Vinculum Substantiale
Vinculum Substantiale
Vinculum Substantiale
(1861-1949)
Deuxième édition
(1930)
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lucratif composé exclusivement de bénévoles.
Maurice Blondel
BIBLIOGRAPHIE
CHAPITRE I
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CONCLUSION
APPENDICE A
APPENDICE B
APPENDICE C
APPENDICE D
[V]
1
Cf. Itinéraire philosophique, publié par Frédéric Lefèvre aux éditions Spes,
p. 57 et « Patrie et Humanité », p. 20. Les références sauf indication
contraire renvoient le lecteur à l’édition Gerhardt en 7 volumes in-quarto ;
le chiffre romain indique le tome ; les autres chiffres, la page et, en cas
d’utilité, la date de la lettre ou de l’ouvrage est mentionnée. Le mot « thèse
» se rapporte, dans les notes, à la thèse latine De Vinculo Substantiali apud
Leibnitium, in-8 de 80 pages, Paris, Alcan, 1893 — (épuisée). J’ajoute
qu’on trouvera dans la thèse des analyses, des discussions et des citations
qui n’ont pu trouver place dans le présent exposé, en outre quelques
documents inédits.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 8
*
* *
Et pourtant c’est à cause de cet exemple, qui n’est qu’un exemple destiné à
préciser un débat intrinsèquement métaphysique, que la plupart des critiques se
sont à priori insurgés contre le Vinculum, sous prétexte qu’une hypothèse
censément provoquée par un tel objet ne saurait être décemment prise au
sérieux ni par Leibniz, ni par eux-mêmes ! A ce propos laissez-moi relater ici
un incident pittoresque de ma soutenance de thèse le 7 juin 1893 : il est une
« illustration » de l’état d’esprit qui, sous des formes toujours plus ou moins
voilées, a diversement animé contre le Vinculum la plupart de ceux qui l’ont
jeté au rebut, — une illustration aussi de la partialité contraire qui ne doit pas
non plus avoir place dans la discussion philosophique.
réelle que Leibniz avait attribuée à ce qu’il appelle lui-même meum Vinculum
(II, 507, 511).
Dix ans passèrent sans que j’aie perdu de vue mon dessein : non seulement
j’aimais à ruminer à part moi la signification de l’obscur problème ; mais je
profitai de plusieurs voyages en Allemagne pour enquêter dans les
bibliothèques universitaires ou pour correspondre avec des archivistes,
notamment avec ceux de Hanovre, de Leipzig, de Cologne, de Düsseldorf qui
me fournirent quelques textes inédits et des renseignements sur la personne de
Des Bosses. Le bibliothécaire de Leipzig, à qui j’avais demandé de rechercher
le texte complet d’un fragment de Leibniz cité par le théologien Pfaff comme
extrait du Journal de Leipzig que je ne réussissais pas à trouver, m’indiqua
qu’il devait s’agir d’un recueil dont le vrai titre est Acta Eruditorum, et c’est là
en effet que je rencontrai les témoignages surprenants dont nous aurons à faire
état plus loin.
1
Copie du rapport de M. Brochard. Paris, 2 janvier 1893.
Monsieur le Doyen,
Peu après la soutenance de mes thèses, Emile Boirac présentait les siennes :
la thèse latine s’intitulait De spatio apud Leibnitium (1894). De passage à
Paris, j’allai entendre la discussion. Dissimulé parmi la nombreuse assistance,
j’éprouvai une joie sans doute un peu coupable en entendant Brochard
reprocher au candidat de ne pas s’être plongé dans la correspondance avec Des
Bosses et de n’avoir pas tenu compte des résultats obtenus par l’étude ardue
[XV] à laquelle je m’étais livré, sans craindre les « fourrés épineux d’un sujet
que Leibniz lui-même n’avait pas jugé épuisé ni indigne d’être scruté plus à
fond ».
L’un de mes étudiants, devenu mon collègue et ami, Jacques Paliard, avait,
pour un diplôme d’études supérieures et comme texte d’explication, [XVI]
abordé de son point de vue, et avec ses dons de métaphysicien, ce même
problème ; et, pour l’examen oral, j’avais fait venir de Grenoble Georges
Dumesnil : celui-ci, d’abord défiant et presque hostile, avait été frappé et
même conquis par la vigueur de pensée et de parole dont fit preuve le candidat,
mais aussi par l’attrait des perspectives entr’ouvertes devant lui : « il m’a
révélé, me dit-il, un horizon que je n’avais jamais soupçonné ». Et nous
demeurions d’accord que, par les circonstances qui entourent cet énigmatique
problème, par l’isolement de cet îlot qui surgit de l’Océan, loin de toute terre
fréquentée, et qui semble y disparaître de nouveau, par l’étrangeté de la
terminologie et des procédés, par le paradoxe de la solution évanescente
comme un fantôme de l’invisible, le Vinculum est, dans l’histoire des doctrines,
une sorte d’unicum et de monstrum.
Qu’est-ce donc que cette « terra nova » si malaisée même à entrevoir dans
ses brumes qui ont fait douter de sa solidité et même de sa réalité ? Serait-elle
un simple mirage ? Est-ce un peu mieux, une pièce curieuse que des érudits et
des archéologues recherchent sous les vieilles formules où abondent les
substantializare, les realizare, comme l’on essaye de retrouver sous les flots et
les sédiments les galères impériales au fond du lac Némi ? N’est-ce pas plutôt
une Atlantide, tout un continent à mettre en lumière, terre immergée et de vie
profonde dont la tradition ne s’est jamais tout à fait perdue, alors même que la
plupart des hommes, absorbés par les réalités tangibles, la considèrent comme
pure légende et cloches d’Ys ? — Sur votre demande, mon Révérend Père, je
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 15
reprends un instant mes sondages, et, avec vous pour [XVII] me soutenir,
j’essaye une nouvelle exploration de ce monde, je ne dis pas inconnu, mais
d’ordinaire méconnu, le plus réel pourtant, puisque le sens populaire,
l’inspiration artistique, l’invention morale, les aspirations religieuses y
trouvent leur secret soutien.
Jules Lachelier me disait un jour que Maine de Biran peut nous dispenser de
passer par Kant pour le libre développement de la pensée philosophique. Peut-
être avant lui et mieux encore que lui, Leibniz peut, si nous comprenons et
suivons à fond la voie où nous engage son hypothèse du Vinculum, servir à
éviter l’impasse criticiste, à discerner l’erreur de méthode et les conceptions
hybrides qui aboutissent aux antinomies, et nous ouvrir l’accès d’une
métaphysique réaliste sans illusion et sans exclusion, faisant droit à toutes les
requêtes de la science positive, de la spéculation rationnelle et de la foi
religieuse. C’est à indiquer sommairement ce passage que tend cette étude sur
le Vinculum. Une telle recherche, qui doit sans doute se fonder sur la critique
des textes et sur l’histoire authentique des doctrines, a cependant plus qu’un
intérêt historique : car si, pour répondre à vos bienveillantes instances, mon
Révérend Père et cher ami, je me suis résigné à cette tâche latérale et
préparatoire à l’achèvement toujours retardé de « la Pensée », c’est somme
toute afin de mieux revenir à ce livre très lourd ; c’est aussi pour rendre plus
aisé et plus instructif l’effort de ceux qui voudront bien me lire ; je ne cherche
en effet ici qu’à les entraîner à une sorte de dépaysement, qu’à établir d’avance
un lemme propre à éclairer les conditions d’accès et de succès pour une telle
exploration. Il m’a [XVIII] fallu, à moi d’abord, un si long espace de temps,
une si onéreuse adaptation, que je voudrais aider les esprits et les acclimater à
une atmosphère autre, à des perspectives que je crois « naturelles », mais qui
sembleront d’abord artificielles aux habitués des zones moyennes de la
réflexion analytique.
Il me semble donc que, malgré l’indigence d’un exposé pour lequel je suis
réduit à dicter, sans recourir aux textes et sans pouvoir me mettre suffisamment
au courant des travaux récents sur Leibniz (conditions déplorables — vous me
l’accorderez — pour des recherches d’érudition critique ou même pour une
analyse métaphysique forcément complexe), l’amour que je ressens et que je
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 16
ferai peut-être partager pour un sujet qui vaut vraiment la peine d’être étudié
plus à fond m’obtiendra l’indulgence, en expliquant la témérité que je commets
un peu par votre faute... heureuse. Si seulement je réussis à susciter d’autres
explorateurs capables de pénétrer dans le domaine que je ne puis plus que leur
signaler de mon très petit mont Nébo, ils devront vous savoir gré, mon cher
ami, de votre initiative ; car c’est à vous qu’ils auront dû d’apercevoir enfin le
moyen de bien poser certains problèmes, d’échapper à des impasses, ou de
sortir des défilés qui masquent trop souvent quelques-unes des plus belles
perspectives de la pensée et des cimes mêmes de la plus substantielle réalité 1.
Maurice BLONDEL.
[XIX] [XX]
1
Je suis heureux de rendre au Révérend Père Fessard un hommage tout
particulier de haute estime et de respectueuse gratitude : je lui dois en effet,
pour cette étude du Vinculum de très pénétrantes remarques et des
indications fécondes. Mais en outre il faut, en toute justice, révéler, malgré
son désir d’effacement le rôle décisif de mon ami l’Abbé Joannès Wehrlé. Il
avait assisté à la soutenance du 7 juin 1893, et, depuis lors, garant de mes
souvenirs et confident de mes projets, il s’est toujours intéressé au problème
du Vinculum : avec une compétence, une pénétration et un dévouement
également précieux, il a mis en place les matériaux que je lui avais fournis ;
et sans lui j’aurais sans doute abandonné le projet de cette étude renouvelée,
afin de ne pas la rendre trop onéreuse pour vous ou trop décevante pour mes
lecteurs.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 17
SOURCES DE LA
DOCTRINE du Vinculum
substantiale.
Le P. Des Bosses eut soin de conserver les LXXV lettres qu’il reçut de
Leibniz 1. Dutens (II, p. 265-323 ; VI, p. 173-201), le premier, en édita la
plupart 2 ; LXX en effet, ont été publiées, non sans incorrections ; les plus
importantes furent encore reproduites par Erdmann (1840). Enfin, dans
l’édition complète des œuvres philosophiques de Leibniz, C. J. Gerhardt les
publia revisées ; les manuscrits de la plupart sont conservés à la Bibliothèque
royale de Hanovre. Il y joignit une lettre (la lettre soixante-sixième) encore
inédite ; enfin il publia pour la première fois les LVII lettres de Des Bosses à
Leibniz, et en ajouta une autre (VII, 581).
1
Voici en effet, ce que Des Bosses, alors à Cologne, écrit à un jésuite au
moment où il n’avait pas encore reçu la correspondance de Leibniz éditée à
Leipzig : « Il s’en faut bien que le commerce épistolaire de ce grand homme
y soit tout renfermé ; une grande partie se trouvera en son temps dans les
archives de Hanovre et ailleurs. Les originaux des lettres qu’il m’a écrites,
que je destine pour la Bibliothèque des manuscrits de votre collège, doivent
être envoyés par une commodité sûre, car il ne faut pas risquer un tel trésor
dont le prix croîtra avec le temps. » Des Bosses avait envoyé au P.
Tournemine les copies de LXXI lettres. (De Backer, VII, p. 128-129.)
2
« Sunt ex numero earum septuaginta quinque quas Cl. Gobeto placuit
mecum communicare. E bibliotheca Collegii Claromontani Parisiis
depromptae sunt. » (Dutens, II, 265.) Cf. VI, 173. La plupart des manuscrits
de ces lettres sont conservés à la Bibliothèque royale de Hanovre ; Gerhardt
a collationné les autographes de Leibniz ou les copies.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 18
Cf. Appendices, B et A, C.
Ces trois points firent l’objet habituel de ses réflexions : l’origine du mal
dans un univers non seulement bon, mais [XXII] même le meilleur possible ;
l’aide réciproque de la grâce divine et de la liberté humaine ; le renouvellement
des disciplines Scolastiques et Péripatéticiennes. En tout cela il approuvait fort
Leibniz et était approuvé par lui. Il entretint aussi une correspondance avec
Wolf. La liste de ses opuscules, se trouve dans De Backer (loc. cit.). Sa
traduction de la Théodicée fut revue et augmentée par Leibniz : « Leibnitii
Tentamina Theodicaeae de bonitate Dei, libertate hominis et origine mali latine
versa et notationibus illustrata » (1719). [XXIII]
BIBLIOGRAPHIE
JOH. EDUARD ERDMANN. Leibniz und die Entwicklung des Idealismus vor
Kant, 2e Auflage. Berlin, 1870, p. 153.
OTTO CASPARI. Leibniz. Das Princip der Monade und das Problem der
Wechselwirkung. Heidelberg, 1869 ; Leibniz’s Philosophie beleuchtet vom
Gesichtspunkt der physikalischen Grundbegriffe von Kraft und Stoff. Leipzig,
1870, p. 140-144. [XXIV]
LE « VINCULUM SUBSTANTIALE »
CHAPITRE PREMIER
Du crédit qu’il convient d’accorder aux assertions de Leibniz,
particulièrement à celles qui dans la correspondance avec Des Bosses
concernent le Vinculum substantiale.
1
On verra bientôt comment Leibniz s’est, semble-t-il, joué de Pfaff,
théologien protestant et chancelier de Tübingen. Cf. l’appendice A de la
Thèse. Il y a d’ailleurs d’autres exemples et d’autres aveux d’une telle
virtuosité — qui comporte de complexes explications.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 24
*
* *
1
« Vous trouverez quelqu’une de mes bagatelles dans le paquet, ... une
manière de petit dialogue sur quelques sentiments du R. P. Malebranche.
Mais on peut dire que ce sont des Discours Exotériques, et nullement
Acroamatiques... Ce n’est pas grand chose » (Gerhardt, III, 645-648. A
1715).
Or au même endroit, Leibniz traite à son ordinaire de la notion de
substance et de la force qui réside dans les corps.
2
Cf. Appendice A. — « ... de Theodicea mea... miror neminem hactenus
fuisse qui lusum hunc meum esse senserit ». — A cette affirmation on peut
d’ailleurs opposer cet autre fragment de lettre : « Il est vray que ma
Théodicée ne suffit pas pour donner un corps entier de mon système ; mais
en y joignant ce que j’ai mis en divers journeaux, il n’en manquera pas
beaucoup, au moins quant aux principes » (III, 618). Et en effet, Leibniz a
plusieurs fois parlé des « jeux de son esprit » sans que cette expression ait
un sens péjoratif, au contraire : ainsi quand il dit : « mira quaedam
theoremata se offerebant quae alios fugerant, et aditum videbam dari ad
plura et majora ; et machinamenta quaedam ludentis animi sub manu nata
etiam fructum promittere videbantur. » Cf. Erdmann, p. 109. Leibniz a-t-il
songé, en employant cette expression, au texte de la Bible où il est parlé de
la Sagesse « ludens in orbe terrarum » ? Le croira Volontiers qui se
rappellera cette autre pensée familière au philosophe : « Rien ne couste à
Dieu bien moins qu’à un philosophe qui fait des hypothèses pour la fabrique
de son monde imaginaire. » IV, 431.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 25
Toutefois c’est encore un tout autre problème qui se pose pour Leibniz ; car
il s’agit, dans sa doctrine, non pas tant de plans et d’arrière-plans successifs
comme il en existe en la plupart des systèmes philosophiques, que d’une sorte
de dissimulation artificieuse qui semble destinée à faire croire au lecteur sinon
1
« Inter philosophandi modos discrimen ingens : alius nempe Acroamaticus,
alius est Exotericus. Acroamaticus est philosophandi modus in quo omnia
demonstrantur, exotericus in quo quaedam sine demonstratione dicuntur,
confirmantur tamen congruentiis, quibusdam et rationibus topicis, vel etiam
demonstratoriis, sed non nisi topice propositis ; illustrantur exemplis et
similitudinibus ; tale dicendi genus dogmaticum quidem seu philosophicum
est, acroamaticum tamen non est, id est non rigorosissinium, non
exactissimum » (IV, 146).
