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Soumission de Michel Houellebecq Un Roman Moderne de La Désillusion PDF

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UNIVERSITE A/MIRA-BEJAIA

FACULTE DES LETTRES ET DES LANGUES


DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

Faculté des lettres et des sciences humaines


Département de Français

Mémoire élaboré en but de l’obtention du


Master en Sciences des textes littéraires

Soumission de Michel Houellebecq : un roman


moderne de la désillusion ?

Présenté par : KHELOUFI Salim


Encadré par : ZOURANENE Tahar

DEVANT LES MEMEBRES DU JURY :


M. MEHFOUF.
Mlle. BELHOCINE.

Année universitaire : 2015/2016


Tables des matières
Introduction générale…………………………………………………………03

Chapitre premier : Le Héros problématique………………………………..06


1. La notion de personnage…………………………………………………......07
2. L’identification de François comme personnage principal……………….....08
a. Qualification différentielle ……………………………………….08
b. la distribution différentielle..…………………………………..…09
c. L’autonomie différentielle…………………………………..........10
d. La fonction différentielle………………………………………....11
3. Le héros problématique……………………………………………………..11

Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque……………...17


1. Le langage lyrique…………………………………………………...18
2. L’isotopie de la désillusion dans Soumission ………………………19
a. Le thème de La femme………………………………………….....20
b. La poétique du politique………………………………………....21
c. Le thème du désespoir………………………………………….....22
3. Philosophie de l’absurde où le mythe de Sisyphe…………………...24
a. Le monde absurde………………………………………………..24
b. L’homme absurde………………………………………………..26

Chapitre troisième :La narration à l’œuvre de la désillusion………….......28


1. Le narrateur : statut et focalisation…………………………………..….28
2. La fonction idéologique du narrateur de Soumission................................31
3. Les anachronies narratives à l’œuvre de la désillusion…………………34
4. Soumission, un titre proleptique …………………….……………...…38

Conclusion……………………………………………………………………42
Introduction générale
Introduction générale

Le roman est un microcosme infini dans lequel peut se créer tout ce qu’un
homme puisse imaginer, il n’est pas soumis à des limites, ni dans le temps ni dans
l’espace, c'est-à-dire qu’il possède le pouvoir de se déplacer dans le temps et l’espace à
sa guise. Tout ce que l’homme peut imaginer mais ne peut le matérialiser, trouve la
possibilité d’être dans le roman.

En cela le roman est une création de l’homme qui ne cherche qu’a déverser ses
pansés afin de les partager et les révéler au grand jour. Nous dirons donc que ce monde
romanesque partagerait les mêmes croyances que son créateur.

Notre société actuelle, nous le croyons, est semble t-il de plus en plus galvaudée
par des gouverneurs qui s’autoproclament garant de l’humanité, de sa civilisation et de
sa liberté. Nous assistons à sa perdition, la condition humaine se retrouve en réalité
dans la plus affligeante situation de dépravation qu’elle n’avait jamais connue
auparavant. Le roman de la désillusion se centre sur cet aspect, une société dégradée
par ses commandants qui n’ont réussis qu’à pervertir l’homme. Ce genre de roman se
caractérise par son exigence éthique au ton parfois tragique, voire apocalyptique. Son
auteur recherche souvent à éveiller l’esprit du lecteur, afin qu’il puisse lui aussi voir ce
dessein fataliste mais tout autant réaliste.

Notre corpus est un roman de 300 pages, composé de cinq parties, elles mêmes
divisées en courts chapitres. « Soumission » de Michel Houellebecq s’inscrit dans le
genre que nous venons d’évoquer. Dans ce roman, Houellebecq met en scène François
un jeune professeur de littérature Française spécialiste renommé de Huysmans,
dépourvu de tout lien social et familial. Ce personnage sur un ton de désespoir,
nostalgique de cette France qu’il n’a connu que par la littérature, s’en prend violement
à tout ce qui peut appartenir de prés ou de loin à cette soi-disant civilisation
occidentale, qu’il pense aveuglée par l’individualisme et sa quête incessante de la
richesse qui la prive de toute liberté. Une liberté qui par contre se trouve être

3
Introduction générale

l’emblème officiel de l’occident. Les évènements se déroulent dans la France de 2022


qui se voit après de pénibles élections présidentielles être gouvernée par le leader du
parti de la Fraternité musulmane. Un président français musulman modéré, qui
quelque mois après son élection commence à réformer des secteurs stratégiques
comme l’économie et l’éducation. Le personnage principal se pose dans ce roman
comme simple observateur des évènements qui secouent cette civilisation habituée à
d’autres mœurs. Il s’empresse de voir ce que donnera de renouveau cette nouvelle ère
qu’apportera l’Islam, ce qui le poussera à une possible conversion.

Romancier, essayiste, poète lu dans le monde entier, Michel Houellebecq a reçu


le prix Goncourt pour son roman, la carte et le territoire, en 2010. Jugé misogyne,
raciste et amoral, M. Houellebecq, expert en scandale, est un auteur sujet à la
polémique à chaque œuvre parue sous sa plume. Sous un succès publique et
médiatique, l’auteur tarde à faire son entrée dans les universités française et se voit
boudé par les chercheurs. Bruno Viard, professeur de littérature à l’université Aix-
Marseille et auteur de la thèse « Les tiroirs de Michel Houellebecq », pense qu’il y a
une sorte de dédain universitaire vis-à-vis de M. Houellebecq, selon lui, le succès
populaire dont bénéficie l’écrivain ne l’aide pas à trouver sa place dans les universités
française. Certains parlent du cynisme de l’écriture de Houellebecq, et du caractère à la
fois brut et acéré de l’écriture houellebecquienne qui serait la cause de ce soi-disant
dédain universitaire, quoi qu’il en soit, il reste l’un des auteurs français les plus traduit
dans le monde, malgré ce « Snobisme intellectuel français ».

La réception de ses romans dans l’espace germanophone ne cesse de s’accroitre


aussi bien dans la presse que dans le champ universitaire. Ce qu’apporte l’écrivain à la
littérature c’est le schéma analytique dont ses œuvres ont besoins pour leurs
élaborations lesquels sont les trois ingrédients qui forme le corps social ; le politico-
économique, le sociétal et le culturel. C’est cet ensemble qui selon quelques critiques
détermine le capital symbolique de Houellebecq et sa réception dans les champs
culturel et universitaires germanophones. Houellebecq ne laisse pas indifférents les
européens, sur le plan littéraire puisque sur les quatre colloques internationaux qui lui
ont été consacré seulement un seul a été organisé en France. Selon Antoine Jura

4
Introduction générale

Houellebecq a fait revenir la littérature française sur le podium européen et « les


réactions universitaire à l’étranger sont plus rapides car les lecteurs avisés ne
s’embarrassent pas du raffut médiatique, et ont un rapport beaucoup plus immédiat avec le
texte". 1

On suppose que le roman de la désillusion comme pour tout autre genre doit
obéir à la force intime qui l’instaure et aux éléments qui le composent : le temps,
l’espace et le héros, ainsi chacun de ces éléments participe à l’élaboration de la totalité.
Nous dirons donc que la structure est un instrument de signification.

Cependant, pour toute structure signifiante, il existe un code qui permettrait de


découvrir l’appartenance du genre du roman. Une investigation est donc imposée à
travers les schèmes de l’art romanesque. Depuis que la nouvelle critique a approuvé
certaines approches des sciences humaines la critique littéraire s’est retrouvée en proie
à la vision sociologique qui informe sur les étapes évolutives de la civilisation, la
psychologie de l’homme, et les formes signifiantes de l’imagination rêveuses de
l’homme. C’est donc par plusieurs éléments déterminants que le nouveau lecteur tente
de dénicher l’agencement structural de l’œuvre, son implication thématique…etc.

L’intitulé de notre mémoire sera donc : « Soumission de Michel Houellebecq :


un roman moderne de la désillusion ? ». Nous allons donc essayer de démontrer le
poétique de la désillusion qui tant à être appliquée pour en arriver à ce genre de roman.

Pour ce faire, nous allons étudier dans un premier chapitre le personnage pour
déceler les caractéristiques du héro problématique. Dans un second chapitre, nous
tenterons de rechercher les éléments qui gravitent autour de l’isotopie de la désillusion
et enfin dans un dernier chapitre, nous tenterons de déceler la stratégie narrative dans
le roman Soumission pour cerner les anachronies narratives en rapport direct avec la
désillusion.

1 http://www.slate.fr/story/96947/universitaires-michel-houellebecq.

