Ìyàmi Òsòròngà Revisitée - La Force Des Femmes Et La Colère Des Hommes
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Lpine Claude. ymi srng revisite : la force des femmes et la colre des hommes. In: La colre et le sacr. Recherches
franco-brsiliennes. Besanon : Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquit, 2000. pp. 95-118. (Collection ISTA ,
755);
http://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_2000_ant_755_1_1619
Claude Lpine
S'il est, dans l'univers mythologique des Yorb1, une crature qui
inspire tout particulirement la terreur, c'est bien ymi srng, celle qui
vole la nuit au-dessus de la ville, les ailes grandes ouvertes, sous la forme de
l'un de ces oiseaux du Mal - gbgo, tiro, Ell, srng - dont le cri
rsonne dans le silence, rpandant l'effroi, et qui apportent la mort l o ils se
posent2.
Verger a bien montr3 que ymi n'tait autre que notre Mre Ancestrale
dont l'image a t dtourne au cours de l'histoire. Toutefois il n'puise pas le
sujet, car il s'avre que tymi est bien autre encore, et en particulier Onil, une
ancienne divinit de la Terre.
Nous essaierons donc d'largir et d'approfondir notre comprhension de
cette figure archaque de la pense religieuse des Yorb, de ses
mtamorphoses au cours du temps, et des motifs de sa colre et de sa cruaut.
Nous nous appuierons dans cette entreprise sur les principes proposs par
Meillassoux4 et nous nous efforcerons d'interprter les mythes yorb en les
rapportant au contexte dans lequel ils sont ns, se sont dvelopps, ou ont t
rinterprts, c'est--dire en essayant de les retrouver et de les expliquer par
les modes d'organisation sociale et matrielle sur lesquels s'est construite une
certaine conception du monde qui s'exprime dans la figure de Iymi.
'. Nous considrons ici, d'une manire gnrale, la religion traditionnelle des peuples de l'aire
culturelle du Golfe du Bnin, mais plus spcialement celle des Yorb, ethnie qui vit actuellement
dans la rgion sud-ouest du Nigeria, ainsi qu'en certaines parties du sud de la Rpublique Populaire
du Bnin et du Togo.
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7. P. Verger : " Orixs ". So Paulo, Corrupio, 1981, p. 18.
8. Tel est le cas des Igala Q. Boston : " Medicines and fetishes in Igala ". Africa, XL, 3, 1971) ;
des Idk (U. Beier : " Before Oduduwa ", Odu, n3, p. 30) ; des Igbo (G. Parrinder : " La religion en
Afrique Occidentale " , Paris, Payot, 1950, p. 60) ; des habitants de la ville d'Oba (U. Beier, op. cit.).
9. Morton-Williams : " The Yoruba Ogbni cuit in Oyo ", Africa, XXX, n4, 1960.
10. S. Johnson : " History of the Yoruba ". Lagos, Bookshop, 1921.
n. E.M. Lijadu : " Fragments of Egba National History ". Egba Government Gazette, 1904, n 1.
La mme histoire est raconte par J.O. George : " Historical notes on the Yorb country ".
12. Adayemi : " Iwe itan yo ", 5-6.
13. R. Law : " Tho yo Empire : c. 1600-c. 1836 ". Oxford Clarendon Press, 1977.
des peuples mrotiques14, au VIIe sicle, conduits par Kisra. Cette migration
aurait laiss de nombreux tablissements, notamment aux pays kiti, nd,
Igl, Bariba, et serait peut-tre aussi l'origine des Igbo de la rgion d'If.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un peuplement pr-Odduw. Dans la rgion o
allait natre le royaume d'yo, un petit groupe, probablement d'origine nupe,
s'installa et prospra. Il avait peut-tre pour capitale Oko, ou Igboho.
Ces anciens habitants avaient pour religion le culte de la Terre et des anctres,
auquel il faut sans doute ajouter celui de quelques divinits comme le dieu du
tonnerre associ au blier. Ce culte de la Terre serait l'origine du culte gboni,
et tait prsent, par consquent, la naissance du royaume d'yo.