2
« Dans les journeaux de Leipzig, je m’accommode assez au langage de
l’Ecole ; dans les autres (ceux de Paris et de Hollande), je m’accommode
davantage au style des Cartésiens ; et dans cette dernière pièce (la
Monadologie), je tâche de m’exprimer d’une manière qui puisse être
entendue de ceux qui ne sont pas encore accoutumés au style des uns et des
autres » (1714, III, 624).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 26
le contraire, du moins une chose différente de celle que Leibniz cache au fond
de son esprit. [4]
plus diverses 1. A cet égard les témoignages sur lui-même qu’il a multipliés, les
preuves que sa façon de controverser ou d’agir fournissent de son universelle
eutrapélie sont innombrables 2.
1
Par exemple, il distingue la personne de ses opinions, la doctrine même de
ses conséquences et, autant qu’il le peut, excuse : « J’espérais que ma
réponse, si elle ne satisfaisait pas à D. Régis, l’empescherait toujours de
m’imputer que j’attaquais la religion de M. Descartes, puisque j’ai dit que je
ne lui impute pas les mauvaises conséquences qu’on peut tirer de sa
doctrine » (20 février 1698. Fragment inédit d’une lettre inédite de Leibniz
à Nicaise, chanoine de Dijon qui en fit part à Huet. — Firenze Bibl. Medico
Laurentiana. — Mo. F. Ashburnam, 1886, vecch. port. 13, 14. — Texte
trouvé par mon ami L. G. Félidier, qui fut professeur et doyen à la Faculté
des lettres de Montpellier).
2
C’est l’ennemi de toutes les outrances et de toutes les entraves. « Valde
noxium est constringi in dies sentiendi libertatem non necessariis
definitionibus. » II, 337. — « Doleo ob controversiam non maximi ut mini
quidem videtur momenti. Damnatas propositiones nasi cerei similes puto,
cum nemo nesciat quam varie possibilitatis necessitatisque nomina
accipiantur. » II, 328, 329. — « Porro quae ad irrisionem faciunt, pejora
dictis injuriosis censeo ; nam magis mordent et minus facile depelluntur. »
II, 337. — « Persecutiones ob sententias, quae crimina non docent, pessimas
censeo, a quibus non tantum abstinendum sit probis, sed et abhorrendum. »
II, 337.
3
Boutroux, La Monadologie de Leibniz. Notice, p. 2.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 28
4
Dans son livre sur les Allemands, le P. Didon a longuement employé cette
expression qui prouve une méconnaissance de l’unité plus profonde que
dissimule cette superficielle dualité.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 29
1
« Mon attention quand je suis avec quelqu’un est de deviner ses idées, et par
excès de déférence de les lui servir anticipées. Cela se rattache à la
supposition que très peu d’hommes sont assez détachés de leurs propres
idées pour qu’on ne les blesse pas en leur disant autre chose que ce qu’ils
pensent. Je ne m’exprime librement qu’avec les gens que je sais dégagés de
toute opinion et placés au point de vue d’une bienveillante ironie
universelle... Je mentais assez souvent non par intérêt, mais par bonté, par
dédain, par la fausse idée qui me porte toujours à présenter les choses à
chacun comme il peut les comprendre. » (Renan, Souvenirs, p. 152, 367.)
Chez Leibniz et chez Renan, même manière d’agir et de parler, mais pour
les raisons les plus opposées. Celui-ci estime toutes choses fausses ou du
moins vaines ; celui-là les croit toutes vraies et utiles. « Cette bienveillance
universelle a beaucoup nui à la popularisation des idées de Leibniz,
quoiqu’elle eût pour but de l’aider. » (Renouvier, Manuel de philosophie
moderne, p. 280.) Un jugement aussi sévère ne me semble pas tenir compte
d’ailleurs de la valeur et de la forme de la doctrine leibnizienne.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 30
Que Leibniz ait conçu des rêves d’action, qui tendaient à égaler l’ampleur
de sa pensée, ce n’est point certes cela qui est condamnable : il faut songer aux
moyens d’action que pouvait avoir alors un homme dans la société de son
temps : qu’aurait-il pu sans ces instruments indispensables que sont les
puissances de la terre ? S’il eut le tort de n’être pas assez scrupuleux sur les
moyens, le défaut de vouloir que les grandes choses qu’il concevait arrivassent
par lui, c’est cependant vers de grandes choses que fut tournée d’ordinaire son
activité tant politique que spéculative, et il n’est pas impossible de conjecturer
que dans les entreprises qui devaient servir le plus immédiatement ses intérêts,
il goûte par-dessus tout la joie d’inventer et de produire. Souci du bien public
autant que curiosité universelle. »
lui ? quelle est son idée directrice, sa perspective centrale ou finale ? Ses
commentateurs ne réussissent pas à se mettre d’accord. — Pour l’un, ce qui
anime son entreprise, c’est un dessein logique et mathématique, la recherche
d’une « caractéristique, universelle » d’une logistique, [10] d’une méthode
permettant de spécifier, de manier algébriquement même les singularités
individuelles. — Pour un autre interprète, c’est un grand dessein politique et
humanitaire qui inspire, comme une fin supérieure, la prodigieuse diversité des
moyens scientifiques qu’il met au service d’un idéal de paix universelle. —
Pour un autre, il rêve l’organisation religieuse de la terre, un christianisme libre
où se réconcilieront les âmes de bonne volonté, et où le surnaturel
n’apparaîtrait plus que comme l’épanouissement de la nature elle-même ; le
comble du Modernisme et de l’Immanentisme avant la lettre !
Ce qui est donc peut-être le plus surprenant dans l’attitude de Leibniz, c’est
cette ambiguïté perpétuelle qui nous empêche soit de nous confier à lui, soit de
1
La publication effective des Œuvres complètes de Leibniz (Ecrits et Lettres)
par l’Académie Prussienne des Sciences a commencé en 1923 (chez
l’éditeur Gustave Fock). Elle doit comprendre sept divisions : 11 volumes
de Lettres sur la Politique Générale et l’Histoire ; 6 volumes de
Correspondances Philosophiques ; 5 volumes de Lettres sur les
Mathématiques, les Sciences de la Nature et la Technique ; 4 volumes
d’Œuvres Historiques ; 4 volumes d’Œuvres Politiques ; 6 volumes
d’Œuvres Philosophiques ; 4 volumes d’Œuvres sur les Mathématiques, les
Sciences de la Nature et la Technique... sauf imprévu !
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 32
Leibniz lui avait demandé, son sentiment sur la Théodicée et sur la méthode
dont use ce livre ostensiblement consacré à la réfutation de Bayle. Question un
peu surprenante : Leibniz avait eu déjà (comme nous le verrons plus loin) à se
mettre en garde contre l’esprit soupçonneux, l’intransigeance dogmatique, et
l’agressive vigilance de ce personnage. Si donc il prévient cette fois le zèle de
Pfaff en le questionnant, cette demande avait sans doute pour objet de
permettre à Pfaff de soulager sa bile, à Leibniz de calmer une ardeur
impétueuse dont il venait peu auparavant d’éprouver déjà l’ingérence
inquisitoriale 1. Toujours est-il que Pfaff, avec une « ingénuité » terrible dont il
se vante, déclare à Leibniz que, sous couleur de critique, il favorise
secrètement et confirme même les erreurs et les négations de Bayle, tandis que
ce qu’il eût fallu, dit-il, c’eût été une sérieuse, solide et grave réfutation, ut tam
periculosa sententia serio, solide et graviter refutetur, sans se douter que ce
n’était là en aucun cas la manière de Leibniz ! Écoutons donc l’aveu de son
étonnement devant l’attitude du grand homme [13] dont il s’attendait à
recevoir une protestation indignée à cause de sa franchise dépourvue d’artifice,
ob ingenuam responsionem. « Et que pensez-vous (demande Pfaff à son
correspondant anonyme) que m’ait riposté Leibniz ? » Ceci : « Il en est tout à
fait comme vous le dites, éminent et très révérend Monsieur, écrit donc
Leibniz, de Hanovre, le 2 mai 1716 (peu de mois avant sa mort) ; vous avez
finement touché le juste point ; et je m’étonne que jusqu’ici personne n’ait
deviné que ma Théodicée n’est qu’un jeu de mon esprit. Ce n’est d’ailleurs pas
le métier des philosophes de traiter toujours les choses sérieusement, eux qui,
en fabriquant des hypothèses, expérimentent, comme vous le faites bien
remarquer, les forces de leur génie. Vous qui êtes Théologien, vous
accomplissez votre fonction de Théologien en réfutant les erreurs 2. » Rem acu
1
Cf. L’appendice A. Nous y reviendrons plus loin.
2
Cet aveu de Leibniz aurait dû encourager Pfaff à pousser sa pointe contre le
perfide auteur. Il est curieux de noter qu’au contraire Pfaff, plus sensible à
ce qui lui est personnel qu’aux intérêts de sa théologie, — il le semble du
moins, — change d’opinion sur son correspondant et renonce aux attaques
publiques qu’il avait annoncées. Après son échange de lettres, avec le faux
défenseur de Dieu qui avait eu le mérite d’exalter sa propre perspicacité,
Pfaff renonce à écrire les Dissertationes Anti-Leibnitianas qu’il méditait
contre cet « homme illustre » devenu désormais « vir sane judiciosissimus
».
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 34
Cette simple anecdote explique l’impression que paraît avoir causée Leibniz
aux témoins les plus proches de sa vie et de sa mort. Ce personnage admiré, cet
étonnant génie qui avait entretenu une immense correspondance, exercé des
fonctions considérables, fondé l’Académie de Berlin, écrit de nobles pages sur
l’amour des hommes et de Dieu, rêvé l’union des Églises, l’organisation du
monde et de la paix du genre humain, n’avait finalement aucun ami, aucun
parent auprès de lui ; et ses obsèques n’ont été suivies, dit-on, que par son
secrétaire ; comme si tant de belles formules et de généreuses idées étaient
demeurées de glace entre ciel et terre, et comme si pour lui tout, même les
choses du cœur et de l’âme, s’était desséché en une lumière sans chaleur et
sans atmosphère, au point que jouant sur son nom à la faveur des à peu près de
la prononciation populaire, on l’appelait parfois à Hanovre le « mécréant »
(glaube nichts) — celui qui ne croit absolument, simpliciter, rien, à force de
croire à tout (secundum quid) 1 !
1
Cf. Boutroux, La Monadologie de Leibniz. Notice, p. 23.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 35
Mais n’en avons-nous pas dit assez déjà sur cette attitude intellectuelle,
morale même, de Leibniz pour être dispensé d’un examen préalable à l’étude
du Vinculum et pour sembler en droit de suivre, sans entrer dans une critique
minutieuse et spéciale à cette hypothèse, la sévérité presque unanime des
historiens les plus autorisés ? Ne devons-nous pas, comme eux et sans plus de
cérémonies, nous détourner de cette invention fabuleuse ? Leibniz s’est joué de
Pfaff, Vir summe Reverende et son coreligionnaire. Combien plus a-t-il dû
s’amuser de la crédulité de Des Bosses, obscur jésuite et de dix-sept ans plus
jeune que lui !
Comment en effet admettre que lui-même, déjà plus que sexagénaire, ait pu
remettre en question sa doctrine « arrêtée depuis longtemps et de manière à le
satisfaire » ? Comment, alors que son siège est fait, accepter l’idée qu’à propos
d’une chose qui n’est pas philosophique et à laquelle il ne croit pas, la
Transsubstantiation, il dérange tout l’équilibre de son système et nous fasse
agréer un conte bleu ? Comment, de cette théorie qui paraît contredire ses
pensées les plus mûries et les plus closes ou même « se contredire elle-
même », n’a-t-il jamais parlé à d’autres qu’à ce correspondant, à qui d’ailleurs
il a demandé le secret de ses confidences vraiment étranges ? N’est-ce point la
preuve qu’il a voulu, sinon apaiser des inquiétudes dont on ne trouve nulle part
l’aveu, du moins esquiver un débat superflu par une sorte de « galéjade »,
comme on dirait en Provence ? Au fond, Des Bosses n’est qu’un sous-Pfaff, ou
plutôt qu’un sur-Pfaff, à qui Leibniz a jeté tous [16] ses os, et jusqu’à sa
Monadologie, pour échapper en vie à de redoutables exigences ; et le Vinculum
aurait eu pour seule raison d’être l’espoir de les calmer.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 36
*
* *
très beaux côtés ; d’autant mieux que plusieurs des griefs dont nous l’avons
chargé comportent une interprétation telle qu’en effet certains défauts sont la
rançon ou la condition même d’éminentes qualités. Jusque dans son attitude à
l’égard de Pfaff, le souci de la vérité ne nous commande-t-il pas de découvrir,
sous le cynisme apparent, un sens plus profond qui en serait la justification
vraiment philosophique ? Est-ce que, pour s’absoudre d’une plaisanterie qui
eût été un peu forte si elle n’avait été qu’une pirouette de sa part, Leibniz n’a
pas songé qu’en effet toutes ses explications restaient incomplètes ; que ceux
qui s’y tiendraient, pour le suivre à la lettre, seraient peut-être aussi
incompréhensifs et dangereux que des contradicteurs obtus ; que la fécondité
de son esprit ne s’était épuisée en aucune de ses thèses ; que par le point où ses
doctrines se déterminent en des formules, elles restent inadéquates et par là
même désavouables ; que s’il est bon de controverser avec des hommes
comme Bossuet sur le formulaire dogmatique, il est peut-être meilleur encore,
à son point de vue personnel, de tenir toujours la porte ouverte à des palinodies
qui répondent au besoin, au devoir de réserver [19] l’infini développement de
l’esprit 1 ? Et le fruit de cette prestigieuse souplesse, n’est-ce pas toute
révolution de sa propre pensée qui (depuis ses hésitations d’adolescent sur les
« formes substantielles » de l’Ecole 2, jusqu’aux dernières heures de sa solitude
de septuagénaire) n’a été qu’un renouvellement progressif de perspectives : si
l’on gravit une montagne conique par un chemin en spirale, les mêmes vues ne
reparaissent-elles point sans cesse élargies et changeantes, sans qu’il soit
possible d’embrasser à la fois tout l’horizon, à moins d’être parvenu à la fine et
unique pointe ? Mais Leibniz est-il arrivé à ce sommet ? A-t-il même supposé
qu’il pût exister ? Et si la pyramide des mondes possibles a selon lui une cime
1
« C’est ma méthode : je n’ay pris parti enfin sur des matières importantes
qu’après y avoir pensé et repensé plus de dix fois, et après avoir encore
examiné les raisons des autres... J’ai changé et rechangé sur des nouvelles
lumières », 1697, III, 205. « Je ne suis pas de ceux qui sont entêtés et la
raison peut tout sur moi », III, 189. « Je suis des plus dociles », IV, 258,
260, 276 ; V. 15. « J’en ai esté enfin convaincu comme malgré moy après en
avoir esté assez éloigné autres fois », 1686, II, 58.
