La Fabrique Des Presages en Mesopotamie
La Fabrique Des Presages en Mesopotamie
La Fabrique Des Presages en Mesopotamie
Sous la direction de
Stella Georgoudi
Renée Koch Piettre
Francis Schmidt
LEIDEN • BOSTON
2012
Remerciements ................................................................................... ix
Table des illustrations ....................................................................... xi
Notices personnelles .......................................................................... xv
Présentation ........................................................................................ 1
Stella Georgoudi, Renée Koch Piettre et Francis Schmidt
PREMIÈRE PARTIE
INSTITUTIONS DIVINATOIRES ET CONSTRUCTION
RITUELLE DES SIGNES
DEUXIÈME PARTIE
SIGNES IMPROMPTUS ET PHÉNOMÈNES NATURELS.
PRÉSAGES ET PRODIGES
TROISIÈME PARTIE
SIGNES DE L’INTERVENTION DIVINE :
DE L’ÉLECTION À LA LÉGITIMATION
QUATRIÈME PARTIE
STATUTS ET LOGIQUES DU SIGNE
Jean-Jacques Glassner
Dans le dialogue sans fin qu’ils entretiennent avec les hommes, les
dieux mésopotamiens tracent des signes, les présages, qu’il revient à
leurs interlocuteurs de débrouiller pour en extraire une information
les concernant. Car en Mésopotamie les présages sont des marques
offertes par les forces invisibles qui les notent sur des supports et le
devin, qui fait office de médiateur, est celui qui a qualité pour les inter-
préter. Ils fonctionnent comme des indicateurs de ce qui est suscepti-
ble de se produire, car il est toujours loisible d’en inverser le sens au
moyen d’un rituel approprié, un namburbû. Ils ne sont pas la cause
de ce qui va arriver ou de ce qui s’est produit, et les oracles n’en sont
pas la conséquence ; ils sont corrélés les uns aux autres selon des prin-
cipes de régularité. La physique d’Aristote n’a pas cours sur les rives
de l’Euphrate1 !
Il est dit souvent que les signes peuvent être fortuits ou dotés d’une
grande régularité, spontanés ou sollicités, immédiatement perceptibles
à la vue ou cachés en des lieux où il faut les quérir. Mais il est une
question que cette amorce de typologie laisse en suspens et qui, pour-
tant, est centrale : les signes sont-ils immédiatement reconnaissables
ou faut-il, pour les identifier, un œil expert et avisé ? Il ne s’agit pas,
pour nous, de rouvrir le vieux débat qui oppose les tenants d’Aris-
tote à ceux de Galien : nous savons aujourd’hui, au moins depuis Ibn
al-Haytham, que la perception requiert un acte volontaire de recon-
naissance. Les Akkadiens ne s’y trompent pas qui usent d’une racine
verbale barû, « observer, considérer, établir par l’observation, inspec-
ter, vérifier », pour dire cet effort, ce parcours à accomplir et qui ouvre
à l’intelligence, et pour désigner le spécialiste de la divination, bārû,
« le devin ».
Or, ce spécialiste est un lettré qui est passé par l’école, une réalité
qui est loin d’être négligeable. On se souvient, en effet, de la leçon de
1
Sur ces questions, Bottéro 1974. Conformément à l’usage, les mots akkadiens sont
transcrits en italique, les mots sumériens en romain.
I. L’aruspicine babylonienne
Nous nous en tiendrons, dans les pages qui suivent, à la seule arus-
picine. Dans son cas, la tâche se trouve compliquée pour deux rai-
sons cumulées : il faut chercher les signes sur les viscères, à l’intérieur
du corps d’une victime sacrificielle ; en second lieu, les présages n’y
sont pas présents de manière permanente, ils sont tracés par les dieux
en guise de réponse à la question relative au sacrifiant que le devin
leur pose au moment de la consécration, et ils trouvent leur point
d’ancrage dans les figures fournies par la nature et rendues connais-
sables par l’étude de l’anatomie et de la pathologie animales2. Dans
une prière paléo-babylonienne, le devin s’adresse aux dieux au mode
optatif, voire les apostrophe au mode impératif, exprimant le souhait
qu’ils marquent le corps de la victime avec des présages favorables au
sacrifiant3.
