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Fabbri, Paolo (2015) - Sémiotique, Stratégies, Camouflage

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Smiotique, stratgies, camouflage

Paolo Fabbri
Numro 118 | 2015

1. Suivre, comme guide


Comment parler du rapport entre la smiotique greimassienne et la personnalit de Greimas 1 ?
Je rpondrai la manire dun auteur cher Roland Barthes, Michelet, qui disait : On maccuse
davoir mis beaucoup de ma psychologie dans mon histoire, mais en ralit, en travaillant sur
lhistoire, cest lhistoire qui a fait ma psychologie . La psychologie de Greimas est un effet de son
travail thorique. Cest vrai quil y a maintenant quinze ans que Greimas nous a quitts. Mais on peut
avoir deux attitudes philosophiques lgard de la mort. La premire est existentialiste : ma mort tant
une fin, lessence de mon travail se comprendra par prsupposition partir de cette fin. Et il y a une
autre perspective possible : la mort est linterruption dun projet que dautres peuvent poursuivre. La
premire acception correspond Heidegger, la seconde Marc Bloch.
Pour faire une phnomnologie de Greimas et de son travail, il faudrait, je crois, ne pas oublier
quune phnomnologie est toujours une phnomnologie des apparences phainomena et que
phainomena a la mme racine que phantasmes , fantmes . La phnomnologie de lesprit est
aussi une phnomnologie des esprits. Les esprits, les fantmes, viennent, les uns du pass, les autres
du futur. Pour sortir de la mythologie du prsent vcu, phnomnologique, il faut voir le prsent
comme tant toujours habit par les fantmes du pass, et ceux du futur. On commence par le futur:
on a un projet, on est habit par les fantmes du futur. Et on revient vers le pass : on fait son choix
parmi les fantmes du pass. Aprs quoi, on retourne au prsent. Quel est donc le projet qui nous
permet de choisir parmi les fantmes du pass ce qui vaut pour le prsent? A cet gard, on peut
reprendre le mot de Walter Benjamin : Greimas nous suit, comme guide . Quel tait son projet ? Et
quels sont pour nous, dans ce pass, les concepts pertinents pour aujourdhui ?
Ce nest pas, par exemple, la connotation. On peut en revanche reprendre, du projet pass de
Greimas, cette thse : il faut mettre le sens phnomnologique en condition de signifier ,
smiotiquement. Pour cela, nous ne devons pas dfinir des concepts mais les interdfinir.
Linterdfinition est cratrice, et non pas tautologique. Il en est ainsi, par exemple, de la thorie des
modalits existentielles. On connaissait la virtualisation, lactualisation, la ralisation. Mais que serait
le contraire de la ralisation, prsuppos par la virtualisation et oppos lactualisation ? La
potentialisation . Le carr smiotique peut fonctionner comme un instrument heuristique. On a une

Cf. Paolo Fabbri, Simulacres en smiotique : programmes, tactiques,


Smiotiques, 112, 2009.
Actes Smiotiques n118 | 2015

stratgies , Nouveaux Actes

place vide, on lappelle potentialisation , et on se pose ainsi la question : quel est le sens de ce
terme, quelle valeur explicative peut-il offrir ?
Par consquent, le fonctionnement des modles permet la dcouverte et assure lefficacit des
concepts. Il en va ainsi de toutes les disciplines vocation scientifique. Elles se crent des exigences
internes. Et on doit les valuer partir de la productivit de ces exigences. On en trouve un exemple
clbre dans la physique contemporaine : Prigogine a reu le prix Nobel pour avoir rintroduit en
physique le concept dune temporalit irrversible. De l cette question banale : tout le monde ne
savait-il donc pas que la temporalit est irrversible ? Le problme est de savoir comment on peut
rendre cette banalit pertinente lintrieur dune thorie physique qui produise des effets de sens
heuristiques. Jusqu Prigogine, la thorie de Hamilton affirmant que le temps est rversible
continuait de fonctionner. Il faut donc valuer les disciplines vocation scientifique par les types de
calculs quelles peuvent produire. Tout comme lanthropologie, la sociologie ou la psychologie, la
smiotique traite des phnomnes de signification. Mais elle le fait avec ses propres stratgies, ses
propres calculs, ses propres modles, ses propres simulacres.
2. Smiotique et simulacres
Jaimerais dire quelques mots du concept de simulacre. Et je voudrais en parler en adoptant le
point de vue interne du discours smiotique. La sociologie (je pense Baudrillard) parle beaucoup de
simulacres ; la smiotique aussi. Mais celle-ci peut-elle interdfinir ce concept partir de ses propres
instruments ? Si on veut une indication de dpart, on la trouvera dans le deuxime volume du
dictionnaire de Greimas, lentre Simulacre crite par Landowski. Lide que cet auteur propose,
et quon retrouve dans le livre de Greimas et Fontanille sur la smiotique des passions, o ce concept
est trs prsent, est de linterdfinir dans un cadre intersubjectif interactantiel pour tre plus prcis.
Cest dautant plus important quaujourdhui les paradigmes thoriques les plus rpandus en sciences
humaines mettent plutt en vidence les subjectivismes et les naturalismes. La dfinition smiotique
du simulacre vise au contraire les faits de communication intersubjective.
Mais en amont de cette dfinition intersubjective, il faut en avancer une autre qui fasse le lien
entre simulacre et passion, ou plus prcisment entre simulacre existentiel et dimension pathmique.
Et cela va me permettre dexpliquer ici lobstination lithuanienne. Lobstination, passion lithuanienne,
selon Greimas ou bien passion de Greimas lui seul ? , nest pas une proprit subjective mais
intersubjective et interactionnelle. La passion dite obstination contient en elle-mme une structure
interactionnelle, et elle entre dans un discours interactionnel. Cette ide de Greimas, je voudrais
lillustrer partir dun trait de stratgie, le clbre De la guerre de Clausewitz. La stratgie, cest la
science (ou la discipline) de lintersubjectivit. Que dit prcisment Clausewitz ? Il affirme,

