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Langue franaise
La Grammaire gnrative et transformationnelle : sur quelques
modes de transmission et de remploi dans l'institution universitaire et scolaire franaise Jacqueline Bastuji
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Bastuji Jacqueline. La Grammaire gnrative et transformationnelle : sur quelques modes de transmission et de remploi dans l'institution universitaire et scolaire franaise. In: Langue franaise, n53, 1982. La vulgarisation. pp. 78-91; doi : 10.3406/lfr.1982.5117 http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1982_num_53_1_5117 Document gnr le 13/06/2016
Jacqueline Bastuji, Rennes-II
SUR
LA GRAMMAIRE GENERATIVE ET TRANSFORMATIONNELLE : QUELQUES MODES DE TRANSMISSION
DANS
ET DE REMPLOI L'INSTITUTION UNIVERSITAIRE ET
SCOLAIRE
FRANAISE
La grammaire generative (et) transformationnelle, que d'aucuns abrgent
en grammaire generative ou appellent grammaire chomskyenne, est une thorie spcifie (Milner, 1975) qui nous vient des tats-Unis, et laquelle nous nous rfrerons dsormais par le sigle G. G. T. Importe vers 1965-1967 dans des conditions que nous examinerons plus loin, elle a joui en France d'un prestige considrable, mais limit certains cercles de linguistes et/ou de pdagogues. En effet, et sauf pour quelques notions simples et d'un usage idologique direct comme la comptence et son corollaire la crativit, sa haute technicit et son intrt dominant pour la syntaxe la rendaient inaccessible au grand public. Rien de mondain ni de divertissant dans sa diffusion. On ne saurait donc parler de vulgarisation au sens strict, mais plutt de pratiques discursives d'appropriation et de reformulation destines la recherche fondamentale en linguistique, et son application un enseignement rnov du franais. Dans le cadre troit de cet article, nous tenterons de dfinir une problmatique, puis nous prsenterons successivement deux analyses : une macroanalyse caractrisant les principaux textes parus entre 1967 et 1975, manuels scolaires excepts, puis une micro-analyse sur trois notions-clefs, la crativit, \aphrase minimale dite encore phrase nuclaire ou phrase de base, enfin la Transformation. 1 . Problmatique d'ensemble 1.1. Le domaine de rfrence Un domaine, mme spcifi, n'a pas de limites franches parce que toute recherche s'inscrit dans une histoire sociale longue et complexe. Ainsi la 78
G. G. T. rutilise, en les portant un niveau trs suprieur de systmatisation,
quelques hypothses et mthodes formules et appliques depuis des sicles. Plus directement, elle procde d'une double tradition amricaine qui continue de coexister avec elle : d'une part Yanalyse en constituants immdiats, illustre notamment par Bloomfield, Wells et Hockett, et base de la grammaire syntagmatique ; d'autre part le distributionnalisme de Harris, avec qui Chomsky travailla quelques annes avant de rejeter avec quelque fracas les mthodes taxinomiques de son matre. Chomsky a toujours tenu souligner sa dette envers Harris, et rciproquement (Ruwet 1967, p. 223). Toute thorie relve donc d'un interdiscours, en mme temps qu'elle se fonde sur ce qu'on appelle depuis Bachelard une rupture pistmologique . C'est ainsi qu'on parle de la <r rvolution chomskyenne le mot apparat notamment chez Ruwet et chez Lyons, et qu'on peut mme lui assigner une date : celle de ce manifeste, fondateur d'une nouvelle cole, qu'est Structures syntaxiques paru en 1957. Diffuser/vulgariser la G. G. T., c'est donc partir d'un corpus de livres et articles crits par Chomsky et ses disciples, Lees, Kuroda, Katz, Postal, etc., parfois appels gnrativistes. Or notre corpus franais permet de dgager une quivalence distributionnelle entre deux types de SN : d'une part Chomsky et exceptionnellement Noam Chomsky (une occurrence dans Nique, 1974), d'autre part grammaire generative (et) transformationnelle, grammaire transformationnelle ou plus souvent grammaire generative par ellipse de la seconde pithte. Cette synonymie rfrentielle peut relever d'une interprtation stylistique : abrgement du SN et diversification du vocabulaire. Mais elle signale aussi une identification entre une thorie et celui qui en est le principal auteur et garant. La linguistique moderne n'ignore pas le culte de la personnalit hier Saussure, aujourd'hui Harris ou Chomsky , et on peut s'interroger sur la porte scientifique et idologique de cette personnalisation du savoir (cf. Foucault, L'ordre du discours, pp. 28-29). Enfin la G. G. T. est une thorie exceptionnellement dynamique qui ne cesse de se falsifier , c'est--dire de corriger et de renouveler le stock de ses hypothses. Si Structures syntaxiques dfinit un premier tat , Aspects de la thorie syntaxique paru en 1965 en constitue un second, ultrieurement baptis <r Thorie standard . Depuis on assiste une prolifration de rvisions un peu commodment recouvertes sous l'appellation de Thorie standard tendue ou Thorie generative tendue. La vulgarisation y perd videmment son souffle. Elle est toujours en retard sur la recherche puisqu'il faut du temps pour s'informer, assimiler une doctrine dans sa cohrence et dans ses manques avous ou secrets, enfin crire et publier. Plus une thorie volue rapidement, plus il devient difficile de la transmettre au-del du cercle troit des spcialistes qui frquentent les sminaires ou peuvent lire directement les textes anglais. Certes Nique prsente la thorie standard tendue dans le dernier chapitre de son livre de 1974, puis dans celui de 1978, Grammaire generative : hypothses et argumentations. Mais pour le reste, il s'agit plutt de traductions d'ouvrages rcents (Chomsky, 1972, Questions de smantique, 1975, Rflexions sur le langage, 1977, Essais sur la forme et 1. C. Hacece. qui a crit un violent rquisitoire contre la G. G. T., La Grammaire generative, rflexions critiques, P.U.F., 1976, conteste ce qu'il appelle le mythe de la rvolution : la publicit et le got du sensationnel ont fait plus que le contenu lui-mme. Pour qu'il y ait rvolution, il faut qu'il y ait, dans la recherche, une forme de consensus. Or c'est un des objets du prsent ouvrage de faire apparatre les rsistances de certains linguistes et leurs causes , pp. 28-29. Mme dans l'histoire des sciences, faut-il qu'il y ait consensus pour qu'on puisse parler de rvolution? 79
