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Macaire, Le Synaxaire

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Le Synaxaire

Macaire, moine de Simonos Petras

From "Le Synaxaire. Vies des Saints de l'Eglise Orthodoxe"


Editions "To Perivoli tis Panaghias", © S. M. Simonos Petras, Mont Athos

Introduction a Le Synaxaire

"Louez Dieu Dans Ses Saints!"


Ps. 150.1

LORSQU'IL FUT transporté en esprit devant le trône de Dieu préparé pour le


jugement de toute chose à la fin des temps, l'Apôtre saint Jean dit: «Puis
j'entendis comme la voix d'une foule nombreuse et comme la voix de grandes
eaux et comme la voix de puissants tonnerres qui disaient: Alléluia, car le
Seigneur, notre Dieu le Tout-Puissant, α pris possession de la royauté.
Réjouissons-nous, soyons dans l'allégresse et rendons lui gloire, car les noces
de l'Agneau sont venues, son Epouse est parée, et il lui a été donné de se vêtir
de lin fin d'une blancheur éclatante - le lin fin, ce sont les œuvres des saints»
(Apocalypse 19,6-10). Ce n'est pas seulement à l'aube de la Résurrection que
cela arrivera, mais c'est aussi dès aujourd'hui que la sainte Eglise, l'Epouse du
Christ, s'est revêtue comme de pourpre et de lin fin du sang des martyrs, des
larmes des ascètes, de la tempérance des vierges, de la proclamation des
apôtres, des écrits des docteurs, de la miséricorde des justes... de toutes les
vertus et de toutes les grâces que le Saint-Esprit a fait éclore dans les saints en
tout temps et en tout lieu. Qui pourrait dénombrer cette «nuée de témoins» (cf.
Hébreux 12,1) qui nous entoure? Qui pourrait nommer chacun de ces «vivants»
qui avec le Christ, par le Christ, dans le Christ ont triomphé de la mort et ont
trouvé accès auprès du trône de Dieu; en qui Dieu se réjouit (Cf. Isaïe 41,17) et
trouve son repos (Isaïe 57,15)?

Ils sont devenus concitoyens des Anges et frères du Christ. Et Lui, tel le soleil
se reflétant sur les eux, apparaît en eux à la fois innombrable et unique. Les
saints qui habitent aujourd'hui la Jérusalem céleste, la Terre des Vivants, la Cité
du grand Roi, sont astres multiples d'un firmament spirituel qu' éclaire le Christ,
«Soleil de Justice» (Malachie 4, 2). «Α mes yeux tes amis ont beaucoup de
prix, ô Dieu -chante David le Roi prophète-, je les compte et ils sont plus
nombreux que le sable» (Ps 138,17). Les milliers de saints que l'on trouve
commémorés dans tous les synaxaires et martyrologes d'Orient et d'Occident,
ne représentent qu'une petite partie de cette «grande assemblée» (cf. Ps 39,10;
81,1 etc.). Ce sont les saints qui ont fait l'objet d'un culte public. Mais combien
plus nombreux sont ceux qui cachèrent Dieu dans le secret de leur coeur, en
restant humblement ignorés de tous et protégés de la vaine gloire des hommes
là ou le Seigneur les avait placés. De tous temps, de toutes régions, de toutes
conditions: patriarches, prophètes, apôtres, martyrs, confesseurs, évêques,
prêtres, diacres, moines et vierges, hommes et femmes, enfants et vieillards,
pauvres et riches, princes, prostituées et brigands... ils ont par amour de Dieu
et dans les souffrances volontaires fait éclore en notre nature humaine les
fleurs variées de la Grâce du Saint-Esprit. «Α l'un en effet, c'est le discours de
sagesse qui est donné par L' Esprit, à un autre, le discours de science selon le
même Esprit; à un autre, la foi dans le même Esprit; à un autre les dons de
guérison dans cet unique Esprit; à un autre le pouvoir d'opérer des miracles; à
un autre la prophétie, à un autre le discernement des esprits; à un autre
diverses sortes de langues; à un autre l'interprétation des langues. Mais tout
cela, c'est l'œuvre de l'unique et même Esprit qui distribue ses dons à chacun
en particulier selon son gré» (1Corinthiens 12,8-11).