par

exemple, que lorsquun gnral reoit beaucoup dinformations contradictoires et doute de laction
entreprendre, il ny a pour lui quune seule solution : lobstination choix qui consiste appliquer ce
que Greimas appelle le paradoxe modal . Lobstin est en effet celui qui continue de faire ce quil
fait quand tout dmontre quon ne peut pas le faire. Le point essentiel, cest qu lintrieur du
simulacre existentiel, on trouve alors deux instances. La premire dit, sur le plan cognitif : On ne
peut plus faire x . Donc, je vais le faire ! En franais, on prcise de faon lgante : contre vents et
mares . Ce qui, en termes de modalits (puisquelles habitent les passions) revient dire: je ne peux
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pas, donc je veux ! Dans lorganisation modale, la modalit ici dominante est lvidence celle du
vouloir. Sur le plan cognitif, lobstin sait que cest impossible, au niveau du dsir, il veut limpossible.
Voil le dfi quil porte et qui le mnera la victoire, ou au dsastre.
Sobstiner faire de la smiotique, cest aussi un dfi ! On a beaucoup parl ce propos de
dsastres mais je prfre adopter la technique de Clausewitz. Quil y ait de bonnes ou de mauvaises
nouvelles, il faut continuer. Cela sappelle un style smiotique . Un style smiotique, cest une
organisation de simulacres existentiels modalise par la potentialisation. Greimas dit de la
potentialisation quelle est un trou noir et un lieu de cration du possible. Cest donc l quon
rencontre, avec Landowski, les accidents. Et dans la dfinition du style de vie, le rle du simulacre,
cest en somme de dfinir une trajectoire existentielle oriente, tout en tant simule. Si on parle de
simulacre , cest bien parce quil sagit de la simulation dune trajectoire existentielle oriente,
domine par une modalit fondamentale, le vouloir de lobstin, et par un jeu interne de
modalisations. Je veux, je ne peux pas ; jessaie une chose, jessaie son contraire. Et au niveau
aspectuel, je continue de faire ce que jai voulu faire. Du point de vue modal, lobstination est durative
et itrative. On peut tre obstin aussi dans la curiosit (par exemple smiotique) parce que la curiosit
est durative et itrative (un peu syncope). Tout simulacre est un parcours, et comme les parcours sont
aspectualiss et temporaliss, un simulacre a son rythme. Il y a le rythme de limpulsivit et le rythme
de lobstination au piano, le basso ostinato.
Voil donc la premire opration du simulacre : lautodfinition du sujet. Cette autodfinition
est constitutive, performative, elle opre une transformation imaginaire du sujet (collectif ou
individuel). Les Lithuaniens sont obstins, les Italiens impulsifs. Mais gare au Sicilien ! Chez
lui, limpulsion de la vengeance peut durer vingt ans... Greimas aurait rpondu la question du
simulacre collectif des Lithuaniens la manire de Lotman : Tout organisme doit tre dfini
prliminairement par une autodfinition . Lautodfinition du simulacre donne un habitus (pour
parler comme les sociologues) ou un hexis (pour parler comme certains sociosmioticiens), cest--dire
un style smiotique, une manire de se (com)-porter, disposition la fois physique, passionnelle et
cognitive. Je donnerai deux exemples de simulacres nationaux en lien avec le physique, la gestuelle, le
corporel : les Italiens ont la tte chaude mais le cur froid, les Amricains ont les bras toujours ouverts
mais, attention, ils ne les serrent jamais...
3 Interactif et interpathique
Toute communication est communication entre simulacres, et interfrence dans lattribution
rciproque des simulacres. Soit lavarice : apparemment, cest une conjonction prive entre sujet et
objets. Mais ce nest pas si simple. Lavare soustrait aux autres des objets. Du point de vue personnel,
cela passe pour un vice ; du point de vue public, pour une vertu. Les vices privs deviennent ainsi des
vertus publiques, les avares sont insupportables leur famille, mais les banques les aiment beaucoup.
Il y a donc une structure intersubjective du simulacre : le simulacre nous dfinit (ou nous nous
dfinissons par le simulacre), bien quen mme temps il nous vienne des autres, et gnralement,
comme le dit Lacan, dans la forme inverse . Cest lutilit des autres, et galement, selon la formule
bien connue, lenfer des autres.