le sens), ou d'hypothses, par exemple sur le Complmentiseur, le nud
Expression ou l'anaphore, que les chercheurs franais intgrent directement dans leurs articles ou leurs thses (cf. Milner, Huot, Guron, 1975 1978). Par contraste avec cette intgration dans la communaut scientifique internationale, on citera, comme attribus Chomsky, ces Dialogues avec Mitsou Ronat (1977), o le matre est sollicit de vulgariser lui-mme son uvre politique puis linguistique en la situant dans la gographie de la pense contemporaine (p. 8). La transmission de la Thorie tendue a ainsi des proprits spcifiques qui suffiraient justifier une tude indpendante. Nous nous limiterons donc aux deux premiers tats de la G. G. T., en y adjoignant l'hypothse lexicaliste de 1968 dont nous avons besoin pour rendre compte du travail de Guilbert sur la crativit lexicale. On remarquera qu'en France les deux premiers tats ont toujours t prsents conjointement, mais avec des stratgies de choix, de pondration, voire d'infidlit cratrice qui varient beaucoup d'un ouvrage l'autre et justifient une analyse compare. 1 .2. Les conditions de production et le champ nonciatif La transmission du message ici une thorie spcifie avec son exploitation linguistique et mtalinguistique s'inscrit dans un schma de communication reliant la personne qui sait le locuteur-scripteur au public qu'elle entend informer, dnonciation, que depuis vingt ans on s'efforce d'intgrer dans la linguistique et d'articuler avec l'analyse du discours, n'est pas seulement cet acte individuel d'utilisation de la langue tel que le concevaient Saussure la parole ou Benveniste. Le sujet nonciateur ne peut construire des formes et des significations que par rfrence aux images sociales qu'il se donne de lui-mme et de ses interlocuteurs, rels ou virtuels; et Culioli parle pertinemment de co-nonciateurs l o presque tous, y compris en analyse de discours, privilgient la production aux dpens de la rception. D'autre part le sujet est support plutt que source de sa parole. Ses conditions de production (Pcheux, 1970) sont dtermines par son histoire personnelle, dont il n'a qu'une conscience biaise et lacunaire, par les institutions sociales dans lesquelles il s'inscrit, et par V interdiscours comme ensemble des discours dj tenus ou profrables dans une conjoncture historique dtermine (Fuchs-Pcheux, Langages, 37, pp. 9-22). Ainsi, dans cette vulgarisation de haut niveau que nous avons choisie pour la G. G. T., les nonciateurs sont ncessairement des linguistes. Sans formation scientifique spcialise, on ne saurait valuer ni ses enjeux thoriques et mthodologiques, ni les exemples anglais sur lesquels elle se construit et s'argumente. De plus, on ne peut soutenir un tel effort thorique sans vouloir aussi l'exploiter pour l'avancement de ses travaux personnels. La transmission n'est pas seulement informative mais cratrice, et le linguiste diffuseur de la G. G. T. satisfait au modle universitaire franais de l' enseignant-chercheur . Il faut aussi crire pour tre lu, et donc s'adapter la demande et au savoir prsums des destinataires. Et comme on ne peut publier sans garants ni esprances de diffusion, il faut bien se plier aux rgles des institutions sociales. Dans ce pays o la grammaire a toujours t tenue pour une discipline d'abord destine la formation des enfants et des adolescents, l'institution sociale dominante est l'cole, et plus particulirement l'Universit. Si 80
chez nos voisins anglo-amricains ou germaniques la coupure est de rigueur
entre VAlma Mater et l'enseignement primaire ou secondaire, en France on peut dire un peu vite qu'il n'y a de grammaire que pour l'cole, qu'il n'y a d'cole que par la grammaire (Milner, L'amour de la langue, pp. 114115). Ruwet, Dubois ou F. Dubois-Charlier sont des universitaires, et la premire vulgarisation franaise, ou plutt franco-belge, de la G. G. T. est une thse de doctorat (Ruwet, 1967). Nique fait plus modeste figure puisqu'il enseigne dans une cole Normale et un Centre de Formation de P.E.G.C., mais c'est l'Universit qu'il a acquis ses titres professionnels et soutenu sa thse de 3e cycle. La page de couverture prtend que son ouvrage est conu pour des non-spcialistes et des dbutants , mais la prface prcise que ce livre s'adresse la fois aux tudiants qui commencent des tudes de linguistique, ou qui ont besoin de la linguistique dans leurs tudes, et tous les enseignants de franais qui veulent renouveler l'enseignement de leur langue (Nique, 1974, p. 6). Le la fois signale l'osmose. La seconde institution sociale relve du secteur priv et est plus directement soumise aux lois de la concurrence puisqu'il s'agit de l'dition et du commerce des livres. La thse de Ruwet, publie chez Pion l'anne de sa soutenance, a connu un notable succs tant par sa qualit intrinsque que parce qu'elle tait le premier ouvrage de vulgarisation de la G. G. T. paru en France. Et si le Dubois 1967 ou le Dubois et Dubois-Charlier 1970 ont connu une plus large diffusion que le Nique 1974, cette disparit s'explique sans doute par l'application descriptive de vastes ensembles de la langue franaise, mais aussi par le poids commercial de la Librairie Larousse et sa politique de remploi immdiat dans des manuels pour l'enseignement primaire et secondaire : la Grammaire nouvelle du franais de Dubois et Lagane, les livres de Genouvrier et Gruwez pour l'cole lmentaire, la collection des fascicules Comment apprendre la grammaire/le vocabulaire/ rdiger, etc. L'tude comparative du corpus permettra d'valuer l'interaction de ces diffrents paramtres que sont l'nonciateur, le public vis, l'adaptation du contenu l'institution scolaire et commerciale. Nous devrons ici nous contenter d'indications sommaires, alors qu'il faudrait une tude linguistique srieuse des traces nonciatives, et une tude sociologique de la diffusion et des ractions/remplois. 