GUSDORF. de L'autobiographie Iniatique Au Genre Littéraire
GUSDORF. de L'autobiographie Iniatique Au Genre Littéraire
GUSDORF. de L'autobiographie Iniatique Au Genre Littéraire
France
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REVUE
NOVEMBRE-DCEMBRE 1975
75e ANNE
- N 6
D'HISTOIRE
LITTRAIRE DE
FRANGE
LA
sommaire
Premire Sance
R. LEBGDE : Avant-propos
J. GAOTMIEB: Introduction
.....................................
ARTICLES
PH. LEJEUNE
Y.
COIRAULT
G.
GUSDORF
899
901
903
937
957
Deuxime sance
P. BNICHOU
: Introduction
1003
ARTICLES
G.
RANNAUD
P,
COGNY
BB..VERCIER
J.
LECARME
IN MEMORIAM,
'.
Mots
Sartre : un cas
BIBLIOGRAPHIE,
RESUMES,
..............................
:......
...............
....
limite de l'autobiographie
de
par
1096.
Ann.),
LXXV.
57
1029
1047
Le prsent fascicule rassembl les communications et les discussions du colloque, sur L'Autobiographie, organis par la Socit
d'Histoire littraire de la France, le 25 janvier 1975, la Sorbonne.
AVANT-PROPOS
900
INTRODUCTION
902
cration d'un personnage fictif, attnuations par crainte de rvolter tel lecteur, ou exagrations par dsir de scandaliser le bourgeois,
dformation par souci d'imposer un ordre au vcu essentiellement
dsordonn et d'introduire dans le rcit une valeur artistique, diffrence capitale entre le vcu marqu par l'attente, par la prospection, et le remmor qui prend les faits l'envers selon une rtrospective... Comment enfin raconter sa vie alors qu'on est encore au
dedans d'elle ?
Tantt, au contraire, il me semble que, dans une grande oeuvre,
tout est autobiographie, que le Discours sur les lettres, les sciences
et les arts claire Rousseau autant que les Confessions, les Lundis
Sainte-Beuve autant que les Carnets, le Marc Aurle Renan autant
que les Souvenirs d'enfance et de jeunesse, La Nause Sartre mieux
que Les Mots. Tant est vraie la remarque de Jacques Rivire 1 :
Le mtier de littrateur a quelque chose de vil. Le littrateur ressemble,
sa faon, l'homme d'argent. Tout ce qui lui arrive, il le considre sous l'angle
de l'utilit. Il cherche tout de suite et malgr lui (c'est o se reconnat la
vocation) ce qu'il en peut tirer... Le littrateur ne peut s'empcher de faire
recette avec ce qui lui arrive... Il s'instruira, il fera provision...
Bref, l'autobiographie met en cause tant de problmes psychologiques, sociaux, mtaphysiques qu'elle plonge la critique dans une
insondable perplexit, et j'attends pour ma part que cette journe
me permette enfin d'y voir plus clair.
JEAN GAULMIER.
1.
Carnets, p. 55.
rflchir aux problmes que pose l'utilisation de la notion de genre en histoire littraire. Je m'appuierai sur le cas de l'autobiographie pour montrer, par un examen critique d'tudes rcentes consacres ce genre, quelles difficults on se heurte.
Prendre comme objet d'tude un genre vivant et contemporain,
c'est se placer dans une situation ambigu, qui est la fois une
ressource et une Limite. Le choix de l'objet n'est pas innocent : dans
la mesure o les genres sont des institutions sociales, isoler un genre
pour le constituer en objet de savoir, cela peut tre une manire de
collaborer l'institution autant que de faire oeuvre scientifique.
Les genres littraires ne sont pas des tres en soi : ils constituent,
chaque poque, une sorte de code implicite travers lequel,, et
grce auquel, les oeuvres du pass et les oeuvres nouvelles peuvent
tre reues et classes par les lecteurs. C'est par rapport des modles, des horizons d'attente, toute une gographie variable,
que les textes Littraires sont produits puis reus, qu'ils satisfassent
cette attente ou qu'ils la transgressent et la forcent se renouveler 1.
Comme les autres institutions sociales, le systme des genres est
gouvern par une force d'inertie (qui tend assurer une continuit
facilitant la communication), et par une force de changement (une
littrature n 'tant vivante que dans la mesure o elle transforme
l'attente des lecteurs). Le systme des genres est li d'autres institutions : le systme scolaire, qui contribue maintenir une permanence en faisant fonctionner des problmatiques qui ne sont plus
vivantes, la critique d'accueil des journaux et des revues, o s'expriment spontanment les attentes actuelles, et l'industrie de l'dition,
qui exploite et ventuellement inflchit ces attentes par le jeu des
collections .
1. Sur ces problmes, voir les tudes de Hans Robert Jauss, dans la perspective des-
904
que d'autres facteurs, la canonisation d'un genre, voir Luc Boltanski, " La constitution
du champ de la bande dessine , Actes de la recherche en sciences sociales, janvier 1975, n 1.
3. Michel de Certeau, c L'opration historique , in Faire de l'histoire, sous la direction
de J. Le Goff et P. Nora, Gallimard, 1974, t I, p. 3-41.
4. Charles Caboche, Les Mmoires et l'histoire en France, Paris, Charpentier, 1863,
2 volumes. Le premier volume comprend une Introduction (p. 1-101) qui labore une
thorie du genre.
905
tique, ou des types du ct thorique), faire comme s'il existait un lieu intemporel d'o la connaissance absolue serait possible,
et comme si l'histoire tait un phnomne de surface se droulant
sur un fond permanent. Ce sera donc pour moi occasion de rflchir
ce que. devrait tre l'histoire littraire, entendue au sens strict,
c'est--dire l'tude de l'volution de la littrature en tant que systme 5.
Le but de cette tude est donc double : montrer comment fonctionne le genre comme institution, en analysant les prsupposs de
la" littrature critique; et rflchir aux voies qui s'ouvrent une
nouvelle histoire littraire.
l'histoire littraire , une telle tude doit fatalement s'y intgrer, dans la mesure o il
n'est nullement indiffrent de connatre l'volution d'un des lments du code de commu-
nication entre auteurs et lecteurs. De plus, les problmes mthodologiques d'une ventuelle
e smantique historique, qui n'existe gure actuellement, sont parallles ceux de la
nouvelle histoire littraire dont Tynianov a pos les principes.
906
est purement historique et dat. Ce qui reviendrait, dans la terminologie de J. Tynianov, confondre forme et fonction 7.
L'attitude anachronique est acceptable quand on se situe dans le
registre de l'interprtation : notre dialogue avec le pass ne serait
gure possible sans le fourmillement de distorsions qu'occasionne
l'cart entre le code d'mission et le code de rception. Aussi arrivet-il bien souvent que les oeuvres changent de genre en traversant, au cours de l'histoire, des systmes d'attente diffrents : un
trait secondaire de l'oeuvre se voit attribuer la fonction dominante.
Dans le cas de l'autobiographie, l'erreur est d'autant plus tentante
que, dans notre systme, l'emploi du discours la premire personne
assorti du pacte autobiographique a pour fonction de crer l'illusion
d'une communication de personne personne. Du seul fait qu'il
s'adresse directement aux lecteurs, et que nous sommes maintenant
ses lecteurs, l'autobiographie d'il y a deux sicles peut nous donner
l'impression d'abolir le temps. Dans la mesure o il mettait dans
un code qui n'tait pas trop diffrent du ntre, l'erreur n'est pas
grave. Cette transformation de la lecture doit elle-mme faire l'objet
d'une tude historique : mais elle ne saurait lui servir de fondement.
La chose est particulirement vidente quand on envisage des
civilisations trs loignes de la ntre, comme celles de l'antiquit
ou du Moyen Age. C'est la principale objection qu'on peut faire
la monumentale tentative de Georg Misch, quel que soit l'intrt
de son enqute 8. Dcider que l'autobiographie (trs vaguement dfinie comme le fait de raconter sa vie) est une vocation essentielle
et profonde de l'humanit, une de ses plus nobles tches, et suivre
l'veil progressif de la conscience humaine depuis les biographies
des pharaons jusqu' J.-J. Rousseau, c'est l une tentative idologique et mythologique sans grande pertinence historique, mme si
elle est amene fatalement croiser nombre de problmes historiques rels. Est-il lgitime d'tudier l'autobiographie au Moyen
Age, et de regrouper de la sorte des textes sans rapports entre eux
l'poque, comme la Vie de Guibert de Nogent, qui s'inscrit dans
la tradition augustinienne des confessions, et l' Histoire de mes malheurs d'Ablard, qui est un cas extraordinaire, mais atypique ? Dans
ses analyses sur la potique mdivale, Paul Zumthor a montr
qu'aucune des conditions de l'autobiographie la moderne n'existait alors (absence de la notion d'auteur ; absence d'emploi littraire
7. J. Tynianov,
" De
1965, p. 120-137.
8. G. Misch, A History of Autobiography in Antiquity, Londres, 1950, 2 vol. (traduction du dbut de Geschichte der Autobiographie, Frankfurt, 1949-1969, 8 volumes). G. Misch
dclare qu'en crivant cette histoire, il a voulu raliser le projet conu vers 1790 par Herder
et Goethe : rassembler un corpus de tous les textes autobiographiques crits dans tous les
temps et tous les pays, pour montrer la progressive libration de la personne humaine. La
critique universitaire et l'histoire littraire se prsentent clairement ici comme participant
( retardement) au travail que fait la littrature pour s'inventer un pass et une tradition.
907
et
"
yUO
909
1960, p. 160-161
910
911
La fonction normative
Le genre repose sur des prsupposs de permanence et d'autonomie. Il implique donc la croyance en une espce d'identit, qui
ne peut tre produite que par des sries de distinctions et de prceptes, destins la fois isoler le genre des autres productions,
et hirarchiser et centrer l domaine ainsi enclos. Tout public a
tendance classer ce qu'il reoit, et le recevoir travers le classement de tout ce qu'il a reu avant. Ce travail de classement, de
normalisation se fait d'abord de manire empirique : Hans Robert
Jauss a propos pour le dsigner l'expression d' horizon d'attente ,
horizon sur le fond duquel toute nouvelle production apparat, soit
pour rpondre fidlement l'attente, soit pour la dcevoir ou lui
imposer de se transformer 21. L'expression d' horizon est excellente : son brumeux lointain reprsente la manire dont toutes les
expriences antrieures de lecture tendent se fondre en une sorte
de paysage-type ; et le propre de l'horizon, on le sait, est d'tre un
phnomne relatif de perspective qui change lorsque l'observateur
se dplace (ici, dans le temps). Loin de mener une typologie idaliste, le concept d'horizon d'attente donne un bon instrument pour
penser l'volution historique, je le montrerai tout l'heure. Cet ho20. William L. Howarth note seulement que dans le dernier des trois types d'autobiographies qu'il distingue (l'autobiographie potique ou problmatique), tous les auteurs sont
modernes ; et il note aussi que beaucoup sont amricains. Ce serait le lieu de signaler un
autre type de comportement de la critique de genre, lie sa participation l'institution :
le. chauvinisme. Il est bien connu que l'autobiographie est un genre britannique (passim) ;
que les Franais sont trs dous pour l'autobiographie (L'autobiographie en France, A. Colin,
1971, p. 5) ; et que l'autobiographie est un genre spcialement amricain (Sayre, The Examined Self, Princeton University Press, 1964, p. 38-42 ; James M. Cox, Autobiography and
America , in Aspects of Narrative, ed. J. Miller, Columbia University Press, 1971, p. 143-172 ;
etc.) ; c'est srement aussi un genre trs allemand et typiquement russe. Il y a sans aucun
doute des spcificits nationales, que les critiques interprtent trop vite en termes de prminence ou d'exclusivit, la fois par fiert nationale, et par relative ignorance des autres
littratures.
21. Voir ci-dessus note 1.
912
913
France, p. 13.
Ann.).
LXXV.
58
914
ractristiques sont spcifies en qualits et par restrictions successives, c'est une esthtique particulire du genre qui est impose,
autour de trois adjectifs : les mmoires doivent tre personnels ,
particuliers et simples ) 26. Cette attitude ne doit pas tre mprise comme illusoire, car elle est instructive sur les horizons
d'attente du genre, et elle peut comporter souvent un effort d
description qui, dans un autre contexte mthodologique, pourra tre
continu de manire fconde. Elle doit seulement tre matrise et
dpasse.
C'est de cette manire que j'ai procd dans L'Autobiographie en
France : je dsirais donner une dfinition de l' autobiographie, et
constituer un corpus cohrent. En face d'un domaine aussi flou
et multiforme, il tait tentant de dcider qu'un certain type de rcit
tait conforme l'essence du genre. J'ai suivi sur ce point la voie
indique par Roy Pascal dans son ouvrage fondamental Design and
Truth in Autobiography 27, identifiant l'autobiographie avec un type
particulier d'autobiographie, celle o l'individu met l'accent sur la
gense de sa personnalit. Une fois dcid le choix du modle, on
constitue le corpus par un systme d'exclusions : on jugera soit
comme des checs ou des cas aberrants, soit comme des lments
extrieurs au corpus, tout ce qui n'est pas conforme au modle. Le
genre devient une sorte de club dont le critique s'institue gardien, slectionnant coups d'exclusions une race relativement
pure. Si les critres sont trop prcis, on risque de schmatiser les
horizons d'attente , d tre aveugle aux phnomnes voisins et
l'volution historique.
Le rpertoire que j'avais constitu d'aprs ces critres souffre aussi
d'une distorsion d'un genre diffrent. Parmi les critres de slection,
il en est un qui joue l'insu mme du collectionneur : c'est ce
qu' Escarpit appelle la premire loi de Lehman 28, loi dont l'nonc est le suivant : Dans la vision historique qu'un groupe humain
a de la littrature, le rsidu de la production contemporaine tend
tre gal en importance au rsidu du pass . Il est certes probable
que ce dfaut est ici attnu par l'existence d'une relle augmentation, au long des deux sicles, du nombre d' autobiographies
publies chaque anne. Mais une telle tude quantitative ne pourrait se faire qu' partir de relevs systmatiques, et non partir
d'un parcours o les oeuvres sont slectionnes en fonction des
normes du genre et du tri de valeur auquel toute production
passe se trouve soumise.
La fonction normative peut s'exercer sournoisement travers l'illusion d'une dfinition objective : elle peut aussi s'avouer franche26. Ibid., p. 10 24.
27 Roy Pascal, Design and Truth in Autobiography, Cambridge, Harvard University Press,
1960, chapitre I, c What is an Autobiography .
28. Robert Escarpit, Le Littraire et le social, Flammarion, 1970, p. 151.
915
ment dans des tentatives faites pour tablir un art de L'autobiographie , que ce soit sur un plan pragmatique ou sur un plan thorique.
Richard G. Lillard a dress une liste amusante des qualits
cultiver et des dfauts viter, dans la perspective trs pdagogique de conseils, adresss aux candidats l'autobiographie 29.
Ceux-ci n'ont bien souvent aucune exprience de la Composition littraire, et croient navement que leur comptence sur le sujet
suffira. Do it yourself : Lillard leur donne des conseils qu'il appuie sur l'analyse des copies remises par les promotions prcdentes,
comme dans les rapports publis par les jurys de concours. Ces conseils sont donns en fonction d'un modle moyen du rcit autobiographique, et soulignent les exigences minimum de pertinence et de
cohrence ncessaires pour assurer la communication avec le lecteur.
Sur le plan de la thorie esthtique, B. J. Mandel a plus ambitieusement essay de dfinir dans l'absolu un art de l'autobiographie 30 Le prmcipe retenu est apparemment souple et libral :
c'est l'adaptation des moyens aux fins vises par l'autobiographe.
Mais , comme les fins peuvent tre multiples et sont difficiles tablir,
comme la gamm des moyens est galement fort vaste, comme l'exigence de l'unit et de pertinence est en ralit arbitraire, le rsultat
obtenu par B. J. Mandel est trs incertain et traduit en termes absolus des choix esthtiques particuliers. Par exemple, en fonction de
ces critres, l'autobiographie de Stendhal est juge comme un chec
cause de son dsordre. C'est un jugement de valeur possible; D'autres sont galement possibles. Tous sont intressants comme documents verser au dossier de l'histoire, mais aucun ne saurait servir
de fondement pour crire l'histoire.
Dans un article rcent d New Literary History, Francis Hart a
procd une analyse systmatique de cette conduite normative et
ds excessives simplifications qu'elle entrane 31. J'en rsumerai les
grands traits : Hart commence par mettre en vidence la rigidit et
l'arbitraire des choix que les critiques (G. Gusdorf et R. BascaL, d'un
ct, W. Shumaker et B. J. Mandel, de l'autre) font sur les trois pro29. Richard G. Lillard, American Life in Autobiography, a descriptive guide, Stanford
University Press, 1956, p. 6-13. Pour l'auteur, les dix pchs capitaux de l'autobiographie
seraient : criture strotype.; abus des anecdotes ; reconstruction dtaille (et-invraisem.
de tranches de journal intime non digres ;
blable) de scnes et de dialogues ; insertion
catalogue d'anctres et de parents au dbut du livre; rcits de voyages trop dtaills; souvenirs de jeunesse sans pertinence ; numration de noms propres; rcits trop rapides;
camouflage de la vrit. Et les six vertus cardinales seraient : tristesse, reconnaissance de
ses erreurs et de ses checs ; communication affective avec le lecteur ds le dbut ; dtails
originaux et caractristiques de l'poque ou de la personnalit; point, de vue cohrent, au
service d'un .regard neuf; cadre de rfrence personnel. dans l'histoire; impression de. progression ou de changement. Chaque article est illustr d'exemples.
The Autobiographer's Art, The Journal of Aesthetics and
30. Barrett John Mandel,
Art Criticism, XXVI , 1968-1969, p. 215-226.
31. Francis R. Hart, Notes for an Anatomy of Modem Autobiography, New Literary
History, I, Spring, 1970, p. 485-511.
"
916
blmes de la vrit , de la technique, et des intentions autobiographiques. Puis il procde un peu comme le fit Maupassant lorsque,
dans sa prface de Pierre et Jean, il runit une liste impressionnante
de romans europens pour montrer qu'il est arbitraire de donner
une esthtique particulire comme la loi du genre. F. Hart a choisi
une quarantaine de textes autobiographiques modernes depuis Rousseau pour montrer sur chacun des points la grande varit des solutions et des attitudes adoptes par les autobiographes. Son tude,
qui se prsente comme une anatomie , est fonde sur une mthode dissociative qui est excellente (distinguer des problmes trop
souvent confondus, dissocier les facteurs et les catgories), dont on
peut seulement regretter qu'elle ne soit applique qu' des autobiographies (illusion rgionaliste du corpus clos). Elle met en vidence
qu'il n'existe srement pas un modle unique d'autobiographie :
la limite, elle tendrait plutt suggrer que chaque autobiographie
a son propre type, fond sur une combinaison originale de solutions
aux problmes communs toutes. En effet, cette multiplicit interne
est gage sur une unit globale du champ qui est accepte par Hart
comme une donne et n'est jamais mise en question. Le problme
des limites, des frontires, des rapports et des oppositions avec le
reste du systme des genres n'apparat gure. Tout se passe comme
si Hart n'tait pas all jusqu'au bout de sa mthode dissociative, et
comme si l'on ne pouvait dmystifier l'illusion lie la critique de
genre sur un point, qu'en y cdant sur un autre, partir du moment
o l'on a accept de se situer soi-mme dans le cadre du genre.
Les difficults qu'il y a s'arracher une typologie simplificatrice
sont bien illustres par un article de William L. Howard, paru en
1974, dans la mme revue 32. Continuant les recherches de Hart,
Howarth a cherch voir comment les lments ainsi dissocis pourraient tre rassocis, en supposant que les traits distinctifs devaient
malgr tout se regrouper de manire rgulire en types secondaires.
Ces regroupements l'amnent identifier trois types d'autobiographies : oratoire (sous le patronage de St Augustin), dramatique (sous
celui de Cellini), potique ou problmatique (sous celui de Rousseau). Ces termes renvoient aux analyses de Frye, dont Howarth
s'inspire largement. La dmonstration est brillante, mais parfois arbitraire force de cohrence : elle rintroduit, il est vrai en la
dmultipliant, et, donc, en la relativisant, l'attitude normative et
archtypale. La souplesse dissociative se trouve Compense par une
volont de classement tout prix. Toutes les oeuvres entrent-elles
dans ces catgories ? Une oeuvre ne peut-elle pas appartenir plusieurs catgories la fois ? Ne pourrait-il pas exister une quatrime
catgorie ? Et les catgories ne pourraient-elles pas tre rparties
32. William L. Howarth, Some principles of Autobiography , New Literary History,
V, n 2, Winter 1974, p. 363-381.
917
Le domaine de la thorie
La critique de genre a pour fonction de consolider le genre tudi
en tablissant sa permanence et son autonomie, et en rationalisant
son systme normatif. Je n'ai parl jusqu'ici que des tentatives rgionalistes faites au niveau de genres particuliers. Mais il est clair
que cette participation active au systme des genres peut se situer
aussi un niveau plus lev, au niveau de l'ensemble du systme
des genres. A. Thibaudet disait : Une thorie des genres doit rester
la plus haute ambition de la grande critique 33. Cette ambition
sembLe rester encore celle des critiques. La tentative la plus impressionnante qui ait t faite en ce sens est l' Anatomie de la critique
de Northrop Frye 34. L'objection que j'ai faite au rgionalisme
tombe dans ce cas, mais c'est pour tre remplace par des objections plus graves encore, dans la mesure ou de telles tentatives
aboutissent refuser de penser l' hisotoire , et enfoncent celui qui s'y
livr dans une impasse thorique. A la base de ces tentatives se
trouve une erreur sur le domaine dans lequel peut s'exercer la
rflexion thorique.
laborer une thorie des genres , c'est essayer de faire une
synthse dans L'absolu en se servant de concepts qui n'ont de sens
que dans le champ historique : On ne saurait aboutir ainsi qu' des
constructions ingnieuses, un syncrtisme compliqu fond sur
l'anachronisme. Les genres sont des phnomnes historiques complexes qui n'existent que dans le systme. S'appuyer sur Aristote
pour construire une thorie des genres , c'est faire le postulat de
l'existence d'une structure immanente la littrature, et faire de
l'histoire un simple phnomne de surface, qui se rduirait des
variations ou des combinaisons partir d'archtypes fondamentaux
qui, eux, ne changeraient pas. Cet idalisme anti-historique projette
33. Cit par J. Pommier, " L'ide de genre ", Publications de l'cole Normale Suprieure,
Section des Lettres, II, 1945, p. 77.
34. Northrop Frye, Anatomy
1957 (traduit en
918
dans le ciel des ides des types dont les genres historiques
seraient des incarnations. Pour saisir l'erreur de mthode, on peut
rapprocher le problme de celui qui se pose en linguistique. Etablir
une thorie des genres (qui n'est pas en ralit une thorie, mais
un systme classificatoire), c'est un peu comme si on essayait partir
des langues historiques de recrer une langue universelle immanente, dont elles seraient les incarnations varies, et qui ne saurait
tre en ralit qu'une sorte d'espranto, de langue synthtique artificielle (o l'on reconnatrait d'ailleurs la prdominance de la langue
de l'inventeur). Que dirait-on d'un smanticien qui essaierait de
construire un vocabulaire universel , au lieu d'essayer d'tablir
les lois de fonctionnement des systmes smantiques ? Qui s'attacherait des contenus, au lieu d'tudier des oprations ?
T. Todorov a critiqu la pratique de N. Frye et son arbitraire,
en montrant qu'elle n'tait gure en accord avec les principes de
mthode, pour la plupart intressants, qu'il avait poss au dbut
de son ouvrage 35. Mais il n'est pas sr que certaines approches
potiques ne reposent pas, sur ce point, sur des postulats idalistes et platoniciens quivalents ceux de N. Frye. Dans une perspective historique, c'est la catgorie des types qui devrait tre
mise en question. A la suite d'autres auteurs, T. Todorov propose
de distinguer les genres historiques des genres thoriques ,
qu'il suggre d'appeler types pour viter la confusion. Mais si
la confusion existe, ce n'est pas la faute du vocabulaire, qui n'en
est que le signe, et changer le mot ne change rien la chose : le
type n'en reste pas moins une projection idalise du genre, un
fantasme scurisant analogue ceux qui servent de fondement
L'institution des genres telle que nous la vivons tous dans la pratique, en supposant que les oppositions de fait sont la consquence
d'oppositions d'essence. La distribution entre genres thoriques et
genres historiques fait penser la distinction de l'me et du corps,
qu'on est bien en peine de faire communiquer une fois qu'on les a
spars. La jonction est difficile : il faut alors rediviser les genres
thoriques en genres lmentaires et en genres complexes ,
et supposer que les genres historiques forment une partie des genres thoriques complexes 36. Ces distinctions semblent avoir surtout
pour fonction de sauver la catgorie idaliste du type, mise en question par l'vidence de la variabilit et de la complexit historique.
En effet, au niveau de la thorie, on ne voit pas pourquoi il faudrait supposer des catgories fondamentales dont le systme d'opposition reflterait, en plus simple, le systme d'oppositions qui
constitue les genres rels ; ni pourquoi ces systmes devraient avoir
des formes hirarchises fixes, descendant par degrs et divisions
et
919
920
921
l'
922
17, p. 14-26.
923
H.R. Jauss 42 remarquait qu'une thorie des genres portait toujours la marque du terrain sur lequel elle tait ne. Mes propres
thories ou celles d'E. Bruss sur le pacte ou l'acte autobiographique
ont naturellement tendance surestimer le problme du contrat
de lecture , pour moi, et de l'acte illocutoire pour E. Bruss, et
placer en seconde position les autres aspects du texte, parce qu'ils
n'ont pas ici une fonction dominante. Mais l'autobiographie ne saurait tre vraiment tudie si l'analyse dissociative ne s'attaque en
mme temps au problme des formes du rcit, et celui des
contenus 43.
Les exemples contrasts de N. Frye et d'E. Bruss montrent clairement quel est le lieu vritable de la recherche thorique : non
41. Voir John R. Searle, Les Actes de langage, Hermann, collection Savoir; 1972, chapitre III, Structure des actes illocutionnaires .
42. H.B. Jauss, Littrature mdivale et thorie des genres, Potique, 1970, n 1, p. 79.
43. Pour l'analyse du rcit, le " Discours du rcit de G. Genette (in Figures III, Seuil,
1972) fournit un bon instrument de travail, qui peut tre complt, pour les questions temporelles, par Le Temps de H. Weinrich, Seuil, 1973.
Pour l'analyse de contenus, un exemple a t fourni par M.J. Chombart de Lauwe dans
son tude sur l'image mythique de l'enfant, Un Monde autre, l'enfance, Payot, 1971. L'auteur
tudie ce mythe en classant le contenu des rcits d'enfance produits depuis un sicle. Elle
traite de la mme manire autobiographies et romans qui, selon elle, ne prsentent pas de
diffrences notables au point de vue o elle les envisage.
924
point une typologie syncrtique, mais une analyse dissociant systmatiquement les facteurs et se donnant pour but d'tablir des
lois de fonctionnement. Cette mthode analytique, destine permettre de penser la Httrature comme systme dans son volution
historique, a t jusqu'ici dfinie plus qu'applique : la voie a t
ouverte par Tynianov, et il semble que pour progresser, ses propositions doivent tre retravailles dans diverses directions ; recours
des modles Linguistiques nouveaux (actes fllocutoires, thories de
la communication) ; largissements de perspectives comme celui qu'a
apport H.R. Jauss avec la notion d'horizon d'attente ; extension de
la rflexion d'autres arts que la littrature, le problme des genres,
des horizons d'attente et de la variabilit se posant aussi, mme si
c'est dans des termes quelque peu diffrents, en peinture et en
musique. Cette mthode conduira non l'laboration htive de synthses, mais au contraire de minutieuses et analytiques tudes :
celles-ci pourront utiliser avec profit le travail empirique et les observations accumules par l'histoire littraire traditionnelle, pour
tablir peu peu des modles de fonctionnement de la littrature
comme systme.
