Réviser Son Bac - Philosophie
Réviser Son Bac - Philosophie
Réviser Son Bac - Philosophie
d
d
-J
/) .r:*
LES ARTICLES DU MONDE
-.
lr.**ililt""t1
Réviser son boc
ovecfomomûe
PHILOSOPHIE
Une feallsatlOn Oe rue des -
écoles
--
Avec la collaboration de :
Stéphane Ernet
Éric Delassus
,4
Lrrc lourcassler
Sybil Gerault
Pierre Leveau
Rémi Moracrine
En partenariat avec
E""üiârT ririt"nif
L
7_
AVANT-PROPOS
soi-même qui mobilise des références non pas par slmple érudition, mais dans le cadre
d'une véritable réflexion' ffl^1i.""".,ï:i;,,, Etr
être enseignée et apprise, aussi
Comme le rappelait en son temps Hegel : « La philosophie doit nécessairement
personnelle, tout
bien que toute autre science. [...] Autant l'étude philosophique est en et pour soi une activité
autantest-elle un apprentissage. » C'est à cet apprentissage que les pages suivantes vous
invitent'
R. M.
,,e; * e'*eîæ:ÿ'
^§'e§.*'
MAXITOTALE ITOTALE IrlAxlroraLe ITOTALE MAXITOTALE
En partenariat avec
BREVEI BAC L
M BAC ES
Le sujet p.5
chapitre 01- La conscience, l'inconscient p.6
chapitre 02- La perception(r) p. 10
La culture p.27
chapitre 06- Le langage(n) p.28
La raison et le réel p. 53
chapitre 12- Théorie et expérience(6) p.s4
chapitre 13- La démonstration p.s8
chapitre 14- Le vivant(7) p.62
(')
Ho.. programme en Terminale ES.
conscient : mes souvenirs ne entre ces trois instances psychiques se manifeste par Ia névrose.
sont pas tous actuellement La cure psychanalytique consiste à retrouver un équilibre vivable
L'homme, dans la mesure où il est conscient, c'est-à-dire capable de se prendre lui- présents à ma conscience, mais entres les contraintes sociales et nos désirs.
même pour objet de pensée, n'est plus simplement dans le monde comme une chose ils sont disponibles (c'est le pré- L'inconscient ne pourra s'exprimer qu'indirectement dans les
ou un simple être vivant, mais il est au contraire devant le monde : la conscience, conscient). L'inconscient forme rêves, les lapsus et les symptômes névrotiques. Seule I'intervention
c'est la distance qui existe entre moi et moi-même et entre moi et le monde. un système indépendant qui d'un tiers, le psychanalyste, peut me délivrer de ce conflit entre
ne peut pas devenir conscient moi et moi-même, conflit que Freud suppose en tout homme.
sur une simple injonction du
lâche, par exemple), mais la pure conscience d'être, elle, est sujet parce qu'il a été refou- La conscience fait-elle la grandeur ou la misère de l'homme ?
Comment concevoir la conscience ?
nécessairement vraie. Ainsi, Descartes, au terme de la démarche lé. C'est une force psychique Pascal répond qu'elle fait à la fois l'une et l'autre. Parce qu'elle rend
Que je sois certain que j'existe
du doute méthodique, découvre le caractère absolument certain active, pulsionnelle, résultat l'homme responsable de ses actes, Ia conscience définit I'essence
ne me dit pas encore qui je suis.
de l'existence du sujet : « ie pense, donc je suis ». Cette certitude d'un conflit intérieur entre de l'homme et en fait sa dignité. J'ai conscience de ce que je fais et
Descartes répond que je suis
des désirs qui cherchent à se peux en répondre devant le tribunal de ma conscience et celui des
« une substance pensante » demeure, et rien ne peut la remettre en cause.
Sigmund Freud (1856-1939). satisfaire et une personnalité hommes : seul I'homme a accès à la dimension de la spiritualité
absolument distincte du corps. Descartes fait alors du phénomène de Ia conscience de soi le fon-
qui leur oppose une résistance. et de la moralité.
Pourtant, en faisant ainsi de dement inébranlable de la vérité, sur lequel toute connaissance
Il se produit en nous des phénomènes psychiques dont nous Pourtant, parce que la conscience l'arrache à I'innocence du
la conscience une « chose » doit prendre modèle pour s'édifier.
n'avons pas conscience, mais qui déterminent certains de nos monde, I'homme connaît aussi par elle sa misère, sa disproportion
la conscience humaine en tant d'objet de la conscience de soi, « conscience » est un terme mo- conscience de quelque chose », forme de dualité entre un suiet seau qui, dans l'Emile, écrivait : il est ce dont le sujet est conscient.
6 Le suiet /
UN SU]ET PAS A PAS L'ARTICLE DU TIIilONûE
Dissertation :
La conscience peut-elle être un fardeau ?
« C'est une plage avec du sablefin, tu lefais glisser entre tes doigts, on entend Le regain d'intérêt de cette pratique ancienne s'explique par le dévelop-
L'analyse du sujet l'homme est grande
n I-a grandenr cle des vagues. » Mai'mouna, allongée sur un lit, hoche doucement la tête. pement de l'imagerie cérébrale. « Une fois qubn a glissé vers le processus
I. Les termes du suiet en ce qu'il se connaît misérable; Anne-Françoise Thiollier, infirmière, parle calmement à la flllette. La petite hypnotique, on a accès à unfonctionnement dffirent du cerveau. L'imageie
. Conscience:
un arbre ne se connâît pas misérable. , (Pascal) vient une fois par mois à l'hôpital Robert-Debré, à Paris, pour au moins deux médicale fiRMfonctionnellel montre même que, en état d' hypnose, la connec-
- sens psychologique : faculté piqires. « Il y a desfleurs, on pourraitJaire un bouquet pour ta maman. Sens tivité du cerveau est modifiée. Le but est donc de tirer parti de cet état modifié
de se représenter sa propre exis-
cette fleur, sens-la fort. » pour se protéger de certains épisodes douloureux », décrit-elle.
tence. Transition: Ne serait-il pas préférable de n'avoir aucune conscience
des limites de notre condition ? Linfirmière continue son récit pendant qu'une autre pique l'enfant. Guidée « C'est un outil supplémentaire, un plus », considère le docteur Imel-
- sens moral : faculté de iuger,
ou de se représenter la valeur II. La conscience peut être malheureuse. par la voix, la flllette reste consciente mais son attention est captée. « Ia da Schwartz-Haennel, médecin anesthésiste, chef de service du pôle
morale de ses actes. a/ En tant qu'individu, la conscience de nos défauts psychologiques distanciation hypnotique influe positivement et permet d'éviter qu'une mère-enfant en gynécologie obstétrique et pédiatrie de l'hôpital public de
. Fardeau: est douloureuse. empreinte négative ne s'installe », explique le docteur Chantal Wood, res- Colmar (Haut-Rhin), qui dirige la Confédération francophone de l'hypnose
- idée d'absence de liberté, d'en- b/ En tant qu'être humain, Ia conscience de notre condition ne peut
ponsable du centre d'évaluation et du traitement de la douleur à l'hôpital et des thérapies brèves (CFHTB), réunissant environ 3 ooo professionnels.
trave. susciter que l'incompréhension et l'angoisse (Çf Pascal).
c/ En tant que citoyen, la conscience des iniustices et des détermi- Robert-Debré. Dans l'équipe du docteur Schwartz-Haennel, cinq médecins sur sept et dix
- idée d'efforts, de douleur.
. Peut-elle: nismes divers pesant sur nous n'incite pas au bonheur. Lhypnose clinique est un outil destiné à apaiser la douleur. Si la technique infirmières sur quatorze sont formés à cette pratique. Un outil d'autant
- idée de possibilité, de choix. Transition: Mais prendre conscience des déterminismes n'est-il pas est ancienne, ce n'est qu'en 1992 que le professeur Marie-Elisabeth Faymon- plus utile que les médecins ont parfois un sentiment d'impuissance face à
- idée de légitimité. un moyen de s'en libérer ? ville, spécialiste de la douleur, chef de service au CHU de Liège, en Belgique, y la souffrance. Un diplôme universitaire hypnose médicale a été créé en zoor
II. Les points du programme III. La prise de conscience est libératrice. a eu recours pour la première fois pour une anesthésie générale. Cet hôpital à la Pitié-Salpêtrière à la faculté de médecine de Paris-VI.
. La conscience. a/ Sans conscience, le bonheur et Ia liberté ne seraient ni vécus, ni
. Lexistence et Ie temps. a depuis réalisé plus de 7 ooo interventions sous hypnose. Très employée « Il ne shgit pas defaire miroiter une guérison miraculeuse mais de réduire
ressentis vraiment.
. La morale. b/ En matière morale, la conscience donne un idéal à respecter, mais en Suisse, cette pratique connaît un fort développement en France. I'inconfort et les doses de médicaments avalées par les patients », ajoute le
. Le bonheur. que lbn ne peut iamais parfaitement atteindre. Surtout utilisées dans le traitement de la douleur, qu'elle soit liée aux professeur Faymonville.
. La liberté. c/ La conscience nous donne un projet d'existence, touiours susceptible soins, aiguë ou chronique (migraines, Iombalgies, douleurs cancéreuses), « Plus personne aujourd'hui parmi les médecins nbse dire que c'est n'importe
de changer (C/. Sartre). ses applications sont multiples :arrêt du tabac, troubles du comportement quoi. Chst une vraie médecine », affirme le docteur Iean-Marc Benhaiem,
La problématique alimentaire, dépressions, phobies, stress, troubles sexuels, etc. médecin hypnothérapeute. Cela peut être aussi un outil pour apaiser les
La conscience que nous possédons peut-elle être considérée comme Conclusion Lhypnose est un état naturel, un état de conscience modifié. Comme lorsque névroses post-traumatiques ou les souffrances des victimes d'attentats.
une charge nous empêchant de iouir pleinement de I'existence ? La conscience peut être vécue comme un fardeau, mais c'est également
l'on se plonge dans un livre en se coupant du bruit environnant. Selon le Antoine Bioy, psychologue, y a aussi recours pour soigner l'anxiété.
Se rendre compte de ses propres défauts confère-t-il à l'homme de Ia le fait d'être conscients de nos propres limites qui nous en libère. t,,
grandeur ou nuit-il au contraire à son bonheur et à sa liberté ? docteur Bruno Suarez, l'hypnose est un état d'hypercontrôle permettant à Les effets de l'hypnose sont également efficaces pour les soins dentaires.
une personne d'avoir des capacités supplémentaires par rapport à l'éveil Karine Antonik-Barmas, assistante dentaire depuis trente ans, la propose
Le plan détaillé du développement Ce qu'il ne faut pas faire simple. Contrairement à ce que l'étymologie du mot pourrait suggérer, aux personnes qui ont de l'appréhension, accompagnée d'un anesthésiant
Oublier la dimension positive de la conscience.
I. La conscience est la marque de la grandeur humaine. l'hypnose n'est en rien comparable au sommeil. Pourtant, cette pratique fait ou pas. «Dans tous lescas,lapersonne auramoins mal », expliqge-t-elle. Pour
a) La disposition de la conscience nous donne le statut de suiet lucide parfois peur, et évoque même pour certains l'envoûtement. On est pourtant des thérapies brèves ou pour mieux gérer la douleur chronique à domicile,
et responsable de nos actes.
Les bons outils très loin du phénomène de foire. des séances de formation à l'auto-hypnose peuvent être proposées.
b) Ce sont les exigences du corps qui peuvent davantage être vécues . Pascal, Pensées. Pour que cela fonctionne, trois conditions doivent être remplies. Le patient Ladhésion de l'ensemble des soignants est importante. « Celademande
comme un fardeau : maladies, travail, douleurs ; nous souffrons de . Sartre, La Nausée.
vieillir trop vite. . Descartes, Méditations métaphysiques.
doit être motivé, collaborer et avoir confiance dans le soignant. Au cours un investissement des équipes, une présence assidue et beaucoup de
c,) manifestations du corps et ses désirs, relayes par I'inconscient,
Les . Saint Augustin, Confessions. du premler entretien, le thérapeute demande que le patient lui parle de moyens », explique le professeur Francis Bonnet, chef du service
peuvent alourdir et perturber la conscience (psychanalyse). souvenirs agréables, d'endroits, dbdeurs qu'il apprécie. d'anesthésie de l'hôpital Tenon à Paris. Mais attention, l'hypnose doit
Lhypnose a montré son efficacité dans le traitement contre la douleur, se manier avec précaution. Elle doit être pratiquée par des soignants
TEXTE CLÉ notamment chez l'enfant, souvent plus réceptif à cette pratique du fait formés à cette technique.
de sa faculté à s'évader dans son imaginaire plus facilement qu'un adulte.
Dans cet extrait, Descartes ex- pouvais la recevoir sans scrupule si i'eusse seulement cessé de pen- et qu'encore qu'il ne fût point, Dès l'âge de 4 à 5 ans, on peut apprendre à un enfant à endormir une zone Pascale Santi, Le Monde daté du o6.o8.zorz
pose la découverte du cogito pour le premier principe de la ser, encore que tout le reste de ce elle ne laisserait pas d'être tout ce
douloureuse. le gant magique, un gant imaginaire qui diminue les
« J'utilise
qui est le principe même d.e Ia philosophie que je cherchais. que i'avais iamais imaginé eût été qu'elle est.
Puis, examinant avec attention vrai, ie n'avais aucune raison de sensations de la main. L'enfant apprend à I'enfiler, et cette main endormie
conscience.
ce que i'étais, et voyant que ie croire que i'eusse été : je connus René Descartes, peut être posée sur Ia tête qui a mal, I'endroit de la ponction lombaire ou la
Mais aussitôt après je pris garde
que, pendant que ie voulais ainsi pouvais feindre que je n'avais de là que i'étais une substance Discours de la méthode, 4" partie zone de la prise de sang ,, explique le docteur Chantal Wood.
penser que tout était faux, il fal- aucun corps, et qu'il n'y avait au- dont toute l'essence ou la nature Dans cet article, Pascale Santi nous explique que l'hypnose est une
Le doudou et les peluches sont de précieux alliés. On propose à l'enfant
lait nécessairement que moi qui cun monde ni aucun lieu où je n'est que de penser, et qui, pour pratique qui permet à des patients de voir leur douleur réduite ou
fusse ; mais que je ne pouvais pas être, n'a besoin d'aucun lieu, ni de faire une promenade magique, sans lui dire « ca va faire mal », une
atténuée lors d'interventions médicales telles que les interven-
le pensais fusse quelque chose ;
et remarquant que cette vérité :le feindre pour cela que ie n'étais ne dépend d'aucune chose maté- u je connus de là que j'étais injonction paradoxale. Il faut ajuster le ton de la voix, être convaincant, tions chirurgicales. Il nous montre ainsi'que l'état de conscience
pense, donc le suis, était si ferme point ; et qu'au contraire de cela rielle. En sorte que ce moi, c'est-à- dans la métaphore ou l'histoire racontée à l'enfant. de l'homme peut être modifié, sans pour autant tomber dans une
une substance dont toute forme d'inconscience totale. En effet, l'hypnotisé n'est pas endor-
et si assurée, que toutes les plus même que ie pensais à douter de dire l'âme par laquelle ie suis ce
Douleur postopératoire atténuée, meilleure convalescence, fatigue amoin-
extrâvagantes suppositions des la vérité des autres choses, il sui- que je suis, est entièrement dis- lessence ou la nature nèst mi, mais il n'est plus pour autant dans son état d'éveil habituel. Cet
vait très évidemment et très cer- tincte du corps, et même qu'elle drie : les effets sont très positifs, à tout âge. « Cela peut aussi rendre l'effet entre-deux témoigne de la complexité de nos états de conscience.
sceptiques n'étaient pas capables que de penser »
de l'ébranler, je jugeai que ie tainement que i'étais ; au lieu que est plus aisée à connaître que lui, des médicaments plus efficace », ajoute le docteur Faymonville.
ô Le suiet ÿ
L'ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
j'identifie des objets (l'objet table, ayant telles ou telles qualités sensibles) et que cesse conscience de l'existence d'une seule et même table, alors
même que la perception de cette table ne cesse de varier. C'est
j'opère la synthèse des sensations provenant de mes différents sens. La question l'essence de la perception.
est alors de savoir d'une part comment s'opère cette synthèse, et d'autre part com- Chaque « vécu » de la table est celui de Ia même table : ce n'est
ment je reconnais tel ou tel objet. pas une représentation dans l'esprit ni une simple apparence.
Au contraire, chaque vécu de Ia table me Ia rend présente, mais
d'un certain point de vue, sous un certain aspect ; c'est ainsi
Comment articuler La perception est-elle réductible à une somme de
perception et sensations ? dans un flux temporel d'esquisses que chaque obiet apparaît à la
#
sensatiolr ? Peut-on cependant réduire ainsi lbbjet à une collection de qualités conscience, et il ne peut en être autrement : je ne peux pas, par
On peut soutenir que ce sont senties et la perception à une somme de sensations reçues ? définition, percevoir en même temps Ies six faces d'un cube posé
Ies différentes sensations qui Descartes montre que c'est impossible : prenons un morceau de devant moi. Le propre de la chose perçue, c'est donc de ne iamais
vont s'additionner pour com- cire qui vient d'être tiré de la ruche; il est dur, odorant, et possède pouvoir se donner tout entière à la conscience : un obiet entiè-
poser l'obiet : Ia sensation du une forme déterminée. Mais si on I'approche d'une flamme, ces rement présent, est un idéal toujours visé mais lamais atteint.
'\i. toucher de la table, de sa cou- qualités sensibles disparaissent toutes ; et pourtant, chacun Ie
\ Ieur et de sa forme, s'ajoutent reconnaîtra avec évidence, « la même cire demeure ». Lexpérience
les unes aux autres iusqu'à révèle donc que Ia cire était, à mon insu, autre chose que ce que je
constituer la perception de croyais : elle n'est pas un assemblage de qualités sensibles ; son
I'objet « table ». C'est la solu- essence doit être distinguée de son apparence.
tion défendue par Ies empi-
Edmund Husserl (1859-1938), ristes : la connaissance dérive La perceptiorr est-elle réductible à un aete de !a René Descartes (1591-1650).
philosophe allemand, fondateur de raison ?
la méthode phénoménologique.
de l'expérience, entièrement
faite d'une accumulation de Se pose ici une alternative : ou bien on soutient avec les em- Merleau-Ponty, devant Ia raison, un carré est touiours un carré,
sensations. Nous avons d'abord des sensations, et ce sont elles piristes que la perception se confond avec la sensation, mais qu'il repose sur I'une de ses bases ou sur l'un de ses sommets ; mais . Les fourmis, génies de l'orientation
qui composent nos idées. alors elle n'offrirait qu'un pur divers sans unité ni signification pour Ia perception, dans le second cas, il est à peine reconnais- (Nathaniel Herzberg, Le Monde Science et médecine
propre ; mais cela ne correspond en rien à notre expérience sable : nous percevons spontanément autre chose. Par conséquent, daté du ot.oz.zotT)
Mais comme ces sensations se présentent toujours coniointement
dans mon expérience sensitive, je finis par prendre l'habitude de perceptive. Ou bien on soutient avec Descartes que la perception il faut sans doute sortir de l'alternative si l'on veut rendre compte
je désigne alors leur union par un seul nom (je nomme d'un objet se confond avec un acte de Ia raison : percevoir, c'est de notre expérience perceptive réelle : l'objet perçu ne serait alors
les unir :
« tulipel'union de certaines odeurs, couleurs, et formes se pré-
» concevoir, ce qui fait aussi problème. Comme Ie note en effet ni une pure collection de diverses qualités senties par les sens, ni Outils
un pur fragment d'étendue conçu par la raison. II faudrait cesser . Descartes, Discours de la méthode ; Méditations métaphysiques.
sentant ensemble). Au sens strict, toute chose n'est alors qu'une . Locke, Essai sur l'entendement humain.
u Être, c'est être perçu. », Esse est percipi. de confondre Ia perception avec autre chose qu'elle (sensation ou
collection de sensations, unies sous une seule dénomination par . Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.
une habitude. (George Berkeley) intellection) et lui restituer sa spécificité.
t2 Le sujet 1l
L'ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
L.r
constitutif de mon humanité.
À même la perception, je distingue moi, les autres choses que des devoirs moraux envers lui ; c'est pourquoi Rousseau faisait de
Selon Hegel, l'humanité ne nous est pas donnée à la naissance, au
moi, et autrui, c'est-à-dire l'autre moi. Husserl montre que cette contraire, elle est gagnée si nous voyons autrui nous l'accorder, Ia pitié, sentiment naturel par lequel je m'identifie aux souffrances
distinction, qui semble toute naturelle, est en fait très complexe, car c'est lui qui me donne le statut d'être humain.
d'autrui, Ie fondement de Ia moralité.
et repose en dernière analyse sur le langage : autrui, à la différence
Il faut le miroir de l'autre pour que la conscience de nous-même
des choses, répond quand je Iui parle.
ne soit pas une illusion : ce qui différencie le fou qui se prend pour
Socrate. UN ARTICTE DU MONDE A CONSUTTER
Napoléon, et Napoléon lui-même, c'est qu'autrui ne reconnaît pas
que le fou est ce qu'il croit être. Or, la reconnaissance par l'autre . Matthieu Ricard, altruiste intégral p. r7
MOTS CLÉS (Catherine Vincent,Le Monde daté du ro.o9.zor5)
la souffrance d'autrui. Compa- manité en moi comme en autrui temps que moi-même dans la
Lautre est tout ce qui n'est pas moi tir,c'est littéralement « souffrir
avec » l'autre. Rousseau pose la
est considérée par Kant comme ce
qui nous confère un caractère sa-
possibilité du dialogue et le par-
tage d'un monde commun.
MOTS CLES zooM suR...
(un objet, un animal, un homme, etc.).
compassion - appelée aussi pitié cré, qui oblige absolument et sans
Autrui désigne l'autre en tant que
et suscitée par le malheur d'au- restriction au respect. La conception husserlienne de tion. Il est vrai que c'est également Paresser lorsqu'on a du travail
personne humaine et donc en Désigne autrui en tant qu'entité le cas avec les animaux : mais
trui - comme le sentiment carac- Formé du latin solus (« seul ») l'intersubjectivîté sous le regard de son chien n'est
tant qu'alter ego, c'est-à-dire en morale qu'il me faut respecter. et ipse (« soi-même »), le solip- même si je sais qu'un animal me pas un problème ; mais si autrui
téristique de la nature humaine. Pour Husserl, la visée d'autrui est
tant qu'il est un autre moi-même. Du latin infer, « entre », et subjec-
sisme est l'acte par lequel un voit lorsque ie le regarde, ie ne sais me voit dans cette situation, i'en
Autrui est donc à la fois un autre tus, « sujet ». Terme phénoméno- en soi spécifique et diffère de la
Reconnaissance de la dignité sujet se saisit comme étant seul pas quel sens il peut bien donner à suis gêné, parce que ie sais le
moi, et un autre que moi. C'est Par opposition à l'animalité qui logique utilisé par Husserl pour visée de tout autre obiet inten-
d'autrui en tant qu'elle équivaut avec lui-même et ainsi radica- cette perception. sens,qu'il donne à mon compor-
cet entrelacement du même et de désigne les caractéristiques com- désigner la relation réciproque des tionnel, parce que ie sais qu'autrui
à la sienne propre. Kant définit le lement coupé du monde et des Face à autrui, ie peux m'assurer tement. Autrui n'est donc pas ce-
munes à I'ensemble des espèces consciences les unes avec les autres, me voit le voir : autrui est bien un
l'autre en autrui qui fait l'obiet d'un hommes. On peut ainsi opposer de la signification qu'il donne à ce lui qui a des devoirs envers moi ;
questionnement philosophique.
animales dont l'homme fait partie, comme étant à lbrigine de la respect comme le sentiment par
I'attitude solipsiste à l'acte in- obiet de ma perception parmi tous qu'il voit de moi par Ie langage : c'est bien plutôt moi qui ai tou-
l'humanité est l'ensemble des ca- constitution d'un monde commun. lequel nous prenons conscience
tersubiectif qui ne me « coupe » les autres, mais il diffère de tous parce qu'autrui peut me parler, je jours des devoirs envers lui, parce
ractéristiques spécifiques au genre Autrui n'est pas coupé de moi, de la loi morale en nous.
pas des autres mais qui me met les autres objets parce que ie suis que c'est aussi à travers lui que ie
suis face à lui en situation de com-
Sentiment qui nous fait éprouver humain. Sur le plan moral, l'hu- mais je le découvre en même
en rapport avec eux. moi-même un obiet de sa percep- préhension réciproque. me iuge.
Hors pr te suiet 1§
UN SUIET PAS A PAS L'ARTICLE DU TIIIONûE
te sujet 1J
L ESSENTIEL DU COURS L ESSENTIEL DU COURS
Selon Schopenhauer, la vied'un ainsi une discipline des désirs. Lhomme est malheureux parce
être de désir est donc comme qu'il désire trop et mal. Apprendre à désirer seulement ce que lbn
un pendule qui oscille entre Ia peut atteindre, en restant dans les bornes du raisonnable, telle est
souffrance (quand le désir n'est la morale stoTcienne.
pas satisfait, et que le manque S'arracher à la peur superstitieuse de Ia mort et des dieux et s'en
sefait douloureusement sentir) tenir aux désirs naturels et nécessaires, qui sont tout à Ia fois
et l'ennui (quand le désir est faciles à combler et dont la satisfaction est source de plaisir, telle
provisoirement satisfait). est la morale épicurienne. Toutes deux dessinent f idéal d'une
sagesse humaine fondée sur l'absence de troubles (ou ataraxie)
Le désir est-il par essence
La naissance de Vénus, fresque de Pompéi
violent ?
et l'harmonie avec la nature.
par ailleurs, le désir sent confusément qu'aucun objet n'est à les désirs naturels et nécessaires des habitudes qui nous font dé-
clui a c<)tlscience de lui-mêrne' » (Spinoza) pendre des caprices du hasard :
même de Ie satisfaire pleinement. C'est pourquoi, à la différence peut être de nature purement (boire quand on a soif, manger
divine (les dieux ne désirent pas quand on a faim, par exemple) ; celui qui s'accoutume au luxe
Divinité de l'amour chez Ies grecs. puisqu'ils sont comblés), mais il les désirs naturels mais non né- risque de souffrir, si les circons-
Symbole de l'amour et du désir cessaires (manger des mets déli- tances le privent de sa fortune.
MOTS CLÉS sensuel, par opposition à philia,
n est pas non plus comme penia,
un pur manque. C'est donc un cats et savoureux ou satisfaire ce Les derniers désirs enfln sont ii-
« l'amitié » et agapê, « l'amour »
démon (dai)rôn) qui vit en quête qu'Épicure nomme « les désirs limités : celui qui veut la richesse
(selon une dimension affective et du ventre ») et enfin les désirs n'en aura jamais assez et connaî-
de l'individu, et Ie besoin sexuel, qui et sidus, « astre, étoile ». Désirer, posê d'abord sur une absence, sur perpetuelle de satis[action.
morale). Eros est présenté comme non naturels et non nécessaires tra une insatisfaction perpétuelle.
Le besoin caractérise l'état de lbrga- assure la survie de l'espèce. Le be- c'est donc littéralement « cesser un manque. En ce sens, le désir un démon dans le Banquef de Pla- (comme désirer la fortune ou les Qui recherche Ie plaisir véritable
nisme lorsqu il est privé de ce qui soin a donc un caractère nécessaire de contempler une étoile » et re- peut se définir comme la tendance «
ton. Fils de pénia (« le manque ») Terme latin signifiant désir honneurs). devra donc s'en tenir à la seule
que le désir n'a pas nécessairement. gretter l'absence de l'astre qubn consciente à combler un manque.
assure son fonctionnement : on dis- et de poros (« la ressource »), il amoureux ». Chez Freud, énergie Les premiers désirs sont faciles à satisfaction des désirs naturels et
tingue le besoin vital - boire et man- ne voit plus. Cette étymologie met Le comblement de ce manque pou- est un être intermédiaire, entre des tendances affectives, dont le satisfaire et procurent un plaisir nécessaires : il connaîtra alors un
ger -, qui conceme la conservation Du latin desiderare, de de privatif en lumière Ie fait que le désir re- vant prendre la forme du plaisir. les dieux et les mortels. Éros ne noyau est la pulsion sexuelle. parfait, parce que le plaisir est bonheur réel et durable.
18 Le sufet 1ÿ
UN SUIET PAS A PAS L'ARrrcLE DU !ll[tnû,e
Moins d'un septennat nous sépare de ce qui ressemble rétrospectivement à Claude Bartolone (PS), demande à M. Baupin de remettre ses fonctions de
Le plan détaillé du développement Conclusion un (nouvel) Ancien Régime. Le 15 mai zou, puis dans les jours qui suivent, les vice-président. Le député de Paris obtempère. « Afin, dit-ll, d'assurer au mieux
Le désir peut être désintéressé, au sens où il ne se porte pas que vers hommes occupent quasiment toute la place. DSK au premier plan, bien sûr. Il [sa] défense r... Sa défense que nul ne se hasarde, cette fois, à prendre trop
I. Le désir vise notre bien-être particulier.
a/ Le désir porte sur ce que lbn ne possède pas : son objectif est de
l'intérêt matériel et personnel. n'est certes pas à son avantage, photographié alors qu'il sort menotté et encadré ouvertement. Plus personne ne clame qu'« il n'y a pas mort d'homme ».Ily
par des policiers du commissariat d'Harlem, à New York. Limage choque, et il a, surtout, paroles de femmes. Très vite, au-delà du cas Baupin, c'est le procès
changer notre état grâce à l'obtention de l'obiet désiré (cf déflnition
Ce qu'il ne faut pas faire en est question durablement. « Atteinte aux droits de l'homme », n mise à mort du machisme et du sexisme en politique qui est instruit. Que lbmerta ait pu
de Platon).
S'en tenir à un seul sens des termes intérêt et désintéressé, sans les médiatique », « traitement injuste », « mise en scène judiciaire honteuse »... se craqueler dans ce monde fort peu paritaire redonne quelques espoirs aux
b) Par-delà des obiets spéciflques, le bonheur peut être vu comme Ia victimes de harcèlement sexuel. Le téléphone de lAssociation européenne contre
analyser de façon complète. C'est un concert d'indignation en France, ou bruissent des rumeurs de complot.
satisfaction de toutes nos inclinations, la réalisation parfaite de notre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) ne cesse alors de sonner. « Dettx
Le système iudiciaire américain n'est certes pas tendre pourles accusés en début de
intérêt (cf définition de Kant). procédure. Mais l'inégalité qu'il engendre est d'abord financière. Et de ce point devue, appels par jour contre trois par semaine en temps normal » , indique au Monde sa
c) L indifférence à I'égard de notre intérêt, le sens du sacriflce semblent DSK nest pas (du tout) mal loti. Son épouse, Anne Sinclair, est susceptible de verser déléguée générale, Marilyn Baldeck, plusieurs semaines après le déclenchement
plutôt des prescriptions de Ia morale, présentées comme des devoirs,
Les bons outils de l'affaire. Est-ce le signe d'une libération de la parole ? n Les femmes parlent.
. Platon, dans Le Banquef, décrit l'« ascension plusieurs millions de dollars en guise de caution. Ses communicants de l'agence
» de l'amour, du stade
non comme des désirs. Euro-RSCG veillent au grain et sêmploient à distiller rapidement des « éléments Le problème, c'est que personne ne veut les entendre », nuance la iuriste.
physique au stade immatériel et intellectuel.
Transition: Pourtant, on peut aussi désirer se comporter de façon . Épicure, Ietfre à Ménécée. de langage ». A commencer par le sobre « cela ne lui ressemble pas », énoncé par le Prenant garde de ne laisser aucune d'entre elles partir seule au combat, elles
morale et généreuse. . Rousseau, Ie Contrat social. socialiste Jean-Marie Le Guen quelques heures après l'arrestation de son mentor. avaient été huit, en mai zor6, à accuser publiquement Denis Baupin. Elles furent
. Spinoza,Éthique. Les puissants avocats que s'est choisis Dominique Strauss-Kahn font moins rapidement des dizaines, un an plus tard, à témoigner à l'encontre de
dans la dentelle. Avant de fouiller dans le passé de la victime présumée pour Harvey Weinstein. Puis, dans la foulée, des dizaines de milliers à évoquer sur
TEXTE CLÉ y chercher la moindre trace d'un écart ou d'un mensonge susceptible de les réseaux sociaux des violences similaires qu'elles auraient subies. Les appels
décrédibiliser son témoignage, ils trouvent bon de préciser qu'elle est « frès à IAVFT ont redoublé. Les femmes ont parlé. Plus fort, plus nombreuses. Partout,
Dans cet extrait, Platon oppose d'autres liqueurs, toutes rares que tu soutiendras que la vie de beaucoup, n'est-il pas nécessaire peu séduisante ». Le journaliste fean-François Kahn assimile l'affaire DSK à dans tous les milieux, et iusqu'au for intérieur de chacun(e), leurs mots ont
deux conceptions du désir : et coûteuses et acquises au prix l'homme déréglé est plus heu- qu'il s'en écoule beaucoup aussi un « troussage de domestique ». Verdict de Jack Lang, s'étonnant de l'incar- imposé des réflexions, des remises en cause et des débats qui ont pris une
celle du désir tempéré prônée de mille peines et de difficul- reuse que celle de l'homme ré- et qu'il y ait de larges trous pour cération du patron du FMI : « ll n'y a pas mort d'homme. » ampleur insoupçonnée.
tés : mais une fois ses tonneaux glé ? Mon allégorie t'amène-t-elle les écoulements ?
par Socrate, et celle du désir il- Jean-Baptiste de Montvalon, I e Monde daté du z7.or.zot'8
remplis, notre homme n'y ver- à reconnaître que la vie réglée CALLICLÈS - Bien sûr.
limité affirmée avec force par tu veux Pendant ce temps-là, les femmes n'apparaissent pas, ou fort peu, dans les
serait plus rien, ne s'en inquié- vaut mieux que la vie déréglée, SOCRATE - [...] ce que
Calliclès. terait plus et serait tranquille à ou n'es-tu pas convaincu ? dire, c'est qu'il faut avoir faim, et, colonnes des journaux, oir l'on disserte essentiellement des conséquences de
SOCRATE - Considère si tu ne cet égard. L'autre aurait, comme CALLICTÈS - Je ne le suis pas, So- quand on a faim, manger ? l'affaire sur la primaire socialiste pour l'élection présidentielle de zolz, et de la
pourrais pas assimiler chacune lepremier, des liqueurs qu'il crate. Lhomme aux tonneaux CALLICLÈS - Oui. succession qui se profile à la tête du FML Naflssatou Diallo étant protégée dans
Cet article nous montre à quel point le désir sexuel peut parfois
de ces deux vies, la tempérante pourrait se procurer, quoique pleins n'a plus aucun plaisir, et c'est SOCRATE - Et avoir soif, et, quand un lieu tenu secret, il n'est question d'elle qu'au travers de témoignages de ses
devenir déviant et se transformer en harcèlement voire en viol. En
et l'incontinente, au cas de deux avec peine, mais n'ayant que des cela que j'appelais tout à l'heure on a'soif, se désaltérer ? amis, voisins, collègues et employeurs. Une autre victime présumée de DSK
retraçant l'évolution en France ces dernières années de la place des
hommes, dont chacun possé- tonneaux percés et fêlés, il serait vivre à la façon d'une pierre, CAILICIÈS - oui, et qu'il faut apparaît en filigrane, mais préfère se tenir à distance. Lécrivaine et ioumaliste
femmes dans le traitement médiatique de ces déviances sexuelles
derait de nombreux tonneaux, forcé de les remplir jour et nuit puisque, quand il les a remplis, il avoir tous Ies autres désirs, pou- Tristane Banon, qui avait affirmé avoir été agressée sexuellement en 2oo3 par
masculines, cet article nous montre que l'impunité dont sem-
l'un des tonneaux en bon état sans relâche, sous peine des plus n'a plus ni plaisir ni peine ; mais voir les satisfaire, et y trouver du l'ancien ministre, fait savoir qu'elle réserve à plus tard sa décision de porter
blaient bénéficier les hommes coupables de tels actes vole en éclat
et remplis, celui-ci de vin, ce- grands ennuis. Si tu admets que ce qui fait l'agrément de la vie, c'est plaisir pour vivre heureux. plainte. Elle le fera le 5 juiliet. Le parquet de Paris classera la plainte sans suite,
grâce à une dénonciation de plus en plus forte et audible de la part
lui-là de miel, un troisième de les deux vies sont pareilles au d'y verser le plus qu'on peut. trois mois plus tard, tout en reconnaissant que les faits, s'ils sont prescrits, des femmes.