2
« La plus part de mes sentiments ont esté enfin arrestés après une
délibération de 20 ans ; car j’ay commencé bien jeune à méditer ; et je
n’avais pas encore 15 ans, quand je me promenais des journées entières
dans un bois pour prendre parti entre Aristote et Démocrite. Et ce n’est que
depuis environ 12 ans que je me trouve satisfait, 1697 » (III, 205).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 39
unique mais sans base, est-ce que les constructions architectoniques, où se joue
l’infatigable virtuosité de l’esprit philosophique 1, peuvent atteindre, selon son
sentiment, le système définitif et exclusif ? Ou bien le Vinculum ne lui aurait-il
pas plu et répugné à la fois, parce qu’il y entrevoyait la clé de voûte qui ferme
tout et clôt les jeux ? Si bien que nous aurions découvert en cela la raison
même de ses flottements et de ses allures onduleuses. [20]
Toujours est-il que, s’il évite en général de contredire, c’est moins faute de
courage intellectuel que recherche des occasions d’assouplir sa propre pensée,
en la faisant toute à tous, selon sa maxime qu’une charité universelle est pour
le sage simple justice. Aussi est-ce en toute vérité qu’il a pu dire : « Je me plais
extrêmement aux objections des personnes habiles et modérées ; car je sens
que cela me donne des nouvelles forces comme dans la fable d’Antée
terrassé 2 ». Autant donc il redoute les esprits sectaires ou présomptueux, autant
il apprécie ceux de ses correspondants qui lui fournissent des occasions de
discuter ses propres hypothèses et de prendre en considération des textes ou
des aspects dont il ne s’était pas encore rendu compte 3. Jamais, peut-on dire, il
n’a publié une de ses thèses personnelles sans d’abord en avoir fait
l’expérience sur des amis ou des contradicteurs capables et de comprendre sa
pensée, et de la discuter après l’avoir comprise, et au besoin de la garder
secrète après l’avoir discutée. De tels correspondants, il déclare qu’il les désire
par dessus tout et les harcèle de ses instances urgentes.
Il n’est donc pas étonnant que, pendant plus de dix ans, Leibniz ait
correspondu assidûment avec un homme qui lui témoignait d’ailleurs une
respectueuse estime autant qu’une entière franchise, toujours prêt à lui
présenter ses propres réflexions, à lui communiquer des nouvelles, à lui prêter
des livres, à lui fournir même un secrétaire et un libraire ; en sorte que Leibniz
atteste sa grande reconnaissance pour maints services rendus 1. Mais le plus
grand de ces services, c’est de pouvoir parler librement avec un homme sûr
dont les objections, dit-il, sont d’ordinaire pénétrantes : « Objectiones tuae
acutae esse solent » (II, 495). Bien plus, Leibniz approuve et encourage le
projet du Père Des Bosses qui entreprend la traduction latine de la Théodicée ;
puis, à mesure qu’avance ce travail délicat, Leibniz est de plus en plus
favorable, ajoute des corrections et des compléments, et déclare finalement que
cette traduction est tout à fait selon son vœu ou même qu’elle l’emporte çà et là
sur le texte original (II, 427 et 433). Il s’excuse même de prendre tant d’heures
à Des Bosses et le regretterait davantage si cet effort ne contribuait à lui faire
pénétrer à fond une doctrine que Leibniz voudrait voir mise en forme
didactique par Des Bosses lui-même ; et quelle marque plus grande de
confiante estime pourrait-il donner ? « Vellem vacares [22] mihi redigere
totam meam Metaphysicen, in disciplinae formam » (II, 499). Dès lors, on
s’explique les tenaces explications, les tentatives d’approfondissement, les
discussions relatives aux problèmes les plus ardus qui font de cette
1
II, 502-505. Cf. App. C : « Quod mihi (Bossaeo) arbitrium defers in Tua
cum Hartsoeckero controversia... » — « Multum prodesse posse ad
profundiorem rerum cognitionem per animos dilatandam facile intelligo. »
II, 490.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 41
Comment, dès lors, comprendre la légende qui, sans plus ample examen,
fait de Des Bosses une dupe enfantinement crédule de Leibniz ? Comment
même un esprit aussi élevé et pénétrant que Charles Secrétan, après avoir
déclaré que « les lettres de Leibniz au Père Des Bosses sont riches en solutions
sur le sens intime des théories que Leibniz présentait souvent d’une manière
plus ou moins populaire » (La philosophie [23] de Leibniz, p. 39), soutient-il
un peu plus loin, sans l’ombre d’une preuve : « Il y a tout lieu de croire,
d’après la correspondance où on la trouve, que Leibniz n’a jamais pris au
sérieux cette doctrine du Vinculum » (ibid., p. 54) ? Nous avions fait tout à
l’heure le procès de Leibniz : il serait peut-être trop facile de faire le procès de
ses historiens 3, de montrer la légèreté de leurs jugements contradictoires entre
1
Cf. II, 490, 491, et Cf. App. C : « Alios annos (etiam de meis) plurimos
sospes felixque decurre. » — « Orandus Pater luminum, ut quod in te
coepit, perficiat. » (II, 309.)
2
Des Bosses venait d’envoyer au Père Tournemine soixante-et-onze lettres de
Leibniz (Cf. De Backer, t. VII, p. 128-129).
3
Il serait curieux de noter les « variations » des critiques qui, au pied levé,
condamnent d’inspiration le Vinculum en se contredisant les uns les autres
et parfois en se contredisant soi-même. S’ils ont reproché à l’hypothèse
leibnizienne de se détruire elle-même par ses incohérences, peut-être
feraient-ils bien d’ôter d’abord la poutre de leur œil. N’ont-ils pas à la fois
reproché à Leibniz d’avoir voulu taire son invention et s’en servir
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 42
eux sur une doctrine qu’ils n’ont pas pris la peine d’examiner en elle-même ou
qu’ils n’ont pas su comprendre, victimes qu’ils étaient d’une prévention qui les
a dissuadés de faire une enquête sur la façon dont la controverse de Vinculo
s’était engagée, poursuivie, terminée. Car du moment où les causes [24] de
défiance ou de discrédit qui résulteraient du caractère des controversistes sont
écartées, il ne reste, en dehors de ces raisons personnelles ou subjectives de
suspicion, que des arguments objectifs à discuter. Ces arguments peuvent se
fonder ou sur les conditions extérieures du débat ou sur la critique interne de la
doctrine elle-même. Pour ne rien omettre, et afin de graduer notre examen,
considérons d’abord les circonstances topiques du litige. Avant de scruter la
signification intrinsèque d’une théorie qui semble si onéreuse, il est bon de
nous assurer par tous les moyens possibles qu’il ne s’agit pas d’une sorte de
mystification. Prenons donc cette précaution, en examinant la genèse et les
péripéties d’une controverse où il importe de savoir comment a surgi l’idée du
Vinculum et quelle a été l’attitude exacte des deux personnages en cause, à qui,
nous l’avons déjà entrevu, on a d’ordinaire prêté un rôle très différent du leur,
un rôle presque contraire à celui qu’ils ont joué réellement. Si cette enquête est
favorable, c’est alors que, cessant d’être des témoins du dehors, nous pourrions
*
* *
III. — Parmi toutes les questions qui occupent cette longue et souple
correspondance, les plus importantes difficultés concernent une question
métaphysique, celle non plus de la nature ou de la communication des
substances conçues comme des monades, mais de leur organisation, de leur
composition, de leur union métaphysique, de leur liaison substantielle. C’est à
ce propos que, de même que les géomètres s’aident de figures et les physiciens
d’expériences pour établir les vérités générales qu’ils dégagent des exemples
particuliers [25] et instructifs, le mystère eucharistique est allégué pour
préciser la thèse d’après laquelle, au delà de tout ce qui est accessible aux sens
ou au raisonnement, se constitue une réalité invisible et ontologique qui, sans
contredire les données expérimentales, les dépasse dans un ordre transcendant :
en sorte que l’unité organique du Christ, présent sous les multiples apparences,
forme une unité irréductible à toute division de la matière, à toute analyse
même métaphysique des monades. D’où ce problème : au delà des éléments
simples que l’analyse métaphysique suppose en tout être complexe, n’y a-t-il
pas d’abord et surtout une réalité dominant, unifiant ces éléments eux-mêmes,
plus réelle qu’ils ne le sont eux-mêmes, capable de subsister même sans eux et
échappant par là à la dispersion à laquelle une métaphysique idéaliste expose
tous les êtres complexes dont l’unité apparente semble ne pouvoir être que
subjective ? En d’autres termes, ne faut-il pas poser une thèse radicalement
réaliste qui attribue à la substance composante priorité, supériorité sur les
éléments subordonnés et en apparence antérieurs au composé lui-même ?
Mais sortons des procès de tendance et des arguments généraux pour entrer
dans le détail des faits, dans l’enchaînement des dates et dans le vif de la
controverse.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 44
Est-ce la première fois qu’il était question entre les deux correspondants de
la transsubstantiation et des difficultés métaphysiques que peut susciter le désir
de la rendre « possible [26] » au regard de l’esprit philosophique ? Pas du tout.
Dès le 6 septembre 1709 (II, 388), une paisible étude sur les conditions du
mystère eucharistique avait été abordée et close à la satisfaction des deux
correspondants qu’on ne peut même appeler des controversistes. Après cette
conclusion sereine, quinze lettres sont échangées, sans qu’il soit de nouveau
question de l’Eucharistie ; et, chose remarquable en notre examen, ce n’est pas
à propos de ce mystère que le Vinculum surgit dans la pensée de Leibniz.
Qu’on n’objecte pas qu’une dernière raison d’incrédulité tient à ce fait qu’il
n’a parlé qu’à Des Bosses de cette invention tardive de sa vieillesse. Car il
indique lui-même le motif de ce fait et en énonçant la difficulté en termes
purement métaphysiques : ce n’est qu’avec Des Bosses qu’il a eu l’occasion de
traiter ce problème 2. « Hoc argumentum de Phaenomenis ad realitatem
1
Voir l’appendice B qui reproduit ce texte expressif dont il n’a pas été tiré
suffisamment parti. Il est à remarquer d’ailleurs que, dans les griefs de Pfaff
et dans les réponses de Leibniz, le mot Vinculum n’est pas prononcé, et la
théorie à laquelle il sert d’enseigne dans la correspondance avec Des Bosses
n’est pas mise en cause. Leibniz se défend simplement de supposer, pour sa
part, un tertium quid superadditum dans l’Eucharistie.
2
II, 499. — « Vereor ne, quae diversis temporibus hac de re ad te scripsi, non
satis bene cohaerant inter se, quoniam scilicet hoc argumentum non nisi per
occasionem litterarum tuarum tractavi. » Ep. CXXI. II, 499. Remarquer
d’ailleurs les contradictions au sujet de la disparition ou de
l’indestructibilité des Vincula, spécialement II, 475, 481, 483. — « Quae
inter nos acta sunt de philosophicis rebus non puto communicationi in
publicum qualicumque apta esse, divulsa scilicet et non in systema collecta.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 47
après avoir cru se satisfaire sur la nature des substances, et se trouver au port, il
s’était, selon son aveu, vu rejeté en pleine mer, quand il avait rencontré le
problème de la communication de ces substances ; car l’idée qu’il était
désormais amené à s’en faire ne lui permettait plus les solutions paresseuses de
ceux qui n’apercevaient là aucune difficulté métaphysique. Eh bien, de même,
il découvrait maintenant un nouveau problème portant non plus sur l’action
mutuelle des diverses substances, mais sur leur union profonde, sur leur
composition réelle, sur leur organisation vraiment intrinsèque, vraiment
« substantielle » elle-même. Que vaut un tel problème ? Est-il normal,
inévitable, soluble ? Que vaut la solution ébauchée par Leibniz ? [31] C’est là
ce que nous avons maintenant à scruter sans arrière-pensée. Tout ce qui
précède était nécessaire pour déblayer le terrain, mais seulement pour le
déblayer, pour nous conduire au seuil de la doctrine elle-même que nul, peut-
on dire, n’a jusqu’ici pris la peine d’interroger directement et d’explorer en son
intime structure. Rien ne reste pour nous dissuader, mais rien n’a encore été dit
pour nous dispenser de cette expertise foncière qui seule permettra la sentence
arbitrale entre tant d’accusations s’entrechoquant. Théorie, nous dit l’un, qui ne
tient pas debout et n’a aucun sens pour un philosophe. — Théorie, nous dit un
autre, qui contredit toutes les doctrines les plus certaines et les plus
systématiques de Leibniz. — Théorie, déclare un troisième, qui se contredit et
se détruit elle-même 1. — Est-ce donc si sûr que cela ? Nos investigations
précédentes nous ont rendus un peu sceptiques sur l’impartialité et la
perspicacité des censeurs du Vinculum, traité d’expédient insincère et
d’échappatoire sophistique. Avons-nous donc à les croire sur parole, quand ils
refusent à cette invention l’ombre même de cohérence qui donne au moins une
apparence de réalité à ces « fictions ingénieuses » et à ces « jeux d’esprit » où
Leibniz déclara se complaire ? Et n’y découvrirons-nous pas même beaucoup
plus que cela ? Nous allons donc enfin entrer dans le vif de la question, après
les longues manœuvres d’abordage qui étaient rendues nécessaires par les
préjugés accumulés, par les équivoques de la terminologie, par les flottements
1
« Cette théorie se détruit donc elle-même ; et nous sommes obligés d’en
revenir à la première : il n’y a d’objectif que les monades. L’unité de l’être
organique est une unité idéale » (Ch. Secrétan, La Philosophie de Leibniz,
p. 54).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 49
CHAPITRE II
Origine et place du Vinculum dans la doctrine étagée de Leibniz.
Trop souvent on juge avant de comprendre : notre première tâche doit donc
être de saisir l’authentique signification de la théorie contestée. Or, si l’on s’est
communément mépris sur le sens et la portée du Vinculum, c’est pour n’avoir
pas discerné le rang qu’occupe le problème auquel il propose une solution,
dans l’enchaînement du système étagé et continu de Leibniz. En nulle doctrine,
la place exacte des questions à poser n’importe davantage. Faute de préciser
cette place, il devient impossible de fixer la valeur des points de vue et des
conclusions. Sans doute, à force de souplesse et d’eutrapélie, il semble que
Leibniz soit capable de tout dire : oui, mais il n’en demeure pas moins vrai
que, par devers lui, il situe chaque chose à son étage, il place chacune de ses
vues à un degré nettement défini de la hiérarchie de ses pensées. Et c’est
précisément ce situs qui fait la vérité réelle de ses thèses toujours intimement,
quoique diversement, liées les unes aux autres. Aussi, en regardant bien, nous
ne devrons pas être surpris que ce Vinculum, malgré son nom inattendu et
énigmatique 1, ne soit [33] pas « un enfant trouvé » qui aurait été laissé par
1
Si imprévu qu’il soit, ce terme comporte une justification. La monade ou
substance simple comprend deux « ingrédients », une matière première et
une entéléchie. Or, attiré par la recherche instinctive d’une symétrie,
Leibniz semble avoir d’abord esquissé, pour la substance composée qu’il
avait désormais en vue, une théorie parallèle : l’Unio metaphysica était
destinée à exprimer la synthèse des activités, le Vinculum représentait la
synthèse des passivités de cette réalité complexe et unifiée. Mais il parait
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 51
avoir renoncé ensuite à cette conception. Car il ne s’agit plus ici en réalité
de « synthèse » et d’unification, mais bel et bien d’Unité infrangible. Aussi,
malgré l’aspect actif du sens qu’offre le mot Unio, ce terme, qui évoque
encore l’idée d’une réunion d’existences préalablement données, est-il plus
impropre que le mot Vinculum en apparence plus passif, mais marquant
mieux ce dont toute la raison d’exister est d’être liaison, unité essentielle et
substantielle à la fois. Cf. Vocabulaire de la Société de Philosophie aux
mots Un, Union, Vinculum.
1
On a toujours été incliné à rapporter le Vinculum seulement aux corps.