Projets de recherche
J'ai voulu montrer ici quelles tentations se trouve expose la
critique de genre, combien ces tentations taient elles-mmes rvlatrices du genre comme institution, et comment on devait procder
pour mener une rflexion plus rellement historique. Il s'agissait
pour moi de faire le point, avant d'entamer de nouvelles recherches.
Les deux projets que j'envisage reposent sur une commune mthode : d'une part, partir non point des textes littraires ou de leur
criture, mais de leur rception ; d'autre part, ne pas prendre pour
point de dpart un genre isol, mais un domaine beaucoup plus
large et dont les limites pourront tre remises en question au cours
de la recherche. Ils supposent tous deux une collecte d'informations
aussi vaste que possible, pour ne pas trop prjuger des objets tudis : mais ils devraient aboutir, au-del d'un simple inventaire,
une contribution prcise l'tude thorique du fonctionnement des
genres telle que je l'ai prsente ici.
Le premier projet consisterait tudier la constitution de la littrature personnelle en France au XIX e sicle. Cela implique une
redistribution partielle de la gographie littraire, par rapport au
dcoupage adopt par les bibliographies traditionnelles qui suivent
soit des contours d'coles ou de priodes, soit des divisions classiques par genres (roman, posie, thtre, histoire, critique, etc.). Mais
cette redistribution ne doit pas s'effectuer en adoptant une schmatisation rtrospective faite selon nos catgories actuelles, ni en additionnant des monographies de genres particuliers, comme c'est le
cas actuellement o le champ n'est recoup que par des tudes
925
spcialises sur le roman personnel, le journal intime et l'autobiographie 44. Le champ devra tre dlimit partir de concepts emprunts l'poque tudie. C'est pourquoi j'ai choisi le terme de
littrature personnelle, d'aprs l'article-pamphlet de F. Brunetire, La littrature personnelle (1888), point d'aboutissement
d'une polmique qui s'est dveloppe depuis les annes 1850, et qui
se poursuivra, il est vrai sous des formes diffrentes, jusqu' nos
jours 45.
L'tude devrait partir du discours critique sur les oeuvres, tel
qu'il se dveloppe dans les journaux et les revues, c'est--dire dans
la critique d'accueil. Elle analyserait le contenu des discours sur la
littrature personnelle et toutes les attitudes de lecture autobiographique . Ce serait l raliser le programme dfini par H.R. Jauss
pour suivre l'histoire des genres : tudier le processus temporel
de l'tablissement et de la modification continue d'un horizon d'attente 46, mais en L'tendant, au-del d'un genre, tout un secteurde la littrature qui se trouverait ainsi redessin. On pourrait ainsi
regrouper les textes qui ont t lus dans une mme perspective
(principalement romans, autobiographies, journaux mtimes, correspondances, mmoires), et neutraliser l'effet de la premire loi de
Lehman en reconstituant le corpus des textes qui ont t rellement lus et comments l'poque .
Valry disait dj que c'tait non l'auteur, mais le lecteur, dont
la formation et les fluctuations constitueraient le vrai sujet de l'histoire de la littrature 47. Cette lecture ne peut naturellement s'observer qu' indirectement, dans le discours critiqu, avec les attentes
qu'il manifeste, les classements qu'il utilise et les jugements de valeur qu'il met. Les lectures critiques n'ont t tudies jusqu'ici
qu'au moyen de coupes diachroniques partielles qui mettaient surtout en lumire les changements d'interprtation des oeuvres d
pass : soit la transformation de la lecture d'un texte ou d'un auteur
travers le temps 48, soit les lectures de diffrentes oeuvres du pass
faites par un critique un moment donn 49. Ce qui est propos ici
44. Sur le journal intime, Alain Girard, Le Journal intime, P.U.F., 1963 ; sur l'auto-
biographie, mon tude L'Autobiographie en France, A. Colin, 1971; sur le roman personnel
franais, aucune tude d'ensemble n'a paru depuis les livres dj anciens d Joachim Merlant.
Le Roman personnel de Rousseau Fromentin, Hachette, 1905; et de Jean Hytier, Les
Romans de l'individu, Les Arts et le Livre, 1928. Sur d'autres domaines comme les Mmoires,
ou la correspondance, au XIXe sicle, il n'existe aucune tude d'ensemble.
45. Ferdinand Brunetire, et La Littrature personnelle (1888), in Questions de critique,
Calmann-Lvy, 1897, p. .211-252;
46. H.R. Jauss, Littrature mdivale et thorie des genres , Potique, 1970, n 1, p. 79.
47. Paul Valry, Cahiers, Gallimard, Bibliothque de la Pliade, tome II, 1974, p. 1167.
48. C'est l'objet, par exemple, de la srie Lectures publie par Armand Golin dans
la collection U2. Deux ouvrages rcents inventorient les lectures qui ont t faites de
Rousseau .: Raymond Trousson, Rousseau et sa fortune littraire, Bordeaux, Ducros, 1971, et
Jean Roussel, Jean-Jacques Rousseau en France aprs la Rvolution, A. Colin, 1973.
49. Par exemple Roger Fayolle, Sainte-Beuve et le dix-huitime sicle, A. Colin, 1972.
926
927
vanche ils s'clairent si l'on analyse les traits distinctifs et que l'on
voit qu'ils sont hirarchiss en fonction de dominantes variables.
Le pacte autobiographique, qui a servi d'indice pour choisir les
textes, ne devra pas tre lui-mme envisag comme un bloc, ce qui
serait revenu l'ulusion, mais dissoci en ses diffrentes composantes (identit, ressemblance), et articul la faveur de ces dissociations avec, d'un ct, les formes du pacte rfrentiel et, de
l'autre, avec celles du pacte romanesque. Le pacte autobiographique
n'a pas la mme fonction dans tous les textes : dans certains cas,
il se trouve en position dominante, et c'est autour de lui que le
texte se constitue; dans d'autres cas, il correspond une spcification secondaire par rapport une attente diffrente (attente d'information sur un sujet, par exemple). D'autre part, la dissociation
de l'identit et de la ressemblance produit des formes intermdiaires
ou mixtes de pacte, pactes fantasmatiques ou indirects, volontiers
pratiqus par les auteurs, encourags par les diteurs (parce qu'ils
combinent deux motivations de lecture) et accueillis avec faveur
par la critique qui y trouve la justification d'un de ses topos
prfrs 50.
L'analyse du pacte doit aussi prendre en considration une srie
d'autres facteurs lis au contexte de production et de publication
des textes :
la notorit (ou l'absence de notorit) antrieure de l'auteur, et
le domaine dans laquelle elle se situe : l'attente et le mode de
lecture en dpendent ;
le mode de production du texte publi, problme qui se pose
depuis quelques annes avec le dveloppement intensif de l'autobiographie orale , qui a pu modifier les conditions de communication et les formes du texte 51 ;
50. Pour cerner ce topos , j'ai procd l'analyse d'un corpus critique assez rduit
(six numros du Monde des Livres, du 16 aot au 27 septembre 1973, au moment de la
928
le style serait comparer celui de La Promesse de l'aube, 1960) ; sur le plan technique,
mettre en vidence la prsence de la demande du public sous la forme du questionnaire qui
d'implicite devient explicite, par le truchement de l'interlocuteur.
52. Grce la " collection , l'diteur s'assure un public d'acheteurs-lecteurs, auxquels
il garantit la conformit du produit un certain " cahier des charges., et dont il exploite
ou suscite les attitudes de lecture. La collection incite d'autre part les auteurs rpondre
des formes de demande traditionnelle ou nouvelle. La production autobiographique actuelle
ne saurait tre tudie en dehors de ces contrats collectifs, qui touchent d'ailleurs des publics
diffrents : les mmoires politiques ou militaires dans les collections de Plon, de Fayard,
et d'autres diteurs ; les collections de tmoignages (" Tmoins , chez Gallimard ; Tmoigner , chez Stock ; Tmoignages , chez Marne, etc.) ; la mythologie du " Vcu , en
particulier chez Laffont ; les confessions ou professions de foi suscites en sries ( Ide fixe ,
chez Julliard ; Ce que je crois , chez Grasset) ; les autobiographies au magntophone de
journalistes (Les grands journalistes, chez Stock) ou d'hommes politiques, etc.
929
dvelopp. Pos ainsi, le problme ne peut recevoir que des rponses, sommaires, qui reflteront surtout Les dbats et les oppositions
idologiques actuels.
Sur un point, tout le monde est peu prs d'accord : il existe
une corrlation entre le dveloppement de l littrature autobiographique et la monte d'une nouvelle classe dominante, la bourgeoisie, d la mme manire que le genre Httraire des mmoires a t
intimement li l'volution du systme fodal. A travers la littrature autobiographique se manifestent la conception de la personne
et l'individualisme propres nos socits : on ne trouverait rien
de semblable ni dans les socits anciennes, ni dans les socits dites
primitives , ni mme dans d'autres socits contemporaines des
ntres, comme la socit chinoise communiste, o l'on cherche justement viter que l'individu n'envisage sa vie personnelle comme
une proprit prive susceptible de devenir valeur d'change.
Une fois cette corrlation sommaire tablie, commencent les dbats idologiques et les incertitudes de mthode.; La plupart des
critiques qui se consacrent aux genres autobiographiques participent
l'idologie de notre socit et adoptent une attitude favorable au
phnomne autobiographique, auquel ils peuvent prendre un intrt
personnel. C'est le cas de G. Misch, qui cherche tracer les origines
lointaines de cette closion de la personne humaine, ou le mien
lorsque je dclare, en prenant une distance admirative, que l'autobiographie est l'un des aspects les plus fascinants d'un des grands
mythes de la civilisation occidentale moderne, le mythe du MOI 53.
En sens inverse peuvent venir les condamnations de critiques marxistes qui, se situant dj au-del des bornes de cette civilisation,
ne sont plus sensibles aux chants des sirnes individualistes, ni au
charme discret de la.littrature : La biographie et l' autobiographie
sont en effet dans l'idologie bourgeoise des formes gnrales de la
rprsentation, constituant l'image de L'homme couple avec celle
de la socit , constate Rene Balibar dans son tude sur Les modles scolaires du rcit d'enfance 54. Les attitudes de glorification
ou de rejet renseignent plus sur la position de leurs auteurs que sur
le phnomne tudi.
Reste savoir comment une tude historique pourrait envisager
cette corrlation. Ne risque-t-on pas d'aboutir des vues simplifies,
ou mme simplistes, en cherchant tablir des relations directes
entre l'autobiographie , prise comme un tout, et la bourgeoisie ,
conue comme un tre cohrent et stable? Bien videmment la
bourgeoisie ne s'est trouve dans la mme situation, ni dans les diffrents pays; ni aux diffrentes phases de son dveloppement; son
idologie a volu et renferme de nombreuses contradictions. D'au53; L'Autobiographie en France, A. Colin, 1971, p. 105.
54. Rene Balibar, Les Franais. fictifs, Hachette, 1974,. p. 178.
REVUE D'HISTOIRE LITTRAIRE
DE
LA FRANCE (75
Ann.).
LXXV.
59.
930
DISCUSSION
M. GUSDORF
Je voudrais d'abord fliciter M. Lejeune qui m'a bloui et fait entrer dans
un univers o le malheureux provincial que je suis n'a gure accs. J'avais lu
son petit livre, comme tout le monde, un petit livre bien fait, et je m'aperois
qu'il a dj dpass les positions de ce petit livre, en sorte que pour parler
de l' autobiographie il a fait une autobiographie de l'autobiographie, performance que je trouve tout fait remarquable.
Une autre performance consiste faire un expos sur l'autobiographie o
jamais l'on n'a senti vivre quelqu'un ! On n'a jamais senti que l'autobiographie
c'tait un homme qui mettait sa vie en cause, qui parlait de sa vie, parce
que c'est tout de mme le point de dpart. Nous avons vu uniquement des
genres qui fonctionnaient. J'ai relev des formules comme : Rousseau a trouv
tout prt l'instrument dont il s'est servi ; il y avait un instrument qui tranait
par terre, Rousseau l'a ramass ; voil pourquoi votre fille est muette ! et l'expression le genre qui fonctionne revenait souvent. Il faut voir comment le
genre fonctionne.
Devant cette algbre, cette axiomatique de l'autobiographie, je me suis dit que
l'on n'tait pas pour rien dans la vieille Sorbonne o la querelle des Universaux
avait dj oppos pas mal de gens, se demandant de quoi ils parlaient. Je me
demande si ce n'est pas de cela qu'il est question. Nous sommes dans un monde
intelligible : o l'on essaie d'tablir des relations ncessaires entre des phnomnes qui, pourtant, me paraissent des phnomnes humains trs contingents;
est-ce que nous n'ayons pas ici affaire une revanche du professeur de littrature ? la littrature est morte, on l'a trangle, et l'ambition du professeur
c'est de dissquer les cadavres de tous ces genres qui se sont permis de dire
quelque chose et de vivre ; moyennant quoi, lorsque l'on aura fait une analyse
chimique, on aura des formules que l'on crira au tableau et vous pourrez
mettre cela dans l'ordinateur qui vous construira 663 000 autobiographies
l'heure. Ensuite il faudra les lire, mais ce ne sera plus ncessaire.
Nous sommes l'poque alexandrine ; ce sont les savants d'Alexandrie qui ont
construit la littrature classique, les philologues qui l'ont invente en la mettant sur des rayons, en y mettant des squelettes ; c'est ce que l'on est en
train de faire, mais il ne faut tout de mme pas commettre des erreurs comme
celle de dire : au Moyen Age il n'y a pas d'individualit, donc il n'y a pas
d'autobiographie. Ici mme, est-ce que l'on ne peut pas dire qu'Ablard tait
une individualit ? Qui peut se permettre de dire qu'il n'y avait pas d'individualit au Moyen Age ? Ce n'est pas vrai. De mme quand on nous dit : il
n'y a pas d'histoire de l'autobiographie; mais enfin, il y a celle d'un savant
allemand qui tait un historien de premier plan, G. Misch, lve du grand
Dilthey. En 1904, l'Acadmie de Berlin a mis au concours le sujet : " l' autobiographie et Misch a commenc travailler sur ce sujet; il a fait une dis:
932
M. GUSDORF
Ce n'est pas la psychologie qui produit les textes, elle est avant le texte...
M. LEJEUNE
ralisables.
Aux critiques que vous me faites propos d'Ablard et de Georg Misch, je
rpondrai brivement. Pour Ablard, je m'appuie sur une tude d'Evelyn Vitz
qui va paratre prochainement ; elle montre que le texte d'Ablard s'inscrit non
933
934
Dans la gnration nouvelle aujourd'hui, il est vident qu'il y a une hypertrophie de la rflexion pure qui se veut scientifique, qui l'est peut-tre bien,
mais la discussion sur ce point nous entranerait trop loin. M. Lejeune a donn
des conseils aux gens qui veulent s'occuper d'tudier l'autobiographie et dans
ce sens son expos a t trs fortement a normatif . Je voudrais donc considrer
un peu les conseils qu'il a donns.
Ce sont d'abord des conseils de prudence et des mises en garde contre des
prjugs ou des ides prconues en faveur de modles ou de dfinitions pralables. Je crois que M. Lejeune a raison en principe ; mais enfin il est impossible de commencer travailler sans une dfinition pralable ; le seul fait que
l'on parle d'autobiographie prouve que l'on a dans l'esprit quelque chose qui
se dfinit par un certain nombre de traits poss d'avance, quitte corriger
ensuite cette dfinition par l'tude de la matire ; je ne crois pas que M.
Lejeune serait en dsaccord avec moi l-dessus, il a simplement dit qu'il fallait
faire attention et ne pas concevoir d'ide prconue trop rigide de sorte qu'ensuite tout le travail puisse en tre altr. Mais j'ai trouv qu'il y avait un
contraste extraordinaire entre le dbut de son expos et la fin qui propose un
programme d'ides prconues considrablement plus crasantes que celles qu'il
avait critiques dans la premire partie de son expos. S'imaginer que l'on va
pouvoir, dans un dlai prvisible, exposer les lois de fonctionnement d'un genre
littraire ou de la littrature tout entire, cela me parat la chimre la plus
extraordinaire. Toute gnration a ses chimres ; nous devons les respecter
puisque en gnral elles produisent tout de mme quelque chose, mais enfin
l'ide d'aboutir une sorte de systme descriptif scientifique de la littrature,
mme d'un seul genre, me parat un rve beaucoup plus ambitieux que de
dfinir l'autobiographie par quelques caractres a priori.
M. LEJEUNE
Je rpondrai en deux mots. Je suis d'accord avec votre analyse de mon
travail, cela me semble une vue trs juste : et peut-tre que dans dix ou
vingt ans je viendrai ici de nouveau faire mon autocritique... Mais vous avez
montr, en parlant de chimre ", que l'on ne peut pas travailler si l'on ne
se fixe pas un but. Il est vident que le programme immense que j'ai esquiss
en quelques mots la fin de mon expos, je ne prtends pas que je vais,
moi tout seul, le raliser, ni mme qu'il soit totalement ralisable. Mais il faut
bien savoir ce que l'on essaie de chercher : sans cela, on ne chercherait jamais
rien.
JEAN ROUSSEL
Votre recherche mthodologique et les principes que vous posez pour son
dveloppement m'intressent beaucoup. Je me demande si l'axe de cette recherche, le principe fondamental vos yeux, n'est pas celui-ci : l'autobiographie
comme telle est lie la dfinition et au progrs de l'ide des droits de l'homme ?
Une certain nombre des critiques qui vous sont faites en ce moment portent
sur ce point, me semble-t-il. En profondeur, la question qui se pose est celle
de la date laquelle est apparue l'ide de personne. Selon Marcel Mauss et
Alain Girard, cette notion, comme forme de la pense humaine, est rcente.
Elle nat de la rflexion sur la libert individuelle, sur la conscience individuelle.
L'ide du moi est un cho de la Dclaration des Droits. Cette conception estelle la vtre ? Vous parat-elle devoir fonder l'tude du genre autobiographique ?
M. LEJEUNE
Je suis content que vous ayez pos cette question, car elle m'amne reprendre rapidement une question que je posais la fin de mon expos crit,
et que j'ai d sauter dans ma conclusion tout l'heure : quel rapport y auraitil entre l'histoire littraire telle que je la prsente, et l'histoire en gnral ?
L'ide qui me vient naturellement l'esprit, c'est que, de mme que Marc
935
Fumaroli a montr de manire trs pertinente que le genre des Mmoires tait
li au systme fodal, et l'volution du genre celle de ce systme, on peut
penser que la littrature autobiographique est lie l'mergence de la bourgeoisie comme classe dominante. Cest.l une hypothse de travail, que je n'ai
pas dveloppe parce que je ne suis pas historien. Mais on peut se demander
ce qu'une approche marxiste pourrait apporter dans ce domaine : est-ce que
justement la littrature autobiographique ne serait pas, pour un critique marxiste, le meilleur terrain pour montrer comment fonctionne, dans nos socits,
l'idologie de la personne? Pour prendre un exemple oppos, je suppose
qu'crire une autobiographie telle que nous la concevons est une chose parfaitement impossible en Chine populaire, dans la mesure o la civilisation chinoise
communiste ne comporte plus du tout ces notions de personne et de droit
de l'homme dont vous parliez et qui sont propres l'idologie bourgeoise.
C'est l un vaste problme, que je ne puis voquer que comme perspective de
recherche, en rponse votre question.
M. BRAY
M. LEJEUNE
Je le connais d'aprs les traductions franaises et anglaises.
M. BRAY
Qui sont d'ailleurs peu nombreuses et insuffisantes. Ma remarque sera trs
limite. Le concept principal de Jauss a t traduit par vous par les mots
horizon d'attente , qui ne me satisfont pas : horizon d'attente en franais ne signifie pas grand chose, alors qu' Erwartungshorizont en allemand
a un contenu plus prcis. Dans la leon inaugurale de M. Gsteiger, professeur
de littrature compare Lausanne, j'ai relev cette traduction, videmment
trs longue : cran de rception (dtermin par les attentes et les prjugs
du lecteur) . Il me semble que dans la mesure o elle introduit le terme important de rception, cette traduction est intressante. Ecran de rception fait
mieux valoir que horizon d'attente ce que vous avez marqu, cette Variabilit de la rception selon chaque lecteur. Les deux termes horizon et attente
ne vont pas, mon avis, trs bien ensemble en franais.
M. LEJEUNE
Je me suis servi de l'tude publie en traduction franaise dans le n 1 de
Potique sur Littrature mdivale et thorie des genres , et de l'tude
publie en traduction anglaise dans New Literary History, Literary History
as a Challenge to Literary Theory . Je vous remercie de votre suggestion.
Je trouve au contraire trs parlante l'expression d' horizon d'attente , mais
peut-tre est-elle effectivement impropre.
M. COIRAULT
Je dois, M. Lejeune, vous poser d'abord une question. Dans votre livre,
vous avez dit que la naissance de l'autobiographie se situe trs exactement
en 1782, et je crois comprendre, aprs votre expos, que cette proposition que
vous aviez adore, vous la brlez. Est-ce que je me trompe ?
M. LEJEUNE
936
M.
COIRAULT
COIRAULT
Peut-tre.
M. LEJEUNE
Dans L'Autobiographie en France, il y avait un certain recul critique. Je
n'avais pas propos une dfinition l'tourdie, sans rflchir ce que je faisais.
J'avais donc dj pens aux problmes thoriques de la dfinition, et j'avais pris
soin, avant d'en proposer une, de critiquer l'ide mme de dfinition d'un genre,
d'en montrer les prsupposs et les limites (p. 12-13). Je me situais dans une
perspective critique par rapport mon propre travail, et j'ai continu cette
rflexion critique dans Le pacte autobiographique et dans le prsent expos.
M. COIRAULT
AUTOBIOGRAPHIE ET MMOIRES
(XVIIe-XVIIIe SICLES)
OU EXISTENCE ET NAISSANCE
DE L'AUTOBIOGRAPHIE
Madame, quelque rpugnance que je puisse avoir vous donner l'histoire de ma vie... Ainsi commencent les Mmoires du cardinal de Retz. A l'exemple de ceux qui ont crit leur propre vie ,
et notamment de Csar et du prsident de Thou, il se promet d'viter la fausse gloire et la fausse modestie , et rappelle aussitt
que, le jour de sa naissance, on prit un esturgeon monstrueux ...
En 1699, Saint-Simon expose M. de la Trappe son projet:
de ma vie, qui comprenaient tout ce
...des espces de Mmoires
qui a un rapport particulier moi, et aussi un peu en gnral et
superficiellement une espce de relation des vnements de ces
temps, principalement ds choses de la cour 1.
Un prlat mal repenti entreprend de conter ses aventures, sans
dissimuler ses fautes. Un jeune duc a voulu tenir registre de
tout ce qui aurait un rapport particulier lui-mme. Du premier,
on sait quel fut le personnage durant les troubles de la Frond.
Esprant tre de quelque chose 2, le second mdite des espces de Mmoires o seraient voqus les vnements de son poque ; non sans regretter que la sottise d'un prcepteur ait brid son
talent et lui ait interdit de devenir quelque chose en histoire.
Mais on sait ce que l'Histoire doit Saint-Simon, et Retz : crivant leur propre vie, ces deux aristocrates ont, chacun leur
manire, jou un rle sur le grand thtre du monde. J'allais dire
que ces deux autobiographes furent aussi des historiographes.
Mais qu'est-ce que l'Autobiographie? A une question si simple,
voici que je ne puis rpondre sans me rfrer mes lectures, mes
souvenirs. Entre mon esprit et son objet s'interpose un indsirable
Moi : littrature la premire personne, l'Autobiographie attire une
critique la premire personne ; il semble qu'elle ne se dfinisse
:
1. Lettre de Saint-Simon
Ranc. 29 mars
1699
938
qu'au terme d'une exprience singulire, par quelque rapport particulier moi, travers une subjectivit. Je Hs, je me souviens
d'avoir lu avec un gal plaisir Retz et Jean-Jacques Rousseau ; et,
quelque contestable que m'apparaisse la formule de Chateaubriand,
dniant au duc-pair toute aptitude s'occuper d'autre chose que
de lui 3, le plaisir que me donne une lecture des Mmoires de
Saint-Simon ne se rvle pas si diffrent de celui que me donne
une lecture des Mmoires d'Outre-Tombe. Ici comme l, avant
mme de chercher un auteur, je trouve un homme , et le plus
irremplaable ; une vie, et non pas seulement l'authenticit illusoire peut-tre d'une prsence.
Un peu barbouill de grec, me fiant mes impressions, d'ailleurs
peu soucieux de la puret des genres, je croyais que le caractre
autobiographique des Mmoires de Saint-Simon et des Mmoires
de Retz ne prtait pas discussion. Ayant lu les brillantes variations
d'un moderne historien du genre, de son premier historien 4, voici
que ma science toute neuve ne concide plus avec ma conscience
de l'autobiographie. Je me demande si mon plaisir tait selon les
rgles, si mon mode de lecture des Mmoires des XVIIe et XVIIIe
sicles n'tait pas entach de nullit pour cause de double anachronisme. Dupe de ma modernit, aurais-je eu tort d'aimer en
d'anciens Mmoires une espce de tmoignage dont Rousseau serait
l'inventeur ? Dupe d'un schmatisme traditionnel, ai-je eu tort de
croire que l'existence de l'Autobiographie ft antrieure aux Confessions, et de tenir pour illustrations du genre, quoiqu'elles ne fussent pas cet gard exemplaires, des oeuvres o le je n'appelait pas
ncessairement la rcidive du moi ?
Il est invitable, et peut-tre souhaitable, que nous lisions les
oeuvres passes la lumire des oeuvres prsentes 5. Mais, ajoute
M. Jean Rousset, gardons-nous de cder l' illusion rtrospective !
Douteux privilge, en effet, que celui de notre recul, et de l'obliquit de notre regard. En notre paysage intrieur, les oeuvres tour
tour se croisent et se dispersent. Tantt les jeux de lumire de
l'analogie abolissent les diffrences ; tantt les oeuvres plus lointaines disparaissent l'horizon. D'abord unie sous le mme signe,
la totalit des oeuvres semble se partager ; par l'effet de la distance,
un long secteur de l'histoire du genre se perd dans sa prhistoire.
Des aperus diachroniques passe-t-on l'examen des concepts et
des fonctions, l'vidence est encore trompeuse. Toute aire smantique a ses zones et son dgrad : quand le mot lui-mme a ses ombres, bien habile qui dira o commence la mtonymie. Aux yeux de
3. Chateaubriand, Vie de Ranc, livre IV.
AUTOBIOGRAPHIE ET MEMOIRES
939
Parlera-t-on dautobiographies marginales, tangentielles ? A la remmoration des aventures du Moi, recr, invent, il n'est pas sr
que soient indispensables la solitude ni la singulire avidit de
Narcisse. Il n'est pas sr qu'un projet, ft-il apparemment fondamental , exclue une secrte; intention, informule, chappant quelquefois la conscience de l'crivain ; que l'historiographie chass
ncessairement l'autobiographie. Un mmorialiste, qu'il le veuille
ou non, est mmorialiste de soi-mme 9; et je renvoie ici une
page bien connue du Gnie du Christianisme 10 ; et je pense aux
Mmoires d' outre-tombe. Fait-on mieux que deviner, parmi les
choses regardes, la singularit d'un regard, ft-il un foyer priphrique, deviner une prsence qui ne soit pas la prsence diaphane
et drisoire, en d'autres termes, l'absence d'tre, prsence de personne, qu' est celle du chroniqueur perdu dans sa chronique, l'autobiographie n'est pas alors un vain mot. Si le lecteur trouve dans les
Mmoires plus qu'une biographie ...une existence, en d'autres ter6. L'Autobiographie en France, p.
18.
7. Ibid., p. 13 ; cf. p. 19
8. C Lvi-Strauss, " Riposte a un questionario sullo strutturalismo , Paragone; aprile
1965, p.. 125-128. C. Lvi-Strauss voquait le " relativisme rciproque d'une oeuvre, ou
d'une image de l'oeuvre, et d'une pense : l' oeuvre tudie et la pense de l'analyste se
refltent l'une dans l'autre. Quand il s'agit d'un genre d'une dfinition et d'un corpus ,
il est plus difficile encore d'viter une telle rverbration,
9: Voyant dans l'autobiographie l'un des moyens pour la connaissance de soi , G.