« peuvent être analysés comme un délit d'agression sexuelle ».
lait et beaucoup d'autres remplis cas de ces deux hommes, est-ce SOCRATE - Mais si l'on y verse Platon, Gorgias
20 Le sujet 21
L'ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
TEXTE CLÉ I'enfant commence à compter tout seul le temps avec régularité, mais il sur le temps explicite montrent que deux structures corticales, l'aire
faut attendre l'âge de 10 ans pour qu'il compte le temps spontanément
Dans cet extrait, Pascal nous dans les temps qui ne sont point chons de le soutenir par I'avenir, n'est iamais notre fin : le passé avec régularité, sans l'aide d'un adulte », précise Sylvie Droit-Volet.
rappelle à quel point nous ou- nôtres, et ne pensons point au et pensons à disposer ies choses et le présent sont nos moyens ; Sur la base de notre capacité précoce à estimer le temps, des chercheurs
seul qui nous appartient ; et si qui ne sonI pas en notre puissance le seul avenir est notre fin. Ainsi ont imaginé, dès t963, que Ie temps perçu par notre cerveau (temps
blions de considérer le présent
vains, que nous songeons à ceux pour un temps oir nous n'avons nous ne vivons jamais, mais nous subiectif) est calé sur le tic-tac d'une pendule intérieure, de la même Cet article nous montre que le temps vécu par l'homme est le pro-
dans le cours de notre existence. qui ne sont rien, et échappons [et aucune assurance d'arriver. Que espérons de vivre ; et, nous dispo- façon que notre vie est rythmée par le tic-tac de notre montre (temps duit d'un acte subjectif, lui-même lié au corps et en particulier
Nous ne nous tenons iamais au nous laissons échapper] sans ré- chacun examine ses pensées, il sant toujours à être heureux, il est au cerveau. Marc Gozlan met en effet en évidence le fait que la per-
temps présent. Nous anticipons objectif). Ils ont modélisé un mécanisme de mesure du temps, une
flexion le seul qui subsiste. C'est les trouvera toutes occupées au inévitable que nous ne le soyons ception interne que nous avons du temps s'enracine dans des phé-
I'avenir comme trop lent à venir, sorte d'horloge interne. Celle-ci est constituée d'une « base de temps »
que le présent, d'ordinaire, nous passé et à l'avenir. Nous ne pen- iamais. nomènes neurologiques complexes relatifs à différentes zones du
comme pour hâter son cours ; blesse. Nous ie cachons à notre sons presque point au présent ; émettant en permanence des impulsions (« tic-tac ») qui sont stockées cerveau. Ceci explique que notre perception du temps soit souvent
ou nous rappelons le passé pour vue, parce qu'il nous afflige ; et, et, si nous y pensons, ce n'est que Pascal, Pensées dans un accumulateur. La durée subiective du temps dépend du nombre fonction de nos émotions, d'ou une multiplicité de perceptions du
l'arrêter comme trop prompt : s'il nous est agréable, nous regret- pour en prendre la lumière pour d'impulsions accumulées. Quand l'horloge interne s'accélère, le nombre temps selon les individus et les situations affectives qu'ils vivent.
si imprudents, que nous errons tons de Ie voir échapper. Nous tâ- disposer de l'avenir. Le présent d'impulsions augmente et le temps paraît plus long.
24 Le sujet 2§
L'ARTICLE DU J]IIONûT
motrice supplémentaire, qui coordonne les gestes complexes, et Ie cortex Droit-Volet. Le fait d'avoir peur provoquerait un « éveil », une activation
préfrontal droit, sont constamment activées. physiologique qui accélère le rythme de l'horloge interne. Cet « éveil »
Il a été montré que le cervelet joue un rôle majeur dans les tâches se traduit par une dilatation des pupilles, une accélération du rythme
motrices nécessitant 1a perception du temps implicite. D'autres zones cardiaque, une élévation de la pression artérielle, une contraction
du cerveau peuvent être impliquées dans l'estimation du timing musculaire. Il est le reflet d'un mécanisme de défense déclenché
implicite, comme Ie cortex pariétal gauche, qui gère les intentions du dans une situation de menace, l'organisme se préparant à agir, en
mouvement, et le cortex prémoteur gauche, région du lobe frontal l'occurrence à attaquer ou à fuir. Cette surestimation temporelle dans
dont Ie rôle est de planifler et d'organiser le mouvement. Il arrive que une situation de menace a également été observée par ces chercheurs
le cortex préfrontal droit, habituellement impliqué dans l'estimation chez des enfants de 3 ans.
du temps explicite, soit sollicité pour l'estimation du temps implicite. En revanche, « contre toute attente, la tristesse n'affecte pas Ia perception
C'est le cas lorsqu'un événement ne survient pas dans le délai auquel on du temps, sans doute parce ce que l'émotion ressentie en regardant un
s'attendait à le voir apparaître, par exemple lorsqu'un feu rouge dure film triste n'est pas assezforte pour provoquer un ralentissement phy'
bien plus longtemps que prévu. Il se produit alors une mise à jour par siologique », note Sylvie Droit-Volet, en ajoutant qu'il conviendrait de
le cerveau des prédictions temporelles avec une nouvelle anticipation travailler sur des états profonds de tristesse dans les épisodes dépressifs
du délai d'attente. maieurs. Son équipe évalue actuellement si l'horloge interne ralentit
Par ailleurs, « les zones cérébrales impliquées diffèrent selon le contexte, chez des suiets sains adeptes de la méditation-relaxation. Peut-on, dans
et ce d'autant que la durée du stimulus est brève, inJérieure à quelques cet état, être réellement hors du temps ?
zoo millisecondes », précise fennifer Coull. On observe que le cortex Sandrine Gil et Sylvie Droit-Volet ont également travaillé sur la per-
visuel est activé lorsqu'on évalue la durée d'un stimulus visuel. De ception du temps quand 1'autre exprime une « émotion secondaire » :
même, il se produit une activation du cortex moteur primaire lorsque une expression faciale de honte. Voir un visage exprimant Ia honte
l'estimation temporelle est associée à une action, et le cortex auditif est incite celui qui 1'observe à comprendre l'origine de ce sentiment. (( Cette
sollicité lors de l'estimation de la durée d'un stimulus sonore. activité réflexive entraîne un détournement de I'attention du traitement
du temps qui conduit à ce que le temps estimé paraisse plus court qu'il
Surtout,la perception du temps par le cerveau met en ieu des processus
liés à la mémoire et à l'attention. Pour preuve, la sensation que Ie temps ne I'est en réalité », souligne Sylvie Droit-Volet. Cette sous-estimation LA CULTURE
passe plus vite si on est très occupé, qu'on s'adonne à une activité temporelle ne s'observe qu'à partir de 8 ans, Iorsque l'enfant a appris
passionnante ou amusante. Il s'envole même lorsqu'on est amoureux ! la notion de honte.
A l'inverse, l'eau mettra un temps fou à bouillir si l'on garde les yeux La « théorie de l'esprit incarné » (encore nommée « théorie de la
fixés sur la casserole. De même, l'étudiant n'en flnira pas de regarder cognition incarnée ») explique en quoi la perception des émotions
sa montre si le cours lui semble prodigieusement ennuyeux... d'autrui modifle notre perception du temps. Elle est sous-tendue par
« Dufait de la participation conjointe de processus mnésiques et atten- l'existence d'un processus interne de mimétisme ou de simulation de
tionnels,le traitement par le cerveau de l'information temporelle ne peut l'état émotionnel de l'autre qui nous permet de nous adapter à l'autre
reposer que sur un réseaufonctionnel, non sur une structure unique. Cela et de bien comprendre de ce qu'il ressent. Ainsi, Iorsqu'un adolescent
explique sans doute la raison pour laquelle il n'existe pas de maladie côtoie une personne âgée qui parle et marche plus lentement que
neurologique ou psychiatrique uniquement caractérisée par des déficits lui, son horloge interne ralentit pour se synchroniser sur le temps du
temporels », note Jennifer Coull. senior. Il se produit chez le jeune un ralentissement subjectif du temps
La dopamine est le principal neurotransmetteur impliqué dans le qui permet à ces deux personnes de mieux interagir socialement.
traitement du temps. Les agonistes dopaminergiques, médicaments Sylvie Droit-Volet et ses collègues ont montré que, si l'on empêche
qui renforcent I'action de Ia dopamine, ont tendance à accélérer notre ce processus de mimétisme en bloquant les expressions faciales de
perception du temps, qui passe alors plus vite. C'est aussi Ie cas pour f individu qui observe l'autre en lui mettant un stylo dans la bouche,
certaines drogues, comme la cocaine, qui renforcent l'action de la plus rien ne se passe. Lhorloge interne ne change plus de rythme, quelle
dopamine. A l'inverse, les neuroleptiques utilisés dans le traitement que soit l'émotion perçue chez l'autre. De même, des études ont indiqué
de la schizophrénie diminuent l'activité de la dopamine, avec pour qu'une personne « botoxée » reconnaît moins bien les expressions
conséquence Ia sensation que le temps s'écoule plus lentement. émotionnelles et ressent moins d'empathie vis-à-vis des autres.
A ces nouvelles connaissances neuroanatomiques, neurophysiolo- « Notre perception du temps est un bon révéIateur de notre état émo-
giques et neurochimiques du traitement du temps sont venus s'aiouter tionnel », résume Sylvie Droit-Volet, qui souligne que les distorsions
les résultats de récentes recherches en neuropsychologie qui montrent temporelles émotionnelles ne résultent pas d'un dysfonctionnement
comment, sous l'effet des émotions, le temps perçu est plus court ou du système de l'horloge interne mais, au contraire, de son excellente
plus long qu'il ne I'est en réalité. capacité à s'adapter aux événements de notre environnement. Selon
Sylvie Droit-Volet et Sandrine Gil, maître de conférences au Centre de elle, « il n'existe pas untemps unique,homogène, mais plutôt de multiples
recherche CNRS sur la cognition et 1'apprentissage (université de Poi- temps dont onfait l'expérience. Nos distorsions temporelles sont le reflet
tiers), ont rapporté, en zou, que le changement d'état émotionnel induit direct de la façon dont notre cerveau et notre corps s'adaptent à ces
par certains films affecte 1a perception du temps. Ces psychologues ont temps multiples, ces temps de la vie ».
présenté à des étudiants des extraits de films connus pour induire une Le philosophe André Bergson n'avait-il pas raison quand il expliquait,
sensation de peur (films d'horreur : Ihe Blair, Scream, Shining\ ou de dans son ouvrageDurée et simultanéité. A propos de la théorie d'Einstein,
tristesse (films dramatiques : City of Angels, Philadelphia, Dangerous que 1'« on doit mettre de côté le temps unique, seuls comptent les temps
Mind). Une troisième catégorie de films « neutres » (séquences de multiples, ceux de I'expérience » ? Autre'façon de dire que le temps
prévisions météorologiques ou d'informations boursières) a été perçu est on ne peut plus relatif.
utilisée. Il a ensuite été demandé à ces étudiants d'évaluer la durée
d'un stimulus visuel. Marc Gozlan, I e Monde Science et techno daté du 7011.2012
« La peur provoque une distorsion temporelle, la durée du stimulus
étant perÇue comme plus longue qu'en réalité », fait remarquer Sylvie
26
L.ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS
Le « langage » animal n'a pas de grammaire : les signaux qui le Le langage ne fait donc pas que décrire un monde qui lui serait
Le langags(*) composent ont chacun un sens précis et unique, et ne peuvent préexistant : c'est lui qui délimite le monde humain, ce que nous
donc pas être combinés entre eux. Grâce à la grammaire et au pouvons percevoir et même ce que nous pouvons penser. N'existe,
Aristote définissait I'homme comme « le vivant possédant le langage » : la capacité nombre inflni de combinaisons qu'elle permet, le langage hu- en fait, que ce que nous pouvons nommer dans notre langue.
linguistique semble n'appartenir en propre qu'à I'homme, et le distinguer de tous main, lui, est plus riche de significations et surtout, il est capable
d'invention et de progrès.
les autres vivants. Le langage permet à I'homme de penser et de communiquer ses
idées : il fonde donc la vie en communauté.
Le mot arbre désigne aussi bien cet arbre-ci que cet arbre-là. Arbre
ne désigne pas un arbre donné, mais le concept même d'« arbre » La conscience ne vise pas autrui comme une chose parmi les
(ce que doit être une chose pour être un arbre : avoir un tronc, choses, parce que, contrairement aux choses, autrui peut répondre
Le langage se déflnit par un vocabulaire, c'est-à-dire par un pouvoir etc.) ; c'est pour cela qu'il peut désigner tous les arbres. Les mots quand ie lui parle : parce qu'il me répond, autrui est non un simple
de nomination, et par une grammaire, c'est-à-dire par des règles ne renvoient pas à des choses, mais à des concepts abstraits et objet de ma perception, mais un autre suiet qui me vise à son tour
régissant Ia nature et les relations des mots. Saussure a montré généraux. dans sa propre conscience.
que les mots que nous utilisons pour parler (ou signes) sont la Le langage est donc le fruit de notre faculté d'abstraction : le mot Le langage permet de viser intentionnellement autrui comme
totalité d'un signifiant (la suite de sons qui compose le mot) et arbre peut désigner tous les arbres, parce que nous avons, contrai- sujet : Husserl peut donc affirmer que c'est lui qui fonde la
d'un signifié (ce que Ie mot désigne). rement aux animaux, la faculté de ne voir dans cet arbre-ci qu'un communauté humaine, entendue comme « communauté inter-
Il a aussi établi qu'il n'y avait aucun rapport logique entre le exemplaire de ce que nomme le mot arbre (le concept d'arbre). subiective ».
signifiant et le signifié : c'est la thèse de l'arbitraire du signe.
Le langage est donc une convention arbitraire ; c'est pourquoi,
d'ailleurs, il existe plusieurs langues. Comme l'a montré Bergson, les mots désignent des concepts Le langage semble n'avoir qu'une seule fonction : décrire des
généraux, et non des choses singulières. Le langage simplifle donc « états de choses » (comme par exemple : « le chat est sur le
Ie monde et l'appauvrit : il nous sert d'abord à y imposer un ordre paillasson »).
Certains animaux ont développé des formes évoluées de commu- en classant les choses par ressemblances. Wittgenstein remarque cependant qu'à côté de cette fonction
nication, et particulièrement ceux qui vivent en société comme descriptive, le langage a plus fondamentalement une fonction
les abeilles. Mais, comme l'amontré Benveniste, ce « langage » n'a éthique : dire que le chat est sur le paillasson, c'est certes
rien à voir avec le langage humain : il dicte un comportement, et décrire Ia position du chat, mais c'est aussi célébrer la communauté
non une réponse Iinguistique. humaine pour laquelle cette proposition a une signiflcation. Le
Les animaux n'utilisent pas dans leur communication des signes langage fait de l'homme « l'animal cérémoniel » : il n'a de sens
composés, mais des signaux indécomposables. Alors que le que dans une communauté, et c'est cette communauté de langue
langage humain est un langage de signes, la communication que nous célébrons, même sans le savoir, dès que nous parlons.
animale est un code de signaux, dont chaque signal renvoie à une
seule signifi cation possible.
Selon Rousseau, « la langue de convention n'appartient qu'à Ferdinand de Saussure (1857-i913). . Près d'un quart des langues parlées en Inde sont menacées
l'homme » : les animaux possèdent leur « langage » dès Ia nais- de disparition
(fulien Bouissou, Le Monde daté du o7.og.zoq)
sance. Ils n'ont pas à l'apprendre, parce que c'est leur instinct qui
Ie leur dicte ; ce « langage » est inné, et non acquis.
MOTS CLÉS
MOTS CLES le principe de toute réalité réside le conventionnalisme conçoit le quoi le suiet exerce sa fonction
Une langue est un ensemble insti- dans la nature. En ce qui concerne langage comme un ensemble de linguistique.
Produit de la faculté d'abstraction, d'informations utiles, il est aus- tué et stable de signes et de règles le langage, le naturalisme conçoit signes et de sons contingents,
un concept est une catégorie géné- si échange d'idées. Il fait accéder on peut le définir comme un sys- grammaticales que partage une donc que les mots sont une pro- sans rapport direct avec les réa-
Du latin abstrahere, « tirer, enle- Élément fondamental du langage,
rale qui désigne un caractère com- à la représentation abstraite, il tème de signes ordonnés suivant communauté humaine donnée. priété des choses et qu'ils sont lités désignées (par exemple, le
ver ». Constitutive de la pensée composé d'un signiflant, suite de
mun à un ensemble d'individus. est, par conséquent, ie propre de des règles. II est une spécificité Elle se distingue du langage en ce une imitation par les sons et les mot « chat » ne semble pas res-
et du langage, I'action d'abstraire sons ou de gestes, et d'un signiflé
Les concepts, auxquels renvoient humaine dans la mesure ou il sens qu'elle est une incarnation signes des choses telles qu'elles se sembler à l'animal désigné, si bien
est l'opération de l'esprit qui isole, l'homme.
les signes du langage, permettent compofie des caractéristiques du langage objectif dans une com- présentent dans la nature (ainsi, qu'on peut aussi bien appeler ce ou concept, qui lui donne sens
pour le traiter séparément, un d'organiser et de classer notre sai- dernier « cat » ou <t gato »). (disiinction saussurienne).
propres absentes de Ia commu- munauté vivante (par exempie : par exemple, Ie mot « miauler »
élément d'une représentation ; sie du réel. Ce qui ne peut être dit, soit parce nication animale, en particulier la langue française). semble imiter le bruit du chat). «Yoyez par exemple avec
la blancheur, la liberté, sont des qu'on suppose qu'il n'existe au- sa plasticité et son caractère arti- Le conventionnalisme considère Elle est nécessairement indivi- quelle sincérité on prononce
abstractions. cun mot pouvant I'exprimer, soit
Des mots grecs dia, « à travers », culé, rendant possible une inflni- quant à lui que le principe de duelle, et suppose un sujet ac- \e mol miasme... n'est-ce pas
et logos, « parole ». Le dialogue parce que ce qui est à dire reste té de combinaisons à partir d'un Le naturalisme est une doctrine toute chose est arbitraire et n'a tif. Par la parole on s'approprie là une onomatopée...
Du latin conceptus, « recu. saisi ». n'est pas uniquement échange confus, obscur. nombre réduit d'éléments. philosophique qui considère que pas sa source dans la nature. Ainsi, une langue. La parole est ce par du dégoût ?, (Bachelard)
28 La culture 2ÿ
UN SU]ET PAS A PAS L,ARTICLE DU TIIIONûE
La culture ]1
L,ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS
tion que nous lui connaissons actuellement. Il avait lusque-là servi parce que Ie beau plaît sans concept que l'ceuvre ne peut pas avoir de
à désigner toute activité humaine ayant pour but de produire des finalité assignable.
obiets : en ce sens, l'art s'oppose à la nature, qui est l'ensemble de tout
ce qui se fait sans que l'homme n'ait à intervenir.
Lart réclame toujours des règles : lorsque l'on est charpentier comme
lorsque l'on est musicien, il faut observer des règles si l'on veut
produire l'æuvre désirée. C'est exactement ce que veut dire le mot
technè en grec : Ia technique, c'est l'ensemble des règles qu'il faut
suivre dans un art donné.
Deux grandes conceptions s'affrontent dans l'histoire de la philo- Que l'ceuvre d'art n'ait pas de fonction assignable ne signifie pas que
sophie : soit le beau est une caractéristique de lbbfet, soit il est un l'art ne sert à rien :Hegel, dans son Esthétique,lui assigne même la
Statue de Kant à Kaliningrad.
tâche la plus haute. Une ceuvre n'a pas pourbut de reproduire Ia nature
sentiment du suiet. La première doctrine remonte à Platon : une
chose est belle quand elle est parfaitement ce qu'elle doit être ; on peut avec les faibles moyens dont l'artiste dispose, mais de la recréer.
ceuvre belle alors que mon voisin la trouve laide, la première chose
parler d'une belle marmite, quand cette marmite rend exemplaire Dans le tableau, ce n'est donc pas la nature que je contemple, mais
que ie tenterai de faire, c'est de le convaincre. C'est ce qui différencie Ie
l'idée même de marmite. l'esprit humain : l'art est le moyen par lequel la conscience devient
beau de l'agréable : I'agréable est affaire de goût et dépend du caprice
La seconde est inaugurée par Kant : le beau n'est pas une caractéris- conscience de soi, c'est-à-dire la façon par laquelle l'esprit s'approprie
de chacun, alors que le beau exige l'universalité.
tique de l'objet, c'est un sentiment du sujet, éveillé par certains objets la nature et l'humanise.
Lebeau peut être universel parce qu'il fait iouer des facultés qui sont
qui produisent en nous un sentiment de liberté et de vitalité. En C'est donc parce que nous nous y contemplons nous-mêmes que l'art
communes à tous les sujets : le sentiment que l'éprouve devant Ia
effet, le sentiment du beau est le « libre jeu » de l'imagination et de nous intéresse.
belle ceuvre peut, en droit, être partagé par tous.
l'entendement : le beau suscite un jeu de nos facultés par lequel nous Certes, un outil est aussi le produit de l'esprit humain ; mais il a
Kant estime néanmoins que cette définition vaut aussi bien pour le
éprouvons en nous le dynamisme même de la vie. d'abord une fonction utilitaire et pratique. En contemplant une æuvre
beau naturel que pour le beau artistique ; en un sens, le beau naturel
d'art en revanche, nous ne satisfaisons pas un besoin pratique, mais Victoire de Samothrace.
peut être selon lui supérieur au beau artistique, parce qu'il est pure-
purement spirituel : c'est ce qui fait la supériorité des æuvres sur les
ment gratuit : Ia belle ceuvre est faite pour plaire, et cette intention,
Selon Kant, la réponse est négative : le beau plaît universellement, autres objets qui peuplent notre monde.
quand elle est trop visible, peut gâcher notre plaisir ; rien de tel avec
même s'il s'agit d'une universalité de droit, et non de fait. Si je iuge une un beau paysage.
spécificité. Kant déflnit le beau particulier, tandis que Ie beau ont pour objet de représenter le
Ars en latin ; traduit le mot grec comme « ce qui plaît universelle- doit être universel. beau : essentiellement la pein- MOTS CLÉS
techné, « savoir-faire ». Désigne ment sans concept ». ture, la sculpture, l'architecture,
BEAUX-ARTS/ ARTS MÉCA-
d'abord le savoir-faire de l'artisan, la musique, la danse et la poésie.
NIQUES/ ARTS I,IBERAUX ont respecté un canon pour leurs
la maitrise technique. Terme qui On voit bien ici que Ie terme tar-
Kant oppose l'agréable. qui Au Moyen Âge, on opposait aux
dif de « beaux-arts » n'équivaut Du latin genius, de genere q:ui statues, que reprendront ensuite Læuvre est le produit du travail.
tend à être réservé aujourd'hui à touche les sens, au beau, qui sus- arts dits « mécaniques », qui pas aux anciens arts libéraux;au signifie « produire ». Le génie La beauté, selon un sens clas- les artistes de la Renaissance. C'est le résultat obtenu par le
la création artistique. cite un plaisir désintéressé. Le réclamaient une habileté ma- désigne dans le domaine des sique, est définie à partir des Les grecs possédaient également producteur une fois le proces-
contraire, nombre de nos beaux-
jugement sur l'agréable et ses va- nuelle, Ies sept arts « libéraux » arts (comme la peinture, la sculp- beaux-arts une personne capable règles, de la mesure. Kanon en le mot kosmos, dont le sens sug de production achevé. Il peut
(c'est-à-dire dignes des hommes d'une production artistique grec, signifie « règle », au sens est « en bon ordre ». Le terme s'agir aussi bien d'une oeuvre
Ce qui fait naître le sentiment es- riétés est lié à un intérêt, et relève ture ou l'architecture) étaient à
thétique. Si lAntiquité cherchait à de la seule faculté de désirer. Ce libres) : la dialectique, la gram- nulle autre pareille, ce qui la rend d'instrument et de procédure. Le désigne à la fois l'ordre et la utile dans le cas de l'artisanat
iadis considérés comme des arts beauté (ou la beauté résultant
formuler des règles objectives du n'est pas I'objet d'un simple juge- maire, la rhétorique, l'arithmé- mécaniques, et leurs « artistes » absolument singulière est donc canon est donc un ensemble de (une table, une chaise), que d'une
beau, la modernité, avec Kant, a ment : il produit une inclination tique, l'astronomie, la géométrie comme des artisans. Ce qui s'op- inimitable. Le génie est donc l'ar- règles données pour æuvrer à un de l'ordre). C'est de là que pro- æuvre sans utilité particulière
insisté sur le fondement subjec- et un plaisir en résulte. fagréable et la musique. Auiourd'hui, on pose à l'artisanat, ce sont donc les tiste par excellence, le créateur contenu. Tous les grands sculp- viennent le sens et l'origine du dans le cas d'une ceuvre d'art
tif du jugement esthétique et sa dépend du goût de chacun et est appelle « beaux-arts » les arts qui beaux-arts. absolu d'un style. teurs grecs (Phidias, Praxitèle) mot cosmétique. produite par un artiste.
11 La culture ]J,
)L
UN SU]ET PAS A PAS L,ARTICLE DU TIIIONûII
trouve mieux qu'il n'avait pensé leurs qu'il emploiera à l'æuvre teur à mesure qu'il la fait ; et le détails de la réalité dans des tableaux de format moyen ou réduit aux
Dans cet extrait, Alain explique
dès qu'il essaie ; en cela il est ar- qu'il commence ; l'idée lui vient à portrait naît sous le pinceau. dimensions des intérieurs des bourgeois protestants auxquels ils sont
que I'activité de I'artisan se dis- destinés. Ce sont des virtuoses de la draperie froissée, du reflet sur les
tingue de celle de l'artisft qui tiste, mais par éclairs. Toujours mesure qu'il fait ; il serait même
têtes des clous des fauteuils de cuir, des pavements de losanges bicolores
est-il que la représentation d'une rigoureux de dire que l'idée lui Alain, Système des beaux-arts Cet article de Phillipe Dagen nous présente l'exposition consacrée au
conçoit son æuvre en la pro- ou des perspectives légèrement décalées de chambranles et corridors.
idée dans une chose, ie dis même vient ensuite, comme au specta- Ce sont aussi des virtuoses de Ia narration tissée de sous-entendus grand maître de la peinture hollandaise Vermeer qui s'est tenue au
duisant, tandis que l'artisan la teur, et qu'il est spectateur aussi
d'une idée bien définie comme sociaux et moraux. Ils tiennent la chronique d'une vie confortable et musée du Louvre en 2017. Lauteur de l'article prend ici appui sur les
conçoit avant de la produire. le dessin d'une maison, est une de son æuvre en train de naître. Iente dans des logis parés de miroirs et de tableaux. Les meubles sont tableaux de Vermeer et d'autres peintres hollandais du xvu' siècle pré-
Il reste à dire en quoi l'artiste dif- æuvre mécanique seulement, Et c'est là le propre de l'artiste. Il Iourds et luisants. Un perroquet du Gabon est attaché à son perchoir sentés au Louvre pour nous livrer une rdlexion sur le sens de ces pein-
fère de l'artisan. Toutes les fois en ce sens qu'une machine bien faut que Ie génie ait la grâce de par une chaînette délicate. Jeunes filles et ,eunes femmes brodent tures. Vermeer apparaît ainsi comme un artiste qui ne cherche pas à
que l'idée précède et règle l'exé- réglée d'abord ferait I'æuvre à la nature et s'étonne lui-même. et iouent de la musique. Pour entraÎner ces protestantes vertueuses raconter, mais davantage à suggérer, en nous mettant face à des si-
cution, c'est industrie. Et encore mille exemplaires. Pensons main- Un beau vers n'est pas d'abord en vers la luxure, leurs galants leur font manger des huîtres, réputées tuations dépourvues de toute utilité pratique. C'est ainsi que lbn peut
est-il vrai que I'ceuvre souvent, tenant au travail du peintre de proiet, et ensuite fait ; mais il se aphrodisiaques, et boire du vin blanc dans de longues flûtes. Ensuite penser que l'art de Vermeer s'apparente à une méditation picturale
même dans l'industrie, redresse portrait ; il est clair qu'il ne peut montre beau au poète ; et la belle consentent-elles sans doute à retirer quelques-uns de leurs vêtements sur le sens ou le non-sens de la üe, qui se dit en silence sur la toile.
l'idée en ce sens que I'artisan avoir le prolet de toutes les cou- statue se montre belle au sculp- enrichis de fourrure, de fil dbr ou d'argent, et à s'abandonner sur leurs
La culture J§
L'ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS
Le travail disparition
« Le travail, au contraire, est désir réfréné,
retardée : le travail forme. Le rapport négatif à l'objet Le champ appartient à celui qui l'a défriché et qui le laboure : c'est,
devient forme de cet objet même, il devient quelque selon Locke, Ie fondement même de la société civile. Je possède ce
Toute société humaine est fondée sur un partage du travail entre ses différents chose de permanent, puisque justement, à l'égard du que je travaille, sans avoir pour cela besoin du consentement des
membres. La nécessité du travail est pourtant vécue comme une malédiction travailleur lbbjet a une indépendance. » (Hegel) autres ; mais comme je ne peux pas tout travailler, ma propriété est
pénible. N'est-il pas cependant une condition de I'accomplissement de I'humanité ? naturellement limitée : le droit naturel répartit donc équitablement
En outre, chacun produisant quelque chose de différent, comment mesurer la valeur la propriété entre les hommes.
Rousseau ajoute cependant que ce droit naturel n'est pas le droit
relative des biens que I'on échange ?
positif: dans un corps social organisé, c'est la loi, et non le seul travail,
qui flxe la propriété de chacun. Lorsqu'il passe de I'état de nature à
moins le moyen par lequel I'homme s'affranchit de la nature et l'état civil, I'homme abandonne Ie bien dont il iouissait seulement
conquiert sa liberté et son humanité. C'est ce que montre Hegel : en pour en être le premier occupant : désormais, n'est à moi que ce dont la
m'apprenant à retarder le moment de Ia satisfaction de mes désirs, le loi me reconnaît légitime propriétaire. [ État doit-il alors simplement
travail m'oblige à me discipliner. constater l'inégalité des richesses et de Ia propriété de chacun, ou
fr\
h *!,
Dans l'effort, l'homme se rend peu à peu maître de lui : il se Iibère
ainsi de la nature en lui (les instincts) en transformant Ia nature hors
de lui. Faire taire la tyrannie des instincts, n'est-ce pas là précisément
être libre, n'est-ce pas là la marque propre de I'humanité ? Le travail
doit-il chercher à les répartir entre ses membres ?
est donc nécessaire en un second sens : sans lui, I'homme ne peut pas
Marx montre comment le système capitaliste fait du propriétaire celui
réaliser son humanité. qui possède les moyens de production et non pas celui qui travaille,
et qui ne possède pas l'outil de son travail. Le système capitaliste
privilégie donc le capital au travail, si bien que l'enrichissement est
possible à la bourgeoisie sans que celle-ci n'accomplisse le travail fait
Le travail ne doit I'horizon de la survie : par son
pas être pensé dans par les prolétaires qui est pourtant la condition nécessaire de son
Karl Marx travail, l'homme cultive et humanise la nature (Marx) et se cultive enrichissement.
Iui-même. En dépossédant le travailleur de ses moyens de production et du
En quoi le travail est-il une nécessité ?
Tel est le sens de la dialectique du maître et de l'esclave chez Hegel : le produit de son travail, le capitalisme, au lieu d'en faire une activité
Létymologie même du mot « travail » renvoie à un instrument de tor-
maître, c'est-à-dire celui qui iouit du travail d'autrui sans avoir rien à libératrice et formatrice, a rendu le travail aliénant : dans « Ie travail
ture ; Dieu condamne d'ailleurs Adam au travail, qui est le châtiment
faire de ses dix doigts, est finalement le véritable esclave ; et l'esclave, aliéné » inauguré par la grande industrie et le salariat, non seulement
du péché originel. Le travail est donc une nécessité vitale à laquelle
qui apprend à se discipliner lui-même et acquiert patiemment un l'ouvrier n'est pas maître de ce qu'il fait, mais encore sa force de travail
l'homme semble condamné, car, contrairement aux animaux, il ne
savoir-faire, devient maître de lui comme de la nature. Alors qu'il était est elle-même vendue et achetée comme une marchandise. Le travail
trouve pas dans la nature de quoi satisfaire immédiatement ses
une contrainte subie et Ia marque de l'esclavage, le travail devient devient donc aliéné en un double sens : d'abord parce que le travailleur
besoins : les vêtements ne se tissent pas tout seuls, la terre doit être
moteur de notre libération. le vend, et ensuite parce qu'en le vendant, il s'aliène lui-même.
cultivée.
Linvention des machines ne résout pas le problème puisqu'il faut
encore des hommes pour les concevoir et les réparer.
zooM suR...
MOTS CLÉS
La conception du travail de c'est Ia constitution progressive duction, au même tire que n'im- productif et la division des tâches
d'une classe de prolétaires ; c'est- porte quelle matière première. Ce le transforment en pièce d'un mé-
caractérisé par la propriété privée vive en société. S'oppose à état ci- le divertissement (qui délivre KarIMarx
des moyens de production et fon- vil, ou état social. Des philosophes l'existence de l'ennui), et la culture à-dire d'hommes ne possédant qui détermine le salaire, ce n'est canisme qui lui échappe et sur
Du latin alienus, « étranger », de
(qui délivre les esprits de l'igno- plus rien qu'eux-mêmes, et par- rien d'autre que le prix nécessaire lequel il n'a plus aucune maîtrise.
alius, « autre ». En droit, désigne le dé sur la recherche du profit. comme Rousseau ou Hobbes ont
là réductibles à une force de tra- au renouvellement de la force de Au lieu d'être une affirmation de
fait de donner ou de vendre. C'est Marx analyse et critique ce thématisé cette distinction. rance). Il ne faut pas confondre le
La plus-value progressivement
« mode de production bour- loisir avec l'oisiveté, qui est un état vail qu'ils devront vendre pour travail épuisée par le processus soi et une libération, comme le
le sens qu'utilise Rousseau dans générée par les processus produc- productif.
geois », qui repose selon lui sur d'inactivité complète. survivre. croyait encore Hegel, le travail
Le Contrat social. Au sens grec de shholê, activité tifs conduit à une lente accumula- Au prix de son propre épuise- devient le lieu de la suprême alié-
Selon Hegel, Feuerbach et Marx, l'exploitation du travail salarié, libre à laquelle un citoyen grec, tion de capital. Nous ne sommes ment, la force de travail produit nation : en vendant son travail,
l'aliénation est le processus par le- devenu une marchandise, et qui n'était pas astreint à un travail Lobligation est un devoir auquel pas encore dans le mode de pro- une plus-value qui revient tout Louvrier, réduit à n'être qu'une lbuvrier se vend lui-même, c'est-
quel un individu est dépossédé de ce l'aliénation des travailleurs. manuel, pouvait s'adonner, temps je suis tenu de satisfaire, tout
qui le constitue au profit d'un autre,
duction capitaliste, mais cette entière au propriétaire du capi- force de travail, voit son travail à-dire aliène sa propre essence.
qu'il pouvait consacrer à des oc- en pouvant matériellement m'y accumulation et la constitution tal ; le salaire n'est donc pas le l'appauvrir au lieu de l'enrichir « Le travail ne produit pas seule-
ce qui entraîne un asservissement. :
cupations personnelles. Le loisir soustraire. La contrainte est une progressive d'une classe de possé- prix du travail, mais Ie prix de il ne peut même pas acheter le ment des marchandises ; il se pro-
Létat de nature est un état flctifou a trois fonctions : le délassement force à laquelle ie n'ai pas la pos- dants en est une des deux condi- la force de travail, achetée par le produit de ses efforts, tandis que duit lui-mème et produit I'ouvrier
Système économique et social supposé de l'homme avant qu'il ne (qui délivre le corps de Ia fatigue), sibilité d'échapper. tions de possibilité. La seconde, propriétaire des moyens de pro- la rationalisation du processus comme une marchandise. »
36 La culture l/
UN SU]ET PAS A PAS L'ARTICLE DU IIIIONûC
Ce qu'il ne faut pas faire palement dans des fermes et dans des usines. Jusqu'à dix-huit heures de travail par en échange des repas et du logement ne donnera plus accès à un second visa. « Ces
Le plan détaillé du développement Analyser travail et loisir séparément, dans deux parties distinctes. jour, sept iours sur sept, pour une paie largement en dessous du salaire minimum, mesures réduiront les risques d'exploitotion », affirme le ministère de l'immigration.