C’était là encore la première indication fournie sur les épreuves pour le
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 52
*
* *
1
« Cum nondum satis matura esset philosophia mea (II, 372). — Nondum
perfecta est ». 1698 (II, 162, 294, etc.). — « Ceterum sunt in his omnibus
aliqua adhuc profundius discutienda, quod lata occasione non omittam. »
1689 (II, 172). — « In hâc infantià philosophiae nostrae. » 1699 (II, 187).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 54
1
« Estant enfant j’appris Aristote, et même les scholastiques ne me rebutèrent
point ; et je n’en suis pas fasché présentement... » Sur l’histoire de sa propre
philosophie, cf. III, 606.
2
« Ce que Descartes dit de l’étendue, comme elle faisoit l’essence du corps,
ne sçauroit estre soutenu même en philosophie, pour ne rien dire de la
religion » (IV, 308).
3
« Si l’essence de la matière consiste dans l’étendue, il n’y a pas moyen
d’expliquer la présence réelle dans l’Eucharistie. » IV, 345. Leibniz, à son
insu est ici injuste pour Descartes, comme il l’a été d’ailleurs en d’autres
circonstances. Pour éviter le conflit qu’on lui reprochait entre sa théorie de
l’étendue-substance et la possibilité même de la transsubstantiation,
Descartes, avec sa fécondité habituelle, avait imaginé une nouvelle
explication. Il excellait du reste, ainsi que l’a noté Delbos, à compenser les
exigences rigides de son système déductif par un recours toujours prêt à un
bon sens supérieur qui l’empêchait de heurter les données de l’expérience
ou de la foi. C’est ainsi qu’entre le monde de l’étendue et celui de la pensée,
il avait admis un ordre mitoyen, qui concernait, disait-il, le fait de l’union
de l’âme et du corps ; et c’est à cet ordre de l’union que, dans des lettres à
Mesland, il rapportait le mystère de la transsubstantiation nous dirions
aujourd’hui qu’il lui semblait un phénomène biologique, comme une sorte
d’assimilation transformante. Au reste il faut peut-être dire que la
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 55
volontiers de l’avantage que donne à son système la facilité offerte, non pas
certes d’éclaircir le mystères mais de ne pas lui fermer toutes les voies, ne
disons pas d’explication, mais de réalisation et de possibilité même. — γ)
Enfin et surtout Leibniz pousse à fond son examen métaphysique de l’idée
d’être, de réalité subsistante. Développant ses exigences critiques et son besoin
d’intelligibilité jusqu’à l’extrême limite, il ne cesse de montrer toujours plus
fortement que l’étendue, multiple et passive, ne peut être érigée en substance :
car, dit-il, ce qui n’est pas un n’est pas être et ce qui n’est point activité n’est
point réalité 1. Dès lors, au dualisme de la pensée et de l’étendue
artificiellement opposées et faussement hypostasiées comme des choses et des
passivités (res cogitans, res extensa) qui subissent leur propre nature, Leibniz
substitue un réalisme dynamiste où les êtres sont des unités de force, des
« monades » qui diffèrent entre elles moins par leur nature foncière que par
leur degré d’activité, de conscience et de perfection.
Il en était là, et il croyait déjà le succès de sa réforme obtenu, lorsque lui est
apparu le problème de l’interaction de ces « substances simples », de ces
« atomes métaphysiques » dont l’unité suprasensible ne semble pouvoir
comporter aucune influence réciproque, aucune modification procédant du
dehors, aucune activité autre qu’intérieure et spontanée 2. [39] D’où une
perplexité qui le rejette au large et lui fait craindre le naufrage. C’est alors qu’il
recourt à cet artifice, peut-être séduisant pour l’imagination, mais au fond
infiniment fragile de l’Harmonie préétablie. Il s’en sert intrépidement et
minutieusement pour ajuster son système des monades et ses conceptions
morales et religieuses ; mais en même temps il fait éclater par là de plus en
plus le caractère arbitraire et ruineux d’une telle invention destituée de tout
contrôle possible, de tout appui sur les faits, de tout recours à la science ou à la
conscience.
Aussi, quelque zèle qu’eût mis Leibniz à méditer la nature simple de ces
substances et le problème de leur communication, il n’avait pas réussi à
atteindre le port. C’est même en organisant, en détaillant ces deux conceptions,
en s’efforçant de les boucler l’une par l’autre, qu’il n’a pu échapper
complètement à d’autres problèmes ultérieurs. Tôt ou tard ces difficultés dont
était grosse sa doctrine ne pouvaient manquer de se révéler. En particulier
surgissait peu à peu à ses yeux la question de savoir si la connexion des
monades est dans tous les cas purement et simplement idéale, et si, aux divers
degrés de composition, il n’y a pas, entre les éléments, des relations autres que
celles qui sont perçues par un témoin ; des relations qui, extra percipientia et
extra percepta ipsa, ont une valeur objective, dépendent d’un être nouveau,
présentent une consistance ontologique, constituent une réalité substantielle,
c’est-à-dire une unio metaphysica, non pas résultante, mais unifiante. Bref, au
lieu de borner à deux péripéties le drame de la pensée leibnizienne, —
découverte de la nature des substances, problème de la communication de ces
substances simples, — il faut concevoir qu’il s’est trouvé un troisième [40]
point critique, celui de la composition de substances dont la complexité,
compatible avec la simplicité et l’unité organiques ou spirituelles, ont un degré
d’être supérieur à celui des éléments isolés ou des relations purement idéales.
1
Pour abréger et éclairer notre enquête, je ferai, chemin faisant et
prématurément, ressortir les artifices et les hybridations auxquels recourt
Leibniz avant d’apercevoir, par le progrès de son état d’esprit semi-critique,
les alternatives qui finalement s’imposent à l’option d’une pensée
pleinement consciente des données authentiques et inévitables du problème.
Je ne reprends donc pas un exposé classique de la doctrine leibnizienne ; je
ne rappelle son itinéraire connu que pour attirer l’attention sur les fentes de
la route, sur les ponts coupés ou branlants qui la jalonnent. Constamment en
effet Leibniz oscille entre le besoin de dissocier et celui de solidariser les
plans hétérogènes soit de la connaissance, soit de la réalité ; bien plus il
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 58
1
« Monas his duabus completa, Atomus est substantiae punctumque
metaphysicum... » IV, 508.
2
Cf. L. Stein, Leibniz und Spinoza, p. 201.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 61
qu’on peut dire inversement que le corps n’est rien sans les monades et qu’il
n’y a pas de substance où il n’y ait pas quelque chose d’immatériel. Nec
quidquam substantiale semota anima... spiritus finiti omnes habent corpora
organica (IV, 495 et Dutens, II, 227).
être une pierre d’attente et une réserve provisoire. Car Leibniz avait horreur de
« prendre la paille des mots pour le grain des choses ».
1
« Potest dici Entia composita., quae mon sont unum per se, seu vincuculo
substantiali (sive ut Alfenus ictus in digestis more Stoicorum loquitur) uno
spiritu non continentur, esse semientia ; aggregata substantiarum simplicium
esse semisubstantias ; colores, odores, esse semiaccidentia. Haec omnia si
solae essent monades sine vinculis substantialibus, forent mer.a
phaenomena, etsi vera. » II, 604. Sur le Vinculum et l’esprit des Stoïciens,
cf. O. Caspari, loc. cit., p. 312.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 65
qu’on veut cependant faire cohabiter et entre lesquels on établit une sorte de
symétrie et de solidarité, n’est-ce point là un illogisme ou une fiction
arbitraire ? Et si, pour désigner cette mystérieuse relation fonctionnelle, on
emploie un terme comme celui de symbole, [50] en disant que « les composés
symbolisent avec les simples », n’y a-t-il pas là une simple image qui profite
d’une fausse lumière, mais qui reste obscure et confuse au regard implacable
de l’esprit critique ? C’est pour mieux faire sentir cette difficulté dans toute sa
rigueur et sa pureté qu’intervient, à titre d’illustration, l’exemple typique et
sans analogue de la Transsubstantiation.
*
* *
1
Il parait bien qu’il était libéré de toute dogmatique précise à ce sujet. «
Apud nos autem, ait Leibnitius, nullus est locus neque Transsubstantiationi
neque Consubstantiationi panis ; tantumque pane accepta simul percipi
corpus Christi, ut adeo sola explicanda sit corporis Christi praesentia. » II,
390. Fr. Kirchner, Leibnitz’s Stellung zur Katholischen Kirche. Cöthen,
1875.
2
Luther semble bien avoir admis, si l’on retient au passage certaines de ses
formules, une présence réelle du Christ avec le pain, dans le pain.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 66
brutal où, en se plaçant au point de vue de [51] Des Bosses, il l’avait soudain
aperçu. D’où la clarté violente qu’introduit dans la controverse métaphysique
le cas tout à fait caractéristique où la substance est censément d’un côté, les
phénomènes, de l’autre. On peut dire que c’est en face d’un tel défi que
Leibniz 1 a reçu le choc qui lui a fait entrevoir, et comme réaliser (dans
l’acception newmanienne de ce mot) le sens d’une difficulté jusqu’alors
inaperçue ou tout au moins enveloppée ou estompée. Le problème est donc
celui-ci : ne faut-il pas renoncer à ce compromis qui assujettit en somme les
réalités métaphysiques et l’activité des substances à nos façons
anthropomorphiques d’analyser les apparences, comme si, par ces analyses et
ces abstractions, nous découvrions les éléments véritables de l’être
substantiel ? Au lieu de partir uniquement et unilatéralement de ces éléments
prétendus pour construire les choses, ne faut-il pas davantage encore et
principalement suivre une autre marche ? N’est-ce pas du tout aux parties ou
plutôt de l’être un et cependant complexe en sa riche simplicité aux conditions
multiples et subalternes, qu’il faut développer la vraie métaphysique ? En
d’autres termes, ce que dans le langage de l’abstraction nous appelons, au
passif, « la substance composée » (comme si elle résultait d’une synthèse et
comme si l’analyse seule donnait [52] le primitif, le fondamental, le solide, le
réel par excellence), ne faut-il pas l’appeler, activement, « la substance
composante », l’unité non pas numérique, qui n’est qu’en dehors d’autres
unités abstraites, mais l’unité concrète, qui est riche en elle-même d’une infinie
variété de ressources ? N’est-ce pas finalement là ce qui est la perspective
1
Détail d’ailleurs digne de remarque et qui prouve, s’il en est encore besoin,
combien peu, en tout ce problème, Leibniz s’accommode à son
correspondant : c’est Des Bosses qui ne réclame rien, pour ainsi dire, de
plus substantiel que les monades elles-mêmes, tandis que c’est Leibniz qui
suppose déjà une certaine réalité de composition d’où naîtrait la substance
nouvelle de l’agrégat. Celui-ci estime que les monades forment à elles
seules la vraie substance du composé et quelles apparences eucharistiques
sont fondées sur les Accidents absolus : celui-là au contraire suppose que
ces mêmes apparences sont fondées immédiatement sur les monades et que
la vraie substance du corps organique repose sur quelque élément plus
profond. De part et d’autre on admet donc un « tertium quid » ; mais
l’explication que Leibniz, propose, — par manière d’hypothèse, il est vrai,
— le mène déjà par un chemin caché à une conception plus profonde de la
substance composée.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 67
essentielle en laquelle il convient de se placer pour sortir des artifices où, faute
d’esprit critique comme d’esprit de force et d’esprit de finesse (au sens
pascalien), nous place inévitablement l’impuissant effort tenté pour construire
la réalité (que ce soit la matière ou l’esprit) avec de soi-disant atomes de
substance qui offrent à la critique, dans l’ordre métaphysique, autant de prise
que lui en réservent dans l’ordre physique, les prétendus insécables de
Démocrite ou d’Épicure ?
*
* *
Il ne faudrait d’ailleurs pas croire, comme on l’a souvent répété, mais bien à
tort, que Leibniz n’a touché qu’avec Des Bosses à ce problème capital de la
composition substantielle et que c’est seulement dans sa correspondance avec
lui qu’il a proposé la solution, au moins ébauchée, vers laquelle nous
acheminons le lecteur. Si ce n’est qu’avec Des Bosses qu’il a hasardé le mot
Vinculum sur lequel il demandait le secret pour se réserver de laisser mûrir
l’hypothèse incarnée en ce terme, nous avons à recueillir en d’autres de ses
écrits maints textes expressifs : « Quoique je ne tienne point que l’âme change
les lois du corps, ni que le corps change les lois de l’âme, et que j’aye introduit
l’Harmonie Préétablie pour éviter [53] ce dérangement, je ne laisse pas
d’admettre une vraye Union entre l’âme et le corps qui en fait un suppôt. Cette
Union va au métaphysique, au lieu qu’une Union d’influence irait au
physique » (Gerhardt, VI, p. 81). « Les âmes s’accordent avec les corps et
entre elles en vertu de l’Harmonie préétablie, et nullement par une influence
physique mutuelle, sauve l’Union métaphysique qui les fait composer unum
per se » (G. III, 658, 658. Cf. VI, 45, 81, 595, 602 etc.). On voit ici clairement
la superposition des étages, l’effort sincère et profond de Leibniz pour
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 68
1
Il les nomme des « labyrinthes » (VI, 29, 65, 612).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 69
CHAPITRE III
L’éveil de l’esprit critique et les raisons internes
de l’hypothèse du Vinculum
*
* *
et rien qu’en ses exigences légitimes. C’est à un tel travail de tâtonnement que
nous assistons chez les grands philosophes du XVII e siècle. L’aube de l’esprit
critique a paru lentement [56] et confusément. Souvent même c’est
accessoirement, à propos d’autres questions, que la dissociation s’est
commencée et poursuivie entre ce qu’on accordait à l’idéalisme et ce qu’on
réservait au réalisme ; et l’on s’est laissé peu à peu prendre dans un engrenage
dont on ne prévoyait pas tout ce qu’il happerait. Ce qui fait l’intérêt de la
correspondance avec Des Bosses, c’est précisément que Leibniz aperçoit cet
engrenage attirant et broyant, et qu’il se demande ce qu’il est bon et même
nécessaire d’y abandonner, et ce qu’il est possible, salutaire et vrai d’y
soustraire.
*
* *
Dans cette perspective, nous pourrons, ainsi avertis, scruter sans trop
d’impatience et sans trop d’obscurité les phases d’une controverse, qui,
d’embrouillée et pénible au début, deviendra, ce semble, en se développant,
dramatique et pleine de leçons, pour peu qu’on réfléchisse à la gravité de
l’enjeu, à la diversité des précipices côtoyés et où tant d’autres sont tombés, à
l’utilité qu’il y a pour nous à découvrir comment le légitime problème soulevé
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 73
par le criticisme comporte une solution tout autre que celle où, par suite d’un
énoncé inadéquat, Hume, Kant et leurs successeurs ont conduit la pensée
moderne, si souvent entachée de relativisme ou d’immanentisme idéaliste. Et
ce n’est pas un des moindres intérêts, un des moindres gain d’une telle
rétrospection historique que de constater la lenteur, la petitesse laborieuse des
plus grandes initiatives, la partialité des découvertes successives, le retour
onéreux à une vision plus normale et plus complète.
