Macaire, Le Synaxaire
Macaire, Le Synaxaire
Macaire, Le Synaxaire
Introduction a Le Synaxaire
Ils sont devenus concitoyens des Anges et frères du Christ. Et Lui, tel le soleil
se reflétant sur les eux, apparaît en eux à la fois innombrable et unique. Les
saints qui habitent aujourd'hui la Jérusalem céleste, la Terre des Vivants, la Cité
du grand Roi, sont astres multiples d'un firmament spirituel qu' éclaire le Christ,
«Soleil de Justice» (Malachie 4, 2). «Α mes yeux tes amis ont beaucoup de
prix, ô Dieu -chante David le Roi prophète-, je les compte et ils sont plus
nombreux que le sable» (Ps 138,17). Les milliers de saints que l'on trouve
commémorés dans tous les synaxaires et martyrologes d'Orient et d'Occident,
ne représentent qu'une petite partie de cette «grande assemblée» (cf. Ps 39,10;
81,1 etc.). Ce sont les saints qui ont fait l'objet d'un culte public. Mais combien
plus nombreux sont ceux qui cachèrent Dieu dans le secret de leur coeur, en
restant humblement ignorés de tous et protégés de la vaine gloire des hommes
là ou le Seigneur les avait placés. De tous temps, de toutes régions, de toutes
conditions: patriarches, prophètes, apôtres, martyrs, confesseurs, évêques,
prêtres, diacres, moines et vierges, hommes et femmes, enfants et vieillards,
pauvres et riches, princes, prostituées et brigands... ils ont par amour de Dieu
et dans les souffrances volontaires fait éclore en notre nature humaine les
fleurs variées de la Grâce du Saint-Esprit. «Α l'un en effet, c'est le discours de
sagesse qui est donné par L' Esprit, à un autre, le discours de science selon le
même Esprit; à un autre, la foi dans le même Esprit; à un autre les dons de
guérison dans cet unique Esprit; à un autre le pouvoir d'opérer des miracles; à
un autre la prophétie, à un autre le discernement des esprits; à un autre
diverses sortes de langues; à un autre l'interprétation des langues. Mais tout
cela, c'est l'œuvre de l'unique et même Esprit qui distribue ses dons à chacun
en particulier selon son gré» (1Corinthiens 12,8-11).
Les saints brillent de la lumière de Dieu, sont devenus dieux par la Grâce du
Saint-Esprit, dans la mesure même ou «baptisés dans le Christ», ils ont
«revenu le Christ» (Galates 3, 27). Dans la mesure ou avec le Christ ils ont pris
leur croix (cf. Mat. 16, 24 etc.), afin de crucifier en eux le vieil homme plein de
passions, de péchés et d'impuretés, ils ont pu aussi participer à la gloire de Sa
Résurrection. En communiant à la Passion du Christ par le martyre, l'ascèse,
les larmes et la pratique de toutes les vertus évangéliques, les saints ont vaincu
la mort avec Lui. Ils sont désormais vivants en Dieu, car le Christ a fait en eux
sa demeure. «Je suis crucifié avec le Christ», nous clament-ils: «ce n'est plus
moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi» (Gal. 2,19-20). Le Christ est monté au
ciel, mais il n'a pas quitté l'Eglise de la terre. Le Christ est monté au ciel, mais il
nous a envoyé le Saint-Esprit qui fait de tous les saints comme autant de
«christs», de dieux par la Grâce. L'œuvre de notre Seigneur Jésus-Christ et sa
Personne elle- même, divine et humaine, sont à la fois répétées et prolongées
par la vie des saints dans l'Eglise, sous l'action du Saint-Esprit.