1.3. La paraphrase comme activit de traduction et d'interprtation La transmission d'une thorie vise un milieu socio-culturel qui jusque-l l'ignore largement ou totalement. Il faut donc rcrire les textes : condenser, simplifier, ou au contraire dvelopper certains points pour justifier l'intrt des hypothses. Contrainte obligatoire de fidlit aux textes-sources, mais aussi possibilit de les rexploiter, voire de les transgresser explicitement ou implicitement. a) Traduction intralinguale et interlinguale La contrainte de fidlit impose de construire des noncs paraphrastiques axs sur l'information, mais o la rcriture produit ncessairement des modifications de forme et parfois de sens, ne serait-ce que dans la pondration des points doctrinaux et mthodologiques que l'on choisit de mettre en valeur ou de traiter brivement. A cette paraphrase intralinguale laquelle nul ne saurait chapper sauf pour les citations, et encore sont-elles slectionnes et places dans un nouveau contexte, s'ajoute ici une paraphrase 81
interlinguale. Il faut traduire de anglo-amricain en franais, et d'abord
au niveau des exemples en langue trangre qui posent la vulgarisation des problmes spcifiques : ou bien conserver les phrases anglaises avec leur traduction et les rgles qui permettent de les engendrer, ou bien proposer des exemples franais qui correspondent l'anglais ou obissent des rgles spcifiques, puisqu'on sait que toutes les langues la fois se ressemblent et diffrent irrductiblement. Nous verrons que le choix peut varier d'un auteur l'autre, ou d'un passage un autre. Enfin les commentaires mtalinguistiques soulvent des problmes techniques de traduction que nous illustrerons ici par le traitement de deux difficults lexicales, sur le SN phrase structure et le verbe to generate. Dans une note p. 384, Ruwet 1967 signale que pour dsigner le type de structure dcrite par l'analyse en constituants immdiats, Chomsky et ses collaborateurs parlent indiffremment de phrase structure (abrg en P. S.) et de constituent structure (abrg en C.S.). Quant au modle grammatical gnratif, que Chomsky a tir de l'analyse en constituants immdiats, il baptis des noms de phrase structure grammar (P. S. G.) ou constituent structure grammar (. S. G.) . Or l'quivalent de phrase, en franais, est " syntagme " [...]; aussi j'ai dcid de traduire phrase structure par " structure syntagmatique ", et P. S. G. par " indicateur syntagmatique" [...]. Le terme syntagmatique " est employ ici avec un sens videmment assez diffrent de celui qu'il a chez Saussure [...]. Comme le modle de langage tats finis qui tait plus proche de la conception saussurienne est limin, le terme est disponible. Ruwet a fait un choix lexical qui sera adopt par toute la vulgarisation franaise (Dubois, Nique, traductions de Gleason et de Lyons), mais qui cre une fcheuse ambigut sur syntagmatique. Car si l'intrieur de la G.G.T. le modle tats finis est effectivement limin, il n'en est rien pour les thories structuralistes et distributionnelles qui continuent se dvelopper l'extrieur de la G.G.T. et pour lesquelles syntagmatique rfre l'axe linaire des successivits. Il est donc inexact et dogmatique de prtendre que le terme tait disponible . Si la polysmie sur syntagmatique est inconnue de l'anglais, la traduction de generate se rduit un choix de signifiant. L'anglais a la suite drivationnelle to generate/generative, et l'adjectif franais gnratif s'est impos dans la dnomination de la thorie. D'o la tentation de recourir au franglais gnrer plutt que d'utiliser le verbe engendrer qui satisfait les puristes, permet de driver engendrement plutt que gnration, mais n'a pas d'adjectif correspondant. Aucune solution n'tant parfaite, les auteurs choisissent tantt gnrer et tantt engendrer, avec souvent un commentaire signalant la synonymie entre le terme scientifique, rserv aux sociolectes de la G.G.T. et des mathmatiques, et le terme de la langue commune. Nous avons d'ailleurs observ, en coutant la radio ou la tlvision, que le nologisme gnrer tend actuellement se banaliser. b) Activit interprtative Pour ne pas trahir les textes-sources que la plupart des lecteurs ne peuvent directement contrler, le vulgarisateur peut se contenter d'en extraire les hypothses majeures avec leurs justifications et leur application des structures linguistiques soigneusement choisies pour la dmonstration. Mais comme la G.G.T. prtend dcouvrir des universaux de langage et que les lecteurs franais ont bien raison de s'intresser d'abord leur langue 82
maternelle, il doit peu ou prou innover en testant la G. G. T. sur une langue
