Réplique de La République Du Bénin: Cour Internationale de Justice
Réplique de La République Du Bénin: Cour Internationale de Justice
Réplique de La République Du Bénin: Cour Internationale de Justice
--------------------------------
DIFFREND FRONTALIER
(BNIN / NIGER)
RPLIQUE
DE LA RPUBLIQUE DU BNIN
LIVRE I
17 DCEMBRE 2004
SOMMAIRE
SOMMAIRE .......................................................................................................................................... ii
SIGLES ET ABRVIATIONS.............................................................................................................. iv
INTRODUCTION ................................................................................................................................ 1
Section I : Les thses des Parties ........................................................................................................... 2
1 LA THSE DU NIGER .........................................................................................................................
3
2 LA THSE DU BNIN .........................................................................................................................
4
Section II : Les sources documentaires prsentes la Chambre de la Cour ................................ 6
Section III : Plan de la rplique............................................................................................................. 9
CHAPITRE I : LE PAYS DENDI AU MOMENT DE LA COLONISATION PAR LA FRANCE..... 11
Section I : Le pays dendi .......................................................................................................................13
1 L'UNIT DU PAYS DENDI....................................................................................................................
13
2 AU MOMENT DE LA COLONISATION DU PAYS DENDI, L'LE DE LT N'TAIT PAS HABITE EN 16
PERMANENCE ................................................................................................................................
3 LE LIEN ENTRE LA DLIMITATION DES POSSESSIONS FRANAISES DU DAHOMEY ET DU 19
NIGER ET LA SITUATION PR-COLONIALE ........................................................................................
Section II : Les traits de protectorat................................................................................................ 22
1 LE TRAIT ENTRE LA FRANCE ET LE ROYAUME DE KABBI ................................................................ 22
2 LE BNIN NE SE PRVAUT D'AUCUN TITRE TRADITIONNEL ................................................................ 23
CHAPITRE II : LES MOTIFS DE LA FIXATION DE LA LIMITE LA RIVE GAUCHE 24
DANS LE SECTEUR DU FLEUVE NIGER..............................................................................
Section I : Le caractre prtendument exceptionnel du recours la limite la rive dans la 25
pratique internationale ...............................................................................................................
Section II : Une limite commode et adapte aux particularits locales ................................................30
CHAPITRE III : LE TITRE FRONTALIER DU BNIN DANS LE SECTEUR DU FLEUVE 36
NIGER.........................................................................................................................................
Section I : La conscration de la fixation de la limite la rive gauche par les changes de 38
correspondance de 1954..............................................................................................................
1 LES CIRCONSTANCES AYANT ENTOUR L'ENVOI DE LA LETTRE DU GOUVERNEUR DU NIGER 39
DU 27 AOT 1954...........................................................................................................................
2 LES SUITES DONNES LA LETTRE DU 27 AOT 1954................................................................ 45
3 LA PORTE JURIDIQUE DE LA LETTRE DU GOUVERNEUR DU NIGER DU 27 AOT 1954 ........................... 59
Section II : La limite la rive gauche a t dfinitivement fixe ds 1900............................................76
1 CONSIDRATION GNRALES RELATIVES AUX ARRTS DE 1989, 1900, 1934 ET 1938......................... 77
2 LA PORTE JURIDIQUE DES ARRTS DE 1898, 1900, 1934 ET 1938 AU REGARD DE LA LIMITE 82
DANS LE SECTEUR DU FLEUVE ................................................................................................
3 LE SECTEUR CONTEST DU FLEUVE NIGER FAIT DFINITIVEMENT PARTIE DU TERRITOIRE 94
TERRESTRE DU DAHOMEY DS 1900................................................................................................
ii
CHAPITRE V : LE TRAC FRONTALIER DANS LE SECTEUR DU FLEUVE NIGER ............... 157
Section I : Le trac frontalier de la confluence avec la rivire Mkrou jusqu'au point triple 159
avec le Nigria.............................................................................................................................
1 UNE LIMITE LA RIVE CT GAUCHE ET NON LA LIGNE D'INONDATION SUR LA RIVE 159
GAUCHE ................................................................................................................................
2 LA LIMITE LA RIVE GAUCHE S'TEND DU CONFLUENT DE LA MKROU BANDOFAY ......................... 165
3 LES PONTS DE MALANVILLE ............................................................................................................. 171
Section II : Les points d'aboutissement l'ouest et l'est du trac frontalier ................................ 182
1 L'EXTRMIT OCCIDENTALE DE LA LIMITE INTER-COLONIALE DANS LE SECTEUR DU FLEUVE 182
NIGER ................................................................................................................................
2 L'EXTRMIT ORIENTALE DE LA LIMITE INTER-COLONIALE ................................................................ 185
CHAPITRE VI : LA FRONTIRE DANS LE SECTEUR DE LA RIVIRE MKROU................... 190
Section I : Le caractre artificiel de la revendication du Niger ............................................................ 191
Section II : Le droit colonial tablit que la frontire est fixe la rivire Mkrou .............................. 197
1 LES TEXTES COLONIAUX CONFORTENT LA THSE DU BNIN ................................................................ 198
2 LES TEXTES RELATIFS LA CRATION DE RESERVES DE CHASSE ET DE PARCS NATIONAUX 203
CONFIRMENT LA THSE DU BNIN ................................................................................................
3 LES EFFECTIVITS CONFIRMENT LA THSE DU BNIN ................................................................208
CONCLUSIONS.................................................................................................................................... 211
iii
SIGLES ET ABRVIATIONS
iv
R.C.A.D.I. ....................................................... Recueil des cours de l'Acadmie de droit
international de La Haye
Juridictions internationales
v
INTRODUCTION
0.1 Dans l'introduction de son contre-mmoire, la Rpublique du Niger a jug bon
de dnoncer avec une vhmence pour dire le moins inhabituelle devant la Cour
internationale de Justice, "la stratgie argumentative du mmoire de la Rpublique du Bnin"
et "les procds peu orthodoxes du mmoire du Bnin". Elle a, pour ce faire, adopt un ton
proprement injurieux l'gard de l'autre Partie. Le Bnin considre que ces procds ne
discrditent que ceux qui y ont recours et, soucieux de la dignit qui devrait marquer les
dbats devant la Haute Juridiction, il s'abstiendra pour sa part d'y recourir. Ceci lui parat
conforme non seulement aux principes les plus lmentaires de la courtoisie internationale
mais aussi au caractre traditionnellement cordial des relations entre les deux rpubliques
surs du Bnin et du Niger, qu'il entend prserver.
Section I
1
CM / R.B., p. 12-13, par. 0.28-0.31.
2
Rpublique du Bnin croit cependant utile de rsumer d'une part ce qu'elle croit tre les
principaux lments de la thse de la Partie nigrienne ( 1), d'autre part les grandes lignes de
sa propre argumentation ( 2).
0.4 Les deux Parties s'accordent pour considrer que les deux secteurs frontaliers,
dont la Chambre de la Cour a t prie de dterminer le trac par l'article 2 du compromis du
15 juin 2001, posent des questions diffrentes relevant de problmatiques distinctes. Elles
considrent toutes deux que l'appartenance des les du fleuve, et en particulier de celle de
Lt, sera ncessairement la consquence de la dcision de la Chambre en ce qui concerne le
trac de la frontire dans le secteur du fleuve Niger. Les brefs rsums des thses des Parties
proposs ci-aprs distingueront donc leurs positions respectives en ce qui concerne le secteur
de la rivire Mkrou d'une part, celui du grand fleuve d'autre part.
1 - LA THSE DU NIGER
0.6 Ce trac serait conforme la pratique suivie par les administrateurs locaux des
deux rives partir de 1914 et attest par l'administration effective des les du fleuve, et en
particulier de l'le de Lt, par les administrations coloniales de la rive gauche, tout
spcialement la subdivision de Gaya.
3
frontire entre les deux pays rsulte de l'article 1er du dcret du 2 mars 1907 aux termes
duquel "[l]a limite entre la colonie du Haut-Sngal et Niger et celle du Dahomey suit [
partir du point d'intersection de la chane de l'Atakora et du mridien de Paris] une ligne
droite dans la direction Nord-Est et aboutissant au point de confluence de la rivire Mkrou
avec le Niger". Cette dlimitation, qui n'aurait jamais t formellement abroge, aurait
survcu toutes les modifications intervenues ultrieurement dans l'organisation territoriale
des diffrentes colonies concernes (Dahomey, Haute-Volta et Niger) y compris l'arrt du
31 aot 1927 et son erratum du 5 octobre et les positions prises par les autorits
dahomennes et nigriennes l'occasion de la cration des parcs nationaux du W du Niger,
partir de 1926, ou du projet de construction du barrage de Dyodyonga sur la Mkrou, dans les
annes 1970, (pisode sur lequel le contre-mmoire du Niger est d'une extrme discrtion),
n'auraient aucune incidence cet gard.
2 - LA THSE DU BNIN
0.9 Pour ce qui est du secteur de la rivire Mkrou, le Bnin considre que la
frontire est constitue par la ligne mdiane de la rivire, depuis le point triple avec le Burkina
Faso jusqu' son confluent avec le Niger.
0.10 Cette position est justifie par les textes coloniaux intervenus aprs 1907, en
particulier par l'arrt de 1927, dont l'erratum ne concerne le secteur considr que pour ce
qui touche au point triple avec la Haute-Volta, et par les arrts concordants adopts par les
gouverneurs du Dahomey et du Niger en 1937 crant, respectivement, une rserve naturelle
intgrale dans le cercle de Kandi et le parc national du W dans les cercles de Niamey et de
Fada N'Gourma, et fixant leurs limites respectives la Mkrou. Cette dlimitation fut
confirme par les arrts du 3 dcembre 1952 et du 25 juin 1953 et rsulte galement de la
pratique constante des deux pays et tout particulirement des positions qu'ils ont prises lors
des ngociations relatives au projet de construction du barrage de Dyodyonga.
4
colonisateur a tendu l'emprise du Dahomey sur la rive gauche du fleuve Niger et confin
ensuite le territoire militaire du Niger la seule rive gauche, ce qui rsulte de l'article 1er de
l'arrt gnral du 23 juillet 1900, qui soustrait les rgions de la rive gauche du fleuve (et elles
seules) au Dahomey.
0.12 Le Bnin ne nie pas davantage que, par la suite, des incertitudes ont subsist
dans lesprit de certains administrateurs locaux des deux rives, ce qui les a conduits conclure
des arrangements divisant le fleuve et ses les, certains administrateurs coloniaux du Niger
allant jusqu revendiquer pour leur colonie la totalit du fleuve. Les arrts du 8 dcembre
1934 et du 27 octobre 1938 fixant au "cours du Niger" la limite nord-est du cercle de Kandi
n'ont pas dissip ces incertitudes et il a fallu la lettre trs ferme du gouverneur du Niger du 27
aot 1954 au chef de la subdivision de Gaya pour lever toute ambigut. Cette lettre, qui fait
suite une demande du cercle de Kandi et a t communique aux autorits coloniales du
Dahomey, prcise que "la limite du Territoire du Niger est constitue de la ligne des plus
hautes eaux, ct rive gauche du fleuve, partir du village de Bandofay, jusqu' la frontire
du Nigria. En consquence, toutes les les situes dans cette partie du fleuve font partie du
Territoire du Dahomey".
0.13 la suite de cette lettre, les administrations et les habitants de la rive droite ont
t conforts dans leurs droits sur les les, tant entendu que, paralllement, les autorits
coloniales du Dahomey ont garanti la prservation des droits des ressortissants du Niger et la
prennit des installations que la subdivision de Gaya possdait sur certaines les. La mme
dissociation tait admise en ce qui concerne l'utilisation du fleuve lui-mme : relevant de la
comptence territoriale du Dahomey, il tait utilis par les habitants des deux rives et a relev,
pour sa gestion, assure depuis Paris puis depuis Dakar, d'une "dconcentration par services"
confie dans un premier temps la colonie du Niger, puis partir de 1934, l'autorit
exclusive du Dahomey. Le Bnin n'entend pas revenir sur ces droits acquis.
5
Section II
Il nest pas douteux que les deux Parties la prsente instance ont rencontr de difficiles
problmes daccs la documentation pertinente. Celle-ci est parpille entre des fonds
darchives qui se trouvent pour partie en France (notamment aux Archives doutre-mer dAix-
en-Provence), pour partie Dakar o sont conserves les archives de lA.O.F. et pour partie
au Bnin et au Niger.
0.15 Le Bnin, pour sa part, a dploy ses meilleurs efforts pour retrouver et fournir
la Chambre de la Cour toute la documentation utile. Pour des raisons entirement
indpendantes de sa volont, il ny est, malheureusement, parvenu que partiellement.
0.16 Un premier problme quil a rencontr tient la tenue des archives de lA.O.F.
Bien quil y ait envoy plusieurs missions successives, celles-ci nont pu retrouver quune
documentation parcellaire et lacunaire. Comme la indiqu M. Mamadou Ndiaye, responsable
de la communication la direction des archives du Sngal, qui gre le fonds de lex-A.O.F.,
dans une attestation tablie le 9 novembre 2004 la demande du gouvernement bninois, de
nombreuses pices ont disparu des dossiers pertinents :
2
C.I.J., arrt du 22 dcembre 1986, Rec. 1986, p. 587.
6
"- soit parce que certains lecteurs les ont dplaces par inadvertance et les ont
classes dans dautres dossiers (on a ainsi retrouv certaines dentre elles),
- soit parce que certains lecteurs les ont peut-tre emportes dans leurs
affaires"3.
0.17 cette premire source de difficults sen est ajoute une autre, propre au
Bnin. Dune faon gnrale, peu dattention et de ressources ont t consacres la
conservation des archives qui ont, jusqu une priode trs rcente, largement t laisses
labandon. Beaucoup ont t dtruites et quant celles qui ont chapp la destruction,
conserves dans des conditions climatiques particulirement nfastes (chaleur humide), elles
ont souvent t trs gravement endommages et nont jamais fait lobjet dun classement
systmatique qui les rendrait exploitables. Comme la crit la directrice des archives
nationales dans une note adresse rcemment au directeur des affaires juridiques et des droits
de lhomme du ministre bninois des affaires trangres :
"Pour contourner toutes les entraves lies lengorgement des services, les
dossiers sont tout simplement jets dans les couloirs, sous les escaliers et
rduits ; ds lors ils nappartiennent plus personne et nul ne connat leur
contenu. On sen dbarrasse loccasion dun dmnagement ou quand ils
deviennent encombrants.
Dans ces conditions des masses importantes de documents gnrs et reus par
les services sont tout simplement brls et lorsque arrive le moment dexploiter
ou de consulter ces sources de connaissances, ils sont introuvables. Cest le cas
aujourd'hui avec les archives relatives aux questions des frontires entre le
Bnin et pour lensemble des archives du Dahomey indpendant, du Bnin
rvolutionnaire et dmocratique mme si des solutions timides et pas durables
sont envisages par certains dpartements ministriels, prfectures et
communes"4.
0.18 Ainsi, son grand regret, le Bnin na pu retrouver la plupart des documents
originaux qui ont t utiliss lors des ngociations frontalires avec le Niger. Telle est la
raison pour laquelle il a d produire des copies effectues dans les annes 1960
(principalement durant lanne 1964). A fortiori, il na pas t en mesure de retrouver des
3
Mamadou Ndiaye, attestation, 2004 ; R / R.B., annexe 24.
4
Note sur les "Archives au Bnin" jointe la lettre de Mme. E. Paraso du 13 octobre 2004 ;
R / R.B., annexe 23.
7
pices dont lexistence est connue par le texte dautres documents5 mais qui semblent avoir
disparues.
0.19 La situation est encore plus insatisfaisante sagissant des archives locales, en
particulier du cercle de Kandi et de la subdivision de Malanville. Sagissant des premires,
elles ont, semble-t-il, entirement disparu dans un incendie qui a ravag la rsidence du sous-
prfet en 19716. Quant aux archives de Malanville et Karimama elles sont, vrai dire,
inexistantes.
0.20 Dans ces conditions, la Rpublique du Bnin serait mal venue reprocher la
Partie nigrienne de navoir pas non plus t en mesure de fournir la Chambre de la Cour
une documentation exhaustive et elle ne le fait videmment pas. Elle doit cependant relever
un fait particulirement troublant : le Niger a attendu ltape du contre-mmoire pour annexer
un trs grand nombre de documents ; ceci relve dune "stratgie judiciaire" inapproprie, qui
a impos un troisime tour de plaidoiries crites que, pour sa part, le Bnin naurait pas jug
ncessaire net t la rtention documentaire exerce dans un premier temps par lautre
Partie.
5
Ainsi par exemple, 15 des 24 pices qui avaient t jointes par le commandant de cercle de Kandi
sa lettre du 3 juillet 1960 au ministre de lintrieur (annexe M / R.B. 80) sont restes introuvables,
malgr les efforts dploys par les autorits bninoises pour les retrouver.
6
Voir la note du 27 novembre 1971 ; R / R.B., annexe 18.
8
subdivision de Gaya au gouverneur du Niger laquelle rpond celle, si cruciale, du 27 aot
19547, non plus que celle du 11 dcembre 1954 du gouverneur du Dahomey celui du Niger8,
alors mme que ce dernier document tait, lvidence, en sa possession puisquil est
reproduit dans le Livre blanc du Niger de 1963 (pice n 11) et que dans le mme Livre
Blanc, la Rpublique du Niger indique expressment (p. 18) que "loriginal" de cette lettre est
"conserv aux archives nationales du Niger".
Section III
Plan de la rplique
0.23 Pour ne laisser dans l'ombre aucun des arguments avancs par le Niger, la
Rpublique du Bnin suivra pour l'essentiel, dans la prsente rplique, le plan du contre-
mmoire nigrien, tout en oprant quelques ajustements de dtail lorsque le raisonnement de
la Partie nigrienne lui parat sparer abusivement l'examen de certaines questions qui lui
semblent plus clairement envisages si elles le sont d'un seul tenant. C'est ainsi qu'elle traitera
dans le chapitre II de certains points que le Niger tudie sparment (mais cette sparation est
artificielle) dans le chapitre 3 de son contre-mmoire.
7
CM.N., annexe C.120.
8
CM.N., annexe C.128.
9
0.24 Le plan de la prsente rplique sera donc le suivant :
10
CHAPITRE I
1.3 Le dbat historique nest toutefois pas dnu dintrt, ds lors, tout le moins,
que lon sabstient daffirmations inutilement polmiques. Si le Niger semble souhaiter
emprunter cette voie, en pointant une prtendue "mconnaissance du pays dendi par le
Bnin"12 et une toute aussi prtendue "incohrence fondamentale" de son argumentation
relative aux traits de protectorat signs par la France son arrive dans la rgion du fleuve
Niger13, le Bnin sen abstiendra pour ce qui le concerne.
9
CM.N., p. 21
10
CM.N., p. 22, par. 1.4.
11
Voir infra, Chapitre I, Section II, par. 1.40-1.42.
12
CM.N., p. 24, par. 1.7.
13
CM.N., p. 35, par. 1.43.
12
Section I
Le pays dendi
1.5 Sil admet que " laube de la colonisation franaise, le pays dendi [est] situ
cheval sur les deux rives du fleuve"14, ce qui marque clairement quil rejoint lanalyse du
Bnin sur lunit du pays dendi, le Niger soutient que ce pays ne se caractrisait par aucune
unit politique, et que Karimama ntait pas la capitale du royaume dendi15. Aucun de ses
arguments ne remet cependant en cause lunit du pays dendi sur les deux rives du
fleuve ( 1). Le Niger affirme en outre que lle de Lt tait habite en permanence
lpoque de la colonisation. Le Bnin maintient que cest inexact ( 2). Le Niger avance enfin
que "lautorit coloniale a entrin la division du pays dendi en fixant la ligne administrative
sparant les deux colonies du Dahomey et du Niger au cours du fleuve Niger"16. Il s'agit l
d'affirmations que rien ne vient tayer ( 3).
14
CM.N., p. 25, par. 1.8.
15
CM.N., p. 28, B.
16
CM.N., p. 22, par. 1.4.
17
CM.N., p. 24.
18
CM / R.B., p. 25, par. 1.30.
19
M / R.B., p. 16, par. 1.25 (italiques ajouts par le Bnin uniquement dans le prsent texte).
13
1.8 De son ct, le Niger expose dans son contre-mmoire que :
1.9 Il en rsulte clairement que les vues des Parties convergent pour considrer
quoriginellement, le pays dendi prsentait une indniable unit et que son territoire stendait
sur les deux rives du fleuve Niger.
1.10 Les Parties saccordent aussi sur le fait quau moment de la colonisation,
Karimama et Gaya se prsentaient comme deux capitales du pays dendi21. En effet, le heurt
des ambitions lintrieur de la mme dynastie avait provoqu lclatement de lunit
politique du Dendi et des dplacements successifs de la capitale. A cet gard, le Niger soutient
juste titre :
1.11 Somme toute, ce qui spare les analyses du Bnin et du Niger porte non pas sur
lunit territoriale du pays dendi en tant que tel, mais uniquement sur ltendue des
comptences territoriales respectives des autorits de Karimama et de Gaya.
20
CM.N., p. 24, par. 1.5 (italiques ajouts par le Bnin) ; voir croquis M / R.B., p. 34 ; voir galement
M.N., p. 95, par. 2.2.22.
21
CM / R.B., p. 25 par. 1.31 et 1.32 ; voir consultation de Nassirou Bako-Arifari, CM / R.B. annexe
33. Le Niger et le Bnin sont daccord sur les changements successifs de capitale et le dclin de
Gaya la veille de la colonisation ; CM.N., p. 28, par. 1.18 et p. 30, par. 1.24. La seule divergence
sur ce point rside dans la position de Karimama la veille de la colonisation.
22
CM.N., p. 33, par. 1.36.
14
1.12 Pour le Bnin, Karimama rgnait sur le pays dendi, rive gauche et rive droite,
la seule exception, sur la rive gauche, dun territoire exigu autour de Gaya23. On en trouve la
confirmation par exemple dans le rapport prsent le 22 juin 1910 en sance du gouvernement
gnral par le gouverneur du Dahomey :
"les populations installes sur lune et lautre rive du Niger dans cette partie de
son cours, ont des rapports constants et il existe entre elles plus que des
affinits de race : identit ethnique absolue. Tous, en effet, sont Dendis et
dpendant politiquement de Carimama, village situ sur le territoire du
Dahomey"24.
1.13 Le Niger avance une autre hypothse, et prtend que "cest dabord Tara qui
fut la capitale de cet ensemble, puis Gaya pendant longtemps", en sappuyant notamment sur
le rapport historique de la mission Tilho25.
1.14 Le Bnin convient que lanalyse de lhistoire politique tout comme celle du
peuplement du Dendi est "trs difficile selon une perspective historique dans un contexte de
tradition orale, o il est parfois difficile de dissocier la lgende de la ralit" ainsi que le
soulignait la Rpublique du Niger dans son mmoire26. Cette difficult est dailleurs atteste
par la consultation du professeur Nassirou Bako-Arifari produite par le Bnin :
"Enfin, largument central de Gaya, cest son antriorit historique en tant que
chefferie songhay par rapport aux autres chefferies dendi qui est mise en avant
pour en infrer une relation de dpendance politique virtuelle en faisant
abstraction des conditions de sparation des diffrentes chefferies dendi davec
Gaya. Or, on sait bien quil ny a pas dautomatisme mcanique en la matire.
Malheureusement, cest cette version des choses qui est par exemple rapporte
dans le document de la mission Tilho de 1907, qui sest contente de la seule
version intresse de laristocratie villageoise de Gaya."27
1.15 Mais en tout tat de cause, du point de vue du Bnin, seule importe la question
de savoir si le pays dendi s'tendait sur les deux rives du fleuve. Or, les deux Parties
23
CM / R.B., p. 26, par.1.32.
24
M.N., annexe C.24.
25
CM.N, p. 28-29, par. 1.18-1.23.
26
M.N., p. 77, par. 2.1.42.
27
CM / R.B., annexe 33, p. 620, par. 4.
15
saccordent pour rpondre par laffirmative cette question. Et cest bien cette unit-l que le
colonisateur na pas entendu briser lors de son arrive dans la rgion du fleuve.
1.16 Si lunit du pays dendi sur les deux rives du fleuve dans le secteur concern
nest pas srieusement conteste, il est galement avr que le peuplement des deux rives ne
sest pas effectu de la mme manire que sur les les. Si trs tt les rives ont t occupes de
manire permanente, lle de Lt na connu une occupation permanente qu partir de 1908.
1.17 Dans son mmoire, le Bnin indique quaucune des les du fleuve ntait
habite avant la colonisation, mme si la plus grande, lle de Lt, abritait les champs de
culture des gens de Karimama et recevait priodiquement les troupeaux des Peuhls
dahomens, nigriens et nigrians, ces tribus ne sy tant tablies de manire permanente qu
partir de la colonisation28. Ceci dmontrerait, selon la Rpublique du Niger, "La
mconnaissance du pays dendi par le Bnin"29, car, toujours selon le Niger, lle de Lt aurait
t habite en permanence ds avant la colonisation.
28
M / R.B, p. 17, par. 1.28.
29
CM.N., p. 27, par. 1.14.
30
Ibid.
31
CM.N., p. 143, par 4.7.
16
1.19 Le Niger fait manifestement dire au professeur Bako-Arifari ce quil ne dit pas.
Certes, pour cet auteur :
"Peu nombreux au Dendi, nous navons pu identifier quun seul site insulaire
sur lle de Lt que les Kumat installs sur la rive droite appellent Moulebon.
Il aurait t momentanment occup par les Kumat lors de leur migration de
Katanga Tourouwei et Bogobogo. Le site est situ lextrmit Nord de lle
de Lt."33
1.20 Il apparat donc clairement que, du point de vue de lhistorien auquel les deux
Parties font rfrence, les Kumat nont occup un point de lle que momentanment lors de
leur mouvement migratoire et quau moment o la colonisation franaise dbutait dans la
rgion, les Kumat, "vritables btisseurs du Dendi"34, ntaient plus sur lle de Lt.
32
Nassirou Bako-Arifari, "Peuplement et population dendi du Bnin : approches anthropo-
historiques", Peuplements et Migrations, Actes du premier colloque international de Parakou, 26-
29 septembre 1995, CELHTO, dition du Centre Niamey, 2000, p. 132 ; CM.N., annexe E.30
(italiques ajouts par le Bnin).
33
Nassirou Bako-Arifari, La question du peuplement Dendi dans la partie septentrionale de la
Rpublique Populaire du Bnin : le cas du Borgou, Mmoire de matrise dhistoire, Universit
Nationale du Bnin, Facult des lettres, arts et sciences humaines, 1988-1989, page 62 ; R / R.B.,
annexe 19 (italiques ajouts par le Bnin).
34
Ibid., p. 63.
35
Nassirou Bako-Arifari, Histoire du peuplement de l'le de Lt : des origines 1960, consultation,
2004 ; R / R.B., annexe 26.
17
- dabord, que
- puis, que :
"la premire chefferie peule dans le Dendi fut une cration de lAdministration
coloniale dans les annes 1930, lorsque le chef peul dpendant du Laboukoye
de Karimama a t dsign "chef de canton peul" lchelle de la Subdivision
de Gun qui lpoque tait constiue de deux cantons de populations
sdentaires (Gun et Karimama). Le canton peul tait un canton purement
administratif sans "territoire" propre"37 ;
- enfin, que :
"On peut donc affirmer de faon premptoire que la prsence peule sur lle de
Lt est effectivement contemporaine de la colonisation et peut tre situe au
plus tt dans la premire dcennie du 20e sicle"39.
1.23 Quant, enfin, laffirmation, dont le Niger fait grand cas, du mmoire du
Bnin suivant laquelle "la rive gauche ntait pas, lpoque, habite de faon permanente ;
seuls les Peuhls transhumants sy installaient certaines poques de lanne"40, il sagit dune
simple inadvertance ; le paragraphe qui, dans le mmoire du Bnin, prcde immdiatement
celui contenant cette erreur41, ainsi que lensemble des critures du Bnin mmoire et
36
Ibid., p. 4.
37
Ibid., p. 12.
38
Ibid., p. 19.
39
Ibid., p. 20.
40
M / R.B., p. 158, par. 6.38 ; CM.N, p. 26-27, par. 1.12-1.13.
41
M / R.B., p. 158 par. 6.37.
18
contre-mmoire42 attestent quil nentendait pas parler de "la rive gauche" mais de "lle de
Lt".
1.25 Si cette affirmation repose sur une double confusion44, la Rpublique du Bnin
nen a pas tir conclusion que la Rpublique du Niger avait une "mconnaissance" de sa
propre histoire ; convaincu quil sagissait dune simple erreur dinattention que la Chambre
de la Cour comprendrait elle aussi, le Bnin na mme pas jug utile de la relever dans son
contre-mmoire.
"Une fois son autorit tablie sur le pays dendi, dj morcel entre les
territoires de la rive gauche et ceux de la rive droite du fleuve du fait des
guerres fratricides incessantes, la France va entriner cette division en fixant la
limite administrative sparant la colonie du Dahomey et le troisime territoire
militaire au cours du fleuve Niger"45.
1.27 Par la suite, le Niger prsente sa thse selon laquelle une limite administrative
aurait t fixe au cours du fleuve ds 1901. Cest dailleurs lunique objet de sa
dmonstration, qui voque une srie de textes. Il ne cite dailleurs pas tous les textes
42
M / R.B., p. 18-20, par. 1.31-1.35 ; CM / R.B., p. 25, par 1.31 ; p. 42, par. 2.14-2.16.
43
M.N., p. 33, par. 1.1.42.
44
Les territoires doutre-mer ne se sont pas prononcs par leurs assembles territoriales mais par
rfrendum le 28 septembre 1958. Il en a t de mme en France. Ce nest quaprs cette date que
la Constitution de la Vme Rpublique franaise a t promulgue, le 4 octobre 1958.
45
CM.N, p. 36, par. 1.45. Voir aussi CM.N, p. 40, par. 1.59.
19
pertinents, puisquil omet de mentionner le dcret du 22 juin 1894 et larrt gnral du 23
juillet 1900 que confirme le dcret du 20 dcembre 1900. Sont voqus la convention franco-
anglaise du 14 juin 1898, larrt du 11 aot 1898, le dcret du 20 dcembre 1900, larrt
gnral du 26 dcembre 1904 puis les arrts du 8 dcembre 1934 et du 27 octobre 193846.
Mais largument principal du Niger repose sur la lettre n 163 du ministre des colonies au
gouverneur gnral de lAOF en date du 7 septembre 190147. Pour le Niger, cest ce dernier
document qui aurait fix pour la premire fois la limite entre les deux colonies concernes, en
voquant le cours du fleuve48.
1.28 Cest videmment oublier que le fleuve est une surface, alors quune limite
inter-coloniale est ncessairement une ligne, et par consquent quon ne saurait voir dans
lvocation du cours dun fleuve la fixation dune ligne-frontire. Cette simple mention du
cours du fleuve ne suffit pas dterminer o passe prcisment la limite sur le fleuve. Cest
oublier aussi, comme le Bnin la dj montr dans son contre-mmoire, quen ralit la
limite a t fixe par dtermination des limites mridionales du 3me territoire militaire par
larrt gnral du 23 juillet 190049.
46
CM.N., p. 36-38, par. 1.46 1.53.
47
CM.N., p. 38, par. 1.52.
48
CM.N., p. 52, par. 2.16.
49
CM / R.B., p. 104-107, par. 4.10-4.21.
50
CM.N., p. 36-40, par. 1.45-1.58.
51
CM.N., p. 40, par. 1.58.
20
reconnatre, aux tous premiers temps de la colonisation, autorit sur les territoires situs sur la
rive gauche du fleuve Niger. Cest aussi un des facteurs expliquant que le Dahomey ait
revendiqu des enclaves sur la rive gauche en 1910, comme le rappelle le Niger52. Ce nest
que de ce point de vue, et de ce point de vue seulement, que la question de lunit du Dendi
prsente un intrt.
1.31 Mais il y a bien videmment dautres lments qui expliquent les choix initiaux
du colonisateur. Il faut cet gard rappeler la doctrine dite de lhinterland tire de larticle 34
de lacte gnral de Berlin daprs laquelle "la possession dune partie du littoral entranait
celle de lhinterland, sans limite territoriale vers lintrieur"53.
1.33 Pour occuper ces territoires qui lui avaient t dvolus, il a fallu au Dahomey
attendre la reconnaissance par la Grande-Bretagne des zones confres la France par divers
traits de protectorat.
52
CM.N, p. 39, par. 1.55 ; voir aussi M.N., p. 93-98, par. 2.2.16-2.2.33, et CM / R.B., p. 58, par. 2.65.
53
Albert Adu Boahen (sous la direction de), Histoire gnrale de lAfrique. Tome 7, L'Afrique sous
domination coloniale, Unesco-NEA, 1987, p. 51.
54
M / R.B., annexe 1. Aux termes de larticle 1er du dcret du 22 juin 1894, le gouverneur du
Dahomey "est charg en outre de lexercice du protectorat de la Rpublique sur les territoires de
lintrieur compris dans la zone dinfluence franaise".
21
Section II
1.35 Le Niger rappelle que trois mois aprs que le capitaine Baud eut sign le trait
du 21 octobre 1897 avec lamirou Ali de Karimama, "le capitaine Cazemajou, qui dirige la
mission du Haut Soudan, arrive Argoungou, la capitale du Kebbi et passe, au nom du
gouvernement de la Rpublique franaise, un trait de protectorat avec le souverain du Kebbi,
le 19 janvier 1898"57.
1.36 Mais il omet de prciser que lespace couvert par ce trait ne concerne
nullement le secteur contest du fleuve. Presque tout le royaume Kabbi est rattach au
territoire anglais du Nigeria. Et la rive gauche dont parle ce trait na rien voir avec la rive
gauche du secteur du fleuve concern par le prsent litige.
1.37 Il suffit en outre dexaminer, sur les cartes et croquis produits par le Niger, la
reprsentation des territoires occups par la France avant 1898 puis de ceux qui lui sont
reconnus par la convention franco-britannique du 14 juin 1898, pour constater que le "trait"
du 19 janvier 1898 na gure de pertinence58.
55
CM.N., p. 16, par. 0.15.
56
CM.N., p. 40-45, par. 1.59-1.67.
57
CM.N., p. 33, par. 1.38.
58
M / R.B., croquis p. 56 et p. 58. M.N., atlas cartographique, p. 19.
22
1.38 En effet, Cazemajou avait sign ce texte trop tard, les ngociations franco-
anglaises tant en cours et, comme cela a pu tre crit, "quand la nouvelle en arriva Paris,
les ngociations taient trop avances. On ne voulut pas tout recommencer pour ce chiffon de
papier venu si opportunment."59
1.40 La Rpublique du Bnin tient prciser de la manire la plus ferme que ni les
rfrences quelle a faites au trait de protectorat du 21 octobre 1897 avec lamirou de
Karimama, ni aucun passage de ses critures antrieures, ne signifient ni nimpliquent quelle
prtend fonder sa revendication sur un titre traditionnel ou historique. Conformment sa
position constante, la fixation de la limite la rive gauche rsulte et rsulte seulement des
actes rglementaires et administratifs de ladministration coloniale60.
1.41 Lvocation des traits de protectorat par la Rpublique du Bnin dans son
mmoire avait simplement pour objectif de situer le cadre historique, et dexpliquer les
critres qui avaient conduit lautorit centrale de la Rpublique franaise prendre le dcret
du 22 juin 1894 pour habiliter le gouverneur du Dahomey occuper, au nom de la France,
toutes les rgions de lintrieur, jusquau del du fleuve Niger.
59
M / R.B., annexe 10, Bulletin du comit de lAfrique Franaise, fvrier 1901, p. 29.
60
M / R.B., p. 115 et s. ; CM / R.B., p. 92-96 et p. 115-131.
23
CHAPITRE II
2.2 Cest ainsi quil prtend, tort, que le recours la rive est exceptionnel dans la
pratique internationale (Section I). En outre, le Niger soutient que, dans le cas despce, une
limite la rive gauche serait dpourvue de toute explication au regard des circonstances
locales, ce qui expliquerait que, comme il le prtend tort, la lettre de 1954 ait t considre
comme incohrente par les autorits coloniales63. Bien au contraire, la limite la rive apparat
comme une limite commode et adapte aux particularits locales (Section II).
Section I
2.3 La Rpublique du Niger tente de faire valoir que le recours la rive dans la
pratique internationale est "en net dclin et revt un caractre exceptionnel"64. Elle ajoute que
"[m]me les exemples mentionns dans le mmoire du Bnin attestent, sauf exception, le
caractre ancien de cette mthode de dlimitation"65. Pour parvenir cette conclusion, le
Niger note que les conventions cites datent des XVIIIe et XIXe sicles et que la sentence
arbitrale du 23 janvier 1933 mentionne par le Bnin fait application de luti possidetis de
61
CM.N., p. 51-53, par. 2.12-2.20.
62
CM.N., p. 58 et s., par. 2.30 et s.
63
Voir par exemple CM.N., p. 81, par. 2.85.
64
CM.N., p. 112-116, par. 3.41-3.48.
65
CM.N., p. 112, par. 3.42.
25
1821, selon les termes mmes de larticle V du trait darbitrage entre le Guatemala et le
Honduras du 16 juillet 193066.
2.5 Il lui aurait t difficile dailleurs de suivre de tels usages dans la mesure o le
droit international gnral ne prend aucunement parti en faveur de telle ou telle solution en
matire de dlimitation du trac dune frontire fluviale. Aucune rgle tablie ne simpose en
ce domaine68. Il est impossible en effet de dgager des pratiques tatiques relatives aux
dlimitations fluviales les conditions de constance et duniformit propres ltablissement
dune rgle de droit coutumier69.
66
Ibid.
67
M / R.B., p. 122-123, par. 5.25-5.27.
68
Lucius Caflisch, "Rgles gnrales du droit des cours deau internationaux", R.C.A.D.I., VII,
tome 219, p. 68 ; Haritini Dipla, "Les rgles de droit international en matire de dlimitation
fluviale : remise en question ? ", R.G.D.I.P., tome 89, 1985/3, p. 622 ; Franois Schroeter, "Les
systmes de dlimitation dans les fleuves internationaux", A.F.D.I., XXXVIII-1992, p. 982.
69
Voir Hlne Ruiz-Fabri, "Rgles coutumires gnrales et droit international public", A.F.D.I.,
1990, p. 822.
26
2.6 La Rpublique du Niger prtend cependant que pour les fleuves navigables,
cest la mthode du thalweg qui est "la plus pratique depuis le dbut du XIXe sicle"70. Deux
faiblesses apparaissent dans cette argumentation.
70
CM.N., p. 114-116, par. 3.46-3.48.
71
Dans le mme sens, Lucius Caflisch, op. cit., p. 68 ; Haritini Dipla, op.cit., p. 622 ; Franois
Schroeter, op. cit., p. 982.
72
Haritini Dipla, ibid., p. 622.
73
CM.N., p. 115, par. 3.47.
74
Ibid.
27
- le dcret du 8 dcembre 1933 portant dtermination de la limite entre le Sngal et la
Mauritanie (pour le fleuve Sngal),
2.11 La Rpublique du Niger fait valoir par ailleurs que la limite la rive a un
caractre inquitable, car elle aboutit attribuer la totalit du fleuve un seul tat souverain76.
Cette affirmation est dnue de tout fondement. Lorsque des tats procdent une
dtermination du trac de la frontire, "ils le font librement, sans tre tenus de raliser
concrtement des principes juridiques tirs des exigences de la nature ("frontire naturelle"),
de lhistoire (attachement des populations lune des rives) ou de lquit (distribution entre
les parties des profits de la zone conteste) : les traits tablissant des frontires terrestres ne
concrtisent pas des droits dj existants dans le chef des tats qui les concluent, ils les
constituent"77.
2.13 En tout tat de cause, sil est vrai que la limite la rive aboutit attribuer lun
des tats riverains la souverainet sur la totalit du fleuve, comme le note Lucius Caflisch,
75
M / R.B., p. 122, par. 5.26.
76
CM.N., p. 113-114, par. 3.43-3.45.
77
Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, 2004, p. 418.
28
"cet inconvnient pourrait tre limin en mnageant ltat prtrit des droits daccs et
de participation par la voie conventionnelle"78. La pratique montre que depuis les
indpendances, le Bnin et le Niger se sont toujours engags activement dans une coopration
transfrontalire, assurant le respect des droits des deux populations. Fixer donc la limite la
rive gauche ne sera pas inquitable en soi ; ce sera, tout simplement, conforme la rgle de
luti possidetis et donc aux dispositions de larticle 6 du compromis intervenu entre les parties
le 15 juin 2001. Il rsulte galement de ces dispositions, a contrario, que les Parties au prsent
diffrend ont exclu explicitement le recours lquit tel quil est prvu titre exceptionnel
dans le paragraphe 2 de larticle 38 du Statut de la Cour.