Les saints vivent dans le Christ Jésus et le Christ vit en eux. Il répète dans les
saints de manière incessante, jusqu'à la fin du monde, le mystère unique de Sa
mort et de Sa résurrection, de l'Incarnation de Dieu et de la déification de
l'homme. Souvent, dans les fresques qui représentent les martyrs -et surtout
dans certains réfectoires du Mont-Athos, où sont peints les saints militaires- on
peut remarquer que les saints ont des postures, des vêtements, des attributs
différents, mais qu'ils possèdent à peu près tous le même visage, et ce visage
est celui du Christ. Tels sont en effet les saints: identiques en Christ, mais
infiniment divers dans leurs caractères personnels et les conditions dans
lesquelles ils ont reproduit l'œuvre du Christ, dans un lieu donné et à un
moment précis. Toutefois, cette reproduction de la Passion du Seigneur n'est
pas chez les saints morne répétition. Elle est toujours nouvelle, toujours
originale, toujours unique et contribue de manière irremplaçable à l'édification
de l'Eglise des «premiers nés». Le Seigneur Jésus a ouvert la voie, il a sauvé la
nature humaine en mettant à mort la mort dans son propre corps, mais il faut
maintenant que chacun de nous, que chaque personne, participe librement à
cette oeuvre de Salut. «Ce qui manque aux tribulations du Christ, écrit saint
Paul, je le complète dans ma chair au profit de son corps qui est l'Eglise»
(Colossiens 1,24). Ces paroles de l'Apôtre ne signifient pas qu'il manquât quoi
que ce soit à l'œuvre du Christ et à notre Rédemption, mais seulement que
chacun d'entre nous doit communier volontairement et de manière personnelle
à Sa Passion pour avoir part à «l'héritage des saints dans la lumière» de Dieu
(ibid).
Unis au Christ par la foi et la grâce, les saints accomplissent les œuvres du
Christ (cf. Jn 14,10). En habitant en eux par le Saint-Esprit, c'est le Christ lui-
même qui par eux fait des miracles, convertit les païens, enseigne les secrets
de la science spirituelle, réconcilie les ennemis et donne à leur corps la force
d'affronter avec joie les plus horribles tortures; de sorte que l'Evangile ne cesse
d'être écrit jusqu'à aujourd'hui par les œuvres évangéliques des saints 1. Voilà
pourquoi les saints proches et lointains, anciens et nouveaux, nous sont des
guides sûrs pour trouver le Christ qui habite en eux. «Devenez mes imitateurs,
tout comme je le suis moi-même du Christ» (1Cor 11,1), nous disent-ils avec
saint Paul. Si nous voulons faire resplendir en nous l'image du Christ, il nous
faut donc regarder souvent vers les saints pour avoir des exemples historiques,
vécus, pratiques de la manière à suivre. Le peintre qui désire faire le portrait
d'une personne qu'il ne voit pas corporellement, se sert d'autres reproductions,
les regarde attentivement, les compare pour s'en inspirer; de même, il nous faut
regarder vers les saints, lire leurs vies, les comparer, pour savoir comment
progresser dans la vie en Christ.
Mais, dira-t-on, comment donc imiter ces martyrs qui ont souffert de si terribles
tourments, alors qu'il n'y a plus de persécutions? Comment suivre la voie de
ces ascètes qui se sont retirés au fond des déserts pour soumettre leur corps à
des austérités que personne ne pourrait supporter aujourd'hui? Cela n'est pas
possible. Certes, les conditions géographiques, historiques, sociologiques etc...
dans lesquelles nous nous trouvons sont fort différentes de celles dans
lesquelles vécurent nombre de saints dont nous lisons la vie. Mais est-ce là
vraiment une raison pour dire que la sainteté n'est pas possible et pour nous
livrer à la négligence ou réduire l'Évangile à une simple morale? Le Seigneur
n'a-t-il pas dit que le «Royaume des cieux est objet de violence et que ce sont
les violents qui s'en emparent» (Mat11,12)? Le langage de la Croix n'a-t-il pas
«rendu folle lα sagesse du monde» (Ι Cor.1,20)? De tels arguments, aussi
raisonnables soient-ils, ne reviennent-ils pas à «vider la Croix de son contenu»
(idem 17) en justifiant notre paresse et nos passions? Les exploits des martyrs
1
Justin Popovitch: «Avec tous les saints» (prologue de son grand Synaxaire) en grec dans Άνθρωπος και Θεάνθρωπος.
