Le Dionysos Oraculaire
Le Dionysos Oraculaire
Le Dionysos Oraculaire
4 (1991)
Varia
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Ileana Chirassi Colombo
Le Dionysos oraculaire
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Ileana Chirassi Colombo, Le Dionysos oraculaire, Kernos [En ligne], 4|1991, mis en ligne le 11 mars 2011,
consult le 10 octobre 2012. URL: http://kernos.revues.org/301; DOI: 10.4000/kernos.301
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Kernos, 4 (1991), p. 205-217.
Pour l'homme grec de l'ge archaque et classique, et bien avant
encore, l'objet pistmologique par excellence est un savoir global qui,
d'Homre Plutarque, peut tre dfini comme un art divinatoire qui
s'exerce sur ce qui est, ce qui sera et ce qui fub,1. C'est un domaine qui,
comme dit Ammonios dans un passage du De E apud Delphos de
Plutarque, est en particulier le domaine des dieux, ou mieux le domaine
d'un dieu philosophos, qui se plat au savoir et qui le possde en propre
2
.
Ce dieu est Apollon, bien sr, le matre de Delphes, assimil au soleil
qui peut tout voir, tout savoir et tout communiquer par diffrents moyens
qui il veut. C'est le dieu mantique par excellence, Apollon, fils de
Zeus. Mais n'oublions pas que c'est prcisment au cur du domaine
mantique, Delphes, qu'un autre fils de Zeus, Dionysos, n'a pas une
part moindre qu'Apollon
3
. L'quivalence du pouvoir entre Apollon et
Dionysos, et le partage du territoire commun est envisag ici d'un point
de vue thologique qui fait apparatre Dionysos comme le double poly-
morphe et pathtique, toujours en transformation, de l'Un Apollon, gal
soi-mme et immobile. Mais, bien regarder, cette quivalence, anti-
thtique en apparence seulement, se fonde sur leur participation
commune la mme fonction, savoir la rglementation du territoire
trs ambigu de l'atechnos mantik, c'est--dire la mantique inspire,
ou encore ce savoir que l'on peut obtenir par intervention directe de la
divinit, ou par des capacits extraordinaires d'ordre naturel. Un
naturel qui en tout cas peut tre bien divin en soi si, ouvertement,
dans la perspective stocienne au moins, on peut considrer la physis, la
nature, comme l'essence originelle de la divinit concidant avec la loi
du kosmos.
Dans le monde grec des poieis, l'atechnos mantik occupe une place
part qui contraste avec la grande varit des possibilits mises en
uvre par la mantique technique, qui est avant tout l'art de Calchas, le
premier mantis de la tradition grecque, et le seul type de divination
1
2
3
C'est le savoir de Calchas: HOM., Il., 1,70.
PLUT., Sur tEde Delphes, 387b-c.
MACROBE, Sat., 1, 18; cf. aussi P. AMANDRY, La mantique apollinienne Delphes,
Paris, 1950, p. 196 sq.
206 1. CHIRASSI COLOMBO
apparemment connu d'Homr. La diffrence entre les deux types
n'est pas seulement une question de procdure, mais aussi et surtout de
fonction au niveau politique et idologique. Le devin qui exerce la
mantique technique travaille comme un interprte de signes, charg de
comprendre les messages cachs sous la pluralit de signes parpills
dans le cosmos visible et par lesquels, comme l'affirmait l'cole
stocienne, les dieux rvlent aux hommes le grand plan du monde.
C'est dire que, dans une perspective religieuse, la divination en
vient tre une preuve de l'existence mme des dieux qui, selon une
vetus opinio omnium gentium firmata eonsensu, selon une koin
ennoia de l'humanit, non seulement existent, mais connaissent
l'avenir et peuvent le rvler, semainein, par diffrents moyens
5
. Une
autre interprtation, que l'on peut qualifier de laque, confirme la
mme possibilit en soulignant l'existence d'un plan, d'un programme,
d'un logos du monde qui fonctionne comme un systme d'criture et
permet au technicien alphabtis de lire les res quae dieuntur en utili-
sant les prodiges, les semeia, comme les voeabula quibus res dieuntur.
Mais la mantique qui nous concerne, la mantique dionyso-apol-
linienne, est une affaire toute diffrente. Le plan du monde peut tre
dj tabli ou bien encore en train d'tre tiss, mais, quoi qu'il en soit,
les puissances extrahumaines, dieux ou dmons, ou les puissances
agissant l'intrieur des hommes, ou mieux la physiologie trs particu-
lire de certains individus, peuvent dvoiler l'avenir et le communi-
quer tous par le moyen commun du langage humain. ce moment, le
langage devient trs important parce que ses amphibologies, ses mta-
phores, sa faiblesse dans la construction du rapport entre la chose et le
signe, la parole, signifient l'ambigut de la communication, l'entrave
qui empche la circulation du message entre destinateur et destinataire.
L'examen de ce processus, quoique important, n'entre pas dans le
champ d'intrt qui nous concerne ici.
