Editions Komintern Article
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Avant mars 1919, les bolcheviques russes ont mis en place des
structures de propagande à différents niveaux de l’appareil d’état 5. Iakov
Reich, alias Thomas6, travaillait pour la section de propagande du Conseil
des Soviets, alors dirigé par Iakov Sverdlov 7 : « On y publiait des bulletins
que l’on expédiait par le Nord ( à travers la Finlande) », raconte t-il. Aux
Affaires étrangères, les services de propagande sont organisés par pays
de destination, la section française étant dirigée par Nicolaï Niourine8.
Dans un premier temps, l’organisation du Komintern est peu
élaborée9 et il faut attendre le IV e Congrès (novembre – décembre 1920)
pour que soit un créer un véritable département d’Agit-Prop 10. Mais on en
trouve des traces dès 1919, qui illustrent la nécessité de la propagande
politique pour cette nouvelle organisation. Gregori Zinoviev, premier
président de l’International engage ainsi Victor Serge, journaliste
socialiste expulsé de France, dès son arrivée à Petrograd en février
191911. Ce dernier devient responsable du service des langues latines des
Editions du Komintern, organisme dirigé par Vladimir Ossipovitch
Liechtenstadt dit Mazine12. Les responsables de Service d’éditions de l’IC
se succèdent : en octobre 1919, le Service est dirigé par Kabetski puis en
4 Sophie Cœuré. La Grande Lueur à l’Est : les Français et l’Union soviétique, 1917-1939.
Le Seuil, 1999, p. 35
5 ·Marcel Body. Les groupes communistes français de Russie, 1918-1921. Contributions
à l’histoire du Comintern. Genève : Librairie Droz, 1965. p. 39-65. Sophie Cœuré. La
Grande Lueur à l’Est : les Français et l’Union soviétique, 1917-1939. Le Seuil, 1999, p.
33.
6 Pierre Broué. Histoire de l’internationale communiste, 1919-1943. Fayard, 1997, p. 93-
94.
7 Iakov Mikhaïlovitch Sverdlov (1885-1919) est président du Comité exécutif des
Soviets. Victor Serge. Mémoire d’un révolutionnaire et autres écrits politiques 1908-
1947. Robert Laffont, 2001, p. 300.
Thomas est polonais, installé en Suisse, où il est rédacteur en chef du Bulletin de la
mission diplomatique de Berne et s’occupe d’une maison d’édition. Expulsé de Suisse, il
rejoint Moscou en février 1919, où il est embauché au Commissariat du peuple des
Affaires étrangères. In : Le Récit du Camarade Thomas. Contributions à l’histoire du
Comintern. Genève : Librairie Droz, 1965. p. 5-27
8 Marcel Body. Un ouvrier limousin au cœur de la révolution russe. Spartacus, 1986. p.
75.
9 Serge Wolikow. L’Internationale communiste, 1919-1943. Komintern : l’histoire et les
hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste en France, à
Moscou, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse (1919-1943). Editions de l’Atelier, 2001,
p. 15-92.
10 Biographical dictionary of the comintern / sous la direction Branko Lazitch. Stanford :
Hoover Institute Press, 1986, p. xxv.
11 Pierre Pascal. Mon journal de Russie. En communisme, 1918-1921. Lausanne : L’Age
d’homme, 1977. p. 108 ; Jean-Louis Panné. L’Affaire Victor Serge et la gauche française.
Communisme, 1984, n° 5, p. 89-104.
12 V. O. Liechtendat est un ancien maximaliste, terroriste, qui a participé la révolution
de 1905. Il rallie les bolcheviks en 1919 au moment de fondation du Komintern. C’est à
lui qu’est confiée la tâche de recruter les premiers « fonctionnaires » de l’Internationale
à Petrograd. En 1919, il s’engage dans l’Armée rouge et meurt quelques semaines plus
tard en octobre lors de l’offensive d’Ioudenitch. Biographical dictionary of the comintern
/ sous la direction Branko Lazitch. Stanford : Hoover Institute Press, 1986, p. 265. Pierre
Broué. Histoire de l’internationale communiste, 1919-1943. Fayard, 1997, p. 1037.
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1921 par Iakov Novomirski (1882- 1936) 13. A l’origine, le Service de l’IC
en charge de la propagande se trouve à Petrograd, alors que les autres
services sont à Moscou. Il est logé dans l’immeuble de l’ancien Institut
Smolny14, et à l’automne 1921, il quitte Petrograd pour Moscou et Berlin,
où on édite la revue l’Internationale communiste en russe, allemand,
français et anglais15.
Mais il ne suffit pas de publier, il faut faire sortir ces publications de
Russie. Des bureaux sont créés à Amsterdam et Berlin en novembre 1919.
Les relations hors de Russie s’intensifient à partir de 1920, grâce à une
organisation plus solide et d’un contexte politique européen plus
favorable16. En 1919, Berlin devient le siège du secrétariat de la III e
Internationale pour l’Europe occidentale (WES puis WEB) 17, dirigé par
Thomas jusqu’en avril 1925. Le WEB doit diffuser et publier des journaux
et des brochures et aider aux transports des hommes et de l’argent.
Thomas met sur pieds une maison d’édition à Hambourg 18, appelée
‘Verlag Kommunisticher Internationale’, vers 1920. Puis, à partir de 1920,
plusieurs structures sont mises en place à Leipzig, à Berlin (Wesliches
Sekretariat der Kommunistischen Internationale, Kommissions-Verlag,
Franne-Verlag) et à Vienne19. En 1920, on crée une Section pour les
liaisons internationales (dite OMS), qui assure aussi les courriers, les
envoies de papiers d’argent et la propagande imprimée 20, d’où un conflit
de compétence avec le WEB21.
La variété de ces organisations (Soviets, Affaires étrangères,
Internationale communiste) montre au moment une volonté ferme de
13 Victor Serge. Mémoire d’un révolutionnaire et autres écrits politiques 1908-1947.
Robert Laffont, 2001, p. 628.
14 Marcel Body, « Les groupes communistes français de Russie, 1918-1921 ».
Contributions à l’histoire du Comintern. Genève : Librairie Droz, 1965. p. 39-65. On
parle d’ailleurs dans les premiers temps des Editions Smolny.
15 La création de la revue a été décidée dès la naissance du Komintern le 26 mars 1919.
Le Récit du Camarade Thomas. Contributions à l’histoire du Comintern. Genève :
Librairie Droz, 1965. p. 5-27.