Athènes, 1969, . 83-84, 86.
et des ascètes sont des réalités historiques, la gloire et l'ornement de l'Eglise, et
ils ne nous paraissent inaccessibles ou exagérés qu'à cause de notre manque
de foi et d'amour de Dieu. Il nous est facile d'écouter l'enseignement de
l'Evangile, d'assister à la divine Liturgie, de prier dans notre chambre, mais
croyons nous vraiment que le «Royaume de Dieu ne consiste non en paroles,
mais en puissance» (1Cor 4,20), et que, par la grâce de Dieu, notre nature
humaine peut être élevée au-dessus d'elle-même et accomplir des œuvres qui
semblent impossibles, à ceux qui sont prisonniers de ce monde. La lecture des
exploits des saints ne porte au découragement que les orgueilleux qui se
confient en leur propre force; pour les humbles, elle est une occasion de voir
leur propre faiblesse, de pleurer sur leur impuissance et d'implorer le secours
de Dieu2. Lisons donc la vie des saints en psalmodiant avec David: «Dieu est
admirable dans ses saints, lui le Dieu d'Israël» (Ps 67,35). Tout comme eux,
nous n'avons que notre faiblesse à offrir au Seigneur (2Cor 11,30). C'est Lui qui
agit et nous donne la victoire. Ceux qui sont prisonniers de la vaine gloire de ce
monde mettent tout leur soin, nous dit saint Jean Chrysostome, à orner leur
demeure de fresques, de peintures et d'objets précieux, de même, en lisant la
vie des saints, il nous faut, nous les fils de la Résurrection, orner la maison de
notre âme par le souvenir de leurs souffrances et de leurs exploits, afin de la
préparer à recevoir le Christ et être à jamais la demeure du Roi du Ciel 3.
En lisant assidûment la vie des saints, en vivant «avec tous les saints»
(Ephésiens 3,18), en nous promenant chaque jour dans ce jardin spirituel qu'est
le Synaxaire, nous trouverons peu à peu certains saints qui attirent davantage
notre sympathie, notre émotion, notre affection. Ils deviendront pour nous
comme des amis intimes à qui nous aimerons confier nos joies et nos peines, à
qui nous demanderons plus spécialement le secours de leurs prières; dont nous
aimerons relire souvent la vie, chanter les tropaires et vénérer l'icône. Ces amis
intimes seront pour nous des guides privilégiés sur la route étroite qui nous
mène au Christ (Cf. Mat 7,14) et une puissante consolation. Nous ne sommes
pas seuls sur ce chemin et dans ce combat, nous avons avec nous notre Mère,
la Toute-Sainte Mère-de-Dieu, notre Ange Gardien, le saint dont nous portons le
nom et ces quelques amis que nous aurons choisis parmi la Grande Assemblée
des témoins de l'Agneau. Lorsque nous trébucherons par le péché, ils nous
relèveront; lorsque nous serons tentés par le désespoir, ils nous rappelleront
2
«Il est tout à fait déraisonnable celui qui, entendant parler de vertus au-dessus de la nature chez les saints, désespère de
lui même. Tout au contraire, elles t'enseignent excellemment une de ces deux choses: ou bien elles éveillent en toi l'émulation grâce
à leur saint courage, ou bien elles te conduisent, au moyen de la trois fois sainte humilité, à un profond mépris de toi-même et à la
conscience de ta faiblesse congénitale». S. Jean Climaque: L'Echelle Sainte 26, ΙΙΙ (trad. Ρ. Placide Deseille). «Spiritualité Orientale
24» Abbaye de Bellefontaine, 1978, p. 253. Cf. aussi SS Barsanuphe et Jean de Gaza: Correspondance lettres 600 et 689 Abbaye de
Solesmes, 1971.
3
S. Jean Chrysostome: Homélie sur tous les saints martyrs (PG 50, 761 CD).
qu'avant nous, et plus que nous, ils ont souffert pour le Christ et goûtent
désormais à la joie éternelle. Ainsi, sur le chemin rocailleux de cette vie, ces
saints amis nous feront voir un peu de la lumière de la Résurrection. Cherchons
donc dans les vies des saints ces quelques amis intimes et «avec tous les
saints», marchons vers le Christ.