Et, pour éclairer ces admonitions anticipatrices, il est, je crois, utile que
j’attire l’attention sur une distinction dont le lecteur doit rester muni, s’il veut,
chemin faisant, jouir et profiter de l’imbroglio captivant et instructif où il faut
nous engager : grâce à la conscience de cette distinction, il remarquera que
Leibniz en use, sans l’avouer et même sans la discerner lui-même
expressément ; il devinera où cette distinction embarrasse Leibniz et où elle
l’éclaire ; surtout il pourra, au milieu même des obscurités passagères, prévoir
le trait de lumière et devancer l’heure où les deux aspects [60] mis en cause,
longuement disjoints ou solidarisés, finissent par se rejoindre tout au terme et
par s’unir sans se confondre 1. Il s’agit en effet et de la distinction et de la
relation, provisoire ou finale, entre la ratio cognoscendi et la ratio essendi,
entre les deux modes d’interprétation des textes et des curiosités leibniziennes :
tantôt Leibniz semble principalement suivre l’itinéraire de la connaissance, de
l’intelligibilité, de l’esprit critique et idéaliste ; tantôt il vise manifestement la
recherche et l’affirmation de l’être, de l’objectivité formelle, de la
1
Parlant ainsi je me place au point de vue de Leibniz ; mais je ne prends pas
à mon compte cette ambition décevante. Si dans l’étude de la Pensée et de
l’Etre que j’ai tentée, j’aboutis par d’autres voies et en un autre sens que
Leibniz à discerner, si j’ose dire, le trou métaphysique à combler, j’y mets
tout autre chose que ces multiples Vincula avec le contenu vague et abstrait
qu’il leur donne. Malgré toutes ses bonnes intentions Leibniz ne réussit pas
et heureusement il ne pouvait réussir à stabiliser sa demi-découverte ; car il
aurait par là contribué à rendre plus solide et plus définitive, une
philosophie séparée de la religion positive et fermée au surnaturel chrétien.
En profitant de la critique qu’il a faite d’une métaphysique inconséquente et
prématurément arrêtée, en le suivant dans l’élaboration d’une métaphysique
à la seconde puissance, nous aurons à dépasser sa perspective et à montrer
comment et pourquoi sa théorie du Vinculum, qui a le mérite de révéler un
problème inédit et inévitable, ne procure ni la méthode, ni la solution seules
satisfaisantes.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 74
*
* *
Ces vues générales étaient sans doute indispensables pour éclairer la route
que nous allons parcourir. Revenons maintenant [61] à l’examen plus
explicatif des origines et du développement de l’esprit critique chez Leibniz,
esprit critique qui a surgi en lui comme une aube obscure, puis grandissante. Il
est intéressant de décrire cette évolution, sans que d’ailleurs il soit possible
d’en suivre toutes les péripéties. Car ce lever du jour s’est produit à travers des
brumes tantôt écartées, tantôt épaissies ou flottantes.
Pour Leibniz (nous l’avons tout à l’heure indiqué comme un fait dont les
conséquences n’avaient point été expressément comprises ou voulues, et il
s’agit maintenant de rendre ce processus aussi intelligible que possible), le
point de départ de la réflexion critique est la distinction qu’il établit entre les
perceptions distinctes et les perceptions confuses, distinction qui le conduit à
une opposition entre les apparences et les causes censément objectives de ces
apparences. La distinction qu’il introduit ici est autre que celle que Descartes
envisageait. Mais il n’en est pas moins vrai que Descartes y conduisait ; nous
l’avons déjà sommairement indiqué, mais ce point est si important et il a été si
peu remarqué d’ordinaire qu’on ne saurait trop y insister ni trop réfléchir aux
répercussions d’un tel ébranlement initial.
Quelle est donc cette dialectique secrète, et par où s’est propagée cette onde
destructrice ? Par sa dissociation des qualités premières et des qualités
secondes ; par sa doctrine de l’étendue-substance et des sensations qui
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 75
qui érige la réalité authentique au delà de toutes les apparences non seulement
sensibles, mais notionnelles 1.
*
* *
Il serait instructif, mais sans doute long et confus d’examiner ici en détail
les retouches successives, les tâtonnements alternatifs, les ingéniosités verbales
de Leibniz, et tout ce [65] qu’on pourrait appeler les « repentirs » de ce peintre
de l’invisible et même de l’inimaginable, — sinon de l’impensable pour la
pensée abstractive et analytique. Lui-même a avoué à plusieurs reprises que, ne
pouvant recourir à ses lettres antérieures, il semblerait parfois se contredire 3,
mais sans que ces oppositions de mots touchent au fond des choses. Il n’en est
1
« Le composé n’est autre chose qu’un amas, ou aggregatum de simples. »
(Monadologie, § 3.)
2
« Quae de vinculis olim ad te scripsi, nunc non invenio (II, 481) Ignosce
quod saltalim scribo et ideo fortasse non semper satisfacio ; nam ad
anteriora scripta recurrere non possum » (II, 518).
3
D’où sans doute le brouillon où, avant d’écrire à Des Bosses, il fait son
examen de conscience, cherche à fixer sa terminologie, jette en quelque
sorte le loch pour déterminer la vitesse et l’orientation de ses démarches en
un courant où il ne sait trop quel sera l’aboutissement de son effort. (II,
438.)
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 78
Nous allons indiquer d’abord les embarras que traduit l’inconsistance même
des idées et des formules de Leibniz sous l’empire d’un besoin, encore mal
défini, d’échapper à un idéalisme radical et dissolvant. [66]
1
« Chez moi les infinis ne sont pas des touts et les infiniments petits ne sont
pas des grandeurs. Ma métaphysique les bannit de ses terres. Elle ne leur
donne retraite que dans les espaces imaginaires du calcul géométrique, où
ces notions rie sont de mise que comme les racines qu’on appelle
imaginaires. » Œuvres de Leibniz, publiées par Foucher de Careil, 1854, t.
I, p. 234. C’est à cette unité fictive que R. Zimmermann assimile les
vincula : « Es ist, wie wir an einem Orte nach — gewiesen haben
(Lebnizund Herbart, S. 87), lediglich Schein der entsteht durch die
verwornene ineinander fliessende Auffassung des Unendlichen von Seite
eines endlichen Denkens und dem gar nichts Reales entspricht ». Loc. cit.,
p. 41-42.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 79
*
* *
1
« Monades enim revera non sunt hujus additi vinculi ingredientia sed
requisita... » (II, 435.) — Cf. L. Stein, Inedita, p. 324. « Non ideo dicendum
est substantiam indivisibilem ingredi compositionem corporis tanquam
partem, sed potius tanquam requisitum internum essentiale. Sicut punctum
licet non sit pars compositiva lineae, sed heterogeneum quiddam, tamen
necessario requiritur, ut linea sit et intelligatur. »
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 80
tour, que vaut-elle dans l’ordre ontologique ? Peut-on justifier la prétention que
l’on émet d’en faire l’élément réel et le fondement de tout ? Murée comme elle
l’est, tout en n’ayant de raison d’être que son rôle de « miroir de l’univers » ;
condamnée à être sans action véritable, tout en étant définie comme une force,
ne serait-elle pas, elle aussi, une simili-force, un mimétisme de substance, une
peinture d’activité, un relief en [69] trompe-l’œil ? Et l’idéalisme, à force
d’épurer le réel et l’intelligible, ne s’évanouit-il pas en son apparent triomphe
qui n’aboutit qu’à l’inintelligibilité et à l’irréalité pures, comme est
évanescente une relativité absolue, c’est-à-dire sans termes relatives, sans
étalon, sans lien, sans unité ? Aristote, parlant de la nécessité de conjurer la
débandade des idées, observe que, quand la panique s’empare d’une troupe, un
seul soldat qui s’arrête peut suffire à reformer l’armée autour de lui : la
tactique à observer ici est toute pareille. Il faut découvrir et faire entrer en jeu
un point de résistance inébranlable. Mais où trouver ce nécessaire appui autour
duquel se constituera l’unio metaphysica, le solide Vinculum, qui devra être
autant au delà de l’idéalisme monadique que celui-ci est lui-même au delà du
pseudo-substantialisme physique ? Et comment échapper à l’arbitraire de cet
ἀνάγκη στῆναι, alors que la force de la dialectique comme de la vie même
nous pousse en avant et nous crie : ἀνάγκη μὴ στῆναι.
Une allégorie nous aidera sans doute à mieux comprendre la lenteur des
démarches entreprises pour surmonter la difficulté en cause et le long temps
qui est nécessaire pour que [70] l’esprit critique acquière sa vision normale et
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 82
quasi spontanée. Un de mes amis qui louchait de naissance, a été opéré vers sa
trentième année, et le docteur Javal qui, pour la première fois, tentait sur un
adulte capable de s’observer lui-même le redressement d’un strabisme
congénital, a recueilli de curieuses données psychologiques sur ce cas inédit 1.
Il a constaté la difficulté de fusionner dans la conscience les images visuelles
qui pourtant, anatomiquement et optiquement, devaient coïncider ; puis la
difficulté, plus grande encore de faire concorder, même après que la
superposition des images des deux champs de la vision distincte avait été
obtenue, les images de ces champs de la vision confuse. D’où l’apparition
paradoxale de fausses projections manifestant la tyrannie hallucinatoire
d’habitudes psychologiques anciennes, tyrannie telle que là où l’opération
chirurgicale avait pour but de procurer l’unité des fonctions binoculaires, il
s’était provisoirement produit, [71] par la combinaison de l’automatisme avec
la dialectique secrète des interprétations subconscientes, trois images
différentes et même plus. Eh bien ! au début du redressement de sa pensée
critique, Leibniz, en s’apercevant qu’il louchait en quelque façon, n’a pas
réussi d’emblée à mettre d’accord ses conceptions récentes et ses vues
1
Avant l’opération, l’œil dévié où se formaient cependant des images, avait
vécu pour ainsi dire à part de la conscience : parce qu’elles auraient été
gênantes, ces images étaient vaincues par celles de l’œil utilisé et
complètement éliminées. Survient l’intervention chirurgicale, le
redressement de l’axe visuel : les habitudes anciennes sont troublées, et
cette rupture ramène à la conscience les images précédemment exclues ;
mais, comme elles étaient accoutumées à une vie indépendante, elles
tendent à garder cette autonomie, même en redevenant conscientes ; d’où
cet étrange phénomène et cette logique psychologiquement paradoxale au
point de causer un malaise extrême, comme s’il fallait voir deux objets
différents et identiques en une même place. Dès lors, tendance à dissocier,
sous les exigences de la pensée, ce qui est superposé de fait. Et l’image,
précédemment inconsciente, mais rendue à la conscience (plutôt que de se
suicider, pour ainsi dire, en l’autre image habituée à être seule maîtresse)
projette en une fausse projection l’objet redoublé, mais comme s’il était à la
place où l’aurait vu l’œil dévié en devenant conscient. La tyrannie
psychologique du subconscient est provisoirement plus forte et que la
réalité physique ou physiologique et que la connaissance savante dont
cependant des exercices réitérés et des efforts persuasifs d’auto-suggestion
contre-hallucinatoire finissent par assurer la victoire, d’abord pour le point
de la vision distincte, ensuite pour le champ de la vision confuse quoique
celle-ci soit très lente et très difficile à conquérir tout entière.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 83
anciennes, ses découvertes distinctes et ses parti pris confus, ses expressions
nouvelles et sa terminologie acquise ; et certains illogismes apparents résultent
d’une sorte de logique plus complexe où les habitudes invétérées et les
intentions rectificatives entrent en conflit tout en croyant s’harmoniser.
Il en résulte qu’il faut accorder quelque indulgence aux historiens qui ont
accusé Leibniz d’être un Protée et de « se jouer » avec la souplesse d’un
amphibie entre de multiples thèses qu’il ne réussit jamais à solidement agencer
comme si, dans son immense édifice, les maîtresses poutres elles-mêmes
portaient à faux. Et pourtant le problème qui amène Leibniz à mettre en œuvre
toute cette dialectique déconcertante n’est ni fictif pour lui, ni imaginaire pour
personne. C’est un problème qui était réellement à poser, — qui a été posé
après lui avec une force toujours grandissante et un danger toujours croissant.
Ce problème, nous aurons, pour finir, à le dégager de toutes les illusions
idéalistes ou réalistes ou criticistes auxquelles Leibniz n’a pas réussi à le
soustraire, pour opérer, per Vinculum, la réconciliation terminale du véritable
réalisme et du véritable idéalisme, in Vinculo. [72]
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 84
CHAPITRE IV
Les causes des embarras de Leibniz.
toujours discursif, des réalités et des certitudes qui ne se laissent pas réduire au
« discours ». Mais pour qui a l’expérience vive et la conviction lumineuse de
ces « présences réelles » que n’épuise aucune « représentation », la langue elle-
même réussit à suggérer la plénitude qui cause la ligature de nos facultés
d’expression ; comme c’est le cas pour ces contemplatifs qui, devenus
impropres à méditer par points successifs, parviennent cependant à discerner
avec précision, à décrire avec fidélité, fût-ce par des négations, l’esprit
nouveau et « unitif » dont ils sont animés. Leibniz, lui, continue à s’attacher à
des littéralités, et il balbutie des mots dont le sens, impossible à vivifier, a été
pris parfois, non sans vraisemblance, pour une mauvaise plaisanterie. Le
lecteur [76] en a déjà pu faire spontanément la remarque ; et il a même estimé
peut-être que nous passions trop vite, avec trop de complaisance, sur des
expressions vraiment « renversantes ». Il est visible par exemple, que Leibniz
s’égare quand il nous parle d’un écho antérieur, pour ainsi dire, aux ondes
multiples qui se répercutent en lui, comme si la synthèse formée par ces
vibrations sonores était la cause véritable et la raison initiale des sons eux-
mêmes. Une telle façon de s’exprimer en cherchant à utiliser les données
physiques à la fois littéralement et au rebours des lois positives de la science ne
laisse pas que d’être plus que défectueuse. Elle réussit mal à traduire le
renversement qu’on veut marquer et elle indispose les esprits au lieu de les
éclairer. Car enfin il s’agit ou il devrait s’agir du passage ou de la substitution
d’un point de vue à un autre point de vue tout différent, ou comme eût dit
Pascal, d’un ordre à un autre ordre qui est un infini par rapport à l’ordre
d’abord considéré.
On voit donc, par les brèves indications qui précèdent et qui répondent au
programme strictement limité de ce chapitre, d’une part quelles ont été les
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 89
CHAPITRE V
Quel crédit finalement Leibniz et Des Bosses ont-ils accordé au
Vinculum, et quel intérêt cette doctrine, telle qu’elle a été présentée par
Leibniz, conserve-t-elle pour nous ?
On peut dire que Des Bosses, après avoir contribué à mettre Leibniz en face
du trou de sa doctrine, ne s’est pas rendu compte de la portée de son objection,
n’a pas compris l’émotion intellectuelle de son correspondant, n’a pas attaché
d’importance à une hypothèse dont il ne voyait pas les raisons profondes et la
portée lointaine. Il s’est contenté des solutions communes et, en ce qui
concerne la Transsubstantiation, il s’est borné à invoquer des accidentia
absoluta, comme si ces mots, qui ne font que formuler en termes techniques la
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 91
Quant à Leibniz, on peut dire, semble-t-il, qu’il n’a pas vraiment fixé ses
conclusions personnelles : il a vu un « possible », même plus qu’un possible 2,
un « besoin », une « exigence » de la pensée et de la réalité ; mais il n’a certes
pas eu le temps de pousser à fond la solution hypothétiquement posée 3,
d’autant plus qu’il lui eût fallu « une plus longue investigation » et que surtout
1
Cf. II, 432-433. « Nolim accidens merum semper modum esse, id est talem
qui ne divinitus quidem sine substantia esse queat, nec ullam video
contradictionem in eo quod aliquod ens mediam datur inter substantiam et
merum modum, quod medium ens an accidens vocandura sit lis erit de
voce. » (II, 453.) — Des Bosses revient souvent sur cette définition
classique et se contente de l’affirmer comme si elle était la solution et non
l’énoncé du problème : « Ego aio esse accidens absolutum, absolutum
quidem quia nulla modalitas rerum per se inextensarum et immobilium
potest reddere res illas vere extensas et vere mobiles, etc., accidens vero
quia praesupponit substantiam compositam jam in esse suo constitutam per
monadas earumque modos substantiales... » (II, 466.) Et il ne comprend
même pas la fonction « substantialisatrice » du Vinculum : « Vinculum illud
monadum tam parum videtur esse posse tota substantia panis quam parum
vinculum inter animam et corpus est tota substantia hominis » (II, 463).