16 Pierre Broué. Histoire de l’internationale communiste, 1919-1943. Fayard, 1997, p.
93-94.
17 Annie Kriegel. Aux origines du communisme français, 1914-1920 : Contribution à
l’histoire du mouvement ouvrier français. La Haye : Mouton, 1964, p. 559-568.
L’abréviation signifie : Western European Secrétariat, puis Western European Bureau à
la fin des années 1920.
18 Thomas a également acheté à Hambourg une maison d’édition « normale », Carl
Hoym, qui lui sert de façade légale.
19 Le Récit du Camarade Thomas. Contributions à l’histoire du Comintern. Genève :
Librairie Droz, 1965. p. 5-27.
20 Mikhaïl Narinski et Serge Wolikow, Ossip Piatniski. Komintern : l’histoire et les
hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste en France, à
Moscou, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse (1919-1943). Editions de l’Atelier, 2001,
p. 455-457.
21 Branko Lazitch. La Formation de la section des liaisons internationales du Komintern
(OMS), 1921 – 1923. Communisme, 1983, n°4, p. 65-80. Thomas responsable du WEB
jusqu’en 1925 est à l’époque secondé par Elena Stassova, qui sera ensuite un des
responsables du Secours rouge international. De juillet 1921 à décembre 1922, l’OMS
est dirigée par Ossip Piatniski, membre du parti bolchevik depuis 1902, qui continua à
s’en occuper en tant membre de la section d’organisation
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diffuser la parole révolutionnaire, et la révolution, ce qui est l’objectif
jusqu’en 1920. L’agit-prop est une activité essentielle de la politique du
Komintern. Mais l’organisation a besoin de relais vers l’extérieur. Là
encore, il existe plusieurs cas de figure, comme le montre l'exemple
français.
Tout d'abord, les Bolcheviques trouvent leur premier réseau à
l'étranger… en Russie. En mai 1918, est créée la Fédération des groupes
étrangers auprès du Comité central du Parti communiste russe. Ces
groupes sont considérés des foyers de propagandistes communistes
pouvant agir vers leur pays d’origine 22. Le premier groupe communiste
français à Moscou est fondé le 4 septembre 1918 23. Il est composé d’une
douzaine de personnes, aux origines diverses, dont René Marchand
journaliste, et des membres de la mission militaire française (Jacques
Sadoul, Robert Petit, Marcel Body, Pierre Pascal)24. Avec les moyens
fournis par le Commissariat du peuple aux Affaires étrangères, ils
organisent la propagande pour les troupes françaises arrivées en Russie
au début de 191825. Les services du Komintern recourent aussi à eux,
pour des traductions ou la rédaction d’ouvrages 26. Une des publications
du Groupe des communistes français, la IIIe Internationale, était diffusée
dans les pays francophones via la mission diplomatique russe en Suisse 27
et la Librairie du Travail à Paris a publié dès 1918 des textes de J. Sadoul
puis de R. Marchand. En raison du blocus et de la censure, les réseaux de
communications existaient mais restaient aléatoires28. Cette activité dure
jusqu'en 1920, à la dissolution de la Fédération des groupes étrangers le
26 février29. Désormais, les communistes étrangers doivent se rattacher à
leur section nationale.
L’Internationale communiste aurait édité en français 28 livres en
1919 et 46 l’année suivante30. Ces textes exposent, informent, expliquent
ce qu’est et ce que veut le Komintern et ce que sont ses références
22 Patrice Ville. Les Groupes communistes français dans la Russie révolutionnaire et la
naissance de l’idéologie communiste en France (1916-1921). Thèse d’histoire, sous la
direction de Jean-Jacques Becker. Université Paris-X, 1999, p. 352.
23 Un groupe est d’abord créé à Kiev en mars 1918.
24 Id., p. 372-373.
25 Ils publient un hebdomadaire, IIIe Internationale, fondé en octobre 1918, jusqu’au 1er
mars 1919. Patrice Ville. Les Groupes communistes français dans la Russie
révolutionnaire et la naissance de l’idéologie communiste en France (1916-1921). Thèse
d’histoire, sous la direction de Jean-Jacques Becker. Université Paris-X, 1999, p. 351 et
367 ; - Marcel Body. Un ouvrier limousin au cœur de la révolution russe. Spartacus,
1986. p. 83.
26 Pierre Pascal. Mon journal de Russie. En communisme, 1918-1921. Lausanne : L’Age
d’homme, 1977. p. 216.
27 Anne Manigaud. Marcel Body : Limoges – Paris – Limoges. Itinéraire bouleversé par
la révolution russe. Maîtrise d’histoire, sous la direction d’Antoine Prost et Claude
Pennetier, Paris-I, 1994. p. 47.
28 Annie Kriegel. Aux origines du communisme français, 1914-1920 : Contribution à
l’histoire du mouvement ouvrier français. La Haye : Mouton, 1964, p. 565. La censure en
France reste en vigueur jusqu’au 12 octobre 1919.
29 Patrice Ville. Les Groupes communistes français dans la Russie révolutionnaire et la
naissance de l’idéologie communiste en France (1916-1921). Thèse d’histoire, sous la
direction de Jean-Jacques Becker. Université Paris-X, 1999, 358.
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doctrinales et historiques, en lien avec la stratégie du moment, la
révolution en Europe. Les partisans de l’adhésion à la Troisième
Internationale à l'étranger constituent un relais, au sens matériel du
terme, essentiel pour la diffusion de cette culture nouvelle. Dans le cas de
la France, le premier relais est la Librairie du Travail. Créée en novembre
1917, par un groupe de militants syndicaux hostiles à la politique de la
SFIO, elle est dirigée par Marcel Hasfeld. Elle est destinée à devenir un
lieu de formation intellectuelle pour les ouvriers et un lieu de propagande
en faveur de la Révolution russe, malgré la censure 31. Le second est la
Bibliothèque communiste, maison d’édition créée par Boris Souvarine, en
janvier 1920, pour relayer les éditions de l’Internationale. Elle édite 15
titres, dont 13 pour la seule année 1920. 14 proviennent certainement de
l’Internationale même. La Bibliothèque communisme donne la prioritaire
à la Russie révolutionnaire. Enfin, elle a un rôle d’acculturation politique
en diffusion des textes de Lénine (7 titres), Trostsky (3), N. Niourine,
Clara Zetkin, Glebov, Kerjentsev, Kollontaï. En effet, ces noms
parfaitement inconnu dix ans auparavant sont désormais des références
pour qui adhèrent au projet politique de la III e Internationale. Dernière
entreprise : les éditions Clarté. A la suite du mouvement intellectuel
Clarté, créé en mai 1919, et de sa revue, fondée octobre 32, le mouvement
se dote d’une maison d’édition, « Editions Clarté », à la fin de l’année
192133. Elle répond aux ambitions éducatives du mouvement. C’est une
production moins importante que la Librairie du Travail et la Bibliothèque
communiste (6 titres en 1921)et surtout plus littéraire, marquée par le
pacifisme.