Bien plus tard, sans doute vers le XIIIe sicle, yo aurait t conquis par
le groupe d'ranyn, un aventurier probablement d'origine bariba, qui s'tait
dj empar d'If o il aurait usurp le trne d'Oblfn. Il avait domin
galement Bnin o il laissa l'un de ses fils sur le trne. Oy, il pousa une
fille du roi nupe, l'Elempe, et s'en retourna peu aprs If. Son fils, Sng,
aurait donc t le premier roi de la nouvelle dynastie. Le groupe d'ranyn,
provenant d'If, aurait introduit le culte des rs, en particulier celui d'gn,
qui tait autrefois15 l'ris des Alfin, et celui d'Obtl.
Il s'tablit probablement cette poque un systme politique du type dit
" dualiste ", sous lequel coexistaient une confdration de lignages
autochtones, d'origine nupe, et une monarchie impose par les nouveaux
arrivants d'If. Toutefois, en Afrique, comme l'on sait, la terre appartient aux
dieux et non pas aux hommes ; les chefs lgitimes ne peuvent tre que les
descendants de l'anctre qui, le premier, s'est fix sur les lieux et a scell un
pacte avec les divinits locales. La conqute ne peut en aucun cas fonder des
droits sur la terre, d'o la ncessit d'un compromis avec les autochtones qui
dtiennent le privilge du culte de ces divinits. Les premiers habitants
parviennent donc conserver, le plus souvent, un certain contrle sur la
monarchie. Ce fut certainement le cas yo, comme nous allons le voir.
Plus tard encore, au XVIe sicle, yo fut pris et dtruit par les Nupe.
cette poque le royaume nupe venait d'tre unifi par le hros Tsoede (Etsu
Edegi) et entrait dans une phase d'expansion. L'Alfin Onigbogi fut oblig de
fuir et se rfugia chez les voisins bariba o la dynastie vcut en exil pendant
w. Biobaku, O. Saburi : " An historical sketch of the peoples of Western Nigeria ". Odu, n 6, 1958.
15. M. Palau-Marti : " Le roi-dieu au Bnin ". Paris, Berger-Levrault, 1964.
prs d'un sicle. yo ne fut repris aux Nupe qu'au XVIIe sicle. Law suppose16
qu'il y eut ce moment un nouveau changement de dynastie et que le premier
roi qui rgna aprs la reconqute - Abipa - n'tait pas le descendant des
anciens Alfin, mais un prince d'origine bariba. Le descendant de la dynastie
antrieure conserva la charge de Basrun, c'est--dire Roi de l'Au-del, alors
que l'Alfin rgnait sur la terre et le monde physique. Le Basrun avait pour
risa gn et l'Alfin avait pour " totem " l'lphant17. Les anciens chefs du
rgime prcdent constiturent l'yo Misi18, Conseil des Seigneurs d'yo form
de six membres, plus un septime : son Prsident, le Basrun. On a donc, yo,
la superposition d'un second systme dualiste au premier.
Les gboni, chefs des premiers habitants, continurent, malgr ces
successifs changements de dynastie, exercer leur autorit et un rigoureux
contrle politique, sur les chefs du premier groupe d'immigrants (yo Misi)
comme sur la nouvelle monarchie.
D'aprs Morton- Williams, les prtres gboni participaient aux
crmonies funbres la mort d'un roi et celle de l'intronisation de son successeur19.
C'taient eux qui avaient la charge de prparer le crne du dfunt Alfin, dans
lequel le nouveau roi devait boire un breuvage sacr. C'est dire que la
monarchie ne pouvait se perptuer sans eux.
Le roi tait soumis tant au contrle exerc par le Basrun qu' celui des
gboni. Une fois par an, au cours de la crmonie de l'run, en septembre,
l'Alfin et le Basrun devaient consulter l'oracle pour savoir si le roi pouvait
continuer rgner. Tandis que le Basrun consultait l'run (double) de l'Alfin,
ce dernier, dans le secret de la loge appele Tapa-gboni (gboni nupe),
au palais, consultait la Terre. Si la rponse tait ngative, dans un cas comme
l'autre, il devait se suicider.
La Socit gboni contrlait galement l'yo Misi dont les membres
taient obligs d'adhrer l'association quand ils entraient en fonction.
Cela semble donc confirmer que les gboni reprsentaient les premiers " chefs
de la terre ".