5
Chapitre premier :

Le Héros problématique

1. La notion de personnage

2. L’identification de François comme personnage principal

a. Qualification différentielle
b. la distribution différentielle

c. L’autonomie différentielle

d. La fonction différentielle

3. Le héros problématique
Chapitre premier : Le Héros problématique

Dans ce chapitre nous essayerons d’étudier le personnage François à l’aide des clés
conceptuelle de la sémiologie, notamment à travers la grille d’analyse de Philippe
Hamon pour déterminer que ce personnage répond aux critères essentiels qui font de
lui un personnage principal. Dans un second temps, nous essayerons de consacrer à ce
même personnage une approche sociologique pour mettre en évidence son apport
considérable en terme de désillusion qui infère à ce roman, et ce en revisitant les
théoriciens de la sociologie littéraire

1. La notion de personnage

Le personnage est un élément indispensable dans la création et l’organisation d’une


histoire, le personnage à la fois crée l’histoire et la subit comme dira Yves Routier :
« toute histoire est histoire des personnages »1. Plusieurs études ont été faites sur la
dimension du personnage en l’assimilant à différentes appellations et approches.

Les travaux de Vladimir Propp sur le conte ont ouvert la voie aux études
sémiologiques sur le personnage, ainsi il identifie sept sphères d’action déterminant les
différents rôles remplis par les personnages de ces contes, différenciant ainsi l’être
représenté par le personnage de la fonction de ce dernier dans l’ensemble du texte.
A.J.Greimas en reprenant et en synthétisant les travaux de Propp arrive à un modèle
plus simple, choisissant les concepts d’actant et d’acteur pour designer le personnage.
Philippe Hamon quant à lui en s’inspirant de l’analyse structurale développera la
sémiologie. Il définit le personnage comme étant un signe et en même temps un
ensemble de signes se regroupant à l’intérieur du texte. Le personnage en tant que
signe se définit par des restrictions sélectives : linguistique, logique, esthétique ou
idéologique. Puis en tant qu’ensemble de signes dont on peut décrire la distribution ;
combinaison, opposition… le personnage a donc une dimension, voire une
constitution, sémiologique.

1 Y. Routier, Introduction à l’analyse du roman, 2 éme édition, Paris Dunod 1996.

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Chapitre premier : Le Héros problématique

Dans son ouvrage Texte et idéologie, Hamon souligne la difficulté de donner forme au
concept pourtant élémentaire qu’est celui de héros. Le terme a deux acceptations selon
lui, qu’il faut distinguer : d’abord l’acceptation générique puis l’acceptation
structurelle, par laquelle on désigne plutôt le personnage principal d’un récit. C’est
principalement sous cet angle qu’Hamon aborde le concept de héros :

« On le voit, le problème du héros, au sens restreint et précis ou il faudrait sans doute


le prendre, au sens de « personnage mis en relief par des moyens différentiels », de
« personnage globalement principal », relève à la fois de procédés structuraux
internes à l’œuvre (c’est le personnage au portrait plus riche, à l’action plus
déterminante, à l’apparition la plus fréquentes, etc.). Et d’un effet de référence
axiologique à des systèmes de valeurs (c’est le personnage que le lecteur soupçonne
d’assumer et d’incarner les valeurs idéologique « positives » d’une société – ou d’un
narrateur- à un moment donné de son histoire) »1.

Pour notre travail et parmi toutes ces analyse faîtes sur la notion de personnage, celle
de Philippe Hamon semble le mieux convenir à notre objet.

11. L’identification de François comme personnage principal

Philippe Hamon proposera cinq paramètres pour distinguer et hiérarchiser les


personnages, il s’agit notamment :

a. Qualification différentielle :

Un personnage à la qualification différentielle signifie qu’il possède des qualités dont


le reste du « personnel » du roman est dépourvu. Le héros est nommé, décrit
physiquement et psychologiquement ainsi que porteur d’une marque qui le distingue
(que ce soit une blessure, un objet, etc.), tandis que les personnages occupant une place
plus basse dans l’échelle hiérarchique du roman sont anonymes, peu ou pas décris et
sans marque distinctive. Les antécédents du héros, c'est-à-dire leur analogie, leur
enfance, etc., sont généralement plus étoffés, ce qui contribue à approfondir leur
description.

1 P. Hamon, Texte et idéologie, Paris, PUF, 1984.

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Chapitre premier : Le Héros problématique

Dés le début du roman et plus précisément la première page le personnage central de


Soumission, qui n’est autre que le narrateur, commence par présenter le domaine dans
le quel il baigne « la littérature » et dans le même temps il nous renseigne sur son
statut intellectuel :

« je soutins devant le jury de l’université Paris IV – Sorbonne ma thèse de doctorat :


Joris-Karl Huysmans, ou la sortie du tunnel » (p.11).

Tout de suite après, nous nous retrouvons devant sa description psychologique


indirectement représentée, en effet il décrit les agissements et les pensées des autres
pour les renier chez lui :

« pour tous ceux qui terminent leurs études […] hypnotisés qu’ils sont par le désir
d’argent, ou peut-être de consommation chez les plus primitifs, ceux qui ont développé
l’addiction la plus violente à certains produits »p(11),

Ainsi il se disqualifia de ces comportements qu’il semble mépriser en assurant : « je


m’écartais sensiblement d’un tel schéma »p(12). On aura attendu la fin de la première
partie du roman pour que le narrateur nous dévoile le nom du personnage au milieu
d’un dialogue :

« je suis désolé, vraiment désolé que tu en sois là, François »p(44).

En ce qui concerne la jeunesse du personnage principal, ressemble vivement à une


idylle, mais une idylle intellectuelle

« Pendant toutes les années de ma triste jeunesse […] je compris qu’une partie de ma
vie venait de s’achever, et que c’était probablement la meilleure. »p(11).

Il n’y a pas d’autre origine pour François : son enfance semble singulièrement vide de
sens, d’ailleurs on n’y réfère qu’au moment de la mort du père.

b. la distribution différentielle :

Le second « mode d’accentuation » signalé par Hamon est « la distribution


différentielle », c'est-à-dire le moment (significatif ou non) et la fréquence (haute ou
faible) auxquels apparait un personnage. En tant que personnage principal, le héros
9
Chapitre premier : Le Héros problématique

apparait généralement plus fréquemment et est présent aux moments importants du


récit, qui sont le début, la fin et les périodes de crise.

On remarque la haute fréquence d’apparition du personnage principal François durant


le récit, par sa présence dans l’incipit du roman et son expie les deux moments les plus
importent. Il apparait aussi dans tous les dialogues qui se déroulent au fil du récit, le
personnage est aussi à chaque moment acteur dans les scènes qui s’y déroulent et s’il
n’y participe pas c’est par ses yeux et ses mots que l’on raconte ce qui se passe.

c. L’autonomie différentielle :

L’autonomie du personnage, à savoir s’il apparait seul ou en compagnie d’un ou de


plusieurs autres personnages est le troisième paramètre à observer : le héros, plus
autonome apparait généralement seul, tandis que les personnages secondaires ou
circonstanciels sont le plus souvent représentés en groupe ou sont présent uniquement
à des moments précis (par exemple, comme le signale Hamon, une scène de mariage
appelle presque automatiquement un curé qui ne sera présent que dans cette scène).
Cette autonomie se manifeste aussi par la parole : le monologue est généralement
réservé au héros tandis que les autres personnages ne se font entendre que dans les
dialogues.

François, apparait souvent seul lorsque le narrateur raconte sa vie quotidienne et se


livre à chaque occasion à de longs monologues à la première personne du singulier. On
remarque même que dan les deux temps fort du roman c'est-à-dire le début et la fin, le
personnage se met au monologue interne. Tout au long du roman, le narrateur se met
souvent à la description du personnage seul dehors contemplant le paysage ou bien
chez lui s’occupant de ses taches quotidiennes

« Je me réveillai à nouveau vers huit heures, préparai une cafetière, me


recouchai… »p(107)

« Je me réveillai vers quatre heures du matin, lucides, l’esprit aux aguets… »p(125)

10
Chapitre premier : Le Héros problématique

d. La fonction différentielle :

Hamon propose d’inscrire en plus la fonctionnalité des personnages dans une


perspective différentielle en faisant, à posteriori, la somme des actions dont le
personnage a été le support. La perception du lecteur importe grandement dans cette
évaluation de la fonction du personnage car en général le héros est celui qui accomplit
les actions valorisés par la société ; le caractère fonctionnel du héros regroupe ici son
caractère axiologique.

Dans le roman que nous étudions, notre personnage n’accomplit pas d’actions mais il
les subit. Etant donné son caractère d’antihéros, il reste passif à tous les évènements et
phénomènes qui se produisent autours de lui, il reste spectateur et commentateur.

« Je compris que la soirée électorale, s’annonçait […] exceptionnel » P(75).

« C’est la première fois que ça pète à Paris » P(61).

« Marine Le Pen contre-attaque à midi trente » P(109).

Les évènements politiques et religieux se produisent devant ses yeux sans qu’il
n’intervienne. Il ne fait que les contempler, les critiquer et les commenter.

111. Le héros problématique

Dans l'analyse du roman, on retrouve beaucoup de théorie de Georges Lukács. Selon


Lucien Goldmann,

« La forme du roman qu'étudie Lukács est celle que caractérise l'existence d'un héros
romanesque qu'il a très heureusement défini sous le terme de héros problématique »1.

