1bac 2019 Littérature L
1bac 2019 Littérature L
1bac 2019 Littérature L
Bac
2019
Épreuve
de
littérature
Série
L
Question
1
:
Dans
sa
préface,
Victor
Hugo
remercie
"cette
jeunesse
puissante"
pour
qui
il
dit
travailler.
En
quoi
Hernani
est-‐elle
la
pièce
de
la
jeunesse
?
Le
25
février
1830,
une
bande
de
jeunes
romantiques
hirsutes
et
habillés
de
rouge,
envahit
la
Comédie
française
en
brandissant
tel
un
étendard
révolutionnaire
son
billet
rouge
siglé
«
Hierro
»
et
signé
par
Victor
Hugo
:
la
bataille
d’Hernani
est
née
!
Victoire
des
jeunes
contre
les
Anciens,
triomphe
bruyant
et
indiscipliné
de
la
fougue
romantique
contre
les
«
cranes
d’œufs
»
classiques.
C’est
en
partie
grâce
à
cette
«
claque
»
hugolienne
que
la
pièce
devient
le
symbole
d’une
jeunesse
littéraire
qui
plébiscite
un
nouveau
genre
plus
représentatif
de
son
époque.
Hugo,
qui
avait
été
marqué
et
blessé
par
la
censure
de
Marion
de
Lorme,
sait
qu’il
doit
beaucoup
à
son
armée
de
jeunes
disciples
;
dans
sa
préface,
il
remercie
«
cette
jeunesse
puissante
»
pour
qui
il
dit
travailler.
En
quoi
Hernani
est-‐elle
la
pièce
de
la
jeunesse
?
Au-‐delà
des
circonstances
de
la
représentation,
qu’est-‐ce
qui
fait
de
cette
pièce
écrite
par
un
très
jeune
dramaturge
l’allégorie
d’un
souffle
jeune
et
créatif
?
Plan
possible
:
I.
Une
pièce
qui
insuffle
jeunesse
et
renouveau
dans
le
théâtre
français
-‐
Une
pièce
écrite
par
un
jeune
dramaturge
qui
comprend
les
préoccupations
de
sa
génération
Il
a
28
ans.
Il
est
le
porte-‐parole
de
la
jeunesse.
-‐
Hernani
rajeunit
la
Comédie
française
La
pièce
signe
le
renouveau
de
la
Comédie
française
:
le
souffle
neuf
du
romantisme.
En
effet,
le
baron
Taylor,
nommé
à
la
tête
du
vénérable
établissement
en
1825,
constate
que
se
limiter
au
répertoire
classique
ne
fait
plus
recette
et
souhaite
ouvrir
la
salle
Richelieu
aux
Romantiques.
Ainsi,
Le
More
de
Venise
de
Vigny,
adaptation
de
Othello
de
Shakespeare
est
accepté
et
l’entrée
au
répertoire
de
Henri
III
et
sa
cour
d’Alexandre
Dumas
marquent
un
tournant
dans
lequel
Victor
Hugo
va
s’engouffrer.
-‐
«
Travailler
»
pour
un
public
jeune
et
nouveau
Les
amis
de
Hugo
et
toute
la
jeune
garde
romantique
constituent
une
«
claque
»
survoltée.
La
censure
de
sa
pièce
Marion
de
Lorme
en
aout
1829
est
vécue
comme
une
injustice
qu’il
faut
réparer
et
le
clan
se
mobilise.
Depuis
plusieurs
semaines,
ils
se
réunissent
chez
Hugo
et
préparent
la
bataille
;
cette
armée
d’artistes
et
de
jeunes
révolutionnaires
est
parfaitement
prête
à
se
«
battre
»
le
25
février
1830.
Surexcités,
ils
entrent
dans
la
salle
dès
15
heures
et
passent
l’après-‐midi
à
boire,
déclamer
des
vers,
chanter,
s’échauffer
comme
des
étudiants
agités.
Ils
reçoivent
avec
toute
l’insolence
de
leur
jeunesse
criarde
le
clan
des
classiques.
Ce
public
plus
traditionnel
et
beaucoup
plus
âgé
est
largement
composé
de
monarchistes
conservateurs
qui
ne
pardonnent
pas
Hugo
d’avoir
changé
de
camp
politique
et
esthétique.