C'est la modalit de la transmission qui nous retiendra. Cette moda-
lit fait la diffrence entre le genos teehnikon et l'adidaktos kai
ateehnos mantik, ou bien entre le genus divinandi artifieiosum et le
4
5
Cf. lleana CHlRASSI COLOMBO, Gli interuenti mantici in Omero, morfologia e
funzione della diuinazione come modalit di organizzazione dei prestigio e dei
consenso ne/la cultura greca arcaica e c!assica, in F.M. FALES - C. GRO'ITANELLI
(ed.), Soprannaturale e Potere nel mondo antico e nelle societ tradizionali,
Milano, 1985, p. 161164.
CIC., Diu., J, 10; 25; 92; II, 80; cf. aussi Lois, II, 3233. Pour le Stocien CHRYSIPPE,
la divination est la facult de connatre, de voir, d'expliquer les signes offerts
aux hommes par les dieux (CIC., Diu., II, 80).
LE DIONYSOS ORACULAIRE 207
genus naturale, entre ars et natura, comme dit Cicron, o l'on peut
noter d'abord l'aporie ou mieux l'impossibilit de traduire atechnos par
naturale
6
. Ainsi le mme Cicron introduit pour prcision le trio deus,
fatum, natura : duxisti enim divinationem omnem a tribus rebus, a deo,
a fato, a natura. Au niveau de la dfinition de fatum et du terme grec
correspondant, la discussion pourrait traner en longueur. Une mise au
point sur le rapport entre fatum, destin inluctable, et divination est
prsente par Cicron lui-mme dans un trait particulier, le De Fato,
qui nous est parvenu trs mutil mais qui nous permet en tout cas de
connatre les arguments de l'Acadmie (Carnade) contre le dter-
minisme stocien, garant par excellence de la mantique technique. On
garde ainsi l'lment trs important de la possibilit d'intervention des
dieux (et en consquence des hommes) qui peuvent vritablement boule-
verser toutes les prvisions par leur volont
7
.
L'objet de notre tude sera la qualit extraordinaire de la communi-
cation dfinie par Cicron a deo et a natura. Dans ce cas, la rvlation
de l'avenir est rserve l'intervention directe des dieux, ou bien elle
dpend d'un savoir qui est li une qualit intrieure de l'individu,
quelque chose qui fait partie de sa physiologie et ds lors la personne se
trouve diffrente des autres, en dehors de l'humanit
8
. L'importance de
6
7
8
CIe., Div., l, 12; PS.-PLUT., Homre, 212. Atechnos indique simplement que le
divin n'utilise pas un instrument, une clef de lecture, mais qu'il entre par diff-
rents moyens dans une dimension de connaissance suprieure qui peut ou non
dpendre de l'intervention d'une divinit. ARISTOTE s'interroge sur certains
individus tout fait simples qui sont capables de donner des prvisions exactes
dans leurs songes; dans ce cas, ce n'est pas un dieu qui envoie ces rvlations,
mais chez tous ceux dont la nature se prsente comme si elle tait bavarde et
mlancolique, on trouve des visions varies : ARISTOTE, De la divination dans
le sommeil, 463b.
CIe., Div., l, 125. Le fatum traduit le grec heimarmen la fatalis necessitas, qui
permet de lire le monde. Mais la dimension prophtique comme communica-
tion de la part de dieux admet aussi la possibilit du changement. Voir le
commentaire de SERVIUS: Si vox lovis fatum est, potest aliud fando fati
ordinem commutare (ad /En., X, 628). Ainsi interprt, le fatum devient la force
de la communication directe, la valeur inpuisable de la parole. Apollon peut
prvoir des vnements qui n'ont dans la nature aucune cause, seulement si ces
vnements ont pour cause sa volont ou la volont de Zeus (CARNADE dans
CIe., Du destin, 33-35). Cf. F. GUILLAUMONT, Philosophe et augure. Recherches
sur la thorie cicronienne de la divination, Bruxelles, 1984, p. 159 sq.
C'est la melancholik krasis, ce mlange particulier de la bile noire que
produisent les individus d'exception, comme les hros du temps jadis, mais
aussi des personnages illustres plus rcents, philosophes, chefs militaires et ...
devins, comme les Sibylles, les Bacis et tous ceux qui sont inspirs (entheoi) :
208 1. CHIRASSI COLOMBO
la personne laquelle est reconnu un pouvoir de connaissance
divine, naturelle, c'est--dire inclu dans sa constitution physique, est
bien claire et, dans la perspective du prestige, gale au charisme du
choix divin qui rend la mantique inspire particulirement importante.
Pour cela, il suffit de citer Platon dans le Time quand il fait la distinc-
tion entre les prophtes qui sont interprtes des paroles ou des signes
envoys par les dieux, et les vritables manteis qui transmettent direc-
tement la parole, la volont des dieux (Time, 7l-72b).