L’essentiel des textes diffusés pour défendre la position de
l’Internationale communiste date de 1920. Le fait que l’état de siège en
France ne soit levé qu'en octobre 1919 explique en partie cette diffusion
tardive. Elle s'explique aussi par la mise en place du réseau de
communication du Komintern, efficient à partir de 1920. La création de
WEB au printemps 1919, puis de l’OMS en 1920 ont accompagné, financé
et aidé cette diffusion. Cette propagande est donc peu organisée au
départ mais ces différents relais permettent de toucher des milieux très
différents. Cette situation semble évoluer à mesure que l'organisation
communiste internationale s'affermit, comme le montrerait l'exemple
français.
A l’issu du Congrès national de SFIO, à Tours en décembre 1920, le
jeune Parti communiste obtient une partie des biens de la SFIO, dont la
Librairie de l’Humanité, dont l’activité a été marginale pendant la
guerre34. Le Parti communiste français doit adopter des principes
30 « Statistik blatt 1 : bucher pro verlag and jahr. Voraufiges ergenis. Français »,
495/78/58, RGASPI.
31 Marie-Christine Bardouillet. La Librairie du Travail. Centre d’histoire du syndicalisme
- Maspero, 1977, 255 p.
32 Nicole Racine,. Une revue d’intellectuels communistes dans les années vingt, Clarté
(1921-1928). Revue française de science politique, 1967, n° 3, p. 484-519.
33 « Groupe Clarté », Ba 1990, PPo.
34 Le service d’éditions de l’I.C. continue d’éditer des textes en français en 1921 (31
titres), mais cette activité devient marginale l’année suivante. « Statistik blatt 1 : bücher
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nouveaux en matière de propagande. Elle est contrôlée par la direction
du Parti et doit propager les idées révolutionnaires dans toutes les strates
de la société, et d’abord au sein de la classe ouvrière. Boris Souvarine
devient responsable de la Librairie de l’Humanité, secondé par Amédée
Dunois, propagandiste de longue date35. Symbole de la fin de relais de
diffusion éclectiques, B. Souvarine fait transférer le fonds de la Librairie
communiste au profit de la Librairie de l’Humanité en 1921 36 et celui des
éditions Clarté en 192337. Mais le PCF se transforme peu à peu en secte
politique, avec ses exclusions et la chute des effectifs (130 000 militants
en décembre 1920, 48 000 en 1924). B. Souvarine est écarté des éditions
le 25 janvier 1924, remplacé par Claude Calzan le 3 avril 192438.
Tout comme le Parti communiste français doit rendre des comptes à
l’Internationale communiste, la Librairie de l’Humanité doit en faire de
même vis à vis du service d’éditions du Komintern. L’autorité du Service
d’Editions de l’Internationale s’exprime au travers de ce qu’on appel des
« plans d’édition »39. Ceci ne se déroule pas sans heurts. : « Il faut tenir
compte de la capacité du public ouvrier français, écrit B. Souvarine à
Bela Kun, et ne pas s’imaginer qu’il suffit de décider d’imprimer des gros
volumes pour obtenir qu’on les lise. Or, il ne s’agit pas d’imprimer, mais
de faire lire. »40 En 1920, La Librairie de l’Humanité publie 6 titres ; en
1924 40 titres. La part des textes russes est de 45 %. Si la part relative
des titres consacrés à l’Internationale est importante, il est intéressant de
noter qu’elle le fut bien plus avant la bolchevisation. De 1921 à 1924, le
P.C.F. découvrait ce qu’était la Troisième Internationale à laquelle ses
militants avaient adhéré, continuant ainsi le travail de propagande
éditoriale qu’avait accompli Boris Souvarine avec la Bibliothèque
communiste. Mais la part consacrée à l’URSS devient importante. De
1921 à 1924, le Parti communiste édite 9 biographies dont 4 consacrés à
Lénine. L’actualité internationale est d’abord abordé par l’URSS, avec 8
titres. Il s’agit autant de décrire cette nouvelle société que de la défendre
contre les agressions extérieures.
La formation des militants est une des missions principales des
éditions. Un quart du catalogue y est consacré. Dès 1923, en la matière,
les Soviétiques deviennent des auteurs de références : N. Boukharine en
1923 avec ABC du Communisme, et en 1924 par J. Staline le Léninisme
pro verlag and jahr. Voraufiges ergenis. Français », 495/78/58, RGASPI; - M.-C. Bouju. Le
PCF, le livre et la lecture, 1920-1939. Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique, 1996,
n° 65, p. 13-28.
35 Décisions du Bureau politique, 22 mars 1923, IML, 45, Arch. PCF.
36 Danielle Tartakowsky. Écoles et éditions communistes, 1921-1933. Essai sur la
formation des cadres du P.C.F. Thèse de 3e cycle, sous la direction de Claude Willard :
université Paris-VIII, 1977. p. 66.
37 Compte tenu de la nature plus littéraire du fonds en question, on peut se demander
quel intérêt le PCF avait à reprendre une telle affaire. Décisions du Bureau politique, 22
mars 1923, IML, 45; - Décisions du Bureau politique, 31 mars 1923, IML, 45, Arch. PCF.
38 Décisions du Bureau politique, 3 avril 1924, IML, 62, Arch. PCF.
39 Décisions du Bureau politique, 12 novembre 1923, IML, 45, Arch. PCF.
40 Lettre de Boris Souvarine à bela Kun, 22 février 1924, RGASPI, Moscou, 495/30/56.
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théorique et pratique deux titres destinés à devenir de véritables
manuels41. Les autres théoriciens sont Lénine et Trotsky, mais l’essentiel
provient du fonds de la Bibliothèque communiste de B. Souvarine. Pour
ce qui est de Marx et Engels, la Librairie peine à éditer de nouveaux
titres. A. Dunois annonce en 1924 que le PCF renonce à publier le
Capital, pour des raisons financières42. En matière de théorie les auteurs
français disparaissent.