Par son Incarnation et en unissant à sa Personne divine notre nature humaine


mortelle et pécheresse, le Seigneur Jésus Christ nous a ouvert les Cieux et
nous appelle à y monter à sa suite, lorsque nous aurons manifesté la gloire de
sa divinité dans notre vie et dans les conditions ou il nous a placé. C'est tout
chrétien qui, dans le Christ et par le Christ, est appelé à la sainteté: «Soyez
saints, car Je suis saint», disait déjà le Seigneur dans la Loi ancienne (Lévit.
2,44; 1Pierre 1,16). C'est tout chrétien qui, né à la vie nouvelle de l'Esprit par le
baptême, est appelé à l'accomplissement de la vocation d'Adam: Faire régner
en ce monde la gloire de Dieu. Voilà pourquoi, il n'est pas un endroit du monde
qui ne doit être aspergé du sang des martyrs, baigné des larmes des moines,
οu qui ne doit résonner de la prédication de la Bonne-Nouvelle. C'est en tout
temps et en tout lieu que s'est élevée, que s'élève et que s'élevra la prière des
saints pour le salut du monde. Car, selon le témoignage des premiers Pères,
c'est par la prière des chrétiens que le monde peut subsister (Epître à
Diognète).
Le monde est sanctifié, sauvé, racheté par la présence des saints, qui y sont
comme le levain faisant lever la pâte (cf. Matthieu 13, 33) et préparent
l'humanité à l'ultime révélation du Seigneur Jésus Christ. Ιl viendra alors dans
sa gloire, pour que la lumière de sa divinité resplendisse sans ombre aucune
sur son Corps: l'Eglise. Alors, sera achevé le nombre des saints qui doivent
apparaître sur la terre, et dont Dieu seul connaît les noms qu'il garde
mystérieusement inscrits dans le «livre de vie de l'Agneau» (Apoc.21,27). Alors,
le «monde d'En-Haut sera consommé» (S. Grégoire de Nazianze) et les saints
de tous les temps seront réunis dans le Corps unique du Christ. Son union à
l'Eglise-Epouse aura atteint sa plénitude, et l'humanité sera alors la Demeure
de Dieu, la Jérusalem céleste (Cf. Apoc. 22). Le Christ qui, actuellement se tient
caché dans ses saints, rayonnera en eux dans toute 1'intensité de la gloire qu'il
a éternellement en commun avec le Père et le Saint-Esprit: «Afin que tous
soient un, comme toi. Père tu es en moi et moi en toi, afin qu'eux aussi soient
en nous» (Jean 17,21) dit-il, au moment de s'offrir en sacrifice pour notre salut.

Mais jusqu' à ce jour, la maison de Dieu est encore en cours d'édification. Le


Seigneur patiente et temporise en attendant que tous les saints entrent dans la
construction comme «pierres vivantes» (1Pi 2,4), adhérant chacun à son tour
au Christ, la «Pierre d'angle» (ibidem; Isaïe 28,16), selon la grâce et les
qualités qui lui ont été données. Les saints sont tout à la fois un et multiples, et
chacun participe de manière unique et irremplaçable à la constitution du Corps
du Christ, comme autant de membres. Ils sont encore comme l'or et les
pierreries qui ornent la robe de l'Epouse, laquelle se tient comme la Reine à la
droite du Seigneur, «en vêtements tissés d'or, parée de couleurs variées» (Ps
44,10). Semblables au diamant et aux pierres précieuses, ils renvoient partout
en des rayons multicolores l'unique lumière du triple Soleil. Mais pour être ainsi
pénétrés de lumière, il a fallu auparavant qu'ils soient taillés, cisellés, dégagés
de la matière et de ses impuretés par le ciseau et le marteau des souffrances,
des persécutions, des afflictions de toutes sortes; qu'ils passent, comme l'or
encore grossier, dans la fournaise des tentations, afin d'être affinés et de servir
de dignes joyaux sur la robe de l'Eglise-Epouse.

Les saints brillent de la lumière de Dieu, sont devenus dieux par la Grâce du
Saint-Esprit, dans la mesure même ou «baptisés dans le Christ», ils ont
«revenu le Christ» (Galates 3, 27). Dans la mesure ou avec le Christ ils ont pris
leur croix (cf. Mat. 16, 24 etc.), afin de crucifier en eux le vieil homme plein de
passions, de péchés et d'impuretés, ils ont pu aussi participer à la gloire de Sa
Résurrection. En communiant à la Passion du Christ par le martyre, l'ascèse,
les larmes et la pratique de toutes les vertus évangéliques, les saints ont vaincu
la mort avec Lui. Ils sont désormais vivants en Dieu, car le Christ a fait en eux
sa demeure. «Je suis crucifié avec le Christ», nous clament-ils: «ce n'est plus
moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi» (Gal. 2,19-20). Le Christ est monté au
ciel, mais il n'a pas quitté l'Eglise de la terre. Le Christ est monté au ciel, mais il
nous a envoyé le Saint-Esprit qui fait de tous les saints comme autant de
«christs», de dieux par la Grâce. L'œuvre de notre Seigneur Jésus-Christ et sa
Personne elle- même, divine et humaine, sont à la fois répétées et prolongées
par la vie des saints dans l'Eglise, sous l'action du Saint-Esprit.

Certains de ceux dont l'esprit et le cœur sont insensibles à la vie spirituelle,


trouvent ennuyeuses les vies des saints: «C'est toujours la même histoire»,
disent-ils. Martyrs, confesseurs, ascètes, vierges et saints laïcs; qu'ils aient
veçu au premier siècle ou hier, en Asie, en Palestine, en Egypte, en Italie, en
Afrique ou en Amérique, c'est en effet toujours la même histoire. Tous ont eu le
cœur brûlant d'amour pour le Seigneur et ont participé à Son sacrifice en
s'offrant volontairement à la mort, afin d'avoir part à Sa Résurrection. Tous ont
été baptisés dans Sa mort par le baptême d'eau, par le baptême du sang, par le
baptême des larmes, pour que la vie nouvelle de l'Esprit pénètre en eux et que
la gloire de Dieu qui est sur le visage du Christ demeure dans leur cœur et
déborde sur leur corps.