Aprs Platon, il faut encore rappeler Plutarque quand, dans le De
Genio Socratis, il spare bien les sacerdoces techniciens, les manteis
qui s'occupent des oiseaux, des autres, les quelques privilgis qui ont la
chance de rencontrer le dieu: parce que, dit-il, le dieu ne rencontre pas
beaucoup de monde, mais il donne beaucoup ses signes (593c-d). La
communication directe divin-humain ou la prsence dans le corps
humain d'une qualit, d'un mlange qui exprime une puissance que
l'on peut qualifier de divine, prend la signification d'une investiture
charismatique qui isole l'individu ainsi dou dans une situation
marginale trs signifiante.
La reconnaissance culturelle d'une situation de ce type peut devenir
un instrument efficace pour dterminer le comportement individuel et
collectif des membres du groupe, influencer leurs choix. Comme on l'a
dj observ, la Grce des cits, la Grce archaque et classique, ne
connat pas, ou mieux ne veut pas connatre l'exercice de la mantique
inspire par un corpus de spcialistes comme les nebm d'Isral ou
les prophtes de Mari
9
. C'est--dire que la Grce ne veut pas produire
des personnages qui agissent individuellement dans la socit comme
porteurs d'un message qui concerne le comportement collectif et le
programme futur, et qui doit tre reconnu comme vrai. Le monde des
cits relgue la foule des Sibylles, les prophtes femmes, dans
9
ARISTOTE, Problme xxx, 1, 953a 10. Cf. J. PIGEAUD, L'Homme de gnie et la
mlancolie, Paris, 1988. Pas de surprise dans l'absence de la Pythie: elle n'a pas
une physis exceptionnelle, mais elle est seulement l'instrument du dieu. Comme
la nymphe Syrinx qui mtamorphose son corps en roseau pour offrir enfin
son perscuteur, le dieu bouc Pan, spcialiste de la possession, un instrument
musical nouveau. Cf. Ph. BORGEAUD, Recherches sur le dieu Pan, Roma, 1979
(Biblioteca Helvetica Romana, 17), p. 124 sq.
La divination inspire, par la possession d'une divinit, est atteste en Syrie,
bien avant l'exprience du prophtisme hbreu. Cf. la documentation trs riche
dans le Dictionnaire de la Bible, Suppl. VIII, Paris, 1972, s.v. prophtisme. Pour
Mari, il faut signaler la grande diffusion du porphtisme fminin : cf.
G. DOSSIN-A. FINET, Archives Royales de Mari. Correspondance fminine,
Paris, 1978.
LE DIONYSOS ORACULAIRE 209
l'imaginaire clos du temps mythique, dans le monde non encore apol-
linis
lO
. La cit iso- ou eunomique qui, comme dit Aristote, poursuit son
utopie, l'galit, avant toute autre chose (Politique, 1284), est oblige de
refuser les savoirs qu'on ne peut pas contrler. Pas seulement les
savoirs mantiques, bien sr, mais tous les types d'un savoir excessif et
inutile: le savoir du sophos Anaxagore ou bien de la magicienne Mde,
ou de la Sibylle. Ainsi, pour contrler un savoir utile et en mme temps
dangereux, suppos venir ek theou, de dieu, le savoir qui doit tre vrai
et bon, que Platon oppose au savoir de la science humaine soumis aux
lois du nous et de l'histori, expos aux risques de l'oiesis, l'opinion, les
cits inventent un mtacentre o rassembler tout ce qui se produit par
la volont du dieu. On peut aisment dcouvrir cette idologie en fili-
grane du plan de fondation de Delphes comme nombril du monde et
comme lieu privilgi de la communication entre homme et dieu, un
type de communication qui doit tre limit.
Ainsi un corps vide de femme se fixe comme le moyen visible et
permanent d'une circulation du logos strictement contrle qui permet
le droulement d'une histoire pralablement dcide dans ses lignes
fondamentales. C'est bien la Pythie dans son rle de prophte, de porte-
voix d'Apollon, d'organe du dieu, instrument docile qui se conforme le
mieux possible l'agent qui l'emploie (plutarque, Des oracles de la
Pythie, 44b)11. Dans cette perspective il faut reconnatre que la Pythie
ralise en elle au maximum les potentialits implicites du processus de
la transe de possession, qui est la modalit prfre de la communi-
cation entre l'humain et l'extra-humain ralise par la transe rituelle
trs longuement tudie par les anthropologues, les historiens des
religions et dans les domaines de la psychiatrie et de la psycha-
nalyse
12
.
10 Cf. le type sibyllin dans l'ouvrage, ancien mais non remplac, de A. BoucH-
LECLERCQ, Histoire de la divination dans l'antiquit, II, Paris, 1879 [1963],
p. 133 sq.
Il Sur la qualit de l'inspiration de la Pythie, voir AMANDRY, op. cit., p. 19 sq et la
discussion chez A. PlNERO SAENZ, Sobre la inspiration de la Pitia delfica. Breve
historia de una polemica, in Durius, 3 (1975), p. 405-416. Mais la question est en
gnral mal pose. Voir infra.