Pour cela, les analyses de Lukács permettent d'entreprendre une étude sociologique
sérieuse de la forme romanesque. En tout cas pour Georges Lukács, le roman reste une

1 L. GOLDMANN , Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964.

11
Chapitre premier : Le Héros problématique

histoire d'une recherche « dégradée » et Lukács appelle ça une « histoire démoniaque »


car il y a en cela, la recherche de valeurs authentiques dans un monde dégradé lui aussi
mais à un niveau autrement avancé et sur un monde différent.

Ainsi, tout lecteur devrait être capable de repérer la présence de ce héros (démoniaque)
dans un roman. Mais la sociologie du littéraire comme celle de la réception au sens
strict du terme se révèlent partiellement étrangères à l'essentiel de ce qui a lieu dans le
texte. Ainsi, la sociologie de la littérature chez Lukács semble pouvoir les intégrer.
Entre les déterminations et les conséquences, le texte est important pour les attirer dans
sa lecture.

Les personnages problématiques font donc irruption dans la société écrasée par
l'intense production pour le marché, faisant naître des classes bien dessinées : les
prolétaires et les producteurs. C'est pourquoi il fustige aussi un réalisme régressif dans
son Roman historique1.

Parler de héros problématique sans parler de Lucien Goldmann serait une déroute. En
analysant l'œuvre en tant que produit de la société, Lucien Goldmann n'a pas cessé de
retravailler la théorie sociocritique pour l'enrichir. C'est pourquoi, en apportant sa
contribution sur les analyses de Georges Lukács, il en vint à parler du héros
« démoniaque » de Lukács comme héros « problématique ».

Dans un monde dégradé, un héros de roman comme François de Soumission ne peut


manquer d'être problématique parce que sa quête ne sera jamais réalisée,

« pourtant, le matin qui suivit la soutenance de ma thèse […], ma première pensée fut
que je venais de perdre quelque chose d’inappréciable, quelque chose que je ne
retrouvais jamais : ma liberté. » p(14-15)

Cette liberté inappréciable, pour ainsi dire sacrée, sait justifier l’existence miséreuse du
narrateur ; cette justification semblait combler les défaillances de la vie courante. On
comprend, en faite, que pour subir des conditions de vie « plutôt difficiles », il faut que

1 G. LUKACS, Le roman historique, Paris, Gallimard, 1964.

12
Chapitre premier : Le Héros problématique

la quête transcendante en vaille la peine, et c’est bien cet acte de foi qu’on peut lire
dans les premières pages de Soumission.

Encore une fois le titre prend sens : le héros de Houellebecq se soumet. Conformément
à son habitude Michel Houellebecq présente un antihéros qui pourrait évidemment être
la figure du mal, manière à lui de dénoncer l'attitude de ses contemporains prêts eux
aussi à se soumettre. Houellebecq ferait ainsi le portrait d'une France aveuglée
(inconsciente du danger islamiste) Cet antihéros fascine les lecteurs de Houellebecq, il
est à la fois celui à qui ils aimeraient tant ressembler et celui qu'il faut à tout prix
ridiculiser.

Dans cette œuvre notre personnage est un homme qui voit tout en noire malgré la
bonne situation professionnelle qu’il avait, il n’a de cesse de réprimer les agissements
de ses concitoyens et même du reste du monde. On le remarque dés les premières
pages du roman avec ses longues phrase de quinze ou vingt lignes, des passages de
descriptions de lui-même, de ses considérations sur l’environnement, sur la routine ;
avec toujours des précisions qui ne servent à rien sauf à alourdir le texte.

« je n’avais aucun projet, aucune destination précise : juste la sensation, très vague ;
que j’avais intérêt à me diriger vers le Sud-ouest ; que, si une guerre civile devait
éclater en France, elle mettrait davantage de temps à atteindre le Sud-ouest […] » p
(125-126).

François est un universitaire qui a écrit une thèse qui s’avère être brillantes sur
Huysmans, ce qui a fait de lui une petite sommité dans le microcosme universitaire ou
il donne des cours et aide les doctorants. Sa vie professionnelle semble plutôt bien
installée par contre sa vie privée et sociale sont un peu plus chaotique il n’est pas établi
en couple et virevolte d’amourette en amourette et lorsqu’il ne va pas bien et qu’il est
célibataire il va aller voire des prostitués. Sa vie au quotidien ne semble pas très
enviable « […] je me sentais triste à en mourir. »(113) il se contente de barquettes
micronodules pour manger et pour tuer le temps. Il fume et boit en se contentant de ce
qu’il a à porté de main. Il est décrit comme un homme qui n’a ni de vision politique ni
de vision religieuse, il a essayé a une époque de trouver la foi en prenant pour modèle

13
Chapitre premier : Le Héros problématique

son héros Huysmans et en se retirant dans un monastère mais ne l’a pas trouvée car ce
dernier semble subir l’époque et l’époque est au renoncement au nihilisme à
l’athéisme…etc. et en cela François est un pur produit de l’époque.

On voit que le personnage est d’abord surpris mais après avoir renoncé et mis à la
retraite d’office, il finit par se résigner et donc se soumet à la loi universitaire et se
reconvertit tout le caractère de l’anti héros est donc là et le vrai sujet encore une fois
est dans le titre, dans cette découverte que le sommet du bonheur humain réside dans
la soumission la plus absolue. Cette soumission c'est bien sûr un abandon de tout libre
arbitre, une régression totale qui place le héros à l'intérieur de la grandeur de l'ordre
cosmique en situation de n'avoir plus rien à décider. On comprend très vite que notre
« héros problématique » n’est autre que le personnage solitaire qui dénie à la
contingence le droit de remplacer les absolus. On l’appel donc « problématique », non
pas parce qu’il pose des problèmes au monde, mais parce que le monde devenu
étranger aux anciennes valeurs lui causes des problèmes sans voies de solutions. Il n’a
pas une notion claire de la profondeur de l’altérité ni de la force du changement, que
son groupe social a déjà en grande partie accepté.

Un homme qui ne sait pas ou il va et qui ne trace aucun objectif. La routine le ronge et
elle devient insupportable. Il se remet plusieurs fois en question et n’arrive pas à
entrevoir le sens de la vie mais surtout de la sienne « Mon esprit avait erré dans des
zones incertaines et sombres »p(113). Ni opinion religieuse ni politique, à un moment
il déclare même être politisé autant qu’une serviette de toilette c’est dire le désespoir
que ressent ce personnage atypique on voit même que le mot « désespoir » à été
mentionné trois fois au cours du récit.

En réalité lorsqu’on décrit le personnage de Houellebecq, on comprend la vision


allégorique de l’occident car tout dans son parcours ressemble au parcours de
l’occident des quarante dernières années, c'est-à-dire que tout comme l’occident,
François s’est désintéressé des valeurs de la civilisation, de la société. Il ne s’est pas
intéressé au lendemain, ni au groupe ni à la communauté ni même au pays, et s’est
contenté des s’occuper de lui-même et qui plus est au strict minimum.

14
Chapitre premier : Le Héros problématique

15
Chapitre deuxième :

Eléments de la désillusion romanesque


1. Le langage lyrique :
2. L’isotopie de la désillusion dans Soumissions

a. Le thème de La femme

b. La poétique du politique

c. Le thème du désespoir

3. Philosophie de l’absurde où le mythe de Sisyphe

a. Le monde absurde
b. L’homme absurde
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

Le roman de la désillusion reste centré sur la vie de l’homme de par son aspect
psychologique. Le roman ne trouve plus d’adéquation entre le model du héros
d’autrefois, ce personnage emplis de valeurs morale, et la société d’où il émerge.
Nous serons donc d’accord pour dire que la religion, la morale, et la politique sont les
facteurs qui composent cette inadéquation.

« La problématique qui caractérise cette sorte de roman : la perte de


toute symbolisation épique, la dissolution de la forme en une succession
nébuleuse et instructurée d’états d’âme, le remplacement de l’affabulation
concrète par l’analyse psychologique »1

La situation historique doit être considérée comme un élément important dans la


création d’une œuvre de ce genre. En effet l’auteur doit réussir à entrevoir le moment
adéquat afin de superposer l’évolution de la société, aux conditions requises pour
l’apparition du thème de la désillusion. Mais le fait de pouvoir discerner l’espace
historique ne suffit surement pas, il faut encore savoir la situer dans un cadre favorable
de l’étape évolutive. Donc, le roman doit concorder avec chaque étape évolutive, une
forme d’âme, une participation de la temporalité et un style de langage propre, car une
politique de collaboration doit se former entre la structure significative et l’espace
historique.

On aperçoit souvent chez les auteurs de romans de la désillusion, une attitude


plutôt humoristique. Suivant un processus de dégradation de la condition humaine,
l’auteur se met à la description de l’état d’âme de l’homme soumis à la société qui l’a
généré. Le but étant de refléter le mal qui ronge la société, le personnage est édifié
avec un état de dépression intense et dans une humeur assez sombre.