heureusement proche de l'anglais, mais qui en diffre au moins par certaines structures de surface. Il peut en outre tre tent : . soit de caractriser la G. G. T. par rapport un ensemble de thories concurrentes dans le temps et dans l'espace (Ruwet, 1967); . soit de poser la fcondit de la thorie en l'appliquant exclusivement au franais contemporain (Dubois, 1967 et 1969, Dubois et Dubois-Chabxier, * 1970); . soit de souligner, dans une perspective critique, les insuffisances et les reformulations d'une thorie qui se caractrise par la prodigieuse rapidit et audace de ses rvisions successives (Nique, 1974). On ne pourra donc tudier la vulgarisation franaise sans reprer les choix par rapport cette triple possibilit : 1. situer ou non la G. G. T. dans son contexte historique, et si oui la relativiser mme si on l'estime suprieure un ensemble plus ou moins clairement dfini de thories concurrentes; 2. caractriser l'tendue et la pertinence des applications au franais; 3. apprcier la fidlit ou la distorsion thorique par rapport aux textessources. 2. Stratgies et contenus du corpus Notre corpus comprend les sept ouvrages suivants : a) Nicolas Ruwet, Introduction la grammaire generative, Pion, 1967, 448 p., sigl R. b) Jean Dubois, Grammaire structurale du franais : le verbe, Larousse, 1967, 218 p., sigl D 67. Jean Dubois, Grammaire structurale du franais : la phrase et les transformations, Larousse, 1969, 187 p., sigl D 69. Jean Dubois et Franoise Dubois-Charlier, lments de linguistique franaise : syntaxe, Larousse, 1970, 295 p., sigl D/DC 70. c) Christian Nique, Initiation mthodique la grammaire generative, Colin, 1974, 176 p., sigl N 74. d) Langue franaise, 22, mai 1974, Linguistique et enseignement du franais, problmes actuels , sigl LF 74. On se limitera aux articles de , Delesalle et Bastuji qui seuls font rfrence directe ou indirecte la G. G. T. e) Louis Guilbert, La crativit lexicale, Larousse, 1975, 285 p., sigl G. Chemin faisant, et surtout pour les analyses ultrieures consacres crativit, phrase minimale et transformation, on pourra se reporter des textes sources tels que N. Chomsky, Structures syntaxiques (SS), Aspects de la thorie syntaxique (A), La linguistique cartsienne (LC), et ces ouvrages de vulgarisation anglo-amricaine que sont H. Gleason, Introduction la linguistique, traduit en 1969 (GL) et J. Lyons, Linguistique gnrale, introduction la linguistique thorique, traduit en 1970 (L). 2.1. Le champ nonciatif Pour une tude compare de ces textes, le paramtre dominant est leur statut nonciatif : public(s) vis(s), rles sociaux assums par les auteurs, chronologie relative l'volution de la G. G. T. et au champ franais de sa diffusion. 83
a) R est l'origine, une thse de doctorat, soutenue en fvrier 1967
devant la Facult de philosophie et lettres de l'Universit de Lige (p. 10). L'immdiatet de sa parution en librairie, et dans une collection consacre aux Recherches en sciences humaines , peut faire rver les linguistes de 1980 : il s'agissait alors de rpondre un besoin du public dans une priode de prosprit conomique o la linguistique faisait figure de science-pilote dans ce qu'on appelle toujours, mais avec plus de rserves, les sciences humaines . L'ouvrage est expressment destin aux linguistes dont Ruwet est un reprsentant autoris : ce livre [...] retrace, en quelque sorte, le chemin que j'ai suivi pour me familiariser avec une thorie nouvelle et difficile, et je serais heureux s'il pouvait en faciliter l'accs ceux qui, comme moi, sont partis d'une formation structuraliste classique (p. 9). Ruwet est ainsi fond parler la premire personne, dans son avant-propos, mais aussi dans le corps de l'ouvrage. Ainsi, pp. 190-191, on trouve deux occurrences de je, et une de nous en quivalence distributionnelle avec on qui ne peut s'employer qu'en position sujet : si on veut que la grammaire [...], on devra aussi veiller [...] les soldats sont redouts par le danger. Cela nous obligera [...] (p. 191). De mme, pp. 286-287, on trouve 5 occurrences de je qui se rpartissent en deux valeurs : . Rfrence au rdacteur de l'ouvrage, avec quivalence distributionnelle avec le nous dit de majest : Ici se pose un problme crucial, auquel j'ai dj fait allusion (cf. ch. iv, 3.1) Mais, comme nous l'avons galement not (ch. iv, 3.1) (p. 286). . Rfrence au linguiste qui prend parti sur un problme de thorie syntaxique : ...j'ai d'abord hsit. [...] Ce sont, en dfinitive, des considrations extrinsques qui m'ont amen adopter un ordre plutt qu'un autre : j'ai choisi d'appliquer... (p. 287). Ces traces du je nonciateur caractrisent la thse d'tat, o l'imptrant doit prendre parti et soutenir ses choix devant son jury. La thse est un exercice acadmique hautement cod et l'on retrouve ici toutes les lois du genre : longueur de l'ouvrage, remerciements aux professeurs, collaborateurs, amis et/ou parents ( A la mmoire de mon pre , p. 7), ensemble impressionnant de thories et d'auteurs (Saussure, Bally, Hjelmslev, Tesnire, Benveniste... pour ne parler que des Europens) dont les travaux sont analyss avec une prcision aussi critique que minutieuse, importance de l'apport personnel positions pistmologiques, nombreuses applications au franais, dernier chapitre posant l'excellence de la thorie mais se terminant par des interrogations ( la distinction des structures profondes et superficielles pose un problme fondamental, mais qui n'est pas prs d'tre rsolu , p. 359), abondance des notes (48 pages en typographie serre) et de la bibliographie, index. b) Les trois ouvrages de Dubois et Dubois-Charlier prennent place dans une collection surtout destine l'Enseignement suprieur, et dont le propos n'est pas la G. G. T., mais la description de la langue franaise. Us font suite un ouvrage paru en 1965, J. Dubois, Grammaire structurale du franais : 84
nom et pronom; mais l'identit du titre grammaire structurale masque