Un jour, un moine doux et simple de l'Athos -un de ceux à qui le Christ a promis
la terre en héritage (cf. Mat 5,5)- se préparait, comme d'habitude, à prier le
saint du jour avec d'abondantes larmes et de nombreuses prosternations. Mais
au moment de regarder sur son calendrier, il constata qu'il l'avait égaré et
n'avait plus aucun moyen de savoir quel était le saint du jour. Aussi commença-
t-il sa prière en disant: «Saint du jour, intercède pour nous!» Après quelques
instants, le saint apparut devant lui et lui révéla son nom: Lucien (13 sept., 15
oct. 25 oct. ou 7 juil.). Sans guère s'étonner, le bon vieillard compléta donc sa
prière par le nom du saint, mais comme il était un peu sourd et n'avait pas bien
compris le nom, il dit: «Saint Lucillien, intercède pour nous!». Le saint apparut
alors de nouveau et lui dit sur un ton de reproche: «Je ne suis pas Lucillien (Cf.
3 juin), mais Lucien», et il disparut, laissant le moine continuer paisiblement sa
prière. Cette petite anecdote illustre bien quelle familiarité nous devons avoir
avec les saints et montre combien ils sont proches de nous, interviennent dans
notre vie quotidienne, nous écoutent dans nos prières; nous reprennent dans
nos chutes, nous montrent par d'innombrables signes de leur présence que
notre vie n'est pas vraiment de ce monde, que nous vivons comme des
étrangers et des voyageurs entre le ciel et la terre.
Nous pouvons communiquer quotidiennement avec les saints dans notre vie
spirituelle de trois façons: en chantant leurs hymnes et leur office liturgique, en
vénérant leur icône et en lisant leur vie dans le Synaxaire: S'il est difficile à ceux
qui vivent dans le monde de se rendre chaque jour à l'église pour chanter les
louanges des saints, tous les chrétiens peuvent cependant chez eux, seuls ou
en famille, chanter le tropaire des saints du jour, tous peuvent vénérer leur
icône, tous peuvent consacrer quelques instants à lire ou à relire leur vie dans
le Synaxaire. Toutefois, la lecture quotidienne de ces résumés de la vie des
saints ne nous sera vraiment profitable que si nous les approchons avec les
mêmes dispositions que lorsque nous vénérons une icône. Aussi imparfaites
soient-elles, les notices du Synaxaire sont en effet dans le domaine du récit ce
que sont les icônes dans le domaine de l'image: elles nous rendent le saint
présent et peuvent nous apporter autant de grâce que-les saintes icônes. Tout
dépend de la simplicité de notre cœur. Ainsi, ou que nous nous trouvions, quel
que soit l'état de notre avancement spirituel, quel que soit notre désir de
consacrer notre vie à Dieu, nous trouverons dans le Synaxaire un
renouvellement de nos forces et comme un avant-goût de la Vie éternelle, où
tous les saints danseront avec les Anges autour du trône de Dieu en disant:
«Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu/ le Tout-Puissant,/ Qui était, qui est et
qui vient» (Apoc 4,8)4.
Aux premiers temps de la vie de l'Eglise, lorsque les chrétiens étaient organisés
en petites communautés locales qui devaient souvent rester clandestines et
cachées par crainte des persécutions, les fêtes liturgiques n'étaient pas aussi
nombreuses ni aussi fastueuses qu'aujourd'hui. La vie liturgique était alors
centrée sur la célébration hebdomadaire du Jour du Seigneur (dimanche), ou
tous communiaient aux saints Mystères. On prit également l'habitude d'aller
célébrer l'Eucharistie sur la tombe des martyrs de communauté, le jour
anniversaire de leur «naissance au ciel». Lors de cette réunion (Synaxis),
l'évêque du lieu, ou quelque évêque d'une communauté voisine, renommé pour
son éloquence, prononçait le panégyrique du saint. Lorsqu'on les possédait, on
lisait les Actes du procès et de l'exécution du martyr, et plus tard, le récit de ses
miracles posthumes pieusement rassemblés en recueil. Chaque église locale
avait ainsi son propre calendrier liturgique, appelé «martyrologe». Mais peu à
peu le culte de certains saints s'étendit au delà des limites de leur église
d'origine: principalement à cause des miracles accomplis par leurs reliques.