L’esthétique de Houellebecq fait ressortir la représentation du monde extérieur,


et multiplie les descriptions psychologiques, que ce soit celles du personnage ou d’un
groupe social déterminé, dont il pourrait faire partie ou pas. On ajoute à cela le temps
qui, dans ce genre de roman se retrouve en opposition avec l’Homme, dans un
processus dialectique qui ne peut se résoudre que par la défaite de ce dernier :

1 G. Lukacs, La théorie du roman, Paris, Gonthier, 1963,p110.

17
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

« A une époque plus ancienne, les gens constituaient des familles, c’est-à-dire
qu’après s’être reproduit ils trimaient encore quelques années, le temps que leurs enfants
parviennent à l’âge adulte, puis ils rejoignaient leur Créateur. »p (114).

François, le personnage de Soumissions, est nostalgique d’un temps désormais


révolu, témoin d’un passé plus glorieux, ne réagit que par sa plainte désespérante, un
constat réel mais toutefois inutile. Il fait le constat de ce qu’est la mort, qui n’est toute
autre que le butin que rafle le temps à chaque fois.

« Ils vivent parce qu’ils vivent, c’est tout, c’est comme ça qu’ils raisonnent ensuite je
suppose qu’ils meurent parce qu’ils meurent, et que ceci, à leurs yeux, termine l’analyse. » p
(45).

1. Le langage lyrique :

Pour exprimer la situation pathétique du personnage qui ne réagit qu’en se


plaignant à lui-même, et tout en gardant la beauté du style de son écriture, l’auteur fait
appel au lyrisme subjectif.

« […] la plainte impuissante devant un monde en soi inessentiel, l’inefficace et


monotone éclat d’une surface en train de se décomposer, tel sont les aspects uniquement
artistiques de cette situation de fait 2».

« Le roman de la désillusion a donc sa poésie autant que les romans épiques,


idéalistes et romantiques. »3

On le voit dans le cas de Soumission, qui pour faire ressentir au lecteur toute la
mélancolie du héros, toute la solitude et la lassitude qui remplissait son cœur, le
narrateur s’exprimera au moyen d’une grammaire à la beauté glaçante. On passe alors
à la poésie mais une poésie qui veut exprimer toute la tristesse d’une âme torturée :

« Le soleil se couchait entre les tours lorsque j’émergeai de nouveau à la pleine


conscience de moi-même, des circonstances, de tout. Mon esprit avait erré dans des zones
incertaines et sombres, je me sentais triste à en mourir. »p(113).
2 Ibid., p.117.

3 C. Tanguay, Ashini ou Le Passage du « Demonique», thèse prestée à la Faculté des Arts de l’Université
d’Ottawa en vue de l’obtention de la Maitrise ès Arts, 1967.

18
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

11. L’isotopie de la désillusion dans Soumissions

Outre le personnage problématique du roman, le texte de Houellebecq semble ressurgir


la désillusion aussi bien à travers des thématiques textualisées et qui constituent une
constellation d’éléments ayant comme point central l’isotopie de la désillusion. Nous
retenons notamment les thèmes.

Le thème est l’organisation et le déploiement d’un ensemble d’indices ayant un


but précis et ce but est de nous communiquer la stratégie adoptée du texte pour former
l’idée génératrice de ces thèmes. Selon Michel Collot le mode de manifestation du
thème

« (implicite, répétitive mais variée) sur son mode d’organisation (en « réseaux »
thématique sous-tendant l’ « architecture » d’une œuvre). »4.

Le thème est donc itératif, et c’est ce qui lui permet de se manifester en tant que
tel

« Un thème serait en principe concret d’organisation, un schéma […]


autour duquel aurait tendance à se constituer et à se déployer un monde.
L’essentiel, en lui. C’est cette parenté secrète dont parle Mallarmé, cette
identité cachée qu’il s’agira de déceler sous les enveloppes les plus diverses
[…]. Les thèmes majeurs d’une œuvre, ceux qui forment l’invisible
architecture, et doivent pouvoir nous livrer la clef de son organisation, et
qui doivent pouvoir nous livrer le plus souvent, qui s’y rencontrent avec une
fréquence visible, exceptionnelle. La répétition ici comme ailleurs, signale
l’obsession. »5

4M. COLLOT. Le thème selon la critique thématique. In : communication, 47, 1988. Variations sur le thème.
Pour un thématique, pp, 79-91.

5J.P. Richard, l’Univers imaginaire de Mallarmé, Ed. Du Seuil, 1961.

19
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

Plusieurs thèmes ont été abordés dans l’œuvre de Michel Houellebecq. Parmi
eux, On distingue quelques thèmes qui sont propres au roman de la désillusion et qui
peuvent aider et faciliter le lecteur à mieux comprendre la philosophie du texte. On
relèvera ce qui nous semble être les trois thèmes les plus importants.

1. Le thème de La femme

On comprend que dans le texte et cela dès le début qu’en fait, la soumission
dont l’auteur parlait concerne aussi celle de la femme, en effet le personnage principal
de cette œuvre semble être décrit comme un parfait misogyne.

- « Ça ne t’ennuie pas que je te dise que tu es un macho ?

- je ne sais pas, c’est peut-être vrai, je dois être une sorte de macho approximatif ; en
réalité je n’ai jamais été persuadé que ce soit une si bonne idée que les femmes puissent
voter, suivre les mêmes études que les hommes, accéder aux mêmes fonctions, etc. enfin on s’y
habitue […] »p(41)

On remarque dans le texte que le narrateur voulait insister sur le fait que le
personnage, voyait les femmes comme de simples objets, et non pas comme des êtres
humains à part entière comme tout homme moderne dans un pays occidental se doit de
le faire.

« Son corps avait subi des dommages irréparables […] elle ne pouvait plus, ne
pourrait plus être considérée comme un objet de désir. » p(22).

François va encore plus loin, sa misogynie ne s’arrête pas qu’au dégout des
femmes, mais elle semble être plus profonde et sa mère pourrait même en être la
source.

« Mon père, lui, avait eu…ma mère, cette putain névrosée. » p(227).

Ce mépris envers la femme ne s’explique pas mais on le voit durant tout le


texte. Il est cependant clair que dans ce genre de roman, le personnage principal, et qui

20
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

dans cette œuvre est un antihéros, déteste tout ce qui peut se rapporter au modernisme.
Nous pensons donc que François ne déteste pas tant la femme que l’idée qu’il se fait
de la femme moderne avec ses droits et ses libertés, mais une liberté galvaudée, gâchée
et avilie par un mauvais usage.

2. La poétique du politique

Il semble clair que l’histoire du roman se construit autour d’un événement


politique comme le mentionne maintenant plusieurs médias et critiques, le roman est
une satire politique. Le lecteur se heurtera à la chose politique dès l’entame de la
deuxième partie du roman, mais le narrateur attendra jusqu’à la deuxième moitié du
roman pour parler vraiment du contexte politique suite aux élections.

C’est les élections présidentielle de 2022 en France et le premier tour annonce


des résultats inattendus : le Franc National s’opposera à la Fraternité Musulmane au
second tour, cette dernière remporte les élections. Le chef du parti musulman
maintenant président soit disant modéré, entamera des changements drastiques.

François est un homme qui ne semble en aucun cas se préoccuper de la


politique et s’y est depuis toujours désintéressé

« Je me sentais aussi politisé qu’une serviette de toilette »p(50).

Il n’arrivait pas à concevoir le fait que la politique puisse déterminer son avenir
et en cela il semblait être frustré, plus encore il méprisait ses hommes qui accourent et
se disputent le trône (le pouvoir).

« Curieusement, les pays occidentaux étaient extrêmement fiers de ce système électif


qui n’était pourtant guère plus que le partage du pouvoir entre deux gangs
rivaux »p(50).

« Que l’histoire politique puisse jouer un rôle dans ma propre vie continuait à me
déconcentrer, et à me répugner un peu. » p(116).

Pour François, la politique ne fait que se renouveler, un système de gouvernance


n’ayant d’autre objectif que sa propre reproduction.

21
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

« Dans ma jeunesse les élections étaient aussi peu intéressante que possible ; la
médiocrité de l’offre politique. »p(50)

C’est seulement lorsqu’il écoutera le leader du parti de la fraternité musulmane


qu’il commencera à le prendre en estime.

« Ben Abbes aussi croit à l’Europe, il y croit même plus que tout les autres, mais lui
c’est différent, il a une idée de l’Europe, un véritable projet de civilisation. »p(160).

3. Le thème du désespoir

Tout en François était désespérant, que ce soit sa vision de l’avenir de la France,


de l’Europe et même de l’Homme en général, était vouée à l’échec. Il voyait en
l’homme moderne le sommet de la crédulité.

La tristesse se lisait pratiquement à chaque fois qu’il se met à de profondes


réflexions. Ses monologues intérieurs sont remplis de mélancolie et de désespoir :

« […] j’étais encore persuadé que les Français dans leur immenses majorité
resteraient résignés et apathiques – sans doute parce que j’étais moi-même passablement
résigné et apathique. »p(116).

« Je fus submergé par une crise de larmes imprévue. »p(208).

« […] j’émergeai de nouveau à la pleine conscience de moi-même, des circonstances,


de tout. Mon esprit avait erré dans des zones incertaines et sombres, je me sentais triste à en
mourir. » p (113).