78
Lucius Caflisch, op. cit., p. 69.
79
M.N., p. 136, par. 2.3.27.
80
C.I.J.., Rec. 1986, p. 633, par. 149.
29
Section II
2.18 La limite la rive gauche tait ainsi pose, et elle demeura en l'tat pendant
toute la priode coloniale, en dpit du comportement des administrateurs de la rive gauche qui
put susciter des doutes cet gard, y compris du ct dahomen. Mais il est frappant de
constater que nombre de leurs revendications quant une extension de la juridiction du
territoire ont pris la forme de propositions tendant fixer la limite la rive droite, ce qui
81
CM.N., p. 61, par. 2.37.
82
Ibid.
83
Ibid.
84
CM.N., p. 148, par. 4.10.
85
R / R.B., annexe 2 (italiques ajouts).
30
monte bien que la limite la rive tait considre, pendant toute la priode coloniale, comme
la solution la plus approprie au cas d'espce.
2.19 Cest ainsi que dans une lettre du 12 novembre 1909, cite comme pertinente
par la rpublique du Niger dans son mmoire86, le commandant du territoire militaire du Niger
crivait :
"Il est indispensable de choisir la rive droite comme limite de faon laisser au
Territoire militaire le cours du fleuve et les les.
"suit la berge rive droite du Niger en remontant le fleuve depuis Doll jusqu
Koutougou, et en laissant au cercle de Niamey toutes les les du Niger"88.
2.21 Dans le mme sens, et soulignant les avantages qui en rsulteraient en terme de
prcision et dunit de la ligne, le commandant du Territoire militaire du Niger indiquait
encore, dans un tlgramme du 1er juin 1910 au gouverneur gnral de lA.O.F., sa prfrence
pour une ligne de dmarcation "tant dun bout lautre berge droite Niger"89.
86
M.N., p. 109, par. 2.2.61.
87
M.N., annexe C.12.
88
M.N., annexe C.26.
89
M.N., annexe C.22. On pourra noter que l'intitul de cette annexe C.22 semble erron puisqu'il y
est indiqu qu'il s'agit du "Tlgramme n2068 du 1er juin 1910, du Lt-Colonel Scal au Gouverneur
du Territoire du Niger" alors que le Niger indique la page 109 de son mmoire, au paragraphe
2.2.62, que ce tlgramme du commandant du territoire militaire du Niger, le lieutenant-colonel
Scal, est adress "au gouverneur gnral de l'A.O.F.".
31
2.22 Comme l'a soulign la Rpublique du Niger dans son mmoire90, ces
propositions n'ont pas t retenues, de sorte, convient-il dajouter, que la limite telle qu'elle
avait t tablie en 1900 est demeure sans modifications.
2.23 Lide simple du choix d'une nouvelle limite la rive fut nouveau avance
dans une lettre adresse par le commandant du cercle de Niamey le 27 juillet 1925 au
gouverneur du Niger. On peut lire dans cette lettre :
"il y aurait avantage, croyons nous, prendre une limite plus nette, celle
adopte entre lancien Haut-Sngal-Niger et le Territoire, par exemple, qui est
la suivante : la frontire entre les 2 Colonies est marque par la rive droite du
fleuve aux plus hautes eaux. De la sorte, toutes les les appartiennent la
Colonie du Niger, sans contestation possible.
Bien des frottements, des conflits entre Gaya et Gun seraient ainsi vits"91.
90
M.N., p. 110, par. 2.2.65.
91
M.N., annexe C.42.
92
Voir CM / R.B., p. 50, par. 2.37.
93
Cite dans M.N., p. 73, par. 2.1.31.
32
2.25 Cela se comprend sans difficult car, en loccurrence, il faut une fois encore95
souligner que la question qui se posait aux administrateurs coloniaux tait celle de la limite
entre deux colonies places sous la juridiction du mme tat souverain. Or, dans un tel cas,
les frontires sont gnralement dtermines sur des bases de pure commodit, et il en rsulte
des tracs dune simplicit souvent dconcertante, mais incontestables. Il suffit dailleurs de
porter un regard une carte de lAfrique du temps des colonies pour voir que les limites
internes des territoires sous domination dun seul colonisateur suivaient des tracs souvent
rectilignes96.
94
Ibid.
95
Voir par exemple CM / R.B., p. 90-91, par. 2.145.
96
Voir par exemple M / R.B., p. 8, croquis n 1.
97
M / R.B., annexe 8.
98
M / R.B., annexe 67.
99
Rapport Beneyton du 6 novembre 1931 ; M.N., annexe C.48, p. 6.
33
la limite, mais sur le seul enjeu concret de la discussion, savoir lappartenance de lle de
Lt. Or la position du Dahomey a toujours t que lle lui appartenait100.
2.29 Par consquent, contrairement ce que le Niger veut faire croire, un regard
port sur lhistoire coloniale montre clairement que le choix de la limite la rive gauche pour
sparer les colonies du Niger et du Dahomey sest impos parce quil est apparu comme la
solution la fois la plus commode et la plus conforme aux instruments juridiques pertinents.
2.30 Par contraste, et le Niger se garde bien de le souligner, lhypothse dune limite
au chenal na jamais t envisage comme une solution de principe fonde en droit, mais
seulement comme une solution dattente pratique, par moment, par les administrateurs
locaux. Il est dailleurs remarquable que les cartographes de lpoque coloniale ne laient
jamais consigne comme limite des deux territoires sur leurs cartes ou croquis de la rgion101.
Les documents de lpoque retiennent une limite la rive, gauche ou droite, ou encore la ligne
mdiane, mais jamais le chenal navigable102. Si la ligne du chenal a t propose en 1914 et
pratique titre temporaire et par intermittence partir de cette date dans le cadre dun modus
vivendi103, ctait uniquement dans lattente que la question ft tranche.
2.31 Elle le fut par la lettre du 27 aot 1954, qui, renouant avec la lettre et lesprit de
larrt du 23 juillet 1900, consacre la limite la ligne des plus hautes eaux, ct rive gauche,
ce qui sexplique au regard de l'histoire, tout particulirement juridique, de la rgion aux
premiers temps de la colonisation, laquelle trouve son expression dans cet arrt104.
100
Voir infra, Chapitre IV, Section III.
101
Voir sur ce point CM.N., p. 43-51, par. 2.17-2.42.
102
Sagissant des cartes de 1955 et postrieures, voir les commentaires infra, par. 3.31-3.36.
103
Voir infra, Chapitre IV, Section III.
104
Voir supra, Introduction, par. 11, et infra, Chapitre III, Section I.
34
2.32 En dfinitive, aucune des critiques adresses par le Niger au principe dune
limite la rive dans le cas despce nest fonde car
(ii) les administrateurs coloniaux, durant toute la priode coloniale, ont clairement et
toutes les poques marqu leur prfrence pour une limite la rive, solution qui a toujours t
considre comme la plus commode dans le cas despce, y compris aprs quait pu tre
pratiqu le modus vivendi de 1914, lequel na pas permis dviter les contestations ; et, enfin
(iii) mme si les administrateurs de la rive gauche du Niger ont, de leur ct, manifest
leur prfrence pour une limite la rive droite, cest sans conteste la rive gauche du fleuve
quelle a t fixe, tant par la lettre du 27 aot 1954 que par larrt du 23 juillet 1900.
35
CHAPITRE III
- en premier lieu, la France se considrant comme tant "chez elle" sur les deux rives du
fleuve, la dlimitation prcise entre ses deux possessions ne constituait pas un souci
majeur pour les autorits coloniales franaises ; ceci explique tant le flou relatif de
certaines formules utilises dans des textes davantage proccups de dfinir grands
traits la consistance des colonies composant l'Afrique occidentale franaise que d'en
fixer les limites dans tous leurs dtails107, que la simplicit des solutions retenues. Les
autorits coloniales des deux rives se sont en effet mises d'accord sur une dlimitation
simple et commode en fixant la limite la rive gauche du fleuve, en 1900, et lont
confirm en 1954 ;
105
Voir supra, par. 0.1.
106
CM.N., p. 47, par. 2.03.
107
Voir M / R.B., p. 87, par. 3.49.
37
l'indpendance ; ceci revt une importance particulire aux fins de l'application du
principe de luti possidetis juris, qui, aux termes de l'article 6 du compromis par lequel
la Chambre de la Cour a t saisie, constitue le principe fondamental sur lequel elle
doit se fonder pour trancher le diffrend108 ;
- en troisime lieu et enfin, alors qu'il est patent qu'aucun texte colonial, quelles que
soient sa date ou sa place dans la hirarchie des textes coloniaux, n'voque la limite au
chenal principal dfendue par la Partie nigrienne, il rsulte de la position claire du
gouverneur du Niger, communique aux autorits coloniales au Dahomey, que cette
limite tait fixe la rive gauche du fleuve ; cette interprtation autorise des textes
antrieurs lve l'ambigut que certains pisodes avaient fait natre, essentiellement sur
la base de ce que lon a appel le "modus vivendi" de 1914, qui a entretenu
lincertitude jusquaux annes 1950.
Section I
108
Voir CM / R.B., p. 12, par. 0.29, qui renvoie aux rfrences pertinentes du mmoire bninois et du
mmoire nigrien.
109
Voir infra, par.3.64 et par. 3.81. Voir aussi M / R.B., p. 40-42, par. 2.15-2.16 ; CM / R.B., p. 28,
par. 1.38-1.39.
38
- les changes de correspondance de 1954, qui prcisent en des termes dnus de toute
ambigut le trac de la limite entre les deux colonies, sont en tous points compatibles
avec les arrts des annes de 1934 et de 1938 ; et
- ceux-ci le sont avec les arrts de 1898 et 1900 (qui sont du reste plus prcis que ceux
des annes 1930110, et avec lesquels les textes de 1954 renouent).
3.4 Au bnfice de cette remarque, le Bnin rpondra point par point, mais dans un
ordre lgrement diffrent, l'argumentation avance par le Niger dans la section 2 du
chapitre 2 de son contre-mmoire, et montrera que la lettre du gouverneur du Niger du 27 aot
1954111, la lumire des circonstances dans lesquelles elle a t crite ( 1) et de ses suites (
2), engageait juridiquement la colonie du Niger, dont la Rpublique du Niger est le
successeur, et tmoigne de la position ultime des autorits coloniales franaises la veille des
indpendances et que, ds lors, les prtendues incohrences et contradictions que la Partie
nigrienne impute au Bnin sont le reflet de son imagination ou de ses espoirs ( 3). Ce
faisant, le Bnin s'abstiendra de reprendre, dans leur intgralit, les arguments dvelopps
dans ses critures antrieures auxquels le Niger n'a pas cru devoir (ou pouvoir) rpondre ; il se
permettra d'y renvoyer les Juges de la Chambre le cas chant.
110
Voir infra, section II, p. 76 et s.
111
M / R.B., annexe 67.
112
CM.N., p. 65-67, par. 2.46-2.51.
39
discussion en insistant sur le fait que le signataire de la lettre du 27 aot, gouverneur p.i. du
Niger, n'avait pris ses fonctions que deux jours auparavant113.
3.6 C'est oublier que l'administration coloniale franaise tait une institution bien
tablie compose d'un corps de fonctionnaires comptents et agissant non titre personnel
mais au nom du territoire dont ils avaient la charge. Malgr ce que le Niger tente de faire
accroire, notamment en l'appelant avec insistance par son nom114 plutt qu'en lui donnant son
titre, ce n'est pas "M. Raynier" ou "Raynier" qui s'exprime lorsqu'il signe la lettre, mais le
gouvernement de la colonie du Niger qui s'engage. Et celui-ci, contrairement aux allgations
nigriennes n'a pas agi dans la "prcipitation" : la lettre du chef de la subdivision de Gaya
laquelle le gouverneur rpond115 date du 23 juillet 1954 ; elle a t transmise par le
commandant de cercle de Dosso le 27 juillet et est parvenue Niamey le 30116. Les services
comptents (en l'occurrence la direction des affaires politiques et administratives du territoire
du Niger117) ont donc dispos de plus de trois semaines pour prparer la lettre soumise la
signature du gouverneur gnral p.i., ce qui ne tmoigne ni de "prcipitation", ni de
"lgret"118. Du reste, le signataire de la lettre a, visiblement, estim avoir t suffisamment
inform des tenants et aboutissants de celle-ci puisque, appel quelques mois plus tard par son
113
Voir CM.N., p. 65-66, par. 2.47, 2.48 et 2.51 et p. 78, par. 2.80.
114
Voir CM.N., p. 8, par. 0.6; p. 47, par. 2.02; p. 60, par. 2.34; p. 66, par. 2.47, 2.48, 2.50 ou 2.51;
p. 71, par. 2.62; p. 72, par. 2.66; p. 74, par. 2.70; p. 76, par. 2.76; p. 78, par. 2.80 et 2.81; p. 79, par.
2.82; p. 81, par. 2.83; p. 87, par. 3.1; p. 174, par. 4.29; etc.
115
Voir infra, par. 3.8.
116
Voir CM.N., annexe C.120. Il est surprenant que le Niger n'ait pas jug utile d'annexer cette lettre,
inconnue du Bnin jusqu' la rception du contre-mmoire nigrien, son mmoire.
117
Voir M / R.B., annexe 67.
118
CM.N., p. 78, par. 2.80. Le Niger fait grand cas du fait que, dans la lettre qu'il a adresse au
Prsident de la Rpublique du Niger le 24 janvier 1964, M. Raynier semble navoir pas gard le
souvenir de la lettre quil avait signe en 1954 (voir CM.N., p. 78-79, par. 2.81 et annexe C.152
ici encore, le Bnin s'tonne que la Partie nigrienne ait gard cette lettre par-devers elle au stade
du mmoire et ne l'ait produite qu'avec son contre-mmoire). vrai dire, ce "tmoignage" est
d'autant plus sujet caution que son auteur crit n'avoir "pas t inform de complications au sujet
de l'le de Lete" durant ses sjours au Niger (1954-1957) alors qu'il a t, en tout cas, le destinataire
de la lettre du gouverneur du Dahomey du 11 dcembre 1954 (M / R.B., annexe 70). Voir aussi
infra, par. 3.8-3.17.
40
homologue du Dahomey expliciter les motifs de sa ferme position, il se borne crire en
marge de la demande : "Laissons tomber il y a plus pressant"119.
3.8 Il est tout fait exact que, formellement, la lettre du gouverneur du Niger du
27 aot 1954 constitue une rponse une demande d'claircissement en date du 23 juillet
1954 manant du chef de la subdivision de Gaya et adresse au gouverneur du Niger sous
couvert du commandant de cercle de Dosso120. Il n'est pas inutile d'en reproduire le texte
intgral :
"J'ai l'honneur de solliciter tous renseignements utiles sur les les du fleuve
appartenant au NIGER ou au DAHOMEY quelques contestations sans
aucune gravit d'ailleurs s'tant leves ce sujet avec le cercle de Kandi.
Traditionnellement les Peuls de Gaya et la fourrire sont installes sur l'le
faisant face Gaya et des gardes du Dahomey sont venus pour y percevoir le
pacage. L'affaire a t rgle fort courtoisement par M. le Commandant de
cercle de Kandi, mais celui-ci affirme que toutes les les du fleuve
appartiendraient au DAHOMEY. Je dsirerais obtenir toutes prcisions
ncessaires ce sujet".
- en premier lieu, cette demande fait suite un incident qui tmoigne de la prsence
effective de l'administration coloniale dahomenne sur l'le et ceci sans accord des
autorits de Gaya, contrairement l'ide que le Niger tente d'accrditer par ailleurs121 ;
119
Voir CM.N., annexe C.128 v. infra, par. 3.24.
120
CM.N., annexe C.120 ; voir CM.N., p. 78, par. 2.80.
121
Voir CM.N., p. 162, par. 4.21. Sur ce point, voir aussi infra, par. 4.148-4.149.
41
- en deuxime lieu, en cette occasion, le commandant de cercle de Kandi fait valoir que
toutes les les du fleuve appartiennent au Dahomey ; par contraste et
J'ai l'honneur de vous faire savoir que la limite du Territoire du NIGER est
constitue de la ligne des plus hautes eaux, ct rive gauche du fleuve, partir
du village de BANDOFAY, jusqu' la frontire de NIGERIA.
En consquence, toutes les les situes dans cette partie du fleuve font partie du
Territoire du Dahomey."122
122
M / R.B., annexe 67 et M.N., annexe C.58.
123
Voir galement CM / R.B., p. 124-126, par. 2.239-2.246.
124
Lettre du gouverneur du Dahomey du 1er juillet 1954 ; M / R.B., annexe 66. Le Bnin n'a pas
retrouv la lettre du 17 juin elle-mme. Le Niger ne l'a pas non plus produite.
42
Bnin a dj longuement analys la rponse de Porto-Novo, en date du 1er juillet 1954125. Il
suffit d'en rappeler les traits essentiels.
"Pour l'avenir il serait intressant que vous m'adressiez pour cette portion du
fleuve la liste des les dont la proprit risque d'entraner des litiges, pour me
permettre de rgler une fois pour toute avec le Niger, que je saisirai de la
question, ce problme de dlimitation de la frontire."129
Cette intention ne semble pas avoir t suivie d'effet immdiat mais elle est, en elle-mme,
extrmement rvlatrice de l'tat d'esprit du gouverneur du Dahomey : il entend que le
problme soit rgl dfinitivement.
125
Voir notamment M / R.B., p. 149-150, par. 6.11 ou p. 151, par. 6.18 ou CM / R.B., p. 149, par.
3.34. La lettre du 1er juillet 1954 est reproduite en annexe 66 au mmoire du Bnin et en annexe
C.57 celui du Niger.
126
Voir infra, par. 3.44-3.47.
127
Cette lettre est reproduite en annexe au mmoire nigrien (M.N., annexe C.38).
128
Voir CM.N., p. 155, par. 4.16.
129
Italiques ajouts par le Bnin.
43
gouverneur (dont il recopiait la partie de la lettre cite au paragraphe prcdent). Insistant sur
la "relle importance [qu'il attachait] l'claircissement de la question", il lui faisait parvenir
un "rsum succinct" de son enqute et demandait son homologue d'interroger les
populations intresses de son ct130. Cette lettre qui arrivait trop tard, aprs la position prise
par Niamey, n'en est pas moins intressante en ce que, comme le gouverneur du Dahomey,
son auteur, d'une part considre que l'arrt gnral du 27 octobre 1938 est "muet sur des
limites prcises" et, d'autre part, se fonde non pas sur les caractristiques du fleuve (largeur,
profondeur, chenal navigable) mais sur les droits de proprit revendiqus par les populations
intresses.
"J'ai l'honneur de vous rendre compte que sur ma demande, mon collgue
Commandant le cercle de Dosso, ayant contact le Bureau politique du Niger,
la question de la proprit des les du Niger, face au Dahomey, est
dfinitivement rgle.
3.17 Le Bnin reviendra ci-aprs sur la signification juridique prcise qui s'attache
cette lettre et aux nombreuses correspondances qui l'ont prcdes135. Il suffit ce stade de
130
M.N., annexe C.59.
131
M.N., annexe C.60.
132
M / R.B., annexe 68. Dans sa lettre au gouverneur du Dahomey du 27 octobre, le commandant de
cercle de Kandi recopie un passage fort clairant de ce document (v. infra, par. 3.20 et 3.21).
133
Voir M.N., annexe C.61 : "Copie conforme transmise Monsieur le Commandant de cercle de
Dosso".
134
Italiques ajouts par le Bnin.
44
constater qu'il n'est l'vidence pas exact que la lettre du 27 aot 1954 tait "un acte purement
interne la colonie du Niger"136. Malgr l'indignation feinte de la Partie nigrienne qui affecte
de considrer la prsentation des faits effectue par le Bnin comme "trompeuse" et
"inexcusable", il se dduit clairement de leur droulement que :
- et telle est la seule raison pour laquelle celui-ci n'a pas saisi formellement son
homologue du Niger comme il en avait mis l'intention ds le 1er juillet 1954 : la
rponse de Niamey avait devanc la question et l'avait "rgle dfinitivement"137.
3.19 Elle l'a t d'abord en ce que les autorits coloniales du Dahomey ont considr
que cette lettre rglait "dfinitivement" "la question de la proprit des les du Niger, face au
Dahomey", comme le soulignait le commandant de cercle de Kandi dans sa lettre du 12
novembre 1954 au gouverneur du Dahomey139.
135
Voir infra, par. 3.40-3.69.
136
CM.N., p. 17, par. 0.16 ; voir aussi p. 83, par. 2.89.
137
En outre, le gouverneur du Dahomey a pris acte de la position de celui du Niger et lui a demand
des prcisions par sa lettre du 11 dcembre 1954 (M / R.B., annexe 70 ou CM.N., annexe C.128 ;
ici encore, le Bnin s'tonne que la Partie nigrienne n'ait pas cru devoir annexer cette pice, qu'elle
possdait, son mmoire) voir infra, par. 3.22.
138
CM.N., p. 74, c).
139
Voir supra, par. 3.16.
45
3.20 Il est vrai que, dans cette mme lettre, le commandant de cercle de Kandi
ajoute : "[t]outefois, il serait intressant de connatre le ou les textes auxquels se rfre
Monsieur le Gouverneur du Territoire voisin" ; et il suggre : "[j]e vous serais reconnaissant
au cas o vous jugeriez utile de les demander de m'en faire parvenir copie". Mais ce scrupule,
sur lequel le Niger insiste140, ne revient nullement remettre en cause la dcision, qu'il tient
pour dfinitive, du gouverneur du Niger. La suite de la lettre du 12 novembre ne laisse
d'ailleurs aucun doute cet gard :
"Il n'en reste pas moins exact que certaines de ces les par exemple celle en
face de Gaya sont occup [sic] par les habitants du Niger qui y font stationner
leurs animaux.
140
CM.N., p. 76, par. 2.75.
141
M / R.B., annexe 69.
46
3.22 Telle est trs exactement la position du gouverneur du Dahomey. Par sa lettre
du 11 dcembre 1954 au gouverneur du Niger142, celui-ci :
(i) rappelle que ni l'arrt gnral du 27 octobre 1938 ni les autres archives du
Dahomey ne fournissent de prcision quant aux limites communes du Dahomey et du Niger,
ce qui l'a conduit demander au commandant de cercle de Kandi de prendre contact avec son
collgue de Dosso ;
(ii) indique que, "[s]elon les renseignements fournis par cet Administrateur, la limite
du Territoire du Niger serait constitue par la ligne des plus hautes eaux, ct rive gauche du
fleuve, depuis le village de Bandofay jusqu' la frontire du Nigria" ; sans doute, comme le
relve le Niger143, l'usage du conditionnel pourrait-il manifester le scepticisme de l'auteur de
la lettre ; mais cette hypothse est dmentie par la suite de la lettre qui, en effet,
(iii) annonce l'intention de son auteur de ne pas "contester les droits coutumiers des
habitants du Niger sur certaines de ces les, ni de soulever la question des installations que la
Subdivision de Gaya peut avoir faites dans certaines d'entre elles" (ce qui confirme la position
prise par le commandant de cercle de Kandi144) et
(iv) de "rgler cette question sur le plan formel" ; cette fin, le gouverneur du
Dahomey, conformment la suggestion du commandant de cercle de Kandi, prie son
homologue du Niger "de bien vouloir [lui] indiquer les rfrences des textes ou accords
dterminant ces limites".
142
M / R.B., annexe 70 ; CM.N., annexe C.128.
143
CM.N., p. 76, par. 2.76.
144
Voir supra, par. 3.20.
47
deux colonies est bien fixe sur la rive gauche du fleuve Niger"[145], mais
assurment parce qu'il voulait connatre le fondement juridique d'une
affirmation aussi premptoire et aux implications administratives et socio-
politiques aussi importantes. Or, si Raynier [sic] n'a pu fournir "les rfrences
des textes ou accords dterminant [les] limites" qu'il nonait dans la lettre
n 3722/APA, c'est tout simplement parce qu'en 1954 aucun texte pertinent
antrieur et en vigueur ne fixait la limite sur la rive gauche. Il est significatif,
cet gard, que le gouverneur par intrim du Niger n'ait jamais donn suite la
lettre du 11 dcembre 1954."146
- la Partie nigrienne exagre la porte du problme qui se posait aux deux colonies en
1954 ; sans doute, dans le contexte de l'affaire soumise la Chambre de la Cour, cette
position revt-elle une importance cruciale mais, dans celui de l'poque, il en allait
diffremment : les deux colonies relevaient de la mme puissance pour laquelle les
limites "prcises" entre les territoires qu'elle administrait taient, somme toute, assez
indiffrentes149 (d'autant plus que les administrations coloniales des deux rives
s'accordaient pour ne pas remettre en cause les droits traditionnels), raison pour
laquelle larrt de 1900, pourtant clair et toujours en vigueur150, semble avoir t
quelque peu oubli ;
145
Le Niger renvoie tort l'annexe C.128 de son contre-mmoire ; en ralit cette citation est
extraite du par. 5.09 du mmoire du Bnin (p. 117).
146
CM.N., p. 59-60, par. 2.34.
147
Voir supra, par. 3.22.3 et 4.
148
Plutt que d'accuser le Bnin de "spculer", la Partie nigrienne devrait sans doute lire les
documents figurant au dossier
149
Voir supra, par. 3.2.
150
Voir infra, section II.
48
- c'est d'ailleurs pour cette raison que les textes antrieurs, y compris l'arrt de 1938 qui
voquait une limite au "cours du Niger" sans autre prcision, pouvaient sembler
approximatifs et susceptibles d'interprtations diverses si l'on ne se reportait pas
l'arrt gnral du 23 juillet 1900 qui, lui, se rfrait expressment la "rive
gauche"151 ;
- enfin, s'il est "significatif cet gard" que la lettre du 11 dcembre 1954 soit reste
sans suite, c'est pour des raisons totalement opposes ce que laisse entendre le Niger.
3.24 Ce n'est en effet pas parce que le gouvernement de Niamey n'tait pas en
mesure de rpondre la demande de Porto-Novo qu'il n'y a pas donn suite mais, plus
prosaquement, parce qu'il ne l'a pas jug utile. La lettre du gouverneur du Dahomey est
parvenue Niamey le 13 dcembre 1954 et porte deux annotations manuscrites face la
demande d'information formule in fine152. La premire se lit comme suit : "faire le ncessaire
intressant" : on ne peut en dduire grand-chose ; ceci implique soit que l'"annotateur"
(probablement le chef du bureau des affaires politiques et administratives) se proposait de
communiquer les textes pertinents Porto-Novo, soit qu'il tait "intress" par l'accord donn
par le gouverneur du Dahomey et entendait en faciliter la formalisation. Mais la seconde est
plus riche d'enseignements ; l'"annotateur" (sans doute le gouverneur du Niger p.i.) crit en
effet : "Laissons tomber il y a plus pressant". C'tait dire clairement que son auteur considrait
que la lettre du 27 aot avait mis un point final l'affaire et qu'il tait inutile de poursuivre
une correspondance qui se suffisait elle-mme 153.
3.25 Le Niger affirme curieusement qu'il n'est "plus fait rfrence [ la lettre du 27
aot 1954] dans aucune correspondance administrative aprs dcembre 1954" jusqu'en
1960154. Ce faisant, il oublie opportunment de mentionner un trs grand nombre de
documents qui, cependant, figurent au dossier dont dispose la Chambre de la Cour (et la Partie
nigrienne aussi par voie de consquence) sans compter ceux auxquels ces mmes
151
Voir infra, section II.
152
Ces annotations figurent sur l'annexe C.128 jointe au contre-mmoire du Niger.
153
Voir aussi M / R.B., p. 127-128, par. 2.249.
154
CM.N., p. 77, par. 2.78.
49
documents se rfrent et qui, trs vraisemblablement, mentionnent galement la lettre
n 3722/APA mais que le Bnin n'a pas retrouvs et que le Niger n'a pas produits155.
3.26 Tel est le cas, en premier lieu, de la lettre du commandant de cercle de Kandi
au gouverneur du Niger en date du 7 mai 1956 au sujet "d'incidents qui s'taient produits entre
le Chef de Subdivision de Malaville et le Chef de Poste de Douanes de Gaya (Niger)
l'occasion de la perception par ce dernier, en Territoire Dahomen, de droits sur les
exportations de poisson fum"156. Le chef de poste de douanes de Gaya "prtendant que le
fleuve tait entirement en territoire Nigrien", le commandant de cercle de Kandi a
Certes, l'on peut dduire de cet pisode que le chef du service de douanes de Gaya ignorait le
rglement intervenu deux ans plus tt alors que le commandant de cercle de Kandi s'en
prvaut expressment. Mais ce mme fonctionnaire revendique pour sa circonscription non
pas une limite place au principal chenal navigable mais l'ensemble du fleuve et de ses les.
155
Voir infra, par. 3.34.
156
M / R.B., annexe 71.
157
Cette lettre, que le Bnin n'a pas retrouve, est mentionne dans la rponse du commandant de
cercle de Kandi. Le Niger affirme (probablement juste titre) qu'elle est identique celle adresse
le mme jour au commandant de cercle de Dosso (CM.N., p. 80, par. 2.83 CM.N., annexe C.131).
158
M / R.B., annexe 72.
50
mais un autre propos159. Interrog sur "la limite interterritoriale Dahomey-Niger, le long du
fleuve Niger, entre la Nigria et la rgion de Kompa", ce haut fonctionnaire constate une fois
de plus que "[c]ette question de dlimitation n'a fait, ma connaissance, l'objet d'aucun texte
officiel (dcret ou arrt gnral)". Et d'ajouter :
Bien qu'il commette sur ce dernier point une erreur factuelle160, le commandant du cercle de
Kandi se fonde donc et se fonde exclusivement sur la lettre du 27 aot 1954 pour rpondre
la demande d'information du service gographique de Dakar. Et il insiste : ce document a
t port la connaissance de la plus haute autorit coloniale du Dahomey et constitue
l'lment le plus rcent dont il dispose. Il n'y en aura en effet pas d'autre jusqu' l'accession
l'indpendance des deux territoires.
3.28 Le Niger n'a pas produit la rponse du commandant de cercle de Dosso, qui
tait saisi de la mme question, et le Dahomey ne la possde pas. En revanche, la Partie
nigrienne s'appuie sur une correspondance interne au Niger, la lettre du 6 juillet 1956 du chef
de la subdivision de Gaya son suprieur hirarchique, le commandant de cercle de Dosso161
dont on ignore l'usage qu'il a fait de cette lettre. Pour sa part en tout cas, le chef de la
subdivision de Dosso n'a pas tmoign des mmes scrupules et soucis de prcision que le
commandant de cercle de Kandi auquel la Partie nigrienne elle-mme rend hommage162 ,
puisqu'il ne mentionne pas la lettre de 1954 : faisant l'impasse sur ces dveloppements
159
CM.N., p. 80, par. 2.83.
160
Le gouverneur du Dahomey a ragi par sa lettre prcite (par. 3.22) du 11 dcembre 1954 au
gouverneur du Niger.
161
M.N., annexe C.65.
162
En soulignant la "manire trs consciencieuse" avec laquelle il rpond la question pose (CM.N.,
p. 81, par. 2.83).
51
rcents, il met l'accent sur la lettre du 3 juillet 1914 de l'administrateur adjoint Seydoux,
commandant le secteur de Gaya163 (qui, il faut le rappeler, concernait une simple proposition
de dlimitation164) et, tout en se "rappropriant" l'le de Lt, reconnat qu'il n'est "pas
possible dans l'tat actuel des choses de rpondre de faon dfinitive" et qu'il faut "tirer cette
affaire au clair, une fois pour toutes" mais qu'"[i]l est peu probable que [les textes en vigueur]
dfinissent la frontire avec prcision".
3.29 Il reste que l'omission de toute allusion la lettre du 27 aot 1954 par le chef
de la subdivision de Gaya est d'autant plus incomprhensible que l'une de ses prcdentes
correspondances ne laisse aucun doute sur le fait d'une part qu'il en connaissait parfaitement
l'existence et, d'autre part, qu'il la dsapprouvait. Il s'agit de la lettre adresse le 20 juin 1955
par cet administrateur son suprieur immdiat, le commandant de cercle de Dosso165. La
Partie nigrienne garde, dans son contre-mmoire, un silence complet et embarrass sur cette
lettre, pourtant importante plusieurs points de vue. Le Bnin y a consacr d'assez longs
dveloppements dans son propre contre-mmoire et se permet d'y renvoyer les Juges de la
Chambre166 et se bornera rsumer les principaux enseignements que l'on peut en tirer :
- en second lieu, il n'en sait pas moins que celle-ci met fin dfinitivement la
controverse : tout en affirmant que, auparavant, l'le de Lt relevait du Niger167, il
reconnat qu'il n'en va plus ainsi et affirme ne pas "vouloir le moins du monde
soulever la question des limites".
163
Cette lettre est reproduite en annexe 28 au mmoire du Bnin et en annexe C.29 celui du Niger.
164
Voir M / R.B., p. 159, par. 6.40.
165
M.N., annexe C.64.
166
Voir CM / R.B., p. 128-130, par. 2.250-2.257.
167
L'auteur de la lettre en veut pour preuve que "l'agent spcial de Gaya, M. Klessi, se rappelle fort
bien y avoir peru du pacage en 1945 et 1946, sur ordre de ses chefs". Ceci constitue un aveu: a
contrario, il n'en allait plus ainsi en 1955, aprs l'intervention de la lettre du 27 aot 1954.
52
3.30 On comprend, dans ces conditions, que ce mme administrateur n'ait pu,
l'anne suivante, "rsister la tentation" et ait tent de saisir l'occasion offerte par la demande
de renseignements du directeur p.i. du service gographique de l'A.O.F. du 20 juin 1956168
pour tenter de remettre en question une dcision qu'il dsapprouvait aussi visiblement. Mais
cette remise en question en est reste au stade d'une simple proposition avance dans le cadre
d'une correspondance purement interne la colonie du Niger169.
3.31 De fait, la nouvelle cartographie de la rgion qui date de 1956, en tout cas
daprs la version rimprime des cartes concernes qui figurent en annexe au mmoire
nigrien170, ne tient aucun compte ni de la rponse de Gaya (si tant est qu'il y en ait eu une), ni
de celle de Kandi et se borne reproduire la limite telle qu'elle figurait sur les versions
antrieures, dont rien ne peut tre infr en ce qui concerne l'emplacement de la frontire ds
lors que les gographes de lA.O.F. eux-mmes ont prcis navoir aucune certitude quant
lexactitude du trac report.171.
3.32 Le Niger prtend certes sur ce point qu'il serait probant que le service
gographique de l'A.O.F. n'ait pas report une limite la rive gauche sur les cartes tablies
partir de 1956, alors qu'il avait reu la rponse du commandant du cercle de Kandi du 28 juin
1956172 laquelle tait jointe la lettre du 27 aot 1954173. Selon la Partie nigrienne, ceci
montrerait que les gographes de l'A.O.F. n'auraient "en rien tenu compte des termes de la
168
Voir supra, note n 157.
169
Il faut noter en effet que cette rponse est faite au commandant de cercle de Dosso et non au
service gographique de Dakar et que le Niger n'a pas annex ses critures la rponse de Dosso au
service gographique de l'A.O.F. Si rponse il y a eu (ce que rien n'indique dans les critures
nigriennes), il nest pas impossible que le commandant de ce cercle ait repris l'essentiel de la
position de son subordonn; mais il est tout aussi envisageable quil ait, lui, mentionn la lettre du
27 aot 1954.
170
Voir les cartes de l'Afrique de l'ouest au 1/200 000me, M.N., annexes D.39 D.41. Les autres
cartes, tant postrieures aux indpendances, ne peuvent tre prises en compte pour cette raison-l.
171
Voir CM / R.B., p. 43-55, par. 2.17-2.55; le Niger n'est d'ailleurs gure affirmatif sur ce point (voir
M.N., p. 76-77, par. 2.1.39). Voir aussi infra, par. 3.35.
172
M / R.B., annexe 72.
173
CM.N., annexe C.31.
53
lettre de Raynier", ce qui prouverait que cette lettre tait considre comme dpourvue de tout
effet174. Cette prsentation des faits nglige trois lments fondamentaux.
3.34 En deuxime lieu et l'inverse, le Niger donne une importance qu'elle n'a pas
la lettre du 6 juillet 1956 du chef de subdivision de Gaya, faisant suite la demande du 20
juin 1956 du Directeur du service gographique de l'A.O.F.. Le Niger feint de laisser croire
que cette lettre aurait t adresse audit directeur, alors qu'il ne s'est agi que d'une
correspondance purement interne la colonie du Niger, adresse au seul commandant du
cercle de Dosso. Cette lettre ne saurait donc avoir la moindre porte juridique en ce qui
174
CM.N., p. 79-81, par. 2.83-2.84.
175
CM.N., p. 81, par. 2.83.
176
CM.N., annexe C.131.
54
concerne le Dahomey ou les autorits de l'A.O.F., puisqu'elle n'a fait que formaliser un
change de vues entre administrateurs de la colonie du Niger. Rien ne peut donc en tre dduit
quant la position officielle du Niger, cette date, l'gard de la question pose par le service
gographique de l'A.O.F.. De fait, le Niger ne produit pas la rponse du Niger au service
gographique, et il n'est mme pas certain que rponse il y eut177.
(i) Ce trac est incomplet puisque, en 1955 comme aprs 1956, il ne prend pas position
l'gard de l'appartenance des les du fleuve (le trac s'arrtant leur abord), cela alors mme
que, comme le relve le Niger, "le seul problme qui se posait [au service gographique de
l'AOF en juin 1956] tait la rpartition des les entre les deux Territoires"179.
(ii) Ce trac est par ailleurs considr, par le directeur du service gographique lui-
mme, comme dnu de toute valeur juridique, puisque celui-ci a tenu prciser dans sa lettre
du 20 juin 1956, propos de l'assemblage qu'il joint son courrier, que le trac qui y est
report figure "la limite telle que nous croyons la connatre"180. De toute vidence, ce trac a
donc t report dans la plus totale approximation et c'est parce qu'il en avait conscience que
le service gographique a jug utile en 1956 de demander aux autorits concernes de lui
177
Voir supra, par. 3.28.
178
Voir la carte D. 39 jointe au mmoire nigrien. Il est noter que cette version est une rimpression
datant daot 1961.
179
CM.N., p. 81, par. 2.83.
180
CM.N., annexe C.131 (italiques ajouts par le Bnin).
55
prciser le trac exact de la limite intercoloniale et de le justifier en droit en joignant les textes
officiels pertinents, que le mme service n'avait donc visiblement pas sa disposition.
(iii) Certes, on pourrait se demander pourquoi le service gographique n'a pas report
sur les cartes dites en 1956181 la limite fixe par la lettre du 27 aot 1954 ds lors qu'elle
avait t jointe en annexe la rponse du commandant de cercle de Kandi. Mais la rponse est
assez simple. Comme le directeur du service gographique l'avait prcis dans sa lettre du 20
juin 1956, la rponse sa demande devait tre envoye "le plus rapidement possible", de
manire ce qu'il puisse en tre tenu compte pour la prochaine dition de la carte, qui a paru
la mme anne. Il y a tout lieu de prsumer que la rponse des autorits nigriennes, si
rponse il y eut, s'est faite trop attendre, obligeant le service gographique conserver le trac
provisoire. Il lui aurait t difficile en effet de dcider de suivre les seules indications
dahomennes, pour fondes qu'elles soient, sans avoir au moins pu consulter la rponse
nigrienne.
3.36 Il n'est enfin pas sans intrt de relever que, le 12 juillet 1960, peu aprs les
graves incidents de la fin du mois de juin 1960182 et peu avant l'indpendance des deux pays,
le commandant de cercle de Dosso a adress au ministre de l'intrieur du Niger copies d'une
lettre date du 2 juillet du commandant de cercle de Kandi celui de Dosso et de la lettre du
27 aot 1954 en prcisant que celle-ci "semble admettre que l'le de Lt appartient au
Dahomey"183. La Partie nigrienne s'emploie minimiser la porte de ce message qui
n'voquerait que "de faon incidente et avec beaucoup de prudence"184 la lettre de 1954. Cette
prsentation appelle au moins trois remarques :
181
S'agissant des cartes publies ou rimprimes aprs les indpendances et l'apparition du diffrend
sur l'le de Lt, elles sont, pour cette mme raison, dpourvues de toute pertinence. Voir
CM / R.B., p. 51, par. 2.42.
182
Voir M / R.B., p. 21, par. 1.42.
183
CM.N., annexe C.144.
184
CM.N., p. 77, par. 2.78.