Il y a une « kominternisation » progressive du catalogue. L’héritage
socialiste cohabite avec une nouvelle politique éditoriale venant de
Moscou43. Mais le travail d'acculturation politique du Service d’éditions
du Komintern a commencé. La Librairie de l’Humanité participe, comme
la presse, à la diffusion d’une culture politique nouvelle, celle du
Komintern44.
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d’informations politiques solides, la section d’Agit-prop doit diffuser des
« ouvrages originaux », « manuels et […] guides populaires », éditer des
œuvres de Marx et Engels, et celles de Lénine48.
En mars 1926, le Komintern est réorganisé en secrétariats
régionaux, la France faisant partie du secrétariat des pays dits latins
(France, Italie, Belgique, Espagne, Portugal, Luxembourg). Cela a
probablement obligé le Service d’éditions à réorganiser ses méthodes de
travail et à se structurer en zone géographique. Le Service d'éditions est
un service technique et de contrôle et non un centre de décision
politique. Sa mission consiste en la préparation des traductions et envoi
les manuscrits à composer. Les archives comportent des dossiers de suivi
statistique, véritable outil de contrôle politique. La production
communiste au niveau local et mondial est mesurée par le nombre de
titres, d’exemplaires et de feuilles d’impression 49. Au début des années
trente, le Service est organisé en quatre « sections » : le section dit
« léniniste » en charge de l’édition des œuvres complètes de Lénine 50 ; la
section internationale qui traite du Komintern et sa politique ; le service
de l’Instruction politique et de la propagande du marxisme léninisme
parmi les masses ; la section de la popularisation de l’URSS 51. Les liaisons
sont établies grâce à des individus comme Hugo Eberlein, communiste
allemand. A partir de 1928, il est alors chargé des questions de presse et
d’édition, et notamment de leur financement, au sein du WEB52.
Les différences d’un point de vue quantitatif entre pays montrent
qu’il n’y a pas de politique éditoriale appliquée uniformément. En
revanche, il y a bien une volonté de réaliser une politique éditoriale
uniforme. En 1927, il se vante d’être présent dans 40 pays et de publier
en 47 langues53. Mais, en 1929, il n’existe de structures éditoriales
permanentes que dans 16 pays, essentiellement en Europe de l’Ouest 54.
Le Parti communiste allemand, présenté comme un modèle, a deux
maisons d’édition en 1927 : Verlag litteratur und Politik, pour les
publications théoriques, et Neue Deutsche Verlag 55, lié au monde
syndical. Le Parti communiste anglais travaille avec deux maisons
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d’édition, Martin Lawrence et Modern Books et les communistes
américains avec International Publishers, à New-York depuis 1924. En
Amérique latine, les principaux centres d’édition se trouvent au Mexique
(El Machete) et en Argentine (La Internacionale)56. D’après le plan
d’éditions établi pour les années 1929-1930, les publications les plus
importantes sont écrites en allemand (17 % des titres), puis en anglais et
en français (10 %), sur 800 titres environ57.
Lorsqu’un parti communiste est trop faible ou menacé, le Service
d’éditions de l’I.C. prend en charge directement certaines publications. Il
travaille notamment avec une maison d’édition soviétique, créée
initialement en 1931 pour les techniciens et ingénieurs étrangers vivant
en URSS, les Editions pour les travailleurs étrangers 58. C’est ainsi
qu’arrive en août 1931 une brochure sur le VIe congrès de l’I.C. en
polonais, en 84 exemplaires, à la librairie du Parti communiste français,
et destinée, comme le craint le ministère des Affaires étrangères, « à
subordonner la main d’œuvre polonaise que nous employons dans notre
industrie et dans notre agriculture. »59 Ces partis communistes peuvent
aussi bénéficier du soutien d’autres organisations : les Chinois dépendent
des publications allemandes et russes, les centres d’édition du Parti
communiste italien (Edizioni italiani di cultura sociale60) et espagnol
(Ediciones Europa-america) sont à Paris.
Le Service d’éditions exécute certes des directives qui émanent
d'abord du Comité exécutif, mais pas seulement. Bon gré mal gré, il doit
tenir compte d’autres acteurs, en URSS et au sein des sections
nationales. Il existe ainsi des liens avec des organismes soviétiques, ce
que M. E. Krebs souligne en 1929 : « l’Institut Marx et Engels, l’Institut
Lénine, l’Académie communiste fournissent déjà et promettent encore de
nombreux matériaux précieux devant être traduits dans les langues des
autres sections de l’I.C. »61 Il ne peut ignorer non plus l'action de la VOKS
la VOKS (Société panrusse pour les relations culturelles avec l’étranger),
créée en 1925 à l'initiative conjointe du Commissariat du peuple aux
55 Cette maison d’édition a été fondée par Felix Halle avant la guerre et confiée à Willy
Munzenberg en 1924. Babette Gross. Willi Münzenberg, a political biography. Lansing :
Michigan State University Press, 1974, p. 148; Hélène Roussel. Editeurs et publications
des émigrés allemands (1933-1939). Les Barbelés de l’exil : Etudes sur l’émigration
allemande et autrichienne (1938-1940) / dir. G. Badia, F. Joly, J.-B. July et al. Grenoble :
PU de Grenobles, 1979, p. 357-417.
56 Robert. La Littérature révolutionnaire à l’exposition de Moscou. Correspondance
internationale, n°107, 22 septembre 1928, p. 1154.
57 « List of publications for 1929-30”, 27 février 1929, RGASPI, 495/78/54.
58 M. KR. Les Œuvres de Lénine dans les pays bourgeois. Internationale communiste,
n°2, 15 janvier 1933, p. 127.
59 1265, Série Europe 1930-1940 : URSS, MAE.
60 Ba 1939, Arch. PPo.
61 M. Kreps [Krebs]. Dix années d’édition de l’I.C. Internationale communiste. Mars
1929, p. 314-321.
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Affaires étrangères et de l’Internationale communiste62. Propagande
communiste et propagande soviétique s’entremêlent.
Quels sont les effets de cette bolchevisation des organisations et des
textes en France ? Le Parti communiste français entame à partir de 1924
sa bolchevisation c’est à dire sa réorganisation sur le modèle du Parti
communiste bolchevique russe. La formation politique des masses et des
cadres y est essentielle. La bolchevisation a d’abord pour effet de
remplacer l’ancienne maisons d’édition du PCF, la Librairie de l’Humanité
par deux maisons d’édition. Le Bureau d’Editions, de Diffusion et de
Publicité (BEDP) en 1926 et l’année suivante les Editions sociales
internationales (ESI). La première est destinée à produire des brochures
et des textes de vulgarisation politique à faible prix, la seconde à éditer
des livres de théorie plus conséquents. Jusqu’en 1928, les deux maisons
d’édition sont dirigées par C. Calzan, ancien militant socialiste rompu à la
propagande politique, et Libert Cical, ouvrier d’origine roumaine. Suite à
des problèmes de santé, C. Calzan quitte les éditions vers 1928. L. Cical
devient seul responsable, s’imposant par son sens de l’organisation et sa
forte personnalité.