Les saints vivent dans le Christ Jésus et le Christ vit en eux. Il répète dans les
saints de manière incessante, jusqu'à la fin du monde, le mystère unique de Sa
mort et de Sa résurrection, de l'Incarnation de Dieu et de la déification de
l'homme. Souvent, dans les fresques qui représentent les martyrs -et surtout
dans certains réfectoires du Mont-Athos, où sont peints les saints militaires- on
peut remarquer que les saints ont des postures, des vêtements, des attributs
différents, mais qu'ils possèdent à peu près tous le même visage, et ce visage
est celui du Christ. Tels sont en effet les saints: identiques en Christ, mais
infiniment divers dans leurs caractères personnels et les conditions dans
lesquelles ils ont reproduit l'œuvre du Christ, dans un lieu donné et à un
moment précis. Toutefois, cette reproduction de la Passion du Seigneur n'est
pas chez les saints morne répétition. Elle est toujours nouvelle, toujours
originale, toujours unique et contribue de manière irremplaçable à l'édification
de l'Eglise des «premiers nés». Le Seigneur Jésus a ouvert la voie, il a sauvé la
nature humaine en mettant à mort la mort dans son propre corps, mais il faut
maintenant que chacun de nous, que chaque personne, participe librement à
cette oeuvre de Salut. «Ce qui manque aux tribulations du Christ, écrit saint
Paul, je le complète dans ma chair au profit de son corps qui est l'Eglise»
(Colossiens 1,24). Ces paroles de l'Apôtre ne signifient pas qu'il manquât quoi
que ce soit à l'œuvre du Christ et à notre Rédemption, mais seulement que
chacun d'entre nous doit communier volontairement et de manière personnelle
à Sa Passion pour avoir part à «l'héritage des saints dans la lumière» de Dieu
(ibid).

Unis au Christ par la foi et la grâce, les saints accomplissent les œuvres du
Christ (cf. Jn 14,10). En habitant en eux par le Saint-Esprit, c'est le Christ lui-
même qui par eux fait des miracles, convertit les païens, enseigne les secrets
de la science spirituelle, réconcilie les ennemis et donne à leur corps la force
d'affronter avec joie les plus horribles tortures; de sorte que l'Evangile ne cesse
d'être écrit jusqu'à aujourd'hui par les œuvres évangéliques des saints 1. Voilà
pourquoi les saints proches et lointains, anciens et nouveaux, nous sont des
guides sûrs pour trouver le Christ qui habite en eux. «Devenez mes imitateurs,
tout comme je le suis moi-même du Christ» (1Cor 11,1), nous disent-ils avec
saint Paul. Si nous voulons faire resplendir en nous l'image du Christ, il nous
faut donc regarder souvent vers les saints pour avoir des exemples historiques,
vécus, pratiques de la manière à suivre. Le peintre qui désire faire le portrait
d'une personne qu'il ne voit pas corporellement, se sert d'autres reproductions,
les regarde attentivement, les compare pour s'en inspirer; de même, il nous faut
regarder vers les saints, lire leurs vies, les comparer, pour savoir comment
progresser dans la vie en Christ.

Mais, dira-t-on, comment donc imiter ces martyrs qui ont souffert de si terribles
tourments, alors qu'il n'y a plus de persécutions? Comment suivre la voie de
ces ascètes qui se sont retirés au fond des déserts pour soumettre leur corps à
des austérités que personne ne pourrait supporter aujourd'hui? Cela n'est pas
possible. Certes, les conditions géographiques, historiques, sociologiques etc...
dans lesquelles nous nous trouvons sont fort différentes de celles dans
lesquelles vécurent nombre de saints dont nous lisons la vie. Mais est-ce là
vraiment une raison pour dire que la sainteté n'est pas possible et pour nous
livrer à la négligence ou réduire l'Évangile à une simple morale? Le Seigneur
n'a-t-il pas dit que le «Royaume des cieux est objet de violence et que ce sont
les violents qui s'en emparent» (Mat11,12)? Le langage de la Croix n'a-t-il pas
«rendu folle lα sagesse du monde» (Ι Cor.1,20)? De tels arguments, aussi
raisonnables soient-ils, ne reviennent-ils pas à «vider la Croix de son contenu»
(idem 17) en justifiant notre paresse et nos passions? Les exploits des martyrs
1
Justin Popovitch: «Avec tous les saints» (prologue de son grand Synaxaire) en grec dans Άνθρωπος και Θεάνθρωπος.
Athènes, 1969, . 83-84, 86.
et des ascètes sont des réalités historiques, la gloire et l'ornement de l'Eglise, et
ils ne nous paraissent inaccessibles ou exagérés qu'à cause de notre manque
de foi et d'amour de Dieu. Il nous est facile d'écouter l'enseignement de
l'Evangile, d'assister à la divine Liturgie, de prier dans notre chambre, mais
croyons nous vraiment que le «Royaume de Dieu ne consiste non en paroles,
mais en puissance» (1Cor 4,20), et que, par la grâce de Dieu, notre nature
humaine peut être élevée au-dessus d'elle-même et accomplir des œuvres qui
semblent impossibles, à ceux qui sont prisonniers de ce monde. La lecture des
exploits des saints ne porte au découragement que les orgueilleux qui se
confient en leur propre force; pour les humbles, elle est une occasion de voir
leur propre faiblesse, de pleurer sur leur impuissance et d'implorer le secours
de Dieu2. Lisons donc la vie des saints en psalmodiant avec David: «Dieu est
admirable dans ses saints, lui le Dieu d'Israël» (Ps 67,35). Tout comme eux,
nous n'avons que notre faiblesse à offrir au Seigneur (2Cor 11,30). C'est Lui qui
agit et nous donne la victoire. Ceux qui sont prisonniers de la vaine gloire de ce
monde mettent tout leur soin, nous dit saint Jean Chrysostome, à orner leur
demeure de fresques, de peintures et d'objets précieux, de même, en lisant la
vie des saints, il nous faut, nous les fils de la Résurrection, orner la maison de
notre âme par le souvenir de leurs souffrances et de leurs exploits, afin de la
préparer à recevoir le Christ et être à jamais la demeure du Roi du Ciel 3.