I. Travail et loisir sbpposent sur de nombreux points. dans une usine d'emballage de poulets. De ieunes migrants maltraités, rémunérés Par ailleurs, à l'obtention du premier visa, les services de l'immigration informeront
a/ Le travail relève pour l'homme de la nécessité de produire pour entre rz dollars et t4 dollars pour ramasser des concombres, au Iieu d'un minimum les travailleurs de leurs droits et leur donneront des contacts à appeler en cas de
légal de zr dollars dans ce secteur. Ces produits sont destinés aux grandes surfaces difficultés. Le Fair Work a démarré une campagne d'information sur les réseaux
satisfaire ses besoins. C'est une activité répétitive, pénible, imposée
Les bons outils australiennes des enseignes Coles, Woolworths ou encore AIdi. u Ia plupart des sociaux dans plusieurs langues et dans des aéroports australiens. Cette institution
par la nature (cl analyse de Marx). . Marx,Le Manifeste du parti communiste. produitsÿais [que lbn achète] sont passés entre les mains de travailleurs exploités », a récemment diffusé ses messages en coréen sur des sites coréens.
. Arendt, Condition de l'homme moderne : l'auteur y distingue le dénonce un syndicaliste. Pour France Amaud, directrice de l'agence Boomerang à Sydney - qui propose des
concept de travail et celui d'æuvre. Les « backpackers », comme sont appelés ces jeunes migrants qui voyagent avec un « packs » aux jeunes en visa4rT-, le meilleur moyend éviterdes mauvaises expériences
sac à dos, sont envoyés d'un lieu à un autre, selon les besoins, par des intermédiaires est... de parler anglais. « /e vois des jeunes arriver sans argent, qui ne connaissent pas
TEXTE CLÉ qui empochent une partie de leur paie. « Je dois travailler, je n'ai pos d'argent », lhnglais de base : ce sont des proies tellementfaciles », regrette-t-elle.
explique un Tai'vranais. Le documentaire, qui dénonce également des abus sexuels,
Caroline Taix, le Monde daté du o8.o7.zot5
Danscetextrait,Rousseaumeten leurs arcs et leurs flèches, à tail- jouir entre eux des douceursd'un dans lesquelles on vit bientôt montre principalement de jeunes Asiatiques, de Tairuan et Hongkong, ne parlant
commerce indépendant. pas anglais. n Ne mhmène plus d'Européens ,, dit le manager d'une ferme à un
lumière l,oigine sociale du tra- ler avec des pierres tranchantes l'esclavage et la misère germer et
quelques canots de pêcheurs ou Mais, dès I'instant qu'un homme croître avec les moisson. intermédiaire, parce qu'une Britannique a osé réclamer sa paie.
vau, tnel,,,stant a retat ae narure. Les Français ne sont pas à l'abri. Victoria et Fabien, 23 et 25 ans, sont arrivés en
instruments de eut besoin du secours d'un autre,
rant que res hommes ," ;;;;.;- 1::]t::: i::.iersm:t n1 dès qu'on s'aperçut qu'il était fean-facques Rousseau, Discours octobre zor4 avec lbbjectifde faire Ie tour de lAustralie. Ils ont commencé à travailler
Cet article met en lumière un phénomène s'apparentant à de l'es-
tèrent de leurs cabanes .;;;;; T"l1l":.* ln llnt auÏ]s
s aDplrquerenr qu a oes ouvrages utile à un seul d'avoir des pro- surl'oigineetlesfondementsde dans une ferme en Australie-Occidentale, oir ils ont ramassé des fraises. « Nous avions
clavage moderne, celui des travailleurs disposant d'un visa va-
tant qu'ils se bornèrent à coudre qri,r., ,"rt pouvait faire, et qu,à visions pourdeux,l'égalitédis- llinégalitéparmileshommes des conditions de travail correctes... Les récits dhutres «backpackers» nous permettent
cances-travail pour lAustralie. Ces ieünes gens se retrouvent ex-
leurs habits de peaux avec des des arts qui n'avaient pas besoin parut, lâ propriété s'introduisit, de relativiser », confie la jeune femme, diplômée d'un BTS en commerce. Au début,
ploités au travail sur le sol australien alors qu'ils y trouvent en tant
épines ou des arêtes, à se parer du concours de plusieurs mains, le travail devint nécessaire et les ils travaillaient sept heures par iour, six jours par semaine pour environ 35o dollars.
que vacanciers, ou du moins en tant que voyageurs. Lauteure nous
de plumes et de coquillages, à se ils vécurent, sains, bons, et heu- vastes forêts se changèrent en des Soit un peu plus de 8 dollars l'heure. « Nous ritions payés au rendement », tente de
montre ainsi que le travail moderne n'est pas touiours réglementé
peindre le corps de diverses cou- reux autant qu'ils pouvaient l'être campagnes riantes qu'il fallut ar- justifier le couple. Pourtant, selon le Fair Work, le travail au rendement « devrait
par la loi tel qu'il devrait l'être pour empêcher toute forme d'ex-
Ieurs, à perfectionner ou embellir par leur nature, et continuèrent à roser de ia sueur des hommes, et permettre aux travailleurs de gagner au moins 21,08 dollars par heure ». ploitation et d'aliénation.
« Le manager inventait des techniques pour nous payer le moins possible », raconte
La culture lÿ
L'ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
La technique
« Technique » vient du grec technè qui signifie, selon Aristote, « une disposition à
produire accompagnée d'une règle vraie » : la technique au sens grec, c'est I'en- . La machine, l'espion
et le mouchard
semble des règles qu'il faut suivre pour produire un objet donné. Mais la technique (Vincent Giret,
moderne peut-elle encore se comprendre ainsi ? I Le Monde Eco et entreprise
I daté du o9.ro.zor5)
lui permet d'accroître l'efflcacité politique en tant qu'il peut faire productif des autres tâches
Un artisan est un travailleur qui de son travail. Ainsi, par exemple, usage des objets techniques afin
cessus
et à l'isoler de façon partielle. zooM suR...
maîtrise une technique et qui la scie est un outil du menuisier : de contrôler les hommes. Ainsi par exemple, le travail qui
produit des objets à l'aide de cette elle est un instrument artificiel consiste à s'occuper uniquement La pensée artistotélicienne de une forme déterminée pour en tervention de quatre causes que hors d'elle-même Ie principe de sa
technique. Ainsi, par exemple, un qui prolonge sa main et son bras de la carrosserie dans la fabri- la nature et de Ia technique acquérir une autre : le bois de l'art rend visibles : en plus de la propre production et de ses chan-
en vue de la transformation plus
Au sens premier du mot, la tech- l'arbre devient le bois de la chaise. cause formelle (la forme du lit) gements, une chose naturelle ren-
maçon est capable de transformer cation d'une voiture est un tra-
nologie est l'étude (logos) de la Mais c'est la forme qui fait d'une et de la cause matérielle (le bois) ferme en elle-même, par essence
un tas de pierres en maison à l'aide aisée du bois. vail spécialisé car il ne concerne La substance individuelle ou
technique (technè\. Par extension, délà citées, il faut une cause effi-
de la technique de construction qu'une partie du processus de première, support des chose ce qu'elle est : dans ce sens, et non par accident, le principe ou
qu'il possède. Un artisan est donc on appelle aujourd'hui « tech- chan-
elle coïncide avec son essence. ciente (l'artisan) et une cause fl- la,cause de son mouvement et de
Au sens premier du mot, la tech- production. La spécialisation est gements, est elle-même déter-
un travailleur manuel, dont l'ac- nologies » l'ensemble des obiets Soulignons f importance du para- nale (le projet de l'artisan). son repos.
nocratie est le pouvoir lcratosl de particulièrement visible dans Ie minable comme un
composé
tivité consiste essentiellement en que I'on pourrait qualifier simple-
la technique. Ce terme désigne cadre du travail à la chaîne et est de matière et de forme. La ma- digme de 1a production technique fart permet ainsi de distinguer Si donc, selon le mot dAristote,
une transformation de la nature. ment de techniques.
aulourd'hui l'ensemble des pou- une des causes de l'aliénation au tière, c'est le support ultime, le chez Aristote : il va lui permettre ce qui est étroitement uni dans « I'art imite la nature », c'est pour-
voirs que les oblets techniques travail, même si elle peut être noyau stable de la substance, qui, de penser Ia nature elle-même. En la production d'une chose natu- tant par analogie avec l'art
que
Un outil est un instrument arti- peuvent avoir sur I'homme qui Acte qui consiste pour le travail- aussi l'origine d'une plus grande
à comme on le voit dans la pro- effet, la production d'une subs- relle par \a physis (la « nature ») : se comprend la génération natu-
flciel produit par l'homme et qui en depend. mais aussi le pouvoir leur à séparer une tâche d'un pro- efficacité productive. duction technique, peut perdre tance individuelle suppose I'in- alors qu'une chose artiflcielle a relle.comme une marchandise.
La culture {1
UN SU]ET PAS A PAS L'ARTICLE DU !]I[ONûE
De nouveaux intrus se sont immiscés dans nos vies. Tout doucement, méthodes un peu rustres. La deuxième famille des calculateurs, plus
« l-'essence cle la techniqi"re n'est absolurnenl rien
sans faire de bruit, mais avec une intention diabolique : anticiper nos rafflnée, voudrait se situer « au-dessus » du Web, afln de hiérarchiser
I. Les termes du sujet Aussi ne pelce\rr()ns-norls jarlrtis
r-lc teclrni,qr.re.
. Le développement technique désirs, orienter nos décisions personnelles, guider nos choix et nos « la qualité de l'information » et donc « l'autorité » des sites : elle me-
r)ot.re rilplrort l\ i'essertce cie la technicluc,
:
- au sens économique, les inno- achats... Nous surveiller un peu, sans doute aussi, au prétexte de vouloir sure les échanges entre internautes, sans les influencer, d'informations
vations de produits et de procé- aussi lorrgteulps que rloLis Irous borncrons
dés de production. nous aider. Une sorte de grand manipulateur déguisé sous les traits sous la forme de « liens hypertextes » : dans son principe, le PageRank,
à nous rcpréscntcr la tecl-rniqr.re ct i\ la Llratiquer,
- au sens usuel, la part grandis- d'un ami intime, comme dans le dernier ouvrage de Delphine de Vigan l'algorithme qui a fait la fortune de Google, considère que ces liens
sante des objets techniques dans à nous cn ilccol'nrrlocler ou à la luir. " (l{eidegger)
(D'après unehistoirevraie,JCLattès). Cet intrus nous connaÎt déià comme hypertextes enferment la reconnaissance d'une référence. Plus une
le quotidien. pouvoir ne peut-il pas se retourner contre nous ?
Transition: Ce
. Menace: personne : les « algorithmes » ont débarqué. On les croyait cantonnés information est échangée, plus elle acquiert ainsi « une autorité ».
II. Le développement technique peut être unvecteur de domination.
- idée de danger, identiflé ou non. a,) Le développement technique entre bien dans une logique de pou- aux domaines des laboratoires scientiflques et gardés par des grosses Problème : plus le réseau se développe, plus il y a de tricheurs qui
- idée de volonté dé]ibérée. voir qui consiste à surveiller les agissements des individus (cf analyse
. Liberté :
têtes. Las, ils ont profité de la révolution numérique pour s'installer trompent les machines...
de Foucault sur le pouvoir technocratique moderne).
-au sens philosophique, métaphysique, Ie libre arbitre,la faculté de choix. dans nos smartphones, dans nos ordinateurs, et déià dans les dizaines La troisième famille des calculateurs se glisse « dans » le Web, pour que
b,) Le marché économique renouvelle sans cesse I'offre de produits et
- au sens politique, l'ensemble des droits reconnus par un État, une rend obsolètes des obiets pourtant performants, ce qui nous pousse dbbjets connectés qui ont commencé à envahir notre domicile. Ies internautes se mesurent eux-mêmes. Le symbole de ces nouvelles
Constitution. à consommer (cf analyse de Arendt).
II. Les points du programme A très grande vitesse, ces algorithmes opèrent un ensemble de mesures est Ie « like » de Facebook, pointe avancée d'un ensemble
Transition: Pour autant, s'agit-il de revenir en arrière ?
. La technique.
III. La technique ne doit être qu'un moyen. calculs à partir de gigantesques masses de données (les big data). plus vaste et disparate d'indicateurs évaluant la « réputation » de
. La liberté.
a,) Les possibilités techniques vont iusqu'à changer lbrdre écologique limites.
. t'État. La puissance de ces machines n'a (presque) plus de « Nous l'internaute : son nombre d'amis, le partage de ses contenus, le nombre
(réchauffement climatique) ou modifier la structure des organismes
(ocr,a, clonage). Elles permettraient même de détruire la Terre entière fabriquons ces calculateurs, mais en retour ils nous construisent », de fois où son nom est prononcé dans la conversation des autres. Une
(arme nucléaire). Lhomme se retrouve donc dans une situation de constate Dominique Cardon. La culture, le savoir, l'information, mais sorte de « gloriomètre » !
Chaque individu est repérable grâce à son téléphone portable. pouvoir quasi divin sur la nature.
aussi la santé, la ville, les transports, la flnance et même l'amour et le Après le calcul des clics, des liens et des likes, voici venue Ia traque... des
b/ Pourtant le risque principal n'est pas là : il est plutôt que la
technique devienne l'unique mode de pensée de l'être humain, que sexe sont désormais outillés par les algorithmes. Tel est le point de « traces » : la quatrième famille des calculateurs est la plus vicieuse.
Les oblets techniques accroissent notre pouvoir d'action, mais
l'homme ne raisonne plus qu'en termes techniques, se considérant départ, un brin angoissé, du dernier ouvrage d'un des tout meilleurs Installée « en dessous du Web », elle vise à enregistrer le plus discrè-
lui-même comme un obiet ou une ressource à exploiter. La technique
n'augmentent-ils pas aussi l'étendue des pouvoirs exercés sur nous, chercheurs de l'univers d'lnternet. Depuis des années, ce sociologue tement possible les traces de nos activités sur Ia Toile. A partir de ces
par exemple la surveillance ? doit rester un moyen en vue d'une fin dont l'homme reste maître.
Gardons-nous la réelle maîtrise du développement de la technique au Laboratoire des usages d'Orange Labs et professeur associé à données, son ambition est d'anticiper : l'algorithme colle à nos faits
dans notre vie de tous les iours ? Conclusion l'université de Marne-la-Vallée, s'acharne à comprendre ce que la et gestes, et il est capable de prédire nos activités, nos achats, I'état de
Le développement technique constitue une menace pour la liberté s'il
mutation technologique du numérique impulse de transformations notre santé même, en comparant des millions, voire des milliards de
se fait sans intervention collective ou politique de la part des citoyens,
et si l'homme se met lui-même au service de la technique. humaines, sociales, politiques ou éthiques. profils. Un espion doublé d'un mouchard... Et il a une belle carrière
I.le developpement technique now ütÈre de multiples efforts et dangers.
a) Les progrès techniques ont fait reculer les pires dangers naturels : Logiques et modes d'emploi devant lui.
les maladies et autres fléaux sont moins dévastateurs dans les sociétés Ce qu'il ne faut pas faire Ni technophile aveugle ni technophobe « béta », Cardon conseille de Dans une discrétion délibérée, une foule d'acteurs économiques et
les plus « avancées » techniquement. Traiter et illustrer seulement l'aspect négatifdu progrès technique.
b,)Les progrès techniques nous libèrent de tâches pénibles, dans Ia vie
garder les yeux bien ouverts sur cette intrusion du « calcul » dans publicitaires assoiffés s'active autour de ces machines. Mais c'est
professionnelle comme domestique. Le temps de loisir s'en trouve notre existence. Mieux : il entend démonter « Ia boîte noire » des maintenant que le citoyen doit se bouger, car, pour un temps encore,
augmenté (cf. analyse de Arendt). Les bons outils algorithmes pour nous donner à comprendre leurs logiques et leurs ces calculateurs ne régentent pas encore nos vies, l'internaute ne se
c/ Les obiets techniques sont de plus en plus accessibles à tous (por- . Hannah Arendt, Condition de I'homme moderne.
table, iPod, etc.). . Martin Heide gger , Qu'est-ce que la technique ? modes d'emploi. « Des premiers outils préhistoriques à l'invention de plie pas à ses ordres. « ll est encore femps, conclut Card,on, de dire aux
lécriture, de Ia mécanisation de l'imprimerie àlanumérisationde l'in- algorithmes que nous ne sommes pasla somme imprécise et incomplète
TEXTE CLÉ Jormation, il sera naïJ de croire que la longue histoire des technologies de nos comportements. »
42 La culture {l
L'ESSENTIEL DU COURS L ESSENTIEL DU COURS
adoraient des dieux imaginés à la ressemblance des hommes. La qui garantira ailleurs et plus tard la correspondance du bonheur
La religion religion grecque, en fait, adorait I'homme lui-même : le christia- et de la moralité. Cette « religion dans les simples limites de la
nisme dépasse les autres religions parce qu'il montre qu'elles ont raison » n'est pas la religion des prêtres : pas de culte, pas de clergé,
toutes été anthropomorphiques. ni même de prières, c'est une pure exigence de la raison pratique
ll s'agit de savoir ici ce que sont les religions en général, et non de parler de telle ou
qui pose que Dieu existe, même si la raison théorique ne pourra
telle religion. Le fait religieux est présent dans toutes les cultures humaines, même jamais le démontrer.
les plus primitives : fondamentalement, Ie fait religieux lie I'homme à des puissances Selon Feuerbach, Ie christianisme s'est approché de Ia vérité de la
qui sont plus qu'humaines. La question est alors de savoir si raison et religion doivent religion sans toutefois l'atteindre : en affirmant que dans le Christ,
s'exclure réciproquement. Dieu s'est fait homme, le christianisme amorce un mouvement La religion de Kant est-elle encore religieuse ? Pascal aurait
que Ia philosophie doit achever en inversant Ia proposition. En répondu par la négative : contre Descartes, et contre tous ceux
fait, la religion n'est pas le mystère du Dieu qui s'est fait homme, qui veulent réduire la religion à ce qu'il est raisonnable de croire,
mais le mystère de l'homme qui s'est fait Dieu. Pascal en appelle au cæur qui seul « sent Dieu ».
Le philosophe latin cicéron Même si l'homme l'ignore, Dieu n'est autre que l'homme lui- C'est justement la marque de l'orgueil humain que de vouloir tout
qu'un récit imaginaire, c'est un modèle qui sert à expliquer le réel
donnait une double étvmo- même : pensant Dieu comme étant tout autre que lui, l'homme saisir par la raison et par « l'esprit » ; mais ce n'est pas par Ia raison
logie à la religion ette vien- :::::j:Ïi:enoreenracontantsasenese' s'aliène puisqu'il se dépossède de ses caractéristiques les plus que nous atteindrons Dieu, mais par le sentiment poignant de
' Le dernier stade de la religion, nous dit Comte, est le monothéisme.
dignes pour les donner à Dieu. « Lhomme pauvre a un dieu notre propre misère : la foi qui nous ouvre à Dieu est d'un autre
drait à la fois de relegere,
« rassembler », et de religare, riche » : cela signifle que Ie dieu chrétien n'est que Ia projection ordre que la raison, et Ia raison doit lui être subordonnée.
« rattacher ». Ainsi, la reli- des espérances humaines ; cela signifie aussi que l'homme a dû
se dépouiller de toutes ses qualités pour en enrichir Dieu. Nous
gion rassemble les hommes Les religions monothéistes croient en un dieu unique, contrai-
devons alors réapprendre à être des hommes en nous libérant de
en les rattachant ensemble à rement aux religions polythéistes. Et si les mythes des religions
des puissances surnaturelles
l'aliénation religieuse.
polythéistes se perdent dans la nuit des temps, s'ils racontent
qu'ils doivent vénérer : c'est le une origine en-dehors de l'histoire, les religions monothéistes en
sentiment du sacré, mélange revanche ne sont pas mythiques : elles affirment leur caractère
Auguste Comte
de crainte et de respect pour historique en posant I'existence « datable » de leur fondateur
des forces qui nous dépassent. (Abraham et Moïse, Jésus-Christ, ou Mahomet).
Vénération du sacré, Ia religion Surtout, c'est avec le monothéisme que Dieu n'est plus pensé à
prend la forme de rites qui se distinguent du temps profane l'image de l'homme : il est désormais infiniment distant, il est le La philosophie doit, selon Feuerbach, entreprendre la « critique de
comme temps des affaires humaines. tout-autre. Il ne s'agit plus alors de faire des sacrif,ces pour s'attirer Ia déraison pure », c'est-à-dire du christianisme ; en cela, il sbppose
ses faveurs, mais de croire en lui : avec Ie monothéisme, c'est la à Kant, qui envisage la possibilité d'une religion rationnelle. Si
notion de foi qui prend tout son sens. la Critique de la raison pure a bien montré qu'aucune preuve de
Auguste Comte voyait dans le fétichisme la religion Ia plus I'existence de Dieu n'était recevable, Kant y explique également
primitive. La croyance fétichiste confère aux objets des qualités que l'existence de Dieu est un postulat nécessaire de la raison
magiques : ainsi, c'est parce qu'une force surnaturelle I'habite pratique. Blaise Pascal
que l'arme est mortelle. On parlera alors de magico-religieux : Lemonothéisme remplace le mythe par Ia foi, et croit en un dieu Le devoir en effet semble aller à I'encontre de notre bonheur
le rite vise à se concilier les grâces de puissances supérieures qui n'est plus pensé à l'image de l'homme. On ne peut l'honorer personnel : dans ce monde, il n'est pas possible de penser le iuste
potentiellement menaçantes. par des sacrifices, mais par la prière et par des actions qui obéissent rapport entre bonheur et vertu.
Selon Comte, le stade suivant est celui du polythéisme : ce ne sont à sa volonté : le monothéisme introduit une dimension morale Pour que le devoir lui-même ne sombre pas dans l'absurde, il faut . « Gagner son salut en exterminant les hérétiques »
plus les objets qui sont vénérés, mais des êtres divins représentés dans Ia religion ; on peut alors parler d'éthico-religieux. (Propos recueillis par Antoine Reverchon, Le Monde daté du
alors nécessairement postuler l'existence d'un Dieu juste et bon
z8.o7.zot5\
de manière anthropomorphique. Au rite religieux est alors associé Selon Feuerbach, le monothéisme le plus radicalement neuf est le
l'élément du mythe comme récit des origines : le mythe n'est pas christianisme : c'est lui qui a montré que les religions polythéistes
MOTS CLÉS
MOTS CLÉS Kant distingue le versant théo-
Stade archaïque du fait religieux, Du grec polus, « nombreux », et rique de la raison, qui a trait à la Ensemble des règles établies au sein
lement fondée. Elle se distingue instant suspendue à une création autorité sous forme de dogme ou qui consiste à considérer les ob- theos, « dieu ». Religion qui pose volonté de connaître, et le versant d'une communauté pour la célébra-
pratique, par lequel l'homme se
Désigne étymologiquement l'ab- de lbpinion et de la certitude. divine continuée, autrement dit de pratique religieuse. lets animés et inanimés comme l'existence de plusieurs dieux. tion d'un culte, qui consiste en une
toufours renouvelée. habités par des esprits et porteurs soucie de son action et entend en suite codifiée de gestes et de paroles.
sence (a privatif) de Dieu : l'athéisme
de puissances magiques. lui l'appel du devoir moral.
est le fait de ne pas admettre ni par Manière dont Descartes conçoit Si sesdéterminations exactes varient
Les attributs de Dieu, comme en-
la foi, ni par la raison, l'existence la création du monde par Dieu : Adhésion à une idée ou une théo- tité transcendante créatrice du d'un philosophe à l'autre, tous recon- Du latin transcendere, « passer
d'un Dieu transcendant (d'un theos). rie sans véritable fondement ra- Du grec muthos, « récit, légende ». naissent la raison corune le propre Chez Kant, désigne le fait que, au-delà, surpasser ». Par opposition
parce que la nature n'est pour lui monde sont traditionnellement,
tionnel. En ce sens, la croyance est Récit flctifrelatant en particulier lbri- de l'homme, et comme la faculté quand bien même l'existence de à l'immanence, est transcendant ce
rien d'autre qu'une grande ma- sur le plan métaphysique, l'éterni- Dieu est indémontrable, il est né-
une opinion et s'oppose au savoir. gine du monde, et permettant ainsi qui commande le langage, la pensée, qui existe au-delà du monde sen-
Croyance réfléchie et volontaire chine, un pur mécanisme, elle est té, l'immutabilité, l'omnipotence cessaire de l'admettre, afin de don-
dbrganiser, au sein d'une société, la la connaissance et la moralité. Des- sible de l'expérience, de manière
qui n'est pas seulement subiec- dépourvue de tout dynamisme et l'omniscience, et sur le plan ner pleinement sens à la moralité.
compréhension du réel et de justifier cartes l'assimile au « bon sens », c'est- radicalement séparée. On parlera
tivement fondée, mais qui est interne et ne saurait exister par Est déiste celui qui croit en l'exis- moral, I'amour, la
souveraine
Ibrdre naturel et social du monde. à-dire à la faculté de juger. ainsi de la transcendance divine.
aussi objectivement et rationnel- elle-même. Elle est donc à chaque tence de Dieu, mais rejette toute bonté, et la suprême iustice.
La culture {§
UN SUIET PAS A PAS L'ARTICLE DU !]I[ONûE
Dissertation :
(( Gagner son salut en exterminant
Toutes les croyances se valent-elles ?
les hérétiques »
« S'il était une religion sur la terre hors de laquelle
I. Les termes du sujet Angoisse de la fin des temps et révolution médiatique, tels sont les principaux ingré-
. Toutes les croyances :
dients des guerres de religion, dans la chrétienté du XVI'siècle comme dans I'islam du
- référence aux croyances reli-
gieuses. XXI'siècle. L'analyse de I'historien Denis Crouzet.
- référence à toute forme de
croyance sociale et individuelle.
. Se valent-elles:
- idée d'équivalence, d'égalité. Denis Crouzet, professeur d'histoire moderne à l'universi- Par quels mécanismes en vient-on à pratiquer, mais aussi à
- idée de comparaison et de hié- Transition: N'y a-t-il pas une différence entre les religions et les sectes du té Paris-lV publie avec Jean-Marie Le Gall un essai, Au péril promouvoir et légitimer de telles horreurs, commises souvent
rarchie. point de vue légal ou civil ? des guerres de religion, à paraître en mai 2015 aux PUF. Il est contre des compatriotes, des voisins ?
II. Les points du programme II. Toutes les croyances nbnt pas les mêmes effets ni les mêmes finalités.
. La société, les échanges. l'auteur des Guerriers de Dieu, Ia violence au temps des troubles A I'origine des guerres de religion, hier comme aujourd'hui,
a,)Psychologiquement, toutes les croyances ne se ressemblent pas. Elles se
. La religion.
distinguent en fonction du degré de conviction qui les accomPagnent, et de religion. Vers t5z5 - vers 1610 (Champ Vallon, 2oo5, première il y a la combinaison entre la montée d'une peur de la fin des
. Le bonheur.
cette distinction relaillit sur les actes qu'elles peuvent engendrer ou non édition en 1990), et de Dieu en ses royaume* Une histoire des temps et une révolution médiatique.
. La morale.
(cf distinction opérée par Kant entre la foi et lbpinion).
b) Moralement, des croyances de type sectaire tendent à exclure l'interpré- guerres de religion (Champ Vallon,20oS). Au tournant des XV et XVI" siècles, une angoisse eschatologique
tation critique et l'appartenance de l'individu à une société ouverte. Des submerge I'Occident : des supputations savantes ont donné au
Léglise de scientologie a un statut de secte en France, de religion aux croyances, religieuses ou idéologiques, mettent également en cause des
Dans l'essai que vous allez publier avec |ean-Marie Le Gall, vous monde une durée de vie de 6 5oo ans et, selon les astrologues, ce
États-unis. valeurs morales comme l'égalité entre les hommes (selon les races, selon les
sexes, etc.) et aboutissent à des traitements physiques ou moraux inégaux. comparez le mouvement djihadiste actuel et la violence mise temps est presque écoulé. Des almanachs certifient qu'en 1524
c/ Politiquement, certains types de croyance doivent être « combattus »,
La problérnatique en æuvre lors des guerres de religion qui ont marqué l'Europe l'alignement des astres sera Ie même qu'à Ia date du Déluge.
car ils empêchent I'exercice critique du lugement et le développement
Au nom de quelle valeur obiective peut-on établir une hiérarchie entre aux XVIe et XVII" siècles. Quels en sont les points communs ? Dès r5r9, Luther annonce le triomphe de lAntéchrist - en
rationnel de l'individu (prélugés, fanatisme, etc.).
Ies formes ou les types de croyances ? Comment pourrait-on définir de
façon légitime un critère préférentiel entre les préiugés, les idéologies, Il faut penser le fait religieux comme Ia matrice du conflit. l'espèce... Ie pape. Tremblements de terre, comètes, épidémies
les religions ? C'est une culture qui structure les violences, bien que selon des sont interprétés comme autant de signes de la colère divine ;
Toutes les croyances ne se valent pas dans la mesure où certaines ne
modalités différentes. La religion dominante - le catholicisme Dieu s'apprête à punir une humanité qui n'a jamais commis
veulent pas se reconnaître comme telles et empêchent délibérément les
Le plan clétaillé du développement dans l'Europe des XVI" et XVII" siècles, I'islam sunnite dans autant de péchés.
conditions de l'exercice du iugement chez l'homme.
L Les croyances s'expliquent de la même façon.
a,) Par essence, toute croyance se déflnit par l'assentiment à une « vérité » le monde arabe d'aujourd'hui - s'estime menacée : elle mène De telles prophéties étaient courantes au Moyen Age, mais
considérée comme telle, mais sans savoir avéré. Préiugés, superstitions, une guerre « purificatrice », qui vise à exterminer tous ceux Ia grande différence est qu'il y a eu, depuis, l'invention de
convictions, croyances religieuses, etc., sont équivalents selon ce critère Ce qu'il ne faut pas faire
essentiel.
Énumérer les défauts des croyances sans chercher au nom de quoi qui ont pactisé avec le « mal ». En 1572, Ia Saint-Barthélemy l'imprimerie I Cette révolution technologique donne une
ils peuvent être qualifiés de « défauts ».
b) Du point de vue de leur fonction, les croyances reposent sur des mé- fit 2 5oo morts à Paris ; le sac de Magdebourg, 30 ooo morts ampleur inédite à l'imaginaire collectif, qui s'imprègne de ces
canismes psychologiques permettant de combler le besoin d'être rassuré
en 1631. Alors que du côté protestant on brise les statues et prédications éditées à des milliers d'exemplaires et relayées
(c;f. analyse de la superstition et du préiugé par Spinoza, de la croyance
religieuse par Freud). Les bons outils reliques et on massacre les prêtres, accusés de maintenir le par la rumeur. Comme Internet aujourd'hui. J'ai découvert
c) Du point de vue du droit, les croyances religieuses doivent toutes être . lanalyse de la religion comme une névrose collective dans LAvenir peuple dans l'ignorance de Ia « vraie foi ». sur Ies sites djihadistes la même angoisse de la fin des temps,
reconnues par l'État (cfl analyse de Locke) dans la mesure où elles im- d'une illusion de Freud.
pliquent la foi et la conviction de chaque individu, son choix d'existence, . La distinction entre la religion et la magie dans Les Formes élémen' Hier comme aujourd'hui, ces violences se caractérisent par la même assimilation des phénomènes naturels à la colère de
sa déflnition du bonheur, etc. taires de la vie religieuse de Durkheim. la mise en scène de l'horreur et Ia volonté de la montrer au Dieu, la dénonciation des mêmes péchés comme signes des
plus grand nombre. Car la guerre de religion est un dialogue désordres du monde - les femmes s'habillent en homme et les
TEXTE CLÉ avec Dieu : il faut lui montrer que l'on agit pour lui. Pour dis- hommes en femme, par exemple - et... Ia même haine des iuifs.
suader, bien sûr, ceux qui pourraient être tentés de rejoindre ll y a aussi l'omniprésence d'une figure mi-homme mi-animal,
Dans cet extrait, Durkheim pro- se sentent liés les uns aux autres, tout entier (Rome, Athènes, le dire séparées, interdites, croyances
par cela seul qu'ils ont une foi peuple hébreu), tantôt elle n'en et pratiques qui unissent en une les hérétiques, mais surtout pour gagner son propre salut en
pose une définition générale de
commune. Une société dont les comprend qu'une fraction (les même communauté morale, ap- participant à leur extermination. En France, en Allemagne, aux
la religion à partir de son carac-
membres sont unis parce qu'ils se sociétés chrétiennes depuis l'avè- pelée Eglise, tous ceux qui y ad-
t ère or ig inaireme nt social.
nement du protestantisme) ; tan- hèrent. Le second élément qui Pays-Bas, en Angleterre, aux XVI. et XVII" siècles, on défigure
représentent de la même manière
Les croyances proprement reli- le monde sacré et ses rapports tôt elle est dirigée par un corps de prend ainsi place dans notre dé- l'hérétique à coups de maillet, car il ne peut pas être à l'image
gieuses sont touiours communes avec le monde profane, et parce finition n'est pas moins essentiel
prêtres, tantôt elle est à peu près
de Dieu mais est à l'image de Satan : on lui crève les yeux, car Cet entretien avec l'historien Denis Crouzet nous éclaire sur le lien
à une collectivité déterminée qui qu'ils traduisent cette représenta- complètement dénuée de tout que Ie premier ; car, en montrant séculaire existant entre la religion et Ia violence. En effet, cet ar-
fait profession d'y adhérer et de tion commune dans des pratiques organe directeur attitré. Mais par- que l'idée de religion est insé- le diable a les yeux rouges ; on enfonce des cornes d'animaux ticle rappelle que les religions, quelles qu'elles soient, ont touiours
pratiquer les rites qui en sont so- identiques, c'est ce qubn appelle tout oir nous observons une vie parable de f idée d'Église, il fait dans le vagin des femmes ; on anticipe les supplices de I'Enfer engendré des conflits, parfois très violents, entre les hommes. En ce
lidaires. Elles ne sont pas seule- une Église. Or, nous ne rencon- religieuse, elle a pour substrat un pressentir que Ia religion est une sens, aucune religion ne semble pouvoir se prévaloir de n'avoir occa-
ment admises, à titre individuel, groupe defini. [...] Nous arrivons en coupant le nez, Ies lèvres, les oreilles ; on fait manger des
trons pas, dans l'histoire, de reli- chose éminemment collective. sionné aucune violence sur terre. Lhistorien nous explique ici que
par tous les membres de cette col- gion sans Église. Tantôt l'Église est donc à la définition suivante : Une excréments puisque les hérétiques refusent le carême, etc. Le ce sont toujours les mêmes raisons qui provoquent cette violence,
lectivité ; mais elles sont la chose étroitement nationale, tantôt elle religion est un système solidaire Émile Durkheim, Les Formes
tout est reproduit ou raconté dans des libelles et des images et qu'elles apparaissent dans des situations historiques troublées,
du groupe et elles en font l'unité. s'étend par-delà les frontières ; de croyances et de pratiques rela- élémentaires de la vie religieuse souvent prises pour la fin des temps.
Les individus qui la composent tantôt elle comprend un peuple tives à des choses sacrées, c'est-à- qui n'ont rien à envier aux vidéos de Daech.