Le premier signe de la bochevisation est la croissance de production
continue, avec en moyenne 58 titres par an, alors que les effectifs du PCF
chutent (59 000 militants en 1925, 28 000 en 1933). Les textes traduits
du russe sont majoritaires dans le catalogue à partir de 1927, et
représentent même 71 % des titres publiés en 1930. De même les
ouvrages consacrés à l’URSS représentent entre un tiers et deux tiers des
publications, alors que ceux spécifiques à l’International communiste ne
dépassent pas 30 % des publications. Ces tendances sont confirmées par
deux entreprises éditoriales. Dans le cadre de la bolchevisation, le PCF
met en chantier plusieurs entreprises. La création des ESI est justifiée
par deux projets : l’édition des Œuvres complètes de Lénine et des
premiers romans soviétiques.
L’édition des Œuvres complètes de Lénine, prévue 30 volumes à
raison de 4 volumes par an, est annoncée en 192763. La « Section
léniniste » du Service d’édition de l’I.C. avec l’Institut Lénine organise les
traductions, l’envoi des manuscrits, la correction des épreuves, et établit
les bons à tirer, y compris pour les pages de titres 64. Sur les 30 volumes
prévus, seuls 8 sont finalement publiés 65. En Grande-Bretagne, le bilan
n’est plus guère brillant, puisque l’édition lancée elle-aussi en 1927 ne
compte finalement que 5 volumes66. En Allemagne, le résultat est plus
positif : en 1931, les communistes allemands déclarent avoir éditer 14
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volumes. L’échec de l’entreprise s’explique d’abord par le contrôle
extrême du Komintern et de l’Institut Lénine. A cela il faut ajouter la
répression qui frappe les milieux intellectuels soviétiques, dont les
traducteurs, et qui conduise à la fusion de l’Institut Lénine et de l’Institut
Marx Engels, en un Institut Marx-Engels-Lénine (IMEL) en 1931.
La seconde justification de l’existence des ESI est l’édition des
romans soviétiques. Elles éditent 22 romans de 1927 à 1934, mais
seulement 4 de 1927 à 192967. La raison de cette faible engagement dans
ce domaine s’explique d’abord par le peu d’attention du PCF au roman,
malgré la vigueur des débats à l’époque. Et même s’il encourage les
Français à en publier, le Service d’éditions de l’I.C. ne considère pas le
sujet comme prioritaire68. Ce désintérêt est pourtant en contradiction
avec la politique de la VOKS et le développement d'instance de contrôle
de la vie intellectuelle soviétique et de la promotion des œuvres
intellectuelles considérées comme orthodoxes. L'Internationale a t-elle
privilégié un autre réseau de diffusion ?
Sophie Cœuré a constaté que la Russie bolchevique est devenue
rapidement un « créneau éditorial » pour les éditeurs, même si les
publications antibolchéviques dominent largement 69. La NEP, en faisant
renaître l’édition privée en URSS, fait connaître de nouveaux romanciers,
comme Boris Pilniak ou le poète Alexandre Blok. Leurs œuvres sont alors
perçues en France comme l’expression de la révolution en marche 70. De
son côté, la direction du PCF affiche une relative indifférence à l’égard de
la vie culturelle, adopte un point de vue ouvriériste, ne laisse aucune
place aux intellectuels dans son organisation et n’intervient que rarement
dans les débats culturels. Il faut attendre le début des années trente pour
que le Parti communiste se préoccupe de littérature, avec la fondation de
la section française de l’UEIR, l’Association des Ecrivains et Artistes
révolutionnaires (AEAR), en décembre 1932. Mais, avec la montée des
périls, la politique du Komintern et de l’URSS en direction des
intellectuels occidentaux les obligent à se montrer peu exigeants en
matière de création.
L’association littéraire soviétique, la RAPP, note en 1929 :
« Ehrenbourg, Pilniak, Babel, Fédine, Seïfoullina sont édités en France
par de gros éditeurs bourgeois, alors que les deux ou trois livres
d’écrivains prolétariens (Libedinski, Fadeiev, Gladkov) édités par une
maison d’édition communiste, sont condamnés au boycott du public
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bourgeois. »71 Or, en 1931, le Komintern compte sur les « maisons
d’éditions bourgeoises de gauche » pour diffuser les romans
révolutionnaires72. Depuis 1926-1927, signe de l’attrait du public français,
des romans soviétiques sont en effet édités par des maisons d’édition
« bourgeoises »73 : à partir d’octobre 1926 dans la collection « Jeunes
Russes » chez Gallimard 74 ; en 1927 dans la « Collection de la Russie
nouvelle » aux éditions Montaigne. Le directeur de la collection « Jeunes
Russes » chez Gallimard est Brice Parain, russophone, membre du PCF.
En 1929, les ESI refusent d’éditer un roman de M. A. Cholokov, Sur le
Don paisible75. Le Komintern leur demande de trouver une autre maison
d’édition pour publier ce roman : Ce seront les éditions Payot. Cette
situation résulte bel et bien de l’indifférence du PCF et de la volonté de
l’URSS d’exporter à tout prix sa littérature, y compris via les éditeurs dits
bourgeois.
On retrouve ce même paradoxe dans le domaine philosophique 76. Le
PCF, engagé dans sa bolchevisation, réduit le marxisme à Lénine et à la
formation de base des militants. Or, comme en matière littéraire, la
diffusion de la pensée de Marx ou de Lénine est perçue comme
commercialement rentable. L’éditeur Albert Costes se lance en 1924 dans
l’édition des œuvres complètes de Marx77. Les éditions Rieder accueillent
de jeunes intellectuels communistes, membres du le groupe
« Philosophies », qui crée aussi leur propre maison d’édition, à la fin
1928, « Les Revues », qui disparaît l’année suivante78. Cette initiative
intéresse même le service d’édition de l’I.C., qui y voit une structure de
diffusion pour ces propres publications, et l’Institut Marx-Engels 79. A
partir de 1930, lorsque la direction change, le PCF tente de rattraper son
retard, non sans mal, car la non ratification des accords internationaux
sur le droit d’auteur par l’URSS a encouragé des éditeurs à exploiter
cette littérature soviétique, libre de droits. Ainsi en 1933, à quelques
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semaines d’intervalles, les éditions Gallimard et les ESI publient le même
roman de M. A. Cholokov, dans une traduction différente80.