Gusdorf ajoute : Telle est sans dout l'intention la plus secrte de cette entreprise de
Souvenirs, de Mmoires ou de Confessions [...] L'autobiographie est alors la dernire chance
de regagner ce qui tait perdu . Ainsi Retz se fait-il crivain et mmorialiste de soimme (texte reproduit dans L'Autobiographie en France, p. 226-228).
10. Chateaubriand, Gnie, du Christianisme, III, 3 : Pourquoi les Franais n'ont que
des Mmoires .
940
941
AUTOBIOGRAPHIE ET MEMOIRES
celui-ci, les souvenirs d'enfance ( je me ressouviens trs distinctement du temps o je fus sevr... 15) ne sauvent qu' peine la... tonalit autobiographique de sa relation. Et les virtualits du genre
demeurent, notre got, trs insuffisamment exploites par un
marquis de Lassay, un prsident Hnault, voire par des auteurs que
soIlicitent davantage les souvenirs de leur propre aventure : Mme de
la Guette, la marquise de Courcelles, Mme de Staal-Delaunay, le
marquis d'Argens...
La rgle de l'intervalle, qui, dans l'autobiographie romanesque,
impose une sorte d'hiatus entre la vie raconte et la vie prsente,
une retraite d'o le narrateur contemple une existence lointaine 16, atteste l'imitation, et la canonisation esthtique, d'un effet
dont ne laissait pas d'abuser l'autobiographie religieuse ainsi que
le roman picaresque et qui, indpendamment des intentions apo,
logtiques, tendait devenir
une constante du genre 17 : plutt que
l'histoire d'une personnalit, c'est, de saint Augustin Chateaubriand,
Renan peut-tre, et Sartre? l'histoire d'un desengano qui constitue
le sujet, ou l'un des thmes majeurs, ou la basse continue de la
vritable autobiographie, quelque grande qu'y soit la part de
la narration vnementielle. Exploitant les virtualits de la mtaphore, on dirait volontiers que l'une des voies, de nos jours non
encore dsaffecte, de l' autobiographie conduit immanquablement
la Trappe, si la Trappe n'en tait aussi le commencement : lieu
vacant d'un ternel retour, solitude o, sans fin, s'abolit et renat
l'enchantement qu'est le spectacle d'une vie. Mais, plutt qu' la
Trappe et son silence, je songe ce sanctuaire de l'criture, PortRoyal, o palpitait plus qu'un reste de mondanit. Le profane et
le sacr ont partie lie dans une pdagogie de l'exemple; le Sero
Te amavi autorise mieux que des soupirs ; les regrets entretiennent
quelquefois un feu de polmique ou de rvolte. Distillant sa conversion, Pontis fomente sa rancune ; se rappelant le monde, il en
appelle au monde par plume interpose. Dans la sainte solitude
de Port-Royal-des-Champs, fortement persuad du nant des
choses de la terre, Arnauld d'Andilly hsite laisser quelques
Mmoires touchant [s] es proches et ce qui [l]e regarde en particulier , mais cde aux instances de son fils Pomponne et compose
une relation destine inspirer le mpris de ces faux biens 18
.
15. Cardinal de Bernis, Mmoires et Lettres [...], p.p. F. Masson, Plon, 2 vol., t. I,
1878, p. 7.
16. J. Rousset, Narcisse romancier, p.. 84;
17. Encore jeune lorsqu'il rdige ses Mmoires, et par consquent n'offrant de sa vie
qu'un
XVir sicle,
1971, n
94-95, p. 7-37.
t. IX,
1838,
p. 401-474;
942
Suivant les traces de son pre, l'abb Antoine Arnauld gote longs
traits le nant d'une vie si peu frivole, et recueille enfin son
esprit d'une telle dissipation la rdaction de ses Mmoires !
pour l'appliquer au seul point ncessaire 19. Si l'on ne trouve
pas, et pour cause, dans ceux de Retz la formulation d'un tel dessein, celui-ci est trs nettement exprim dans les Mmoires de
Saint-Simon, son plus digne successeur : il a voulu se montrer
soi-mme pied pied le nant du monde ; le sentiment, si tonique, que tout est mort , soutient en sa longue tche rsurrective un crivain dont on sait quelle tait la vnration pour les
saints solitaires . Parmi tant de Mmoires dont il fit sa nourriture,
peut-tre a-t-il connu ceux d'Antoine Arnauld : l'abb n'avait-il pas
envoy son manuscrit (ou une copie ?) la duchesse de Brissac,
soeur de Saint-Simon, laquelle jugeait agrables et bien crits
ces Mmoires d'inspiration jansniste 2 ?
Trs peu respecte, disons mieux : inconcevable avant Jean-Jacques Rousseau, la rgle des souvenirs d'enfance justifierait apparemment certain ostracisme : le pch originel des Mmoires, c'est
le refus de l'originel. Ni le cardinal de Retz, malgr son esturgeon,
ni Saint-Simon, malgr quelque tendresse pour ses premires dents,
n'accordent leurs annes de nourrice l'attention mle de nostalgie
que nous ne sommes pas loin d'exiger de l'autobiographe. Dans la
littrature des XVIIe et XVIIIe sicles, l'enfant n'a pas la vie facile ;
plus entichs de leur gnalogie que curieux de leur... ontognie,
nos mmorialistes taient trop grands seigneurs pour se complaire
leurs maillots. Avec les prcautions d'usage Qu'avez-vous
faire de tout ce que je vous conterai de ma jeunesse ? et cdant
l'honnte dsir d'encenser sa mdiocrit, un abb de Marolles
rapporte en assez petit compagnon les petites choses de [s] on
enfance et les bassesses de Collge 21. N'tant ni prince ni duc,
peu soucieux du panache, il voque sa tante Charlotte, et sa gouvernante Gabrielle, et le P. Meige, ce Pre Systme, en plus dyscole, du Collge de Clermont. Un sicle avant Jean-Jacques, il
clbre l'or des moissons, les noces de village et les repas rustiques,
les dlices rtrospectives de son Arcadie tourangelle : L'ide, qui
me reste encore de ces choses-l, me donne de la joie ; je revois
en esprit, avec un plaisir non-pareil, la beaut des campagnes
d'alors... 22. Je n'ignore pas que de telles cadences sont des effets
19. Mmoires de l'abb Arnauld ; ibid., p. 481-556 ; p. 555.
20. Lettre de Mme de Brissac l'abb Arnauld, 24 avril 1677 ; reproduite dans Michaud-
AUTOBIOGRAPHIE ET MEMOIRES
943
de l'art, qu'en ces souvenirs passent bien des reflets horatiens, virgiliens. Et, pourquoi ne pas l'avouer ? nous serions moins sensibles
au charme d'un rcit dont la simplicit n'est pas sans apprt, si
Rousseau, Chateaubriand, Renan ne s'interposaient entre le bonhomme et nous. Illusion invitable... et souhaitable ! Autant, lorsqu'il s'agit de systmes idologiques, l'on doit se dfier du mythe
du prcurseur , autant convient-il de recueillir en soi, parmi les
grces un peu fanes d'un mmorialiste un peu obscur, certaines
vibrations o se laisse deviner une promesse et se rvle, en dpit
du changement des temps, une permanence, un fonds commun d'humanit. Cette vie, si lointaine, ne m'apparat pas si trange, ni les
souvenirs de cette vie. Michel de Marolles a lu Montaigne, qui ne
se tait pas devant saint Augustin ; et, au moins par leur ouverture,
ses Mmoires, que nous situons aux confins du roman des origines,
tmoignent la fois d'une existence et d'une personne. Histoire
d'une personnalit ? Ce serait beaucoup dire. De la personnalit,
l'autobiographie offre-t-elle jamais plus (ou moins) que le roman, ou
la romanesque bauche ?
On ne saurait attendre de Retz ni de Saint-Simon la relation d'essais antrieurs l'entre dans le monde, du premier apprentissage
d'une vie. Ils ne sont pas morts leur enfance 23 ; la vraie vie cependant n'est pas l. Vie de reprsentation avant d'tre de composition et, tout aussi bien, compose au jour la journe, et rpte
dans la mmoire avant l'ultime mise en scne. Ici et l rayonnent
encore on ne sait quelles grces demi mythiques de gnies adolescents : les galantes turlupinades du jeune Gondi, la solitude du
vidame de Chartres mais celle-ci comme obombre par la solitude de Saint-Simon ; car le regret finalement s'anticipe en pressentiment du regret. Et des images reviennent : une visite cette vieille
et charmante baveuse de Mme de Thiange (l'ancien dgot palpite
encore...), une autre au comte de Vaillac, des plaisirs et des jeux,
sinon des enfances . Ici et l, quelques vellits de confidences,
quelques bribes de confessions : mais ce sont dj misres de grands
seigneurs, folies de l'ge de raison. Si Retz trouve un plaisir incroyable 24 sonder ses replis , son existence politique exerce
son esprit bien plus que ce que les bonnes gens appelleraient la
morale de son existence ; il regrette ses fautes politiques bien
plus que ses pchs. Le mal fait par dessein est dj pardonn ;
restent l'erreur, les manquements l'audace, les imprudences, le
remords de n'avoir pas toujours respir la hauteur de soi, et la
satisfaction intime d'une tardive lucidit, l'ostentation de la consdu souvenir d'enfance au premier livre des Confessions , dans Annales de la Socit J.-J.
Rousseau, t. XXXVII, 1966-1968, p. 149-173.
23. Mais, dans la mmoire, que reste-t-il des plus jeunes annes? Selon A. Maurois
(Aspects de la biographie, Au Sans Pareil, 1928, p. 150), l'autobiographie de l'enfance
est [...] presque toujours mdiocre et fausse, mme quand l'auteur est sincre.
24. Mmoires du Cardinal de Retz, Bibliothque de la Pliade, p. 3 et 20.
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AUTOBIOGRAPHIE ET MEMOIRES
"
de Nemours d'tre souveraine d'une belle terre, et sujette d'un grand Roi. On ne sait
REVUE D'HISTOIRE LITTRAIRE DE LA FRANCE (75
Ann.),
LXXV.
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tater que les pages les plus tincelantes de l'oeuvre sont les pages
o un projet croise l'autre, en un fulgurant court-circuit.
Qu'il n'ait pas, devanant Jean-Jacques, song dvoiler son intrieur, j'entends son intime intrieur , qu'on aperoive encore le
drap quand il feint de se mettre nu, c'est une vidence. Et l'on
veut croire qu'une bonne moiti de son me s'est pour nous vanouie avec son existence immmore. Va-t-il voir la mer Dieppe ?
Nulle mditation n'interrompt la chronique : on attendait un Franois-Ren, un Perrichon peut-tre, ou quelque reflet de la mlancolie d'un Robert Chasles ou d'un Campion. Son lyrisme est ailleurs ; sans doute ne voyait-il Dieppe que les sirnes de la
cour. Et puis la mer du Nord n'tait pas de [s]on sujet : les
rflexions gtent souvent les Mmoires 33 ; il est bien d'autres
occasions que j'ai nglig d'crire, parce qu'elles ne regardaient que
pour Retz ni pour Saint-Simon, ait t prvue une possibilit de repchage pour cause
de gnie ou de mgalomanie : sont linin[s] pratiquement tous les Mmoires aristocratiques du XVII e et du XVIIIe sicles, mme ceux dans lesquels la forte personnalit de l'auteur
transparat (Retz) (ibid., p. 16).
33. Mmoires de Saint-Simon, Bibliothque de la Pliade, t. TV, p. 598.
34. Ibid., t. VII, p. 396.
35. Ibid., t. III, p. 1170.
36. Ibid., t. IV, p. 262 (mort du duc et de la duchesse de Liancourt).
37. Ibid., t. TV, p. 273 (mort de la reine d'Espagne, indiffrence de Philippe V).
AUTOBIOGRAPHIE ET MEMOIRES
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le dfi du futur, d'une conformit anticipe de l'oeuvre une moderne dfinition. II me semble seulement que cet acte rvle un
homme faussement immerg dans l'Histoire, qui est la sienne plus
d'un titre ; mmorialiste des autres, et de cet autre, magnifiquement
son image, en lequel il veut se survivre; supposer que. ce ne
soit pas un plonasme, autobiographe de sa lgende.
Dans un rcent article, Mme Elisabeth W. Bruss 38 a, d'une manire qui me semble trs pertinente, critiqu la notion d'un contrat autobiographique , tel que les parties contractantes seraient Un
crivain du XVIII e sicle et un lecteur du XX e : Je ne pense pas ,
crit Mme Bruss, que le lecteur d'aujourd'hui partage les attitudes
et les rles qu'on attendait voir assums par le public originel d
l'oeuvre et qu'il assumait effectivement. Plutt que de m'engager
en des analyses abstraites (le public originel tant pour SaintSimon, comme pour Retz, un public futur d'happy few), ou d'enjoliver de ma patine un modle fonctionnellement dcap; j'ai prfr
interroger quelques oeuvres. Laissant au fond de mon sac d'autres
exemples, que vais-je enfin conclure ? Si je tiens pour autobiographes
les mmorialistes aristocrates des XVIIe et XVIII e sicles, quel est donc
mon modle de l'autobiographie ?
Ce n'est pas exactement la question.: je ne cherche pas mon modle, ni Un modle qui serait absolument tout tous. Je souhaite
une dfinition en quelque sorte minimale, ou du moins un certain
flou : l'lasticit dans la rigueur, l'quivoque autorisant les subtilits
du casuiste et les rticences d'un Oui, mais ... Quand on a bien
tranch, quelle peine pour recoudre ! Je me hte d'ajouter que la
dfinition propose par M. Lejeune ne me parat nullement inacceptable : une aura de relativisme, quelques variables judicieusement introduites donnent l'imagination quelque jeu. Prtant
quelque mprise, l'image de marque laisse l'image du genre
sa part d'indcision, toute une frange de virtualits. Mon seul tonnement est de ne pas retrouver dans le corpus cette ampleur qu'appelait, ou du moins n'interdisait pas la dfinition. Et ma crainte;
que des esprits impatients, prvenus, plus curieux de mthodologie
que de littrature, plus sensibles la beaut fonctionnelle de
l'instrument qu' la diversit des oeuvres, n'excluent d'emble tout
ce qui, du thesaurum, n'aurait pas t retenu dans le corpus autobiographique. Qu'adviendra-t-il d'ailleurs de nos autobiographes modernes, quelle date commencera l'autobiographie, quand les perspectives, et le contrat, auront t par le temps mme modifis?
Amarr au relatif, l'absolu devient provisoire. trange rigueur, que
n
38. Elisabeth W.. Bruss, L'autobiographie considre comme acte littraire, Potique,
17, 1974, p. 14-26 (trad. par J.-P. Richard) ; voir en particulier p. 14, note 1. Le titre
publie.
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; Enrag
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AUTOBIOGRAPHIE ET MEMOIRES
...l'insistance
la complaisance
autobiographique, qui marque le moment dcisif o l'image de soi, le
sentiment de l'existence personnelle comme valeur absolue s'imposent (sur .un ton de dfi
et de sduction)- la conscience occidentale. Ceci est fort bien dit ; et M. Starobinski ne
dit pas que le moment dcisif d'une telle valorisation marque la naissance de l'Autobio-
graphie.
46. Cf. G. Gusdorf, Mmoire et personne, t. II, p. 534 : Le pass n'est qu'un masqua
pour une certaine manire de se choisir soi-mme.
47. L'Autobiographie en France, p. 13.
48. De mme n'existe-t-il pas de journal intime . l'tat pur ; v. Michle Leleu, Les
Journaux intimes, Presses Universitaires de France, 1952, p. 6.
49. Jean Guhenno, " Contrepoisons,- Le Figaro, 16 mai 1974.
50. E.W. Bruss, art. cit, p. 17; cf. p. 25 : "une autobiographie crite avant notre sicle
peut ne pas traiter de la vie psychologique de l'auteur ; p. 26 : des options priphriques
sont transformes en obligations centrales. On parlerait volontiers avec M. Georges Blin
d'un confluent de finalits.
51. J. Starobinski, La Relation critique, p. 83.
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AUTOBIOGRAPHIE ET MEMOIRES
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DISCUSSION
M. GAULMIER
Je vous remercie de cette communication qui a une double actualit : elle
a l'actualit du problme dont nous parlons, l'autobiographie, et puis aussi
l'actualit de l'anne Saint-Simon, ce que l'on pouvait attendre de vous.
Je me demande s'il y a des questions poser sur cette communication qui
complte la prcdente. Celle-ci tait une communication de principes gnraux et nous entrons avec M. Coirault dans les cas particuliers qui feront
l'objet des communications diverses de cette journe.
M. CLARAC
Je voudrais soumettre M. Coirault, dont j'ai beaucoup aim l'expos, une
ide trs simple, mais qui me vient d'elle-mme l'esprit quand je lis un
mmorialiste : est-ce qu'il crit pour lui ou est-ce qu'il crit pour les autres ?
Je prends quelques exemples. Rousseau crit les Confessions pour les autres ;
on l'a attaqu de toutes parts : il veut montrer que, si indigne qu'il soit, si
coupable qu'il soit, il n'en est pas moins meilleur que tous ceux qui l'accusent.
Mais, quand nous arrivons au Sixime livre des Confessions, nous trouvons, en
tte de ce livre, une sorte de prlude lyrique. Rousseau va parler des Charmettes
o il a dcouvert le bonheur. Non cause de ses amours avec Mme de Warens :
elle n'y tait presque jamais avec lui. Mais il y a got le charme de la solitude ; il y a fait d'immenses lectures ; il y a prouv dans un cadre de nature
des motions religieuses. Ce sixime livre, il l'crira moins pour les autres que
pour revivre un moment heureux peut-tre le seul heureux de sa vie
malheureuse.
Lorsque, Rome, en 1803, Chateaubriand conoit pour la premire fois
l'ide d'crire ses Mmoires, c'est pour oublier sa vie prsente, la mort de
Pauline, les perscutions du cardinal Fesch, les railleries de Consalvi, les intrigues de ceux qui Paris le desservent auprs du Premier Consul. Il n'voquera
pas non plus son enfance tourmente, ses misres d'exil. Ce qu'il veut, c'est
revivre pour lui-mme les trois premires annes du sicle, annes merveilleuses
o il est devenu, lui si chtif, l'crivain le plus admir de son temps, o les
hommages de tous et de toutes venaient lui. Dans la suite son projet se
modifiera compltement : il crira presque toujours pour les autres, ou plutt
contre les autres. Mais en 1803, c'est pour lui d'abord qu'il veut voquer son
pass le plus proche. La distinction, j'en conviens, n'est pas facile faire. Bien
souvent les deux intentions se mlent : les pages consacres la Sylphide
seront inspires la fois par le dsir qu'il a de revivre un moment essentiel
de sa vie morale et par le dsir d'expliquer ceux qui le liront son inexplicable coeur ".
Jean Santeuil, chef-d'oeuvre inachev, rpond au dsir de Proust de revivre
pour lui-mme son enfance heureuse. Lorsqu'il composera A la recherche du
temps perdu, ce sera sans doute pour lui-mme encore, mais surtout pour les
AUTOBIOGRAPHIE ET MMOIRES
955
autres, pour rvler ceux qui ne voyaient en lui qu'un mondain superficiel,
son moi profond, son moi vritable. L'extrieur social d'un crivain ne nous
apprend rien sur ce qu'il est.
Je m'excuse de ces considrations si banales, mais je crois que, quand il
s'agit d'un mmorialiste, il est difficile de ne pas se poser cette question qui
appelle d'ailleurs des rponses nuances : crit-il pour lui, crit-il pour les autres ?
M. COIRAULT
Je vous remercie, Monsieur, de cette question qui, en effet, devait tre pose,
et en particulier pour Saint-Simon. Il n'est pas facile d'y rpondre ; car nous
n'avons pas de preuve absolue en ce domaine.
Il me semble cet gard, mais le rapprochement lui-mme doit tre fait avec
beaucoup de prcautions, qu'il y a certains crits et mme beaucoup d'crits
de Saint-Simon qui seraient un peu son " Jean Santeuil : par exemple, les
Notes sur les Duchs-pairies, et bien d'autres textes qui ne sont pas tous publis.
Certains semblent avoir t rdigs son propre usage. Si, dans le " Prambule
aux maisons d'Albret, etc. , il affirme que son amusement ne sera pas sans
utilit pour un lecteur qui ignore certaines choses et qui pourtant ferait mieux
de les connatre, il n'en ajoute pas moins que ses notes sont bonnes jeter au
feu. Est-ce ou non coquetterie d'artiste ? Je ne sais. Heureusement, ces notes
n'ont pas t jetes : elles ont t partiellement publies ; et je compte en
publier quelques autres trs prochainement. Mais ce qui est tonnant, dans les
Mmoires, c'est que l'on n'y trouve jamais une rponse trs prcise la question. Ayant toutefois pass bon nombre d'annes en sa compagnie, j'ai le sentiment, l'intime conviction mais ne puis rien prouver que Saint-Simon
pensait des lecteurs. Il ne pouvait pas, quoi qu'en ait dit Montherlant, ne
pas songer des lecteurs futurs. Bien d'autres gens de son poque avaient crit
leurs Mmoires, et, mme si ce n'avait pas t leur intention, ces Mmoires
avaient t publis par la suite : pourquoi les parents, les amis de Saint-Simon,
les fils ou les petits-fils de ses amis ne verraient-ils pas un jour ses Mmoires
l'tal des libraires? Il fallait les garder sous les Verrous et, cette prcaution
prise, au bout d'une ou deux gnrations, il serait temps de les sortir de leur
secret Pour ma part, je crois qu'il n'y a pas de preuve palpable d'un tel
dessein, mais des convergences en quelques sortes objectives ; on peut faire
parler les textes sans suggrer trop la rponse. Et d'ailleurs cette vie passe
crire, crire pour le vide, crire vraiment pour rien, me semble une absurdit, inconcevable mme l'poque de Saint-Simon. Je ne sais pas si maintenant quelqu'un peut-tre est-il un autre Saint-Simon ? crit dans le vague,
pour personne et pour rien. Une extrme originalit (je ne parle pas de gnialit) est toujours possible. Mais Saint-Simon n'aimait pas ce point les chimres.
Maintenant je reviens une question videmment plus gnrale, son projet,
la matire, l'objet ou aux objets de ses Mmoires. Est-il, voulut-il tre, plus
historien qu' autobiographe ? (On doit mme mettre le mot entre guillemets,
puisque le mot n'existait pas). Je crois, encore une fois, ne serait-ce que du
fait qu'il a eu un rle politique, qu'il n'y a pas d'incomptabilit entre les deux
projets, et tout cas, ce qui m'intresse essentiellement dans les Mmoires, c'est
la subjectivit.
Quelque chose qui m'ennuie prodigieusement dans les Mmoires, car je n'admire pas tout Saint-Simon, loin de l ! c'est lorsqu'il dmarque Dangeau. Mais
il y a une partie vivante, l'norme partie o Saint-Simon est lui-mme, absolument lui-mme ; et j'aurais peine ne pas considrer les Mmoires comme
une Vie de Saint-Simon, bien qu'elle ne soit pas complte.
Mme
DURRY
956
que littraire, encore que critique littraire ce soit plus douteux, car il
faudrait qu'il travaille avec des livres, il en a besoin, si quelqu'un tait,
c'est une hypothse impossible concevoir mme, dans une le dserte, en
sachant absolument qu'il ne pourra jeter aucune bouteille la mer, que jamais
personne ne viendra le sauver, qu'il restera Robinson dans son le dserte
le reste de ses jours, crirait-il encore ou n'crirait-il plus jamais ? Problme
insoluble ! De mme moi, j'ai l'impression que chaque fois que l'on fait oeuvre
d'autobiographie, et plus forte raison quand il s'agit de journal intime, on
ne peut pas ne pas se demander et peut-tre esprer qu'un jour quelqu'un
lira par-dessus votre paule, et que pour ainsi dire on sent la prsence de ce
quelqu'un, au moment mme o l'on crit, quoique cette prsence ne soit que
fantomale.
M. COIRAULT
Je pense en effet que c'est l'espoir qui fait vivre, et crire, n'y aurait-il qu'un
lecteur ; et Robinson autobiographe peut toujours esprer.
M. GAULMIER
Je ferai remarquer qu'il y a un cas au moins d'un journal intime qui est
unique, ma connaissance : celui du philosophe des compensations Azas, sur
qui M. Baude, de Metz, va soutenir prochainement une thse importante.
Azas faisait son journal pour prendre conscience de sa thorie des compensations, c'est--dire que mme s'il avait t dans une le dserte il l'aurait crit
pour lui, car son journal est extrmement bizarre : au lieu de suivre l'ordre
des jours, premier, deuxime, troisime, quatrime jour du mois, il prend tous
les premiers du mois depuis 1814 jusqu' 1840, puis tous les 2 du mois, puis
tous les 3 du mois, de faon voir si ces jours se compensent en bien et en
mal.
DURRY
DE L'AUTOBIOGRAPHIE INITIATIQUE
A L'AUTOBIOGRAPHIE GENRE LITTRAIRE
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cercle d'intimes. Il s'agit d'une criture confidentielle, dont la divulgation n'interviendra que longtemps aprs leur mort. Ces textes
religieux sont des textes privs ; on peut sans doute les soumettre
une analyse littraire, en faire l'objet d'une apprciation littraire ;
mais cette approche demeure trangre leur finalit propre. Au
surplus, le De vita sua et l'Historia Calamitatum, rdigs en latin,
n'appartiennent pas la littrature franaise.
Une histoire de l'autobiographie comme genre littraire est donc
fortement suspecte d'anachronisme. Elle projette dans le pass la
situation actuelle de l'ordre littraire, et risque de fausser, par illusion rtrospective, l'objet de son tude, s'il se situe une poque
o les motivations de l'crivain ne concident nullement avec celles
de l'homme de lettres d'aujourd'hui. On peut tenter une analyse
littraire, philologique, grammaticale, etc., du texte du Code civil;
mais une telle procdure n'puise pas la signification du code, destin un tout autre usage que la dlectation esthtique de ses
lecteurs. Pareillement, si les autobiographies anciennes n'appartiennent pas par destination au genre littraire en vigueur aujourd'hui,
elles chappent la juridiction de l'histoire de la littrature, dont
les analyses demeurent extrinsques par rapport l'intention spcifique de l'auteur qui raconte sa vie.
La difficult a d'ailleurs t releve par Philippe Lejeune luimme, qui, dans la notice introductive son rpertoire des autobiographies, signal que toutes les oeuvres qui prcdent les Confessions de Rousseau, et quelques-unes de celles qui les suivent immdiatement, figurent ici, non titre d'autobiographies, mais pour
servir clairer la prhistoire du genre 4, Il faut donc admettre
que le chef-d'oeuvre de Rousseau marque le seuil d'mergence de
l'autobiographie proprement dite , Dsormis le genre littraire
existe comme tel; le succs de Rousseau suscite des imitateurs de
Rousseau, et des imitateurs sans nombre de ces imitateurs. Le professeur de littrature reprend tous ses droits pour manipuler cette
production de srie, et traiter du genre autobiographique comme il
traite du roman, de l'pope, de la comdie, etc.
L'inconvnient de ce point de vue, en ce qui concerne la comprhension de l'autobiographie , phnomne humain, est que les
questions essentielles se trouvent rejetes dans la pnombre de la
prhistoire. En prenant Rousseau comme point de dpart, on suppose le problme rsolu ; il suffira ds lors de commenter Rousseau
et les imitateurs de Rousseau, et les commentateurs de Rousseau.
Par chance, Rousseau est un grand crivain, dou de la vertu de
style, et sa problmatique personnelle semble avoir dlimit durablement l'espape mental d; l'autobiographie. Il a institu le genre
littraire, et l'on fera comme s'il tait parti, ou reparti, de zro.
4. Op. cit., p. 106.
REVUE D'HISTOIRE LITTRAIRE DE LA FRANCE
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Le professeur allemand Georg Misch, de Goettingen, matre incontest des tudes en la matire, commena en 1904 une considrable Geschichte der Autobiographie, plusieurs fois rdite, et que
la mort l'empcha d'achever. Deux gros volumes sont consacrs
l'tude des oeuvres antiques de cette catgorie ; d'autres portent sur
la priode mdivale, puis sur la Renaissance. La srie s'arrte au
seuil des temps modernes, et les quelques complments apports
par des continuateurs dans le dernier volume n'chappent pas la
mdiocrit. Georg Misch n'a pas crit une Prhistoire, mais une
Histoire de l'Autobiographie, oeuvre matresse de sa vie, et cette
oeuvre s'arrte au bout d'une bonne demi-douzaine de volumes, bien
avant les Confessions de Jean-Jacques. Il n'a pas l'air de se rendre
compte de ce que son ouvrage n'aborde pas le domaine de l'autobiographie proprement dite , selon la formule de Philippe Lejeune.