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Il faut par consquent donner du simulacre une double dfinition : dune part comme action et
passion, dautre part comme interaction donc interaction et interpassion. Interpassionnel ,
interpathique , voil un bon concept. Le simulacre est ainsi interactif et interpathique. A lintrieur
dun sujet (individuel ou collectif) apparemment homogne, nous avons des conflits de simulacres, des
transformations imaginaires et par l des transformations dtats dme. Parmi les composantes du
simulacre, il y a projection imaginaire du sensible. Je suis chaud, froid, amer, doux, mou, dur . Il
sagit de transformations dtats sensibles, de mtamorphoses qui sont la fois des transformations de
formes et des transsubstantiations (terme de thologie reprendre en smiotique).
Et Greimas ? Il faut relire le dernier chapitre de son Maupassant. La scne finale des Deux
amis se passe sur un plan purement stratgique. Cest la guerre entre Prussiens et Franais. Paris est
encercl. Or la guerre aussi est une forme de vie . Mais les deux Parisiens ne veulent pas de cette
forme de vie. Ils sortent de Paris, vont pcher au bord de la Seine et sont pris par les Prussiens. Le chef
prussien sait trs bien que ce sont des pcheurs et que par l mme, ils mnent une activit pacifique.
Mais il dcide de projeter sur eux le simulacre de la guerre. Vous ntes pas des pcheurs pacifiques,
vous tes des espions . Cela bouleverse la communication, qui devient ce que Greimas appelle une
communication injonctive : une communication qui transforme le possible en dilemme, du type La
bourse ou la vie ! Dans tous les cas, on ne peut que perdre. Vous tes sortis par les avant-postes,
vous avez assurment un mot dordre pour rentrer. Donnez-moi ce mot dordre (...) . Ce qui est
intressant, cest que cest seulement en apparence que ce mot dordre constitue lobjet. Comme si
pouvoir donner un mot dordre entrait dans le simulacre de pcheurs pacifiques ! Dans le simulacre de
la guerre, dans la communication injonctive de la guerre, si on donne le mot dordre, on devient un
tratre. Greimas donne alors une trs belle analyse du silence comme acte. Le silence nest pas un nonfaire, cest un faire qui passe par un non-faire. Tout comme ce conseil que Greimas donnait aux
Lithuaniens : la rsistance. La rsistance non pas comme faire, car il y a des silences qui sont aussi une
rsistance, qui sont des actions et des dfis. Alors, chose intressante de nouveau, les deux
personnages ont trs peur. Ils tremblent. Mais ils se taisent. Analyse, si jose dire, somatique et non
pas smantique. En loccurrence, entre sma et soma , cest le soma qui importe. Quand on
tremble, il est plus facile de rsister en silence que dagir. Et cest ainsi quils meurent. Si le Prussien
nest pas trs proccup de ne pas avoir obtenu lobjet de valeur, cest que son but fondamental ntait
pas l ce quil visait, ctait bien la projection de la guerre comme style de vie dont on ne peut pas
sortir. Et il a gagn. Il a gagn la guerre. Il na pas obtenu lobjet de valeur, le mot de passe, mais il a
impos le simulacre de la guerre, le style de vie de la guerre.
Nous avons, Landowski et moi, il y a plusieurs annes, travaill sur les stratgies des
simulacres2. En particulier propos de la force du dsespoir. Dans une situation dsespre, en
position dinfriorit, on se met le dos au mur de faon ne pas pouvoir reculer. On brle ses vaisseaux
derrire soi. On place un ravin derrire soi. Dune manire ou dune autre, on se rend plus faible pour
se rendre plus fort. Dans la culture classique, les villageois grecs, quand ils taient attaqus par des
forces suprieures, installaient derrire eux des bchers o ils rassemblaient les femmes et les enfants.
Si les hommes cdaient, tout le monde brlait. On soblige ainsi soi-mme tre obstin. Lennemi,

Cf. Paolo Fabbri et Eric Landowski, Explorations stratgiques , Actes Smiotiques, 25, VI 1983.

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sachant alors quil devra payer trs cher, avance dans des conditions motionnelles diffrentes. Les
gens qui esprent sont faibles, les dsesprs sont forts.
Je rappelle cet ancien travail parce qu lpoque nous navions gure travaill le concept de
simulacre, concept, je crois, trs efficace et aujourdhui bien articul. Avec ceux de figurativit, de
sensibilisation, daspectualisation, nous avons des instruments trs utiles pour avancer dans la
rflexion sur la stratgie. Et une poque marque par le retour de la guerre, la smiotique doit
rflchir lintelligibilit de la guerre 3. La guerre nest pas la folie. Elle est extraordinairement
intelligente. Elle nest quun moment dans la paix. Et vice versa. Il faut penser et lunion et le conflit. Il
faut une smiologistique qui essaie de comprendre les interactions en situation de conflit et qui tienne
compte non pas seulement du calcul logique mais aussi des dispositions, de la sensibilisation, de la
moralisation, de toutes les composantes pathmiques. Cest fondamental au niveau physique et
motionnel, au niveau de lhexis. Et il y a aussi, surtout aujourdhui, un style smiotique militaire qui
ne tient pas seulement au sujet mais qui dpend de lactant collectif que constitue lhomme en liaison
avec la machine. Dun avion, un homme peut lancer des bombes en pressant un bouton. Lutter au
couteau est tout diffrent sur le plan somatique ! Le style smiotique dun soldat portant une pe nest
videmment pas celui de lhomme arm dun fusil. Et dans tous les cas, les trajectoires virtuelles
apprises lexercice changent compltement dans la ralit factuelle de la bataille.
Il se peut que Greimas ait projet dans son travail la dimension conflictuelle de la vie
quotidienne et culturelle, dimension quon retrouve aux niveaux smantique, narratif, rhtorique,
discursif de sa pense fonde en termes de diffrences et doppositions. Cest l une faon de procder
par laquelle la smiotique peut apporter beaucoup dintelligibilit lpoque contemporaine 4. Les
fantmes du futur et les fantmes du pass nous aident penser le prsent.
4. Un cas de stratgie: le camouflage
Le camouflage est un thme crucial pour la smiotique, au niveau des systmes de
reprsentation mais aussi au niveau de la distorsion de la reprsentation. Ds son Trait de
Smiotique, Umberto Eco soutient que le signe est fait pour mentir 5. Mais le camouflage oblige
repenser lide mme de signe. Elle ne se rduit pas une problmatique rfrentielle (quelque chose
la place dune autre) ou interfrentielle ( sialors ), et surtout ouvre le regard sur le concept de
production des signes. Le camouflage apparat comme un systme complexe de stratgies de
prsentation (de moi, de lautre) et de reprsentation (de soi, des autres) qui se meuvent selon les
forces en jeu. Ces forces redfinissent en les rorganisant et en les redployant les formes du
monde vivant, les animaux et les hommes. La thse de Ren Thom, selon laquelle toute morphologie
est le rsultat dattractions de conflits et/ou ayant un contrat, est utilise ici comme fond pour une
rflexion sur la zoosmiotique et la smiotique de la culture. Au sialors sajoute un si... mais.