La période de la bolchevisation est donc extrêmement paradoxale,
avec d’un coté un Komintern qui impose ses textes et ses méthodes et de
l’autre, cette même organisation qui compte sur les institutions
« bourgeoises » pour relayer sa propagande, ce qui isole davantage le
PCF dans le monde culturel81. Au début des années trente, la
bochevisation a conduit certes à l'édition en masse de manuels de
formation politique mais a laissé à l'"ennemi" les romans révolutionnaires
et les textes majeurs de la pensée politique marxiste-léniniste.
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commissions : la « Commission pour la lutte contre la guerre, le fascisme
et la social-démocratie » et la « Commission pour la popularisation de la
construction socialiste en Union soviétique ». Le Service d’éditions de
l’I.C. survit sous la forme de sections : « Section internationale
(mouvement révolutionnaire mondial, questions de tactique et
popularisation de la ligne de l’IC et de ses sections ; social-démocratie,
fascisme, guerre, questions d’organisation et syndicales) » ; « Section de
l’Instruction politique et de la propagande du marxisme léninisme parmi
les masses » ; « Section de la popularisation de l’URSS »84. Dans le
schéma d’organisation de 1935, la « Section de propagande et
d’organisation des masses », dirigée par Klement Gottwald, doit aider les
« organisations de masse », secteur important dans la nouvelle stratégie
du Komintern. Le « Secteur des éditions » est toujours organisé par zone
linguistique85. Il comporte également un service de « transmission des
expériences illégales du PC de l’URSS », la rédaction d’un « bulletin de
critique et de bibliographie » et une bibliothèque86. Les procès et purges
de la fin des années touchent le Service des éditions comme le reste du
Komintern. M. E. Krebs est arrêté, après plus de dix années à la tête de
ce service, et son adjoint, Julmann, est renvoyé 1937 87. En 1938, la
Section des éditions est dirigée par Rodolf Appelt, allemand des Sudètes,
membre du Parti communiste tchèque, jusqu’à la disparition de
l’Internationale88.
Malgré la montée des périls, le réseau des maisons d’édition liée au
Komintern demeure important surtout en Europe de l'Ouest : en Belgique
(CDL), en Espagne (les Ediciones del Partido comunista, Ediciones
Europa-America, Editorial Nuestro Pueblo, Ediciones Estrella et
Publicaciones internationales)89 ou en Hollande, Pegasus…90 Mais les
services de liaisons internationales sont profondément bouleversées. En
84 Résolution sur le rapport des éditions au secrétariat politique (29 avril 1934)(adoptée
par la commission politique le 15 octobre 1934). Confidentiel, 5 f. RGASPI 495/78/119.
85 Les « pays romans » sont suivis par deux « référents », F. Morriens et Heinrich.
86 Hubert Peter. L’appareil du Komintern, 1926-1935. Premier aperçu. Communisme,
n°40-41, 1995, p. 9-35. ; - Id. Structure of the Moscow apparatus of the Comintern and
decision making. International Communism and the Communist International, 1919-
1943 / dir. Tim Rees et Andrew Thorpe. Manchester : Manchester University Press,
1998, p. 41-64.
87 Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale
communiste en France, à Moscou, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse (1919-1943).
Editions de l’Atelier, 2001, p. 431-432.
88 Après la guerre, R. Appelt est parti en Allemagne de l’Est où il a fait carrière dans la
diplomatie. Hubert Peter. Structure of the Moscow apparatus of the Comintern and
decision making. International Communism and the Communist International, 1919-
1943 / dir. Tim Rees et Andrew Thorpe. Manchester : Manchester University Press,
1998, p. 41-64; - Biographical dictionary of the comintern / dir. Branko Lazitch.
Stanford : Hoover Institute Press, 1986, p. 9.
89 La Diffusion du livre en Espagne. Revue internationale du livre, [1938], n°3-4, p. 141-
142.
90 Revue internationale du livre, [1939], n°5-6, 3e page de couverture.
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1933, l’OMS remplace le WEB 91. En juillet 193692, Hugo Eberlein est
remplacé par Johannès Wertheim, dit « Bertrand ». Jusqu’à son arrivée à
Paris en juin 1934, ce dernier était responsable de la filiale des éditions
communistes allemandes, Verlag fur Literature und Politik, à Vienne 93. A
Paris, officiellement, il est le propriétaire de la librairie C. Mayer et Cie,
au 148, rue de Rennes94.
Plus que jamais, il est demandé d’apporter un soin particulier aux
Partis communistes étrangers en difficultés : « Les Editions [de l’I.C.]
doivent aider les P.C. illégaux à tirer partie de toutes les possibilités
légales, y compris l’utilisation des maisons d’éditions bourgeoises »95.
Moscou, via ses Editions pour les travailleurs étrangers ou celles du
Komintern, continue exporter du matériel de propagande 96. Paris a été un
des centres les plus importants en Europe pour les exilés communistes
allemands, avec Prague et Bâle. Mais, contrairement aux Italiens et aux
Espagnols, les communistes allemands qui arrivent à Paris en 1933 ne
recourent pas aux infrastructures du PCF. Ils créent trois maisons
d’éditions : les Editions du Carrefour (dirigées par W. Munzenberg)
jusqu’en 1937, les Editions Prométhée et les Editions nouvelles
internationales97.
Lorsque les relations internationales se tendent de plus en plus et
que l’URSS remet en cause sa stratégie d’alliances avec les démocraties
d’Europe de l’Ouest, le Komintern revient sur l'autonomie relative des
partis. Signe du retour à l’uniformité idéologique, à la fin de l’année
1938, il est décidé de publier le Précis d’histoire du Parti communiste
91 Le service est aussi largement frappé par les purges. Hubert Peter. L’appareil du
Komintern, 1926-1935. Premier aperçu. Communisme, n°40-41, 1995, p. 9-35. Stéphane
Courtois et Annie Kriegel. Eugen Fried. Le grand secret du PCF. Paris . Le Seuil, 1997,
p. 277-278.
92 Il est arrêté en juillet 1937 en URSS, puis déporté. Il est exécuté en juillet 1946.
Pierre Broué. Histoire de l’Internationale communiste, 1919 - 1943. Fayard, 1997, p.