De son côté, Leibniz répondait : « Vinculum quod substantiam
compositam facit, nolim appellare Accidens absolutum, quia mihi omne
absolutum est substantiale... Nolim etiam Ens realisans phaenomena
distinguere a vinculo substantiali. » (II, 475.)
2
Par instants, Leibniz est en effet beaucoup plus affirmatif ; et un avocat
unilatéral du Vinculum pourrait, textes en mains, soutenir les arguments
suivants, crescendo : Le Vinculum est « possible » ; même il est «
compossible » avec toutes les autres thèses de Leibniz. Or tout ce qui est
compossible en notre monde qui est le plus plein de réalité, est par là même
« réel ». Bien plus, le Vinculum (s’il n’est pas une « donnée empirique », s’il
n’est pas non plus une « nécessité logique » ni une « requête rationnelle »
selon l’ordre formel des principes abstraits ou selon l’ordre métaphysique
des causes efficientes), est « exigé », du point de vue des causes finales et
selon l’ordre de la perfection qui a son genre de démonstration et
d’excellence, « sa nécessité morale ». Non datur, non implicatur, non
requiritur, sed (quod multo melius est) exigitur. — Oui ; seulement Leibniz
n’a pas donné de consistance à un tel système d’arguments qu’il a laissés
comme épars. En sorte qu’en le lui attribuant, on pécherait contre
l’exactitude de l’histoire et contre la psychologie de Leibniz. Ajoutons
même que l’idée de nécessité morale est très équivoque, très déficiente, très
déviée chez lui, et que c’est précisément cette carence qui a peut-être le plus
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 92
Faisons donc une première constatation : Leibniz n’a pas adhéré à sa propre
doctrine du Vinculum d’une façon telle qu’on puisse affirmer qu’il l’a adoptée
fermement et définitivement sans réticence d’aucune sorte. Je n’ai jamais pris à
mon compte une telle affirmation, et je le répète à présent qu’on se rendra plus
clairement compte du sens et de l’importance de cette distinction. Victor
Brochard, qui m’avait tout d’abord prêté une conclusion aussi simpliste lors de
la soutenance de ma thèse latine en 1893, a reconnu plus tard s’être mépris sur
ce point. Ni Des Bosses, ni Leibniz lui-même n’ont accordé à la perspective
entr’ouverte par le Vinculum l’importance qu’elle pourrait et qu’elle devrait
prendre s’il fallait réorganiser toute la philosophie première en fonction de
cette doctrine qui cependant n’est rien si elle n’en est l’aboutissement et le
couronnement.
D’ailleurs, notons avec soin que, en émettant cette hypothèse, Leibniz avait
beaucoup moins le sentiment de faire du nouveau que de se rattacher à
l’ancien, fourni par la scolastique. Nous avons à cet égard des textes formels,
et notamment celui-ci qui date de la fin même de sa correspondance avec Des
Bosses, et qui manifeste l’intention de la résumer, de la conclure : « Mea igitur
doctrina de substantiis compositis videtur esse ipsa doctrina Scholae
Peripateticae, nisi quod illa Monades non agnovit. Sed has addo, nullo ipsius
doctrinae detrimento. Aliud discrimen vix invenies, etsi animum intendas (II,
511) ». Sans doute (ainsi que je le faisais remarquer en 1892 après avoir cité ce
texte capital), cette insertion des monades est d’une extrême importance
puisque c’est par là que Leibniz relie la métaphysique traditionnelle à la
science positive, à l’analyse critique, aux [83] méthodes des hautes
mathématiques et de la physique moderne. Mais enfin la déclaration est
catégorique, explicite, manifestement sincère ; et elle mérite d’être retenue et
méditée.
D’un autre côté, on ne saurait trop redire que, parlant des vincula, il a
employé le terme le plus fort que nous trouvions sous sa plume dans toute cette
discussion. Il a dit que ces vincula sont « exigés » : exigi vincula et, quoique
nous ayons déjà commenté cette expression techniquement choisie et grosse de
sens, nous n’avons pas encore indiqué toute la portée de cette « exigence » ;
nous avons considéré, la nature formelle de cette réclamation, mais il faut voir
aussi à quelles causes, à quels objets, matériellement, elle se suspend. Sans
doute on pourra objecter que cette exigence n’est pas absolue, qu’elle demeure
hypothétique. Car les deux problèmes auxquels la théorie du Vinculum apporte
une réponse sont, pour Leibniz, conditionnels jusqu’à plus ample examen : il
faut, dit-il, faire intervenir les vincula substantialia d’abord si nous voulons
qu’il y ait une réalité organique, ensuite si nous croyons au dogme catholique
de la Transsubstantiation. Mais ce qu’il nous importe à présent d’apprécier, ce
n’est plus la force du lien, c’est l’importance de l’enjeu : et quelle en effet ne
se révèle pas la valeur des intérêts mis en cause, des objectifs philosophiques et
religieux dont il nous est dit que le Vinculum leur est nécessaire d’une exigence
vitale ! On ne saurait surfaire la gravité du débat, pour peu que l’on considère
l’étendue des domaines qu’embrassent de tels objectifs ! D’une part, la
composition, l’organisation est en fait partout répandue : c’est donc la nature
entière et toute la métaphysique qui est mise en question par la théorie du
Vinculum. D’autre part, c’est toute la foi de l’Église catholique à la surnaturelle
Charité qui vient se condenser dans la croyance à la Transsubstantiation [84] :
c’est donc, en un sens exact et selon l’aveu de Leibniz, tout le catholicisme qui
est intéressé à l’affirmation de l’existence du Vinculum, si du moins l’on
aperçoit les profondeurs inexplorées et les difficultés inédites que Leibniz avait
cru entrevoir à la suite de ses analyses critiques. Mais nous avons dit nos
raisons de ne pas aborder l’aspect théologique du problème qui est
originellement, principalement et finalement philosophique.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 94
Si donc nous avons besoin d’un vrai chef, d’un chef capable d’empêcher la
débandade de l’armée en tenant ses forces en une formation compacte et
coopérante, ce n’est pas la monade censément dominante qui nous rendra ce
service : elle ne saurait ni réellement, ni idéalement et intelligiblement, jouer
un tel rôle unitif et actif. Elle n’a même pas l’autorité externe — merveilleuse
en soi, mais insuffisante ici — d’une reine des abeilles, unité vivante, féconde
et laborieuse de la ruche. C’est pourquoi, quand il entreprend de défendre
l’hypothèse [86] du Vinculum, Leibniz, faute de pouvoir l’établir par des
arguments directs et par des descriptions positives, en allègue volontiers une
preuve a contrario qu’il importe de relever. Appliquant la méthode scientifique
d’absence, qu’il emploie d’ailleurs en d’autres occurrences, il en revient à
supprimer en effet, par une nouvelle hypothèse, l’hypothèse nouvelle du
Vinculum. Qu’en va-t-il résulter ? Ecoutons-le nous le dire en termes formels.
« Tunc corpora in phaenomena mera abeunt, et eo ipso omnes controversiae
de compositione continui cessant 1. » Evidemment il n’y a plus à fournir une
explication des composés, puisqu’il n’y a plus de composés ; mais alors ce sont
tous les étages de la nature qui s’effondrent les uns sur les autres en poussière,
jusques au plus bas des fondations, et aux premières ébauches d’organisation.
Car enfin, de quoi s’est-il agi pour Leibniz ? Il s’est agi de savoir si ce qui,
à nos sens et à notre entendement, paraît complexe et multiple, ne comporte
pas, ne manifeste pas une unité réelle, antérieure et supérieure à tout le reste du
donné, quoique, dans sa vive et riche indivisibilité, cette unité soit inaccessible
aux sens et à tout ce que l’intellect abstractif et discursif bâtit sur les
phénomènes comme s’ils étaient l’être même. Leibniz paraît avoir compris que
la véritable assise des choses est autre que ces échafaudages du monde de la
1
« Continuitas realis non nisi a vinculo substantiali oriri potest. Si nihil
existeret substantiale praeter monades, seu si composita essent mera
phaenomena, extensio ipsa nihil foret nisi phaenomenon resultans ex
apparentiis simultaneis coordinatis, et eo ipso omnes controversiae de
compositione continui cessarent. » (II, 517).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 96
Ce qui paraît plus douteux, c’est qu’il ait vu dans une suffisante clarté le
nouveau dilemme que le Vimculum lui-même [88] posait inévitablement. Le
Vinculum explique, unifie, réalise les composés : c’est entendu. Mais d’où
vient-il à son tour ? Quelle est son origine ? Il peut surgir d’en bas, ou il peut
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 97
1
« Si substantia corporea aliquid reale est praeter monades, uti linea aliquid
esse praeter puncta, dicendum erit, substantiam corpoream consistere in
unione quadam ; aut potius uniente reali a Deo superaddito monadibus, et
ex unione quidem potentiae passivae monadum oriri materiam primam,
nempe extensionis et antitypiae, seu diffusionis et resistentiae exigentiam...
» (II, 435.) Il faut d’ailleurs remarquer que ce texte se rapporte plutôt à la
première et mauvaise conception du Vinculum, en rapport avec la question
de la matérialité plutôt qu’avec celle de l’organisation et de la finalité.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 98
1
Il est utile de mettre sous les yeux et de confier à l’attention du lecteur ce
texte qui semble le plus précis, le plus décisif de ceux que Leibniz, écrivant
pour lui-même, a consacrés à son hypothèse. Mais malgré le ton presque
impérieux de cet oracle où il semble que Leibniz voyait en pleine lumière la
Charte même de son invention, nous allons voir qu’il s’agit encore d’une
fausse lumière qui n’a pas duré. Dans la suite même de sa correspondance
Leibniz ne reste pas conséquent avec les formules tranchantes qui ont pu lui
paraître un instant définitives et cohérentes. Après avoir passé en revue les
degrés de son idéalisme de manière à faire consister la réalité des choses
non point en notre pensée et dans les relations que les choses ont entre elles
mais dans le fait que ces relations mêmes sont les « phénomènes de Dieu »,
Leibniz arrive à déclarer : « in hoc consistit retationum ac veritatum realitas
», II, 438. C’est alors qu’il ajoute cette déclaration portant à la fois sur la
solution générale du problème ontologique et sur la question particulière de
la transsubstantiation :
« Praeter has relationes reales concipi una potest perfectio, per quam EX
PLURIBUS SUBSTANTIIS ORITUR UNA NOVA. Et hoc non erit simplex
resultatum, seu non constabit ex solis relationibus veris sive realibus, sed
praeterea addet aliquam novam substantialitatem seu vinculum substantiale,
nec solius divini intellectus, sed etiam voluntatis effectus erit. Hoc additum
monadibus non fit quovis modo, alioqui etiam dissita quaevis in novam
substantiam unirentur, nec aliquid oriretur determinati in corporibus
contiguis, sed sufficit eas unire monadas, quae sunt sub dominatu unius seu
quae faciunt unum corpus organicum seu unum Machinam naturae. Et in
hoc consistit vinculum metaphysicum animae et corporis, quae constituunt
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 99
Il est donc bon de faire saigner à fond ces plaies secrètes. Non certes pour
décourager l’effort curateur, mais au contraire pour préparer la cicatrisation qui
ne saurait s’obtenir que par une reprise complète de l’opération chirurgicale
vainement tentée tour à tour par Leibniz, par le criticisme et par nos relativistes
et nos immanentistes contemporains.
Une chose demeure acquise par l’examen des faits et par l’étude de
l’histoire des idées philosophiques, c’est qu’il y a à résoudre une antinomie
apparente qui résulte des impuissances de la pensée analytique et des
triomphes de la réalité agissante en face de l’infini actuel. Selon
l’enseignement de l’Ecole, cet infini actuel, qu’enveloppe toute réalité
singulière, ne saurait être épuisé par aucun effort de la ratio discursiva.
Répétons encore l’axiome bien connu : infinitum actuale discursu rationis
transiri nequit. Cependant, dans la nature ou par l’action humaine, ou par la
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 102
Mais, dira-t-on, cet échec d’un puissant esprit, qui avait su discerner la
fissure par où s’est introduit et répandu tout l’acide corrosif du criticisme et du
relativisme modernes, ne prouve-t-il pas, mieux que toute argumentation, à
quel point la tentative est chimérique ? C’est à ce doute que répondra notre
sixième et dernier chapitre. [97]
1
Gardons-nous bien en effet de confondre le légitime et nécessaire et
salutaire point de vue critique avec la solution criticiste : elle n’est qu’une
réponse particulière à un problème qui est en effet à poser, mais qui a été
mal posé et conséquemment mal résolu par l’idéalisme transcendantal,
lequel part de présupposés factices et de pseudo-données notionnelles, telles
que l’opposition abstraite du sujet et de l’objet.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 104
CHAPITRE VI
Quelles confirmations et applications l’hypothèse du Vinculum
comporte-t-elle, et vers quelle philosophie plus concrète et plus intégrale
nous conduit-elle ?
S’il m’a paru bon de revenir sur cette question obscure et à bien des égards
décevante du Vinculum, c’est que, en l’étudiant, on est amené à s’éveiller en
même temps du sommeil dogmatique et du préjugé critique, deux espèces
contraires d’un même genre, deux extrêmes qu’il ne faut pas traiter comme des
contradictoires, ni même comme des contraires exclusifs l’un de l’autre, mais
qui apparaissent désormais comme des vues portant sur des aspects solidaires
ou comme des mouvements différents, subordonnés à une vérité plus
compréhensive 1. D’où l’utilité de déblayer le terrain des murs qui masquent
nos regards et d’étendre l’investigation en un champ ultérieur. Je ne voudrais
1
L’étude publiée en 1908 dans la Revue de métaphysique sous le titre «
L’illusion idéaliste» s’inspire précisément d’une idée analogue à celle que je
suggère ici. Réalisme et idéalisme, en tant qu’on prétendrait les opposer
absolument substituent de part et d’autre aux données authentiques des
abstractions que l’on isole et que l’on hypostasie par une sorte
d’extrapolation : on pose un sujet en face d’un objet comme une pierre en
face d’une pierre ou comme une chose devant un miroir ; on perd de vue les
communications initiales, les échanges continuels ; on canonise des
oppositions durcies et en quelque sorte substantialisées prématurément et
artificiellement. Rien d’étonnant si l’on aboutit à des confusions ou à des
antinomies inextricables sans pouvoir réaliser l’union finale dans la
distinction sauvegardée.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 105
pas toutefois que l’on [98] s’imaginât devoir trouver ici une ébauche des livres
en préparation où je traite de la « Pensée » et de « l’Etre », ni une première
application de la méthode que j’y emploie. Non. Si je dois à l’hypothèse du
Vinculum d’avoir de bonne heure aperçu les lézardes de l’édifice abstraitement
et analytiquement dogmatique ou le périlleux arbitraire de l’intuitionnisme
aussi bien que les illégitimes présupposés et les fonds crevassés de l’idéalisme
critique, je n’ai cependant à aucun moment repris pour mon compte le tracé de
Leibniz. Le très long temps qu’il m’a fallu pour me frayer des voies tout autres
que les siennes et que celles, ou de Kant, ou de Biran, ou de leurs successeurs,
tient à mon souci constant de vérifier à chaque pas les données concrètes dont
je voulais m’assurer qu’elles me maintenaient toujours en contact avec la terre
ferme. — « Alors, dira-t-on, travail inutile que cette étude sur le Vinculum ? »
— Non pas. Car, si elle ne fournit vraiment ni la méthode, ni la conclusion, ni
même l’énoncé exact du problème, elle sert à montrer que ce problème même,
si ordinairement escamoté qu’il soit, est réel et inévitable, à justifier la témérité
qu’il m’a fallu pour affronter une telle difficulté, et à préparer le lecteur aux
exigences inédites de méthode et aux renouvellements salutaires de perspective
que j’aurai à lui proposer dans une œuvre d’ensemble 1.