En lisant assidûment la vie des saints, en vivant «avec tous les saints»
(Ephésiens 3,18), en nous promenant chaque jour dans ce jardin spirituel qu'est
le Synaxaire, nous trouverons peu à peu certains saints qui attirent davantage
notre sympathie, notre émotion, notre affection. Ils deviendront pour nous
comme des amis intimes à qui nous aimerons confier nos joies et nos peines, à
qui nous demanderons plus spécialement le secours de leurs prières; dont nous
aimerons relire souvent la vie, chanter les tropaires et vénérer l'icône. Ces amis
intimes seront pour nous des guides privilégiés sur la route étroite qui nous
mène au Christ (Cf. Mat 7,14) et une puissante consolation. Nous ne sommes
pas seuls sur ce chemin et dans ce combat, nous avons avec nous notre Mère,
la Toute-Sainte Mère-de-Dieu, notre Ange Gardien, le saint dont nous portons le
nom et ces quelques amis que nous aurons choisis parmi la Grande Assemblée
des témoins de l'Agneau. Lorsque nous trébucherons par le péché, ils nous
relèveront; lorsque nous serons tentés par le désespoir, ils nous rappelleront
2
«Il est tout à fait déraisonnable celui qui, entendant parler de vertus au-dessus de la nature chez les saints, désespère de
lui même. Tout au contraire, elles t'enseignent excellemment une de ces deux choses: ou bien elles éveillent en toi l'émulation grâce
à leur saint courage, ou bien elles te conduisent, au moyen de la trois fois sainte humilité, à un profond mépris de toi-même et à la
conscience de ta faiblesse congénitale». S. Jean Climaque: L'Echelle Sainte 26, ΙΙΙ (trad. Ρ. Placide Deseille). «Spiritualité Orientale
24» Abbaye de Bellefontaine, 1978, p. 253. Cf. aussi SS Barsanuphe et Jean de Gaza: Correspondance lettres 600 et 689 Abbaye de
Solesmes, 1971.
3
S. Jean Chrysostome: Homélie sur tous les saints martyrs (PG 50, 761 CD).
qu'avant nous, et plus que nous, ils ont souffert pour le Christ et goûtent
désormais à la joie éternelle. Ainsi, sur le chemin rocailleux de cette vie, ces
saints amis nous feront voir un peu de la lumière de la Résurrection. Cherchons
donc dans les vies des saints ces quelques amis intimes et «avec tous les
saints», marchons vers le Christ.

Un jour, un moine doux et simple de l'Athos -un de ceux à qui le Christ a promis
la terre en héritage (cf. Mat 5,5)- se préparait, comme d'habitude, à prier le
saint du jour avec d'abondantes larmes et de nombreuses prosternations. Mais
au moment de regarder sur son calendrier, il constata qu'il l'avait égaré et
n'avait plus aucun moyen de savoir quel était le saint du jour. Aussi commença-
t-il sa prière en disant: «Saint du jour, intercède pour nous!» Après quelques
instants, le saint apparut devant lui et lui révéla son nom: Lucien (13 sept., 15
oct. 25 oct. ou 7 juil.). Sans guère s'étonner, le bon vieillard compléta donc sa
prière par le nom du saint, mais comme il était un peu sourd et n'avait pas bien
compris le nom, il dit: «Saint Lucillien, intercède pour nous!». Le saint apparut
alors de nouveau et lui dit sur un ton de reproche: «Je ne suis pas Lucillien (Cf.
3 juin), mais Lucien», et il disparut, laissant le moine continuer paisiblement sa
prière. Cette petite anecdote illustre bien quelle familiarité nous devons avoir
avec les saints et montre combien ils sont proches de nous, interviennent dans
notre vie quotidienne, nous écoutent dans nos prières; nous reprennent dans
nos chutes, nous montrent par d'innombrables signes de leur présence que
notre vie n'est pas vraiment de ce monde, que nous vivons comme des
étrangers et des voyageurs entre le ciel et la terre.

Nous pouvons communiquer quotidiennement avec les saints dans notre vie
spirituelle de trois façons: en chantant leurs hymnes et leur office liturgique, en
vénérant leur icône et en lisant leur vie dans le Synaxaire: S'il est difficile à ceux
qui vivent dans le monde de se rendre chaque jour à l'église pour chanter les
louanges des saints, tous les chrétiens peuvent cependant chez eux, seuls ou
en famille, chanter le tropaire des saints du jour, tous peuvent vénérer leur
icône, tous peuvent consacrer quelques instants à lire ou à relire leur vie dans
le Synaxaire. Toutefois, la lecture quotidienne de ces résumés de la vie des
saints ne nous sera vraiment profitable que si nous les approchons avec les
mêmes dispositions que lorsque nous vénérons une icône. Aussi imparfaites
soient-elles, les notices du Synaxaire sont en effet dans le domaine du récit ce
que sont les icônes dans le domaine de l'image: elles nous rendent le saint
présent et peuvent nous apporter autant de grâce que-les saintes icônes. Tout
dépend de la simplicité de notre cœur. Ainsi, ou que nous nous trouvions, quel
que soit l'état de notre avancement spirituel, quel que soit notre désir de
consacrer notre vie à Dieu, nous trouverons dans le Synaxaire un
renouvellement de nos forces et comme un avant-goût de la Vie éternelle, où
tous les saints danseront avec les Anges autour du trône de Dieu en disant:

«Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu/ le Tout-Puissant,/ Qui était, qui est et
qui vient» (Apoc 4,8)4.