995.
93 Document 1er février 1929, dact., 3 p., 495/78/52, RGASPI.
94 Bestellung auf deutsche Bucher von C. Mayer et Cie, 495/78/158, RGASPI; - Lettre du
Préfet de police au ministre de l’Intérieur, 14 mars 1940. F 7 14809, CARAN.
95 Résolution sur le rapport des éditions au secrétariat politique (29 avril 1934)(adoptée
par la commission politique le 15 octobre 1934). Confidentiel, 5 f. RGASPI 495/78/119.
Voir Annexe 4.
96 19940500/108/1974 et 1975 ; Histoire de la guerre civile en URSS, 20010216/ non
coté /10216; Correspondances entre le Ministère des affaires étrangères et le
commissaire spécial à la gare du Nord, 1934 – 1935, 20010216/ non coté /13406;
Correspondance avec le Ministère des affaires étrangères concernant la brochure 2e
plan quinquennal en allemand, expédié, octobre - novembre 1934, 6 p., 20010216/ non
coté /13430, CAC.
97 Albrecht Betz. Exil et engagement : les intellectuels allemands et la France, 1930-
1940. Gallimard, 1991, 106-112 p. ; Jean-Michel Palmier. Quelques remarques sur les
techniques de propagande de Willy Munzenberg ; Catherine Lawton. Les Editions du
carrefour, rappel d’un passé antérieur. Willy Münzenberg, un homme contre. Actes du
colloque international, 26-29 mars 1992, Aix-en-Provence. Aubervilliers : Le Temps des
cerises, 1993, p. 39-53 et 173-175. ; Hélène Roussel. Editeurs et publications des
émigrés allemands (1933-1939). Les Barbelés de l’exil : Etudes sur l’émigration
allemande et autrichienne (1938-1940) / dir. G. Badia, F. Joly, J.-B. July et al. Grenoble :
PU de Grenobles, 1979, p. 357-417.
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(bolchevik) de l’URSS, « nouvelle “bible” stalinienne »98. Prévu depuis
octobre 193499, il est édité en 28 langues100 dans quatre villes, Moscou,
Paris, Stockholm, Amsterdam et New-York, à près de 500 000 exemplaires
au total en juin 1939, avec l’objectif d’en imprimer environ 700 000 dans
le monde101.
On constate cette même rupture pour les communistes français.
Pendant le Front populaire, les maisons d’édition du PCF ont orienté leur
production de façon à toucher un plus vaste lectorat. Le Parti communiste
compte en 1935 87 000 adhérents et 330 000 en 1937. Son activité
éditoriale accompagne cette croissance : ses maisons d’édition publient
en moyenne 130 titres et multiplient les collections, qui visent surtout ce
nouvel électorat que sont les classes moyennes et les professions
intellectuelles. Mais la vigueur de sa propagande est d’autant plus
remarquable qu’il n’abandonne pas les milieux populaires, puisque le BE
constitue près de 60 % de la production. Après le pic de la bolchevisation,
la part des auteurs soviétiques représente le tiers du catalogue.
L'autre changement est la place dévolue aux intellectuels,
communistes et non communistes. Tout d'abord L. Cical, qui dirigeait les
éditions françaises depuis 1925, est remplacé en 1935 par deux hommes,
Léon Moussinac et René Hilsum. Ils sont très différents des militants que
le Parti a utilisés jusqu’alors : ils ont gravité dans les années vingt dans
les milieux des avant-garde artistiques et travaillé dans l’édition; ce ne
sont donc plus des techniciens de la propagande mais des intellectuels.
De plus, suite au VII e congrès de l’I.C., un rapport daté de novembre
1935, sur l’ « Examen des problèmes de l’édition et de la diffusion de la
littérature révolutionnaire en France », conclut au nécessaire recours des
intellectuels, sous le contrôle du Parti communiste : Il faut « constituer un
centre d’attraction des écrivains, des savants, des artistes, des diverses
catégories d’intellectuels et de tous ceux dont la collaboration peut être
souhaitable, donc utile de manière que les Editions servent une
littérature et des écrits susceptibles d’être acceptés et accueillis par un
public de plus en plus vaste, tout en conservant une qualité de forme
inattaquable et en restant idéologiquement nôtre »102. En réalité, la part
des intellectuels dans le catalogue demeure marginale mais elle est
symboliquement importante. Le Parti communiste fait appel à des non
communistes, comme Romain Rolland et Georges Friedmann qui dirige la
collection « Problèmes » de 1935 à 1938. Pour Léon Moussinac, il est
absolument indispensable que le BE et les ESI gagnent en crédibilité aux
yeux du monde de l’édition, des lettres et des sciences. Ainsi, il présente
la nomination de G. Friedmann comme directeur de collection « à cause
des relations personnelles de cet écrivains et de l’autorité autant que
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l’estime dont il jouit dans les milieux littéraires et scientifiques et
spécialement dans l’Université » . De fait, le désir d’attirer des écrivains
célèbres oblige à revoir une attitude rigide vis à vis de la vie littéraire. En
1934, un écrivain communiste peut adhérer à la vénérable Société des
gens de lettre103 et les prix littéraires ne sont plus considérés (seulement)
comme des oripeaux d’une bourgeoisie décadente104. Mais la direction de
"Problèmes" est retirée à G. Friedmann lorsqu’il publie en 1938 De la
Sainte Russie à l’U.R.S.S., un ouvrage critique à l’égard de l’Union
soviétique. Cette place ainsi octroyée est clairement affaire de
circonstance et donc extrêmement fragile.
Dès 1934, s'il laisse plus de liberté 105, le Service d’édition de l’I.C.
continue de valider toujours les grandes orientations. En novembre 1935,
on invite à œuvrer dans le sens d'une « décentralisation de l’édition ». En
juillet 1936 on propose ainsi le transfert du service de traduction de
Moscou à Paris. Mais, au même moment, l’International établit un plan
d’édition pour la France et prévoit d’ « organiser des critiques et la
consultation politique sur des manuscrits écrits en France, autant que
possible avant leur publication »106. Il y a autonomie mais non
indépendance. Les éditions françaises sont rattrapées à partir de 1937 et
surtout 1938 par les effets de la crise économique de l’édition, le
raidissement politique du PCF, qui perd une partie de l’appui obtenu en
1935-1936 auprès des classes moyennes, et du Komintern. Les relations
entre la direction du PCF et ses éditeurs se tendent. En novembre 1938,
la direction nomme Pierre Villon, pour diriger l’ensemble de l’appareil
éditorial et de diffusion du Parti107 : cette nomination est un désaveu pour
les éditeurs et signe le recentrage des éditions sur des publications
destinées surtout aux seuls militants.