un renversement thorique dont rend brivement compte l'Introduction de 1967. Alors que dans D 65 l'analyse a t mene selon les mthodes distributionnelles dont les taxinomies s'appuient sur des modles probabilistes systme de marques, conomie du message, etc. , cette mthodologie n'est ici conserve que pour la description morphologique , tandis que le fonctionnement du verbe a t lui-mme analys dans la perspective d'une grammaire transformationnelle qui pour nous se situera au niveau des performances ralises (p. 5). Il y a donc rvision complte des modles jusqu'ici utiliss , mais sans que la G. G. T. ou ses auteurs soient jamais nomms. Le sujet est la linguistique, dans ses aspects les plus rcents (p. 5). et part le nous cit plus haut, la marque nonciative de l'auteur est rgulirement absente, de mme que la spcification des destinataires. Ces choix se retrouvent dans D 69 ( ce troisime volume [...] aborde ) et dans D/DC 70 o le passif permet d'effacer les agents : cet ouvrage a t conu (p. 5). Le gommage des co-nonciateurs n'pargne pas les textes-sources seul D/DC 70 donne une brve bibliographie avec Chomsky (SS) et (A), Ruwet 67 et Lyons 70 et satisfait aux usages du livre de grammaire. Discours didactique qui fixe le savoir et en occulte les sources et les limites, malgr les rserves de D/DC 70 sur des formulations que leur complexit mme rend plus discutables : qu'on ne voie donc dans ce livre qu'une simple introduction la linguistique franaise (p. 5). Le on est indfini, et les difficults rencontres par les auteurs sont imputes leur objet, les faits de la langue. c) N 74 est une rcriture trs abrge de R qui tient compte du temps coul (volution de la G. G. T. depuis 1965 et caractres de sa vulgarisation franaise) et vise un public de non-spcialistes . La prface, rdige par S. Delesalle. met l'accent sur les destinataires : il faut remdier au dsarroi actuel des matres en contribuant leur formation thorique (p. 6). Jete sur le march franais, la G. G. T. a t trop rapidement monnaye en manuels qui fournissent des recettes dont les justifications sont ignores. Spcialement tourn vers la pdagogie du franais , Nique s'est mis au service de ses tudiants et collgues; et quand il crit nous, il rfre son activit de rdacteur, et non ces choix scientifiques personnels argumentes chez R. et gnralement implicites dans D et D/DC. Sauf pour certaines applications au franais, o le nous interpelle les lecteurs, son texte est un discours rapport indirect dont l'nonciateur est tantt Chomsky, et plus souvent la G. G. ou la G. G. T. dans ses diverses formulations . d) Les trois articles de LF 74 ont t rdigs par des universitaires animant un groupe de recherche o l'essentiel du travail tait assur par des enseignants volontaires du second degr premier cycle. Le numro a repris le titre du Peytard et Genouvrier de 1969 qui prsentait la linguistique prchomskyenne. La dominante est la thorie et la pratique des structures de phrases (Delesalle) avec quelques-unes de leurs transformations ( et Bastuji). et l'accent est mis sur les problmes concrets rencontrs par les enseignants aux prises avec de nouveaux savoirs et de nouveaux manuels. Convaincus que la rnovation ncessite une collaboration de chercheurs au courant des problmes pdagogiques et de praticiens trs informs en linguistique (p. 44), les auteurs vitent de parler la premire personne. e) Guilbert ne transmet pas la G. G. T.. mais adopte assez librement ce qu'il appelle une perspective gnrativiste (p. 11) pour l'appliquer ses recherches personnelles sur le lexique. Il construit ainsi une longue thse 85
multiples nonciateurs seconds en tant qu'elle s'argumente sur l'examen
de thories concurrentes : Saussure, Hjelmslev, Chomsky, Chaumjan... 2.2. Fidlit, innovation et distorsions dans la reformulation du domaine A. Le dpassement des procdures taxinomiques Le passage d'une linguistique distributionnelle, fonde sur l'observation des donnes, une grammaire generative de rgles projetant le corpus fini et toujours plus ou moins accidentel de phrases observes sur l'ensemble (prsum infini) des phrases grammaticales (A, p. 1 5) est signal et approuv par tous nos auteurs. La grammaire doit dcrire la comptence du sujet parlant, c'est--dire la connaissance intriorise des rgles de la langue qui lui permet de produire et comprendre un nombre infini de phrases nouvelles (A, ibid.). Ce renversement s'inscrit sur une triple porte pistmologique, psychologique et mthodologique sur laquelle insistent ingalement nos auteurs : a) R juge ncessaire de commencer par des remarques sur la nature de la science en gnral (p. 11). Citant le linguiste chomskyen Bach ( Linguistique structurelle et philosophie des sciences, Diogne, 1965) et le philosophe Popper, il pose que la science moderne doit dpasser le stade des classifications pour construire des modles hypothtiques, destins expliquer les faits connus et en prvoir de nouveaux (p. 12). N 74 cite R et le paraphrase (pp. 12-14) sans citer Bach ni Popper. Il rappelle que la G. G. T. s'assigne donc la double tche 'adquation descriptive et adquation explicative, mais avec une petite distance critique o pointe sa prudence de vulgarisateur : Seule la grammaire generative telle que la conoit Chomsky semble pouvoir y parvenir. C'est en tout cas le but qu'elle se donne (p. 14). Quant aux autres textes, ils sont muets sur l'pistmologie. b) Tous par contre insistent sur la crativit du sujet parlant, qu'elle soit dominante psychologique (D, N) ou sociale (rinterprtation par G tudie plus loin). Ainsi, c'est sur la facult de langage que N 74 fonde d'abord la G. G. T. : il utilise l'argument de la danse des abeilles sans rfrer Benveniste 1966, mais cite deux passages de Chomsky dont celui-ci (LC) : L'homme possde [...] un type d'organisation unique [...] Le langage humain est apte servir d'instrument pour une expression et une pense libres (p. 9). Enfin une brve comparaison avec le chimpanz lui permet de conclure un peu curieusement que le langage n'a sans doute rien voir avec l'intelligence . Cette premire rubrique de N 74 illustre l'htrognit du discours de vulgarisation, que Nique ensuite inflchira dans le sens de la rigueur et de la technicit. Pour accrocher un public non spcialis mais friand de culture, on insre quelques rfrences prcises la vulgate chomskyenne dans un texte allusif portant sur la communication animale et expdiant en deux lignes une tradition behavioriste qui n'est pas nomme : il (= " notre langage '") ne peut pas tre appris par une simple rptition et un conditionnement tels que ceux qu'on fait subir aux rats dans les laboratoires (p. 9). c) Si la G. G. T. est rsolument mentaliste, au sens technique de ce mot (A p. 13), c'est--dire part de la performance pour dterminer la comptence (ibid., note 1), la tche centrale est de construire un modle , un mcanisme (N 74 p. 21) capable d'engendrer (d'numrer explicitement) toutes et rien que les phrases grammaticales dans une langue donne (R p. 44). Mais comme ce modle intgre les acquis antrieurs et s'en justi86
fie longuement dans (SS), un choix stratgique s'impose au vulgarisateur :
ou bien se limiter la nouvelle thorie, ou bien la rattacher au distributionnalisme (modle linaire ou tats finis) et l'analyse en constituants immdiats (modle syntagmatique) dont on montrera l' inadquation . D et D/DC ont choisi la premire solution, d'abord en se limitant des rgles (D 67 et 69), puis en recourant une reprsentation systmatique par des arbres (D/DC 70) sans justifier leurs rgles de formation (p. 19) sauf pour l'importante distinction entre fonctions et catgories (pp. 22-23). Scheresse dogmatique les enseignants ont besoin de certitudes, au moins provisoires que refusent les autres auteurs. R consacre le chapitre II quelques modles syntaxiques lmentaires (= le structuralisme amricain), puis le chapitre III Le modle syntagmatique , o l'arbre est justement prsent comme le renversement de la bote de Hockett , puis critiqu dans ses insuffisances. De mme N 74, dans le chapitre 2 intitul Vers une grammaire scientifique , redfinit les concepts essentiels du structuralisme synchronie/diachronie, niveaux, distribution, analyse en constituants immdiats , et propose deux exemples approfondis d'application au franais : un fragment d'tude distributionnelle de l'adjectif (pp. 39-44), puis un traitement critique du SV (pp. 59-65). LF 74, qui connat les difficults d'une pdagogie concrte, est plus diffrenci. Delesalle (L'tude de la phrase) emprunte la G. G. T. quelques notions-clefs la phrase, le constituant, le dcoupage GN + GV, la rcursivit , mais pose sagement que les " arbres " (...) ne devraient jamais tre utiliss comme procdure de dcouverte, mais comme moyen d'illustrer ce qu'on a compris par ttonnement et manipulation (p. 61), et termine sur le discours et renonciation qu'ignore la G. G. T. au moins standard. Bastuji (Les relatives et l'adjectif), qui travaille sur des dossiers fournis par les professeurs, ne peut viter de prsenter successivement le modle distributionnel, puis transformationnel avec la critique des transformations gnralises (p. 74), premier tat de la G. G. T. abandonn par Chomsky ds 1965, mais assurment dominant en 1974 dans la " rnovation " pdagogique franaise. La confusion est suffisamment grave pour que Huot attaque le problme de front (Thorie et pratique de la notion de transformation) en vulgarisant un texte de Milner sur l'opposition Harris/Chomsky et en introduisant, pour traiter de la transformation relative puis compltive, ce marqueur d'enchssement qui n'est autre que le Complmentiseur de la thorie generative tendue (pp. 38-43). . Les deux premiers tats de la G. G. T. et les effets de mconnaissance ou d'amalgame La principale difficult rencontre par la diffusion franaise de la G. G. T. tient justement ce problme de partage ou de confusion entre les tats successifs d'une thorie. Sauf de trs rares articles comme Grunig 1965 (La linguistique), aucun texte franais sur la G. G. T. ne parat avant 1967, c'est--dire deux ans aprs la sortie Aspects aux U.S.A. Le domaine de rfrence devrait donc inclure la fois (SS) et (A). Or (A) introduit des rvisions thoriques sur quelques points fondamentaux : les insertions lexicales d'items dfinis par une matrice de traits, le composant smantique s'appliquant aux structures profondes, et surtout les rles respectifs des composants syntagmatique et transformationnel : dans l'ancienne version de la thorie, la proprit recursive tait attribue au composant transformationnel, en particulier aux transformations gnralises et aux rgles pour former les Indicateurs de transformations. A prsent, la proprit recursive est un trait du composant de base, en parti87
culier des rgles qui introduisent le symbole initial P [...] Le composant