Cf. Paolo Fabbri, Segni e Rumori di guerra , Sfera, 28,1992 ; id. et Federico Montanari, Per una semiotica
della comunicazione strategica , E/C. Rivista dellAssociazione Italiana di Studi Semiotici, 2004.
4

Cf. Paolo Fabbri, La comunicazione arrischiata. Per una semiotica dellemergenza , in L. dAlessandro, Il
gioco dellintelligenza collettiva, Milan, Guerin, 2007.
5

Cf. Umberto Eco, Trattato di semiotica gnrale, Milan, Bompiani, 1975.

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4.1. tymologie du terme et prospective pour lanalyse


Ltymologie est une figure rhtorique par laquelle nous essaierons dinscrire, dans le discours
de la parole, le sens circulant dans les ensembles discursifs. Pour certains, le terme camouflage drive
de cafouma, vocable wallon du seizime/dix-septime sicle, qui signifierait souffler de la fume sur
le visage de quelquun, pour le dsorienter, laveugler . Daprs dautres sources, lorigine serait
vnitienne, de camuffare, tromper , cacher . Au quinzime sicle, les camuffi du Rialto taient
les voleurs de Venise : malins, russ, mauvais garons . Parmi les diverses possibilits
tymologiques, je prfre, potiquement, la racine plus efficace de carmen, do vient charme (le
suffixe -uffo serait donc une simple modification de patois 6) : le camouflage serait donc un
enchantement jet sur les choses, afin quelles prennent un sens diffrent du sens habituel. Cest
lquivalent anglais de to get a spell, lancer un charme . Je trouve vocateur que le camouflage ait la
mme racine que carmen, posie.
4.2. De la science lart
Mais entrons dans le vif du sujet. Le camouflage intresse les premiers hommes de science et
notamment partir de la seconde moiti du dix-neuvime sicle, avec le dveloppement des tudes sur
le comportement animal et en particulier avec la branche aposmatique de lentomologie. Des
recherches sur le sens de la communication animale drive laffirmation conteste que les abeilles, par
exemple, sont des insectes sociaux dots de langage. Il sagissait alors de comprendre la faon dont les
insectes lanaient leurs prdateurs des signaux rpulsifs. Le terme aposmatique, en 1890, possde
une rsonance smantique. Il dsigne lensemble des expdients utiliss par les mammifres, et
surtout par les insectes, comme tactique de dfense ou comme stratgie dattaque. Le concept de arms
races peut tre valid non seulement en relation avec la course aux armements propres aux
circonstances de guerre, mais il exprime sa pertinence galement si lon fait rfrence au
comportement conflictuel du monde animal 7. Le rapport conflictuel entre le prdateur et sa proie
demande une connaissance rciproque ncessaire et une certaine dose de complicit . Puisquil faut
sentendre pour se battre et puisque les signes sont manipulables, la possibilit dune inversion des
rles existe. Le prdateur, pour ainsi dire, prend les allures de sa proie et la proie peut se camoufler en
prdateur. De ce point de vue, il est pertinent que les signes ne soient pas vrais ou faux, mais efficaces.
Ce qui compte est la crdibilit du simulacre offert lautre, les mouvements interactifs et les rgimes
de confiance et de doute qui se mettent en route. Il sagit de questions lordre du jour pour toute
situation de dcision interdpendante, comme dans les traits de guerre ou de thorie des jeux.
Omniprsents mais mal dfinis, comme dans les mondes artistiques de la peinture, de larchitecture,
du design et de la mode.
Dans le monde animal, les expdients utiliss exploitent des qualits particulires. En premier
lieu, on trouve la conformation du corps pour rendre ad hoc les apparences. Certains animaux, comme
le zbre, le tigre, le boa peuvent utiliser une rupture de la forme, des patterns qui compriment ou
dilatent les volumes en modifiant le contour du corps parla rptition de taches ou de bandes
6

Cf. Manlio Cortellazzo et Paolo Zolfi, Dizionario Etimologico della lingua italiana, Bologne, Zanichelli, 2004.