Peut-on parler d'échec à propos du travail accompli par L.
Moussinac et R. Hilsum ? car non seulement, ils subissent le désaveu de
la direction du PCF mais ils n'ont pas pu profiter pleinement de la manne
que représentait le Front populaire. En effet, les éditeurs "bourgeois" ont
visiblement voulu profiter du Front populaire, perçu comme un sujet
vendeur108. Un contrat d’édition daté du 30 janvier 1935 avec Gallimard
fait même de Paul Nizan l’ « unique représentant » du Service d’éditions
de l’I.C., pour « la traduction en langue française du rapport sur le
Deuxième Plan quinquennal »109. L. Aragon, qui écrit que « la NRF se
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trouve sous le contrôle du trust Hachette qui constitue pratiquement le
censeur principal en France »110, ne fait pas profiter les éditions du Parti
de sa nouvelle position dans le monde des lettres. Après sa rupture avec
Gallimard en 1933, c’est aux éditions Denoël qu’il confie ses premiers
romans du cycle du « Monde réel ». Et une bonne part de la presse
soviétique à destination du public français est diffusé par Hachette, et
non par le CDLP qui appartient au PCF111. La nécessité d’attirer des
intellectuels compagnons de route oblige à accepter qu’ils choisissent
d’éditer là où ils le désirent. De surcroît, du coté soviétique, il y a une
ferme volonté de nouer des contacts avec les éditeurs et écrivains
bourgeois, dont on espère qu'ils sauront défendre l'image de l'URSS 112. A
la fin des années trente, la VOKS créée un organisme particulier pour
« négocier » avec les pays capitalistes les « droits » des auteurs, l’Agence
littéraire et artistique113, l’URSS ayant été violemment attaqué sur ce
point lors du Congrès international des éditeurs en 1938, accusée de
piller la littérature scientifique et technique mondiale114.
En 1934, l’Internationale a décidé de déléguer aux sections
nationales un partie de son pouvoir éditorial, en les encourageant à
s’adapter aux cultures politiques locales. Mais de même qu’elle conserve
son pouvoir de centre d’élaboration de la stratégie du mouvement
communiste internationale, elle conserve le droit de fixer les grands axes
éditoriaux à développer. La puissance de la propagande communiste n'est
pas sans limite : il y a à la fois un effort continu pour toucher des lieux et
des cultures très différentes, et en même temps concentration des efforts
sur les pays les plus riches et les plus alphabétisés, pas toujours en
corrélation avec les impératifs politiques. Cette stratégie inscrite dans
celle générale du Komintern cohabite toujours avec une autre, moins
formalisée, en collaboration avec d'autres institutions comme la VOKS,
qui utilise des réseaux de propagande non communistes. Ceci place les
éditeurs communistes, comme L. Moussinac dans une situation difficile
car il ne peut rivaliser avec les éditeurs ayant pignon sur rue. Les partis
communistes, leur presse et leurs maisons d‘édition, ne sont donc pas les
seuls vecteurs de la propagande soviétique et communiste.
110 Mathieu Rigo. La Vaine colère d’Aragon : comment ‘récupérer’ le Congrès des
écrivains pour la défense de la culture. Communisme, 2002, n°69, p. 127-150.
111 E.B. Le président de la Kniga à Paris. Toute l’édition, 18 juillet 1936, n° 333, p. 8 ;
Lettre du CDLP au Vegaar, 21 septembre 1936, Fonds CDLP, Arch. PCF ; M.-C. Bouju.
De la Librairie de l’Humanité au CDLP : la diffusion du livre militant communiste
pendant l’entre-deux-guerres. Communisme, n°76-77, 2003-2004, p. 27-46.
112 Les Tâches du secteur d’éditions. Confidentiel, 14 juillet 1936, 495/78/143, RGASPI.
113 Marie-Claude Humbert-Dayen. L’URSS et les conventions internationales sur le droit
d’auteur et les droits voisins. Thèse de doctorat, sous la direction d’André Françon :
Paris 2 – Panthéon-Assas, 1984, p. 305.
114 Dietrich Steinkopff. La situation du droit d’auteur et du droit d’édition en U.R.S.S.
Congrès international des éditeurs XIIe session, Leipzig, Berlin, 19-24 juin 1938.
Leipzig, 1938, p. 233-245.
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Conclusion
La propagande de l’Internationale communiste a pour mission de
diffuser le communisme et son programme dans le monde et de former
les militants. Les méthodes du Service d'éditions sont particulièrement
technocratiques, ce qui nourrit nos doutes sur son efficacité. Moscou
impose sans grande subtilité ses décisions, ses « plans d’éditions ».
Jusqu'au début des années trente, il n'y ni identité nationale, ni culture
politique spécifique : le cas français montre bien que la bolchevisation a
conduit à la disparition des auteurs socialistes d'avant-guerre du
catalogue au profit des "kominterniens". Les exploités du monde entier se
ressemblent tous et n'ont besoin d'entendre qu'une seule parole.
Néanmoins, par son intensité et une production constante, cette politique
a conduit à la diffusion d’une culture politique « étrangère », dans les
deux sens du terme. A défaut d’être lus, Lénine et Staline étaient
(re)connus comme les dirigeants de l’Internationale.
La propagande en faveur du communisme en général et de l'URSS
ne passait pas uniquement par l’intermédiaire des Partis communistes.
Elle est dédoublée d'une part par la politique culturelle de l’URSS à
l'étranger, sur le thème de popularisation de l’URSS, et d'autres part par
l'intérêt du Komintern pour d'autres relais (associations, intellectuels,
maisons d'édition dite "bourgeoises", …) On connaît depuis longtemps
l’importance accordée aux organisations de masse, dont la naissance a
été encouragée par Moscou, notamment pendant le Front populaire. Mais
peut-être n’accorde t-on pas suffisamment d’importance aux entreprises
culturelles que sont les maisons d’édition. Elles ne se présentent pas
comme manipulés mais comme de vrais commerçants. La propagande
soviétique et communiste ne doit donc pas seulement perçue comme une
entreprise idéologique d'un pays et d'une organisation internationale vers
le reste du monde. Le cas français rappelle crûment ce fait : l’URSS a été
aussi un créneau commercial.
Marie-Cécile Bouju
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