12 Cf. G. ROUGET, La musique et la transe, Paris, 1980, p. 58 sq. : pour l'auteur, la
Pythie constitue l'exemple illustre d'un type particulier de transe mdiumnique
dans laquelle le personnage inspir ne s'identifie pas son dieu mais dlivre
seulement sa parole. Mme procdure dans le prophtisme syrien et hbreu.
Erica BOURGUIGNON (Psychological Anthropology. An Introduction to Human
Nature and Cultural Differences, New York, 1979) fait une distinction entre la
transe d'exprience, ou chamanique, dans laquelle l'individu vient au contact
210 I. CHlRASSI COLOMBO
Le lexique grec utilise pour dfinir le statut de la possession une
terminologie trs varie. Le terme le plus explicite est certainement le
vocable entheos, dans le sens d'tre investi par le dieu, endieu13. Ce
lexique de la possession est bien tabli dans l'usage grec du Ve sicle
av. J.-C. Dans les Sept contre Thbes, entheos Ari, endieu par Ars,
est le guerrier Hippomdon qui, en consquence, bakhai, fait le
bacchant comme une thyias, une Thyade (497-499). Ou le parallle qui
s'impose peut-tre avec la raJ.1 yhwh, le souffle, l'esprit de Dieu qui vient
sur Saul, l'enflamme de rage et le pousse la victoire sur les
Ammonites (I Samuel, XI, 6). Dans l'Antigone de Sophocle, entheoi
gynaikes sont les femmes du cortge du Dionysos, les Mnades (962).
Pour elles, le dieu dedans, le dieu qui les occupe est certainement le
mainomenos par excellence, le fou, Dionysos. Mais Dionysos n'est pas
le seul dieu de la possession comme il n'est pas non plus le bakhos
originel, d'autant que bakhos ne semble pas dsigner une divinit
personnelle, mais plutt une modalit du comportement et de l'tre, une
exprience. Le lexique grec qui se concentre autour de cette exprience
est riche et ambigu en mme temps, et nous n'avons pas ici la possibilit
de passer en revue la problmatique complte qui le concerne. Entheos
intrigue avec bakhos dans la construction du mme message avec un
grand nombre des composs de entheatho, comme enthousiastikos,
entheastikos, etc., qui dsignent la situation d'un tre pris par une
entit, une divinit ek tinos. Quelque chose ou quelqu'un qui occupe, qui
tient, katechein, et fait d'un individu un katochos. Les potes sont
katechomenoi hosper hai bakhai, selon le lexique de Platon (Ion, 532),
comme les individus qui se font corybantiser dans le rituel complexe
li la collectivit des Corybantes
14
. C'est une situation qui, trs faci-
lement, peut avoir une solution du type mdianique dans laquelle le
possd, dans un tat de dissociation complte ou bien partielle, vient
de diffrentes puissances et diffrentes situations qu'il peut valuer et utiliser
indpendamment, et une transe de possession o l'individu est envahi par une
puissance externe avec laquelle il s'identifie au point de perdre conscience de
soi. Il est intressant de noter que la transe chamanique est masculine alors
que la possession est fminine !
13 Cf. ROUGET, op. cit., p. 273. AMANDRY traduit l'entheos de la Pythie comme un
tat de grce sur la suggestion inconsciente 0) des mtaphores de
l'annonciation dans les vangiles. Cf. E. NORDEN, Geburt des Kindes.
Geschichte einer religiosen Idee, Stuttgart, 1969 [1924], p. 87 sq.
14 Cf. P. BOYANC, Le culte des Muses chez les philosophes grecs, Paris, 1972
[1936]. I. LINFORTH, Coribantic Rites in Plato, UCP in Cl. Phil. , 13 (1946), p. 121-
162; ROUGET, op. cit., p. 267 sq.
LE DIONYSOS ORACULAIRE 211
transmettre un savoir qui peut parvenir par voie hypnotique mais qui
peut tre reu comme la parole, le logos, verbum d'un dieu ou du dieu
15
.
Le statut de la possession mdianique o l'on peut se manifester par un
message non verbal, visuel, celui de l'altration physionomique, de la
gesticulation, du mouvement rapide du corps qui envoie l'avertissement
de la nouveaut de la situation dans laquelle la personne se trouve
plonge. C'est le cas typique de la bacchante. Mais on peut trouver aussi
un type de possession qui ne prsente aucune manifestation spectacu-
laire et dont les symptmes sont presque imperceptibles.
Ce type d'exprience, dans toutes ses manifestations, a t dcrit
dans la culture grecque, en particulier, mais pas uniquement, dans le
lexique tragique, comme la manifestation par excellence d'un contact
avec un dieu ou bien comme manifestation du statut trs ambigu de la
mania. Au Ve sicle, la possession par intervention directe des dieux
semble trs rpandue. Un passage bien connu de l'Hippolyte d'Euripide
nous donne une liste : Phdre, amoureuse d'Hippolyte, ressemble un
possd de Pan, d'Hcate, ou un gar par les saints Corybantes ou par
la Mre des Montagnes (141). Le texte est significatif parce que le
comportement de Phdre n'a rien de violent, elle semble seulement
rver une fuite dans la montagne, une participation l'engagement
masculin de la chasse (214-226), l'agitation du statut de possd. Elle
voudrait bien tre Artmis, la desse aime par Hippolyte ! En ralit,
elle demeure dans une tristesse qui la tient enferme dans sa chambre
(161 sq.).