transformationnel est uniquement interprtatif. (A, pp. 187-188). N, qui parat en 1974, distingue clairement les trois tats de la G. G. T. : premire formulation (ch. 3, pp. 77-92), puis la thorie standard (ch. 4) o Ton dit pour la relativisation que l'oprateur Q\J et la phrase enchsse sont prsents dans la base (p. 115), enfin les dveloppements rcents , avec l'opposition qualifie de piquante (p. 130) entre thorie standard tendue et smantique generative . On a vu qu'en LF 74 Bastuji critique les tranformations gnralises et Huot introduit le marqueur d'enchssement , mais sans le rattacher explicitement la thorie tendue. Dans le reste du corpus la diffrence entre (SS) et (A) est soit minimise (R), soit totalement occulte, et c'est la thorie standard qui est transmise pour le lexique et la smantique, tandis que pour les transformations on en reste au premier tat, ventuellement complt par les recherches de (A) sur les rapports entre phrase et drivation lexicale (R, D 69, G). Par exemple, R prsente deux grands chapitres sur le modle transformationnel , mais sans dpasser les transformations gnralises, sauf dans la dernire note o la rvision thorique semble se ramener une variante notationnelle : II est possible, au prix de modifications trs lgres, de formuler la grammaire de telle manire que la notion mme de transformation gnralise en devient inutile. C'est cette modification qu'a apporte Chomsky dans ses derniers travaux [...]. Elle consiste simplement faire passer le pouvoir rcursif [...] dans la composante de base de la grammaire. [...] on admet dsormais que les rgles syntagmatiques peuvent introduire un (et un seul) lment rcursif, P. Comme si de surcrot la rcursivit se limitait au constituant Phrase! Ces effets de mconnaissance et d'amalgame ne sauraient seulement s'expliquer par le retard propre toute vulgarisation : R, D et G ont lu (A) puisqu'ils intgrent tout ce qui y concerne le lexique et la smantique, o N 74 voit les deux grands absents (p. 90) de la premire formulation. Nous ferons l'hypothse que les transformations gnralises convenaient mieux l'institution scolaire en tant qu'elles permettent de manipuler des phrases concrtes de surface. C. Les applications au franais Ces applications sont massives dans l'ensemble du corpus, tant pour des raisons thoriques la G. G. T. veut construire une thorie gnrale que pour satisfaire le public franais. Elles peuvent se ranger sous trois rubriques : a) illustration de la thorie par des exemples (R, N) : R recourt assez souvent l'anglais, tandis que N ne propose que des phrases franaises, parfois traduites des exemples-sources (p. 92), sauf pour un dernier exemple intraduisible en franais (p. 167) ou pour l'ensemble de l'hypothse lexicaliste o il prcise que le problme des nominalisations est relativement diffrent en franais et en anglais (p. 137); b) utilisation pdagogique (N 74 et LF 74); c) description partielle (D 67) ou globale (D/DC 70) de la langue franaise. Ici l'innovation l'emporte largement sur la transmission.
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3. Notes sur trois notions-clefs
3.1. La crativit Comme aspect crateur de Pacte linguistique , la crativit est l'aptitude faire un usage infini de moyens finis (A, pp. 16-19) par cette intriorisation d'un systme de rgles que la G. G. T. nomme " comptence " et dont la grammaire n'est que l'explicitation (N 74 p. 15). R montre que Chomsky innove par rapport Saussure en distinguant deux crativits, celle qui change les rgles et celle qui est gouverne par les rgles : Le premier type (...), localis dans la performance (dans la parole), consiste en ces multiples dviations individuelles dont certaines finissent, en s'accumulant, par changer le systme. Le second relve de la comptence (de la langue) , et tient au pouvoir rcursif des rgles qui constituent le systme (p. 51). Le succs idologique et pdagogique de la crativit vient de ce qu'elle exalte la libert humaine en la fondant sur le jeu matris d'un systme de contraintes. Le primat de la psychologie est fidlement transmis par N 74, qui parle de facult inne du langage , structures mentales universelles , autres facteurs psycho-physiologiques mis en jeu dans l'acquisition (p. 11), par D 67 (p. 5) et D 69 : Pour que le psychologue puisse rendre compte de l'aptitude de l'homme parler [...], il convient que le linguiste lui offre un modle gnrateur (p. 13). Prcisment, et malgr les protestations ritres de Chomsky, la G. G. T. tend privilgier le locuteur le sujet parlant et la production plutt que la rception (A, pp. 19-20). D'o le perptuel malentendu sur gnrateur (D 67, Introduction). D'o la mise l'cart de renonciation, et la mconnaissance de la double asymtrie propre l'change verbal, o le locuteur est toujours dtermin par le discours de l'Autre , aussi bien dans son orientation concrte vers le destinataire que par l'intrication des dterminations sociales incluses dans l'interdiscours. Corollairement, la G. G. T. minimise la crativit qui change les rgles en tant qu'elle s'effectue dans la performance et par cumul de dviations individuelles . On remarque donc que les facteurs sociaux sont systmatiquement occults. Certes D 69 pose qu' il est maintenant ncessaire pour le linguiste de rintroduire le sujet et la situation comme facteurs de son analyse (pp. 12I 3). Mais les rgles de formation des phrases n'y sauraient suffire. Nous avons montr (I) que G avait tent d'articuler langue et socit partir d' une perspective gnrativiste , mais au prix de larges critiques, distorsions et malentendus. A ces objets formels que sont les structures syntaxiques et les matrices et paradigmes lexicaux, il entend associer les forces et objets sociaux qui dterminent la cration et l'usage des units lexicales. II conserve ainsi la crativit et la primaut de la phrase comme mode d'organisation de la langue et de la pense; mais en privilgiant la ralit de la communication (p. 11), il confond systmatiquement la phrase abstraite de la comptence avec l'unit de discours de la performance. En tout cas, et sauf l'exclure de la linguistique, l'tude du lexique suffit falsifier l'hypothse opratoire du locuteur-auditeur idal, appartenant une communaut linguistique compltement homogne (A p. 12). 1. J. Bastuji, Notes sur la crativit lexicale , in Nologie et lexicologie, Larousse 1979. pp. 12-20. 89