La culture {l
L'ARrrcLE DU l]l[onûe L'ARTICLE DU TIII@NûIE
AI Dajial, I'équivalent, dans la tradition musulmane, de la bête Et ailleurs en Europe ? Quatre ans après Ia Saint-Barthélemy, le iuriste et philosophe montrent les avancées scientifiques de l'époque. Le roi doit, de
de lApocalypse ! Et enfin les mêmes appels à se grouper pour Dès r54o en France, des libelles catholiques appellent à l'éra- français Jean Bodin (tSzg-tSg6) décrit, dans Ies Six Livres de même, dispenser la loi qui organisera I'Etat de façon rationnelle
rétablir, en exterminant ses ennemis, le règne messianique et dication de la Réforme. Mais celle-ci gagne du terrain à partir la république (tSZ6), les principes politiques nécessaires pour et reflétera ainsi I'harmonie divine.
exclusif du troupeau de Dieu sur la terre, que ce soit la cité de de 1555, lorsque Calvin envoie en France des « ministres » formés ramener la paix civile contre les passions humaines, qui seront
Sion pour Ies chrétiens ou le califat pour les musulmans. à Genève pour « dresser des Eglises » partout où sont présentes ceux de l'Etat de l'âge classique et de Ia monarchie absolue :
des communautés réformées. On en compte environ t 5oo Dieu a conçu le monde comme une mécanique rationnelle, oir Propos recueillis par Antoine Reverchon,
Comment ces angoisses ont-elles débouché sur plus d'un siècle dès 156o. Lemot « huguenot » est une déformation du mot suisse le Soleil dispense sa lumière à un cosmos ordonné - ainsi que le Le Monde daté du 28.c3.2c15
de guerres de religion ? allemand eidgenossen, qui signifie « confédéré ». Le roi Henri II
Les premières manifestations de cette violence religieuse ne fait exécuter quelques hérétiques, dont le martyre renforce
s'observent pas en Europe, mais aux Amériques. Lorsque Chris- les idées nouvelles. Lorsqu'il meurt accidentellement dans un
tophe Colomb débarque aux Caraibes en1492,le rêve de la décou- tournoi en 1559, Ies protestants y voient une « punition divine »
verte du« iardin d'Eden » se dissipe vite : Ies Indiens résistent, se et profitent de Ia vacance du pouvoir - son successeur François II
cachent, refusent la conversion. Colomb règle alors sa conduite - pour pratiquer ouvertement leur culte.
est adolescent
sur Le Livre des prophéties, un recueil destiné à guider l'action La France entre alors dans un cycle de violences civiles qui
des croyants contre ceux qui s'opposent à Ia « volonté divine », aboutit à Ia guerre entre armées catholiques et protestantes
d'où découlera l'extermination des Indiens des Caraibes. fin mars 1562. Victoires et défaites alternent au travers de
A partir de r5r7, le moine allemand Martin Luther offre à ses contem-
campagnes militaires, de sièges et de massacres qui ravagent
porains une autre solution à I'angoisse eschatologique : la grâce tout le pays. En 1598, l'édit de Nantes ramène la paix, essen-
divine étant selon Iui reçue individuellement, le proiet catholique tiellement en raison de l'épuisement de la Ligue catholique,
du rachat des péchés par l'extermination des hérétiques n'a plus
battue plusieurs fois par Henri de Navarre, le futur Henri IV.
Iieu d'être. En 1536, Jean Calvin s'oppose lui aussi à la doctrine de
A l'inverse du Saint Empire, l'édit instaure la cohabitation des
l'Eglise, en affirmant que I'imminence ou non de la fln des temps
cultes au sein du royaume.
ne dépend pas des actions humaines, mais de la volonté divine.
Les provinces belges et néerlandaises, alors possessions es-
En t534-t535, la tension religieuse débouche sur le premier
pagnoles, sont touchées à partir de t566. La guerre civile
affrontement violent survenant en Europe. La secte millénariste
débouche en 1579 sur une partition, comme en Allemagne,
des anabaptistes prend Ie contrôle de Münster, où ses membres
entre Ie Sud catholique fidèle à l'Espagne (la Belgique) et le
convergent depuis toute lAllemagne pour y ériger la « Nouvelle
Nord réformé (les Pays-Bas), qui proclame son indépendance
Sion », appelée à être la seule rescapée de la fin du monde.
en 1581. En Angleterre, où s'ajoute aux rivalités religieuses le
La propriété collective, Ia polygamie et Ia justice biblique y
conflit politique entre le Parlement et le roi, guerres civiles et
règnent, au prix d'une répression de tous Ies opposants et
révolutions règnent également. EIIes dureront de t64z à t688
non-conformistes... finalement assez semblable à celle prati-
quée par le califat de Daech auiourd'hui ! Assiégés et affamés
Comment parvient-on à rompre avec un tel cycle de violences ?
par Ies princes, les anabaptistes seront massacrés et dispersés.
Comme pour le djihad actuel, ce sont des noyaux durs de
Dans le même temps, un nombre croissant de villes et de princes
du Saint Empire romain germanique ont adopté l'interprétation
militants actifs qui créent les événements et la propagande,
Iuthérienne et formé en 153r la ligue de Smalkalde. En 1546, la entraînant les foules derrière eux. Mais il existe dans Ie cas de
guerre entre la ligue et l'empereur Charles Quint éclate. Elle se nos guerres de religion européennes un troisième protagoniste
termine en 1555 par Ia paix dAugsbourg, sur le principe Cuius entre les deux camps, que l'on appelle en France les « moyen-
regio, ejus religio : les suiets du détenteur de l'autorité civile neurs », puis les « politiques ». Il ne s'agit pas ici de laïcité ;
(seigneur, évêque, ville...) devront adopter le choix religieux simplement, ces personnes estiment qu'on ne peut régler la
de celui-ci. Il en résulte une incroyable marqueterie qui main- question de la différence religieuse par la guerre, car celle-ci
tiendra la paix en Allemagne jusqu'en r6t8. est contraire à l'ordre divin.
Mais la guerre reprend, d'une violence inédite. A sa dimension A partir de y76,la guerre en France oppose ainsi catholiques
religieuse se superposent les ambitions politiques et terri- modérés et catholiques « exclusivistes », les premiers parve-
toriales des monarchies européennes. Elle durera trente ans, nant à imposer aux seconds, grâce à I'alliance avec les armées
jusqu'en t648. Elle se termine par Ia paix de Westphalie, sur la huguenotes, ce qui sera l'édit de tolérance. Henri IV est alors
base du statu quo ante : les principes dAugsbourg sont main- décrit comme « le roi de la raison » qui doit imposer la paix
tenus ; seules les frontières, superposant territoire et religion, sur terre. Le penseur italien Giovanni Botero OSqq-t6l7) publie,
sont modifiées. en 1585, De la raison d'Etat.
48 La culture {ÿ
L'ESSENTIEL DU COURS L.ESSENTIEL DU COURS
de notre propre identité : c'est parce que l'homme est en quête de institutions lui serait comme étrangère : le second moment de la
lui-même, parce qu'il est un être inachevé qui ne sait rien de son Selon Hegel, parvenir à la conscience de soi implique deux mouve- prise de conscience de soi est effectué par le cheféclairé (par exemple
Le travail de l'historien est un travail d'interprétation : il ne s'agit
pas simplement pour lui de faire une chronologie, mais d'établir le avenir, qu'il s'intéresse à son passé. Par l'histoire, l'homme construit ments : poser un objet extérieur à soi et le reconnaître comme étant Napoléon) qui s'identifle aux institutions d'un peuple et qui, animé
et maintient son identité dans le temps. soi-même. C'est ce qui arrive lorsque je contemple mon image dans par la passion du pouvoir, les réforme et les impose autour de lui.
sens et l'importance des événements ainsi que leurs relations. Selon
un miroir et que je la reconnais (et c'est iustement ce dont tous les
animaux sont incapables).
Alors, quel est l'objet extérieur à lui qu'un peuple pose, et comment
le reconnaît-il comme étant lui ? Pour Hegel, l'obiet posé, ce sont les AUTEU RS CLÉS
MOTS CLÉS institutions : institutions chargées de régir la vie
c'est en créant des
en communauté qu'un peuple parvient à l'existence. Les institutions dominé par la dialectique, ou
qui a été établl par les hommes processus de dépassement des
Philosophe allemand (r833-19u)
Du grec historia, « enquête ». Doctrine qui consiste à penser que (langage, traditions, mæurs, Étymologiquement parlant, la té- contradictions.
qui influença le mouvement phé-
Ce mot recouvre principale- tout doit être compris à partir d'un règles, etc.). Il n'y a pas de socié- léologie désigne l'étude, la science noménologique par la distinction C'est en effet une philosophie du
ment deux significations, que point de vue historique. Lhistori- té sans institutions, c'est-à-dire (/ogos) des flns (telos). Est dit té-
MOTS CLÉS qu'il établit entre les sciences de processus réconciliateur, et en ce
la langue allemande distingue : cisme est donc une forme de re- sans organisation des activités léologique tout processus tem- la nature, qui s'attachent à ex- sens une philosophie de l'histoire,
le devenir historique lui-même, lativisme théorique qui soutient humaines dans des structures porel qui vise la réalisatlon d'une TEMPS DE L,HISTOIRE ET Le temps de l'histoire est linéaire : pliquer par les causes, et « les qui montre comment l'esprit par-
comme ensemble d'événements que toute chose (factuelle ou théo- réglées. Linstitution est donc TEMP§ DE LA NATURH nous pouvons nous représenter sciences de l'esprit », oit il s'agit üent à se conquérir lui-même en
fin. Par exemple, le processus na-
(Geschichte), et la connaissance rique) vaut en fonction de la place cæxtensive à l'humanité. Le temps de la nature est circu- l'histoire sous forme d'une chro- de comprendre du sens. s extériorisant dans le monde par ses
turel qui consiste pour un chiot à nologie ou d'un déroulement
du passé que l'historien essaie de qu'elle occupe dans l'histoire. laire, il suit des cycles (iours, sai- créations, en particulier luridiques
constituer (Historie). La première devenir chien (sa fin) est un pro- successif d'événements. Ce dérou-
sons, génération et corruption). et artistiques. Hegel souligne que ce
signiflcation pose le problème du Interpréter, c'est donner une signi- cessus téléologique. La question On ne peut concevoir l'histoire lement dans le temps donne un Philosophe allemand (t77o-t83t). mouvement de sortie hors de soi et
sens et de la finalité de l'histoire ; Par opposition à ce qui relève de flcation à un phénomène. Linter- se pose de savoir si les processus de manière cyclique, car cela im- sens à I'histoire : il y a un passé Il s'est attaché à réconcilier le réel de retour à soi à partir de l'extériorité,
la seconde, celui de la scientificité la nature, peut être considéré prétation est un des moments fon- historiques eux-mêmes sont de pliquerait un éternel retour, sans distinct de l'avenir, et un déroule- et la pensée au sein d'une philoso- n'est rien d'autre que le mouvement
de la discipline de l'historien. comme une institution tout ce damentaux de la compréhension. nature téléologique. progrès possible. ment irréversible. phie conçue comme un système même de la conscience.
5o La culture §1
UN SUIET PAS A PAS
Dissertation :
Les hommes savent-ils l'histoire qu'ils font ?
- conscience et savoir de l'acte c/ Les hommes connaissent le passé grâce à l'étude critique des docu-
effectué. ments.
- responsabilité et volonté de l'acte Transition : N'existe-t-il pas iustement des divergences d'interprétation
effectué. sur un même événement ?
. L'histoire:
II. Uhistoire est trop complexe.
- ensemble des événements pas- Jules César.
a/ Toutes les répercussions d'une décision sont impossibles à prévoir,
sés, à l'échelle de la société, de la
tant Ies facteurs sont nombreux.
nation, de l'humanité. b) Les acteurs de I'histoire nbnt pas le recul critique des historiens qui
- discipline qui étudie et explique ces événements. étudieront Ia période.
. Les hommes :
c/ On peut même se demander s'il n'existe pas un processus de lois supé-
- tout ou chaque individu, en tant qu'il participe à Ia vie collective. rieures qui se développent à l'insu des acteurs de l'histoire (ex. : la ruse
- Ies historiens, Ies grands personnages historiques. de la Raison analysée par Hegel; la lutte des classes analysée par Marx).
II. Les points du programme
. Lhistoire.
. La conscience.
Transition: Dans ce cas, n'y a-t-il pas une bonne connaissance des lois de
l'histoire ? LA RAISON ET LE REEL
III. IJhistoire peut être dangereuse.
. La vérité.
a) La causalité historique n'est ni totalement aléatoire ni totalement
. La liberté.
nécessaire ou prévisible.
b) Affirmer connaÎtre avec une certitude ce que l'histoire va réaliser est
Ie propre des régimes totalitaires.
Le protocole de Kyoto atteste que les hommes ont conscience qu'ils
bâtissent leur avenir.
Les hommes ne savent pas l'histoire qu'ils font et ne s'entendent pas tous
sur I'histoire qu'ils veulent. Mais les leçons de l'histoire permettent de
Les actes et les motivations des grands personnages politiques, tout donner un certain cadre à nos actions.
comme ceux, à moindre échelle, de tout un chacun, ne sont-ils pas
conscients et lucides ? Mais n'est-ce pas touiours après coup que l'histoire
et les historiens peuvent iuger de ce qui s'est réellement produit ? Ce qu'il ne faut pas faire
Parler uniquement de l'histoire au passé :
faite, vue et iugée au présent.
il s'agit ici de l'histoire
I a
7 I 1, ,
I. Les actes et les motifs humains sont conscients.
a) L'Histoire résulte de décisions humaines : guerres, changements de
Les bons outils
régime... . Lathéoriede « la ruse de la raison » de Hegel (IaRaisondansl'histoirel.
b,) Tous les actes de l'homme s'accompagnent de conscience, psycholo- . Lanalyse des conditions dans lesquelles l'histoire se déroule pour
gique et morale, à la différence des animaux. l'homme, chez Marx (L'Idéolog ie allemande).
TEXTE CLÉ
Dans cet extrait, Schopenhauer la simple coordination. Il n'y a le particulier, d'apercevoir, du et n'existe plus iamais ensuite.
donc pas de système en histoire, moins dans de certaines limites, De plus, si l'histoire s'occupe ex-
entend montrer que l'histoire
comme dans toute autre science. la possibilité des choses com- clusivement du particulier et de
ne peut pÉtendre au titre de prises dans leur domaine, de se l'individuel, qui, de sa nature, est
Lhistoire est une connaissance,
science, du Jait qu'elle n'a pas sans être une science, car nulle rassurer enfin aussi contre les inépuisable, elle ne parviendra
p our obi et I' univ er sel. part elle ne connaît le particulier surprises de l'avenir. Les sciences, qu'à une demi-connaissance tou-
Seule l'histoire ne peut vraiment par le moyen de l'universel, mais systèmes de concepts, ne parlent iours imparfaite. Elle doit encore
pas prendre rang au milieu des elle doit saisir immédiatement lamais que des genres : I'histoire se résigner à ce que chaque jour
autres sciences, car elle ne peut le fait individuel, et, pour ainsi ne traite que des individus. Elle nouveau, dans sa vulgaire mo-
pas se prévaloir du même avan- dire, elle est condamnée à ramPer serait donc une science des in- notonie, lui apprenne ce qu'elle
tage que les autres : ce qui lui sur Ie terrain de l'expérience. Les dividus, ce qui implique contra- ignorait entièrement.
manque en effet, c'est le carac- sciences réelles au contraire pla- diction. II s'ensuit encore que les
tère fondamental de la science, nent plus haut, grâce aux vastes sciences parlent toutes de ce qui Arthur Schopenhauer,
la subordination des faits connus notlons qu'elles ont acquises, et est touiours, tandis que l'histoire Le Monde commevolonté
dont elle ne peut nous offrir que qui leur permettent de dominer rapporte ce qui a été une seule fois et comme représentation
l',
L,ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS
-l
Tout d'abord, remarquons qu'il n'y a pas d'expérimentations dans
Ies sciences pures comme les mathématiques. Lexpérimentation
On oppose souvent un savoir théorique et « abstrait » à !'expérience supposée scientiflque, qui a pour but de soumettre une théorie à l'épreuve des
I'homme d'expérience n'est pas I'expérience sensible dont parle Kant, ni non plus des processus visant à restreindre et à
en ieu dans le résultat flnal.
contrôler les paramètres entrant
I'expérience scientifique (ou expérimentation). ll ne faut pas alors opposer à chaque Ainsi, l'expérimentation scientiflque se fait en laboratoire, et non en
fois théorie et expérience : I'expérience est au contraire un moment nécessaire de la pleine nature, parce qu'il s'agit de simplifler Ies mécanismes naturels
connaissance. en restreignant Ies causes d'un phénomène pour ne retenir que celles
qui seront testées dans le protocole ; on compare ensuite les résultats
obtenus lorsqu'on fait varier un paramètre donné.
réponds en un mot de l'expérience : c'est là le
« |e
fondement de toutes nos connaissances ; et c'est de là
Le temps n'est pâs qu'une puissance d'usure et d'amoindrissement, qu'elles tirent leur première origine. » (Locke)
car ie peux touiours tirer quelque chose des jours qui passent : au sens Alors que I'expérience sensible nous est donnée immédiatement,
courant, I'expérience est alors cette sédimentation en moi d'un passé l'expérimentation, elle, est construite. Elle suppose au préalable un
me permettant de faire mieux et plus vite ce que i'accomplissais travail théorique de l'entendement : elle n'a en science qu'une fonction
auparavant péniblement. « C'est en forgeant qubn devient forgeron », de conflrmation ou d'inflrmation d'hypothèses théoriques qui ne
disait Aristote : l'expérience me livre un savoir qui n'est pas théorique sont pas, quant à elles, tirées directement de I'expérience. On pourrait
alors soutenir, avec Karl Popper, que les sciences expérimentales ne
et qui ne s'enseigne pas. Ainsi, je ne peux pas transmettre à d'autres
reçoivent qu'un enseignement négatif de l'expérience : l'expérimen-
;
ce que l'expérience m'a appris : c'est ce qui oppose le savoir-faire de
l'expérience et le savoir théorique qui, lui, peut s'enseigner, parce qu'il tation est incapable de prouver qu'une théorie est vraie, elle pourra
repose sur des règles connues et transmissibles. seulement montrer qu'elle n'est pas fausse, c'est-à-dire qubn ne Iui a
pas encore trouvé d'exception. En effet, l'expérimentation repose sur le
principed'inductioq qui dit qu'une théorie confirmée ungrand nombre
MOTS CLÉS
MOTS CLÉS - l'expérience scientifl que, c'est-à- d'une construction théorique pré- s'impose à l'esprit avec clarté et
Descartes oppose la déduction, dire l'expérimentation, qui est un alable, surtout en science. distinction. Lintuition s'oppose
expérience et conditionne notre lois, l'homme, comme sujet libre, voient les signes du langage, per- comme raisonnement démons- dispositif réglé de vériflcation des à la déduction, qui parvient à
connaissance du monde. S'oppose et toutes les activités humaines, mettent d'organiser et de classer tratif qui conclut à partir de pré- théories scientifiques ; la vérité par la médiation de la
Du latin abstrahere, « tirer, enle- Mode de raisonnement qui
ver ». Constitutive de la pensée àa posteriori. doivent être compris, car ils sont notre saisie du réel. misses, à l'intuition, qui est la - le savoir-faire technique acquis démonstration. Chez Kant, l'in-
consiste à tirer des lois générales
et du langage, l'action d'abstraire porteurs de sens, d'intentions, saisie immédiate de l'évidence de à force de pratique ;
de faits particuliers. tuition désigne la façon dont un
est l'opération de l'esprit qui isole, de projets, qu'aucune causalité Est concret l'image qui est l'idée vraie. Une déduction est va- - Ia sagesse acquise par l'homme Le raisonnement inductif s'op- obiet nous est donné ; tout donné
pour le traiter séparément, un Distinction posée par Dilthey stricte ne peut expliquer. toujours l'image d'un obiet lide quand elle respecte les règles d'expérience au contact des pose au raisonnement hypothé- étant nécessairement sensible, il
élément d'une représentation ; pour rendre compte de la diffé- en par.ticulier. de la logique. épreuves de la vie. tico-déductif, qui part d'hypo- ne,pourra y avoir pour l'homme
la blancheur, la liberté, sont des rence entre les sciences de la na- Du latin conceptus « recu, saisi ». thèses générales pour en inférer que des intuitions sensibles, et la-
abstractions. ture et « les sciences de l'esprit » Produit de la faculté d'abstrac- On peut distinguer quatre Un fait est une donnée consta- des conséquences particulières. mais, comme Descartes le soute-
:
Du latin cognitio, « action d'ap- sens
alors que les phénomènes natu- tion, un concept est une catégorie prendre ». Activité de l'esprit principaux de l'expérience : table de l'expérience, dont I'ob- nait, des intuitions intellectuelles.
Formule latine signifiant « à par- rels nécessitent une approche ex- générale qui désigne un caractère par laquelle l'homme cherche à - l'expérience sensible, c'est-à- iectivité est cependant discutable, Du latin intuitus, « regard ». Chez Kant appelle intuitions pures, ou
tirde ce qui vient avant ». Désigne plicative, en ce qu'ils obéissent à commun à un ensemble d'indivi- expliquer et à comprendre des dire ce que les sens nous révèlent dans la mesure où son sens dé- Descartes, acte de saisie immé- formes a priori de la sensibilité,
ce qui est indépendant de toute des causes déterminables par des dus. Les concepts, auxquels ren- données sensibles. du monde ; pend de son interprétation et diate de la vérité, comme ce qui l'espace et le temps.
du xvrr'à la fin du xvrrr" siècle, s'est formé, de part et d'autre de la Manche, !e discours que « primus inter pares ». liens noués entre les pratiques scientifiques et les conventions
expérimental. A partir des commencements du XVIII" siècle, ni Ie témoignage rhétoriques, entre les communautés savantes et les détenteurs
aristocratique, ni la démonstration spectaculaire ne sufflsent plus des pouvoirs, que peut être véritablement construite une histoire
à faire preuve. Celle-ci réside désormais dans Ia possible réplication des modalités du « dire vrai » selon l'expression de Foucault et des
Au XVII" siècle, la connaissance de Ia nature emprunte une voie trouvent fort démunis. En effet, les épreuves empiriques, dont Ia des expérimentations. répétition des mêmes « effets » devient le
La figures discontinues de la rationalité. Belle manière, ie pense, de
nouvelle : celle de l'expérimentation. Le vieux savoir des « lieux reproduction à l'identique est quasi impossible en l'absence d'ins- gage de Ia régularité et de la stabilité des phénomènes. Elle permet réconcilier ces frères (faussement) ennemis que sont i'épistémo-
communs », qui ne donnait pas plus d'autorité à la chose vue truments strictement semblables, ne donnent pas d'elles-mêmes de construire des systèmes de causes, et non plus seulement de logie philosophique et I'histoire sociale des sciences.
qu'à la chose lue, s'en trouve battu en brèche. Mais, à leur tour, les la connaissance de lbrdre, supposé stable, des phénomènes. Si le simples conjectures. Elle autorise également à transposer les
expérimentateurs voient dénoncés par tous ceux qui opposent
se raisonnement logique affirme d'emblée l'universalité de ses pro- expériences de laboratoire en procédés exploitables dans les Roger Chartier,Le Monde daté du 29.c-3:996
aux hésitations des expériences empiriques les certitudes des positions, I'expérimentation propre aux « sciences baconiennes » ateliers et Ies manufactures ce qui conduit Christian Licoppe à la
démonstrations logiquement articulées à partir d'un corps de (lbptique, la pneumatique, Ie magnétisme, etc.) ne peut avoir une qualifier de preuve « utile ».
postulats et d'hypothèses irréfutables. La controverse entre Boyle telle assurance. II lui faut passer du « récit » au « discours », de Ia I « utilité » définit une modalité nouvelle des échanges entre les
et Hobbes, étudiée par Steven Shapin et Simon Schaffer, donne singularité de I'expérimentation racontée à Ia régularité objective savoirs et les métiers. Depuis longtemps, les livres de secrets arti-
une formulation exemplaire des polémiques qu'ouvre le recours des faits naturels. Entre 1630 et 1820, Ies réponses apportées à ce sanaux fournissaient à la philosophie naturelle Ies descriptions de
redoutable défi ne sont pas demeurées les mêmes. Ce sont leurs procédures techniques qui lui étaient nécessaires pour constituer Dans cet article, Roger Chartier évoque la façon dont l'historien
à l'expérience.
Christian Licoppe considère la place de I'expérience scientiflque à
Les observations et les manipulations transforment profondément variations, leur succession ou leur recouvrement, qui constituent un vaste répertoire de « lieux communs » naturels. Au XVIII" siècle,
partir de l'époque moderne : I'expérience devient expérimentation,
Ies conditions d'élaboration, de validation et de transmission l'objet passionnant du livre. Ies termes de l'échange s'inversent. Ce sont les expérimentations c'est-à-dire moyen d'élaborer et de prouver des théories scientiflques qui
de laboratoire qui sont proposées aux métiers, soit par Ia média- rendent raison des phénomènes. Ainsi, la science acquiert un fondement
du savoir. Elles inscrivent le travail scientifique dans l'espace Christian Licoppe distingue trois régimes de Ia preuve expérimen- solide qui permet la démonstration et la réfutation de théories surla base
du laboratoire et requièrent des machines ou des instruments tale. Le premier doit rompre avec I'ancienne distinction, venue tion de I'Etat, comme en France, soit par des transactions directes de preuves.
compliqués et cotrteux. Et, pour que leurs résultats puissent être de I'aristotélisme, qui afflrmait la primauté de l'expérience du entre les savants et les entrepreneurs comme en Angleterre.
connus et tenus pour vrais au-delà du lieu même où ils ont été sens commun (l' experientia), par définition partagée et générale,
obtenus, elles ont besoin d'une nouvelle forme de discours de sur l'épreuve artifi cielle (l' experimentum), touiours particulière, i'i'.|;;i.l r:ir:i r:.tr"rt, ; i, j, I
savoir : le récit d'expérience. aléatoire, donc moins convaincante. La promotion de I'expérimen- Dans le dernier tiers du XVIII" siècle, une triple séparation modifle,
C'est à ce genre que Christian Licoppe s'est attaché dans un livre tation au XVII" siècle reste marquée par cette infériorité première. une nouvelle fois, le mode de validation des observations. Sépa-
intelligent et srhr. Son titre modifie d'un mot celui d'un grand Pour s'imposer, la preuve expérimentale doit remplir deux ration, d'abord, entre le récit des circonstances de I'expérience et
classique puisqu'il dit « pratique scientifique » là où Bachelard, en conditions. D'une part, puisqu'il est fort difficile de reproduire les l'administration de la preuve, renvoyée aux rapports constants
1938, disait « esprit scientifique ». Il indique ainsi clairement les expériences, leurs résultats doivent être accrédités par des témoins existant entre des valeurs numérisées. Séparation, ensuite, entre
préférences de Ia nouvelle histoire des sciences, plus intéressée dont Ie rang et l'autorité garantissent la parole. D'autre part, pour la possible multiplication des réplications et l'énoncé de lois
par les instruments, les gestes, les « faire » que par les théories convaincre, l'expérimentation doit être spectaculaire, « curieuse ». générales dont la formulation ne dépend pas de ces répétitions.
et les systèmes. Mais, pour l'historien, les pratiques anciennes, De là, la forme donnée aux récits dont la démonstration se déploie Séparation, enfin, entre l'utilité et l'exactitude, entre les instru-
obiet fondamental de l'enquête, ne sont accessibles qu'à travers selon l'enchaÎnement « Xfit et X vit ». ments de mesure du savant et les machines des métiers.
les représentations que les textes en donnent. De Ià, la distinction Avec subtilité, Christian Licoppe note une différence dans la L'espace expérimental se trouve recomposé par la preuve
opérée par Licoppe dans les récits d'expérience qu'il a collectés caractérisation de ce « X » de part et d'autre de la Manche. En Angle- « exacte ». D'une part, le spectacle de Ia science, s'il garde ses
entre « ce dont on parle, comment on en parle et à qui on en terre, ou la publication imprimée des récits d'expérience devient adeptes, n'a plus rien de commun avec Ia procédure de la preuve,
parle ». Autrement dit, quelles sont les opérations décrites par ordinaire au cours du XVII" siècle, « X » est un «,Je » individuel, qui désormais déléguée aux instruments. D'autre part, la continuité
les discours ? Quelles sont les techniques rhétoriques et les convoque les lecteurs en tant que témoins virtuels de I'épreuve. et la précision des mesures, qui supposent une extrême discipline
procédures d'argumentation mobilisées pour administrer une En France, oir les comptes rendus des expérimentations faites à de Ia part de lbbservateur, éloignent la pratique expérimentale de
preuve ? Comment le texte désigne-t-il son ou ses destinataires ? lAcadémie des sciences restent manuscrits jusqu'à la fin du siècle, l'efhos aristocratique et la réservent à des exécutants mieux aptes
« X » est un « on » qui renvoie à l'autorité anonyme de l'assemblée à en accepter les contraintes. A I'intérieur de ce nouveau régime
:,!i I ;'il''i'i'
r ! iiirriii:li,.i: l.l savante. Si l'expérimentation s'accorde aisément avec l'autonomie de preuve, Christian Licoppe repère deux modalités différentes.
'i'ti
Dans Ies comptes rendus d'expérimentation, Ies auteurs affrontent des membres de la Royal Society à l'égarà de leur souverain, il n'en La modalité française minore les réplications, soumet le récit
nécessairement un difficile problème : comment articuler « Ie va pas de même en France ou les exigences publiques de Ia preuve des mesures au discours de la loi, et ne se préoccupe guère des
récit de ce quifut (une ou plusieursfois) et Ie discours sur les choses « curieuse » ne sont pas facilement accueillies par lAcadémie qui applications. Langlaise, à l'inverse, refuse d'extrapoler trop vite
comme elles sont (toujours) ». Face aux évidences logiques du tient sa légitimité collective et exclusive du roi seul. Le monarque à partir des mesures, s'attache à la répétition des expériences et
raisonnement hypothético-déductif, les tenants de l'expérience se absolu trouve, d'ailleurs, plus de contentement dans les disciplines à I'exactitude des instruments, et associe la science et les manu-
jr,'
l,i '1.".:.1
:
La raison et le réel §J
L ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
La démonstration
Comme le remarquait Husserl, la volonté de démontrer est apparue en GÈce
antique, aussi bien dans le domaine mathématique que dans celui de la logique. Etre . Les trois temps
rationnel, I'homme a en effet la possibilité d'articuler des jugements prédicatifs dans ?i de la découverte
scientifique
des raisonnements en trois temps nommés syllogismes, et qui sont la forme même (Nicolas Gompel
de la démonstration. et Beniamin
Prud'homme,
t
Le Monde Science
déduite). Mais il existe des combinaisons incorrectes, comme : « Tout A et médecine daté
est B, or quelque B est C, donc tout A est C » ; comme le montrera Leibniz, i du or.o6.zor6)
Il existe différents genres de ju- parmi les 5rz combinaisons syllogistiques possibles, 88 seulement sont j
gements prédicatifs qui vont concluantes. Les autres sont des paralogismes, c'est-à-dire des syllogismes
permettre différents types de formellement faux. Quelle que soit Ia combinaison, il faut en fait, pour
combinaisons. Il faut en effet dis- que le raisonnement soit concluant, que la conclusion soit déià contenue
Raphaë1, L'ÉcoledAthènes (détail). Euclide et Archimède entourés d'élèves
tinguer quatre quantités dans nos dans les prémisses : c'est seulement dans ce cas qu'elle est nécessairement
jugements (universelle, particulière, déduite, donc que le syllogisme est concluant du point de vue formel.
sens, inutiles. Elle ne saurait servir de méthode ou d'instrument (en grec des géomètres : on pose des définitions et des axiomes dont on déduit tout
indéfinie, singulière) et deux qua-
organon) à la connaissance en général. le reste, y compris l'existence et la nature de Dieu.
lités (affirmative et négative). Par
exemple, « tout S est P » est une
proposition universelle aff rmative, Telle que nous l'avons définie, la logique est une science formelle. Comme Y a-t-il une autre rnétl"rode pourdémontrer ?
et « quelque S n'est pas P », une telle, elle est une condition nécessaire, mais non sufflsante, pour la vérité Selon Pascal dans L'Esprit de la géométrie, c'est Ia mathématique, et plus
proposition particulière négative. exactement la géométrie, qui fournit à la connaissance le moyen de Leibniz montre qubn ne peut généraliser la méthode géométrique à toute
d'une démonstration : un syllogisme peut être concluant du point de
découvrir la vérité et de la démontrer : il ne faut employer aucun terme Ia connaissance : avec cette méthode, toutes les déductions reposent en
Pythagore. Produire une démonstration, alors, vue formel, et faux du point de vue matériel, c'est-à-dire eu égard à son
combiner ces différents ÿpes sans en avoir d'abord expliqué le sens, et n'affirmer que ce que lbn peut effet sur des termes primitifs indéflnissables, mais réputés parfaitement
c'est contenu. « César est un nombre premier ; or un nombre premier n'est
de propositions en syllogismes, en sorte que la conclusion s'impose néces- démontrer par des vérités déià connues. clairs et évidents. Or, pour Leibniz, l'évidence est un critère purement
divisible que par un et par lui-même ; donc César n'est divisible que par un
sairement. Or, ce que remarque Aristote, c'est que certaines combinaisons Pascal nomme « primitifs » des mots comme « espace » ou « temps », etc. : subfectif : quand ie me trompe, je prends une erreur pour une évidence,
et par lui-même » est un syllogisme formellement cohérent, mais absurde
ce sont des termes premiers à l'aide desquels ie définis la signification de en sorte que l'évidence n'est pas à elle seule le signe de Ia vérité.
sont possibles, mais que d'autres ne sont pas concluantes, quel que soit le matériellement (dans son contenu).
tous les autres mots. Vouloir définir le temps, c'est donc vouloir définir un Kant, surtout, va démontrer que la méthode géométrique n'a de sens qu'en
contenu des propositions - on dira en de tels cas que le raisonnement est D'ailleurs, un syllogisme pose ses prémisses comme étant vraies sans pour
terme simple et premier par une suite de termes dérivés et complexes, en mathématiques : la définition du triangle me dit ce qu'est un triangle, mais
formellement faux. La logique formelle a alors pour but de montrer quelles autant le démontrer. En fait, la Iogique n'a pas pour but de démontrer la
sorte que la définition serait elle-même plus compliquée que ce qu'elle est pas s'il existe réellement quelque chose comme un triangle. La méthode
sont ies formes possibles d'un raisonnement cohérent, c'est-à-dire d'établir les vérité des prémisses, mais d'établir toutes les déductions cohérentes
censée déflnir (autrement dit :ce n'est pas une définition !). Simplement, ce géométrique est donc incapable de passer de la définition à l'existence.
règles formelles de la pensée, indépendamment du contenu de cette pensée. qu'on peut en tirer : si i'admets que la maieure est vraie, et si i'admets
n'est pas parce que nous entendons intuitivement les mots primitifs que Cela n'a aucune importance en mathématiques : peu importe au mathéma-
que la mineure est vraie, que puis-ie en tirer comme conclusion ? Au
nous ne pouvons pas les définir: il faut plutôt dire que cette impossibilité ticien que le triangle existe réellement : pour lui, la question est simplement
début de chaque syllogisme, nous sous-entendons donc : « s'il est vrai
où nous sommes n'est pas un problème, parce que nous avons de ces de savoir ce que lbn peut démontrer à partir de la déflnition du triangle et
Un syllogisme est constitué de deux prémisses (une maieure et une que ». Les prémisses sont des hypothèses, et la logique en tant que telle ne
termes simples une entente intuitive et évidente. des axiomes de la géométrie. Mais quand la métaphysique entend démontrer
mineure) et d'une conclusion. Par exemple, « tous les hommes sont peut produire que des raisonnements hypothético-déductifs. La logique
La méthode géométrique ne nous conduit donc pas à vouloir tout définir, l'existence de Dieu selon une méthode mathématique, elle est dans l'illusion,
mortels (prémisse maieure), or tous les philosophes sont des hommes n'augmente en rien notre connaissance, elle ne fait qu'expliciter une
mais au contraire à partir de termes absolument évidents pour définir parce que les mathématiques sont iustement incapables de démontrer
(prémisse mineure) donc tous les philosophes sont mortels (conclusion) » : conclusion qui par déflnition devait déià être contenue dans les prémisses,
les autres et commencer nos déductions. C'est exactement ce que dit l'existence de leurs obiets. Selon Kant, le seul moyen à notre portée pour
c'est-à-dire,« Tout A est B, or tout C est A, donc tout C est B ». Ce syllogisme, en ne tenant en outre aucun compte du contenu même des propositions.
Descartes : la méthode de Ia connaissance, c'est la méthode géométrique, savoir si un objet correspond réellement au concept que nous en avons, c'est
constitué d'une majeure, d'une mineure et d'une conclusion universelles Aristote, nous dit Descartes, s'est trompé sur ce point : la logique, art de
qui consiste à déduire des vérités de plus en plus complexes à partir d'idées l'expérience sensible. Au-delà des limites de cette expérience, nous pouvons
affirmatives, est effectivement concluant (la conclusion est nécessairement la démonstration formelle, est l'art des démonstrations vides et en un
claires et distinctes. penser, débattre, argumenter, mais pas démontrer ni connaître.