D'autre part, dans la rgion sud-ouest, aux pays gba et gbd, les six
chefs gboni remplissaient, dans les petites villes, les mmes fonctions que
l'yo Misi yo. C'taient eux qui avaient le privilge d'lire le roi. Dans
les grandes villes, comme par exemple lro, l'organisation de l'tat
reproduisait celle d'yo, mais l'Oba et le Conseil avaient moins de pouvoirs
que l'Alfin et l'yo Misi. Par contre, le groupe des chefs gboni exerait un
gouvernement sculier20.
D'aprs ce qui prcde, il semble donc bien que la Socit gboni
reprsentait les chefs des premiers habitants, et que la Terre tait la
principale divinit de la religion de ces derniers.
Mais en quoi consistait cette religion ? La Socit gboni est
extrmement conservatrice ; son systme de croyance et ses rites doivent avoir peu
chang. En effet, une population qui, comme les premiers habitants de la rgion
d'y, est soumise un contact intense et la pression d'un groupe porteur
d'une autre religion, tend radicaliser sa position et ses traditions. Les
informations dont nous disposons sur ce culte, bien que datant du XIXe ou du XXe
sicle, doivent donc nous renseigner sur ses formes plus anciennes.
Et, rellement, les observations faites par plusieurs ethnologues
dcrivent le style des objets rituels de la Socit gboni - les edan gboni -
comme compltement diffrent de celui de l'art des ris. Les edan gboni sont
des figures en bronze, d'une quinzaine de centimtres de hauteur environ,
reprsentant d'une faon stylise certains esprits de la Terre. Le style gboni parat
plus primitif que celui des ris ; hiratiques, dramatiques, les figures
exhibent un sourire nigmatique, et voquent trangement la sculpture grecque
archaque21. C'est un art dont l'intention est conceptuelle et non figurative, et
qui offre un net contraste avec l'art des ris, qui au contraire exprime le calme
et l'quilibre22. Selon D. Williams23, la phase primitive de l'art gboni
correspondrait la priode 1280-1640, l'introduction du bronze dans la rgion
remontant 1280. Mais auparavant, dit la tradition, les objets rituels taient
fabriqus en bois de palmier.
Le systme religieux gboni repose sur quatre lments : Olrun (dieu du
monde surnaturel) ; Onil (divinit de la terre et de l'univers) ; le sang
Sous le premier de ces trois points de vue Onil est la boue primordiale
dont toutes choses sont faites, aussi bien la matire minrale que les vgtaux,
les animaux et les hommes qu'Obtl moule dans l'argile. Les corps des tres
humains ne sont donc que des parcelles de la substance originelle ; la mme qui
se transforme, assume diffrents aspects et qui accomplit un cycle indfiniment
recommenc. Mais Onil est galement esprit ; les cratures auxquelles elle
donne naissance et qui rintgrent le grand tout aprs la mort sont tous des tres
anims. Onil symbolise donc collectivement tous les esprits, tous les morts,
tous les anctres.
17 . P. Verger : " Orixs ". So Paulo, Corrupio, 1981, p. 253 ; et aussi Awolalu, J. Omosade : " Yorb
beliefs and sacrificial rites ". Essex, Longman Group ltd., 1979, p. 26.
M. Palau-Marti : op. cit. p. 165.
29 '. U. Beier suggre une autre explication cette substitution de Yemowo par Odduw. Selon cet
auteur il s'agit en fait d'un changement de sexe de la divinit de la Terre qui s'expliquerait par une
rpercussion au niveau du mythe de transformations structurales de la socit yorb qui aurrait
volu d'une forme matriarcale vers une forme patriarcale, et d'une modification du statut de la
femme. (" The historical and psychological significance... ")
Sous le second aspect que nous avons choisi de considrer, Onil apparat
comme la gardienne des lois, de la justice et de la morale.
Morton-Williams dfinit la Socit gboni comme une corporation
secrte de chefs politiques et religieux unis rituellement. Chaque loge de la
Socit gboni est dirige par deux chefs : l'Oluwo (le Matre du Secret) et
l'Apena (Celui qui ouvre le Chemin), qui exerce des fonctions judiciaires.
La charge d'Oluwo est hrditaire et appartient au lignage de l'homme qui,
le premier, a install une branche de la Socit dans la ville. Les membres de
l'association sont partags en deux catgories : d'une part les plus " jeunes ",
We-We-We, et d'autre part les Ologboni ou Alawo (Seigneurs du Secret) qui
sont les plus hauts en grade34.