Dans le domaine de l’aruspicine, les présages sont des signes visuels.
Qu’ils soient tracés de manière fugitive ou qu’ils soient imprimés de
façon stable, et même si, pour l’essentiel, ils se limitent à des traits, des
enchevêtrements de traits, des encoches ou des figures géométriques
simples, ils sont le fruit d’une pensée figurative. Il reste toutefois à
s’interroger sur leur nature précise : s’agit-il de signes plastiques ou de
signes graphiques ?
Pour J. Bottéro, en 1974, il ne fait pas de doute que le devin voit des
choses, les oracles, à travers d’autres choses, les présages, et que l’on est
en présence d’une pictographie, chaque présage individuel formant un
idéogramme4. À dire vrai, cette interprétation est le reflet des théories
de son temps, avec l’abus du terme d’idéogramme dont on ne sait pas,
au juste, ce qu’il recouvre, chaque auteur en faisant un usage diffé-
rent, et le mésusage de celui de pictographie dont on sait maintenant
2
Sur ce point, Glassner 2005a, avec bibliographie antérieure ; 2008.
3
Starr 1983, lignes 20–21, 70.
4
Bottéro 1974, 157 et 160.
5
Glassner 2000, 78.
6
Akkadien mašālu, forme III ; je m’écarte ici de la traduction d’Edzard 1997, Cylin-
dre A, col. vi, ligne 5.
7
Voir, principalement, Rutten 1938.
8
Goetze 1947, no 1.
9
Glassner 2005b, 277.
Même s’ils ne dessinent plus les présages dans leurs traités, les devins
les connaissent par la pratique, les imaginent à partir des noms qu’ils
leur donnent et des descriptions qu’ils en offrent. Une lecture attentive
va nous permettre de repérer quelques-unes des procédures dont ils
font usage pour leur donner une forme accessible à leur entendement.
Ils commencent par repérer des signes simples, il s’agit souvent de
simples sillons localisés en divers endroits sur la surface du foie, par-
fois de figures géométriques plus complexes. À partir de ce corpus
de signes premiers, ils construisent des signes dérivés, jouant de leurs
dimensions respectives, les uns par rapport aux autres, de leurs orien-
tations, de l’inachèvement de leurs formes, de l’adjonction de surchar-
ges ou de leurs combinaisons, etc. Chaque modification confère au
signe une valeur oraculaire nouvelle. Les principales procédures sont
les suivantes :
1) L’orientation
Le positionnement d’un signe sur le support n’est pas invariablement
le même : ká é.gal šu-ú-šu-ur, « la porte du palais est droite » ; [k]á é.gal
10
Goetze 1947, no 19 : 8–10. Dans ce cas, le devin peine à donner un nom au signe
qui, visiblement, ne figure pas au registre des marques homologuées. Auroux 1994,
63, offre une interprétation divergente de ce phénomène, la dénomination correcte
résidant, selon lui, dans l’absence de nom.
11
Glassner 2005b.
2) L’inachèvement
Un signe peut être incomplet, étant, par exemple, partiellement effacé
ou atrophié : [á].gùb ur5 ha-li-iq, « le côté gauche du poumon est man-
quant » ; na ka-bi-ìs gír kar na gír kab-su, « la présence est oblitérée,
le chemin est oblitéré, la présence et le chemin sont oblitérés » ; kal
[s]ilim kab-su kal ka-bi-ìs, « le fort et l’apaisement sont oblitérés ; le
fort est oblitéré » ; na ka-bi-ìs-ma gír gar, « la présence est oblitérée,
mais le chemin est présent » ; [š]u-me-el šu.si re-eš-sa [e-ki]-im, « la
12
Goetze 1947, nos 22 : 16 ; 24 : 19 ; Koch-Westenholz 2000, no 16 : face 14’.
13
Goetze 1947, no 17 : 14, 15, 17, 18, 19, 22.
14
Von Weiher 1983, no 45.
15
Goetze 1947, no 46 i 1–2.