2. LE SYNAXAIRE DANS LA TRADITION DE L'EGLISE

Aux premiers temps de la vie de l'Eglise, lorsque les chrétiens étaient organisés
en petites communautés locales qui devaient souvent rester clandestines et
cachées par crainte des persécutions, les fêtes liturgiques n'étaient pas aussi
nombreuses ni aussi fastueuses qu'aujourd'hui. La vie liturgique était alors
centrée sur la célébration hebdomadaire du Jour du Seigneur (dimanche), ou
tous communiaient aux saints Mystères. On prit également l'habitude d'aller
célébrer l'Eucharistie sur la tombe des martyrs de communauté, le jour
anniversaire de leur «naissance au ciel». Lors de cette réunion (Synaxis),
l'évêque du lieu, ou quelque évêque d'une communauté voisine, renommé pour
son éloquence, prononçait le panégyrique du saint. Lorsqu'on les possédait, on
lisait les Actes du procès et de l'exécution du martyr, et plus tard, le récit de ses
miracles posthumes pieusement rassemblés en recueil. Chaque église locale
avait ainsi son propre calendrier liturgique, appelé «martyrologe». Mais peu à
peu le culte de certains saints s'étendit au delà des limites de leur église
d'origine: principalement à cause des miracles accomplis par leurs reliques.
Celles-ci attiraient les pèlerins et encourageaient d'autres églises à honorer le
saint pour jouir de sa protection; surtout si elles avaient pu obtenir quelques
fragments de ces saintes reliques. On vit alors apparaître des Martyrologes
généraux, communs à de grandes régions ecclésiastiques, qui ne supprimèrent
pas les Martyrologes locaux, mais se développèrent parallèlement et les
absorbèrent progressivement. Avec les luttes contre les hérésies et les
nombreux confesseurs de la foi qu'elles occasionnèrent, on ajouta aux fêtes
des martyrs, celles des saints évêques ou saints prêtres qui offrirent leur vie
pour la pureté de la doctrine. Désormais les communautés plus grandes ne
pouvaient plus se réunir dans des maisons particulières, c'est pourquoi on
construisit de vastes basiliques au-dessus du tombeau des martyrs et l'on prit
l'habitude de se réunir non seulement pour la fête du martyr, mais aussi pour
4
Ρ. Justin Popovitch: art cit.
les synaxes régulières, hebdomadaires ou même quotidiennes. Au quatrième
siècle, avec la cessation des persécutions et bientôt la reconnaissance du
Christianisme comme religion officielle de l'empire romain, cette évolution
liturgique se précipita. On construisit partout des églises splendidement ornées,
on développa la poésie liturgique, on institua de nouvelles fêtes: du Seigneur,
de la Mère de Dieu, des saints et des martyrs à la renommée universelle. De
sorte que chaque jour de l'année fut bientôt occupé par la mémoire d'un ou
plusieurs saints (martyrs, confesseurs, ascètes) locaux ou généraux. La lecture
des Actes fut rejetée dans un cadre extra-liturgique et remplacée par les
hymnes. On porta désormais davantage l'accent sur l'aspect mystérique et
initiatique de l'assemblée liturgique, considérée comme «le ciel sur la terre»,
l'anticipation en ce monde du Royaume des Cieux, le moment redoutable de la
réconciliation de toutes choses dans le Corps du Christ, sous l'espèce des
précieux Dons eucharistiques. L'aspect universel et cosmique de l'Eglise prime
désormais sur l'aspect local et de repas fraternel des premiers siècles. C'est
pourquoi, pendant toute la période byzantine, le calendrier des saints a
constamment tendu à l'unification autour du calendrier de la Grande-Eglise
(Sainte Sophie) à Constantinople, sans pour cela jamais perdre sa souplesse et
son caractère local. Jusqu'au 15e siècle, par exemple, chaque église et chaque
monastère de Constantinople avait un calendrier propre, mais dont les dates
des principaux saints coïncidaient cependant avec le calendrier général.

Au 8e-9e siècles, l'hérésie iconoclaste, en s'attaquant au culte des saintes


images, visait aussi le culte des saints et en général la présence de tout
intermédiaire entre nous et Dieu. C'est pourquoi, en réaction, les Orthodoxes
insistèrent encore davantage sur le culte des saints. Après la liquidation de
l'hérésie, on couvrit les églises d'icônes, on écrivit avec ardeur de longues vies
des héros de l'Orthodoxie, et on compléta le calendrier et les offices liturgiques.
Les saints hymnographes du monastère du Studion (Sts Théodore, Joseph
etc...) donnèrent à nos offices la forme qu'ils ont aujourd'hui et laissèrent dans
leurs hymnes, après la 6e ode du canon des matines, une place réduite pour la
lecture d'un résumé de la vie des saints du jour, appelé «Synaxaire»: Un
vestige des premières assemblées liturgiques. Du 9 e au 11e siècle on compléta
la rédaction de ces courtes notices du Synaxaire, qui sont le plus souvent des
résumés des vies longues mises au point par S. Syméon le Métaphraste (10 e s)
ou des grands historiens ecclésiastiques (Eusèbe de Césarée, Socrate,
Sozomène, Théodoret...). Les notices du Synaxaire, insérées depuis dans nos
Ménées, ne sont donc que des aide-mémoires. Les vies des saints, leurs
exploits, leurs miracles étaient diffusés par ailleurs dans les vies longues, mais
surtout par la tradition orale et populaire. Comme on peut encore le constater
aujourd'hui dans les pays traditionnellement orthodoxes.

