La Langue Française
La Langue Française
La Langue Française
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Le Sommet de Hanoi a cherché à replacer et à considérer la
problématique des langues au cœur des préoccupations de la
francophonie en créant un cadre de mise en œuvre d’une politi-
que cohérente et des actions partagées de coopération linguisti-
que bénéficiant des suggestions et des opinions d’experts avisés,
des priorités et des moyens d’action pour la gestion des multilin-
guismes et de la promotion et de la diffusion de la langue française.
La réunion des ministres de la Culture tenue à Cotonou en
juin 2001 a préconisé la consolidation du rôle de la langue fran-
çaise et des langues partenaires en tant que vecteur d’éducation,
de formation, d’information et d’expression des créateurs du
monde francophone.
Le Sommet de Beyrouth en 2002 consacré à la diversité cultu-
relle et linguistique autorise l’Organisation internationale de la
Francophonie à centrer ses actions dans le domaine des langues
aux aspects prioritaires, en fonction de leur visibilité, des effets
d’entraînement et des partenariats qu’ils suscitent et peuvent
mobiliser.
Le Sommet de Ouagadougou en 2004, dans le cadre stratégi-
que décennal, confie à la Francophonie la mission de promouvoir
la langue française dans les institutions internationales et la pré-
servation de la diversité culturelle et linguistique.
Dans le cadre du Sommet de Québec en octobre 2008,l’un
des quatre enjeux a porté sur la langue française envisagée sous
trois axes de réflexions :
- la place du français dans la société et dans la vie des pays
membres de l’organisation internationale de la francophonie ;
- la place du français dans la vie internationale ;
- la place du français dans le système éducatif des Etats et
gouvernements.
Cet ouvrage voudrait mettre en exergue comment la langue
française et la diversité linguistique constituent une des faces ma-
jeures de l’identité francophone.
En effet, la Francophonie fondée sur une stratégie diversifiée,
à composantes complémentaires, prend en charge, tout à la fois
plusieurs aspects : la promotion du français (incitation à son utili-
sation, amélioration de son image), mais aussi et surtout sa diffu-
8
sion par l’enseignement et par la création. Une attention particu-
lière est accordée également aux langues qui cohabitent avec la
langue française, comme entre elles, et entretiennent avec celle-
ci, des rapports de solidarité et de complémentarité.
Parler de la langue française et de l’identité francophone
évoque à la fois son statut dans le monde, son usage traduit par le
nombre de ses locuteurs et sa nature. Elle est le lien fondateur de
70 pays dont 28 l’ont adoptée comme langue officielle. 13 pays
l’ont comme l’unique langue officielle, en Afrique (Bénin, Bur-
kina Faso, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Mali, Niger,
République démocratique du Congo, Sénégal, Togo) et en Euro-
pe (France et Monaco).
Le français partage le statut de langue officielle avec une ou
deux autres langues dans 8 pays d’Afrique(Burundi, Cameroun,
Centrafrique, Comores, Djibouti, Guinée Equatoriale, Madagas-
car et Ruanda), dans deux pays d’Amérique (Canada, Haït), dans
trois pays d’Europe (Belgique, Luxembourg, Suisse) ,dans un
pays de l’Océanie (Les Seychelles) et dans un pays d’Asie (Vanua-
tu).Il ya lieu de noter la présence des pays qui ont le français
comme langue non maternelle et non officielle. C’est le cas en
Afrique du Nord (du Maroc, de la Tunisie), en Europe centrale
et Orientale (la Moldavie, de la Pologne et de la Roumanie.).
L’Europe, les Amériques et les Caraïbes sont trois régions as-
surément différentes qui présentent quelques similitudes du
point de vue de la problématique du français. Elles correspon-
dent à la Francophonie du nord (y compris partiellement les Ca-
raïbes par l’insertion géographique des Dom Tom) et elles
représentent la Zone où le français fonctionne comme « langue
maternelle », à l’exception d’Haïti, de la Dominique et de la
Sainte-Lucie.
L’Europe constitue le berceau originel de la langue française,
terrain où elle a connu une forte expansion, à travers des siècles,
comme langue des élites, en même temps qu’elle essaimait sur
les autres continents comme langue administrative. Ici comme
ailleurs, elle a bénéficié, après son implantation, d’un prestige et
d’un rayonnement remarquable comme langue d’enseignement
ou encore comme langue officielle. Mais le français tend à perdre
9
cette position privilégiée. Si, en Europe francophone, dans
l’espace sociolinguistique originel du français, celui-ci se porte
bien, son avenir s’avère préoccupant, pour ce qui concerne son
positionnement sur cet espace continental particulièrement après
son élargissement.
En Amérique, l’avenir du français est sans doute encore plus
sombre, dans la perspective de l’établissement de la Zone de Li-
bre Echange des Amériques (ZLEA), dans laquelle il risque
d’être réduit au rang de langue locale, confinée à l’état de la lan-
gue de Québec et de quelques communautés mineures.
L’intégration des Caraïbes pourrait remettre en cause cet équili-
bre, à moins que les Dom Tom soient considérés, du moins sur
le plan linguistique, comme éléments à mettre à contribution
dans le cadre de la dynamique régionale.. L’Afrique est, jusqu’à
preuve du contraire, demanderesse du français au sein des Etats
membres comme dans les autres Etats. La trentaine de pays qui,
dans le Sud particulièrement en Afrique, ont choisi le français
comme langue officielle, sont encore semi-francophones. Malgré
la bonne volonté, ils ne parviennent pas à assurer une plus grande
expansion du français sur leurs espaces, à cause de la défaillance
des systèmes éducatifs, l’insuffisance des outils didactiques et
l’inadaptation des méthodologies utilisées. Certains pays anglo-
phones, en raison de la proximité avec les espaces francophones
et la conjoncture politique internationale si défavorable à la su-
perpuissance américaine, frappent aux portes de la langue fran-
çaise. En Afrique, ce n’est pas seulement le Nigeria et le Ghana
qui souhaitent cette ouverture mais surtout l’Afrique du Sud dans
son rêve de pouvoir dialoguer avec l’ensemble du Continent.
Une politique volontariste francophone peut, de la sorte, oc-
troyer une avance à la langue française en Angola et au Mozambi-
que. Une Afrique à dominante francophone, pourrait avec une
Europe également francophone, constituer un axe d’avenir pour
restituer au français des assises sociolinguistiques solides.
Dans le monde arabe, l’expansion de la langue française de-
vrait s’organiser dans le cadre de la Ligue arabe, à partir du Liban
et du Maghreb, bien entendu dans la convivialité avec l’arabe. La
politique linguistique multilatérale devrait porter d’abord sur le
10
soutien à des actions de terrain pour la diffusion pour contribuer
au démarrage des dynamiques régionales, capables de prendre en
main les problèmes linguistiques et les nécessités de
l’environnement francophone des organisations spécifiques.
L’Océan indien nécessite un effort de polarisation de
l’ensemble des interventions régionales en faveur du français. Le
statut du français s’analyse dans ce vaste espace selon trois aspects
différents : langue première ou langue d’éducation ou langue se-
conde et langue étrangère.
Au regard de ce paysage, pour la Francophonie, le maintien
de la langue française dans son statut de langue de communica-
tion mondiale est donc une nécessité vitale, à la fois pour ne pas
être complice de l’atrophie du patrimoine linguistique mondial et
pour ne pas accentuer la marginalisation de vastes régions du
Sud, notamment l’Afrique, pour qui l’accès à la mondialisation,
pour des raisons historiques, ne peut se réaliser, dans l’immédiat,
que par elle. Des stratégies fortes devraient être mises en œuvre
pour faire face à cette situation.
Les grands chantiers de la langue française, dans lesquels pui-
ser des thématiques concrètes, peuvent, dans un grand effort de
resserrement, s’énoncer, comme suit :
- Consolidation du statut politique du français par la prise en
charge des plurilinguismes nationaux, par l’appropriation du
français par les communautés nationales et régionales, par la pro-
tection locale du français comme langue de travail dans la société
civile et dans les entreprises.
- Diffusion du français par l’enseignement et l’audiovisuel
- Création du français en français.
La créativité littéraire est censée occuper une place de
choix car la littérature est non seulement productrice de la lan-
gue, mais elle constitue un point d’attraction pour ce qui concer-
ne le français.
- Veille linguistique et le soutien à l’environnement franco-
phone par la sensibilisation aux enjeux linguistiques et au déve-
loppement des dispositifs linguistiques favorables au français et
l’observation du statut de la langue.
11
Cet ouvrage qui porte le titre significatif « Langue françai-
se en Francophonie : pratiques et réflexions » rassemble,
en trois chapitres , des textes produits dans diverses circonstan-
ces et qui mettent en exergue des réflexions sur la langue françai-
se et ses contacts avec d’autres langues de son espace et soulève
des questions sous-jacentes :
- Méthodes d’études des variétés du français
- aménagement du français et les autres langues
- le partenariat du français et les autres langues
- la biographie langagière en contexte multilingue
- l’identité francophone
- la question de gestion des langues et des politiques linguisti-
ques en contexte multilingue.
La plupart des exemples sont tirés de la République démocra-
tique du Congo qui constitue mon terrain de prédilection.
12
I
Langue française : situation
et réflexions théoriques
Les études françaises
en république démocratique du Congo
15
1.1. Le guide, ici l’enseignant, est supposé maîtriser la matière
qu’il est appelé à transmettre à ses disciples, qui dès le départ, se
trouvent dans une situation de bilinguisme solidement établi, qui
parlent le français en classe (juste pour se faire comprendre) mais
qui dans la cour et à la maison recourent à la langue véhiculaire
satisfaisant le mieux leurs besoins de communication quotidienne.
Ce guide est censé avoir appris la méthodologie spéciale du
français qui « tente d’expliquer la manière particulière
d’enseigner le français » (WEISMAN, G. : 1975 : 5).
Mais, en réalité, en RDC, le cours de français, est confié à
n’importe qui : jeunes finalistes des humanités, licenciés ou gra-
dués en n’importe quelle discipline, pourvu qu’ils sachent
s’exprimer convenablement (et encore !) en français.
16
place de la grammaire est réduite, ce professeur la supposant déjà
vue en C.O., alors qu’il n’en est pas ainsi en réalité.
En 5ème et en 6ème, la grammaire est complètement effacée du
programme et cela, dit-on, « en raison des résultats acquis dans
les domaines de l’expression et en raison aussi de la maturité plus
grande des élèves » (Brochure Pro 51 : 1967).
Au cours de ces deux dernières années, on va s’atteler à for-
mer les élèves à la réflexion, à la rigueur de la pensée, à une mé-
thode de travail intellectuel. Pour atteindre cet objectif, les
auteurs du programme recommandant au professeur de français
d’axer son enseignement sur les textes de réflexion et les débats
sur une diversité de thèmes.
A bien voir, le programme congolais relègue la grammaire –
base de toute communauté au second plan. Celle-ci apparaît oc-
casionnellement au niveau de 3ème et 4ème années ; à partir de la
5ème, les manuels en usage, et même le programme n’en parlent
plus.
Même si, pour Rivarol, la grammaire est l’art de lever les dif-
ficultés d’une langue et qu’il ne faut pas que le levier soit plus
lourd que le fardeau, une question demeure celle de savoir si, en
RDC, il s’agit d’un enseignement de la langue française ou de la
culture française. L’un n’exclut pas l’autre, c’est entendu (voir
MUDIMBE, V.Y., : 1978 : 21-26) ; mais dans le cas en présence,
l’accent semble porter beaucoup trop sur la culture française ;
pendant qu’on ne peut compter que sur la subtilité de
l’enseignement (et quel enseignement !) pour revenir sur les no-
tions fondamentales de la grammaire qui sont réellement frag-
mentaires chez l’élève, même en fin d’humanités.
Cette connaissance sommaire de la grammaire, pour tout di-
re, cette méconnaissance de la grammaire française – accentuée
par les faits d’interférences, un modèle souvent déficient, les
conditions défectueuses de l’enseignement même (matériel di-
dactique, méthodologie) – ne peut que faciliter l’implantation en
milieu scolaire congolais d’un français approximatif,
« normatif », c’est-à-dire, s’écartant de plus en plus de la norme,
c’est ce que montre un nombre de plus en plus croissant de tra-
vaux produits au Département de Langue et Littérature françai-
17
ses de l’Université de Lubumbashi aboutissant à des conclusions
essentiellement convergentes, lesquelles peuvent être résumées
en ces termes : « On assiste à une dégradation, à une sorte de cri-
se du français en milieu scolaire de la République démocratique
du Congo ».
18
2.1. L ’ é t a p e d u f r a n ç a i s a u C o n g o ( 1 9 6 0 - 1 9 7 0 )
19
2.2. L’étape du français du Congo (1970-1980)
20
rois n’ont commencé à porter des fruits qu’à la fin des années 60
et leur entrée en grand nombre dans la carrière scientifique et
académique correspond à la décennie 70 ; i.e celle de l’UNAZA.
Le tableau suivant illustre cette constatation pour l’ensemble des
établissements de l’enseignement supérieur et universitaire »
(MPEYE, N., 1983 : 7).
21
L’on peut aisément se rendre compte qu’au début de la dé-
cennie 1970-1980, le nombre de professeurs étrangers était plus
élevé que celui des nationaux, ce qui n’est plus le cas vers la fin,
entre 1978 et 1979.
23
temps à un désintéressement plus ou moins total à l’endroit de
cette langue dans certains milieux populaires. On entend des avis
du genre : « le français ce n’est pas de l’argent ». Ceci s’explique
par la dégradation même du niveau de vie de ceux qui sont char-
gés de l’enseignement de cette langue.
2.- Nous pouvons, à titre d’hypothèse, évoquer aussi le fait
qu’à partir de 1980, l’on commence à avoir au département et
même au niveau de toute l’Université, les produits formés loca-
lement qui constituent le reflet de la spécificité du milieu et qui
cherchent à expliquer par des travaux d’analyse linguistique la
crise qui se fait de plus en plus remarquable en matière de la lan-
gue française.
Conclusion
24
- Quel français enseigner ? Le français ainsi démantelé conti-
nue-t-il à être ressenti comme langue officielle et de prestige dans
toutes les couches de la population ? Des enquêtes ponctuelles
dans les différents milieux du pays permettront de trouver ré-
ponses à ces questions.
Notes
25
Prolégomènes à une étude linguistique
du français congolais
Quelques questions de méthodes
27
spécifiques qui font que ce français diffère des autres variétés du
français parlé ailleurs. Certaines études (MONGA : 1980,
EFOKO : 1981, IKOLI : 1981, BOLINGOLA : 1981), affirment
que ce français congolais se présenterait sous forme de variétés
différenciées à la fois du point de vue linguistique et du point de
vue psychosociolinguistique. Celles-ci devront être traitées à
l’instar des variétés autonomes (FISHMAN : 1972). Leur statut
fonctionnel ainsi que leurs connotations socioculturelles auront à
être déterminées. (BAL : 1976). Il se pose ici une première ques-
tion : est-il vraiment pertinent d’attacher les différentes variétés
du français congolais à des catégories socioprofessionnelles ? Cela
revient à dire que chacune des catégories renferme des traits spé-
cifiques du français. L’affirmation peut être vraie sur le plan lexi-
cal, le lexique étant l’élément de la langue à la fois le plus intégré
et le plus migrateur, mais on serait tenté de crier tout haut la
fausseté de l’affirmation dans les autres niveaux linguistiques.
Pour le faire, il faut des preuves. Celles-ci ne peuvent être tirées
que d’une analyse minutieuse de la langue. Dès lors surgit une
série d’autres questions, fondamentales celles-là.
- Quelles théories de référence et quelles méthodes adopter
dans l’analyse du français congolais ? Quelles instruments et
techniques devront seconder les différentes méthodes ? La répon-
se à toutes ces questions exige qu’on circonscrive le champ de
recherche du français congolais.
28
évolution jusqu’à ce jour. (FAIK : 1979). Il se posera sûrement le
problème de documentation. Si le corpus écrit est accessible, il n’en
sera vraisemblablement pas de même pour le corpus oral.
29
champ fertile pour éclairer et corroborer ces méthodes et théo-
ries plus d’une fois vérifiées sous d’autres cieux ?
Ce sont là des questions qui exigent une définition et redéfini-
tion des méthodes et théories en usage dans la description du fran-
çais congolais . Elles sont à la base d’un désarroi qu’on ressent
quand on est appelé à aborder un domaine où on se sait mal armé.
C’est pour répondre à ce besoin que nous allons donner quel-
ques propositions méthodologiques de nature à résoudre ce pro-
blème si pas dans tous les domaines de recherche du français
congolais mais certainement dans quelques-uns que nous jugeons
comme fondamentaux.
3. Questions de méthodes
30
pas les mêmes effets d’interférences, c’est-à-dire que ces faits
peuvent être neutralisés dans des conditions d’apprentissage sai-
nes, quand on songe à la facilité de neutralisation des difficultés
internes à la langue, il y a lieu d’écarter toute idée d’explication
du changement du français par cette voie à moins de se limiter au
niveau lexico-sémantiques. La véritable cause de la modification
du français devenu français congolais devrait être le contexte
d’apprentissage et la motivation des locuteurs.
- Niveau phonétique
La première chose qu’on puisse faire, c’est de réunir le maté-
riel nécessaire, c’est-à-dire, le corpus. Pour cela, on recourt à la
technique d’enquêtes en enregistrant soit des lectures, soit des
conversations spontanées. Jusqu’ici, la plupart des travaux réali-
sés à ce niveau se limitent à l’enregistrement des lectures et vi-
sent à déterminer les sens attestés dans le milieu d’enquête
(KILANGA : 1976, BARELA : 1977, BOKELE : 1979,
BWANGA : 1980).
On fait le dépouillement des enregistrements en classant les
différentes réalisations sur des tableaux.
Prenons un exemple pour illustrer ce cas : si nous cherchons à
examiner les différentes réalisations de [Ø] dans le français zaï-
rois, nous allons procéder de la manière suivante :
31
« Cette représentation en pourcentage, a une petite allure sta-
tistique, mais il faut résister à la tentation de l’appliquer, car
c’est une impasse qui n’aboutit à aucune conclusion ».
(MULLER, Ch. : 1967). En effet, à partir de ces résultats en
pourcentage, nous ne pouvons pas prendre quelque décision que
ce soit. Aussi recourt-on à la théorie statistique de la décision en
faisant intervenir les tests d’hypothèse, procédée donnant la pro-
babilité de décider s’il faut accepter ou rejeter les hypothèses ou
s’il faut déterminer si les échantillons observés diffèrent significa-
tivement des résultats espérés (MURRAY, R.S. : 1976, p.167).
Dans plusieurs cas, on formule une hypothèse statistique sim-
plement pour la rejeter ou l’annuler. De pareilles hypothèses
sont souvent appelées hypothèses nulles et sont notées Ho. Une
hypothèse qui diffère d’une hypothèse donnée est dite hypothèse
alternative (MURRAY R.S. : 1976) ou contraire (MULLER,
Ch. : 1967) notée H1.
Dans la théorie statistique de la décision, on distingue un cer-
tain nombre de tests entre autres les tests de différence de
moyenne, tests de différence de proportions. Ces types de tests
« s’appliquent à condition que la distribution soit à peu près
normales ; on fera donc bien de vérifier au moins sur les échantil-
lons de grande taille, si la courbe suit approximativement la loi
de Gauss ». (MULLER, Ch. : 1967, p.108).
A première vue, compte tenu du fait que les résultats sont ici
en pourcentage, le test de différences de proportions serait
mieux indiqué pour notre cas. Mais, compte tenu du fait que ce
test ne rend pas compte de la dispersion des fréquences, nous
préférons recourir au test de la différence des moyennes. Pour y
parvenir, on utilise les formules suivantes :
X (moyenne) = nixi
N N
xi : le nombre de réalisations d’un son d’une manière donnée.
ni : le nombre de personne réalisant le son d’une manière
donnée le même nombre de fois.
N : le nombre total des informateurs.
33
= √ ni (xi – x)² (écart type)
N
Z = xi – x (écart réduit)
= √ 32 = √ 2 = 1,4
16
34
Z = 3 – 4,5 = 0,25
1,4
35
Grâce à cette procédure, il y a lieu de constituer le système
phonétique du français parlé dans un milieu donné.
- Niveau sémantique
Pour le niveau sémantique, il s’est avéré efficace de recourir à
l’analyse sémique (POTTIER, B., 1974, pp.61-96, GREIMAS,
A.J., 1967, GUIRAUD, P., 1967, PAGES, 1968). Ce type
d’analyse permet de mettre au clair les différents sèmes compo-
sant les lexèmes à analyser dans le but de dégager la spécificité du
lexique du français zaïrois mis en rapport avec le français
« standard ». Les écarts peuvent être décelés à partir de la formu-
le de MACKEY, W.F., pp.83, 1976, formule utilisée pour la dis-
tance formelle mais que nous avons adaptée au calcul de la
distance sémantique.
Prenons le lexème : « cadeau » pour illustrer la méthode.
« Cadeau ».
Sens du dictionnaire : « petit présent offert pour faire plaisir ».
36
S4 / pour faire plaisir /
S5 / avec parfois idée d’avoir en retour une faveur /
D (S.D. – S.C.) = T – C
T
- Niveau morphosyntaxique
Sur ce plan, les méthodes classiques nous semblent encore va-
lables en prenant soin bien sûr de ne pas se cloisonner dans une
seule théorie. Il est question d’être examinés de manière adéqua-
te. Nous ne croyons pas, à ce niveau, à une attitude partisane qui
37
consisterait à ne recourir qu’à une seule méthode pour décrire la
complexité de toutes les structures morphosyntaxiques.
En ce qui concerne les études de type sociolinguistique, on
peut suggérer une diversité de méthodes adaptées aux différents
champs d’investigation liés à la sociolinguistique. Dans le cas des
études visant à étudier les valeurs connotatives de certains lexè-
mes français dans des groupes sociaux zaïrois (voir MUKANDA,
S. : 1981, KABEYA : 1982, KABUYA : 1982), le recours à la
méthode d’Osgood, « le différentiateur sémantique » a fait preu-
ve d’une réelle efficacité dans les travaux précités. Elle permet
même de déboucher sur une sorte de stratification sociale. La
méthode se présente comme suit :
Osgood part d’un stimulus S1 qui est un objet extralinguisti-
que. La vue de cet objet déclenche un comportement en réponse
au stimulus R.T. (réponse totale). Si ce stimulus S1 se trouve ré-
gulièrement associé à un autre stimulus S2 (forme phonique ou
graphique de la réalité correspondante), on arrivera à ce que, par
un processus de conditionnement, S2 va acquérir le pouvoir de
déclencher une réaction. A la vue graphique, la réaction ne sera
pas la même, mais il y aura une part de réaction qui sera une par-
tie de R.T. Cette réponse, r m (réponse médiate), le plus sou-
vent ne sera pas manifestement observable ; mais tout en n’étant
pas observable ne sera pas observable, elle est tout de même ré-
elle et produit un stimulus sm (stimulus médiat). Par un proces-
sus de conditionnement rxsm entraîne rx (réponse observable)
qui sera présentée d’une façon verbale.
La valeur connotative d’une lexie sera définie par l’ensemble
des réponses médiates évoquées, par cette lexie. Chacune de ces
réponses médiates peut être représentée par une dimension mu-
nie du point 0 (absence de réponse), un maximum positif rm, et
un maximum négatif rm. Puisque le rm est inobservable, il fau-
dra tenir compte des réponses observables RX qui serviront de
témoins de ces réponses médiates sous-jacentes. Ces réponses
observables RX vont se représenter sur les différentiateurs sé-
mantiques en couples antonymiques. Ces deux adjectifs du cou-
ple, sont placés l’un et l’autre aux extrémités d’une échelle
discontinue divisée en sept points. Prenons l’exemple du couple
38
beau/laid. Si la lexie n’évoque ni ce qui est beau ni ce qui est
laid, son degré d’intensité sera 0.
rmi rmi
beau +++ ++ + 0 – –– ––– laid
Ext. Ext1 Assez Assez Très Extr.
Critère « économie » :
- riche / pauvre
- stable / instable
1
Ext. : Extrêmement.
39
Critère « instruction » :
- instruit / non instruit
- parlant français / ignorant le français
Critère « moralité » :
- intègre / corrompu
- modeste / vantard
40
Le lexème « enseignant » porte le numéro 1, « ingénieur » le
numéro 2 et le médecin le numéro 3. Le dépouillement de ce ta-
bleau nous donne les résultats suivants :
42
Les cotes suivantes :
Pour rm1
- --- : -3
- -- : -2
- - : -1
Pour 0 : 0
I = 1 – 6 < d²
N (N-1)²
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Dans les deux perspectives, on part des hypothèses suivantes :
« En cas d’une forte corrélation entre le lexique d’un manuel et
celui d’une œuvre littéraire donnée, on peut dire qu’un élève qui
a étudié dans le manuel peut comprendre aisément l’œuvre litté-
raire à laquelle on le confronte ».
Pour la seconde orientation l’hypothèse se présente comme
suit : « s’il y a une forte corrélation entre les structures du fran-
çais parlé et celles du français écrit, on peut dire que, en français
congolais , le français écrit est similaire au français parlé ».
Les résultats obtenus après le calcul du (rho) sont à confron-
ter au tableau de signification du coefficient (MULLER, Ch. N
1967, p.242) pour arriver à une confirmation ou infirmation de
l’hypothèse de base.
Conclusion
44
Bibliographie
45
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Larousse.
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sociolinguistique », Lubumbashi, mémoire de Licence UNILU,
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quelques langues de l’Afrique centrale, Paris, UNESCO.
46
II
Identité francophone
et diversité linguistique
Rapports entre le français et les langues
partenaires : un enjeu pour la diversité
linguistique en Afrique francophone1
1
Texte présenté à l’occasion des journées scientifique du réseau de l’Agence
universitaire de la francophonie « DLF » à Nouakchott en Mauritanie en 2007.
49
ne pourraient assurer les responsabilités que l’habitude réserve
au français ».
A la lumière de ce qui précède trois questions fondamentales
viennent à l’esprit :
1. Quel sens donner au partenariat des langues ?
2. Quel partenariat entre le français et les autres langues dans
l’espace africain francophone ?
3. Quel est l’impact de cette association entre le français et
les autres langues ?
4. Comment gérer ce partenariat du français et des langues
africaines pour répondre positivement aux enjeux de la diversité
linguistique, concept cher à la Francophonie ?
50
distinction entre la langue officielle et les langues nationales bien
que ces dernières soient rarement intranationales et habituelle-
ment transnationales. Pourquoi les qualifier de partenaires ?
« Les conditions d’un partenariat, c’est d’abord la possibilité,
pour chaque partenaire, de se faire reconnaître en tant que par-
tenaire. C’est ensuite l’échange et c’est enfin le contrat prenant
en compte les intérêts des uns et des autres… ».
La politique linguistique francophone, fondée sur le
« partenariat » a fait prévaloir la notion de langues partenaires,
entendu comme langues qui coexistent avec la langue françaises
avec laquelle sont aménagées les relations de complémentarité et
de coopération fonctionnelle, dans le respect des politiques lin-
guistiques existantes. Dans la version maximale, il existerait au
moins trois sortes de langues partenaires du français :
- d’abord, des langues transcontinentales organisées en aires
linguistiques avec lesquelles des alliances interlinguistiques sont
possibles, comme l’arabe, le portugais, l’espagnol et l’anglais ;
- ensuite les langues écrites de l’espace francophone, qui sont
dans un rapport de convivialité avec le français comme le bulgare
ou le vietnamien, le roumain, etc.… ;
- enfin des langues africaines et créoles dont l’effort
d’aménagement dépendent pour une large part du partenariat
avec les anciennes langues « coloniales », le portugais, l’anglais et
surtout le français pour l’espace francophone qui nous concerne
particulièrement ici.