Ils
sont
porteurs
des
valeurs
traditionnelles,
défenseurs
des
convenances
et
de
l’ordre
social.
Le
choc
est
violent
entre
les
jeunes
révolutionnaires
et
ce
public
conservateur.
Cf
-‐Albert
BESNARD,
La
Première
d’Hernani
–avant
la
bataille
(1903)
Agitation,
effervescence-‐
Les
jeunes
bohèmes,
«
chevelus
»
en
gilets
rouges,
Théophile
Gautier
en
tête
CONTRE
les
«
grisâtres
»,
les
anciens.
-‐
Hernani
:
une
esthétique
nouvelle
pour
un
public
jeune
Victor
Hugo
n’hésite
pas
à
bouleverser
les
règles
du
théâtre
classique
et
fournit
à
son
public
de
nouveaux
plaisirs,
alliant
la
grandeur
romantique
à
un
divertissement
plus
populaire.
La
jeune
génération
se
reconnaît
dans
cette
audace
qui
se
manifeste
dans
la
pièce
par
:
• Le
mélange
de
la
poésie
lyrique
et
de
la
trivialité.
• La
bienséance
heurtée
avec
les
duels
(ou
menaces
de
duels),
le
fait
que
Dona
Sol
dès
l’exposition
reçoive
son
amant
de
nuit
dans
sa
chambre
alors
qu’elle
est
fiancée
à
un
autre,
les
sensuels
baisers
et
Hernani
et
Dona
Sol,
la
mort
violente
sur
scène
de
DRG,
de
DS
et
d’H.
• Les
invraisemblances
comme
le
dialogue
de
DC
avec
le
tombeau
de
Charlemagne.
• La
métrique
inhabituelle
et
les
entorses
faites
à
l’alexandrin
traditionnel.
II.
Dans
la
pièce,
les
jeunes
personnages
sont
à
l’honneur
-‐
Une
pièce
qui
met
en
scène
des
personnages
jeunes
et
fougueux
qui
s’opposent
au
vieux
barbon
Les
personnages
sont
les
symboles
du
conflit
générationnel
:
les
deux
jeunes
contre
le
vieillard
Cf
«
Vieillard
stupide,
par
DS
:
«
vieillard
insensé
»
(V,
6,
v.
2065),
par
DRG
lui-‐même
:
«
vous
prenez
un
vieillard
»
(I,
3,
v.
234)
«
Hélas
!
seul
je
surnage/
D’un
siècle
tout
entier.
Tout
est
mort
à
présent
»
(v.
308-‐
309).
-‐
La
pièce
célèbre
la
jeunesse
comme
«
une
force
qui
va
»
:
Hernani
et
Dona
Sol,
héros
plein
de
fougue
et
d’énergie.
-‐
Hernani
satisfait
les
aspirations
d’une
jeunesse
en
proie
au
mal
du
siècle
La
jeunesse
et
la
révolution
romantique
ont
une
portée
idéologique
certaine,
cf
la
Préface
de
Cromwell
qui
revendique
«
La
liberté
en
art
contre
le
despotisme
des
systèmes,
des
codes
et
des
règles.
»
La
fin
de
la
pièce
choque
les
conservateurs
parce
que
le
dénouement
tragique
et
la
mort
des
amants
symbolisent
les
espoirs
de
la
jeunesse
anéantis
par
une
société
étriquée
et
mesquine.
«
Un
monde
trop
vieux
»
dans
lequel
les
désirs
d’héroïsme
ne
peuvent
se
réaliser
comme
le
dit
Musset
dans
sa
Confession
d’un
enfant
du
siècle.
Question
2
:
En
Avril
1830,
Balzac
déclare
à
propos
d'Hernani
:
«
rien
n'y
est
neuf
».
Qu'en
pensez-‐vous
?
A
priori,
cette
affirmation
de
Balzac
prend
le
contrepied
des
idées
admises
sur
la
pièce
d’Hernani.
En
effet,
elle
est
devenue
très
vite
le
symbole
de
la
génération
romantique,
l’emblème
d’une
jeunesse
en
attente
d’un
renouveau
esthétique,
dramatique
et
idéologique.
Néanmoins,
quelques
semaines
après
la
première
représentation,
Balzac
va
à
l’encontre
de
ce
point
de
vue
en
affirmant
:
«
rien
n’est
neuf
»
dans
Hernani.
En
quoi
ce
jugement
peut-‐il
nous
surprendre
?