3.2. Phrases-noyaux ou phrases minimales
La notion de noyau est emprunte Harris (R p. 239), et (SS) dfinit le noyau de la langue comme l'ensemble des phrases produites par application des transformations obligatoires (p. 51). Le terme ne devrait plus tre pertinent dans (A), o le champ des transformations obligatoires a t considrablement largi. Pourtant Chomsky juge ncessaire de dlimiter un sous-ensemble appel " phrases-noyaux " : ce sont des phrases de nature particulirement simple, dont la gnration implique un minimum de mcanismes transformationnels (p. 34). Pratiquement il s'agit de phrases dclaratives courtes et qu'il faut se garder de confondre avec les squences de base qui leur sont sous-jacentes . Pourtant (A) dclare s'autoriser parfois supposer tacitement, afin de simplifier (et contrairement la ralit), que la squence de base sous-jacente est dans ce cas la phrase mme , avec concidence entre la structure de surface et la structure profonde (p. 35). On voit que le souci de vulgarisation simplifier aux dpens du vrai peut apparatre mme dans Aspects. Et si la transmission reste prudente chez R ou N 74, chez D ou D/DC la confusion entre phrase de surface et structure sous-jacente est systmatiquement pratique et applique l'ensemble de la grammaire franaise, syntaxe et lexique. Le chapitre I de D 69 dfinit la phrase de base minimale (SN + SV) comme unit lmentaire de renonciation, dont on pourra driver les indicateurs syntagmatiques [...]. Cette phrase est dfinie par la modalit de base : l'assertion positive (p. 20). Sa description structurelle l'assimile la forme canonique de la phrase nuclaire, soit SN de N + (V tre + SN de N), avec des ralisations minimales comme C'est papa/le car (p. 26). Une fois pose cette phrase canonique de base , on en drive la phrase predicative un argument, Paul est malade (pp. 26-27), puis la phrase active par transformation gnralise de deux propositions (p. 33). Il s'agit l d'hypothses intressantes, mises en rapport avec la psychologie faire concider le scheme de la phrase fondamentale (modle linguistique) avec une des phrases primitives (modle psycholinguistique) (p. 27) , mais trangres l'orthodoxie chomskyenne : la vulgarisation s'est ici change en rinterprtation. D/DC est moins audacieux sauf pour la rcriture de la phrase minimale de base , Z -* Const + P, o Const reprsente le constituant de phrase , et o le noyau est symbolis par P parce que, dans la premire tape de la thorie, le noyau a t considr comme la phrase de base (p. 17). Le constituant de phrase symbolise le choix ncessaire entre les trois modalits dM^irmation, /rcerrogation et d'/rapratif; il comprend en outre les trois constituants facultatifs de ./Vexation, Emphase et de Passif (p. 133). Les deux tats successifs de la G. G. T. sont donc fidlement transmis pour le noyau. Par contre, le Constituant de phrase est une hypothse de Katz et Postal qui n'a pas t reprise par Chomsky, et sera notamment remplace par l'hypothse prcite du Complmentiseur. Il est notable qu'en 1974, N (pp. 117-127) et LF (Delesalle, pp. 62-63) prsentent encore ce constituant de phrase avec rfrence explicite Dubois . Ce retard thorique semble s'expliquer par les impratifs de la vulgarisation : la rgle de rcriture de Const formalise commodment des choix obligatoires et facultatifs intervenant dans la drivation des phrases, et elle a t largement diffuse dans les manuels scolaires (cf. Grammaire nouvelle du franais de Dubois et Lagane). 90
3.3. Les transformations
Faute de place, et parce que nous en avons dj parl en 2.2., nous nous limiterons quelques remarques : 1 Tous les auteurs soulignent l'importance thorique des T comme proprits universelles des langues (N p. 10), et la radicale innovation par rapport au distributionnalisme qui ignorait la distinction entre structure profonde et structure de surface. Il suffit de relire le texte de vulgarisation de Gleason pour reprer les ressemblances le formalisme des T obligatoires et des T gnralises et les dissemblances : si l'emploi des transformations dans la grammaire partir des annes 1950 a ouvert une voie nouvelle , il a suscit des controverses passionnes sur lesquelles (GL) refuse de prendre parti en ne nommant aucune cole (p. 157). 2 Dans sa version initiale (SS), le composant transformationnel tait un modle trop puissant que la G. G. T. s'est employe contraindre par d'incessantes rvisions thoriques. Notre corpus de vulgarisation a largement mconnu cet effort et les textes-sources qui en tmoignent. D'o, pendant des annes, le maintien des T gnralises et d'un transform ationnisme lexical qui permettent au sujet parlant , et donc aux enseignants et leurs lves, de fabriquer des phrases complexes ou des drivations/compositions lexicales partir de phrases simples ralises. 3 Le retard et le contresens sur la T est particulirement manifeste chez D 67 et 69, et s'ancre sur Vambigut de la comptence comme gnration formelle, mais aussi comme crativit du sujet. Si formellement une T se dfinit par le couple Invariant + Diffrence structurale constante, psychologiquement elle peut s'insrer dans un projet comme suite plus ou moins complexe d'oprations effectues par le locuteur sur la phrase minimale (D 67, pp. 6-7). Il importe aussi de dfinir, mais pour D seulement au niveau du locuteur, les causes de la transformation . R a raison de souligner (note pp. 394-395) que Dubois confond gnration et production, comptence et performance. Mais si la diffusion ne respecte pas ici les textessources, on lui connatra le mrite de baliser un peu confusment le passage, ncessaire et bien franais, une linguistique de renonciation qui dialectiserait comptence et performance.