3) L’adjonction de surcharges
3a) une seule surcharge : i-ši-is-sà ip-ṭù-ur, « sa base (du regard) est
fissurée » ; ki.gub gam-iš, « la présence est perforée » ; sag igi.tab gam-
ma šu-te !(écrit BI)-eb-ru, « la tête du regard est perforée de part en
part »17 ;
3b) plus d’une surcharge : na-ap-la-às-tum a-na 4 pu-uṭ-ṭù-ra-at, « le
regard présente quatre fissures profondes » ; ṣí-ib-tum a-na 20 pa-aṭ-
ra-at, « l’excroissance présente vingt fissures »18.
16
Goetze 1947, nos 33 iii 46, 48, 50, 52, 55, 57, iv 1 ; 36 i 3 ; Koch-Westenholz 2000,
133 : lignes 3–4 ; 252 : 14.
17
Nougayrol 1950, pl. II : p. 44 ; Ebeling 1923, no 457 : 1’–3’ ; Pinches 1898, no 2 :
en haut à gauche.
18
Nougayrol 1950, pl. II : p. 47 ; 1945/1946, 82 : 10.
19
Goetze 1947, no 22 : 1.
20
Goetze 1947, nos 17 : 9, 10 ; 22 : 3, 5, 7, 9.
Les deux signes peuvent être imbriqués : [pa-da]-nu i-na li-bi pa-
da-ni, « il y a un chemin au sein du chemin » ; KAL uš-te-eš-ni, « le fort
est dédoublé »21.
4c) Ces signes redoublés peuvent, en outre, être dotés de surchar-
ges : [igi.bar min-ma] šu-lu-ša-a pu-[u]ṭ-[ṭ]u-[r]u, « il y a deux regards
et ils ont chacun trois fissures » ; [k]á é.gal ṣú-ul-lu-ul, « la porte du
palais est couverte »22.
Un troisième signe différent peut être surajouté : 2 ma-ra-tum
ma-a[ṣ]-ra-ah-ši-na iš-te-en, « il y a deux amères, mais un seul conduit
cystique » ; 2 ká é.gal eš šu.si il5-wi-ma ri-sa i-na bi-ri-šu-nu iš-ta-ka-an,
« il y a deux portes du palais, l’amère entoure le doigt et sa tête est
présente entre elles »23.
4d) par triplement ou davantage : ká é.gal 3, « il y a trois portes du
palais » ; ká é.gal 4, « il y a quatre portes du palais » ; na 3-ma a-he-e
šub.meš, « il y a trois présences et elles sont disposées séparément » ;
4 na-ap-la-sà-tim iš-te-ni-iš iz-za-az-za, « quatre regards se tiennent
ensemble » ; na 4, « il y a quatre regards » ; na 4-ma 2 an.ta 2 ki.ta-
nu gar.meš, « il y a quatre regards, deux sont présents en haut, deux
en bas »24.
4e) par association ou imbrication de deux signes différents ou
davantage, avec ou sans surcharges : i-na zag ki.gub qú-ú i-ṭe-bé-e-ma
i-na gír ra-ki-ba, « un filament plonge à droite de la présence et chevau-
che le chemin » ; na-ap-la-às-tum a-na pa-da-a-nim iq-ri-ib, « le regard
s’approche du chemin » ; igi.bar pa-da-nam i-bi-i[r], « le regard fran-
chit le chemin » ; igi.bar ip-ri-ik-ma pa-da-nam ! (écrit NIM) i-ṭù-ul,
« le regard est placé transversalement et pointe vers le chemin » ; eš
iš-di šu-me-el a-mu-tim ig-mu-ur-ma ri-sa i-na iš-di giš.gu.za ša šu.si
iš(!)-ta-ka-an, « l’amère occupe toute la base gauche du foie et sa tête
est présente sur la base du trône du doigt » ; ki.gub i-ri-ik-ma gír ù
na-aṣ-ra-ap-tam ip-ṭú-ur, « la présence est longue et elle coupe le che-
min et le creuset »25.
21
Nougayrol 1945/1946, 56 : 5 ; Ebeling 1923, no 423 ii 37.
22
Goetze 1947, nos 17 : 13 ; 22 : 15.
23
Goetze 1947, no 11 v 10. Ce présage figure sur la maquette Rutten 1938, no 31 ;
Riemschneider 1965, 132 : 41.