Ainsi, dans son Éthique,spinoza va appliquer à la philosophie la méthode
MOTS CLÉS
MOTS CLÉS
une proposition démontréeTend de lier et de classer les intuitions
Du grec apodeiktikos, « démons- auiourd'hui à se confondre avec le sensibles, rendant ainsi possible Du grec épistémé, « science »,
postulat, pour désigner un principe la connaissance. Elles sont regrou- tous nos jugements synthétiques son contraire en même temps. ment. Lexemple le plus célèbre
tratif iugement apodictique
». Un et logos, « discours ». Partie de
accepté de manière purement hy- pées sous quatre rubriques : quan- ne sont pas empiriques : il existe Ainsi, si S (le suiet : un chien par de syllogisme est le suivant : Ious
énonce une vérité nécessaire ; la philosophie qui étudie la dé-
c'est le cas des propositions de la pothétique, sans que sa vérité ou sa tité, qualité, relation et modalité. marche scientiflque et s'interroge
Distinction kantienne. Un juge- des iugements synthétiques a exemple) est A (son prédicat : les hommes sont mortels (t), Or les
logique et des mathématiques. fausseté puisse être tranchée. sur les fondements de la science
ment analytique est un iugement priori, par exemple dans les pro- roux par exemple), il ne peut pas Grecs sont des hommes (z), Donc
Se distingue chez Kant du jugement et la validité de ses énoncés.
dont le prédicat est tiré du sujet, positions des mathématiques et être dans le même temps ne pas les Grecs sont mortels (3). Les pro-
Du latin cognitio, « action d'ap- et qui, de ce fait, n'est qu'une ex-
assertorique, qui énonce un fait de la physique pure. être A (le chien n'est pas rouxl. positions 1 et 2 étant posées, la 3"
Chez Aristote, les catégories dé- prendre ». Activité de l'esprit par plicitation qui ne nous apprend
contingent, simplement constaté, C'est là une impossibilité logique. s'ensuit nécessairement.
signent les différentes modalités Iaquelle l'homme cherche à ex- Acte de la pensée par lequel on re- rien de neuf. À l'opposé, un ju-
et du iugement problematique, qui pliquer et à comprendre des don-
que prend le verbe étre dans les iu- lie un prédicat (P) à un sujet (S) au gement synthétique est un iuge-
énonce un fait possible.
gements prédicatifs (par exemple nées sensibles. moyen du verbe être.Le jugement ment dont le prédicat est ajouté Principe fondamental de la lo- Raisonnement logique constitué Proposition répétitive dans la-
le lieu, la quantité, la qualité, etc.). Le problème de l'origine et du fon- prend donc cette forme : 5 est P. au suiet sans qu'il en ait été tiré. gique énoncé par Aristote et qui de deux premières propositions quelle le prédicat est identique au
Principe premier indémontrable Chez Kant, les catégories sont les dement de la connaissance, ainsi Par exemple, le chien (S) est roux Il n'y a de connaissance nouvelle pose qu'il est impossible d'af- (prémisses), à partir desquelles on sujet. Elle prend la forme logique
d'un raisonnement déductif. Se concepts a priori fondamentaux que celui de ses limites, oppose en (P) est un iugement d'expérience. que si le iugement qui l'énonce flrmer d'une chose (un sujet) peut déduire une troisième pro- suivante : A est A. Par exemple :
distingue du théorème, qui est de l'entendement, qui permettent particulier Kant et les empiristes. est synthétique. Kant montre que quelque chose (un prédicat) et position qui en découle logique- un chien est un chien.
58 La raison et le réel §ÿ
UN SU]ET PAS À PAS L,ARTICLE DU TIIIONûE
TEXTE CLÉ De nouvelles expériences permettront de consolider et de Le Monde Science et médecine daté du 01.06z016
Dans cet extrait, Pascal monffe core plus éminente et plus ac- qué nettement le sens ; I'autre, positions qu'on voudrait prouver
que le raisonnement géomé- complie, mais oir les hommes de n'avancer iamais aucune pro- en supposeraient d'autres qui les
ne sauraient iamais arriver : car position qu'on ne démontrât par précédassent ; et ainsi il est clair
trique est le modèle de tout rai-
ce qui passe la géométrie nous des vérités déjà connues ; c'est- qu'on n'arriverait jamais aux pre-
sonne ment dé mo nstrat if, mê me
surpasse ; et néanmoins il est né- à-dire, en un mot, à définir tous mières. Aussi, en poussant les re-
si toute démonstration ne peut cessaire d'en dire quelque chose, les termes et à prouver toutes les cherches de plus en plus, on arrive
s' établir g
éométriquement. quoiqu'il soit impossible de le pra- propositions. [...] Certainement nécessairement à des mots primi-
fe ne puis faire mieux entendre tiquer. Cette véritable méthode, cette méthode serait belle, mais tifs qu'on ne peut plus définir, et
la conduite qu'on doit garder qui formerait les démonstrations elle est absolument impossible : à des principes si clairs qu'on n'en
pour rendre les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il car il est évident que les premiers trouve plus qui le soient davan-
convaincantes, qu'en expliquant était possible d'y arriver, consiste- termes qu'on voudrait définir tage pour servir à leur preuve.
celle que la géométrie observe. rait en deux choses principales : en supposeraient de précédents
Mais il faut auparavant que je 1'une, de n'employer aucun terme pour servir à Ieur explication, et Pascal, Pensées
donne l'idée d'une méthode en- dont on n'eût auparavant expli- que de même les premières pro-
La raison et Ie réei 61
L ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
nimés, c'est-à-dire ceux qui ont dans Ia cicatrisation : Ie vivant produit lui-même sa propre forme
une âme et ceux qui en sont et est capable de la réparer. Ensuite, tout être vivant possède une
dépourvus. Aristote nomme invariance reproductive : les systèmes vivants en produisent d'autres Remarquons le paradoxe : pour connaitre le vivant, il faut le détruire.
Cellules sanguines.
donc « âme » Ie principe vital de qui conservent toutes les caractéristiques de I'espèce. Enfin, tout La dissection tue l'animal étudié, et Ia biochimie énonce des lois qui
tout être vivant, et en distingue être vivant est un système oil chaque partie existe en vue du tout, ne sont plus spéciflques au vivant : une cellule cancéreuse, une cellule
vivant comme un objet d'études, mais comme un suiet ouvert à un
trois sortes. L'âme végétative tout n'existe que par ses parties : le vivant se caractérise par
et oir le saine et même la matière inerte obéissent aux mêmes lois chimiques. milieu avec lequel il est en constante interaction.
est la seule que possèdent les sa téléonomie, parce que c'est la fonction qui déflnit l'organe. On La vie est un concept que la biologie n'a cessé de réfuter, parce qu'il Comprendre le vivant, ce n'est pas le disséquer ou l'analyser, c'est
végétaux : elle assure la nutri- nomme organisme cette organisation d'organes interdépendants n'est pas étudiable scientifiquement :les problèmes éthiques contem-
établir les relations dynamiques qu'il entretient avec son environ-
tion et la reproduction. À celle- orientée vers une flnalité. porains se posent, parce que pour le biochimiste, il n'y a plus de vie à
nement : chaque espèce vit dans un milieu unique en son genre et
ci s'ajoute, chez les animaux, respecter (il n'y a pas de vie dans une molécule d'mN), il n'y a qu'une n'est sensible qu'à un nombre limité de stimuli qui définissent ses
Bergson. organisation particulière de la matière.
l'âme sensitive, principe de la possibilités d'action. La vie se déflnit alors non comme un ensemble
sensation. Lhomme est Ie seul Bergson montre que l'intelligence a pour rôle d'analyser et de décom-
de normes et de lois analysables, mais comme une « normativité »
plus une âme intellective, principe Dans le vivant, Ia vie semble être à elle-même sa propre flnalité : c'est poser : au fur et à mesure qu'elle s'empare du vivant, elle le décompose (Canguilhem). Ce qui caractérise le vivant, ce n'est pas un ensemble
de tous les vivants à posséder en
de la pensée.
ce que Kant nomme la « flnalité interne ». Le vivant veut persévérer en des réactions mécaniques qui nous font perdre le vitalisme de Ia vie. de Iois mécaniques, c'est qu'il est capable de s'adapter à son milieu en
dans l'existence, et c'est pourquoi il n'est pas indifférent à son milieu, établissant de nouvelles normes vitales.
On voit ici que l'âme végétative est de toutes la plus fondamentale :
mais fuit Ie nocif et recherche le favorable. La vie veut vivre : tout dans La biologie est-elle une
« se nourrir, croître et dépérir par
pour Aristote, vivre, c'est avant tout science impossible ?
soi-même ». Cela signifie que le vivant se différencie de l'inerte par l'être vivant semble tendre vers cette fin.
La biologie moderne se rap-
une dynamique interne, par une autonomie de fonctionnement qui Devant l'harmonie des différentes parties d'un organisme, il est
proche de plus en plus de la
manifeste dans un ensemble d'activités propres à maintenir la vie alors tentant de justifler l'existence des organes par la nécessité des
7,
I
se biochimie ; par là, elle perd son UN ARTICL§ DU MONDE À CONSUTTTN
l'individu comme de l'espèce. fonctions à remplir, et non l'inverse, en faisant comme si I'idée du
de objet : la vie. Le biologiste Jacob
tout à produire guidait effectivement Ia production des parties. Cela von Uexküll envisage une autre
. Les leçons de la nature p. 65
(Dominique Meyer, Le Monde daté ût z7lozoo4)
présuppose que l'effet ou la fin sont premiers, ce qui est scientifique- possibilité : ne plus considérer le
Le biochimiste )acques Monod pose trois caractéristiques propres au ment inadmissible : la biologie va opposer à notre compréhension Chromosome.
vivant : un être vivant est un individu indivisible formant un tout naturelle du vivant par les flns une explication mécaniste.
MOTS CLÉS
MOTS CLÉS
culturel. Aristote définit la na-
distingue radicalement des autres cependant démontrer l'existence Comportement automatique et Du grec, mèchané, « ruse ». Tra- ture comme ce qui possède en Du grec telos, « fin », et logos, « dis-
inconscient des animaux, sous la ditionnellement, la machine soi-même le principe de son cours ,. Étude de la finalité, en par-
Du latin anima, « souffle, principe Exigence ou nécessité naturelle, phénomènes naturels étudiés par d'une telle finalité objective dans
forme d'actions déterminées, hé- est considérée comme une ruse propre mouvement, autrement ticulier dans la nature vivante.
vital ». Désigne, chez Aristote, la d'ordre physiologique, dont l'as- les autres sciences (physique, la nature.
dit comme
réditaires et propres à une espèce, contre la nature. Elle sert de mo- ce qui possède une
forme immatérielle qui anime souvissement est nécessaire au chimie, biologie, etc.).
ordonnées en vue de la conserva- dèle à la science et notamment spontanéité autonome de déve-
tout corps vivant, et qui se ma- maintien de la vie. Est inné ce qui est donné avec un tion de la vie. Linstinct est sus- à la physique. La nature entière loppement. Doctrine issue dAristote qui pose
nifeste à travers les différentes À distinguer des besoins acquis But, intention. Parler de flnalité être à sa naissance et appartient ceptible d'adaptation chez les ani- peut ainsi être considérée comme
un principe vital dynamique
activités que sont la nutrition, la ou artificiels, d'ordre psycholo- pour rendre compte des activités
naturelle, c'est faire référence au de ce fait à sa nature. S'oppose à maux supérieurs. Seul l'homme une machine dont il s'agit de per-
sensation ou l'intellection. Les gique ou social. semble en être dépourvu, d'ou la cer les rouages.
Être composé d'organes différen- du vivant. Contre le matérialisme
fait que « la nature ne fait rien en acquis.
stoïciens et les épicuriens en font
nécessité de l'éducation.
ciés caractérisés par leur interdé- et le mécanisme, le vitalisme
une réalité matérielle. vain » (Aristote) : tout dans la na- Un des problèmes essentiels est pendance et leurs fonctions spé- pose l'irréductibilité des phéno-
Dans la tradition chrétienne et La biologie est l'étude, la science ture serait organisé suivant une de déterminer, chez l'homme, les Designe au sens large ce qui cifiques. Seul le vivant est ainsi mènes de la vie à leurs conditions
chez Descartes, l'âme est rappor- (logos) de la vie (bios). Ce terme a fonction, un but harmonieux. parts respectives de l'inné et de En physique une loi est une rela- existe indépendamment de organisé. physico-chimiques.
tée à la pensée, propre à l'homme ; été forgé au xrx' siècle dans le but Kant remarque cependant que l'acquis. tion constante à valeur univer- l'action humaine, ce qui n'a Par analogie, on parlera d'orga-
séparable du corps, elle est consi- de désigner la spécificité propre si, surtout dans Ie vivant, tout selle et nécessaire qui régit les pas été transformé. Naturel nisme à propos du corps sociai.
dérée comme immortelle. au phénomène de la vie qui se semble être flnalisé, on ne peut phénomènes naturels. s'oppose alors à artificiel, ou
ni cq,prtn tiot
VA peut-rt etre conslclere comme r oDleI Ilque Hostile ou accueillante,la nature cache aux hommes ses mystères, ne leuroffrant à étude de la symétrie des états physiques et postula que, pour un phénomène,
admirer que sa beauté. Mais les scientifiques, insatiables et fous du désird'en violer « les éléments de symétie des causes doivent se retrouver dans les effits produits ».
L'analyse du sujet u (,haque corps organiqr-re vivant les secrets, nous dévoilent sans cesse de nouvelles raisons d'être séduits. Autour Très récemment, Edouard Brézin a pu écrire ; « Ia symétie détermine le monde. »
I. Les termes du suiet est une espèce de nrachiue clivirte. , (t,eibniz) de nous, il n'y a pas de plus simples, de plus parfaites leçons d'harmonie qu'une Mais la nature aime aussi nous jouer des tours et cacher derrière une apparence
. Le vivant rose, le vol d'un oiseau ou le mouvement des vagues, mais c'est en biologiste que symétrique de remarquables asymétries. Non seulement notre cæur n'est pas au
:
j'aimerais vous parler d'autres accords de la nature, aux charmes plus austères. milieu de la poitrine, mais, à la suite de Pasteur, les biologistes ont découvert que les
- tout élément
sens scientiflque, Le vivant répond à des lois qui échappent encore à la connaissance Chacun de nous, l'éphémère,lbliüer millénaire, naÎt d'une seule cellule, fruit de tant molécules constitutives du monde vivant étaient, comme la main, non identiques
possédant des propriétés biolo- humaine, et rien n'est exactement identique entre deux organismes d'attirance. Un miracle qui représente, aux yeux de François lacob, « le phénomène à leur image dans un miroir, et cette chiralité s'est révélée universelle ; ainsi, les
giques. semblables. hélices dADN tournent vers la gauche chez tous les êtres vivants. Cette différence
le plus stupéfiant, I'histoire la plus étonnante qubn pLtisse raconter sur cette terre ».
. Peut-il être considéré comme :
Transition: Pourtant, le clonage est désormais réalisable sur des animaux. Cette histoire commence avec l'espoir de toute cellule : se diviser. Encore faut-il avec la matière inerte reste l'une des énigmes concernant lbrigine de la vie.
- sens théorique et descriptif, II. Le vivant possède des propriétés mécaniques, naturelles ou qu'elle le fasse au bon moment, au bon endroit, de bonne façon, comme l'exige la Construits avec tant de rigueur, tant de raffinement, mais tant d'aléas, les êtres
« compris », « expliqué » selon le nsémination artif icielle
I
artificielles. construction réussie d'un organisme vivant. vivants émerveillent par la richesse de leurs fonctions, fonctions éparses que
modèle de lbbjet technique. Cette aventure risquée suppose un enchaÎnement parfaitement harmonieux entre Claude Bemard aura le génie de rapprocher :« Ious les phénomènes du corpsvivant
a) La notion de finalité et de fonction iustifie l'analogie entre la technique
sont dans une harmonie réciproque telle qu'ilparaîtimpossible de séparer une partie
- sens pratique et moral, « utilisé », « construit » de façon semblable à
et le vivant : chaque élément a sa place dans l'organisation d'ensemble - nombre à peine croyable - des centaines de milliers de réactions inscrites dans le
l'objet technique. programme génétique de chaque cellule, réactions qui se suivent, se chevauchent, de lbrganisme sans amener immédiatement un trouble dans tout lbnsemble. » Po:ol,
(c/. analyse de Descartes).
. Un objet technique : se croisent en un ballet d'une formidable complexité. asseoir sa thèse, il invente le concept de « milieu intérieur », entité groupant sang
b) Inversement, des organismes vivants sont utilisés, voire inventés et liquides organiques, sorte de mer intérieure protectrice qui baigne les cellules
Un défi pour les biologistes du développement, qui vont pas à pas proposer les
- obiet artificiel et non naturel. aujourd'hui, pour leur fonction et leur efficacité technique (ocna résistants clés de cette organisation a priori inextricable. lls découvrent que des gènes et s'efforce de les mettre à I'abri des tempêtes de l'environnement ;c'est ce qu'on
- oblet destiné à produire un résultat, à assurer une fonction. aux pesticides, cellules souches, etc.). régulateurs, innombrables architectes, induisent et maÎtrisent par de multiples appellera plus tard l'homeostasie.
II. Les points du programme Transition: Pourquoi continuer à faire une différence et quelle différence combinatoires hiérarchisées la destinée topographique et fonctionnelle des cellules Dès lors, les physiologistes vont penser autrement. Ils comprennent que chaque
- Le vivant. faire ? embryonnaires. Cellules ainsi conduites, après migration, à se différencier de façons organisme vivant doit être considéré comme un tout fonctionnel, véritable société
- La technique. III. Vivant et machine se distinguent par leur valeur. très variées pour constituer les divers organes, chefs-d'ceuvre de conception et de formée de cellules très diversement spécialisées, mais unies dans l'harmonie d'une
- La morale. a) tobiet technique n'a d'autre réalité que sa fonction. II est construit réalisation, de rigueur et de précision. aventure commune. Processus aussi wai pourle petit ver aux 959 cellules que pour
pour cela. Les plus fameux de ces gènes régulateurs ont eu Ie privilège d'enchanter les l'homme, qui en compte plus de roo ooo milliards. [...]
généticiens. Avec stupéfaction, ils ont découvert que les gènes de la famille Hox, Limmunologie réserve parfois des surprises, et plus elle a progressé, plus a
L accroche b) Le vivant est capable de s'adapter, et comprend un degré d'adaptation
été stupéfiante l'absence, chez les humains et les autres vivipares, de réaction
mettant en place le plan dbrganisation d'un embryon humain, étaient extrême-
Dans le film Iâscenseur (t984, Dick Maas), un obiet technique devient plus grand selon la complexité de son organisation (c;1. analyse de Bergson
ment proches de gènes iouant un rôle comparable chez un ensemble d'animaux immunologique de la mère vis-à-vis du fætus, bien que celui-ci soit étranger par
un organisme vivant. Or, sans qu'il s'agisse de science-fiction, peut-on montrant Ie lien entre la conscience et Ia vie).
et de végétaux. l'apport génétique paternel. Cette tolérance mystérieuse autorise la plus belle des
considérer le vivant comme un obiet technique ? c,) Parmi les êtres vivants, les hommes en particulier ne peuvent être réduits
La souris côtoie ici la célèbre mouche drosophile, mais aussi Caenorhabditis harmonies.
à une pure fonction, leur enlevant le statut de personnes. elegans, petit ver devenu la coqueluche des biologistes, et même une plante à C'est dans une tout autreforme d'interdépendance que üventbeaucoup d'animaux
La problématique fleurs, Arabidopsis thaliana. Ainsi, merveille de l'unité du monde vivant, nous et de végétaux. En voici trois exemples très courts :
Un organisme vivant a-t-il des propriétés et un mode de fonctionnement Conclusion partageons ces gènes rescapés de l'évolution avec nos ancêtres communs d'il y a - harmonie trop parfaite : les colonies de fourmis répètent inlassablement et
plus d'un milliard d'années. sans fantaisie ce que leur dicte leur programme génétique, avec, pour seul obiet,
qui l'apparentent à une machine ? Est-il légitime de l'utiliser et de le traiter Le vivant ne peut être considéré comme un simple obiet technique, non
Hélas, le chaos menace à tout instant l'harmonie du développement. On le découvre la reproduction de l'espèce ;
comme un obiet, en vue d'un résultat à produire ? parce que l'analogie est absurde théoriquement, mais parce que la confu-
lorsque l'un des exécutants de la fragile partition fait une fausse note : la moindre - harmonle trahie : les mitochondries de nos cellules et les chloroplastes des
sion est dangereuse pratiquement et moralement. végétaux, structures précieuses, étaient, dans un très lointain passé, des bactéries
mutation, le plus petit décalage dans l'expression d'un gène peuvent alors être
Le plan détaillé du développement redoutables. [...] vivant en symbiose, qui ont ultérieurement été annexées au détriment de leur
I. Le vivant a des propriétés et une valeur qui dépassent lbbiet technique. Les bons outils Claude Bernard a écrlt: « La vie c'est la création », tout en ajoutanT | « Lavie c'est la individualité;
. Bergson, Mdf ière et mémoire, La conscience de la Vie. mort », montrant ainsi combien construction et destruction sont complémentaires - harmonie pittoresque : « La Vanille et Ia Mélipone » pourrait être le titre d'une
a/ Le vivant possède la faculté autonome de se reproduire, de se déve-
. Descartes, Lettre au marquis de Newcastle (théorie des animaux dans la nature. Développant cette idée, il y a quelques mois, Nicole Le Douarin fable de La Fontaine. Elle raconterait comment des plants de vanille mexicains,
topper, grâce à ses échanges avec la réalité extérieure ; la machine, non
soulignait [...] à quel point la destruction cellulaire programmée, dénommée introduits à la Réunion, n'avaient pu s'y reproduire. Que leur manquait-il ? Tout
(c1Ê. distinction établie par Kant). machines, car étant dépourvus de pensées).
. Darwin, De lbrigine des espèces. « apoptose », compense la prodigalité de la nature et fait partie de l'embryogénèse. simplement leur compagne américaine pollinisante, l'hyménoptère mélipone,
b) Le vivant est un ensemble indéfectible, dont on ne peut simplement qu'aucun insecte réunionnais ne pouvait remplacer. [...]
Cette apoptose, en assurant la survie des cellules les plus utiles, représente donc
assembler et remplacer les parties de l'extérieur : une greffe est ainsi pour lbrganisme une forme d'harmonie mais, osons la contradiction, une funeste Privilégiés de l'évolution, nous ne sommes pourtant que l'un des éléments de
spontanément reietée par l'organisme. harmonie, fondée sur l'existence, dans chaque cellule, d'un programme génétique l'immense chaîne de solidarité des mondes animal et végétal, tributaires, nous
Ce qu'il ne faut pas faire
c,) Lbbiet technique est inventé, imaginé par l'esprit humain, et peut être létal. aussi, des cycles de l'azote, du carbone et de lbxygène, donc de la providentielle
Restreindre le devoir à des exemples de science-fiction, ou à des
produit en série. idées de « progrès » futurs. Lhécatombe est particulièrement lourde pour les cellules nerveuses embryon- photosynthèse placée sous la tutelle du Soleil.
naires. Les infortunés neurones qui ont développé peu de connexions ou les ont Dansles NouvellesNouritures,Gide dit à Nathanaël: « Tunhdmires pas cornmeil
mal conduites sont éliminés au profit d'une sorte de darwinisme neural, autrement lefaudrait ce miracle étourdissant quhst ta vie. » Ecoutons{e et goûtons ces har-
TEXTE CLÉ dit d'une sélection bénéfique. monies : ce sont nos vies, nos actions, nos plaisirs.
De même, certains d'entre nous ignorent peut-être qu'en souvenir de quelque
Dans cet extrait, Cuvier montre chacune d'elles, prise séparé- même que la nature ait placé dans conditions particulières résultent ancêtre aquatique leurs mains et leurs pieds étaient palmés à un stade de leur Dominique Meyer, Le Monde daté du z7.ro.zoo4
ment, indique et donne toutes les son cerveau l'instinct nécessaire des modifications de détail dans
à quel point la vie se définit développement, et qu'ils doivent la liberté de leurs doigts à une destruction
autres : ainsi, si les intestins d'un pour savoir se cacher et tendre les formes qui dérivent des condi- cellulaire opportune.
comme totalité organique de
des pièges à ses victimes. Telles tions générales ; ainsi non seule-
animal sont organisés de manière Plus tard dans la vie, l'apoptose va connaître des égarements : défaillante, elle POURqUOI CET ARTICLE ?
p arties indissociables, seront les conditions générales ment la classe, mais l'ordre, mais
à ne digérer que de la chair récente, épargnera d'indésirables cellules cancéreuses ; excessive, elle détruira de précieux
Tout être organisé forme un en- il faut aussi que ses mâchoires du régime carnivore : tout animal le genre, et iusqu'à l'espèce, se neurones. Dans cet article, la biologiste Dominique Meyer évoque le spec-
semble, un système unique et clos, soient construites pour dévorer destiné à ce régime les réunira in- trouvent exprimés dans la forme Enfln, surprise, mais confirmation de l'unité du monde vivant, ce phénomène tacle de Ia nature, étonnant et fascinant pour l'homme. Celui-ci y
dont les parties se correspondent une proie ; ses griffes, pour la sai- failliblement, car sa race n'aurait de chaque partie. conceme aussi les plantes et leur permet de se protéger de leurs ennemis en créant découvre une forme d'harmonie et de perfection, mais aussi de ieu
mutuellement et concourent à la sir et la déchirer ; ses dents, pour pu subsister sans elles, mais sous dans leurs feuilles ces trous qui nous intriguent, vraie stratégie de la terre brûlée. et de fantaisie qui l'amènent à la contemplation de la faune et de
même action définitive, par une Ia couper et Ia diviser ; le système ces conditions générales, il en Georges Cuvier, Discours sur les
Chez un très grand nombre d'êtres vivants, le développement conduit à un la flore. L auteur illustre ici à travers de nombreux exemples précis,
réaction réciproque. entier de ses organes du mouve- existe de particulières, relatives à révolutions de la surface du globe, organisme qui frappe par sa symétrie. Le sentiment d'harmonie inspiré par les empruntés à Ia biologie, le mystère et la perfection de la nature qui
Aucune de ces parties ne peut ment, pour la poursuivre et pour la grandeur, à I'espèce, au séiour et sur les changements qu'elles s).rnétries de la nature awaisemblablement accompagné l'homme dès ses origines, furent une source de questionnement philosophique depuis l'ori-
changer sans que les autres l'atteindre ; ses organes des sens, de la proie pour laquelle l'animal ont produits dans Ie règne animal probablement aussi contribué à son sens esthétique. Limportance de la notion de gine grecque de la philosophie.
changent aussi, et par conséquent pour l'apercevoir de loin ; il faut est disposé ; et de chacune de ces symétrie dans les sciences ne se limite pas aux êtres vivants. Pierre Curie fit une
La raison et le réel 6§
L,ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
1'esprit
Dans son ouvrage Matière et mémoire, Bergson entend réconcilier ce
La matière est ce qui est le plus élémentaire, au sens où c'est ce qui existe indé- que Descartes avait opposé et montrer que I'insertion de l'esprit dans
pendamment de I'homme, comme ce qui est susceptible de recevoir sa marque, la la matière est possible, parce que l'esprit et la matière ont au fond le
même mode d'être : ils sont deux formes de la durée.
marque de I'esprit. La définition est ici nominale : est matière ce qui n'est pas esprit,
La matière en elle-même n'est pas, comme le croyait Descartes, l'espace
et inversement. Pourtant, matière et esprit sont-ils deux réalités que tout oppose ? géométrique que nous présente la science, mais un ensemble de
vibrations continues, dont les moments se pénètrent sans rupture
double mouvement de sortie hors de soi et de retour à soi, ce qui comme les notes d'une mélodie. Nous n'envisageons la matière
l'oppose précisément à la matière, ou « être en soi », qui est incapable comme divisible en obiets extérieurs les uns aux autres que pour les
Couramment, la matière dé- de sortir hors de ses propres limites. besoins de l'action et sous I'influence du langage qui en nommant,
signe l'inerte, par opposition crée des distinctions. De même pour l'esprit : il n'est pas en lui-même
au vivant : c'est la pierre, le bois, composé d'états de conscience discontinus et homogènes. Chaque
la terre, bref, ce qui est inani- Pour Hegel, la distinction entre la matière et l'esprit reioint la dis- moment de la vie de l'esprit contient tous les autres et n'est que leur
mé, c'est-à-dire qui ne possède tinction entre être conscient de soi et être non conscient de soi : en développement continu.
pas d'âme au sens quAristote ce sens, l'esprit désigne tout ce qui porte la marque de l'homme (un Ce que Bergson nomme « durée » permet donc de penser sous un
donne à ce terme (le principe produit du travail humain ou une æuvre d'art) et la matière, tout ce même concept l'esprit et la matière.
vital interne à tout être vivant). qui est étranger à l'homme et n'est qu'un support possible pour ses
L'atomiste Démocrite. Pourtant, l'être vivant est lui activités : les choses de la nature, dans la mesure où elles existent
aussi composé d'une matière : indépendamment de toute intervention humaine et n'ont pas encore La question est encore aulourd'hui vivement débattue. Selon la thèse
la distinction de départ est donc insuffisante. été transformées, sont matière. La matière est donc ce qui n'a pas de moniste (du grec monos, un), l'esprit n'est qu'une configuration
En fait, ce qui caractérise Ia matière, c'est d'abord un défaut de détermina- conscience et ce dont l'esprit a conscience. particulière de la matière. Cette thèse est celle de Gilbert Ryle : nous
tion. La matière est sans forme : ce n'est qu'une fois mise en forme qu'elle croyons qu'une entité séparée et réelle correspond au mot « esprit »,
est délimitée et déterminée, par exemple, une fois que l'argile a reçu Ia et nous en faisons un « fantôme dans la machine » qu'est le corps. En
forme d'une cruche. C'est ainsi qu'fuistote considère toute chose concrète Telle est la position de Descartes, qui pose d'emblée l'existence de deux réalité, « corps » et « esprit » désignent non pas deux ordres, mais
comme uncomposé de forme et de matière, ou composé hylémorphique substances distinctes : « la substance pensante » et « la substance deux faces d'une même réalité ; Ia question est simplement de savoir Dispositif optique extrait du Traité de l'homme de Descartes.
(dehylé, « matière »,et morphè, « forme », en grec). La matière n'est alors étendue », la première caractérisant 1'homme en tant qu'il pense et se si I'activité spirituelle se réduit flnalement à l'activité physico-chimique
ici que le support sans forme propre de déterminations formelles. pense, et la seconde caractérisant la matière corporelle, pure étendue
du cerveau (thèse réductionniste), ou si le cerveau peut être conçu sur
géométrique. Pourtant, cette distinction pose problème : comment le modèle d'un ordinateur, c'est-à-dire comme un système computa- « |ecrois la pensée si peu incompatible
penser en effet l'union étroite de « la substance pensante » et de « la tionnel de traitement d'informations (thèse fonctionnaliste). On peut avec la matière organisée quèlle semble
substance étendue » que tout oppose, c'est-à-dire l'union de l'âme et cependant obiecter que la seule chose qui s'atteste dans les neuros- en être une propriété » (La Mettrie)
du corps dans l'être humain ?
ciences, c'est une solidarité entre l'activité cérébrale et la conscience ;
Si la matière est ce qui manque de détermination, l'homme est par Si cette union va de soi dans la vie courante (je veux mouvoir ma cela ne signifle pas que la conscience soit réductible à des états céré-
excellence l'être qui va lui donner forme par son travail. Or, ce travail main, et je la meus) comment l'expliquer sur Ie plan métaphysique ? braux (Bergson). La question est surtout morale : faire de l'esprit un UN ARTICTE DU MONDE À COruSUTTTN
de transformation n'est possible que parce que l'homme, comme le Descartes pose l'existence « d'esprits animaux », sortes d'influx ner- processus physico-chimique ou un emboîtement de fonctions, cela . « Le wai danger : ne pas se servir
dit Hegel, « est esprit ». Parce qu'il a une conscience, l'homme peut veux assurant la communication entre l'esprit et le corps ; Spinoza, ne revient-il pas à mécaniser l'homme, c'est-à-dire à nier Ia liberté et de l'intelligence artificielle » p. 69
sortir de lui-même et aller vers le monde, pour le ramener à lui et se mais aussi Leibniz et Bergson, montreront que cette solution n'est la dignité humaine ? (Propos recueillis par Chloé Hecketsweiler,
pas satisfaisante. Le Monde Eco et entreprise du o8.o9.zor5)
l'approprier, ne serait-ce que dans la perception.
Parce qu'il est esprit ou « être pour soi », I'homme est capable de ce
b6 La raison et Ie réel 6J
UN SUJET PAS A PAS L'ARrrcLE DU Ill[on.ûe
68 La raison et le réei 6ÿ
L'ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS
La vérité
La vérité fait partie de ces termes que la philosophie scolastique nommait des
« transcendantaux », parce qu'ils sont toujours « au-delà » (trans) de tout ce qui est
(ens), et que, comme tels, ils ne sont pas définissables : il ne s'agirait pas alors de les
comprendre, mais de les saisir directement par une intuition immédiate.
vie ne soit qu'un « songe bien lié », que je sois en train de rêver tout
ce que je crois percevoir : rien ne m'assure que le monde ou autrui
existent tels que le les crois être.
7o Lâraisonetleréei Ji
UN SUIET PAS A PAS L'ARTICLE DU IIIIONûC
Dans cet extrait, Alain met en il faut une première esquisse ; notre amour de Ia vérité qui nous d abord comme ont fait ceux qui ses disciples, Torricelli.
lumière le lien indissociable il faut un contour fermé. Labs- trompe principalement, par les ont trouvées. Ent643,l'élève revient avec, en guise d'explication, une expérience.
trait est défini par là. Toutes nos cette précipitation, par cet élan,
qui unit la vérité et I'erreur par ce mépris des détails, qui Il remplit complètement un tube de mercure d'un mètre, le bouche
erreurs sont des jugements té- Alain, Vigiles de l'esprit Le iournaliste Nathaniel Herzberg nous présente ici l'histoire d'une
dans I'exercice de Ia pensée méraires, et toutes nos vérités, est la grandeur même. Cette vue avec le doigt, le renverse dans une cuve, elle aussi remplie de mercure, querelle scientifique maieure qui opposa au xvrr" siècle le jeune
humaine. sans exception, sont des erreurs est elle-même généreuse ; elle et retire son doigt.Immédiatement,le liquide descend dans Ie tube... Blaise Pascal au père iésuite Étienne NoëI. L intérêt de cet article est
Quiconque pense commence redressées. On comprend que va à pardonner l'erreur ; et il est de nous montrer à quel point la vérité scientifique est le produit
toulours par se tromper. L'esprit
et se stabilise 76 cm au-dessus du niveau de la cuve. Pourquoi cet
le liseur ne regarde pas à une vrai qu'à considérer les choses d'un effort constant de recherche, qui passe par des conflits entre
iuste se trompe d'abord tout Iettre, et que, par un fort préiugé humainement, toute erreur est écart ? Parce que l'air exerce une force sur la cuve, une poussée que
des thèses opposées (ici celle de l'inexistence du vide, soutenue
autant qu'un autre ; son travail il croit tou.jours l'avoir lue, même belle. Selon mon opinion, un sot compense le poids de la colonne de mercure. Deux forces contraires par NoëI, et celle de son existence physique, soutenue par Pascal),
propre est de revenir, de ne point quand il n'a pas pu la lire, et si n'est poinL tant un homme qui se en équilibre, donc. La même chose se passe dans les pompes, explique et dont le terrain de résolution est celui de l'expérimentation, telle
s'obstiner, de corriger selon l'ob- elle manque, il n'a pas pu la lire. trompe qu'un homme qui répète que celle accomplie au Puy-de-Dôme en 1648.
alors Torricelli : l'eau y monte dans l'espace libéré, jusqu'à ce que son
iet la première esquisse. Mais Descartes disait bien que c'est des vérités, sans s'être trompé
La raison et le réel /]
L' ARrrc LE DU Ill[omlû re
de Mersenne, la plus importante académie scientifique européenne. est suivi par les spécialistes. Qui donnent, semble-t-il, un avantage
Mais en face, il a un poids lourd. Etienne Noël a déjà publié une aux points au Père NoëI. Pascal commande alors à son beau-frère
dizaine d'ouvrages, essentiellement de rhétorique. A 66 ans, il est de réaliser l'expérience du Puy-de-Dôme. Mais l'hiver auvergnat et
vice-proüncial de lbrdre jésuite, un poste de haut rang. Féru de gram- les obligations professionnelles de Périer empêchent sa réalisation.
maire, de philosophie et de sciences, il dirige le collège de Clermont Pendant ce temps, les deux belligérants s'imposent une trêve. Une
à Paris - aujourd'hui le lycée Louis{e-Grand -, vitrine intellectuelle autre autorité jésuite, le Père Nicolas Talon, sert de témoin. Pascal,
du mouvement. A son tableau d'honneur flgure encore d'avoir été, à qui a commencé à se rapprocher des jansénistes de Port-Royal, leur
La Flèche, lerépétiteur d'un certain René Descartes. Depuis, le phare a-t-il promis la discrétion ? Noël juge-t-il son avantage suffisant ? C'est
de la pensée lui envoie chacun de ses livres, quand il ne lui demande pourtant cedernier qui retourne au combat. En féwier 1648, il publie
pas de les relire... Le Plein du vide. Le livre ne fait que reprendre les arguments de ses
Et que dit cette pointure ? Que le mercure du tube chute bien sous son lettres, mais, rédigé en français pour toucher les mondains, traduit
propre poids. Mais que l'espace qu'il libère est occupé par « uncorps » : en latin pour gagner les capitales européennes, il convoque Ie grand
plus précisément, un composé d'airet de feu,un « airépuré »,capable public. Mieux : Ie religieux dédicace son ouvrage au prince de Conti,
de passer entre les pores du verre une fois l'espace libéré. Pourquoi Ie se plaçant ainsi sous protection civile.
mercure ne redescend-il pas jusqu'enbas ? I'uniflcation de
Parce que Cette dédicace, dans laquelle Noël dénonce les « impostures, de ses
l'air, à l'intérieur et à l'extérieur de tube, le retient, dit-il. « calomniateurs », n'entamera pas l'engagement de Pascal.ll réplique
de biais, dans une longue lettre à un de ses amis, le mathémati-
üCIrr5r sL[!'ficlrJl] cien Le Pailleur. Et il laisse son père, Etienne Pascal, dire au Père Noël
Pourquoi pas le vide ? La réponse de Noël est physique : la lumière tout Ie mal qu'il pense de méthodes.
le traverse. Celle-ci étant composée de corpuscules,l'espace n'est pas
ses
Nous en sommes Ià de cet affrontement, vif comme « l'argent » du LA POLIT|QUE, LA MORALE
vide. En outre, les rayons se trouvent déviés, assure-t-il. C'est bien baromètre mais étrangement suspendu, lorsque, en octobre 1648,
qu'une matière occupe l'espace. Ce puissant raisonnement en cache Pascalrend publics les exploits que son beau-frère a réalisés pour
un autre, théologique celui-là : « Les jésuites défendent la continuité son compte au Puy-de-Dôme. Il triomphe. A dire vrai, I'expérience
de la matière, explique Christophe Angebault, autre spécialiste de n'impose pas à proprement parler l'existence du vide. Elle démontre
Pascal.Il est impossible de séparer ce quAristote nomme la substance seulement que nous sommes tous - humains et mercure - soumis
et lhccident. Car Ie seul corps présent dans labsence, c'est celui du à une même pression atmosphérique. Une position parfaitement
Christ avec I'hostie. Or Ia lumière est considérée comme un accident compatible avec la conception cartésienne du monde, où le vide ne
de Ia matière. Si le vide permet son passage, alors le dogme de la tient aucune place. « Mais voilà : on peut gagner une controverse avec
trans s ub stantiati n tombe.
o » un coup de théâtre », résume Simon Schaffer. ô
A ces arguments, Pascal rétorque Ie z9 octobre. Sa lettre est un Gagner : le verbe s'avère un peu définitif. Si Newton parvient à
mélange de rigueur méthodique et de cinglante ironie. Il y déve- concilier la théorie corpusculaire de Ia lumière et le vide, le XIX" siècle o)
loppe, pour Ia première fois, sa démarche scientiflque : la place des voit s'effondrer l'édiflce. La lumière est aussi une onde, apprend-on.