1
Propositions pour un plan d’aménagement linguistique (espace francophone
du Sud), Paris, ACCT, 19993, pp.25-28
51
Sont prises également en charge, les trois langues nationales
« intranationales » ci-après :
- le sango (République Centrafricaine) ;
- le Ciluba (République démocratique du Congo.
1
R. Chaudenson et L.J. calvet, Les langues dans l’espace francophone : de la
coexistence au partenariat, Paris, L’Harmattan, 2001.
2
Séminaire interaméricain sur la gestion des langues. Les politiques linguisti-
ques au sein des Amériques dans un monde multipolaire, 2006.
52
gestion des langues, dans la perspective de l’échéance 2005 de la
zone de libre échange américain.
En Afrique, l’effort d’assumer la diversité linguistique s’offre
comme une donnée au quotidien. Chaque habitant du continent
est censé parler plusieurs langues. Il apparaît donc que « Entre la
convivialité et la guerre des langues, semble exister un éventail
d’attitudes possibles entre langues, allant de l’indifférence appa-
rente jusqu’à la guérilla linguistique, en passant par la tolérance
mutuelle, la complémentarité tactique, la surveillance réciproque
et tant d’autres situations d’amour-haine. En réalité le défi, c’est
de parvenir à rationaliser ce sentiment diffus, de transformer le
simple rapport de juxtaposition en une relation dynamique, pour
davantage communiquer et véhiculer des produits littéraires. Ce
n’est donc pas tant le français en soi qui caractérise et détermine
la Francophonie que sa coexistence avec d’autres langues. Le
français devra compter de plus en plus avec des langues partenai-
res. Et donc l’intuition de la Francophonie d’assumer son multi-
linguisme par le biais du partenariat des langues est une option
réaliste. Si elle s’était faite insensible à la situation des langues
spécifiques d’Afrique, des caraïbes et d’Asie-pacifique, elle se se-
rait vidée du coup de son contenu puisqu’elle se retrouverait en
contradiction flagrante avec son propre discours de solidarité
avec le Sud. Organisation basée sur la solidarité linguistique,
comptant parmi ses membres une large majorité des Etats du
Sud, africains pour la plupart, la Francophonie ne pouvait jouer à
l’aveugle qui ne perçoit du paysage linguistique qui l’entoure,
que la seule langue française et rien d’autre.
53
gues que sur les rapports externes entre ces langues. En effet, le
multilinguisme peut être aliénant ou enrichissant, conflictuel ou
convivial, frustrant ou valorisant. Si l’on fait la balance entre ses
diverses tendances, on s’apercevra qu’il n’est pas encore possible
d’en tirer un solde positif. Il faut organiser ce partenariat par un
aménagement linguistique qui ne peut découler que d’une volon-
té politique claire et qui tienne le plus grand compte de chaque
situation.
1
On peut lire avec intérêt :
- Le rapport de M. Auguste Buisseret, « l’enseignement au Congo belge et au
Ruanda-Urundi » dans Rapport de la mission sénatoriale au Congo et dans les
territoires sous-tutelle belge, Bruxelles, 1947, 283 pages
-Honoré Vinck « L’école au Congo belge.les livres de lecture de G Hulstaert
1933-1935 » in Annales Aequatoria 23 (2002) 21-193
- O Louwers, « Synthèse d’une politique coloniale au Congo belge. Résumé
des études du Comité permanent du Congrès colonial relatives (…) à
l’instruction et à l’éducation des noirs. » in Congrès colonial Belge 6 et 7 fé-
vrier 1926.
- Louis Franck, Le Congo belge, tome I, Bruxelles, La Renaissance du livre,
pp : 325-338.
« Enseignement et éducation au Congo belge et au Ruanda-Urundi 1948-
1958.
54
peut être la langue maternelle ou bien la langue de plus grande
diffusion mais qui, sans être exactement la langue maternelle,
s’apparente étroitement à celle-ci, soit comprise et pratiquée par
l’apprenant sans difficulté fondamentale et puisse servir efficace-
ment à la fois comme véhicule de l’enseignement et comme lan-
gue littéraire à enseigner.
Le Congo ne forme pas une unité linguistique. On y compte
plus de 250 langues. Certains d’entre elles méritent la qualifica-
tion de langue de large communication nationale en raison de
leur aire de diffusion et de leur valeur littéraire. Ceci suggère na-
turellement une solution au problème des langues scolaires : il
suffirait de grouper les dialectes apparentés à un idiome et de dé-
terminer des régions linguistiques où une langue commune pré-
dominante serait érigée en langue littéraire susceptible de servir
de première langue et de véhicule d’enseignement. Or, dans la
plupart des cas, ces langues de plus grande diffusion, ou bien ne
sont unifiées que de nom, ou bien se disputent la prédominance,
ou bien encore sont imposées comme «lingua franca »1 scolaire à
des régions où se parlent des langues de génie différent.
En 1946, la réglementation scolaire s’en est tenue théorique-
ment, à quatre linguae francae dénommées kikongo, lingala, Ci-
luba et kiswahili. Outre qu’au moins deux d’entre elles (lingala
et kikongo) ne peuvent être exactement définies sous une forme
unifiée, il est indubitable que d’autres idiomes mériteraient
d’être considérés à l’égal de langue littéraire possible, capable
d’être utilisés comme véhicule de l’enseignement dans une aire
assez étendue.
On constate, tout au moins en dehors des centres, que
l’enseignement se donne en langues locales ou dans un idiome
lingua franca de ce dialecte ou encore dans une lingua franca que
le missionnaire a introduite comme langue scolaire, même en
dépit des divergences qui séparent cette lingua franca des dialec-
1
Une lingua franca est un idiome de grande diffusion qui s’apparente aux dia-
lectes locaux d’une région relativement étendue et qui, par sa structure, sa
vitalité et ses possibilités peut être utilisée comme langue véhiculaire et com-
me langue littéraire de l’enseignement.
55
tes locaux. En général pourtant, la langue de l’école est choisie le
plus possible en fonction des affinités avec la langue maternelle
des élèves et l’on ne saurait en principe donner tort aux éduca-
teurs sans défendre le point de vue anti pédagogique consistant à
admettre que l’enseignement élémentaire puisse se donner dans
une langue étrangère à la langue maternelle (ou dans un idiome
apparenté à celle-ci).
Dans les écoles des centres, une lingua franca est véhicule de
l’enseignement, mais généralement elle cède progressivement la
place au français.
Il va sans dire qu’une telle situation crée de grandes difficultés
d’ordre pratique en matière de formation du personnel ensei-
gnant et d’élaboration des manuels classiques. Il faut souligner en
outre qu’à cette époque, les langues indigènes dialectales ou
idiomatiques ne sauraient servir de langue véhiculaire pour
l’enseignement général et spécialisé qui permette à une élite de
s’assimiler les éléments nécessaires de la civilisation avancée à la-
quelle elle doit être initiée. Il faut donc introduire progressive-
ment une langue européenne véhiculaire, le français en
l’occurrence, à une étape de développement des études. En ef-
fet, les indigènes eux-mêmes considèrent que cette langue s’offre
à lui comme un moyen efficace de relèvement. Indépendante du
souci de former une élite, l’action scolaire belge a fait œuvre uti-
le en profitant de cet engouement de l’indigène pour le français,
langue du colonisateur.
Ces considérations mettent en évidence la nécessité d’une ré-
glementation assez souple pour concilier le mieux possible les
situations de fait qui se constatent au Congo, en rapport avec le
désir d’une saine pédagogie et de différents objectifs vers lesquels
devait tendre l’action scolaire dans la colonie .Il a été ainsi admis
que les écoles des missionnaires recevant des subsides de l’Etat
pouvaient employer l’une des formes des quatre linguae francae
traditionnelles mais aussi les autres idiomes déterminés de com-
mun accord avec les missions. Cette réglementation sur l’emploi
des langues dans l’enseignement s’inspire des directives tirées du
programme de 1948.
56
Dans l’enseignement primaire et dans les formations postpri-
maires et périprimaires destinées à la masse, instruire et éduquer
autant que possible dans la langue maternelle ou dans la lingua
franca qui lui est apparentée, encourager l’unification progressive
des langues scolaires afin de réduire à un minimum le nombre de
linguae francae à utiliser dans les écoles du premier degré où il
faudra employer le dialecte local et introduire comme branche,
la linguae franca qui est en usage au deuxième degré régional.
Dans les premiers degrés ruraux et dans les ateliers
d’apprentissage, s’en tenir à la langue indigène. Dans les pre-
miers degrés fonctionnant dans les centres européanisés, admet-
tre le français comme deuxième langue facultative.
Au deuxième degré ordinaire et au cours d’apprentissage pé-
dagogique, enseigner le français comme deuxième langue obliga-
toire. Il va sans dire que le cours de français aura ici un
développement fort modeste.
Au deuxième degré de sélection, enseigner le français comme
seconde langue, mais en lui donnant progressivement un déve-
loppement tel que les élèves, à l’issue de la sixième année pri-
maire, soient en mesure d’employer la langue européenne
comme langue véhiculaire pour la plupart des cours.
A l’école primaire supérieure et à l’école secondaire, le fran-
çais était la langue véhiculaire et la première langue, à côté d’un
enseignement attentif de la langue indigène pour faciliter le
maintien du contact de l’élite avec la population indigène.
Vers les années 50, la politique belge « d’immatriculation »,
l’émergence de la couche indigène d’évolués donnent un coup de
force aux revendications relatives à l’introduction du français
dans le cycle primaire. Les évolués, soucieux de devenir sembla-
bles au colonisateur par leur comportement, leur habillement,
leur démarche et par leur langue, revendiquent la généralisation
de l’enseignement en français pour leurs enfants.
Vers 1955, suite à ces réclamations et avec l’appui de certains
milieux belges, les écoles officielles sont introduites au Congo et
à la différence des écoles missionnaires, l’enseignement y est dis-
pensé entièrement en français.
57
Au Conseil du gouvernement de décembre 1957, les délégués
congolais se prononcèrent à l’unanimité en faveur du français.
Au lendemain de l’indépendance, suite aux déchirements po-
litiques, sur ordonnance du 17 octobre 1962, le français est im-
posé par le gouvernement comme véhicule de l’enseignement au
cycle primaire. Le grand argument est le renforcement de l’unité
politique nationale et de la conscience nationale.
Mais suite à l’échec du programme précédent, les linguistes
congolais, à travers les résolutions de leur premier séminaire en
19741, s’engagent à défendre eux-mêmes les intérêts des langues
nationales. Pour eux, la promotion des langues congolaises doit
être entendue comme un effort pouvant conduire les langues
congolaises à occuper dans la vie de la nation la place qui leur re-
vient, l’objectif général étant l’affirmation de son identité linguis-
tique en élevant les grandes langues du pays au statut des langues
modernes capables de véhiculer toutes les sciences et les techni-
ques modernes. Ils recommandant vivement la promotion des
langues congolaises particulièrement les quatre langues nationales
(le swahili, le kikongo, le lingala et le Ciluba) comme véhicules
et matières d’enseignement dans le degré inférieur du cycle pri-
maire, chacune dans sa sphère d’expansion, le français devant
être introduit à partir de la troisième année seulement comme
matière. Il était aussi question de les introduire comme matière
dans le programme du premier cycle du secondaire.
La conception et l’élaboration des manuels appropriés furent
confiées au Centre de linguistique théorique et appliquée
(CELTA) avec le cofinancement de la France.
La Constitution de la République Démocratique du Congo a
opté pour le français comme l’unique langue officielle du pays, le
lingala, le swahili, le kikongo et le Ciluba comme langues natio-
nales et les autres langues sont considérées comme relevant du
patrimoine culturel national. Comme on le voit, dans le domaine
1
Voir le rapport du premier séminaire des linguistes congolais, Lubumbashi,
CELTA, 1974. Voir aussi à ce sujet les actes du Colloque national sur
l’authenticité, 1980. Les actes du colloque sur l’utilisation des langues natio-
nales dans les milieux socioculturels, Kinshasa, CELTA, 1986.
58
de l’enseignement de ces langues, après l’indépendance, le pré-
alable est d’ordre politique. Il réside d’abord dans la décision
d’introduire les langues nationales dans les systèmes éducatifs.
Démarche soumise à des résistances d’ordre pratique, psycholo-
gique et technique, variables d’un pays à l’autre. Le plus souvent,
l’enseignement en langues nationales n’est expérimenté, que
dans le cadre des campagnes d’alphabétisation ou dans les pre-
mières années du cycle primaire, puisque au-delà,
l’enseignement en français prend en principe le relais. Il va sans
dire que le besoin d’enseigner des langues nationales et/ou en
langues nationales suppose aussi la production préalable des mé-
thodologies appropriées, des manuels scolaires et des traductions
de base des disciplines concernées, pour rendre possible un tel
exercice.
59
mutuelle d’appartenance à un groupe qui ne se définit pas par
l’exclusion ethnique ou sociale. Dans une situation donnée, di-
vers facteurs contribuent au choix réel de la langue ou du code
c’est-à-dire aux répertoires multilingues des locuteurs impliqués
et à leur degré respectif de compétence dans la langue qu’ils uti-
lisent. Il s’agit du contexte social, du nombre et de l’identité des
locuteurs, du rôle social et de leur statut, de la distance sociale,
du sujet et du contenu référentiel et affectif de la conversation.
Autant d’éléments qui mettent en exergue l’impact externe du
contact des langues.
Tout ceci permet donc de percevoir tant au niveau de
l’individu qu’au niveau d’une communauté linguistique donnée
l’impact des contacts des langues sur la structure externe et in-
terne de la langue. Le portrait de certaines langues en contact
porte souvent les marques de cette réalité. Nous pouvons
l’illustrer par l’exemple des études réalisées sur le français en
contact avec les langues africaines en milieu plurilingue congo-
lais.1 La République Démocratique du Congo, comme nous ve-
nons de le voir, est un pays plurilingue dont la situation
sociolinguistique présente trois niveaux : au premier niveau se
situe la langue française connue comme langue officielle, langue
de l’enseignement ,langue de l’administration et de communica-
tion internationale ;viennent ensuite les quatre langues nationales
réparties dans quatre aires linguistiques (le lingala, le kiswahili, le
Ciluba et le kikongo).Au bas de l’échelle, nous trouvons les lan-
gues ethniques pratiquées dans les milieux ruraux et dans certai-
1
Kilanga, M. et Bwanga, N. « Quelques réflexions sur la situation des langues
française au Zaïre », in Africanistique, bulletin N°16, Lubumbashi, CELTA,
1988, P.47
Kilanga Musinde, « Prolégomènes à une étude linguistique du français zaïrois.
Quelques questions de méthodes. » in Linguistique et sciences humaines,
N°26, Lubumbashi, CELTA, 1986 ;
Voir le numéro spécial de la revue « La Tribune internationale des langues
vivantes sur « L’état et la nature du français en milieu plurilingue de la répu-
blique démocratique du Congo » publié sous la direction de Julien Kilanga
Musinde avec la collaboration de Nestor Diansonsisa, de Josiane Leya et de
Donat Tshimboj bin Malas (N°44, Mai 2008).
60
nes parties des milieux urbains. C’est dans ce contexte plurilin-
gue que le français évolue .Selon que le mode d’introduction du
français relève de l’importation ou de la superposition, sa nature
change. Les études menées en République Démocratique du
Congo vers les années soixante cherchaient à saisir le français au
Congo comme une langue transplantée dans une sorte de tabula
rasa linguistique où l’on voulait l’identifier à la langue parlée dans
la métropole. Mais vers les années soixante-dix, on a commencé
à tenir compte des réalités locales influant sur la nature de la lan-
gue française parlée et écrite dans le milieu. Vers les années qua-
tre-vingts, les recherches visaient à étudier le français actualisé au
Congo dans le sens d’une variété autonome distincte des autres
français parlés dans d’autres espaces géographiques africains. Le
français congolais, comme l’a écrit Sesep1 n’est pas réductible au
seul français scolaire. Il consiste en une panoplie de variétés cen-
trées sur la variété scolaire et variable selon les catégories socio-
professionnelles en présence. Cette recherche est partie du
soubassement théorique circonscrit dans deux travaux qui en re-
présentent les deux pôles .Il s’agit du travail de Kilanga Musinde2
et celui du texte d’orientation du projet de recherche sur le fran-
çais congolais publié par Sesep. L’analyse du français des élèves
sur les plans phonétiques, morphosyntaxiques et lexicosémanti-
ques comparée à celle du français standard a montré l’existence
effective des différences entre le français des élèves et le français
standard à ces trois niveaux. Ces différences sont-elles de simples
déviations susceptibles d’être corrigées ou des indices de la for-
mation d’une variété autonome ? « C’est en terme de valeur fré-
quence/intégration que les éléments peuvent être hiérarchisés
sur la dimension intrinsèque, où deux pôles sont à distinguer :
1
Sesep, N, « Le français Zaïrois : système et variation »in linguistique et
sciences humaines N° 26, Lubumbashi, CELTA, 1986
2
Kilanga, M. Le français des élèves des écoles secondaires à Lubumbashi.
Structure et nature des différences, deux tomes Lubumbashi, Faculté des Let-
tres, 1984,775 pages.
Sesep, N. art .cit.
61
généralité ou zone de rigueur et restriction ou zone de laxité »1.
Les études ont montré que les différences phonétiques, morpho-
syntaxiques et lexico sémantiques facilement corrigibles rele-
vaient de la zone de laxité tandis que les différences
lexicosémantiques non corrigibles senties comme telles par les
locuteurs faisaient partie de la zone de rigueur qui est la manifes-
tation de la formation d’une variété autonome. Faut-il croire à la
formation d’une variété autonome du français à partir de la
confirmation des différences lexicales quand on pense que le
lexique, c’est l’élément de la langue à la fois le plus intégré et le
plus migrateur ?2 La présence de ces différences lexicales solide-
ment intégrées dans le milieu scolaire caractérisé par la résistance
à toute différenciation, a poussé à poursuivre cette recherche
dans d’autres milieux socioprofessionnels dans le cadre du projet
le français congolais : structure et variation. Les travaux 3réalisés
dans ce cadre ont montré que les variétés du français observables
selon les catégories sociales en présence et par rapport aux lan-
gues nationales étaient caractérisées par une relative diversifica-
tion par rapport à la norme. Elles sont la réalisation de plusieurs
systèmes différents et non une homogénéité structurée. Chaque
variété délimitée constitue elle-même une diversité de parlers
variables selon les utilisateurs, le français des peu ou pas lettrés
en particulier n’est pas un magma structurel de sens. Il s’agit au
contraire d’une série d’approximations résultant d’une structura-
tion des structures du français sur le modèle des langues nationa-
les ou connues des usagers. Au total, l’ensemble des variétés du
français de ce milieu s’insère dans un continuum dont les pôles
sont représentés d’un côté par des variétés qui s’identifient ou
tout au moins se rapprochent du français normatif ; de l’autre par
celles qui se rapprochent des langues nationales ou s’identifient à
1
M. Mahmoudian, « Structure linguistique : problèmes de la constance et de
la variation », in La linguistique, vol.6, fascicule 1, 1980, P.24.
2
Kilanga, M. « Prolégomènes à une étude linguistique du français zaïrois.
Quelques questions de méthodes. », art.cit, p.57
3
Nous avons dirigé plus de deux cents mémoires et plus de dix thèses dans le
cadre de cette recherche.
62
celles-ci. Entre ces deux parlers se situent un ensemble de par-
lers considérés comme des variétés régionales dont les caractéris-
tiques linguistiques relèvent aussi bien de la première que de la
deuxième variété. Bref, le français, suite aux contacts avec les
autres langues finit par se fragmenter en plusieurs variétés. Mais
loin d’être une base de fragilité de la langue commune des pays
francophones, cette fragmentation peut être harmonisée, par un
effort consistant à dégager et à légitimer les usages linguistiques
nationaux et régionaux en vue d’un traitement lexicographique
et des applications offrant une meilleure garantie à une solidarité
mieux assumée et aussi une assurance pour le français dans le
monde. Ainsi, le français actualisé dans cet espace plurilingue, à
l’instar des autres langues du milieu, connaît une diversification
géographique. A base des langues nationales selon la zone géo-
graphique où elles sont parlées (Swahili, lingala, Ciluba et kikon-
go).Les indicateurs de chaque variété relèvent en particulier de
l’interférence des systèmes linguistiques en présence et sont
identifiables dans les limites géographiques coïncidant avec les
frontières des langues utilisées par les différents groupes
d’usagers mis en jeu. A l’intérieur de chaque variété, l’on obser-
ve, en fonction des locuteurs en présence, une variation sociale
du français en plusieurs lectes qu’on peut ramener à trois ni-
veaux : français acrolectal qui est le parler des lettrés comportant
éventuellement quelques particularités locales et des registres di-
versifiés, le français mésolectal, parler des lettrés moyens mar-
qué par un taux fort élevé de particularités locales, et le français
basilectal, usage circonstanciel et ritualisé d’une variété pidgini-
sée du français se rapprochant des langues congolaises. Bref, à
base des langues nationales selon la zone géographique où elles
sont parlées (kiswahili, lingala, Ciluba et kikongo), les indica-
teurs de chaque variété relèvent en particulier de l’interférence
des systèmes linguistiques en présence et sont identifiables dans
les limites géographiques coïncidant avec les frontières des lan-
gues utilisées. La particularisation du français actualisé dans ce
contexte procède aussi, du point de vue génétique de l’action,
d’autres principaux mécanismes comme l’emprunt fait aux lan-
gues nationales ou étrangères pratiquées dans ce pays ou dans les
63
pays limitrophes, les calques du substrat linguistique et le métis-
sage des langues. Une telle étude pourrait être menée dans les
autres espaces plurilingues africains pour réaliser les effets des
rapports entre les langues africaines et le français. C’est en ayant
conscience de toutes ces réalités qu’on finit par se poser la ques-
tion sur la nature du français à enseigner dans un contexte pluri-
lingue comme l’Afrique au regard de la diversification dont il est
l’objet. Il en est de même des stratégies et des outils didactiques
à mettre en place pour l’enseignement des langues dans ce
contexte africain comme le souligne le rapport général des Etats
généraux de l’enseignement du français en Afrique francopho-
ne : « Parmi les principales questions posées émerge celle de la
nature et de la qualité du français à enseigner en Afrique. Les bi-
lans minutieux et parfaitement convergents auxquels se sont li-
vrés tous les observateurs et acteurs de terrain présents à
Libreville font apparaître un certain nombre de questions préala-
bles qui doivent aujourd’hui être pris en compte (…) ».1 Ce
questionnement, valable pour le français peut être aussi vérifié
dans le sens inverse, celui de l’influence du français sur les autres
langues africaines. L’examen minutieux des itinéraires
d’acquisition des langues par des locuteurs plurilingues, la prise
en compte de la conscience plurilingue de ces locuteurs manifes-
tée par les choix de langue à opérer selon les circonstances et la
possibilité de la formation d’une variété constituent une base im-
portante dont on peut se servir pour la mise au point des straté-
gies et des outils didactiques nécessaires à l’enseignement des
langues en milieu plurilingue. En effet, tout enseignement ne
doit-il pas partir de ce qui est acquis ?L’enseignement ne part-il
pas de l’idée que l’élève n’est pas une tabula rasa linguistique et
qu’il a des acquis linguistiques, une maîtrise de la structure de
base de ses langues. Tenant compte de la variabilité inhérente à
toute structure linguistique, l’enseignant conçoit les acquis lin-
guistiques comme susceptibles de varier suivant les origines géo-
graphiques et l’appartenance sociale d’un apprenant.
1
P. Dumont, Rapport de synthèse des Etats généraux de l’enseignement du
français en Afrique subsaharienne francophone, Libreville, 17-20 mars 2003.
64
La réflexion sur les rapports entre le français et les langues
partenaires ouvre des voies d’exploration multiples. Elle permet
de mettre en exergue la capacité du locuteur plurilingue
d’exploiter tous les éléments de son expérience linguistique pour
l’apprentissage d’une langue étrangère. Dans un contexte pluri-
lingue, la manifestation de nouvelles formes de structures issues
des contacts entre diverses langues conduit parfois à la formation
de nouvelles variétés. L’illustration faite du cas du français en
République Démocratique du Congo pouvait bien s’étendre sur
les autres espaces. Voilà un chantier qui ouvre des pistes de re-
cherches intéressantes à explorer.
65
éducationnels. Leur mise en valeur est aussi de nature à favoriser
les velléités de démocratisation, en rendant possible la participa-
tion de toutes les couches sociales à la vie citoyenne (les campa-
gnes électorales se déroulent le plus souvent en langues
nationales).
c.Pédagogiquement, l’apprentissage d’une langue nouvelle
passe par la maîtrise des structures linguistiques de la « langue
maternelle ».Le mémorandum des ministres en charge de
l’éducation, en marge des Etats généraux de l’enseignement du
français en Afrique subsaharienne francophone (Libreville, mars
2003), le souligne : « la prise en compte des langues nationales dans le
cursus d’enseignement est bénéfique pour le français et (…) que cette
question ne peut être écartée dans toute réflexion portant sur
l’enseignement du français dans l’ensemble des cycles de formation for-
melle et non formelle. »
Au regard de cette dernière observation, la Francophonie,
pour consolider le partenariat du français avec ces différentes
langues nationales sous la contrainte des aléas de l’oralité doit à
court et à moyen termes les aider à avoir accès à l’environnement
lettré et numérique et à enrichir leurs registres lexicaux, grâce à
des terminologies spécialisées, pour les rendre capables de servir
pleinement d’instruments de communication, en complément du
français. Ses actions dans le domaine des langues devraient ainsi
être axées sur les approches linguistiques, informatiques et poli-
tiques.1
Les études linguistiques de base doivent être poursuivies mê-
me si l’on dispose déjà d’informations techniques sur la fonction-
nalité des langues du fait des études antérieures. Un certain
nombre de préalables reste à résoudre, notamment la question de
l’orthographe de ces langues trop souvent confondues avec la
1
Voir Julien Kilanga Musinde Rapport de mission à Bamako (du 5 au 7 mai
2005) après la participation à la rencontre consultative préparatoire au sémi-
naire sur le partenariat entre l’africanophonie,l’anglophonie, la Francophonie,
l’hispanophonie et la réunion thématique de l’UNESCO pour le Sommet
mondial de la Société de l’information sur le thème « Multilinguisme pour la
diversité culturelle et la participation de tous dans le cyberespace ».