Cf. Richard Dawkins et John R. Krebs, Arms races between and within species, Proceedings of the Royal society
of London, 205 (1161), 1979, pp. 489-511.
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alternativement claires et fonces. Les plus clbres chercheurs sur cette question du mimtisme dans
le monde animal, Henry Walter Bates et Fritz Mller, ont de surcrot soulign la valeurs des diffrentes
valeurs chromatiques, jusqu parfois mme avancer des thories sur la smiotique de la dimension
chromatique, en localisant, chez les papillons, des couleurs cryptes, capables de cacher, et des
couleurs smantiques ou phanriques, avertissant le prdateur en lattirant ou en le repoussant. Ce
travail a exerc une influence essentielle, notamment le travail de Bates, sur les hypothses de Alfred
Russell Wallace, coauteur avec Darwin, de lhypothse volutionniste des espces. De nombreuses
tudes ont mis en vidence la dimension visuelle, mais il existe galement des tactiques de camouflage
exploitant dautres canaux sensoriels comme lodeur, loue et le tact. La recherche en rvle dautres
toujours plus surprenants, comme les ultrasons des papillons de nuit pour intercepter et dvier les
chauves-souris.
Les stratgies de camouflage, dcrites avec prcision au cours dtudes sur le mimtisme animal,
nous intriguent pour deux raisons : dabord parce que des artistes, ds le dbut, on t interpells par
ces recherches. Abbott Thayer, le premier sintresser au sujet, est avant tout un grand peintre, avant
dtre un zoologue formulant les lois du mimtisme. Il explique par exemple que les mammifres sont
plus obscurs sur le dos que sur le ventre, pour permettre un dpistage plus facile par rapport au
terrain. Dautre part, la recherche scientifique est implique dans les stratgies de guerre. Depuis
Thayer, il existe une premire indication pour calculer les mouvements stratgiques en examinant la
couleur du rgne animal. Thodore Roosevelt, grand chasseur, sopposa vivement ces thories. Il
avait ses ides ce propos, et doutait que lart puisse favoriser lobservation directe.
Au cours de la premire guerre mondiale, comme on sait, les cubistes Andr Mare, Ren
Pinard, Raymond Duchamp-Villon, frre an de Marcel Duchamp ont t engags pour la
transformation des scnarios de guerre. Au cours de la seconde guerre mondiale, tous les belligrants
ont utilis des spcialistes du camouflage animal pour la dcoration des uniformes et des armes sur les
champs de bataille (en Afrique du Nord, les Anglais utilisrent galement les magiciens). Cest la
preuve que le signe camoufl , pour citer Ren Thom, est un arrt sur image du processus
stratgique8. Jobserve, pour vrifier en tant quagoniste, mais lantagoniste, qui se sait observ,
accomplit une opration de camouflage. Lagoniste tente alors une opration de dmasquage,
laquelle peuvent se succder des oprations de contre-dmasquage. La rencontre/lutte de la prdation,
comme le jeu de la sduction, est fonde sur des stratgies rciproques de rpulsion ou dattraction qui
se meuvent suivant une escalade, un tourbillon de rversibilit. Il existe une observation singulire de
Thom sur ces procs zoosmiotiques. Lanimal en chasse se meut comme la proie, comme hallucin
par son image si recherche. La proie, alors, peut se camoufler en prdateur : le papillon par exemple
dploie devant loiseau des ocelles simulant des yeux, devant lesquels le prdateur senfuit en tant
que proie. Ceci souligne la complexe rversibilit symbolique cache dans les interactions les plus
lmentaires : celles de la prdation ou de la guerre, de la sexualit ou de la sduction.
Au disrupting, qui est un bon exemple de cette interdiscipline smiotique, jajoute maintenant le
dazzle painting, cest--dire la faon spectaculaire de dessiner les navires, avec des pleins et des vides
en alternant lumire et ombre, pour rendre ces objectifs en mouvement difficiles couler. Le

Cf. Ren Thom, Stabilit strutturale e morfogenesi, Turin, Einaudi, 1980.

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camouflage, qui augmente leur visibilit, rend impossible la connaissance de la route. Parmi les
artifices de ces meilleurs dalzze pattern, crs au cours de la premire guerre mondiale, il faut
rappeler le travail du gnral Norman Wilkinson, passionn de peinture. Le gnie du dazzling, cest
quil enlve lvidence rfrentielle sa valeur intrinsque et montre que la perception, la
reconnaissance et linterprtation sont des procs signiques relever lintrieur de stratgies. Pour
Ren Thom, la forme de la proie est dfinie par linstrument, le bec du prdateur ; la proie, partir du
moment o elle se sauve, persiste dans son tre, cest--dire dans sa forme. Si cette forme devait
changer, par exemple pour crotre en dimension, elle finirait par tre corrige par la dent ou la griffe.
4.3. Invisibilit, camouflage et intimidation
Une des stratgies fondamentales du camouflage est la disparition : devenir transparent ou
imperceptible, comme la transparence dun poisson au fond de leau. Une tactique laquelle peut
correspondre une contre-tactique : certaines seiches gantes sont capables de crer des diffractions
visuelles pour bien mettre en vidence leurs formes aux autres poissons en restituant leur vrai volume.
Dans le mme genre, on peut classer lart de se cacher, cest--dire de se couvrir en bricolant sur le
fond des objets. Cest le cas des crabes accumulant des coquillages sur leur dos. La seconde stratgie
consiste en revanche devenir autre chose, autre que soi, souvent avec un effort dexhibition visible :
par exemple le criquet qui devient feuille, en changeant de rgne naturel, de lanimal au vgtal. Dans
cette typologie du camouflage se situe lart dploy par les prdateurs pour se cacher : il y des cas
curieux de bancs de poissons composs moiti despces prdatrices et a moiti de proies camoufles
en prdateurs. Par rapport ces formes de manifestation invisibilit ou dguisement Roger
Caillois a accompli un travail exceptionnel, repris dailleurs par G. Deleuze et F. Guattari dans Mille
plateaux9. Ce sont les bauches dune vritable rhtorique de la communication animale, avec ses
tropes qui sont des figures de dplacement : mtaphores et mtonymie, mais galement pr-itrations,
antiphrases, antanaclases, etc. Ce qui concide avec lide que toute rhtorique, y compris dans le
champ thologique, est une tactique des apparences qui opre en situation de conflit et sur des
catgories opposes : organique et inorganique, vif et mort, visible et invisible, droit et envers,
menaant et inoffensif, et ainsi de suite. Le concept dintimidation, en revanche, ne me semble par une
catgorie smantique situe sur le mme plan : elle ne concerne pas un faire tre (ou ne pas tre). La
paralysie, leffet Mduse, la Fulgora Laternaria, soigneusement dcrite par Caillois, qui offre une
protubrance vide, semblable un masque, concerne un faire faire. Lintimidation, force qui agit sur
dautres forces, et dont Barthes voulait crire la linguistique, est seulement un des modes de la
manipulation, avec, par exemple, la provocation. Aussi bien linvisibilit que le dguisement peuvent y
recourir. Ainsi, alors que pendant les conflits mondiaux, laronautique militaire adoptait des
techniques de dguisement, elle lui prfre aujourdhui linvisibilit. Invisibles, les avions Stealth
chappent non seulement aux regards mais aussi aux radars et autres relevs lectroniques. Les
recherches sur linvisible ou le dguisement ont rendu indispensable lintroduction dune thorie de
limage. En effet, les stratgies de camouflage sont connues depuis fort longtemps, mais ne sont pas
tudies avec soin. Dans la culture grecque classique, par exemple, on distinguait deux types