56
- l'utilisation du verbe "sembler" s'explique galement par le fait que, comme le
commandant de cercle le prcise expressment, il n'avait pas retrouv l'original de la
lettre de 1954 et ne disposait que d'"une copie tablie par le Cdt de Cercle de Kandi" ;
- en outre, bien que le Niger n'ait pas jug bon d'annexer ses critures le tlgramme
du ministre auquel le message du commandant de cercle de Dosso faisait suite, il est
pour le moins tendancieux de prsenter l'envoi de la lettre de 1954 comme un lment
secondaire et incident : non seulement cet envoi constitue l'un des deux seuls objets du
message en question, mais encore il tait rendu ncessaire par la teneur mme de
l'autre lettre, du commandant de cercle de Kandi, qui y tait galement jointe.
3.37 Cette lettre, dont une copie est annexe au mmoire du Bnin185 et dont le
Niger ne souffle mot, est pourtant extrmement clairante dans le cadre du prsent diffrend,
ne ft-ce que parce que, elle aussi, mentionne expressment la lettre du 27 aot 1954. Ses
passages essentiels se lisent ainsi :
"Je vous exprime tout d'abord mes regrets les plus vifs pour ces incidents
tragiques qui malheureusement taient imprvisibles mes ressortissants s'tant
toujours montrs extrmement pondrs dans les litiges qui avaient pu natre
jusqu'ici, alors que leurs droits sur l'le de Lt avaient t confirms au Chef
de la Subdivision de Gaya par le Gouverneur du Niger ds 1944 [sic] cf lettre
3722/APA du 27 aot 1954 du Gouverneur du Niger au Chef de la Subdivision
de Gaya sous couvert du Commandant de Cercle de Dosso.
185
M / R.B., annexe 79.
186
Italiques ajouts par le Bnin. Sur la lettre n576 du 27 octobre 1954, voir supra, par. 3.16 et
par. 3.20.
57
3.38 La lettre adresse le lendemain, 3 juillet, par le commandant de cercle de Kandi
au ministre de l'intrieur du Dahomey187, qui dveloppe et explicite un tlgramme du 1er
juillet188 qui, lui aussi mentionnait la lettre 3722/APA189, fait un point complet de la question :
- son auteur y rappelle les rcents incidents sur l'le de Lt et les actions qu'il a
menes ;
187
M / R.B., annexe 80.
188
M / R.B., annexe 78.
189
Date par erreur du 27 aot 1944.
190
Voir supra, par. 3.12.
191
M / R.B., annexe 66; voir supra, par. 3.12-3.14.
192
M / R.B., annexes C.59 et C.60; voir supra, par. 3.15-3.16.
193
M / R.B., annexe 68; et voir supra, par. 3.16, et p. 46, par. 3.20.
194
M / R.B., annexe 67 et M.N., annexe C.58.
195
M / R.B., annexe 69 et M.N., annexe C.61; et voir supra, par. 3.16, p. 45, 3.19, et par. 3.20.
196
M / R.B., annexe 70 et M.N., annexe C.62; voir supra, par. 3.22-3.24.
197
Le Bnin ne possde pas cette lettre et le Niger ne l'a pas produite. Selon toute vraisemblance, elle
a t crite sous l'influence du chef de la subdivision de Gaya de l'poque qui ne se rsignait pas au
rglement intervenu l'anne prcdente (voir supra, par. 3.28 3.30).
58
une autre lettre du commandant de cercle de Kandi au gouverneur du Dahomey
en date du 7 mai 1956, lui adressant une nouvelle copie de la lettre du 27 aot
1954199 ;
la lettre du service gographique du 20 juin 1956200 et la rponse du
commandant de cercle de Kandi du 28 juillet201 ;
et diverses correspondances de 1959 et 1960, qui sont plus directement
relatives aux incidents survenus sur l'le de Lt et dont la quasi-totalit n'ont
pas t verses au dossier dont dispose la Chambre de la Cour : le Bnin ne les
a pas retrouves et le Niger ne les a pas annexes ses critures ;
"Les usages, la coutume, que l'on a voulu mnager sont la cause de nos
embarras ; il faut donc s'en tenir dsormais la lettre des conventions, et cette
lettre, c'est la correspondance n 3722/APA du Gouverneur du Niger en date du
27 aot 1954".
3.39 Telle est aussi la position prise par le premier ministre du Dahomey dans sa
lettre confidentielle au prsident du conseil des ministres du Niger du 29 juillet 1960202. la
connaissance du Bnin, cette lettre est le dernier document faisant tat de la lettre 3722/APA
avant la date critique aux fins de l'application du principe de l'uti possidetis juris. Les 1er et 3
aot suivants, les deux tats accdaient l'indpendance.
198
Le Bnin n'a pas non plus retrouv cette lettre (qui, de toute vidence, mentionne celle du 27 aot
1954 ceci rsulte d'ailleurs expressment de la lettre du 3 juillet 1960, p. 4, point c)), que la Partie
nigrienne n'a pas non plus produite.
199
M / R.B., annexe 71; voir supra, par. 3.26.
200
Voir supra, note 157.
201
M / R.B., annexe 72 (la lettre est date du 28 juin); voir supra, par. 3.27.
202
M / R.B., annexe 43.
203
CM.N., p. 65-67. Voir la relation, plus complte, de ces circonstances dans le 1 ci-dessus.
204
CM.N., p. 67-74.
59
et que le Niger n'y a pas acquiesc206. La Rpublique du Bnin a, dans les deux paragraphes
prcdents de la prsente section, expos les faits pertinents de manire moins slective que la
Partie nigrienne. Sur cette base, il est dsormais possible de faire le point, de manire
prcise, sur les titres juridiques respectifs dont se prvalent les Parties. Ou plutt sur le titre
que le Bnin est en droit d'invoquer car, l'issue de deux premiers tours de plaidoiries crites,
il est patent que la Rpublique du Niger ne se rclame en ralit d'aucun titre juridique : c'est
la situation sur le terrain ou, plus exactement, sur la seule le de Lt, certaines priodes
de l'poque coloniale (mais pas au moment des indpendances) qui lui tiendrait lieu de "titre".
3.41 Bien que les deux questions soient troitement imbriques, pour la commodit
de l'expos, le Bnin commencera par montrer que la lettre du 27 aot 1954, en mettant un
terme toutes les incertitudes qui pouvaient subsister quant au trac exact de la limite entre
les colonies franaises du Dahomey et du Niger, constitue un "titre frontalier" indiscutable
avant de revenir, dans le chapitre suivant, sur l'inexistence de tout titre concurrent dont
pourrait se prvaloir la Partie nigrienne207.
- manant de la plus haute autorit coloniale au Niger et accepte comme une dcision
dfinitive par les autorits coloniales du Dahomey, elle constitue un "titre frontalier"
s'imposant aux deux Parties au diffrend soumis la Chambre de la Cour (B).
205
CM.N., par. 2.220-2.226, p. 74-82. Voir la rponse cette argumentation, galement fort lacunaire,
dans le 2 ci-dessus.
206
CM.N., p. 82-86.
207
Voir infra, Chapitre IV, Section I, 1.
60
A - Une conscration dfinitive du trac de la frontire
3.44 Les arrts gnraux du 8 dcembre 1934209 et du 27 octobre 1938210 n'ont pas
drog celui de 1900 en mentionnant "le cours du fleuve" comme limite septentrionale du
Dahomey mais cette expression, susceptible d'interprtations diverses ds lors que l'on
interprtait ces textes de manire isole sans tenir compte de leur objet ni sans se rfrer
l'arrt de 1900, n'ont pas fait cesser les incertitudes ni, par voie de consquence, mis un
terme aux incidents dus aux mouvements de populations dans la rgion et parfois attiss par
les rivalits entre les administrations locales des deux rives.
3.45 Comme l'crit la Partie nigrienne elle-mme : "[u]ne fois admis par
l'administration coloniale franaise que le cours du fleuve Niger devait constituer la limite
entre les colonies du Dahomey et du Niger, s'est pos le problme de la dtermination de
lendroit o devait passer exactement la limite dans le cours du fleuve, et de l'attribution des
les l'une ou l'autre des deux colonies"211. Le problme et pu (et d) tre rgl par rfrence
l'arrt de 1900, mais ce texte qui tait pourtant toujours en vigueur puisqu'il constituait le
fondement juridique de l'existence mme du Niger semblait oubli mme s'il constitue sans
aucun doute le texte sur lequel le gouverneur du Niger s'est fond en 1954.
208
M / R.B., annexe 8.
209
M / R.B., annexe 41.
210
M / R.B., annexe 48.
211
CM.N., p. 126, par. 3.71; note de bas de page omise.
61
3.46 Il est significatif cet gard que les administrations coloniales considraient
que l'arrt de 1938 ne donnait pas les prcisions ncessaires la dlimitation exacte des
territoires respectifs des deux colonies :
- "les arrts ayant dlimit la frontire entre ces deux territoires sont muets sur la
question" de l'appartenance de l'le de Lt212 ;
- "l'arrt gnral n3578/AP du 27 octobre 1938 tant muet sur des limites
prcises"213 ;
- "j'ai effectu des recherches afin d'essayer de retrouver des documents relatifs la
fixation de la frontire, le texte gnral (AG.N3578/AP du 27 Octobre 1938) ne
donnant ce sujet aucune prcision"215 ;
- "Il est peu probable que ces textes [publis au J.O.] dfinissent la frontire avec
prcision ; tout au plus doivent-ils noncer un principe"216.
3.47 Pour mettre fin ces incertitudes, les autorits coloniales des deux rives ont
entendu, en 1954, rgler la question "une fois pour toute"217. Tel est l'objet de la lettre du 27
aot qui la rgle en effet "dfinitivement" pour reprendre le terme utilis par le commandant
212
Lettre du gouverneur du Dahomey du 1er juillet 1954 (M / R.B., annexe 66 ou M.N., annexe C.57).
213
Lettre du commandant de cercle de Kandi au commandant de cercle de Dosso du 9 septembre 1954
(M.N., annexe C.59).
214
Lettre du gouverneur du Dahomey du 11 dcembre 1954 (M / R.B., annexe 70 ou M.N., annexe
C.62 et CM.N., annexe C.128).
215
Lettre du commandant de cercle de Kandi du 7 mai 1956 (M / R.B., annexe 71).
216
Lettre du chef de la subdivision de Gaya du 6 juillet 1956 (M.N., annexe C.65). L'auteur de cette
lettre ne mentionne pas l'arrt de 1938 parmi "ceux des textes qui pourraient apporter quelques
lumires sur la question" et considre que "la lettre n 54, en date du 3 juillet de l'Administrateur
Adjoint Sadoux, Commandant le secteur de Gaya, parat tre le seul document srieux sur la
question".
217
Voir la lettre du gouverneur du Dahomey du 1er juillet 1954 voir supra, par. 3.12-3.14.
62
de cercle de Kandi dans sa lettre du 12 novembre 1954, adresse au gouverneur du Dahomey
et copie au commandant de cercle de Dosso, qui n'a nullement protest218 mais en avait, bien
au contraire, fait part son collgue. Dornavant, il ne peut plus faire de doute que "la limite
du Territoire du Niger est constitue par la ligne des plus hautes eaux, ct rive gauche du
fleuve, partir du village de Bandofay, jusqu' la frontire du Nigria. En consquence, toutes
les les situes dans cette partie du fleuve font partie du Territoire du Dahomey".
3.48 Le commandant de cercle de Dosso ne s'y est d'ailleurs pas tromp. Dans sa
lettre son homologue de Kandi du 27 octobre 1954 par laquelle il lui transmettait copie de la
lettre du 27 aot, qui, relve-t-il, "donne satisfaction entire au Dahomey", il en tire toutes les
consquences quant l'administration de l'le de Lt, tout en suggrant le maintien, au moins
provisoire, des "installations que la subdivision de Gaya possde dans les les"219, point sur
lequel les deux administrations s'accordent aisment220. L'anne suivante, le chef de la
subdivision de Gaya dont l'amertume l'gard de la dcision de Niamey est cependant
patente221 n'en convient pas moins, lui aussi, que "la question des limites" est rgle
puisqu'il proteste de son intention de ne pas "vouloir soulever le moins du monde la question
des limites"222. Et l'inertie mme du gouvernement du Niger face la demande du gouverneur
du Dahomey de communication des "rfrences des textes ou accords dterminant ces
limites" tmoigne (avec la mention manuscrite "laissons tomber il y a plus pressant") de la
mme conviction selon laquelle la question est rgle et qu'il n'y a pas lieu de la rouvrir223.
3.49 Est-il besoin d'ajouter que cet accord des deux colonies concernant le
rglement dfinitif du trac prcis de leur limite commune est confirm et attest par le
nombre et la constance224 des rfrences qu'y font les administrateurs coloniaux durant toute
218
Voir supra, par. 2.16.
219
M / R.B., annexe 68.
220
Voir supra, par. 3.20 3.22.
221
Voir supra, par. 3.28 3.30.
222
M.N., annexe C.64.
223
CM.N., annexe C.128. Voir supra, par. 3.24.
224
l'exception de la lettre en date du 6 juillet 1956 du chef de la subdivision de Gaya qui ne se
rsigne pas ce qu'il considre comme la perte de l'le de Lt qui, auparavant, selon lui, aurait
"constamment t tenue pour nigrienne" (lettre prc. du 30 juin 1955 M.N., annexe C.64).
63
la priode prcdant les indpendances. Il rsulte des dveloppements du paragraphe
prcdent que tel est le cas, notamment, des documents suivants :
225
M / R.B., annexe 68.
226
M / R.B., annexe 69.
227
M / R.B., annexe 70.
228
Voir supra, p. 60, note 198.
229
M / R.B., annexe 71.
230
M / R.B., annexe 72.
231
M / R.B., annexe 78.
232
M / R.B., annexe 79.
64
- lettre du commandant de cercle de Dosso au ministre de l'intrieur du Niger du 12
juillet 1960234 ; et
3.50 Dans une ultime tentative pour amoindrir la porte juridique de la lettre du
gouverneur du Niger du 27 aot 1954, la Partie nigrienne reproche (longuement) au Bnin
d'avoir estim que le Niger avait "acquiesc" la limite la rive gauche238. Elle "conteste
formellement l'argument selon lequel il y aurait l un acquiescement, qu'il s'agisse d'un
acquiescement dans le cadre du droit international ou dans l'ordre interne"239. C'est une bien
mauvaise et fort artificielle querelle, spcieuse sur le plan du droit, et irrecevable au regard
des faits.
3.51 En premier lieu, il est trompeur de prsenter, comme le fait le Niger240, la lettre
du 27 aot 1954 comme "une correspondance purement interne". Certes, elle est adresse par
le gouverneur du Niger au chef de la subdivision de Gaya sous couvert du commandant de
cercle de Dosso et, cet gard, il s'agit d'un document interne la colonie du Niger et il ne
saurait tre question d'"acquiescement" de ces autorits, subordonnes en effet, l'auteur de la
233
M / R.B., annexe 80.
234
CM.N., annexe C.144.
235
M / R.B., annexe 83.
236
CM.N., p. 77, par. 2.78.
237
Toujours l'exception de la lettre du chef de la subdivision de Gaya du 6 juillet 1956 voir supra,
par. 3.34.
238
CM.N., p. 82-86.
239
CM.N., p. 83, par. 2.88.
240
Voir CM.N., p. 17, par. 016 et p. 83, par. 2.89.
65
lettre241. Il reste que, quand bien mme il ne s'agirait que de cela, ce serait dcisif : la veille
des indpendances, le plus haut fonctionnaire de l'administration coloniale au Niger reconnat
que la limite est fixe la rive gauche et que toutes les les du fleuve appartiennent au
Dahomey. Comme l'crit le commandant de cercle de Dosso dans sa lettre son homologue
de Kandi du 27 octobre 1954, la limite territoriale ainsi retenue par Niamey "donne
satisfaction entire au Dahomey"242. Mais il y a davantage encore : comme l'a montr le Bnin
ci-dessus243, la lettre du 27 aot s'insre dans un ensemble de correspondances "inter-
territoriales" qui interdisent de la considrer comme "purement interne" : l'initiative de la
demande, transmise par Dosso, mane des autorits coloniales du Dahomey auxquelles la
lettre est transmise et laquelle elles ragissent.
3.52 La Partie nigrienne est fonde rappeler que "[p]our qu'il y ait acquiescement
en droit international, encore faut-il que l'on soit en prsence d'une relation intertatique"244.
Du reste, ce n'est que par analogie et avec prudence245 que le Bnin avait rappel les rgles de
droit international applicables des situations similaires dont on ne voit pas, au demeurant,
pourquoi elles ne s'appliqueraient pas, mutatis mutandis, aux relations entre des entits
coloniales dotes de personnalits juridiques distinctes au sein d'un mme ensemble. Elles
trouvent leur fondement dans le principe gnral de la bonne foi, lequel constitue "[l]'un des
principes de base qui prsident la cration et l'excution d'obligations juridiques, quelle
241
Voir CM.N., p. 85-86, par. 2.92.
242
M / R.B., annexe 68.
243
Voir supra, par. 3.17.
244
CM.N., p. 84-85, par. 2.91.
245
"Se ft-il agi de deux tats distincts, entre lesquels s'appliquent les rgles du droit international
public, il ne peut faire de doute que la dcision de Niamey et l'absence de raction ngative du
Dahomey seraient considres comme obligeant les deux Parties et ceci d'autant plus que la
dcision est prise, " son dtriment", si l'on peut dire, par son auteur: le gouverneur du Niger y
reconnat que les les y compris celle de Lt "font partie du Territoire du Dahomey" (M / R.B.,
p. 152, par. 6.20 italiques ajouts par le Bnin) ; "[c]ertes, l'le de Lt n'est pas le Groenland, le
Niger n'est pas la Norvge (et n'tait pas, au moment des faits, un tat souverain), et son
gouverneur n'tait pas ministre des affaires trangres. Il n'en reste pas moins que celui-ci tait
l'autorit suprieure, du grade le plus lev, d'une colonie franaise dont la Partie nigrienne est le
successeur, et qu'il a pris une position dpourvue de la moindre ambigut sur la non-appartenance
de l'le de Lt au territoire dont il avait la charge" (M / R.B., p. 153, par. 6.22).
66
qu'en soit la source"246 ; il s'agit d'un principe gnral de droit, au sens de l'article 38,
paragraphe 1.c) du Statut de la Cour.
3.54 En l'espce, le gouverneur du Dahomey n'a pas donn suite son intention de
"rgler cette question sur le plan formel"251. La raison de cette omission est que le gouverneur
du Niger n'a pas rpondu sa lettre du 11 dcembre 1954 lui demandant "les rfrences des
textes ou accords dterminant ces limites" car il y avait "plus pressant"252. Mais cela
n'empche nullement de constater que, suite la lettre du 27 aot 1954, les administrations
coloniales des deux rives taient d'accord pour considrer que :
246
C.I.J., arrts du 20 dcembre 1974, Essais nuclaires, Rec. 1974, p. 268, par. 46 et p. 473, par. 49.
247
CM.N., p. 85-86, par. 2.92.
248
Voir supra, par. 3.51.
249
M / R.B., p. 155, par. 6.29.
250
Voir C.I.J., Rec. 1986, p. 598, par. 83.
251
Lettre au gouverneur du Niger du 11 dcembre 1954 (M / R.B., annexe 70).
252
Voir supra, par. 3.24 et p. 64, par. 3.55. Au demeurant, rien nempche de sinterroger sur ce point
aujourd'hui comme lont du reste fait les Parties lors de la 5me session de la Commission mixte
en 2000 (M / R.B., annexe 111, p. 649-650).
67
- la limite entre les deux colonies tait situe la rive gauche du fleuve253 ;
- tant entendu que ceci ne remettait en question ni les droits coutumiers des habitants
du Niger sur certaines les, ni les installations que la subdivision de Gaya avait dans
certaines d'entre elles.
3.56 "Le droit international" et non pas, forcment, le droit d'outre-mer franais qui,
comme la Chambre de la Cour l'a rappel avec une grande autorit dans l'affaire du Diffrend
frontalier (Burkina Faso /Rpublique du Mali), "peut intervenir, non en tant que tel mais
seulement comme un lment de fait, parmi d'autres, ou comme moyen de preuve et de
dmonstration de ce qu'on a appel le "legs colonial", c'est--dire de l'"instantan territorial"
la date critique"255. Dans ces conditions, les trs longs dveloppements consacrs par la Partie
253
Sur l'expression "ligne des plus hautes eaux", voir infra, par. 5.6-5.22.
254
C.I.J., arrt du 22 dcembre 1986, Diffrend frontalier (Burkina Faso/Rpublique du Mali),
Rec. 1986, p. 582, par. 54 italiques ajouts par le Bnin ; voir aussi p. 64, par. 18 ; v. aussi C.I.J.,
arrt du 11 septembre 1992, Diffrend frontalier, terrestre, insulaire et maritime (El
Salvador/Honduras), Rec. 1992, p. 389, par. 45.
255
Rec. 1986, p. 569, par. 30.
68
nigrienne et visant tablir que "[l]a lettre du 27 aot 1954 est contraire au droit positif de
l'poque"256 prsentent un intrt limit. Ils sont, au demeurant, mal fonds.
3.57 Pour l'essentiel, dans son contre-mmoire, le Niger persiste dans une erreur
dj commise dans son mmoire257, qui consiste confondre les textes concernant la cration
des territoires coloniaux d'une part, la fixation de leurs limites prcises d'autre part. Le Bnin
a relev cette erreur dans son propre contre-mmoire258 et n'a rien ajouter ce qu'il crivait
cette occasion ; il se permet de prier les Juges de la Chambre de bien vouloir se reporter ces
dveloppements et garder l'esprit les conclusions qui s'en dgagent et qui peuvent tre
rsumes de la manire suivante :
(i) la cration des colonies et de leurs subdivisions rpondaient des rgles strictes
confrant comptence selon les cas au Prsident de la Rpublique franaise ou, aprs 1946, au
Parlement, s'agissant de la cration des colonies elles-mmes, et au gouverneur gnral de
l'A.O.F. pour ce qui est des cercles et de leurs subdivisions, tant not toutefois qu'une partie
des comptences en la matire tait dlgue aux gouverneurs de chaque colonie ;
3.58 Les Parties semblent s'accorder sur le fait que la circulaire du gouverneur
gnral de l'A.O.F. du 3 novembre 1912260 refltait le droit applicable en la matire261. Le
256
CM.N., p. 67-74.
257
M.N., p. 18-34 ; voir en particulier le par. 1.1.45, p. 34:
257
M.N., p. 18-34 ; voir en particulier le par. 1.1.45, p. 34: "Aux termes de cette tude des
comptences des autorits coloniales en matire d'organisation territoriale, il importe de souligner
que les modifications des limites territoriales ne pouvaient tre effectues qu'en respectant
certaines conditions et formalits prescrites" (italiques ajouts par le Bnin).
258
CM / R.B., p. 15-22.
259
CM / R.B., p. 15-22.
260
M / R.B., annexe 25 et M.N., annexe B.31.
69
Niger fait de ce texte une lecture slective, qui s'arrte ses premiers paragraphes262 et qui,
ds lors, est fort contestable. Il omet soigneusement de faire rfrence aux modalits concrtes
de mise en uvre des principes gnraux noncs dans la premire partie de la circulaire, qui
figurent dans sa seconde partie, et que le Bnin a analyss dans son contre-mmoire263.
3.59 Ce qui rsulte tant des textes que de la pratique applicable en matire de
dlimitation des circonscriptions territoriales internes l'A.O.F. est assez clair et fort simple :
c'est aux autorits centrales (de Paris ou de Dakar) qu'il appartenait de fixer leur tendue
globale ; c'est aux autorits locales qu'il revenait d'en fixer les limites prcises. Et le Niger,
malgr de savantes digressions, en convient. Comme il l'crit lui-mme propos de la limite
qui fait l'objet du prsent diffrend :
"Une fois admis par l'administration coloniale franaise que le cours du fleuve
Niger devait constituer la limite entre les colonies du Dahomey et du Niger,
s'est pos le problme de la dtermination de lendroit o devait passer
exactement la limite dans le cours du fleuve, et de l'attribution des les l'une
ou l'autre des deux colonies"264.
Ce faisant, le Niger admet que la dlimitation des colonies a t ralise en deux temps, une
premire fois de manire gnrale par les autorits centrales, une seconde fois de manire plus
prcise par les autorits locales, ce qui revient acquiescer linterprtation que la
Rpublique du Bnin donne des rgles de comptence applicables en matire de dlimitation
territoriale en droit colonial franais.
261
Le Niger s'appuie galement sur la circulaire du 24 janvier 1905 qui fixait des rgles
marginalement plus strictes (CM.N., annexe B.75). Outre que ce texte plus ancien a t supplant
par la circulaire de 1912, celle de 1905 n'en disposait pas moins qu'il appartient aux lieutenants-
gouverneurs destinataires (dont ceux du Dahomey et du Haut-Sngal et Niger) "d'arrter toutes les
mesures d'application et de dtail que comporte la mise en pratique des actes du Gouvernement
gnral".
262
CM.N., p. 69-71, par. 2.57-2.62.
263
CM / R.B., p. 19-20, par. 1.16.
264
CM.N., p. 126, par. 3.71 note de bas de page omise.
70
autorits centrales ou locales265. On comprend la gne de la Partie nigrienne. Reconnatre
expressment en effet qu'il s'appuie sur la pratique des autorits locales la seule qu'il
invoque au demeurant, pour tenter, en vain, de montrer que la limite aurait t fixe au
thalweg entrerait en contradiction avec sa conception excessivement formaliste du droit
colonial et le conduirait admettre le rle dterminant assigner la pratique de ces mmes
autorits locales en matire de dlimitation, ce qui du mme coup l'obligerait reconnatre
l'importance accorder la lettre du 27 aot 1954.
3.61 Tel est bien pourtant ce qu'il fait. L'examen des dveloppements qu'il consacre
la question montre en effet, malgr le flou de l'expression qu'il utilise, que la pratique qu'il
entend viser est bien celle des autorits locales. Ainsi, lorsque le Niger justifie le choix du
thalweg par le triple "souci des autorits coloniales" d'assurer que le fleuve constitue une voie
de ravitaillement pour le territoire militaire au nord du fleuve, de permettre la surveillance des
activits des autochtones et de garantir le trafic fluvial, il se rfre uniquement, dans les
documents qu'il cite, la pratique des autorits locales et en aucune manire un dcret ou
un arrt des autorits centrales266. De mme, le Niger s'appuie uniquement sur des "crits
d'administrateurs" pour essayer de prouver, d'une part, que les "autorits coloniales [auraient]
considr que la limite intercoloniale passait par le chenal principal du fleuve"267, dautre part,
que le chenal aurait servi de critre d'attribution des les268. Il prcise dailleurs sur ce dernier
point que cette double fonction du chenal aurait "trs tt t la fois perue et utilise par les
autorits coloniales"269, et non pas consacre dans un texte des autorits centrales. Enfin, dans
le mme sens, le Niger reconnat qu'en admettant que cette prtendue limite au chenal se ft
impose l'poque coloniale (ce qui n'est pas le cas), elle ne l'aurait t que "dans la
pratique"270, et non dans un texte.
265
CM.N., p. 126-127, par. 3.72, 3.74 et 3.75.
266
CM.N., p. 126, par. 3.72, qui renvoie M.N., p. 117-119, par. 2.3.4-2.3.5.
267
CM.N., p. 127, par. 3.74.
268
CM.N., p. 127, par. 3.75.
269
CM.N., p. 127, par. 3.75 (italiques ajouts par le Bnin).
270
CM.N., p. 127, par. 3.74.
71
3.62 Du reste, les "arrangements" successifs qui ont paru, un temps, partir de
1914, rgir les relations entre les deux rives271 et dont le Niger fait grand cas272 reposent
exclusivement sur des lettres et documents divers manant exclusivement d'administrateurs
locaux, commandants de cercles ou chefs de subdivisions. Tel est le cas, pour s'en tenir aux
principales sources que cite la Partie nigrienne :
3.63 La Partie nigrienne admet donc que si les autorits centrales taient
comptentes pour fixer l'tendue des circonscriptions administratives, il revenait aux autorits
locales d'en fixer elles-mmes les limites exactes ou, pour reprendre les termes du Niger, de
dterminer "lendroit o devait passer exactement la limite dans le cours du fleuve"277.
Puisque, de l'aveu mme du Niger, aucun dcret du Prsident de la Rpublique, aucune loi du
Parlement et aucun arrt du gouverneur gnral de l'A.O.F. n'a pris position sur cette
question, cela signifie, ncessairement, que ctait aux autorits locales quil appartenait, au
titre de leur comptence rsiduelle reconnue en la matire, de prendre une telle dcision. Cette
comptence, celles-ci l'ont exerce l'occasion des changes de correspondance de 1954 et en
particulier dans la lettre du 27 aot qui confirme et prcise la rfrence faite au "cours du
271
Voir infra, par. 4.92-4.121.
272
Voir notamment CM.N., p. 148-155, par. 4.11-4.16.
273
M / R.B., annexe 28 ou M.N., annexe C.61.
274
M.N., annexe C.32.
275
M.N., annexe C.36.
276
M.N., annexe C.42.
277
Voir supra, par. 3.45, et CM.N., p. 126, par. 3.71; note de bas de page omise.
72
fleuve Niger" dans les arrts du 8 dcembre 1934 et du 27 octobre 1938 et la "rive gauche"
du fleuve dans les arrts du 11 aot 1898 et du 23 juillet 1900, en tablissant clairement la
limite intercoloniale la ligne des plus hautes eaux, ct rive gauche du fleuve, et en
attribuant les les en consquence.
3.64 Il est essentiel de relever cet gard que les correspondances des annes 1914-
1925 qu'invoque le Niger et celles de l'anne 1954, sont en partie de la mme nature
ngativement au moins : il ne s'agit pas de textes formels, lois, dcrets ou arrts, manant des
autorits centrales de la Rpublique franaise ou de l'A.O.F., mais elles prsentent au moins
trois diffrences fondamentales :
- les secondes sont postrieures aux premires ; c'est une vidence, mais une vidence
importante car, s'agissant de textes, manant "au mieux" d'autorits ayant des
comptences gales, il y a lieu de donner la prfrence aux secondes, celles de 1954
et ceci pour au moins deux raisons : d'une part, les textes les plus rcents l'emportent
sur les plus anciens (lex posterior priori derogat) ; d'autre part, aux fins de
l'application du principe uti possidetis juris, qui "arrte la montre sans lui faire
remonter le temps"278, ce sont galement les textes les plus rcents qui importent ;
278
C.I.J., arrt du 22 dcembre 1986, Diffrend frontalier (Burkina Faso/Rpublique du Mali),
Rec. 1986, p. 568, par. 30.
73
3.65 Comme le Bnin le montrera nouveau dans la section 2 du prsent
chapitre279, il rsulte des arrts du 11 aot 1898280 et du 23 juillet 1900281 que le troisime
territoire militaire s'tendait "sur les rgions de la rive gauche du Niger", expression qui
excluait une extension de ce territoire au fleuve lui-mme. En "se partageant" le fleuve durant
les annes 1914-1925, les administrateurs locaux ont clairement agi en mconnaissance de ces
textes, qui manaient d'une autorit suprieure et, par voie de consquence, ils ont excd
leurs comptences282.
"- premirement, la notion de limite la rive, qui n'a jamais t retenue dans
aucun texte lgislatif ou rglementaire antrieur ;
279
Voir supra, par. 3.70-3.143.
280
M / R.B., annexe 6.
281
M / R.B., annexe 8.
282
Voir infra, par. 4.92-4.121.
283
M / R.B, annexe 41.
284
M / R.B, annexe 48.
285
Voir supra, par. 3.43-3.49, et par. 3.59 et s.
286
Voir supra, par. 3.44-3.46.
287
CM.N., p. 58.
288
CM.N., p. 59-60, par. 2.32 2.35 et p. 64, par. 2.45.
74
- deuximement, la notion de limite "la ligne des plus hautes eaux, ct rive
gauche", totalement absente des textes, et qui ne correspond aucune pratique
antrieure ;
3.69 Pour les mmes raisons, les dveloppements que la Partie nigrienne croit
devoir consacrer aux comptences respectives des diffrentes autorits coloniales franaises
pour modifier les limites d'un territoire294 n'appellent aucune observation particulire de la
part du Bnin : la lettre du 27 aot 1954 ne modifie aucune limite, elle prcise celle qui spare
les colonies franaises du Dahomey et du Niger. Elle le fait de manire claire (plus claire en
tout cas que tous les textes qui l'ont prcde). Elle n'a jamais t modifie durant les six
289
CM.N., p. 60-61, par. 2.36 ; voir p. 61-64, par. 2.37 2.44.
290
M / R.B, p. 116-124, par. 5.05-5.31 ; CM / R.B, p. 116-124, par. 2.219-2.236.
291
Voir supra par. 3.64 et 3.66. Voir aussi infra, par. 3.134-3.140.
292
Voir infra, par. 5.6-5.36.
293
Voir supra, par. 3.43-3.47.
294
CM.N., p. 71-74, par. 2.63-2.69.
75
annes suivantes qui ont prcd l'accession des Parties l'indpendance. Elle constitue le
titre frontalier (ou territorial, peu importe295) qui s'impose aux deux Parties en vertu du droit
international, et la Chambre de la Cour qui en est "l'organe"296.
Section II
3.70 La Rpublique du Bnin a montr dans la section prcdente que les changes
de correspondances de 1954 dissipaient "une fois pour toutes"297 les interrogations au sujet de
la limite exacte entre le territoire du Niger et celui du Dahomey. Cest cette fin qua t
suscite par les autorits coloniales du Dahomey la lettre du gouverneur du Niger n 3722 du
27 aot 1954 consacrant la limite la rive gauche du fleuve.
3.71 La lettre de 1954 a dissip tout doute ; et elle la fait conformment aux textes
applicables cette poque. Certes, la lettre ne mentionne pas expressment les textes
antrieurs pertinents298, mais ils sont aisment identifiables. Il sagit de larrt du gouverneur
par intrim du Dahomey du 11 aot 1898 pris sur le fondement du dcret du 22 juin 1894, de
larrt gnral du 23 juillet 1900, et des arrts du 8 dcembre 1934 et du 27 octobre 1938.
295
Voir C.I.J., arrt du 22 dcembre 1986, Diffrend frontalier (Burkina/Mali), Rec. 1986, p. 563-564,
par. 17.
296
Voir C.P.J.I., arrt du 25 mai 1926, Certains intrts allemands en Haute-Silsie polonaise (fond),
srie A, n 7, p. 19.
297
CM / R.B., p. 126, par. 2.247 et p. 127, par. 2.249.
298
Cest dailleurs ce qui explique la lettre du 11 dcembre 1954 adresse au gouverneur du Niger,
dans laquelle le gouverneur du Dahomey a souhait connatre "les rfrences des textes ou accords
dterminant ces limites" ; CM / R.B., p. 127, par. 2.249 M.N. annexe C.62 et M / R.B., annexe
70. Voir supra, par. 3.22-3.24.
76
comme le montre leur examen au regard de la question de la limite inter-coloniale ( 2), qui
permet de dterminer ltendue exacte du territoire du Dahomey dans ce secteur fluvial ( 3).
Auparavant, lexpos de quelques considrations gnrales simpose (1).
3.75 Cest ainsi dabord que la Rpublique du Niger, sous prtexte que le Bnin
dtient "[l]art du silence sur les faits gnants"299, crit : "[a]ux paragraphes 5.05 et 5.07,
larrt gnral de 1938, par trop gnant, disparat"300.
299
CM.N., p. 16, titre de la sous-section "D".
300
CM.N., p. 16, par. 0.15.
301
M / R.B., p.116, par. 5.05 et 5.07.
77
3.77 Cette lettre du 27 aot est le seul titre du Bnin auquel le Niger consacre un
dveloppement substantiel302. Le manque de pertinence des critiques quil lui adresse a t
dmontr la section 1 du prsent chapitre303.
302
CM.N., Chapitre II, Section II ; Chapitre III.
303
Voir supra, par.3.3-3.69.
304
CM.N., p. 50, par. 2.09.
305
Ibid.
306
CM.N., p. 47, par. 2.03.
307
CM.N., p. 49, par. 2.07.
78
3.80 Pour ajouter la confusion, le Niger prtend que la limite la rive "ne peut tre
retenue que si elle rsulte clairement dun acte juridique valable"308, sans aucunement prciser
si cette "rgle" trouve une place en droit colonial le seul pertinent aux fins de lapplication
du principe de luti possidetis. Au demeurant, il y a l une vidence : cest le legs colonial qui
permet de dterminer la frontire bnino-nigrienne et toute la question est de savoir ce que
celui-ci dit cet gard. De ce point de vue, lanalyse de tous les actes coloniaux simpose.
308
CM.N., p. 111, par. 3.40.
309
CM.N., p. 7, par. 0.3.
310
CM.N., p. 6, par. 0.2.
311
CM.N., p. 53, par. 2.20.
312
M.N., p. 100, par. 2.2.39.
79
porte des actes rglementaires successifs intervenus dans lvolution coloniale du Niger et du
Dahomey.
313
M / R.B., p. 38, par. 2.09.
314
M / R.B., p. 43, par. 2.23.
315
M / R.B., p. 44, par. 2.24.
316
M.N., p. 45-58, par. 1.2.30-1.2.58.
80
3.86 Ainsi, les Parties en sont daccord, le droit interne pertinent en la prsente
espce est le droit administratif franais tel quinterprt et mis en uvre par le Conseil dtat
franais. Les rgles du droit administratif franais taient les mmes dans les colonies quen
mtropole, lexception de celles relatives lorganisation de ladministration coloniale, de la
justice, de la rpartition des comptences entre diverses autorits coloniales et de la spcialit
lgislative317.
317
Les lois et rglements pris en France ntaient applicables dans chaque colonie ou groupe de
colonies quaprs "promulgation locale" par le gouverneur de la colonie ou le gouverneur gnral
du groupe de colonies. Ce principe contenu larticle 50 de lordonnance du 7 septembre 1840
relative au gouvernement du Sngal a t tendu au Dahomey par larticle 2 du Dcret du 22 juin
1894. P.F. Gonidec expose cependant que "certains principes crits, valables pour la mtropole,
taient considrs comme applicables dans les colonies. Il sagissait notamment des fameux
principes gnraux du Droit dgags par le Conseil dEtat", in Droit doutre-Mer. Tome I. De
lempire colonial de la France la communaut, Montchrestien, Paris, 1959, p. 128 ; CM / R.B.,
annexe 38.
318
CM / R.B., p. 116-124, par. 2.217-2.236. Voir la consultation du professeur Franois Luchaire ;
CM / R.B., annexe 31. Voir galement la consultation du professeur Richer ; R / R.B., annexes 21.
319
Pierre Franois Gonidec, Cours de droit administratif spcial, Les cours de droit, Paris, 1968,
p. 38-49 ; R /R.B., annexe 17.
81
3.90 Certes, les administrateurs coloniaux du Niger et du Dahomey, perdant de vue
pendant un temps les arrts de 1898 et de 1900, se sont interrogs sur les limites exactes
entre les deux colonies, jusqu ce que la lettre du gouverneur du Niger de 1954 mette fin aux
incertitudes. Mais il est constant en droit administratif franais que :
"Une loi ou un rglement non abrog et non modifi peut toujours tre appliqu
ou revendiqu alors mme que pendant un dlai indtermin il naurait pas t
appliqu : cest vrai dailleurs aussi de dispositions qui nont pas un caractre
rglementaire. Ainsi, un arrt prfectoral prescrivant le curage dune rigole
qui a acquis le caractre de cours deau non navigable ni flottable trouve son
fondement lgal dans un dit du Parlement de Dle de 1651 (24 janvier 1969,
dame veuve Daloz, p. 41). Un plan de bornage dress en 1772 (S. 3 mai 1963,
ministre des Travaux publics c/ dame Bondet p. 264), un plan dalignement
approuv en 1888 (5 janvier 1955, Lapouge et autres p. 5) sont toujours
applicables."320
3.91 Les dveloppements qui prcdent montrent que, selon le droit interne
applicable la date critique de 1960, le Bnin est fond se prvaloir des arrts de 1898 et
1900 comme source de son titre constitu par la lettre de 1954.
320
Raymond Odent, Contentieux Administratif, Les cours de droit, fascicule 1, p. 426 ; CM / R.B.,
annexe 40. M. Waline affirme galement : "pas plus que les lois, les actes administratifs ne tombent
en dsutude, ne sabrogent par la non application.", Droit administratif, Sirey, Paris, 9me d.,
1963, p. 557, par. 940 ; CM / R.B., annexe 43.
82
3.94 Pour dterminer le niveau de structuration auquel se situe un acte, et ainsi
dterminer sil sattache structurer les colonies, les cercles ou les subdivisions, il convient
dexaminer le contexte dans lequel cet acte a t pris. Pour effectuer cette analyse dans le cas
despce, il convient dexaminer dabord le contexte des arrts de 1934 et 1938. Il en ressort
sans ambiguts que les proccupations qui ont motiv ces textes taient exclusivement lies
la situation conomique et politique interne du Dahomey. Ceux-ci ne se sont attach en rien
dterminer une limite inter-coloniale et ont eu pour seul objet de procder une
rorganisation interne de la colonie dans le cadre des limites inter-coloniales existantes (A).