32. P. Hazoum : " Le pacte de sang au Dahomey ". Paris, Institut d'Ethnologie, 1956.
3\ P. Hazoum, Ibid., p. 122.
M. Morton-Williams : op. cit., p. 365.
l'ami taient chtis par Onil et possds. Atteints d'une maladie incurable,
ils perdaient la raison et mouraient d'une faon dgradante. Seul le prtre
d'gr, D, pouvait obtenir le pardon de la desse et la cure du frre
parjure 35 .
En ralit, la Socit gboni excutait secrtement les coupables des
dlits considrs comme les plus graves, tel point que Frobenius la qualifie de
" Dcapitation Compagny limited "36. Ces excutions, bien entendu, taient
attribues aux Esprits de la Terre, egbe ogbe.
Nous pouvons donc constater que le caractre vengeur de la Grande
Desse Onil tient surtout des circonstances historiques et au fait qu'elle
tait devenue un instrument de contrle de l'ordre et de la paix interne.
Mais ce caractre terrifiant semble s'accentuer partir de la priode
post-Odduwa. Avec l'arrive de nouveaux groupes d'immigrants qui imposent
leur prsence et leurs rois, avec la pression du culte des rs qui se rpand, les
anciens chefs politiques et religieux, qui " taient l'origine les prtres
tout-puissants de la desse de la Terre, se fermrent en une socit secrte afin
de conserver leurs privilges, lorsque ce culte fut supplant - et peut-tre
combattu - par celui des ris "37.
Aujourd'hui encore les gboni soulignent l'opposition entre le culte
d'Onil et celui des ris. Onil, disent-ils38, est antrieure aux ris et aux
rois. Elle est un principe mtaphysique ; elle est ternelle, immutable,
omnipotente et omnisciente. Elle est la source de la loi morale et, comme telle,
inflexible. Elle ne peut pas tre manipule, comme les rs, dont le vulgaire
espre, moyennant quelques offrandes, qu'ils favoriseront nos projets gostes et
rsoudront nos difficults. " Tout a une cause ", ajoutent-ils39, entendant par l
que l'homme lui-mme est l'origine, par son comportement, de ses propres
malheurs. Ceux qui accusent s font preuve, d'aprs eux, d'une mentalit
infantile et superstitieuse.
Onil, la Grande Desse, punit les disputes, la violence, l'homicide,
l'adultre, le non paiement des dettes, c'est--dire des transgressions
susceptibles de dgnrer en msententes plus graves et qui menacent la paix
mythe selon lequel Olorun lui-mme dut se soumettre Onil . Ce sont les
Mres, en tant que manifestations d'Onil, qui connaissent les secrets de la
transformation de la vie et de la mort. Ce sont elles, par consquent, qui ont
cr le mystre du culte des Egun.
Mais les histoires des Od d'If, au contraire, disent que lynl, ou Od,
a abus du pouvoir et qu'elle a refus de faire les offrandes exiges par If
(ce qui nous semble logique puisqu'elle est elle-mme source d'nergie vitale),
et que, pour ce motif, Olodmar lui a retir le gouvernement du monde pour le
donner Obtl41.
lynl est la propritaire de la calebasse igbadu, avec laquelle nous
sommes en plein sotrisme. Cette calebasse est prpare par certains
babalwo, et nul ne peut en voir le contenu l'exception du babalwo auquel
elle appartient. Le mystre transcendant qu'elle recle est trop dangereux pour
le regard humain et provoque la mort de celui qui l'aperoit. Elle contient en
effet les pouvoirs d'iynl : le pouvoir des ris, les quatre coins de l'univers,
les quatre lments ; la vie, la mort, la terre, l's. lynl est aussi la
propritaire de la calebasse l'oiseau, autre symbole de l'univers et de la vie
qu'il engendre, du pouvoir des rs.
lynl reprsente le pouvoir de transformation qui fait germer les
semences au sein de la terre et crotre le ftus dans le ventre des femmes.