24
Goetze 1947, nos 22 : 11, 12 ; 11 i 23–24, ils sont imbriqués l’un dans l’autre ;
Koch-Westenholz 2000, 115 : 11 ; 129 : 32, 34.
25
Jeyes 1989, no 1 : face 21, rev. 8’ ; Goetze 1947, nos 7 : 22–23 ; 17 : 39 ; Riemschnei-
der 1965, 132 : 44–45.
On pourrait égrener sans fin la liste de ces exemples. Elle nous a per-
mis, déjà, d’aller à l’essentiel, à savoir d’identifier les procédures mises
en œuvre par les devins pour construire les présages. Or, celles-ci sont
en tous points identiques à celles auxquelles les inventeurs de l’écriture
eurent recours, au ive millénaire, pour créer leur grammaire de signes !
Ils commencèrent, en effet, par imaginer un corpus de signes premiers
qu’ils manipulèrent pour fabriquer des signes dérivés. Ils jouèrent
alors des dispositions relatives des premiers sur le support, selon qu’ils
étaient dessinés au miroir, inclinés à droite ou à gauche, inachevés.
Ils les agrémentèrent de surcharges, de hachures, d’enchevêtrements
de traits ou de pointillés, ou les associèrent par doublement ou triple-
ment, parfois en position croisée ou imbriqués les uns dans les autres.
Ils associèrent également deux ou plusieurs signes premiers différents
qui pouvaient, en outre, être augmentés de surcharges27.
Mais il y a plus important encore : ces procédures sont celles-là
mêmes qui sont enseignées dans les écoles où, dans leur grande majorité,
elles sont désignées par un terme approprié : tenû, « incliné » ; zidatenû,
« incliné à droite » ; kabatenû, « incliné à gauche » ; gunû, « hachure » ;
26
Nougayrol 1950, 41 : 26 ; Jeyes 1989, no 1 : rev. 14’ ; Goetze 1947, nos 17 : 24, 61 ;
19 : 11–12 ; Koch-Westenholz 2000, 147 : 113, mais qui comprend différemment.
27
Glassner 2000, ch. VII.
28
Cavigneaux 1983, 611–612.
29
Thompson 1904, p. 43 i 3–4 ; Handcock 1911, p. 1 : 5–6.
1) La dimension
Elle peut être variable. Un commentaire du ier millénaire indique les
dimensions standard d’un certain nombre de sillons présents sur le foie
et identifiés par les devins comme autant de présages31 : na gír ka.du10.
ga kal me.ni silim zé sìg-iṣ igi erín kúr šub aš.te šu.si ni-ru u máš 3 šu.si
ta.àm giš.hur.meš igi tùn man-da ina šu.si gal-ti šu.si lú.hal šu.si as-li
(. . .) 1 šu.si gìr 1/2 šu.si du8 2 šu.si šit-qu 3 šu.si šit-hu, « la présence,
le chemin, la bonne parole, le fort, la porte du palais, l’apaisement, le
choc du front de l’armée ennemie, la base du trône, le doigt, le joug,
et l’excroissance : trois doigts chacun, sont la mesure des dessins sur la
face de la poche, dans le grand doigt, dans le doigt du devin, dans le
doigt de la mesure aslu. (. . .) Un pied : un doigt, une fente : un demi-
doigt, une coupure : deux doigts, une fente longue : trois doigts. » Une
source néo-babylonienne vient confirmer que la longueur de la pré-
sence est normalement de trois doigts, mi-ši-ih-tú na sag.uš 3 šu.si32.
Or, le regard ou la présence, selon l’appellation qu’on lui donne, peut
30
Goetze 1947, nos 63 : 12–14 ; 19 : 8–10 ; Koch-Westenholz 2000, 147 : 110.
31
Thompson 1904, p. 44 i 52–57.
32
Thureau-Dangin 1922, no 6 ii 3.
être long, igi.bar gíd.da, « le regard est long »/ki.gub i-ri-ik, ou court,
igi.bar du-un-nu-un-ma ik-ta-ri, « le regard est fort mais court »/igi.tab
ka-ia-nu-um ik-ri, « le regard normal est court »33, entendons plus long
ou plus court que la dimension de référence.