1
Pour s’éviter la tentation de croire que les vues dont nous allons l’entretenir
un moment sont illusions d’optique et propos en l’air, le lecteur pourrait
peut-être prendre connaissance dès maintenant de l’Appendice IV.
L’allégorie qui y est proposée n’est pas un mythe ; elle présente une réalité
de fait ; et cette vérité aidera à la fois l’imagination et la raison à fournir une
idée concrète et intelligible du Vinculum. Elle montre en même temps
comment les choses d’en bas ont déjà une consistance propre et même
indispensable, mais aussi comment une chose d’en haut, existant elle-même
à part, consolide l’ordre inférieur et existe de façon éminente et réelle en
tout le reste. Lorsque Leibniz nous dit que la réalité transcendante dont il
propose l’hypothèse potest distincte concipi et exigi, sed non explicari
imaginabiliter, il n’aboutit en somme qu’à un réalisme verbal, à une
abstraction hypostasiée. Mais si cette réalité est réelle, concrète, efficiente
en même temps que finale, elle offre prise à la pensée concrète, elle aussi.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 107
Pour le mieux estimer avant même de réussir à nous en faire une de ces
idées familières et toutes simples que Pascal disait convenir aux plus grandes
choses, il y aurait profit tout d’abord à nous référer aux doctrines de l’Orient
où la sagesse s’est attachée à promouvoir une disposition simplifiante de la vie
intellectuelle et morale, envisageant en cela les choses au rebours de nos
sciences analytiques et de nos activités industrielles. La tradition de la pensée
occidentale n’a pas ignoré ce domaine de la contemplation, soit sous des
formes spéculatives et dans la hautaine lumière d’une pure et froide
intelligence [101], soit dans les réalisations pratiques obtenues par les voies de
l’ascèse et de la mystique. — Depuis Xénophane qui, selon le mot d’Aristote,
avait le premier pris l’unité totale comme centre de perspective δ πρῶτος
ἑνίσας ; — depuis Zénon d’Élée qui, inversement, avait montré
l’impossibilité logique et réelle de s’en tenir à la conception analytique et
morcelante du monde ; — depuis Platon qui, grâce à la vitesse acquise sur les
degrés de la dialectique et le « tremplin du discours », s’élevait « par un bond
soudain » à l’intuition réminiscente et transcendante de l’Un, de l’Idée, de
l’Etre inaccessible au devenir ; — depuis Aristote qui, malgré son attachement
aux démarches progressives de la prudente logique, reconnaît cependant au-
dessus de cette vie moyenne de l’esprit des éclairs d’éternité grâce auxquels, en
certains instants privilégiés et fugitifs, nous « faisons les immortels » ; —
depuis Plotin et ses processions qui tendent à transcender toute idée même
d’Unité et d’Être défini ; — à travers les grands Docteurs chrétiens et la
Métaphysique des saints, où il y aurait tant d’expériences, d’enseignements et
de textes à recueillir sur la Pensée Unitive, sur l’illumination intérieure, sur les
hautes opérations de l’Intellectus 1, sur la nature profonde des êtres qui ne
1
Récemment, à Louvain, parmi les thèses soutenues le 5 juillet 1928 par M.
l’abbé Edmond Goossens, figure celle-ci : « Mieux sans doute que M.
Bergson, M. Blondel a vu que, après avoir échappé à l’impasse du
positivisme, il fallait encore se dispenser du saut dans l’inconnu en évitant
de s’en remettre au sentiment, au cœur, à la volonté, à la croyance » (Thèse
IV).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 108
peuvent être pleinement connus en leur singularité concrète que par une
compréhension synthétique ou même supra-discursive 1 ; — jusqu’à Descartes
espérant transformer ses déductions en [102] intuition ; — jusqu’à Spinoza
aspirant à la connaissance du troisième degré où l’universel concret et singulier
est vu et réintégré sub specie unitatis et aeternitatis ; — jusqu’à Pascal, à
Newman et à tant d’autres qui, sans méconnaître les divers ordres de vérité et
de réalité, ont discerné une philosophie supérieure, une sagesse antérieure et
ultérieure aux sens et aux sciences comme à la métaphysique elle-même de
l’abstrait ; oui, depuis les anciens, à travers les médiévaux et jusqu’aux
modérées, toujours plus ou moins « réflexion » et « prospection » 2 ont oscillé
autour de ce centre inaccessible et certain comme un pôle magnétique ;
toujours elles ont reconnu que la connaissance et la réalité sont à viser comme
par deux faces, des éléments au complexe et de l’unité concrète et
compréhensive à la multiplicité à la fois conditionnante et subordonnée.
*
* *
Qu’on me permette donc ici une parenthèse qui contribuera à éclairer notre
difficile sujet et à nous mettre en garde contre les solutions expéditives, tout en
nous laissant entrevoir quelques-unes des profondeurs et des hauteurs d’une
telle difficulté.
de venir annoncer aux physiciens que l’inerte s’expliquera par le vivant, aux
biologistes que la vie ne se comprendra que par la pensée, aux philosophes que
les généralités ne sont pas philosophiques, aux maîtres que le tout doit
s’enseigner avant les éléments, aux écoliers qu’il faut commencer par la
perfection, à l’homme, plus que jamais livré à l’égoïsme et à la haine, que le
mobile naturel de l’homme est la générosité ? »
1
Cf. la citation donnée plus haut, en note, au bas de la page 101. — Je ne
réussis d’ailleurs pas à comprendre comment, sous prétexte de défendre «
l’intelligence », on prétend exclure l’amour de la vie intellectuelle elle-
même, comme si l’amour n’était et ne pouvait être qu’affectivité inférieure,
mais non réalité d’ordre volontaire, moral, spirituel, amour à la fois
contemplatif, effectif et unitif, où le caractère affectif n’est que signe et
surcroît, comme le disait Aristote dans sa théorie du plaisir et du bonheur.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 111
sans préjudice de tout cela, l’aimant suprême, qui attire et unit par en haut,
étage par étage, la hiérarchie totale des êtres distincts et consolidés ; il est cela
sans quoi ou plutôt Celui « sans qui tout ce qui a été fait redeviendrait comme
néant ». Je demande ici à reprendre à mes frais l’exemple de l’Eucharistie non
plus comme une application, una e multis, du Vinculum, mais comme
l’exemplaire parfait, le véhicule décisif, la réalisation totale et parfaite de
l’hypothèse leibnizienne poussée jusqu’au bout des perspectives qu’elle nous
ouvre. Que voyons-nous donc, en considérant les choses de ce point de vue
dominateur ? La Transsubstantiation, en substituant à l’être naturel du pain et
du vin le Vinculum ipsius Christi, nous apparaît dès lors comme préludant sous
les voiles du mystère à l’assimilation finale, à l’incorporation suprême de tout
ce qui est au Verbe Incarné : Verbum caro factum ut caro et omnia assimilentur
Deo per Incarnatum 1. Par cette [106] première prise de possession vitale, le
Vinculum proprium Christi prépare jusque dans le domaine subconscient, la
configuration spirituelle qui, sans confusion et sans consubstantiation, s’achève
dans l’union transformante, terme normal de la vie spirituelle et de la
communion sacramentelle. Car, si la nature inférieure comporte d’être
transposée en une terre et en un ciel nouveau où le Verbe, α et ω,
primogenitus omnis creaturae, sera la seule lumière, l’unique aliment, et le
« liant » universel, in quo omnia constant, pour les êtres spirituels le Vinculum
n’est pas étreinte transnaturalisante, mais embrassement qui les relie en
1
Je ne puis, en cette rapide suggestion, indiquer les réserves, les distinctions,
les précautions qui seraient indispensables en un sujet aussi délicat et aussi
mystérieux. L’analogie esquissée ici est d’ailleurs en défaut sur un point
capital que rétablit la fin de cet alinéa. La réalité du pain et du vin fait place,
physiquement, ontologiquement, au Christ ; la personne morale de
l’homme, même dans l’Union la plus parfaite, n’est pas supprimée et
absorbée. Dans la Conclusion de l’Esprit chrétien, je propose une doctrine
de l’Assimilation. Omnia intendunt assimilari Deo, dit saint Thomas (S. c.
G. III). Cette assimilation comporte des degrés et des significations qu’il
importe de préciser.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 112
plus abondante et béatifiante, l’effusion de l’Esprit qui engendre une vie qu’on
peut, sans métaphore [109] ni trope d’aucune sorte, nommer nouvelle et
divine. Sinon même là où l’on s’insurge contre les procédés de la pensée
abstraite, on reste encore dans l’abstraction, dans le domaine des images et des
représentations, dans le mimétisme du concret, de la vie et de la spiritualité,
dans le jeu des concepts, le concept de l’anti-conceptualisme y fût-il chef
d’équipe ! Est-ce être trop sévère et injuste ? Peut-être, à maints égards. Et
pourtant, en cette critique qui pourra paraître dure ou incompréhensive, nous
avons secrètement consenti une immense, une excessive concession :
constamment nous avons admis les descriptions captivantes qu’on nous offrait,
comme si ces croquis, devis et lavis d’architecte équivalaient aux édifices
représentés, mais qu’ils n’étalent qu’aux yeux de l’imagination, et comme si
parce qu’ils se tiennent sur le dessin, ils étaient par là même réalisables et
consistants : ce qui n’est pas. Un réalisme concret en accord avec une pensée
consciente de ses légitimes exigences, suppose d’autres matériaux et vaut un
autre prix. Comprendre à fond le sens de cette dernière critique, trouver le
moyen d’y échapper, nul effort n’est plus difficile, mais aussi plus nécessaire et
plus récompensant.
*
* *
1
Il va sans dire que cette expression est prise comme Pascal le fait dans toute
la force de son emploi rationnel, sans qu’il faille y voir une concession à un
subjectivisme purement affectif ; car il s’agit d’une forme de pensée
commune à tous les esprits et plus objective que l’esprit de géométrie lui-
même.
2
« In actualibus simplicia sunt anteriora aggregatis, in idealibus totum est
prius parte. » (II, 379.)
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 116
3
Si c’en était le lieu, on pourrait montrer que ce n’est pas seulement pour la
spéculation philosophique que cette hypothèse du Vinculum, (ou quelque
autre analogue), est salutaire. L’éliminer, pour nous en tenir aux seuls
éléments analytiquement connaissables et isolables, ce serait en somme
nous condamner à ne voir dans le monde rien qu’un mécanisme (et encore
c’est trop concéder, puisque le mouvement même implique une synthèse
transcendante aux points successifs ou juxtaposés). Mais si, au delà de ce
que la physique peut nous décrire de l’univers, nous admettons que la
beauté des couleurs ou des sons, que les données de la conscience ou les
chefs-d’œuvre de la vie sociale ont un sens et une réalité, alors nous devons
rattacher toute cette science, toute cette vie à un Superadditum quid,
radicalement irréductible : en d’autres termes, il y a, chemin faisant dans la
hiérarchie des choses dont nous vivons, des unités neuves, significatives et
supérieurement réelles, qui sont fondées sur de prodigieuses multiplicités ;
et il faut que ces unités aient une consistance propre comme un tremplin où
l’on reprend élan vers un but qui est, non dans la poussière, mais dans une
fin intelligible et solidifiante, sursum. Et tout vinculum est donc à voir
desursum, puisqu’il est en effet supra et novum quid, alors même qu’à
considérer d’en bas la hiérarchie des choses, ces vincula servent à
consolider chaque assise.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 117
1
Cf. Patrie et Humanité. Compte rendu de la Semaine Sociale de Paris,
1929, p. 363-405.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 118
Dans les sciences sociales et juridiques, n’est-on pas revenu des abus de
l’individualisme et ne sent-on pas de plus en plus le vice des constructions qui
prennent comme matériaux des atomes humains, des nations isolément
considérées, des institutions codifiées en formules figées ; et ne considère-t-on
pas que le procédé conforme à la nature de ces réalités collectives exige que
nous prenions comme centre de perspective l’unité vivante de l’humanité, des
diverses patries, des institutions mouvantes, d’une tradition qui porte
constamment en [116] elle la continuité d’un effort toujours capable
d’adaptations nouvelles et dominant les fluctuations du nombre et du temps
comme du haut de l’unité concrète et de l’éternité elle-même indivisiblement
présente à toutes les phases du changement 2.
1
Voir les Études du 5 et 20 janvier 1926 : « Baghéra, ou l’Ame des Bêtes » ;
« Balthazar ou la Spiritualité de l’âme », par le P. Auguste Valensin.
2
Voir sur ce sujet, entre autres tentatives nombreuses, les suggestives
réflexions de Gaston Morin, professeur à l’Université de Montpellier,
publiées dans le Bulletin de la Société d’Études Philosophiques et dans la
Revue de Métaphysique et de Morale (1930).
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 120
1
Cf. Discours de la Méthode, deuxième partie, 4e règle : « Le dernier
(précepte était) de faire partout des dénombrements si entiers et des revues
si générales que je fusse assuré de ne rien omettre. » — Voir surtout les «
Regulae ad directionem ingenii », et notamment la Règle XI.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 121
A plus forte raison en est-il ainsi dans les formes les plus hautes de la vie de
l’esprit, au de la des voies purgative et illuminative ; assurément l’homme n’y
accède pas de lui-même, et la philosophie ne saurait ni conduire ni pénétrer au
1
Expressions du cardinal Dechamps lui-même, maintes fois reprises et
profondément justifiées par lui. Voir à ce sujet les articles pénétrants de M.
le chanoine F. Mallet.
2
Sur le caractère original et transcendant de la véritable Tradition, voir
Histoire et Dogme, notamment p. 47 et suiv. — « Un nouvel entretien de M.
l’abbé Mallet avec M. Blondel ». Revue du Clergé Français, 15 avril et 1er
mai 1904. On consultera avec beaucoup de fruit la savante thèse de M.
l’abbé René Wehrlé, sur la Coutume dans le droit Canon. Il y est bien
montré en quoi la coutume juridique, du simple point de vue humain et
historique n’épuise pas la véritable notion de la « Tradition ». La Tradition,
au sens fort du mot, est d’un autre plan, d’un autre ordre que la coutume ou
que « les traditions ».
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 122
*
* *
Ces quelques exemples, qu’il serait aisé de multiplier 2, sinon de relier les
uns aux autres, quoiqu’ils procèdent d’un même esprit et pour ainsi dire d’un
« état » synthétique delà pensée, suffisent du moins à nous montrer que
l’hypothèse leibnizienne du Vinculum, où l’unité domine les éléments dont elle
paraît composée, n’est pas une invention absurde, « un expédient à peine digne
d’un sophiste », comme le disait Albert Lemoine. Il y a là au contraire une vue
très belle et très féconde quoique très difficile à préciser et à justifier. Or,
malgré mille tentatives éparses dans l’histoire de la philosophie, jamais l’on
n’a eu tout le courage, toute la persévérance nécessaires pour tirer au clair cet
aspect où la pensée et la réalité s’unissent pour former ce lien substantiel
capable de satisfaire aux exigences communes de l’idéalisme le plus critique et
1
La belle et fructueuse renaissance des études de Mystique a mis en une
lumière toujours accrue des vérités parfois voilées, mais que la continuité de
l’enseignement et de la pratique des Maîtres et Témoins de la plus haute vie
spirituelle, n’a jamais laissé prescrire. Ces leçons de l’expérience sainte, ces
résultats de l’histoire des doctrines mystiques, M. l’abbé Joannès Wehrlé les
a concentrés avec une force et une clarté supérieures dans sa belle étude : «
La Vie Contemplative, couronnement de la vie chrétienne » (sermon
prononcé au Carmel d’Alençon et publié en brochure).