Cest tout linverse sagissant des arrts de 1898 et 1900. Lun et lautre dterminent
ltendue territoriale, et par consquent les limites externes, de territoires coloniaux (B). Cest
sur cette base que la porte respective des diffrents arrts, aux deux principaux niveaux de
structuration territoriale en A.O.F., doit tre comprise (C).
3.96 La crise conomique mondiale de lpoque na, en effet, pas pargn la France
et ses colonies. "Entre 1930 et 1935, les cours des produits coloniaux sont fortement affects
par la crise. Cet effondrement est compens par laugmentation des superficies, lamlioration
des cultures. Comme la production coloniale est marginale dans lconomie mondiale, un
protectionnisme renforc permet de dvelopper une vritable agriculture dexportation
destination de la mtropole"321.
321
Gabriel Massa, "Les politiques coloniales de la France de 1930 1960", in La France doutre mer,
Tmoignages dadministrateurs et de magistrats, ouvrage collectif sous la direction de Jean
Clauzel, Karthala, Paris, 2003, p. 26 ; R / R.B., annexe 20.
83
administratives aux fins de lvacuation de ses produits. De mme, sest impose la
Fdration et ses territoires lexigence de raliser des conomies sur leurs budgets.
3.99 Ainsi, dans le but de raliser des conomies budgtaires et de permettre aux
administrateurs coloniaux locaux de mieux contrler la situation, lautorit coloniale a
procd, ici et l, des rorganisations internes.
"Le Sngal, la Guine franaise, la Mauritanie ont joui dun calme politique
parfait. Seuls le Dahomey et certaines rgions du Soudan et de la Haute Cte
dIvoire ont, certains moments, et des degrs divers, suscit quelques
apprhensions.
Nanmoins, les difficults trs srieuses que nous avons eu surmonter, ont
fait apparatre la ncessit dune meilleure organisation administrative interne
permettant de renforcer le contact entre nos administrateurs et les populations
locales tout en accordant nos effectifs dencadrement et de commandement aux
exigences des mesures dconomies particulirement svres qui viennent
dtre prononces en matire de personnel.
84
concerne ses zones moyennes et surtout mridionale [sic].
Nanmoins, elle a marqu un redressement trs net au cours des derniers mois
de lanne ; exception faite pour quelque [sic] lments trs restreints en
nombre dailleurs, on peut dire que ltat desprit des populations sest
considrablement amlior. Comme on le verra plus loin, la forme dopposition
larve que constituait linertie satisfaire aux charges fiscales sest bien
attnue, si elle na pas compltement disparu.
Ceci ne sapplique quau Bas-Dahomey, car dans le Nord les populations sont
restes, comme de coutume, calmes et tranquilles.
3.102 Le mme rapport souligne les "incidents provoqus par la venue dans le cercle
[dAllada] de Marc Tovalou Houenou, dit Prince Tovalou"324, la condamnation du journaliste
Simon Akindes du journal "lcho des cercles"325, puis prcise :
322
Gouverneur gnral de l'A.O.F., Discours en Conseil de Gouvernement, 1934 ; R / R.B., annexe 13
(italiques ajouts par le Bnin). Voir galement Gouverneur gnral de l'A.O.F., Rapport politique
annuel, 1934 ; R / R.B., annexe 15.
323
Lieutenant-gouverneur du Dahomey, Rapport politique annuel, 1934 ; R / R.B., annexe 14
(italiques ajouts par le Bnin).
324
Marc Tovalou Houenou, mdecin militaire pendant la premire guerre mondiale et devenu avocat
au Barreau de Paris, animateur du journal "Les Continents", militant des droits de lhomme, du
85
"les buts poursuivis dans cette refonte territoriale ont t les suivants :
"les remaniements territoriaux ont eu ainsi lavantage, non cherch, mais rel et
apprciable, de mieux quilibrer les commandements au point de vue de
limportance des populations administrer".
3.104 Il est donc vident que larrt de 1934 ne vhiculait aucune proccupation
relative la limite inter-coloniale ; dans les annes 1930, les proccupations de lautorit
coloniale taient tournes vers lconomie et une meilleure matrise des subdivisions
lintrieur de chaque colonie. Dailleurs, avant les rorganisations administratives internes au
Dahomey, le gouverneur gnral de lA.O.F. avait entrepris une tourne dinspection dans
toutes les colonies de la Fdration. Dans le rapport, en date Dakar du 10 fvrier 1933 quil
avait adress au ministre des colonies, il avait crit ceci :
panafricanisme, activiste au Sngal aux cts de Lamine Gueye tait considr comme "subversif"
par ladministration coloniale.
325
Cette priode a t riche en poursuites pnales conte les journalistes dahomens. Le procs de
Simon Aakindes sera suivi du plus clbre procs de la priode coloniale dahomenne, le procs de
la voix du Dahomey contre presque tous ceux que le Bas Dahomey comptait comme lite. Ce
procs durera un an.
326
R / R.B., annexe 14 (italiques ajouts par le Bnin).
86
"On constate dune manire presque gnrale le mme manque de cohrence
dans le trac des rseaux routiers. Chaque colonie a pouss ses routes et ses
pistes jusqu ses limites sans se proccuper de savoir si la colonie voisine tait
dispose les prolonger."327
"Il convient quelles [les colonies] accordent moins dimportance aux limites
administratives pour sattacher davantage la conception de grandes rgions
conomiques englobant une colonie ctire et la portion dhinterland dont
celle-ci est le dbouch naturel."328
3.106 Il nest pas tonnant dans ce contexte que loffice du Niger ft cr par dcret
du 5 janvier 1932329 et que le rseau Bnin-Niger ft cr par arrt du 30 novembre 1934330.
327
Lettre du gouverneur gnral de l'A.O.F. Monsieur le ministre des Colonies, 10 fvrier 1933,
p. 5 ; R / R.B., annexe 8.
328
Ibid., p. 6.
329
CM / R.B., annexe 8. Voir CM / R.B., p. 60-73, par. 2.73-2.100.
330
M.N., annexe B.58. Voir CM / R.B., p. 60-73, par. 2.73-2.100.
331
R / R.B., annexes 12 et 9.
87
Dahomey, tendant la rduction des limites territoriales de la circonscription de Cotonou et
la rorganisation dun cercle de Ouidah"332.
3.110 Les proccupations qui ont ainsi inspir les arrts de 1934 et 1938 sont donc
totalement loignes de toute considration relative la frontire entre la colonie du Niger et
la colonie du Dahomey.
3.113 Il apparat donc que les arrts de 1934 et 1938 concernaient exclusivement
les cercles et leurs limites lintrieur de la colonie du Dahomey, ce qui explique le renvoi
trs gnral et indtermin au "cours du fleuve" Niger opr par ces deux textes. En utilisant
cette expression, ceux-ci nentendaient nullement procder une nouvelle dlimitation mais
seulement rappeler que la limite inter-coloniale suivait le fleuve Niger. Quant savoir o
passait prcisment cette limite sur le fleuve, cela relevait de textes ncessairement antrieurs
332
R / R.B., annexe 16.
333
R / R.B., annexe 11 (italiques ajouts par le Bnin).
88
aux arrts de 1934 et 1938, en loccurrence larrt du 23 juillet 1900 qui a dfinitivement
fix la limite la rive gauche.
3.114 Les circonstances et les objectifs de larrt de 1898 ont t souligns par les
deux Parties au prsent diffrend : il sagissait de permettre au Dahomey, sur le fondement de
lhabilitation du dcret du 11 juin 1894 et suite laccord franco-britannique de 1898,
doccuper toutes les "rgions reconnues la France au Nord du fleuve Niger"334.
3.115 Cet arrt de 1898 ayant t partiellement abrog par larrt du 23 juillet 1900
crant le troisime territoire militaire, il importe dexposer les motifs ayant dtermin ce
dernier arrt.
3.116 Le Dahomey tait dj tabli dans les rgions situes sur la rive gauche du
secteur contest du fleuve Niger, lorsque les troupes franaises parties du Sngal ont atteint
la mme rgion en 1900. Le ministre des colonies, rpondant au gouverneur gnral de
lA.O.F. qui lui signalait que le moment tait venu de relier le Niger au Tchad, par dpche
n 530 du 29 juin 1900, crivait :
Par suite, afin de complter laction des deux premiers territoires organiss sur
le Niger par dcret du 17 Octobre 1899, jai propos au Parlement la
constitution dun 3me territoire Militaire ayant pour chef-lieu Zinder et pour
limite daction vers lEst la Pointe N.O. du lac Tchad, la ligne qui sert de
frontire occidentale au Kanem.
334
CM / R.B., p. 116 et s.
89
comportera la mesure dont il sagit, ds que je vous aurai cbl lapprobation
lgislative du crdit correspondant.
2 celle de Zinder qui pourrait recevoir par exemple deux compagnies avec
ltat-major du Bataillon, de faon surveiller le Dameryou, vers Aghads et
lAr au Nord, et le Demaglarim lEst vers le Tchad."335
3.117 Cette dpche figure dans les visas de larrt gnral du 23 juillet 1900 crant
un troisime territoire militaire dont le chef-lieu sera tabli Zinder. Il est important de
souligner que ladministration coloniale, assure que le Dahomey tenait lintgralit du
secteur contest du fleuve Niger, na nullement vis cette portion du fleuve comme devant
tre intgre au nouveau territoire militaire. Cette portion demeurait donc au Dahomey.
335
R / R.B., annexe 1.
336
M / R.B., annexe 8.
90
ainsi que le Dahomey, demeur hors de lA.O.F. jusquen 1899, reut lordre doccuper les
territoires nouvellement reconnus la France par la convention franco-britannique de 1898
jusquau del du secteur contest du fleuve Niger. Ce qui fit lobjet du dcret du 22 juin 1894
et de larrt du 11 aot 1898. Quant au Niger, il trouve son origine dans larrt du 23 juillet
1900.
3.121 Une fois constitus les diffrents territoires composant lA.O.F., il a fallu
organiser ladministration intrieure de chacun de ces territoires. Ainsi, une distinction
simpose entre les actes rglementaires instituant une entit coloniale intgrant ou devant
intgrer lA.O.F. et les actes rglementaires organisant ladministration intrieure dun
territoire colonial.
3.122 Cette distinction se rvle non pas seulement par lintitul et le contenu de
chaque acte mais surtout par les motifs ayant conduit son diction, comme il a t expos ci-
dessus337. Il apparat ainsi que le gouverneur gnral de lA.O.F intervenait tantt pour fixer
directement ou indirectement les limites entre les diverses colonies composant la Fdration,
tantt pour dterminer les diffrents cercles lintrieur de chaque colonie.
3.123 En ce qui concerne les limites inter-coloniales et par contraste avec celles des
cercles les arrts de 1934 et 1938 ont un caractre purement dclaratif. Les changes de
notes entre le cabinet militaire et le directeur des affaires politiques et administratives du
gouvernement gnral de lA.O.F au sujet de la "rorganisation territoriale du Dahomey"338
ou du "remaniement aux circonscriptions administratives du Dahomey"339 indiquent que les
proccupations du gouvernement gnral ntaient pas lies aux limites inter-coloniales.
337
Voir supra, par. 3.93-3.119.
338
Lettre du chef du cabinet militaire au directeur des affaires politiques et administratives du
gouvernement gnral de l'A.O.F. en date du 27 novembre 1934 ; R / R.B., annexe 10 (italiques
ajouts par le Bnin).
339
Rponse du directeur des affaires politiques et administratives en date du 4 dcembre 1934 ;
R / R.B., annexe 11.
91
3.124 Cest ainsi que dans sa note du 27 novembre 1934, le chef du cabinet militaire
du gouverneur gnral crivait au sujet du projet darrt envoy par le gouverneur du
Dahomey :
Il me parat utile de saisir loccasion qui nous est offerte des remaniements
envisags pour asseoir une fois pour toutes sur des bases dfinies la
dlimitation des nouvelles circonscriptions."340
"Jai lhonneur de vous faire connatre que je partage entirement votre faon
de voir concernant les trs intressantes suggestions faites par le Service
Gographique. Mon accord de principe est donc acquis."
3.127 Sil stait agi dune allusion aux limites du Dahomey avec les colonies
voisines, lexpression aurait t toute autre. Car la limite du Dahomey louest est tablie par
un trait franco-allemand et la limite lest par des conventions franco-britanniques. Quant au
secteur nord-est de la frontire, objet du prsent diffrend, la limite entre les deux colonies du
Dahomey et du Niger ayant t dtermine par un acte administratif depuis 1900, les actes
postrieurs cette date ne se sont absolument plus proccups de la limite inter-coloniale. Ce
qui explique que les arrts de 1934 et 1938 consacrs aux cercles aient utilis une expression
fort gnrale : "au cours du fleuve".
340
Italiques ajouts par le Bnin.
92
Pour le Niger,
""le cours" dun fleuve ou dune rivire est mouvant, la "rive", elle, est fixe ; le
cours est liquide, la rive est solide. Une frontire ne peut tre constitue la
fois par le cours et par la rive."341
Pour le Bnin,
"la notion de "rive du fleuve" est parfaitement compatible avec celle de "cours
du fleuve" en ce que la premire constitue une partie de la seconde sans
laquelle il ny aurait pas de "cours du fleuve"342.
3.129 Les deux Parties ont puis la mme bibliographie mais aboutissent des
conclusions radicalement opposes. Cest le Niger qui fait fausse route, car il occulte le fait
quune notion originelle peut, par lusage, subir une extension smantique pour en fin de
compte pouvoir tre utilise, selon le contexte, dans plusieurs sens.
3.130 Il en est ainsi de la notion de rive. Le professeur Abel Afouda, consult, crit :
"La "rive" dun cours deau dsigne une bande de terre qui borde le cours
deau. Le terme "Rivire" (driv du latin "riparius" : qui se trouve sur la rive)
dcoule de "rive".
Le mot est aussi utilis pour dsigner le bord dun cours deau comme dans
"rive droite" (ou rive gauche)". Il peut tre aussi utilis pour dsigner toute
partie dune rgion qui borde un cours deau sur sa droite (ou sur sa
gauche)."343
"il ne peut avoir de cours deau, cest dire de fleuve, sans rive et que dans son
sens strict, la rive est un lment constitutif du cours deau comme le montrent
les diffrents schmas donns en annexe"344.
341
CM.N., p. 62, par. 2.39.
342
CM / R.B., p. 122, par. 2.234.
343
R / R.B., annexe 25.
344
Ibid.
93
3.131 Cest donc bien tort que la Rpublique du Niger veut faire de la notion de
rive une notion indpendante de celle de cours deau ou de cours du fleuve.
3.134 Le Niger reconnat dans son contre-mmoire que larrt de 1898 "attribue en
ralit au Dahomey dimportants territoires situs au nord du fleuve Niger"345 mais ajoute que
"[son] objet ne pouvait tre de fixer la limite sparant la colonie du Dahomey et le
Troisime Territoire Militaire pour lexcellente raison que ce dernier navait pas encore t
345
CM.N., p. 50, par. 2.09 (italiques ajouts par le Niger).
94
cr en 1898"346. Il estime que cet arrt est "dpourvu de pertinence en ce qui concerne la
dtermination de la frontire entre le Niger et le Bnin"347.
3.135 Le Bnin est davis avec le Niger que larrt de 1898 a confr au Dahomey
dimportants territoires, comprenant la totalit du fleuve Niger dans la rgion en litige. Il est
cet gard constant que
"le territoire continental comprend lensemble des eaux qui sont comprises
dans [le] territoire continental, cest--dire quune mer entirement enclave est
comprise dans le territoire de ltat, quun lac entirement enclav est
galement compris intgralement dans le territoire de ltat. Il en est de mme
pour les fleuves et les rivires qui coulent sur le territoire de ltat. Il arrive
quune mer intrieure, un lac, un fleuve aient plusieurs riverains."348
3.136 Larrt de 1900 a rtrci ces importants territoires, pour leur ter les rgions
stendant au nord du fleuve partir de sa rive gauche. Il na cependant pas retranch des
territoires acquis au Dahomey le fleuve Niger situ au sud de sa rive gauche (si telle avait t
lintention de lauteur de larrt de 1900, dailleurs, cet arrt aurait d statuer, ce quil ne
fait pas, sur le sort des les qui parcourent le fleuve). De la rive gauche du fleuve vers le sud,
les territoires, y compris le fleuve, demeurent donc videmment dahomens. La rive gauche
constitue ds lors la limite inter-coloniale.
3.137 Le Niger expose de son ct que "ce texte ne fixe pas la limite du territoire en
question, mais donne seulement des indications sur son tendue"349 et conclut : "[i]l y a une
diffrence entre la dtermination dun espace territorial ce que fait cet arrt de 1900 et la
fixation dune limite territoriale"350.
3.138 Ce faisant, le Niger revient sur une question pourtant dj clarifie par la Cour
internationale de Justice. La Chambre de la Cour, dans laffaire du Diffrend frontalier
346
CM.N., p. 50, par. 2.11.
347
Ibid.
348
Paul Bastid, Cours de droit international public, DES de Droit Public 1953-1954, les Cours de
Droit, Paris, 1954, p. 70.
349
CM.N., p. 51, par. 2.14 (italiques ajouts par le Bnin).
350
Ibid.
95
(Burkina Faso/Rpublique du Mali), a prcis que la distinction parfois faite en doctrine entre,
d'un ct, "conflits frontaliers", ou "conflits de dlimitation", et, d'un autre ct, "conflits
dattribution territoriale", na pas de porte pratique car "chaque dlimitation, aussi troite que
soit la zone controverse que traverse le trac, a pour consquence de rpartir les parcelles
limitrophes de part et dautre de ce trac"351.
3.139 En outre, dans son arrt du 11 septembre 1992 relatif laffaire du Diffrend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras) la Chambre de la Cour a
confirm que : "le principe de luti possidetis touche autant la recherche du titre un
territoire qu lemplacement de frontires ; un aspect essentiel de ce principe est
certainement dcarter la possibilit dun territoire sans matre"352.
3.140 Sans doute est il possible de dfinir une tendue territoriale sans en dlimiter
exactement les contours. Mais ce nest prcisment pas ce qua fait larrt de 1900, lu
conjointement avec larrt de 1898. Il rsulte en effet de ces deux textes :
- dune part quen 1898, la colonie du Dahomey stendait dun seul tenant jusque sur
les territoires situs sur la rive gauche du fleuve Niger, et comprenait notamment la
totalit du fleuve Niger dans la zone concerne ;
351
C.I.J., arrt du 22 dcembre 1986, Rec. 1986, p. 563, par. 17. Voir galement C.I.J., arrt du 3
fvrier 1994, affaire du Diffrend territorial (Jamahiriya arabe lybienne/Tchad), Rec. 1994, p. 25,
par. 52
352
C.I.J., Rec. 1992, p. 387, par. 42.
96
1900353. Dans ce tlgramme, le commandant du troisime territoire militaire mentionne ses
interrogations quant la limite de son territoire avec le premier territoire militaire : "urgent
indiquer limites entre 1er et 3me territoire" indique-t-il. Il conclut sur ce point :
3.142 Si, donc, le commandant du troisime territoire militaire s'interrogeait sur les
limites de son territoire avec celui du premier territoire militaire, en revanche, il n'avait pas le
moindre doute s'agissant de sa dlimitation avec le territoire de la colonie du Dahomey. Bien
au contraire, celui-ci rappelle le sens vident de l'arrt du 23 juillet 1900 qui tait de confiner
le troisime territoire militaire, donc le futur territorie de la colonie du Niger qui lui a succd
par la suite, "entre la rive gauche Niger et le Tchad". Le sens de cette phrase est sans
ambigut : c'est bien partir de la rive gauche du fleuve que le nouveau territoire s'tend,
c'est--dire sur la terre ferme, vers le nord. La limite entre le Dahomey et le Niger est donc
sans conteste la rive gauche du fleuve, comme l'a d'ailleurs galement crit le gouverneur du
Niger, en 1954, et comme le soutient la Rpublique du Bnin. Aucun texte nayant depuis
1900 enlev au Dahomey cette portion de son territoire terrestre que constitue le secteur du
fleuve Niger contest, il y a lieu de conclure :
- et que la frontire entre les deux colonies tait depuis lors constitue par la rive gauche
du fleuve.
Il ne pouvait pas en aller autrement si lon considre la philosophie qui avait guid la France
dans sa politique lgard de tout le cours du fleuve Niger355. Cest la mme conclusion que
353
R / R.B., annexe 2.
354
Ibid (italiques ajouts par le Bnin).
355
M / R.B., p. 11-15, par. 1.10-1.24 et p. 54-78., par. 3.05-3.34 ; M.N., p. 37-45, par. 1.2.6-1.2.29.
97
le gouverneur du Niger est parvenu en fixant la limite inter-coloniale la rive gauche du
fleuve, et en attribuant les les en consquence, dans sa lettre du 27 aot 1954 tout juste
antrieure aux indpendances.
3.143 Les critiques adresses par la Rpublique du Niger lgard du titre frontalier
dont se prvaut la Rpublique du Bnin nemportent donc pas la conviction :
(ii) Les textes que le Niger tente dopposer au titre du Bnin, savoir les arrts de
1934 et 1938, nont eu ni pour objet, ni pour effet, de crer ou de dplacer la limite entre les
colonies du Bnin et du Niger. Ils sont au demeurant parfaitement compatibles avec les autres
textes coloniaux, et tout particulirement avec larrt du 23 juillet 1900 et les changes de
correspondance de 1954.
(iii) Les effectivits dont se prvaut le Niger, qui font lobjet du chapitre suivant, sont
tout la fois inexistantes et insusceptibles de remettre en cause un titre frontalier aussi
clairement tabli.
98
CHAPITRE IV
4.3 En second lieu et par l'effet du mme principe, il ne peut tre fait appel, dans le
cadre du prsent litige, aux rgles du droit international gnral. La solution du diffrend
frontalier soumis la dcision de la Chambre de la Cour ne peut aucunement rsulter de
l'application d'une rgle suppltive du droit international, d'une part parce que cela
contredirait le principe de l'uti possidetis juris, d'autre part parce qu'en tout tat de cause, il
n'existe aucune rgle internationale substantielle en matire de dlimitation territoriale, le
356
Arrt du 11 septembre 1992, Rec. 1992, p. 388, par. 43.
100
droit international se contentant de fixer une procdure et des modes de preuve357. Il en va
notamment ainsi du droit international fluvial, qui ne connat aucune rgle coutumire en
matire de dlimitation358. Deux consquences en rsultent:
(i) ou bien, les tats concerns sentendent, aprs leurs indpendances, sur une
solution conventionnelle mutuellement agre ;
(ii) dfaut, le droit colonial est seul susceptible de fournir une solution au diffrend.
4.4 En la prsente espce, aucun trait na t sign entre les Parties aprs leur
accession lindpendance, mais elles ont hrit de la dlimitation entre les colonies du Niger
et du Dahomey qui existait ncessairement cette date ce que confirme le compromis qui
parle d"intangibilit" des frontires hrites de la colonisation. Autrement dit, en lespce, si
lune ou lautre Partie peut se prvaloir dun titre frontalier tabli durant la priode coloniale,
ce titre lemporte sur tout autre lment. A cet gard, comme le Bnin la montr nouveau
dans le chapitre prcdent, il ne fait aucun doute que la lettre du 27 aot 1954, et par les
circonstances ayant conduit son adoption, et par la clart et la prcision de son contenu, qui
tranche avec l'ensemble des actes coloniaux antrieurs, et par sa date de signature (juste six
ans avant les indpendances) constitue un titre frontalier dautant plus indiscutable quelle
raffirme le principe de dlimitation pos en 1900.
4.5 En prsence dun tel titre, les "effectivits coloniales" nont aucune valeur
juridique en elles-mmes : elles peuvent le conforter, non le dplacer (section I). En lespce,
sagissant du fleuve Niger lui-mme, la gestion en a toujours t soit partage, soit assure
depuis Paris et elle na aucune incidence sur la dlimitation (section II). Quant aux les, les
Parties ne sont pas en mesure dapporter des preuves convaincantes de leur administration du
temps de la colonisation, sauf en ce qui concerne lle de Lt qui, au moment de laccession
des deux tats lindpendance, tait, conformment la lettre de 1954, clairement
357
Voir P. Daillier et A. Pellet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), L.G.D.J., Paris, 7me
d., 2002, p. 467 ou p. 470, ou M. Cosnard, in D. Alland (dir.), Droit international public, PUF,
Paris, 2000, p. 672-673.
358
Voir. H. Ruiz Fabri, "Rgles coutumires gnrales et droit international fluvial", A.F.D.I., 1990,
p. 830-831.
101
administre par le Dahomey en dpit dune histoire administrative antrieure parfois
incertaine (section III).
Section I
4.6 La thse du Niger est le pendant ngatif, en creux, de celle du Bnin. Niant,
tort, la valeur probante de la lettre du 27 aot 1954359, la Partie nigrienne ne lui oppose
expressment aucun autre titre ( 1). Elle se prvaut exclusivement de prtendues effectivits,
fort discutables, qui ne sauraient en tout tat de cause ni tenir lieu de titre, ni, moins encore,
dplacer le titre bninois ( 2).
4.7 Dans son contre-mmoire, la Rpublique du Niger fonde son "titre"360 sur
divers actes et documents administratifs 361. Selon la Partie nigrienne, "les plus significatifs
en ce qui concerne la fixation de la limite entre le Dahomey et le Niger dans le secteur du
fleuve Niger"362 seraient :
359
"[La] notion de titre peut viser tout moyen de preuve susceptible d'tablir l'existence d'un
droit", C.I.J., arrt du 22 dcembre 1986, affaire du Diffrend frontalier (Burkina Faso/Rpublique
du Mali), Rec. 1986, p. 564, par. 18. Voir galement M / R.B., p. 42-44, par. 2.18-2.25.
360
Le terme nest utilis, semble t-il, que dans un intitul figurant la page 55, celui du chapitre 2,
section 1, B.
361
CM.N., p. 8, par. 0.5, p. 54-55, par. 2.23 et p. 55-56, par. 2.26-2.27.
362
CM.N., p. 55, par. 2.26.
102
- la lettre du 26 mars 1904 par laquelle le lieutenant gouverneur du Dahomey transmet
le rapport du capitaine Chevalier au gouverneur gnral de lA.O.F ;
4.8 La Rpublique du Niger prcise par ailleurs que "[c]es actes ont t complts
par un important change de correspondances, de nombreux comptes rendus et tlgrammes
des administrateurs coloniaux de divers niveaux loccasion dune tentative du Dahomey, en
1910, de rcuprer une partie de la rgion du Dendi, sur la rive gauche du fleuve"364. La Partie
nigrienne cite cet gard le tlgramme du lieutenant-colonel Scal du 13 avril 1910 ainsi que
la lettre n 54 de ladministrateur-adjoint Sadoux, commandant du secteur de Gaya, du 3
juillet 1914, adresse au commandant du cercle du Moyen-Niger, Kandi365. Le Niger en
dduit que "[c]es diffrents documents revtent une importance cruciale dans le cadre du
prsent litige" et se flicite den avoir fait un "expos systmatique" dans son mmoire366. Le
contre-mmoire nigrien conclut de ces diffrents prcdents que "jusqu la lettre du 27 aot
1954, aucun texte colonial ne fixe la limite inter-coloniale la rive gauche du fleuve
Niger"367.
4.9 De faon gnrale, il convient de remarquer que la Partie nigrienne fait une
mauvaise lecture des documents quelle cite. En particulier, elle donne une interprtation
errone, et tire donc des consquences juridiques galement errones, de lexpression "cours"
du fleuve Niger, laquelle se retrouve dans certains textes. Cette expression imprcise, qui peut
renvoyer autant aux rives du fleuve qu une ligne qui se situerait dans son lit, ne permet pas
de conclure que ceux qui lont employe ont considr que la limite territoriale se trouvait tre
"dans" le cours du fleuve Niger, c'est--dire quelque part dans son lit, entre ses deux rives. La
363
CM.N., p. 55, par. 2.26.
364
CM.N., p. 56, par. 2.27.
365
Ibid.
366
CM.N., p. 57, par. 2.28.
367
CM.N., p. 57, par. 2.29.
103
Rpublique du Bnin a dailleurs amplement montr que cette expression navait pas le sens
que le Niger lui attribue368.
4.11 Malgr cette mconnaissance de lorigine de cette lettre, le Niger tente dune
part de lui faire dire quelle dmontrerait que le gouverneur du Dahomey lui-mme aurait
reconnu en 1901 que la limite de son territoire avec le territoire militaire navait pas t
tablie la rive gauche en juillet 1900 ; et dautre part de convaincre que cette lettre aurait
"complt" larrt de juillet 1900.
4.12 Ce faisant, le Niger ignore totalement le contexte historique dans lequel cette
lettre a t crite. En effet, en 1901, le Niger demeurait un territoire militaire, rattach au Haut
Sngal et Niger et sans aucune autonomie. Le gouverneur gnral de lA.O.F., conscient de
ce que lvolution de ce territoire, sa transformation ultrieure en territoire civil et son
intgration lA.O.F., titre dentit autonome, pouvaient appeler une modification de la
limite fixe ds 1900 entre le territoire militaire et la colonie du Dahomey, entreprit le
ministre des colonies aux fins que cette limite ne changet pas. Et cette dmarche du
gouverneur gnral a t inspire par le lieutenant-gouverneur du Dahomey, qui entendait que
la limite fixe en 1900 demeure en ltat. Le Niger nest par consquent nullement fond
conclure de cette dmarche que "cest le gouverneur du Dahomey lui-mme qui situe la limite
entre sa colonie et le Troisime Territoire militaire sur le cours du fleuve Niger"371, en
368
CM / R.B., p. 59, par. 2.67-2.72. V. aussi supra, par. 3.43-3.46.
369
M.N., annexe C.4.
370
CM/R.B, p. 24, par. 1.28.
371
CM.N., p. 52, par. 2.17.
104
suggrant quil avait dans lide de modifier la limite la rive gauche tablie un an
auparavant. Au demeurant, la lettre de 1901 nvoque de toutes faons pas une limite "sur le
cours" du fleuve, comme le prtend tort le Niger, mais mentionne seulement "le cours du
Niger comme la meilleure ligne de dmarcation".
4.15 A supposer mme que lon admette, pour les seuls besoins de la discussion,
que cette lettre ait eu vocation modifier le sens de ce qui avait t dcid par larrt du 23
juillet 1900, elle ne pourrait valoir titre juridique pour le Niger, ni avoir quelquautre valeur
juridique dailleurs.
372
CM.N., p. 52, par. 2.16.
105
4.16 On peut cet gard rappeler que dans laffaire du Diffrend frontalier entre le
Burkina-Faso et la Rpublique du Mali, une lettre n 191 CM2, adresse le 19 fvrier 1935
par le gouverneur gnral de lA.O.F simultanment aux lieutenants-gouverneurs du Niger et
du Soudan, avait t produite373. Analysant cette lettre, la Chambre de la Cour constata que la
limite dcrite dans cette lettre "correspondait, dans lesprit aussi bien du gouverneur gnral
que de tous les administrateurs qui ont t consults, la situation existante"374 et jugea que
"larrt du 31 dcembre 1922 et la lettre 191 CM2 du gouverneur gnral de lAfrique
occidentale franaise en date du 19 fvrier 1935 se renforcent mutuellement" et sont "en
harmonie" avec un arrt antrieur375. Ce ne serait manifestement pas le cas de la lettre du 7
septembre 1901, du moins sil fallait lui attribuer la porte que lui attribue artificiellement le
Niger. Elle serait alors dnue de tout effet juridique.
4.18 Les deux arguments nont cependant rien de comparable. Si, le Niger tente
dopposer le texte de la lettre de 1901, lu de manire partiale et hors contexte, aux actes
rglementaires antrieurs, en revanche le Bnin :
- soutient et dmontre que la lettre du 27 aot 1954 est intervenue dans le cadre de
relations bilatrales entre les autorits administratives des deux colonies
intresses376 ;
- soutient et dmontre que la lettre du 27 aot 1954 sadosse une suite dactes
rglementaires de 1900, 1934 et 1938, parfaitement compatibles avec elle, et que
373
C.I.J, arrt du 22 dcembre 1986, Rec. 1986, p. 94, par. 75.
374
Ibid., p. 600, par. 85.
375
Ibid., p. 611, par. 107.
376
Voir supra, par. 3.5-3.17.
106
dailleurs lauteur de la lettre avait ncessairement lesprit au moment o il la
signait377 ;
- soutient et dmontre que le texte de la lettre du 27 aot 1954 est clair et sans
ambiguts en affirmant que la limite se situe sur la rive gauche du fleuve, et que
toutes les les du fleuve appartiennent au Dahomey378 ;
- soutient et expose avec force preuves fournies tant par le Bnin que par le Niger, que
tous les protagonistes ont considr, mme si certains en ont conu une certaine
amertume, que cette lettre mettait un point final aux controverses sur la limite entre les
deux colonies379.
377
Voir supra, par. 3.43-3.46.
378
Voir infra, par. 3.47-3.48.
379
Voir supra, par. 3.18-3.24.
380
R / R.B., annexe 3, p. 11 (italiques ajouts par le Bnin).
107
1 La colonie du Sngal ;
4 La colonie du Dahomey ;
381
M.N., annexe B.18 (italiques ajouts par le Bnin).
382
CM.N., annexe C.73.
383
CM.N., annexe C.74.
384
C.M.N., p. 53, par. 2.19.
108
4.24 Ensuite, le texte mme du rapport voque la limite entre le cercle concern et le
troisime territoire militaire dans des termes diffrents de ceux que le contre-mmoire du
Niger lui attribue. En particulier, on ny lit pas que la limite serait situe "sur le cours" du
fleuve, comme le prtend tort le Niger. Il nvoque, comme limite, que "le Niger". Cela
nest sans doute pas dterminant, puisque la notion de "cours du fleuve" na pas la
signification que le Niger tente de lui attribuer. Il nen demeure pas moins que le terme ne
figure pas dans le texte.
4.25 Enfin, il faut souligner que le capitaine Chevalier crit dans son rapport que le
cercle est born "au Nord-Est par le Territoire Militaire avec le Niger comme limite"385. Cette
formulation dfinit non pas ce qui spare le cercle dahomen du territoire militaire, mais
rappelle seulement que cest le territoire militaire, tel quil a t lui-mme dlimit dans la
zone pertinente par "le Niger", qui borne le cercle au nord-est. Le Niger est donc voqu
comme tant la limite du territoire militaire, pas celle du cercle dahomen du Moyen-Niger. Il
en ressort donc clairement que le troisime territoire du Niger ne peut, dans lesprit du
capitaine Chevalier, stendre "sur" le fleuve ; il est limit par le fleuve, et donc sarrte son
seuil, c'est--dire sa rive gauche.
385
CM.N., annexes C.73. Il faut prciser que la phrase se lit telle quelle est reproduite, sans virgule
entre "Territoire Militaire" et "avec le Niger comme limite".
109
nigrienne comme fixant "trs clairement la limite entre la colonie du Dahomey et celle du
Niger sur "le cours" du fleuve Niger"386, alors non seulement que le texte de ces arrts ne
contient pas les termes "sur le cours", mais uniquement "par le cours", mais encore que le
contexte de rdaction de ces textes dmontre que leur objet exclusif tait la rorganisation des
circonscriptions administratives de la colonie du Dahomey dans le cadre des limites
existantes. A cet gard, la Rpublique du Bnin a tabli, dans le chapitre III de la prsente
rplique387, le caractre purement dclaratoire de ces actes rglementaires au regard des
limites inter-coloniales tablies antrieurement.
4.28 Au total, rien dans largumentation de la Rpublique du Niger fonde sur des
textes coloniaux ne vient donc justifier sa prtention dune frontire fixe dans le cours du
fleuve Niger, son thalweg.
(i) Comme le Bnin l'a dj relev ci-dessus390, les "autorits coloniales" que
mentionne le Niger sans autre prcision sont des autorits locales, relativement subalternes,
puisqu'il s'appuie exclusivement sur des documents manant de commandants de cercles ou
de chefs de subdivisions, aucune n'ayant l'"minence" d'un gouverneur de colonie alors que
les changes de correspondance de 1954 font intervenir les deux gouverneurs ;
386
CM.N., p.56, par.2.26 (italiques dans le texte original).
387
V. supra, par. 3.95-3.113.
388
CM.N., p. 126, par. 3.72 (italiques dans le texte original).
389
CM.N., p. 127, par. 3.74.
390
Voir supra, par. 3.64 et 3.65.
110
(ii) Ces documents sont des lettres, des rapports ou des arrangements divers qui ne
rpondent nullement aux exigences formelles que la Partie nigrienne reproche la lettre de
1954 de ne pas remplir391. D'une manire gnrale, ces documents sont au contraire loin de
prsenter le degr de prcision et de nettet qui caractrise la lettre du 27 aot 1954.
(iii) Le Niger admet que les missions de reconnaissance du fleuve menes au fil des
annes par les autorits coloniales n'ont, l'origine, pas eu d'autre objet que d'en dterminer la
navigabilit392 et que ce nest que "par la suite" que les rsultats de ces missions auraient t
utiliss pour fixer la limite sur le fleuve393. Cela confirme que les relevs effectus par ces
missions ne sont pas fiables des fins de dlimitation : ds lors qu'ils ont t raliss dans une
optique autre que celle d'une dlimitation, ils nont pas t effectus de manire systmatique
et ne peuvent donc servir dterminer l'emplacement exact du chenal principal394.
(i) que l'arrt du 23 juillet 1900 limitant le territoire du Niger la rive gauche du
fleuve ft tomb en dsutude, ce que le Niger ne prtend pas396 ; et
(ii) que la pratique dont il se prvaut se ft poursuivie jusqu' la date d'accession des
deux tats la souverainet internationale.
391
Ibid.
392
CM.N., p. 126, par. 3.73: "tant donn l'intrt que prsentait le fleuve comme voie de pntration
coloniale, puis comme voie de transport, sa navigabilit constitua de tout temps une proccupation
majeure. Cest pour cette raison que le fleuve a fait l'objet d'une srie de reconnaissances"
(italiques dans le texte original, soulignement ajout par le Bnin).
393
CM.N., p. 127, par. 3.74.
394
Voir sur ce point CM / R.B., p. 53-54, par. 2.50-2.54.
395
C.I.J., arrt du 10 octobre 2002, Rec. 2002, p. 352, par. 65; v. aussi p. 414, par. 220.
396
Voir M.N., p. 48, par. 1.2.37 ou CM.N., p. 51, par. 2.12-2.15.
111
4.32 Or, outre qu'elle manque de la constance et de la fermet qui pourrait, peut-
tre, permettre de considrer cette pratique comme un substitut de titre vritable397, la lettre du
27 aot 1954 y a mis bon ordre. En dissipant les incertitudes et les imprcisions reconnues par
tous les protagonistes, elle constitue la preuve indiscutable du trac de la frontire la veille
des indpendances et cela suffit tablir le titre frontalier dont le Bnin est fond se
prvaloir. Du mme coup, les effectivits qu'il peut invoquer n'ont qu'une importance limite ;
pour paraphraser l'arrt de la Cour du 10 octobre 2002 dans l'affaire de la Frontire terrestre
et maritime entre le Cameroun et le Nigria, "les activits propres du [Dahomey puis du
Bnin] dans la rgion ont une incidence trs limite sur la question du titre. Ds lors
[que le Bnin est dtenteur d'un titre], la conduite du [Dahomey puis du Bnin] n'est
pertinente que pour dterminer s'il a acquiesc une modification du titre , ventualit qui
ne peut tre entirement exclue en droit (voir Diffrend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), C.I.J. Recueil 1992, p. 408-409,
par. 80)"398. Or il est patent que le Dahomey (puis le Bnin) n'ont jamais acquiesc une
quelconque modification de la limite fixe en 1954 : l'attitude des administrateurs coloniaux
du Dahomey entre 1954 et 1960 puis des autorits dahomennes et bninoises l'occasion des
incidents avec le Niger en tmoignent suffisance ; la Partie nigrienne ne le prtend
dailleurs pas et ceci serait en tout tat de cause incompatible avec les termes mmes du
compromis399.
397
Voir infra, par. 4.47-4.52 (ce qui, de plus, ne serait possible que si elle ne contredisait pas larrt
de 1900).
398
Rec. 2002, p. 353-354, par. 68 (Le Bnin a t substitu au Cameroun dans ce passage).
399
Voir supra, par. 4.1 et 4.4.