Presque toutes les divinits partir du Ve sicle se spcialisent dans
la pratique de la possession, ce type trs privilgi de communication
avec l'humain. On trouve une autre liste dans le trait pseudo-hippocra-
tique Sur la maladie sacre. On peut ajouter la collectivit des nymphes
responsables de la nympholepsie, une forme trs particulire de capture
de la personne par une vritable inondation de substance divine
16
.
15 Cf. Giulia SrssA, La Pizia delfiea : immagini di una mantiea amorosa e balsa-
mica, in AutAut, 184-185 (1981), p. 193-213.
16 Nympholeptos, possd par les nymphes, est Socrate dans le lieu extra-urbain
qui vient d'tre le cadre du discours sur l'amour de l'me (PLATON, Phdre,
238c). Un autre est le chresmologue botien Bakis, fou par les nymphes
(PAUS., IV, 27, 4), personnage historique incertain qui aurait donn des prvi-
sions valables pendant les guerres mdiques (HDT., VIII, 20, 77; IX, 43). Au Ve
sicle, la nympholepsie se prsente au niveau historique comme une exprience
assure par les nymphes de la grotte de Pan Vari, en Attique. Voir les
ddicaces votives d'Archdmos de Thra (I.G., II2, 788). L'essor mantique de
ce type de possession est assur non seulement par la tradition grecque qui
212 I. CHlRASSI COLOMBO
Nympholeptos, pris par les nymphes, prcise theoleptos, pris par un dieu
quelconque, tandis que phoiboleptos, dsigne l'emprise d'Apollon qui
peut entraner l'exprience structurellement diffrente de l'extase, par
laquelle l'me et le corps se sparent
17
. On connat l'exemple d'Ariste
du Proconnse qui voyage avec Apollon sous la forme d'un corbeau
(Hrodote, IV, 15). La description peut-tre la plus claire d'un statut de
possession est donne par un philosophe, en l'occurrence Platon, dans le
Phdre. Le comportement de l'me qui se rapproche de son dieu est
pareil au comportement des enthousiontes ek theou tinos, de ceux qui
sont possds par un dieu de faon lui emprunter leurs comportements
et leur activit, pour autant qu'il soit possible l'homme de participer
connat dans une autre grotte, un manteion administr par des nymphes, le
Sphragidion du Cithron (PAUS., IX, 3), mais indirectement par la tradition
latine. Traduit par lymphatus (VARRON, Lang. lat., VII, 87; CIC., Div., l, 80), le
mot indique la modalit hydrique de la procdure oraculaire. L'empire de la
nymphe est la pntration ambigu d'un flux que le fragment tragique de
PACUVIUS, cit par VARRON, met en rapport avec l'excitation bachique :
flexanima tamquam lymphata aut Bacchi sacris / commota. Lymphata dicta a
lympha; <lympha> a Nympha in Graecia commota mente quos nympho-
leptous appellant et ab eo lymphatos dixerunt nostri. Les nymphes versaient
dans l'me humaine un trouble surnaturel qui revtait toutes les formes,
crivait BOUCH-LECLERCQ (op. cit., p. 263). Le flux des nymphes s'apparente
ainsi aux diffrents pneumata qui rendent l'me fconde. La forme phallique
de la nymphe comme femme serpent ou poisson, sirne ou fe comme la
mdivale Mlusine, traduit la force de la mtaphore qui privilgie, dans la
description de la possession comme acte sexuel, le rle toujours actif donn
au mle. Cf. 1. CHlRASSI-COLOMBO, Melusina 0 il segno deI serpente .' avventure
stori co-culturali di una donna anche serpente, in Melusina. Mito e leggenda di
una donna serpente, Roma, 1986, p. 61-104. Pour le rapport entre possession et
divination, voir E. BOURGUIGNON, Divination, transe et possession en Afrique
transsaharienne, in La Divination, tudes recueillies par A. CAQUOT et M.
LEIHovrCI, Paris, 1968, p. 331-358.
17 Ekstasis indique l'action de se dplacer, ou mieux d'tre hors de soi, ou
l'aventure d'une exploration de l'me au-dedans de soi par un chemin intrieur
selon l'enseignement de PLOTIN (Ennades, V, l, 10). Dans la tradition grecque
le premier aspect, le plus clairement chamanique est bien attest par
Hermotime de Clazomnes qui quittait souvent son corps pour faire ses
voyages en tant qu'me (PLINE, Rist. Nat., VII, 174) tandis que les aventures de
personnages comme Abaris, Ariste, mme Pythagore proposent le phno-
mne diffrent de la translation bien connu dans la tradition juive et chrtienne.