« principes » eT « axiomes », ces éléments si clairs « aux sens ou à Une vibration qui, pour être visible, doit faire vibrer quelque chose.
Ia raison » que I'esprit n'a « eucun moyen d'en douter ». Celle des On postule alors l'existence d'un éther. Descartes, et avec lui notre
démonstrations, conséquences « infaillibles » des axiomes. Le reste cher Père NoëI, reprennent des couleurs. Mais Einstein et sa relativité
doit passer pour « douteux ou incertain », dit-il. Saufà entrer dans le restreinte viennent, en 1905, détruire la notion d'éther. Avant que
domaine réservé des « mysfères delafoi ».9éparer science et religion, le même Einstein, avec la relativité générale, lui retrouve un sens.
donc, rien que ça ! Quant à Ia lumière, sa nature « demeure inconnue, Ce n'est plus de corps ou de masse qu'il s'agit désormais, mais de
et à vous, et à moi »>. « Si nous la connaissions (...), nous connaîtrions « champ » - une notion qui dépasse notre sujet du jour.
peut-être qu'elle subsisterait dans le vide avec plus déclat que dans tout Et que dire du « vide quantique », apparu avec la mécanique du même
autre médium », ajoute-il. Extraordinaire prémonition, puisque ce nom : vide, certes, mais soumis Jluctuations » et peuplé de « par'
à «
principe conduira, deux cent cinquante ans plus tard, à l'invention ticules virtuelles ? Pas sûr qu'Etienne Noël et sa théologie auraient
»
de la lampe à incandescence. apprécié le cadeau. Ni Pascal parié sur sa réalité. Trois siècles et demi
II faudrait évidemment citer l'intégralité de cette longue lettre, aussi plus tard, peut-être les deux adversaires seraient-ils finalement
fine que puissante. NoëI, pourtant, ne se démonte pas. Dès le mois tombés d'accord.
suivant, il réplique.Il esquive et accepte l'argument de la pesanteur de
I'air. En revanche, il rend coup pour coup sur le vide, manie à son tour
I'ironie. Lu à haute voix dans les cercles savants, recopié, l'échange Nathaniel Herzberg, Le Monde daté du r4.o8.zor5
74 ta raison et le réel
L'ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS
et avec eux, c'est l'interdépendance qui s'accroît. Les échanges enclins à aimer nos semblables, mais bien plutôt que nous avons
La société et les échanges deviennent alors le véritable fondement d'une société libérale : besoin de vivre en société avec eux pour accomplir pleinement
la satisfaction de mes besoins dépend d'autrui, mais la satisfaction notre humanité. Comme le remarquait Kant, I'homme est à la fois
Un État, c'est un ensemble d'institutions politiques régissant la vie des citoyens. Mais des siens dépend de moi ; et chacun dépendant ainsi de tous Ies sociable, et asocial : il a besoin des autres, mais il entre en rivalité
qu'est-ce que la société ? Si la société n'est pas I'Etat, il serait tentant de la réduire à autres, aucun n'est plus le maître de personne. avec eux. C'est cette « insociable sociabilité » qui a poussé les
une simple communauté d'individus échangeant des services et des biens. La société hommes à développer leurs talents respectifs et leurs dispositions
aurait par conséquent une fonction avant tout utilitaire : regrouper les forces des indi- Comment s'organisent les échanges ? naturelles, bref, à devenir des êtres de culture.
Réunis en société, Ies individus deviennent interdépendants
vidus, diviser et spécialiser le travail , régtr Ies échanges et organiser Ie commerce. On
grâce à I'échange continuel de services et de biens : dans la vie en
peut douter cependant que la société se réduise à ces seules fonctions. « Lhomme est un animal politique par nature. »
communauté, l'homme travaille pour acheter le travail d'autrui.
Chaque bien produit a donc une double valeur : une valeur
(Aristote)
d'usage en tant qu'il satisfait un besoin, et une valeur d'échange,
Quelle est I'utilité de la vie en société ?
Hume souligne que I'homme est un être dépourvu de qualités en tant qu'il est une marchandise. Mais, ainsi que le note Aristote,
naturelles. II a donc tout à Ia fois plus de besoins que Ies autres comment échanger maison et chaussures ? C'est Ia monnaie, Les échanges sont-ils réductibles au commerce
animaux (il lui faut des vêtements pour se protéger du froid, par comme commune mesure instituée, qui rend possible I'échange des services et des biens ?
exemple), et moins de moyens pour les satisfaire, parce qu'il de produits qualitativement et quantitativement différents. Comme I'a montré l'ethnologue Claude Lévi-Strauss, on ne saurait
est faible. C'est donc pour pallier cette faiblesse naturelle que C'est ici que Platon voit le danger d'une société fondée uniquement réduire les échanges aux seules transactions économiques. En fait,
I'homme vit en société : Ia vie en commun permet aux individus sur les échanges et Ie commerce : les individus y auront toujours il existe deux autres types d'échanges qui ont d'ailleurs la même
de regrouper leurs forces pour se défendre contre les attaques et tendance à profiter des échanges non pour acquérir les biens structure : lbrganisation de la parenté, et la communication
pour réaliser à plusieurs qu'un seul ne saurait entreprendre ;
ce nécessaires à la vie, mais pour accumuler de l'argent. De moyen, Ia linguistique.
elle permet aussi de diviser et de spécialiser le travail, ce qui en monnaie devient fin en soi, pervertissant ainsi tout le système de Une société n'est donc pas réductible à une simple communauté
accroît l'efficacité mais engendre également de nouveaux besoins T I production et d'échange des richesses et corrompant Ie lien social. économique d'échange : elle se constitue aussi par l'organisation
(il faudra à l'agriculteur des outils produits par Ie forgeron, etc.). Se I I I I des liens de parenté (le mariage), par l'instauration d'un langage
AUTEU RS CLÉS
MOTS CLÉS « Le monde a commencé structures invariantes du com- moins le champ de la sociologie chef donateur cherche à humilier
portement social. à l'étude des sociétés non in- son rival et à le contraindre à un
notamment sous l'influence de contrat social est lbrigine et le wir au monde humain. rapprocher sans l'homme et
CIVITISATION À I1 tient l'interdit de l'inceste dustrielles. C'est Ia naissance de contre-don ou à la soumission. À
La ciülisation c'est d'abord ce qui LéviStrauss, comme ensembles co- fondement même de toute com- de la notion de civilisation. sàchèvera sans lui. , comme l'acte culturel décisif qui l'ethnologie. Dans son Essai sur partir de cet exemple, Mauss met
hérents et durables de règles, de sa- munauté politique.
sbppose à la barbarie ou à I état sau-
voirs et de mceurs, sans hiérarchie.
ÉcnlNcr (Lévi-Strauss) fonde la vie sociale, dans la me- le don, 1l analyse le rituel sacré en évidence la notion de « fait so-
vage, comme un progrès dans les CULTURE Relation de réciprocité au fonde- sure où il
témoigne de la règle du « potlatch » au cours duquel cial total ». Léchange ne se réduit
mæurs et les connaissances. Rous- CONTRAT SOCIAT Par opposition à la nature, la ment de la vie en communauté. de l'échange à l'æuvre dans toute un chef indien offre solennelle- pas à.sa dimension économique,
seau a contesté cette identification un pacte qui
Le contrat social est culture est l'ensemble cohérent Il y a échange de biens à partir du CLAUDE IÉVI-STRAUSS société. ment à un rival des richesses. Ce il est partie intégrante d'un en-
de la civilisation, au sens d'éloigne- détermine l'organisation d'une des valeurs, normes, mæurs et moment où il y a répartition des Anthropologue né en r9o8 à geste doit être interprété comme semble global qui se caractérise
ment de I'état de nature, avec le pro- société. Chez de nombreux phi- connaissances qui caractérisent tâches, chacun ayant besoin de ce Bruxelles et mort en 2oo9. MARCET MAUSS une lutte pour le prestige et le par la structure du triangle « don-
grès, tant moral qu'intellectuel. losophes du xvur" siècle, comme une société humaine. que produit l'autre. Son approche des sociétés hu- Neveu et disciple de Durkheim, pouvoir, la valeur marchande des ner - recevoir - rendre ,. Écono-
On tend ainsi à parler de plus en Hobbes ou Rousseau, mais se- C'est ce à quoi nous initie léducation, maines est structuraliste, en ce Marcel Mauss, qui effectue peu biens étant secondaire. Ce « don » mie, politique, droit, et religion
plus de ciülisations au pluriel, Ion des modalités différentes, le en tant qu'elle a pourbut de nous ou- qu'il s'attache à déchiffrer des d'études de terrain, ouvre néan- n'est évidemment pas gratuit ; le sont interdépendants.
- dans le domaine politique, relations d'entente ou d'indifférence conditions et les obiets des échanges : on peut échanger des armes ou II n'y a pas, en effet, une conception unique du libéralisme économique, le ieu des lois naturelles. LÉtat doit donc créer par la loi un « ordre positif »,
entre les États. des sourires. Considérer toute chose comme échangeable, au moyen mais deux : une française, I'autre anglaise. Si l'accord existe sur l'essentiel, qui précise et conforte l'ordre naturel.
de l'argent notamment, pose aussi problème. la liberté économique, des différences profondes les opposent sur les
- dans le domaine moral et psychologique, absence de tension ou LÉtat doit en second lieu veiller au respect réciproque de leur liberté
d'agression entre individus. b/ Les échanges favorisent aussi bien l'égoisme que la moralité moyens d'atteindre cette liberté. naturelle par tous les acteurs économiques. Il est, nous dit Turgot, le
II. Les points du programme (cl analyse de Kant sur f insociable sociabilité). « protecteur des particuliers » ; il doit s'assurer que « personne ne puisse
La société et les échanges, la culture et le langage, Ia iustice et le droit. c) Des conditions parfaites d'échanges supposent déià une moralité
Besoins actuels laire à un autre un tort considérable, et dont celui-ci ne puisse se garantir ».
fondée (cf Rousseau, le Contrat social). LÉtat doit encore veiller au bon fonctionnement général de l'économie.
Pour l'école anglaise, il faut, selon Adam Smith, laisser aller le « cours
L'accroche naturel des choses », dont résulte nécessairement le progrès de la société. Le rôle de l'État en ce qui concerne le maintien et le développement de
« Si tu veux la paix, prépare la guerre », dit I'adage ancien. Conclusion LÉtat doit borner son rôle à assurer l'ordre matériel. Pour l'école française, l'appareil de production est sans cesse évoqué par Quesnay : « Il faut
Les échanges favorisent la paix, du moment que les conditions de que Ie gouvernement soit très attentif à conserver, à toutes les professions
celle de Turgot et de Quesnay, il en va tout autrement. Le bon ordre de la
l'échange sont pleinement respectées. C'est en effet 1'esprit de conci-
La problématique société et la liberté résultent du respect de lois naturelles, telles que celles productrices, les richesses qui leur sont nécessaires pour la production et
Les échanges commerciaux favorisent-ils la paix ? Le dialogue n'est-il Iiation qui favorise les échanges et ne les pervertit pas. ,i I'accroissement des richesses de la nation. »
du marché concurrentiel. Dès lors, l'État a le devoir d'intervenir activement
pas en effet lbpposé de la guerre ? N'existe-il pas pourtant de plus en pour que tous respectent ces lois.
plus de « guerres commerciales » recourant à des pratiques de moins Les bons outils Cette doctrine de l'école française répond à nos besoins actuels. Au Liberté et gouvernement
en moins respectueuses des hommes et des droits ? . Platon, La République (livre II).
. Montesquieu, L'Esprit des lois (livre XX), I'auteur analyse Ies bien- dix-huitième siècle, la France se trouvait en effet confrontée au même LÉtat doit enfin veiller à t'emploi. Turgot le dit : protecteur des particuliers,
problème que celui qu'elle connait actuellement : sortir du « trop d'État » l'État « doit faciliter les moyens de se procurer par le travail une subsistance
faits et les dangers du commerce.
Le plan détaillé du développement . Lévi-Strauss, Race et Histoire. colbertiste pour rendre la liberté à l'économie, en redéfinissant ce que atsée ». Quesnay insiste : « L'état de la population et de lbmploi deshommes
L L'échange est un facteur de paix. . Rousseau, Discours sur les fondements et l'origine de l'inégalité devait être le rôle de l'État. sont principaux objets du gouvernement économique
les des Etats. »
a) Les vertus du commerce sont de servir les intérêts de chacun, sur parmi les hommes ; Discours sur les sciences et les arts. La liberté de l'économie ainsi réclamée était celle de la production, Les Français sont ainsi faits qu'ils veulent à la fois la liberté économique
la base de l'entente (cl analyse de Montesquieu sur le commerce). Le du travail et des échanges. Au cceur de la revendication : la liberté des et un rôle actif de l'État. Le libéralisme économique en France ne peut
commerce est alors le contraire de la guerre. prix. Pour Turgot comme pour Quesnay, le prix valable, car conforme donc se réaliser avec succès au cri de « moins d'État », ni même de « I'État
b) Les vertus de la vie sociale consistent à développer des aptitudes Ce qu'il ne faut pas faire aux données profondes du système de la satisfaction des besoins des autrement ». Sa devise ne peut être que: liberté et gouvernement. La réalité
morales (cl analyse de Hume). Énoncer des lieux communs sur les méfaits de I'indifférence ou de
hommes, et dès lors le prix iuste, est celui qui se forme par la libre des faits, de notre pays et de notre temps, nous ramène inéluctablement à
1a guerre.
discussion entre vendeur et acheteur. Toute intervention de l'État est la réalité de la conception française du libéralisme économique. *9
ici mauvaise, en raison de « motifs redoutables » : à savoir, l'action « des
TEXTE CLÉ intérêts particuliers toujours cachés et toujours sollicitant sous le voile Francis-Paul Bénoit, Le Monde d.até du zz.o4.tg87
du bien général ».
Dans cet extrait, Bergson met elle se subordonne l'individu, elle en avant, à une efflcacité sociale entrent à leur tour, sans perdre
en évidence le caractère vivant ne peut progresser que si elle le plus grande et à une liberté indi- leur originalité ni leur indépen- Le garant de l'économie POURQUOI CETARTTCLE ?
des sociétés humaines, Iîeux laisse faire : exigences opposées, viduelle plus complète. Seules, dance, dans une société plus
Cette liberté économique, Turgot et Quesnay la veulent toutefois non
qu'il faudrait réconcilier. Chez les sociétés humaines tiennent vaste : spectacle inquiétant et ras-
d'une tension entre les par- l'insecte, la première condition fixés devant ieurs yeux les deux surant, qu'on ne peut contempler pas comme un avantage donné aux entrepreneurs et aux commerçants, Dans cet article, Francis-Paul Bénoit propose une analyse du libéra-
tîes (les individus) et le tout (la lisme tel qu'il a été conçu par l'école française (plus particulièrement
est seule remplie. Les sociétés de buts à atteindre. En lutte avec sans se dire qu'ici encore, à tra- mais comme une règle posée au profit de tous, et notamment des
par les économistes Turgot et Quesnay) et montre que la conception
société) qui prend une Jorme fourmis et d'abeilles sont admi- elles-mêmes et en guerre les unes vers des obstacles sans nombre, consommateurs. Ce qu'il faut favoriser, dit Quesnay, « ce ne sont pas des française du libéralisme, à la différence de la conception de l'école
contradictoire du fait de leur rablement disciplinées et unies, avec les autres, elles cherchent la vie travaille à individuer et à corps particuliers de commerçants, c'est le commerce lui-même ». Turgot anglaise, accorde une place essentielle à 1'État. Les échanges écono-
opposition mais aussi de leur mais flgées dans une immuable visiblement par le frottement et intégrer pour obtenir la quantité demande que l'on défende « la liberté publique des invasions de l'esprit miques propres à la société marchande he doivent donc pas être
mplé me nt ar it é e s s e nt i elle.
co routine. Si I'individu s'y oublie lui- par le choc, à arrondir des angles, la plus grande, la variété la plus monopoleur et de l'intérêt particulier ». laissés à eux-mêmes, mais contrôlés par l'État qui devient le garant
qui est la mise en com-
La société, mème, la société oublie aussi sa user des antagonismes. à éliminer riche, les qualités les plus hautes de leur bon fonctionnement. Dans cette conception du libéralisme
Fille des contraintes que lui impose le libéralisme, la liberté économique
mun des énergies individuelles, destination; l'un et l'autre, en état des contradictions, à faire que les d'invention et d'effort. proprement française, on constate que l'État et la société ne s'ex-
a ainsi une finalité sociale. Turgot insiste sur I'idée que cette liberté donne
bénéficie des efforts de tous et de somnambulisme, font et refont volontés individuelles s'insèrent cluent pas mais se complètent : Ie pouvoir politique intervient dans
rend à tous leur effort plus fa- indéflniment le tour du méme sans se déformer dans la volonté Henri Bergson, à l'acheteur un rôle déterminant. Pour Quesnay, la liberté économique
la sphère économique.
cile. Elle ne peut subsister que si cercle, au lieu de marcher, droit sociale et que les diverses sociétés L'Energie spirituelle permet v\e « consommation générale », l'abondance pour tous.
La iustice et le droit
doivent surtout garantir la paix sociale, car « II vaut mieux une de droits, à condition que ces inégalités soient au profit des moins
injustice qu'un désordre » (Gcethe). favorisés. Cela cependant amène à nier que tous les droits sont
Mais ce n'est pas Ia position de Rousseau, ni de la pensée des « droits universels, parce que certains auront des droits que d'autres
Que I'injustice nous indigne montre que la justice est d'abord une exigence, et même de l'homme » : les lois peuvent être injustes, et cautionner des iné- n'ont pas. #
galités de droits. Un droit positif iuste sera alors un droit conforme
une exigence d'égalité : c'est d'abord quand un partage, un traitement ou une recon- « La justice sans la force est impuissante ;
au droit naturel, c'est-à-dire à ce que la raison reconnaît comme
naissance sont inégalitaires, que nous crions à I'injustice. La justice devrait donc se moralement fondé, eu égard à la dignité de la personne humaine. la force sans la justice est tyrannique. »(Pascal)
définir par I'égalité, symbolisée par l'équilibre de la balance. Mais qu'est-ce qu'une
égalité juste ? Suffit-il d'attribuer des parts égales à chacun ? La justice est-elle une vertu ou une illusion ?
Platon soutient que la justice, si elle est l'idéal de la communauté
politique, doit aussi être une vertu morale en chaque individu.
La justice se confond-elle avec la stricte égalité ? Contre ceux qui soutiennent que « nul n'est juste volontairement »
Aristote distingue la iustice distributive et la iustice corrective' et que Ia justice comme vertu n'existe pas, Platon montre que c'est
La justice corrective concerne Ies transactions privées volontaires le rôle de l'éducation d'élever chacun à cette vertu suprême, qui
(vente, achat, etc.) et involontaires (crimes et délits). EIle obéit à implique à Ia fois sagesse, courage et tempérance.
une égalité arithmétique stricte : que l'homme Iésé soit puissant Certes, l'homme a tendance à vouloir s'attribuer plus que les
ou misérable, le rôle de la justice est de rétablir I'égalité en versant autres au mépris de tout mérite : si comme Gygès, nous trouvions
des intérêts de même valeur que Ie dommage, comme s'il s'agissait un anneau nous rendant invisibles, nous commettrions les pires
de biens échangés dans un acte de vente. iniustices. Mais Gygès était un berger privé d'éducation, et qui
La justice distributive concerne la répartition des biens et des vivait hors de la cité : l'enjeu de Ia politique, c'est précisément de
honneurs entre les membres de Ia cité. Ici, Ia iustice n'est pas rendre les citoyens meilleurs, en leur faisant acquérir cette vertu
de donner à chacun la même chose, car il faut tenir compte du qu'est la iustice, contre leurs penchants égoistes.
mérite : l'égalité n'est alors pas arithmétique (le même pour tous),
mais géométrique, car elle implique des rapports de proportion
« Ce n'est pas la vérité, mais l'autorité
(à chacun selon son mérite).
qui fait le droit. , (Hobbes)
Quelle égalité peut exiger la justice ?
Personne ne peut soutenir que les hommes sont égaux en fait :
aux inégalités naturelles (de force ou d'aptitudes) s'ajoutent en
ry Statue de Platon à Athènes.
lJégalité des droits suffit-elle à fonder
une société juste ?
effet les inégalités sociales (de richesse ou de culture). Pourtant, La démocratie a commencé par poser qu'il y avait des droits
la justice exige que les hommes soient égaux en droit, c'est-à- « La justice sans force est contreclite, parce qu'il y a inaliénables et universels : Ies droits de l'homme. Mais la sphère
des droits s'est progressivement étendue : par exemple, la richesse
dire que, malgré les inégalités de fait, ils aient droit à une égale toujours des méchants. La force sans la justice est
globale étant Ie fruit du travail de tous, il est normal que chacun
reconnaissance de leur dignité humaine. accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la
C'est ce que montre Rousseau dans Ie Contrat social: un État n'est ait droit à une part raisonnable.
force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou
juste et légitime que s'il garantit à ses citoyens Ie respect de ce qui Cette extension du « droit de » au « droit à » s'est achevée par
qlle ce qui est fort soit juste. » (Pascal) l'exigence de droits « en tant que » (femme, minorité, etc.). En
fonde la dignité humaine, à savoir Ia liberté. Seule en effet elle
démocratie, certaines minorités sont systématiquement ignorées,
est « inaliénable » : la vendre ou Ia donner au tyran, c'est se nier
Quels sont les rapports du droit et de Ia justice ? puisque c'est la majorité qui décide de Ia loi : donner des droits
soi-même. Cette égalité endroit doit pouvoir ainsi se traduire par Le droit est d'abord l'ensemble des règles qui régissent un État ,
une égalité en droits : nul ne doit posséder de privilèges eu égard égaux à tous, c'est donc finalement reconduire des inégalités de fait. UN ARTICTE DU MONDE À CONSUTTTR
c'est le droit positif. Comme varient d'un État à l'autre,
ces règles
loi l'État. Selon fohn Rawls il faut, au nom de la iustice, tolérer des inégalités
à la de . « Le droit d'exception risque de devenir la règle
n'y a-t-il nulle iustice qui soit Ia même pour tous les hommes ? » p. 83
(|ean-Baptiste facquin, Ie Monde daté du r8.rr.zo15)
C'est bien Ia position de Pascal : les lois nbnt pas à être iustes, elles
MOTS CLÉS
zooM suR...
Lapensée politique de Platon défendront contre les ennemis ; ainsi la place qui lui revient par hiérarchies naturelles (entre les
DROIT NATUREL/ naturel désigne plus spéciflque- à une communauté, variable et même et avec ses concitoyens. Chez
Dans le cadre d'une réflexion cen- et enfin, les meilleurs gardiens, nature. Or, ce qui vaut de Ia cité parties de l'âme dans l'individu
DROIT POSITIF ment ce que l'on appelle commu- historique. les modernes, la vertu se définit ceux qui auront parcouru toute vaut également de l'individu, et les classes de citoyens dans la
trée sur Ia recherche de l'essence
nément les « droits de I'homme », comme ce qui instaure l'égalité et
Le droit naturel est Ie droit tel JUSTICE de la iustice, la République pose l'ascension du sensible à f intel- selon une analogie célèbre : à cité) sont respectées. fusqu'à la
c'est-à-dire les droits immuables la liberté parmi les hommes.
que Ie déflnit la nature même La iustice est l'institution du bien les fondements de la cité iuste, ligible, gouverneront la cité. Les la tripartition de la cité répond fln de sa vie (sa dernière æuvre
de l'homme. Chez les anciens, Ie de la nature humaine. Le droit sur terre. ElIe peut être un idéal à MORATE idéale en ce sens qu'aucune des différences de fonctions doivent dans l'individu la tripartition de s'intitule les Iois), Platon cher-
droit naturel renvoie plus géné- positif est quant à lui le droit qui atteindre, mais aussi une réalité po- La morale est l'ensemble des cités réelles ne l'incarne aux yeux épouser les différences d'aptitu- l'âme en une instance dirigeante chera à penser les fondements
ralement à la nature dans sa tota- existe au sein des communautés litique établie par les hommes qui devoirs qui s'imposent à l'être de Platon. Pour être juste, elle de- des naturelles. Telle est d'ailleurs (la raison), une instance dont la d'une cité ordonnée selon des lois
lité cosmique, comprise comme humaines organisées (le droit Ia souhaitent et qui l'instaurent. humain, en tant qu'être rai- vra être divisée en trois classes la définition de la iustice qui se tâche est de la seconder (le cceur, iustes, susceptibles de rendre les
une unité hiérarchisée dans la- français, Ie droit américain, etc.). Chez Platon et Aristote, la iustice sonnable et lui commandent de citoyens : les artisans et les dégage peu à peu du dialogue : instance de Ia colère), et enfin citoyens vertueux.
quelle l'homme a une place dé- A la différence du droit naturel, le est la vertu essentielle qui permet le respect de l'humanité en lui laboureurs en assureront la sub- que chacun exerce l'activité qui une partie désirante, qui doit
flnie. Chez les modernes, le droit droit positif est donc particulier l'harmonie de l'homme avec lui- comme en autrui. sistance ; les gardiens guerriers la convient à sa nature et occupe obéir. La justice règne quand ces
que, Platon montre que Ia jus- Mais s'ils les observaient ? Cela ou des esclaves, ne fera-t-elle pas séder le pouvoir, en quelque su- de façon extrêmement rapide et visible contre les agresseurs. En revanche,
n'irait-il pas mieux ? qu'ils se haïssent, se querellent iet qu'elle apparaisse, cité, tribu, dans la durée, cette situation appelle sans doute une mise à lour de nos Si l'on définit le droit comme l'ensemble des règles régissant un État
tice est fondement ultime des
le
Certainement. entre eux, et soient impuissants armée ou société quelconque, de institutions. Mais cela ne peut se faire, comme le président l'a rappelé, dans le but d'instaurer la justice en faisant en sorte que les rapports
a(tîons humaines et de la paix En effet, Thrasymaque, l'iniustice à rien entreprendre en commun ? rendre d'abord ce suiet incapable que dans le cadre de l'Etat de droit et des engagements internationaux de entre les citoyens ne soient pas de purs rapports de force, la question
individuelle et sociale. Socrate fait naître entre les hommes des Sans doute. d'agir en accord avec lui-même, à la France. Au premier rang de ceux-ci figure la Convention européenne se pose de savoir quelle est sa puissance face à la violence. La mon-
dialog ue av ec Thlasymaque : dissensions, des halnes et des luttes, Mais si elle apparaît en deux cause des dissensions et des dif- des droits de l'homme, qui admet des dérogations en cas « de guerre ou tée du terrorisme a conduit de nombreux États, dont la France, à dé-
Mais fais-moi la grâce de répondre tandis que la iustice entretient la hommes ? Ne seront-ils pas di- férends qu'elle excite, ensuite de d'autre danger public menaçant la vie de la nation », mais dans « la stricte créter un état d'exception - en France, I'état d'urgence - autorisant
encore à ceci : crois-tu qu'une concorde et l'amitié. N'est-ce pas ? visés, haineux, ennemis l'un de le faire l'ennemi de lui-même, de mesure où la situation l'exige ». Ia puissance publique à déroger à certainés dispositions iuridiques
cité, une armée, une bande de Que cela soit ! dit-il, afln que je l'autre et des iustes ? son contraire et du iuste ? En ce cas, un Etat peut déroger à un certain nombre de droits fondamen- pour lutter contre la violence terroriste. Cet article pose la question
brigands ou de voleurs, ou toute n'aie point de différend avec toi. Ils le seront, dit-il. Sans doute. taux en prévoyant des mesures limitant, par exemple, le respect de la de savoir iusqu'oir l'on peut aller en ce domaine sans mettre en péril
autre société qui poursuit en Tu te conduis fort bien, excellent Et si, merveilleux ami, I'injustice Iiberté, de la vie privée ou de Ia liberté d'expression. Tout ceci à la condition les valeurs inhérentes à l'état de droit. Ne risque-t-on pas de fragili-
commun un but injuste, pourrait homme. Mais réponds à cette apparaît chez un seul homme, Platon, République, Livre I qu'on ne touche pas à ce qui est qualiflé de droit indérogeable, c'est-à-dire ser ce dernier sous prétexte de le défendre, de réduire nos libertés
mener à bien quelque entreprise question : si c'est le propre de perdra-t-elle son pouvoir ou le essentiellement le droit au respect de la dignité qui interdit la torture et au nom de la sécurité ?
si ses membres violaient entre l'iniustice d'engendrer la haine gardera-t-elle intact ? autres actes inhumains, même contre des « barbares ». Les perquisitions
Si « I'homme est le vivant politique » (Aristote), alors ce n'est qu'au sein d'une cité ministres, c'est-à-dire des serviteurs, dont Ie rôle est de faire appliquer
la loi, de maintenir lbrdre social et de garantir Ies droits des citoyens
(polis en grec) qu'il peut réaliser son humanité. Or I'organisation d'une coexistence
dans un cadre qui les dépasse.
harmonieuse entre les hommes ne va pas de soi : comment concilier les désirs et L État se caractérise en effet par sa transcendance (il est au-dessus et
intérêts divergents de chacun avec le bien de tous ? d'un autre ordre que la société) et sa permanence sous les change- tu.
ments politiques. Expression du cadre commun à la vie de tous les
citoyens, on comprend qu'il doive se doter d'un appareil de contrainte
Peut-on concevoir une société sans État a
apte à en assurer Ie respect.
Aristote déflnit trois ensembles nécessaires : la famille, le village et
la cité. La famille organise la parenté et assure la filiation ; le village
quant à lui pourrait correspondre à ce que nous nommons Ia société
nChacun de nous met en commun sa personne
I
civile : il assure Ia prospérité économique et pourvoit aux besoins des
familles par l'organisation du travail et des échanges.
et toute sa puissance sous la suprême direction
Enfln, il y a la cité, parce que les seules communautés familiales et de la volonté générale. » (Rousseau)
économiques ne satisfont pas tous les besoins de l'homme : il lui faut
vivre sous une communauté politique, qui apour fonction d'établir En quoi l'État est-il nécessaire ?
les lois. Selon Aristote, la cité, c'est-à-dire I'organisation politique, est Selon Hobbes, l'homme est guidé par le désir de pouvoir : sous l'état de 7
pour l'homme (( une seconde nature » : par elle, l'homme quitte Ia nature, chacun désire dominer l'autre. C'est « la guerre de tous contre
r
-d
sphère du naturel pour entrer dans un monde proprement humain. tous » qui menace Ia survie même de I'espèce. Il faut donc instaurer
un pacte par lequel chacun s'engage à se démettre du droit d'utiliser sa
D'où vient la nécessité d'opposer société et État ? force au profit d'un tiers terme qui ne contracte pas et qui devient seul
Si dans Ia cité grecque, de dimension réduite, chacun pouvait se sentir à pouvoir légitimement exercer la violence : l'État. L État serait donc
lié à tous par des traditions, une religion et des sentiments communs nécessaire pour assurer la paix sociale : chaque sujet accepte d'aliéner
Portrait de Montesquieu.
forts, l'idée d'État moderne distingue Ia société civile, association sa liberté au profit de l'État, si ce dernier peut lui assurer la sécurité.
artificielle de membres aux liens plus économiques que sentimentaux, Rousseau formule deux obiections : d'abord, Hobbes suppose une N'y a-t-it pas une fragilité fondamentale de tout État ?
et l'État, comme puissance publique posant les lois et contrôlant le nature humaine alors qu'il n'y a pas d'homme « naturel ». Ensuite, la LÉtat, aussi fort soit-il, ne peut échapper à deux types de menaces
corps social. question est de savoir s'il est légitime de mettre ainsi en balance la fondamentales. Premièrement, ceux qui sont délégués pour exercer
L État moderne a fait disparaître I'idée grecque de la politique comme liberté et la sécurité. Ie pouvoir peuvent perdre de vue le bien commun et viser le pouvoir
prolongement de la sociabilité naturelle des hommes. pour lui-même. Le gouvernement est animé d'une tendance consti-
Toute forme d'État est-etle légitime ? tutive à usurper la souveraineté à son proflt.
Un État est légitime quand Ie peuple y est souverain, c'est-à-dire quand Deuxièmement, Ies volontés particulières tendent toujours
« Il apparaît qu'aussi longtemps que les hommes les lois sont I'expression de la « volonté générale » (Rousseau).
à se faire va-
loir contre la volonté générale : nous voulons « jouir des droits du citoyen
vivent sans pouvoir commttn qui les tiennent Celle-ci n'est pas la volonté de la majorité mais ce que tout homme
sans vouloir rempllr les devoirs du suiet » (Rousseau). Un État est donc
en respect, ils sont dans cette situation que l'on appelle doit vouloir en tant que citoyen ayant en vue Ie bien de tous, et non le résultat d'un fragile équilibre qui à tout moment peut se rompre. La
la guerre, et cette guerre est une guerre en tant qu'individu n'ayant en vue que son intérêt propre.
société comme somme d'intérêts privés tend touiours à iouer contre lui. . :
de tous contre totts. » (Hobbes) La force en effet ne fait pas Ie droit : les hommes ne peuvent conserver
et exercer leur liberté que dans un État fondé sur des lois dont ils sont
les coauteurs. Ce n'est qu'à cette condition qu'ils peuvent être libres
Page de titre du Léviathan de Thomas Hobbes. UN ARTICLE DIJ MONDE À COUSUTTER
MOTS CLÉS tout en obéissant aux lois.