Celles-ci attiraient les pèlerins et encourageaient d'autres églises à honorer le
saint pour jouir de sa protection; surtout si elles avaient pu obtenir quelques
fragments de ces saintes reliques. On vit alors apparaître des Martyrologes
généraux, communs à de grandes régions ecclésiastiques, qui ne supprimèrent
pas les Martyrologes locaux, mais se développèrent parallèlement et les
absorbèrent progressivement. Avec les luttes contre les hérésies et les
nombreux confesseurs de la foi qu'elles occasionnèrent, on ajouta aux fêtes
des martyrs, celles des saints évêques ou saints prêtres qui offrirent leur vie
pour la pureté de la doctrine. Désormais les communautés plus grandes ne
pouvaient plus se réunir dans des maisons particulières, c'est pourquoi on
construisit de vastes basiliques au-dessus du tombeau des martyrs et l'on prit
l'habitude de se réunir non seulement pour la fête du martyr, mais aussi pour
4
Ρ. Justin Popovitch: art cit.
les synaxes régulières, hebdomadaires ou même quotidiennes. Au quatrième
siècle, avec la cessation des persécutions et bientôt la reconnaissance du
Christianisme comme religion officielle de l'empire romain, cette évolution
liturgique se précipita. On construisit partout des églises splendidement ornées,
on développa la poésie liturgique, on institua de nouvelles fêtes: du Seigneur,
de la Mère de Dieu, des saints et des martyrs à la renommée universelle. De
sorte que chaque jour de l'année fut bientôt occupé par la mémoire d'un ou
plusieurs saints (martyrs, confesseurs, ascètes) locaux ou généraux. La lecture
des Actes fut rejetée dans un cadre extra-liturgique et remplacée par les
hymnes. On porta désormais davantage l'accent sur l'aspect mystérique et
initiatique de l'assemblée liturgique, considérée comme «le ciel sur la terre»,
l'anticipation en ce monde du Royaume des Cieux, le moment redoutable de la
réconciliation de toutes choses dans le Corps du Christ, sous l'espèce des
précieux Dons eucharistiques. L'aspect universel et cosmique de l'Eglise prime
désormais sur l'aspect local et de repas fraternel des premiers siècles. C'est
pourquoi, pendant toute la période byzantine, le calendrier des saints a
constamment tendu à l'unification autour du calendrier de la Grande-Eglise
(Sainte Sophie) à Constantinople, sans pour cela jamais perdre sa souplesse et
son caractère local. Jusqu'au 15e siècle, par exemple, chaque église et chaque
monastère de Constantinople avait un calendrier propre, mais dont les dates
des principaux saints coïncidaient cependant avec le calendrier général.
Par la transmission écrite ou orale des actes et miracles des saints, c'est en fait
toute la tradition et la culture orthodoxes qui se diffusent de manière vivante et
populaire. Par les vies des saints, les fidèles orthodoxes ont appris et
apprennent comment se conduire en disciples du Christ en toutes
circonstances, quels sont les dogmes et comment défendre et proclamer la Foi,
comment faire régner l'«esprit du Christ» en toute situation: dans nos pensées,
dans notre comportement moral, dans notre famille, dans notre vie
professionnelle; comment lire, comment prier, comment chanter, comment
regarder la nature, comment utiliser la technique pour la gloire de Dieu et non
pour la service de Satan... Les vies des saints, vivantes dans la tradition de
l'Eglise, ne sont donc pas seulement le guide spirituel dont nous avons parlé
plus haut, mais aussi une véritable encyclopédie orthodoxe". Elles nous
transmettent toutes les connaissances utiles au chrétien: Théologie,
philosophie, morale, psychologie, histoire civile et histoire de l'Eglise,
géographie ecclésiastique, apologétique, exégèse de l'Ecriture Sainte etc... non
pas de manière sèche et académique, mais reflétées de façon simple et
concrète dans la vie de personnes qui ont réellement νecu et expérimenté ces
vertus et ces connaissances. En fait les vies des saints s'identifient avec la
tradition de l'Eglise, elles sont la tradition elle-même. C'est pourquoi les courtes
notices, souvent laconiques, du Synaxaire abrégé ne sauraient remplacer ce
courant d'eaux vivifiantes qu'est la tradition orale et populaire. Là ou elle
manque: dans les pays de mission qui apprennent à connaître le Christ, comme
en Afrique, ou dans ceux qui doivent apprendre à le retrouver, comme en
Europe occidentale, ce merveilleux manuel de catéchisme qu'est le Synaxaire
devra donc être un peu adapté et amplifié pour être mieux compris et servir de
base à l'édification et au rayonnement de la vie orthodoxe. Une simple
traduction lue dans un univers culturel différent, éloigné ou étranger à la
tradition orthodoxe, risquerait d'entraîner parfois de fausses interprétations ou
ne pas apporter tout le profit spirituel qu'elle pourrait. C'est pourquoi, en
entreprenant cette première traduction française du Synaxaire, nous avons cru
nécessaire d'en faire une adaptation plutôt qu'une traduction.