112
4.34 Dans un passage clbre, la Chambre de la Cour qui s'est prononce sur le
Diffrend frontalier entre le Burkina Faso et la Rpublique du Mali a indiqu :
"en termes gnraux, la relation juridique qui existe entre les "effectivits" et
les titres servant de base la mise en uvre du principe de l'uti possidetis.
cet effet plusieurs ventualits doivent tre distingues. Dans le cas o le fait
correspond exactement au droit, o une administration effective s'ajoute l'uti
possidetis juris, l"effectivit" n'intervient en ralit que pour confirmer
l'exercice du droit n d'un titre juridique. Dans le cas o le fait ne correspond
pas au droit, o le territoire objet du diffrend est administr effectivement par
un tat autre que celui qui possde le titre juridique, il y a lieu de prfrer le
titulaire du titre. Dans l'ventualit o l"effectivit" ne coexiste avec aucun titre
juridique, elle doit invitablement tre prise en considration. Il est enfin des
cas o le titre juridique n'est pas de nature faire apparatre de faon prcise
l'tendue territoriale sur laquelle il porte. Les "effectivits" peuvent alors jouer
un rle essentiel pour indiquer comment le titre est interprt dans la
pratique."400
400
Arrt du 22 dcembre 1986, Rec. 1986, p. 586-587, par. 63.
401
Arrt du 10 octobre 2002, Rec. 2002, p. 353-355, par. 68 70; v. aussi p. 415, par. 223.
402
Sur l'interprtation de l'expression "ligne des plus hautes eaux", v. infra, par. 5.8-5.18 ; et sur
l'expression " partir du village de Bandofay", v. infra, par. 5.24-5.30.
113
4.36 Celles-ci relvent en effet de deux catgories distinctes :
- les autres concernent l'administration des les (en ralit de la seule le du Lt) et de
leurs habitants, permanents ou pisodiques.
Or, ni les unes ni les autres (dont la nature et la porte seront examines de manire plus
prcise dans les sections suivantes du prsent chapitre) ne sont de nature dplacer ou
"neutraliser" le titre juridique consacr par la lettre du 27 aot 1954.
4.37 Ni l'une ni l'autre des Parties ne peut se prvaloir d'une utilisation ou d'une
administration exclusive du fleuve Niger ; de plus, comme le Bnin le rappellera ci-aprs403,
rien ne peut en tre dduit quant l'emplacement de la frontire : la gestion du fleuve tait
supervise depuis Paris puis depuis Dakar et les activits des deux colonies s'tendaient
l'ensemble des eaux du fleuve et ntaient en aucune manire limites l'un ou l'autre des
cts du chenal navigable.
4.38 Telle est d'ailleurs aussi la raison pour laquelle la lettre du secrtaire gnral du
Niger l'inspecteur des domaines en date du 3 septembre 1954404, dont la Partie nigrienne
fait grand cas405, n'a aucune signification particulire en matire de dlimitation. Son auteur
demande que soit mis l'tude "le Statut domanial actuel des diverses cuvettes du Niger".
Une telle demande s'inscrit dans le cadre des proccupations normales des administrations des
deux rives en ce qui concerne l'administration du fleuve, qui a t constamment trait, pour ce
qui est de son utilisation, comme un "bien commun", et ceci aussi bien durant la priode
coloniale que depuis les indpendances. Au surplus, en tentant de dduire de cette demande
des lments relatifs la dlimitation inter-coloniale, le Niger commet une confusion
importante l'gard des rgles coloniales applicables et des enjeux en cause.
403
Voir infra, par. 4.47-4.51.
404
CM.N., annexe C.124.
405
Voir CM.N., p. 66, par. 2.50 et p. 74, par. 2.70.
114
4.39 En effet, la question de la dlimitation des territoires des circonscriptions
administratives doit tre distingue de celle de la dlimitation du domaine public406. En droit
franais, les cours deau navigables sont gnralement classs dans le domaine public, en
principe de l'tat407, ce qua confirm le dcret du 23 octobre 1904 portant organisation du
domaine en A.O.F.408. Il est donc ncessaire de dterminer les limites de ce domaine public
pour tablir ce qui est proprit publique et ce qui est proprit des riverains privs,
comptence qui ressortissait la comptence de chaque lieutenant-gouverneur de colonie409.
Cette limite du domaine public a t classiquement fixe en droit franais depuis le 19me
sicle aux berges recouvertes par les eaux coulant pleins bords avant de dborder, selon la
rgle du plenissimum flumen410. Le dcret du 23 octobre 1904 a repris cette rgle, en en
tendant quelque peu la porte. Son article 1er, alina b), prcise en effet que les cours deau
navigables ou flottables font partie du domaine public "dans les limites dtermines par la
hauteur des eaux coulant pleins bords avant de dborder, ainsi quune zone de passage de 25
mtres de large partir de ces limites sur chaque rive et sur chacun des bords des les"411.
4.40 Aussi les cuvettes accueillant les eaux de cours d'eau posent-elles problme en
ce qui concerne leur appartenance au domaine public. Comme le remarque le Niger lui-mme
dans son contre-mmoire, ces cuvettes sont "inondables aux plus hautes eaux"412 (ce qui ne
signifie pas quelles fassent partie du "cours du fleuve"413). Par ailleurs, elles peuvent se situer
406
CM / R.B., p. 91-92, par. 2.146-2.147.
407
Voir J.-M. Auby, P. Bon et J.-B. Auby, Droit administratif des biens, 4me dition., Dalloz, Paris,
2003, p. 52.
408
En vertu de son article 1er, alina b), "Font partie du domaine public dans les colonies et territoires
de lAfrique occidentale franaise : Les cours deau navigables ou flottables " (M.N., annexe
B.18bis). Cette disposition a t reprise par le dcret du 29 septembre 1928 portant rglementation
du domaine public et des servitudes dutilit publique en Afrique occidentale franaise (M.N.,
annexe B. 51, article 1er, alina b)).
409
Ibid., article 5 (repris larticle 3, 2me alina, du dcret du 29 septembre 1928 portant
rglementation du domaine public et des servitudes dutilit publique en Afrique occidentale
franaise (M.N., annexe B. 51).
410
J.-M. Auby, P. Bon et J.-B. Auby, op .cit., p. 55 et p. 78.
411
M.N., annexe B.18bis. Cette disposition a t reprise par le dcret du 29 septembre 1928 portant
rglementation du domaine public et des servitudes dutilit publique en Afrique occidentale
franaise (M.N., annexe B. 51, article 1er, alina b)).
412
CM.N., p. 74, par. 2.70.
413
Voir infra, par. 5.19-5.21.
115
dans la zone de passage de 25 mtres sur la rive vise dans le dcret de 1904. Cela pouvait
donc conduire inclure au moins une partie de ces cuvettes dans le domaine public. C'est la
lumire de cette prcision que doit se comprendre la lettre du secrtaire gnral du Niger.
Lorsque celui-ci sinterroge sur le statut domanial des cuvettes du Niger,
(i) il s'interroge, non pas sur une question de dlimitation entre colonies, mais sur une
question de dlimitation entre domaine public et proprits prives sur la rive gauche ;
(ii) et s'il a un intrt le faire, ce nest aucunement parce que le fleuve ou ses les
relveraient de sa juridiction territoriale, mais parce que cette dernire question pouvait avoir
des incidences, soit pour ses ressortissants qui possdent des parcelles prives en bordure du
fleuve ou bien sur ses les, soit pour la partie de son territoire qui se situe en bordure du fleuve
Niger sur la rive gauche ;
(iii) de fait, les diverses cuvettes du cercle de Dosso vises dans la lettre du secrtaire
gnral se situent toutes en territoire nigrien, sur la rive gauche du fleuve, et il ne saurait par
consquent en tre dduit, comme le suggre le Niger, que cette demande du secrtaire
gnral reviendrait sur la fixation de la limite inter-coloniale fixe par la lettre du 27 aot
1954. Les cuvettes de Babodji, de Kouassi, de Bangaga ou de Koulou se situent en effet toutes
sur la rive gauche du fleuve. Il en va de mme en ce qui concerne "Lesegoungou". Certes, l'le
de Lt se situe dans le fleuve, et donc au-del du territoire nigrien qui s'arrte sa rive
gauche. Mais le secrtaire gnral s'interroge non pas sur le statut de lle, mais sur celui de la
cuvette du Niger se situant au niveau de l'le, toujours sur la rive gauche. La "cuvette de
Lesgoungou" vise le bassin d'accueil des eaux du Niger sur la rive nigrienne au niveau de
cette le, ce qui confirme, en passant, que vraisemblablement cette date, le bras gauche du
fleuve tait le plus actif, puisqu'il dbordait sur la rive gauche de celui-ci.
4.41 Quant aux les, les Parties ne sont pas en mesure de fournir la Chambre de la
Cour de documents probants concernant leur administration, l'exception, selon la Partie
nigrienne, de la seule le de Lt, dont elle revendique "[l]'administration effective", ce qui,
selon elle, confirmerait son "attribution cet tat par la limite territoriale dcoulant du chenal
116
principal du fleuve"414. Ainsi que cela sera dmontr de manire plus approfondie dans la
section 3 du prsent chapitre415, cette affirmation se heurte des objections considrables.
Outre que ces effectivits ne "confirment" videmment en aucune manire un titre nigrien
inexistant, cette assertion appelle au moins les deux observations de nature gnrale
suivantes :
(i) les activits dont se prvaut le Niger n'ont jamais t exclusives ; les
administrations coloniales dahomennes, et plus particulirement celles du cercle de Kandi et
de la subdivision de Malanville ont toujours t prsentes sur l'le ; en outre, il apparat que les
actes d'administration accomplis par les administrateurs des deux rives l'taient sur une base
personnelle et non purement territoriale : qu'il s'agisse du prlvement d'impts, de taxes ou
de la collecte des droits de pacage ou de la surveillance des troupeaux, chaque administration
s'intressait principalement, sinon exclusivement, ses propres ressortissants ;
(ii) aprs l'intervention de la lettre du 27 aot 1954, pour reprendre les termes du
commandant de cercle de Kandi dans sa lettre au ministre de l'intrieur du Dahomey du 3
juillet 1960416, "[l]es choses ont march sans incidents jusqu'en 1959" : les droits des habitants
du Niger sur l'le et ceux de la subdivision de Gaya sur ses installations ont t garantis
conformment aux engagements pris par le commandant de cercle de Kandi et par le
gouverneur du Dahomey417 et l'le a t considre comme dahomenne.
4.42 Telle tait la situation la veille des indpendances. La situation sur le terrain
correspondait au droit. Les effectivits coloniales confortaient le titre, confirmant ainsi la
fixation de la limite entre les deux colonies la rive gauche du fleuve. Celle-ci est demeure
la frontire entre les deux tats aprs les indpendances.
414
CM.N., p. 174, par. 4.29.
415
Voir infra, par. 4.83-4.123.
416
M / R.B., annexe 80. V. supra, par. 3.49.
417
V. supra, par. 3.21 3.23.
117
Section II
4.43 Dans son contre-mmoire, la Rpublique du Niger essaie de faire valoir que le
Dahomey, puis le Bnin, nont jamais exerc demprise exclusive sur le fleuve et quen
revanche le Niger na jamais cess dexercer son autorit sur celui-ci418.
"dans lesprit des autorits coloniales du Niger et du Dahomey (et plus tard des
autorits des deux tats indpendants), toute ide de limite la rive tait
totalement exclue.
On peut en mme temps dire que la colonie du Niger avait une vocation
naturelle soccuper du fleuve qui porte son nom, et que cette vocation ne lui a
t conteste par personne lpoque considre."419
- Lon notera tout dabord quaucune des autorits coloniales, ni celles du Dahomey ni
celles du Niger, nont jamais exclu toute ide de limite la rive. Il sagit dune
affirmation qui nest pas taye par le moindre lment. Bien au contraire, comme la
Rpublique du Bnin la dj montr dans son mmoire et son contremmoire,
complts par les prsentes critures420, la limite a t bel et bien fixe la rive gauche
du fleuve ds la cration du troisime territoire militaire en 1900, et consacre par la
lettre de 1954.
418
CM.N., p. 116-125, par. 3.49-3.69.
419
CM.N., p. 123, par. 3.63.
420
Voir supra, Chapitre III, Section II, par. 3.70-3.140.
118
- Ensuite, dire que le fleuve porte le nom de la colonie du Niger est inexact : cest plutt
le Niger qui porte le nom du fleuve. Est toute aussi inexacte laffirmation selon
laquelle une vocation naturelle "soccuper du fleuve" emporterait titre juridique. Si
lon appliquait la logique nigrienne au fleuve Congo, laquelle des deux Rpubliques
du Congo (Rpublique Dmocratique du Congo et Rpublique du Congo) aurait donn
son nom au fleuve et laquelle des deux aurait "vocation naturelle" soccuper du
fleuve ? Et les exemples pourraient ainsi se multiplier linfini hors de toute
considration juridique.
4.46 Dans son contre-mmoire, la Rpublique du Niger tente de faire valoir que la
colonie du Dahomey "na jamais pos aucun acte dautorit exclusive sur la totalit du bief
fluvial concern par le prsent litige, du moins dans ltat actuel des informations dont
dispose la Rpublique du Niger"421.
4.48 Deux principes dcoulrent de cette situation juridique. Dune part, la libert
de navigation sur le fleuve Niger ; cette navigation fut ouverte toutes les nations par lacte
gnral de Berlin de 1885 puis par le trait de Saint-Germain du 10 septembre 1919. Dautre
part, ladministration du fleuve Niger intervenait pour le compte du gouverneur gnral de
lA.O.F. en son nom et sur dlgation de ce dernier, et non pour le compte des autorits
nigriennes " titre de souverain". La Partie nigrienne ne conteste dailleurs pas que
421
CM.N., p. 116, par. 3.49.
422
CM.N., p. 116, par. 3.50.
423
CM / R.B., p. 60-73, par. 2.73-2.100.
119
ladministration du fleuve Niger tait ralise pour le compte du gouvernement gnral de
lA.O.F. En effet, elle admet explicitement cette administration dlgue, mme si elle
linvoque uniquement pour contester toute porte juridique aux actes dadministration du
fleuve Niger poss par le gouverneur du Dahomey. Elle dclare ce propos : "[o]n sait que
mme les actes que le gouverneur du Dahomey pouvait tre amen poser dans le cadre du
Rseau Bnin-Niger (cr par larrt du 30 novembre 1934 du gouverneur gnral de
lA.O.F.) ntaient pas pris par lui en sa qualit de gouverneur du Dahomey, mais au nom du
gouvernement gnral de lA.O.F., dont il tait le dlgu cet gard"424. Ceci est exact, mais
vaut videmment tout autant pour ce qui concerne les actes du Niger antrieurs 1934.
4.49 La Rpublique du Niger expose galement que "le fait que le service de
navigation fluviale appartenant la colonie du Niger ait t le seul service de navigation
intgr dans le Rseau Bnin-Niger, confirme a contrario que la colonie du Dahomey ne
disposait daucun service propre de navigation sur le fleuve Niger"425. La partie nigrienne
occulte le fait que le service de navigation sur le fleuve Niger fut confi successivement aux
autorits nigriennes de 1919 1934 puis au Dahomey, partir de 1934426. Par ailleurs,
ladministration du fleuve Niger par une colonie plutt que par une autre nimpliquait aucun
acte dautorit de la colonie sur ce fleuve dans la mesure o ce dernier tait plac sous un
rgime dadministration centrale par le biais de loffice du Niger427.
424
CM.N., p.116, par. 3.50.
425
CM.N., p.117, par. 3.50.
426
CM / R.B., p.64, par 2.80.
427
CM / R.B., p.64-66, par. 2.81-2.86.
428
CM.N., p. 118-123, par. 3.55-3.63.
429
CM.N., p. 118, par. 3.56.
120
4.51 La Rpublique du Bnin a dj montr que la gestion de la navigation sur le
fleuve Niger par la colonie du Niger, puis par la colonie du Dahomey nemportait aucune
implication territoriale puisquelle tait exerce pour le compte du gouvernement gnral de
lA.O.F.430. Ds lors, les actes de gestion poss par la colonie du Niger jusquen 1934 nont
pas la porte juridique que tente de leur donner la Partie nigrienne. Lon pourrait mme
ajouter que de tels actes auraient pu tre poss par la colonie anglaise du Nigria et mme par
la colonie allemande du Togo sur le fondement de la libert de navigation sur le fleuve431.
4.52 Parmi les lments deffectivits coloniales, la Partie nigrienne cite les
diffrentes activits de police et de surveillance exerces sur le fleuve. La Rpublique du
Niger mentionne ce titre un rapport du 5 novembre 1908 du capitaine, adjoint au lieutenant-
colonel commandant le territoire militaire du Niger 432, une lettre du 19 avril 1938 du
gouverneur du Niger au gouverneur du Dahomey, relative au parc national du W433 et un
extrait du rapport dune tourne du commandant de cercle de Dosso, effectue du 21 au 28
mars 1944434. Sil est exact que lon peut citer de tels actes dadministration de la colonie du
Niger sur le fleuve, il convient de rappeler que ceux-ci ne relevaient pas de lexercice dune
quelconque prrogative de puissance publique mais dune situation de "dconcentration par
service". De plus, la navigation sur le fleuve tant ouverte toutes les autorits franaises ou
trangres, lexercice deffectivits de lautorit coloniale du Niger sur la rive gauche ne
pouvait valoir emprise de la colonie du Niger sur le fleuve. Enfin, le Bnin peut aussi se
prvaloir deffectivits sur le fleuve partir de 1934. A ce propos, la Rpublique du Bnin
renvoie la Partie nigrienne ses larges dveloppements sur la libert de navigation sur le
fleuve Niger et sur son administration435.
430
CM / R.B., p.70-72, par. 2.94-2.99.
431
CM / R.B. p.61, par. 2.74.
432
CM.N., p. 119, par. 3.59 et annexe C.77.
433
CM.N., p. 119, par. 3.59 et annexe C.94.
434
CM.N., p. 120, par. 3.59 et annexe C.98bis.
435
CM / R.B., p. 60-73, par. 2.73-2.100.
121
2 - LES PRTENDUES EFFECTIVITS POST-COLONIALES
436
CM.N., p. 120, par. 3.59 et annexe C.154.
437
CM.N., p. 121, par. 3.60 et annexe A.64.
438
CM.N., p. 122, par. 3.60 et annexe A.69.
439
CM.N., p. 122, par. 3.61 et annexe A.63.
122
4.55 Enfin, la Rpublique du Niger fait tat de son rle moteur dans la promotion de
la coopration entre les tats riverains du fleuve, pour souligner "la vocation naturelle de la
colonie du Niger soccuper du fleuve"440. Pour tayer son argumentation, la Partie
nigrienne cite les initiatives de coopration intertatique prises par elle441. Elle mentionne
une lettre du Prsident du Niger adresse au premier ministre de la Fdration du Nigria en
date du 20 septembre 1962 ; il sy propose darrter les termes dune convention sur
lutilisation des eaux du fleuve Niger. Cette initiative nigrienne a abouti ladoption de
lacte relatif la navigation et la coopration conomique entre les tats du bassin du
Niger442. Lacte de Niamey a annonc la cration dune institution intergouvernementale
concrtise par laccord relatif la commission du fleuve Niger, la navigation et aux
transports sur le fleuve Niger, conclu le 25 novembre 1964 puis rvis successivement en
1968, 1973 et 1979443.
4.56 Les initiatives prises cet gard par la Rpublique du Niger sont dnues de
toute porte juridique en ce qui concerne la fixation de la frontire.
4.57 Dabord, il convient de souligner que ces initiatives sont, elles aussi,
intervenues au lendemain des indpendances. En consquence, elles nont aucune valeur
juridique au regard du principe de luti possidetis juris, puisque la situation juridique
apprcier est celle davant les indpendances.
440
CM.N., p. 123, par. 3.64.
441
CM.N., p. 123-125, par. 3.64-3.69.
442
CM.N., p.124, par. 3.65 et annexes A.53, A.54, A.55 et A.56.
443
CM.N., p.124, par. 3.66 et annexes A.57 et A.65.
444
CM / R.B., p. 138-142, par. 5.61-5.70. Voir galement R / R.B., annexe 22.
445
Andr Patry, "Le rgime des cours deau internationaux", Annuaire Canadien de Droit
international, 1963, Vol. I, Tome I, p. 174.
123
elles-mmes attributives de comptence territoriale puisquelles sinscrivent dans un esprit de
coopration. Lequel nexclut nullement lexercice par lun des tats riverains (en lespce le
Dahomey, ailleurs, la Guine, le Mali, le Niger ou le Nigria), de la souverainet territoriale
sur une portion du fleuve.
4.59 Enfin, prendre des initiatives pour crer, promouvoir ou animer un cadre de
coopration internationale nest ni source de droit, ni constitutif dun titre territorial. Ces
initiatives illustrent tout au plus lintrt, tout fait lgitime dailleurs, de la Rpublique du
Niger pour le fleuve, lequel intrt se comprend aisment : le fleuve Niger est sa seule voie
daccs la mer et coule par ailleurs en partie titre exclusif sur son territoire en amont de la
confluence avec la rivire Mkrou. Il est ds lors comprhensible que le Niger se proccupe
du sort du fleuve Niger dans sa partie frontalire avec le Bnin. Mais cela ne remet en rien en
cause le fait que cette frontire est fixe entre les deux tats la rive gauche du fleuve Niger.
Cest un des traits les plus constants du droit fluvial international que le rgime de la
dlimitation ne prjuge en rien le rgime de lutilisation des fleuves. Lun et lautre obissent
des logiques diffrentes.
124
Section III
4.61 Les parties en sont daccord : la question de la souverainet sur lle de Lt est
au cur du diffrend446, car elle sest pose depuis laube des indpendances des deux
tats447.
4.62 Le Niger ne peut toutefois invoquer aucun titre sur lle. Il prtend dune part
que les administrations du Dahomey et du Niger auraient plusieurs fois "reconnu"
lappartenance de lle de Lt au Niger448 et que, dautre part, le Niger aurait toujours
administr lle. La revendication nigrienne est ainsi fonde sur un mlange de
reconnaissance et deffectivits, mais ce sont apparemment aux effectivits quil accorde la
porte la plus "cruciale" pour sa thse449. Cest au contraire un aspect secondaire du point de
vue du Bnin, lequel se prvaut dun titre sur lle450, que les effectivits ne peuvent en tout
tat de cause que confirmer451.
4.63 Le Niger semble ne pas en tre conscient. A lire son contre-mmoire, le Bnin
aurait avanc trois arguments au soutien de son titre : le premier, historique, reposerait sur le
fait que lle de Lt a de tout temps relev du royaume dendi, "incarn par le Dahomey" 452 ;
le deuxime, serait fond sur les relations de subordination qui existent entre les Peulhs de
lle et les sdentaires de la rive droite453 ; le troisime et dernier argument serait que lle
aurait de tout temps t administre par le Bnin454.
446
M / R.B., p. 144, par. 6.02.
447
CM.N., p. 139, par. 4.1.
448
CM.N., p. 148, par. 4.10.
449
CM.N., p. 145, par. 4.8.
450
M / R.B., p. 145-160, par. 6.06-6.42.
451
M / R.B., p. 160-168, par. 6.43-6.64. V. ci-dessus, section 1, 2.
452
CM.N., p. 140, intitul du chapitre IV, section 1, A.
453
CM.N., p. 142, intitul du chapitre IV, section 1, B.
454
CM.N, p. 145, intitul du chapitre IV, section 1, C.
125
4.64 Cette prsentation est fallacieuse. Le Bnin a indiqu sans ambigut dans son
mmoire que la preuve la plus importante on peut sans doute ici utiliser le qualificatif
"crucial" de son titre rside dans la lettre du gouverneur du Niger du 27 aot 1954, qui
confirme et prcise la dcision prise en 1900 de confiner le territoire militaire du Niger aux
rgions de la rive gauche du fleuve, en affirmant fermement que, dans la zone stendant de
Bandofay jusqu la frontire du Nigria : "toutes les les situes dans cette partie du fleuve
font partie du Territoire du Dahomey"455. Par cette lettre : "[l]e gouverneur du Niger a affirm
lexistence dun titre territorial du Dahomey sur les les y compris celle du Lt" 456,
confirmant ainsi la dcision prise ds 1900 par larrt du 23 juillet.
4.65 Passant totalement sous silence cette lettre pourtant "cruciale", et lexplication
donne par le mmoire du Bnin sur lorigine de son titre457, le Niger prfre consacrer la
partie de son contre-mmoire relative lle de Lt contester laffirmation, pourtant
minemment secondaire et qui nest quune constatation, selon laquelle le titre bninois peut
tre considr comme ayant renou avec le titre coutumier traditionnel458. Lessentiel des
pages 140 145 du contre-mmoire du Niger y est consacr, comme si le dbat devait porter
sur ce seul aspect.
4.66 Ce nest videmment pas le cas. Dailleurs, le Bnin ne reviendra pas ici sur
lhistoire pr-coloniale - propos de laquelle il apporte les prcisions ncessaires supra459 -
car, en tout tat de cause, le titre dont il se prvaut ne repose pas sur un titre traditionnel460.
Sil considre en effet que son titre "renoue"461 avec le titre traditionnel, il nen demeure pas
moins distinct du titre traditionnel. Il sagit dun titre fond sur les textes coloniaux, tout
particulirement sur larrt du 23 juillet 1900 et sur la lettre du 27 aot 1954, laquelle
confirme et prcise les textes antrieurs.
455
M / R.B., annexe 67.
456
M / R.B., p. 154, par. 6.26.
457
M / R.B., p. 144, par. 6.03.
458
M / R.B., p. 158-160, par. 6.37-6.42.
459
Voir supra, Chapitre I.
460
Voir supra, Introduction, par. 0.11, et Chapitre I.
461
Voir supra, Chapitre I.
126
4.67 Par contraste, aucun texte de cette nature nest avanc par le Niger au soutien
de sa revendication sur lle de Lt. Les seuls lments de "reconnaissance" et
dadministration quil prsente nont par ailleurs ni le sens, ni la porte juridique quil leur
prte (1). En revanche, et contrairement aux affirmations du Niger, ladministration
bninoise de lle est incontestablement tablie aux moments cls de lhistoire coloniale (2).
462
CM.N., p. 148, intitul de la Section 2.
463
CM.N., p. 148, par. 4.10.
464
Ibid.
127
A - Le Dahomey na jamais reconnu lappartenance de lle de Lt
la colonie du Niger
(ii) sur cette base, il a tabli une liste des les avec mention de leur appartenance au
Dahomey ou au Niger, "dans le but unique de dterminer nettement le cas dans lequel des
laisser-passer de pacage doivent tre dlivrs aux Peulhs des deux rives et de dlimiter la
comptence territoriale des tribunaux indignes des deux colonies"467 ;
(iii) il convient donc quil dlivre aux Peulhs de Gaya et de Tanda des laissez-passer
permanents pour les les de Gaya et de Leza (quil attribue au Dahomey), et quil serait
reconnaissant au commandant du secteur de Gun de faire de mme pour les Peuhls de
Madcali qui rsident frquemment dans le groupe dles qui se trouve en face de ce village ;
465
M.N., annexe C.29.
466
M.N., annexes C.32, C.43 et C.44 ; CM.N., p. 149, par. 4.11.
467
M.N., annexe C.29.
128
(v) il estime que cette mise au clair permettra aux commandants des secteurs de Gun
et de Gaya de "rgler plus facilement les diffrentes petites questions qui surgissent
continuellement entre les populations" 468.
4.71 Il convient dobserver que la lettre nindique pas que le Dahomey, travers un
de ses administrateurs, aurait reconnu que ladministration de lle de Lt revenait au Niger.
Il nest pas indiqu que le commandant de secteur de Gun, au Dahomey, aurait pris une
position sur lappartenance des les, ou sur la mthode approprie pour la dterminer. En
1913, le commandant du secteur de Gun aurait certes "cit" un texte Sadoux, voquant
lide que le chenal principal est pertinent aux fins de la dlimitation dans le fleuve Niger,
mais la lettre nindique pas la nature de ce texte, son objet, encore moins son contenu exact, et
pas davantage la faon dont il a t cit ou encore la porte qui lui tait attribue par le
commandant du cercle de Gun.
4.72 En outre et surtout, lauteur de la lettre nindique nullement quil est parvenu
un accord avec ladministration dahomenne quant au contenu de ses propositions, puisquil
souligne quelles pourraient susciter des "observations" du commandant du secteur de Gun,
et donner lieu des "contestations". Dailleurs, aucune trace dune ventuelle rponse du
commandant de secteur de Gun ne figure au dossier fourni la Cour, comme le remarque
juste titre le Niger469. Il nest cependant pas impossible que le commandant de cercle en
question ait adhr la proposition de l'administrateur adjoint Sadoux 470, dans la mesure o
elle visait non pas trancher la question de lappartenance des les - ce ntait clairement pas
son objet -, mais faciliter la rsolution des problmes quotidiens dadministration rencontrs
localement, ce quelle fait, en effet, par la suite, pendant un certain temps.
468
Ibid.
469
CM.N., p. 150, par. 4.11.
470
Voir sur ce point CM / R.B., p. 82, par. 3.124.
471
CM.N., p. 150, par. 4.11.
129
lle de Lt au territoire militaire du Niger. Elle permet en revanche de dterminer clairement
la porte de larrangement conclu en 1914.
"La frontire avec la colonie du Dahomey est constitue par le cours du Niger
du village de Dol (subd. de Gaya) celui de Bengaga (subd. de Dosso)
exclussivement [sic]. Mais le fleuve se divisant en un trs grand nombre de
bras sur tout ce parcours, il aurait t utile de dterminer cette frontire avec
prcision. En effet, les nombreuses les sont trs disputes comme lieu de
pacage par les peulhs des deux rives, et leur attribution lune ou lautre
colonie na pas t faite dune faon dfinitive. En Juillet 1914 le commandant
de Subdivision de Gaya stait concert sur place avec le commandant de
cercle de Kandy, et ils avaient mis des propositions leurs chefs de colonie
respectifs tendant ce que le bras toujours navigable du Niger fut uniquement
pris comme frontire. Quoique ces propositions naient reu aucune
approbation officielle elles ont toujours depuis servi de base au rglement des
contestations qui ont pu slever entre les diffrents groupes peulhs.
Juin et Juillet 1914 Questions des les du Niger aprs parcours des rives et
tablissement du bras toujours navigable (grand bras) un accord provisoire a
lieu entre le commandant de cercle de [K]andy et le commandant de secteur de
Gaya. Ce grand bras est pris comme frontire des deux colonies ce qui entraine
une rpartition des les. Celles de Let entre autres, revient au territoire qui au
contraire ne possde pas celle situe en face mme de Gaya. Il en est rfr aux
chefs de colonie respectifs. Question toujours en suspens."472
(i) dcrit la situation juridique telle quelle tait connue lpoque par les
administrateurs du territoire : la frontire entre le Dahomey et le territoire militaire du Niger
dans la rgion du fleuve ntait pas suffisamment prcise pour permettre de dterminer
lappartenance des les ;
(ii) prsente les "propositions" de partage mises par les administrateurs locaux, tout
particulirement par le lieutenant Sadoux en 1914 : le bras toujours navigable pourrait tre
retenu comme frontire ;
472
Ibid. (italiques ajouts par le Bnin).
130
(iii) indique que ces propositions nont pas reu dapprobation officielle ; et
(v) indique que les propositions de 1914 sont considres comme marquant un "accord
provisoire", qui depuis lors a servi de base au rglement des contestations qui ont pu slever
entre les diffrents groupes peuhls.
4.76 Cet accord provisoire a un effet juridique inverse de celui que le Niger prtend
lui attribuer. Il ne constitue manifestement pas reconnaissance par le Dahomey de
lappartenance de telle ou telle le au Niger. Il consacre tout au contraire le caractre disput
et non rsolu de la question aux yeux des administrateurs locaux, question propos de
laquelle les autorits nigriennes soulignaient sans ambigut en 1917 quelle tait "toujours
en suspens". En outre, lexistence de cet accord provisoire, qui sera plus tard qualifi de
modus vivendi par le commandant de cercle de Niamey dans une lettre du 27 juillet 1925473,
tablit incontestablement que la pratique des administrations locales mise en uvre par la
suite sous couvert du modus vivendi ne peut avoir la porte deffectivits coloniales. Car cette
pratique repose exclusivement sur laccord provisoire, qui lui-mme postule que la question
de lappartenance des les demeure "en suspens".
473
CM.N., annexe C.42, dernire page de lannexe.
474
M.N., annexes C.35 et C.36.
475
M.N., annexe C.38.
476
M.N., annexe C.39.
477
M.N., annexe C.42.
478
CM.N., p. 154-155, par. 4.15-4.16 ; M.N., annexes C.43, C.45, C.46, C.57, C.59 et C.67.
131
larges passages ont t tout simplement recopis dans le contre-mmoire479. Le Bnin a dj
analys ces documents dans son propre contre-mmoire480, et se bornera donc ici souligner
quils ne soutiennent pas la thse du Niger selon laquelle le Dahomey aurait reconnu
lappartenance de lle de Lt au Niger :
479
Voir CM.N., p. 151-155, par. 4.13-4.16, et M.N., p. 182-188, par. 2.3.72-2.3.76.
480
CM / R.B., p. 141-144, par. 3.17-3.23.
481
R / R.B., annexe 5.
132
"au Nord : le Niger avec les les de Madcali, de Lt au Nord et Nord-Ouest la
rivire Mkrou lOuest la Mkrou jusquau village de Gbassa ; au Sud-
Ouest "482.
4.79 Le Niger croit enfin pouvoir sappuyer sur lannexe la lettre du 9 septembre
1954 du commandant du cercle de Kandi au commandant de cercle de Dosso483. Cette annexe,
qui prsente le rsultat dune enqute en cours, indique propos de lle de Lt : "le bras
principal tant ct Dahomey, appartient au Niger, mais la coutume veut quelle soit occupe
par les gens du Dahomey"484.
(ii) le chef du territoire du Dahomey souhaite tre fix sur lappartenance des les du
fleuve. Il a fait savoir au commandant de Kandi que : "pour lavenir il serait intressant que
vous madressiez pour cette portion de fleuve la liste des les dont la proprit risque
dentrainer des litiges, pour me permettre de rgler une fois pour toute avec le Niger, que je
saisirai de la question, ce problme de dlimitation de la frontire"485.
(iii) le chef lieu est "dans la plus grande ignorance de la question", mais a procd
une enqute sur place, dont le rsultat est en annexe,
482
Ibid.
483
CM.N., p. 155, par. 4.16 ; M.N., annexe C.59.
484
Ibid.
485
Ibid.
133
4.81 Le gouverneur du Dahomey indiquait donc une date videmment antrieure
la fin du mois daot 1954, mois au cours duquel laffaire a t rgle dfinitivement ,
dune part quil considrait que la question de lappartenance des les ntait pas rgle,
dautre part quil entendait saisir lui-mme son homologue du Niger sur la question. Et la
lettre du commandant de cercle de Kandi, indiquait quil tait dans la plus grande ignorance
de la question, mais souhaitait travailler de concert avec son homologue du Niger sur le sujet.
Dans ces conditions, il est manifestement impossible de voir dans ce courrier une quelconque
reconnaissance par le Dahomey de lappartenance de lle au Niger.
4.83 Le Niger invoque dans son contre-mmoire une srie dlments censs valoir
effectivits486. Ils sinscrivent, de faon disperse, dans une priode de temps stendant de
1900 jusquaux annes 1950. Ni isolment, ni ensemble, ces lments ne sauraient dvelopper
les effets attachs aux effectivits, quils appartiennent la priode antrieure 1914 (1), ou
quils lui soient postrieurs (2). En outre, et surtout, le Niger ninvoque aucune effectivit qui
soit postrieure la lettre de 1954 (3).
4.84 Deux lments dont la date est antrieure au modus vivendi de 1914 sont
invoqus, lun de 1900, lautre stendant sur les annes 1906 et 1907.
4.85 Le premier est un document datant du 11 dcembre 1900. Il sagit dun registre
intitul "Cration et organisation du cercle du Djerma - Liste des secteurs, cantons, villages,
486
CM.N., p. 156-174, par. 4.17-4.29.
134
races, etc"487. Le Niger souligne quil fait mention de "Letay" parmi les groupements peuhls
du cercle du Djerma488, et en tire la conclusion, que "le village de l'le de Lt a toujours fait
partie du territoire du Niger"489. Pourtant, il est clair que ce document dissocie lieux et
groupements. On observe par exemple que Gaya apparat au titre des villages du canton de
Gaya, mais aussi, indpendamment, en tant quappellation dun groupement peuhl. Ds lors,
la mention de Letay comme groupement peuhl, supposer quil faille comprendre Lt, ce
qui nest pas tabli490, ne signifie pas quun village nomm Letay ou Lt, situ sur lle de
Lt, soit sous administration nigrienne.
4.86 Le second lment antrieur 1914 invoqu par le Niger est un jugement du 6
novembre 1906, mettant en cause la vente de deux enfants de Madame Kobo, rsidant
Kouassi, au Niger491. Lun des enfants a t vendu par un Nigrien de Kouassy, un autre
Nigrien rsidant Tanda, au Niger. Lautre enfant a t vendu par un autre Nigrien de
Kouassy un berger peuhl habitant en brousse, M. Yoro, dont il est indiqu quil est n
Lt.
4.87 Dans la relation des faits que ralise le tribunal du cercle de Djerma, il est
indiqu que Madame Kobo se serait rendue Karimama, puis Kandi, pour porter plainte,
492
mais quelle fut renvoye au tribunal du cercle de Djerma sigeant Niamey . Le tribunal
nigrien ne prend pas position sur ces faits, et se borne reproduire sur ce point la dclaration
de la requrante..
487
CM.N., annexe C.72.
488
CM.N., p. 156, par. 4.18.
489
CM.N., p. 157, par. 4.18.
490
Le doute est dautant plus permis que sur la carte produite par le Niger dans son mmoire en
annexe D.9, le village de "Ltay" apparat lest de Kandi, en plein territoire dahomen, c'est--
dire dans une zone sans aucun lien avec lle de Lt.
491
CM.N., p. 165-166, par. 4.25, et annexe C.75.
492
CM.N., annexe C.75.
135
juridiction"493. Le Bnin na trouv aucune trace dans ses archives de la requte de Madame
Kobo. Il na pas davantage trouv dacte ou de trace quelconque dune prise de position des
autorits dahomenne sur la comptence territoriale des tribunaux nigriens dans une affaire
criminelle concernant le village de Lt. Les seules pices verses au dossier sont nigriennes,
et sont constitues par les seules dclarations de la requrante aux tribunaux nigriens. Cest
donc de ces dclarations, et delles seules, que lon peut essayer de comprendre la faon dont
les choses se sont passes.
4.90 Il nest ds lors pas tonnant que, faute de disposer de ces lments, lon nait
pas, au Dahomey, considr avoir la possibilit de traiter laffaire dans ltat o elle se
prsentait initialement. La totalit des personnes dont on pouvait alors penser quelles taient
concernes taient sous ladministration du territoire du Niger, quil sagissent des personnes
chez qui les enfants avaient disparu, lun et lautre de Kouassy, de la plaignante, rsidant
Kouassy, et galement des enfants disparus. Il est dailleurs vrai dire totalement
493
CM.N., p. 166, par. 4.25.
494
CM.N, annexe C. 76.
495
Ibid.
136
incomprhensible que la requrante ne se soit pas adresse demble aux autorits
nigriennes.
4.92 Toute action conduite par une administration en rapport avec un territoire nest
pas ncessairement constitutive dune effectivit. Pour valoir effectivits, et pouvoir servir de
fondement une prtention de souverainet, ou de possession, encore faut-il que les actions
allgues prsentent certaines qualits.
"une prtention de souverainet fonde, non pas sur quelque acte ou titre en
particulier, tel quun trait de cession, mais simplement sur un exercice continu
dautorit, implique deux lments dont lexistence, pour chacun, doit tre
dmontre : lintention et la volont dagir en qualit de souverain, et quelque
manifestation ou exercice effectif de cette autorit.
Une autre circonstance, dont doit tenir compte tout tribunal ayant trancher
une question de souverainet sur un territoire particulier, est la mesure dans
laquelle la souverainet est galement revendique par une autre Puissance"497.
496
M.N., annexes C.29 (italiques ajouts par le Bnin).
497
C.P.J.I., srie A/B n 53, p. 45-46.
137
4.94 Cette jurisprudence, qui met laccent sur lintention qui motive lacte considr
comme tant une effectivit, na pas t dmentie depuis lors. Dans laffaire du Diffrend
frontalier (Burkina/Mali), la Chambre a dailleurs voqu comme pertinentes des "effectivits
susceptibles de prouver les intentions des administrateurs coloniaux"498.