66
transcription phonétique et si possible celle de standardisation
pour que toutes ces langues soient lisibles par tous. Il faut pour-
suivre l’élaboration des documents de référence et la réalisation
d’une collection de dictionnaires plurilingues et la production
d’outils didactiques. L’effort d’établissement des lexiques spécia-
lisés entamés dans le cadre du réseau de néologie et de termino-
logie et poursuivis par le réseau francophone d’aménagement
linguistique (RIFAL) et de productions d’outils didactiques no-
tamment d’une collection de dictionnaires trilingues. Pour par-
venir à une harmonisation de l’alphabet, il est possible de partir
des travaux de B. Heine et Nurse1 en se référant aux trois grands
phylums sur les quatre avec le concours des experts africanistes
spécialisés sur les langues des familles Niger-Congo, Nilo-
saharien et afro-asiatique2
Une étude de Marcel Diki-Kidiri fait le point des actions en
cours, par l’inventaire des sites sur les langues africaines (presque
tous en anglais. Suivant ces statistiques, il en existerait 45 sur le
Swahili, 19 sur le sango, 27 sur le bambara, 29 sur le lingala, 42
sur le dioula, 75 sur le fulfulde, pulaar, peul, fulani, 55 sur le
haoussa, 25 sur le kikongo, 51 sur le kirundi-kinyarwandas.
Poursuivre le traitement informatique de ces langues pour
combler les effets de la fracture numérique entre le Nord et le
Sud. L’alphabet normalisé au niveau de l’approche linguistique
devrait être présenté à la Commission d’UNICODE. La synthèse
sur les alphabets permettra de proposer la création d’un nouveau
bloc au sein de l’UNICODE, de faire des rajouts sur les blocs
existants, de présenter officiellement l’alphabet africain en carac-
tères latins (ISO) en vue de la mise en place des glyphes et la
normalisation des caractères. Pour l’encodage, il faut une mise
en place des synergies internes pour la numérisation et la créa-
tion des sites en langues partenaires, localisation de logiciels de
base en langues africaines et la participation aux rencontres des
1
B. Heine et D. Nurse, Les langues africaines, Paris, Karthala, 2004
2
Voir aussi Maxime Sommé, »pari sur la diversité culturelle et linguistique.
Assurer le rayonnement du français en valorisant les langues africaines et créo-
les dans l’espace francophone », Paris,2005-2006.
67
logiciels libres pour assurer la présence des langues partenaires
auprès de la communauté des logiciels libres.
Tout en respectant la souveraineté des Etats, avec le concours
des réseaux et de l’Académie africaine des langues, recueillir
l’alphabet de chaque pays pour validation politique et accompa-
gner les Etats qui le demandent explicitement afin qu’ils puissent
se doter des politiques linguistiques appropriées.
C’est pour assurer l’appui à toutes ces actions que la Franco-
phonie a mis au point des projets d’actions de coopération en
matière linguistique qui soutiennent ces efforts d’aménagement
des langues partenaires.
C’est pourquoi, dans la programmation quadriennale, des
projets sont prévus pour répondre à tous ces besoins. Il s’agit
particulièrement du projet « Dialogue du français et les langues par-
tenaires et les autres espaces linguistiques ».
Ce projet vise à contribuer aux actions de gestion et de déve-
loppement du français et des langues partenaires, en collabora-
tion avec les Etats et gouvernements et avec les autres acteurs
concernés, de manière à ce que ces langues demeurent ou de-
viennent aptes à assurer les fonctions qui leur sont assignées ou
qu’on souhaite leur assigner et soutenir le développement de
l’instrumentalisation linguistique du français et des langues par-
tenaires. L’objectif recherché est le développement harmonisé du
français et la modernisation des langues partenaires en vue de
leur utilisation dans divers contextes, notamment l’éducation et
d’autres situations socioculturelles.
68
ment, d’éducation, de formation et d’information, de communi-
cation de l’espace francophone.
Afin d’associer tous ses partenaires à une meilleure gestion de
la diversité linguistique, la Francophonie a mis en place un dispo-
sitif dans lequel les interventions en matière de langues sont
structurées en réseaux regroupés autour du Conseil international
francophone des langues.
La mise en place de ce dispositif s’inscrit dans la volonté de la
francophonie de resserrement structurel et de gain d’efficacité.
Désormais le partenariat linguistique relève d’une seule institu-
tion, le Conseil international francophone des langues. Les ré-
seaux qui lui sont rattachés sont spécifiques dans leur champ de
compétence, mais complémentaires parce que reliés entre eux
du point de vue structurel. Enfin ces réseaux ne regroupent pas
uniquement des chercheurs et experts mais abritent aussi
d’autres expertises, celle de terrain comme celles des institutions
politiques et administratives. Il s’agit de réseaux de coopération
et de travail sur le terrain.
Comme groupe de réflexion, d’expertise, d’orientation et
d’appui aux opérations de terrain, le Conseil international fran-
cophone des langues concrétise par son statut d’organisme
d’orientation de la politique de coopération linguistique, le prin-
cipe de gestion unifiée de la diversité linguistique et de la promo-
tion du multilinguisme. Il se veut par conséquent l’espace
d’élaboration des stratégies les plus efficientes possibles pour fa-
ciliter dans la Francophonie la convivialité et le partenariat des
langues et pour organiser le dialogue avec les autres ensembles
linguistiques. Sur le plan opérationnel, il est la plate-forme
commune d’intégration et de coordination des réseaux spéciali-
sés. Il est constitué des opérateurs de la Francophonie qui
s’occupent des questions de langues (AUF, Confemen), des re-
présentants des réseaux (RIFAL, RILAC, RIFRAM, RILIF), des
délégués des institutions régionales ou nationales de politique
(Délégation à la langue française et aux langues de France, Secré-
tariat de la politique linguistique du Québec, Secrétariat général
du Conseil Supérieur de la langue française de la Communauté
française de Belgique, Service linguistique de l’Union africaine),
69
2 personnalités du domaine linguistique et deux partenaires édi-
toriaux.
Sur le plan opérationnel, les actions de la Francophonie dans
la gestion de la diversité linguistiques sont réalisées dans le cadre
des réseaux spécifiques :
a. Le RIFAL (réseau international francophone d’aménagement
linguistique) qui s’intéresse à tous les aspects de l’aménagement
du français et des langues partenaires et poursuit ses objectifs de
concertation en matière d’instrumentalisation des langues no-
tamment en matière de terminologie et de néologie, en favori-
sant le travail coopératif et en assurant la collecte et la diffusion
de l’information sur les matières de sa compétence .
b. Le RILAC (réseau international des langues africaines et
créoles).
La préoccupation de la Francophonie de valoriser les langues
africaines et créoles vient conforter celle de ne pas confiner ces
langues dans une sorte d’archéologie linguistique. Le RILAC est
notamment chargé de soutenir les actions de promotion et de dif-
fusion de ces langues. C’est dans le cadre de ce dispositif de ges-
tion de la diversité linguistique que devrait se réaliser la
programmation de la Francophonie, particulièrement les pro-
grammes de la mission A portant sur « la promotion de la langue
française et de la diversité culturelle et linguistique. »
70
Quelques préalables pour une politique
linguistique cohérente
en république démocratique du congo
71
La question que nous nous posons est la suivante : comment
expliquer cette inadéquation entre les prises de position en fa-
veur des langues congolaises et l’inertie manifeste au niveau pra-
tique ? Autrement dit, comment saisir ce fossé qui ne cesse de
s’élargir entre le dire et le faire ?
Notre réflexion voudrait d’abord répondre à cette question à
partir d’une analyse des variables intervenant dans la question
linguistique congolaise. Il s’agit particulièrement des « acteurs »
(législateurs et concepteurs) des langues congolaises (variable
centrale), des bénéficiaires (nation congolaise et particulièrement
la masse). Ensuite, nous tâcherons, après une saisie claire du
nœud du problème, de faire quelques propositions concrètes en
vue de l’élaboration d’une politique linguistique cohérente en
République démocratique du Congo.
Français
Acteurs
Concepteurs
Langues Masse
Législateurs Congolaises Ouvrière
et rurale
72
L’examen des rapports entretenus entre les différentes com-
posantes de ce schéma nous révèle ce qui suit :
- Les « acteurs » sont particulièrement les concepteurs c’est-
à-dire, les chercheurs spécialistes de la question et les législateurs
c’est-à-dire, l’homme politique qui devrait appliquer les conclu-
sions des recherches. Toutes ces deux catégories d’acteurs par-
lent le français, sont formées à l’école occidentale, n’acceptent
pas que leurs enfants s’expriment en langues locales. Pour le cas
précis des concepteurs, c’est la langue française qui leur assure
leur pain quotidien. Mais, curieusement, dans des colloques et
dans leurs écrits, ils prônent la revalorisation et l’utilisation des
langues congolaises dans l’enseignement et dans la vie sociocultu-
relle. Ce contraste entre l’attitude et les actes entraîne une ques-
tion : peut-on croire à la sincérité de nos concepteurs ? Peuvent-
ils réellement scier le banc sur lequel ils sont assis ?
N’est-ce pas ce qu’en dit MUDIMBE dans son mot de clôture
au Colloque Interafricain sur l’enseignement des langues et
cultures africaines (Lubumbashi, 4 au 6 novembre 1976) ?
« La peur ne se trouve pas seulement du côté des responsables
étrangers qui, travaillant à la promotion et à la diffusion du fran-
çais ou de l’anglais, s’interrogent sur la signification profonde des
projets de valorisation de nos langues et l’impact qu’aurait pour
l’avenir du français ou de l’anglais en Afrique, l’utilisation des
langues africaines comme moyen de large communication, mé-
dium d’enseignement.
La peur existe aussi chez nous autres africains : craintes de ne
pas savoir comment situer exactement nos désirs face à ce mons-
tre de la libido dominandi qu’actualise en nos pays la puissance et
l’efficacité des langues étrangères ».
Ce paradoxe étouffé au sein de la conscience des concepteurs
ressurgit au niveau de la mise en application des résolutions pri-
ses et crée un fossé entre ce qui est dit et ce qui est fait.
Souvent, pour se justifier, les concepteurs renvoient la balle
dans le camp du législateur, de l’homme politique. Mais, on perd
de vue que le législateur tombe aussi sous le coup des mêmes
contraintes que celles qui hantent les concepteurs. Dans ses dis-
cours, l’homme politique laisse sous-entendre la nécessité
73
d’utiliser les langues congolaises en vue d’une mobilisation géné-
rale de toutes les forces vives de la nation pour un développe-
ment intégral. Mais quand il doit jouer son rôle, c’est un silence
déconcertant qu’on rencontre.
Cette inadéquation entre les actes et la parole chez les
« acteurs », provoque une sorte de suspicion chez le commun des
mortels (la masse ouvrière et paysanne) qui n’a jamais eu accès au
français et qui a toujours pris ces acteurs pour responsables de la
situation. En effet, la raison qui fonde les prises de position en
faveur des langues congolaises est celle d’intégrer la masse dans
le processus de développement par l’usage des langues permet-
tant une communication adéquate entre les membres. Ceci porte
à croire, que les grands bénéficiaires de la solution à la question
linguistique congolaise , ce sont les paysans, les masses ouvrières
n’ayant pas eu accès au français.
Les « acteurs » oublient souvent que cette masse les observe,
les considère comme des gens à existence aisée, relève les
contradictions existant entre leur attitude et leurs actes. Pour-
quoi militent-ils pour l’utilisation des langues congolaises dans
l’enseignement alors qu’ils ne cessent d’envoyer leurs enfants
dans des écoles consulaires où ils vont continuer à apprendre les
langues étrangères ? N’est-ce pas là une façon de dire au commun
des mortels : « reste où tu es et ne t’approche pas de moi ». La
masse est consciente de la situation. La preuve est que, malgré
les étiquettes négatives qu’on colle à ceux qui parlent le français,
les masses populaires manifestent un désir réel de voir leurs en-
fants étudier à l’université, institution qui développe la maîtrise
des langues étrangères dans une certaine mesure. Ce n’est sûre-
ment pas pour rester au stade où elle est qu’elle manifeste un tel
engouement, mais c’est plutôt pour que les enfants issus d’elles
deviennent comme les « acteurs ».
Pour aller à la recherche d’un paradis qui, en soi n’est qu’un
enfer, d’autant plus que ceux qui y sont – la masse – veulent en
partir ? Encore un paradoxe.
Et enfin, les langues congolaises elles-mêmes : il y a de multi-
ples langues en République démocratique du Congo au Zaïre.
Comment fonder une politique linguistique sur base de multiples
74
champs d’intercompréhension ? (HOUIS, M. 1971 : p.5). Là
n’est peut-être pas le problème car une solution provisoire exis-
te : il y a lieu de mettre entre parenthèses toutes les langues eth-
niques et ne garder que les quatre grandes langues véhiculaires,
le lingala, le kiswahili, le Ciluba et le kikongo. Mais, quand il faut
choisir parmi ces langues, celle qu’il faut considérer comme offi-
cielle, on assiste à un déchaînement de passions provoquées par
un « chauvinisme » à outrance ; chaque groupe linguistique vou-
drait tirer la couverture de son côté. Mais en attendant, le kiswa-
hili est utilisé au Kivu, dans la Province Orientale et au Katanga,
le Ciluba dans les deux Kasaï, le kikongo au Bas-Congo et au
Bandundu et le lingala à Kinshasa et à l’Equateur.
Et une question demeure : quand un enfant quitte le Kasaï où
il étudiait en Ciluba pour aller au Shaba où il devra étudier en
Kiswahili, il éprouvera énormément de difficultés dans le proces-
sus d’apprentissage.
De l’analyse des variables résulte une somme de contradic-
tions, de paradoxes. Personne n’est épargné. Tout porte à croire
qu’à tous les niveaux, le problème de l’usage des langues congo-
laises dans les divers contextes possibles a été mal posé dès le dé-
part dans ce sens qu’il se cache derrière, tout un fond
idéologique. Il aurait fallu, croyons-nous, adopter la voie inverse,
celle qui consisterait à savoir ce qu’on cherche à obtenir en op-
tant pour nos langues. En d’autres termes, il est question de se
poser la question suivante : l’usage de nos langues dans la vie so-
cioculturelle et dans l’enseignement répond-elle réellement au
type d’homme qu’on cherche à former dans les écoles ? Autre-
ment dit, quelles sont les fonctions que ces langues rempliraient
pour répondre à l’image du type d’homme à former ?
En parcourant les programmes scolaires, il s’avère que
l’homme qu’on cherche à former pour la société est un homme
épanoui, équilibré et imprégné de sa culture nationale spécifique,
possédant les clefs du monde extérieur permettant de l’intégrer
dans le cycle contemporain de l’humanise universel.
Avec ce modèle comme fil conducteur, il y a lieu de mieux
canaliser la réflexion. Dans ce cas, si l’on veut un monolinguisme
exclusif, il faudra revoir du fond en comble tous les objectifs de
75
l’enseignement en fonction de l’orientation choisie. Or, dans la
perspective actuelle, on entend de l’enseignement qu’il produise
des agents qui maîtrisent leur culture et qui ont une ouverture
vers l’intérieur.
A cet effet, si nous nous limitons au domaine de
l’enseignement, les langues à utiliser devraient, pour rester dans
ligne du profil de l’homme congolais idéal, répondre aux deux
fonctions suivantes, si nous admettons que le choix des langues
est subordonné au critère de fonction :
- La fonction de lien entre l’école et le milieu de l’élève. En
effet, en milieu rural par exemple, l’économie composée essen-
tiellement de l’agriculture et de l’artisanat, les relations entrete-
nues par les chefs du village avec la population et les relations
familiales sont généralement exprimées en langues locales, lan-
gues ethniques en l’occurrence. L’usage de ces langues à l’école
dans ce milieu pourrait devenir un moyen d’établir un pont entre
l’école et le contexte dans lequel l’enfant évolue. En milieu ur-
bain, ce sont surtout les langues véhiculaires régionales qui ser-
vent de moyen de communication quotidienne, la fonction de
lien entre l’école et l’environnement des élèves leur revient.
- La fonction interculturelle qui consiste à affermir l’enfant
dans sa culture nationale et universitaire. La langue à utiliser doit
donc être capable de rendre compte de l’ensemble des valeurs
esthétiques, philosophiques et ethniques que se partagent les di-
verses ethnies rassemblées sur le territoire national ou dans la ré-
gion. Elle doit aussi permettre la diffusion extérieure de la
culture nationale afin de féconder les autres cultures avec ses ap-
ports propres et reçoive en retour les dons extérieurs les plus en-
richissants. (POTH. C.J. 1980 : VII). Ceci correspond à ce que
disait SENGHOR « les grandes civilisations sont métisses : il
n’est pas question de détruire les civilisations l’une par l’autre ; il
est question en effet d’intégration, d’assimilation active et réci-
proque, de symbiose ». (ROUS, J. : 1967 : 96). C’est ici
qu’apparaît la nécessité de cohabitation du français et des langues
congolaises. Il n’y a aucune raison de crainte à ce sujet. Nous
croyons avec Maurice HOUIS que « le problème n’est pas
d’évacuer les langues européennes ; elles sont senties comme né-
76
cessaires dans les relations interafricaines larges, dans les rela-
tions avec le monde extérieur pour accéder à une grande partie
de la presse et des livres (…) le problème est de penser une poli-
tique linguistique avec les langues africaines (congolaises) comme
véhicules d’enseignement, d’information et culture dans une
perspective qui avance par étapes précises » (HOUIS, M. :
1971 : 7).
C’est en tenant compte des deux fonctions que nous optons
pour le « bilinguisme franco-congolais » ou du bilinguisme
« inclusif », c’est-à-dire un bilinguisme qui prendrait en compte
le français et les langues congolaises.
Il y a lieu de croire à un truisme quand on pense au fait que le
bilinguisme inclusif est déjà admis sur le plan théorique. Cela est
vrai ; Mais il faut noter que la réalité est tout à fait autre chose
que la théorie. C’est pourquoi, notre propos voudrait, après
l’analyse faite des variables, proposer un schéma définissant ou
déterminant les modalités d’insertion de nos langues dans
l’enseignement, sans exclure le français considéré au stade actuel
de la question comme un « mal nécessaire ».
Nous envisageons de voir le problème depuis l’école primaire
jusqu’au niveau universitaire.
a) Nous proposons l’étude exclusive des langues congolaises
durant les deux premières années : trois raisons avancées par Jo-
seph POTH pour le cas du Burkina Faso nous semblent aussi va-
lables pour la République démocratique du Congo :
1. Refouler chez l’enfant son parler maternel constitue un
frein au développement de ses capacités affectives et cognitives.
2. Si on favorise l’utilisation des langues parentales à l’école,
on offre à l’enfant la possibilité équilibrante de verbaliser en tou-
te circonstance ses intérêts et sa pensée. Celle-ci s’affine, s’épure
et s’enrichit.
3. La fonction d’accès aux apprentissages instrumentaux ne
peut être remplie par une langue étrangère dont le niveau
d’utilisation est encore trop fruste dans les temps de la scolarité.
C’est pourquoi, il sera plus aisé d’apprendre la lecture et
l’écriture en langue maternelle dans les premières années de sco-
77
larité. En effet, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture par la
voie des langues maternelles permettra :
1. La reconnaissance matérielle ainsi que la discrimination de
signes et des assemblages graphiques.
2. La compréhension du sens associée au déchiffrage de textes
simples.
3. La lecture naturelle de textes suivis élaborés à partir du vo-
cabulaire connu.
Mais, si l’élève accède à la lecture par le biais d’une langue
étrangère ou non familière, il devra surmonter d’emblée trois
grosses difficultés :
1. difficultés dues au décodage des graphies ;
2. difficultés dues à l’incompréhension du sens des mots qu’il
doit déchiffrer ;
3. difficultés dues au médium lui-même.
* à l’école secondaire :
Il faut prévoir au niveau des deux premières années, l’étude
intensive et pratique du français et de l’une des quatre langues
régionales.
78
* au niveau du cycle long :
a) prévoir l’étude d’une langue régionale autre que celle de la
région où est implantée l’école en plus de la langue véhiculaire
régionale et du français et introduire une autre langue étrangère
de large diffusion ;
b) envisager la création des humanités des langues congolaises
qui se chargeraient de la formation des maîtres spécialisés en en-
seignement des langues congolaises.
79
- Les bénéficiaires, particulièrement la masse et les élèves
pour le cas précis de l’enseignement, n’auront plus le choc dont
ils sont victimes aujourd’hui. En effet, dans la perspective définie
ci-dessus « le dosage des contenus d’enseignement entre langues
en présence doit s’appuyer sur les critères qui respectent les inté-
rêts fondamentaux de l’enfant » (POTH, J. : 1980, p.11).
Les communs de mortel verront leurs enfants accéder à la
langue d’ouverture internationale, tout en maîtrisant les secrets
du terroir.
- Loin de susciter des querelles relatives au choix d’une lan-
gue, notre option permet de poser le problème en terme
« d’usage ». Ceci évite le déchaînement des débats passionnés.
Nous ne prétendons pas avoir abouti à un schéma statique,
immuable. Celui-ci peut être réajusté au fur et à mesure
qu’évoluent les fonctions des différentes langues en présence.
BIBLIOGRAPHIE
80
« Identité francophone
à l’heure de la mondialisation »
81
l’instauration et au développement de la démocratie, à la prévention des
conflits et au soutien à l’Etat de droit et aux droits de l’homme ; à
l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations ; au rappro-
chement des peuples par leur connaissance mutuelle ;au renforcement de
leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de fa-
voriser l’essor de leurs économies. La Francophonie respecte la souveraine-
té des Etats, leurs langues et leurs cultures. Elle observe la stricte
neutralité dans les questions de politique intérieure. » 1
1
Charte de la Francophonie, titre I, article 1
2
Déclaration d’Ouagadougou. Cadre stratégique décennal de la Francopho-
nie, p.10
82
tres langues et cultures entraînent nécessairement la diversifica-
tion de part et d’autre.
Au regard de ces constantes, on serait tenté de dire que
l’identité francophone est basée sur la langue et la diversité
culturelle et linguistique renforcée par le fond politique et di-
plomatique autour de la démocratie et des droits de l’homme.
83
pes de pays ou de régions dans lesquelles le français est pratiqué
en tant que langue maternelle, officielle ou véhiculaire (même si
les individus ne parlent pas tous le français).
Cette définition se rapproche des préoccupations de la Charte
de la Francophonie qui considère la francophonie comme un en-
semble de pays ayant le français en partage. Qu’il s’agisse des in-
dividus francophones que des peuples francophones, l’élément
unificateur de l’identité francophone, c’est la langue française.
Celle-ci, à l’instar de son ancêtre la « Romania », dans son expan-
sion a atteint des régions aussi diverses et distantes que l’ancienne
Gaule, l’Afrique noire et le monde arabe où elle est entrée en
contact avec d’autres langues entraînant la diversification de sa
structure. En effet, selon que le mode d’introduction du français
relève de l’importation ou de la superposition, sa nature change1
Tous les pays francophones qu’il s’agisse de l’Afrique noire, du
monde arabe, des Caraïbes, de l’Europe centrale et orientale, de
l’Asie pacifique ou des Amériques, ne sont pas une tabula rasa
linguistique, comme on voulait le croire par « le silence étonnant »2
à propos des langues nationales. Chacun de ces Etats renferme
dans leurs limites une multitude de groupes ethniques parlant
chacun sa propre langue. Une diversité de langues aussi impor-
tante constitue la nécessité directe en matière de promotions de
langues locales. La non prise en compte de celles-ci serait la
consécration de « l’apartheid linguistique »3 et de la guerre des
langues. La situation d’apartheid linguistique qui tend à canton-
ner les actions en faveur des langues nationales dans le domaine
folklorique en insistant uniquement sur la langue française sem-
blait créer et développer un sentiment de frustration dans le chef
de certains francophones. C’est ainsi que, pour renforcer l’idéal
1
W. Bal, Introduction aux études de linguistique romane avec considérations
spéciales de la linguistique française, Paris, Didier, 1966, p.237
2
Le terme est de Robert Chaudenson
3
Le terme est de Robert Chaudenson in Les langues dans l’espace francopho-
ne : de la coexistence au partenariat, Paris, collection « Langue et développe-
ment »
84
de solidarité francophone, sont introduites les notions de partena-
riat des langues et de la diversité linguistique.
Ce changement de stratégie est source d’autres questions au
regard des conséquences du partenariat des langues qui est de na-
ture à fragiliser la qualité du français menacé de fragmentation.
Ainsi le français, sous l’influence de l’environnement où il est
pratiqué risquerait d’éclater en plusieurs variétés discontinues
entre elles dont quelques-unes sont en relation de continuité avec
des formes d’expression de l’environnement qui les utilise, soit
en un ensemble continu de parlers dont la variabilité dépend de
la compétence du locuteur. Il y a donc là perturbation des nor-
mes de référence. Le passage de la norme aux normes a pour
conséquence la fragmentation du français en plusieurs types de
français.
Le français qui constitue un outil de travail et de communication
des francophones, socle de la francophonie ainsi fragmenté risque de
porter atteinte à l’identité francophone. Et, dans ce contexte, la
francophonie sera-t-elle encore le vecteur du dialogue intercultu-
rel ? La diversification du français ne risque-t-elle pas de paraître
comme un germe de la destruction de l’identité francophone. ?
La solution à cette inquiétude réside dans la mise en place des
études spécifiques, dans l’optique du multilinguisme, études qui
prennent en compte la diversité des usages du français dans les
différentes régions du monde pour détecter sa richesse et son ca-
ractère spécifique. Ces travaux qui sont partiellement réalisés par
les différents réseaux linguistiques francophones de recherche ré-
vèlent un important fonds de données sur la diversité des usages
du français dans les différentes régions du monde. La francopho-
nie étant un ensemble organisé des nations présentes sur tous les
continents peut faire signe à un monde aspirant au respect de la
diversité et à la promotion du bien commun. La langue française
peut être l’un des vecteurs de ces espoirs, en faisant sans arrière-
pensée, alliance ,notamment comme langue seconde, avec toutes
les autres langues présentes en son sein, aussi qu’avec les autres
grandes langues internationales.
85
C’est ici que l’éducation, suite à la collecte systématique des
résultats et l’analyse comparée des résultats de différentes expé-
riences, permettra de mettre à la disposition des usagers de la
langue française, des éléments de stratégies linguistiques perti-
nentes.
Loin d’être une source de fragilité la diversification du fran-
çais harmonisée par souci de dégager et de légitimer des usages
linguistiques nationaux et régionaux offre les meilleures garanties
à une solidarité assumée, à la vitalité de la langue française et à
son rayonnement.1Bref, La langue française malgré sa diversifica-
tion suite aux contacts avec d’autres langues dont les rapports
méritent d’être définis et pris en compte, constitue l’élément
fondamental de l’identité francophone. La francophonie dans son
évolution a progressivement adapté sa fonction d’identité franco-
phone à un objectif fondamental, celui du respect absolu des lan-
gues et des cultures des pays membres, avec comme toile de fond
la diversité linguistique appuyée par le partenariat des langues
dans l’espace francophone.
Mais l’espace francophone compte une majorité de pays
moins avancés et aux cultures différentes. Dans certains de ces
pays la langue française, condition essentielle de l’identité fran-
cophone ne se situe pas au premier plan. Il s’agit donc de gérer
au mieux cette situation irréversible, mal vécue par certains,
mais qui impose la recherche commune du « vivre ensemble » et
assurera une coexistence harmonieuse. C’est ici que la dimension
politique et diplomatique de l’identité francophone trouve sa
place par sa contribution significative à la promotion de la paix,
de la démocratie et au soutien à l’Etat de droit et aux droits de
l’homme. Une vie politique apaisée et la jouissance par les ci-
toyens de tous leurs droits, sont en effet considérées comme des
éléments indissociables du développement durable. C’est de cet-
te manière que la Francophonie pour mieux assumer son identité
francophone trouve dans les valeurs que porte la langue françai-
1
Voir Francophonie et éducation (Actes de la troisième session du Haut
Conseil de la Francophonie de l’Organisation internationale de la Francopho-
nie, Paris 16,17 janvier 2006, pp 213-219.