Michel Houellebecq met l’accent sur la maladie et les corps qui se dégradent,
cette dégradation est représentée à deux niveaux : le niveau corporel et concret et le
niveau symbolique. Le symbole d’une Europe et plus généralement d’un Occident en
plein déclin, en plein suicide. Avec ses longues phrases lyriques, d’un ton très
mélodramatique, il en fait de lui-même et de son corps une description, une image de
l’Europe vieillissante et malade :

« J’étais pour la dixième fois peut-être depuis trois ans, victime de dyshidrose, qui se
manifestait sous la forme d’un eczéma bulleux. » p(206)

22
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

« Mon corps en général était le siège de différentes affections douloureuses –


migraines, maladies de peaux, maux de dents, hémorroïdes – qui se succédaient sans
interruption, ne me laissant pratiquement jamais en paix […] je ne serais plus alors qu’une
juxtaposition d’organes en décomposition lente, et ma vie deviendrait une torture incessante,
morne et sans joie, mesquine. »p (98-99).

Ce désespoir qu’on retrouve partout dans Soumission, est caractérisé par le vide
dans la vie de François, son refus de vivre, et sans compter ses volontés de mourir tant
il ne trouvait pas de raison pour ne pas le faire. Sa conception décadente de la vie
nous fait penser au nihilisme. Cependant il est assez difficile de définir ce terme vaste
ayant été attribué à des champs divers. Le nihilisme peut être compris et définie de
plusieurs façons :

« Le XIXe siècle fit de ce concept un usage déconcertant, inscrit dans une


série de malentendus ; mais ce n’est pas par hasard si romanciers russes,
philosophes allemands et essayistes français semblent découvrir avec le
nihilisme le mot qui serre de plus prés les illusions perdues, la douleur
d’exister, le néant de toute vie, la tentation de la mort. Le terme s’installe
alors dans une dimension polémique, il permet de designer avec une
remarquable imprécision la mélancolie, le pessimisme et de façon plus
générale, toute conception tant soit peu tragique ou décadente de la vie. »6

Si la notion du nihilisme désigne les illusions perdues, la douleur d’exister, le


néant de toute vie, soumission exprime la même conception désillusionniste. Le
suicide occidental s’étend partout. Les sentiments se tarissent au profit de la
polygamie. L’humanité de l’homme meurt. Les relations amoureuses meurent, comme
celle de François séparé de Myriam qui part vivre en Israël à cause des tensions
politique. Les relations familiales sans vide, On le comprend avec la mort de la mère,
ensuite du père de François resté insensible. La laïcité disparait, avec le nouveau
président musulman de France.
Dès l’incipit du roman s’annonce le sujet principal du livre : le déclin de
l’occident tel que nous le connaissons,
6 V. BIAGGI, Le nihilisme, Flammarion, Paris, 1998.

23
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

« un Occident qui sous nos yeux se termine » p(13).


Pour décrire le monde dans lequel François vit, l’auteur emploie des mots qui
ont une connotation plutôt négative : «triste », « solitaire », « primitifs », « mort »,
« sombre », « pauvreté ». La description de la civilisation européenne n’est pas
prometteuse
« je compris qu’une partie de ma vie venait de s’achever, et que c’était probablement
la meilleure. » p(11).
Dans le roman on trouve plusieurs phrases qui pourraient être lues comme des
métaphores de la fin d’une ère
« un froid descendit brutalement, de plusieurs milliers de kilomètres, sur l’Europe
occidental […] les masses d’air polaire descendirent en une nuit sur la France» p(205).

4. Philosophie de l’absurde ou le mythe de Sisyphe

Le héros que Michel Houellebecq met en scène dans Soumission est en plein
désarroi. En effet, en plein questionnement sur son existence, François est troublé
devant des questions existentielles, il se remet en question et remet en question tout le
sens de la vie. C’est dans le vide que se traduit son sens de la vie. Nous remarquons
aussi, que c’est dans la soumission totale que le personnage pense réussir à trouver son
bonheur. Ce vide et cette soumission qui caractérisent tant la vie de notre protagoniste,
nous font penser au Mythe de Sisyphe. C’est dans ce mythe qu’on retrouve toute la
particularité de la personnalité du personnage.

« Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler un rocher jusqu’au sommet d’une
montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque
raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir »7

Deux traits caractérisent ce mythe et nous les retrouvons dans Soumission :

a. Le monde absurde

Le premier est dans l’absurdité de la tâche qu’on inflige à Sisyphe. Le fait d’un
éternel recommencement de cette punition terrible, sans y avoir d’objectif logique à
atteindre au final, nous renvoie directement au monde absurde que décrit le

7A. CAMUS, Le mythe de Sisyphe, p.163.

24
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

personnage. Plus généralement les questionnements de François sont sur le sens de la


vie elle-même :

« En quoi une vie a-t-elle besoin d’être justifiée ? » p(45)

On retrouve beaucoup de questions de ce genre lorsqu’il se met à de profondes


réflexions sur sa vie et le monde qui l’entoure. Ses réponses aux questions qu’il se
pose sont toutes aussi emplies de désespoir :

« La totalité des animaux, l’écrasante majorité des hommes vivent sans jamais
éprouver le moindre besoin de justification. Ils vivent parce qu’ils vivent et voilà tout […] » p
(45).

Cette réponse justifie à elle seule le trait qui caractérise si bien le mythe de
Sisyphe, c’est dans le même sens que se tiennent les propos de François qui est
convaincu de l’absurdité de la vie sans justification aucune.

Toutes les institutions présentes dans le texte, sont décrites par le personnage
comme étant dénuées de sens et de tout objectif réel, un peu comme cette tache inutile
et sans espoir, que Sisyphe est forcé de reproduire. Pour François :

« Les études universitaires dans le domaine des lettres ne conduisent comme on le sait
à peu près à rien » p(17),

Ce domaine est, cependant, celui dans lequel il baigne.

Le récit gravite au tour d’un enjeu politique. Cette politique qui est en un sens,
le fil conducteur de l’histoire est décrite selon le personnage comme une perpétuelle
reproduction :

« Un candidat de centre-gauche était élu, pour un ou deux mandats […] puis la


population se lassait de ce candidat et plus généralement du centre-gauche, on observait un
phénomène d’alternance démocratique, et les électeurs portaient au pouvoir un candidat de
centre-droit, lui aussi pour un ou deux mandats » p(50).

25
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

Nous dirons donc, que le système social-démocrate qui fait la fierté de la


civilisation européenne, est perçue par François comme un éternel recommencement
de la même manière des vas et viens de Sisyphe dans la montagne.

b. L’homme absurde

Nous remarquons dans le mythe que Sisyphe dans sa tâche répétitive semble
heureux. Ce bonheur est tiré du fait que ce dernier reste conscient de l’inutile et
absurde situation dans la quelle il se trouve .Sisyphe semble heureux car il n’est pas
tombé dans l’inconscience et l’indifférence. C’est donc, dans l’acceptation de son sort
que Sisyphe trouve le courage de continuer l’ascension de cette montagne.

« Donc, le bonheur selon Camus implique le choix d’être heureux. Pour ce faire,
l’homme doit rester conscient de son malheur causé par son incompréhension de l’existence
et du non-sens du monde. » 8

Si nous nous penchons sur la dernière partie de Soumission, nous allons nous
retrouver face à la même conception du bonheur que chez Sisyphe. François se
retrouve face à cette vérité pour le moins paradoxale. En effet il découvre :

« L’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le
sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue » p(260).

Ce personnage conscient de l’absurdité du monde et de la vie en général,


découvre que son seul salut pour réussir à trouver le bonheur, sera de se soumettre, la
même idée qui a rendu Sisyphe heureux en dépit du supplice que lui ont infligé les
dieux. Dans le cas de François la soumission se traduit par sa conversion à l’Islam. Un
acte qui ne lui ôtera pas sa vision décadente du monde qui l’entoure, mais du moins il
l’espère, apaisera son spleen.

Nous pouvons donc supposer que l’auteur, consciemment ou pas, a voulu d’un pas
implicite, reproduire le mythe de Sisyphe, en le superposant sur le parcours du
personnage. Nous pouvons encore enrichir notre analyse mais les quelques citations

8 H. VIKSE, l’absurde, le malheur et la révolte pour le bonheur dans Le Malentendu d’Albert Camus, Mémoire
de master, Université de Bergen, 2013.

26
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque

auxquelles nous avons fait appel suffisent amplement à prouver la présence du mythe
dans le roman.

27
Chapitre troisième :

La narration à l’œuvre de la désillusion


1. Le narrateur : statut et focalisation
2. La fonction idéologique du narrateur de Soumission
3. Les anachronies narratives à l’œuvre de la désillusion
4. Soumission, un titre proleptique
Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

1. Le narrateur : statut et focalisation

Avant d’aborder le statut du narrateur, nous tenons à éclaircir la différence qui


sépare l’auteur du narrateur pour ne pas confondre entre les deux. Tout d’abord,
l’auteur est celui qui crée l’histoire, l’individu responsable de la création d’une œuvre,
alors que le narrateur est une toute autre entité qui s’occupe de la prise en charge des
évènements qui se déroulent dans le récit, un être de papier. Il raconte, il narre.