. Machiavel au pays des merveilles p. 87
territoire donné et définissent un théorique ou n'est-elle qu'un en- (Chistian Salmon,Le Monde daté du o4.oz.zorz)
CONTRAT SOCIAL VOLONTE GENERATE
Le contrat social est un pacte qui dé- espace public. semble de techniques ? Sur quoi Concept créé par Rousseau dans
termine lbrganisation d'une socié-
té. Chez de nombreux philosophes
Le problème essentiel est celui de la
légitimité des fondements de l'État.
se fonde l'autorité politique ? Tels
sont les grands axes de réflexion
Le Contrat social. C'est, par op-
position à la volonté particulière
zooM suR...
du xvrrr" siècle, comme Hobbes ou toI de la philosophie politique. individuelle, la volonté du citoyen
diable. Au contraire, il faut penser sont principalement de maîtrise et de servitude entre
Rousseau, mais selon des modali- En politique, la loi est la règle éta- d'un État en tant qu'il veut ce La théorie du pacte social Hobbes
SOUVERAIN
tés différentes, le contrat social est blie par l'autorité souveraine, de I ean-l acques Rouss e au. les conditions, non pas d'un re- (tS88-t6Zg), Grotius (r583-r645) les hommes. Or, « I'homme est
à Le souverain est la personne indi- qull doit vouloir pour le bien de
Ibrigine et le fondement même de laquelle les sujets de I'État qu'elle tous, et non seulement pour son tour (impossible) à un hypothé- et Pufendorf (1632-1694), qui ne né libre », et tous sont égaux
viduelle ou collective qui détient CONTRE tES THÉORIES
toute communauté politique. organise doivent obéir. bien propre. LÉtat légitime, pour POTTTIQUES tique état de nature, mais d'un sont à ses yeux que « des fauteurs en droit. Comment penser alors
le pouvoir suprême. - état civil qui soit vraiment légi- du despotisme ». Leurs théories un ordre politique qui concilie
Érar POTTTTQUE Plus précisément, chez Rousseau, le Rousseau, doit être dirigé par Ia DE SES PREDECESSEURS
Ensemble durable des institu- Du grec polis, « la cité ». Désigne souverain est celui qui établit les lois ; volonté générale, qui se matéria- Que désormais le vicerègne time. C'est précisément Ia tâche politiques ont en effet cela de le devoir dbbéissance à la loi de
tions politiques et iuridiques qui l'art de gouvemer la cité, de diriger la souveraineté doit appartenir au Iise dans les Iois. en maître ne signifie pas pour au- que Rousseau se donne dans le commun qu'elles s'appliquent à l'État, la sécurité de chacun et de
organisent une société sur un un État. Repose-t-elle sur un savoir peuple pour que l'État soit légitime. tant que la situation soit irrémé- Contrat social. Ses adversaires lustifier les rapports politiques ses biens et la liberté de tous ?
- idée de supériorité et d'im- être de Ia population (cf analyse de Spinoza), c'est-à-dire une loi manceuvre ? Quels sont ses rivaux à l'intérieur et à l'extérieur ? A ou de sociale pour tenter de lui redonner un peu de lustre, mais
punité. naturelle et morale de respect de l'individu. l'époque de Machiavel, ces questions se posaient de manière plus la politique, comme expérience de la démocratie et art du bon
Nicolas Machiavel. ll est le c/ Même l'État totalitaire se veut soumis à I'exigence de réaliser Ia loi
- idée d'extériorité et d'indif- premier à mettre à nu la politique, simple. Selon lui, Ies difficultés à gouverner se concentraient essen- gouvernement, appartient au passé. A sa place, nous conservons
férence. de l'histoire ou de Ia nature (cl analyse de Arendt).
considérant I'Etat comme il est tiellement dans les Etats nouvellement acquis. Selon Machiavel,
. Des lois Transition: Précisément, n'a-t-il pas fait en cela Ia pire des choses ? Ne quelques vestiges, le vieux théâtre grec, Ies tableaux de David,
: et non comme il devrait être,
séparant la politique de la morale faut-il pas déterminer quelle loi spécifique il doit suivre ? le Prince y a pour ennemis tous ceux dont il intérêts. l'æuvre de Machiavel... Parfois, il nous arrive d'en ressentir encore
- sens iuridique et politique : a blessé les
Ies lois en vigueur dans un État et aspirant à I'unité de l'ltalie. UI. fÉtat n'est pas autre chose que le peuple qui le constitue. Il ne peut conseryer l'amitié ni la fidélité de ceux qui Iui en ont le souffle, comme en zoo8, lors de la campagne présidentielle de
donné. a) LÉtat est légitime dans la mesure oir il se matérialise dans le pouvoir
Iégislatif, lui-même constitué par la volonté générale (cf analyse de
facilité I'entrée par l'impuissance où il se trouve de les satisfaire Barack Obama aux Etats-Unis. La presse, alors, parle d'homme
- sens général : Iois au sens naturel, moral, divin, etc.
Rousseau). ou dans la mesure otr il vise à l'intérêt de tous, sans sacriflce autant qu'il se l'était promis. Les problèmes de gouvernance dans providentiel, d'élection historique mais, nous sommes vite
II. Les points du programme
. tÉtat de quelques-uns (c/. analyse dAristote). les démocraties modernes reproduisent parfois iusqu'à la carica- obligés d'en convenir, ce n'était qu'une hallucination. Le retour du
. La justice et le droit. b/ C'est en veillant à respecter Ie principe même de la loi que les ture cette situation. Même si le pouvoir s'obtient par Ie suffrage politique, tant de fois annoncé, ne s'est pas produit.
décisions de I'État sont légitimes.
universel et non par Ia force. Passé un bref état de grâce, Ie nouveau
L'accroche prince élu se voit confronté non seulement à ses anciens rivaux,
Conclusion Christian Salmon, Le Monde daté du o4.o2.zor2
Le fllm Ennem i d'Etat (Tony Scott, 1998) montre comment un citoyen
innocent se voit traqué et démis de tous ses droits au nom d'un LÉtat ne saurait être au-dessus des lois, celles-ci le constituant en tous bien identifiés, mais à un ennemi insaisissable et rebelle :
prétendu intérêt supérieur de la nation. tant que tel. I'opinion. D'autres facteurs objectifs viennent lui compliquer
Les bons outils la tâche. Le cadre national de la gouvernance s'effiloche par les
La problématique . Lanalyse des conditions du pacte social par Hobbes, dans le léviathan. deux bouts, au bénéfice des pouvoirs régionaux d'une part et des
Comment l'État pourrait-il incarner le pouvoir souverain, s'il doit se . La théorie de Ia séparation des pouvoirs par Montesquieu dans
soumettre aux lois ? Comment les lois pourraient-elles s'appliquer si instances supranationales de l'autre, qu'elles soient chargées de
L'Esprit des lois.
ceux qui les font respecter ne les respectent pas eux-mêmes ? Enfln, . At istote, La Polit i que. régulation économique, monétaire ou d'intervention militaire.
I'État représente-t-il vraiment une entité distincte du peuple 7 . Rousseau, Du Contrat social.
La souveraineté de la nation est contestée de toutes parts par Ia
. Machiavel, Ie Prince.
puissance des lobbies en tous genres. A peine a-t-on conquis le
Le plan détaillé du développement
pouvoir dans les urnes qu'on découvre qu'il a déserté les palais
I. Le pouvoir souverain détient une place à part à l'égard des lois. Ce qu'il ne faut pas faire
Énoncer des affirmations contre le gouvernement ou l'État, sans nationaux pour migrer en d'autres lieux - Bruxelles, Wall Street,
analyse ni nuance. Washington -, quand il ne s'est pas purement et simplement
TEXTE CLÉ volatilisé dans les nuées de la mondialisation. Depuis la crise de
pas aux autres animaux, parce que famille et de chaque individu ; car les mêmes ; elles sont seulement zoo8, les « marchés » dictent aux gouvernements les politiques de
Dans cet extrait, Aristote met
en lumière la nécessité pour leur organisation va jusqu'à res- le tout l'emporte nécessairement comprises sous un même nom. rigueur et les agences de notation sanctionnent les récalcitrants.
sentir ces deux affections et à se sur la partie, puisque, le tout une Ce qui prouve bien la nécessité POURQUOI CET ARTICLE ?
lhomme de vivre dans un État De sorte que l'expression de la volonté collective par l'élection,
les communiquer. Mais la parole fois détruit, il n'y a plus de par- naturelle de l'État et sa supériorité
s'il veut mener une existence est faite pour exprimer le bien et ties, plus de pieds, plus de mains, sur l'individu, c'est que, si on ne censée servir de socle à la démocratie, finit par apparaître comme Christian Salmon, en montrant qu'aulourd'hui le pouvoir politique
digne de sonhumanité. le mal, et, par suite aussi, le iuste si ce n'est par une pure analogie l'admet pas, I'individu peut alors n'en est plus véritablement un, met en évidence le désenchante-
Si l'homme est infiniment plus un subterfuge qui se résume à la possibilité offerte au plus grand
et l'injuste ; et l'homme a ceci de de mots, comme on dit une main se suffire à lui-même dans l'isole- ment total vécu par les citoyens du xx" siècle. Nous ne pouvons plus
sociable que les abeilles et tous spécial, parmi tous les animaux, de pierre ; car la main, séparée du ment du tout, ainsi que du reste nombre de se choisir un prince virtuel tous les quatre ou cinq ans. désormais nous rapporter aux grandes doctrines de la philoso-
les autres animaux qui vivent en que seul il conçoit le bien et le mal, corps, est tout aussi peu une main des parties ; or, celui qui ne peut Un roi Carnaval, entouré de collets montés, d'arlequins et de fées phie politique classique - comme celle que Machiavel a élaborée
troupe, c'est évidemment, comme le iuste et l'iniuste, et tous les senti réelle. Les choses se définissent vivre en société, et dont l'indépen- dans son ouvrage Le Prince - puisque l'existence même de la sphère
en général par les actes qu'elles dance n'a pas de besoins, celui-là
aux masques de velours. S'il fallait encore une preuve de la fin
ie l'ai dit souvent, que la nature ne ments de même ordre, qui en s'as- politique s'est dissipée au proflt de pouvoirs qui ne tirent pas leur
fait rien en vain. Or, elle accorde la sociant constituent précisément la accomplissent et ceux qu'elles ne saurait lamais être membre de du politique, elle résiderait dans la figure spectrale de ce prince légitimité du peuple. La vie politique authentique, dans laquelle les
parole à l'homme exclusivement. famille et l'État. peuvent accomplir ; dès que leur l'État. C'est une brute ou un dieu. philosophies politiques du passé puisaient leur sens, n'est plus de
sans royaume et sans gloire, condamné à mimer les gestes et les
La voix peut bien exprimer la ioie et On ne peut douter que l'État ne aptitude antérieure vient à cesser, ce monde.
la douleur ; aussi ne manque-t-elle soit naturellement au-dessus de Ia on ne peut plus dire qu'elles sont Aristote, Politigue, Livre I attributions d'une souveraineté perdue.
précisément là le rôle de l'éducation : elle a pour but premier de loi : par le vote, les hommes se donnent à eux-mêmes leurs propres lois,
La liberté et le devoir discipliner les instincts, c'est-à-dire de les réduire au silence pour que
l'homme ne se contente pas d'obéir à ce que sa nature commande.
en ayant en vue non leurs intérêts particuliers mais le bien commun.
De même, sur le plan moral, Kant, en se référant à Rousseau, montre
C'est aussi, et plus largement, le rôIe de la vie en communauté : Ia que la loi de la moralité à laquelle je dois me soumettre (et qui
Être libre, c'est faire ce que je veux » : telle est notre déf inition courante de la liberté. société civile nous libère de la nature en substituant les lois sociales aux s'exprime sous la forme d'un impératif catégorique) ne m'est pas
Je ne serais donc pas libre lorsqu'on contraint ma volonté par des règles, des ordres lois naturelles. C'est donc la culture au sens large, c'est-à-dire la façon que imposée de l'extérieur, mais vient de ma propre conscience : ie suis
et des lois. Être libre serait alors la condition naturelle de I'homme, et la société la I'homme a de faire taire la nature en lui, qui nous fait accéder à la liberté. libre lorsque jbbéis au commandement moral, parce c'est moi-même
marque de son esclavage. Pourtant, cette opinion ne semble pas tenable. qui me le prescris.
À queltes conditions puis-je être libre ?
Peut-on dire que « fe suis libre quand ie fais ce que je veux »... Certes, mais à quelles La liberté est-elle I'essence de I'homme ?
I'animal est libre ? conditions suis-ie libre de vouloir ce que je veux ? Le plus souvent, ma Dire que la liberté constitue la seule essence de l'homme, cela revient
Si Ia liberté est l'absence de toute volonté est déterminée par ce que je suis : il n'y aurait aucun sens à dire que l'homme n'a pas de nature, qu'il est ce qu'il a choisi d'être,
à vouloir être plus grand si ie n'étais pas petit. Ma volonté n'est alors même si ce choix n'est pas assumé comme tel voire même implicite
règle et de toute contrainte, alors
pas libre ;bien au contraire, elle est déterminée : je ne choisis pas plus (Sartre).
l'animal est libre. Mais ce raison-
nement n'a qu'une apparence de de vouloir être grand que ie n'ai choisi d'être petit. Pour Heidegger, il faut aller jusqu'à dire que l'essence de I'homme,
vérité : Ie comportement d'un Ma volonté n'est donc libre que quand elle s'est libérée de toutes les c'est l'existence : parce qu'il est temporel, l'homme est touiours ieté
animal est en fait dicté par son déterminations qu'elle a reçues, c'est-à-dire quand elle s'est affranchie hors de lui-même vers des possibles parmi lesquels il doit choisir.
de tout ce qui en fait ma volonté. Pour être réellement libre, il faudrait D'instant en instant, I'homme (qu'il le veuille ou non) est une liberté en
instinct, de sorte que l'animal
ne peut pas s'empêcher d'agir que ma volonté veuille ce que toute volonté peut vouloir, donc que ce acte : j'ai à chaque instant à choisir celui que ie serai, même si la plupart
comme il agit. L instinct com- qu'elle veuille soit universellement valable. du temps je refuse de le faire, par exemple en laissant Ies autres décider à
mande, l'animal obéit : loin ma place. Que la liberté soit l'essence de I'homme, cela signifle donc aus-
d'être le modèle de la liberté, Qu'est-ce qu'une volonté universelle ? si qu'elle est un fardeau écrasant :
l'animal est l'incarnation d'une Kant afflrme que ma volonté est universelle quand elle veut ce que elle me rend seul responsable de
totale servitude à la nature. On tout homme ne peut que vouloir : être respecté en tant que volonté ce que je suis. C'est précisément
ne peut parler de Iiberté que libre. Pour être libre, ma volonté doit respecter la liberté en moi-même à cette responsabilité que j'es-
pour un être qui s'est affranchi comme en autrui : elle doit observer Ie commandement suprême de saye d'échapper en excusant mon
du déterminisme naturel. la moralité qui ordonne de considérer autrui toujours comme une fln comportement et mes choix par
en soi, et iamais comme un moyen de satisfaire mes désirs. un « caractère » ou une « nature »
La liberté se conquiert donc en luttant contre les désirs qui réduisent (sur le mode du : « ce n'est pas ma
De quelle manière
l'homme en esclavage et en obéissant l'impératif de la moralité. faute : ie suis comme cela ! »).
I'homme conquiert-i! la à
liberté ?
Pour être libre, il faut pouvoir Comment être libre tout en obéissant à une loi ?
choisir de faire ou de ne pas S'il suffisait d'obéir aux lois pour être libre, alors les sujets d'une
UN ARTICTE
faire. Seul donc un être qui s'est tyrannie connaîtraient Ia liberté. Pour Rousseau, la seule solution à
DÜ MONDE
débarrassé de la tyrannie des ce problème à la fois politique et moral, c'est que je sois aussi l'auteur
À cousulrnn
instincts peut remplir Ies condi de la loi à laquelle ie me soumets.
tions minimales de l'accès à la Sur le planpolitique, le « contrat social » garantit la liberté des citoyens . Liberté p. 9t (Philippe
non en les délivrant de toute loi, mais en faisant d'eux les auteurs de Ia Boucher, Le Monde daté du
Iiberté. Kant soutient que c'est
o7.ro.r989)
Delacroix, La Liberté guidant le peuple.
Baruch Spinoza (1632-167 7 ).
Dissertation : Liberté
Toute prise de conscience est-elle libératrice ?
Que la liberté puisse craindre de la liberté, qu'elle puisse en être menacée, Mille faits incontestés maintenant arrivent à la connaissance du public et
L'analyse du sujet b/ D'un point de vue collectif, prendre conscience de son réel statut qu'elle puisse même en mourir, c'est davantage qu'un suiet de concours qui, sous un autre maitre soviétique, eussent été, un par un, une révolution.
amène à le changer (exemple de la conscience de classe pour Marx). plutôt « bateau », c'est l'évidence qu'apportent, auiourd'hui comme hier, les Pour qui ne se sentait pas inféodé à I'URSS d'hier, mais n'en était pas
L Les termes du sujet
Transition: Mais Ia révolution ne donne pas touiours lieu à un statut pays qui tentent de se soustraire à la tyrannie, qui font irruption presque l'ennemi ; pour qui tout avancée de la liberté suscite une ioie de citoyen
. Prise de conscience :
meilleur ou plus libre. par mégarde dans un univers où Ie mot liberté ne serait plus dépourvu qui voit croitre le nombre de ses pairs, un sentiment nait : l'espoir, et sa
- aspect subiectif : effort de luci-
de sens et de poids. jumelle la peur. Car la liberté est d'abord un désordre, ses conquêtes sont
dité, de critique. II. ta lucidité repère, voire accroît, les limites de nos choix.
A plus forte raison si ce renversement de cours sbpère sans ces bouleverse- autant de camouflets pour l'ordre ancien. Le porteur de liberté devient
a/ D'un point de vue philosophique, la prise de conscience du déter-
- aspect objectif : accession à une ments politiques, qu'on les nomme guerres ou révolutions, qui marquent l'auteur du désordre, et les camouflets entretiennent l'idée de revanche.
vérité, à une connaissance. minisme pesant sur nous ne Ie fait pas disparaître (cf analyse critique
la fracture entre une époque et une autre, et qui, ruinant l'ordre ancien, Lejoug paraissant s'alléger, les peuples soumis s'émancipent et les peuples
. Libératrice: de Spinoza sur le libre arbitre). privent de toute parole ceux qui le soutenaient et s'offusquent du nouveau. annexés appellent à la sécession. Dans des sociétés encore incompatibles
b,)D'un point de vue psychologique et moral, Ia conscience plus aiguë La liberté engendre la liberté et, avant d'en être repu, un pays qui en a
- sens politique : gain de droits, avec la liberté, se développent des usages que seule la liberté autorise. La
d'autonomie. de nos limites et de nos défauts ne procure pas une grande conflance été durablement privé, pour qui cette privation est presque un élément liberté en parait coupable.
en soi (exemple du remords). de civilisation, veut l'éprouver comme un pauvre gaspille une fortune Autrefois ravagées pour avoir crié le nom de liberté, des nations s'inspirent
- sens psychologique : gain de
choix, de possibilités d'action. c/ D'un point de vue hypothétique, il serait alors préférable d'ignorer inopinée. Au point de mettre en péril celui qui incarne ce mouvement. maintenant, et sans dommages pour elles, des pratiques économiques de
beaucoup de choses et de se sentir libre et heureux de ce fait (exemple Parce qu'aussi, la liberté fait peur à ceux qui étaient accoutumés à vivre l'Occident avant de se laisser séduire par ses systèmes politiques ; autre-
II. Les points du programme
analysé par Descartes). sans elle ; quand ils ne tiraient pas bénéfice de ce qu'elle était proscrite. La ment dit, par les différentes manières de mettre en musique la démocratie.
. La liberté.
Transition: Mais un être sans réflexion, sans prise de conscience, liberté devient une ennemie ; celui qui l'a restaurée, une cible. La société soviétique se réchauffe, et chacun sait que la chaleur est très
. La conscience.
LURSS expose au reste du monde cette leçon de choses qui serait banale néfaste aux banquises. Pour un pays qui, plutôt que d'être un « État ,, une
. Lhistoire. est-il libre ?
si elle n'avait pas la taille d'un empire ; composé, cet empire, comme il est « République », ou un nom de lieu comme « France » ou « Italie », a choisi
III. La liberté ne peut s'établir sans prise de conscience.
de règle pour une telle organisation politique, de peuples asservis et de de se nommer « Union » et d'être ainsi alphabétiquement classé, c'est sa
a/ Laction politique vise à agir sur les inégalités et Ies exploitations
« En un mot, si l'on convient dâppeler libre peuples soumis, de nations annexées et de nations sous surveillance ; les nature même qui peut paraitre compromise quand les États baltes sortent
qui peuvent être changées. La prise de conscience en est la première uns et les autres manifestement prêts maintenant à faire éclater l'empire, Ieurs drapeaux nationaux pour fredonner le Chant du départ et que les
tout acte qui émane du moi, et du moi seulement, étape nécessaire, quoique non sufflsante. pour emprunter à l'ouvrage qui valut à Mme Carrère d'Encausse peut-être États voisins, iusqueJà des plus respectueux, songent à vivre leur vie pour
l'acte qui porte la marque de notre personne b) D'un point de vue existentiel, la prise de conscience d'une liberté la fortune et assurément la célébrité. que leur indépendance ne soit plus une fiction juridique.
est véritablement libre , (Pascal) fondamentale pour l'homme l'amène à revendiquer et à assumer sa C'est une vérité rebattue que I'URSS est l'héritière fldèle de la Sainte Russie, Qui, naguère, aurait toléré qu'un pays de l'Est soit désormais officiellement
liberté (cl analyse de Sartre). dont elle ne supprima, pour ainsi dire, que le gouvemement dynastique. Pour étiqueté comme un pays que l'on fuit (même si auparavant chacun savait
c)Tout refuge derrière un déterminisme supposé est alors une perte le reste, qu'il s'agisse de la politique extérieure ou de la police intérieure, qubn à quoi s'en tenir) et que d'autres pays de l'Est adoptent sans le dire une
L'accroche se reporte à la relation de voyage que publia Astolphe de Custine en t843 sous attitude qubn pourrait être tenté de comparer à un droit d'asile, alors que
de liberté et un exemple de mauvaise foi.
En prenant conscience de sa situation, iusqu'alors ignorée, CEdipe se le titre Ia Russre enfij9 etqui,par une involontaire prescience, décrit...la Russie ce droit est le désaveu d'un pays-frère ?
crève les yeux et s'exile de Thèbes. soviétique, demeurée terriblement semblable à celle des tsars. Voilà donc que la liberté rend à M. Gorbatchev la vie beaucoup plus difficile
Conclusion Custine s'y montre reporter d'un inimaginable futur, une manière de Jules que s'il s'était conduit comme les potentats, rouges ou non, qui ont avant
libératrice si elle s'accompagne des conditions
La prise de conscience est
La problématique Verne politique. C'est ce qu'explique si bien Pierre Nora dans la préface qu'il lui occupé le Kremlin.
permettant de changer ou d'assumer ce qui est devenu conscient. écrivit pour l'édition abrégée de cet ouvrage, qu'édita la maison Gallimard Combien n'est-il pas paradoxal et logique à la fois que les libertés dont
A-t-on touiours intérêt à prendre conscience de choses ou d'emprises
il y a quelques années. La Russie de 1839, celle de Nicolas 1.., c'est, à trop usent, fût-ce avec des mécomptes, Baltes, uniates ou Allemands de l'Est,
auxquelles on ne pourra rien changer ? Le gain de lucidité donne-t-il
Les bons outils peu près, I'URSS d'avant M. Gorbatchev. pour ne rien dire des Polonais, nuisent à la solidité du pouvoir qui les a
dans ce cas un gain de liberté ? . Spinoza, Lettres à Schuller. Lauteur y présente son analogie de Alors, déjà, il y a exactement cent cinquante ans, la Russie s'étend sur deux consenties !
l'homme et de la pierre qui roule. parties du monde, et, avec soixante millions d'habitants, est devenue la D'autant que, touiours mauvaise fllle, éternellement mal mariée avec la
Le plan détaillé du développement . Sartre, I'exisf entialisme est un humanisme.
plus grosse population d'Europe. Déjà, Nicolas écrase (écrabouille serait liberté, l'économie, à ce que disent les économistes dont il n'y a hélas ! pas
. Rousseau, Ie Contrat social.
I. La prise de conscience donne une expérience de liberté. plus iuste) Ia Pologne, persécute Ies uniates, ces chrétiens de rite grec qui lieu de douter, semble infliger la démonstration que le nouveau régime fait
. Hobbes, Léviathan.
a) D'un point de vue individusl, « prendre conscience » signifie se débar- ont le tort de n'être pas schismâtiques comme l'empereur et de reconnaitre vivre l'URSS encore plus mal que le précédent. Ce ne serait pas la première
rasser d'une ignorance ou d'un préjugé sur une question. Cela implique l'autorité du pape, déporte ses suiets par dizaines de milliers, soumet tous fois que des adversaires s'appuieraient sur des émeutes de la faim ou de
une action d'analyse personnelle (exemple du cogito de Descartes). les autres à un espionnage permanent et, selon une expression de l'époque, la pénurie pour renverser un gouvernement qui leur déplait et avant tout
Ce qu'il ne faut pas faire
Traiter le suiet sans voir la différence entre « conscience » et « prise de fait de la Russie une caserne. l'homme qui l'incarne. Dans ce cas, n'est-il pas grand temps que l'Occident
conscience » d'une part, et entre « liberté » et « libération » d'autre part. La comparaison avec son plus célèbre successeur soviétique est tout à fait songe à nourrir la liberté ?
TEXTE CLÉ superflue. S'il n'y a pas eu, sous Nicolas, de « procès des blouses blanches »
comme celui que Staline ordonna, c'est qu'on n'avait pas encore songé à Philippe Boucher, Ie Monde daté du o7.ro.t989
Dans cet ertrait, Bergsonmontrc toute-puissante de notre carac- ractère se modifle insensiblement la marque de notre personne est l'utilisation politique de la médecine et de ses praticiens.
quelaliberté doit se comprendre tère. Notre caractère, c'est encore tous les iours, et notre liberté en véritablement libre, car notre moi Soudain, pratiquement d'un iour à l'autre, la peur et le soupçon cessent
nous ; et parce qu'on s'est plu à souffrirait, si ces acquisitions seul en revendiquera la paternité. d'être ce principe de gouvernement transmis sans retouche d'un régime
à partir de l'ade d'une personna-
scinder la personne en deux par- nouvelles venaient se greffer sur La thèse de la liberté se trouverait à celui qui l'a abattu. Le pouvoir ne dédaigne plus de s'expliquer.
lîté, d'un« moi » concvet. POURQUOI CET ARTTCLE ?
ties pour considérer tour à tour, notre moi et non pas se fondre en ainsi vérifiée si lbn consentait à Aux yeux du monde, ahuri et donc sceptique, d'autant que ce changement
Bref, nous sommes libres quand par un effort d'abstraction, le moi lui. Mais, dès que cette fusion aura ne chercher cette liberté que dans
agace le conservateur qui sommeille en chacun de nous, des élections ont Cet article met en lumière la liberté sous sa forme politique à partir
nos actes émanent de notre per- qui sent ou pense et le moi qui lieu, on devra dire que le change- un certain caractère de la décision
lieu où le parti encore unique renonce à la règle du candidat unique et ou de la description de la situation de l'URSS'iuste avant sa chute. Lau-
sonnalité entière, quand ils l'ex- agit, il y aurait quelque puérilité ment survenu dans notte carac- prise, dans l'acte libre en un mot.
bien des triomphateurs désignés sont défaits. teur montre qu'à cette période de l'histoire, 1'aspiration à Ia liberté
priment, quand ils ont avec elle à conclure que I'un des deux moi tère est bien nÔtre, que nous nous
Dans la vie quotidienne, perce la liberté : de critiquer à visage découvert s'est emparée des hommes vivant en union soviétique et que cette
cette indéfinissable ressemblance pèse sur l'autre. Le même reproche le sommes approprié. En un mot, Henri Bergson,
sans risquer la Sibérie, d'être informé de ce qui ne va pas et de l'être aspiration à la liberté, favorisée par le régime lui-même, s'est retour-
qu'on trouve parfois entre l'ceuvre s'adressera à ceux qui demandent si l'on convient d'appeler libre Essai sur Ies données
née contre lui, preuve du caractère paradoxal de la liberté et de sa
et l'artiste. En vain on alléguera si nous sommes libres de modifier tout acte qui émane du moi, et du immédiates de la conscience sincèrement, de manifester sur la voie publique sans qu'au bout de la rue
puissance de subversion de lbrdre établi.
que nous cédons alors à I'influence notre caractère. Certes, notre ca- moi seulement, l'acte qui porte se dessine une prison.
que ce bonheur ne serait rien s'il I'amenait à nier l'exigence d'une conduite morale : la durée.L'ambition des grandes écoles de Ia philosophie antique, c'est ne peut donc pas, comme le croyaient les différentes philosophies an-
donc de permettre à l'homme d'accéder à la yie heureuse : la recherche tiques, à la fois faire son devoir et rechercher le bonheur, parce que le
le devoir. devoir, c'est précisément faire passer l'impératif de la moralitéavantla
d'un bonheur durable sera l'objet de cette partie de Ia philosophie
qu'on nomme l'éthique. recherche du bonheur.
naturels et nécessaires, parce qu'ils sont source de plaisir et faciles à chercher à être heureux. Mais
satisfaire. Pour les Stoïciens, le bonheur ne saurait être durable s'il comme devoir et bonheur sont
Couverture
Salvador Dali(dit Dali), Vestrges ataviques après la pluie, vers 1934
@ Salvador Dali, Fundacio Gala-Salvador Dali,z Adagp, Paris, 2019. Photo : Bridgeman lmages.
Le sujet
La conscience, I'inconscient:p.6 Le Caravage,Narclsse, DR - p.7 Sigmund Freud, DR. - p.8 Sculpture, @Thierry Derégnaucourt.
La perception : p. 10 Husserl, DR - p. 11 Portrait de René Descartes (1596-1650), d'après Franz Hals, DR.-
p. 12 lllusion d'optique : la jeune f ille et la vieille dame, DR.
Autrui : p. 14 Buste de Socrate, @ istockphoto.- p. 15 Bouddhas, @ Thinkstock.- p. 16 Jean-Paul Sartre, DR.
Le désir : p. 18 La Nalssance deVénus, O Getty lmages.- p. 19 Statue de Marc-Aurèle, colline du Capitole à Rome, @ Jupiterimages.-
L'existence et le temps : p. 22 Saint Augustin, détail d'un retable, Cambridge, DR.-
p. 23 Sablier, @ Alexey Klementiev/ Fotolia ;Tunnel, DR - p 24Église du souvenir à Berlin, O Sale/ Fotolia.
La culture
Le langage: p.28 Ferdinand de Saussure, DR - p 29 Hiéroglyphes, @ iStockphoto.
L'art : p.32 Statue de Kant à Kaliningrad, DR.- p 33 Victoire de Samothrace, DR. - p.34Jean Siméon Chardin, La Raie,1728, DR.
Le travail : p. 36 Statue de Marx et Engels, @ iStockphoto - p 37 lllustration tirée des Confesslons
de Jean-Jacques Rousseau @ Getty lmages. - p. 38 Sieste, @ iStockphoto.
La technlque : p. 40 Aristote, @ Thinkstock.- p 41 Les Iemps modernes, @Rue des Archives,/RDA .-
p 42 Téléphones portables, (o Fotolia.
La religion : p. 44 Auguste Comte, DR. - p 45 Blaise Pascal, @ iStockphoto/ Thinkstock. - p. 46 Livres, @ Fotolia
L histoire : p. 50 Hegel, DR - p. 51 Antoine-Jean Gros, Napo/éon à la bataille d'Eylau en 1807, @ Getty lmages.- p. 52 Jules César, @ Thinkstock
La raison et !e réel
Théorie et expérience : p.54 Michael Faraday, @ Getty lmages. - p.55 Laboratoire, @ Comstock.
La démonstration : p. 58 Pythagore, @ istockphoto - p. 59 Raphaë1, L'École d'Athènes (détail), DR. - p. 60 Aristote, @ iStockphoto.
Le vivant : p.62 Bergson, DR.- p. 63 Chromosome, @ Fotolia, Cellules sanguines,
@ Janis Smits/ Fotolia - p.64lnsémination, @ Alexandr Mitiuc/ Fotolia.
La matière et I'esprit : p. 66 Démocrite, DR. - p. 67 Descartes,Traité de I'homme, DR - p 68 lRM, @ iStockphoto.
La vérité : p. 70 Saint Thomas dAquin, DR.- p 71 La bouche de la vérité, @ lavarman - p. 72 Saint Thomas d'Aquin, O Thinkstock.
La politique,la morale
La société et les échanges : p. 76 @ Jean-Régis Roustan/ Roger-Viollet. - p. 78 Poignée de mains, @ Fotolia (263).
La justice et le droit : p. 80 Statue de Platon, @ Thinkstock. - p. 81 Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, DR. - p. 82 Balance de la justice, @ iStockphoto.
L'État : p. 84 Page de titre du Léviathan, DR. - p 85 Portrait de Montesquieu, DR. - p. 86 Machiavel, DR.
La liberté : p. 88 Delacroix, La Liberté guidant le peupte, DR.- p.89 Baruch Spinoza, @ Getty lmages. - p. 90 Mains liées, @ Anyka/ Fotolia.
Le bonheur : p. 92 Seurat, lJn dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte, Wikimedia Commons. - p. 93 Emmanuel Kant, @ iStockphoto.
Edité par Ia Société Editrice du Monde - 8o, boulevard Auguste Blanqui - 75o13 Paris
Tél : +(33)ot 57 z8 20 oo - Fax : +(33\ ot 57 z8 zt zr
Internet : www.lemonde.fr
Président du Directoire, Directeur de Ia Publication: Louis Dreyfus
Directeur de Ia rédaction : [érôme Fenoglio
Dépôt légal : décembre zor8 - lmprimé par Aubin Imprimeur - Achevé d'imprimer : décembre 2018
Numéro hors-série réalisé par Ie Monde - @ Le Monde - rue des écoles zorg
v
,6!rata- i0-31-1601 /c€difiépEFc/ceproduiresrissuderorêtsgéréesdurablementeldesourcescontrôlées./pefcjrance.org
Toujours plus connectés, nous partageons chaque jour un grand nombre de données
qui, mal maîtrisées, mettent en péril nos libertés individuelles. À ta Vntf, nous prenons
des engagements concrets en faveur de la protection des données personnelles
et du respect de la vie privée. Pour profiter au mieux des opportunités qu'offre l'univers
digital, nous proposons des outils pour (re)prendre en main son identité numérique
et nous nous engageons à agir pour un monde numérique résolument humain et éthique.
Découvrez toutes nos actions sur entreprise.maif.frlnumerique assureur militant
Testez-vous
Pour
le boc
PHILOSOPHIE
39 questions
corrigées et commentées
Complétez le texte suivant comme il percevons est un pur produit de notre Paul Sartre, qu'autrui « est le médiateur Complglg2 le texte suivant comme il
convient. imagination. indispensable entre moi et moi-même » ? convie51.
Réviser son boc ou"c Ielltrondt Les tests
Selon saint Augustin, « ce qui nous
Question 15 degré car, si les choses sensibles sont les
autorise à affirmer que le temps Selon Bergson, le temps :
En quel sens le linguiste André Martinet dégradés des
est, c'est qu'il tend à n'être plus ». Il A. est la façon dont l'intelligence parle-t-il d'une « double articulation du intelligibles, le peintre, par exemple, ne
divise en effet le temps en trois mo- comprend la durée en la spatialisant. langage » ? faitqueproduireune deco-
ments : Ie , qui n'est plus, B. est Ia façon dont nous comprenons [J A. Parce que tout énoncé est pie. Néanmoins, il ne faut pas confondre
I' , qui n'est pas encore, et la durée à partir de Ia ponctualité de susceptible d'avoir un double sens. le beau dans la nature et le beau dans I'art,
le , qui est toujours déià l'instant.
tr B. Parce que toute langue humaine comme le souligne Hegel, les créations de
passé. Le temps n'est donc pour Iui qu'une C. est un vécu subiectif qui s'oppose à
est composée d'éléments dotés de sens,
Ia durée objective. l'art sont plus élevées que celles de la na-
distension de l'âme qui n'a flnalement eux-mêmes constitués d'unités non
D. est hétérogène,continu et non dotées de sens. ture car elles sont Ie fruit de
de réalité que présente puisque nous Ie
mesurable, contrairement à la durée. I et sont porteuses d'un que
saisissons par la , qui est le C. Parce que le signe linguistique est
l'
présent du passé, par composé d'un signifiant et d'un signifié. I'on ne perçoit pas dans la nature.