5
Ed. Athènes, 1868, 2 volumes.
6
Par Η. Delehaye: Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae «Propylaeum ad Acta sanctorum Novembrie», Bruxelles,
Société des Bollandistes, 1902.
7
Rassemblés pour une grande part dans le Grand Synaxaire de Doukakis, repris, révisé, augmenté, par l'archimandrite
Matthieu Laggis (12 volumes, Athènes, 5e éd. 1978). Cf. également le catalogue complet des vies des saints en grec: F. Halkin,
Bibliotheca Hagiographica Graeca (BHG), Bruxelles, Société des Bollandistes, 3e éd., trois volumes ( 1957) et son supplément:
Auctarium, (1969, 1984).
8
Eusèbe de Césarée (Ed. Sources Chrétiennes), Evagre, Sozomène (PG 67), Théodoret de Cyr (PG 82), Socrate, Théodore
le Lecteur, Théophane le Confesseur, etc... Les histoires ecclésiastiques modernes de Mélétios d'Athènes, de Fliche et Martin, de
Daniélou, etc..., les manuels scientifiques courants de Patristique et d'Histoire de la Théologie, l'Encyclopédie Théologique
Orthodoxe éditée en onze volumes à Athènes (1964 sv) et les études particulières dont nous disposons. Nous utilisons également,
dans une large mesure, les travaux du métropolite Sophronios Eustratiadis, particulièrement son Hagiologion (Athènes, 1948), et
ceux de Μ. Gédeon, surtout son Byzantinon Eortologion (Constantinople, 1899) et aussi dans une large part les recueils
hagiographiques catholiques: Les Petits Bollandistes 17 vols. 7e ed. Paris, 1873; Vies des Saints et Bienheureux par les Bénédictins
de Paris 13 vols. Paris 1935-1959 et la Bibliotheca Sanctorum 12 vols. Rome 1964. Selon les cas, de nombreuses autres sources οnt
eté utilisées, qu'il est superflu de citer ici.
9
En français, Α. Hamman: La Geste du Sang, Paris, Arthème Fayard, 1951, réédité en deux volumes sous les titres: Les
Premiers Martyrs de l'Eglise et Les Martyrs de la Grande Persécution, Paris, DescIée de Brouwer, 1979.
antérieure au Schisme. Mais, à cet égard, il convient de mentionner que les
Synaxaires généraux ont toujours été une généralisation de martyrologes
locaux, dont les saints ainsi assimilés par l'Eglise universelle perdaient leur
caractère local pour prendre une dimension œcuménique. Leur vie devient ainsi
un modèle pour les fidèles de tous les temps et de tous les lieux, surtout pour
les Eglises en cours de formation qui n'ont pas encore leurs saints locaux. Le
Synaxaire grec a été la base du culte des saints dans toutes les missions
orthodoxes, comme en Russie par exemple, et c'est à partir de lui qu'οn a
rajoute les saints locaux. Souvent, lorsque l'histoire n'a pas laissé beaucoup de
renseignements sur l'origine d'un saint, les hagiographes écrivent que sa patrie
était la Jérusalem céleste: Dieu étant son père, la Mère de Dieu sa mère, les
Anges et les saints, ses frères et ses sœurs. Ce n'est pas là simple rhétorique.