Par la transmission écrite ou orale des actes et miracles des saints, c'est en fait
toute la tradition et la culture orthodoxes qui se diffusent de manière vivante et
populaire. Par les vies des saints, les fidèles orthodoxes ont appris et
apprennent comment se conduire en disciples du Christ en toutes
circonstances, quels sont les dogmes et comment défendre et proclamer la Foi,
comment faire régner l'«esprit du Christ» en toute situation: dans nos pensées,
dans notre comportement moral, dans notre famille, dans notre vie
professionnelle; comment lire, comment prier, comment chanter, comment
regarder la nature, comment utiliser la technique pour la gloire de Dieu et non
pour la service de Satan... Les vies des saints, vivantes dans la tradition de
l'Eglise, ne sont donc pas seulement le guide spirituel dont nous avons parlé
plus haut, mais aussi une véritable encyclopédie orthodoxe". Elles nous
transmettent toutes les connaissances utiles au chrétien: Théologie,
philosophie, morale, psychologie, histoire civile et histoire de l'Eglise,
géographie ecclésiastique, apologétique, exégèse de l'Ecriture Sainte etc... non
pas de manière sèche et académique, mais reflétées de façon simple et
concrète dans la vie de personnes qui ont réellement νecu et expérimenté ces
vertus et ces connaissances. En fait les vies des saints s'identifient avec la
tradition de l'Eglise, elles sont la tradition elle-même. C'est pourquoi les courtes
notices, souvent laconiques, du Synaxaire abrégé ne sauraient remplacer ce
courant d'eaux vivifiantes qu'est la tradition orale et populaire. Là ou elle
manque: dans les pays de mission qui apprennent à connaître le Christ, comme
en Afrique, ou dans ceux qui doivent apprendre à le retrouver, comme en
Europe occidentale, ce merveilleux manuel de catéchisme qu'est le Synaxaire
devra donc être un peu adapté et amplifié pour être mieux compris et servir de
base à l'édification et au rayonnement de la vie orthodoxe. Une simple
traduction lue dans un univers culturel différent, éloigné ou étranger à la
tradition orthodoxe, risquerait d'entraîner parfois de fausses interprétations ou
ne pas apporter tout le profit spirituel qu'elle pourrait. C'est pourquoi, en
entreprenant cette première traduction française du Synaxaire, nous avons cru
nécessaire d'en faire une adaptation plutôt qu'une traduction.

3. PRINCIPES DE LA PRESENTE TRADUCTION


Le Synaxaire est un peu semblable à un large fleuve aux eaux tumultueuses
qui charrient avec elles de la boue, des pierres, des branchages, un peu tout ce
qu'elles ont rencontré sur le chemin, utile ou inutile à la vie. Selon le
témoignage de saint Nicodème l'Hagiorite et de tous ceux qui se sont un peu
penchés sur la tradition du ou plutôt des Synaxaires, il n'est pas de livre
ecclésiastique plus confus, plus mal édité et qui ne comporte autant d'erreurs.
Mais est-ce une raison pour ne pas s'abreuver à ses eaux, nous qui sommes
altérés? Faut-il attendre une édition satisfaisante qui aura résolu tous les
problèmes historiques de saints à double ou triple mémoires, de saints qui n'ont
pas existé ou de ceux dont le récit de la vie est erroné pour entamer une
traduction? Les savants jésuites de la Société des Bollandistes ont commencé
ce travail depuis plus de trois siècles. Ils ne sont pas près d'avoir fini et risquent
souvent de nous noyer dans les tourbillons perfides de la critique rationaliste. Il
est urgent d'offrir aux fidèles de langue française la possibilité de puiser aux
trésors du Synaxaire, et à l'occasion de cette traduction en profiter pour
corriger, compléter, augmenter les notices selon nos possibilités et dans
l'humble soumission à l'esprit de nos saints Pères, plutôt qu'à la lettre. C'est
d'ailleurs ce qu'à fait saint Nicodème l'Hagiorite au 18 e siècle, lorsqu'il fut
chargé d'en donner une traduction en grec moderne du Synaxaire. Comparant
les manuscrits, et avec les moyens de son époque, il s'est efforcé d'en corriger
les nombreuses fautes, les erreurs historiques flagrantes, les répétitions, de
compléter les saints manquants etc; sans avoir la prétention d'être exhaustif ou
infaillible. Les fautes et les incohérences restent nombreuses dans l'édition de
Saint Nicodème, mais cela ne l'empêche pas de nourrir des générations de
fidèles grecs depuis deux siècles. Notre traduction prend beaucoup plus de
liberté à l'égard du texte que celle de saint Nicodème. Nous avons retouché
presque toutes les notices: au moins dans la langue, si ce n'est dans le
contenu, en restant toutefois fidèles à l'esprit des premiers synaxaristes:
présenter un abrégé de la vie du saint d'après ses meilleurs sources, en
relevant les traits les plus caractéristiques et les plus utiles à l'enseignement οu
au profit spirituel des lecteurs. Pour les personnalités qui ont joué un rôle
important dans l'histoire de l'Eglise, nous nous sommes servis des sources et
études historiques à notre portée, afin de mieux mettre en relief leur rôle et d'en
profiter pour décrire et expliquer le sens des hérésies ou des situations dans
lesquelles ils se sont trouvés. Pour les Pères et les écrivains ecclésiastiques,
nous avons essayé de donner un aperçu de leur enseignement théologique et
spirituel. De même pour les saints moines, dont la vie est souvent l'occasion
d'une véritable catéchèse spirituelle. Pour la multitude des martyrs et ascètes,
dont la tradition n'a pas gardé de renseignements historiques précis, nous
avons développé quelques détails caractéristiques au moyen d'allusions
scripturaires ou patristiques, afin de donner une couleur propre à leur
personnalité: comme le faisaient les anciens hagiographes, mais en évitant les
lieux communs rhétoriques, auxquels nous ne sommes plus sensibles. Toutes
ces modifications ou adaptations sont faites toutefois dans les strictes limites de
l'enseignement des saints Pères et de l'histoire ecclésiastique la plus certaine.