86
se, dans l’imaginaire collectif de beaucoup de peuples, et sans
doute ceux des quelques 68 Etats qui ont voulu constituer ou re-
joindre l’Organisation internationale de la Francophonie. Mais
quel est l’impact de la mondialisation sur l’identité francophone
face aux enjeux et aux mutations ? Que peut apporter la Franco-
phonie dans cet environnement en mouvement ?
87
2.2.La Francophonie, consciente de la puissance de l’arme de la
diversité culturelle et linguistique inhérente à l’évolution des so-
ciétés humaines comme donnée permanente de l’histoire, a pen-
sé répondre aux craintes que suscitent les incertitudes inédites et
de nouvelles formes de violences et d’exclusion provoquées par
une uniformisation à outrance. Elle s’ouvre ainsi sur de nouvelles
chances de développement et d’épanouissement de l’humain
fondées sur la solidarité, le partage de la langue ainsi que sur le
dialogue des cultures et la rencontre des expressions diverses qui
les nourrissent. La mondialisation, avec sa morale de l’efficacité
et du gain prônée par la culture globale basée sur l’intérêt immé-
diat, semble abolir la marge de gratuité nécessaire à
l’épanouissement de l’être humain et à l’expression de sa liberté.
Supprimant les barrières, elle menace l’identité et la spécificité
culturelle des peuples.
Cela exige l’émergence d’une responsabilité éthique que la
Francophonie, organisation universaliste, est certainement capa-
ble d’assumer. La Francophonie peut contribuer à l’humanisation
de la mondialisation. Elle le peut et le devrait. Le soutien de la
Francophonie au combat mené en faveur de la diversité culturelle
est une manifestation de cette idée.
88
droit de les professer, mais que ceux qui pensent autrement ont
les mêmes droits que lui.
Les Etats réunis au sein de l’Organisation internationale de la
Francophonie l’ont parfaitement compris. Leur grande diversité
culturelle et linguistique fait de cet ensemble un microcosme in-
contestablement riche d’exemplarité.
Quelles sont alors les pistes d’action de nature à consolider
l’identité francophone ?
3. Pistes d’actions
89
des mesures fortes de revitalisation et d’expansion de la langue
française par le réseautage des experts et spécialistes en promou-
vant une collaboration efficace et structurée entre ceux qui sont
confrontés directement ou indirectement aux besoins des pays
francophones pour mieux assurer la présence de la langue fran-
çaise dans le monde (sa promotion et son rayonnement par son
enseignement et par sa création littéraire).
90
3.3. Engagement politique
91
Biographie langagière
et conscience plurilingue
dans un contexte africain
1
D.Nettle et S.Romaine, Ces langues, ces voix qui s’effacent, Paris, Editions
Autrement Frontières, 2003,230 p.
2
Kilanga Musinde,J. « Un regard africain sur le monde arabe et africain »
(Communication au forum des écrivains et intellectuels francopho-
nes),Ouagadougou ,17-20 novembre ,2005.
3
Ki-zerbo, J.A quand l’Afrique ?(Entretien avec rené Holenstein,Paris,éd.de
l’Aube,2003
93
se pose les mêmes questions insiste sur le rôle important que
joue la langue en Afrique dans la sauvegarde de son identité.
« Dans l’identité, la langue compte beaucoup. Le siècle qui a
commencé verra-t-il le dépérissement des langues africaines ? La
lente asphyxie des langues africaines serait dramatique, ce serait
la descente aux enfers pour l’identité africaine ; car les africains
ne peuvent pas se contenter des éléments culturels qui viennent
de l’extérieur ».
Nous avons choisi de parler de cette Afrique qui abrite en son
sein plusieurs groupes ethniques possédant chacun un ou de
groupes de parlers, une série de traditions historisantes, un éven-
tail d’institutions et d’usages. L’Afrique n’est pas une tabula rasa
linguistique comme on pourrait le faire croire par « le silence
étonnant »1 à propos des langues africaines. Chacun de ces Etats
renferme dans leurs limites une multitude de groupes ethniques
parlant chacun sa propre langue. Le remarquable ouvrage collec-
tif de Bernard Heine et Deret Nurse2 décrit judicieusement la
situation des langues en Afrique. Barbara Grimes 3avance le
nombre de 2035 langues africaines. Ce nombre n’est pas fixe, car
on découvre encore de nouvelles langues alors que d’autres, qui
ont peu de locuteurs disparaissent. Si l’on exclut les langues in-
troduites au cours des deux derniers millénaires, comme l’arabe,
le malgache, l’afrikaans, l’anglais, le français, l’espagnol et le
portugais. Ce nombre d’un peu plus de 2000 langues se décom-
pose en quatre grands phylums ou superfamilles4 :le Niger-
Congo qui compte 1436 langues(incluant la famille bantu ,à qui
l’on attribue 500 membres),l’afro-asiatique ou afrasien ,371 lan-
gues, le Nilo-saharien,196,le Khoisan,35.Quelques langues afro-
asiatiques ne sont parlées qu’en dehors de l’Afrique, au Moyen-
1
Le mot est de R.Chaudenson, Les langues dans l’espace francophone : de la
coexistence au partenariat.
2
B.Heine et D. Nurse, Les langues africaines, Paris, Karthala, 2004,468 pages
3
B.Grimes, Ethnologue : Languages of the world, 13e édition. Dallas, Sum-
mer Institute of linguistics et université du Texas (Arlington),1996
4
Se référer aux différentes études réalisées par Grenberg, particulièrement
Studies in African linguistic classification
94
Orient, ce qui réduirait un peu le nombre pour l’Afrique. En
admettant le total de 2000 langues, cela représente le tiers des
langues du monde. Estimation à prendre avec prudence en fonc-
tion de la façon dont on fait le partage entre langue et dialecte.
Selon la définition que l’on retient des langues et des dialectes, il
ya entre 1250 et 2100 langues en Afrique. L’Afrique est donc un
contexte plurilingue, un lieu de contacts entre différentes lan-
gues où les locuteurs sont le siège de confrontation ou de com-
plémentarité entre ces diverses langues particulièrement les
langues étrangères et les langues africaines locales. Le degré de
plurilinguisme varie considérablement selon les pays et selon les
individus. Un document de l’UNESCO rédigé pour une réunion
intergouvernementale sur les politiques linguistiques en Afrique
donnent les informations suivantes1 : « Environ 105 millions de
personnes parlent 410 langues au Nigeria, 30 millions de person-
nes en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) utilisent
206 langues et l’Ethiopie a 97 langues pour une population de 45
millions, au Cameroun 185 langues sont utilisées par 8 millions
d’habitants, 58 langues pour 3 millions d’habitants au Bénin, 31
langues pour deux millions de congolais de Brazzaville,120 lan-
gues pour 28 millions d’habitants en Tanzanie avec le kiswahili
comme « lingua franca »,12 langues au Mali dont 90 % utilisent
quatre langues et 65 % une seule langue, le bamanakan,60 lan-
gues pour une population de 9 millions dont la moitié parle le
Moore. Au Nigeria 397 langues sur 410 sont des langues minori-
taires mais le nombre total de leurs locuteurs forme 60 %.Sur le
plan du plurilinguisme individuel, dans une enquête sur le Nige-
ria, les résultats montrent que le nombre de langues parlées par
chacun des membres des communautés linguistiques allait de
deux à quatre de la manière suivante : 60% parlaient deux lan-
gues, 30% en parlaient trois et 10 % plus de quatre. Un constat
similaire pourrait être fait pour de nombreux pays d’Afrique où
il ya une tradition bien répandue du plurilinguisme.
A cette mosaïque de langues, sont venues s’ajouter les langues
étrangères comme le français, l’anglais, l’espagnol et le portu-
1
Harare,17-21 mars 1997,p.3 cité par B.Heine et D. Nurse,op. cit. , p.372
95
gais. En devenant multilingues, des individus, des communautés
et de groupes de locuteurs deviennent des sièges de couches mul-
tiples de langues acquises au cours de leur vie. La biographie lan-
gagière qui retracerait l’itinéraire d’acquisition des langues d’un
locuteur plurilingue permet de saisir les traces des influences
mutuelles des langues en contact pouvant déboucher sur la diver-
sification de celles-ci et –pourquoi pas ?- devenir une menace
pour la survie de certaines d’entre elles dans l’espace étudié.
Mais d’abord, les locuteurs ainsi identifiés dans ce contexte afri-
cain multilingue cultivent-ils une certaine conscience plurilin-
gue ? Sont-ils conscients de la structure et du choix des langues
qu’ils utilisent .Mortéza Mahmoudian1 circonscrit bien la notion
de conscience linguistique : « La notion de conscience linguisti-
que a suscité de nombreuses prises de positions dans les courants
théoriques en linguistique. Dans l’ensemble, la linguistique struc-
turale -au sens large du terme- ne réserve pas une place de choix
à cette notion pour préserver sa quête de scientificité que com-
promettrait l’inclusion dans son objet des phénomènes subjectifs
comme conscience, pensée et intuition. Mais cette exclusion
rencontre des difficultés à trois niveaux : elle aboutit à des
contradictions, elle ignore l’une des spécificités essentielles des
sciences de l’homme et elle considère l’objet langue comme un
phénomène simple, homogène. Que les sujets aient conscience
de la langue, de ses unités et de ses règles ou de sa compétence
des langues qu’ils parlent tombe sous le sens. »
Il suffit de considérer les manipulations que les locuteurs font
des matériaux linguistiques dans ce contexte : le choix de langue
dans une circonstance donnée, la conscience d’une langue domi-
nante ou d’une langue passive, l’alternance codique ou le mélan-
ge codique.
En effet, dans le courant de sa vie, un locuteur peut changer
de langue dominante du fait de son éducation ou de sa mobilité
1
« Conscience linguistique et enseignement de la langue première » (commu-
nication au séminaire sur « quel français et quelle littérature de langue françai-
se enseigner dans un milieu plurilingue ? », Lubumbashi, université de
Lubumbashi, 20-21 novembre 2003 ,24 pages)
96
sociale ou géographique Le degré de compétence multilingue
parmi les locuteurs africains varie selon les facteurs sociaux in-
terdépendants. Les gens vivant en agglomération urbaine ont
tendance à utiliser plusieurs langues que les gens des régions ru-
rales où l’on trouve de grandes zones de monolinguisme. La sco-
larisation tend à apporter la compétence dans une langue,
puisque dans beaucoup d’écoles africaines, la langue
d’enseignement n’est pas la langue maternelle ni la langue préfé-
rée des enfants. La biographie langagière reposant sur la capacité
du locuteur ou de l’apprenant d’une langue à conscientiser les
éléments constitutifs de son expérience dans le domaine linguis-
tique permet en milieu plurilingue comme l’Afrique de mettre
en lumière la nature des choix linguistiques à opérer conduisant à
la restructuration d’une ou des langues. L’alternance codique par
exemple est un phénomène particulier lié à la conscience pluri-
lingue individuelle. Elle met en relief la conscience du choix des
langues ou de mélange codique. Le mélange codique, c’est
l’utilisation alternative de deux langues ou plus dans la conversa-
tion par le même locuteur multilingue. Il peut prendre la forme
soit de l’emprunt soit de l’alternance codique proprement dite.
L’emprunt est une stratégie pour remédier à un manque de vo-
cabulaire temporaire ou permanent. L’alternance codique est un
troisième code à part entière à la disposition des locuteurs bilin-
gues à côté des deux autres codes présentés par les deux langues
utilisées dans les discours monolingues. C’est un code que privi-
légient souvent les locuteurs multilingues et qui est utilisé soit
comme code marqué soit encore comme code spécifique dont le
choix signale l’absence ou l’annulation consciente de la distance
sociale imposée par la tradition et indique une reconnaissance
mutuelle d’appartenance à un groupe qui ne se définit pas par
l’exclusion ethnique ou sociale. Dans une situation donnée, di-
vers facteurs contribuent au choix réel de la langue ou du code
c’est-à-dire aux répertoires multilingues des locuteurs impliqués
et à leur degré respectif de compétence dans la langue qu’ils uti-
lisent. Il s’agit du contexte social, du nombre et de l’identité des
locuteurs, du rôle social et de leur statut, de la distance sociale,
du sujet et du contenu référentiel et affectif de la conversation.
97
Autant d’éléments qui mettent en exergue la conscience plurilin-
gue d’un locuteur plurilingue. Tout ceci montre que le locuteur
plurilingue a conscience des éléments linguistiques utilisés, il dis-
pose des moyens pour les identifier ; le recours au contexte peut
lui fournir des indices pour identifier une langue déterminée. La
biographie langagière permet donc de percevoir tant au niveau de
l’individu qu’au niveau d’une communauté linguistique donnée
l’impact des contacts des langues et les manifestations de la cons-
cience plurilingue sur la structure interne de la langue. Le por-
trait de certaines langues en contact porte souvent les marques
de cette réalité.
Nous pouvons illustrer cette situation par deux cas : mon
parcours langagier et celui du professeur V.Y. Mudimbe à partir
de son autobiographie1.
Je suis né dans un village d’un couple de cultivateur à 1200 ki-
lomètres du Chef lieu de la Province du Katanga en République
démocratique du Congo. Mes parents parlaient le kihemba (lan-
gue de groupe L selon la classification de Guthrie) et le kiswahili.
A mon entrée à l’école primaire, durant les deux premières an-
nées l’enseignement se donnait en kiswahili. C’est dans cette
langue que j’ai appris l’alphabet. A partir de la troisième primai-
re, j’ai pris contact avec la langue française. A l’âge de 12 ans,
après ma sixième année primaire, j’ai quitté mon village pour me
rendre à Lubumbashi, le Chef-lieu de la Province. Dans ce
contexte, j’ai pris connaissance de l’existence des autres langues
du milieu comme le Kibemba, le Ciluba, le kisanga, le cokwe, le
uruund, etc. J’ai entamé mes études secondaires où en plus du
français j’ai commencé l’apprentissage de l’anglais, du latin et du
grec. Le petit Séminaire où j’ai étudié, se situait dans une zone
où la langue bemba était la plus courante. J’ai appris à la parler.
A l’Université de Lubumbashi où je me suis inscrit à la faculté
des lettres , au Département de langue et littérature françaises,
au programme figurait l’apprentissage d’une des quatre langues
1
Mudimbe, V.Y. Les corps glorieux des mots et des êtres .Esquisse d’un jar-
din à la Bénédictine.,Montréal-Paris,Humanitas-Présence Africaine,1994.
98
nationales non parlée dans ma province d’origine. J’ai ainsi opté
pour la langue lingala.
Nous pouvons illustrer cette situation par trois cas tirés, le
premier d’une enquête 1réalisée sur le milieu scolaire de Lubum-
bashi par une équipe de recherche que j’ai dirigée, le deuxième
d’un travail de mémoire2 sur le français et les langues nationales
au campus universitaire de Lubumbashi et le troisième, d’un ou-
vrage autobiographique publié par le professeur Mudimbe à
l’occasion de son cinquantième anniversaire.
Nous dégageons du premier travail le cas de l’itinéraire
d’acquisition des langues chez un certain nombre d’élèves et
l’impact de la conscience plurilingue sur leur comportement lan-
gagier. Comme on le sait La République Démocratique du
Congo a le français3 comme langue officielle, quatre langues na-
tionales (le lingala, le kikongo, le Ciluba et le kiswahili) et plu-
sieurs autres langues ethniques. Les quatre langues nationales
sont parlées dans des aires linguistiques bien précises :le lingala
est parlée dans la capitale Kinshasa ,dans la province de
l’Equateur, dans une partie de la province orientale. Le kikongo
est parlé dans la province de Bandundu, et le Bas-Congo ;le Cilu-
ba est pratiqué dans les deux provinces du Kasaï et le kiswahili
dans les provinces du Katanga, du nord-Kivu,du Sud Kivu ,du
Maniema et dans une partie de la Province Orientale. Avec les
mouvements des mutations des fonctionnaires, ces différentes
langues se retrouvent aussi de manière réduite dans les autres es-
paces. Au cours de nos enquêtes nous avons observé un cas qui
illustre notre préoccupation ici : un élève a appris le kihemba
comme première langue en famille dans son village .A son entrée
à l’école à l’âge de six ans, il apprend le kiswahili dans un centre
1
Voir J.Kilanga Musinde, Le français des élèves des écoles secondaires à Lu-
bumbashi. Structure et nature des différences, Lubumbashi, Faculté des Let-
tres, 1984,775 pages
2
Mukendi Nkashama, Le français et les langues nationales au campus universi-
taire de Lubumbashi,mémoire ,Faculté des lettres ,1983,160 pages.
3
J.kilanga Musinde et Bwanga Zanzi, « Quelques réflexions sur la situation de
la langue française au Zaïre » in Africanistique N°17, Lubumbashi, 1988, P.47
99
rurale à l’école primaire ;à partir de la troisième année primaire,
il apprend quelques rudiments de français ;après sa sixième pri-
maire, il se déplace pour le chef lieu de sa province où il entre en
contacte ave les langues des autres groupes ethniques (le kibem-
ba,le kiluba, le kisanga ,le Ciluba).Au secondaire, il apprend le
latin, le grec ,l’anglais en plus du français. On se trouve là devant
un homme au profil linguistique complexe qui a un impact réel
sur son comportement linguistique Il maîtrise à la fin de ses étu-
des secondaires le français, le swahili, le kihemba, comprend
l’anglais, le kibemba, le kiluba et partiellement le kiluba et le ki-
sanga et maîtrise la culture gréco-latine. L’intéressé est conscient
d’être le siège de plusieurs langues. Trois éléments le prouvent :
dans son comportement, il change de langues chaque fois qu’il
est conscient de se trouver devant les gens qui parlent une langue
spécifique qu’il maîtrise. On relève également le recours à
l’alternance des langues quand son interlocuteur parle l’une des
langues qu’il maîtrise le moins .Nous l’avons remarqué pour les
langues comme le kiluba et le kisanga .Un troisième constat est
que es différentes langues laissent leurs marques sur le français
qu’il parle. Une forte influence des interférences linguistiques
dans la réalisation phonétique et dans le recours aux emprunts
d’une langue à une autre pour combler les cases vides. Ce constat
est valable pour la plupart des personnes enquêtés surtout ceux
qui sont passés d’une province à une autre selon qu’on y parle
telle ou telle langue nationale.
Le deuxième cas d’illustration est celui de l’étude de Mukendi
Nkashama réalisé au campus universitaire de Lubumbashi. La vil-
le de Lubumbashi est le Chef lieu de la Province du Katanga en
République démocratique du Congo. La langue nationale la plus
courante est le kiswahili. On y pratique d’autres langues comme
le Ciluba et le lingala particulièrement en plus des langues des
ethnies environnantes et de celles venues s’installer dans e milieu
urbain. Nous citerons le kibemba, le kisanga, le kitabwa, le cok-
we, le Urundi, le ndembo en plus du plus du français et de
l’anglais. Mais le milieu universitaire de Lubumbashi reçoit les
personnes venues de toutes les provinces du pays où on parle les
différentes langues nationales ( le lingala, le Ciluba ,le kikongo et
100
le kiswahili).On se trouve là devant un contexte de mélanges de
langues et de cultures. Si bien que l’on se trouve là devant des
personnes qui parlent à la fois le lingala, le swahili, le kikongo, le
Ciluba et quelques –unes des langues locales en plus du français
qui est la langue de l’enseignement. Les traces de la conscience
plurilingue se trouvent plus marquées à e niveau par le choix ju-
dicieux de la langue à utiliser devant un public auquel il
s’adresse. L’influence de ces langues sur le français se ressent de
moins en moins. Il recourt de temps à autre à l’alternance codi-
que quand il utilise les langues nationales en intégrant les mots ou
structures de la langue française.
Le troisième cas d’illustration me semble plus significatif. Il
est tiré d’une autobiographie1. Les soixante ans d’âge du profes-
seur Mudimbe m’avait inspiré une réflexion qui étale dans mon
esprit une image de cet homme aux multiples faces. Au contact
de ses œuvres scientifiques et littéraires, je me suis fait une idée
de son itinéraire linguistique Et une lecture attentive de son ou-
vrage écrit à la veille de son cinquantième anniversaire et dans
lequel il met par écrit les souvenirs de ses expériences me donne
une idée sur son parcours linguistique.2 Mudimbe Valentin est né
à Likasi en république Démocratique du Congo dans la province
du Katanga, des parents Songye Il parle dès son jeune âge le son-
ge , le kiswahili et le ciluba.Il apprend le français à l’école pri-
maire et au petit séminaire ;Il vécut quelques années au
monastère de Gihindamuyaga au Rwanda où il eut quelques bri-
bes du kinnyaruanda.Au secondaire, il apprendra le latin,
l’anglais, le néerlandais en plus du français ; »En anglais, ma note
est passable parce que le professeur cote au hasard et il est connu
pour cela ;le néerlandais, j’aurais dû être le meilleur de la classe,
n’était un zéro reçu pour un devoir ;mon maître, un flamand, n’a
1
V.Y. Mudimbe, Les corps glorieux des mots et des êtres.Esquisse d’un jardin
africain à la bénéditine.Montréal-Paris, Humanitas-Présene Africaine, 1994.
2
J.Kilanga Musinde, “Ma perception de V.Y. Mudimbe” in L’Afrique au mi-
roir des littératures. Mélanges offerts à V.Y. Mudimbe .édités par Mukala Ka-
dima Nzuji et Sélom Komlan Gbanou, Archives et Musée de la
littérature, »collection Papier blanc encre noire »,2003, pp.511-519.
101
pas cru, malgré les brouillons que je lui ai soumis, que j’étais
l’auteur de ma dissertation, elle était trop bonne (…) En grec et
en latin, le professeur joue les terreurs… allez savoir pourquoi il
a un diplôme de Louvain en philologie classique. »1 Mudimbe
sautera les deux classes terminales et se présentera au jury cen-
tral. Il poursuivra ses études d’abord à l’université Lovanium de
Kinshasa où il entrera en contact avec la langue lingala. Il présen-
tera sa thèse à Louvain sur l’évolution sémantique du mot « air »
en grec, en latin et en français. Revenu au pays, il enseigne le
français, le latin, la linguistique pendant plusieurs années avant
d’immigrer aux Etats-Unis où il enseigne en anglais. Mudimbe
est don le siège de plusieurs langues :le français, l’anglais, le
néerlandais, le latin ,le grec, le kiswahili, le lingala, le Ciluba,
songye. Il en est conscient. Cela se manifeste particulièrement
dans ses écrits. Sa thèse sur le grec et le latin. Dans ses écrits, on
trouve plein de citations en grec et en latin. « Etiam omnes ego
non »2Il a publié des ouvrages remarquables aussi bien en anglais
qu’en français.3.Ces ouvrages scientifiques font état des référen-
ces en allemand qui montrent sa connaissance de la langue alle-
mande. Chez lui la manifestation de la conscience plurilingue est
très remarquable par le choix des langues utilisés selon les
contextes dans lesquels il se trouve. Il parle anglais devant les an-
glophones, français devant les francophones, allemands devant les
locuteurs de l’allemand. Mais sa pratique des langues congolaises,
le swahili, le lingala ou le Ciluba porte les marques de
l’alternance codique ave un recours constant aux mots français.
Cela montre qu’à un certain niveau de maîtrise des langues
étrangères, les langues locales finissent par en pâtir.
Le suivi de l’itinéraire langagier d’un locuteur permet de sai-
sir à quel degré il est conscient de son état de plurilingue. Cet
état a deux conséquences sur l’individu et sur la langue. La cons-
1
V.Y.Mudimbe,op.cit,p.98
2
Même si tout le monde croit, et pense, si j’ai des raisons de ne pas y croire,je
m’y oppose.(sa devise)
3
Par exemple : Entre les eaux (Présence africaine,1973),l’Autre face du
royaume (éditions Age d’homme,1973),l’odeur du père, et the idea of Africa.
102
cience plurilingue conditionne le choix de la langue à utiliser
dans des contextes spécifiques selon la nature de sa fonction dans
le milieu ou selon les catégories des personnes auxquelles on
s’adresse. Elle entraîne également l’usage à l’alternance codique
conduisant à l’usage des emprunts ou des mots issus des langues
dites dominantes dans la communauté. La deuxième conséquen-
ce porte essentiellement sur la nature de la langue .dans le cas du
français en contact avec les autres langues, il finit par se diversi-
fier. Et, selon le degré de maîtrise de cette langue, on arrive à
avoir une langue soit fortement métissé soit moyennement soit
aussi très attachée à la norme pour les personnes d’un niveau très
élevé. Pour le dernier cas d’un africain qui maîtrise en plus des
langues africaines plusieurs langues étrangères, la tendance est de
s’écarter de plus en plus des langues locales au profit de la langue
officielle. Cela apparaît couramment quand il parle une langue
africaine avec l’intervention des structures du français dans la
langue africaine qu’il utilise.
Nous pouvons l’illustrer par l’exemple des études réalisées
sur le français en contact avec les langues africaines en milieu
plurilingue congolais.1 La République Démocratique du Congo
est un pays plurilingue dont la situation sociolinguistique présen-
te trois niveaux : au premier niveau se situe la langue française
connue comme langue officielle, langue de l’enseignement
,langue de l’administration et de communication internationa-
le ;viennent ensuite les quatre langues nationales réparties dans
quatre aires linguistiques (le lingala, le kiswahili, le Ciluba et le
kikongo).Au bas de l’échelle, nous trouvons les langues ethni-
ques pratiquées dans les milieux ruraux et dans certaines parties
des milieux urbains. C’est dans ce contexte plurilingue que le
français évolue .Selon que le mode d’introduction du français re-
1
Kilanga, M. et Bwanga, N. « Quelques réflexions sur la situation de la lan-
gues française au Zaïre », in Africanistique, bulletin N°16, Lubumbashi,
CELTA, 1988, P.47
Kilanga Musinde, « Prolégomènes à une étude linguistique du français zaïrois.
Quelques questions de méthodes. » in Linguistique et sciences humai-
nes,N°26,Lubumbashi,CELTA,1986
103
lève de l’importation ou de la superposition, sa nature change.
Les études menées en République Démocratique du Congo vers
les années soixante cherchaient à saisir le français au Congo
comme une langue transplantée dans une sorte de tabula rasa lin-
guistique où l’on voulait l’identifier à la langue parlée dans la mé-
tropole. Mais vers les années soixante-dix, on a commencé à
tenir compte des réalités locales influant sur la nature de la lan-
gue française parlée et écrite dans le milieu. Vers les années qua-
tre-vingts, les recherches visaient à étudier le français actualisé au
Congo dans le sens d’une variété autonome distincte des autres
français parlés dans d’autres espaces géographiques africains. Le
français congolais, comme l’a écrit Sesep1 n’est pas réductible au
seul français scolaire. Il consiste en une panoplie de variétés cen-
trées sur la variété scolaire et variable selon les catégories socio-
professionnelles en présence. Cette recherche est partie du
soubassement théorique circonscrit dans deux travaux qui en re-
présentent les deux pôles .Il s’agit du travail de Kilanga Musinde2
et celui du texte d’orientation du projet de recherche sur le fran-
çais congolais publié par Sesep. L’analyse du français des élèves
sur les plans phonétiques, morphosyntaxiques et lexicosémanti-
ques comparée à celle du français standard a montré l’existence
effective des différences entre le français des élèves et le français
standard à ces trois niveaux. Ces différences sont-elles de simples
déviations susceptibles d’être corrigées ou des indices de la for-
mation d’une variété autonome ? « C’est en terme de valeur fré-
quence/intégration que les éléments peuvent être hiérarchisés
sur la dimension intrinsèque, où deux pôles sont à distinguer :
généralité ou zone de rigueur et restriction ou zone de laxité »3.