Cf. Roger Caillois, Locchio di Medusa. Luomo, lanimale, la maschera, Milan, Cortina, 1998.

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dintelligence : celle de la logique philosophique du logos et celle de la rhtorique et sophistique de la


mtis. Les Grecs sparaient bien la stratgie du poulpe, mollusque oblique, expert en camouflage, qui
voit sans tre vu, agile et imprvisible, trouvant des sorties mme dans linextricable, de celle du gnie
du renard, animal rus, spcialis dans la technique de linversion, dans lart du renversement des
vnements. Le poulpe et le renard, affirment Detinne et Vernant, sont des animaux sophistes ,
deux prototypes dans les stratgies de camouflage 10. Ils ont en commun le thme de lier et de
paralyser.
La question des quilibres et des urgences locales aide approfondir la thmatique.
Lintelligence ruse du camoufleur ne consiste pas en lutilisation dune tromperie dfinitive,
interdisant linitiative. Il lui suffit damener lantagoniste lindcision. Le lpidoptre russissant se
crer des yeux sur la partie postrieure de son corps sait et espre que le prdateur sattend le voir
fuir dans la direction oppose, et sera tromp le temps quil faut pour se cacher. La rapidit de la
dcision, du temps perdu ncessaire afin de fuir et de celle des sens embrouills, des signes
ambivalents sont-ce des yeux ? Non, ce ne le sont pas ? Cest un animal, une feuille ? sont alors
essentiels. Cest la tactique du revers. videmment, ces stratgies changent en fonction du type de
regard. Dans le monde militaire, le camouflage sest impos pour des raisons mdio logiques ,
dirions-nous aujourdhui, cest--dire par ladoption de nouvelles technologies de la vision. Lorsque
lavion saffirme dans le ciel de la premire guerre mondiale, lorsque lappareil photographique
commence relever den haut les dispositifs tactiques, en sondant leur profondeur, il est alors
ncessaire de camoufler lensemble du territoire et non plus seulement les hommes, les armes et les
dpts. Des appareils toujours plus sophistiqus ont cr des trucs et des secrets toujours plus
ingnieux, et leur rponse. Il ne faut pas oublier que le camouflage nest pas seulement un phnomne
visible et donc, quil concerne tous les sens. Pour loue, il peut exister des formes de bruit qui
drangent et cachent le message transmis : ainsi, pendant la guerre, les hommes chargs de
linterception et du dcodage des messages radios, qui, pour des raisons videntes, taient transmis de
faon camoufle. Voil pourquoi Dali soutenait que, si au cours de la premire guerre mondiale, les
dguiseurs taient des cubistes, au cours de la seconde guerre mondiale les grands camoufleurs
auraient t les surralistes.
4.4. Le camouflage dans lart contemporain
Les artistes contemporains, thiquement et esthtiquement plus raffins, dfinissent mieux le
camouflage. Ils en utilisent les qualits heuristiques la rhtorique du conflit pour souligner
ironiquement une caractristique des socits actuelles, qui ne sont plus socits de la rpression, mais
du contrle, de linterception communicative. Des personnages comme Dsire Palmen ironisent,
grce au camouflage, sur laugmentation vertigineuse du contrle, favoris par les dispositifs
lectroniques. Apparemment pacifies, les formes de vie quotidienne possdent dsormais des
caractres dcrits par Orwell dans1984. Il ne sagit plus de Big Brother , mais de la mutation des
frres, un ensemble diffus de petits contrleurs qui exercent une surveillance en rseau des villes et des
territoires.
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Cf. Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de lintelligence. La mtis des Grecs, Paris, Flammarion,
1974.
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Les artistes rpondent ironiquement lart lui-mme et son ftichisme. Harvey Opgenhorth,
aplatissant les volumes de son corps pour raliser une correspondance de contours et de couleur avec
les tableaux, fait une excellente dmonstration de laversion pour lutilisation rituelle de lart dans la
religion des muses. Il nest pas seul. Les Avant-gardes, en outre, vivent une prdilection pour le
camouflage. Gertrude Stein raconte que Picasso, en voyant dfiler Paris les canons de la premire
guerre mondiale, camoufls en ateliers par les artistes cubistes, affirma : Cest nous qui lavons
fait ! . Les Avant-gardes, dsormais historiques , sappuient sur une terminologie belliqueuse :
Avant-garde , nest autre quune mtaphore de la topologie militaire indiquant une position en
premire ligne pour la transformation des arts et de la socit. Il serait intressant de reconnatre,
ct des ralisations cubistes et des anticipations surralistes, le rle des futuristes italiens, comme
Azari, le pilote qui a crit, avec Marinetti, le Primo dizionario aereo italiano, et relat leur exprience
de la guerre arienne mis en thorie par le gnral Duhet et les nouvelles techniques pour observer
les camps ennemis, ou Tato, cosignataire avec Marinetti du Manifesto della fotografia
futurista (1930), qui a invent et construit divers objets-camouflages. De mme en 1919 parat le
Manifesto futurista dellAeropittura, auquel a particip le mme Tato. Ds cette date, les futuristes
avancent leurs conclusions pour une esthtique de laropeinture, et avec la photographie, sur le thme
du camouflage. A la manire de Picasso devant les canons camouflage de la premire guerre mondiale,
Marinetti affirme que les trains de Lnine furent peints avec des formes dynamiques, colores,
semblables celle de Boccioni, De Balla et de Russolo. Tout ceci fait honneur Lnine et nous rend
joyeux pour la victoire 11. Ce texte, entre autres, dmontre combien le camouflage dpend des
nouvelles technologies dobservation et de relev. Du point de vue mdiologique, il faut remarquer que
les instruments de prise de vue, les appareils photopraphiques et cinmatographiques sont construits
et lexicaliss, comme observe Paul Virilio, sur le modle des armes feu 12.
Marinetti dclarait, dans son Manifesto tecnico della Letteratura futurista (1912), que lide
dune imagination sans fil lui sauta aux yeux en survolant Milan. Le moteur rvle au futuriste un
nouveau type et un nouveau sens de limage. A ce regard, fixant un littoral vertical du ciel, on rplique
en redessinant le panorama urbain et rural en son entier. Il se passe aujourdhui la mme chose, une
poque cologiquement correcte. A cause de lexposition aux nouvelles technologies de contrle,
larchitecture camoufle de vert ses difices industriels ou dhabitation, selon une valeur esthtique
limite. Le camouflage peut provoquer, lorsquil opte pour le masque, des expressions tragiques ou
satiriques. Dans les fictions littraires, il suffit de penser Nabokov dans Lolita (1955), exprimant sa
passion pour les papillons et les stratgies animales que lattitude des personnages voque. En effet, la
maison de Lolita est situe Thayer street Thayer, justement, le spcialiste du camouflage. Nabokov
possdait certainement un bagage de notions scientifiques sur le sujet mais cest dans la prcision de
son criture quil a nourri ces mmes intrts. Pour revenir des exemples guerriers, il suffit de penser
aux tireurs dlite de la premire guerre mondiale dguiss en arbre, ou encore lpisode (peut-tre

