Tomachevski Nouvelle Ecole
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Tomaevskij B. La nouvelle cole d'histoire littraire en Russie. In: Revue des tudes slaves, tome 8, fascicule 3-4, 1928. pp.
226-240;
doi : 10.3406/slave.1928.7415
http://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1928_num_8_3_7415
D'HISTOIRE LITTRAIRE
EN RUSSIE,
PAR
B. TOMASEVSKIJ.
(1> Cet article ne prtend point prsenter un tableau complet des travaux
concernant hstoire de la littrature russe qui ont paru en Russie pendant ces dernires
annes. Seule, l'cole dite formaliste, et plus particulirement ses reprsentants de
Leningrad, qui en constituent le groupe le plus actif, seront pris en considration.
Cette cole n'est pas' une, mais il est permis de ngliger les petites diversits dans
un aperu aussi sommaire que celui-ci pour insister surtout sur les ides plus ou
moins communes tous. On remarquera, d'autre part, que, l'volution des
conceptions littraires au sein de la nouvelle cole tant assez rapide, il serait difficile de
fixer les ides du jour, et c'est pourquoi mon expos aura un caractre
essentiel ement historique. Je n'ai pas cru ncessaire de dlimiter la part de chacun dans la
cration et le dveloppement de nos ides. 11 va de soi que ce qui sera dit ici
n'engage que moi-mme, et non pas le groupe auquel j'appartiens.
Revue des Eludes slaves, tome VIII, 1938, faec. 'A-lx.
LA NOUVELLE COLE D'HISTOIRE LITTERAIRE EN RUSSIE. 22 7
W Opojaz n'a jamais t une socit rgulire possdant la liste de ses membres,
un sige social, des statuts. Cependant, durant les annes les plus laborieuses, elle
avait un simulacre d'organisation sous la forme d'un bureau qui se composait du
prsident Victor Sklovskij , de son adjoint Boris ichenbaum et du secrtaire
Jurij Tynjanov.
228 B. TOMAEVSKIJ.
W La nouvelle cole, plusieurs points de vue, a fait son profit des ides de
Potebnja et Veselovskij (voir, pour Veselovskij, l'tude de Kazanskij sur l'ide de la
potique historique dans le recueil , 1926; cf. l'expos des ides de
Veselovskij par Engelhardt dans son livre sur Veselovskij).
LA NOUVELLE COLE D'HISTOIRE LITTERAIRE EN RUSSIE. 229
ment ayant acquis une valeur esthtique originale fit devenu une
fin en soi du langage.
Considr sous cet angle, le langage potique tait dfini et
tudi dans une srie d'articles de Jakubinskij. L'auteur s'y limitait
la phontique, et principalement la phontique du vers. Il
constatait que certains faits phontiques, d'origine purement
mcanique et n'ayant aucune valeur smantique dans le langage pratique,
jouent un rle important dans le langage potique et sont
consciemment observs et mis en uvre par les potes; tel est le cas de
certaines nuances phontiques par lesquelles le langage potique
se rapproche du langage motionnel. Ce fut le point de dpart
d'une srie d'tudes sur le rle des sons dans le vers. Il convient de
citer particulirement, parmi ces tudes, celle de 0. Brik sur la
rptition des sons ( ) qui prsente un
dveloppement des ides de M. Maurice Grammont sur harmonie dans
le vers et un essai de classement des phnomnes observs, lequel
a servi de modle aux travaux postrieurs. Ce mouvement de
recherches bnficia de l'influence des ides de Sievers sur la
philologie auditive ^Ohrenphilologie) et de celles de l'cole
exprimentale franaise (Verrier, Landry), ainsi que des travaux anglais
de Scripture. On en vint naturellement, en partant de la notion de
langage potique, chercher dans l'analyse linguistique des uvres
l'explication scientifique de leur signification littraire. La
littrature fut mme qualifie de dialecte et tenue pour un objet d'tude
auquel devraient tre appliques les mthodes de la dialectologie
gnrale (voir le travail de Jakobson sur Chlebnikov).
Pendant que se poursuivaient ces recherches sur le langage
potique, Victor Sklovskij consacrait plusieurs mmoires la structure
des thmes, au sujet. Il passait en revue une srie de romans, pour
y dcouvrir les lois intrinsques de leur construction ; il s'attachait
notamment cet gard l'uvre de Sterne. A la diffrence de
Veselovskij, il dirigeait son attention sur le tout de l'uvre plutt
que sur le dtail des thmes qui s'y trouvaient rassembls. Il
dterminait ainsi un certain nombre de notions qui prenaient leur place
dans la doctrine de la nouvelle cole.
La premire tait celle du sujet mme. Le sujet cessa d'tre
considr comme la somme des vnements prsents dans l'uvre.
A la masse amorphe des faits et des incidents (la , suivant
sa terminologie) Sklovskij opposait la mise en uvre de l'auteur,
la disposition des matriaux impose par l'artiste, en un mot le sujet.
Le sujet, en effet, n'est autre ses yeux que le mode d'utilisation
232 . TOMAEVSKIJ.
son attention sur les objets mis en cause par l'auteur et tudier ces
objets comme des ralits sans prendre garde leur incarnation
littraire; on le voyait passer, sans s'en apercevoir, travers
l'uvre mme, ne sachant que faire des faits d'ordre esthtique,
indiffrent aux principes constructifs de la cration potique. C'est
l'cole symboliste que nous sommes redevables de la
rhabilitation des problmes de l'art pur dans l'tude de la littrature. Les
essais critiques et historiques d'Andrej Belyj (1), de Vjaeslav Ivanov,
de Valerij Brjusov ont attir notre attention sur l'lment que les
traditionalistes laissaient dans l'ombre.
Les formalistes nirent l'utilit, du point de vue de la
mthode, de cette opposition de la forme au contenu. Ils admettaient
encore l'opposition de la matire la forme, mais en considrant
que tous les lments de l'uvre, l'ide aussi bien que le rythme,
sont des facteurs artistiques et ne sont actifs qu'en tant que tels,
et par suite doivent tre tudis comme tels. Ils s'attachaient
surtout, par une raction naturelle, ce que leurs prdcesseurs
avaient ignor. D'o l'impression qu'ils tudiaient la forme aux
dpens du contenu, suivant l'ancienne opposition de ces deux mots.
D'autre part, la confusion avec l'cole linguistique de Fortunatov
(l'cole formelle) favorisa aussi l'appellation de mthode formelle :
quelques adeptes Opojaz s'en emparrent, d'autres essayrent un
peu timidement de dcliner cette caractristique. Mais l'appellation
resta et, malheureusement, ne fut pas sans quelque influence sur
la reprsentation vulgaire que le public a souvent de l'uvre de la
nouvelle cole.
A l'opposition du langage pratique et du langage potique
correspond l'opposition de la prose et de la posie. La prose ,
dpourvue de qualits esthtiques , a des moyens d'expression automatiss.
La posie est un phnomne essentiellement esthtique, o tout
a sa valeur propre et doit tre apprci et senti comme un objet
immdiat d'impression esthtique. L'impression esthtique se rduit
la formule : le but n'est rien, les moyens sont tout. 11 faut, pour
comprendre une uvre d'art , faire revivre l'acte de sa cration non
pas en tant que procdant de la psychologie individuelle de