Si l’on se réfère à G. Genette, on distinguera quatre types fondamentaux du


statut du narrateur de par son niveau narratif et de sa relation à l’histoire :

1) « Extradiégetique – héterodiégétique […] narrateur au premier degré


qui raconte l’histoire d’où il est absent ;
2) Extradiégétique – homodiégetique […] narrateur au premier degré qui
raconte sa propre histoire ;
3) Intradiégétique – hétérodiégétique […] narrateur au second degré qui
raconte une histoire d’où il est généralement absent ;
4) Intradiégétique – homodiégétique […] narrateur du second degré qui
raconte sa propre histoire 1».

Nous commencerons d’abord par étudier le statut du narrateur de l’œuvre


étudiée « Soumission ». Dès la première phrase nous remarquons tout de suite le
pronom à la première personne du singulier « je ». Durant toute la première partie du
roman, le narrateur se met à se décrire lui même. Sa présence dans le texte et les
événements qu’il relate nous signifie que le narrateur se pose en un être fictif qui
participe à l’histoire narrée. Il nous fait aussi découvrir la présence d’autres
personnages au fur et à mesure de sa narration en distribuant des rôles à chacun d’eux,
et en nous faisant découvrir leurs métiers, leurs portraits et leurs caractéristiques.

Etant donné que le narrateur se trouve être un être fictif et qu’il soit lui-même
l’objet de son récit nous concluons donc qu’il est intradiégétique.

1 G. GENETTE, Figure III, édition Seuil, collection Poétique, Paris, 1972.

28
Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

La focalisation est la manière dont le narrateur relate ses péripéties et raconte


son histoire, c'est-à-dire le point de vue duquel il se place par rapport à ce qu'il dit. En
sait-il plus moins ou autant que le personnage ! Ce tableau ci-dessous nous indiquera
les différents modes de focalisation :

Genette2 Pouillon3 Todorov4


Focalisation zéro Vision par derrière Le narrateur en sait moins que le
personnage
Focalisation interne Vision avec Le narrateur en sait autant que le
personnage
Focalisation externe Vision du dehors Le narrateur en sait plus que le
personnage

Nous assistons à un narrateur qui en sait autant que le personnage, sur sa vie,
son passé, ses réflexions et sa vision du monde qui l’entour. Puisque dés l’entame de la
lecture, Houellebecq nous confronte à François, le personnage mis en scène qui se
laisse porter par de longues suggestions sur la vie, le monde et l’occident dans lequel il
est issu. Nous remarquons aussi les dialogues internes de ce dernier qui sont en
abondances dans le roman. Tout cela nous porte à croire qu’il s’agit bien comme le dit
G. Genette d’une focalisation interne :

« Mais tout cela était fini ; ma jeunesse, plus généralement, était finie. Bientôt
maintenant (et sans doute assez vite), j’allais devoir m’engager dans un processus d’insertion
professionnelle. Ce qui ne me réjouissait nullement. » p (16).

Le style direct et indirect et le dialogue prouvent aussi la présence du narrateur


qui se présente sous la forme du personnage principal qu’est François :

« On peut essayer de savoir ce qui se passe, si vous voulez…me proposa-t-il en


me servant. » p (66).
2 Ibid.

3 J. Pouillon, Temps et roman, Gallimard, Paris, 1964.

4 T. Todorov Les catégories du récit littéraire, Communication, n°8, seuil, Paris, 1966.

29
Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

« - Non, je sais bien qu’il n’y aura rien sur les chaines infos. Sur CNN peut-être,
si vous avez la parabole.

- J’ai essayé ces derniers jours ; rien sur CNN, rien sur Youtube non plus, mais ça
je m’y attendais.

- Je ne comprends pas pourquoi ils ont décidé le black-out total ; je ne comprends


pas ce que recherche le gouvernement.

- Là, à mon avis, c’est clair : ils ont vraiment peur que le Front national ne gagne
les élections. » p(66).

Le lecteur arrive à vivre les évènements qui s’y déroule dans l’histoire en même
temps que le personnage-narrateur, on déduit donc qu’il s’agit d’une « narration
simultanée » où le ce narrateur-personnage raconte ce qui ce passe devant ces yeux, il
se pose en commentateur et donne son avis sur ce qu’il relate :

« Marie Françoise hocha la tète comme si je venais d’exprimer une idée, et elle
soupesa, longuement, les conséquences […] » p(37).

« Elle plissa les yeux avec surprise, pendant quelques secondes j’eus l’impression
qu’elle se posait véritablement la question, et du coup moi aussi je me la posai, un bref
instant, avant de me rendre compte que je n’avais pas de réponse à cette question, pas
davantage qu’à aucune autre » p(41).

Nous pouvons encore citer d’autres exemples, pour étayer notre conclusion
quant à l’instance et à la focalisation du narrateur. Mais les quelques citations qui
viennent d’être mentionner, suffisent amplement à montrer la place qu’occupe ce
narrateur-personnage dans l’histoire, et la position qu’il adopte pour l’aborder.

2. La fonction idéologique du narrateur de Soumission

30
Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

Le narrateur, cette entité indispensable dans un roman, qu’il soit dans l’ombre
ou en pleine lumière, qu’il participe directement ou indirectement à l’histoire, est
chargé de nous communiquer le monde narré, c'est-à-dire le fait de nous raconter
l’histoire. Toutefois, le narrateur a d’autres fonctions que celle de simplement raconter
l’histoire. On différencie ces fonctions selon les multiples aspects du récit auxquels ces
fonctions se rapportent.

Gérard Genette a répertorié cinq fonctions qui exposent, « le degré


d’intervention d’un narrateur au sein de son récit » :

- La première est la fonction proprement narrative dont aucun narrateur ne


peut s’en éloigner sans « perdre en même temps sa qualité de narrateur »5
- La deuxième est la fonction de régie qui est liée au « texte narratif ». le
narrateur s’y réfère « pour en manquer les articulations, les connexions, les
interrelations, bref, l’organisation interne »6
- La troisième fonction, appelée fonction de communication, est inhérente
à la « situation narrative ». elle s’inscrit dans la perspective de garder le contact entre
le narrateur et le narrataire qu’il soit présent ou absent
- La quatrième fonction, dénommée fonction testimoniale ou d’attestation,
renvoie à la
« part que le narrateur en tant que tel, prend à l’histoire qu’il raconte […] au rapport
qu’il entretient avec elle : rapport affectif, certes, mais aussi bien moral ou
intellectuel, qui peut prendre la forme d’un simple témoignage. »7

- La cinquième fonction et dernière fonction est la fonction idéologique.


Elle manifeste le rapport au monde du narrateur. En stoppant le cours de l’histoire, le
récit continue dans des passages plus didactiques énonçant une règle de morale, de
conduite ou d’ordre plus général.

5 G. GENETTE, Figures III, Seuil, Paris, 1972, page 261.

6 Ibid., p 261.

7 Ibid., p 262.

31
Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

Nous prendrons la fonction idéologique comme point que nous étudierons, afin
de mieux cerner le monde du narrateur, et les rapports qu’il entretient avec lui. Le
cours de l’histoire est arrêté, et le récit continu dans des passages qui peuvent servir,
d’influence sur la connaissance que prend le lecteur sur les états internes de conscience
du narrateur.

Pour nous signifier son rapport au monde extérieur et la perception qu’il a des
sociétés occidentales, le narrateur, au moyen d’une maxime didactique brève mais
incisive nous informe sur la règle de conduite que suivent la plupart de ceux qui
terminent leurs études, ce qui est à l’opposé de sa philosophie à lui. Nous prenons un
exemple :

« Tel est le cas, dans nos sociétés encore occidentales et sociale-


démocrates, pour tous ceux qui terminent leurs études, mais la plupart n’en
prennent pas, ou pas immédiatement conscience, hypnotisés qu’ils sont pas
le désir d’argent, ou peut-être de consommation chez les plus primitifs, ceux
qui ont développé l’addiction le plus violente à certains produits (ils sont
une minorité, la plupart, plus réfléchis et plus posés, développant une
fascination simple pour l’argent, ce « Protée infatigable », hypnotisé plus
encore par le désir de faire leurs preuves, de se tailler une place sociale
enviable dans un monde qu’ils imaginent et espèrent compétitif, galvanisés
qu’ils sont par l’adoration d’icônes variables : sportifs, créateurs de mode
ou de portails Internet, acteurs et modèles.[…] je m’écartais sensiblement
d’un tel schémas. » p (11-12).

Le passage que nous venons de citer, nous indique la manière dont le narrateur
perçoit des occidentaux, qui désormais, sont dans l’adoration de l’argent et de la
richesse en pourchassant le succès, la réussite et l’ascension sociale. Le regard du
narrateur traduit son incompréhension totale et son mépris envers cette civilisation.