2) La forme
Les présages sont des signes reproductibles ; ce sont donc des types
dont les occurrences particulières peuvent présenter des variations
formelles importantes. Si un signe d’écriture conserve invariablement
la même valeur quelle que soit la façon dont on le note, tel n’est pas
le cas pour un présage dont chaque variante graphique est porteuse
d’une signification nouvelle. Ainsi, la marque dite « porte du palais »
peut être large, largement ouverte, fermée, verrouillée, surhaussée.
Quoiqu’il s’agisse toujours de la même marque, chaque modification
de son tracé aboutit à lui conférer une valeur nouvelle : [m]aš <ká>
é.gal ir-pí-iš a-a-a-bu-ú-ka a-na a-bu-li-[ka] i !-ru-bu-n[i-i]k-k[um],
« si la porte du palais est large – tes ennemis t’envahiront par la grand-
porte » ; diš ká é.gal né-pe-el-ku-ú hu-ša-ah-hu-um ib-ba-aš-ši-[i], « si
la porte du palais est largement ouverte – il y aura une famine » ; maš
<ká> é.gal sú-nu-uq i-na ta-ha-zi-im um-ma-nam na-ak-[ra-am] ú-sà-
na-aq ri-qú-sà ša-at-ta-am-mu é.gal ú-sà-na-[qú], « si la porte du palais
est fermée – au cours de la bataille, l’ennemi prendra le contrôle de
l’armée ; à longue échéance : les administrateurs prendront le contrôle
du palais » ; maš <ká> é.gal pi-hi wa-ṣi a-bu-ul-li-ia na-ak-[ru-um]
i-da-ak, « si la porte du palais est verrouillée – l’ennemi vaincra la sor-
tie de ma grand-porte » ; diš ká é.gal šu-uq-qú-ma ša-ki-in bu-uš ma-at
lú.kúr-[ka a-na ma-ti]-ka i-ru-ba-[am], « si la porte du palais est pré-
sente mais surhaussée – les biens du pays de ton ennemi entreront
dans ton pays »34.
La description des présages s’oriente souvent vers des comparaisons
avec des objets qui évoquent des images plastiques, des artefacts, des
minéraux, des végétaux ou leurs parties, des animaux ou partie de
leur anatomie, des pièces de pâtisserie35. Le regard peut être comparé
à un trapèze, igi.bar ki-ma na-al-ba-tim, à un anneau, igi.bar ki-ma
33
Thureau-Dangin 1922, no 6 rev i 17 ; Goetze 1957, 104 : 23 : 1 ; Jeyes 1989, nos 1
rev. 7’–8’ ; 3 iii 10’.
34
Goetze 1947, nos 22 : 13, 14 ; 26 i 25, 26–27, 28–29.
35
Nougayrol 1976.
3) Le rapport au fond
Quelle que soit la relation qu’un signe graphique entretient avec le
fond, qu’il soit placé au centre ou au bord, il conserve toujours la même
signification. Or, tel n’est pas le cas d’un présage. Celui-ci a souvent
une place assignée, un « site », maškanum, qui contribue à son identi-
fication. Mais il a la faculté de le quitter, de se déplacer, sa valeur ora-
culaire changeant selon le lieu où il se trouve. Ainsi : na-ap-la-às-tum
a-na pa-da-a-nim iq-ri-ib, « le regard se rapproche du chemin » ; igi.bar
a-na gír iq-te-ri-ib, « le regard se rapproche étroitement du chemin » ;
36
Goetze 1947, nos 9 : 1 ; 11 ii 7 ; Jeyes 1989, no 2 : 6’.
37
Thompson 1904, p. 39 iii 17 ; Gurney & Hulin 1964, no 308 : 96 ; Van Dijk 1976,
no 83 : 6.
38
Thureau-Dangin 1922, no 4 : 24, 25 ; Ebeling 1923, no 423 iii 7.
39
Goetze 1947, no 17 : 85 ; Nougayrol 1950, 13 : 3.
40
Goetze 1947, no 17 : 26, 27, 30.
41
Boissier 1894–1899, no 6 : 12.
42
Goetze 1947, nos 7 : 22 ; 17 : 38, 39.
43
Goetze 1947, no 31 viii 11–14.
44
Goetze 1947, no 23 : 8.
45
Koch-Westenholz 2000, 148 : 115.