11

Filippo Tommaso Marinetti, Al di l del Comunismo, Milan, La Testa di Ferro, 1920.

12

Cf. Paul Virilio, Stratgie de la dception, Paris, Galile, 1999. Voir aussi le fusil chromatofotographique de
Marey (1882).
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invent, mais quimporte) du faux aroport anglais avec ses avions en bois, bombard par de fausses
bombes allemandes
Une des rgles fondamentales pour ltude du camouflage animal concerne depuis toujours
lapplication des ombres, internes ou portes, celles que la peinture italienne classique appelait les
sbattimenti . Abbott Thayer, peintre et zoologiste, a mis en lumire des preuves encore
surprenantes aujourdhui. Il est possible, en effet, deffacer les ombres en suivant des stratgies
particulires, quon appelle mires , ou de produire de nouvelles ombres, fausses. On peut donc
changer les ombres et ainsi modifier lorigine de la lumire, ce qui transforme entirement la
perception dun objet ou dun animal. La premire prcaution par rapport une cible possible est de
sappuyer un obstacle expos la lumire. Lavnement de la photographie a permis de repenser la
notion aristotlicienne de diaphane. La photographie permet la superposition dimages avec des effets
de transparence rciproque. Il sagit dexpriences nes de rflexions sur les mouvances du contrle au
combat. Mais cot de ce quAzari et Marinetti dfinissent comme des superpositions transparentes
ou semi-transparentes de personnes et dobjets concrets et de leurs fantmes semi-abstraits avec la
simultanit du souvenir du rve , il ne faut pas oublier le tribut qui est d aux variations de tonalit.
Les navires de la premire guerre taient peints de faon spectaculaire, pour confondre lennemi et
lempcher de saisir sa direction.
Je crois que toute la pense sur la photographie a t domine cette poque par une obsession
non mimtique, mais par des stratgies de mimtisme. La photographie passe dune idologie de la
reprsentation la photographie comme empreinte lumineuse sur une surface photosensible une
thorie de la construction des formes complexes et des partenaires de la visibilit. Cest ce qui permet
aujourdhui de construire les technologies digitales. Limage camoufle nest jamais statique ; elle
semble se constituer dans les instants de tension. La compntration entre les espaces et les corps,
joue sur des rythmes discontinus, vise cet effet. Au-del de Balla, de Russolo et de Severini, outre le
Futurisme sinspirant de la chronophotographie dAnton Giulio Bragaglia, il existe un autre Futurisme,
le futurisme plastique de Boccioni, o la figure traverse son contexte en mme temps que le
contexte la traverse. On veut rejoindre le mme objectif avec les stratgies du camouflage de guerre.
Ces dcompositions et ces recombinaisons du rapport figure/fond dialoguent avec les lois de la
psychologie de la perception ; ce sont, de fait, des lois labores justement grce au relev stratgique,
avec ses problmes dexgse de lecture et dinterprtation. Il nest pas indiffrent que les fondateurs
de la Gestalt Koffka, Khler, Wertheimer aient t officiers au cours de la premire guerre
mondiale. Les rflexions sur la psychologie de la forme, galement dans lautonomie de la production
scientifique, ont connu une avance radicale du fait de la dramatique exprience de conflit mondial.
Toute la science ne se meut pas de cette faon (quon pense la gntique), mais il nen est pas moins
vrai que les ncessits guerrires ont modifi les systmes de reprsentation graphique et de
prsentation artistique. Un thoricien de la psychologie comme Gibson a travaill sur la perception des
pilotes de guerre au combat et Gombrich, au cours de la seconde guerre mondiale, travaillait dans les
services anglais dinterception des radios allemandes.