Le narrateur, est un féru de littérature, et pour cause c’est un professeur


d’université très respecté de ses collègues, et pour qui la littérature génère « un regard
neuf porté sur le monde ». Il nous apporte un savoir général sur ce qu’est la littérature,

32
Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

un domaine qu’il affectionne particulièrement, au moyen d’un discours didactique.


Prenons par exemple l’extrait suivant :

«Beaucoup de choses, trop de choses peut-être ont été écrites sur la


littérature (et en tant qu’universitaire spécialisé dans ce domaine, je me
sens plus que tout autre habilité à en parler). La spécificité de la littérature,
art majeur d’un Occident qui sous nos yeux se termine, n’est pourtant pas
bien difficile à définir. Autant que la littérature, la musique peut déterminer
un bouleversement, un renversement émotif, une tristesse ou une extase
absolue ; autant que la littérature, la peinture peut générer un
émerveillement, un regard neuf porté sur le monde. Mai seule la littérature
peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain,
avec l’intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses
limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances ; avec tout ce qui
l’émeut, l’intéresse, l’excite ou lui répugne. » p(13).

Dans cet extrait, le narrateur, François, explique clairement au narrataire, en


utilisant en exemples quelques formes d’art, l’apport de la littérature au monde et à la
société. Le narrateur l’informe sur la touche émotive que la littérature provoque, la
projection de l’image des sociétés et la relation qu’entretiennent les lecteurs avec leurs
auteurs.

François, ce narrateur qui se désintéresse de tout même de l’humanité en


laquelle il en fait partie, est dénué de toute croyance, il ne vit que pour vivre. Hormis
la littérature et quelques pensées fugace pour son Ex, il ne fait aucun effort pour
apporté du sens à sa vie, athée qu’il est, il ne croit ni à la religion ni en dieu. Dans
l’extrait suivant, il donne au narrataire son avis sur ce qu’est la chrétienté dans un
commentaire didactique au ton plus que satirique :

« […] et je me sentais davantage intéressé par Elohim, le sublime


ordonnateur des constellations, que par son insipide rejeton. Jésus avait
trop aimé les hommes, voilà le problème ; se laisser crucifier pour eux
témoignait au minimum d’une faute de gout, comme l’aurait dit la vieille
pétasse. Et le reste de ses actions ne témoignait pas non plus d’un grand
discernement, comme par exemple le pardon à la femme adultère, avec des
33
Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

arguments du genre « que celui qui n’a pas péché », etc. Ce n’était pourtant
pas bien compliqué, il suffisait d’appeler un enfant de sept ans – il l’aurait
lancée, lui, la première pierre, le putain de gosse. »p (272-273).

Pour signifier tout son mépris envers les hommes et leurs croyances, il s’attaque
à la religion, chrétienne, en parlant de Jésus, mais aussi à la religion juive en
comparant, Elohim (dieu en hébreu), à un sublime ordinateur. Même la femme en
prend pour son grade, en pensant qu’elle ne mérite aucunement le pardon pour avoir
commis un adultère.

Nous pouvons encore citer d’autres exemples qui témoigneraient la présence de


la fonction idéologique du narrateur, et d’autres fonctions, mais cela reviendrait qu’à
nous éloigner du sujet qui nous intéresse. Ici notre but premier est de mieux
comprendre l’état d’âme du narrateur et le moyen narratif qu’il utilise .Cette fonction
que nous avons analysé reste un fragment qui nous aide à mieux cerner ce narrateur-
personnage du moins apathique.

3. Les anachronies narratives à l’œuvre de la désillusion

Selon Gérard Genette, tout texte laisse entrevoir des indices de la narration,
dont l’analyse permettra de définir de façon précise, l’organisation du récit. C’est dans
l’optique de comprendre la structure et l’organisation du récit d’un roman de
désillusion, que nous allons essayer d’analyser le temps du récit dans Soumission. Il
est cependant clair, que pour atteindre notre objectif, nous nous centrerons que sur
quelques éléments qui nous paraissent les plus enclins à analyser.

Lorsque l’on parle du temps, dans l’univers du roman, il est très important de
bien distinguer les deux formes du temps qu’on y croise dans chaque récit. Il existe le
temps de l’univers représenté, qui se compte en années, mois, jours,…etc. Il existe
également le temps du discours, qui celui-là se compte en nombre de pages, de
paragraphe, … etc. Il existerait selon Gérard Genette trois éléments d’analyses :

En premier l’Ordre, qui regroupe ses composantes qui sont, l’analepse, la


prolepse, la portée et l’amplitude. L’ordre ici se rapporte à la succession des

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Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

événements de l’histoire narrée et leurs dispositions dans le récit, c'est-à-dire que


l’ordre n’est pas toujours respecté dans le récit :

« Etudier l’ordre temporel d’un récit, c’est confronter l’ordre de disposition


des événements ou segments temporels dans le discours narratif à l’ordre de
succession de ces mêmes événements ou segments dans l’histoire, en tant
qu’il est explicitement indiqué par le récit lui-même, ou qu’on peut l’inférer
de tel ou tel indice indirecte. »8

Le deuxième élément est la durée9, qui à son tour se compose, de la scène, la


pause, le sommaire et l’ellipse. La durée est la vitesse narrative que produit l’auteur,
c'est-à-dire l’accélération ou le ralentissement de la narration. On peut raconter toute
une vie en quelques phrases ou raconter un évènement d’une journée en s’étalant sur
des centaines de pages.

Le dernier élément concerne la fréquence narrative qui regroupe le mode


singulatif, le mode répétitif et le mode itératif. C'est-à-dire qu’un événement peut être
raconté plusieurs fois, ou au contraire raconter plusieurs fois ce qui s’est passé
plusieurs fois.

« C'est-à-dire les relations de fréquence (ou plus simplement de répétition) entre récit
et diégèse. »10.

La prolepse est l’anticipation du narrateur, des évènements qui se produiront


après la fin de l’histoire principale comme c’est le cas dans Soumission :

« Quelques semaines allaient encore s’écouler, comme une espèce de délai de


décence, […] Il surjouerait légèrement sa propre joie, surtout par délicatesse, parce qu’il
tiendrait à se montrer surpris, pour me laisser l’impression d’un libre arbitre. » p (296).

Durant les cinq dernières pages, le narrateur, au conditionnel se met à anticiper


la cérémonie de sa conversion à l’Islam, un élément fort importent que l’on remarque

8 G. GENETTE, Seuils, op.cit. 78.

9 Ibid. p. 122.

10 Ibid. p. 145.

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Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

souvent dans les romans de la désillusion, où le héros anticipe son avenir, souvent
pessimiste le personnage principal prédit son déclin et en même temps celui de la
société.

Dans ce genre de roman on y croise aussi beaucoup de pauses, des moments


suspendus. Ces pauses sont relatives à la vitesse narrative. Le narrateur stoppe
l’histoire pour laisser place au discours. C’est à ce moment là qu’apparaissent les
dialogues internes et les descriptions. Le narrateur transmet au lecteur des informations
sur son aspect psychologique, ou l’aspect physique des autres personnages. Mais il
peut aussi y avoir des pauses inutiles. Dans le texte étudié elle se présente souvent
dans de longs paragraphes et même quelques pages et donc occupe beaucoup de place
dans le temps de récit :

« Une fois dans le métro, j’examinai la carte de visite de ma


nouvelle relation ; elle paraissait élégante et de bon gout, pour autant que
j’y connaisse quelque chose. Rediger disposait d’un numéro de téléphone
personnel, deux numéros de téléphone professionnels, de deux numéros de
fax (l’un personnel, l’autre professionnel), de trois adresses Internet aux
attributions mal définies, de deux numéros de portable (l’un français,
l’autre anglais) et d’un identifiant Skype […] » p(241).

« Seule la littérature peut vous permettre d’entrer en contact avec


l’esprit d’un mort, de manière plus directe, plus complète et plus profonde
que ne le ferait même la conversation avec un ami – aussi profonde, aussi
durable que soit une amitié, jamais on ne se livre, dans une conversation,
aussi complètement qu’on ne le fait devant une feuille vide, s’adressant a un
destinataire inconnu. » p (13).

La pause sert aussi à décrire des œuvres d’art, que ce soit une statuette ou une
toile de peinture, c’est en ce lieu commun que se retrouvent l’art et la littérature.
Pourrait-on dire aussi, un lieu ou l’art de l’écriture rencontre d’autres formes d’art :

« Le Bouguereau au-dessus de la cheminée représentait cinq femmes


dans un jardin – les unes vêtues de tuniques blanches, les autres à peu prés
nues – entourant un enfant nu, aux cheveux bouclés. L’une des femmes nues

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Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

cachait ses seins de ses mains ; l’autre ne pouvait pas, elle tenait un
bouquet de fleurs des champs. Elle avait de jolis seins, et l’artiste
réussissait parfaitement ses drapés. Ça datait d’un peu plus d’un siècle et
ça me paraissait si loin, la première réaction était de restait interdit devant
cet objet incompréhensible. » p (67).