En effet, la sainteté dépasse les conditions de temps et de lieu: «Hier et
aujourd'hui, le Christ est le même, et il l'est pour l'éternité» (Hébr 13,8). Le
Christ reste le même pour tous les hommes de tous les temps et de tous les
lieux. Les problèmes fondamentaux de notre nature pécheresse et soumise à la
mort restent aussi identiques par delà les différences de situations, et les
moyens de guérit et de purifier notre âme restent les mêmes. En Christ, les
saints ont atteint l'universel et l'éternel, c'est pourquoi je peux lire aujourd'hui
avec profit l'histoire de tel ou tel saint qui vécut au IVe, au XIIe ou au XVIIIe
siècle, dans les déserts d'Egypte, dans les forêts russes ou dans les îles
grecques. Par conséquent, le fidèle qui se trouve en Afrique ou en France
pourra tirer profit de tous ces saints si différents et si semblables à la fois, sans
se soucier de distinguer entre saints locaux et saints universels.
Dans une troisième section quotidienne, nous avons également inséré des
saints occidentaux, qui ont vécu avant la séparation entre l'Orient et l'Occident.
Mais le problème est là très délicat: nous n'avons pas de catalogue officiel
orthodoxe des saints d'Occident, et la seule date de 1054 est trop arbitraire
pour servir de critère. Les différences de théologie, de conception de la sainteté
et de la vie spirituelle existaient bien avant et, en l'absence d’un critère
absolument objectif pour déterminer si tel ou tel saint occidental est orthodoxe
ou non, nous préférons reculer la limite de notre choix à la période antérieure
au règne de Charlemagne. Cette période marque en effet, aussi bien dans le
domaine politique que dans le domaine ecclésiastique, le commencement des
prétentions de l'Occident à l'universalité en débordant sur le domaine de
l'empire byzantin. Nous préférons donc choisir les saints occidentaux les plus
anciens, car ils sont plus représentatifs de l'Eglise indivise, et leur sainteté
comme leur enseignement ne peuvent être mis en doute. Mais cela ne préjuge
pas bien-sûr de la sainteté de saints occidentaux qui ont νecu entre la fin du
VIIIe et le XIe siècle. Ce n'est qu'après une longue maturation de la présence
orthodoxe en Occident et un examen attentif de chacun de ses saints à l'aide
de critères traditionnellement orthodoxes que l'on pourra parvenir à
l'établissement d’un calendrier orthodoxe d'Occident. Ceci n'est ni notre but, ni
dans nos possibilités, c'est pourquoi nous nous sommes tenus dans ce
Synaxaire aux saints les plus célèbres. Pour ne pas dépasser des limites
raisonnables du catalogue journalier des saints, nous n'avons retenu dans cet
appendice que des saints dont la réputation et la vénération ont été très
largement répandues en Occident, au-delà de la région immédiate ou ils
vécurent ou de la déposition de leurs reliques. Nous leur joignons les grands
moines et fondateurs de grands sièges épiscopaux.
Les notices des saints slaves et géorgiens sont traduites d'après les sources
slaves, en particulier l'admirable «Vies des Saints» de l'Archimandrite Justin
Popovitch (en serbe, Belgrade, 1965-1975). Elles m'ont été fournies par Jean
Besse et Bernard Le Caro, auxquels je dois aussi de nombreux conseils et
corrections. Α partir du mois de novembre, j'ai pu profiter également de la
traduction grecque en cours des vies des saints russes par le Père Isaïe, moine
de Simonos-Petras. C'est pourquoi le choix en est dès lors plus abondant. Dans
les prochains volumes, davantage de saints slaves et occidentaux seront
pourvus d'une notice.
Ι.Μ. Simonos-Petras
10
Cité dans G.A. Maloney: La spiritualité de Nil Sorskij. «Spiritualité orientale» 25, Abbaye de Bellefontaine, 1978, p. 88.