46
Goetze 1947, no 17 : 2.
47
Handcock 1911, p. 9 : 16.
48
Ebeling 1923, no 423 ii 68.
49
Goetze 1947, no 23 : 2.
50
Weidner 1922, no 74 : 8–9.
51
Koch-Westenholz 2000, p. 146 : 101.
4) La texture
Les allusions à la texture du support ne manquent pas dans les sour-
ces ; selon qu’elle est saine, intacte, abîmée ou souillée, la signification
du signe concerné varie : igi.bar ib-ba-al-ki-it-ma ù ši-ru-<um> šu-lum,
« le regard est renversé et la chair est saine » ; igi.bar ib-ba-al-ki-it-ma ù
ši-ru-um lu-mu-u[n], « le regard est renversé et la chair est en mauvais
état » ; igi.bar ib-ba-al-ki-it-ma mar-tam [i]-ṭù-ul ù ši-rum ša-lim, « le
regard est renversé et pointe vers l’amère et la chair est saine » ; igi.
bar ib-ba-al-ki-it-ma [m]ar-tam i-ṭù-ul ù ši-rum lu-pu-ut, « le regard
est renversé et pointe vers l’amère et la chair est souillée »52 ; da-na-nu
ká é.gal qa-qa-ar zé-tim sa-lim, « le fort, la porte du palais et l’aire de
l’amère sont sains »53.
Cette texture n’est autre que la matière même du support, le corps
biologique de l’animal : ina suhuš na uzu it-kuš, « sur la base de la
présence un lambeau de chair s’est détaché »54 ; zé šub-bat, « l’amère
produit des vibrations »55 ; bùr šub-di-ma uzu ina šà-šú lal-al, « il y a un
trou et un lambeau de chair est en suspension en son sein » ; bùr šub-
di-ma šà-šú úš šá-bu-la dir, « il y a un trou et son intérieur est rempli
par un caillot de sang »56 ; ká é.gal li-pi-iš-tam ma-li, « la porte du palais
est remplie par une sécrétion » ; ká é.gal ši-ra-am ú-du-úh, « la porte du
palais est couverte de chair »57 ; ina bi-rit na u ni-ri bar-ma bùr šub-di,
« à mi-parcours entre la présence et le joug il y a un trou »58.
5) La couleur
Le spectre des couleurs est le blanc, le noir (avec la nuance sombre), le
rouge, le vert ou jaune. À la différence du signe graphique, le paramè-
tre de la couleur influe sur la valeur du signe : [ki.gub] qé-e sa-mu-tim
ṣú-bu-ut, « la présence est solidement connectée à des filaments rou-
ges » ; [ki.g]ub qé-e ṣa-al-mu-ti ṣú-bu-ut, « la présence est solidement
connectée à des filaments noirs » ; ki.gub qé-e pé-e-ṣú-tim ṣú-bu-ut, « la
présence est solidement connectée à des filaments blancs »59 ; i-na re-eš
52
Goetze 1947, nos 16 : 9 et 11 ; 17 : 41–42.
53
Goetze 1957, no 32 : 3.
54
Boissier 1894–1899, no 250 iv 11.
55
Ebeling 1923, no 423 v 29–31.
56
Thureau-Dangin 1922, no 3 rev. 9–10.
57
Goetze 1947, no 24 : 28 et 35.
58
Starr 1978/1979, 50, K 3846 : 7.
59
Jeyes 1989, no 1 : 18–20.
Cette description ne serait pas complète s’il n’y figurait un mot sur
les observations tactiles auxquelles les devins peuvent se livrer. Sur les
maquettes de foies antérieures au xviiie siècle, les déictiques faisaient
référence à une telle approche des présages, et c’est précisément là leur
fonction. En se fiant au discours des devins, on aurait pu penser qu’à
partir du xviiie siècle, avec la verbalisation et le recours à l’écriture
cunéiforme, la présence de l’objet n’étant plus indispensable pour que
le signe signifie, et même si elle peut encore être exigée dans une pro-
cédure de vérification, le recours à l’observation tactile avait vécu. Or,
il n’en est rien ; dans leurs descriptions, les devins continuent à en faire
état : wu-ur-[qá-am] 1 šu.si.ta, « des taches jaunes de (la largeur) d’un
doigt chacune »61 ; ta-al-lu ik-bi-ir-ma a-na pi-il-ši-šu ú-ba-ni ú-ši-ri-ib,
« le verrou est épais et dans sa perforation j’introduis mon doigt »62 ;
ká é.gal ri-iq-ma a-na li-bi-šu ši-ta ú-ba-na-ti-ka i-ru-ba, « la porte du
palais est vide et en son sein deux de tes doigts peuvent entrer »63 ; giš.