Les études portant sur les individus plurilingues dans ce contexte
1
Sesep, N, « Le français Zaïrois : système et variation »in linguistique et
sciences humaines N° 26, Lubumbashi, CELTA, 1986
2
Kilanga, M. Le français des élèves des écoles secondaires à lubumbashi.
Structure et nature des différences, deux tomes Lubumbashi, Faculté des Let-
tres, 1984,775 pages.
Sesep, N. art .cit.
3
M.Mahmoudian, « Structure linguistique : problèmes de la constance et de la
variation » ,in La linguistique,vol.6,fascicule 1,1980,P.24.
104
africain ont montré que les différences phonétiques, morphosyn-
taxiques et lexicosémantiques facilement corrigibles relevaient de
la zone de laxité tandis que les différences lexicosémantiques non
corrigibles senties comme telles par les locuteurs faisaient partie
de la zone de rigueur qui est la manifestation de la formation
d’une variété autonome. Faut-il croire à la formation d’une va-
riété autonome du français à partir de la confirmation des diffé-
rences lexicales quand on pense que le lexique, c’est l’élément
de la langue à la fois le plus intégré et le plus migrateur ?1 La pré-
sence de ces différences lexicales solidement intégrées dans le
milieu scolaire caractérisé par la résistance à toute différencia-
tion, a poussé à poursuivre cette recherche dans d’autres milieux
socioprofessionnels dans le cadre du projet le français congolais :
structure et variation. Les travaux 2réalisés dans ce cadre ont
montré que les variétés du français observables selon les catégo-
ries sociales en présence et par rapport aux langues nationales
étaient caractérisées par une relative diversification par rapport à
la norme. Elles sont la réalisation de plusieurs systèmes différents
et non une homogénéité structurée. Chaque variété délimitée
constitue elle-même une diversité de parlers variables selon les
utilisateurs, le français des peu ou pas lettrés en particulier n’est
pas un magma structurel de sens. Il s’agit au contraire d’une série
d’approximations résultant d’une structuration des structures du
français sur le modèle des langues nationales ou connues des usa-
gers. Au total, l’ensemble des variétés du français de ce milieu
s’insère dans un continuum dont les pôles sont représentés d’un
côté par des variétés qui s’identifient ou tout au moins se rappro-
chent du français normatif ; de l’autre par celles qui se rappro-
chent des langues nationales ou s’identifient à celles-ci. Entre ces
deux parlers se situent un ensemble de parlers considérés comme
des variétés régionales dont les caractéristiques linguistiques re-
lèvent aussi bien de la première que de la deuxième variété. Bref,
1
Kilanga, M. « Prolégomènes à une étude linguistique du français zaïrois.
Quelques questions de méthodes. », art.cit, p.57
2
Nous avons dirigé plus de deux cents mémoires et plus de dix thèses dans le
cadre de cette recherche.
105
le français, suite aux contacts avec les autres langues finit par se
fragmenter en plusieurs variétés. Mais loin d’être une base de
fragilité de la langue commune des pays francophones, cette
fragmentation peut être harmonisée, par un effort consistant à
dégager et à légitimer les usages linguistiques nationaux et régio-
naux en vue d’un traitement lexicographique et des applications
offrant une meilleure garantie à une solidarité mieux assumée et
aussi une assurance pour le français dans le monde. Ainsi, le fran-
çais actualisé dans cet espace plurilingue, à l’instar des autres lan-
gues du milieu, connaît une diversification géographique. A base
des langues nationales selon la zone géographique où elles sont
parlées (Swahili, lingala, Ciluba et kikongo).Les indicateurs de
chaque variété relèvent en particulier de l’interférence des sys-
tèmes linguistiques en présence et sont identifiables dans les limi-
tes géographiques coïncidant avec les frontières des langues
utilisées par les différents groupes d’usagers mis en jeu. A
l’intérieur de chaque variété, l’on observe, en fonction des locu-
teurs en présence, une variation sociale du français en plusieurs
lectes qu’on peut ramener à trois niveaux :français acrolectal qui
est le parler des lettrés comportant éventuellement quelques par-
ticularités locales et des registres diversifiés, le français mésolec-
tal, parler des lettrés moyens marqué par un taux fort élevé de
particularités locales, et le français basilectal, usage circonstanciel
et ritualisé d’une variété pidginisée du français se rapprochant
des langues congolaises. Bref, à base des langues nationales selon
la zone géographique où elles sont parlées (kiswahili, lingala, Ci-
luba et kikongo), les indicateurs de chaque variété relèvent en
particulier de l’interférence des systèmes linguistiques en présen-
ce et sont identifiables dans les limites géographiques coïncidant
avec les frontières des langues utilisées. La particularisation du
français actualisé dans ce contexte procède aussi ,du point de vue
génétique de l’action, d’autres principaux mécanismes comme
l’emprunt fait aux langues nationales ou étrangères pratiquées
dans ce pays ou dans les pays limitrophes, les calques du substrat
linguistique et le métissage des langues. Une telle étude pourrait
être menée dans les autres espaces plurilingues africains pour ré-
aliser les effets de la conscience plurilingue sur les rapports entre
106
les langues et l’impact de ceux –ci sur l’évolution des langues.
C’est en ayant conscience de toutes ces réalités qu’on finit par se
poser la question sur la nature du français à enseigner dans un
contexte plurilingue comme l’Afrique au regard de la diversifica-
tion dont il est l’objet. Il en est de même des stratégies et des ou-
tils didactiques à mettre en place pour l’enseignement des
langues dans ce contexte africain comme le souligne le rapport
général des Etats généraux de l’enseignement du français en
Afrique francophone : « Parmi les principales questions posées
émerge celle de la nature et de la qualité du français à enseigner
en Afrique. Les bilans minutieux et parfaitement convergents
auxquels se sont livrés tous les observateurs et acteurs de terrain
présents à Libreville font apparaître un certain nombre de ques-
tions préalables qui doivent aujourd’hui être pris en compte
(…) ».1 Ce questionnement, valable pour le français peut être
aussi vérifié dans le sens inverse, celui de l’influence du français
ou de tout autre langue étrangère à l’Afrique sur les autres lan-
gues africaines. L’examen minutieux des itinéraires d’acquisition
des langues par des locuteurs plurilingues , la prise en compte de
la conscience plurilingue de ces locuteurs manifestée par les
choix de langue à opérer selon les circonstances et la possibilité
de la formation d’une variété constituent une base importante
dont on peut se servir pour la mise au point des stratégies et des
outils didactiques nécessaires à l’enseignement des langues en mi-
lieu plurilingue .En effet, tout enseignement ne doit-il pas partir
de ce qui est acquis ?L’enseignement ne part-il pas de l’idée que
l’élève n’est pas une tabula rasa linguistique et qu’il a des acquis
linguistiques, une maîtrise de la structure de base de ses langues.
Tenant compte de la variabilité inhérente à toute structure lin-
guistique, l’enseignant conçoit les acquis linguistiques comme
susceptibles de varier suivant les origines géographiques et
l’appartenance sociale d’un apprenant.
La réflexion sur la biographie langagière ouvre des voies
d’exploration multiples. Elle permet de mettre en exergue la ca-
1
P.Dumont, Rapport de synthèse des Etats généraux de l’enseignement du
français en Afrique subsaharienne francophone, Libreville, 17-20 mars 2003.
107
pacité du locuteur plurilingue d’exploiter tous les éléments de
son expérience linguistique pour l’apprentissage d’une langue
étrangère. Il est vrai que la conscience plurilingue comme la
conscience linguistique n’est pas une évidence. Elle fait partie du
« moi profond » du locuteur. Si dans un contexte monolingue, la
difficulté est plus grande, dans un contexte plurilingue, la mani-
festation de nouvelles formes de structures issues des contacts
entre diverses langues conduisant parfois à la formation de nou-
velles variétés peut éveiller la conscience pouvant servir dans
l’apprentissage de nouvelles langues. L’illustration faite du cas du
français en République Démocratique du Congo pouvait bien
s’étendre sur les autres espaces. Voilà un chantier qui ouvre des
pistes de recherches intéressantes à explorer par l’exploitation
des biographies langagières sous-tendues par la conscience pluri-
lingue des locuteurs des contextes étudiés comme nous venons
de le faire pour le contexte plurilingue africain.
108
La promotion et le co-développement
des langues d’Afrique
109
avons à faire face. Nous le ferons sous le prisme de la vision de la
Francophonie sur la question des langues.
Notre propos portera essentiellement sur les points suivants :
-Une donnée fondamentale : les contours de la Francophonie.
-La promotion et le développement et le co-développement
des langues d’Afrique : un regard de la Francophonie.
-Les perspectives d’actions en faveur des langues d’Afrique.
110
Francophonie s’est progressivement développée grâce à une série
d’acquis de nature politique, juridique et institutionnelle qui lui
donnent aujourd’hui toute sa personnalité. Les sommets réunis-
sant les Chefs d’Etat et de gouvernement ont conféré à la Fran-
cophonie une dimension politique qui s’ajoute à sa fonction de
coopération. Par ailleurs, l’espace francophone n’a cessé de
s’élargir et compte maintenant soixante-trois Etats et gouverne-
ments d’Afrique, d’Europe, d’Amérique, d’Asie et du Pacifique.
La Francophonie a aussi su devenir un espace de concertation,
permettant à ses membres d’échanger des informations,
d’élaborer le cas échéant des positions communes et d’intervenir
efficacement dans les débats des autres instances internationales.
Au cours des dix dernières années, la Francophonie s’est dotée
d’autres textes fondamentaux pour affirmer les valeurs commu-
nes de ses membres et renforcer leur capacité d’agir ensemble :la
Charte de la Francophonie, adoptée à Hanoi en 1997 et révisée
en novembre 2005 à Antananarivo a conduit à la version actuelle
de l’organisation internationale de la Francophonie ;la déclara-
tion de Monaco sur le renforcement de la coopération économi-
que dans l’espace francophone(1999) ;la déclaration de
Luxembourg sur le thème « femme, pouvoir et développe-
ment »(2000) ;la déclaration de Bamako sur la démocratie, les
droits et libertés(2000),ainsi que la déclaration de Cotonou sur la
culture (2001).Ces acquis juridiques et normatifs ont été enrichis
par les nombreuses conférences ministérielles sectorielles et
thématiques et les plans d’action issus des sommets ,tel celui de
Moncton consacré à la jeunesse.
La Francophonie inscrit naturellement son action dans les ob-
jectifs définis par les grands forums internationaux tels que la dé-
claration du millénaire, la déclaration et le plan d’action du
sommet mondial pour le développement durable ou le plan
d’action du Nouveau partenariat pour le développement de
l’Afrique.
S’agissant du dispositif institutionnel, l’Agence intergouver-
nementale de la Francophonie (AIF) devenue depuis novembre
2005 « Organisation internationale de la francophonie, les autres
opérateurs- l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF),qui
111
regroupe plus de cinq cents vingt universités et instituts de re-
cherche, TV5,l’Université Senghor d’Alexandrie et l’Association
des maires francophones ainsi que les conférences ministérielles
permanentes concourent à façonner un espace francophone lar-
gement ouvert sur le reste du monde. Il en est de même de
l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), composée
de soixante-cinq parlements des Etats et communautés franco-
phones. La Francophonie a développé de multiples réseaux qui
s’associent à son action, l’alimentent et enrichissent ses positions
dans de nombreux domaines. Chercheurs, entrepreneurs, pro-
fesseurs de français, créateurs, journalistes et responsables
d’institutions participent ainsi à des réseaux d’échanges et de
coopération qui démultiplient ces actions en s’appuyant sur un par-
tenariat avec les organisations représentatives de la société civile.
Le Xème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement tenu
à Ouagadougou du 26 au 27 novembre 20041 est venu renforcer
l’idée de mobiliser la solidarité francophone pour le développe-
ment durable. Un développement respectueux de
l’environnement et soucieux de la conservation des ressources
naturelles, développement économique continu et inclusif, déve-
loppement fondé sur la démocratie, l’Etat de droit et les droits
de l’homme. Développement social équitable qui prend appui
sur l’éducation et la formation, développement attentif à la di-
versité culturelle et linguistique.
Comme on peut bien le voir, le socle de la Francophonie,
c’est la langue française. Mais au-delà de la langue, il y a
l’homme, le locuteur de cette langue qui a ses attentes, ses aspi-
rations, ses langues, ses cultures et ses problèmes. C’est dans
cette mouvance que les chefs d’Etats et des gouvernements dans
les différents sommets ont permis de s’interroger sur les rela-
tions entre les pays membres pour mieux saisir les relations
nord-sud et sur la place de la langue et de la culture dans les poli-
tiques de développement. L’évolution vers une Francophonie
1
Voir la Déclaration de Ouagadougou ( Xème Sommet des Chefs d’Etat et de
gouvernement des pays ayant le français en partage –Burkina Faso ,le 26-27
novembre 2004.
112
plus politique, attestée par le sommet de Hanoi en 1997 puis de
Beyrouth en 2002 l’amène à affirmer son engagement en faveur
du respect de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de
l’homme. Elle conduit son action dans ces domaines, en applica-
tion de la déclaration de Bamako, pour accompagner les Etats et
gouvernements dans l’accomplissement de leurs engagements. La
solidarité au sein de l’espace francophone conduit à prendre tou-
te la mesure des écarts de développement entre les membres et à
appuyer les Etats les plus en difficulté pour la mise en œuvre
d’une véritable stratégie de réduction de la pauvreté dans le ca-
dre d’un développement durable .La Francophonie place aussi
parmi ses principes fondamentaux le respect de la diversité cultu-
relle et linguistique. Elle contribue au dialogue des cultures, fac-
teurs de relations pacifiques entre les communautés et les
composantes de la société.
L’appartenance à la Francophonie est indissociable de
l’adhésion volontaire à ses principes et ses valeurs, rappelés par
l’article 1 de la Charte :
« La Francophonie ,consciente des liens que crée entre ses membres le
partage de la langue française et souhaitant les utiliser au service de la
paix, de la coopération et du développement, a pour objectifs d’aider à
l’instauration et au développement de la démocratie, à la prévention des
conflits et au soutien à l’Etat de droit et aux droits de l’homme ;à
l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations ;au
rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle ;au
renforcement de leur solidarité par des actions de coopération
multilatérale en vue de favoriser l’essor de leurs économies. La
Francophonie respecte la souveraineté des Etats, leurs langues et leurs
cultures. Elle observe la plus stricte neutralité dans les questions de
politique intérieure. »1
1
Article 1 de la Charte de la Francophonie.
113
Les langues d’Afrique : un regard de la Francophonie
1
Le mot est de R. Chaudenson,les langues dans l’espace francophone : de la
coexistence au partenariat.
2
B.Heine et D. Nurse, Les langues africaines ,Paris, Karthala, 2004,468
3
B. Grimes, Ethnologue :Languages of wold,13e édition, Dallas, Summer Ins-
titute of linguistics et Université du Texas (Arlington),1996.
4
Se référer aux différentes études réalisées par Greenberg, particulièrement
Studies in Africa Linguistics classisfication.
114
l’on retient des langues et des dialectes, il y a entre 1250 et 2100
langues en Afrique.
L’Afrique est donc un contexte plurilingue, un lieu de
contacts entre différentes langues où les locuteurs sont le siège
de confrontation ou de complémentarité entre diverses langues :
tout particulièrement entre les langues étrangères et les langues
africaines locales.
Mais le degré de plurilinguisme varie considérablement selon
les pays et selon les individus. Un document de l’UNESCO1 ré-
digé pour une réunion intergouvernementale sur les politiques
linguistiques en Afrique donne les informations suivan-
tes : « Environ 105 millions de personnes parlent 410 langues au
Nigeria, 30 millions de personnes en République Démocratique
du Congo (ex-Zaïre) utilisent 206 langues et l’Ethiopie a 97 lan-
gues pour une population de 45 millions, au Cameroun 185 lan-
gues sont utilisées par 8 millions d’habitants, 58 langues pour 3
millions d’habitants au Bénin, 31 langues pour deux millions de
congolais de Brazzaville, 120 langues pour 28 millions
d’habitants en Tanzanie avec le kiswahili comme « lingua fran-
ca », 12 langues au Mali dont 90 % utilisent quatre langues et
65% une seule langue , le bamanakan, 60 langues pour une popu-
lation de 9 millions dont la moitié parle le Moore. Au Nigeria
397 langues sur 410 sont des langues minoritaires mais le nombre
total de leurs locuteurs forme 60%. Sur le plan du plurilinguisme
individuel, dans une enquête sur le Nigeria, les résultats mon-
trent que le nombre de langues parlées par chacun des membres
des communautés linguistiques va de deux à quatre. Un constat
similaire pourrait être fait pour de nombreux pays d’Afrique où
domine une tradition de plurilinguisme.
A cette mosaïque de langues, sont venues s’ajouter les langues
étrangères comme le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais.
Et dans ce contexte multilingue, la politique linguistique de la
francophonie, fondée sur le partenariat a fait prévaloir la notion
des langues partenaires, entendue comme langues qui coexistent
avec la langue française comme elles le sont éventuellement en-
1
Harare,17-21 mars 1997,p.3 cité par B. Heine et D.Nurse,op.cit.,p.372
115
tre elles, avec laquelle sont aménagées les relations de complé-
mentarité et de coopération fonctionnelles, dans le respect des
politiques linguistiques existantes. Dans la version maximale, il
existerait au moins trois sortes de langues partenaires au fran-
çais :
- D’abord des langues transcontinentales organisées en aires
linguistiques avec lesquelles des alliances inter linguistiques sont
possibles, comme l’arabe, le portugais, l’espagnol et l’anglais ;
- ensuite, les langues écrites de l’espace francophone, qui sont
dans un rapport de convivialité avec le français comme le bulgare
et le vietnamien ;
- enfin, des langues africaines et créoles dont l’effort
d’aménagement dépend pour une large part de son partenariat
avec les anciennes langues coloniales, le français particulièrement
pour l’espace francophone qui nous concerne. C’est cette der-
nière catégorie qui concerne les langues d’intercommunication,
appelées, dans le langage courant « langues nationales ».
Pour la Francophonie, les langues nationales, prioritaires,
sont celles qui sont transnationales. Suivant en cela le plan
d’aménagement linguistique de la Francophonie (1993)1 qui en
dénombre 9 dont certaines sont désignées par des glossonymes
différentes. Il s’agit de :
- Swahili (Burundi, Rwanda, Kenya, RDC, Ouganda et Tan-
zanie)
- Complexe Manding malinké, bambara, dioula (Burkina-
Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Sénégal, Guinée-Bissau)
- Complexe Kirundi –Kinyarwanda (Burundi, Rwanda, RDC)
- Kikongo- ikeleve-monokotuba (Congo, RDC, Angola)
- peul-pular-fulfulde (Burkina-Faso, Guinée, Bénin, Mali,
Mauritanie, Gambie, Cameroun)
- Wolof (Sénégal, Gambie, Mauritanie)
- Haoussa (Niger, Nigeria)
- Yorouba (Bénin, Togo, Nigeria)
1
Proposition pour un plan d’aménagement linguistique(espace francophone
du Sud),Paris,ACCT,1993,PP.25-28
116
Sont également en charge, les trois langues nationales
« intranationales » ci-après :
- le Sango (RCA)
- le Malgache(Madagascar)
- le Ciluba (RDC)
117
ne peut être écartée dans toute réflexion portant sur l’enseignement du
français dans l’ensemble des cycles de formation formelle et non formelle. »1
1
P. DUMONT, Rapport général des Etats généraux de l’enseignement du
Français en Afrique subsaharienne francophone. ,Libreville ,2003.
118
C’est pour assure l’appui à toutes ces actions que
l’Organisation internationale de la Francophonie a prévu dans sa
programmation quadriennale des projets adaptés à cet objectif :
1. Améliorer l’aménagement du français et des langues parte-
naires et les politiques linguistiques.
Ce projet vise à contribuer aux actions de gestion et de déve-
loppement du français et des langues partenaires en collaboration
avec les Etats et gouvernements et avec les autres acteurs
concernés, de manière à ce que ces langues demeurent et de-
viennent aptes à assurer les fonctions qui leur sont assignées ou
qu’on souhaite leur assigner et soutenir le développement de
l’instrumentalisation linguistique du français et des langues par-
tenaires. L’objectif recherché est le développement du français et
la modernisation des langues partenaires en vue de leur utilisa-
tion dans divers contextes, notamment l’éducation.
2. Améliorer le traitement numérique des langues à des fins
d’exploitation dans les systèmes techniques.
Ce projet vise à réduire les obstacles techniques au traitement
informatique des langues partenaires du français afin d’éviter
qu’ils soient un facteur d’exclusion de la société de l’information
pour les populations des pays francophones en développement et
promouvoir ainsi les échanges et la coopération entre les langues
partenaires du français en vue de promouvoir la mutualisation et
les synergies pour l’intégration de la diversité linguistique dans
les nouveaux services inhérents au développement humain.
Dans ce contexte, une série d’action se réalisent déjà avec
certains pays africains et de l’Océan indien. je pense au projet
« coopération technolinguistique : développement des langues
africaines et créoles dont les produits et réalisations attendues
concernent :
- l’expertise de langagiers africains en terminologie, en nor-
malisation, en analyse linguistique et en utilisation des outils
technolinguistique dans l’optique du traitement des langues par-
tenaires transnationales africaines et créoles ;
- instrumentalisation des langues partenaires transnationales
africaines et créoles et la dissémination des pratiques terminolo-
giques en Afrique ;
119
- production des fiches de terminologie et d’ouvrages (lexi-
ques et vocabulaires spécialisés en langues partenaires africaines
et créoles ;
- gestion efficace des langues partenaires transnationales afri-
caines et créoles dans les tiroirs du termium V.
Pour conclure
120
III
Francophonie, Langue française,
123
- Quelles politiques linguistiques et quel enseignement pour
quelle intégration africaine ?
Ma réflexion qu’on m’a demandée d’intituler culture africai-
ne, politiques linguistiques :de l’enseignement à l’intégration
africaine s’articule sur les points ci-après :
1. Culture africaine ou cultures africaines ?
2. Les politiques linguistiques en Afrique comme fondement
de l’intégration africaine.
3. L’enseignement, point de jonction des langues et cultures
pour une Afrique intégrée.
Culture africaine
124
Mais quand on parle de la culture africaine, on peut se de-
mander de quelle Afrique on parle. S’agit-il de cette Afrique mil-
lénaire idéalisée ou de celle folklorisée au contact des
autres ?s’agit-il de cette Afrique qui attend encore son avènement
face aux différents problèmes qui l’assaillent ? Cette Afrique
meurtrie par la misère et les déchirements causés par des guerres
fratricides aux origines souvent lointaines ? S’agit-il de cette
Afrique qui attend encore son avènement ? L’historien Joseph Ki-
Zerbo, dans son entretien avec René Holenstein, se pose la per-
tinente question : « à quand l’Afrique ? »
Pour lui, parmi les grandes questions pour l’Afrique, il ya
d’abord l’Etat, la question de l’unité ou de l’émiettement de
l’Afrique. Et pourtant l’Afrique devrait se constituer à travers
l’intégration. C’est par son rôle que l’Afrique pourra accéder à
l’avoir ;à un avoir authentique.il s’agit plutôt du rôle à jouer dans
le monde sans identité, nous sommes un objet de l’histoire. Et
l’identité, c’est le rôle assumé.
Dans l’identité, la langue compte beaucoup. le siècle qui a
commencé verra-t-il le dépérissement des langues africaines ?la
lente asphyxie des langues africaines serait dramatique, ce serait
la descente aux enfers pour l’identité africaine. Car les africains
ne peuvent pas se contenter des éléments culturels qui viennent
de l’extérieur.
L’Afrique abrite en son sein plusieurs groupes ethniques pos-
sédant chacun une langue ou un groupe de langues, une série de
traditions historisantes, un éventail d’institutions et d’usages.
Chaque communauté a connu une expérience spécifique d’accès
à la modernité.ces groupes présentent autant d’aspects de la ré-
alité culturelle de l’Afrique. Les langues issues de la colonisation
comme le français, l’anglais, le portugais et l’espagnol consti-
tuent des outils de travail et de communication pour les différen-
tes entités ayant des langues et des cultures différentes dont
l’esprit et les principes sont fondés sur une solidarité ouverte à la
diversité des langues des cultures et aussi comme espace de dia-
logue de cultures.
125
L’ouvrage de Daniel Nettle et Suzanne Romaine expose très
bien les conditions de la vie des langues1.
Nous avons choisi de parler de cette Afrique qui abrite en son
sein plusieurs groupes ethniques possédant chacun un ou de
groupes de parlers, une série de traditions historisantes, un éven-
tail d’institutions et d’usages .L’Afrique n’est pas une tabula rasa
linguistique comme on pourrait le faire croire par « le silence
étonnant » 2à propos des langues africaines. Chacun de ces Etats
renferme dans leurs limites une multitude de groupes ethniques
parlant chacun sa propre langue. Le remarquable ouvrage collec-
tif de Bernard Heine et Deret Nurse3 décrit judicieusement la
situation des langues en Afrique. Barbara Grimes 4avance le
nombre de 2035 langues africaines. Ce nombre n’est pas fixe, car
on découvre encore de nouvelles langues alors que d’autres, qui
ont peu de locuteurs disparaissent. Si l’on exclut les langues in-
troduites au cours des deux derniers millénaires, comme l’arabe,
le malgache, l’afrikaans, l’anglais, le français, l’espagnol et le
portugais. Ce nombre d’un peu plus de 2000 langues se décom-
pose en quatre grands phylums ou superfamilles5 :le Niger-
Congo qui compte 1436 langues(incluant la famille bantu ,à qui
l’on attribue 500 membres),l’afro-asiatique ou afrasien ,371 lan-
gues, le Nilo-saharien,196,le Khoisan,35.Quelques langues afro-
asiatiques ne sont parlées qu’en dehors de l’Afrique, au Moyen-
Orient, ce qui réduirait un peu le nombre pour l’Afrique. En
admettant le total de 2000 langues, cela représente le tiers des
langues du monde. Estimation à prendre avec prudence en fonc-
tion de la façon dont on fait le partage entre langue et dialecte.
Selon la définition que l’on retient des langues et des dialectes, il
1
D.Nettle et S.Romaine, Ces langues, ces voix qui s’effacent, Paris, Editions
Autrement Frontières, 2003,230 p.
2
Le mot est de R.Chaudenson, Les langues dans l’espace francophone : de la
coexistence au partenariat.