4.96 Au bnfice de cette remarque, et bien quelle suffise rpondre tous les
arguments du Niger quant ce quil prsente comme des effectivits, le Bnin analysera
chacun des lments prsents par le Niger. Il apparat quils se classent dans trois catgories :
ceux qui ne dmontrent aucun acte dadministration (a), ceux qui ne dmontrent aucun acte
dadministration territoriale (b), et ceux qui sont manifestement dnus de toute pertinence
dans le cadre de la prsente instance (c).
4.97 Les effectivits sont des actes dautorits exercs par un tat, qui attestent de
son emprise sur un territoire. Or le Niger met en avant des faits qui ne sont pas des actes
dautorit, et qui sont par consquent bien loin de ressembler des effectivits.
498
C.I.J., arrt du 22 dcembre 1986, Rec. 1986, p. 586, p. 620, par. 124 ; voir aussi la jurisprudence
voque dans le contre-mmoire du Bnin, p. 61, note 251.
138
4.98 Dans cette optique, le Niger se prvaut davoir assur une "surveillance
sanitaire du cheptel" qui se trouve sur lle de Lt499. Or, en dehors de la correspondance de
1916500 relative lpidmie de peste bovine et pripneumonie qui svissait dans la rgion,
quil voque nouveau dans son contre-mmoire alors quil en faisait dj tat dans son
mmoire501, le dossier prsent sur ce point par le Niger montre seulement que le chef de la
subdivision de Gaya a t rendre visite "au village de Peuhls semi-sdentaires de Lt et
Kouentza"502, pour leur parler "de la vaccination dfinitive des animaux qui sera pratique
prochainement Gaya"503. On ny verra certainement pas un acte dadministration marquant
lappartenance de lle de Lt au Niger, mais seulement un incitation donne des peuhls
considrs comme relevant de Gaya faire vacciner leurs btes dans cette mme localit,
c'est--dire en territoire incontestablement nigrien
499
CM.N., p. 164, g), et par. 4.24.
500
M.N., annexe C.39.
501
CM.N., p. 150, par. 4.11. Voir aussi M.N, p. 181-182, par. 2.3.70, et CM / R.B, p. 141, par. 3.15.
502
CM.N., annexe C.93.
503
Ibid.
504
CM.N., p. 157, par. 4.18.
505
CM.N., p. 163-164, par. 4.22-4.23.
139
4.101 Il est vrai que, comme le soutient le Niger, le commandant de cercle de Dosso
a marqu un certain intrt pour les rniers de lle de Lt, dans un rapport de tourne de juin
1944506. Ce document rvle deux choses que le Niger omet soigneusement de noter. La
premire est que son auteur, le commandant de cercle de Dosso, aurait en principe d raliser
sa tourne "de concert avec le Commandant de cercle de Kandi". Retenu par des obligations
de service, ce dernier na pu accompagner son homologue, de sorte que le fonctionnaire de la
colonie du Niger a d remplir sa mission accompagn de personnels dahomens moins
grads, savoir un interprte et deux gardes de cercle, mis sa disposition par Kandi. Quoi
quil en soit, la mission avait t planifie pour tre mixte, ce quelle avait finalement t. Le
Niger ne peut donc videmment pas tirer argument de cette tourne pour justifier dactes
dadministration exclusivement nigriens sur lle de Lt susceptibles de valoir effectivits.
Le second lment retenir de ce document est quil ne fait que prononcer une apprciation
sur le repeuplement de lle en rniers. Son auteur se borne en effet indiquer que "Le
peuplement de rniers de lle de Lt commence se reconstituer et si on le prserve contre
toute coupe pendant une vingtaine dannes, il redeviendra ce quil tait autrefois". Il ny a
rien l qui vaille acte dautorit. Dautant moins que, comme les documents voqus dans les
paragraphes suivants en attestent, la recommandation du commandant de cercle de Dosso ne
fut suivie daucun effet, puisque lexploitation des rniers de lle continua bon train.
506
CM.N., annexe C.99.
507
CM.N., annexe C.100.
140
autorits de la colonie du Niger avaient parfaitement conscience que le Dahomey disposait de
la comptence, comme en tmoigne le rapport de tourne de juin 1944 voqu supra 508.
4.104 Cest dans ce contexte quil faut comprendre les trois documents de lannexe
C.107 du contre-mmoire du Niger513. Ces documents, qui se prsentent comme des "copies
conformes" signes par le chef de cabinet probablement du gouverneur du Niger -, dats du
24 dcembre 1946, sont censs reproduire des documents par lesquels "Toby", aurait autoris
"Monsieur Dejean, Commerant Niamey" "Monsieur Pau, Commerant Niamey", et
"Monsieur le Prsident de la Cooprative Indigne", "couper [des] rniers dans la rgion de
lle de Lt, face Ouna". Ces autorisations ne prouvent videmment pas que lle de Lt ait
t administre " titre de souverain" par le Niger puisque, comme indiqu au paragraphe
prcdent, ce nest que parce que, et dans la mesure o, le Dahomey avait autoris le Niger
508
Voir supra, par. 4.94.
509
CM.N., annexe C.105.
510
CM.N., p. 164, par. 4.23.
511
CM.N., annexe C.105 italiques ajouts par le Bnin.
512
Sur le fait que lexploitation des rniers de lle ncessitait laccord des autorits dahomennes,
voir aussi M / R.B., annexe 132.
513
CM.N., p. 164, par. 4.23.
141
exploiter des rniers se trouvant sur son territoire, que ce dernier se livrait de telles
oprations.
4.106 Le Niger fournit des lments qui semblent montrer quil a exerc une certaine
autorit lgard de Peuhls dont il indique quils auraient rsid sur lle de Lt. Avant
dexaminer chacun de ces lments, il faut souligner qu lpoque coloniale ladministration
des groupes Peuhls dans la rgion relevait dune approche ethnique, et non territoriale. Cest
notamment ce quindique le commandant du cercle du Moyen-Niger, dans un rapport
adress au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 21 juin 1925. Evoquant le comportement des
Peuhls, il indique :
"Je les ai invits abandonner leur attitude actuelle dindiscipline et leur ai dit
que sils taient incapables de se porter garants de la loyaut de leurs
commettants, il me serait facile dorganiser, non une administration base sur
le principe ethnique mais une organisation base sur le principe territorial avec
contrle et surveillance de leurs actes par les chefs sdentaires baribas"514.
514
R / R.B., annexe 6, p. 9.
142
4.107 Lapproche particulire quavait lautorit coloniale de la question des Peuhls
est confirme par un rapport du 25 avril 1919 tabli par linspecteur adjoint des colonies
relatif aux "faits constats par la vrification et observations de linspecteur adjoint des
colonies sur le cercle du Moyen-Niger"515. Il indique que lle de Lt est considre comme
tant sans conteste au Dahomey et rattache au cercle du Moyen-Niger516. Il observe par
ailleurs que, parmi les "races" que lon peut trouver dans ce cercle, figurent :
4.108 Le Niger ne saurait donc se prvaloir dactes quil aurait pris lgard des
Peuhls au soutien dune quelconque revendication territoriale. Cest pourtant ce quil fait. Il
sappuie dabord cet gard sur le document figurant en annexe C.88 de son contre-mmoire,
quil prsente comme tant la "liste des villages ou emplacements des groupements, chefs et
populations par cantons pour le secteur de Gaya en 1932"518.
515
R / R.B., annexe 5.
516
Voir supra, par. 4.78.
517
Ibid.
518
CM.N., p. 156, par. 4.18.
143
4.110 Mais ce ne sont pas ces pages l sur lesquelles se fonde le Niger ; cest sur la
dernire. Cette dernire page prsente les "emplacements, chefs et populations peulhs". Elle
mentionne "Lt" comme emplacement de deux groupements peulhs519, mais sont galement
mentionns comme des emplacements de groupements peulhs, Tanda, Gaya, ou encore Bara.
Il est manifeste que ces mentions ont vocation faire tat non pas des lieux sous
administration nigrienne ce serait incohrent dans la mesure o Tanda, Gaya et Bara sont
dj mentionns comme tels trois pages avant -, mais de groupes de peuhls considrs comme
tant sous administration nigrienne. Il sagit donc l dun "recensement ethnique", avec
indication des lieux de recensement des groupements Peuhls, lesquels peuvent aussi bien tre
en territoire considr comme nigrien (Tenda, Gaya, Bara) et mentionns comme tels, quen
territoire non nigrien, comme cest le cas de lle de Lt. Ce document, comme tous les
autres reprenant les mmes formules, ne saurait donc dmontrer aucune administration
territoriale par le Niger de lle de Lt. Dautant quen 1932 le modus vivendi de 1914 guidait
probablement encore la conduite de certains administrateurs locaux.
519
Ibid., et CM.N., annexe C.88.
520
CM.N., p. 163, par. 4.22.
521
CM.N., p. 169, par. 4.26.
522
M / R.B., p. 161-162, par. 6.47-6.49.
144
dailleurs le Niger523. Et, en fait, les actes dautorit du Niger nont t exercs qu lgard
des peuhls nigriens rsidant sur lle, lexclusion des Dahomens de Karimama ou de
Goroubri sy trouvant galement. Contrairement ce quaffirme le Niger, ces oprations
nont donc en rien port sur lle de Lt en tant que telle, mais ont toujours exclusivement
vis les groupements peuhls qui y sont tablis. Il est par suite impossible de voir, dans aucun
des documents relatifs aux recensements et aux oprations lectorales sur lesquels sappuie le
Niger, ni laffirmation dune autorit territoriale sur lle de Lt, ni laffirmation dune
acceptation, par le Dahomey, dune telle autorit.
4.114 Il sagit dabord des "Rle dimpts de la taxe sur le btail des Peulhs
nomades" de 1925524, 1927525, 1928526, 1930527, 1932528 1935 529, 1936530. Le Niger entend en
faire un argument fort de sa thse, en dduisant que lautorit fiscale de la colonie du Niger
sappliquait aux habitants de lle de Lt531. Mais il oublie un peu trop vite que cette autorit
sappliquait, selon les termes mmes des documents quil invoque, sur le btail "des Peuhls
nomades"532. Il sagit par consquent incontestablement dun impt frappant des personnes ou
leurs biens en raison de leurs attaches personnelles avec le Niger, et non en raison de leur lieu
dimplantation territoriale, au demeurant susceptible de varier. Ds lors que les Peuhls sont
officiellement qualifis de "nomades" au titre de limpt qui les frappe, il est clair que le fait
quils rsident par moment sur lle de Lt nest ni la cause, ni la condition de cet impt, dont
523
CM.N., p. 144, par. 4.7.
524
CM.N., annexe C.82.
525
CM.N., annexe C.84.
526
CM.N., annexe C.85.
527
CM.N., annexe C.86.
528
CM.N., annexe C.87.
529
CM.N., annexe C.90.
530
CM.N., annexe C.92.
531
CM.N., p. 159, par. 4.19.
532
Italiques ajouts par le Bnin.
145
il nest dailleurs jamais prtendu quil aurait frapp toutes les populations de lle de Lt, ce
qui, en tout tat de cause, na jamais t le cas.
4.115 Par ailleurs, pour soutenir quil aurait constamment peru les droits de pacage
sur lle de Lt, le Niger voque "le rapport trimestriel du chef de subdivision de Gaya du 4
mai 1951"533, dans lequel il est indiqu que, sagissant de lorganisation de la perception du
pacage, les peuhls de Gaya auraient entendu tre rattachs au Niger, et que "le Commandant
de cercle de Kandi inform de cet tat de chose a dclar que les les ne lintressaient pas et
que le pacage ne serait prlev que sur le territoire dahomen"534.
4.117 Quant lassentiment donn par le commandant de cercle de Kandi, qui aurait
indiqu ne pas tre intress par les les, on peut srieusement douter quil ait emport la
moindre consquence, ou mme quil ait t donn dans les termes rapports par le rapport
trimestriel du chef de subdivision de Gaya de 1951. Il est significatif cet gard que ledit chef
de subdivision de Gaya nait mme pas voqu cet assentiment dans sa lettre du 20 juin 1955,
alors mme quil entendait y dmontrer, toutes preuves disponibles lappui, que le Dahomey
navait aucun titre exercer son autorit sur lle de Lt535.
533
M.N., annexe C.56. Il s'agit en fait d'un bulletin mensuel du chef de subdivision de Gaya.
534
CM.N., p. 160-161, par. 4.20.
535
M.N., annexe C.64.
146
c) Les documents qui ne sauraient valoir preuve deffectivits
4.118 Le Niger fait grand cas et reproduit in extenso dans le texte de son contre-
mmoire un "relev effectu par le chef de circonscription de Gaya, Ousmane Toudou, le 14
janvier 1964, intitul "relevs des impts pays par les groupements peuhls Lt nord et sud
pendant les annes ci-dessous"536. Cette liste dimpts, qui nest accompagne daucune lettre
ou commentaire de son auteur, a t tablie en janvier 1964, une poque o la question de la
souverainet sur lle de Lt avait dj conduit de graves crises entre le Niger et le Bnin.
Dailleurs, la date du relev effectu par lagent nigrien, la crise doctobre 1963, qui na
trouv son dnouement quen mars 1964, tait en cours537. Le Bnin estime que ce document
ne prsente donc aucune fiabilit, et ne saurait par consquent tre considr comme un
lment de preuve dans linstance en cours.
4.119 En tout tat de cause, supposer mme que son contenu puisse tre pris en
compte quod non , il faudrait encore observer quil manque totalement de crdibilit tout
autant dailleurs que les autres documents censs attester lemprise "fiscale" du Niger sur lle
de Lt. Les sommes indiques dans les divers documents comme tant verses par les
groupements Peuhls de lle de Lt au titre de limpt sont simplement inexplicables.
4.120 Selon un document produit par le Niger, limpt pay par les Peuhls de Lt
sud en 1923 se serait lev 824 F538, tandis que, pour un autre, en 1928, ce chiffre aurait t
ramen 200 F539. Le chiffre aurait donc t divis par quatre en cinq ans, ce qui est
totalement inexplicable. Pour Lt nord, il serait pass de 1.429 F en 1923540, 685 F en
1928541. Donc une division par quatre en cinq ans, tout aussi inexplicable.
4.121 Ces aberrations sexpliquent dautant plus mal que les chiffres avancs par les
documents du Niger ne gagnent pas en cohrence pour ce qui concerne les annes 1930. Selon
536
CM.N., p. 157-158, par. 4.19 et annexe C.151.
537
Voir sur ce point R / R.B., p. 9, par. 0.20.
538
CM.N., annexe C.151.
539
CM.N., annexe C.85.
540
CM.N., annexe C.151.
541
CM.N., annexe C.85.
147
un document produit par le Niger, limpt pay par Lt sud en 1932 aurait t de 357 F542,
mais, selon un autre document, il serait remont 1.232 F lanne daprs543. Soit une
multiplication de limpt par quatre dune anne sur lautre. De mme, Lt nord aurait vers
616 F en 1932544, mais 2.414 F en 1933545. L encore une multiplication par quatre. Ces
contradictions sont totalement inexplicables. Elles dmontrent quaucun crdit ne peut tre
accord auxdits documents.
4.123 Quant ses arguments pour la priode postrieure la lettre daot 1954 et
antrieure lindpendance, supposer mme que, pour les besoins de la discussion, lon
admette quils prouvent des effectivits, elles seraient manifestement contraires au titre du
Bnin tel quil a t incontestablement confirm par la lettre du 27 aot 1954, et par
consquent sans effet pour la dtermination de la souverainet sur lle.
4.124 Ces arguments tiennent dabord dans laffirmation selon laquelle "lle de Lt
a t automatiquement incluse dans lassise des bureaux de vote du Niger"547. Or il ressort des
affirmations mme du Niger que les bureaux de vote ont t installs non pas dans lle, mais
Adiga Lele548. Il ne sagit donc pas dun procd marquant ladministration nigrienne de
lle, mais dun mcanisme permettant aux ressortissants nigriens installs dans lle daller
voter au Niger. Ce nest pas un acte dadministration de lle.
542
CM.N., annexe C.87.
543
CM.N., annexe C.151.
544
CM.N., annexe C.87.
545
CM.N., annexe C.151.
546
CM.N., p. 157, note 485, CM.N., annexe C.160 ; CM.N., p. 159, note 495, CM.N., annexe C.155 ;
voir aussi CM.N., p. 169, par. 4.27.
547
CM.N., p. 169, par. 4.26.
548
CM.N., p. 157, par. 4.19, et annexe C.151.
148
4.125 Le Niger soutient galement que les "chefs de groupements peuhls rsidant
Lt payaient limpt collectif annuel Gaya"549, notamment de 1954 1964, si lon en croit
le tableau sur lequel il sappuie cet gard550. L encore le Bnin met les plus vives rserves
lgard de ce document551, mais, supposer quil soit pertinent, il convient ici encore de
constater quil fait rfrence un impt frappant non pas les rsidents de Lt, mais les
groupements peuhls considrs par le Niger comme relevant de son administration. Il ne
sagit pas dun acte relatif un territoire, mais des groupements de nationaux nigriens, qui
ne saurait, par suite, valoir effectivit. Il convient dailleurs de noter qu lpoque limpt
pratiqu dans la rgion tait un impt de capitation, qui tait un impt personnel.
4.126 A cet gard, lerreur dlibre commise par le Niger, dont le contre-mmoire
prtend quil a dmontr que "lautorit fiscale de la colonie du Niger sappliquait aux
habitants de Lt" ne saurait faire illusion : lautorit fiscale dont il se prvaut ne sappliquait
pas aux habitants de lle, mais bien un groupement nomade individualis et reconnu
comme tant soumis ladministration nigrienne.
549
CM.N., p. 158, par. 4.19.
550
CM.N., p. 157-158, par. 4.19 et annexe C.151.
551
Voir supra, par. 4.121.
552
CM.N., p. 165, par. 4.24.
553
Voir supra, introduction, par. 0.10.
554
M / R.B., annexe 70.
149
4.128 Le Niger voque enfin le procs pnal qui a suivi les incidents du 29 juin 1960
Lt555. Les faits se sont produits sur lle de Lt et le Niger se prvaut du fait que le juge
dinstruction de Niamey sest saisi de laffaire, et a adress une commission rogatoire au juge
de Kandi556, pour prtendre dmontrer lexercice dune autorit judiciaire nigrienne sur lle.
Un regard sur les deux documents sur lesquels cet argumentaire est fond montre quil ne
saurait tre ici question deffectivits.
4.129 Le premier document est une lettre du directeur des affaires intrieures du
gouvernement du Dahomey adresse le 30 juin 1960 au procureur de la Rpublique prs le
tribunal de premire instance de Cotonou. Pour le Niger, ce texte donne instruction au tribunal
de Kandi de refuser de donner suite la demande du procureur de Niamey sur la base du
principe quen matire dextradition, un tat ne livre pas ses nationaux557. Cest totalement
inexact. La lettre indique :
"A supposer que lle de LETE soit en territoire nigrien (ce qui est controuv
par la correspondance officielle change ce sujet), il nen reste pas moins,
par application de larticle 5 alina 1er du Code dInstruction Criminelle Local,
que, sagissant dun crime, les dahomens auteurs de ce crime peuvent tre
poursuivis et jugs au Dahomey, alors surtout quils sont domicilis au
Dahomey. Au surplus et selon une rgle universellement respecte en matire
dextradition, un tat ne livre pas ses nationaux"558.
555
CM.N., p. 167, par. 4.25.
556
Ibid.
557
Ibid.
558
CM.N., annexe C.143.
150
4.131 Au demeurant, lautre document avanc par le Niger confirme que laction
judiciaire nigrienne dans cette affaire ne prouve rien. Il sagit dune lettre du ministre de la
justice nigrien adresse au premier ministre du Dahomey, en date du 13 juillet 1960, dans
laquelle on lit, outre le rappel de la dmarche engage par le juge dinstruction de
Niamey juste aprs les faits, que :
4.132 Il est donc clair que les autorits du Niger elles-mmes considraient
lpoque que la question de lle de Lt tait lobjet dune controverse non rgle ce qui
tait videmment faux depuis la lettre du 27 aot 1954. Ceci interdit bien videmment de
regarder lacte du juge dinstruction du tribunal de Niamey comme manifestant un acte
dadministration sur lle susceptible de valoir effectivit. Dailleurs, mme sil en allait
autrement, cest en tout tat de cause le titre bninois sur lle qui est seul dterminant de
lappartenance de lle.
4.133 Le Bnin se prvaut dun titre sur lle de Lt. Le Niger nen dit pas un mot
dans la partie de son contre-mmoire consacre lle de Lt, et par consquent le Bnin y
reviendra (A), avant de prciser les lments deffectivits qui confirment son titre (B).
559
M.N., annexe C.66.
151
aot 1954 qui, en mettant un terme toute discussion sur lappartenance de lle de Lt au
Dahomey, constitue un titre territorial indiscutable560.
4.135 Il convient seulement de rappeler que cette lettre, crite par le gouverneur du
Niger le 27 aot 1954, spcifie de faon dfinitive, sagissant de la zone frontalire stendant
de Bandofay la frontire avec le Nigria, que : "toutes les les situes dans cette partie du
fleuve font partie du Territoire du Dahomey"561.
4.136 Les archives du Bnin ne sont pas dune qualit suffisante pour permettre den
extraire aisment les invitables actes dadministration du Dahomey sur lle de Lt562. Cest
pourquoi le mmoire du Bnin stait attach produire des tmoignages, qualifis de
sommations interpellatives563. Le Niger en remet systmatiquement en cause la porte dans
lannexe II son contre mmoire. Bien que le Bnin ne fonde pas sa thse sur largument
deffectivits, il convient dobserver que les critiques du Niger sont trs excessives.
4.137 Le Niger prsente dabord des arguments tendant dnier toute valeur
probante aux sommations interpellatives dans leur globalit564. Pour sa part, le Bnin
considre que ces tmoignages sont susceptibles dclairer certains faits datant de la priode
coloniale, et sen remet la Chambre de la Cour pour dterminer dans quelle mesure.
4.138 Bien que contestant systmatiquement les tmoignages, le Niger admet que "la
bonne foi des tmoins nest pas ncessairement en cause. Ils peuvent avoir t trahis par une
mmoire dformante "565. Cest galement lavis du Bnin, qui a bien videmment
reproduit les ventuelles erreurs commises par les interpells telles quelles avaient t
prononces.
560
Voir supra, par. 3.47-3.49.
561
M / R.B., annexe 67.
562
V. supra, par. 0.15-0.19.
563
M / R.B., p. 166-167, par. 6.60.
564
CM.N., p. 208-212.
565
CM.N., annexe II, p. 213, par. 9.
152
4.139 Mais certaines mmoires sont injustement juges dfectueuses par le Niger. On
en prendra quelques exemples significatifs.
4.142 Il doit aussi tre observ que si les mmoires des tmoins peuvent tre
dfectueuses sur tel ou tel point prcis, par exemple sur les dates de certains faits, ou les noms
de certains protagonistes, il nen demeure pas moins que lessentiel du fait relat par le tmoin
de bonne foi doit tre considr avec intrt.
566
Ibid.
567
CM / R.B., annexe 20, p. 217 et 221.
568
CM.N., annexe II, p. 214, par. 9.
153
4.143 Cest ce que lon peut penser du tmoignage de M. Boumi Moussa569. Sil est
imprcis, comme le relve le Niger570, sur les noms et les dates, il demeure exact quant au
fond, savoir que pour couper des rniers sur lle de Lt, les administrateurs du Niger
devaient disposer dune autorisation dahomenne571.
4.144 Outre les lments deffectivit prsents dans son mmoire, le Bnin a produit
dautres preuves de leffectivit de son administration de lle dans son contre-mmoire. Il
nest sans doute pas utile den reprendre ici lexpos alors mme que le Niger na pas encore
eu loccasion de sexprimer leur gard. Le Bnin prie donc les Juges de la Chambre de bien
vouloir sy reporter572.
4.145 Peuvent encore tre voques les trs utiles prcisions historiques apportes par
lhistorien Nassirou Bako-Arifari, de luniversit dAbomey Calavi. Selon lhistorien, durant
la priode coloniale, les Peuhls de Lt ayant des attaches avec la rive droite du fleuve, et en
particulier Goroubri, taient sous linflence dun chef du nom de Koudjirou, lequel payait un
impt colonial au chef de village de Goroubri. Il crit :
569
M / R.B., annexe 132.
570
CM.N., annexe II, p. 214, par. 9.
571
Voir supra, par. 4.103.
572
CM / R.B., p. 144-147, par. 3.24-3-29.
573
R / R.B., annexe 26, p. 18.
154
4.146 Le mme auteur prcise que les autorits de Karimama percevaient elles aussi
des taxes sur les activits de pche sur lle de Lt :
4.148 En fait, avant mme cette lettre, les autorits locales dahomennes affirmaient
clairement leur emprise sur les les du fleuve, comme le reconnaissait expressment
ladministration de Gaya. Cest ce qui ressort trs clairement de la lettre du 23 juillet 1954 du
chef de la subdivision de Gaya adresse au gouverneur du Niger sous couvert du commandant
de cercle de Dosso :
4.149 Cest en rponse cette affirmation que le gouverneur du Niger a indiqu, dans
la lettre du 27 aot 1954, que "toutes les les situes dans cette partie du fleuve font partie du
Territoire du Dahomey"576. Ces lments attestent la fois dune affirmation dautorit
dahomenne sur lle de Lt, laquelle constitue effectivit, et dune reconnaissance par le
Niger de lappartenance de lle de Lt au Dahomey.
574
Ibid., p. 20-21.
575
CM.N., annexe C.120 - italiques ajouts par le Bnin.
576
M / R.B., annexe 67.
155
4.150 Par la suite, il peut encore tre not au titre des effectivits que le 23 mai 1955
le poste administratif de Malanville se mettait en position de percevoir les droits de pacage sur
les troupeaux en transhumance sur lle de Lt577.
4.151 Finalement, aucun des lments prsents par le Niger dans son contre-
mmoire
(ii) ne prouve lexercice par le Niger, durant la priode coloniale, dune administration
de lle de Lt en tant que telle.
En revanche, aux moments cls de la priode coloniale, c'est--dire tant son commencement
et que dans sa phase terminale :
577
M.N., annexe C. 63.
156
CHAPITRE V
5.2 Il ne semble pas ncessaire de revenir, cet gard, sur l'assertion nigrienne
selon laquelle la limite au thalweg aurait fait l'objet d'une "identification" et d'une
"conscration". Comme le Bnin l'a montr dans le chapitre prcdent578 :
5.3 Celle-ci consacrant la limite la rive gauche du fleuve, il suffit bien plutt de
s'interroger sur le trac prcis de la frontire (section I) et sur les points d'aboutissement de
celle-ci l'est et l'ouest dans le secteur du fleuve Niger (section II).
578
V. not. les par. 4.50-4.52.
579
CM.N., p. 126, par. 3.73.
158
Section I
5.6 Le Niger soutient dans son contre-mmoire que la lettre du 27 aot 1954 na
pas consacr la limite la rive gauche revendique par le Bnin. Selon le Niger, elle
renverrait plutt une limite la ligne des plus hautes eaux, ct rive gauche, entendue
comme tant synonyme de la ligne dinondation, sur la rive gauche 582. Or, le Niger souligne
que cette ligne dinondation est non seulement imprcise, aucune tude son gard ntant
580
CM.N., p. 60. Sur la non-pertinence de cette critique, v. supra, par. 3.67 3.69.
581
CM.N., p. 60-61, par. 2.26.
582
CM.N., p. 89, par. 3.3.
159
disponible, mais encore "absolument draisonnable" puisque passant dans le territoire du
Niger583.
(i) la lettre du 27 aot 1954 fixe la limite inter-coloniale "la ligne des plus hautes
eaux, ct rive gauche" ; dans le sens courant, la "ligne des plus hautes eaux" signifierait le
niveau "le plus lev quatteignent les eaux du fleuve durant les priodes de crue
exceptionnelle, sur les rives"584. Or, la ligne des plus hautes eaux serait totalement imprcise
car elle naurait jamais t localise en lespce ; en outre
(ii) cette ligne serait absolument draisonnable car elle se trouverait sur la rive gauche,
plus dun kilomtre de la berge, en plein territoire nigrien585 ; en outre, elle ne trouverait
aucun fondement dans la pratique locale586.
5.8 Tout largument du Niger repose sur le sens quil donne arbitrairement aux
mots "ligne des plus hautes eaux", et "ct rive gauche". A ces deux points de vue
linterprtation du Niger procde de confusions et damalgames.
5.9 Le Niger confond dabord ce quil est convenu dappeler la ligne des plus
hautes eaux, et la ligne dite "dinondation", qui correspond la ligne forme par les eaux lors
des crues exceptionnelles. Il ne peut du reste lignorer, puisque, sur limage 2 reproduite la
page 89 de son contre-mmoire, suppose illustrer le fait que la ligne des plus hautes eaux
signifierait le niveau des "crues historiques"587 dun fleuve, ledit niveau le plus lev est
annot du mot "inondation", et non des mots "plus hautes eaux".
583
CM.N., p. 89-93, par. 3.8-3.11.
584
CM.N., p. 89, par.3.3.
585
CM.N., p. 92, par. 3.8.
586
CM.N., p. 94-110, par. 3.12-3.38.
587
CM.N., p. 89, par. 3.4.
160
5.10 Or une telle assimilation est totalement dnue de fondement. La notion de
"ligne des plus hautes eaux" na jamais eu le sens de "ligne dinondation" sous la plume du
gouverneur du Niger.
5.11 La mention des "plus hautes eaux" comme ligne de rfrence nest jamais que
la reprise dune terminologie dj utilise dans le mme contexte par des administrateurs
coloniaux du Niger, sans quil ait jamais t allgu quelle renvoyait la ligne dinondation.
Il nest qu lire cet gard la correspondance du commandant du cercle de Niamey du 27
juillet 1925, adresse au gouverneur du Niger, qui propose : "la frontire entre les 2 colonies
est marque par la rive droite du fleuve aux plus hautes eaux"588. Son auteur nentendait
certainement pas voquer derrire ces termes la "ligne dinondation sur la rive droite du
fleuve", et transfrer ladministration du Niger une partie du territoire dahomen. Son souci
tait lattribution des les du fleuve et, de ce point de vue, cest manifestement la limite la
rive, et non sur la rive, quil considrait opportun de revendiquer.
5.12 En attestent galement les travaux conduits durant la priode coloniale sur le
fleuve Niger, dont les documents se rfrent gnralement la notion de "plus hautes eaux"
ou, de manire quivalente, de "trs hautes eaux", pour voquer la ligne non pas dinondation
aux crues exceptionnelles, comme le prtend tort le Niger, mais la ligne que matrialise la
rencontre entre la rive et les eaux les plus hautes du fleuve lors des priodes annuelles de
hautes eaux.
5.13 Cest ainsi que dans une tude sur "les rsultats gographiques et conomiques
des explorations du Niger (1892-1898)", parue en supplment au Bulletin du Comit de
lAfrique franaise de mars 1899589, lauteur explique que, sagissant du Niger, sil existe une
"saison des hautes eaux", on note aussi une saison des "trs hautes eaux", qui se caractrise en
particulier par le fait que la navigation vapeur est alors envisageable590. En outre, et surtout,
588
M.N., annexe C.42.
589
CM / R.B., annexe 3, p. 22.
590
Ibid., p. 20.
161
pour voquer la ligne de dbordement, il nutilise pas les termes de "ligne des plus hautes
eaux", mais bien celle de "limite des inondations"591.
5.14 Par ailleurs, dans le rapport annuel sur le budget local de lexercice 1911 du
ministre des colonies du Haut Sngal et Niger, service de la navigation du Haut-Sngal et
Niger, service de navigation du Niger, du 28 mars 1912592, il est mentionn que "lpoque des
plus basses eaux est en avril"593, ce qui ne suggre certainement pas, bien que lon y parle des
plus basses eaux, que lon vise, par ces termes, parler de lpoque des scheresses
exceptionnelles. On lit, en outre, que les hautes eaux se dfinissent comme tant une "priode
au cours de laquelle la crue atteint son maximum et permet toutes les units de naviguer"594.
A lpoque, on savait donc que revenait annuellement une priode des hautes eaux, durant
laquelle intervenaient ncessairement quelques jours o se mesuraient les "plus hautes eaux".
Du reste, lon sait que durant la priode des hautes eaux interviennent deux "pics", et il est
certain que la notion de plus hautes eaux correspond au pic le plus important, et non la ligne
dinondation.
5.15 Cest aussi ce que confirme le rapport Beneyton du 6 novembre 1931595. Y est
consign le constat que :
"Les plus basses eaux sont atteintes chaque anne du 15 Mai au 15 Aot ; les
plus hautes eaux sont atteintes gnralement en Janvier. Mais il est vident que
le minimum minimorum, comme le maximum maximorum, se produit en un
temps dtermin du cycle atmosphrique dont la dure est voisine de 1/3 de
sicle"596.
Cette formule confirme que la ligne des plus hautes eaux ne correspond pas, dans lesprit de
lpoque, la ligne des inondations exceptionnelles, laquelle constitue le "maximum
591
Ibid.
592
CM / R.B., annexe 6.
593
Ibid., p. 105.
594
Ibid., p. 104.
595
M.N., annexe C.48.
596
Ibid., p. 6.
162
maximorum", mais bien la ligne des hautes eaux annuelles, laquelle est gnralement
atteinte en janvier, selon l'ingnieur Beneyton.
5.16 Sans relever le moins du monde ces lments pourtant dterminants, le Niger
prfre adosser sa thse notamment sur la sentence arbitrale du 23 janvier 1933 qui fixe la
frontire entre le Guatemala et le Honduras597. Selon lui, "[c]et exemple montre que la ligne
des hautes eaux peut tre fixe la moyenne des diffrents niveaux des hautes eaux, sur la
rive. Mais une telle ligne est nettement distincte de la ligne des plus hautes eaux"598. Si lon
suivait le Niger, pour qui la ligne dinondation correspondrait ncessairement la ligne des
plus hautes eaux, il faudrait admettre que la sentence du 23 janvier 1933 prend en compte la
ligne dinondation pour dterminer la ligne moyenne des hautes eaux. En effet, pour
dterminer la ligne moyenne des hautes eaux, il faut ncessairement prendre en compte la
ligne la plus basse de la saison des hautes eaux, ainsi que la ligne la plus haute, correspondant
aux plus hautes eaux. Or, en croire le Niger, la ligne des plus hautes eaux correspondrait la
ligne dinondation. Mais la ligne dinondation ntait certainement pas connue des arbitres de
1933. Au demeurant, mme si des informations leur avaient t fournies cet gard, et sils
avaient entendu en tenir compte, ils auraient "normalement d prciser lanne de rfrence
de cette fameuse ligne", en croire le Niger599. Ils ne lont pas fait. Ainsi, sauf considrer
quelle est absurde et draisonnable, ce qui nest pas soutenu, en sappuyant sur la moyenne
des hautes eaux, et donc en prenant ncessairement en compte la ligne des plus hautes eaux, la
sentence du 23 janvier 1933 confirme incontestablement que cette ligne des plus hautes eaux
et la ligne dinondation forment deux lignes bien distinctes.
597
CM.N., p. 93, par. 3.10.
598
Ibid.
599
CM.N., p. 90, par. 3.5.6.
163
prvoit, sagissant des limites des cours deaux domaniaux, quelles sont "dtermines par la
hauteur des eaux coulant pleins bords avant de dborder" (art. 8), ce qui signifie, selon une
jurisprudence constante, le "point o les plus hautes eaux peuvent stendre en labsence de
perturbations mtorologiques exceptionnelles"600.
5.19 Le Niger tente dentretenir une seconde confusion, qui porte sur les termes
"ct rive gauche" que lon trouve sous la plume du gouverneur du Niger dans la lettre du 27
aot 1954. Selon le Niger, "si lon plaait la limite du territoire du Niger, du ct de la rive
gauche, la ligne des plus hautes eaux, toutes les cuvettes inondables reviendraient au
Bnin"601.
5.20 Manifestement, cette interprtation correspond non pas aux termes "la ligne des
plus hautes eaux, ct rive gauche", mais aux termes "la ligne dinondation, sur la rive gauche
du fleuve". Mais, nen dplaise au Niger, la lettre du 27 aot 1954 mentionne une limite "ct
rive gauche", et non "sur la rive gauche". Or cest cette dernire mention qui y aurait t
porte si le gouverneur du Niger avait entendu lui donner le sens assez absurde, il faut le
reconnatre que lui attribue le Niger.
5.21 En ralit, il est dautant moins plausible que la lettre de 1954 ait eu le sens que
le Niger lui attribue que, comme le note dailleurs le Niger lui-mme, elle a t suivie, une
semaine aprs avoir t crite, dun ordre manant du mme gouverneur de "mettre ltude
le statut domanial de diverses cuvettes du Niger, y compris celles qui se trouvent dans le
secteur vis par cette lettre"602. Voil qui dmontre que le gouverneur navait nullement
entendu confier des portions de la rive gauche du Niger au Dahomey, et que la ligne quil
avait prcise le 27 aot navait pas vocation passer sur la rive gauche, contrairement ce
que le Niger veut faire croire603. Cet pisode atteste non pas que ledit gouverneur faisait
600
Voir par exemple, parmi une jurisprudence abondante, Conseil dEtat, 28 fvrier 1994,
Groupement foncier agricole des Combys, req. n 128887.
601
CM.N., p. 91, par. 3.8.
602
CM.N., p. 110, par. 3.38 et annexe C.124.
603
Dans son contre-mmoire, le Niger indique que la ligne des plus hautes eaux, quil assimile la
ligne dinondation : "signifie le niveau le plus lev quatteignent les eaux du fleuve durant les
164
preuve de "lgret"604, mais que linterprtation que le Niger tente de donner sa lettre du 27
aot est dnue de tout fondement.
priodes de crue exceptionnelle, sur les rives" (CM.N., p. 89, par. 3.3, italiques ajouts par le
Bnin).
604
CM.N., p. 94, par. 3.11, et CM.N., p. 66, par. 2.50.
605
CM.N., p. 94-110, par. 3.12-3.38.
606
CM.N., p. 95, par. 3.14.
607
CM.N., p. 62-64, par. 2.40-2.44.
165
- d'une part, il ironise sur le choix de Bandofay comme point de dpart de la
dlimitation retenue dans la lettre du gouverneur du Niger du 27 aot 1954,
- d'autre part, il fait mine de s'tonner que le Bnin entende faire produire cette lettre
des effets allant au-del du secteur frontalier qu'elle vise expressment.
5.25 Cette lettre constitue une rponse une demande, en date du 23 juillet 1954, du
chef de la subdivision de Gaya transmise par le commandant de cercle de Dosso609. Cette
demande tait formule, il n'est pas inutile de le rappeler, de la manire suivante :
"J'ai l'honneur de solliciter tous renseignements utiles sur les les du fleuve
appartenant au NIGER ou au DAHOMEY quelques contestations sans
aucune gravit d'ailleurs s'tant leves ce sujet avec le Cercle de Kandi.
Traditionnellement les Peuls de Gaya et la fourrire sont installes sur l'le
faisant face Gaya et des gardes du Dahomey sont venus pour y percevoir le
pacage. L'affaire a t rgle fort courtoisement par M. le Commandant de
Cercle de Kandi, mais celui-ci affirme que toutes les les du fleuve
appartiendraient au DAHOMEY. Je dsirerais obtenir toutes prcisions
ncessaires ce sujet".
- les "contestations" qui ont suscit la demande opposaient le cercle de Dosso celui de
Kandi et, plus prcisment, la subdivision de Gaya celle de Malanville ; et
608
Voir supra, par. 3.8 3.17.
609
CM.N., annexe C.120.
166
5.27 Le Niger affirme que "[d]epuis 1932 Bandofay ne faisait plus partie de la
subdivision de Gaya mais tait rattach la subdivision de Dosso"610. Cette affirmation est
trange :
610
CM.N., p. 63, par. 2.42.
611
CM.N., annexe C.88.
612
Voir M.N., p. 146, par. 2.3.43.
613
CM.N., annexe C.119.
614
CM.N., p. 63.
615
CM / R.B., annexe 7, p. 15. Cela est confirm galement par les cartes D.22, D.24 et D.26 jointes
au mmoire nigrien qui placent bien Bandofay, en 1926, dans la subdivision de Gaya., tout
comme la carte n28 du cercle du Moyen-Niger de l'atlas des cercles dite en 1926.
167
5.28 En admettant mme que le Bnin ait commis une erreur cet gard ce que le
Niger n'a pas tabli , ceci ne serait pas bien grave. Comme le montre le croquis joint par le
Bnin son mmoire616, Bandofay se trouve la hauteur de l'extrmit occidentale de l'le de
Lt qui, non seulement, est la plus grande des les du fleuve, celle au sujet de laquelle les
incidents entre populations et administrations des deux rives taient rcurrents, mais qui se
trouve tre aussi l'le la plus occidentale du secteur limitrophe du fleuve tre habite de
faon permanente. Il tait, ds lors, assez naturel que le gouverneur du Niger mentionne
expressment Bandofay afin d'englober Lt, d'autant plus qu'aucun autre repre ne semble
s'imposer clairement.