Cf. 1. CULIANU, Exprience de l'extase, Paris, 1984, p. 22-43; 1. CHIRASSI
COLOMBO, Misticismo, mistica, estasi : il lessico storico nell'occidente pre-
cristiano, in Mistica e Linguaggio, Trieste, 1986, p. 7-34. La possession implique
au contraire l'occupation d'un vide humain, l'individu dissoci, par une puis-
sance extrieure. Aspects et rsultats sont opposs, cf. n. 12.
LE DIONYSOS ORACULAIRE 213
la divinit (253a). La modalit de la participation envisage comme une
occupation du vide humain par la substance divine peut se rsoudre
dans la mise en scne d'une vritable pice de thtre o les dieux
semblent jouer leur piphanie parmi les hommes en devenant pour
quelque temps des humains. Quelquefois, la possession peut aboutir
une modalit de communication trs particulire, la mise en action
d'un programme oraculaire, dans lequel, comme le dit encore Platon
dans l'Ion, c'est la divinit elle-mme qui parle par l'intermdiaire du
corps humain.
La divinit leur te la raison et, en les prenant pour ministres
comme chresmidoi et manteis divins, fait apprendre nous les
auditeurs que ce n'est pas eux, les manteis, qui disent les choses
mais la divinit elle-mme qui parle et, par leur intermdiaire, se
fait entendre nous.
(platon, Ion, 534b)
L'organisation mtaphorique du langage prte la communication
oraculaire par possession plusieurs modles. Le plus connu, comme
nous l'avons dj not propos des nymphes, organise le processus de
transmission du savoir comme la pntration d'un liquide, d'un
souffle, d'un rayon, qui peut mtonymiser le dieu lui-mme, ou
mieux sa puissance. C'est ainsi que la mantique apollinienne est en
gnral lie l'eau ou la lumire tandis que la mantique dionysiaque
est lie au vin. Toutes deux peuvent tre galement pneumatiques. La
symtrie eau/vin comme analogie de la symtrie - par implication et
non par opposition - Apollon/Dionysos dans le cadre de la communi-
cation oraculaire est trs bien illustre dans l'exemple choisi par
Macrobe. Il s'agit d'un passage des Saturnales consacr
l'identification Apollon-Dionysos propose par la thologie delphique :
Apollinem et Liberun patrem unum eundumque deum esse (l, 18).
Parmi les arguments prsents, on cite expressment la participation
conjointe des deux dieux au domaine du savoir oraculaire inspir. En
Thrace, il y a un adyton oraculaire consacr Liber-Dionysos o la
procdure de consultation prvoit pour les vaticinaturi, les prophtes, la
consommation de merum, vin pur, non mlang, exactement comme
dans le Clarion, le fameux sanctuaire d'Apollon prs de Colophon o
l'on peut vaticiner en buvant de l'eau. L'eau est prsente dans beaucoup
d'endroits de la mantique apollinienne en Asie Mineure, Colophon
comme Milet, mais aussi Delphes o les jeunes filles qui deviennent
hirodules, esclaves du temple, prennent un bain purificateur dans
l'eau prophtique de la source Kastalie et, comme le prcise la scholie,
214 r. CHIRASSI COLOMBO
s'apprtent prophtiser
18
. L'eau apollinienne renverse le signe du vin
qui manifeste Dionysos dans la proposition d'un statut pneumatique
commun suppos par la fluidit qui permet l'accs la sobria ebrietas,
l'ivresse sans vin. Une situation que nous pouvons dcrire avec les
mots employs par Philon pour voquer l'exprience du dialogue avec
Dieu pratique par la communaut, peut-tre utopique, des Thrapeutai
d'gypte, ou pour commenter l'ivresse mystique d'Anne, mre-prophte
et mre du prophte Samuel, prophtis kai prophtotokos (Philon
d'Alexandrie, Des songes, 254; De l'ivresse, 95; 128; passim)19. Avec le
vin et l'eau, Dionysos et Apollon se rapprochent sous le signe du flux, du
reuma gnrateur du pneuma, esprit, cume bouillonnante, matire non
matire, gnrateur de chaleur, fcond en soi, analogue au sang, au
sperme, la substance divine. Tous les souffles viennent de l'eau, ta de
pneumata hmin esti panta aph'hydatos, dit l'auteur du trait Sur la
nature de l'enfant du Corpus Hippocratique (25 Littr). Dans un passage
fort intressant, Plutarque cherche expliquer par une interprtation
partiellement physique la divination inspire, et parle d'un mantikon
reuma kai pneuma, flux et souffle divinatoire qui est en soi theiotaton,
trs divin (Plutarque, Sur la disparition des oracles, 432d).