2
Il y aurait à reprendre de ce point de vue la plupart des thèses de la
philosophie scolaire, telle la théorie de la mémoire, éclairée par la doctrine
augustinienne (Memoria est ipse animus) de la Réminiscence et de
l’Éternité, telle la théorie de la Raison, de l’Intelligence et de la Sagesse
dont les doctrines patristiques et scolastiques scrutent des profondeurs ou
des hauteurs, trop souvent oubliées.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 123
spirituelles, des formules comme celles que manient les algébristes ; elles n’ont
pu, pour lui, contenir une vive réalité ! [125]
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 128
CONCLUSION
Mais autant Leibniz nous a paru faire preuve d’un discernement très
méritoire en découvrant le problème à poser et en signalant de loin le but à
atteindre (optandum), autant l’énoncé de cette question demeure imparfait,
autant surtout la méthode de discussion demeure imprécise et fuyante, autant la
solution qu’il ébauche reste hésitante et déficiente, (non adoptandum). En
somme son effort qu’il faut dire légitime, sincère et utile, a toutes les
apparences d’un échec.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 129
Mais cet échec même doit être instructif et stimulant pour nous ; il nous
apporte des leçons et des suggestions qu’il est bon de recueillir 1. [126]
qui fonde absolument, l’intelligible sur le réel et unisse la pensée et l’être vrai ;
comment exaucer ce double vœu ? Et qu’on remarque bien qu’il ne s’agit pas
d’un expédient, d’un compromis, d’une conciliation, grâce à des concessions
partielles ou à des sacrifices mutuels, comme s’il semblait que les choses
eussent été plus satisfaisantes en étant autrement qu’elles ne sont. Mais c’est
tout le contraire. Ce qui est requis, c’est que les deux aspects, les- deux
exigences s’appellent, se confirment, s’éclairent : mais a-t-on jamais eu même
l’idée de cette suprême condition à remplir pour qu’une solution soit vraiment
apaisante ? Et que voyons-nous au contraire dans la plupart des cas ? l’une ou
l’autre de ces trois attitudes philosophiques, à moins qu’on ne les mêle,
ensemble, sans en suivre aucune exclusivement et jusqu’au bout.
Chose encore plus grave : s’il est vrai que naturellement il subsiste toujours
une inadéquation et comme une incommensurabilité entre la connaissance
humaine et la réalité pleine où elle aspire, n’y a-t-il pas un inconvénient
majeur, un vice radical à se contenter trop vite, comme si la solution escomptée
était atteinte ? Une telle procédure, un tel simplisme induisent la philosophie
en une trompeuse sécurité, en une fausse suffisance. Par là on lui masque, on
lui ferme l’accès de sa tâche la plus haute et la plus salutaire : elle se repose
[130] sur les systèmes théoriques qu’elle construit, alors pourtant que
l’histoire lui apprend qu’ils sont toujours courts par quelque endroit et qu’il
conviendrait de prendre acte et leçon de cette preuve de ses lacunes et de ses
limites ; elle se repose sur les succès partiels que, dans l’ordre pratique, elle
obtient en éclairant et en élevant l’action humaine par la pensée, alors pourtant
que ces réussites restent toujours imparfaites, inadéquates et fragmentaires.
Limites et inadéquations qui doivent empêcher la philosophie d’être
« séparée », close, exclusive d’une recherche des conditions requises pour une
adéquation plus complète. Eméry a pu édifier maints lecteurs en réunissant les
textes religieux de Leibniz ; mais aucun n’est authentiquement inspiré d’un
esprit religieux, encore moins d’un esprit chrétien ; car ils ont pour objet, non
d’ouvrir, mais de fermer les questions que doit poser, mais que doit ne pas
résoudre 1 une philosophie allant jusqu’au bout de son pouvoir et de son
devoir.
Mais Leibniz ne paraît pas même avoir soupçonné les carences multiples
dont a pâti son hypothèse du Vinculum. Il n’a vu nettement ni ce qui est à lier,
ni ce qui lie, ni la cause ou la résultante de ce lien, ni tous les ingrédients et
tout l’entre-deux des éléments esthétiques, ascétiques même ou mystiques qui
peuvent entrer dans la « composition » d’une substantialité qu’il ne suffit pas
1
Le cardinal Dechamps est un des rares esprits qui (sans déprécier
aucunement le rôle de la raison et la portée de la philosophie, en montrant
au contraire leur extrême importance et leur sublime grandeur) a envisagé
méthodiquement les « limites » et les « requêtes » normales de la
philosophie « même la plus développée » dans l’état de fait où aucune autre
destinée la surnaturelle n’est ouverte à l’homme.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 133
Donc entre la pensée et l’être, il m’avait semblé qu’en fait l’abîme est
franchi par l’action. Elle forme l’unité vivante d’un composé incarnant la
pensée même dans les membres et faisant participer la multiplicité d’un
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 134
Et je m’étonnais dès lors que Leibniz n’eût point, par analogie ou extension
du calcul infinitésimal, concrétisé son Vinculum dans l’action, puisque c’est
elle qui insère, dans les choses même physiques et dans notre « composé
humain », des idées incarnées et des fins réalisées. Mais toutefois cette
médiation, cette domination de l’action n’est que partielle, approximative,
finalement défaillante ; et, même dans l’ordre subalterne où elle réussit
fragmentairement, elle demeure mystérieuse ; elle est toujours simplement
approximative, inadéquate ; et nous n’avons conscience de cette insuffisance,
principe d’inquiétude et de progrès, qu’en posant au moins implicitement le
problème d’une équation possible et d’une satisfaction totale.
L’étude de nos actions ! ce ne pouvait donc être qu’une étape, qu’une vue
partielle, qu’une colline masquant la montagne et son triple sommet. Sans
doute il n’était pas inutile de dépasser [133] les formules finalistes prises pour
des solutions réelles, les descriptions littéraires ou moralisantes pour entrer
dans le vif et le concret d’une philosophie pratiquante, aux prises avec les
réalités de tout ordre. Mais enfin, il m’avait fallu d’abord, par un artifice qui
n’a pas été remarqué, restreindre le problème total de l’agir à celui déjà si
ample de nos actions et de notre destinée (seul le P. Beaudoin m’avait
spontanément signalé cette descente dans la tranchée). En son intégralité, la
question à poser est d’une tout autre envergure. Car enfin dans tout ce que,
autour de nous, en nous, par nous, nous appelons des actions, y en a-t-il qui
méritent pleinement ce nom ? Ne sont-elles pas en réalité des prolongements,
des combinaisons de passivités lointaines et multiples qui, ignorantes des
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 135
D’où le besoin, la légitimité d’une étude que nous voyons de [134] plus en
plus se constituer sur le terrain rationnel et expérimental à la fois. De divers
côtés on a abordé le problème du surnaturel et le problème des états mystiques,
sous l’aspect même où la recherche philosophique peut utilement et
prudemment les envisager ; états dont on discerne de mieux en mieux les traits
spécifiques et les phases ordonnées, la signification profondément humaine
sans préjudice pour leur origine transcendante et infuse, la « valeur noétique »
(selon l’expression récente de M. Jean Baruzi qui pourtant n’a pas su en
sauvegarder la plénitude), la « valeur ontologique », ainsi que le notait avec
profondeur Victor Delbos déclarant que de tels états contiennent une présence,
une réalité supérieures à toutes celles que la science positive ou la spéculation
métaphysique nous font connaître et employer.
Mais ici encore, ce ne sont pour ainsi dire que des « succès » partiels et
exceptionnels ; ils nous aident à prévoir que le problème de l’Unité est
résoluble ; mais il n’est pas pour cela résolu complètement et dès à présent, ni
en fait, ni spéculativement. Mais, si la solution ne saurait être anticipée
effectivement, même à l’aide de ces arrhes qui peuvent en faire pressentir la
réalité, du moins il est légitime et salutaire de chercher à poer, avec une clarté
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 136
accrue, avec une exigence plus consciente et plus impérieuse, un problème qui,
certes, a toujours été impliqué, mais qu’il importe d’expliciter en toute son
ampleur et en toute sa rigueur, quelque terrible qu’en soit la difficulté : pour
qu’en nous il y ait dans toute la force de ces termes, agir, penser, être, pour que
nous participions vraiment « à la dignité d’être cause », à la lumière incréée, à
la « vie éternelle », que faut-il donc ? Et comment est-ce possible, en dépit des
limitations, et des inadéquations intérieures à l’existence, et à la connaissance
de toute créature ? Par quelles merveilleuses inventions et quels divins
stratagèmes, tout ce qui semble ruineux par en bas, fissuré en toutes ses parties,
[135] peut-il être consolidé et uni par en haut, sans confusion ni absorption ni
simple mimétisme ? Comment une « parfaite assimilation » (omnia intendant
assimilaii Deo) est-elle possible, préparée, réalisable ? Comment le caractère
incommensurable et entièrement gratuit du Surnaturel demeure-t-il inviolable,
alors même que la grâce descend aux plus secrètes profondeurs de la
conscience, de l’inconscience même, pour une intimité qui surpasse tout
sentiment, qui défie toute analyse, qui exclut toute confusion ?
APPENDICES
————
APPENDICE A
1
« Patet ex his, operam omnino eos tudere, qui praesentiam realem intellectui
nostro comprehensibilem reddere voluerint. « Pfaff. Fragm. Iren. Anecd., p.
468.
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 140
II. — Cf. Dissert. Anti-Bailianam, III, 9. « Is vero, qui ante omnes alios
memorandus hic nobis venit, est Philosophus hujus saeculi celeberrimus
Godefridus Gulielmus Leibnitius, qui Amstel. 1710 edidit librum Gallicum
quem nuncupavit Essays de Théodicée... cum tribus appendicibus... Jam vero
sententiam Leibnitianam quae ad mundum perfectissimum, malum quoque
requirit, et a Firmiano Lactantio dudum defensitata fuit, ponderanti facile
patebit, eam cogitata Bailii sic potius adstruere, quam destruere, saltem
tolerabilia reddere, id quod et Poiretus observavit, et fassus nobis aliquando in
litteris ad nos datis est ipsemet Leibnitius. Vide omnino, quae in Primitiis
Tubingensibus, P. 2, p. 53, 246, 247, hanc in rem diximus, et adde quoque G.
C. Knoerrii diss. de origine mali sub praesidio celeberrimi Budaei habitam. »
[139]
APPENDICE B
APPENDICE C
Jam dudum reditum Tuum avide praestolabar : nunc ex litteris Tuis 8 Julii
scriptis sed primum nudiustertius mihi traditis salvum [141] Te Hannoveram
advenisse demum intelligo et serio laetor ; mirabar quid Te Berolini detineret,
cum ex novis litterariis Diario Parisiensi insertis didicissem quod Academiae
istius praesidiatu abdicasses eoque munere jam fungeretur Baro de Printz.
inter legendum quibus chartas non paucas facile implerem, si tempus sineret.
Bina illa principia, quibus opus nititur : de Dei libertate ad optimum rerum
universitatis systema deque libertate quacumque ad melius ex propositis mixtis
malo bonis determinata sive ex morali necessitate sive ex analoga quadam
determinatione ad necessitatem talem (nam haec ut pote in necessitate
consistens Deum dedecet) : nullatenus efficere ipsi libertati indifferentiae
(quam aequilibris nolim esse) : jam diu est quod persuasissimum habeo. Sed
adhuc evidentiora et omnibus passim nedum plerisque sapientibus concessa aut
concedenda principia statui posse reor, quibus sive demonstratio sive responsio
plane demonstrativa inaedificetur adversus accusatores divinae providentiae.
Puto : possibile esse unum systema mundi peccata ac mala complexum (qualia
in praesente hoc mundo contingunt) longe tamen melius altero item possibili
systemate solas innocentes creaturas comprehendente, quidquid sit utrum
systema omnia perfectissimum possibile sit uti creatura perfectissima, idemque
peccatis malisque confertum esse possit. Jam vero Deus possibile illud melius
prae altero elegerit infinitae bonitatis suae inclinatione ad melius. Hoc posito,
cui nemo rerum harum peritus repugnaverit, clarius et evidentius uti reor
cuncta illa deduci possunt quae ex dato systemate mundi omnium
perfectissimo deducuntur, sed de his hactenus.
similes peremptorum esse puto. Vale mei memor, in sacrificiis. Romae, 6 Junii
1711.
APPENDICE D
L’allégorie du bastidon.
...........................................................
Vous me demandez si, pour soulager l’attention et fixer les idées comme les
figures géométriques favorisent les démonstrations, je ne pourrais pas inventer
une allégorie, un mythe propre à soutenir l’effort de l’esprit. Je pourrais vous
objecter que Leibniz, pour son Vinculum, a déconseillé un tel recours à
l’imagination, craignant sans doute de retomber dans le faux dogmatisme des
sens ou de l’entendement ; il a prétendu que « le Vinculum peut être
distinctement conçu et exigé par la raison métaphysique, alors qu’il ne saurait
être représenté et expliqué imaginabiliter ». Mais en d’autres circonstances il a
excellé dans l’invention des allégories, au point de les ériger en vérités
utilisables : n’a-t-il pas toujours cherché des notations symboliques et ses
principales découvertes ne reposent-elles pas sur une alliance hybride d’ordres
incommensurables ? D’ailleurs pour satisfaire à votre légitime désir, je n’ai ici
pour ma part aucun besoin d’inventer une fiction. Voici, en effet, l’expérience
positive et récente que je m’étais amusé à noter pour moi-même et que je
confie à vos méditations et surtout à vos critiques. Mon petit bastidon vient à
menacer ruine : les murs s’écartent ; les plafonds se creusent et semblent
s’enfoncer, la toiture se disloque. Que s’est-il passé ? Par une disposition
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 148
Mais allons plus loin. Tous les assemblages subalternes de l’édifice avec le
ciment, les mortaises et tout ce qui contribue à la liaison des matériaux,
maçonnerie et menuiserie, ont sans doute une valeur propre, une utilité
certaine, une solidité relative qui s’opposent ou survivent partiellement à la
dislocation de l’édifice. Mais enfin ces connexions et assemblages ne
constituent pas l’unité organique de l’édifice lui-même. Il y a, peut-on dire,
dans l’univers, le liant universel, le vinculum vinculorum, la pièce suprême et
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 149
Ce n’est donc point par hasard, à titre accidentel, c’est par une logique
profonde quoique sans doute inconsciente que Leibniz et Des Bosses,
controversant sur « ce qui peut conférer une solidité substantielle aux êtres
hiérarchisés », ont été amenés à prendre comme exemple l’Eucharistie. En fait,
ne pourrait-on dire que c’est là plus qu’un exemple ? C’est le point vital, c’est
le sommet auquel se rattache le monde visible et invisible. L’univers est un
composé ; oui, mais quel est le principe de sa composition, de son être, de son
unité ?
Peut-être que pour rejoindre les termes extrêmes de cet immense poème de
Dieu, il convenait que s’opérât le prodigieux rapprochement : Verbum caro
factum est. Et pour que nous comprenions jusqu’où s’étend la sublime réalité
de cette union, il fallait aussi que le Verbe Incarné nous découvrît par
l’Eucharistie que l’être singulier n’échappe pas à son emprise. S’il récapitule
l’ordre total, α et ω, c’est que son action unifiante et transformante atteint
l’intime des éléments qui le composent. [146]
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 150
Pages
BIBLIOGRAPHIE [XX]
CONCLUSION [125]
Maurice Blondel, Le «Vinculum Substantiale» d’après Leibniz (1930) 151
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