Ce pouvoir de transformation s'exprime aussi, symboliquement, par sa
capacit de se mtarmorphoser en animal, le plus souvent en oiseau. Elle
contrle le sang des femmes, la menstruation, la gestation, la fcondit, et ce
pouvoir exorbitant que possdent les femmes de crer la vie. lynla appartient
au principe de la cration et la catgorie des rfis funfun. Comme Obtl,
elle est blanche, froide, lente, et aime la propret.
lynl est toujours de mauvaise humeur, et sa colre est tout aussi
terrible qu'imprvisible. Elle provoque la strilit, l'impuissance, elle tue les
petits enfants, mais tout aussi bien que les adultes. Elle est jalouse : elle
attaque souvent ceux qui se distinguent du commun par la beaut, la richesse,
le succs ; mais elle attaque galement sans aucun motif sous de faux prtextes.
Les malheurs et la mort qu'elle inflige ne sont aucunement la punition d'une
transgression : ils sont essentiellement injustes. Ici donc, lynl s'oppose
42. Voir l'interprtation de la signification du trickster chez S.S. Carvalho : " O trickster como
personificao de uma praxis ". So Paulo, Perspectivas, 1985.
43. Awe Bolanle : " Praise poems as historical data : the example of the Yorub oriki ".
la tte, ou surmont d'un oiseau. Les oreilles sont parfois absentes ; d'autres
fois, pointues, elles voquent celles d'un animal44.
Une fois par an, la socit Gld ralise, au dbut de l'anne agricole,
une crmonie en l'honneur de lynl. Il s'agit en ralit de deux rituels
diffrents : le rituel Ef, ralis la nuit, lorsque le grand masque de lynl
sort ; et le rituel Gld, ralis le jour, quand les masques Gld, ports par
des membres de l'association, sont promens dans les rues de la ville. Les
masques Gld, au contraire de celui de Iynl, ne sont pas secrets en dehors
des crmonies annuelles, ils restent pendus aux murs du temple. Quelquefois
ces rites sont raliss exceptionnellement une date diffrente, si cela s'avre
ncessaire en fonction d'une situation de calamit, d'une pidmie, d'une
scheresse prolonge.
La sortie du grand masque de Iynl, lors du rituel f, doit s'effectuer
dans la plus grande obscurit, car nul ne doit la voir. Les hommes masqus
prparent son arrive, l'entourent, l'isolant de la vue publique. Le masque est
port par un danseur qui le tient horizontalement au-dessus de sa tte ; il est
entirement recouvert par l'oloya dont la trane de plusieurs mtres rampe sur
le sol. Tandis que lynl danse doucement, la communaut entonne des
cantiques :
" Notre Mre lynl vient vers notre monde ;
Elle, qui est bonne, ne mourra pas comme le mchant ;
Ososomu vient vers nous ;
Notre bonne Mre ne mourra pas comme le mchant. "
" Osonosu h ! Vnrable anctre Apake ;
Mre, Mre qui as apport la paix au monde ;
Conserve ce monde pour nous ;
lynl qui as apport la paix au monde. "
Mais, simultanment, les tambours, reproduisant les tonalits de la
langue yorub, tiennent un tout autre discours45 :
" Mre, toi qui as tu ton mari pour lui prendre son titre ;
Viens et danse ;
. Pour cette description des rites Gld, nous utilisons amplement H. Drewal : " Art and
perception of women in Yorub culture ". Cahiers d'tudes Africaines, 68, XVII-4.
45. 1. Laoye, Timi of Ede : " Yorub drums ", Odu, n7, 1959. Ojo Arewa & Niyi Adekola :
"
Redundancy principles of statistical communications as applied to Yorub talking-drum ".
Anthropos, vol. 75, 1980, pp. 185/201.
Mre qui as tu ton mari pour lui prendre son titre. ".
On dit que lynl est trs grande, norme, cette grandeur exprimant
mtaphoriquement son pouvoir. Sa seule prsence suffit interrompre la
menstruation des femmes ; pour cette raison les femmes qui se trouvent dans
cette priode ne doivent pas s'approcher de lynl.
Les rites Ef et Gld taient trs certainement des rites de fcondit.
Dans le village de Daagbe, prs de Porto Novo, Brand46 a observ des poupes
articules, sortes de marionnettes qui sont utilises au cours des crmonies f
et Gld ; elles reprsenteraient, selon l'auteur, un homme, une femme, Legba
et Agbo-Legba, et elles sont manipules de faon reprsenter l'acte sexuel.