La dimension pneumatique unit Apollon et Dionysos dans le privi-
lge de faire participer les humains au pouvoir crateur, et donc divin,
qui rside dans la qualit du pneuma, la substance qui, grce sa
qualit analogue au sperme mle, renferme en soi la force cratrice qui
distingue aussi, partir de la spculation d'Aristote, le caractre spci-
fique de la divinit post-polythiste
20
. Ainsi la notion de pneuma,
centrale pour l'organisation de la vision cosmique grecque, grce au
jeu inpuisable des chanes mtaphoriques, permet de dire l'imaginaire
thologique dans une terminologie trs varie. La qualit cintique du
pneuma traduit en effet l'essence, l'ousia, de la divinit, et la manifeste
dans la crativit au sens large. Le pote, le dmiourgos, crateur par
18 EUR., Phn., 222-225 et Schol.ad 1. La Pythie est plutt en rapport avec la
source Cassotis (PAUS., X, 24, 7). Sur l'eau et les travaux de canalisation dans les
sanctuaires d'Apollon, cf. R. GINOUVS, Balaneutik. Recherches sur le bain
dans l'antiquit grecque, Paris, 1962, p. 235 sq.
19 PHILON D'ALEXANDRIE, De la vie contemplative. H. LEWY, Sobria Ebrietas.
Untersuchungen zur Geschichte der antiken Mystik, Giessen, 1929.
20 Cf. H. LEISEGANG, Der heilige Geist. Das Wesen und werden der mystich
intuitiven Erkentniss in der Philosophie und Religion der Griechen, Leipzig.
Berlin, 1919. Cf. G. VERBEKE, L'volution de la doctrine du pneuma. Du
stocisme S. Augustin, Paris, 1945; G. KrTI'EL (ed.), Theologisches Worterbuch
zum Neuen Testament, Stuttgart, 1959, s.v. pneuma (H. Kleinchnet).
LE DIONYSOS ORACULAIRE 215
excellence de la socit grecque archaque, peut crer seulement dans
l'enthousiasmos, quand un hieron pneuma, un souffle saint, le pntre
(Dmocrite, cit par Clment d'Alexandrie, Stromates, VI, 168). Mais la
mtaphore va plus loin. Ainsi le souffle de Zeus, ek epipnoias Znos,
provoque la conception d'paphos; le fils nat d'une caresse du dieu 10,
la gnisse argienne perscute par la jalousie d'Hra, dans les
Suppliantes d'Eschyle. Et c'est encore un souffle du dieu, un atmon
entheon, qui provoque la grossesse de la Pythie, une grossesse de
paroles, de discours, du logos divin, pour l'auteur du Trait du Sublime
(XIII, 2). L'image traduit trs bien la modalit avec laquelle Apollon
s'approche de la femme qui lui produira son discours. Il s'agit d'un type
de possession moyenne dans laquelle il n'y a pas d'identification avec
l'tre surnaturel, mais un change conu en termes - bien connus des
langages mystiques - de rapport sexuel, qui peut tre racont selon
plusieurs variantes.
Dans ce cas-l, il s'agit d'un souffle tellurique pareil aux souffles
telluriques bien connus en diffrents endroits de la terre. Mais ce
souffle peut tre une proprit du corps, ou un cadeau de la terre, ou
l'essence mme de la divinit.
Comme porteur du mouvement, comme heauton kinoun, le pneuma
exprime l'autokinton athanaton, l'automoteur immortel, l'me et le
dieu pour Platon (Phdre, 245c), ou bien le pouvoir crateur du sperme
mle qui seul, dans la thorie physiologique d'Aristote, est le principe de
la gnration qui rside dans le mouvement et la chaleur produite par le
mouvement (Aristote, De la gnration des animaux, 736a-737a). En
consquence, le pneuma est essentiellement fcond comme le dieu
mle, le dieu universel que les Stociens identifient au logos sperma-
tikos, le discours, le projet sminal, qui dans l'air et dans l'humide
assure l'existence du monde (Diogne Larce, VII, 136). C'est le prin-
cipe qui peut s'identifier Zeus ou un dieu quelconque quand, en
s'approchant d'une femme, il produit en elle les conditions ncessaires
la naissance
21
. La puissance pneumatique assure en tous cas la rali-
sation d'un message, la dlivrance d'un signe qui provoque la produc-
tion de la communication. Dionysos et Apollon se coalisent dans ce
projet. Le chur des Bacchantes d'Euripide chante Dionysos comme le
daimon qui, par la fureur qu'il inspire, transmet un pouvoir prophtique
pntrant tous les tres de sa puissance en poussant dire l'avenir (298
sq.). Comme la rll}; 'e/lJhm provoque la parole dans la bouche de son
porte-parole (2 Samuel, 23, 2). Et Apollon produit dans le corps choisi de
21 PLUT., Numa, 4;1s. et Os., 36.
216 I. CHIRASSr COLOMBO
sa femme prophte le principe du mouvement, l'arch ts kinses,
provoquant en son me la lumire qui claire l'avenir, le phs pros to
mellon
22
. Cette qualit lumineuse du pneuma est bien atteste dans la
tradition et ne contredit aucune de ses possibilits. Pour les Thrapeutai
de Philon d'Alexandrie, l'me aime de Dieu engendre en vertu de la
semence paternelle qui est un rayonnement de l'intelligible (Vie
contemplative, 68). La prophtis d'Apollon Didymes, illumine par
son dieu, peut devenir pleine de sa splendeur divine et parler
(Jamblique, Les Mystres d'gypte, III, 11)23. Mais on peut convenir que
la possession dionysiaque ne produit pas le mme effet que la possession
par Apollon. Du moins en apparence, bien que l'on ait dit que la pn-
tration du pneuma dans l'me produisait les effets des vapeurs du vin
(Plutarque, De la disparition des oracles, 432e). La possession d'Apollon
poursuit un but prcis: un logos, un discours sonore, ... un fils. La
Pythie devient rgulirement grosse des paroles lgitimes, l'inverse
de Cassandre qui, par sa faute, reste strile. La symtrie est vidente.