Il est vrai que celui-ci ne prtend traiter que de l'autobiographie en France . Mais on peut se demander, l encore, si cette
restriction n'est pas arbitraire. Le domaine de l'autobiographie ne
se laisse pas cloisonner par nations, trangres les unes aux autres,
Les modles du genre, par exemple les Confessions de Saint Augustin et les Confessions de Rousseau, aussi bien que Dichtung und
Wahrheit de Goethe, en tant que types ou prototypes d'une certaine
expression et prsentation de soi, dbordent les cadres troits d'une
appartenance linguistique ou politique. Ils relvent de la Httrature
universelle (Weltliteratur, selon la parole de Goethe). On peut ajouter ces oeuvres d'autres livres moins connus du grand public, mais
d'une importance considrable : La Vie de Madame J.M.B. de la
Mothe Guyon crite par elle-mme, publie par le pasteur lorrain
Pierre Poiret Cologne, en 1720, trois ans aprs la mort de son
auteur, ainsi que les deux autobiographies de la mystique Antoinette
Bourignon, La Vie Intrieure et La Vie Extrieure, publies par le
mme Poiret Amsterdam en 1683. Ces livres, d'une grande signification pour l'histoire du quitisme et du pitisme, ont t lus
travers l'Europe entire, soit en franais, soit en diverses traductions. Il ne semble pas que les historiens de la littrature franaise
aient jamais song rclamer des textes sans valeur littraire, et
d'ailleurs plus ou moins apatrides, appels obtenir un plus grand
retentissement hors de France qu'en France, bien que rdigs en
franais. Les historiens de la conscience religieuse feront au contraire grand cas de ces prcieux documents personnels.
La notion de littrature, telle qu'elle a cours dans l'enseignement
franais, montre ici son insuffisance, sans doute lie une dpendance maintenue, mme si elle est inconsciente, l'gard de l'ancien
idal normatif des Belles-Lettres. La littrature telle qu'on la pratique chez nous se donne un droit de regard, ou mme de juridiction, sur l'ensemble des textes rdigs dans la langue nationale. Or
certains de ces textes ont bien t composs en fonction de proc-
963
un. fragment publi dans l'Athenaum en 1798 (Werke, Kritische Ausgabe, Band II, p. 196). Le
conteste parat bien indiquer qu'il ne s'agit pas, cette date, d'un nologisme.
964
n'est sans doute pas un hasard 7. Rpt par deux fois, et sans la
moindre esquisse de dmonstration, ce point de vue correspond
une opinion reue dans les milieux intellectuels teints de marxisme.
C'est pourquoi sans doute la preuve est inutile ; la rfrence la
doctrine rgnante suffit. L'autobiographie doit tre interprte comme
une superstructure du systme conomique ; elle est une consquence, ou une corrlation, ou un accessoire un titre quelconque,
de l'avnement du capitalisme en Occident. Il faudrait ici donner
la parole l'conomiste, au sociologue, l'historien, au mtaphysicien peut-tre ; le spcialiste en matire de Httrature franaise se
tient distance respectueuse. Nul doute d'ailleurs qu'un initi particulirement comptent ne parvienne tablir une relation intelligible entre les Confessions de Rousseau et la production mtallurgique contemporaine, entre les Mmoires doutre-tombe de M. le
vicomte de Chateaubriand et les dividendes de la Compagnie d
Suez. Il serait bien intressant que l' on nous montre comment s'opre,
par le ministre d'un grand crivain, la mutation des donnes conomiques passagres en significations littraires appeles traverser
les sicles. Aussi longtemps qu'on ne nous l'aura pas fait voir avec
prcision, ce genre d'interprtation se contente de relever certaines
concomitances, parmi un nombre immense d'autres, dans le contexte global de l'poque. Le lecteur non prvenu ne s'en trouve
gure plus avanc.
Ces laborieux prliminaires nous auront du moins permis de dblayer le terrain, en soulignant les insuffisances et les limites du
concept mal labor de littrature. On peut admettre qu'il se produit, dans la dernire partie du XVIIIe sicle, une priptie dans
l'histoire trs ancienne de l'autobiographie. Le point d'inflexion est
marqu non pas par la rdaction, mais par la publication posthume
des Confessions de Jean-Jacques Rousseau : les six premiers livres
paraissent Genve en 1782, et les six derniers dans la mme ville
en la fatale anne 1789, qui ne nuit pas pour autant au considrable
succs de cet ouvrage travers l'Europe cultive. Les Confessions
bnficient de l'immense prestige reconnu l'auteur des Discours,
du Contrat social, de la Julie et de l'Emile. L'autobiographie de
Rousseau vient complter une srie de chefs-d'oeuvre, chers l'intelligentsia occidentale ; l'crivain de gnie, l'ducateur de la sensibilit et de la pense d'un nombre immense de personnages clbres ou obscurs, confie ses secrets tous les amis qu'il possde
7. Op. cit., p. 65 ; cf. p. 10 : " Comme le journal intime, qui apparat la mme
poque [?], l'autobiographie est l'un des signes de la transformation de la notion de
personne, et est intimement li au dbut de la civilisation industrielle et l'arrive au
pouvoir de la bourgeoisie.
965
travers le monde. Cet vnement sans prcdent tire une force accrue de l'enchantement musical du style, de la magie des images,
de la richesse des ides. De cette occasion mmorable datent les
lettres de noblesse littraire de l'autobiographie en France et dans
les principales cultures europennes.
Avant les Confessions de Rousseau, de trs nombreuses autobiographies avaient t crites en Europe; un certain nombre d'entre
elles, en particulier en Angleterre et en Allemagne, avaient t publies. Mais la plupart n'taient pas des oeuvres littraires ; c'taient
des textes confidentiels, rservs quelques intimes, et mme d'ordinaire destins l'usage exclusif de l'auteur. Bien souvent, il s'agissait de documents peu labors d'o la proccupation du style se
trouvait exclue. Le rdacteur n'tait pas un crivain, les motivations
artistiques faisaient dfaut. Le rsultat cherch tait tout autre.
L'intervention de Rousseau est dcisive parce que, d'une part, il
est anim par les intentions profondes propres aux auteurs d'autobiographies ; il prouve le besoin de rassembler sa vie et de la
soumettre au, jugement de Dieu et des hommes. Mais d'autre .part,
et en mme temps, il mne bien le chef-d'oeuvre qui parachve
une exceptionnelle carrire d'artiste de la prose. La russite commerciale fera le reste. Il ne s'agit plus, pour les pigones, que de
recommencer ce que Rousseau a commenc. L'autobiographie littraire possde dsormais un modle qui fixe un contenu, impose un
projet et un ton, des thmes obligs. Bien des variations seront possibles par rapport au prototype; on pourra s'en carter plus on
moins, renchrir ou contester. Mais les divergences auront toutes
un foyer commun ; trahir, c'est encore imiter.
L'oeuvre qui fait date dans le domaine littraire est celle qui suscite l'imitation, le pastiche, la parodie. Les Confessions ouvrent un
nouveau march, leur lecture rassemble un public dispos accueillir des livres du mme ordre ; et cette demande neuve enhardit les
producteurs ventuels de ce genre d'crits. Andr Monglond a dcrit
certains aspects de ce phnomne. Jusqu' la fin du XVIIIe sicle, il
y avait eu, en France comme ailleurs, des gens gs qui se mettaient
en devoir de rdiger leurs souvenirs, sans trop oser divulguer ce
qui risquait de passer aux yeux d'autrui pour des radotages sniles.
A peine les Confessions parues, tout change. Aux vieillards qui le
lisent, Rousseau donne aussitt la libert de se complaire aux petits
riens de leur enfance, et il leur communique l'audace de les raconter 8. Les Confessions proposent aux amateurs un vocabulaire et
une syntaxe, une stylistique et une rhtorique, tout un espace mental
o Httrateurs et lecteurs vont dsormais pouvoir s'battre de compagnie; Monglond voque, parmi d'autres, le cas de Marmontel et
g. Andr Monglond, Le Prromantisme franais, t. II, nouvelle dition, Jos Corti,
1966, p. 256.
966
ibid., p.
et lyrisme intrieur, fournit des lments intressants sur l'influence des Confessions et l'histoire
de l'autobiographie. L'tude mriterait d'tre approfondie, et largie au domaine europen.
967
10
Je ne reviendrai pas ici sur les lments contenus dans mon essai antrieur.: Conditions
et Limites de l'Autobiographie, dans Formen der Selbsdarstellung, Berlin, 1956. La prsente
tude complte la prcdente.
11.S..T. Coleridge Thomas Poole,,1797 ; Letters, ed. E.H. Col. London, 1895, vol.
P.
I,
968
969
970
mme. Dieu n'est pas oubli ; la paideia renaissante demeure chrtienne. Et les schmas astrobiologiques conservent toute leur vaHdit
aux yeux d'un Marsile Ficin, d'un Pic de la Mirandole ou d'un
Jrme Cardan. Le fait essentiel est l'accent mis sur le microcosme,
dsormais reconnu comme foyer des signes et des valeurs. L'espace
du dedans n'exclut pas l'espace du dehors, mais il impose sa prminence. Les humanistes clbrent la dignit et l'excellence de
l'homme, dont ils aiment dire qu'il est un autre dieu, l'image
de Dieu, un dieu second (alter deus, secundus deus).
L'autobiographie reflte cette situation. Elle se voit confier la
mission d'explorer ce nouveau continent, cette Terre Neuve annexe
l'espace mental. En cet ge de rupture, o toutes les limites reculent, o sautent les traditions les plus sacres, les habitudes les
plus invtres, pour faire quilibre aux nouveaux cieux et la
nouvelle terre, un nouveau visage de l'homme doit s'affirmer, digne
auteur de ses oeuvres, et gestionnaire de la plante. L'autobiographie doit, elle aussi, faire le tour du monde personnel, dans le rveil
ou l'veil d'une jeunesse irrpressible. Et lorsque viendra le reflux
des grandes esprances dues, lorsqu'il apparatra dcidment que
tout n'est pas possible, les Essais de Montaigne proposeront l'examen
de conscience d'un esprit qui se replie sur lui-mme, pour se ressaisir, dans ses ressources et ses insuffisances. Les Essais, autobiographie dans le dsordre, mais autobiographie tout de mme, proposent
une tentative pour dessiner les lignes d'une vie dans la confusion
des vnements et des circonstances. Le monde matriel et le monde
humain gardent leurs irrationalits, le christianisme a revtu la
figure de l'ambigut. L'homme doit se centrer sur lui-mme pour
faire face, avec les certitudes qui lui sont propres, aux perplexits
de sa vie.
Montaigne n'a pas tu Dieu, et ne manifeste aucune intention de
le tuer. Mais Dieu s'est loign, pris au pige des contradictions des
guerre de religion. Ce desserrement des contraintes thologiennes
augmente d'autant l'autonomie de rflexion propre l'auteur des
Essais. Il fait avec sagacit le tour de sa conscience et de son exprience, le tour du propritaire, pour son propre plaisir et celui de
ses amis. Sans doute peut-on relever chez lui quelques indications
stociennes, mais nulle trace de culpabilit augustinienne. La modernit de Montaigne apparat avec l'importance quasi exclusive
reconnue la vie personnelle et prive, comme aussi dans le fait
que Montaigne a publi ses crits, considrant ainsi qu'ils avaient
une valeur exemplaire, et mritaient de retenir l'attention d'autrui.
Pascal ne s'est pas tromp en dnonant dans les Essais le prototype de la littrature du Moi (Ichliteratur) o l'auteur des Penses
voit un monument de la plus coupable complaisance soi-mme. Il
est bien vrai que les Essais combinent les diverses formes possibles
des critures de la premire personne. La perspective autobiogra-
971
phique est la plus vaste, celle qui englobe toutes les autres dans
une volont de rcapitulation. Mais la rdaction au jour le jour, par
accroissements successifs, voque le journal intime, digression perptuelle centre sur le moi en question, qui se nuance d'dition en
dition. Et dans certaines pages, Montaigne, relatant certains moments de sa vie publique, fait oeuvre aussi de mmorialiste. Mmoires intrieurs et mmoires extrieurs se recoupent pour dessiner
la configuration singulire du gentilhomme gascon.
972
973
352),
974
des librairies, ne prsuppose aucune disposition mystique, mais simplement le retour sur soi d'une curiosit rtrospective. En notre
sicle dchristianis, l'autobiographie est un des droits de l'homme
et du citoyen, comme en tmoigneraient le Fils du Peuple de
Maurice Thorez, les relations autobiographiques de Trotslcy, de
Gorki ou de Jacques Duclos. La rponse est ici qu'il existe des
sacristies de diverses espces, chacun travaillant pour la sienne ;
la politique est devenue l'un des refuges du sacr, qui a tendance
dserter les glises. De plus, en se vulgarisant, l'autobiographie,
passe en mode littraire, peut avoir perdu une partie de son exigence profonde. Mais il en reste toujours quelque chose ; celui qui
recourt cette double vue pour recomposer sa vie selon l'ordre des
valeurs qui la justifient, s'lve ainsi une dimension suprieure de
l'existence. Il rend hommage une vrit qui est pour lui matresse
du sens, point origine et destination finale des attitudes et des
comportements.
Plus ou moins apparent, le caractre initiatique se retrouverait
donc toujours dans une autobiographie digne de ce nom. Le rcit
se transfigure en symbole ; la ligne de vie dessine les configurations
allgoriques des suprmes justifications. Le messianisme rvolutionnaire, cet gard, en vaut un autre, et toutes les eschatologies,
un certain degr de l'analyse, se conforment des modles communs. Toute autobiographie digne de ce nom se distingue du
curriculum vitae ou de la notice biographique en ce qu'elle revt
la signification d'une parabole. Le romancier allemand Hermann
Hesse, racontant un voyage imaginaire, la fois croisade et plerinage, observait :
Notre but n'tait pas simplement l'Orient, ou plutt : notre Orient n'tait
pas seulement un pays, et quelque chose de gographique, c'tait la patrie et
la jeunesse de l'me ; il tait partout et nulle part ; c'tait la synthse de tous
les temps 15.
975
de figurer dans une exposition universelle de cette sorte, et j'ai senti monter
en moi des frissons. On doit, me semble-t-il, tre mieux rconcili avec soimme si l'on veut crire sa vie. Je ne le suis pas encore, du moins il est certain
que mon esprit n'a pas encore atteint assez d'lvation et d'ampleur pour saisir
compltement ma vie. Bien trop souvent, la matire qui est en moi a bris la
form que je voulais lui donner. Ce que j'ai t partiellement n'a point encore
form un tout. Avec une destine aussi varie, avec tous les avatars de mes
diverses situations, il m'est trs difficile, mme extrieurement, de runir tous
les matriaux ncessaires. Certaines circonstances de ma vie me remplissent
encore d'amertume et de tristesse dans le souvenir, quelques-unes mme de
colre contre moi-mme et contre autrui : si bien que ce qui devrait, pour
devenir de l'histoire, tre calme et mort, ou bien transfigur, me bouleverse
encore comme une vivante tragdie 16.
976
l'histoire de l'humanit. Les militants de toutes les idologies estiment, comme dj Pascal, que le moi doit rentrer dans le rang de
la communaut humaine ; il est hassable de se prfrer tous et
tout. L'gotiste, qui se centre sur soi, est un suspect, un aristocrate. Faux procs pourtant ; car le Moi quoiqu'il fasse, ne peut pas
s'isoler du monde et du temps. Lorsqu'il se replie sur son intriorit,
il emporte dans sa retraite l'image de son univers ; le cristal de sa
conscience, retranch de la ralit ambiante, n'en conserve pas
moins, dans sa structure mme, la constitution des eaux mres dans
lesquelles il s'est form. Une voix fraternelle rpond l'exemple de
Condorcet :
Il n'y a pas d'autre connaissance de soi que la connaissance historique. Nul
ne sait ce qu'il est, qui ne sait ce que sont ses compagnons et, avant tous, le
compagnon suprme au sein de l'alliance, le matre des matres, le gnie de
l'poque (Der Genius der Zeitalter) 19.
Friedrich Schlegel,
19. Fr. Schlegel, ideen, 139 ; fragments parus dans l'Athenaum, 1800 ; mme dition
trad. R. Ayrault.
977
flattent de mettre autre chose qu'eux-mmes dans leur oeuvre sont dupes de
la plus fallacieuse illusion. La vrit est qu'on ne sort jamais de soi-mme. [...-.]
Nous sommes enferms dans notre personne comme dans une prison perptuelle.
Ce que nous avons de mieux faire, ce me semble, c'est de reconnatre de
bonne grce cette fallacieuse condition et d'avouer que nous parlons de nousmmes chaque fois que nous n'avons pas la force de nous taire 20.
Si l'on veut laisser aux gnrations futures quelque chose dont elles puissent
tirer profit, crivait-il, ce doit tre des confessions. On doit se placer devant
elles comme personnalit, avec les penses qu'on nourrit, les opinions qu'on a,
et nos descendants pourront, s'ils le veulent, y chercher ce qui leur convient
ou ce qui est de vrit ternelle 22.
Ann.).
LXXV.
62
978
personnelle par celui-l mme qui en est le sujet, mettant jour les
nuances et les intermittences du moi, peut fournir une anthropologie digne de ce nom. Les documents de ce genre, les plus clbres,
mais aussi les plus apparemment mdiocres, permettent de dessiner
les configurations d'une Physiognomonie du dedans, beaucoup plus
significative que celle qui s'attache caractriser, la manire de
Lavater, les fronts et les nez dans l'espce humaine. S'il est vrai,
comme le disait Montaigne, que chaque homme porte en soi la
forme entire de l'humaine condition , une autobiographie totale,
supposer qu'elle ft mene bien par quelque gnie, donnerait
une exposition universelle, une rvlation de l'tre humain dans la
plnitude de son accompHssement 23.
On pourrait multipHer les tmoignages. La thorie romantique de
la connaissance, rejetant le primat de l'intellectualisme et de l'universalisme caractristiques de l'ge des Lumires, se replie sur la
subjectivit dont elle fait le foyer d'une intelligibiht nouvelle. De
l une pistmologie, une conception de la science, qui, dbordant
de la psychologie et de l'anthropologie, tendra ses effets aux
sciences de la nature comme aux sciences historiques. La littrature du Moi n'est qu'un des aspects, ou un des effets, de cette conversion de la culture qui va marquer, de proche en proche, toutes
les rgions du savoir. On a tort de faire du domaine littraire une
sorte de compartiment tanche, spar par des cloisons infranchissables du reste de la culture. Il se trouve en rciprocit d'influence
avec l'ordre humain dans son ensemble. Le superbe isolement des
historiens de la littrature fausse toutes les perspectives en attribuant leur objet d'tude une autonomie qu'il ne possde pas.
L'panouissement de l'autobiographie peut tre mis en correspondance avec l'ide matresse de l'individualisme romantique, selon
H.A. Korff : le primat en valeur du particulier sur le gnral ;
mais ce premier principe est corrig par un second : le devoir
du particulier, dans sa forme particulire, est de manifester le
gnral 24. Il ne s'agit pas ici d'un prcepte littraire, mais d'une
attitude globale, qui prend le contrepied du cosmopolitisme des
Lumires. De l procdent une morale, une science et une mtaphysique, toute une conception de l'homme et du monde, de l
aussi, un sens nouveau de la religion. La culture europenne dans
son ensemble exprime cette transvaluation de toutes les valeurs.
Le domaine de l'autobiographie apparat comme un lieu privilgi
pour la mise en honneur de l'individualit selon les nouvelles va23. Cf. Herder, Vom Erkennen und Empfinden der menschlichen Seele, Werke, d. Suphan,
Band vni, 180, sq ; cet essai date de 1778.
24. Hermann August Korff, Geist der Goethezeit, Band III, I, Leipzig, J.J. Weber, 1940,
p. 360.
979
leurs. Herder, dont nous avons invoqu l'intrt majeur qu'il porte
alla littrature du moi, est un thologien de vocation et de profession, dignitaire de son glise. plus jeune que lui, Schleiermachers le
thologien de la jeune quipe de l'Athenaum, publie en 1800 ses
Monologues qui dveloppent le thme du primat de l'intriorit
personnelle dans l'existence humaine. Herder et Schleiermacher sont
deux reprsentants illustres: de la grande tradition pitiste dans sa
branche luthrienne. Rousseau s'inscrit dans cette mme tradition
europenne par la double affiliation des pitistes vaudois, d'appartenance calvinienne, et de Madame de Warens, qui relve du qitisme catholique selon l'obdience de Madame Guyon et de Fnelon.
Pitisme et quitisme reprsentent deux aspects d'une internationale
religieuse qui, indpendamment des barrires confessionnelles, regroupe ce qu'il y a de plus vivant dans le christianisme du XVIIIe
sicle 25.
L'histoire de l'autobiographie en Europe, et plus gnralement
celle de la littrature du Moi sous ses formes diverses, demeure incomprhensible en dehors de cette nouvelle orientation de la conscience religieuse, affirme ds le XVIIe sicle, et dont les chefsd'oeuvre littraires postrieurs apparaissent comme des fruits tardifsi
Les critures, prives sont des critures d'usage intime de par leur
intention mme ; pour qu'elles prtendent la publicit , pour qu'lles se destinent au grand jour du march littraire, il faudra qu'elles
aient subi une profonde dnaturation. Autrement dit, la littrature
intime du pitisme sera pendant longtemps une littrature non littraire, dont les auteurs n'obissent nullement aux motivations de
l'crivain, soucieux d'attirer l'attention gnrale sur les vicissitudes
de sa vie personnelle, et, pour ce faire, proccup de bien crire,
d'exposer son propos selon les rgles de clart, de convenance, de
style qui caractrisent l'oeuvre de littrature. Les textes en question;
si nombreux soient-ils, en allemand, en anglais et mme en franais,
apparaissent comme des documents pour l'histoire des expriences
et ides rehgieuses, pour l'histoire de la psychologie. Ceux-l mmes
qui ont. t publis en leur temps, il y en a, visaient l'dification
des mes ; ils entendaient porter tmoignage des bonts de Dieu
pour ceux qui lui sont fidles, dans Une totale indiffrence l'gard
d'une critique littraire dont, par principe, ils auraient catgoriquement rcus le jugement.
On peut voquer ce propos l'exemple de Pascal. En dpit du
propos sur le moi hassable , les Penses, au moins par un certain
nombre des fragments qu'elles regroupent, jalonnent une sorte de
journal intime spirituel, rflexions d'un chrtien devant Dieu, relations d'expriences vcues d'une me chrtienne. Cet aspect concret
25. Pour plus de dtails en ce qui concerne l'internationale pitiste, voir mon ouvrage
Dieu, la Nature, l'Homme au Sicle des Lumires. Payot, p. 58-85.
980
981
982
983
Le Moi radical est actif, temporel, aussi simple et visible que possible,
dsireux d'tre pris au mot, srieusement, comme un individu vivant dans un
monde hostile. Au lieu de commencer avec l'homme, il commenc avec luimme ; au lieu de commencer avec des gnralisations, il commence avec des
dtails concrets. Tandis que le conservateur prfre la posie, il prfre l'histoire... 29.
8.
30. Ibid..
31 John Bunyan, Grace abounding to the Chief of Sinners, edited by Roger Sharrock.
Oxford University Press, 1962, p. 5.
32. Op. cit., A Prface, p. 1-2.
33. P. 2.
984
985
l'autobiographie puritaine, dont l'analyse retrouve les aspects essentiels (cf. G.A. Starr,
Defoe and spiritual Autobiography, Princeton University Press, 1965),
986
987
998
REVUE
D' HISTOIRE
LITTERAIRE DE LA FRANCE
989
Selon certains historiens, la premire autobiographie pitiste publie en langue allemande serait la Relation de sa propre vie (Eigener Lebensbeschreibung) crite par Adam Bernd, pasteur vanglique, avec la rvlation sincre et la description prcise d'un des
plus grands flaux du corps et de Fesprit, encore en majeure partie
inconnu..., ouvrage paru Leipzig en 1738 42. Le titre mme indique
l'intrt psychologique de cette publication, dont l'intention premire est difiante. En exposant sa lutte pour la vie spirituelle, ses
tentations et ses checs, tout au long de mille pages, Bernd voudrait
contribuer gurir chez autrui la maladie dont souffre son me
avide de croire, mais anxieuse au sujet de sa propre fidlit, et qui
d'ailleurs avoue qu'elle est d'une sensibilit maladive. Bernd est un
mlancolique congnital, il a essay de se soigner, et sans doute sa
relation de ses tourments fait-elle partie d'une psychothrapie que
le malheureux pasteur s'applique lui-mme, pour tenter d'chapper d'incurables scrupules. Ce livre d'dification est considr comme un jalon dans l'histoire de la psychologie, pour les qualits d'observation, de rigueur dans la description du domaine intime dont
il fait preuve.
Dans la mme perspective que celle de Adam Bernd, on peut
encore citer l'autobiographie de Johann Jacob Reiske (Von ihm
selbst aufgesetzter Lebensbeschreibung), rdige en 1769-1770, et
publie par sa veuve, Reiske (1716-1774) est un universitaire, professeur Leipzig, philologue minent, hellniste et surtout arabisant ;
mais son ouvrage n'appartient pas au genre des autobiographies
professorales, li la culture universitaire allemande du XVIII e sicle.
Christian Wolff, le clbre philosophe de Halle, Auguste Ludwig
Schloezer, l' eminent historien de Goettingen, entre autres, ont laiss
des relations de leur vie o l'accent est mis sur leur carrire acadmique, sur leurs luttes et leurs succs plutt que sur leur existence
intime ; en dpit de leurs titres, ces crits sont des Mmoires plutt
que ds autobiographies 43. Reiske est un savant de qualit, mais
non pas un homme clbre ; de caractre mlancolique et tourment,
il essaie de tirer au clair le sens d'une vie insatisfaite. Elev l'orphelinat de Halle, haut lieu du pitisme, il a souffert d'une ducation clricale et quasi monastique. Il a abandonn l'tude de la
thologie pour l'orientalisme, et se prsente lui-mme comme afflig
d'un caractre sombre et tourment :
Je suis un homme tout fait ordinaire, je n'ai rien accompli d'extraordinaire
et n'ai attir sur moi aucune attention. particulire. Je ne suis pas devenu un
crivain la mode [...]. Ma vie s'est coule en partie dans une pauvret
le recueil Pietismus und Rationalismus, hgg. von Marianne Beyer Frlich,
Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1970, p. 138 sq.
43. Cf. Christian Wolffs eigene Lebensbeschreibung herausgegeben von Heinrich Wuttke,
Leipzig, 1841 (Wolffs est mort en 1754); August Ludwig Schlcezers ffentliches und Privat
leben von ihm selbst beschrieben (Schloezer a vcu jusqu'en 1809).
42. Cf.
990
991
Al. Ibid.,
48. Ibid., p. 543.
992
Ann.).LXXV.
63
994
DISCUSSION
M. BOWMAN
M. GUSDORF
Antoinette Bourignon et Mme Guyon sont des exemples particulirement honteux dans le domaine franais ; voil deux textes crits par des Franaises et
qui ont eu dans l'Europe entire un succs considrable, traduits en anglais,
en allemand, peut-tre mme traduits en latin; or jamais personne ne s'en
occupe. Mme Guyon a t condamne, la pauvre femme, mise la Bastille,
c'est le mauvais gnie de Fnelon, elle empche que l'on connaisse Fnelon
et l'on ne toucherait pas Mme Guyon avec des pincettes.
1
M. BOWMAN
J'aimerais ajouter un petit mot, je connais ces magnifiques textes grce au
livre de M. Lejeune auquel je suis trs reconnaissant.
