuelle, par ailleurs entache de pch. La nvrose obsessionnelle, comme toutes les autres affections analogues, a encore pour caractre que ses manifestations (ses symptmes, parmi lesquels les actes obsdants) remplissent cette condition d'tre un compromis entre les forces psychiques en conflit. Ainsi les symptmes ramnent au jour quelque chose du plaisir qu'ils sont destins empcher, ils se mettent au service de l'instinct refoul non moins que de l'instance refoulante. Et mme, avec le progrs de la maladie, les actes, qui l'origine servaient plutt la dfense, se rapprochent toujours davantage des actions condamnes par lesquelles, dans l'enfance, l'instinct se manifestait. On pourrait retrouver quelque chose de ces rapports dans le domaine de la vie religieuse : la rpression, le renoncement certaines pulsions instinctives semble aussi tre la base de la formation de la religion ; cependant ce ne sont Pas, comme dans la nvrose, des composantes exclusivement sexuelles dont il s'agit ici, mais des instincts gostes, nuisibles la socit, auxquels d'ailleurs une contribution sexuelle n'est le plus souvent pas trangre. Le sentiment de culpabilit man d'une tentation qui ne s'teint jamais, l'angoisse expectante sous forme de la peur des chtiments divins, nous avons appris les reconnatre au domaine de la religion plus tt qu' celui de la nvrose. Peut-tre en vertu des composantes sexuelles qui s'y mlent, peuttre par suite des qualits gnrales de l'instinct, la rpression des instincts au domaine de la vie religieuse se manifeste-t-elle aussi comme insuffisante et jamais acheve. Des rcidives totales de pch sont mme plus frquentes chez le dvot que chez le nvros, et elles conditionnent une nouvelle espce d'activits religieuses, les actes de pnitence, auxquels on trouve des pendants dans la nvrose obsessionnelle. Nous l'avons vu : un caractre particulier et dgradant de la nvrose obsessionnelle consiste en ce que le crmonial s'attache de petits actes de la vie quotidienne et se manifeste sous forme de prescriptions et de restrictions puriles. On ne comprend ce trait frappant de la structure du tableau clinique qu'en apprenant voir que le mcanisme du dplacement psychique, dcouvert par moi d'abord dans la formation du rve, domine les processus psychiques de la nvrose obsessionnelle. Dans les quelques exemples d'actes obsdants que j'ai cits, on peut dj voir comment le symbolisme et les dtails de l'excution de l'acte s'difient grce un dplacement de ce qui est propre, important, une chose mesquine mais substitutive, par exemple d'un homme un sige. C'est cette tendance au dplacement qui modifie toujours davantage le tableau des phnomnes morbides et qui en vient pour finir faire de la chose la plus minime la plus importante et la plus pressante. On ne saurait mconnatre qu'au domaine religieux n'existe une tendance semblable au dplacement de la valeur psychique, et la vrit dans le mme sens, de telle sorte que peu peu le crmonial mesquin des exercices religieux devient l'essentiel, aprs qu'a t mis de ct son contenu idatif. C'est aussi pourquoi les religions subissent par saccades des rformes qui s'efforcent de rtablir la relation originelle des valeurs.

Sigmund Freud (1907), Actes obsdants et exercices religieux. Trad. fr., 1932.

12

Le caractre de compromis des actes obsdants en tant que symptmes nvrotiques est celui que l'on reconnat le moins nettement dans les actes religieux qui leur correspondent. Et cependant quelque chose nous rappelle ce trait de la nvrose quand nous voyons combien souvent tous les actes que la religion rprouve - les manifestations des instincts rprims par la religion sont justement accomplis en son nom et soi-disant son profit. En vertu de ces concordances et de ces analogies, on pourrait se risquer concevoir la nvrose obsessionnelle comme constituant un pendant pathologique de la formation des religions, et qualifier la nvrose de religiosit individuelle, la religion de nvrose obsessionnelle universelle. La concordance la plus essentielle rsiderait dans le renoncement fondamental l'exercice d'instincts constitutionnellement donns, la diffrence la plus dcisive dans la nature de ces instincts qui, dans la nvrose, sont d'origine exclusivement sexuelle, et dans la religion aussi de nature goste. Un renoncement progressif des instincts constitutionnels, dont l'exercice pouvait donner au moi un plaisir primaire, semble tre l'une des bases de l'volution culturelle des hommes. Une partie de ce refoulement des instincts est accomplie par les religions, en tant qu'elles incitent l'individu offrir en sacrifice la divinit ses plaisirs instinctifs. A moi est la vengeance , dit le Seigneur 1. On croit reconnatre dans l'volution des vieilles religions que bien des forfaits auxquels l'homme avait renonc avaient t passs Dieu et taient encore permis en son nom, de telle sorte que la cession la divinit tait le moyen par lequel l'homme se librait de la domination de ses instincts mauvais et nuisibles la socit. Aussi n'est-ce pas un hasard si toutes les particularits humaines - avec les mauvaises actions qui en drivent - taient attribues aux anciens dieux dans une mesure illimite, et ce n'tait pas une contradiction qu'il ne ft pourtant pas permis de justifier ses propres forfaits par l'exemple divin. FIN DE LARTICLE.

Deutronome, XXXII, 35. (N. de la Trad.)

Vous aimerez peut-être aussi