Peut-‐on
néanmoins
le
comprendre
?
I.
À
première
vue,
tout
est
neuf
dans
Hernani
Une
pièce
qui
veut
insuffler
jeunesse
et
liberté
dans
le
théâtre
français
-‐
Le
renouveau
dramatique
:
Hernani
illustre
les
principes
énoncés
dans
la
Préface
de
Cromwell
en
1827,
véritable
révolution
littéraire
:
• Le
drame
doit
englober
toute
la
vie.
• Sublime
et
grotesque
doivent
se
côtoyer
:
«
Tout
dans
la
création
n’est
pas
humainement
beau,
le
laid
y
existe
à
côté
du
beau,
le
difforme
près
du
gracieux,
le
grotesque
au
revers
du
sublime,
le
mal
avec
le
bien,
l’ombre
avec
la
lumière
»
• Tout
doit
être
montré
sur
scène
comme
dans
la
vie.
L’unité
de
lieu
et
l’unité
de
temps
doivent
être
abandonnées
:
«
Toute
action
a
sa
durée
propre
comme
son
lieu
particulier.
»
•L’importance
de
l’Histoire
dans
l’intrigue.
-‐
Le
renouveau
esthétique
:
• Un
théâtre
destiné
au
peuple
:
empruntant
au
mélodrame,
même
au
vaudeville,
coups
de
théâtre,
dynamisme,
violence
sur
scène,
passions
exacerbées,
pathétique,
rivalités
amoureuses,
tromperies,
enlèvements,
décors
somptueux
(didascalies)
• Le
refus
des
unités
• Jeu
avec
les
limites
de
la
bienséance
• Le
vers
est
malmené
(«
[un
vers]
sachant
briser
à
propos
et
déplacer
la
césure
pour
déguiser
sa
monotonie
d’alexandrin
»),
le
grotesque
côtoie
le
sublime,
les
rois
sont
triviaux
et
grossiers
• Une
langue
nouvelle
et
actualisée
comme
Hugo
le
prône
dans
la
Préface
de
Cromwell
:
«
Toute
époque
a
ses
idées
propres,
il
faut
qu’elle
ait
aussi
les
mots
propres
à
ces
idées.
Les
langues
sont
comme
la
mer,
elles
oscillent
sans
cesse.»
-‐
Proposer
l’archétype
du
nouveau
héros
romantique
:
• Un
banni,
un
marginal
dont
la
tête
est
mise
à
prix,
un
chef
de
bande
des
montagnards
• Qui
a
fait
le
serment
de
venger
son
père
et
est
prêt
à
mourir
pour
cela
• Un
oiseau
de
nuit
en
grand
manteau
noir
• Un
«
lion
superbe
et
généreux
»
• Un
amoureux
passionné
• Un
homme
qui
doute
et
se
bat
contre
ses
démons
intérieurs
• Une
«
force
qui
va
»
vers
son
destin
-‐
Renouveau
idéologique
• La
subversion
des
règles
théâtrales
entraîne
une
subversion
de
la
hiérarchie
(un
roi
se
comportant
comme
un
bouffon,
une
femme
plaçant
au-‐dessus
de
tout
la
noblesse
de
cœur
d’un
bandit)
• La
pièce
représente
l’emprise
mortifère
du
passé,
du
vieux
monde
sur
la
jeunesse
• Le
monologue
du
roi
(IV,
2)
présente
une
dimension
politique
:
le
peuple
est
présenté
comme
au
fondement
de
toute
légitimité
(«
Base
de
nations
portant
sur
leurs
épaules
/
La
pyramide
énorme
appuyée
aux
deux
pôles,/Flots
vivants,
qui
toujours
l’étreignant
de
leurs
plis,
/
La
balancent,
branlante,
à
leur
vaste
roulis,/Font
tout
changer
de
place
et,
sur
ses
hautes
zones,
/
Comme
des
escabeaux
font
chanceler
les
trônes
[…]
»)
;
la
fonction
royale
doit
être
inspirée
par
«
quelque
chose
de
grand,
de
sublime
et
de
beau
»
(v.1564):
le
monarque
ne
doit
pas
se
contenter
d’hériter,
mais
est
investi
d’une
responsabilité
historique
supérieure.