M. LEJEUNE
996
997
plus explicite que ce : livre n'a pas eu de prcdent et qu'il n'aura pas d'imitateur ; c'est un livre totalement unique. De deux choses l'une : ou bien Les
Confessions sont la seule autobiographie qui existe, ou bien ce sont toutes les
autres qui sont des autobiographies. Quand nous prenons Les Confessions
comme terme de rfrence, c'est le terme de rfrence de rien du tout, c'est
un repoussoir et c'est nous qui baptisons le concept d'autobiographie pour des
raisons, comme vous l'avez laiss entendre, bibliographiques.
Je crois que l'autobiographie premirement n'est pas un genre et, deuximement, qu'il y a impossibilit d'un tel genre.
Si l'on prend un autre exemple, Victor Hugo a deux autobiographies, l'une
qui ne peut pas entrer dans la catgorie autobiographie et qui en est pourtant
une, Les Contemplations ; l'autre, Victor Hugo racont par un tmoin de sa
vie, sur laquelle il a entretenu lui-mme l'hsitation : en est-il l'auteur? est-ce
Madame Victor Hugo ou Vacquerie qui lui servait de secrtaire ? Il y a deux
autobiographies dont ni l'une ni l'autre ne sont des autobiographies. Y a-t-il,
hors des Mmoires, d'autre autobiographie que Les Confessions?
M. GUSDORF
.
M. SEEBACHER
C'est tout le problme que M. Coirault soulevait. Je crois que l'intrt d'une
autobiographie, ou de ce que nous appelons une autobiographie, est tout fait
ailleurs. L'intrt en est spirituel, interprtatif et je pense que c'est ce que
vous vouliez dire quand vous (lisiez pour l'essentiel religieux ; il est trop vident
que dans tout ce romantisme, cette religion se dplace progressivement vers
ses propres implications, vers les problmes politiques et historiques; c'est la
naissance de la conception moderne de l'histoire qui se cherche dans cette
espce de recours au moi. Je ne crois pas du tout que cela suppose une primaut du rapport de l'homme lui-mme sur son rapport Dieu, ou l'histoire,
ou la politique etc.. Je cros au contraire que l'autobiographie, du moins ce
que nous appelons de ce terme, se cherch comme l moyen absolument ncessaire de pouvoir penser l'histoire et de vivre sa spiritualit.
M. GUSDORF
Michelet...
M. SEEBACHER
Michelet bien sr, mais quand il veut faire une autobiographie, il se rend
compte qu'il ne peut pas la faire, qu'il n'aura jamais le temps de la faire,
qu'elle est impossible, il laisse entendre que son Journal entasse et dissimule
des lments pour d'autres qui criront sa biographie.
Il a eu un projet extraordinaire qu'il n'a pas pu raliser, qui s'appelait Le
Livre des Livres, qui aurait t une sorte de dpassement de l'autobiographie
par elle-mme, mais qui indique sa fonction : une autobiographie d'crivain
est moins un livre sur une personne qu'un livre sur. ses livres, sur sa fonction
culturelle, sociale, historique. Ce passage au carr, ou cette rflexivit, vaut
annulation et du livre et du moi. De cette drive nat la forme d'organisation
et d'action du non-moi : l'histoire, qui. par ce renversement tenterait dsormais
de ne plus entrere dans l'avenir reculons.
998
REVUE
D' HISTOIRE
LITTERAIRE DE LA FRANCE
Ce que je veux dire c'est que nous agissons selon un paradoxe tout fait
extraordinaire et scandaleusement universitaire : nous sommes dans une socit
d'histoire littraire et nous parlons fondamentalement par anachronisme. La
communication de M. Coirault faisait penser au moment o mon matre Pierre
Moreau professait son cours sur les stendhaliens avant Stendhal : le Cardinal
de Retz est pour nous rtrospectivement un stendhalien. Je voudrais bien savoir
pourquoi toutes ces questions taient fort agites autour de 1932 et comment
il se trouve que ces rflexions sur l'autobiographie arrivent comme par hasard
toujours au moment o il y a d'normes bouleversements dans l'histoire contemporaine.
M. GUSDORF
Il me semble qu'avec Rousseau il s'est vraiment pass quelque chose ; la
preuve c'est qu'il a fait scandale, qu'il y a eu des pastiches, des imitations,
cela c'est vraiment le signe qu'il s'est pass quelque chose. Jusque-l jamais
une oeuvre littraire de ce type n'avait produit un effet pareil. Rousseau a
compltement chang la figure et c'est pour cela qu'un genre littraire s'est
constitu.
M. JEAN FABRE
Puisque mon ami Gusdorf a fait appel au tmoignage de ceux qui ont pour
tche d'enseigner la littrature, je dirai simplement que je suis d'accord avec
lui sur l'essentiel. Il a entirement raison, me semble-t-il, de considrer symboliquement la date de 1782 comme un point de dpart. C'est le moment
partir duquel l'entreprise autobiographique va relever de la cration littraire.
Jusqu'alors l'autobiographie existait bien, mais elle tait projete des fins
religieuses ou morales, ou, tout aussi bien, immorales, ce qui revient au mme.
Il suffit, pour s'en persuader, de considrer trois filires.
D'abord une tradition catholique ou, plus exactement, carmlitaine . Ne
conviendrait-il pas de saluer ce propos EL Libro de Sua Vida, le livre de
la vie de Sainte Thrse d'Avila, publi quelques annes aprs sa mort mais
crit par elle dans un esprit la fois d'oraison et de libert, un mlange de
ralisme familier et de ferveur et, de ce fait, beaucoup moins systmatiquement
orient que les Confessions de Saint Augustin.
Vient ensuite cette filire anglicane et puritaine, laquelle G. Gusdorf s'est
trs lgitimement attach. Si Marc-Michel Rey, l'diteur hollandais de J.-J. Rousseau, a t le premier ou un des premiers l'inviter crire ses Confessions,
c'est parce qu'il savait que l'entreprise tait courante en Angleterre et dans
les pays protestants et qu'il attendait de Rousseau l'quivalent.
Il existe cependant une troisime filire, celle de l'autobiographie a libertine ,
puisque ceux que l'on dsignait communment du nom de libertins y dvoilaient
dessein, agressivement, leurs secrtes penses et les scandales de leur vie.
C'est eux que les adversaires de Rousseau, Diderot en tte, le renvoient :
impudent, un Cardan . C'est faire bon march d'un homme qui, en racon un
tant sa vie, ne cherche pas plus le scandale que l'dification.
Tout compte fait, ses mobiles se rvlent essentiellement potiques. Mais qui,
en 1782, aurait pu le comprendre ou l'admettre ? Seul, Jean-Jacques Rousseau
connaissait assez bien la tradition laquelle, malgr qu'il en et, on allait
rattacher son entreprise, pour affirmer par rapport elle, sa pleine originalit.
Il est certain, comme il dit, que son entreprise n'eut jamais d'exemple . Il
se hasardait beaucoup plus en ajoutant : et dont l'excution n'aura point
d'imitateurs . Se doutait-il qu'il venait de fonder ce que l'on considrera dsormais, tort ou raison, comme un genre littraire et qu' ce titre il allait
susciter de nombreux mules ? Mais d'avance il pouvait les dfier au nom du
privilge qui appartient de droit au chef-d'oeuvre : le projet pourra devenir
commun, mais il reste unique en son excution.
999
M. GERALD RANNAUD
Je me permets de dire que le problme pos sur l'histoire m'intresse passionnment puisque j'aurai tout l'heure l'occasion de tenir des propos sur ce
sujet. Je voudrais pour ce matin simplement poser une question ; j'ai l'impression qu'il y a malentendu et que peut-tre un certain excs de rigueur de
Philippe Lejeune a provoqu la fois des crispations et aussi peut-tre des
surdits, des surdits involontaires.
La question pose est : y a-t-il un genre littraire d l'autobiographie? On
s'interroge, et finalement on est trs incertain. Je me demande s'il ne faut pas
rejeter la notion de genre en l'occurrence ou ventuellement en esquisser une
redfinition. Philippe Lejeune a voqu la place du lecteur comme dterminante
du genre, mais lorsque l'on envisage le genre par rapport au nombre d oeuvres
qui l'ont constitu, ce lecteur est trs particulier, il est le rdacteur des autobiographies suivantes; Si l'on s'interroge sur la notion de genre je me demande
s'il ne faudrait pas la penser au niveau d'une conscience du genre ; je veux
dire par l que je ne sais pas si le genre existe au niveau d'un corpus reprable avec ses limites et ses frontires, mais je pense qu'un rdacteur qui prend
la plume est l'intrieur des barrires qui sont celles de l'histoire; et ce que
j'appellerai non pas horizon d'attente mais champ culturel dans lequel
il se situe ; il conscience qu'il s'inscrit dans un genre. Les variables sont
certaines, il y Un problme de date, mais l conscience du genre serait essentiellement sentie comme diffrentielle. Je ne sais pas trop ce que j'cris, mais
je sais que je n'cris pas autre chose. Stendhal n'a jamais employ le mot
d'autobiographie, il a employ d'autres expressions, mais il a parfaitement conscience en l'occurrence de ne pas faire d'autobiographie.
La notion de genre est parfaitement diffrentielle ; elle n'est pas dfinition
d'un contenu mais circonscription d'un champ, bornes places autour d'un territoire; il y a une sorte de limitation que l'crivain s'impose et laquelle on
n'a peut-tre pas rflchi.
M. GUSDORF
Les Anglais parlent de " littrature du moi . On peut la dfinir modestement et de manire empirique parce qu'il faut s'en tenir des concepts qui
puissent servir. A l'intrieur d'une littrature du moi on doit pouvoir caractriser plusieurs orientations particulires ; ce sera, par exemple, la diffrence
entre le journal intime, l'autobiographie, les mmoires, sur le plan... je ne veux
pas dire oprationnel... voil que moi aussi je suis saisi par le langage... mais
sur le plan de la pense, je crois qu'effectivement on sait quand on a affaire
une autobiographie; le lecteur de l'autobiographie et le rdacteur se rencontrent trs bien sur ce projet. De mme qu'il faudrait sans doute marquer
les limites entre l'autobiographie et le roman ; tout roman est une autobiographie, toute autobiographie est un roman.
M. ARNAUD LASTER
J'ai t un peu tonn de n'entendre prononcer qu' l'instant et par M.
Gusdorf . la distinction que M. Lejeune avait indique dans son livre entre
roman autobiographique et autobiographie, car l aussi se pose une question
importante. Si l'on reprend l'exemple de Victor Hugo, il existe de lui deux
textes en prose que l'on peut qualifier, dans une certaine mesure, d'autobiographiques : l'un qui s'intitule Mes fils, la premire personne du singulier
voil un critre , mais qui, pour le rest, se trouve crit la troisime personne ; et un autre qui, lui, est rdig la premire persornne du singulier,
mais qui s'intitule Le dernier jour d'un condamn. Donc on se retrouve en
face de cette question que je pose M. Gusdorf et M. Lejeune : comment exclure le roman autobiographique du genre d l'autobiographie?
M. SEEBACHER
Dans les deux cas ce sont des livres politiques explicitement.
1000
M. GUSDORF
Je ne suis pas un littraire, mais peut-tre un peu navement je vous dirai
qu' l'usage a ne doit pas tre tellement difficile de marquer des diffrences
reprables, utiles et suffisantes ; dans l'absolu, on n'arrivera rien, de mme
que si l'on veut dfinir l'essence ; c'est ce que je disais tout l'heure propos
de la querelle des Universaux. Si vraiment on veut obtenir qu'il y ait une
existence ontologique, on n'y arrivera pas.
M. SEEBACHER
Vous avez dit tout l'heure que l'on pouvait mettre les Essais de Montaigne
dans l'autobiographie. Chaque fois que l'on emploie le terme d'autobiographie
et surtout le terme de genre autobiographique, on opre une manoeuvre qui
consiste dsamorcer le problme. Le problme du fonctionnement du moi
dans les Essais de Montaigne n'est pas simple, il est dangereux pour toutes
sortes de raisons philosophiques, spirituelles, politiques ou historiques propres
cette poque-l. A partir du moment o on laisse entendre que les Essais
sont une autobiographie, on dsamorce totalement la vigueur, l'importance, le
rle vritablement historique des Essais et on aboutit enseigner aux enfants
que ce qui est intressant dans les Essais c'est la peinture de Montaigne par
lui-mme, comme d'un simple cas de la nature humaine en gnral, universelle
et intemporelle. Toutes les questions que srieusement et ironiquement pose
Philippe Lejeune sont absolument essentielles pour faire comprendre non telle
classification bibliographique ou scolaire, mais vritablement le dynamisme historique de la recherche actuelle.
M. LEJEUNE
Je voudrais rpondre la question pose : comment distinguer .un roman
autobiographique d'une autobiographie ? Dans l'autobiographie, auteur et narrateur sont la mme personne ; dans un roman autobiographique, il y a diffrence d'identit entre l'auteur et le narrateur-personnage. Ce qui se passe,
c'est que, par exemple devant un roman crit la premire personne, le lecteur suppose que l'auteur projette une partie de sa vie personnelle et de ses
problmes dans sa fiction. C'est l une habitude de lecture, souvent induite
par l'auteur lui-mme, qui peut conclure avec son lecteur des pactes ambigus,
avec des sous-entendus. Les diteurs, eux aussi, organisent volontiers des ambiguts et des jeux de confusion. Souvent, sur la couverture d'un livre de rcit,
l'diteur vous affirme la fois que l'oeuvre est une autobiographie, parce que
cela mobilise la mythologie du vcu , et qu'elle est un roman, parce que le
roman c'est a bien crit , qu'il y a des aventures, des personnages, des histoires. On essaie de combiner diffrentes motivations de lectures, pour tre sr
que le lecteur achtera le livre. Les auteurs aiment organiser des ambiguts
en se servant la fois de diffrents pactes, en les combinant, en les hirarchisants. Mais il faut bien voir que tous ces jeux d'ambigut ne sont possibles
que parce qu'il y a une convention. On ne peut truquer, compliquer, hirarchiser que parce qu'il y a tout de mme des cadres convenus qui sont communs
aux lecteurs de l'poque.
M. ARNAUD LASTER
Je voudrais faire apparatre que les conventions du prtendu genre autobiographique n'ont pas toujours t videntes. On est l dans le domaine de
l'implicite. La frontire est mouvante entre l'autobiographie et le roman autobiographique. Tout l'heure, on parlait de Stendhal. Henry Brulard, ce n'est
pas tout fait Henri Beyle. Dans Jacques Vingtras, il y a Jules Valls. Les
initiales sont les mmes ; mais pourquoi des pseudonymes ? Au dbut de la
Vie d'Henry Brulard, le narrateur dit son hsitation devant l'effroyable difficult des Je et des Moi qui ferait prendre l'auteur en grippe. Quant au choix
de Valls, s'il lui permet sans tricher de renforcer les traits, de caricaturer ou
1001
M. GUSDORF
Je le crois...
M. BARBERIS
Mais je voudrais m'attacher quelque chose d'autre. Je voudrais vous poser
la question suivante : qu'est-ce qui vous gne tellement dans la mthode de
Lejeune? Il me semble que Lejeune a un mrite considrable, c'est qu'il entreprend de dfinir les concepts qu'il utilise ; il entreprend tout simplement de
cerner de manire un peu scientifique le phnomne littraire. Qu'est-ce qui
vous gne dans cette vise scientifique dans l domaine de la rflexion sur la
littrature ?
M. GUSDORF
Oui, c'est une bonne question... Si je m'interroge l-dessus, c'est que je
dois tre au fond persuad que le phnomne littraire dans son essence est
irrductible un quadrillage mathmatique. On peut parler de tout le reste,
compter les mots, les virgules etc.. mais j'ai l'impression que dans la cration,
je ne sais pas si l'on emploie encore ce mot... la cration de l'oeuvre littraire,
il y a quelque chose d'irrductible et que ce qui est important, passionnant,
fondamental, c'est cela. Alors naturellement on peut avoir une affectation de
science mais cela me gne parce que je ne suis pas du tout sr que lorsque
l'on crit CQFD la fin d'un raisonnement, on raisonne mathmatiquement.
M. BARBERIS
M. Lejeune n'a pas dit CQFD. Il a ouvert un programme de recherche et
de rflexion. Il ne faut pas confondre science et scientisme. Vous cherchez la
caricature pour mettre en cause la dmarche dans ce qu'elle a probablement
de valable. D'autre part vous nous dites que la littrature c'est une essence.
On pourrait peut-tre vous rpondre que la littrature ce sont des pratiques.
Lejeune s'interroge sur la pratique de la littrature tant au niveau de la
rception qu' celui d l'criture. Que peut-il y avoir l de troublant ? J'admets
que cela vous trouble. Mais est-ce que vous pouvez expliquer pourquoi ?
M. GUSDORF
Le langage littraire n'est pas le langage des quations. A vouloir toute
force le faire entrer l-dedans, on le dnature; maintenant je n'empche personne de se livrer sa recherche.
M. BARBERIS
1002
M. COIRAULT
La sance de ce matin a t consacre surtout, malgr le caractre particulier du sujet de ce Colloque, des questions de mthode. Ces questions de mthode, ncessairement, ont pris un tour
gnral, et, tant donn l'ambiance qui rgne depuis quelques annes, elles ont donn lieu des controverses vhmentes. La discussion a d'ailleurs fini par aboutir au problme qui est peut-tre
fondamental en matire de mthode : celui de savoir si, et dans
quelle mesure, nos tudes sont susceptibles d'une rigueur scientifique analogue celle qui rgne dans d'autres sciences, et en particulier dans les sciences de la nature. Je crois que c'est en effet la
grande question, laquelle on peut rpondre par oui ou par non.
Le dbat pourrait tre serein, tant donn que de toute manire
le oui n'est qu'une esprance ou un projet, et le non un doute, fond
sur le caractre particulier des oeuvres de l'esprit humain parmi les
autres objets de l'univers. La discussion' pourrait tre d'autant plus
calme, s'il tait possible qu'une discussion calme existt jamais entre
les savants, qu'au fond nous sommes tous d'accord pour rechercher
la plus grande rigueur scientifique possible dans nos tudes ; il s'agit
seulement de savoir jusqu' quel point elle peut tre pousse, et
s'il est possible de rver d'une rigueur absolue, qui en quelque sorte
rduirait la littrature un objet, comme les objets de la nature
que dcrivent les sciences exactes.
Evidemment, c'est une discussion qui aurait pu tre poursuivie,
qui n'a pas pu l'tre, tant donn d'abord que tel n'tait pas le sujet
de notre Colloque, et tant donn surtout le peu de temps dont
nous disposions. Ceux qui sont amateurs de discussions de mthode
le regretteront. Mais cet aprs-midi la sance va avoir un caractre
tout fait autre, puisqu'elle va tre consacre cette fois des examens d'oeuvres particulires ; elle se rapprochera par consquent
davantage de nos activits habituelles.
PAUL BNICHOU.
1-Prside par M. Paul Bnichou .
I. Quelques questions
Confusment sentie comme reploye tout entire dans l'espace
clos de sa cration, l'autobiographie court le risque de la part de
la critique d'une lecture dangereusement autiste qui, oubliant le
lecteur, ou le situant, par une affectation la fois abusive et rductrice, comme destinataire et juge de la bonne ou de la mauvaise
foi, voile sa valeur premire, puisqu'il est l'autre, d'tre d'abord
pour l'autobiographe conscience de sa solitude et de sa solidarit.
Le tu incertain en pense duquel le je se dtermine fonde
l'existence du nous indispensable et menaant auquel le je
est li dialectiquement, appartenance et diffrence. Ainsi ne considrer que les jeux du moi et de l'image o il se mire, limiter
toute instance au tribunal de la conscience, trop assimiler l'exigence de lucidit au rve mtaphorique de la transparence, se perd
de vue le sentiment moteur le plus profond peut-tre de l'acte autobiographique : le sentiment de l'Histoire mais sous sa forme la plus
douloureuse : l'angoisse.
Que toute littrature du moi se fonde sur le. sentiment de l'Histoire, la littrature mmorialiste en fait foi. Mais il serait vain d'y
chercher l'angoisse, tout au plus l'inquitude. L'affirmation du moi
y dnote le refus de se dissoudre dans les zones anonymes de l'Histoire mais celle-ci reste le discours de rfrence dont le moi attend
sa dfinition. En se prvalant au contraire d'une instance transcendante ou intrieure, l'autobiographe, rompant avec l'criture mmorialiste, suggre ou affirme l'ide d'une sortie de l'Histoire. L'Histoire est de l'ordre du malheur. Augustin en appelle Dieu, Rousseau sa conscience.
Mais cette tentation de singularit est lie ici la pratique d'une
criture systmatique. Il ne s'agit plus de diffrencier l'individu dans
le rcit de son accomplissement et de sa plnitude mais d'en faire
le signe exemplaire d'un systme d'analyse du monde. L'Individu
prend ainsi position par rapport l'Histoire. Il se veut scessio-
LE MOI ET L'HISTOIRE
CHATEAUBRIAND, STENDHAL
1005
niste dans la mesure o il s'affirme hors du discours commun. L'affirmation de sa parole est refus de se plier l'anonymat du langage.
L'un tant signe de l'autre, le rcit du moi est lgitimation de sa
vision du monde. L'acte rousseauiste, l'affirmation du moi seul
fonde l'autobiographie en lui ouvrant le champ de l'irrductibilit.
Senti et affirm comme un cart lgitime et fondateur, le moi est
donc simultanment postul et interrog. Indubitable dans son existence, il met en doute, pour la repenser, sa dfinition. L'criture
autobiographique se veut dpassement de la banalit du discours,
elle est passage au-del, dvoilement mais aussi transgression assume. Chateaubriand comme Stendhal affirmeront une valeur individuelle dont la lgitimit finalement sera plus, comme chez Rousseau, d'ordre externe et systmatique qu'interne et sensible. La
valeur, le sens du moi est ncessairement de rfrence.
Ainsi une certaine lecture sensible de Rousseau, au moment
mme o son exemple se fonde et se constitue l'autobiographie,
confirme et institutionnalise la rupture. La fuite hors de l'histoire
se double d'un refuge potique. L'invitable tension lyrique que le
sujet prouve parler de soi fonde l'autobiographie comme acte
potique, acte pur. Renan en fera foi, mais aussi l'Image romantique
du cercle centr sur l'innit du moi et son mode d'expression, la
posie ; la priphrie ces modes antagonistes et secondaires, selon
la formule que E. Vance rappelait dans un article rcent : Tout
ce que le pote touche, dit Schlegel, devient posie ; dans cette
potisation il procde naturellement de lui-mme, du centre... La
posie en son tat originaire est le centre de toute rhtorique et de
toute histoire 1. La fuite du moi en lui-mme devient fondatrice
d'une histoire. S'installe ainsi une certaine vision autobiographique
o se diffrencient le moi et le dcor : le monde, les autres, l'histoire
sont le thtre du moi.
C'est pour la conscience se refermer sur elle-mme comme un
pige puisque s'institue comme fait fondateur le centre mme du
dbat. Invoque comme instance d'appel face au jugement possible
de l'Histoire, la conscience se retrouve fondatrice de l'histoire, transcendance installe en elle-mme, achronique, et contemplant la
matire des jours. Or ce qui tait en jeu, c'tait l'existence mme et
la lgitimit de cette conscience : l'incertitude pour l'individu de
sa possession ou de sa dpossession. Ce discours, cette parole intime
o se rvle cette vidence lui-mme qu'est pour l'individu sa
conscience, ce discours est-il le sien? Peut-il se dire et ainsi se
possder ? Est-il condamn jamais n'tre qu'un on dit ?
S'il est vrai qu'au niveau du langage le je n'a de sens que
dans la srie paradigmatique verbale des personnes, au niveau de
ce langage institutionnalis, disons de ce discours institutionnel
1.
1006
LE MOI ET L'HISTOIRE
CHATEAUBRIAND, STENDHAL
1007
1008
Ainsi le rapport l'histoire est-il de rsonance dfaut d'identit. L'criture se poursuit, se poursuivra, parallle, linaire, accomplissant d'une mme dmarche l'explicitation du discours historique
et du discours biographique. Dans la liaison indissoluble du tout et
de la partie, se glisse la mditation du moi et du non-moi, de cette
prsence-absence au monde o se peroit l'identit. Spare du
monde, la conscience s'y peroit dans l'image qu'elle s'en forme.
Ainsi la parole individuelle y gagne-t-elle le poids de l'histoire et
l'histoire l'vidence de la parole individuelle, et cela dans cette
marge de rencontre sur laquelle J. Starobinski a justement attir
l'attention 3. Le style est lieu de l'unit profonde, trace de l'histoire
dans la vie, trace de la vie dans l'histoire. Ds lors devient lgitime
ce sohpsisme potique o conduisent les Mmoires. L'criture autobiographique vise assumer la plnitude de cette parole solitaire
et universelle. man de la sphre de l'ego, appuy sur la centralit
du moi, le sens est dans ce style magnifique, dans cette cohrence
sans limite mais aussi sans ancrage, donc la fois ici et ailleurs.
Investissant les formes de l'criture mmorialiste, le style, ici la
stylisation , modifie le jeu parcellaire de la mmoire. La recherche d'une parole vocatoire conduit la dcouverte d'une criture.
Les platitudes de la chronique, reprises par le discours lyrique, donnent naissance, par contigut, un discours hermneutique. La cohrence ne se fonde pas sur l'identification mais trs exactement sur
cette figure de la distance, de la disjonction dont R. Barthes dans
la Voyageuse de nuit rappelle l'importance chez Chateaubriand : la
mtaphore :
La mtaphore, figure fondamentale de la littrature, peut tre aussi comprise
comme un puissant instrument de disjonction ; notamment chez Chateaubriand
o elle abonde, elle nous reprsente la contigut mais aussi l'incommunication
de deux mondes, de deux langues, la fois solidaires et spares, comme si
l'une n'tait jamais que la nostalgie de l'autre ; le rcit fournit des lments
littraux (il y oblige mme) qui sont par la voie mtaphorique, tout d'un coup
happs, soulevs, dcolls, puis abandonns au naturel de l'anecdote, cependant que la parole nouvelle, introduite... de force, sans prparation, au gr
d'une anacoluthe violente, met brusquement en prsence d'un ailleurs irrductible 4.
2. Mmoires, d'outre-tombe, IVe partie, livre XII, 1.
3. " Le style de l'autobiographie, La Relation critique, Gallimard, 1970, p. 84.
4. " La Voyageuse de nuit , Prface la Vie de Ranc de Chateaubriand, coll. 10/18,
16.
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CHATEAUBRIAND, STENDHAL
Ann.).
LXXV.
64
1010
de
LE MOI ET
1011
crdibilit.
Envahi, trop vouloir en assumer le sens, par une mditation
lyrique sur l'histoire, le discours autobiographique glisse invitablement, dans ce dsir d'univocit, l'incantation pique. Prtendant
l'absolu du Verbe, il renonce sa propre historicit, c'est--dire
l'irrductibilit de sa parole propre et, outrepassant ainsi le sens de
son histoire et de l'histoire, s'enferme dans une emphase tautologique o il se dpossde de lui-mme. Ce je , rfrent de tout et
de lui-mme, perdant sa singularit, finit par n'tre plus qu'une
figure dpersonnalise de l' Histoire, prise au pige du langage commun. La recherche du secret individuel dbouche sur la banalit
du discours public.
Ainsi se referme sur lui le cercle dsenchant de la dfiance.
L'acuit mfiante de Stendhal ne s'y trompera pas.
7. Ibid., p. 10.
8. Ibid., p. 17.
1012
LE MOI ET L'HISTOIRE
CHATEAUBRIAND, STENDHAL
1013
1014
Face au poids de l'Histoire et la rigueur de son discours, l'inventaire du rel n'aboutit qu' la dispersion. Irrductiblement riv
la chane des temps, l'individu ne s'y retrouve que par une lointaine
analogie. Dans le sens de l'histoire il apparat comme un non-sens
indchiffrable et pourtant signifiant. Le dchirant entre le sens de
la cohrence et le sentiment de l'incohrence, l'Histoire lui est une
conscience malheureuse. Appuye sur l'vidence des oeuvres du
pass et indubitablement tendue vers la certitude d'un futur, elle
souligne l'insignifiance du prsent, de l'individu qui ne s'y manifeste
que comme un murmure confus et mensonger. Faute d'avoir t
colonel Wagram, il faut dserter le prsent, tenter une sortie,
sinon de l'histoire, du moins de l'historicit.