Notre source principale est la traduction grecque moderne largement révisée de


saint Nicodème l'Hagiorite5, que nous confrontons constamment avec l'édition
critique du Synaxaire de Constantinople6 laquelle utilise un très grand nombre
de manuscrits. Nous avons corrigé ou souvent allongé ces notices trop brèves
par le recours aux vies longues qui nous sont les plus accessibles 7, aux
sources historiques les plus classiques8 et, le plus souvent possible, aux textes
originaux: Actes des martyrs9, homélies ou éloges des Pères de l'Eglise, Actes
des Conciles œcuméniques, etc...

Dans sa traduction, Saint Nicodème, complétait la liste des saints de l'édition


imprimée du Synaxaire par quelques 650 saints nommés et 59:148 anonymes;
Sophrone Eustratiadis, quant à lui, en rajoute plus de 200, après un examen
plus large des manuscrits et des traditions des Eglises locales. Si l'on ajoute les
saints des Eglises slaves et les saints pouvant être admis dans l'Eglise
Orthodoxe, qui sont contenus dans le Martyrologe Romain, ce sera plusieurs
milliers qu'il faudra ajouter à la liste du synaxaire classique. Dans la mesure du
possible, nous avons complété les saints manquants et pris en considération le
Synaxaire de Constantinople et ses prolongements dans l'Eglise grecque
jusqu'aux saints les plus contemporains.

On pourrait nous reprocher de vouloir ainsi helléniser les pays de missions οu


des pays comme la France, qui ont une si riche tradition de sainteté orthodoxe

5
Ed. Athènes, 1868, 2 volumes.
6
Par Η. Delehaye: Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae «Propylaeum ad Acta sanctorum Novembrie», Bruxelles,
Société des Bollandistes, 1902.
7
Rassemblés pour une grande part dans le Grand Synaxaire de Doukakis, repris, révisé, augmenté, par l'archimandrite
Matthieu Laggis (12 volumes, Athènes, 5e éd. 1978). Cf. également le catalogue complet des vies des saints en grec: F. Halkin,
Bibliotheca Hagiographica Graeca (BHG), Bruxelles, Société des Bollandistes, 3e éd., trois volumes ( 1957) et son supplément:
Auctarium, (1969, 1984).
8
Eusèbe de Césarée (Ed. Sources Chrétiennes), Evagre, Sozomène (PG 67), Théodoret de Cyr (PG 82), Socrate, Théodore
le Lecteur, Théophane le Confesseur, etc... Les histoires ecclésiastiques modernes de Mélétios d'Athènes, de Fliche et Martin, de
Daniélou, etc..., les manuels scientifiques courants de Patristique et d'Histoire de la Théologie, l'Encyclopédie Théologique
Orthodoxe éditée en onze volumes à Athènes (1964 sv) et les études particulières dont nous disposons. Nous utilisons également,
dans une large mesure, les travaux du métropolite Sophronios Eustratiadis, particulièrement son Hagiologion (Athènes, 1948), et
ceux de Μ. Gédeon, surtout son Byzantinon Eortologion (Constantinople, 1899) et aussi dans une large part les recueils
hagiographiques catholiques: Les Petits Bollandistes 17 vols. 7e ed. Paris, 1873; Vies des Saints et Bienheureux par les Bénédictins
de Paris 13 vols. Paris 1935-1959 et la Bibliotheca Sanctorum 12 vols. Rome 1964. Selon les cas, de nombreuses autres sources οnt
eté utilisées, qu'il est superflu de citer ici.
9
En français, Α. Hamman: La Geste du Sang, Paris, Arthème Fayard, 1951, réédité en deux volumes sous les titres: Les
Premiers Martyrs de l'Eglise et Les Martyrs de la Grande Persécution, Paris, DescIée de Brouwer, 1979.
antérieure au Schisme. Mais, à cet égard, il convient de mentionner que les
Synaxaires généraux ont toujours été une généralisation de martyrologes
locaux, dont les saints ainsi assimilés par l'Eglise universelle perdaient leur
caractère local pour prendre une dimension œcuménique. Leur vie devient ainsi
un modèle pour les fidèles de tous les temps et de tous les lieux, surtout pour
les Eglises en cours de formation qui n'ont pas encore leurs saints locaux. Le
Synaxaire grec a été la base du culte des saints dans toutes les missions
orthodoxes, comme en Russie par exemple, et c'est à partir de lui qu'οn a
rajoute les saints locaux. Souvent, lorsque l'histoire n'a pas laissé beaucoup de
renseignements sur l'origine d'un saint, les hagiographes écrivent que sa patrie
était la Jérusalem céleste: Dieu étant son père, la Mère de Dieu sa mère, les
Anges et les saints, ses frères et ses sœurs. Ce n'est pas là simple rhétorique.
En effet, la sainteté dépasse les conditions de temps et de lieu: «Hier et
aujourd'hui, le Christ est le même, et il l'est pour l'éternité» (Hébr 13,8). Le
Christ reste le même pour tous les hommes de tous les temps et de tous les
lieux. Les problèmes fondamentaux de notre nature pécheresse et soumise à la
mort restent aussi identiques par delà les différences de situations, et les
moyens de guérit et de purifier notre âme restent les mêmes. En Christ, les
saints ont atteint l'universel et l'éternel, c'est pourquoi je peux lire aujourd'hui
avec profit l'histoire de tel ou tel saint qui vécut au IVe, au XIIe ou au XVIIIe
siècle, dans les déserts d'Egypte, dans les forêts russes ou dans les îles
grecques. Par conséquent, le fidèle qui se trouve en Afrique ou en France
pourra tirer profit de tous ces saints si différents et si semblables à la fois, sans
se soucier de distinguer entre saints locaux et saints universels.