tukul i-mi-tim i-na re-eš mar-tim ú-ba-an [l]a ṭe4-hi-a-am ša-ki-im-
[ma], « l’arme de droite est présente sur la tête de l’amère sans venir
l’approcher d’un doigt et elle pointe vers la gauche »64.
Un écart semble donc se faire jour entre le discours tenu par les devins
sur l’identité des présages dont ils affirment qu’il s’agit d’autant de
signes d’écriture, et la description beaucoup plus nuancée qu’ils en
offrent. Les signes se montrent récalcitrants à se laisser uniment classer
sous la seule rubrique de l’écriture.
Toutefois, la sémiotique nous enseigne que tout essai de typologie
des signes visuels est vaine, qu’il n’existe nul critère définitif qui per-
mette de séparer un signe graphique d’un signe plastique. Tout réside
dans les motivations, les modes de reconnaissance et de production,
bref, dans l’intentionnalité des producteurs. En un mot, les signes ont
60
Goetze 1947, no 16 : 2.
61
Goetze 1947, no 36 iii 21.
62
Goetze 1947, no 42 iii 31–32.
63
Goetze 1947, nos 4 : 30 ; 25 : 13’.
64
Goetze 1947, no 46 i 12–13.
65
Eco 1992, passim.
66
Falkenstein 1931, 33 : 15.
67
BM 64622 : 3, cité par CAD M/2, p. 54a, § 1.
68
Luckenbill 1924, 94 : 64s ; 103 : 28s.
69
Koch-Westenholz 2000, 147 : 110.
70
Goetze 1947, no 22 : 16.
1) La dimension
On sait qu’au ive millénaire, les inventeurs de l’écriture jouent de
la dimension de certains signes premiers pour fabriquer des signes
nouveaux74.
2) La forme
On a vu comment le même présage appelé « porte du palais » peut se
présenter sous des aspects différents. Il s’agit donc d’une figure com-
posée d’une armature stable et au sein de laquelle des motifs figuratifs
variables peuvent faire leur apparition. Cette manière de construire
l’objet n’est pas sans rappeler l’une des procédures les plus courantes
pour fabriquer un signe d’écriture : associer deux sous-graphies dont
l’une sert de matrice, la seconde de complément sémantique75.
71
Glassner 2008.
72
Cité par Le Guern 2004, 172.
73
Voir également, Simon 2003, 66 : tactile : tout ce que la vue perçoit avec d’autres
sens. Une étude est en cours sur la dimension réflexive de la pensée des devins.
74
Glassner 2000, 168.
75
Glassner 2000, 187s.
Quant aux comparaisons avec des objets, des animaux ou des arte-
facts aux formes géométriques simples, elles vont jusqu’à englober des
signes d’écriture variés comme NI, BAD, HA, U ou mihiṣtu, soit toute
encoche76, et elles sont traitées à l’instar de ces derniers. Ainsi, plu-
sieurs sources paléo-babyloniennes ou néo-assyriennes suggèrent la
comparaison d’un présage avec des couples de signes d’écriture, AN
et HAL d’une part77, KASKAL et PAP78 d’autre part. La constitution
de ces couples n’est pas indifférente : HAL n’est jamais qu’un signe AN
inachevé, quant à KASKAL, il se compose de deux signes PAP imbri-
qués l’un dans l’autre. Nous sommes au moment où les lettrés envisa-
gent l’univers entier à travers la métaphore de l’écriture cunéiforme,
tout phénomène devenant à leurs yeux un signe graphique. Les objets
et leurs images sont assimilés à des enchevêtrements savamment orga-
nisés de coins !