3
B.Heine et D. Nurse, Les langues africaines, Paris, Karthala, 2004,468 pages
4
B.Grimes, Ethnologue: Languages of the world, 13e édition. Dallas, Sum-
mer Institute of linguistics et université du Texas (Arlington),1996
5
Se référer aux différentes études réalisées par Greenberg, particulièrement
Studies in African linguistic classification
126
ya entre 1250 et 2100 langues en Afrique. L’Afrique est donc un
contexte plurilingue, un lieu de contacts entre différentes lan-
gues où les locuteurs sont le siège de confrontation ou de com-
plémentarité entre ces diverses langues particulièrement les
langues étrangères et les langues africaines locales. Le degré de
plurilinguisme varie considérablement selon les pays et selon les
individus. Un document de l’UNESCO rédigé pour une réunion
intergouvernementale sur les politiques linguistiques en Afrique
donnent les informations suivantes1 : « Environ 105 millions de
personnes parlent 410 langues au Nigeria, 30 millions de person-
nes en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) utilisent
206 langues et l’Ethiopie a 97 langues pour une population de 45
millions, au Cameroun 185 langues sont utilisées par 8 millions
d’habitants, 58 langues pour 3 millions d’habitants au Bénin, 31
langues pour deux millions de congolais de Brazzaville,120 lan-
gues pour 28 millions d’habitants en Tanzanie avec le kiswahili
comme « lingua franca »,12 langues au Mali dont 90 % utilisent
quatre langues et 65 % une seule langue,le bamanakan,60 lan-
gues pour une population de 9 millions dont la moitié parle le
Moore. Au Nigeria 397 langues sur 410 sont des langues minori-
taires mais le nombre total de leurs locuteurs forme 60 %.Sur le
plan du plurilinguisme individuel, dans une enquête sur le Nige-
ria, les résultats montrent que le nombre de langues parlées par
chacun des membres des communautés linguistiques allait de
deux à quatre de la manière suivante : 60% parlaient deux lan-
gues, 30% en parlaient trois et 10 % plus de quatre. Un constat
similaire pourrait être fait pour de nombreux pays d’Afrique où
il ya une tradition bien répandue du plurilinguisme.
A cette mosaïque de langues, sont venues s’ajouter les langues
étrangères comme le français, l’anglais, l’espagnol et le portu-
gais. En devenant multilingues, des individus, des communautés
et de groupes de locuteurs deviennent des sièges de couches mul-
tiples de langues acquises au cours de leur vie.
L’élément central, ce sont les langues coloniales qui consti-
tuent le point de jonction entre les pays et les régions de cet es-
1
Harare, 17-21 mars 1997, p.3 cité par B.Heine et D. Nurse, op. cit. , p.372
127
pace favorisant le dialogue entre les différents peuples et leurs
cultures. Dès lors il s’effectue des échanges de valeurs culturel-
les, sous la pression des contacts entre groupe des cultures diffé-
rentes. Dans ce mouvement de contacts et d’échanges, les
structures nouvelles se superposent sur les anciennes compli-
quant l’orientation des vecteurs finaux qui façonnent le dialogue
entre les peuples. Cette situation soulève une série de questions
sur la gestion de la diversité des langues dans ce contexte nécessi-
tant en réflexion sur les politiques linguistiques à mettre en place.
Dans tout contexte où il ya contact entre des langues, le res-
pect de la diversité linguistique appelle la mise en œuvre de poli-
tiques linguistiques adaptées à chaque situations sociolinguistique
particulière. Les politiques linguistiques sont donc singulières
tant par leur nature que dans leur application. Elles se fondent
sur différents principes, dont celui de la territorialité, qui recon-
naît les droites linguistiques territoriales ou celui de la personna-
lité qui repose sur le libre choix de la langue de l’individu ou
encore une combinaison des deux principes.une politique linguis-
tique peut ne comporter qu’un ensemble de règles administrati-
ves. Mais elle peut aussi être mise en œuvre dans le cadre d’un
dispositif qui délimite l’utilisation de la langue ou des langues en
présence selon les fonctions qu’elles exercent et selon les domai-
nes d’utilisation, qu’il s’agisse, par exemple, des domaines de
l’éducation, du travail, du commerce.
De manière générale, une politique linguistique répond à
deux objectifs sociaux distincts, étroitement liés l’un à l’autre.
D’une part, la valorisation et la promotion d’une ou de certaines
langues, et, d’autre part, l’aménagement des relations, et sou-
vent de la concurrence, entre les langues en présence. Il appar-
tient d’abord aux Etats de prendre des mesures nécessaires pour
que les langues nationales maintiennent leur vitalité, et de conce-
voir, en conséquence, des aménagements linguistiques appro-
priés selon les objectifs recherchés.
On peut, selon les cas vouloir valoriser et promouvoir l’usage
d’une langue, faire respecter les droits des minorités linguisti-
ques, assurer la survie de langues menacées ou réhabiliter une
langue. Le fait pour un Etat de ne pas avoir de politique linguisti-
128
que explicite constitue un choix linguistique tout aussi affirmé de
valorisation d’une langue. Comme il n’existe pratiquement au-
cun Etat unilingue où tous les citoyens partagent une seule lan-
gue, certains Ets choisissent de traiter de façon implicite les
questions relatives à la langue dans laquelle, ils communiquent
avec leurs citoyens, et, dans la plupart des cas, ils n’utilisent
qu’une seule langue de communication sur le plan national.
Dans un monde où les pays deviennent de plus en plus inter-
dépendants, la gestion des politiques linguistiques nationales de-
vient plus complexe et plus difficile pour les Etats qui veulent
préserver leur capacité de protéger leurs langues nationales.
Quelles politiques linguistiques pour quelle Afrique. On a
parfois l’impression de faire croire aux gens que l’Afrique est une
alors qu’elle est plurielle. Il ya des tentatives de créer une Afri-
que. Je pense à l’idée de l’Organisation de l’Unité africaine qui
est devenue plus tard l’Union africaine et- qui sait- pourrait
conduire à mise en place des Etats-Unis d’Afrique. Pourquoi ne
pas penser aux diverses tentatives d’intégration comme la Com-
munauté économique des Pays d’Afrique Centrale (CEEAC), la
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centra-
le(CEMAC),la Communauté économique des Etats de l’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO), à l’Union monétaire des Etas de
l’Afrique de l’Ouest (UMOA)Toutes ces tentatives d’intégration
se présentent comme un simple projet commercial sur la voie de
libre échange, comme un projet d’organisation économique et
politique. Le plan d’action de Lagos a su introduire dans l’OUA,
une dimension culturelle. Mais quelle politique d’intégration
pour l’Afrique ?
Si l’on cherche un principe permettant de vivre ensemble
dans une société multiculturelle, l’Afrique semble offrir trois
modèles en fonction du mode de gestion des sociétés multiethni-
que et multiculturelle.
Le premier est le modèle de tolérance visant la communauté
des citoyens ou l’égalité des citoyens devant la loi qu’elle que soit
leur origine ethnique et religieuse. C’est une arme puissante
pour combattre toute ségrégation. La différence culturelle est
respectée tant qu’elle est pratiquée et qu’elle se manifeste dans la
129
vie privée. Ce modèle d’intégration fait abstraction de l’origine
ethnique, culturelle et religieuse de chacun. Mais ce modèle ris-
que de fragmenter la société en plusieurs composantes ethniques
sans les intégrer vraiment. En effet, à force de combattre la sé-
grégation, le multiculturalisme fait sienne sans le savoir, la vision
de la société divisée et fragmentée de l’apartheid. Il demande de
reconnaître les droits collectifs à chacune des minorités ethni-
ques. Et pour faire respecter ses droits, il faut démontrer son ap-
partenance à un groupe particulier. C’est une combinaison du
principe universaliste d’émancipation des individus, et de la mé-
thode différentialiste qui ne fait que renverser le système
d’Apartheid en partageant le schéma raciste. Si dans une société,
ce modèle est réduit à une simple juxtaposition de groupes eth-
niques, cloisonnés et séparés les uns des autres, ce n’est pas digne
du projet de construire un nouveau monde.
Le second modèle, le multiculturalisme, est respectueux de la
différence et de l’autre.
Le troisième est le modèle valorise donc le brassage des peu-
ples et le métissage culturel qui ont façonné l’identité multiple et
mosaïque. Le modèle d’identité mixte, identité multiple et com-
posite forgée par un processus ininterrompu de rencontres et de
métissages culturels .Ce modèle représente une synthèse de
l’universalité et de la diversité. Ce modèle dans sa logique de dé-
territorialisation difficilement traduisible dans le langage stato-
national du droit positif est un potentiel puissant invitant à une
révolution éternelle de l’imaginaire pouvant inspirer
l’intégration d’un espace plurilingue et pluriculturel qu’est le
continent africain.
Je voudrais conclure en disant : « L’Afrique doit choisir de se
réformer positivement et de mettre en œuvre les conditions de
sa revitalisation. Elle doit être un espace capable de maîtriser sa
diversité et d’intégrer les traits de l’Universalité en redéfinissant
une nouvelle politique prospective , des relations étatiques per-
çues comme une amélioration constante de la qualité de vie des
hommes dans un environnement physique, culturel et scientifi-
que totalement épanouissant. » Ce qui pose dès lors des problè-
mes de niveaux d’éducation et de cultures liés à des espaces
130
politiques de croissance. Et pour cela, chacun doit avoir à l’esprit
que « Même l’époque accablée est digne de respect, car elle est
l’œuvre non des hommes, mais de l’humanité donc de la nature
créatrice, qui peut être dure mais jamais absurde. »
131
Les droits linguistiques des citoyens1
1
Texte présenté à Rio de Janeiro au Brésil au séminaire interaméricain sur la
gestion des langues.
133
langue confère le pouvoir que l’Etat doit s’en préoccuper. le res-
pect de la liberté linguistique, la maîtrise de la langue maternelle,
l’accès aux langues étrangères, le développement des outils de
normalisation, la transparence des textes administratifs, juridi-
ques ou commerciaux.
En résumé, on peut dire que la langue est d’une réelle impor-
tance pour le développement de l’individu. Elle exerce une in-
fluence déterminante sur le développement cognitif et affectif de
l’enfant impliquant toute la personne dans son intelligence, son
comportement pour le relier à son environnement. Elle constitue
le pivot de son identité culturelle. « Rien n’est donc plus dange-
reux que de chercher à rompre le cordon maternel qui relie un
homme à sa langue .lorsqu’il est rompu, ou gravement perturbé,
cela se répercute désastreusement sur l’ensemble de sa Personna-
lité. »1 Tout ceci justifie amplement le respect dû à toutes les
langues du monde et la nécessité d’une action destinée à les pro-
téger de l’extermination. Les langues définissent fondamentale-
ment l’identité de leurs».Ainsi donc, préserver les langues, c’est
préserver son identité.
1
Raymond Renard, Une éthique pour la Francophonie. Questions de politi-
que linguistique, Mons , Editions du CIPA, 2006, p.44.
2
Cité par Raymond Renard ,op. cit. p.149
134
- Toute personne a le droit d’acquérir la langue officielle ou au
moins une des langues officielles du pays responsable de
l’enseignement qu’elle reçoit ;
- toute personne a le droit de recevoir l’aide spéciale pour sur-
monter son analphabétisme ou toute autre forme de handicap
linguistique ;
- toute personne a le droit d’apprendre les langues de son choix ;
- toute personne a le droit à la liberté d’expression dans
n’importe qu’elle langue ;
- tout jeune a le droit de recevoir l’enseignement de la langue
avec laquelle lui-même ou sa famille s’identifie le plus ;
- toute personne a droit à l’enseignement d’au moins une langue
supplémentaire, afin d’étendre ses horizons sociaux, culturels,
éducatifs et intellectuels et de promouvoir ainsi la bonne entente
entre gens de culture et de nations différentes ;
- le droit d’utiliser, parler, lire ou écrire une langue, de
l’apprendre, l’enseigner ou d’y accéder ne peut être délibéré-
ment opprimé ou interdit ;
- des mesures seront prises en faveur des personnes à qui ces
droits et libertés n’ont pas encore été accordés, et ce par le tru-
chement de l’enseignement familial, communautaire, secondaire,
supérieur ou pour adultes. »
Pour préserver des milliers de langues et de cultures devant la
menace grandissante, plus de cent ONG ont signé en 1996 à Bar-
celone une Déclaration universelle des droits linguistiques1. Ceci est la
preuve de la prise de conscience du danger grandissant que fait
courir au patrimoine culturel de l’humanité le processus
d’homogénéisation lié à la globalisation.
Mais comment dès lors appliquer les bons principes énoncés
relatifs aux droits linguistiques des citoyens dans un monde mul-
tilingue où toutes les langues se développent naturellement, as-
surent le développement harmonieux et instituent l’identité
profonde de ceux qui les parlent ? Comment résoudre les pro-
blèmes de gestion des situations plurilingues sans porter atteinte
aux droits linguistiques des citoyens ? Nous pouvons examiner
1
Cité par Raymond Renard, op. cit. p.149
135
cette question à la lumière des actions préconisées à cet effet dans
l’espace francophone.
1
Raymond Renard ,op.cit. p.386.
136
mentarité et de coopération fonctionnelles, dans le respect des
politiques linguistiques existantes. En principe, chaque langue a
ses langues partenaires avec lesquelles elle entretient ces types de
rapport. Dans la version maximale, il existerait au moins trois
sortes de langues partenaires au français :
-D’abord des langues transcontinentales organisées en aires
linguistiques avec lesquelles des alliances interlinguistiques sont
possibles, comme l’arabe, le portugais, l’espagnol et l’anglais ;
-ensuite, les langues écrites de l’espace francophone, qui sont
dans un rapport de convivialité avec le français comme le bulgare
et le vietnamien ;
-enfin, des langues africaines et créoles dont l’effort
d’aménagement dépend pour une large part de son partenariat
avec les anciennes langues coloniales, le français particulièrement
pour l’espace francophone qui nous concerne. C’est cette der-
nière catégorie qui concerne les langues d’intercommunication,
appelées, dans le langage courant « langues nationales ».
1
Proposition pour un plan d’aménagement linguistique(espace francophone
du Sud),Paris, ACCT,1993,PP.25-28
137
- Sociologiquement, il s’agit de langues encore toujours uti-
les, intervenant dans la chaîne de communication. Elles consti-
tuent même le passage obligé pour communiquer avec les
couches populaires. Situées en position de partenariat avec la lan-
gue française elles rendent possible la maximisation de la circula-
tion des idées, des produits culturels et des contenus
éducationnels. Leur mise en valeur est aussi de nature à favoriser
les velléités de démocratisation, en rendant possible la participa-
tion de toutes les couches sociales à la vie citoyenne (les campa-
gnes électorales se déroulent le plus souvent en langues
nationales) ;
- Pédagogiquement, l’apprentissage d’une nouvelle langue
passe par la maîtrise des structures linguistiques de la langue ma-
ternelle. le mémorandum des ministres en charge de l’éducation,
en marge des Etats généraux de l’enseignement du français en
Afrique subsaharienne francophone (Libreville, mars 2003), le
souligne : « la prise en compte des langues nationales dans le cursus
d’enseignement est bénéfique pour le français et (…) que cette question
ne peut être écartée dans toute réflexion portant sur l’enseignement du
français dans l’ensemble des cycles de formation formelle et non formel-
le. »1
De manière générale, il est admis qu’il est plus facile
d’apprendre à lire et à écrire une langue étrangère quand on est
déjà alphabétisé dans sa propre langue et d’autre part ,qu’il est
souhaitable que le système linguistique premier soit fixé avant de
passer à l’acquisition d’un second, même si ,en outre, on admet
le point de vue chomskyen que toutes les langues sont identiques
à une profondeur de structures suffisante ou de façon plus proche
dans la langue-source et dans la langue-cible aux divers plans. Au
regard de toutes ces considérations, la Francophonie, pour
consolider le partenariat du français avec ces différentes langues
nationales sous contrainte des aléas, de l’oralité doit à court et à
moyen termes les aider à avoir accès à l’environnement lettré et
numérique et enrichir leurs registres lexicaux, grâce à des termi-
1
P. DUMONT, Rapport général des Etats généraux de l’enseignement du
Français en Afrique subsaharienne francophone. ,Libreville ,2003.
138
nologies spécialisées, pour les rendre capables de servir pleine-
ment d’instruments de communication, en complément du fran-
çais. Les actions devraient être axées sur les approches
linguistique, informatique et politique.1
Pour conclure
1
Voir J.Kilanga Musinde, Rapport de mission à Bamako( du 5 au 7 mai 2005)
après la participation à la rencontre consultative préparatoire pour un séminai-
re sur le partenariat entre l’Africanophonie, l’anglophonie, la francophonie,
l’hispanophonie et la lusophonie et la réunion thématique de l’UNESCO pour
le sommet mondial de la société de l’information sur le thème « Multi-
linguisme pour la diversité culturelle et la participation de tous dans le
cyberespace ».
139
tionnel est d’autant plus coûteux que le nombre des langues offi-
cielles est élevé. Ensuite, ceux qui supportent la charge du bilin-
guisme ne sont pas les mêmes dans tous les cas de figure :
l’ensemble des citoyens ou seuls les agents de l’administration
selon le type de bilinguisme. De plus, les exigences du moindre
coût matériel peuvent entrer en conflit avec l’exercice des droits
inaliénables de l’être humain ou du citoyen. L’effort consenti dans les
situations plurilingues ne se ramène pas à la seule dimension ma-
térielle, et qu’elle revêt aussi et surtout un caractère moral. Au
niveau matériel, la communication plurilingue suppose qu’on as-
sure pour l’apprentissage des moyens financiers en rapport avec
le nombre des langues en cause. Mais sous l’aspect moral, le pro-
blème est que, pour tout groupe social, la pratique d’une langue
qui n’est pas la sienne propre, implique un effort. Aujourd’hui,
le principe semble acquis que l’usage de la langue maternelle est
un droit inaliénable de l’être humain. Si l’on admet ce principe,
on ne peut faire valoir la différence du nombre des locuteurs
comme argument pour établir rangs et hiérarchies entre les lan-
gues d’une entité politique.
Comme on le voit, reconnaître l’utilité du plurilinguisme est
une chose. Mais le concrétiser sur le terrain est malaisé et re-
quiert des décideurs beaucoup de prudence, de compréhension
et de tolérance. Une politique linguistique qui vise à tout régen-
ter tout de suite risque de manquer son but. Il faut, au regard de
l’immensité des tâches, opérer des choix en établissant des prio-
rités dans le parcours de tout aménagement linguistique. La
question des droits linguistiques des citoyens est examinée ici à la
lumière de la coexistence du français avec les autres langues par-
tenaires dans l’espace francophone où, la Francophonie, préoc-
cupée par l’idée du partenariat des langues, a mis au point des
projets susceptibles d’assurer une juste gestion des langues dans
cette aire linguistique.
140
Le français, langue de science
ou langue de communication scientifique :
un regard de la Francophonie1
141
tions à l’Organisation internationale de la Francophonie d’abord
comme Directeur des langues et de l’écrit et ensuite comme chef
de division de la langue française et des langues partenaires, je
pilote des programmes qui ont pour objectif l’accroissement de
l’usage du français dans diverses activités de la vie humaine. Ces
deux perspectives sont complémentaires dans ce sens que la
première observe le français dans l’évolution de sa structure in-
terne et l’autre dans sa structure externe. Voilà pourquoi, je ne
pouvais hésiter à répondre avec enthousiasme à votre invitation
de venir présenter la vision de la Francophonie dans le domaine
du français à partir du tableau de ses actions.
Pour la Francophonie, la langue française constitue le lien
fondateur entre ses pays membres. Son rôle en tant que langue
internationale, est aujourd’hui menacé par l’usage croissant ou
exclusif de la langue anglaise, notamment au sein de nombreuses
organisations internationales où elle jouit pourtant d’un statut
privilégié. La situation est tout aussi critique dans les grandes
manifestations internationales.
La situation serait-elle la même pour le français, langue de
communication scientifique ou langue de science ? Il se pose
d’abord là un problème de mise au point terminologique auquel
nous donnons réponse sous le prisme de Jean Pierre Digard qui
préfère parler d’une langue de science au lieu d’une langue scien-
tifique. La langue de science est une langue naturelle que des
scientifiques utilisent de manière courante dans leur travail de
recherche, d’abord pour élaborer et produire des connaissances
scientifiques, ensuite pour assurer la diffusion de ces connaissan-
ces auprès d’autres scientifiques, d’étudiants et du public, par
écrit (dans des livres ou des articles de revues plus ou moins spé-
cialisées) ou oralement (dans des colloques, par des cours, des
conférences, etc.)Une langue de sciences est donc nécessaire-
ment, à la fois une langue de création et une langue de communi-
cation. Quelle place occupe le français parmi les autres langues
de science ? Quels sont les dangers qui le menacent ? Comment
peut-on y faire face ? Telles sont les questions que suscite ce gen-
re de débats.
142
Certaines études réalisées, il y a quelques années montrent
que comme langue de science, La langue française est devenue
minoritaire. Pour ne reprendre que le domaine des publications,
en 2001, le décompte par langue place le français avec 21779
publications (soit 2,1% du total mondial),en deuxième position
des langues de science, mais très loin derrière l’anglais avec
955036 titres (soit 93,9% du total).Ces chiffres ,déjà faibles,
s’inscrivent dans un mouvement lent mais régulier de décrois-
sance des publications scientifiques en français. Celles-ci repré-
sentaient en effet 2,1% du total mondial en 2001, 1,7% en 2002,
1,6% en 2003. L’origine de ce mouvement remonte à une tren-
taine d’années : Si ce mouvement se poursuit, on peut craindre
qu’il ne subsiste plus, dans dix ou vingt ans, aucune publication
scientifique en français. A l’Office européen des brevets, installés
à Munich, 70% des demandes de dépôts sont en anglais, 20% en
allemand, 10% en français. De même, il est question, sous la
pression du lobby commercial anglo-saxon, de supprimer com-
plètement l’usage du français au Bureau européen des brevets
(information communiquée par Denis Griesmar, Vice-président
de la société française des traducteurs).
C’est à la lumière de cette situation préoccupante du recul du
français dans la vie internationale et dans la communication scien-
tifique que le Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernements te-
nus à Ouagadougou en 2004 a, dans le cadre stratégique décennal
a confié une mission spécifique à la Francophonie avec comme
objectif stratégique de renforcer l’usage et la promotion de la
langue française. C’est dans ce contexte que la Francophonie
veille au renforcement du français comme outil de communica-
tion internationale, d’enseignement et de support à un dynamis-
me intellectuel, scientifique et culturel novateur. Elle associe
cette action à son engagement en faveur du plurilinguisme. Des
programmes et projets sont prévus dans la programmation qua-
driennale. Pour faire de la langue française un vecteur
d’expression de la modernité en appuyant la pratique du français
en tant que langue de science et de la technique, en renforçant la
présence du français dans les technologies de l’information et de
la communication, notamment pour améliorer la diffusion de la
143
connaissance, en favorisant l’apprentissage du français aussi bien
dans les systèmes éducatifs, y compris universitaires, que par
l’utilisation des médias et des technologies de l’information .
Dans la Division de la langue française et des langues partenai-
res, plusieurs actions sont entreprises dans le cadre du program-
me « accroître l’usage du française dans les institutions et les
grandes manifestations. Trois cibles on été té identifiées : le fran-
çais dans les institutions et les organisations multilatérales africai-
nes, le français dans les institutions de l’Union européenne et le
français dans les grandes manifestations scientifiques et les jeux
olympiques.
Vous aurez constaté que « assurer la promotion du français
dans les divers lieux de pouvoir et de discours devient une tâche
urgente pour la mise au point des stratégies fortes de nature à ac-
croître l’usage du français dans ces contextes en cherchant des
voies et moyens efficaces de résistance devant une mondialisation
envahissante pour faire du monde un lieu de rencontre où peu-
vent dialoguer, se confronter, se compléter des cultures et des
civilisations variées. Sinon, nous risquons de voir se réaliser le
cauchemar du renforcement de la minorisation et du recul du
français dans le monde.
144
Langue et culture : problématique
du passage des schèmes conceptuels
aux schèmes linguistiques
TOUT CE QUE NOUS ALLONS DIRE dans la suite est le fruit des ré-
flexions personnelles vérifiées au cours de nos diverses lectures.
N’eût-été la crainte de commettre un crime pareil à celui d’une
mère insatisfaite décidée de tordre le coup à son rejeton dès ses
premières secondes de vie, nous n’aurions pas pu vous livrer ces
réflexions. Ceci pour dire, qu’au départ nous étions hésitant car
nous pensions qu’il y aurait là risque de s’engager sur un terrain
glissant; mais l’idée que la science se forme toujours en se réfor-
mant m’a armé de courage.
Langue et Culture : problématique du passage des Schèmes
Conceptuels aux Schèmes linguistiques en Sciences africaines; tel
est le sujet de notre réflexion. Tel qu’il est formulé, il fait entre-
voir l’idée du processus du passage des concepts à la langue, de la
pensée à la langue. Considérant la science comme une activité
culturelle manipulant les concepts divers, nous allons axer notre
réflexion sur les problèmes qui se posent en science et spéciale-
ment en sciences relatives à l’Afrique; lors du passage du propos
Conceptuels - le mot est de Bernard POTTIER (1) aux Schèmes
linguistiques.
La science africaine serait, à notre sens, l’ensemble des ré-
flexions sur les phénomènes matériels et humains d’origine afri-
caine. Cette définition suppose l’existence préalable d’un être
réfléchissant sur quelque chose, c’est-à-dire le savant en quête
145
des relations de causes à effet liant entre eux les phénomènes ou
les dissociant. Celui-ci est irrévocablement conditionné par son
environnement socio-politico-culturel et la structuration de son
milieu (restreint en liaison avec l’espace où se déroulent les phé-
nomènes de l’univers matériel ou humain) écologique. L’objet
de sa réflexion peut-être aussi limité à un milieu restreint en liai-
son avec l’espace di se déroulent les phénomènes de l’univers
matériel ou humain. Il est donc aussi structuré selon la vision du
monde de la société environnante. Ainsi par exemple quand un
français parle d’un “mouton”, il désigne à la fois ce que les anglais
appellent “shep” (mouton vivant) et “mouton” (mouton de bou-
cherie). Ceci pour dire que le monde n’étant pas le même pour
tous les peuples, leur vision du monde varie aussi. Par contre
Georges MOUNIN (2), pour sa part estime que le monde est le
même pour tous et la Vision du monde également. Nous n’en
disconvenons pas mais nous ne pouvons nous empêcher de rap-
peler que le monde des couleurs qui entoure un peuple chasseur
diffère de celui d’un peuple riverain et que l’univers d’un esqui-
mau n’est pas le même que celui d’un habitant de l’Afrique tro-
picale. Pour preuve, quand un esquimau compte une dizaine de
mots pour désigner différentes sortes de neige, un africain n’en a
pas; lorsque un africain (désigne) distingue plusieurs types de
palmiers, les esquimaux n’ont aucun vocable pour désigner une
telle réalité. Ceci étant le sculpteur de la science africaine, c’est-
à-dire le sujet réfléchissant sur la réalité africaine, devra être lié à
sa culture sociale, la culture africaine en l’occurrence. S’il est
vrai que le moyen le plus sûr pour saisir une réalité dans ses raci-
nes les plus profondes c’est de la vivre, faudrait-il n’être
qu’africain pour pratiquer de la science africaine ? Faut-il exclure
de la science africaine la possibilité d’un africain qui étudie les ré-
alités étrangères ? Telles sont des questions auxquelles nous al-
lons tenter de répondre dans un premier moment, pour voir
dans un second temps, le drame que connaît “l’être-réfléchissant
sur les réalités africaines, lors de la traduction des schèmes
conceptuels en schèmes linguistiques, pour enfin de compte dé-
boucher sur une définition de ce qu’on pourrait réellement appe-
ler, à notre sens, “science africaine”. Si du moins elle existe.