De proche en proche, au cours des deux premiers chapitres, la
conscience tente donc cette sortie de l'histoire et attend sa vrit
de sa propre errance. Plutt que de demander au prsent la forme
d'un discours factice et prissable, autant dposer devant soi les
lments d'un sens venir. Comme Benvenuto Cellini, le lecteur
futur est le garant de l'incertaine vrit.
Ainsi le rapport l'histoire est-il d'analogie, de modification.
Non-sens historique, l'individu est aussi sens ; sens du non-sens. Le
problme est de dchiffrage, de transcription. L'criture narrative,
fautive dans la recherche d'une cohrence significative, se justifie
en acceptant une signification figurative. Signification plurielle, elle
peut signifier le prsent condition de ne pas chercher le rduire.
Le glissement qui avait dj conduit de l'criture biographique
l'criture romanesque comme perception de l'histoire conduit ici
la recherche d'une criture sans histoire. Le rapport exact de l'indi14. Vie de Henry Brulard, chap. I, p. 4.
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CHATEAUBRIAND, STENDHAL
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CHATEAUBRIAND, STENDHAL
1017
avant absolu, donc possibilit d'un futur intact. Terre des origines d'avant le crime, elle est encore alors terre pr-rvolutionnaire,
terre esclave, donc chance nouvelle de la rvolution trahie. Dans
son image se retrouve l'association de l'enfance et de la rvolution 15.
De la mme faon le pass va-t-il jouer comme un autre ailleurs.
L'ge de la Renaissance, senti comme antrieur l'histoire, du moins
cette histoire bourgeoise qu'on nomme la civilisation, apparat lui
aussi, par un semblable renversement, le signe pass d'un futur
possible. La rdaction des Chroniques Italiennes donne ainsi au
Brulard une profondeur renouvele.
Avouant la fois son espoir et sa dception, dnonant l'chec
historique de la Rvolution et affirmant sa premiit, l'criture autobiographique poursuit dans sa dmarche rgressive le mme but que
l'criture progressive du Roman. Installe dans les creux de la production romanesque, elle recherche dans l'inventaire des vnements, des groupes, des socits l mme rponse la mme question. L'individu n'a d'autre sens que celui de la socit. Loin de
toute ide d'innit, l'individu ne se peroit, honnis l'vidence de
sa prsence, que dans l'incohrence des langages. Hritier du matrialisme convaincu d'Helvtius et des idologues, Stendhal postule
que le moi n'est que langage et, travers le langage, produit sociohistorique. Il n'y a de dfinition de l'individu que dans la comprhension du sens de l'Histoire. Si l'Histoire ne devait pas avoir, de
sens, peut-tre ne resterait-il plus, affirmation radicale de l'incohrence, que d'en dcrter unilatralement la fin par l'octroi aberrant
des Privilges.
GRALD RANNAUD.
rapport j'tais absolument comme les peuples actuels de l'Europe,
mes tyrans me parlaient toujours avec les douces paroles de la plus tendre sollicitude et
leur plus ferme allie tait la religion ... Un jour, ennuy du pathos de mon pre, je lui
dis : Si tu m'aimes tant, donne-moi cinq sous par jour et laisse moi vivre comme je
voudrai... Mon pre marcha sur moi comme pour m'anantir ... Ne dirait-on pas l'empereur
Nicolas et la municipalit de Varsovie dont on parle tant le jour o j'cris, tant il est vrai
15. Sous un autre
que toutes les tyrannies se ressemblent, " Henry Brulard, Bibliothque de la Pliade, chap. 9,
p. 86.
DISCUSSION
Mme GOR
cette Chartreuse, c'est parce que le dernier chapitre est une utopie, c'est--dire
une sortie de l'histoire. Je rappelle la dernire phrase de La Chartreuse : Tout
le monde tait heureux... .
ce
Mme GOR
M. RANNAUD
Ce qui est trs rvlateur, c'est le dernier mot de La Chartreuse de Parme,
Le roman se termine sur une pouvantable dception. L'attitude de Stendhal
est une attitude de dchirement l'gard de la Rvolution. Il suffit de voir
l'pope napolonienne, qui lui semble tre le moment o, dans ces " vacances
de la vie (la formule a t employe), se ralise un certain idal possible ;
la socit peut produire alors des individus qui sont conformes cet idal, c'est-dire parfaitement gaux. On rencontre une image parfaitement semblable
dans le dbut des souvenirs de l'Histoire de mes Ides, de Quinet, o celui-ci
nous rappelle un souvenir d'enfant : lorsqu'il y a eu un appel gnral pour
LE MOI ET L'HISTOIRE
CHATEAUBRIAND, STENDHAL
1019
plus formuler cette utopie ineffable. Mais c'est peut-tre la dception que la
socit et l'histoire ne produisent pas quelque chose de bon qui conduit Fabrice
la Chartreuse.
Mme CANDEAU
Il est mutile de chercher dans Parme ou hors de Panne le heu de la Chartreuse, La Chartreuse est une mtaphore. C'est la mtaphore du silence, de
l'extase amoureuse, du recueillement, seule ralit vcue par Stendhal. Sa vie
le manifeste et principalement l'exprience Mtilde. Si l'individu est un produit
socio-historique, comment expliquez-vous cela ? Sublimation, direz-vous ; d'autres
rpondraient rduction l'tre, au moi ontologique.
Stendhal chappe habituellement l'histoire. Il ne vit pas l'vnement. Qu'on
se rappelle son attitude pendant la campagne de Russie. Il est incapable d'assumer l'histoire l manire d'un Chateaubriand ou, si vous voulez, d'un
Malraux.
M. RANNAUD
Qu'il soit incapable d'assumer le discours historique, c'est certain. Il a tent
des crits historiques en grand nombre, et n'a pas russi en mener bien
un seul, de mme qu'il a chou dans le rcit biographique, dans sa Vie de
Napolon, etc. Il y a chez lui une sorte d'incapacit assumer cette cohrence.
Mais dire que Stendhal chappe l'histoire, c'est autre chose. La Vie d'Henri
Brulard explique trs exactement sa relation la plus intime l'histoire, dans le
chapitre 2, lorsqu'il dit : Je tombais avec Napolon; on ne peut mieux
exprimer la liaison d l'homme et de l'histoire.
Mme
CANDEAU
Le dnouement de Le Rouge et le Noir n'est explicable que par cette disposition chapper au temps et la dure, au temps historique comme la
dure intrieure.
M.
RANNAUD
FLAUBERT
1021
Potique
1022
Flaubert est littralement habit par son sujet, ou, plus exactement, par ce moi dont il voudrait se dfaire et, quatre mois aprs
Novembre, il entreprend la premire ducation sentimentale.
Le titre tait peu prs le seul point commun avec le roman qui
nous intresse, mais une nouvelle volution se fait jour par rapport
aux essais autobiographiques prcdents, qui nous achemine vers la
version dfinitive. Non seulement le IL est substitu au JE, mais le
couple originel est ddoubl. Au JE-MARIE-MARIA des Mmoires
d'un fou et de Novembre succdent les couples Henry-Emilie et
Jules-Lucinde. Ds cette tape, on peut s'interroger confusion
souhaite par le narrateur sur les identits vritables. S'il est
certain que, en dehors de quelques particularits physiques qui exercent une fascination permanente sur Flaubert, ni Lucinde ni Mme
Renaud ne reprsentent Elisa Schlesinger, efface ds Novembre,
Gustave pourrait tenter une sorte d'auto-portrait avec jeu de miroirs dformants sous les traits d'Henry et de Jules. Le besoin de se
tourner en ridicule avec un plaisir masochiste vident s'amorce.
Alors que le narrateur des Mmoires d'un fou et de Novembre conservait une tendresse apitoye et amuse pour le JE qu'il mettait
en scne, celui de la premire ducation est sans indulgence et ce
pourrait presque tre considr comme une forme particulire d'au5. Novembre.
1023
tobiographie quand on se souvient du peu de sympathie que Flaubert se portait. Ds les premires lignes, Henry ressemble trangement Frdric :
Le hros d ce livre, un matin d'octobre, arriva Paris avec un coeur de
dix-huit ans et un diplme de bachelier es lettres.
Il fit son entre dans cette capitale du monde civilis par la Porte Saint-Denis,
dont il put admirer la belle architecture; il vit dans la rue des voitures de
fumier tranes par un cheval et un ne, des charrettes de boulanger tires
bras d'homme, des laitires qui vendaient leur lait, des portires qui balayaient
le ruisseau. Cela faisait beaucoup de bruit Notre homme, la tte la portire
de la diligence, regardait les passants et lisait les enseignes 6.
un autoportrait?
6. Novembre, chapitre I.
7, Maurice Nadeau, prface aux Ecrits de jeunesse, ditions Rencontre, Lausanne.
1024
I,
1.
1025
Ann.);
LXXV.
65
1026
verait sur sa fortune, sa majorit. Puis ils reviendraient Paris, ils travailleraient ensemble, ne se quitteraient pas ; et, comme dlassement leurs
travaux, ils auraient des amours de princesses dans des boudoirs de satin, ou
de fulgurantes orgies avec des courtisanes illustres. Des doutes succdaient
leurs emportements d'espoir. Aprs des crises de gaiet verbeuse, ils tombaient
dans des silences profonds. Frdric, dans ces derniers temps, n'avait rien
crit ; ses opinions littraires taient changes : il estimait par-dessus tout la
passion ; Werther, Ren, Franck, Lara, Llia et d'autres plus mdiocres l'enthousiasmaient presque galement. Quelquefois la musique lui semblait seule
capable d'exprimer ses troubles intrieurs ; alors, il rvait de symphonies ; ou
bien la surface des choses l'apprhendait, et il voulait peindre. Il avait compos
des vers, pourtant ; Deslauriers les trouva fort beaux, mais sans demander une
autre pice.
I,
D, 3.
L'
1027
DISCUSSION
M. BNICHOU
D'ailleurs, j'avoue que j'ai t trs influenc, cet gard, par le travail de
Sartre.
M. BNICHOU
Vous admettez que ces deux points de vue coexistent ?
M. COGNY
C'est exact.
M. BNICHOU
Peut-tre auriez-vpus intrt, si je puis me permettre une suggestion, souligner davantage la concidence des deux dmarches, qui ne sont pas identiques.
1030
assez semblable chez Leiris qui, dans Glossaire j'y serre mes gloses,
donne la dfinition suivante :
POUSSIRE ce qui pousse entre les serres de la lumire 2,
Le jeu de mots de la priode surraliste s'enracine lui aussi profondment, sinon dans l'inconscient, du moins dans l'exprience enfantine la plus archaque.
En considrant la poussire comme un des termes de cette association, je suis dj pass de la ressemblance des anecdotes celle
des textes eux-mmes. En effet si, chez Leiris, la poussire fait bien
partie des lments de la scne voque (les corpuscules de poussire qui dansent dans le rayon de soleil), elle ne figure qu' titre
mtaphorique dans le texte de Loti, situe d'ailleurs dj du ct
de la mort ( conscience du nant, de la poussire des poussires )
ou de l'oubli ( Toutes choses que je suis incapable de dgager
mieux de leur nuit et de leur poussire ). Cette ressemblance, il
ne m'intresse pas d'y voir le rsultat d'une hypothtique influence.
Tout ce chapitre de Biffures est si visiblement crit dans la tonalit
de la Sylvie de Nerval que le texte de Loti lui fournirait, en comparaison, une bien ple ascendance. Il est cependant intressant de
noter que ces textes de Loti sur son enfance ont trs rapidement
fait partie de recueils de morceaux choisis, devenant des classiques
de la littrature enfantine au mme titre que les fables ou l'Histoire sainte qui reviennent si souvent dans les souvenirs de Leiris 3.
Sans poser par consquent le problme de la filiation, contentons2. M. Leiris, Mots sans mmoire, Paris, Gallimard, 1969, p. 104.
3. Par exemple, le dbut du chapitre 5 du Roman d'un enfant figure dans le Choix de
textes d'A. Mironneau, Cours lmentaire 2 degr (A. Colin, 1910) avec le chapeau :
r C'est notre mre que se rattachent les plus doux souvenirs de notre enfance .
LOTI, LEIRIS
1031
Loti
Leiris
Loti
Leiris
Loti
Leiris
Loti
Leiris
Loti
Leiris
1032
LOTI, LEIRIS
1033
logie du premier souvenir, de cette chass aux records. Il est intressant d rappeler quelques-unes des questions :
4. Quel est le premier souvenir que vous avez, de votre enfance ? Le dcrire
aussi compltement que possible en indiquant sa nettet, la manire dont il
apparat et l'ge auquel il correspond.
5. L'vnement dont vous vous souvenez a-t-il jou un rle quelconque dans
Pour Rene Balibar, mais ceci n'est qu'un moment d'une dmonstration d'ensemble que je n'ai pas rappeler ni discuter ici, Pguy
serait^ dans Pierre, l'adaptateur de questionnaires pseudo-scientifiques . Il m'apparat que le rapport entre science (psychologie) et
littrature doive plutt tre envisag dans l'autre sens : la psychologie n'a fait que formaliser une pratique dj ancienne de la littrature. Si Pguy, ou Hermant, semblent rpondre au questionnaire
de Bnet, c'est que celui-ci reprend en fait un questionnaire implicite, modle mis au point depuis plus d' un sicle par les autobio-
graphes.
De ce modle, le premier souvenir ne constitue que l'un des
chapitres. Mes remarques propos du premier souvenir pourraient
se rpter (concidence des expriences, ressemblance des textes) sur
une srie d'autres units dont l'ensemble formerait le rcit d'enfance.
Du rapprochement et de la superposition de toutes les autobiographies se dgag une sorte de rcit idal dont chaque oeuvre
fournit une ralisation particuhre. Cette srie, plus ou moins complte selon les cas, serait peu prs.la suivante : Je suis n, Mon
pre et ma mre, La maison, Le reste de la famille, Le premier souvenir, Le langage, Le monde extrieur, Les animaux, La mort, Les
livres, La vocation, L'cole, Le sexe , La fin de l'enfance.
On voit que cette srie n'est pas homogne. Deux rubriques dtonnent par rapport l'ensemble. Le je suis n renvoie en fait
au modle biographique, au rcit d'une vie fait de l'extrieur, chappant de la sorte au cadre de la vie intrieure, au champ de la mmoire fondatrice de la conscience de soi. galement le premier
souvenir , car cette rubrique peut o non concider avec l'une ou
l'autre des autres rubriques : le premier souvenir peut tre en mme
temps le souvenir de la mre, ou d la maison, pu de n'importe
quoi. Nous nous trouvons l en prsence d'un aspect particulier d'un
problme plus .large et plus fondamental; celui de l'ordre du rcit,
problme qui dans l'autobiographie peut tre considr comme le
choix qui dtermine et sous-tend tous les autres. Tel que nous le
proposions plus haut, l'enchanement des rubriques du rcit d'en-
1034
1035
premires pages, Loti dclare qu'il ne veut pas crire une histoire ,
mais seulement noter, sans suite ni transition, des instants qui
l'ont frapp d'une trange manire. On a l la reprise du topos
du refus de la composition ; chez G. Sand, par exemple : Je pourrai
donc parler sans ordre et sans suite , ou chez Renan : Les Souvenirs d'Enfance n'ont pas la prtention de former un rcit complet
et suivi. Ce sont, presque sans ordre, les images qui me sont apparues , ou, plus prs de nous, chez Julien Green : On dira tout
uniment ce qui passe par la tte, au gr du souvenir. La mmoire
nous livre tout en dsordre, tout moment du jour. Mais Loti, pas
plus que ces trois auteurs, ne reste fidle cette ambition initiale.
Comme Stendhal, comme tous les autres, il en revient rapidement
la chronologie de l'tat civil. Une srie d'indications permet en effet
de voir qu'il suit un droulement sans surprise. Le premier souvenir
(chap; 2) est ainsi situ : Ce devait tre au commencement de mon
second hiver ; le deuxime (chap. 3) ; le deuxime t ; le troisime (chap. 4) est aussi en t ; le quatrime (chap. 5, le dbut de
notre texte) : Je dvais avoir un peu plus de trois ans . Et Loti
avoue d'ailleurs finalement au dbut du chapitre 7 : J'ai cherch
mettre peu prs par ordre de date ces souvenirs . A partir de
l et du chapitre 8, le cadre social va dissiper tout ce que le tableau
pouvait avoir d'un peu flou : description de la maison, mise en place
de la famille, etc.
Gomment donc chapper ce modle biographique? L'autobiographe est-il condamn rpter sans fin le mme texte en croyant
chaque fois faire oeuvre originale ? Avant d'utiliser, comme le fera
dans une certaine mesure Leiris, le modle autre que fournit la
psychanalyse, reste la solution des raffinements subtils ou de l'excessif brouillage. La raret et l'uniformit des lments du rcit d'enfance n'empche cependant pas une assez grande varit des combinaisons. Pour prendre des exemples rcents, un Claude Roy dans
Moi je, un Franois Nourissier dans Un Petit Bourgeois, se livrent
au brouillage des lments du rcit d'enfance, compliqu du brouillage des lments du temps de l'criture, Mais cette libert d'allure,
cette ironie l'gard des contraintes ne les mnent en ralit ni plus
loin ni autre part que Rousseau ou Stendhal; Le texte modle rsiste
toutes les contorsions, et Claude Roy a beau s'amuser dclarer :
Je n'ai pas gard un souvenir absolument net de ma premire
sortie, du chaud.et du froid de natre , il ne fait que proposer une
nime variation du problme crucial.des trois dbuts (tat civil,
mmoire, commencement du texte). Claude Roy, Franois Nourissier,
mais ils sont loin d'tre les seuls, et la plupart des autobiographies
rcentes datent en fait du XIXe sicle, refusent la structure propose par la psychanalyse et qui permettrait peut-tre de rsoudre
cette ambigut. Ils sont trs conscients de l'apport de la psychanalyse, ils jouent mme avec un certain nombre de vocables et de
1036
concepts freudiens, mais ils ne l'intgrent pas rellement la conception de leur texte. Il est pourtant assez clair que l'autobiographie
tendait, ds Rousseau, vers ce qui allait devenir la psychanalyse
et Freud n'a pas manqu de rappeler ce qu'il devait aux artistes,
romanciers et crivains.
De cette invitable rencontre de l'autobiographie et de la psychanalyse, je ne prendrai pour preuve que le dbut du Roman dun
enfant. Le texte bien innocent de Loti dispose devant notre regard
post-freudien tous les lments d'une interprtation facile, peuttre trop facile. Une double infraction par rapport au programme
initial signale le champ de l'analyse. Tous les premiers chapitres,
qui dboucheront sur la deuxime partie de notre passage, le rayon
de soleil Stamboul, ont d'abord t annoncs comme des souvenirs de plein t lumineux, de midis tincelants, ou bien de feux
de branches grandes flammes roses 5. On s'aperoit bien vite que
ces souvenirs lumineux basculent tous dans la peur et dans l'effroi.
La premire exprience est sans doute de ce point de vue la plus
caractristique : l'exaltation de l'enfant qui dcouvre les joies du
saut devant un feu de bois se transform soudain en une peur grandissante voir mourir le feu ; cette peur s'apaise avec l'arrive de
la mre : je me cachai la tte, je m'abmai dans sa robe : c'tait
la protection suprme, l'asile o rien n'atteignait plus, le nid des
nids o l'on oubliait tout... 6. L'vocation s'arrte ici, ce moment
au-del duquel, Comme ce sera le cas dans le souvenir de Leiris,
il n'y a sans doute plus rien dire. Avec une certaine navet, Loti
ritre quatre fois cette mme exprience sous des formes diverses :
frayeur devant le vgtal, l'ocan, la maladie et le temps. Mais dans
ce dernier cas, c'est--dire notre pisode du rayon de soleil, le remde
n fonctionne plus : il y a quelque chose de plus fort que la mre,
et c'est le sentiment du passage du temps : l'enfant prouve alors
une tristesse que Loti qualifie d'incomprhensible : vient alors
le saut dans le temps, vers la mme tristesse ressentie Stamboul.
Par cette deuxime infraction, qui brise le cadre annonc des souvenirs d'enfance, le texte acquiert son statut autobiographique, il
cesse d'tre un simple recueil de souvenirs et d'impressions. Ceux-ci
deviennent les pices d'un mcanisme plus complexe : la recherche
des lois de fonctionnement d'une personnalit. Loti termine son
chapitre en faisant diverses hypothses pour justifier cette construction : celle des penses d'anctres , celle du rve, avant d'avancer la justification, qui n'explique rien, du presque inintelligible .
Cette srie de dcrochements nous indique que Loti aborde l un
point crucial qu'il ne peut, ou qu'il ne veut, dmler, car il touche
de trop prs l'essentiel; la sanctification de la mre, la ftichisa5. P. Loti, Le Roman d'un enfant, Paris, Calmann-Lvy, 1922, p. 3.
e.lbid., p.
10.
LOTI, LEIRIS
1037
1038
Il faudrait ici tudier dans le dtail la faon dont, progressivement, les diffrents l-
ments qui composent ce souvenir sont avancs, mis de ct, puis rpts, composant toute
une stratgie de la mise en place et de la dcouverte.
LOTI, LEIRIS
1039
1040
partie de L'Age d'homme, Antiquits , figure un souvenir de l'enfant malade auprs de sa mre, qui ressemble beaucoup la premire moiti (le chapitre 5) du texte de Loti (la maladie serait
sans doute une rubrique ajouter au rcit d'enfance type). Leiris
insre ce souvenir de l'enfant moelleusement install sur les genoux de la mre 9 dans un cadre plus complexe cependant que
celui de Loti, et o apparaissent le pre et surtout un pole, une
salamandre qui est en fait le personnage principal dont il est dit
que l'engin ne me faisait nullement l'effet d'un monstre, mais
celui d'une bte tide et bonne, l'haleine rassurante 10. Tous Ces
qualificatifs, que Leiris attribue dans Biffures la mre, sont ici
attribus la machine. Or cette salamandre est vue, dans le reste
de L'Age d'homme, comme un monstre menaant. Cette diffrence
de traitement ne se comprend que par la mise en relation de la
machine avec la chambre coucher des parents, chambre dont la
porte reste ouverte : l'interprtation ne peut pas viter de dceler
l les lments d'une probable scne originelle, fantasme sur les
explosions et les apaisements de la salamandre. Comme le texte de
Loti, celui de Leiris, du moins le Leiris de L'Age d'homme, semble
susceptible d'une interprtation. Le livre peint une enfance aussi
terrorise que celle de Loti, d'une terreur qui s'tendra la vie tout
entire, entirement domine par ces effrois d'enfance, ma vie
m'apparat analogue celle d'un peuple perptuellement en proie
des terreurs superstitieuses et plac sous la coupe de mystres sombres et cruels 11. Peur des agressions, du sang, de l femme, complexe de castration, le texte redit une monotone litanie. Et pourtant
c'est l'enfance du mme individu qui, dans Biffures, apparat presque entirement tourne vers la curiosit, la dcouverte, la joie des
mots, l'merveillement.
La grille dont se sert Leiris est diffrente, l'outillage aussi, et surgit
une enfance autre, d'autres souvenirs, et le tableau d'un enfant et
de sa mre dans le calme et la chaleur. Inutile de se demander lequel est le vrai, ou le plus vrai. La vrit est celle de l'adulte, dix
ans de distance. Dans le premier livre, la vrit d'un adulte qui
demande le salut l'criture, comme il le demandait aux femmes,
au voyage, ou la psychanalyse elle-mme. Dans le deuxime livre,
la vrit d'un adulte qui crit en ayant accept l'ide qu'il n'y a
pas de salut. Il sait que son entreprise autobiographique ne trouve
sa vrit qu'en elle-mme, il sait qu'elle est sans fin comme est sans
fin la recherche d'une plnitude ou d'un manque originels, plnitude
jamais atteinte, jamais comble. Avec Leiris, l'criture autobiographique devient elle-mme sa propre rgle, elle peut devenir posie.
BRUNO VERCIER.
9. M. Leiris, L'Age d'homme, Gallimard, coll. Folio, 1973, p. 67.
10. Ibid., p. 67.
11. Ibid., p. 103.
DISCUSSION
M. GUSDORF
M. Vercier montr dans ls faits ce que peut tre une tude positiv
de l'autobiographie ; ce problme du premier souvenir d'enfance est dj
abord dans la premire revue de psychologie, dont je parlais ce matin, le
Magazine d Karl-Philipp Moritz. Gela se situe entre 1782 et 1790; il y a des
contributions qui sont des souvenirs d'enfance, et un article d'un auteur allemand de ce temps-l qui tudie l problme du premier souvenir,
Ce matin j'ai parl d' autobiographie initiatique . C'est un mot qu'il faudrait prciser. Je ne remployais pas du tout dans le sens des reprsentations
gnostiques. Mais je me demande si la recherch du premier souvenir cette
espce de point fondamental dont vous avez montr la fois qu'il fait l'objet
d'une recherche tout fait profonde, et qu'en fait on trouve toujours la mme
chose, c'est--dire apparemment pas grand'chose (l'on tombe sur un rcit tout
fait) , je me demande si cette recherche du premier souvenir n'est pas la
recherche du commencement, en vue de ce que j'appelais initiation ce matin.
Vous avez trs bien montr qu'il y a une sorte de modle du rcit du commencement, puis vous avez parl de la psychanalyse. Est-ce que l psychanalyse;
ce n'est pas un autre modle du rcit du commencement, c'est--dire qu'au fond
elle aussi est dcevante, parce qu'elle se compose de clichs ; il y a un autre
schma par-dessus le schma antrieur, et l'on rtrouvera aussi toujours le
mme.
N'y aurait - il pas l une sorte de difficult constitutive de l'autobiographie ?
Et ce moment il ne s'agit plus d'un genre littraire, mais d'une form de l
qute d soi. Car il ne s'agit pas seulement du souvenir. On voit trs bien dans
cette recherche que cela, ne concerne: pas l souvenir dans l'espace-temps. Vous
avez cit le questionnaire admirable d Binet et Simon, o l'on voit comment
des psychologues peuvent manquer absolument de psychologie ! Leurs questions
sont absolument idiotes, et cela prouve qu'ils n'ont pas compris de quoi il
tait question.
Ce n'est pas un souvenir.; c'est une espce de concidence de l'homme avec
lui-mme qui est la justification profonde de la dmarche autobiographique.
Il ne s'agit pas de la mmoire ; suivant un mot que vous avez employ, et que
j'emploie volontiers, il s'agit de quelque chose qui serait une " mtammoire ,
c'est--dire une constitution de l'individu selon l'ordre1 des valeurs.
L rcit autobiographique n'est pas simplement une sorte de dposition,
c'est un essai dsespr pour l'individu de rcuprer la totalit de sa propre
vie; on commence la chercher au commencement, avec l'ide qu'il y a une
prdestination, que dans le premier souvenir serait crite une prdestination.
Or, ce premier, souvenir est inaccessible; ou bien c'est. un souvenir, qui
n'a pas une valeur temporelle, une valeur spatiale, une valeur historique ;
c'est, un souvenir qui a une valeur de mtammoire, de .mtaphysique. C'est
REVUE D'HISTOIRE LITTRAIRE DE LA FRANCE (75e
Ann.).
LXXV.
.66
1042
Initium ,
M. VERCIER
Initiation, je ne sais pas. Dbut absolu, certainement. Quant votre premire question, elle touche un domaine qui sort du cadre de mes proccupations.
M. LETEUNE
On peut peut-tre retourner la manire dont vous posiez la question. Vous
disiez que dans l'autobiographie la mre remplaait la Dame des romans courtois. Est-ce que dj ce moment-l la femme ne remplaait pas la mre ?
1043
M. BNICHOU
A propos du mois de Mai, c'est dans le joli mois de Mai que " le temps
se renouvelle , disent les chansons, et si le temps se renouvelle, c'est la nouvelle saison, mais ce peut tre aussi le temps dans un sens plus mtaphysique.