3) Le rapport au fond
S’agissant du foie, il n’est pas désigné, dans la langue des devins,
par le terme habituel de kabattu, mais au moyen du mot amūtu qui
signifie également présage ; autrement dit, le support des présages est
lui-même déjà un signe omineux. Sur un tel support, à l’image d’une
tablette vierge, l’absence de signe est donc déjà un signe et n’est pas
le degré zéro de l’écriture. Quant aux déplacements que peuvent subir
les signes sur le support, il suffit aux devins d’adapter (en en étendant
la portée) le principe selon lequel un même signe graphique, selon son
orientation sur le support, peut acquérir une valeur nouvelle.
4) La texture
La texture, šīru, constitue déjà, on vient de le voir, un présage en soi.
Or, à bien comprendre la démarche des devins, il apparaît comme
un fait d’évidence qu’ils considèrent la présence de sang, d’un lam-
beau de chair ou de graisse à l’image d’une surcharge venant altérer
le sens d’un signe d’écriture. Ainsi, l’expression mar-t[um l]i-ib-ba-ša
li-pi-a-am ma-li, « l’intérieur de l’amère est plein de graisse79 », si elle
décrit un fait objectif, se laisse analyser comme la description d’un
76
En général, Nougayrol 1976.
77
Jeyes 1989, no 2 : 7’–8’ ; Handcock 1911, p. 1 : 1–2 ; Thompson 1904, p. 43 i 1–2.
78
Goetze 1947, no 17 : 47–48 ; Handcock 1911, p. 1 : 3–4.
79
Goetze 1947, no 31 i 1–3.
5) La couleur
Les couleurs sont conçues à leur tour comme des surcharges ayant
même fonction que toutes les autres, qu’il s’agisse d’écriture ou de pré-
sages, comme les exemples suivants le mettent clairement en évidence,
ainsi ce couple de sentences : igi.bar la i-ba-<aš>-ši-ma i-na ma-aš-[k]
a-ni-ša zi-hu-[um na-di], « il n’y a pas le regard et sur son site il y a
un kyste » ; igi.bar la i-ba-aš-ši-ma i-na ma-[aš-k]a-ni-[š]a [zi-hu-um
na-di-m]a ù ta-ri-ik, « il n’y a pas le regard et sur son site il y a un kyste
et il est sombre »80 ; ou l’hexade : [ina sag n]a [bùr].meš 2 i-ri-a šub.meš
u šad-du, « sur la pointe de la présence deux trous se trouvent côte à
côte et ils sont allongés » ; [ina sag na bùr.meš 2 i-ri-a šub.meš u] ge6.
meš, « sur la pointe de la présence deux trous se trouvent côte à côte
et ils sont noirs » ; [ina sag na bùr.meš 2 i-ri-a] šub.meš u babbar.meš,
« sur la pointe de la présence deux trous se trouvent côte à côte et ils
sont blancs » ; ina sag na bùr.[meš 2 i-ri]-a šub.meš u sig7.meš, « sur
la pointe de la présence deux trous se trouvent côte à côte et ils sont
jaunes/verts » ; ina sag na bùr.meš 2 i-ri-a šub.meš u ši-ši-tú ár-mu,
« sur la pointe de la présence deux trous se trouvent côte à côte et ils
sont couverts par une membrane » ; [ina] sag na bùr.meš 2 i-ri-a šub.
meš u šà-šú-nu gu ṣa-bit, « sur la pointe de la présence deux trous se
trouvent côte à côte et un filament les connecte »81.
Le doute n’est donc plus permis. Les présages sont des objets construits,
le résultat d’opérations mentales et non d’une perception immédiate
de choses concrètes. Au plus tard à partir du xviiie siècle, ils consti-
tuent aux yeux des devins autant de signes graphiques, leurs modes
d’identification, de construction et de lecture étant ceux-là mêmes qui
président à la fabrication et au déchiffrement des signes d’écriture et
qui leur ont été enseignés, lors de leurs années d’apprentissage, dans
les écoles. Mais les devins ne se contentent pas de mettre en application
les règles qu’ils ont apprises, ils en exploitent toutes les potentialités et
en généralisent les applications à des registres toujours plus larges.
80
Goetze 1947, no 16 : 4 ; 7–8.
81
Biggs 1974, 353–354 : 4, 6–10.
Bibliographie