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4.5. Le camouflage dans la littrature rcente


Au cours des dernires annes, de nombreuses expositions ont eu lieu, et des encyclopdies du
camouflage ont mme t publies. Je pense Camouflage di Tim Newark (2007). Je pourrais
mentionner, outre le trs classique Roger Caillois, les nombreux travaux de Roy Behrens et lessai de
Jean-Franois Bouvet, La stratgie du camlon (2001), un texte de sociobiologie. Plus rcemment, en
2007, Maite Mndez Baiges a publi en Espagne un petit volume sur les arts et le camouflage.
Personnellement, en tant que smioticien moccupant des phnomnes de construction, de
transmission et dinterprtation du sens, le concept de camouflage mapparat comme un terme
connotatif contenant des composantes interdfinir. Par exemple, les approximations sur les
caractres phanrique ou aposmantique devraient tre dcrits en utilisant des instruments
dnonciation et de deixis du regard, en les insrant dans un cadre thorique plus complexe. Une
gnralisation des dfinitions permettrait dtendre la confrontation dautres champs relatifs au
camouflage. Actuellement, on sait quil existe un remarquable engouement suscit par les
transformations des uniformes militaires. Chose amusante, avec des artistes comme Andy Warhol et
Alighiero Boetti (Mimetico, 1966) sest diffuse partir des annes soixante une mode vestimentaire
de camouflage, qui perdure tenacement aujourdhui. Au cours de la guerre du Vietnam, o les
uniformes couleur kaki de linfanterie coloniale avaient t abandonns au profit dun camouflage
multicolore, les langages de la contestation politique utilisaient les mmes uniformes que ceux du
conflit. Les enfants des fleurs , dserteurs potentiels encore aujourdhui endossent dans la vie
civile la tenue mimtique quils refusent de porter en guerre : affirmation antiphrastique et ironique,
comme si les jeunes Amricains et Europens dalors dclaraient nous sommes tous en guerre, nous
sommes tous des soldats qui refusent de ltre . A cause dun phnomne typique de mode, ce choix
sest rpandu et a perdu son origine provocatrice. Il commence tre vu comme un style de vie
camoufl , la lettre.

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4.6. Pour conclure


Dans les pratiques de camouflage, il y a des aspects qui dpassent la simple possibilit de se
cacher ; on y trouve les signes de passions difficiles camoufler. Je pense un pome de Vittorio
Sereni, Fragments dune dfaite (Journal dAlgrie, 1947), qui tmoigne dune exprience vcue
la premire personne du pluriel avec des Italiens dans un camp de prisonniers alli :
Istruzione e allarme

Instructions et alarme

Dicevano i generali:

Les gnraux disaient:

mimetizzarsi sparire

se mimtiser, disparatre

confondersi amalgamarsi al suolo,

Se confondre avec le sol,

farsi una vita di fronda

Faire une vie cache

e mai ingiallire.

Et jamais nen plir.

Ma l'anima di quali foglie

Mais lme de quelles feuilles

si vestir per sfuggire

Se vtira pour fuir

alla muta non vista osservazione

A lobservation cache, silencieuse

dell'occhio che scopre in ognuno

De lil dcouvrant en chacun

baleni di rimorso e nostalgia?

Des clairs de remords et de nostalgie ?

Se passa la rombante distruzione

Si la destruction planante passe,

siamo appiattiti corpi,

Nous sommes des corps aplatis

volti protesi all'alto senza onore.

Le visage tendu vers le ciel, sans honneur.

Se cacher toujours, faire une vie cache / et jamais nen plir , en suivant en aveugle les
ordres suprieurs. Ce nest srement pas une preuve de courage. Avec ces trois phrases distribues sur
13 vers, le soldat, proie mimtise, possde une paire dyeux : les yeux regardant vers le haut, en
direction du prdateur dun prdateur quon peut tromper, mais en perdant lhonneur. Et lil
invisible, le sien, un il de prdateur tourn vers lui-mme, qui dcouvre dedans soi la proie des
clairs de passion : la nostalgie et le remord, qui ne peuvent se mimtiser. L, le camouflage devient un
lieu de division entre les modes du pouvoir et du devoir. Mais le signe est destin rester secret : le
visage ouvert est lui-mme un masque.
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Pour citer cet article : Paolo Fabbri. Smiotique, stratgies, camouflage, Actes Smiotiques [En
ligne]. 2015, n 118. Disponible sur : <http://epublications.unilim.fr/revues/as/5391> Document
cr le 29/01/2015
ISSN : 2270-4957

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