Nous avons eu toutefois le souci de donner une image générale de la sainteté


orthodoxe, c'est pourquoi nous avons ajouté aux saints du Synaxaire grec les
saints commémorés dans les pays slaves (Russie, Bulgarie, Roumanie,
Serbie).

Dans une troisième section quotidienne, nous avons également inséré des
saints occidentaux, qui ont vécu avant la séparation entre l'Orient et l'Occident.
Mais le problème est là très délicat: nous n'avons pas de catalogue officiel
orthodoxe des saints d'Occident, et la seule date de 1054 est trop arbitraire
pour servir de critère. Les différences de théologie, de conception de la sainteté
et de la vie spirituelle existaient bien avant et, en l'absence d’un critère
absolument objectif pour déterminer si tel ou tel saint occidental est orthodoxe
ou non, nous préférons reculer la limite de notre choix à la période antérieure
au règne de Charlemagne. Cette période marque en effet, aussi bien dans le
domaine politique que dans le domaine ecclésiastique, le commencement des
prétentions de l'Occident à l'universalité en débordant sur le domaine de
l'empire byzantin. Nous préférons donc choisir les saints occidentaux les plus
anciens, car ils sont plus représentatifs de l'Eglise indivise, et leur sainteté
comme leur enseignement ne peuvent être mis en doute. Mais cela ne préjuge
pas bien-sûr de la sainteté de saints occidentaux qui ont νecu entre la fin du
VIIIe et le XIe siècle. Ce n'est qu'après une longue maturation de la présence
orthodoxe en Occident et un examen attentif de chacun de ses saints à l'aide
de critères traditionnellement orthodoxes que l'on pourra parvenir à
l'établissement d’un calendrier orthodoxe d'Occident. Ceci n'est ni notre but, ni
dans nos possibilités, c'est pourquoi nous nous sommes tenus dans ce
Synaxaire aux saints les plus célèbres. Pour ne pas dépasser des limites
raisonnables du catalogue journalier des saints, nous n'avons retenu dans cet
appendice que des saints dont la réputation et la vénération ont été très
largement répandues en Occident, au-delà de la région immédiate ou ils
vécurent ou de la déposition de leurs reliques. Nous leur joignons les grands
moines et fondateurs de grands sièges épiscopaux.

Les notices des saints slaves et géorgiens sont traduites d'après les sources
slaves, en particulier l'admirable «Vies des Saints» de l'Archimandrite Justin
Popovitch (en serbe, Belgrade, 1965-1975). Elles m'ont été fournies par Jean
Besse et Bernard Le Caro, auxquels je dois aussi de nombreux conseils et
corrections. Α partir du mois de novembre, j'ai pu profiter également de la
traduction grecque en cours des vies des saints russes par le Père Isaïe, moine
de Simonos-Petras. C'est pourquoi le choix en est dès lors plus abondant. Dans
les prochains volumes, davantage de saints slaves et occidentaux seront
pourvus d'une notice.

Avant de livrer le lecteur à cette première et très imparfaite adaptation française


du Synaxaire, j'aimerais oser lui dire avec saint Nil de la Sora: «Je prie pour
ceux qui liront ou entendront ceci afin qu'ils puissent en tirer quelque profit.
Qu'ils veuillent bien, pour l'amour de Dieu prier pour moi, afin que je trouve
grâce auprès de lui, car j'ai travaillé dur à cet ouvrage. Tel est pour moi
l'accomplissement du commandement d'aimer Dieu et mon prochain:.
Puissions-nous, recevant les Vies des saints Pères, être pleins de zèle pour
leurs actions et avec eux posséder la vie éternelle. En ceci consiste un
véritable amour du prochain: inciter sa conscience à aimer Dieu et à garder ses
commandements selon ses divines paroles et selon la vie et les enseignements
des saints Pères, pour vivre aussi bien que possible et être sauvés. Si je suis
pécheur, misérable et incapable de faire quelque chose de bon, au moins je
souhaite le salut de beaucoup de mes frères» 10.

Par les prières de nos saints Pères,

Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, Aie pitié de nous. Amen.

Ι.Μ. Simonos-Petras

Sainte Montagne de l'Athos

10
Cité dans G.A. Maloney: La spiritualité de Nil Sorskij. «Spiritualité orientale» 25, Abbaye de Bellefontaine, 1978, p. 88.

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