5.29 Cela tait d'autant plus normal qu' l'poque, les administrateurs locaux
n'avaient de toute vidence pas connaissance de l'existence d'les en amont de l'le de Sansan
Goungou qui, comme le relve le mmoire nigrien, se trouvait "en face du village de
Fandofay" dont elle porte parfois d'ailleurs le nom617. Dans sa lettre du 3 juillet 1914,
l'administrateur adjoint Sadoux ne recensa ainsi aucune le en amont de "Sansangoungou",
laquelle il attribua par consquent la premire place dans la liste quil dressa des les du
fleuve, l'le de Lt occupant la seconde618. Il en allait encore de mme en 1926, puisque sur
les trois cartes jointes par le Niger son mmoire qui mentionnent la localit de Bandofay,
aucune le n'apparat en amont de cette localit619. Il est vrai que d'autres les ont t recenses
par la mission Beneyton en 1931, mais, d'une part, la plupart ont disparu depuis cette date ou
ne constituaient que de simples bancs de sable ou petits rochers, et non de vritables les,
comme l'a galement remarqu le Niger dans son mmoire620 ; d'autre part et en tout tat de
cause, les conclusions de la mission Beneyton n'taient pas connues des administrateurs
comptents dans les annes 1950621. Ces derniers ne disposaient, en 1954, que de la lettre de
l'administrateur adjoint Sadoux commandant le secteur de Gaya de 1914 et de quelques cartes,
dont l'chelle tait "inadquate pour reprer les petites les", comme l'a remarqu nouveau le
616
M / R.B., p. 129, croquis n 22.
617
M.N., p. 146, par. 2.3.43.
618
Ibid., ainsi que M.N., annexe C.29.
619
M.N., annexes D.22, D.24 et D.26.
620
M.N., p. 143-146, par. 2.3.38, 2.3.39, 2.3.41 et 2.3.42.
621
CM / R.B., p. 77-79, par. 2.113-2.114.
168
Niger dans son mmoire622. Seules les les de Lt et de Sansan Goungou apparaissaient donc
sur les cartes qui taient la disposition des administrateurs coloniaux. Cela est clairement
confirm par le croquis de l'Afrique franaise, Feuille de Niamey, dress, dessin et publi
en 1946 par le service gographique de l'A.O.F.623, sur lequel aucune le n'apparat en amont
de la localit de "Bandofay", qui est reporte la hauteur de l'extrmit orientale de l'le de
Lt. La lettre du 6 juillet 1956, dont le Niger fait grand cas, de J. Etienne, chef de la
subdivision de Gaya, confirme ce qui prcde, puisque celui-ci ny mentionne qu'une seule
"petite le en amont de Lt", qui est trs certainement l'le de Sansan Goungou, situe en face
de Bandofay624.
5.30 Les lments qui prcdent rendent donc tout fait comprhensible la
rfrence Bandofay dans la lettre du 27 aot 1954. Puisqu'il s'agissait avant tout de rsoudre
la question de la comptence territoriale sur les les situes sur la partie du fleuve Niger
formant la limite inter-coloniale entre le Niger et le Dahomey et qu'en l'tat des connaissances
des autorits locales, les premires les n'taient recenses qu'au niveau du village de
Bandofay, il tait naturel que cette localit ft mentionne puisque le point de dpart de tout
lexercice tait un litige concernant les les du fleuve.
5.31 Le Niger pourfend ensuite le Bnin pour ne pas justifier "de faon explicite le
prolongement de cette limite la totalit de la rive gauche du bief frontalier"625. Selon lui, il
faudrait "choisir entre deux thses toutes [sic] aussi intenables" : ou bien la lettre du 27 aot
1954 ne ferait que confirmer un titre et celui-ci serait inexistant "dans la mesure o aucun
texte lgislatif ou rglementaire antrieur fixant la limite entre la colonie du Niger et celle du
Bnin [sic] ne place la frontire sur la rive gauche" ; ou bien il y aurait lieu de "considrer que
la lettre du 27 aot 1954 constitue elle-mme le titre [ce] qui reviendrait donner la lettre
622
M.N., p. 137, par. 2.3.29. De l'aveu du Niger, il a fallu attendre la date des indpendances pour
obtenir des informations d'un degr de prcision beaucoup plus lev (ibid., p. 138, par. 2.3.29-
2.3.30).
623
M / R.B., atlas cartographique, cote n 2.
624
M.N., annexe C.65.
625
CM.N., p. 64, par. 2.43.
169
en question une nature et une porte juridiques qu'elle n'avait pas et ne pouvait pas avoir dans
le cadre du droit positif colonial"626.
5.34 Il est exact que, comme le relve le Niger634, la lettre du 27 aot n'indique pas
le ou les textes sur lesquels Niamey s'est fond pour donner la prcision demande par le chef
626
CM.N., p. 64, par. 2.44.
627
Voir notamment supra, par. 3.47 et 3.48.
628
Cf. CM.N., p. 36 (titre du A.).
629
V. supra, par. 3.46.
630
M / R.B., annexe 8.
631
Voir M / R.B., annexes 68 et 69 (italiques ajouts par le Bnin).
632
M / R.B, annexe 69 (italiques ajouts par le Bnin).
633
M / R.B., annexe 71 (italiques ajouts par le Bnin).
634
CM.N., p. 63, par. 2.41.
170
de la subdivision de Gaya. Mais il n'y a rien de "confus" ou d'"embarrassant" ou
d'abusivement "spculatif" ou de "fantaisiste"635 estimer que le gouverneur du Niger a
considr que l'interprtation qu'il retenait de l'arrt de 1938 s'imposait du fait du texte de
1900, qui nenlevait la colonie du Dahomey que la "rive gauche du Niger". Et cette raison
vaut pour l'ensemble de la portion du cours du Niger situe la limite entre les deux
territoires. Les mmes causes produisant les mmes effets, on voit mal pourquoi et comment
ce qui vaut en aval de Bandofay ne vaudrait pas galement en amont.
5.35 Sans doute, les autorits coloniales auraient-elles pu retenir deux principes de
dlimitation diffrents pour chacun de ces segments du fleuve. Mais, moins qu'il existe pour
cela des raisons dcisives et le Niger n'en avance aucune ou que d'autres textes en
disposent expressment autrement et le Niger ne le prtend pas -, la logique, le bon sens, la
raison, se combinent avec des considrations de commodit qui conduisent admettre que la
frontire entre les deux pays est unique et repose sur un mme principe de dlimitation, celui-
l mme qu'a retenu le gouverneur du Niger dans la lettre de 1954.
5.36 La limite la rive s'impose donc sur tout le cours du fleuve entre le confluent
du Niger avec la Mkrou et la frontire avec le Nigria.
5.37 La Rpublique du Niger soutient que la limite frontalire entre les deux Parties
au prsent diffrend se trouverait "au milieu" de chacun des deux ponts reliant Gaya au Niger
et Malanville au Bnin636. Cette affirmation soulve deux sries de problmes. En premier
lieu, les termes du compromis de saisine de la Cour en date du 15 juin 2001 indiquent trs
clairement que les deux parties n'ont pas entendu lui soumettre un quelconque diffrend
portant sur le trac de leur frontire sur les ouvrages enjambant la rivire Mkrou et le fleuve
Niger. Si lon se reporte en effet aux termes du compromis, le Bnin et le Niger nont
demand que la dtermination du trac de leur frontire dans le secteur des deux cours deau,
635
Autant d'adjectifs aimables qui se retrouvent sous la plume du Niger dans le passage
particulirement acrimonieux qu'il consacre la question (CM.N., p. 62-64).
636
CM.N., p. 133-134, par. 3.84-3.85. Ces ponts ont t construits l'un en 1958, l'autre en 1988-1989.
171
en apportant une seule prcision, savoir que cette demande incluait la question de
lappartenance des les du fleuve Niger637.
5.38 En revanche, le compromis reste muet sur la question de la dlimitation sur les
ponts, ce qui signifie ncessairement, a contrario, que celle-ci est exclue du champ de la
comptence de la Cour. L'explication en est d'ailleurs fort simple : la question n'a jamais t
souleve par les deux Parties lors des six sessions de ngociations qui se sont tenues au sein
de la commission mixte paritaire de dlimitation de leur frontire638, dont il faut rappeler que
c'est l'chec qui a conduit le Bnin et le Niger dcider de saisir la Cour. Comme le prcise le
prambule du compromis, c'est le "dsi[r]de parvenir dans les meilleurs dlais au rglement
du diffrend frontalier qui les oppose" qui a justifi sa saisine639 ; cest donc le rglement du
diffrend existant au moment de la conclusion du compromis qui est soumis la Cour, et lui
seul.
5.39 Du reste, en tout tat de cause, la Cour nest comptente en vertu de son Statut
que pour se prononcer sur un diffrend, ce qui suppose quil existe entre les parties
concernes "une situation dans laquelle [leurs] points de vue sont nettement opposs"640.
637
En vertu de larticle 2 du compromis (M / R.B., annexe 115), qui porte sur l"objet du diffrend,",
les deux Etats prient la Cour de : "a. dterminer le trac de la frontire dans le secteur du fleuve
Niger ; c. dterminer le trac de la frontire dans le secteur de la rivire Mkrou", et "b.
prciser quel tat appartient chacune des les dudit fleuve et en particulier lle de Lt" (italiques
ajouts par le Bnin).
638
Les deux dlgations ont par exemple, lors de la 3me session ordinaire de la commission mixte
paritaire de dlimitation, "considr le cours du fleuve comme la frontire commune sans se
prononcer pour le moment sur lappartenance des treize les recenses. Cette question fera lobjet
dun examen ultrieur" (M / R.B., annexe 105, p. 6). Nulle mention des ponts comme source de
diffrend entre les deux tats. De mme, la mission de reconnaissance de la frontire bnino-
nigrienne du comit technique mixte paritaire conduite en 1998 ne sest aucunement proccupe
des ponts enjambant le fleuve, alors mme quelle a parcouru toute la zone conteste (v. M / R.B.,
annexe 106). Il faut indiquer galement que lors de la dernire session de la commission mixte
paritaire, il a t rappel que "les deux questions auxquelles la cinquime session na pas pu
rpondre" taient : "[a] qui appartiennent les les du fleuve Niger, fleuve qui constitue la frontire
entre le Bnin et le Niger ?" et "[l]a rivire Mkrou constitue-t-elle la frontire entre le Bnin et le
Niger ?" (M / R.B., annexe 114, p. 2). Encore une fois, nulle question des ponts.
639
M / R.B., annexe 115 (italiques ajouts par le Bnin).
640
C.I.J., avis consultatif du 30 mars 1950, Interprtation des traits de paix conclus avec la Bulgarie,
la Hongrie et la Roumanie, premire phase, Rec. 1950, p. 74 ; cette "jurisprudence bien tablie" a
t rappele par la Cour, en 1996, dans laffaire de lApplication de la convention pour la
172
Tel nest pas le cas en lespce, pour la simple raison que la question na jamais t pose lors
des discussions entre les deux parties et na donc pas pu, par dfinition, faire lobjet du
moindre dbut de ngociations. Or, comme la fait valoir la Cour permanente dans son arrt
du 30 aot 1924 rendu en laffaire Mavrommatis, "[l]a Cour se rend bien compte de toute
limportance de la rgle suivant laquelle ne doivent tre portes devant elle que des affaires
qui ne sont pas susceptibles dtre rgles par ngociations ; elle reconnat, en effet, quavant
quun diffrend fasse lobjet dun recours en justice, il importe que son objet ait t nettement
dfini au moyen de pourparlers diplomatiques"641. Tel nest lvidence pas le cas en
lespce : la question na jamais t souleve ni par le Bnin, ni par le Niger.
173
arguments dvelopps dans le contre-mmoire nigrien. En aucun cas cependant cela
nimplique qu'il accepte que la Chambre de la Cour dispose dune quelconque comptence en
vertu du compromis pour traiter de la question.
5.43 Elle l'est tout d'abord dans l'optique mme de la thse dfendue par le Niger,
puisqu'elle contredit son argument au terme duquel la construction et l'entretien de ces ponts
auxquels les autorits nigriennes auraient particip confirmeraient " nouveau lemprise du
Niger sur la rive gauche et exclu[rai]t toute ide d'une limite la ligne des plus hautes
eaux"644. Si l'on admet, pour les seuls besoins de la discussion, que la limite sur les ponts ne
concide pas avec la limite sur le fleuve (quod non), il est difficile de saisir ce qui justifie que
le Niger dduise la seconde de la pratique lie la premire.
5.44 La dconnexion des deux tracs est problmatique ensuite dans la mesure o
elle suscite davantage de questions qu'elle n'apporte de rponses. L'ide que le choix dune
ligne au milieu du pont, indpendante de la limite sur le fleuve, serait la solution la plus
pratique et la plus quitable, lment que le Niger qualifie de "dcisif"645, appelle en effet un
certain nombre de rserves. Comme l'a soulign l'un des spcialistes les plus indiscutables
dans ce domaine :
"On se demandera notamment qui sera habilit, dans une pareille situation,
exercer la souverainet dans l'espace entre la surface aquatique et l'ouvrage si
ce dernier consiste en un pont . On se demandera aussi laquelle des deux
643
CM.N., p. 135, par. 3.86.
644
CM.N., p. 106, par. 3.32, qui conclut le point ii), p. 98-106.
645
CM.N., p. 136-137, par. 3.88.
174
limites serait dterminante pour diviser l'espace arien (dans le cas d'un pont ou
d'un barrage) . Et, mme si l'on admettait comme semble le dicter le bon
sens que la ligne divisant louvrage ne vaut que pour celui-ci, la solution qui
consiste lui attribuer une frontire spare cre des complications inutiles. Il
peut paratre donc prfrable d'aligner la limite de l'ouvrage sur la frontire
fluviale"646.
M. Franois Schroeter a remarqu dans le mme sens que ce "problme de la jonction entre
ces deux limites reste entier, ce qui peut conduire au rsultat tonnant qu'une personne se
tenant debout sur une pniche aura la tte dans un pays et les pieds dans l'autre"647.
5.45 Le Niger tente certes de faire valoir que la fixation d'une limite au milieu du
pont serait la solution "probablement la plus pratique", plus prcisment celle qui aurait "les
faveurs d'une bonne partie de la doctrine" et qui serait "largement pratique en matire de
dlimitation fluviale"648. On relvera la prudence et la nuance dans l'affirmation fort
inhabituelles de la part de la Partie nigrienne qui en rduisent considrablement la porte.
Il est douteux, en tout tat de cause, qu'elle corresponde la ralit du droit positif.
646
Lucius Caflisch, "Rgles gnrales du droit des cours d'eau internationaux", R.C.A.D.I., 1989-VII,
tome 19, p. 94.
647
"Les systmes de dlimitation dans les fleuves internationaux", A.F.D.I., 1992, p. 979, note 204. V.
galement CM.N., annexe E. 26, p. 379.
648
CM.N., p. 135-137, par. 3.87-3.88.
649
CM.N., p. 137, note. 419.
650
"Les systmes de dlimitation dans les fleuves internationaux", A.F.D.I., 1992, p. 979.
651
V. M.N., annexe E.7, et CM.N., annexe E.27.
175
que "quelle que soit la ligne retenue, celle-ci doit rsulter d'une disposition conventionnelle,
car, dans ce domaine galement, aucune rgle coutumire ne s'est dgage"652.
5.47 Les huit traits cits comme autant d'exemples par le Niger de ce qui
constituerait une "formule largement pratique en matire de dlimitation fluviale"653 n'ont
de ce point de vue gure de valeur probante. D'une part, ces traits sont, pour la plupart trs
anciens, puisque six d'entre eux (sur huit) sont antrieurs 1886. D'autre part, si ces traits
attestent que le choix d'une limite au milieu du pont a t adopt dans ces hypothses, ils ne
montrent en aucune manire que cette formule est majoritairement retenue. Le Niger
reconnat en effet que cette pratique n'est pas exclusive, tandis que les auteurs qui se sont
penchs sur la question ont recens un aussi grand nombre de traits qui ont choisi un autre
mode de dlimitation654. La solution propose par le Niger, n'est pas seulement inopportune
et elle l'est d'autant plus que, contrairement aux allgations de cette Partie, la frontire entre
les deux tats n'est pas fixe au thalweg mais la rive, ce qui accrot la distorsion entre la
frontire d'une manire gnrale et la limite qui serait fixe au milieu du pont ; en outre, cette
solution ne s'impose nullement au regard de la pratique internationale. Au demeurant, elle ne
repose, dans le cadre du prsent diffrend, sur aucun lment probant.
5.48 Selon le Niger, deux lments dterminants tabliraient que les deux Parties au
prsent diffrend ont entendu tracer la frontire entre leurs deux territoires au milieu de
chacun des deux ponts : d'une part, le fait que ces ponts aient t cofinancs par les deux
tats, leur appartiennent en coproprit et/ou soient entretenus conjointement par eux ; d'autre
652
Lucius Caflisch, "Rgles gnrales du droit des cours d'eau internationaux", R.C.A.D.I., 1989-VII,
tome 219, p. 94.
653
CM.N., p. 135-136, par. 3.87 et annexes A.36, A.37, A.39, A.41, A.42, A.43, A.49 et A.58.
654
CM.N., p. 135, par. 3.87 et note 410 ; H. Dipla, "Les rgles de droit international en matire de
dlimitation fluviale", R.G.D.I.P., 1985, p. 619 ; F. Schroeter, "Les systmes de dlimitation dans
les fleuves internationaux", A.F.D.I., 1992, p. 978-979.
176
part, le fait que les postes de contrle frontaliers soient "situs environ 40 m du dbut de
l'ouvrage de part et dautre, et de manire symtrique"655.
5.49 Le Bnin ne s'attardera pas sur le second point. Le fait que les postes frontaliers
se situent de part et d'autre de l'ouvrage n'implique aucunement que la frontire passe en son
milieu. Ds lors qu'il tait exclu de construire ces postes sur le pont lui-mme, il tait
indispensable de les tablir sur les rives du fleuve656.
5.50 Cette solution a dailleurs t inscrite noir sur blanc s'agissant du pont de 1958
dans l'accord du 2 mai 1986 relatif la maintenance de l'ancien pont de Gaya-Malanville et
aux travaux de construction du nouveau pont difier. La section 1 de cet accord, qui est
consacre aux "mesures conservatoires concernant l'actuel pont", dispose en effet en son
article I, paragraphe 4, que "[l]es formalits de douane et de police s'effectueront en dehors de
louvrage"657. Cette mesure conservatoire a permis de ne pas porter prjudice la thse de
l'une ou l'autre partie au prsent diffrend, puisqu'elle laisse ouverte la possibilit tant d'une
limite au thalweg que d'une limite la rive gauche du fleuve.
655
CM.N., p. 134-135, par. 3.86 italiques dans le texte original.
656
CM.N., p. 135, par. 3.86 : le Niger indique que ces postes sont construits sur une plate-forme qui se
situe "sur la terre ferme".
657
CM.N., annexe A.70, p. 208.
658
V. M / R.B., p. 22, par. 1.44-1.45.
177
pourtant, du point de vue juridique, de distinguer clairement les deux aspects. Ce n'est pas, en
effet, parce qu'un pont appartient deux tats ou est entretenu conjointement par eux que la
frontire sparant leurs deux territoires se situe ncessairement au milieu de ce pont. En droit,
la dlimitation ne suit pas la proprit. Preuve en est que certains traits distinguent les deux.
Par exemple, le trait conclu le 14 aot 1925 entre la France et l'Allemagne, cit par le Niger
dans son contre-mmoire l'appui de sa thse659, dispose en son article 17 que la limite de
souverainet entre les deux tats passe par le milieu des ponts fixes sur le Rhin660, tout en
rappelant que la France est l'unique "propritaire des ponts en vertu des dispositions de
l'article 66 du Trait de Versailles" et quil lui incombe donc d'indiquer la limite de
souverainet sur ceux-ci661.
5.53 Cette distinction est du reste parfaitement logique. Par nature, un pont qui
enjambe un cours d'eau frontalier, d'une part met en relation deux tats pour leur bnfice
commun, d'autre part exige des travaux sur le territoire terrestre de chacun d'eux (un pont ne
s'arrtant jamais la rive d'un cours d'eau mais s'tendant ncessairement sur sa berge). Il est
donc tout fait lgitime, quel que soit l'endroit o passe leur frontire sur ce cours d'eau ( la
rive, la ligne mdiane ou au thalweg) et sur le pont qui le traverse, que ces deux tats se
partagent les frais engendrs par la construction et l'entretien d'un tel ouvrage.
5.54 En outre, la Partie nigrienne pense pouvoir affirmer de manire tout fait
premptoire qu'une limite au milieu du pont dcoulerait "essentiellement des vues
convergentes des deux tats riverains cet gard, particulirement mises en vidence
l'occasion de la construction du deuxime pont de Gaya-Malanville"662. En ralit, le Niger ne
produit qu'un seul document cet effet, si l'on met de ct les documents relatifs au
659
CM.N., p. 136, par. 3.87.
660
Alors que "[s]ur la section de la frontire entre la France et le Pays de Bade, la limite de
souverainet est dtermine sur le Rhin par l'axe du thalweg" (article 16, premier alina).
661
CM.N., annexe A.49.
662
CM.N., p. 134, par. 3.85.
178
financement, la proprit et l'entretien des ponts qui ne sont d'aucune aide en matire de
dlimitation663, et ce document isol n'est nullement probant.
5.56 Ce mme document indique il est vrai, dans le sous-dossier technique qui en
fait partie intgrante, que "[l]e pont de la RN7 franchit le fleuve Niger entre Gaya (Niger) et
Malanville (Bnin), l'axe du fleuve matrialisant la frontire entre les deux tats"666. Le Niger
croit pouvoir en dduire que cette prise de position consacrerait une limite au milieu du pont
et qu'elle serait opposable au Bnin car elle n'aurait jamais t conteste par lui, alors mme
qu'il aurait "pourtant eu accs par la suite" au document susvis667. L'affirmation est infonde,
pour les raisons suivantes :
663
V. supra, par. 5.52-5.53.
664
CM.N., annexe C.158 ; de manire significative, ce document figure, juste titre, dans les annexes
au contre-mmoire nigrien relatives aux "documents administratifs et correspondances" (srie C),
et non dans les "documents diplomatiques" (srie A).
665
CM.N., annexe C.158, p. 447.
666
Ibid., p. 452.
667
CM.N., p. 134, par. 3.86.
179
(ii) En tout tat de cause, il s'agit l d'un document purement interne la Rpublique
du Niger. Les destinataires du document ne sont d'ailleurs pas indiqus. Il semble s'agir en
ralit d'un simple acte prparatoire, comme le confirme l'indication, deux reprises, qu'il
s'agit l de l'"laboration d'un dossier d'appel d'offres avec concours", et pas de l'appel
d'offres lui-mme668. Le fait que l'accord relatif la maintenance de l'actuel pont de Gaya-
Malanville et aux travaux de reconstruction du nouveau pont difier n'ait t conclu par les
deux tats que le 2 mai 1986, soit plus de trois ans aprs le dossier de demande de
financement prpar par le ministre nigrien des travaux publics et de l'urbanisme, permet
raisonnablement de conclure que ce document prparatoire, purement interne la Rpublique
du Niger, n'est pas opposable au Bnin.
(iii) De fait, le dossier de novembre 1982 n'est cit dans aucun des documents
postrieurs soumis par le Niger l'apprciation de la Chambre de la Cour et le Niger ne
dmontre aucunement en quoi ceux-ci auraient un lien avec celui-l. Notamment, la
formulation utilise dans le document de 1982 ("axe du fleuve matrialisant la frontire entre
les deux tats") n'a jamais t reprise dans les actes bilatraux ultrieurs, les seuls disposer
officiellement de la question, quil s'agisse de l'accord prcit du 2 mai 1986, du protocole
d'accord du 1er avril 1988 relatif au mme sujet ou du contrat de surveillance du 9 octobre
1996 conclu entre le Niger, agissant en son nom ainsi qu'au nom du Bnin, et le bureau
central dtudes dOutre-Mer (BCEOM)669. On ne voit donc pas au nom de quoi l'expression
en cause, reste isole, contenue dans un acte purement unilatral et visiblement caractre
simplement prparatoire, pourrait engager la Rpublique du Bnin et contredire la thse
qu'elle a dfendue de manire constante et sans ambigut depuis le dbut du diffrend. Il est
autrement plus probant de constater en revanche que l'expression qui figure dans la demande
de financement nigrienne de 1982 a t omise des documents conventionnels et contractuels
finaux, les seuls engager juridiquement les deux tats, la formulation desquels est en tous
points compatible avec les droits que la Rpublique du Bnin a constamment fait valoir.
668
CM.N., annexe C.158, p. 447 et p. 450.
669
CM.N., annexes A.70, A.72 et C.159.
180
5.57 En tout tat de cause, l'expression dont le Niger fait si grand cas ne correspond
aucunement la thse dfendue par le Niger dans son contre-mmoire. Elle indique en effet
clairement que la frontire sur le pont devrait tre dduite de la frontire sur le fleuve ("laxe
du fleuve matrialisant la frontire entre les deux tats"), solution laquelle, prcisment, le
Niger ne parvient pas se rsoudre.
5.58 Cette inconsquence du Niger cache en ralit un lment dont celui-ci n'a pas
jug utile de faire tat, et pour cause, puisqu'il joue son dsavantage. La seule explication
la thse dfendue par le Niger rside en effet dans le fait que le choix d'un alignement des
tracs sur le pont et sur le fleuve lui serait dfavorable si l'on faisait droit sa prtention une
dlimitation au thalweg. En effet, si l'on se reporte la feuille n 35 des cartes ralises par la
mission NEDECO sur lesquelles se fonde le Niger dans son mmoire pour dterminer le
chenal navigable670, il apparat trs clairement qu' l'emplacement du pont de Malanville, la
ligne dont le Niger soutient qu'elle indique le chenal principal se situe trs prs de la rive
gauche du fleuve Niger, ne laissant au Niger qu'environ moins d'un tiers du pont. On
comprend ds lors pourquoi le Niger tente tout prix de dconnecter le trac sur le pont du
trac fluvial. Il n'y a l cependant qu'une solution d'opportunit, que rien ne justifie, ni en
droit, ni en fait.
(i) d'une part, que la Chambre de la Cour n'est pas comptente pour connatre de la
question du trac frontalier sur les ponts de Malanville, puisque cela nest pas envisag par le
compromis et puisqu'il n'existait aucun diffrend entre les deux tats sur ce point au moment
o ils ont dcid de la saisir, et dont ils auraient donc pu lui confier la solution aprs avoir
tent de le rsoudre par le biais de ngociations ;
(ii) d'autre part et titre subsidiaire, que, dans le cas o la Chambre se reconnatrait
malgr tout comptente, la thse du Niger doit tre rejete sur le fond : en l'absence de tout
lment dans le droit colonial ou dans la pratique ultrieure des tats permettant de
670
V. notamment M.N., p. 153, par. 2.3.48, propos de l'le de Lama Barou que le Niger indique se
situer "en amont du pont de Gaya - Malanville"; et M.N., annexe D.43.
181
dterminer o passe prcisment la frontire entre les deux tats sur les deux ponts de
Malanville, il convient de prsumer que les deux tracs (sur le fleuve et sur le pont) concident
et que l'un et l'autre suivent la rive gauche du fleuve. Le Bnin tient videmment prciser
que cette dlimitation serait sans effet aucun l'gard du rgime applicable au financement,
la proprit et l'entretien des ponts ainsi qu' l'emplacement des postes frontaliers, toutes
questions qui demeurent rgies par les arrangements particuliers en vigueur ce jour entre les
deux Parties au prsent diffrend.
Section II
5.60 Comme l'a indiqu le Bnin dans son contre-mmoire, partir du moment o
la limite entre les colonies du Dahomey et du Niger suit la rive gauche du fleuve Niger, ses
extrmits l'ouest et l'est sont ncessairement localises sur cette mme rive671. Le Niger
n'avance aucun argument dans son contre-mmoire qui permette de s'opposer cette
conclusion, ni l'gard de la premire extrmit, ni l'gard de la seconde.
671
CM / R.B., p. 131-133, par. 2.263-2.267.
672
CM.N., p. 128, par. 3.77.
673
Ibid.
182
Le Bnin soutient simplement que, ds lors que, d'une part, les textes pertinents (c'est--dire
les arrts du 8 dcembre 1934 et du 27 octobre 1938674) fixent, sans autre prcision, le point
d'aboutissement de la frontire la confluence du fleuve Niger avec la rivire Mkrou et que,
d'autre part, la frontire avait t fixe la rive gauche du fleuve Niger par l'arrt du 23
juillet 1900 et la lettre du 27 aot 1954, ce point d'aboutissement se situe ncessairement et
plus prcisment sur la rive gauche du fleuve. Il y a l une conciliation des plus lmentaires
des dispositions des diffrents textes pertinents.
5.62 Il ne pourrait en aller autrement que si la "confluence" vise dans ces textes
dsignait un point prcis lintrieur de ces deux cours d'eau, comme le prtend le Niger675.
Mais tel n'est pas le cas. L'expression vise simplement et de manire trs gnrale le point de
rencontre de deux cours d'eau, point qui, selon les circonstances, peut se trouver sur leurs
lignes mdianes, leurs thalwegs et/ou leurs rives respectifs676.
5.63 cet gard, il est intressant de relever que le Niger, confront l'imprcision
des arrts de 1934 et de 1938 sur ce point, hsite quant la solution retenir : alors qu'il
soutenait dans son mmoire que "le point de confluence se situe lintersection du thalweg de
la rivire Mkrou avec le chenal principal du fleuve Niger"677, il fait montre d'une plus grande
prudence dans son contre-mmoire en se rfrant de faon plus vague "au lieu de rencontre
674
Et non, comme l'affirme le Niger (CM.N., p. 129, note 383), le dcret du 2 mars 1907, qui n'a plus
t en vigueur partir de 1919 (v. CM / R.B., p. 157 et s., 2)
675
CM.N., p. 128-129, par. 3.77-3.78.
676
De mme, par exemple, que "l'embouchure" dun fleuve, qui dsigne le point o un fleuve se jette
dans la mer, peut viser, selon les cas, une de ses rives, sa ligne mdiane ou son thalweg. C'est ainsi
que dans l'affaire de l'Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), la Cour a t confronte un
trait de 1890 dont larticle III, paragraphe 1, prvoyait que la sphre dinfluence rserve
l'Allemagne dans le Sud-Ouest africain tait dlimite "[a]u sud, par une ligne qui part de
l'embouchure de l'Orange et suit vers l'amont la rive nord de ce fleuve jusqu' son intersection avec
le 20e degr de longitude est" (arrt du 13 dcembre 1999, Rec. 1999, p. 1060, par. 20). Cet
exemple montre qu'il est tout fait possible de faire dmarrer une limite la rive d'un point
d'embouchure. Or, ce qui vaut pour l'embouchure d'un fleuve (qui est un point de rencontre entre
deux espaces aquatiques - un cours d'eau et la mer) vaut a fortiori pour un point de confluence, qui
prsente les mmes caractristiques physiques.
677
M.N., p. 141, par. 2.3.35. Comme la indiqu le Bnin dans son contre-mmoire, cette thse est
difficilement soutenable ds lors quil est impossible de retenir une limite au thalweg de la Mkrou
puisque celle-ci nest pas navigable; Voir CM / R.B., p. 133, par. 2.267, (i).
183
des deux cours deau"678. Il n'est pas anodin non plus de remarquer que le Niger, en d'autres
occasions, ne manque pas de dfinir la "confluence" comme une "zone", s'tendant y compris
au-del de la rive, sur la terre ferme, et non comme un point identifi qui serait
ncessairement situ dans le lit du cours deau679.
5.64 L'ide selon laquelle la confluence dsignerait, dans les arrts de 1934 et de
1938, un point prcis l'intrieur des deux cours d'eau, l'exclusion d'un point sur une rive,
est par ailleurs contredite par la lettre mme de ces arrts. Ceux-ci disposent en effet que le
cercle de Kandi est limit :
"Au Nord-Est, par le cours du Niger jusqu' son confluent avec la Mkrou ;
Si, vritablement, la mention, dans ces arrts, de la confluence (et non, dailleurs, d'un "point
de confluence") avait eu pour objet de dsigner un point prcis (excluant, selon le Niger, toute
rfrence la rive), la dlimitation Nord-Ouest aurait d repartir de ce point prcis, et non
pas, si vasivement, du "fleuve Niger". Cette rdaction confirme en ralit que la rfrence au
"confluent" dans les arrts de 1934 et de 1938 visait simplement le point de rencontre des
deux cours d'eau, quel que soit l'endroit o ce point se situe prcisment sur ceux-ci.
678
CM.N., p. 129, par. 3.78.
679
V. CM.N., p. 193, par. 5.19, et infra, par. 6.32.
680
M / R.B., annexe 41, article premier, 7; et annexe 48, article premier, 8.
681
Selon le Niger, "le confluent de deux cours d'eau ne peut pas se trouver la rive oppose celle o
un affluent se jette dans le cours d'eau principal" (CM.N., p. 129, par. 3.77), ce qui constitue une
pure ptition de principe, que, dailleurs, le Niger ne tente mme pas d'tayer.
682
V. CM / R.B., p. 121, par. 2.233.
184
5.66 En admettant, enfin, pour les seuls besoins de la discussion, que ce point de
confluence vise un point situ l'intrieur des deux cours deau, comme le soutient le Niger,
on ne voit pas en quoi cela remettrait en cause l'ide d'une dlimitation la rive gauche. Il se
trouverait simplement, dans ce cas de figure, que la frontire suit cette rive gauche depuis le
point triple avec le Nigria, puis passe par le point de confluence ainsi dfini, avant de se
poursuivre en suivant la ligne mdiane de la rivire Mkrou. Une fois encore, les diffrents
textes pertinents, de l'arrt de 1900 la lettre de 1954 en passant par les arrts de 1934 et de
1938, sont tous parfaitement conciliables les uns avec les autres sur ce point. Ils doivent donc
tre interprts en ce sens.
5.67 Le dernier grief formul cet gard par le Niger l'encontre du mmoire
bninois consiste affirmer que les coordonnes gographiques fournies par le Bnin pour
dterminer l'emplacement de l'extrmit ouest de la frontire sur la rive gauche du fleuve
"situent le point double, non pas sur la rive gauche, mais bien dans le lit du fleuve, trs prs
du point que la Rpublique du Niger considre comme tant le vritable point de confluence
entre le fleuve Niger et la rivire Mkrou"683. Si lon doit en dduire que les Parties divergent
propos du calcul des coordonnes des points concerns, cette remarque est dnue de toute
autre incidence juridique l'gard de la dlimitation du trac frontalier ; il s'agit dun simple
problme de dmarcation. Le Bnin continue pour sa part de considrer que ce point double
se situe sur la rive gauche du fleuve Niger, aux coordonnes par lui indiques dans les
conclusions de son contre-mmoire.
683
CM.N., p. 129, par. 3.77.
684
Sur cette expression, v. not. M / R.B., p. 128, par. 5.49.
185
ligne frontire passe par la rive gauche du fleuve, sans le dmontrer d'aucune faon"685. C'est
oublier que, ds lors qu'aucun texte ne dfinit la localisation de ce point triple, il faut
ncessairement le "dduire", en le situant l'intersection du trac de la frontire bnino-
nigrienne dans le secteur du fleuve Niger avec la ligne frontire sparant les territoires du
Bnin et du Niger et du Nigria telle qu'elle a t dfinie dans les accords de 1906686. Telle est
d'ailleurs la mthode laquelle le Niger a lui-mme recours et il est donc bien mal venu
critiquer le Bnin sur ce point687. Ds lors que la frontire bnino-nigrienne suit la rive
gauche du fleuve Niger, ce point triple se situe ncessairement sur la rive gauche du fleuve,
l'endroit o elle croise la ligne frontire des accords de 1906.
5.69 En outre, le Niger caricature la thse du Bnin au sujet des cartes de 1910 et de
1955688. Si la Partie bninoise a invoqu dans son mmoire la carte jointe au procs-verbal
des oprations dabornement de 1910 par la Commission franco-anglaise de dlimitation des
territoires situs entre le Niger et le lac Tchad, c'est uniquement pour permettre de visualiser
la frontire franco-anglaise dfinie par les accords de 1906, et nullement pour indiquer le
point triple lui-mme689. De fait, cette carte n'indique aucun point triple690, pas plus, d'ailleurs,
que la carte officielle franaise tablie par le capitaine Tihlo en 1910 et la carte britannique du
War Office de 1954 invoques dans le contre-mmoire nigrien691. Le Niger est donc tout
fait mal fond prtendre que cette carte de 1910 porte le point triple "dans le cours du
fleuve, et non sur la berge"692, puisque ce point n'apparat sur aucune carte.
5.70 Quant la carte de l'A.O.F. au 1/200.000e de 1955, il n'est pas exact, comme le
soutient le Niger, qu'elle exclut une limite la rive693. Les croisillons qu'elle porte nont pas
685
CM.N., p. 130, par. 3.79.
686
Voir CM / R.B., p. 131-133, par. 2.264-2.266.
687
CM.N., p. 133, par. 3.83: "Le dernier point de la frontire Bnin-Niger se trouve donc
lintersection de la ligne des sondages les plus profonds du fleuve Niger avec la ligne qui constitue
la frontire de ces deux tats avec le Nigeria" (italiques ajouts par le Bnin).
688
CM.N., p. 130, par. 3.79.
689
V. M / R.B., p. 134, par. 5.54.
690
M / R.B., atlas cartographique, cote 9.
691
CM.N., p. 133, par. 3.83, et M.N., annexes D. 15 et D. 37.
692
CM.N., p. 130, par. 3.80.
693
CM.N., p. 130, par. 3.80, et M / R.B., atlas cartographique, cote 11.
186
d'autre ambition que d'indiquer que la limite inter-coloniale suit le fleuve Niger et cette carte
ne prend aucunement parti sur l'emplacement exact de cette limite sur le fleuve ( sa rive, sa
ligne mdiane ou son thalweg). Du reste, s'il en allait autrement, il faudrait considrer que
cette carte indique une limite la ligne mdiane du fleuve, et non son thalweg, ce qui
contredirait la thse dfendue par le Niger.
694
M / R.B., annexe 75.
695
CM.N., p. 131, par. 3.81.
696
M / R.B., p. 136-138, par. 5.56 et 5.58. Tel est d'ailleurs ce qui est indiqu sur le croquis n 26 du
mmoire bninois (p. 137) : le trac part du point BN 1 pour rejoindre le point BN 2, avant de
rejoindre le point D.
697
CM.N., p. 131-132, par. 3.81.
698
Ibid.
187
les experts du Bnin, du Niger et du Nigria. Selon le Niger, cet intitul ("Compte-rendu de la
runion en vue de la dtermination du point frontalier tripartite sur le fleuve Niger")699
indiquerait que les experts en question "considraient d'emble que le point triple se trouvait
sur le fleuve Niger"700. Largument traduit une fois de plus l'erreur rcurrente commise par le
Niger qui consiste croire que la rive d'un cours d'eau ne fait pas partie du cours d'eau701. Or,
ce n'est pas parce que le point triple est situ "sur le fleuve" qu'il ne peut pas tre situ sur une
de ses rives, puisque la rive, fait partie intgrante de la notion mme de fleuve702.
5.73 Le Niger conteste enfin les coordonnes gographiques donnes par le Bnin
de l'emplacement du point triple sur la rive gauche, en affirmant quelles "situent celui-ci, non
sur la berge, mais bien dans le lit du fleuve, proximit immdiate du point que la
Rpublique du Niger considre comme tant le point triple"703. nouveau704, on ne peut en
dduire rien d'autre que le fait qu'il existe une divergence de vue des Parties dans le calcul des
coordonnes des points concerns. Le Bnin maintient pour sa part que le point triple se situe
sur la rive gauche du fleuve Niger, aux coordonnes qu'il a indiques dans les conclusions de
son contre-mmoire.
(i) conformment aux termes de la lettre du 27 aot 1954, laquelle na fait que
confirmer et prciser larrt du 23 juillet 1900, la frontire suit la rive gauche du fleuve
Niger, cest--dire "la ligne des plus hautes eaux, ct rive gauche", et non sa ligne
dinondation, depuis la confluence avec la rivire Mkrou jusquau point triple avec le
Nigria ;
699
M / R.B., annexe 97.
700
CM.N., p. 132, par. 3.81.
701
V. supra, par. 5.65.
702
V. Lucius Caflisch, R / R.B., annexe 27.
703
CM.N., p. 132-133, par. 3.82.