On y trouve énormément de pauses dans cette œuvre, mais celles qui priment
sont les descriptions des états internes du narrateur, et des monologues internes. Par
ses discours ce dernier ne s’adresse qu’aux narrataires et elles n’ont aucune valeur
dans le temps de l’univers représenté.

Les analepses sont nombreuses dans Soumission. L’analepse se produit, lorsque


le narrateur après-coup, raconte un événement survenu dans le passé, c'est-à-dire
survenu avant l’histoire principal :

« Je n’étais nullement un spécialiste de Bloy. J’avais bien entendu été amené à parler
de lui, à l’occasion de mes recherches sur Huysmans, et à comparer leurs utilisations de la
langue […] » p (31).

L’analepse est comme un flashe back qu’aurait le narrateur, elle a souvent un


rôle explicite c'est-à-dire qu’il y a concordances avec l’événement présent de l’histoire.

Nous nous contenterons de ces quelques éléments d’analyse qui concerne le


temps du récit. Dans notre perspective de démontrer sur quelle base l’auteur s’appuie
pour établir l’organisation de son récit dans ce genre de roman désillusioniste.

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Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

4. Le titre proleptique Soumission

Si nous avons choisi d’étudier le titre Soumission dans le chapitre consacré à l’analyse
de la narration, c’est parce que ce titre fonctionne comme un énoncé narratif qui
anticipe la fin du roman de Houellebecq d’où sa qualification de titre proleptique.

Le titre est à la fois partie d’un ensemble et désigne cet ensemble. Il doit être un
capteur d’attention et en même temps une introduction pour assouvir la curiosité du
lecteur.

Le titre est l’élément « paratextuel » le plus étudié, le plus importent et donc qui
pose le plus de problème comme le souligne Gérard Genette :

« davantage peut être que de tout autre élément du paratexte, la définition même du
titre pose quelques problèmes, et exige un effort d’analyse… » 11

En somme, la difficulté même de donner une définition au terme de « titre »


semble être bien plus complexe à définir que tout autre élément en raison d’apparaitre
plutôt comme un véritable élément est un ensemble.

C’est Claude Duchet qui donne le nom de « Titrologie » pour qualifier cette
discipline de la critique littéraire. Ce dernier le définit comme :

« […] une information à laquelle s’ajoutent d’autres élément


sémique et que le travail publicitaire tend à réduire aux normes d’une
formule facilement mémorisable et douée d’une force d’impacte, soit, si l’on
s’en rapporte aux spécialistes de ces techniques, un texte facile, dramatisé,
économe de matériel verbal, et comportant surtout des mots pleins en petit
nombre »12.

11 G. GENETTE, Seuils, Seuil, 1987.

12Duchet.Claude, « La fille abandonnée et La bête humaine, éléments de titrologie romanesque », .


In : Littérature, N°12, 1979.pp.49-73.

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Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

Selon Roland Barthes, le titre doit être alléchant pour le lecteur et pour
que suscite en lui une vive curiosité, il est une petite introduction, une annonce
qui suggère la lecture de ce qui suit, et en même temps il doit s’y produire
comme une connexion entre le titre et sa suite.

Gérard Genette nous désigne les fonctions du titre et les comptes au


nombre de quatre : ces fonctions qui sont dissociées les unes des autres et
indépendantes entre elles peuvent ne pas être toutes présentes en même
temps : La fonction de désignation, La fonction descriptive, La fonction
connotative, La fonction séductrice.

En outre, ces définitions nous mènent à penser qu’entre le lecteur et le


texte existerait comme une alchimie que le titre produirait.

Le titre de notre œuvre est Soumission et en un mot annonce la couleur


du roman. Nous nous pencherons plus sur l’information qu’il transmet au
lecteur. Le titre de notre roman est allégorique, en effet il se présente comme
un micro prologue qui prépare le lecteur à ce qu’il l’attend et fait office
d’introduction dans le quel il situe le contexte et l’idéologie du roman ou
l’idée névralgique de l’histoire de Soumission. En lisant le titre le lecteur est
amené à se poser deux questions. La soumission de qui ? Et à quoi ? Plus tard
dans le roman le lecteur se retrouveras dans une certaine ambigüité. La
soumission de la France à l’islam avec les élections présidentielles remportée
par un partit musulman ? Ou bien la soumission de l’Homme moderne aux
diktats dominants, religieux, politique et organisation du quotidien par les
contraintes du réel.

Le titre du roman sert d’un coté à introduire le thème que va développer


le texte qui suit et qui parle de la soumission des deux cas, l’Homme et la
France mais d’un autre coté nous remarquons aussi que cette soumission est le
dénouement ultime de l’histoire puisque c’est le héros qui se soumettrais à la
fin à la religion qui prime désormais dans la France de 2022 « je serais

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Chapitre troisième : La narration à l’œuvre de la désillusion

dorénavant, un musulman »p(298) plus encore c’est dans les dix dernières pages
du roman que nous découvrons le début d’une soumission totale des plus
grands pays d’Europe à l’islam « Bien sur, des partis musulmans nationaux
appartenaient déjà à des coalitions de gouvernements en Angleterre, en Hollande et
en Allemagne ; mais la Belgique était le deuxième pays, après la France, où le parti
musulman se retrouvait en position majoritaire. »p(278). Pour résumé notre idée
on dira simplement que c’est à la fin de l’histoire que le lecteur assiste à cette
soumission.

Au terme de ce chapitre, dans lequel nous avons passé sommairement en revue la


stratégie narrative, nous avons constaté le dérèglement de la narration qui se trouve
comme un élément contribuant à la poétique de la désillusion dans l’œuvre de Michel
Houellebecq.

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Conclusion générale
Conclusion générale

Au terme de cette modeste analyse, nous avons tenté d’étudier le roman Soumission
dans le but de déceler une poétique de la désillusion chez Michel Houellebecq. Etant
notre concept clé, la désillusion se veut une vision omniprésente dans le texte qui se
lézarde à travers le texte.

Dans un premier chapitre, consacré à l’étude du personnage principal François, nous


avons tenté de démontrer que cette catégorie narrative correspond au personnage de la
désillusion et ce en y reproduisant les critères du héros problématique après l’examen
de ce dernier suivant la typologie de Philippe Hamon.

Dans le second chapitre, nous avons vu que la désillusion dans ce roman se lit à travers
les thématiques, notamment, du désespoir et de l’absurde pour mettre en œuvre un
environnement social et personnel en contraste avec le monde. Ceci nous motive à
convoquer les théoriciens de la sociologie littéraires à l’image de Lukacs.

Dans le dernier chapitre, nous nous sommes intéressés à la stratégie de la narration,


pour déceler les anachronies narratives telles que les définit Genette. A travers les
discordances temporelles, la désillusion semble imposer une stratégie narrative propre
et caractérisée par la narration discontinue et circulaire.

Cette étude de soumission de Houellebecq, aussi minime, soit-elle, ouvre une


perspective sur une nouvelle forme romanesque moderne de la désillusion qui
caractérise le roman des années deux milles et qui tentent de reproduire la nouvelle
société dans l’ère de la mondialisation

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Bibliographie
Bibliographie

Corpus étudié :
- Houellebecq, Michel, Soumission, Flammarion, Paris, 2015 .

Ouvrages de référence :
-Biaggi, Valérie, Le nihilisme, Flammarion, Paris, 1998.
-Camus, Albert, Le mythe de Sisyphe, Gallimard, Paris, 1942.
-Collot, Michel, Le thème selon la critique thématique. In : communication, 47,
1988.
-Duchet, Claude, La fille abandonnée et La bête humaine, éléments de titrologie
romanesque. In : Littérature, N°12, 1979.
-Genette, Gérard Figure III, Seuil, Paris, 1972.
-Genette, Gérard, Seuils, Seuil, Paris, 1987.
-Goldmann, Lucien, Pour une sociologie du roman, Gallimard, Paris, 1964.
-Hamon, Philipp, Texte et idéologie, PUF, Paris, 1984.
-Lukacs, Gorges, La théorie du roman, Gonthier, Paris, 1963
-Lukacs, Gorges, Le roman historique, Gallimard, Paris, 1964.
-Pouillon, Jean, Temps et roman, Gallimard, Paris, 1964.
-Richard, Jean-Pierre l’Univers imaginaire de Mallarmé, Seuil, Paris, 1961.
-Routier, Yves, Introduction à l’analyse du roman, 2 éme édition, Dunod, Paris,
1996.
-Tanuay, Christian, Ashini ou Le Passage du « Demonique», thèse prestée en
vue de l’obtention de la Maitrise ès Arts, Faculté des Arts de l’Université
d’Ottawa, 1967.
-Todorov, T, Les catégories du récit littéraire, Communication, n°8, seuil, Paris,
1966.
-Viske, Henry, l’absurde, le malheur et la révolte pour le bonheur dans Le
Malentendu d’Albert Camus, Mémoire de master, Université de Bergen, 2013.

Sites internet:
-http://www.slate.fr/story/96947/universitaires-michel-houellebecq, consulté le
01-06-2016.

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