146
1. Si nous représentons le sujet africain par Xa, le sujet
non africain par Xe, l’objet d’origine africaine par Ya et celui
d’origine étrangère par Ye, les rapports “sujet -objet” en science
dite africaine pourront être symbolisés de la manière suivante
- Xa + Ya dans le cas d’un africain étudiant les réalités africai-
nes.
- Xc et Ya lorsqu’il s’agit d’un étranger qui réfléchit sur les
phénomènes d’origine africaine et Xa et Ye quand c’est un afri-
cain qui se penche sur les réalités étrangères à l’Afrique.
147
ce, de la manière la plus efficace à sa ruine? “La science par son
dynamisme unificateur de l’intelligence humaine, entraîne les sa-
vants vers des formations universelles (5)
Cette science étant un concept universel, elle ne doit en au-
cun cas correspondre « à un terme géographique » (6) De plus,
certains éléments de la pratique scientifique en Afrique nous
donnent des preuves édifiantes, l’impression générale accuse une
réelle adaptation de l’africain à l’étude des réalités étrangères
malgré les préjugés heureusement dépassés - selon lesquels un
africain et spécialement un nègre était inaccessible à la science,
préjugés qui ont fini par être démentis par l’œuvre grandiose de
certains chercheurs africains qui se sont abreuvés aux sciences de
l’Occident et qui se sentent bien à l’aise dans cet univers scienti-
fique étranger. De plus, les chercheurs non africains, de leur cô-
té, ne cessent de produire des travaux sur l’Afrique.
Nous pensons, compte tenu de ce qui vient d’être dit plus
haut, grâce à une observance des méthodes rigoureuses, un non
africain peut arriver (avec sans quelques difficultés) à étudier les
phénomènes africains en évitant des erreurs - de la valeur mi-
neurs sûrement - de genre de celles de Maurice HOUIS (7) qui
parlent de « Lumumbashi » (du nom de Lumumba) au lieu de
Lubumbashi. De ce fait, un étranger qui étudie les réalités afri-
caines fait de la science africaine. Mais la question qui reste posée
est celle de savoir si un étranger peut reproduire sans trop de
peine l’objet (le sa réflexion. Il en est de même pour un africain
qui examine les phénomènes d’origine étrangère. Mais celui-ci
fait-il de la science africaine dans ce cas ? Si dans ce qu’on appelle
science africaine c’est seulement le sujet qui importe et non
l’objet, nous répondrons à la question de manière affirmative;
mais la tendance en vogue de nos jours définit toute science par
son objet. De ce point de vue, il y a lieu d’exclure de la science
africaine le cas de l’africain qui étudie une réalité étrangère de
l’Afrique.
A partir de toutes ces considérations, nous pouvons admettre
comme science africaine, un ensemble de réflexions faites par les
africains ou les non africains sur les phénomènes matériels et hu-
mains d’origine africaine.
148
2. Il y a plus. La science, arrivée à maturité ne se canton-
ne pas à un point de l’espace scientifique et géographique;
elle entend à s’épandre sur la terre entière; d’autre part, le sa-
vant qui conçoit et crée un vaste champ d’entendement, doit
jouer non seulement le rôle de savoir mais aussi celui de faire
savoir. Ici surgit alors le problème de l’encodage de ce qui est
conçu dans un code linguistique pour transmettre le message,
c’est-à- dire le problème de la traduction de la pensée africaine
conceptualisée dans une langue donnée.
Dans la perspective précise du passage des schèmes concep-
tuels aux schèmes linguistiques, le premier interlocuteur - parce
qu’il en faut deux -, (8), l’émetteur, c’est le savant qui cherche à
communiquer son savoir au récepteur (le public). Ce problème
est lié à l’effort que doit fournir le sujet de la science africaine
pour passer de la pensée scientifique en tant qu’élément conçu
dans des signes linguistiques pour se faire saisir sans embûches
par le récepteur. La difficulté sera réelle d’autant plus que la dis-
tance de la tête à la main est très longue.
Le deuxième aspect de la question relève de l’expression des
réalités africaines par un étranger en langues étrangères et de la
traduction des concepts étrangers en langues africaines. La pen-
sée du philosophe allemand Von Humboldt qui estime que c’est
la langue qui opère une subdivision du inonde sensible, qu’on ne
peut comprendre le monde sensible que grâce à sa langue,
moyen important dans le développement de l’intelligence hu-
maine et que c’est elle qui vient avant la réalité, rend difficile la
réalisation du passage des schèmes conceptuels des réalités afri-
caines aux schèmes linguistiques non africains. En effet, la langue
étant structurée selon la vision du monde de son milieu, les
concepts désignant les réalités africaines risquent de n’être pas
rendus de manière adéquate dans une langue étrangère. Nous
pensons ici aux termes de parentés en Afrique qu’on traduirait en
français et qui couvrent un champ sémantique plus vaste que dans
la langue cible. Prenons l’exemple du “père” qui réfère à la fois à
“celui qui a engendré le fils” et “aux frères de celui qui a engendré
le fils” dans les langues africaines.
149
Rien que dans cet exemple, on relève déjà une nette source
de discordance en cas de traduction. Il arrive aussi parfois que
certaines réalités aient une connotation particulière et propre à
une entité sociale définie. Ainsi par exemple la couleur
« blanche » qui a une connotation améliorative dans les sociétés
occidentales, peut avoir une connotation péjorative dans certai-
nes sociétés contrées de l’Afrique. C’est encore une fois une
source sûre de confusions en cas de traduction. Dès lors, une
question se pose peut-on réellement faire de la science africaine
en recourant à une langue étrangère?
Le problème ainsi posé risque de soulever l’idée d’un solip-
sisme linguistique à outrance, idée selon laquelle toute commu-
nication interhumaine serait impossible. N’est-ce pas là une voie
ouverte vers la ruine de la science en général ? Certains philoso-
phes et littérateurs sont tenants de cette tendance. La majorité de
linguistes reconnaissent que le langage n’est pas et n’a jamais pu
être la notation complète de notre pensée mais cela ne peut pas
bannir la possibilité de la communication. A cet effet,
BLOOMFIELD (9), pour sa part, tout en admettant qu’il
n’existe pas deux situations extralinguistiques tout à fait sembla-
bles, il estime que la communication est possible d’autant plus
que la situation des messages possède des éléments semblables et
que dans les énoncés, il y a des traits communicationnels distinc-
tifs et des traits communicationnels non distinctifs. Des traits dis-
tinctifs sont variables et les non distinctifs sont invariables. A
titre d’illustration, nous prenons le cas du lexème «pomme» ; le
dictionnaire Larousse signale l’existence de dix mille variétés de
pommes. Quand on cite le mot, chacun pense à un type de
pommes (cela varie d’une personne à l’autre) mais à l’intérieur
des traits variables, il existe des traits invariables (pépin, le jus
qui ne coule pas, etc.). Ces traits invariables permettent de par-
ler de la possibilité de communication et même de la traduction.
De ce fait, insister sur l’impossibilité de traduire la pensée
africaine en une langue étrangère ou celle de traduire la réalité
non africaine, en langue africaine, serait trop insister sur la diffé-
rence accentuée entre les phénomènes humains d’origine africai-
ne et ceux d’autres cieux. Et pourtant, l’africain est un homme
150
avant d’être africain tout comme ses réalités relèvent d’abord de
l’univers entier avant d’appartenir à l’Afrique. Il y a sûrement
des traits communs pouvant permettre un dialogue entre interlo-
cuteurs.
Ce n’est pas tout. La réalité de chaque jour ne cesse de nous
présenter sur le marché une abondante littérature sur les réalités
africaines en langues étrangères, des travaux de linguistique, de
sociologie, de philosophie, africains écrits en français, en anglais,
en portugais, etc. L’inverse - bien qu’exclu de notre cadre - est
aussi vrai. Pour produire les tentatives de Cheik Anta Diop (tra-
duction d’un traité de physique en Wolof), du citoyen OKITO et
du professeur KOMBE (11) et l’Initiative du professeur
MUDIMBE, constituent des démentis réels de l’impossibilité du
passage des schèmes conceptuels étrangers aux schèmes linguisti-
ques africains.
Ceci étant le passage des schèmes conceptuels africains aux
schèmes linguistiques est possible aussi bien dans les langues
étrangères que dans les langues africaines compte tenu de légères
difficultés qu’on rencontre lors de la traduction, suite à la diffé-
rence de structure existant entre la langue et la réalité qu’elle
rend.
Au terme de cette réflexion, une synthèse s’avère nécessaire.
Dans un premier moment, nous avons tâché de déterminer la na-
ture du sujet et de l’objet d’une science africaine. Nous sommes
arrivés à la conclusion selon laquelle, malgré la non-identité de
vision du monde et du monde lui-même, l’artisan d’une science
africaine pouvait être soit Xa, soit xc. Quant à l’objet,
l’importance que la tendance actuelle lui attribue dans la défini-
tion de toute science nous a poussés à ne considérer comme rele-
vant de la science africaine que des phénomènes d’origine
africaine. De ce fait, la combinaison xa + Ye est exclue du cadre
de la science africaine telle que nous l’entendons; elle est insérée
ainsi dans le cadre de la science au niveau général.
Dans un second moment, nous avons soulevé le problème du
passage de l’objet conceptualisé aux schèmes linguistiques, c’est-
à-dire le drame de la communication idées conçues au récepteur,
drame lié à celui de la traduction des concepts désignant des ré-
151
alités africaines dans les langues non-africaines. Pour ce dernier
cas, nous avons relevé le danger d’un solipsisme linguistique que
grâce à l’illustration de Bloomfield, nous avons pu réfuter les di-
verses traductions existantes, les différentes œuvres connues sur
les réalités africaines et écrites en langues étrangères, nous ont
conduit à conclure que, malgré de légers obstacles, il y a lieu
d’exprimer les réalités africaines en langues étrangères et phé-
nomènes non africains langues africaines.
A partir de tout d’être dit, il y a lieu science africaine ce qui
vient de définir la comme un ensemble de réflexions faites non
seulement par les africains mais aussi par des non-africains, ré-
flexion portant sur des réalités africaines exprimées aussi bien en
langues africaines qu’en langues étrangères. Toutefois, il faudrait
noter que l’idéal serait d’exprimer ses réalités en langues africai-
nes de façon à les rendre de manière adéquate, car toute traduc-
tion demeure toujours une trahison de la pensée originale.
Références
152
le problème sous l’angle des rapports “Sujet-Objet” dans l’acte de
conceptualisation.
7. M. HOUIS, Anthropologie linguistique, de l’Afrique Noire, Pa-
ria, P.U.F. Coll. “Le linguiste”, n° 11, 1971.
8. B. POTTIER, Linguistique générale, théorie et description, Pa-
ris, Kliencksieck, 1974, p. 21.
9. Voir à cet effet le livre Language de Bloomfield.
10. Traduction des manuels de mathématique moderne en
Tetela.
11. Le Professeur MUDIMBE avait demandé aux étudiants
romanistes de traduire le texte sur « Le matérialisme dialecti-
que » de Marx.
153
La Francophonie, ses motivations
et ses actions dans le domaine des langues
1
J.BARRAT et CL. MOISEI, Géopolitique de la Francophonie. Un nouveau souf-
fle ? , Paris Documentation française, 2004, p.15
155
Un sens géographique : la Francophonie saisie comme
l’ensemble des peuples et des hommes dont la langue (maternel-
le, officielle, courante ou administrative) est le français.
Un sens institutionnel : l’ensemble des organisations publiques
et privées œuvrant dans l’espace francophone.
156
ces ministérielles sectorielles et thématiques et les plans d’action
issus des sommets, tel celui de Moncton consacré à la jeunesse.
La Francophonie inscrit naturellement son action dans les ob-
jectifs définis par les grands forums internationaux tels que la dé-
claration du millénaire, la déclaration et le plan d’action du
sommet mondial pour le développement durable ou le plan
d’action du Nouveau partenariat pour le développement de
l’Afrique.
S’agissant du dispositif institutionnel, depuis novembre 2005,
à l’issue de la réforme de Tananarive, l’Agence intergouverne-
mentale de la Francophonie (AIF), opérateur principal est deve-
nue Organisation internationale de la Francophonie et a connu
une réforme en profondeur confiant au Secrétaire général de la
Francophonie la gestion de la dimension politique de
l’Organisation et des actions de coopération confiée à
l’Administrateur qui les gère par délégation. La réforme a en-
traîné aussi la fusion et la réduction du nombre de directions. Les
autres opérateurs- l’Agence universitaire de la Francophonie
(AUF), qui regroupe plus de cinq cents vingt universités et insti-
tuts de recherche, TV5, l’Université Senghor d’Alexandrie et
l’Association des maires francophones ainsi que les conférences
ministérielles permanentes concourent à façonner un espace
francophone largement ouvert sur le reste du monde. Il en est de
même de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF),
composée de soixante-cinq parlements des Etats et communautés
francophones. La Francophonie a développé de multiples réseaux
qui s’associent à son action, l’alimentent et enrichissent ses posi-
tions dans de nombreux domaines. Chercheurs, entrepreneurs,
professeurs de français, créateurs, journalistes et responsables
d’institutions participent ainsi à des réseaux d’échanges et de coo-
pération qui démultiplient ces actions en s’appuyant sur un parte-
nariat avec les organisations représentatives de la société civile.
157
Le Xème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement tenu à
Ouagadougou du 26 au 27 novembre 2004 1 est venu renforcer
l’idée de mobiliser la solidarité francophone pour le développe-
ment durable. Un développement respectueux de
l’environnement et soucieux de la conservation des ressources
naturelles, développement économique continu et inclusif, déve-
loppement fondé sur la démocratie, l’Etat de droit et les droits
de l’homme. Développement social équitable qui prend appui
sur l’éducation et la formation, développement attentif à la di-
versité culturelle et linguistique.
Comme on peut bien le voir, le socle de la Francophonie,
c’est la langue française. Mais au-delà de la langue, il y a
l’homme, le locuteur de cette langue qui a ses attentes, ses aspi-
rations, ses langues, ses cultures et ses problèmes. C’est dans
cette mouvance que les chefs d’Etats et des gouvernements dans
les différents sommets ont permis de s’interroger sur les rela-
tions entre les pays membres pour mieux saisir les relations
nord-sud et sur la place de la langue et de la culture dans les poli-
tiques de développement. L’évolution vers une Francophonie
plus politique, attestée par le sommet de Hanoi en 1997 puis de
Beyrouth en 2002 l’amène à affirmer son engagement en faveur
du respect de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de
l’homme. Elle conduit son action dans ces domaines, en applica-
tion de la déclaration de Bamako, pour accompagner les Etats et
gouvernements dans l’accomplissement de leurs engagements. La
solidarité au sein de l’espace francophone conduit à prendre tou-
te la mesure des écarts de développement entre les membres et à
appuyer les Etats les plus en difficulté pour la mise en œuvre
d’une véritable stratégie de réduction de la pauvreté dans le ca-
dre d’un développement durable. La Francophonie place aussi
parmi ses principes fondamentaux le respect de la diversité cultu-
relle et linguistique. Elle contribue au dialogue des cultures, fac-
1
Voir la Déclaration de Ouagadougou (Xème Sommet des Chefs d’Etat et de
gouvernement des pays ayant le français en partage –Burkina Faso, le 26-27
novembre 2004.
158
teurs de relations pacifiques entre les communautés et les com-
posantes de la société.
L’appartenance à la Francophonie est indissociable de
l’adhésion volontaire à ses principes et ses valeurs, rappelés par
l’article 1 de la Charte :
« La Francophonie, consciente des liens que crée entre ses membres le
partage de la langue française et souhaitant les utiliser au service de la
paix, de la coopération et du développement, a pour objectifs d’aider à
l’instauration et au développement de la démocratie, à la prévention des
conflits et au soutien à l’Etat de droit et aux droits de l’homme ; à
l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations ; au rappro-
chement des peuples par leur connaissance mutuelle; au renforcement de
leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de fa-
voriser l’essor de leurs économies. La Francophonie respecte la souveraine-
té des Etats, leurs langues et leurs cultures. Elle observe la plus stricte
neutralité dans les questions de politique intérieure »1.
Le cadre stratégique décennal défini lors du Sommet de Oua-
gadougou en 2004 confie quatre missions à la Francophonie à sa-
voir :
- Promouvoir la langue française et la diversité culturelle et
linguistique ;
- Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme ;
- Appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supé-
rieur et la recherche ;
- Développer la coopération au service du développement du-
rable et de la solidarité.
1
Article 1 de la Charte de la Francophonie.
159
L’action de la Francophonie dans le domaine des langues
160
ternationales, les chefs d’Etat et de gouvernement ayant le fran-
çais en partage ont-ils été progressivement conduits à faire de la
situation du français dans ce contexte, une priorité. Les résolu-
tions spécifiques adoptées lors de divers sommets de la Franco-
phonie ont tracé les contours des priorités politiques de la
Francophonie dans ce domaine.
En réponse à la commande de nos Instances, pour le domaine
précis du français, un programme est proposé pour le quadrien-
num 2006-2009 :
161
2004 s’est développé considérablement Le projet «le français
dans les institutions et les organisations multilatérales africaines»
est, depuis 2005 dans sa phase exploratoire et le projet «le fran-
çais dans les grandes manifestations.
Dans ce programme qui vise à accroître l’usage du français
dans les institutions internationales et les grandes manifestations,
la démarche a consisté à cibler les institutions ou organisations
internationales dont l’importance est considérée comme straté-
gique. Il compte trois grands projets :
- Accroître l’usage du français dans les institutions de l’Union
européenne ;
- Accroître l’usage du français dans les institutions et organi-
sations multilatérales africaines ;
- Accroître l’usage du français dans les grandes manifestations
internationales.
162
- sensibilisation et promotion du plurilinguisme, du français,
du plan, de la Francophonie et des valeurs notamment la défense
de la diversité culturelle et linguistique ;
- renforcement de l’environnement francophone des institu-
tions de formation à la diplomatie, à l’administration publique ;
- Promotion de la conception et de la diffusion des outils lin-
guistiques de veille, de travail et de l’enseignement du français
communautaire.
163
se, elles rendent possible la maximisation de la circulation des
idées, des produits culturels et des contenus éducationnels Leur
mise en valeur est aussi de nature à favoriser les velléités de dé-
mocratisation, en rendant possible la participation de toutes les
couches sociales à la vie citoyenne (les campagnes électorales se
déroulent le plus souvent en langues nationales).
- pédagogiquement, l’apprentissage d’une langue nouvelle
passe par la maîtrise des structures linguistiques de la langue ma-
ternelle. Le mémorandum des ministres de l’éducation, en mar-
ge des Etats généraux de l’enseignement du français en Afrique
subsaharienne francophone le soulignent» : la prise en compte
des langues nationales dans le cursus d’enseignement est bénéfi-
que pour le français et (…) que cette question ne peut être écartée
dans toute réflexion portant sur l’enseignement du français dans
l’ensemble des cycles de formation formelle et non formelle.»
164
«Améliorer l’aménagement du français et des langues parte-
naires africaines et créoles» qui regroupe quelques actions pha-
res :
165
pays du sud ainsi que la distribution et la diffusion du livre dans
l’espace francophone.
Par ce projet « améliorer la diffusion et la circulation du livre
francophone », la Francophonie voudrait encourager les échanges
des professionnels du livre de manière à favoriser la diffusion du
livre francophone dans le cadre des salons et autres manifesta-
tions culturelles et littéraires de façon à contribuer à l’émergence
d’un marché africain par des activités concrètes de promotion et
de diffusion des littératures francophones à l’échelle nationale et
dans les établissements scolaires. La stratégie de mise en œuvre
du projet consiste ainsi dans trois activités importantes :
- Participation des professionnels du livre des pays francopho-
nes en développement aux salons et foires du livre et aux mani-
festations littéraires francophones ;
- Organisation des Prix littéraires (Prix des Cinq Continents,
Prix du Jeune Ecrivain francophone, Prix de l’Edition Alioune
Diop)
- Appui aux professionnels du livre par des actions de forma-
tion (CAFED – Centre africain de formation à l’édition, AILF –
Association internationale des libraires francophones, BIEF –
Bureau international des éditions françaises).
166
Cultures et langues africaines
face aux défis de l’intégration
et de la mondialisation1
167
- Quelle mondialisation pour quelle intégration africaine ?
- Quelle mondialisation pour l’Afrique expropriée, piégée par
le vent de son histoire ?
168
guelle répondait à certaines de ces questions dans un remarqua-
ble ouvrage.
« On a pris depuis des lustres, l’habitude de se référer à
l’Afrique comme une entité plurielle, et personne n’est surpris,
quand on connaît le niveau de balkanisation de ce continent, de
voir des ouvrages porter des titres aussi divers que « les 56 Afri-
ques » parce que , comme l’a noté J. Ki-Zerbo ,les Afriques c’est
palpables. C’est rentable aussi. A la décrire, la diversité de
l’Afrique donnerait, il est vrai, le tournis à un champion olympi-
que de patinage artistique. Il ya d’abord, l’Afrique Blanche et
l’Afrique noire, l’une située au Nord du sahara et l’autre au Sud.
Mais alors, où classer la république Sud Africaine toute aussi noi-
re que les autres, mais pourtant aussi blanche ? Derrière le para-
vent racial on découvre très rapidement un autre plus important
encore, constitué par la langue : l’Afrique arabophone, l’Afrique
anglophone, l’Afrique lusophone, l’Afrique hispanophone et
l’Afrique francophone. Et à nouveau se pose la question de tous
les autres pays qui n’ont pas adopté comme langue officielle les
langues européennes héritées de la colonisation.
Dans cet effort de catégorisation linguistique, on découvre
rapidement qu’il ya lieu d’ajouter l’Afrique africaine à laquelle
appartiendrait la Tanzanie où l’on parle officiellement le Kiswa-
hili et dont l’Ethiopie non colonisée serait avec son Amharique,
le chef de file.
Que dire, si on ose dépasser les frontières résultant du dépe-
çage colonial des nationalités véritables qui sont à cheval sur plu-
sieurs Etats ?
Poursuivre le recensement de la diversité africaine sur des cri-
tères aussi réducteurs que la couleur de l’épiderme ou la langue,
conduirait à plusieurs milliers d’Afriques. Ici se pose alors la
question de la ou des cultures africaine(s).Y a-t-il en Afrique au-
tant de cultures que de tribus ?leur nombre épouse-t-il le
contour des Etats postcoloniaux ?parler de la culture africaine
comme d’un tout a-t-il un sens ? L’unité africaine serait-elle
culturelle ?
169
2. Quelle culture africaine ?
170
contacts entre groupes de cultures différentes, les structures
nouvelles se superposent sur les anciennes compliquant
l’orientation des vecteurs finaux qui façonnent le dialogue entre
les peuples.
Si l’on cherche un principe permettant de vivre ensemble
dans une société multiculturelle, l’Afrique semble offrir trois
modèles en fonction du mode de gestion des sociétés multiethni-
ques et multiculturelles. Le premier est le modèle de tolérance
visant la communauté des citoyens ou l’égalité des citoyens de-
vant la loi qu’elle que soit leur origine ethnique ou religieuse.
C’est une arme puissante pour combattre toute ségrégation.la
différence culturelle est respectée tant qu’elle est pratiquée et
qu’elle se manifeste dans la vie privée. Ce mode d’intégration fait
abstraction de l’origine ethnique, culturelle et religieuse de cha-
cun. Mais ce modèle Mais ce modèle risque de fragmenter la so-
ciété en plusieurs composantes ethniques sans les intégrer
vraiment. En effet, à force de combattre la ségrégation, le multi-
culturalisme fait sienne sans le savoir, la vision de la société divi-
sée et fragmentée de l’apartheid. Il demande de reconnaître les
droits collectifs à chacune des minorités ethniques. Et pour faire
respecter ses droits, il faut démontrer son appartenance à un
groupe particulier. C’est une combinaison du principe universa-
liste d’émancipation des individus, et de la méthode différentia-
liste qui ne fait que renverser le système d’Apartheid en
partageant le schéma raciste. Si dans une société, ce modèle est
réduit à une simple juxtaposition de groupes ethniques, cloison-
nés et séparés les uns des autres, ce n’est pas digne du projet de
construire un nouveau monde.
Le second modèle, le multiculturalisme, est respectueux de la
différence et de l’autre.
Le troisième est le modèle valorise donc le brassage des peu-
ples et le métissage culturel qui ont façonné l’identité multiple et
mosaïque. Le modèle d’identité mixte, identité multiple et com-
posite forgée par un processus ininterrompu de rencontres et de
métissages culturels .Ce modèle représente une synthèse de
l’universalité et de la diversité. Ce modèle dans sa logique de
déterritorialisation difficilement traduisible dans le langage stato-
171
national du droit positif est un potentiel puissant invitant à une
révolution éternelle de l’imaginaire pouvant inspirer
l’intégration d’un espace plurilingue et pluriculturel qu’est le
continent africain.
172
former en profondeur. Certains observateurs pessimistes vont
présager « l’agonie de la culture ».Les cloisons s’élèvent désor-
mais, étanches entre les divers domaines du savoir alors que les
progrès des nouvelles technologies continuent à surprendre les
esprits. Ce qui porte à s’interroger sur l’avenir de la science, de
la technologie et à sonner l’alarme pour attirer l’attention sur la
nécessité d’une éthique, faute de quoi tout progrès serait néfaste.
Par ailleurs, essentiellement fondée sur l’économie du mar-
ché, la mondialisation contribue à transformer les sociétés les
moins développées économiquement en simples consommateurs
de produits très souvent inappropriés à leurs besoins et dont la
commercialisation est rendue plus envahissante par le pouvoir de
la publicité et des médias.
Nous n’allons pas ici remettre en question les exploits de la
mondialisation pour exalter un mode de vie naturel où l’homme
vivrait en harmonie avec le monde Mais pour l’Afrique, il est uti-
le de mettre en garde contre une mondialisation fondée sur ce
progrès qui étend avec acharnement son empire en menaçant
l’extinction de tout autre modèle.la morale de l’efficacité et du
gain prôné par la « culture globale » qui détermine un système de
relation basé sur l’intérêt immédiat, semble abolir la marge de
gratuité nécessaire à l’épanouissement de l’être humain et
l’expression de sa liberté. Dans la culture globale, tout doit être
monnayé pour trouver sa justification .En voulant supprimer les
barrières, elle menace l’identité et la spécificité culturelle des
peuples. « Les grandes causes de division de l’humanité, écrivait
Huntington, et les principales sources de conflit seront culturel-
les .les lignes de fractures entre civilisations seront les lignes de
front de l’avenir.
Mais, affirmer le conflit des civilisations comme destin inévi-
table serait négliger l’impossible étanchéité entre les cultures et
les civilisations dont les imbrications et les enchevêtrements se
multiplient de telle sorte que l’identification se substituerait à
l’identité laquelle n’est pas donné a priori et accomplie, mais res-
te en voie d’accomplissement et par conséquent en état de re-
nouvellement perpétuel grâce à l’apport d’une altérité à laquelle
elle est inévitablement en contact.