Dans l'Agamemnon d'Eschyle, Cassandre explique au chur comment
Apollon lui avait donn la facult de la prophtie. La modalit du
rapprochement du dieu et de la fille est immdiatement comprise par le
chur en termes de poursuite sexuelle. Cassandre ne voulait pas parler,
par aids, par pudeur, mais elle parle finalement. Il (le dieu) luttait
avec moi en soufflant en moi sa grce. La mtaphore est aisment
reconnue par le chur comme un acte de fcondation. Mais la fille lui
chappe, parvient tromper le dieu: elle vite sa divine grossesse avec
les consquences que l'on connat: elle parlera, mais n'aura pas le don
de persuasion. La possession de Dionysos produit un autre effet. Elle
donne plutt un savoir qui n'est pas le conseil circonstanci d'une
stratgie oraculaire mais, sauf quelques cas bien connus, un savoir qui
s'offre comme une possibilit diffuse de comprhension globale
24
. C'est
22 PLUT., Sur les oracles de la Pythie, 397c.
23 Sur le pneuma lumineux, cf. R. BULTMANN, Zur Geschichte der Lichtsymbolik
im Altertum, in Philologus, 97 (1948), p. 25 sq. L'homologie entre lumire et
liquide comme moyen de rvlation est clairement atteste dans le Livre IV
d'ESDRAS, pseudpigraphe de l'Ancien Testament du premier sicle ap. J.-C. Cf.
A. PrNERO-SAENZ, Les conceptions de l'inspiration, in C. KApPLER (d.
Apocalypse et voyages dans l 'Au-del, Paris, 1987, p. 157-180. La centralit du
processus de l'illumination comme moyen de cration et de rvlation est bien
connue dans le milieu gnostique, cf. G. FILORAMO, Il risveglio della gnosi
ovvero diventare dio, Bari, 1990, p. 65.
24 Le caractre oraculaire de Dionysos est bien attest quoiqu'il n'y ait pas de
centre d'une importance comparable aux centres d'Apollon. Mais, mme
LE DIONYSOS ORACULAIRE 217
prcisment le savoir promis la cit des Bacchantes. Proches du dieu,
les bacchai et les bacchoi, comme le dieu Bacchos lui-mme, auront le
don de la connaissance dans la folie, ce statut spcial que l'ivresse
mythique, devenant politique, peut rendre commun tous dans un
savoir partag par tous, trangers et citoyens, jeunes et vieux, hommes et
femmes.
Mais la cit des Bacchantes comporte des risques. Dans l'histoire,
elle ne fonctionne pas. La pice d'Euripide le met bien en vidence. Le
savoir, la gnosis, de Dionysos Bacchos doit tre dpass par
l'imprialisme d'un Dionysos post-politique qui, comme Apollon,
possde seulement des intermdiaires spciaux et rejoint Apollon dans
l'engagement de lgitimer l'ingalit entre les humains. L'ingalit
entre les dtenteurs du pouvoir et des humilis, les gnies et les simples,
les riches et les pauvres. Ds lors, le message de l'ancien Dionysos se
brise dans les mille clats de l'utopie
25
.
Ileana CHIRASSI COLOMBO
Dipartimento di scienze dell'antichit
Universit di Trieste
Via dell'Universit, 3
l - 34123 TRIESTE
Delphes, une tradition obscure faisait de Dionysos le premier matre du
manteion, avant les puissances imparfaitement polythistes de la Nuit et de
Thmis. Cf. Argum. PIND., Pyth. Trs intressant aussi est le rapport lexical
tabli entre les nymphes du Parnasse, les trois Thries, nourrices d'Apollon, et la
situation bachique de l'enthousiasme qui provoque l'oracle: les drivs indi-
quent respectivement: 8puxetV, v8ouotv, v8ou<Jtuetv (HSYCH., s.v.) et
8pto8cn, flav'teueo8cn (BEKKER, Anecdota Graeca, 265. Cf. P. CHANTRAINE,
Dict. tym. de la langue grecque, Paris, 1983, s. v. 8ptat : 8p'icn. Pour les oracles
de Dionysos, cf. BOUCH-LECLERCQ, op. cit., p. 373 sq.; cf. aussi P. AMANDRY, op.
cit., p. 196 sq.
25 Cf. I. CHIRASSI COLOMBO, Dionysos-Bacchos e la citt estatica : imagini, messagi
e modelli di buon disordine, in Atti dei convegno di studi su Dionysos. Mito e
Mistero, Comacchio, 3-5 novembre 1989 (sous presse).