• Déploie
nouvelle
conception
de
l’homme
(esquissée
dans
le
drame
du
XVIIIe)
:
homme
non
plus
dépendant
d’un
ordre
transcendant
immuable,
anhistorique,
comme
dans
la
tragédie
classique,
mais
plongé
dans
un
monde
historique,
sans
destinée
assignée,
et
condamné
à
se
choisir
ou
à
errer.
II.
Et
pourtant
…
de
nombreuses
caractéristiques
de
la
pièce
restent
fidèles
à
la
tradition
théâtrale
-‐
L’esthétique
lyrique
en
alexandrins.
Contrairement
à
certains
de
ses
contemporains
qui
prônent
le
théâtre
en
prose,
Hugo
veut
conserver
les
vers
qu’il
juge
indispensable
:
«
Nous
vou[l]ons
un
vers
libre,
franc,
loyal,
osant
tout
dire
sans
pruderie,
tout
exprimer
sans
recherche
[…];
tour
à
tour
positif
et
poétique,
tout
ensemble
artiste
et
inspiré,
profond
et
soudain,
large
et
vrai
»
et
il
reste
très
fidèle
à
la
rime
cette
suprême
grâce
de
notre
poésie,
ce
générateur
de
notre
mètre
;
inépuisable
dans
la
variété
de
ses
tours,
insaisissable
dans
ses
secrets
d’élégance
et
de
facture
».
-‐
L’unité
d’action
est
conservée
car
Hugo
reconnaît
dans
la
Préface
de
Cromwell
que
«
L’œil
ni
l’esprit
humain
ne
sauraient
saisir
plus
d’un
ensemble
à
la
fois.
»
-‐
Le
combat
entre
l’honneur
et
l’amour
du
personnage
d’Hernani
=
un
grand
classique
-‐
Le
personnage
du
bandit
au
cœur
noble
est
en
réalité
un
grand
noble
d’Espagne
III.
En
définitive,
une
légende
révolutionnaire
qui
a
dépassé
la
réalité
-‐
La
soif
d’en
découdre
avec
les
Anciens
-‐
La
personnalité
de
mentor
de
Victor
Hugo
-‐
La
bataille
devient
très
vite
un
mythe.
• Pas
une
bataille
mais
des
batailles,
15
jours
après
la
première,
la
pièce
est
interrompue
148
fois
par
des
manifestations
hostiles
(rires,
huées,
sifflets)
• Publicité
inespérée
et
scandale
qui
a
fixé
la
pièce
dans
la
légende.
Cela
fait
lui
assure
une
postérité
exceptionnelle.
• Les
récits
a
postériori
d’Adèle
Hugo,
de
Nerval,
Gautier
ou
encore
Alexandre
Dumas,
des
comédiens…
font
de
cette
bataille
un
mythe
pour
la
postérité.
• Il
n’y
aura
pas
une
mais
des
batailles
d’Hernani
puis
des
récits
d’anciens
combattants
qui
assurent
la
postérité
de
l’événement
!
-‐
C’est
une
pièce
«
manifeste
»
qui
fait
de
Victor
Hugo
le
porte-‐parole
de
la
jeune
génération
des
dramaturges
romantiques.
• 1852
:
avènement
du
second
Empire
et
exil
de
Hugo
qui
est
ennemi
de
Napoléon
III
–
Le
drame
est
interdit
de
représentation
et
devient
le
symbole
de
la
fronde.
La
légende
prend
de
l’ampleur.
• 1867
:
lorsque
les
représentations
reprennent,
Fl.
Naugrette
dit
qu’«une
partie
du
public
connaît
presque
le
texte
par
cœur.
»
Succès
phénoménal.
«
Pour
la
génération
de
1830,
Hernani
a
été
ce
que
fut
Le
Cid
pour
les
contemporains
de
Corneille.
Tout
ce
qui
était
jeune,
vaillant,
amoureux,
poétique,
en
reçut
le
souffle.
Ces
belles
exagérations
héroïques
et
castillanes,
cette
superbe
emphase
espagnole,
ce
langage
si
fier
et
si
hautain
dans
sa
familiarité,
ces
images
d'une
étrangeté
éblouissante,
nous
jetaient
comme
en
extase
et
nous
enivraient
de
leur
poésie
capiteuse.
Le
charme
dure
encore
pour
ceux
qui
furent
alors
captivés.
»
Théophile
Gautier,
Moniteur
(25
juin
1867).