173
Quelle mondialisation pour l’Afrique dans ce contexte où
l’Afrique veut se constituer de véritables Etats, où l’Afrique veut
se construire à travers l’intégration en gardant son identité ex-
primée dans ses langues pour un échange culturel équita-
ble ?Quelle mondialisation pour cette Afrique en quête de sa
place dans ce XXIème siècle ?la diversité culturelle et linguisti-
que serait-elle une solution de rechange ? En effet, la diversité
linguistique est signe de diversité culturelle.la mort d’une langue
est symptomatique de la mort d’une culture : lorsqu’une langue
meurt, c’est un mode de vie qui disparaît.la mutation et la mort
d’une langue sont les conséquences de différents types et pres-
sions exercées sur une communauté sociale et culturel-
le .Invention humaine unique, la langue offre à l’espèce humaine
des possibilités illimitées : nos cultures, et bien d’autres domai-
nes encore. Chaque langue possède sa propre fenêtre sur le
monde. Chacune est un musée vivant, un monument à la culture
dont elle a permis la transmission. En outre, chaque peuple a le
droit d’avoir sa propre langue, de la conserver comme ressource
culturelle et de la transmettre à ses enfants.
Dans l’identité la langue compte beaucoup.
Dans tout contexte où il ya contact entre des langues, le res-
pect de la diversité linguistique appelle la mise en œuvre de poli-
tiques linguistiques adaptées à chaque situations sociolinguistique
particulière. Les politiques linguistiques sont donc singulières
tant par leur nature que dans leur application. Elles se fondent
sur différents principes, dont celui de la territorialité, qui recon-
naît les droites linguistiques territoriales ou celui de la personna-
lité qui repose sur le libre choix de la langue de l’individu ou
encore une combinaison des deux principes.une politique linguis-
tique peut ne comporter qu’un ensemble de règles administrati-
ves. Mais elle peut aussi être mise en œuvre dans le cadre d’un
dispositif qui délimite l’utilisation de la langue ou des langues en
présence selon les fonctions qu’elles exercent et selon les domai-
nes d’utilisation, qu’il s’agisse, par exemple, des domaines de
l’éducation, du travail, du commerce.
De manière générale, une politique linguistique répond à
deux objectifs sociaux distincts, étroitement liés l’un à l’autre.
174
une dimension culturelle. Mais quelle politique d’intégration
pour l’Afrique ?
Dans l’identité, la langue compte beaucoup. le siècle qui a
commencé verra-t-il le dépérissement des langues africaines ?la
lente asphyxie des langues africaines serait dramatique, ce serait
la descente aux enfers pour l’identité africaine. Car les africains
ne peuvent pas se contenter des éléments culturels qui viennent
de l’extérieur.
L’Afrique abrite en son sein plusieurs groupes ethniques pos-
sédant chacun une langue ou un groupe de langues, une série de
traditions historisantes, un éventail d’institutions et d’usages.
Chaque communauté a connu une expérience spécifique d’accès
à la modernité.ces groupes présentent autant d’aspects de la ré-
alité culturelle de l’Afrique. Les langues issues de la colonisation
comme le français, l’anglais, le portugais et l’espagnol consti-
tuent des outils de travail et de communication pour les différen-
tes entités ayant des langues et des cultures différentes dont
l’esprit et les principes sont fondés sur une solidarité ouverte à la
diversité des langues des cultures et aussi comme espace de dia-
logue de cultures.
L’ouvrage de Daniel Nettle et Suzanne Romaine expose très
bien les conditions de la vie des langues1.
Nous avons choisi de parler de cette Afrique qui abrite en son
sein plusieurs groupes ethniques possédant chacun un ou de
groupes de parlers, une série de traditions historisantes, un éven-
tail d’institutions et d’usages. L’Afrique n’est pas une tabula rasa
linguistique comme on pourrait le faire croire par « le silence
étonnant »2 à propos des langues africaines. Chacun de ces Etats
renferme dans leurs limites une multitude de groupes ethniques
parlant chacun sa propre langue. Le remarquable ouvrage collec-
tif de Bernard Heine et Deret Nurse3 décrit judicieusement la
1
D.Nettle et S.Romaine, Ces langues, ces voix qui s’effacent, Paris, Editions
Autrement Frontières, 2003,230 p.
2
Le mot est de R.Chaudenson, Les langues dans l’espace francophone : de la
coexistence au partenariat.
3
B.Heine et D. Nurse, Les langues africaines, Paris, Karthala, 2004,468 pages
176
situation des langues en Afrique. Barbara Grimes 1avance le
nombre de 2035 langues africaines. Ce nombre n’est pas fixe, car
on découvre encore de nouvelles langues alors que d’autres, qui
ont peu de locuteurs disparaissent. Si l’on exclut les langues in-
troduites au cours des deux derniers millénaires, comme l’arabe,
le malgache, l’afrikaans, l’anglais, le français, l’espagnol et le
portugais. Ce nombre d’un peu plus de 2000 langues se décom-
pose en quatre grands phylums ou superfamilles2 : le Niger-
Congo qui compte 1436 langues(incluant la famille bantu ,à qui
l’on attribue 500 membres),l’afro-asiatique ou afrasien ,371 lan-
gues, le Nilo-saharien,196,le Khoisan,35.Quelques langues afro-
asiatiques ne sont parlées qu’en dehors de l’Afrique, au Moyen-
Orient, ce qui réduirait un peu le nombre pour l’Afrique. En
admettant le total de 2000 langues, cela représente le tiers des
langues du monde. Estimation à prendre avec prudence en fonc-
tion de la façon dont on fait le partage entre langue et dialecte.
Selon la définition que l’on retient des langues et des dialectes, il
ya entre 1250 et 2100 langues en Afrique. L’Afrique est donc un
contexte plurilingue, un lieu de contacts entre différentes lan-
gues où les locuteurs sont le siège de confrontation ou de com-
plémentarité entre ces diverses langues particulièrement les
langues étrangères et les langues africaines locales. Le degré de
plurilinguisme varie considérablement selon les pays et selon les
individus. Un document de l’UNESCO rédigé pour une réunion
intergouvernementale sur les politiques linguistiques en Afrique
donnent les informations suivantes3 : « Environ 105 millions de
personnes parlent 410 langues au Nigeria, 30 millions de person-
nes en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) utilisent
206 langues et l’Ethiopie a 97 langues pour une population de 45
millions, au Cameroun 185 langues sont utilisées par 8 millions
d’habitants, 58 langues pour 3 millions d’habitants au Bénin, 31
1
B.Grimes, Ethnologue: Languages of the world, 13e édition. Dallas, Sum-
mer Institute of linguistics et université du Texas (Arlington),1996
2
Se référer aux différentes études réalisées par Greenberg, particulièrement
Studies in African linguistic classification
3
Harare, 17-21 mars 1997, p.3 cité par B.Heine et D. Nurse, op. cit. , p.372
177
langues pour deux millions de congolais de Brazzaville,120 lan-
gues pour 28 millions d’habitants en Tanzanie avec le kiswahili
comme « lingua franca »,12 langues au Mali dont 90 % utilisent
quatre langues et 65 % une seule langue, le bamanakan,60 lan-
gues pour une population de 9 millions dont la moitié parle le
Moore. Au Nigeria 397 langues sur 410 sont des langues minori-
taires mais le nombre total de leurs locuteurs forme 60 %.Sur le
plan du plurilinguisme individuel, dans une enquête sur le Nige-
ria, les résultats montrent que le nombre de langues parlées par
chacun des membres des communautés linguistiques allait de
deux à quatre de la manière suivante : 60% parlaient deux lan-
gues, 30% en parlaient trois et 10 % plus de quatre. Un constat
similaire pourrait être fait pour de nombreux pays d’Afrique où
il ya une tradition bien répandue du plurilinguisme.
A cette mosaïque de langues, sont venues s’ajouter les langues
étrangères comme le français, l’anglais, l’espagnol et le portu-
gais. En devenant multilingues, des individus, des communautés
et de groupes de locuteurs deviennent des sièges de couches mul-
tiples de langues acquises au cours de leur vie.
L’élément central, ce sont les langues coloniales qui consti-
tuent le point de jonction entre les pays et les régions de cet es-
pace favorisant le dialogue entre les différents peuples et leurs
cultures. Dès lors il s’effectue des échanges de valeurs culturel-
les, sous la pression des contacts entre groupe des cultures diffé-
rentes. Dans ce mouvement de contacts et d’échanges, les
structures nouvelles se superposent sur les anciennes compli-
quant l’orientation des vecteurs finaux qui façonnent le dialogue
entre les peuples. Cette situation soulève une série de questions
sur la gestion de la diversité des langues dans ce contexte nécessi-
tant une réflexion sur les politiques linguistiques à mettre en pla-
ce. Certains ont tendance à considérer que la diversité
linguistique et des cultures du monde va de soi, comme dans ce
proverbe jamaïcain : »la vache considère sa queue comme un ac-
quis jusqu’au jour où le boucher la lui a coupée ».
Pour conclure, Il y a lieu de dire que même après en avoir
donné une définition globalisante, la culture africaine ne se laisse
pas facilement cerner. Elle se refuse, à être mise en bouteille et
178
résiste à toute tentative de systématisation. Toutefois, on pour-
rait se limiter à un examen de quatre éléments classiques pour
établir sa typologie : la distance hiérarchique caractérisée par un
pouvoir centralisé, le contrôle de l’incertitude caractérisé par
l’acceptation de l’incertitude de l’avenir sans en être obsédé, la
soumission totale à l’ordre divin, le refus de la tyrannie du
temps, un pouvoir et une autorité indivisibles. Le tout pour dire
que, face aux défis de l’intégration et de la mondialisation,
l’Afrique doit choisir de se réformer positivement
« L’Afrique doit choisir de se réformer positivement et de
mettre en œuvre les conditions de sa revitalisation. Elle doit être
un espace capable de maîtriser sa diversité et d’intégrer les traits
de l’Universalité en redéfinissant une nouvelle politique prospec-
tive , des relations étatiques perçues comme une amélioration
constante de la qualité de vie des hommes dans un environne-
ment physique, culturel et scientifique totalement épanouis-
sant. » Ce qui pose dès lors des problèmes de niveaux
d’éducation et de cultures liés à des espaces politiques de crois-
sance. Et pour cela, chacun doit avoir à l’esprit que « Même
l’époque accablée est digne de respect, car elle est l’œuvre non
des hommes, mais de l’humanité donc de la nature créatrice, qui
peut être dure mais jamais absurde. »
C’est pourquoi, pour trouver des voies et moyens efficaces de
résistances devant une mondialisation avilissante, il faut trouver
un point de rééquilibrage entre les différents pôles de culture et
de civilisation pour construire un nouvel ordre mondial. Alors
l’Afrique deviendrait un lieu de rencontres où peuvent dialoguer,
se confronter, se compléter des cultures et des civilisations va-
riées. Sinon, nous risquons de voir se réaliser un cauchemar où
l’ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour et
dans cet interrègne surgissent les monstres.
179
Ecritures, territoire de la mémoire1
1
Texte présenté au colloque de Bucarest organisé en marge du Sommet de la
Francophonie en 2006.
181
historique serait-elle comparable à l’écriture littéraire, fiction-
nelle dans sa manière de traduire la réalité ? Sous le prisme de
…. Et d’Amadou Hampaté Ba, je voudrais faire ressortir ce va-
et-vient entre la traduction historique et littéraire du temps et de
l’espace par la manipulation de la mémoire collective volontaire
ou involontaire.
Lorsque la tradition écrite devient garante de la mémoire
collective, la préfiguration du passé éloigné dépend de la mise en
discours qui implique le document verbal écrit alors que la préfi-
guration de l’histoire plus proche continue à reposer sur les té-
moins oculaires. Ces derniers se chargeront de traduire sous
forme verbale et orale les images alimentant leurs souvenirs. En-
tre la mise en discours par le témoin de ses souvenirs visuels et
leur saisie ainsi que leur reformulation discursive par le garant et
arbitre, on passe de la préfiguration à la configuration pour re-
prendre les concepts empruntés à Aristote et développés par Paul
Ricœur. N’y a-t-il pas dès lors contradiction entre le poète et
l’historien ? L’histoire dit-elle seulement ce qui s’est passé, ce
qui est advenu indépendamment de la forme et le poète de dire
les choses telles qu’elles pourraient advenir ?Au premier, les ac-
tions des hommes qui, identifiées par un nom propre ont réelle-
ment agi ou pâti ; au second les actions humaines qui, parfois
attribuées à des individus, s’inscrivent dans l’ordre de la vrai-
semblance ou de la nécessité. Il apparaît donc que le poète doit
être le créateur d’intrigues davantage que de rythmes. S’il est en
effet poète, c’est par la représentation et ce qu’il représente, ce
sont des actions. S’il lui arrive de fabriquer des actions advenues,
il n’en est pas moins poète. Car rien n’empêche que certains,
parmi les événements passés, soient tels qu’ils s’inscrivent dans
l’ordre de la vraisemblance et du possible et par son intermédiai-
re cet homme en est le poète. Ce point de vue rapproche
l’écriture historique de la création littéraire. En effet, la création
poétique d’un monde possible, à partir d’une réalité préfigurée,
dans l’enchaînement nécessaire conduisant à la construction
d’une vraisemblance correspond en somme aux processus sous-
jacents au concept moderne du « fictionnel » non pas au sens de
la création d’un monde de fiction pourvu d’une existence séman-
182
tique autonome mais au sens de la fabrication d’un monde possi-
ble à la fois à partir de l’expérience sensible et partagée du mon-
de naturel et social et par l’exploitation des potentialités
sémantiques de toute langue, pour revenir à ce monde de la pra-
tique sociale. C’est ainsi que les discours des historiens s’offrent
désormais à nous comme des représentations configurantes de
l’espace et du temps par le moyen d’opérations de sélection, de
schématisation conceptuelle, de focalisation spatiale, de mise en
séquence chronologique, de mise en intrigue insérant
l’événement dans une conjoncture multiforme ; opérations de
rhétorique discursive qui coïncide sans doute avec les images
évoquées par la mémoire individuelle et collective. Dès lors, on
ne peut se souvenir qu’à condition de retrouver dans les cadres
de la mémoire collective, la place des événements passés qui
nous intéressent. Mais l’oubli, ou la déformation de certains de
nos souvenirs s’explique aussi par le fait que les cadres changent
d’une période à l’autre. La société suivant les circonstances se
représente de diverses manières le passé.
L’institution d’une logique de temporalité et de spatialité cor-
respondant à un régime de vérité particulier passe par une mise
en forme sémiotique de l’ordre discursif. Fondée sur les ressour-
ces de création fictionnelle propre à toute langue, la configura-
tion spatiale et temporelle se présente, par les procédures de
mise en discours, comme une construction sémantique. Qui dit
mise en discours implique une prise en charge énonciative des
différents énoncés configurant temps et espace.
Comme on le sait, le temps de l’homme passe. Le temps du
destin et le destin du temps des existences généreuses laissent
souvent des fruits que l’on voudrait bien garder grâce l’écriture
historique ou à l’écriture fictionnelle, poétique ou littéraire.
Mais tout coule, tout passe et abandonne aussi l’espace et le
temps. Quand un être cher nous quitte, à l’heure où l’on tente
au loin de saisir la résonance de sa voix qui s’éloigne désespéré-
ment dans les méandres de l’histoire, vers des horizons imper-
ceptibles, le temps jaloux de ses souvenirs ne révèle que des
morceaux épars des traces indélébiles. Seule l’écriture imaginaire
nous aide à comprendre que le mot qui est dit, écrit, transcrit,
183
poudroie. Si tôt écrit, le poète veille avec lui, le mot devient
lampe accrochée au silence, le silence du mot. Le texte surgit, le
poème s’articule entre le doute et le temps perdu recherché qui
ressurgit à travers la mémoire involontaire conservée par
l’écriture. Mais héla, ce temps n’est jamais entier. Mais, il est
vrai, l’écriture constitue le territoire de la mémoire par
l’appropriation sélective du passé dont le présent est le temps
propre grâce à l’imaginaire qui met en exergue la distance entre
l’art et la réalité. ll est aussi vrai que la réflexion sur les effets de
la mémoire sur le temps se déploie dans la perspective philoso-
phique.
Grâce à l’écriture historique ou fictionnelle, le déroulement
du temps dans un espace précis et concret dans lequel le passé est
à saisir, le présent et le futur naviguent entre mémoire poétique
et pratique sociale. Ces conceptions invitent à privilégier un type
d’approche tant il est vrai que les formes poétiques assurées par
la mémoire collective ritualisée reposent parfois sur de remar-
quables facultés de création symbolique, entre narration et prati-
ques culturelles. Ecritures historiques et écritures littéraires sont
de véritables territoires de la mémoire qui cherchent à traduire le
temps perdu à reconstituer ou à déchiffrer.
184
la mesure de leur gratuité ?pourquoi ne dirons-nous pas simple-
ment :nous sommes des êtres inoffensifs, sans avidité, sans suffi-
samment d’indécence pour affronter la rentabilité immédiate et à
court terme pour elle-même ?Ne serait-ce pas par cet aspect que
nous nous savons honorables, et, lorsqu’on nous l’accorde, res-
pectables ?De manière plus concrète, notre procès s’instruit,
pour la conception moyenne, à partir de cette vérité lapidaire qui
veut que l’on fasse lettres lorsqu’on est incapable de faire autre
chose .De manière plus visible, du fait des impératifs de
l’organisation du pouvoir politique et de la production les
moyens de travail et les crédits sont, dans la plupart de nos fa-
cultés des Lettres, en nette réduction.
Une analyse honnête peut nous apprendre que le cadre général
de nos sciences humaines comme modalités pratiques d’une inser-
tion productive dans la société nous condamnent à la modestie.
-Modestie, parce que nos multiples discours scientifiques-
historiques, philosophiques, littéraires, linguistiques, sociologi-
ques, didactiques, ethnologiques- sont réellement sans liaison en-
tre eux et d’une certaine manière sans suite.
-Modestie aussi, parce que, plus que dans les autres domaines,
nous vivons intensément la crise de la raison ;
-Modestie encore, parce qu’au cours d’un siècle et demi de
travail par la méthode positive, exception faite peut-être de la
linguistique, nous sommes toujours aux questions de fonde-
ments ;
-Modestie enfin, parce que, dans un monde où, pour des rai-
sons les plus raisonnables, l’utilitaire et l’opérationnel sont mis
en avant, la gratuité de certaines de nos disciplines paraît ressor-
tir à la naïveté et à la douce folie. Le bon sens de l’empirisme
paraît nous condamner ? En tout cas, nous avons tout l’air de pa-
rents pauvres dans un niveau où l’efficacité est fonction du coef-
ficient de rentabilité. Vivons donc notre modestie comme misère
étant donné que misère signifie incommodité. Discours scanda-
leux et scandalisant, n’est-ce pas ? Dans un cadre où l’on s’attend
à se donner des lettres de noblesse. Ne serait-il pas judicieux
d’ériger une interrogation en plaçant l’accent sur la pertinence
d’une réflexion partie d’expériences multiples sur les fluctua-
185
tions du devenir des spécialistes du métier du FLE. Plusieurs
questions transparaissent derrière celle fondamentale qui consiste
à s’interroger sur « le variable destin du spécialiste du
FLE »Parmi ces questions, celles qui interpellent au plus haut
point notre triple conscience historique de didacticien, de didac-
ticien du français langue étrangère et d’acteur qui a la charge de
promouvoir la langue française dans le monde.
Les spécialistes du FLE sont des hommes et des femmes com-
pétents dans les domaines classiques de l’étude et de
l’enseignement des langues et des lettres. Ils sont réputés en plus
de leur domaine de prédilection excellents rédacteurs des rap-
ports et lettres administratifs, garants de la norme grammaticale
et orthographique. Et aujourd’hui, ils se retrouvent partout et
surtout sans qu’ils se sentent ou qu’on se sente mal à l’aise, sans
qu’ils ne s’acquittent parfaitement du rendement technique exigé
ou attendu d’eux. Autrement dit, si tous les chemins peuvent
conduire au métier du FLE, inversement le métier du FLE
conduit à tous les chemins. On doit par ailleurs s’interroger avec
raison aujourd’hui sur la place actuelle, les finalités et le destin
des études françaises dans le monde. Cette question cesse de
paraître banale, devient même angoissante quand on est attentif
au triomphe de la lutte pour notre identité francophone face à
l’extension progressive de la langue, de la culture et de
l’influence anglo-américaine et à la non maîtrise manifeste du
français dans l’espace francophone entraînant même le risque de
sa fragmentation. C’est au spécialiste du FLE d’affûter ses armes
et de s’engager dans ce noble combat. C’est à e niveau qu’on
peut trouver des raisons d’assurance et des titres de gloire à no-
tre métier du FLE.
L’homme qui vous parle a passé plus de la moitié de sa vie à
réfléchir sur la langue française. Mon souci a toujours été celui de
sauver la langue française tant dans sa structure interne que dans
l’accroissement de son usage. Depuis quelques temps, je travaille
à l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie comme di-
recteur des langues et de l’écrit. Ces nouvelles charges viennent
compléter mes préoccupations antérieures .Si dans ma carrière
d’enseignant et chercheur dans le domaine du français, j’ai centré
186
mon attention sur la nature du français dans l’espace francopho-
ne, dans mes fonctions à l’Agence Intergouvernementale de la
Francophonie, je pilote des programmes qui ont pour objectifs
l’accroissement de l’usage du français dans le monde et dans di-
verses activités de la vie humaine. Ces deux perspectives sont
complémentaires dans ce sens que la première observe le français
dans l’évolution de sa structure interne et l’autre dans sa structu-
re externe. Voilà pourquoi, à la lumière de mes recherches anté-
rieures et de mes préoccupations actuelles comme Directeur des
Langues et de l’Ecrit je voudrais répondre aux deux questions
suivantes en cette circonstance que m’offre la rencontre du
CLA ;/Besançon :
1. Quel français pratique-t-on dans l’espace francophone
quand on sait que la langue française à l’instar de son ancêtre « la
Romania » dans son mouvement d’expansion a atteint la région
aussi diverses que l’ancienne Gaule, le Canada, Haïti, l’Île Mau-
rice, et l’Afrique où elle est entrée en contact avec d’autres lan-
gues entraînant ainsi la diversification de sa structure interne ?
2. Quelle est l’action de la Francophonie face à cette diversifi-
cation du français mais surtout face au recul de son usage dans le
monde et dans les diverses activités de la vie humaine ?
La fragmentation du français
187
de référence. Le passage de la norme aux normes ne donne-t-il
pas naissance à la fragmentation du français en plusieurs types de
français ?
Notre réponse repose sur deux travaux réalisés à l’Université
de Lubumbashi où nous avons dirigé plusieurs travaux de thèses
et de mémoires :
1
KILANGA,M.,Le français des élèves des écoles secondaires à Lubumbashi.
Structure et nature des différences, 2tomes, Lubumbashi, Faculté des lettres,
1984,775pages
188
sur la dimension intrinsèque, où deux pôles sont à distinguer :
généralité ou zone de rigueur et restriction ou zone de laxité » 1.
Les études ont montré que les différences phonétiques, mor-
phosyntaxiques et lexicosémantiques facilement corrigibles rele-
vaient de la zone de laxité tandis que les différences
lexicosémantiques non corrigibles senties comme telles par les
locuteurs faisaient partie de la zone de rigueur qui est la manifes-
tation de la formation d’une variété autonome. Faut-il croire à la
formation d’une variété autonome du français à partir de la
confirmation des différences lexicales quand on pense que le
lexique c’est l’élément de la langue à la fois le plus intégré et le
plus migrateur ?2 La présence de ces différences lexicales solide-
ment intégrées dans le milieu scolaire caractérisé par sa résistan-
ce à toute différenciation linguistique ne devrait-elle pas
continuer à nous renforcer dans nos convictions de départ ? Le
projet de recherche que nous avions conçu à l’époque sur « le
français congolais : système et variation »3 avait pour objectif la
réponse à tout ce questionnement.
Les travaux réalisés dans ce cadre ont montré que les variétés
du français observables selon les catégories sociales en présence
et par rapport aux langues nationales se caractérisent par une re-
lative diversification par rapport à la norme. Elles sont la réalisa-
tion de plusieurs systèmes différents et non une homogénéité
structurée. Chaque variété délimitée constitue elle-même une
diversité de parlers variables selon les utilisateurs .les français des
peu ou pas lettrés en particulier n’est pas un magma structurel de
1
MAHMOUDIAN,M. »Structure linguistique :problèmes de la constance et
des variations »in La linguistique,vol.16,fascicule 1,1980,P.24
2
KILANGA,M. »Prolégomènes à une étude linguistique du français Zaï-
rois. Quelques questions de méthodes. »in Linguistique et Sciences humai-
nes,N°26,Lubumbashi,CELTA,1986,p.57
3
Projet que nous devrions réaliser en collaboration avec deux collègues de
Lausanne,les professeurs Rémi Jolivet et Mahmoudian Mortéza
189
sens. il s’agit au contraire d’une série d’approximations résultant
d’une structuration des structures du français sur le modèle des
langues nationales connues des usagers .Au total ,l’ensemble des
variétés du français de ce milieu s’insèrent dans un continuum
dont les pôles sont représentés d’un côté par celle des variétés
qui s’identifie ou tout au moins se rapproche du français norma-
tif ;de l’autre par la variété qui se rapproche des langues nationa-
les ou s’identifie à celles-ci. Entre ces deux se situent un
ensemble de parlers considérés comme des parlers variétés ré-
gionales. Locales dont les caractéristiques linguistiques relèvent
aussi bien de la première que de la deuxième variété.
Bref, Le français suite au contact avec les autres langues finit
par se fragmenter en plusieurs variétés. Mais loin d’être une base
de fragilité de la langue commune des pays francophones, cette
fragmentation peut être harmonisée par un effort consistant à dé-
gager et à légitimer des usages linguistiques nationaux et régio-
naux en vue d’un traitement lexicologique et des applications
offrant une meilleure garantie à une solidarité mieux assumée et
aussi une assurance pour le français dans le monde diplomatique,
commercial et même scientifique.
L’action de la Francophonie
190
tionale par l’accroissement de l’usage du français et par une place
toute particulière du français dans les relations intra européennes
comme hors des institutions de l’Union européenne.
- Les langues partenaires africaines et créoles qui vise à soute-
nir un environnement propre à l’utilisation concrète des langues
nationales africaines et créoles aux côtés du français comme lan-
gue partenaire.
-Toutes les réflexions sur l’amélioration de l’outil méthodo-
logique de l’enseignement du français et les orientations tirées
des Etats généraux de l’Enseignement du français contribuent sé-
rieusement à la recherche des solutions sur la nature du français à
enseigner de manière à trouver une réponse précise à la question
de diversification de cette langue, socle de la francophonie.
Autant de questions et autant de réponses qui confirment le
variable destin du spécialiste du FLE. Celui-ci devrait à la fois
trouver les raisons d’être modeste et ambitieux au regard de la
nature des tâches qu’il est appelé à affronter et la minceur des
résultats qu’il obtient.
191
table des matières
193
3.1. Sur le plan diachronique...................................... 30
3.2. Sur le plan synchronique...................................... 31
Conclusion ....................................................... 44
Bibliographie ..................................................... 45
II I D E N T I T É FRANCOPHONE ET DIVERSITÉ
L I N G U I S T I Q U E ................................
..............................................
.............. 47
194
3. Pistes d’actions ............................................... 89
3.1. La langue française..................................... 89
3.2. La diversité culturelle et linguistique............... 90
3.3. Engagement politique ................................. 91
E T P O L I T I Q U E S L I N G U I S T I Q U E S ......................... 121
195
LANGUE ET CULTURE : PROBLÉMATIQUE DU PASSAGE
DES SCHÈMES CONCEPTUELS AUX SCHÈMES LINGUISTIQUES ...145
196