704
V. supra, par. 5.67.
188
(ii) sil est vrai que la lettre du 27 aot 1954 fixe le point de dpart de cette ligne au
village de Bandofay, cela tient aux motifs qui ont conduit ladoption de cette lettre
(rpondre aux interrogations des autorits locales concernes) et son objet (le sort des les
dans cette partie prcise du fleuve). Tout indique par ailleurs que ce principe de dlimitation
prvaut galement en amont de Bandofay, sur lensemble du trac frontalier depuis la
confluence avec la rivire Mkrou ;
(iv) quant la question du trac frontalier sur les ponts de Malanville, la Chambre nen
est pas saisie par le compromis et ne devrait pas se prononcer ce sujet ; si elle sestimait
pourtant comptente pour en connatre, elle devrait alors constater que le trac de la frontire
sur les ponts, dfaut de toute autre indication pertinente, est situ la rive gauche du fleuve.
189
CHAPITRE VI
Section I
705
CM.N., p. 193, par. 5.20.
706
M / R.B., chapitre IV, et CM / R.B., chapitre IV.
707
CM.N., p. 181, par. 5.6.
191
est utilis par le Niger, sans retenue, et revient comme un leitmotiv aux paragraphes 3.1.4
3.1.25, passim (pages 193-202), 3.1.31 (page 205), 3.1.38 (pages 209-210), 3.1.41 3.1.42
(pages 211-212) et 3.1.49 (pages 216-217) de son mmoire et aux paragraphes 0.9 (page 11),
0.12 (page 12), 0.16 (page 17), 5.6 (page 181), 5.12 (page 186), 5.13 (pages 186-188), 5.14
(pages 188-189), 5.17 (page 191) et 5.20 (pages 193-194) de son contre-mmoire, ainsi que
tout au long de lannexe I de celui-ci.
708
CM / R.B., p. 159 et s., par. 4.14 et s.
709
CM.N., p. 188, par. 5.14.
710
Comparer le croquis n 1, p. 176, aux croquis n 2, p. 186, n 4, p. 190, n 5, p. 191 et n 3, p. 192.
192
exception comme refltant le droit applicable, devrait tre considre comme constituant le
legs colonial retenir la date des indpendances.
6.6 Un second lment vient du reste renforcer le prcdent. Pour tenter d'tablir
que sa position na pas t forge de toute pice de manire artificielle, le Niger juge utile de
retracer lhistorique du diffrend dans son contre-mmoire, dabord en rappelant les
oppositions qui sont apparues partir de 1996 lors des travaux de la Commission mixte
paritaire bnino-nigrienne, puis en prcisant que ces oppositions ne seraient "que la
rsurgence des vues divergentes quavaient exprimes les deux tats sur le trac de leur
frontire dans cette zone ds la fin des annes 1960", avant de conclure que ce serait donc "en
ralit plus de trente ans avant la ngociation [du compromis] que les oppositions de vues
entre les deux tats sur le trac de leur frontire commune dans le secteur de la Mkrou se
sont fait jour". Le Niger va jusqu soutenir que, ds 1970, "les prtentions contradictoires des
deux tats sur la question des limites dans cette zone apparaissent donc nettement"711. Il y a l
une prsentation des faits "manifestement tronque"712. En ralit, cette divergence quant la
dmarcation de la frontire confirme, sil en tait besoin, que cette dernire est bien place sur
le cours de la Mkrou.
6.7 Le Niger oublie de prciser en effet, dune part, quentre la fin des annes 1960
et celle des annes 1990, sa revendication a radicalement chang de nature, dautre part, quen
1973-1974, le diffrend pendant entre les deux tats a t dfinitivement rgl par eux et,
surtout, que ce diffrend ne portait aucunement sur le choix de la rivire Mkrou comme
frontire. Comme la indiqu le Bnin dans son contre-mmoire, le Niger na, la fin des
annes 1960, jamais contest que la rivire Mkrou constituait la frontire entre les deux
tats713. Le seul point en suspens cette poque concernait le trac prcis de la frontire sur
la rivire Mkrou (sa rive, son thalweg ou sa ligne mdiane).
711
CM.N., p. 176-178, par. 5.2. Voir galement p. 10, par. 0.9, et p. 18, par. 0.17.
712
Expression que le Niger applique, maladroitement, l'argumentation du Bnin (CM.N., p. 178,
par. 5.2).
713
CM / R.B., p. 177-182, par. 4.51-4.62.
193
6.8 Les nouveaux documents produits par le Niger dans son contre-mmoire
confirment cela en tout point de vue. Le Niger complte en effet le dossier de "lpisode de
1973-1974" en joignant son contre-mmoire trois lettres quil navait mentionnes
quindirectement dans son mmoire714 : la lettre du 17 novembre 1969 adresse par le
Prsident du Niger au Prsident du Dahomey, la lettre du 5 fvrier 1970 qui constitue la
rponse du Prsident du Dahomey la prcdente et la lettre du 9 mai 1970 adresse son
tour en rponse par le Prsident du Niger cette dernire715. Le Niger nexploite pas ces trois
documents et se contente de les citer en passant dans une note de bas de page de son contre-
mmoire716. On comprend aisment pourquoi : ces trois documents contredisent limpression
trompeuse que la Partie nigrienne sefforce de crer :
(i) La lettre de 1969, qui est imputable au Prsident du Niger et qui marque le point de
dpart du diffrend qui va natre cette poque entre les deux tats indique, deux reprises,
que "la Mkrou" est "limitrophe" entre les deux tats. Cest dailleurs la raison pour laquelle
le Prsident du Niger a estim ncessaire de contacter son homologue dahomen afin de
sentendre en vue de la construction dun barrage sur la rivire Mkrou. Dans la mme lettre,
le Prsident du Niger prcise galement que "la Rpublique du Niger a lhonneur de
demander la Rpublique du Dahomey lautorisation de procder des sondages sur la rive
Dahomenne" de la rivire717. Il ne rsulte donc quune seule chose de cette lettre : le Niger
considrait cette poque que la Mkrou constituait sa frontire avec le Bnin.
714
M.N., p. 220, par. 3.1.55.
715
CM.N., annexes A.60, A.61 et A.62.
716
CM.N., p. 176, note 554.
717
CM.N., annexe A.60 (italiques ajouts par le Bnin).
718
CM.N., annexe A.61.
194
prcdente lettre] ne pouvait prter quivoque et donner croire que la Mkrou, en tout ou
partie, coulait lintrieur des frontires de la Rpublique du Niger", ce qui disqualifie toute
revendication dun trac suivant la ligne du dcret du 2 mars 1907 (puisque celui-ci conduirait
inclure toute la rivire Mkrou dans le territoire nigrien) ; dautre part, il propose de
considrer que la frontire passe non pas sur la rive de la Mkrou, mais son thalweg719. Ces
lments ont t ritrs trois ans plus tard, dans la note verbale du 29 aot 1973 du ministre
des affaires trangres du Niger720.
6.10 Le Niger ne peut donc aucunement affirmer que les oppositions apparues entre
les deux tats dans les annes 1990 ne seraient que la continuation de celles qui avaient divis
les deux tats la fin des annes 1960, car les unes nont aucunement le mme objet que les
autres : en 1969-70, le Niger acceptait une dlimitation la rivire Mkrou et na fait que
contester la revendication dune limite sa rive gauche en proposant une limite au thalweg
tandis qu partir de 1996, le Niger a commenc, pour la premire fois de son histoire,
revendiquer une limite suivant la ligne du dcret de 1907, laquelle conduirait inclure toute la
rivire Mkrou dans le territoire nigrien.
719
CM.N., annexe A.62.
720
M.N., annexe A.10.
721
CM / R.B., p. 177-182, 1.
195
Mkrou. Le Niger peut bien soutenir que "[l]e fait que les autorits nigriennes aient adopt
une position diffrente loccasion des ngociations relatives la construction dun barrage
sur la Mkrou ne saurait emporter aucune consquence juridique dans le cadre de la prsente
instance"722, le droit international est ce quil est : les lettres du 17 novembre 1969 et du 9 mai
1970, comme la note verbale du 29 aot 1973 et laccord du 8 fvrier 1974, sont
juridiquement opposables la Rpublique du Niger, qui ne peut aujourdhui sen ddire723. Il
en va dautant plus ainsi que ces actes sont tout fait clairs, tant dans leur contenu que dans
leur porte juridique : le Niger, en accord avec le Bnin, a accept de considrer que leur
frontire commune suivait le cours de la rivire Mkrou. Il ne saurait donc tre question,
aujourdhui, de remettre en cause cet engagement rpt plusieurs reprises et de la manire
la plus officielle par les autorits nigriennes. Non seulement lattitude du Niger vaut donc
acquiescement la thse dfendue par le Bnin depuis toujours724, mais en plus, elle repose
sur un accord explicite dont la porte est limpide. Or, comme la affirm avec force la Cour
dans son arrt du 15 juin 1962 dans laffaire du Temple de Prah Vihar
(Cambodge c. Thalande), "lorsque deux pays dfinissent entre eux une frontire, un de leurs
principaux objectifs est darrter une solution stable et dfinitive"725.
6.12 Quel que soit par consquent langle sous lequel la thse nigrienne est
apprhende, elle est en tout point infonde. Si lon applique le principe de luti possidetis
juris et donc le droit colonial, tous les textes postrieurs 1907 concourent tablir que la
limite entre les deux colonies tait constitue par la rivire Mkrou ; si l'on se fonde sur
l'attitude du Niger indpendant, on constate que celui-ci, en 1969, en 1970, puis en 1973 et en
1974, a (de lui-mme) expressment considr que la frontire tait tablie la rivire
Mkrou et quil nexistait donc aucun diffrend entre les deux tats sur ce point. Il sen dduit
que telle tait la conception, officiellement exprime et donc qui le liait, que ltat du Niger
avait du legs colonial hrit par les deux tats.
722
CM.N., p. 175-176, par. 5.1.
723
Voir CM / R.B., p. 182-193, par. 4.63-4.85.
724
Cette attitude lui est donc juridiquement opposable (v. les arrts de la Cour du 18 dcembre 1951
dans laffaire des Pcheries (Royaume-Uni c. Norvge), Rec. 1951, p. 138-139, et du 15 juin 1962
dans laffaire du Temple de Prah Vihar (Cambodge c. Thalande), Rec. 1962, p. 23).
725
C.I.J., Rec. 1962, p. 34.
196
6.13 Comme la fait valoir la Cour dans larrt rendu le 11 septembre 1992 dans
laffaire du Diffrend frontalier, terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras),
"Le principe de luti possidetis juris est quelquefois affirm en termes presque
absolus, comme si la situation la date de lindpendance tait toujours
dterminante ; comme si, en bref, il ne pouvait y avoir dautre date critique. Or,
il ne saurait en tre ainsi. Manifestement, une date critique ultrieure peut
apparatre, par exemple par suite dune dcision dun juge ou dun trait
frontalier. Si la situation rsultant de luti possidetis juris peut tre modifie
par une dcision dun juge et par un trait, la question se pose alors de savoir si
elle peut tre modifie dautres manires, par exemple par un acquiescement ou
une reconnaissance. Il ny a semble-t-il aucune raison, en principe, pour que
ces facteurs nentrent pas en jeu, lorsquil y a assez de preuves pour tablir que
les parties ont en fait clairement accept une variante, ou tout au moins une
interprtation, de la situation rsultant de luti possidetis juris"726.
Il en va plus forte raison ainsi lorsque les positions exprimes aprs leur indpendance par
les Parties au diffrend, unilatralement et bilatralement, confirment non seulement la
conception quelles ont toujours eue du legs colonial, mais le legs colonial lui-mme.
Section II
6.14 Les textes coloniaux ( 1), les textes relatifs la cration de rserves de chasse
et de parcs nationaux ( 2)727 comme les effectivits ( 3) tablissent avec une clart absolue
qu la date des indpendances, la limite inter-coloniale entre les colonies du Dahomey et du
726
Rec. 1992, p. 401, par. 67. V. galement p. 408-409, par. 80.
727
Le Bnin tient prciser que, si, pour la commodit des Juges, il suit dans sa rplique le plan du
contre-mmoire nigrien pour faciliter la confrontation des critures des deux parties, il juge
totalement injustifie la distinction opre par le Niger entre les "textes coloniaux" et les "textes
relatifs la cration de rserves de chasse et de parcs nationaux". Ces derniers sont eux aussi des
textes coloniaux et entrent de ce fait part entire dans le legs colonial. Il ne saurait donc tre
question den diminuer la valeur probante.
197
Niger tait fixe la rivire Mkrou. Aprs 1907, tous se rfrent en effet la rivire Mkrou,
et plus aucun au dcret de 1907.
6.16 Le Niger prtend ensuite que le trac prvu par le dcret du 2 mars 1907 na t
"remis en cause par aucun texte postrieur"730. Cette affirmation est dnue de tout
fondement, pour les raisons dveloppes par le Bnin dans son contre-mmoire731. Aucun des
arguments invoqus par le Niger dans son contre-mmoire ne permet daboutir une
conclusion diffrente. Ceux-ci reprennent en ralit trs peu de chose prs les arguments
dj dvelopps dans le mmoire nigrien.
6.17 Il en va ainsi de la prtendue absence deffet du dcret du 1er mars 1919 sur le
maintien en vigueur du dcret de 1907732. Le Niger napporte aucun lment nouveau sur ce
point et le Bnin se contentera donc de renvoyer la rponse apporte au mmoire nigrien
728
CM.N., p. 179, par. 5.4.
729
Ibid.
730
CM.N., p. 175, par. 5.1, et p. 179 et s., par. 5.5. et s.
731
CM / R.B., chapitre IV, section I, p. 154-175.
732
CM.N., p. 179-180, par. 5.5.
198
dans son contre-mmoire : ds lors que tous les textes postrieurs 1919 se rfrent la
Mkrou et que plus aucun ne se rfre la ligne de 1907, il est clair que le dcret de 1919 a
bien eu comme effet dabroger le dcret de 1907733. A dfaut, on ne comprendrait pas (et le
Niger, dailleurs, navance pas le moindre dbut dexplication) ce silence total du droit
colonial postrieur lgard du dcret de 1907734.
6.19 Face cette ralit, le Niger invoque, une fois de plus, son argument
"classique" : la prtendue mauvaise connaissance de lauteur du cours rel de la Mkrou et la
prtendue confusion frquemment opre lpoque entre cette rivire et la ligne de 1907737.
Pourtant, les termes utiliss par Maurice Delafosse sont trs clairs : la frontire "descend la
Mkrou dans une direction gnrale Nord-Est, jusqu son embouchure dans le Niger"738. On
peroit difficilement ce que lauteur aurait d, et pu, ajouter de plus pour dfinir cette limite
inter-coloniale, ds lors que cela suffisait distinguer cette rivire de la ligne droite artificielle
du dcret de 1907.
733
CM / R.B., p. 157-159, par. 4.9-4.12.
734
De faon fort dplaisante, le Niger qualifie d'"incorrect" (CM.N., p. 180, par. 5.5) le procd
consistant transcrire sur un croquis le trac rsultant de l'abandon de la limite gomtrique de
1907 au profit d'une limite hydrologique. Le croquis en question (M / R.B., p. 92, croquis n 18)
indique expressment qu'il est "tabli une fin uniquement illustrative"; il est de l'essence d'un tel
croquis d'illustrer l'interprtation que, selon son auteur, il convient de donner des textes en cause.
Ces mauvaises querelles rptes, auxquelles le Bnin n'entend pas rpliquer davantage, sont fort
regrettables.
735
M / R.B., p. 91, par. 4.09.
736
CM.N., p. 181, par. 5.6.
737
Ibid.
738
M / R.B., p. 91, par. 4.09.
199
6.20 Le sort rserv par le Niger larrt du 31 aot 1927 est tout aussi
contestable. Selon le Niger, ce texte, qui se rfre "la Mkrou" comme fixant la "limite"
inter-coloniale, naurait eu "aucunement pour objet de dterminer le trac des limites entre le
Niger et le Dahomey"739. Cela est vrai dans la (seule) mesure o, effectivement, comme la
expliqu le Bnin, cet arrt navait normalement pas vocation couvrir la limite daho-
nigrienne740. Mais, dans le mme temps, il nest pas indiffrent, et il est mme
particulirement probant, de relever que lorsque le gouverneur gnral de lA.O.F. a adopt
cet acte en pensant quil devait couvrir la limite daho-nigrienne, il a dfini cette limite en se
rfrant la rivire Mkrou, et nullement au dcret de 1907. Le gouverneur du Niger,
consult cette occasion, navait dailleurs rien trouv redire cette rfrence la rivire
Mkrou et na aucunement protest en considrant que la limite aurait d tre fixe la ligne
du dcret de 1907741.
6.21 Quant lassertion nigrienne selon laquelle la version corrige de cet arrt
publi au Journal officiel de l'A.O.F. du 15 octobre 1927 "ne dit pas un mot des limites entre
le Niger et le Dahomey, et porte exclusivement sur les limites Haute-Volta Niger"742, elle est
tout bonnement errone. Ce texte se rfre en effet la rivire Mkrou comme point
daboutissement, au sud, de la limite entre ces deux colonies. Cet arrt fixe ncessairement
par consquent le point triple avec le Dahomey sur cette rivire, contredisant par l, une
nouvelle fois, le dcret de 1907743.
6.22 Tel est dailleurs ce qui est indiqu la page 111, laquelle le Niger renvoie
dans son contre-mmoire744, de latlas illustrant les textes lgislatifs et rglementaires de
lvolution territoriale du Niger de 1900 1960 joint par le Niger son mmoire. Sur la carte
annote concerne, il apparat trs clairement en effet que la limite dfinie par lerratum du 15
octobre 1927 aboutit, au sud, sur la rivire Mkrou, laquelle est indique sur cette carte
739
CM.N., p. 181-182, par. 5.7.
740
CM / R.B., p. 161-162, par. 4.18-4.19, et M / R.B., annexe 36.
741
CM / R.B., p. 162, par. 4.19, et M / R.B., annexe 35.
742
CM.N., p. 182, par. 5.7, et M / R.B., annexe 37.
743
Voir CM / R.B., p. 193-197, section III.
744
CM.N., p. 182, note 585.
200
comme matrialisant la frontire daho-nigrienne. Il nest aucunement question en revanche
de la ligne du dcret de 1907 et du trac en deux segments de droite revendiqu par le Niger.
6.23 Le Bnin prouve dailleurs quelque difficult, pour cette raison, comprendre
le croquis n 1 figurant en page 176 du contre-mmoire nigrien. Ds lors que les deux parties
au prsent diffrend fixent au mme endroit le point daboutissement de leur frontire au
niveau du point triple avec le Burkina Faso en se rfrant lerratum de 1927745, rien ne
justifie que le Niger distingue son point "2" du point "A" du Bnin. Il y a l un manque trs
frappant de cohrence dans la prsentation de l'argumentation nigrienne746.
6.24 Le Niger est tout aussi mal fond soutenir que le gouverneur gnral de
lA.O.F. se serait explicitement rfr au cours de la Mkrou dans les arrts des 8 dcembre
1934 et 27 octobre 1938 si telle avait t rellement la limite inter-coloniale de lpoque.
Cette absence de rfrence explicite la rivire Mkrou dans ces deux arrts est au contraire
parfaitement logique. Dune part, elle atteste que les autorits comptentes de lpoque
tenaient pour acquis que la rivire Mkrou constituait la limite inter-coloniale, ce qui
dispensait de le rappeler747. En sens inverse, on fera remarquer que si le dcret de 1907 avait
t encore en vigueur en 1934 et en 1938, il aurait d figurer dans les visas trs fournis pour
le premier de ces deux arrts. Or, aucun dentre eux nen porte la trace, pas plus, dailleurs,
que tous les textes coloniaux postrieurs 1919. Dautre part, le Niger oublie nouveau,
comme dans son mmoire, de prendre en considration le fait qu lpoque ddiction de ces
deux arrts, la limite daho-nigrienne stendait au-del (vers le sud-ouest) de lactuel point
triple avec le Burkina Faso. Telle est la raison pour laquelle il tait infiniment plus simple, en
1934 comme en 1938, de se rfrer de manire gnrale la "limite Dahomey Colonie du
Niger", car cette date, la rivire Mkrou ne constituait quune partie de cette limite, plus
tendue alors quaujourdhui748.
745
V. CM / R.B., p. 194, par. 4.88.
746
V. dj, propos des croquis du mmoire nigrien, CM / R.B., p. 196, par. 4.91.
747
V. CM / R.B., p. 164, par. 4.23.
748
V. CM / R.B., p. 167, par. 4.28.
201
6.25 De tout ce qui prcde, le Niger croit nanmoins pouvoir conclure qu"il
nexiste aucun texte lgislatif ou rglementaire valide de la priode coloniale qui fixe cette
limite au cours de la Mkrou"749. L'examen du droit colonial infirme totalement cette
affirmation, comme la Chambre de la Cour pourra sen convaincre en se reportant aux
passages pertinents du mmoire et du contre-mmoire bninois750. Est tout aussi infonde
laffirmation du Niger selon laquelle "aucune [des cartes produites par le Bnin] ne montre
"que la ligne mdiane de la rivire Mkrou constitue la limite entre les colonies du Niger et du
Dahomey" dans cette zone"751. Le Bnin se contentera de trois remarques cet gard :
(ii) Le Niger utilise, certes, nouveau, son argument de prdilection : ces cartes
reprsenteraient "le cours de la Mkrou de faon extrmement approximative, sans rapport
avec les ralits du terrain"753. Non seulement largument est infond754, mais en outre, il
nest daucune aide ici. Mme si la Mkrou tait mal reprsente, il nen demeure pas moins
quelle nest jamais reprsente par une ligne droite et quelle est indique sur toutes ces
cartes comme constituant la frontire entre les deux territoires concerns.
749
CM.N., p. 183, par. 5.9 italiques dans le texte original.
750
M / R.B., Chapitre 4, Section 1 ; CM / R.B., Chapitre IV, Section I.
751
CM.N., p. 183-184, par. 5.9 italiques dans le texte original.
752
CM.N., p. 184, par. 5.9.
753
Ibid.
754
V. supra, par. 6.4.
202
toutes les cartes postrieures 1919 indiquent une frontire la rivire Mkrou, et plus
aucune la ligne du dcret de 1907. Cela emporte ncessairement des consquences
juridiques que le Niger ne peut esquiver755.
"[i]l convient cependant de ne pas perdre de vue que ces parcs ont t crs
une poque o les colonies concernes existaient dj dans des limites bien
tablies. Rpondant des impratifs spcifiques, la dfinition des limites des
trois parcs na, ds lors, pas toujours concid systmatiquement avec les
limites inter-coloniales prexistantes dans ce secteur"758.
(i) Lexplication avance par le Niger ne pourrait, au mieux, se comprendre que si les
limites des colonies taient encore floues lpoque, ce qui aurait pu justifier une absence de
concidence parfaite entre celles-ci et les limites des rserves animalires. Mais le Niger
reconnat lui-mme que les limites inter-coloniales taient dj "bien tablies".
(ii) Comment imaginer que lautorit coloniale ait pu crer des zones de comptences
(car cest bien de cela quil sagit, puisquil a t cr non pas un seul parc commun aux trois
755
Voir CM / R.B., p. 169-175, par. 4.34-4.46. Cela est confirm par les nouvelles cartes produites par
le Niger lappui de son contre-mmoire : les cartes jointes en annexes 32 bis et 33 bis de latlas
gographique matrialisent en effet la frontire le long de la rivire Mkrou.
756
Voir. M / R.B., p. 96-107, par. 4.15-4.40 ; et CM / R.B., p. 167-169, par. 4.29-4.32.
757
CM.N., p. 185-186, par. 5.11.
758
CM.N., p. 185, par. 5.10 (italiques ajouts par le Bnin).
203
colonies intresses Dahomey, Niger, Haute-Volta mais un parc par colonie) sans faire
correspondre leurs limites avec celles, pourtant clairement "tablies", des territoires des
colonies intresses?
(iii) Les textes pertinents sont en tout tat de cause trs clairs sur ce point, puisque
certains ont prvu, expressment, que les limites des parcs seraient celles des colonies. Ainsi,
larrt du 13 novembre 1937 adopt par le gouverneur du Niger dispose que la limite
provisoire du parc ct Niger est, au sud, "la rivire Mkrou depuis son embouchure dans le
fleuve Niger jusquau point o elle effectue la limite entre le Dahomey et le Niger"759. De
mme, lavant-projet pralable larrt du 25 juin 1953 se rfre, pour la mme limite sud,
"la frontire entre les Territoires du Niger et du Dahomey" en prcisant que "cette frontire est
matrialise par la Mkrou "760.
(iv) Il apparat plus largement et de faon tout fait limpide que les textes relatifs aux
parcs du W, lus en connexion les uns avec les autres et en rapport avec ceux fixant la frontire
la rivire Mkrou, tablissent la limite des parcs la rivire Mkrou parce que celle-ci
constitue la limite inter-coloniale761.
6.28 Pour sopposer cette conclusion invitable, le Niger sappuie une nouvelle
fois sur son "argument" favori : "la focalisation [sic] sur la Mkrou qui ressort" des textes
pertinents sexpliquerait l aussi "par la mconnaissance de la rgion"762. On sait toutefois le
peu de poids qui sattache cette ide763. Le Niger lui adjoint un autre argument, qui plaide
toutefois contre la revendication nigrienne. Il fait valoir que le choix de la rivire Mkrou
trouverait sa justification "pratique" dans le caractre plus facilement reconnaissable sur le
terrain dune frontire naturelle et oppose sur ce point la rivire Mkrou la ligne de 1907
qui, elle, ntait pas "facilement reconnaissable sur le terrain"764. Telle est, sans doute en effet,
759
M / R.B., annexe 46 (italiques ajouts par le Bnin).
760
M / R.B., annexe 57.
761
Voir M / R.B., p. 96-107, par. 4.15-4.40; et CM / R.B., p. 167-169, par. 4.29-4.32.
762
CM.N., p. 186, par. 5.12, et p. 187-188, par. 5.13.
763
Voir supra, par. 6.4.
764
CM.N., p. 186-187, par. 5.13.
204
la raison pour laquelle la limite de 1907 a t trs rapidement abandonne et qui explique que
lautorit coloniale a dcid ds les annes 1920 de fixer les limites inter-coloniales et celles
des rserves animalires au cours de la rivire Mkrou. Tout plaide effectivement en ce sens,
et le moins que lon puisse dire est que cela confirme la thse bninoise, et aucunement celle
du Niger.
(i) On aurait pu comprendre, le cas chant, en labsence des lments invoqus ci-
aprs, que tel soit le cas si larrt de 1952 avait cr la rserve ct Niger et celui de 1953 la
rserve ct Dahomey. Dans cette hypothse (fictive), cela aurait signifi que le gouverneur
gnral de lA.O.F. naurait pas souhait inclure dans les rserves la zone comprise entre la
rivire Mkrou (limite de la rserve ct Niger) et la ligne de 1907 (prtendue limite de la
rserve ct Dahomey). Mais cest exactement linverse qui sest produit. Larrt qui cre la
rserve ct Dahomey fixe sa limite au nord-ouest la rivire Mkrou. Il en dcoule
ncessairement que cette rserve stend jusqu la Mkrou, ce qui ne peut signifier quune
chose : le gouverneur gnral de lA.O.F. considrait que la colonie du Dahomey exerait sa
juridiction jusqu la Mkrou. A dfaut dailleurs, la zone comprise entre la rivire et la ligne
de 1907 aurait relev de deux rserves la fois, ce qui est difficilement envisageable.
(ii) Lorsque le sens dun texte nest pas immdiatement vident, il doit tre interprt
de manire compatible avec les textes applicables par ailleurs. Ici, larrt de 1953 sinterprte
trs facilement au vu de larrt de 1952 : lun et lautre se rfrent videmment la rivire
Mkrou, puisque les deux rserves se jouxtent et ne peuvent se superposer et que lun des
765
CM.N., p. 188-189, par. 5.14, et M / R.B., annexes 63 et 65.
205
deux textes se rfre explicitement la rivire Mkrou. Rien ne justifie donc une
interprtation conduisant rendre incompatibles les deux textes.
(iii) Les travaux prparatoires de larrt de 1953, que le Bnin a prsents dans son
mmoire et sur lesquels le contre-mmoire nigrien garde un silence embarrass, confirment
en tout tat de cause que la limite qui y est vise est bien la rivire Mkrou, contrairement ce
voudrait faire croire le Niger766.
(v) Quant au fait que la rserve ct Dahomey ne stende pas jusquau point de
confluence767, on ne voit pas en quoi cela prouverait que la rfrence la rivire Mkrou pour
dlimiter cette rserve est sans lien avec la limite inter-coloniale. Il se trouve simplement que,
pour les raisons exposes dans le mmoire bninois768 et sur lesquelles, nouveau, le contre-
mmoire nigrien est silencieux, le gouverneur gnral de lA.O.F. a dcid de ne pas tendre
la rserve jusquau point de confluence. Cela ne remet toutefois en rien en cause le fait quen
amont de la confluence, la rivire Mkrou a t choisie comme limite. La juridiction sur le
territoire la jouxtant a ainsi t confirme comme relevant de la colonie du Dahomey.
766
M / R.B., p. 103-106, par. 4.32-4.39.
767
CM.N., p. 189-190, par. 5.15.
768
M / R.B., p. 105-106, par. 4.39.
206
6.30 Le Niger se livre, enfin, un exercice totalement vain consistant calculer la
superficie exacte des deux rserves pour les confronter aux indications donnes dans les
arrts de 1952 et de 1953769. Cela ne dbouche sur rien de probant :
(i) Premirement, la mthode employe par le Niger est des plus contestables : alors
mme qu'il affirme de manire rcurrente que le cours rel de la Mkrou tait mal connu des
administrateurs coloniaux ce que le Bnin na jamais contest, se contentant de faire
remarquer que mal connatre une rivire ne signifie pas la confondre avec une ligne droite
artificielle, il procde ici au calcul de la superficie des rserves en 1952 et 1954 en se fondant
sur le "cours rel de la Mkrou", cest--dire son cours tel quil est connu aujourdhui.
Lanachronisme est donc total. Il lest dautant plus que le croquis n 5 reproduit en page 191
du contre-mmoire du Niger et qui est cens illustrer son propos, ne reprsente assurment
pas le cours rel de la Mkrou. Sans crainte de se contredire, le Niger dduit dailleurs de son
calcul de la superficie de la rserve cre ct Dahomey que "ce rsultat montre, tout le
moins, que ce nest de toute vidence pas au cours rel de la Mkrou que se rfrait le
gouverneur du Dahomey [sic il sagit du gouverneur gnral de lA.O.F.] dans son arrt du
3 dcembre 1952 ".
(ii) Deuximement, le Niger conclut que le chiffre de 525.400 hectares vis dans
larrt de 1952 correspond davantage une limite de la rserve fixe la ligne de 1907 qu
une limite fixe la rivire Mkrou. Peut-tre. Mais larrt de 1952 fixe expressment la
limite de la rserve la rivire Mkrou, pas la ligne du dcret de 1907. Il sen dduit
invitablement quil existait (peut-tre), lpoque, un dcalage entre la superficie donne par
larrt de 1952 et la superficie prtendument relle de la rserve. Tout cela montre quen
ralit ces calculs savants ne servent rigoureusement rien. Les autorits coloniales nont
indiqu quune superficie approximative (les arrts de 1952 et 1953 assortissent dailleurs les
superficies indiques dun "environ"), correspondant ltat de leur connaissance dalors de
la rgion et pour cette raison en dcalage ventuel avec la superficie relle des rserves. La
seule certitude qui en rsulte est que rien ne peut tre dduit, en matire de dlimitation, des
chiffres avancs. Seul importe cet gard le fait que les autorits coloniales se soient rfres
769
CM.N., p. 190-191, par. 5.16.
207
expressment la rivire Mkrou comme limite. Les textes et lintention clairement affiche
de leurs auteurs priment de toute vidence sur toute reconstitution anachronique.
770
Voir M / R.B., p. 107-109, par. 4.42-4.46.
771
CM.N., p. 192, par. 5.17.
772
CM.N., p. 193, par. 5.19.
773
Voir supra, par. 5.61-5.66 et 5.72.
208
nigrienne. Si les autorits bninoises ont exerc leurs comptences sur les terres jouxtant la
rivire Mkrou, cest en ralit tout simplement parce que celle-ci marque, depuis les annes
1920 et de manire ininterrompue depuis, la limite des territoires bninois et nigrien. La
Rpublique du Niger la dailleurs toujours admis, y compris au plus haut niveau, avant de se
ddire en 1996.
774
CM / R.B., p. 197-198, par. 4.95.
209
(iii) Ce nest quen 1996, soit aprs plus de 70 ans de pratique ininterrompue et la
suite de dclarations officielles et dengagements contraignants en sens contraire, que le Niger
a commenc remettre en cause cette dlimitation. Cette contestation se heurte tant au
principe de luti possidetis juris qu la valeur obligatoire des engagements pris par la
Rpublique du Niger, lesquels tablissent que la frontire entre les deux tats suit la rivire
Mkrou, du point triple avec le Burkina Faso jusqu son confluent avec le fleuve Niger.
210
CONCLUSIONS
7.1 Pour les motifs exposs tant dans son mmoire et son contre-mmoire, que dans la
prsente rplique, la Rpublique du Bnin persiste dans ses conclusions et prie la Chambre de
la Cour internationale de Justice de bien vouloir dcider :
- du point de coordonnes 11 54' 15'' de latitude nord et 2 25' 10'' de longitude est, elle
suit la ligne mdiane de la rivire Mkrou jusquau point de coordonnes 12 24' 29''
de latitude nord et 02 49' 38'' de longitude est,
2 que la souverainet sur chacune des les du fleuve, et en particulier lle de Lt,
appartient la Rpublique du Bnin.
Rogatien BIAOU
et de l'Intgration Africaine
212
LISTE DES ANNEXES
213
ANNEXE R / R.B. 15 Gouverneur gnral de l'A.O.F., Rapport politique annuel,
1934 (extraits)
ANNEXE R / R.B. 23 Note sur "[l]es archives au Bnin" jointe la lettre de Mme.
E. Paraso,13 octobre 2004
214
TABLE DES MATIRES
SOMMAIRE .......................................................................................................................................... ii
SIGLES ET ABRVIATIONS.............................................................................................................. iv
INTRODUCTION ................................................................................................................................ 1
Section I : Les thses des Parties ........................................................................................................... 2
1 LA THSE DU NIGER .........................................................................................................................
3
2 LA THSE DU BNIN .........................................................................................................................
4
Section II : Les sources documentaires prsentes la Chambre de la Cour ................................ 6
Section III : Plan de la rplique............................................................................................................. 9
CHAPITRE I : LE PAYS DENDI AU MOMENT DE LA COLONISATION PAR LA FRANCE..... 11
Section I : Le pays dendi .......................................................................................................................13
1 L'UNIT DU PAYS DENDI....................................................................................................................
13
2 AU MOMENT DE LA COLONISATION DU PAYS DENDI, L'LE DE LT N'TAIT PAS HABITE EN 16
PERMANENCE ................................................................................................................................
3 LE LIEN ENTRE LA DLIMITATION DES POSSESSIONS FRANAISES DU DAHOMEY ET DU 19
NIGER ET LA SITUATION PR-COLONIALE ........................................................................................
Section II : Les traits de protectorat................................................................................................ 22
1 LE TRAIT ENTRE LA FRANCE ET LE ROYAUME DE KABBI ................................................................ 22
2 LE BNIN NE SE PRVAUT D'AUCUN TITRE TRADITIONNEL ................................................................ 23
CHAPITRE II : LES MOTIFS DE LA FIXATION DE LA LIMITE LA RIVE GAUCHE 24
DANS LE SECTEUR DU FLEUVE NIGER..............................................................................
Section I : Le caractre prtendument exceptionnel du recours la limite la rive dans la 25
pratique internationale ...............................................................................................................
Section II : Une limite commode et adapte aux particularits locales ................................................30
CHAPITRE III : LE TITRE FRONTALIER DU BNIN DANS LE SECTEUR DU FLEUVE 36
NIGER.........................................................................................................................................
Section I : La conscration de la fixation de la limite la rive gauche par les changes de 38
correspondance de 1954..............................................................................................................
1 LES CIRCONSTANCES AYANT ENTOUR L'ENVOI DE LA LETTRE DU GOUVERNEUR DU NIGER 39
DU 27 AOT 1954...........................................................................................................................
2 LES SUITES DONNES LA LETTRE DU 27 AOT 1954................................................................ 45
3 LA PORTE JURIDIQUE DE LA LETTRE DU GOUVERNEUR DU NIGER DU 27 AOT 1954 ........................... 59
A Une conscration dfinitive du trac de la frontire................................................................61
B Un titre frontalier s'imposant aux Parties............................................................................................ 68
Section II : La limite la rive gauche a t dfinitivement fixe ds 1900............................................76
1 CONSIDRATION GNRALES RELATIVES AUX ARRTS DE 1989, 1900, 1934 ET 1938......................... 77
A Les critiques adresses par le Niger aux titres juridiques du bnin sont imprcises et non 77
pertinentes ................................................................................................................................
B Les actes administratifs pertinents dans la perspective du droit colonial franais................................ 80
2 LA PORTE JURIDIQUE DES ARRTS DE 1898, 1900, 1934 ET 1938 AU REGARD DE LA LIMITE 82
DANS LE SECTEUR DU FLEUVE ................................................................................................
A Le contexte des arrts de 1934 et 1938............................................................................................. 83
B Le contexte des arrts de 1898 et 1900 ............................................................................................. 89
C La porte des arrts aux principaux niveaux de la structuration territoriale en A.O.F. ....................... 90
3 LE SECTEUR CONTEST DU FLEUVE NIGER FAIT DFINITIVEMENT PARTIE DU TERRITOIRE 94
TERRESTRE DU DAHOMEY DS 1900................................................................................................
215
Section II : Une gestion partage, sans incidence sur la dlimitation ................................................... 118
1 LES PRTENDUES EFFECTIVITS COLONIALES .................................................................................... 119
2 LES PRTENDUES EFFECTIVITS POST-COLONIALES ................................................................ 122
Section III : La souverainet du Bnin sur l'le de Lt........................................................................ 125
1 LES LMENTS PRSENTS PAR LE NIGER N'TABLISSENT PAS SA SOUVERAINET SUR L'LE 127
DE LT................................................................................................................................
A Le Dahomey n'a jamais reconnu l'appartenance de l'le de Lt la colonie du Niger.......................... 128
B Le Niger ne peut justifier d'aucune effectivit sur le territoire de l'le de Lt................................ 134
1 - Les lments antrieurs l'adoption du modus vivendi ................................................................ 134
2 - Les lments postrieurs l'adoption du modus vivendi................................................................ 137
3 - L'absence d'allgation d'effectivits postrieures la lettre du 27 aot 1954................................ 148
2 LE TITRE DU BNIN SUR L'LE DE LT ET SA CONFIRMATION .............................................................. 151
A Le titre du Bnin sur l'le de Lt................................................................................................ 151
B L'administration par le Dahomey de l'le de Lt ................................................................ 152
CHAPITRE V : LE TRAC FRONTALIER DANS LE SECTEUR DU FLEUVE NIGER ............... 157
Section I : Le trac frontalier de la confluence avec la rivire Mkrou jusqu'au point triple 159
avec le Nigria.............................................................................................................................
1 UNE LIMITE LA RIVE CT GAUCHE ET NON LA LIGNE D'INONDATION SUR LA RIVE 159
GAUCHE ................................................................................................................................
2 LA LIMITE LA RIVE GAUCHE S'TEND DU CONFLUENT DE LA MKROU BANDOFAY ......................... 165
3 LES PONTS DE MALANVILLE ............................................................................................................. 171
A Une dlimitation incohrente et complexe.......................................................................................... 174
B Une dlimitation qui ne repose sur aucun lment probant ................................................................ 176
Section II : Les points d'aboutissement l'ouest et l'est du trac frontalier ................................ 182
1 L'EXTRMIT OCCIDENTALE DE LA LIMITE INTER-COLONIALE DANS LE SECTEUR DU FLEUVE 182
NIGER ................................................................................................................................
2 L'EXTRMIT ORIENTALE DE LA LIMITE INTER-COLONIALE ................................................................ 185
CHAPITRE VI : LA FRONTIRE DANS LE SECTEUR DE LA RIVIRE MKROU................... 190
Section I : Le caractre artificiel de la revendication du Niger ............................................................ 191
Section II : Le droit colonial tablit que la frontire est fixe la rivire Mkrou .............................. 197
1 LES TEXTES COLONIAUX CONFORTENT LA THSE DU BNIN ................................................................ 198
2 LES TEXTES RELATIFS LA CRATION DE RESERVES DE CHASSE ET DE PARCS NATIONAUX 203
CONFIRMENT LA THSE DU BNIN ................................................................................................
3 LES EFFECTIVITS CONFIRMENT LA THSE DU BNIN ................................................................208
CONCLUSIONS.................................................................................................................................... 211
216