M. BANNAUD
Je serais beaucoup plus sensible, dans la communication de M. Vercier, son ouverture vers une lecture psychanalytique, qui est pertinente en
ce qui concerne les deux textes; mais, pour ma part, je me refuserai la
gnraliser; car je rappelle que les deux premiers souvenirs de Stendhal n'ont
rien voir avec la rondeur maternelle. Il se souvient d'avoir mordu l joue
une cousine, et d'avoir laiss tomber des couteaux par la fentre sur la plus
pouvantable pi-griche de Grenoble.
Il faut peut-tre expulser cette ide d'une maternit, d'une rondeur, etc.,
comme un thme-universel. Ce qui me semble beaucoup plus intressant, c'est
toutes les remarques de Bruno Vercier sur tout ce qui touche l'autobiographie
comme langage, c'est--dire la faon dont l'individu reoit cet ensemble de
formes, de reprsentations travers lesquelles il se cherche.
Je crois que l'individu est toujours en relation avec des modles pralables,
et qu'il y a mme l un phnomne d'intelligibilit. Rousseau disait : " Pour
une entreprise comme la mienne, il faudrait un langage inou. Seulement, le
difficile du langage inou, c'est qu'il est inintelligible. On est oblig de trouver
des modles tout faits et de s'y soumettre.
Ce qui est intressant aussi, mon sens, c'est que Bruno Vercier a not
que, dans le cadre de l'oeuvr de Leiris, quelque chose de signifiant apparat
C'est le changement radical d'attitude de l'auteur envers son texte, envers son
oeuvre. Bruno Vercier a montr que cela permet Leiris de dpasser le modle,
et mme le modle ambiant, c'est--dire le modle psychanalytique. Cela lui
permet d'admettre que par rapport lui son texte est devenu compltement
indpendant, que son autobiographie est une sorte d'analogie, et qu'il n'y a
pas d'espoir de salut ou de dlivrance pour celui qui a crit ce texte. C'est
lorsque cet acte d'criture a assum la vie que des mutations deviennent possibles.
Mi BNICHOU
1044
M. BOWMAN
Simplement, pour rejoindre M. Rannaud et souligner que pour ce problme de relation avec le langage, le graphisme de l'autobiographie, une lecture trs utile pour ceux qui tudient l'autobiographie est celle des ouvrages
de P. Courcelle sur les Confessions de Saint Augustin, o il dmarque soigneusement les prototypes littraires du rcit de la conversion, ce qui est dj un
peu gnant, mais ce qui est beaucoup plus gnant est la trace des chos de
cette scne dans une littrature que nous croyons " sincre , celle de l'poque
romantique. Et je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question d'emprunt ou
d'imitation ; il s'agit plutt d'un fait beaucoup plus grave, qui est la difficult
de tout effort pour exprimer la conscience de soi en autobiographie par le
recours au langage, qui est une chose sociale, une chose apprise, une chose
historique, et l'cart entre la conscience de soi et le recours ce qui constitue
donc ncessairement la tradition littraire. Ce problme doit tre au centre
de toute tude de l'autobiographie.
M. BERSANI
J'ai t frapp, en coutant Bruno Vercier, par un rapprochement possible
entre le texte de Leiris et un certain nombre de textes proustiens, notamment
celui qui concerne la chambre de la tante Lonie Combray : mme espace
clos, savoureusement angoissant, mme effet de lumire. Preuve, s'il en tait
besoin, de la validit d'une mthode qui m'a paru assez proche de celle suivie
par Propp pour l'tude des contes populaires russes.
Autre remarque : il me semble que l'on aurait intrt tudier le mythe
du premier souvenir non pas seulement dans l'autobiographie mais aussi dans
la biographie. Je pense en particulier ce que Sartre a pu crire de Baudelaire
et de Flaubert. Dans les deux cas le biographe essaie d'ancrer son tude (qui
dpasse, et de beaucoup, les limites d'une simple biographie) dans un premier
souvenir : prise de conscience de sa solitude par l'enfant Baudelaire, difficults
que Flaubert aurait connues pour apprendre lire.
M. VERCIER
1045
Mme FRAISSE
1046
M. VERCIER
Que nous le vivions comme tel, c'est ce qui est important, dans la perspective autobiographique,
M. LASTER
Je voudrais d'abord redire, aprs d'autres, combien j'ai t intress par la
communication de Bruno Vercier, et lui proposer le cas de Jules Valls, si l'on
admet bien qu'il s'agit avec lui d'autobiographie, au-del du roman autobiographique. Dans L'Enfant aussi, il me semble que le mythe du premier souvenir renvoie au mythe de la naissance. Mais, cause de la nature du premier
souvenir de Valls, l'intrt se trouve dplac.
Le premier souvenir de Valls Jacques Vingtras dans L'Enfant , il nous
le dit ds le chapitre I, date d'une fesse inflige par sa mre. Or, dans le
mythe du premier souvenir des autres, il y a la tendresse maternelle. Comme
il en est frustr, c'est toute la question de la naissance qu'il est amen se
poser ; et elle se trouve tellement pose qu'on peut la lire ds la premire
phrase du livre : Ai-je t nourri par ma mre ? , quoi s'ajoutent les phrases
suivantes : Est-ce une paysanne qui m'a donn son lait? Je rien sais rien.
Quel que soit le sein que j'ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du
temps o j'tais tout petit ; je n'ai pas t dorlot, tapot, baisot ; j'ai t
beaucoup fouett.
Que le narrateur se demande si sa mre l'a nourri ou pas, cela pourrait tre
sans consquence ; mais il y revient, beaucoup plus loin, dans un passage o
il est question de la femme du censeur qu'avec ses camarades il regardait,
par des trous, des fentes . C'est au chapitre XVIII :
Je prfre, crit-il, l'charpe rose que la fernme du censeur entortille autour de sa taille souple au chle jauntre dont ma mre est maintenant si
fire. Je prfre le chapeau de la Parisienne, petites fleurs tremblotantes,
avec deux ou trois marguerites aux yeux d'or, la coiffure que porte celle qui
m'a donn ou fait donner le sein je ne me rappelle plus. Et pour cause :
comment pourrait-il se rappeler ? Et sur le chapeau de Madame Vingtras,
il y a encore un petit melon et un oiseau qui a un trop gros ventre .
Je crois qu'il y a lieu de rflchir sur ces phrases, sur ces mots.
Au chapitre XXIII, Madame Vingtras dit Jacques : Tu ries pas le fils
de ta mre . Elle lui dit cela en plaisantant. Mais le narrateur reprend :
enfant du hasard ? Ai-je t fouett par erreur pendant treize ans ?
Suis-je un
Parlez, vous que j'ai appele jusqu'ici genitrix, ma mre... . La question
initiale du roman ne peut-elle donc pas se traduire : Madame Vingtras a-t-elle
t ma mre ? .
Lorsqu'enfin, un jour, cette femme s'effondre et manifeste une certaine tendresse, voici ce qu'crit le narrateur : Je ne l'appelai plus que mre
partir de ce jour jusqu' sa mort. Phrase remarquable dans le rcit, puisque
c'est l'unique allusion la mort de la mre dans L'Enfant, et que cette projection dans le futur, au-del du terme temporel de l'histoire raconte, rpondant l'interrogation initiale, marque en quelque sorte la reconnaissance par
le fils de sa mre !
Je crois que de la privation de ce qui constitue chez les autres le mythe du
premier souvenir nat chez Valls toute une mise en question du lien qui unit
le fils sa mre, avec les implications philosophiques et mmes politiques
qu'elle peut avoir. Il y a, entre autres choses, dans L'Enfant, la tentative d'y
apporter une rponse. Mais une telle aventure est-elle seulement propre
Valls ? N'y a-t-il pas chez d'autres crivains des situations similaires ?
1048
graphe btit sur le sable : il construit sur la brume avec du brouillard. Et dans les multiples interviews (dont Sartre n'est pas avare),
qui ont accompagn ou suivi la publication des Mots, interviews au
reste bien contradictoires, Sartre a soulign combien ce texte est
sous-tendu par la conversion de son auteur la philosophie marxiste et l'entreprise rvolutionnaire. On trouvera dans le dernier
livre de Sartre On a raison de se rvolter (compos au magntophone), clairement explicite et radicalise, l'idologie qui se trouvait
l'arrire-plan des Mots.
En fait, d'un point de vue plus strictement littraire, de toutes les
dclarations que Sartre a pu faire propos des Mots, celle qui nous
parat le mieux clairer son projet est la suivante, faite en 1971,
avec quelques annes de recul :
Le sens du style dans Les Mots, c'est que le livre est un adieu la littrature : un objet qui se conteste soi-mme doit tre crit le mieux possible.
Si, chez beaucoup d'crivains, l'autobiographie est souvent moins
crite, moins littraire que leurs autres oeuvres, chez Sartre, au milieu
1049
rester sur ce plan par trop infrieur Proust. C'est bien le cas, pour
reprendre un leit motiv sartrien, de dire que qui perd gagne ou
plutt que qui gagne perd. Que Les Mots soit le mieux crit
possible , ses lecteurs en conviennent, et y applaudissent, mais que
cet objet ce livre se conteste lui-mme, et avec lui, la littrature,
ils ne le peroivent en aucune manire. Or, en explicitant la formule
de Sartre que nous citions plus haut, Les Mots serait, dans le projet
de leur auteur, une autobiographie qui se contesterait elle-mme en
tant qu'autobiographie, des souvenirs d'enfance contestant la mythologie sur laquelle reposent les souvenirs d'enfance traditionnels, le
rcit d'une vocation d'crivain, qui se moquerait des rcits de vocation. Le malentendu est donc vertigineux, et on voudrait s'interroger
sur ce qui l'a rendu possible, en essayant de caractriser ce texte du
point de vue de son appartenance au genre autobiographique. Cette
approche des Mots ne prtend pas tre la meilleure, et n'en exclut
pas d'autres ; elle, laissera de ct bien des perspectives dveloppes
dans diverses tudes ; elle s'appuiera, peut-tre pas toujours pertinemment, sur les travaux de Philippe Lejeune, en particulier sur ses
dfinitions du genre autobiographique. Mais notre propos sera beaucoup plus modeste, plus empirique pour ne pas dire : plus impressionniste -. Au fond, notre problme est le suivant : un lecteur qui
s'est fait une image de l'autobiographie d'aprs un certain nombre
d'autobiographies exemplaires et incontestables, des Confessions de
Rousseau L'Age d'homme de Leiris, en passant par la Vie d'Henry
Brulard, les Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse d Renan, retrouvet-il cette image dans le livre de Sartre? voit-il comble, ou au contraire frustre, l'attente qui se cre autour du terme d'autobiographie ?
Si l'on prend les divers critres poss par Philippe Lejeune dans
L'Autobiographie en France (1971), et prciss dans Le pacte autobiographique (1973), on admettra que Les Mots constitue une
autobiographie, qui retient et intrigue par d'videntes singularits.
Qu'il y ait identit entre l'auteur, le narrateur, le protagoniste, aucun
doute l-dessus, bien que le lecteur, aprs les cinq premires pages,
prouve quelque surprise voir dbarquer Jean-Paul Sartre sous la
forme d'un enfant fait au galop, dans ce qui avait d'abord l'allure
d'une chronique impersonnelle d'une famille alsacienne d'aprs 1850.
Mais assez vite des rfrences, des anticipations indiquent que cet
enfant est bien destin crire les oeuvres que nous connaissons
comme tant celles de Jean-Paul Sartre. L'identit nominale peut
dispenser d'un pacte autobiographique ; celui-ci n'est pas au vrai
trs apparent l'intrieur du livre, mme si Sartre dans certaines
interviews, que le lecteur des Mots n'est pas obligatoirement cens
connatre, a admis du bout des lvres avoir crit une autobiographie . Dans Les Mots, ni le titre ni les sous-titres n'annoncent clairement la couleur autobiographique ; point de prface ni de post-
1050
face ; pas mme de ces prire d'insrer que l'usage fait mettre sur
les rabats de la couverture. On ne.peut trouver l'quivalent d'un
pacte autobiographique que dans des formules parses qui attestent
une intention d'exactitude et de fidlit par rapport aux annes voques, un souci de respecter les donnes et les limites de la mmoire. Ainsi le narrateur, aprs avoir admis : ce que je viens d'crire
est faux. Vrai. Ni vrai ni faux comme tout ce qu'on crit sur les fous,
sur les hommes ce qui pourrait nous loigner de l'impression
d'avoir affaire une autobiographie ajoute immdiatement : j'ai
rapport les faits avec autant d'exactitude que ma mmoire le permettait 1 (p. 61), ce qui relve de l'entreprise autobiographique la
plus orthodoxe, comme en relve, quelques pages plus loin, cette
valuation d'une incertitude : Comment pourrais-je fixer aprs
tant d'annes, surtout l'insaisissable et mouvante frontire qui
spare la possession du cabotinage (p. 72). De telles formules, qui
ne sont pas rares, attestent la probit du narrateur, attach valuer le degr de sincrit qu'il peut accorder, l'ge indiqu, aux
affections de l'enfant. Notons cependant, moins classique dans l'autobiographie, l'affirmation d'une telle distance du narrateur l'gard
de son enfance renie, oublie, perdue (p. 191), qu'elle l'amne
voquer tout un travail de dchiffrage, et de reconstruction, qui
ne laisse pas de paratre alatoire : Mes premires annes surtout,
je les ai biffes : quand j'ai commenc ce livre, il m'a fallu beaucoup
de temps pour les dchiffrer sous les ratures (p. 200). On retrou
verait, d'ailleurs, des formules presque analogues, dans les grandes
entreprises, biographiques celles-l, de Sartre sur Jean Genet ou sur
Flaubert. L'autobiographie, pas plus que la biographie, ne prtend
restituer un pass en soi (notion qu'carte la philosophie sartrienne),
mais le reconstitue et le structure selon un projet qui appartient au
prsent.
Si nous considrons la matire du rcit sartrien, l'histoire voque, sommes-nous toujours dans les cadres de l'autobiographie ?
L'autobiographie depuis Rousseau suppose un rcit d'enfance, qui
ne se borne pas voquer les minutes heureuses d'un pass enfui,
mais qui retrace la gense intellectuelle et morale d'une personne.
Ici, premire vue, nous n'avons de rcit suivi et exhaustif que des
annes 1909-1916, et l'histoire de l'enfant s'arrte la douzime
anne, c'est--dire avant des vnements qui ont le plus marqu,
sinon traumatis, son adolescence, et qui ont ncessairement dtermin sa personnalit d'adulte. Cette coupure, pourtant, en dpit
d'une suite promise (p. 211), mais non donne, ne met pas en
cause la cohrence et l'achvement du livre, et, y regarder de prs,
ne donne pas au livre le statut de souvenirs d'enfance qui, par
leur caractre limitatif, ne constitueraient pas une autobiographie.
1.
Folio , 1972.
1051
1052
cette combinaison parfaitement ralise sans tre nulle part explicite d'un rcit d'enfance, d'une biographie intellectuelle saisie
dans sa prhistoire, d'un rcit de vocation organis dans la perspective d'un reniement et d'une conversion venir ? Sartre, qui on
a parfois reproch d'avoir crit des romans ou des pices thse, se
garde bien ici d'intercaler dans la narration des commentaires dmonstratifs ; les aperus philosophiques sont limits des maximes
de moraliste ou des traits polmiques ; et l'ordre dialectique, comme Philippe Lejeune l'a dmontr dans son tude L'ordre du
rcit dans Les Mots , vient se dissimuler sous un ordre narratif,
peut-tre superficiel, mais constant. Les rfrences chronologiques,
nombreuses et assez prcises, assurent la fois la succession et les
simultanits. Concentration et dramatisation sont obtenus par l'unit de lieu et d'action : l'essentiel de l'action se situe dans un appartement parisien, avec de rares chappes dans un jardin public ;
le conflit se droule et se dploie entre un petit-fils et un grand-pre,
dans le cadre d'une bibliothque, avec un peu en repli, une mre
aimante, mais efface, une grand-mre secptique, mais discrte.
Sans transgresser les rgles de l'autobiographie, Sartre vite ce travers commun la plupart des autobiographes qu'est la tendance au
ralentissement, la dispersion, la dtente. Son rcit semble acclrer la fuite de l'enfant, travers un palais de glaces et d'illusions,
toujours la recherche d'une solution qui le justifierait : il doit
chaque fois abandonner celle qui l'a d'abord rassur, pour une autre,
plus complexe, mais non moins dcevante, et cela jusqu'au refuge,
au pige de la vocation littraire. Et cette impression d'acclration
est renforce par les mouvements toujours imprvus de va-et-vient
entre le pass et le prsent du narrateur. S'il est vrai, selon Sartre,
que l'objet littraire est une trange toupie qui n'existe qu'en mouvement , jamais toupie n'a tourn mieux ni plus vite que ce rcit
des Mots.
Si le rcit obtient ce resserrement, si rare dans le genre, c'est
d'abord que l'autobiographie est ici dlivre, dgraisse, pourrait-on
dire, de toute recherche d'motion et de pathtique. Le narrateur
ne semble nullement soucieux d'tablir entre le lecteur et l'enfant
une identification ou une participation sentimentale, et l'attendrissement est rarissime, mme sous la forme de l'humour attendri que
Rousseau avait souvent utilis. L'ironie sarcastique donne le ton dominant, et d'abord l'endroit de ce grand-pre dont le portrait biographique occupe souvent le premier plan. Certes toutes les autobiographies ne constituent des souvenirs pieux sur les parents
et les proches. Il existe certaines autobiographies, et plusieurs romans
autobiographiques, anims par un inpuisable ressentiment du narrateur l'gard de l'un ou l'autre de ses gniteurs. Ainsi La vie
d'Henry Brulard, L'Enfant, de Valls, Poil de Carotte, de Jules
Renard. Mais ce n'est point le ressentiment qui anime le narrateur
1053
ridicule
1054
1055
duites : que la Vrit et la Fable sont une mme chose, qu'il faut
jouer la passion pour la ressentir, que l'homme est un tre de crmonie (p. 75). Il est mme jusqu' certains chos anticips de
Valry et de Gide, en ce qui concerne la primaut de l'esthtique
sur le politique, que l'on pourrait reprer dans les discours du
grand-pre.
C'est videmment dans la mesure o l'ironie agressive porte sur
l'enfant lui-mme que l'autobiographie de Sartre nous parat surtout
unique en son genre, d'autant plus que cette ironie n'accable pas
un enfant prsent comme exceptionnel ou anormal, mais comme
dsesprment normal. Elle ne s'attaque donc pas Jean-Paul seulement, mais tout enfant lev dans la bourgeoisie, et au mythe
sous-jacent l'ducation bourgeoise, de l'enfance innocente, sincre et authentique. Un relev des termes les plus frquemments appliqus l'enfant serait difiant : acteur (p. 26), caniche (p.
28), polichinelle , pasquin, grimacier (p. 32), moiti dupe
et s'arrangeant pour le paratre ses propres yeux (p. 33), imposteur (p. 73), faux enfant (p. 73), petit comdien hagard
(p. 81), petit truqueur qui savait s'arrter temps (p. 174), enfant public (p. 193). Jean-Paul volue dans les bouffonneries
(p. 29), pour la montre (p. 30), dans le cabotinage et les simagres (p. 32), en reprsentation (p. 62), dans les pantomimes (p. 113), les impostures et les singeries accumules (p.
116, 120, 123), etc. D'une manire gnrale, il ne sort pas du mensonge et surtout de la comdie , laquelle, avec des variantes,
constitue son univers permanent ; cinq ans il joue de concert avec
son grand-pre une comdie aux cent sketches divers (p. 24), il
s'installe dans la comdie familiale (p. 61), laquelle s'ajoute
la comdie de la culture
(p. 63). La comdie du bien (p. 94),
la plus constante, se voit par instant concurrence par la comdie
du mal (p. 94). La comdie va s'intrioriser avec le choix de la
vocation d'crivain, chez cet enfant qui n'arrivai[t] pas [se]
pigeonner tout fait. Ni tout fait [se] dsabuser , qui se truquait , l'intention des enfants des sicles futurs. Mme un vnement aussi massif, aussi objectif la dclaration de guerre en 1914,
institue et diversifie la comdie : J'tais ravi : la France me donnait la comdie, je jouais la comdie pour la France. Tout le rcit
de l'enfance semble ainsi tre soumis une loi de la thtralisation
dnonce comme telle.
Un tel relev, s'il donne le ton sarcastique et grimaant qui domine souvent dans le rcit, est ncessairement trompeur, car il ne
rend compte ni des modalits complexes de l'ironie, ni de son champ
d'extension. Cette ironie ne porte pas essentiellement sur les individus , Charles Schweitzer et Jean-Paul, dit Poulou, car la perspective d l'autobiographie-pamphlet tend les typifier, alors que
l'autobiographie classique chercherait les singulariser et les
1056
1057
quand ma mre m'emmenait au Luxembourg c'est--dire : quotidiennement je prtais ma guenille aux basses contres, mais mon corps glorieux
n quittait pas son perchoir (p. 53).
...
D'une manire gnrale on pourrait distinguer deux grandes catgories de style qui sont rarement dissocies, et qui ne sont jamais
fondues. D'un ct, un langage noble; crmonieux, lettr, qui correspond la religion mais aussi aux mythologies et la tradition
littraire : appelons-le le langage de l'hritier ou du clerc ; de l'autre,
un langage dru, plbien ; ce sera le langage de l'orphelin ou du
btard. Le premier langage de Sartre ses dbuts littraires, ce
fut, nous dit Simone de Beauvoir 2, un langage gourm , inspir
par les phrases marmorennes de Gide, d'Alain, de Valry . Le
second, ce fut celui de Cline dont Sartre prit de la graine . Or,
le premier langage est constamment utilis dans Les Mots, mais parodiquement, car la prsence, mme titre d'ingrdient, du second,
transforme le marbr en pltre et le rduit en poussire. C'est donc
tout le langage des mythologies qui est min ; il ne l'est souvent
qu'insidieusement, car il faut bien que ce langage ait assez de prestige pour que l'enfant en ait t mystifi ; mais assez de failles pour
que le lecteur peroive la dmystification. C'est ainsi qu'on dsamorcera le culte de la culture. Le narrateur, par exemple, va simultanment exposer et dmolir l'adoration trs hugolienne du grand-pre
pour le petit-fils, recourant deux registres dont l'un parodique, correspond au discours indirect libre attribue au grand-pre, l'autre,
sarcastique, aux interventions du narrateur.
Et puis mon grand-pre se plat emmerder ses fils. Ce pre terrible a
pass sa vie les craser; ils entrent sur la pointe des pieds et le surprennent
aux genoux d'un mme : de quoi leur crever le coeur ! Dans la lutte des gnrations, enfants et vieillards font souvent cause commune ; les uns rendent les
2. La Force de l'Age, d. Gallimard, p. 142.
REVUE D'HISTOIRE LITTRAIRE DE LA FRANCE (75e
Ann.),
LXXV.
67
1058
oracles, les autres les dchiffrent. La nature parle et l'exprience traduit les
:
adultes n'ont plus qu' la boucler. A dfaut d'enfant, qu'on prenne
un caniche
(p. 28).
Toute rfrence un mythe est en gnral proche d'un pav dmystificateur. L'liacin des belles lettres quitte le temple pour
le bordel (p. 67). S'il est question d l'enfant prodige , l'enfant
retard n'est pas loin. Si le narrateur voque sa divine enfance ,
il ajoute plus loin je comptais pour du beurre (p. 75). L'enfant
merveilleux n'intervient que dans le contexte de la comdie familiale, et pour finir se dissoudra dans la chaux vive de sa laideur.
Mme une expression aussi anodine dans une autobiographie que
en un mot je n'avais pas d'me se trouve dsamorce insidieusement, puisque dix lignes plus haut on explique que seul l'hritier
d'une maison de campagne peut avoir, entre autres luxes, celui de
se persuader d'avoir une me (p. 76) : l'me se trouve ainsi rduite
un signe d'appartenance la classe bourgeoise. Parfois l'ironie
peut natre dune drive d'un registre l'autre : ainsi la vocation
d'crivain va tre traite sous la forme d'un dialogue extatique avec
le Saint Esprit, tandis que les relations de l'enfant avec Dieu vont
tre compares aux marivaudages d'un vieux beau , retrouvant
son ancienne belle . Tantt flagrante et franchement burlesque,
tantt infiltre et sournoise, l'ironie finit par donner un texte pig,
dans lequel le lecteur risque toujours de se voir fourvoy. Ainsi le
lyrisme communicatif de l'crivain glorieux : je fulgure, j'blouis, je
m'impose distance... va se dgrader en une corruption sournoise :
parasite de l'humanit, mes bienfaits la rongent et l'obligent sans
cesse ressusciter mon absence (p. 164).
Une ironie ainsi pige et gnralise ne peut qu'aboutir
faire admettre que Les Mots constitue une parodie, et que le
festival d'effets littraires qui s'y dploie entend tre comme le feu
de joie de la littrature tout entire. Certains critiques, Georges
Raillard propos de La Nause, Genevive Idt propos du Mur,
ont trs bien montr que le gnie de Sartre est essentiellement tourn
vers la parodie. Dans Les Mots c'est toute la bibliothque de la
littrature contemporaine et classique qui est mise en jeu et en
cause. Il faudrait une vingtaine de pages pour rassembler et classer
les rfrences explicites, les citations avoues qui vont d'Horace
Minou Drouet, en passant par Zevaco, Jules Verne, et les romans
d'aventures illustrs. Mais les rfrences implicites, les paraphrases,
les pastiches camoufls sont tout aussi nombreux, sans compter les
allusions polmiques des crivains de droite des annes cinquante.
A maintes reprises, l'occasion d'une formule ou d'une phrase,
Sartre glisse des micro-parodies de ses propres oeuvres, comme si
l'autobiographie drivait vers l'auto-parodie. Il parodie plusieurs
fois La Nause, livre avec lequel, il est vrai, il affiche sa rupture
(p. 54, p. 200, p. 135), mais aussi, par de brves allusions, il gra-
1059
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1061
parfois si je ne joue pas qui perd gagne et ne m'applique pitiner mes espoirs d'autrefois pour que tout me soit rendu au centuple. Phrase fugitive, qui excuse le critique au cas o il ne s'y
serait pas lui-mme reconnu.
JACQUES LECARME.
DISCUSSION
M. JEAN FABRE
SARTRE
1063
Dans votre confrence trs suggestive, vous vous tes interrog sur la renomme presque classique dont jouissent Les Mots, et sur la signification de son
ironie.
L'ironie est dirige avant tout contre le petit hros de cette autobiographie.
Au fond, l'auteur se refuse le prendre au srieux, prendre au srieux les
difficults contr lesquelles se dbat cet enfant qui n'a pas de foyer familial, mais
qui est recueilli, avec sa mre, dans la maison d'autrui. Les activits de cet enfant Lire , " crire sont en effet places sous le signe de l'ironie. Cette
ironie vise dnoncer chez ce petit homme la mauvaise foi et la prtention.
Lorsque Sartre, par exemple, caractrise une constante thmatique ds romans
produits par cet enfant Un contre tous : c'tait ma rgle ; qu'on cherche
la source de cette rverie morne et grandiose dans l'individualisme bourgeois
1064
et puritain de mon entourage il y dnonce la mgalomanie de cette fantaisie, et il n'y voit pas le reflet et la compensation d'un tat d'abandon.
Sartre ne dcrit pas, il explique ; son livre n'est pas exempt de ce danger,
indiqu par Lejeune, qui menace toute entreprise autobiographique, et qui
est celui de la pertinence.
Problmes de l'enfance, interprtations " profondes : tout nous ramne
ce grand interprte de l'enfance : Freud. Vraiment, sur Les Mots plane l'ombre
de Freud. Et Sartre en est conscient, il ne fait que se battre contre cette
ombre. Ses explications visent devancer celles de la psychanalyse, elles
veulent souligner le point de vue de l'adulte qu'il est devenu, et dnier
l'enfance ses difficults, ses souffrances spcifiques.
L'ironie des explications sartriennes, ainsi, a une valeur essentiellement dfensive, et ces armes dfensives, trs classiquement, sont la dngation, le dplacement et le refoulement.
dlivrerait Sartre de l'emprise
" Je n'ai pas de Sur-moi. L'absence du pre
d'une instance freudienne. Malheureusement, il y a " retour du refoul . Vers
la fin du livre on lit : " II m'arrive aujourd'hui encore de me demander si je
n'ai pas consomm tant de jours et tant de nuits, couvert tant de feuilles de
mon encre, jet sur le march tant de livres qui n'taient souhaits par personne,
dans l'unique et fol espoir de plaire mon grand-pre , et une page plus
loin : si je reste un jour sans crire, la cicatrice me brle ; si j'cris trop aisment, elle me brle aussi. Comme on le voit, il y a sur-moi, et, dans sa
dngation, Sartre a confondu la personne du pre et l'instance paternelle.