, qui
est le présent du présent, ou
l' qui est Ie présent L'art Le travail
de 1'avenir.
EIEffi![1Eâ
Question 15
Placez les mots proposés à l'endroit qui
La culture convient.
particulier (deux fois) - concept -
Le travail peut, dans certaines
conditions, être considéré comme un
facteur d'aliénation. Pourquoi ?
réfléchissant - belle - général (deux fois)
Question 13 Le langage - déterminant - goût A. Parce qu'il rend fou.
Placez les mots proposés à l'endroit qui B. Parce que le travailleur n'est pas
convient.
EtrEEEllllllEE Selon Kant, le jugement de.
suffisamment rémunéré.
- incultes - peuple - coutumes n'est pas un jugement
représenter Question 14 C. Parce que le travailleur est étranger
- cultivés - inné - humain -acquis - Placez les mots proposés à l'endroit qui c'est-à-dire une opération par la-
habitudes - savoirs - cultivé - mceurs quelle l'esprit applique un concept àl'ouvrage qu'il réalise et qu'il n'est plus
convient. qu'un rouage d'une mécanique qui le
Lorsque lbn parle de culture, on peut à un obiet
conventionnaliste - concept -
tout d'abord se référer à la culture représentation - signifi ant - craÿlisme
mais un iugement . . qui dépasse.
consiste à remonter du ..... D. Parce que le travail oblige le
d'un .................., c'est-à-dire à ses - Iinguistique - signifié - arbitraire - image
au .. ... . Ainsi, lorsque ie iuge travailleur à se lever tous les matins
etses..................,toutce acoustique
qu'une æuvre est ......., ie n'ap- pour se rendre sur les lieux de son
quichezunhommerelèvedel:...............
Selon le fondateur de Ia.... plique pas le ....,. .. de beau à travail.
etnondel' . La culture désigne
Ferdinand de Saussure, Ie signe linguis- celle-ci, mais je reconnais le beau à partir
ce qui fait qu'ungroupe se
distingue d'un autre par ses
tique est Il développe de sa singularité.
En quel sens peut-on dire du travail
et sa manière de se lui-même, donc une thèse......... opposée au
Question 17 qu'il est « ambivalent » ?
ainsi que le monde dont il fait partie. En ce .., thèse défendue par Socrate
Placez les mots proposés à l'endroit qui A. Parce qu'lI demande plus
sens, tous les hommes sont dans le Cratyle de Platon et selon laquelle convient. d'effort et de peine qu'il ne fournit de
Néanmoins, lorsque I'on dit d'un homme les mots seraient l'exacte imiter - faussaires (deux fois) - reflets - satisfaction.
qu'ilest ,onentendégalement des choses. sens - copie - formes - l'esprit B. Parce qu'il est peut-être à la fois
qu'il s'agit d'une personne qui détient de Pour Ferdinand de Saussure, le signe lin- perçu comme une activité libératrice,
Dans La République, Platon condamne les
nombreux et qui pour cela guistique est composé d'un
artistes, qu'il qualifie de ....... mais pouvant devenir aliénante.
se distingue des êtres humains que lbn et d'un , c'est-à-dire d'une car ils ne font qu' la nature. C. Parce qu'il rapporte de l'argent que
qualifle d' et d'un Ils sont même au second l'on n'a pas le temps de dépenser.
Réviser son boc or"" ftfigllte Les tests
animaux. Au contraire, bien qu'il n'ait fJ Dieu est Ie seul recours que trouvent
C. Question 26
Question 20
ni fourrure, ni crocs et qu'il ne soit pas les ignorants pour tenter de rendre raison Placez les mots proposés à l'endroit qui
La philosophe Hannah Arendt distingue
rapide à Ia course, l'homme dispose de ce qu'ils sont incapables d'expliquer. convient.
le travail et I'æuvre, pourquoi ?
de savoir quel rôle elle joue dans la du vivant ne permet pas d'accéder à une
. La querelle qui oppose à ....... - C'est en réduisantlevivant La politique, lâ morale
ce suiet les idéalistescomme Descartes et au . .. . .. que la biologie s'est
les empiristes comme Hume est résolue engagée sur la voie de la science ; on ne ... .... : il serait injuste
Question 33 être de
par Kant : toute connaissance commence peut connaître un phénomène qu'en I'ex- Le mot « politique » vient du grec .... de la même façon celui
avec l' . .. , mais tout, dans la pliquant par ses
........et non en polis qui désigne « la cité », mais quel qui exerce un travail pénible et difflcile
connaissance, n'en provient pas. Enfln, l'interprétant en termes de .
sens avait ce terme pour les Grecs de et celui qui effectue une tâche plus aisée
elle est une scientiflque : lAntiquité à accomplir. Il faut donc établir, pour
La matière et l'esprit ?
tions ....... alors que Hobbes, ü C. Il relève de la contrainte car, d'expliquer pourquoi telle idée, tel souvenir, telle
pour qui l'état de nature est un état lorsque i'agis par devoir, ie me sens Le suiet image lui vient soudain à I'esprit, ou pourquoi
il ressent tel désir. Ce caractère lacunaire de Ia
......., se fera le défenseur d'un forcé de faire une chose que je n'ai pas Question 1: C. conscience laisse donc supposer qu'il y a d'autres
choisi de faire. Selon Descartes, ie ne peux douter du fait que je
État fort et de la monarchie. pense : le cogito demeure vrai, même si toutes mes
instances qui déterminent notre vie psychique
sans que nous en ayons conscience.
idées étaient fausses. Il n'y a donc pas de pensée
Question 39
sans aperception: au moment où je pense, je sais
La liberté Complétez le texte suivant comme il que ie pense et que c'est moi qui pense. Pour Descartes, il n'y a pas de perception qui ne
convient. soit accompagnée de pensée. Dans « l'analyse du
lllltll|âiElrErr Question 2 : la phénoménologie, morceau de cire ,r, qu'il développe dans la seconde
Selon Platon, celui qui se figure qu'il quelque chose, I'intentionnalité,
des Méditations métaphysiques, rlmontre que I'on
Question 37 ne faut suivre que ses...... une substance, projection. ne peut simplement se fler aux qualités sensibles
Bien que s'inspirant de Descartes, puisque l'un
Placez les mots proposés à l'endroit qui se trompe de bien et prend pour une pour reconnaître un corps Iorsque nous le perce-
de ses ouvrages maieurs s'intitule Ies Méditation
convient. ...... ce qui n'est en fait qu'un vons. Si la cire fond, sa consistance, sa couleur, son
cartésiennes, Husserl remet en question la thèse
odeur, le son qu'elle émet si je frappe dessus, son
déterminent - servitude - conscience - esclavage. Mais alors, quel est le bien vé- selon laquelle l'expérience du cogito conduirait
goùt même, tout cela change, mais pourtant, grâce
ritable ? Pour Bentham et les utilitaristes, à penser que la conscience est de lbrdre d'une
sentiment - ignorance - s'éprouve - libre à une opération de mon entendement, ie iuge que
substance pensante. La conscience ne Peut exister
arbitre - ignorent - se prouve ce sont les conséquences d'un acte qui c'est touiours la même cire que j'ai sous les yeux.
seule, par elle-même et pour elle-même, elle
Selon Descartes, le .. .. de la décident de sa valeur morale : pour le n'existe qu'enfonction de ce dont elle a conscience.
conséquentialisme, une action est bonne Elle ne peut pas être conscience tout en étant
liberté est le signe par lequel ie sais que conscience de rien, c'est pourquoi toute conscience
jedisposed'un quand elle favorise le .................. du
........infini.Ence est toujours conscience de quelque chose. Pour Descartes, Ia perception n'est pas seulement
plus grand nombre. C'est ce point que une accumulation de sensations, elle relève aussi
sens, la liberté ne pas par Question 3 : objet, recul, distance, monde,
réfute Kant : seule l'. ....... a une morale, valeur, grandeur, misère, dignité,
d'un jugement, c'est-à-dire d'une opération intel-
un raisonnement mais lectuelle. Si je perçois un morceau de cire à l'état
j'ai ...... valeur morale, et il faut distinguer les responsable, f initude.
Parce que quand solide, et qu'ensuite il devient liquide et ne me
actes désintéressés faits par pur respect on distingue traditionnellement la conscience procure plus du tout Ies mêmes sensâtions, ie sais
i'accomplis un acte que i'aurais pu ne pas pour la loi morale, et les actes conformes psychologique et la conscience morale. La pre-
néanmoins que je perçois touiours la même cire
l'effectuer, je sais que je suis libre. Spinoza mière renverrait au savoir que chaque homme
au...... , qui sont en fait dictés possède de son existence dans le monde parmi
grâce à « une inspection de l'esprit ». En revanche,
s'oppose radicalement à cette thèse en par les inclinations sensibles ou désirs. si ie ne me fiais qu'à mes sensations, je n'aurais
d'autres consciences et la seconde renverrait,
affirmant que les hommes se croient aucune raison de croire que j'ai le même matériau
C'est seulement quand la ....... sinon à une intuition du bien et du mal, à une sous mes yeux.
libres parce qu'ils ont conscience de leur de mon action est désintéressée que interrogation sur la valeur morale de nos actions.
désir et les causes qui les
. Par exemple, l'homme ]l l"1l l""l I
ra fois, et
Selon Alain, cette distinction est artificielle, car
ces deux consciences n'en font qu'une seule dans
la mesure où la conscience de soi du sujet le
Contrairement à ce que lbn pourrait penser im-
médiatement, « autrui » ne désigne pas tout ce
ivre croit parler librement, alors qu'en conduit à prendre nécessairement une certaine qui est autre que moi. En effet,,e ne dirai pas
distance par rapport à lui-même et par conséquent d'une chose ou même d'un animal qu'ils peuvent
réalité il est sous l'emprise de l'alcool.
à s'interroger surle caractère légitime de ses actes. être rangés derrière cette câtégorie - même s'il
Aussi, pour Spinoza, la conscience de ma Aussi, comme le pense Pascal, la conscience fait- est vrai qu'auiourd'hui de plus en plus de signes
liberté prouve tout Ie contraire de ce qu'y elle de l'homme un être privilégié dans la nature, nous conduisent à considérer qu'il y a plus une
puisqu'elle lui permet de s'affirmercomme liberté, différence de degrés qu'une différence de nature
perçoit Descartes : elle est le signe de ma entre I'homme et l'animal. Par ce terme, ie désigne
ce qui fait sa grandeur. Néanmoins, cette Srandeur
. .... . et de mon.. a un prix, elle met I'homme face à ses incertitudes touiours les autres humains. Autrui est mon
et elle lui fait prendre conscience de son imper- semblable, une âutre conscience, celui qui est
Question 38 fection et du caractère fini de son existence. Cette comme moi sans être moi. Autrui est un âutre moi
Le devoir relève-t-il de I'obligation ou de conscience est à lbrigine de l'angoisse existentielle qui n'est pas moi.
que ressent tout homme, c'est en ce sens qu'elle est
la contrainte ?
également à l'origine de sa misère. En affirmant cela, Sartre veut nous faire prendre
tr A. II relève des deux car ces termes
4: C. conscience du rôle que joue autrui dans Ia per-
Question
sont synonymes. Le moi désigne principalement la partie la plus ception que nous avons de nous-mêmes. Nous
tr B. Il relève de lobligation car, ce consciente du psychisme, il pourrait donc pour ne nous jugeons pas de la même manière lorsque
que j'accomplis par devoir, je le fais cette raison être considéré comme celle qui le nous sommes seuls ou en présence de cette autre
dirige et le contrôle. Cependant, si c'était le cas, il conscience qu'esl autrui. Nous prenons conscience,
librement, personne ne me contraint à serait en mesure d'expliquer tout ce qui se produit lorsqu'il est présent, de certains aspects de nous-
le faire. en lui, or il n'en est rien. Personne n'est en mesure mêmes qui nous échappent dans la solitude. Sartre
10 11
Réviser son boc orec ftJllonûÊ Les corrigés
prend I'exemple de la honte. Lorsque,e commets du présent : dans notre vécu, passé immédiat, d'un concept. Le signe « arbre » n'évoque donc choses que nous percevons grâce à nos sens ne
un acte que ie iuge immoral, je n'en prends pas présent et futur immédiat se mélangent. La durée pas nécessairement tel ou tel arbre, mais tous les sont que de pales reflets de ces formes intelligibles.
nécessairement conscience, mais si un autre me est qualitative, hétérogène, et ne se mesure pas : arbres possibles. Ainsi, je ne percevrai jamais par les sens des obiets
surprend, je découvre toute la portée de mon acte, un coup de foudre a une durée (c'est un moment parfaitement égaux, mais ie peux penser l'égalité
je me juge comme autrui me juge et i'ai honte. qualitativement distinct), mais on ne sait pas parfaite. C'est d'ailleurs parce que i'ai connaissance
Le linguiste André Martinet est le premier à avoir
combien de temps il prend au moment de le vivre. de cette idée que je peux juger que deux obiets
souligné cette caractéristique du langage humain.
sont approximativement de taille égale, mais ce
Ces trois termes désignent les différentes modali- Lorsque nous recourons au langage, nous utilisons
n'est pas la perception de ces objets qui fait naître
à un premier niveau des unités dotées de sens, que
tés selon lesquelles l'être humain peut tendre vers
un objet. Ainsi, le besoin relève de la nécessité, La culture l'on qualifie d'« unités de première articulation »,
en moi l'idée d'égalité. Il est donc permis d'en
conclure que les choses sensibles sont des copies
principalement biologique, il renvoie à ce qui est que I'on nomme « monèmes » ou « morphèmes »,
Question 13 : peuple, mæurs, coutumes, imparfaites des idées ou formes intelligibles. Par
indispensable pour remplir toutes les fonctions et qui se combinent entre eux pour produire un
acquis, inné, humain, habitudes, conséquent, le peintre, qui représente un obiet
d'un organisme vivant. Si ie ne satisfais pas la faim énoncé signifiant. Les monèmes, qui sont les plus
{eprésenter, cultivés, cultivé, savoirs, qu'il perçoit par les sens, produit une copie de
ou la soif, je ne peux survivre. Le désir quant à lui petites unités dotées de sens, s'articulent ensuite
incultes. en phonèmes, qui nbnt pas de sens pris isolément,
copie, il est donc un faussaire à un second niveau.
ne relève pas de ce qui est superflu, mais concerne
Le terme « culture » est polysémique, il possède Néanmoins, cette critique de I'art ne vaut que si
une autre nécessité, celle de l'être conscient, et mais qui se combinent pour produire les unités de
plusieurs significations. Il peut tout d'abord être l'on considère que l'art consiste à copier la nature.
conscient de soi, qui tend à s'affirmer et à être première articulation. Ce sont ces phonèmes qui
compris dans un sens anthropologique ou eth- Si lbn considère, comme Hegel, qu'il y a une part
reconnu. Quant à la volonté, elle désigne non sont désignés par les différents caractères utilisés
nologique et désigner l'ensemble des règles, des dans I'alphabet phonétique. de création de I'esprit dans l'art, cette critique n'est
seulement une tension consciente, mais elle est
valeurs et des croyances à partir desquelles se plus recevable.
également accompagnée d'une réflexion éclairée 16 : goût, déterminant, généra
structure la vie d'une société. C'est en ce sens que
par Ia raison. Ainsi, elle ne s'oppose pas à tous les
lbn peut caractériser l'homme en tant qu'être r, réfléchissant, particulier,
désirs, mais peut, si elle est suffisamment forte, « Laliénation » désigne I'opposé de Ia « liberté »,
de culture, dans la mesure or) il ne peut réaliser
résister à ceux dont Ia satisfaction pourrait être l'état de celui qui est comme étranger à lui-même.
son humanité qu'au moyen de ces ensembles de Peut-on, âu suiet de la beauté, accorder de la valeur
nuisible au sulet. Le travail peut être considéré comme âliénant
règles et de valeurs que sont les cultures propres au proverbe « à chacun ses goûts ,, ? Cela laisserait
dans Ia mesure ou le travailleur, lorsqu'il n'a
à chaque peuple. Mais la culture désigne aussi le entendre que le iu8ement de goùt est purement
pas conçu l'ouvrage qu'il contribue à réaliser et
Le mythe de Ia naissance d'Éros a pour obiectif de processus par lequel un enfant d'homme devient personnel et que tout peut être jugé beau selon
nbpère qu'une seule opération dans sa fabrication,
nous faire comprendre ce qui fait l'ambivalence proprement humain. Il faut pour devenir humain que l'on a affaire à tel ou tel individu. Le problème
est comme dépossédé du fruit de son trâvail.
du désir, qui se présente à la fois comme manque être cultivé et se cultiver, c'est-à-dire recevoir une est alors, dans ces conditions, qu'il n'y a plus de
et comme puissance. En effet, je désire touiours ce différence entre le beau et l'agréable et qu'il n'est
Il devient, pendant son travail, étranger à lui-
éducation et une instruction. Le terme de culture
que je ne possède pas, ce qui me manque. mais, en même et à la chose qu'il produit. Ainsi, le tay-
peut alors prendre un sens plus humaniste et dé- plus possible de dire d'une chose qu'elle est belle,
même temps, Ie désir est le moteur de l'action, il lorisme, qui a conduit au travail à la chaîne,
signer également l'ensemble des savoirs qu'il faut ce que nous sommes pourtant tentés de faire.
est ce qui me pousse à penser, à entreprendre, à
aliène le travailleur qui, comme Charlot dans le
acquérir pour développer les aptitudes propres À l'inverse, définir des critères du beau est aussi
travailler. pour obtenir qui me manque. frlm Les Temps modernes, n'est plus qu'une force
à créer ce à l'homme et principalement une capacité de problématique et conduit à une vision dogmatique
Ainsi, le désir est philosophe, il recherche une mécanique contribuant à la production d'un objet
réflexion permettant de dépasser les particularités de la beauté, ce qui conduit en art à I'académisme
sagesse qu'il n'a pas et met en ceuvre toutes les anonyme qui est le fruit du travail de plusieurs et
culturelles de sa société dbrigine pour accéder à et au re,et de toute innovation. Le jugement de
en méme temps de personne.
ressources de la pensée pour tendre vers celle-ci. l'universel. goût n'est donc ni un iugement personnel, ni
un jugement objectif. Si nous sommes tentés de
linguistique, arbit
dire : « c est beau ,. Iorsque nous apprécions, par « L ambivalence » caractérise ce qui contient en
liste, cratylisme, exemple, une ceuvre d'art, ce n'est pas parce que soi des valeurs contradictoires. Dans Ia mesure
La perception commune du temps a tendance à
concevoir le temps comme un composé de passé, notre jugement de goût est déterminant, nous ou Ie travail peut être considéré comme I'activité
de présent et de futur. Cependant, en approfondis-
n'appliquons pas un concept prédéfini du beau par Iaquelle l'homme transforme la nâture pour,
Ferdinand de Saussure sbppose ici à la thèse craty' à un objet, c'est parce que notre jugement, bien en premier lieu, répondre à ses besoins et ne
sant cette conception du temps, on se trouve vite Iiste - de Cratyle qui, dans un dialogue de Platon
confronté à d'insurmontables problèmes dans la que subjectif, a une prétention à l'universâlité. plus avoir à dépendre des « caprices » de celle-ci,
qui porte son nom, défend la thèse selon laquelle Notre iugement est réfléchissant, il consiste à re- il présente un caractère libérateur. Il permet
mesure otr aucun de ces moments du temps n'a les mots sont l'exacte représentation des choses.
de véritable consistance : ils évoquent tous plus conrrailrc le beru dans la chose que nous iugeons. également à I'homme de réaliser matériellement
Cratyle s'oppose à Hermogène, pour qui les mots non pas en tant que personne particulière, mais le produit de sa pensée. Néanmoins, le travail est
le non-être que l'être. Ce n'est que par un effort sont de pures conventions, position reprise, en un
de l'esprit que nous les maintenons présents. C'est
en tant que suiet opérant comme quiconque le souvent perçu, en raison de son caractère néces-
certain sens, par Ferdinand de Saussure. En effet, il ferait à notre place. saire et de sa pénibilité, comme une contrainte et
pourquoi saint Augustin définit le temps comme n'y a pour Saussure aucune raison d'appeler une
une distention de l'âme. faussaires, imitet une souffrance. C'est ce que laisse entendre son
table « une table ,r ou un chien « un chien », le signe )uestion 17 :
étymologie : « travail » vient du latiî trepalium,
est arbitraire ou plus exactement conventionnel, il 'aussaires, reflets, formes, cop Iespnf
qui désigne un instrument de torture. De plus,
Le passé n'est plus, le futur, pas encore, seul suffit que tous Ies Iocuteurs qui parlent une même il peut également être une source d'aliénation
l'instant ponctriel est : quand l'intelligence essaye langue usent des mêmes signes linguistiques. Dans la mesure ou les idées que nous avons
lorsqu'il devient l'occasion pour certains hommes
de comprendre le temps, elle le réduit à la ponctua- Saussure ne considère pas qu'une langue est présentent un caractère de perfection que l'on
d'en dominer ou d'en exploiter d'autres.
lité du présent, c'est-à-dire qu'elle le spatialise. Ce constituée de mots qui désignent des choses, mais ne rencontre jamais dans l'expérience sensible,
temps reÇoit alors Ies caractéristiques de l'espace : de signes qui sont composés d'un signiflant, ou Platon considère que nous ne pouvons élaborer
il est mesurable, homogène, continu. La durée, ou image acoustique - l'empreinte psychologique ces idées en unifiant nos diverses sensations, mais Selon Hannah Arendt, le travail reste lié à la néces-
u temps vécu », ne se réduit pas à la ponctualité du son utilisée -, et d'un signifié - c'est-à-dire que ces idées existent en elles-mêmes et que les sité biologique dans la mesure ou il ne produit que
12 13
Réviser son boc ore" ftlllonde Les corrigés
des obiets de consommation, c'est-à-dire fabriqués d'être reliés pour avancer ensemble dans la même d'un oblet fabriqué par une intelligence com-
pour être détruits. On travaille pour vivre et non direction en étant liés à un être absolu et infini qui La raison et le réel parable à celle de l'homme. C'est en s'efforçant
pour laisser une trace dans le monde. En revanche, leur permet de dépasser la dimension finie de leur d'abandonner, autant que faire se peut, toute
l'ceuvre contribue à I'élaboration d'un monde vie terrestre. Leur existence prend alors une tout Question 27: A.
Si la nature est ordonnée selon une rationalité qui forme d'anthropomorphisme que la biologie
spécifiquement humain, elle s'oppose à la nature autre signification. s'est constituée comme une science à part entière.
est lâ même que celle selon laquelle s'enchainent
et consiste à réaliser des créations dont la durée
dépasse celle d'une existence humaine.
Question 24: C. nos idées, ce n'est pas parce qu'une raison supé- Question 31 : C.
Si Spinoza s'efforce dans son Ethique de prouver rieure a structuré les relations entre les choses, Il ne s'agit pas pour Aristote d'opposer la matière
l'existence de Dieu par la méthode géométrique, mais parce que l'ordre immanent du réel est le inerte au vivant : la matière, c'est de l'indétermi-
Toute technique n'est pas nécessairement I'ap- le Dieu auquel il pense alors n'est pas celui des même que celui de la pensée. La raison n'est pas né, et la forme, c'est ce qui vient qualifier cette
plication d'un savoir scientiflque, sinon il aurait grandes religions monothéistes. Il ne s'agit pas un principe transcendant, elle est immanente car mâtière.
fallu attendre Galilée ou Newton avant d'inventer d'un Dieu transcendant et anthropomorphe, elle n'est rien d'autre que la causalité à l'ceuvre Ainsi, matière et forme ne sont iamais séparées
la roue. Un savoir tiré de I'expérience peut sufflre. c'est-à-dire d'un Dieu qui dépasserait la nature dans la nature perçue sous l'attribut de la pensée. dans les composés : toute chose a une matière et
D'ailleurs, pendant longtemps, science et tech- et qui agirait avec une intelligence et une volonté
nique ont progressé indépendamment l'une de comparables à celles des hommes, bien que plus Question 28 : expérience, science, règles, une forme (l'argile est la forme de la cruche), et
l'âutre. C'est uniquement à I'époque moderne, puissantes l'une et l'autre. Aussi critique-t-il ceux perception, connaissance, expérience. toute matière est informée (l'argile elle-même a
et principalement avec l'ère industrielle, que qui, lorsqu'ils sont incapables d'expliquer une expérimentation, falsifier. une certaine forme, certaines déterminations :
se sont développées les technologies, qui sont chose, se réfugient dans la volonté de Dieu et Retenons qu'il s'agit dans chaque sens de déter- gonfler à l'eau, durcir en cuisant, etc.).
des techniques nécessitant des connaissances affirment : « C'est ainsi parce que Dieu I'a voulu. » miner le rapport qu'entretiennent théorie et ex-
Question 32 : choses, propositions,
scientifiques très poussées. Le Dieu de Spinoza n'a rien à voir avec cet « asile périence. Au premier sens, I expérience ne fait pas
question, chose, comparaison,
de l'ignorance » ; il s'agit d'un Dieu immanent qui encore le savoir (l'expérience de la guérison n'est
pas encore la science médicale) ; au second sens,
représentations, véracité.
est identique à la nature tout entière.
Retenons que le iugement prédicatif est le seul
elle ne constitue pas à elle seule la connaissance ;
Question 25: récit, narration, histoires, au troisième, elle ne peut que falsifier la théorie
lieu de la vérité.
On pourrait croire que l'homme a besoin de Ia succession, science, passé, évolution, sans iamais pouvoir en prouver la vérité.
Retenons également que la question se pose alors,
technique comme un inflrme a besoin d'une bé temps, devenir. réalité. de savoir ce qu'est un iugement vrai : celui qui
quille. L'être humain serait, par conséquent, l'être Le terme « histoire » est polysémique, même si Question 29 : B. énonce la chose telle qu'elle est ? Mais cela suppose
le plus fragile de la nature puisque son corps serait les différentes significations qui peuvent lui être Un syllogisme est concluant quand la conclu- que j'aie accès aux choses en soi, et Descartes
dépourvu de tous les organes qui permettent de attribuées s'enracinent dans une idée commune, sion est nécessairement impliquée dans les montre que c'est impossible : nous n'avons accès
se défendre ou de se protéger des intempéries. celle d'une unification possible des différents faits prémisses. « Tout A est B, C est A, donc C est B » qu'à nos représentations des choses.
C'est en ce sens que Platon écrit dans le Gorgias et événements qui constituent une succession est concluant (« Tous les hommes sont mortels, La solution cartésienne, qui fonde la vérité sur la
que l'homme est nu, parce qu'il est démuni. dans le temps. Le récit les réunit dans le cadre Socrate est un homme, donc Socrate est mortel »).
garantie divine via l'idée de perfection, se heurte
En revanche, Aristote remet en question cette d'une trame narrative. fexplication scientifique « Tout A est B, quelque B est C, donc tout A est C »
à une double obiection : d'une part la preuve qu'il
interprétation de la condition humaine. Selon Iui, des faits historiques tente de le faire à partir d'une est formellement faux (non-respect de l'inclu-
apporte de l'existence de Dieu est insuffisante
l'homme est en réalité le mieux loti des animaux, étude rationnelle. Quant à la réalité historique, les sion) ; « Tout A est B, tout C est B, donc tout C est
(puisqu'elle consiste finalement à dire que si un
car il possède I'intelligence et Ies mains. La nature hommes tentent également de donner un sens à A affirme la conclusion (« Tous les hommes sont
»
être parfait existe, alors il existe parfaitement) ;
qui, selon Aristote, ne fait rien en vain, l'a doté l'histoire qu'ils vivent en cherchant à construire mortels, tous les oiseaux sont mortels, donc tout
et d'autre part Descartes ne peut éviter la iircu-
de ces deux câractéristiques, qui se complètent un avenir commun lié à une évolution perçue oiseau est un homme »), « Tout A est B, tout C n'est
larité logique qui vient frapper de nullité toute
parfaitement et permettent à I'homme de se sous la forme d'un progrès, même s'il est vrai que pas A, donc tout C n'est pas B » nie l'antécédent
(« Tous les hommes sont mortels, aucun oiseau définition de la vérité.
donner tous Ies moyens dont les autres disposent cette recherche s'accomplit le plus souvent dans
et uniquement lorsqu'il en a besoin. le conflit et la violence. n'est un homme, donc aucun oiseau n'est mor-
Question 26 : les sciences de la nature,
cles lois universelles et prédictives,
tel »). Le syllogisme est faux (paralogisme) quand
la combinaison des deux prémisses ne permet pas La politique,
de tirer la conclusion.
des causes. des actes humains, la
simple succession, la signification, Question 3O : intelligente, externe,
la morale
Si le fait religieux est universellement présent interprétative, explicative, des interne, parties, tout, interprétation, Question 33: B.
dans l'humanité, cela vient de ce que les hommes préoccupations. connaissance scientilique, La Grèce antique est une mosaïque de cités
sont en quête de sens, ils ont besoin de vaincre le Alors que les sciences de la nature ne concernent physico-chimique, causes, f inalité. (Athènes, Sparte, Thèbes, Corinthe, etc.). Pour
sentiment d'absurdité que leur inspire la finitude que des faits obéissant à une nécessité aveugle, Ce qui fait que l'étude de l'être vivant a mis du l'homme libre, celui qui n'était pas esclave,la cité
de leur existence. Or, si I'on analyse les différentes leur connaissance ne peut être qu'explicative et temps à devenir une science véritable vient de ce constituait le centre même de son existence et de
significations du terme de sens, on trouve soit relever de la recherche de causes antécédentes. que ce dernier apparait comme un être organisé, son identité. Cette communauté était avant tout
l'idée de direction soit l'idée de signification et En revanche, les sciences humaines, ou « sciences d'où le terme « organisme », qui est plus que une communauté politique, c'est-à-dire qu'appar-
ce qui leur est commun n'est autre que l'idée de l'esprit » selon Diltheÿ concernent touiours la somme des parties qui le constituent. Lêtre tenir à une même cité signifiait vivre sous une
de relation ou dè lien. La direction renvoie à la des suiets qui agissent de manière intentionnelle, vivant apparaît donc comme finalisé et cela peut loi commune. Ainsi, Socrate, bien que condamné
relation entre un point de départ et un point c'est-à-dire en poursuivant des fins. Il convient conduire à des interprétations de type anthropo- iniustement à mort, refuse de s'évader et accepte
d'arrivée, Ia signiflcation se définit comme le lien donc pour les connaitre de s efforcer de les com- morphique - c'est-à-dire consistant à donner une son exécution, par respect et fidélité envers la loi
entre un signifiant et un signifié. Réunis par une prendre, c'est-à-dire d'en interpréter le sens ou la forme humaine à ce qui n'est pas humain -, qui de sa cité. Il préfère mourir plutôt que se renier en
même foi, les hommes ont donc Ie sentiment signification. appréhendent l'être vivant comme s'il s'agissait tant que membre de la cité.
14 15
Réviser son boc or"" frlllonûe
Question 34: C. vivent naturellement en société, mais comme la
Pour Aristote, si les hommes vivent naturellement propriété estun droit naturel, iI peut y avoil entre
en société, leur sociabilité n'est pas comparable eux des conflits. Or, dans l'état de nature, aucun
à celle des animaux. Certes, selon Aristote, un arbitrage n'est possible et les conflits peuvent
homme qui ne vivrait pas en société serait com- dégénérer. Aussi est-il nécessaire que les hommes
parable à une bête ou à un dieu. En d'autres s'associent et obéissent à une autorité commune
termes, il serâit en deçà ou au-delà de l'humanité. pour maintenir la paix civile. La position de Jean-
C'est iustement pour cette raison que les sociétés Jacques Rousseâu est plus complexe puisque selon
humaines ne sont pas comparables aux sociétés lui l'homme vivant à l'état de nature est solitaire
animales. Alors que les animaux ont un instinct et ce sont des nécessités liées à sa subsistance qui
social et nbnt qu'à suivre le chemin que la nature lbbligent à s'associer avec ses semblables et à se
a tracé pour eux, la nature, qui ne fait rien en vain, soumettre à une autorité commune.
a donné aux hommes le langage et la parole pour
Question 37: sentiment, libre arbitre,
qu'ils définissent eux-mêmes leurs propres lois se prouve, s'éprouve, conscience, ignorent,
et deviennent ainsi les artisans de la iustice qui
déterminent, servitude, ignorance.
règne dans leurs cités.
Le problème de la liberté se résume traditionnel-
Question 35: égalité, égalité, lement à l'opposition de deux thèses. D'un côté,
arithmétique, rémunérer, proportionnelle, nous trouvons les partisans du libre arbitre qui
commutative, distributive. pensent qu'en raison de sa conscience, l'homme
Si la iustice évoque I'idée d'égalité, il convient est en mesure de s'affranchir des lois de la nature
de s'interroger sur le type d'égalité auquel on et peut s'affirmer comme la cause première de ses
fait référence lorsque l'on parle de justice et actes. De l'autre côté, nous rencontrons la thèse
d'identifier le domaine de l'activité humaine déterministe qui considère que la liberté n'est
dans lequel on s'efforce de faire régner la justice. qu'une illusion de la conscience, que I'homme
Ainsi, si dans les échanges commerciaux l'égalité obéit aux lois de la nature et qu'il est soumis aux
commutative permet de réaliser la justice, il n'en relations de cause à effet comme toutes les autres
va pas de même lorsqu'il s'agit de répartir les choses. Cette seconde thèse ne reiette pas la notion
biens ou les honneurs. II convient alors de ne pas de liberté, mais elle ne la pense plus en termes de
donner à chacun la même chose pour être iuste libre arbitre. Pour les déterministes, l'homme ne
et équitable, mais d'attribuer à chacun ce qui lui naît pas libre, mais il le devient par Ia connaissance
revient en fonction des efforts qu'il a fournis ou des causes qui le déterminent.
des nécessités auxquelles il doit faire face.
Question 38: B.
Question 36 : naturelle, politique, Agir par devoirconsiste à respecterune obligation.
du contrat social, un artifice, un état de Cela n'a rien à voir avec la contrainte, qui suppose
nature, l'État, de sociabilité, Iibérales, une force extérieure qui m'impose d'agir contre
de guerre, absolue. ma volonté. Ainsi, l'esclave ne travaille pas par
Les hommes ont besoin de vivre en société, mais devoir, il le fait parce qu'il y est contrâint et forcé.
ils ne sont pas pour autant touiours disposés à agir En revanche, lorsque, par exemple, je donne ma
comme il convient pour que cette vie sociale soit parole, lorsque je fais une promesse, ie suis engagé
harmonieuse. Pour expliquer cela, deux écoles envers autrui. I'ai donc le sentiment de devoir
s'affrontent. D'un côté, nous trouvons ceux qui respecter cet engagement que i'ai choisi librement.
pensent, avec Aristote, que l'homme est un animal |e suis obligé d'honorer ma parole, mais je n'y suis
politique, c'est-à-dire que bien qu'ayant une nature pas contraint car personne ne me force à le faire.
sociale, comme certains animaux, il ne sait pas Question 39: désirs, liberté, bonheur,
instinctivement comment se comporter pour y intention, devoir, maxime, moral, libre.
parvenir et doit élaborer lui-même les lois qui Retenons aussi la réfutation kantienne de I'uti-
régissent sa vie en société. De l'autre côté, on peut litarisme, selon lequel ce sont les conséquences
trouver ceux que l'on appelle « les théoriciens d'un âcte qui viennent le qualifier moralement :
du contrat », qui pensent que l'homme n'est pas contre Bentham, Kant affirme que seule l'intention q
naturellement sociable et que la société civile est compte en matière de morale. Si elle est dictée par
un artifice issu d'un accord, ou contrat, par lequel l'intérêt et les inclinations sensibles, alors non !
les hommes ont choisi de se rassembler pour seulement ie ne suis pas moral, mais ie ne suis pâs
vivre sous une même autorité politique. Pour les libre ; si mon acte est fait par pur respect pour le
plus radicaux, comme Hobbes, les hommes sont devoir, alors il est moral, et ma volonté est libre au
les ennemis les uns des autres dans la nature, sens où elle s'est libéré des inclinations sensibles À
tandis que pour Locke, plus modéré, les hommes qui la déterminent. z