Les crmonies Gld sont galement une commmoration des morts du
village ou de la ville, indpendamment des groupes de parent auxquels ils
appartiennent ; elles mettent l'accent sur la communaut et sur la cohsion
locale extra-lignages. La Socit Gld diffre donc de la Socit des Egngn
qui se ddie au culte des anctres masculins des lignages importants de la ville.
tt. R. Brand : " Analecta et Additamenta ". Anthropos, vol. 66, 1971-3/4, pp. 550/555.
47. P. Verger : " Grandeur et dcadence... ", op. cit.
. H. Drewal : " Art and the perception of women... ", op. cit.
. R. Prince : " The Yorub image of the witch. ", J. of Mental Science, 107(449), 1961.
. Okaran meji. Wande, Aimbola : " If divination poetry ", New-York, London, Lagos, Nok
Publishers ltd., p. 99.
51 . Il est possible, d'ailleurs, que ce geste ait aussi une autre signification : il s'agirait d'tablir la
communication avec Onil et d'en recevoir l'se.
. Abraham : " Dictionary of modem yorub ". Univ. of London Press ltd., 1973.
53. L'" abus de pouvoir " est en effet la faute dont les mythes accusent les Mres, et qui explique
pourquoi Dieu leur a retir le gouvernement du monde et l'a confi Oblt et aux hommes.
Voir Verger " Grandeur et dcadence... ", op. cit.
?. Jenju, le plus puissant Egungun d'yo, celui qui excute les sorciers, est la proprit de l'Alfin,
qui garde le masque au Palais. En gnral c'tait un esclave qui portait ce masque, mais certains
Alfin l'utilisrent personnellement. (Morton-Williams : " An outline of the cosmology and cuit
organization of the Oyo Yorub ", Africa, 34, (3), 1964, p. 256).
La femme jouit d'une manire gnrale dans la socit yorub d'un status
lev. Les femmes sont reprsentes au sein des Conseils de village ou dans les
villes o elles dtiennent des postes en vue. L'un des titres fminins les plus
importants est celui de Yalode, femme qui exerce, entre autres fonctions,
l'administration, la rglementation et le contrle des activits commerciales,
et qui veille au bon fonctionnement des marchs. Il existe dans tout le pays
yorub un rseau dense de marchs locaux et de foires rgionales qui se
ralisent tous les quatre jours, ou de huit en huit, ou mme de seize en seize
jours. Le commerce en gnral, l'exception de celui du btail et de la
boucherie, est une activit fminine.
partir de son mariage la femme devient membre du groupe de parent
de son mari. Mais elle conserve des liens troits avec sa famille d'origine.
Elle continue, si elle le dsire, participer aux assembles de sa classe d'ge
dans son propre groupe de descendance ; elle a droit, comme ses frres,
l'hritage de son pre. Frquemment elle envoie ses jeunes enfants dans sa
famille d'origine pour qu'ils y soient duqus ; ou bien elle reoit de cette
dernire une fillette en ge de l'aider s'occuper de ses enfants. Dans la
rsidence de la famille tendue de son mari, elle est en quelque sorte une
trangre qui, d'ailleurs, apporte avec elle d'autres habitudes culturelles,
d'autres ris. D'autre part, ses occupations et ses activits commerciales la
maintiennent la plupart du temps hors de la maison, en ville, au march. Sa
vie est oriente vers l'extrieur. Elle chappe ainsi au contrle de la famille
du mari, ce qui contribue engendrer les soupons et l'hostilit. La vie des
hommes de la famille, au contraire, est oriente vers l'intrieur ; ils
travaillent la terre de leurs anctres, ils sont enracins dans la rsidence
patemelle o ils sont ns, o ils ont grandi, o leurs pres sont enterrs. Une
femme ne parvient s'affirmer dans la famille de son mari qu'en tant que mre
d'un fils de la maison, ou d'un groupe de frres (omoiy).
Frquemment la personne souponne de sorcellerie est une co-pouse du
pre, la mre de l'un des demi-frres : c'est--dire la belle-mre, la martre de
nos contes de fes. C'est l'Autre, l'Etrangre. Mais les Yorub se limitent
concevoir des soupons secrets ; par peur, sans doute, ils ne dsignent personne
d'une faon prcise.
. Cl. Meillassoux : " Anthropologie conomique des Gouro de la Cte d'Ivoire ". Paris, Mouton,
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