Et la mre ? Existe-t-il une mre galement dangereuse dans sa vie et dans
son oeuvre ? Sartre le nie. De sa mre, il souligne l'aspect inoffensif, et s'il y
a des fantaisies d'inceste, il s'agit d'inceste sororal Sartre nomme les " couples Oreste-Electre, Boris-Ivich.
Son oeuvre pourtant semble marque par la fascination attirance et rpulsion du corps maternel. La description de la Nature dans La Nause et la
prsence des coquilles et des crabes dans Les Squestrs d'Altona et dans Les
Mots mmes attestent assez cette fixation maternelle.
Dans Les Mots, assez curieusement, cette fascination s'est dplace sur les
livres : Quelquefois je m'approchais pour observer ces botes qui se fendaient
comme des hutres et je dcouvrais la nudit de leurs organes intrieurs, des
feuilles blmes et moisies, lgrement boursoufles, couvertes de veinules noires,
qui buvaient l'encre et sentaient le champignon.
L'importance de cette fixation lie l'activit littraire de Sartre trouve peuttre son illustration la plus frappante dans le passage suivant : Moi : vingtcinq tomes, dix-huit mille pages de texte, trois cents gravures dont le portrait
de l'auteur. Mes os sont de cuir et de carton, ma chair parchemine sent la
colle et le champignon, travers soixante kilos de papier je me carre, tout
l'aise. Je renais, je deviens enfin tout un homme, pensant, parlant, tonitruant,
qui s'affirme avec l'inertie premptoire de la matire.
Nous trouvons ici le fantasme de l'enfant dans le corps de la mre. Sa renaissance se fait dans et par les livres, qui taient le corps maternel d'abord,
et qui deviennent maintenant, dans cette fantaisie qui donne une version sublime, corrige de l'ancienne ralit, ses propres produits.
Il me semble qu'on pourrait placer la prsentation sartrienne dans un cadre
plus large, cadre dont Sartre lui-mme a procur les lments.
M. BERSANI
Je voudrais demander Jacques Lecarme, dont l'analyse m'a pleinement
convaincu, de revenir sur le rapport qui existe pour nous, maintenant, entre
Les Mots et L'Idiot de la famille. Il nous a dit l'instant que L'Idiot de la
famille accomplissait le projet qui n'avait pas abouti ou qui avait imparfaite-
SARTRE
1065
ment abouti avec Les Mots, et cela en raison du malentendu auquel s'taient
heurts Les Mots.
Mais ne retrouverait-on pas un malentendu du mme type avec L'Idiot de
la famille? Il serait intressant de se reporter aux divers articles qui ont accompagn sa publication. N'y a-t-il pas avec L'Idiot de la famille un cas limite
de la biographie, comme il y avait eu un cas limite de l'autobiographie avec
Les Mots?
M. LECARME
Je n'ai pas trait le sujet, parce qu'il est trait exhaustivement dans un article
de M. Victor Brombert qui s'intitulait Sartre ou la biographie impossible . Avant mme la parution du Flaubert, l'auteur reprenait ce problme
et montrait que le cas limit de l'autobiographie avec Les Mots et de la biographie avec le Saint-Gent aboutissaient, avec ce va-et-vient, au mme problme.
J'ai trouv dans l'oeuvre de Sartre avant Les Mots une allusion son enfance,
et avant 1964 l'oeuvre de Sartre est considrable. J'ai trouv dans le Saint-Gent
quelques mots ce sujet Il dit en substance : J'admire profondment l'enfant Gent, qui s'est choisi comme voleur l'ge o nous bouffonnions servilement pour plaire. Il y ainsi entre la biographie et l'autobiographie toute
une srie d'changes extrmement curieux, et en particulier dans le Flaubert.
M. BERSANI
Il me semble pourtant que le cas du Flaubert est trs diffrent de celui du
Saint-Gent. Sartre admire Gent, il n'admire pas Gustave. Toute la diffrence
est l, et c'est cette diffrence, peut-tre, qui explique que le mme pige se
remette fonctionner. L'Idiot de la famille, c'est une biographie crite par
Sartre comme si c'tait la sienne, mais la sienne la faon dont il l'a dj
crite dans Les Mots. Si bien que les deux oeuvres forment aujourd'hui systme :
tourniquet du tourniquet.
M. KOPP
M. Fabre a parl du dmon de la drision qui dmangeait Sartre, et
je voudrais, ce propos, poser M. Lecarme la question suivante : ce
dmon de la drision, ne serait-ce pas l'envers d'un excs de respect, respect
que Sartre a toujours tmoign ce fameux grand-pre quelque peu travesti
dans Les Mots? Vous nous avez parl des recherches que vous avez entreprises
au sujet de ce grand-pre Schweitzer. Serait verser au dossier, je crois, la
correspondance qu'entretenait Sartre avec son grand-pre, qui est mort un
ge fort avanc. Je ne sais pas si vous avez tudi ces lettres, qui sont d'un
ton trs respectueux! Car mme le Sartre adulte crit toujours . son grandpre, l'occasion du Nouvel An, de Pques, etc. Et je pense que cette espce
de fidlit et de respect est aussi pour quelque chose dans ce dmon de la
drision, que c'est comme une revanche que Sartre prend dans Les Mots par
rapport la correspondance qu'il a pu entretenir avec son grand-pre.
M. LECARME
Je ne connais pas ces lettres.
M. BNICHOU
O sont-elles, ces lettres ? Vous les avez lues ?
M. KOPP
J'en ai vu deux ou trois. Des autographes.
M. LECARME
Cela ne me parat pas du tout contredire Les Mots. La drision est dans la
narration, mais l'enfant qui est mis en scne est l'enfant le plus respectueux
et le plus dbonnaire. Sartre se reproche d'avoir t un enfant trop docile et
d'avoir ignor l'esprit de rvolte.
1066
M. KOPP
Non, cela ne contredit pas votre analyse ; bien au contraire, cela pourrait
la confirmer.
M. BNICHOU
L'vnement, dans Les Mots, est dat de 1850. Il est donc normal que l'enfant Sartre n'en ait eu qu'une version familiale.
M. GUSDORF
Freud vous dirait que l'interprtation, dans ce cas, est aussi significative qu'un
mensonge proprement parler. La tradition de famille est l, puisque c'est elle
qui parle l'heure actuelle.
M. BNICHOU
Je crois que le moment est venu de conclure, et je ne sais ce qu'on peut
conclure d'un colloque aussi vari et aussi riche, sinon simplement que cela a
t un bon colloque, et que nous avons t contents de cette runion.
IN MEMORIAM
JEAN FABRE
Pour l plupart de ceux qui l'ont rencontr, Jean Fabre tait d'abord un
prestigieux universitaire 1. Professeur, et jusqu' la fin (prs d'un demi-sicle!),
Fontenay, dans les Unien Pologne, Lyon, Strasbourg, . la Sorbonne, Responsable
de recherches,
versits trangres. Chercheur (et trouveur) fcond.
organisateur de colloques, de rencontres ; fondateur de la Socit du XVIIIe
sicle; prsident,: pendant de longues annes, de la Commission de Littrature
franaise au C.N.R.S. (Je l'y ai beaucoup admir pour sa bonne humeur, sa
patience, sa gentillesse, la justesse et la justice de ses choix, son autorit inconteste...) Il fut surtout un Matre . Initiateur, excitateur de curiosit, inventeur jamais puis d'hypothses de travail, de pistes suivre. Puis, la recherche une fois entreprise, critique exigeant, signalant les oublis, erreurs, malfaons ; aidant les rparer. Protecteur enfin, soutien fidle de ceux qui lui
avaient accord leur confiance. Au plein sens du terme un Patron ; si j'osais,
je dirais un Pre. Combien sont-ils s'tre nourris de lui ? Serait-il tmraire
d'avancer un chiffre? Une centaine ? Peut-tre plus. Et dj, de cette foule
mergent quelques-uns des plus couts des jeunes matres de notre Universit;
intellectuel dessch ! Plutt un Amateur au sens fort du terme un connaisseur, un homme de grande culture et de got juste. Osons le dire : un
Humaniste, Cette culture lui venait de l'cole primaire, du Lyce, de l'cole
Normale, de la Sorbonne, institutions dont il tait assez lucide, aux derniers
jours de sa vie, pour mesurer les faiblesses et les fautes, mais qu'il ne consentit
jamais laisser attaquer, tant il avait conscience qu'il leur devait la substance
de son tre mme : la Bible, qu'il avait connue tout enfant au catchisme et
aux crmonies liturgiques et qu'il ne cessa jamais de lire (et de lire ses
enfants) ; les grands Anciens, grecs et latins (il n rejetait pas, comme d'autres,
ceux-ci au profit de ceux-l. Il les aimait d'un mme amour. Peut-tre mme
ce Gaulois romanis prfrait-il aux Grecs les Latins...); puis, la littrature
classique. Europenne : il possdait parfaitement au moins trois langues trangres ; nous savons avec quelle intelligente sympathie il a parl des grands
romantiques polonais. La littrature franaise, surtout : il se promenait dans ses
1. Rappelons seulement, dans ce bref hommage,
1068
innombrables alles avec la mme aisance que ses amis du dix-huitime dans
celles de Sceaux, Versailles ou Chantilly. Il avait lu les plus forts, ceux qui
ont eu les plus hautes ambitions : Rabelais, Diderot, Balzac. Mais il rendait
aussi un culte aux harmonieux, aux romantiques, aux tendres, au fragiles :
Andr Chnier, qu'il a vraiment ressuscit dans un de ses plus beaux livres ;
Bernardin qui, sous sa plume intelligente et sensible, fut exactement dfini
auteur de pastorale ; et le plus aim, jamais quitt, le citoyen de Genve,
l'inventeur de constitutions (pour ses chers Polonais), mais aussi l'ennemi du
monde, de ses vanits cruelles, le rveur solitaire, ami des eaux et des forts,
des btes, des plantes et des fleurs...
Pourtant ce savant, ce chercheur, cet humaniste n'aurait jamais eu l'extraordinaire rayonnement que nous avons connu s'il n'avait t d'abord pleinement
Homme. Un vivant, un charnel ; un homme de la terre. Il avait un corps, il
le savait ; il le matrisait fermement, mais en usait pleinement. Sportif, ami
des longues promenades ( pied ! pas en auto...), arpenteur de montagnes,
pcheur de truites, ramasseur de champignons, il avait au plus haut point le
sens du concret, un inpuisable apptit de vivre, une vive curiosit des tres
et des choses. Cet aspect de sa nature s'exprimait dans toute sa dmarche
vive, ferme, sans hsitation ; et dans sa physionomie : dans ses yeux chtains,
souvent rieurs, parfois embus par l'motion, toujours attentifs, interrogateurs,
veills ; dans sa voix aussi, un peu rugueuse, chantante, encombre par des
clats de rire d'indignation, de colre, de joie !
tonnamment indiffrent ces idoles qui meuvent le plus grand nombre :
l'argent, les vanits mondaines, les honneurs, la carrire, la puissance ou la
gloire (par nature, non par vertu !), c'tait un tre pur. D'une droiture absolue,
nullement rigide, capable de souplesse et de patience, mais incapable d'hypocrisie, de machiavlisme ; sans replis cachs, sans arrire-penses. C'tait un
tre bon ; un gnreux. Ainsi s'expliquent ses grandes options : l'engagement
dans le Socialisme au temps de l'cole, l'engagement dans le mariage et dans
la paternit, l'engagement dans la dfense des liberts polonaises, l'engagement
dans la rsistance l'occupant, l'engagement dans la dfense, non sectaire,
mais digne et ferme, de tous les collgues et amis qu'il voyait injustement
mpriss. Mais c'est dans les plus humbles situations de la vie quotidienne qu'il
pratiquait l'amour des hommes : amiti, camaraderie, compassion, assistance
(matriel et morale). Lequel d'entre nous pourrait tmoigner ! Quand il
rencontrait un tre nouveau, sa premire attitude tait la confiance, la sympathie, l'accueil. L'esprit critique venait aprs. Il dtestait l'ironie, et la mdisance.
Enfin il avait un got particulier pour cette forme de l'amour qui est l'attention aux autres, l'change, ce mouvement de l'esprit et du coeur o l'on ne
songe pas d'abord donner, enseigner, mais recevoir, couter. Comment
ne serais-je pas frapp d'avoir reu de lui, comme dernier message, sa communication de 1972 au Colloque sur Galiani (tout rcemment publi) qui se
terminait par ces mots : Et aujourd'hui... Jamais on n'a tant parl de " dialogue " : on le cherche, on le souhaite, que dis-je, on l'exige, ce qui est proprement le tuer. Notre poque ne conoit ce " dialogue " qu' base de contestation dans un affrontement d'o toute bonne grce, toute libert sont exclues.
Mais l'cart de ces palabres, l'art de converser a gard ses fidles et sa tradition est bien vivante... .
Il s'tait retir il y a deux ans. Un peu avant le temps ; non par dgot,
ni vraiment par fatigue, mais parce qu'il avait hte de retourner en son village,
IN MEMORIAM
JEAN FABRE
1069
d'y habiter la vaste maison qu'il avait solidement plante sur sa terre natale,
les fentres largement ouvertes sur le ciel. Il pensait la mort. Nous en parlions souvent ensemble : tant d'amis dj nous avaient quitts ! Mais il n'y
croyait pas. Ce vaillant tait rest trs jeune, intact. Il vivait intensment le
prsent qui- lui tait donn. Il l'avait harmonieusement ordonn. Le travail
dans sa librairie , la rencontre des paysans du village, la vie du foyer auprs
de l'pouse; les visites aux mnages installs aux quatre coins de France;
les montes Paris pour les dernires thses, pour la Socit du XVIIIe
sicle (il en tait le prsident d'honneur), pour la Socit et la Revue d'Histoire
littraire (il tait un des membres du Conseil), pour les ditions, les recherches,
les rencontres... Il tait heureux.
La mort est venue, comme un voleur. Ce fut par une glorieuse journe
d'aot. La veille, il avait commenc d'crire la notice ncrologique de son ami
Desfourneaux. Le matin, comme l'habitude, il tait parti pour pcher la
truite dans un de ces ruisseaux qui serpentent aux flancs de l'Espinous, parmi
des champs de bruyre. Les abeilles y butinaient nombreuses. Il descendit jusqu' la rive. Que se passa-t-il ? Sa canne pche a-t-elle heurt un essaim ?
Elles l'assaillirent par centaines. Elles l'touffrent. On put esprer dans les
heures qui suivirent qu'on le sauverait. Il paraissait ne plus souffrir. Dans le
trajet de l'ambulance vers Bziers, il parlait encore, sans apparente angoisse.
Puis: les fonctions organiques, l'une aprs l'autre, s'arrtrent. Il est mort dans
la matine du 21 Aot. Beaucoup ont trouv cette mort affreuse. Mais, comme
me l'crit Jean Thomas, l'un de ses plus anciens amis : Mourir dans son
pays, en pleine nature, sous l'effet d'un avatar virgilien ! Pouvait-on lui souhaiter
une plus belle mort? Ce fut en effet pour moi une sorte de consolation. Une
autre, moins esthtique, plus profondment spirituelle, fut le climat dans
lequel se droulrent ses obsques. Tout le village tait l, rassembl dans la
vieille glise romane autour de toute la famille charnelle le premier petitet de quelques membres de sa grande famille
fils, David, venait de natre !
universitaire. Un de. ses plus anciens compagnons d'enfance et de jeunesse,
conseiller gnral, lui adressa au nom de la communaut murataise et
tarnaise un dernier adieu. Les prires traditionnelles furent prononces (quelques-unes dans le vieux latin qu'il aimait !). Elles disaient cette esprance de
Lumire qui dfinit si bien sa vie.
Le moment le plus mouvant de cette ultime rencontre fut lorsque, tour
tour, deux de ses fils s'avancrent pour lire deux admirables fragments de ces
Rveries qu'il leur avait si souvent lues. Un recueillement intense nous fit tous
entrer dans un autre monde. En repartant vers celui de la vie quotidienne nous
sentions en nos coeurs, vieux et meurtris, un indicible apaisement.
BERNARD GUYON.
PIERRE ALBOUY
Pierre Albouy est mort en juillet 1974, aprs une longue maladie. Il avait
cinquante-quatre ans.
Sa carrire avait t simple et exemplaire : celle d'un homme qui fait son
chemin tout seul, sans compromissions, sans ambitions mesquines. Aprs l'agrgation, en 1945, il enseigna au Lyce de Montpellier, l'Institut franais
d'Athnes, au lyce d'Amiens, au collge de Courbevoie et au lyce Jacques
Decour, et fut nomm assistant la Sorbonne en 1958. Lorsqu'il soutient ses
thses de doctorat, en 1964, il enseigne depuis quelques mois la facult des
Lettres de Montpellier, o il restera jusqu'en 1968. C'est alors qu'il va passer quelques mois Yale, o il noue, comme il l'a fait dans tous les endroits
o il est pass, de solides amitis. lu la Sorbonne pour la rentre de 1969,
il choisit, lors de l'clatement de l'Universit de Paris, d'aller Paris VII.
Avec son beau livre sur La Cration mythologique chez Victor Hugo, paru
en 1964, Pierre Albouy s'tait affirm comme un des premiers dix-neuvimistes
de sa gnration : son rudition vivante et toujours pertinente, sa connaissance des mouvements d'ides au dix-neuvime sicle, son got de la dcouverte lui permirent de mener bien des travaux d'une trs grande qualit.
En 1960, il avait publi dans cette Revue mme un article capital : Une
oeuvre de Hugo reconstitue , dans lequel il suivait pas pas les vicissitudes de ce Verso de la Page qui joue, en creux, un rle si important dans
l'oeuvre de l'exil. L'dition, dans la Bibliothque de la Pliade, des OEuvres
potiques de Victor Hugo (le troisime volume, corrig par lui, est paru aprs
sa mort) est lui aussi un vnement dans les tudes hugoliennes, par la
prcision et l'lgance, la sret des choix, l'ampleur et l'intelligence de l'annotation. On voudrait pouvoir parler en dtail de ses Mythes et mythologies
dans la littrature franaise (1969), des tudes crites pour l'dition chronologique des oeuvres de Victor Hugo, au Club franais du Livre, et en particulier de cette Vie posthume de Victor Hugo , au tome XVII, qui dmontre
une fois de plus la merveilleuse gnrosit et le flair critique de Pierre Albouy.
Hugo ou le Je clat , paru dans la premire livraison de Romantisme, les
articles sur Nadja, sur les Romances sans paroles, sur Proust, sur Thophile
Gautier, sur Gide, sur Pguy, d'autres encore, sont autant de signes de la
qualit d'une pense que nous retrouverons bientt, toujours vivante, dans
un volume publi par Jos Corti.
IN MEMORIAM
PIERRE ALBOUY
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MLR.
RESUMES
1097
RSUMS
De l'autobiographie initiatique
1098
un cas-limite de l'autobiographie ?
Articles
BARBRIS
nier Chouan
BNICHOU (P.),
lecture du Der289
chronologie et inach-
vement
...
736
30
574
d'Amauld d'Andilly
3
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sentimentale
1020
COLRAULT (Y.), Autobiographie et Mmoires (XVIIe-XVIIIe sicles)
937
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235
...
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sicle
268
DESN (R.), Histoire, pope et roman : Les Misrables Waterloo
321
DUCHET (Cl.), L'illusion historique : l'enseignement des prfaces (18151832)
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DUNEAU (A.), Un prcurseur mconnu du Nouveau Roman : Giraudoux
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DUQUETTE (J.-P.), Flaubert, l'histoire et le roman historique
344
FORSYTH (E.), Le concept de l'inspiration potique chez Ronsard
515
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GIFFORD (P.), Dimension humoristique de Paul Valry
588
GRETTON (Th.), La politique dans le roman historique des annes 18201840 : l'exemple de Thophile Dinocourt
373
GUISE (R.), Balzac et le roman historique : nots sur quelques projets
353
GUISE (R.) et NOIRIEL (C.), Michel Zvaco : lments pour une bibliographie
415
GUSDORF (G.), De l'autobiographie initiatique l'autobiographie genre
littraire
957
GUYON (B.), Pguy contre l'cole (suite)
774
LAURENT (M.), Une Henriade rustique
555
LEBGUE (R.), Avant-propos du Colloque sur l'Autobiographie
899
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437
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LEJEUNE (Ph.), Autobiographie et histoire littraire
903
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dans le roman-feuilleton
389
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1101
707
(G.), Sur l'Adonis de La Fontaine
195
MOLINO (J.), Qu'est-ce que le roman historique ?
531
PINEAU (J.), La seconde conversion de Polyeucte
RANNAUD (G.), Le Moi et l'Histoire chez Chateaubriand et Stendhal 1004
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419
Semaine sainte
329
RUSA (G.), Quatrevingt-treize ou la critique du roman historique
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SEEBACHER (J.), Gringoire, ou le dplacement du roman historique vers
MOLLNI
....................
l'histoire
.............
308
(D.R.), Sur la biographie allemande de Choderlos de Laclos 730
Le mythe du premier souvenir Pierre Loti, Michel Leiris 1029
48
(H.), Adolphe en parole
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...
.........
749
George Sand et Michelet disciples de Pierre Leroux
..............
THELANDER
(Br.),
VERCLER
VERHOEFF
VIARD
(J.),
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Notes et Documents
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FABRE (J.), Le Jean-Jacques Rousseau de Lester G. Crocker
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des Rveries du Promeneur solitaire
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(J,),
chroniques
de
Nerval retrouves
GUILLAUME
Douze
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JOUKOVSKY (Fr.), Ronsard et La Concorde des deux Langages
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KSTER (B.), Baudelaire et Montgut d'aprs des lettres indites de Banville et Des Essarts
LAFOND (J.), La Rochefoucauld est-il l'auteur de La Justification de
DENS
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..
.......
.... ...
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l'amour?
.......
.......
795
110
799
102
610
105
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608
620
94
612
793
112
Comptes rendus
Actes du Colloque 1972 sur l'Humanisme lyonnais au
LEBGUE)
ALEXANDER (I.W.),
ARCHAMBAULT (P.),
XVIe
sicle (R.
ARX
THWEATT)
BAILB (J.-M.),
.....
textes (J.
PROUST)
154
LANDRIN)
BARBER
..........
115
847
152
.
............................
................
..........
466
641
849
136
470
854
651
148
1102
....
....
HIRDT)
..
(F. M.), Correspondance indite, d. J. SCHLOBACH (J. GARAGNON)
GUIBERT (A.-J.), Bibliographie des OEuvres de Molire publies au XVIIe
sicle. Supplments (G. MONGRDIEN)
GUYON (B.), Pguy devant Dieu (S. FRAISSE)
HAAC (O. A.), Marivaux (M. GILOT)
HOLYOAKE (S. J.), An introduction to French Sixteenth Century Poetic
Theory (R. ORTALI)
GRIMM
865
155
629
664
835
146
118
479
458
662
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1103
...
...........
864
...
161
...
........
............................. ...........
.............................
....
.
.........
........
MONGRDIEN)
MOUREAUX (J.-M.),
459
628
833
156
449
129
........
...........
145
..........
..............
134
650
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.......................
455
...............
............... ......
.....
142
121
643
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151
...................
........
651
........................
..........................
......
466.
................
............
467
846
668
838
lecture (J. SPICA)
NAKAMURA (E.), Les problmes du roman dans les premires oeuvres
d'Andr Gide, jusqu' Patudes (A. GOULET)
475
NIVELLE DE LA CHAUSSE, Mlanide, d. W. D. HOWARTH (H. LAGRAVE)
635
PGUY-ROMALN ROLLAND, Correspondance, d. A. MARTIN (J. ONIMUS)
661
PERRIER (M,), Rimbaud. Chemin de la cration (J. PLESSEN).
144
PY (A.), Ronsard (M, GLATIGNY)
117
.
RATERMANIS (J.-B.), Essai sur les formes verbales dans les tragdies de
Racine (B. CHDOZEAU)
631
REED (G. E.), Claude Barbin, libraire de Paris, sous le rgne de Louis
454
XIV (A, LABARRE)
...
Revue des Lettres modernes Paul Claudel, 10 (M, LIOURE)
472
Revue des Lettres modernes : Andr Gide, 4 (A. GOULET)
473
Revue des Lettres modernes : Andr Malraux, 2 (A. VANDEGANS)
476
658
Revue des Lettres modernes : Rimbaud, 2 (M. EIGELDINGER)
. ......
:
......
...................
..........................
...................
.........
..........
1104
....
....
DEMERSON)
830
834
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143
131
863
In Memoriam
(J.), Pierre Abraham
EIGELDINGER (M.), Charly Guyot
GUYON (B.), Jean Fabre
GAUDON (J.), Pierre Albouy
163
481
1067
1070
MADAULE
Correspondance
868
Informations
165,
Bibliographie, par
Rsums d'articles
REN RANCOEUR
671
166,
190,
Membres d'honneur
Th. Marix-Spire, M. Romain-Rolland, A. Rouart-Valry. MM. A. Adam, M. Bataillon,
Th. Besterman, H. Dieckmann, J. Hytier, P. Jourda, R. Niklaus, M. Paquot, C. Pellegrini,
A. Perrod, R. Shackleton, I. Siciliano.
Mmes
Bureau
Prsident : Raymond LEBGUE, de l'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Vice-Prsidents : Ren PINTARD, professeur la Sorbonne ; Pierre CLARAC, de l'Acadmie des Sciences morales et politiques.
Secrtaire gnral : Ren POMEAU, professeur la Sorbonne.
Secrtaires : Claude PICHOIS, professeur l'Universit Vanderbilt ; Madeleine FARGEAUD,
professeur la Sorbonne.
Secrtaires adjoints : Claude DUCHET, charg d'enseignement l'Universit de ParisVincennes ; Robert JOUANNY, professeur l'Universit de Rouen.
Trsorier : Georges LUBIN, homme de lettres.
Trsorier adjoint : Jean-Louis LECERCLE, professeur l'Universit de Paris-Nanterre.
Conseil d'administration
MM. P. Bnichou, G. Blin, P.-G. Castex, P. Citron, Mme M.-J. Durry, MM. J. Fabre +,
B. Guyon +, R. Jasinski, F. Letessier, J. Lethve, Mme A.-M. Meininger, MM. G. Mongrdien, R. Pierrot, R. Rancoeur, V. L. Saulnier, P. Vernire, J. Vier, R. Virolle.
Correspondants l'tranger
Belgique : MM. R. Mortier, R. Pouilliart, A. Vandegans. Brsil : M. G. Raeders. Bulgarie :
M. N. Dontchev. Canada ; MM. D. A. Griffiths, S. Losique, J. Mnard, J.-M. Paquette,
J. S. Wood. Danemark : M. P. Nykrog. Espagne : M. de Riquer. tats-Unis : MM. J.-A.
Bd, F. Bowman, L. G. Crocker, J. C. Lapp, I. Silver, E. D. Sullivan. Grande-Bretagne :
MM. R. C. Knight, A. J. Steele. Hongrie : Mlle Nemeth. Iran : Mme J. Chaybany. Irlande :
M. E. J. Arnould. Isral : M. A. B. Duff. Italie : MM. E. Balmas, L. De Nardis, A. Pizzorusso. Japon : Mme E. Nakamura, MM. Y. Fukui, H. Nakagawa. Liban : M. R. Tahhan.
Pays-Bas : M. J. A. G. Tans. Pologne : Mlle Kasprzyk. Portugal : M. J. do Prado Coelho.
Rpublique dmocratique allemande : M. W. Krauss. Rpublique fdrale allemande :
MM. B. Bray, H. Sckommodau, K. Wais. Sude : M. G. von Proschwitz. Suisse : MM.
M. Eigeldinger, Y. Giraud, G. Guisan, P.-O. Walzer. Tchcoslovaquie : MM. V. Brett,
A. Zatloukal. Union sovitique : MM. Reizov, G. Vipper.