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JABOS SUR LONDRES !

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La "vraie fausse bonne idée" Le second raid sur Schweinfurt

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Aérojournal n° 72 Batailles & Blindés n° 92
presse & éditions
Ligne de Front n° 80

LA 130. PANZER-LEHR-DIVISION
à l’épreuve du débarquement
JABOS SUR LONDRES ! BLACK THURSDAY
La "vraie fausse bonne idée" Le second raid sur Schweinfurt
CHARS ALLEMANDS EN SCANDINAVIE Sahara !
Les Panzer-Divisionen perdues
Français libres contre Italiens
YAK VS LIGHTNING

cara publishing
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dans le ciel de Serbie
Gretchen alert !
LE FOCKE-WULF TA 152

Tankistes face aux Panzerfäuste


AVIAZIONE COLONIALE La famille des Staline
Les italiens dans les ciels africains
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L'heure de gloire
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qui changea la guerre aéronavale

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ARMES NUCLÉAIRES TACTIQUES

LA BATAILLE DU GOLFE DE GASCOGNE


LOUPS GRIS CONTRE U-BOAT KILLERS

CURTISS P-40
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de la Guerre Froide

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LES PROJETS FOUS DES SOVIÉTIQUES


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GÜNTHER LÜTJENS
UN OFFICIER CONTROVERSÉ

TNT Hors-Série n° 32 Los! Hors-Série n° 21 BB Hors-Série n° 40


de la Seconde Guerre mondiale

L'occasion manqué de Patton


LE GUIDE DES CUIRASSÉS
de l'Armée américiane

Après la percée de Normandie de juin 1944, les fortifient dans Metz déclarée « Festung » par
troupes alliées foncent vers l’Allemagne sans Hitler… et Patton, à la tête de sa Third Army,
rencontrer de véritable résistance. Fin août, tombe en panne sèche suite à l’étirement
Paris se soulève et la capitale française est de ses lignes de ravitaillement. L’arrivée de
libérée ; les forces allemandes, considérable- la « mauvaise saison » va considérablement
ment bousculées, se replient vers l’est pour ralentir la progression américaine, tout comme
s’adosser à la ligne Siegfried dans les terres l’opiniâtreté des défenseurs allemands, notam-
du III. Reich. Cependant, depuis l’armistice de ment la 17. SS-Panzergrenadier-Division « Götz
1940, une région française est en première von Berlichingen », qui vont infliger de lourdes
LORRAINE 1944

ligne : la Lorraine. Avec une partie considérée pertes aux Américains. Finalement, le « bond
LES MATÉRIELS

comme allemande par les nazis (la Moselle), vers la Sarre » n’a pas été si rapide que prévu ;
ce territoire va être le lieu d’une première la météo catastrophique a grandement gêné les
résistance acharnée avant le Reich. La plus Américains, et ce n’est qu’au début du mois
grande bataille de chars à l’ouest se déroule à de décembre que la campagne sera réellement
Arracourt, et les Français libres se distinguent achevée… avant que Patton n’oblique vers le
à Dompaire ; de leur côté, les Allemands se nord pour sauver Bastogne.

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Tél : +33 (0)4 42 21 06 76 - www.caraktere.com
L'ACTUALITÉ DE L'AÉRONAUTIQUE p. 04
New Generation Fighter, Iran, Barkhane...

NOTAM

72 COMME UN PARFUM DE GUERRE FROIDE p. 12
[NOTICE TO AIR MEN] Yak vs Lightning dans le ciel de Serbie

Prochainement, vous aurez l’occasion de vous JABOS SUR LONDRES ! p. 20


immerger dans les combats de la guerre du
Pacifique grâce au livre de Pascal Colombier
La "vraie fausse bonne idée"
consacré aux trente batailles navales et aéro-
navales ayant opposé l’empire du Soleil levant BLACK THURSDAY p. 34
aux Alliés de décembre 1941 à août 1945. Cet
Le second raid sur Schweinfurt
ouvrage de 230 pages, richement illustré (photos
et profils), à paraître au mois de novembre 2019,
est actuellement en précommande auprès de TROP PEU, TROP TARD ! p. 48
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cial. Nul doute qu’il ravira les passionnés des
grandes fresques de la guerre du Pacifique, au
cours desquelles les porte-avions et l’aviation
embarquée ont joué un rôle déterminant : raid
sur Pearl Harbor, torpillage des HMS Prince of
Wales et Repulse, batailles de la mer de Java,
de la mer de Corail, de Midway, des Salomon
orientales, combats titanesques de la mer des
Philippines, etc.
En attendant, et pour passer l’été, vous trouverez
dans votre magazine préféré un article de Chris
Goss sur les Bf 109 E Jabos envoyés par la
Luftwaffe de l’autre côté du « Channel » durant
la bataille d’Angleterre, simple mise en bouche LES AUTRES CHTOURMOVIKS p. 58
pour patienter jusqu’à la rentrée pour dévorer
le gros dossier du même auteur sur le Dornier
Les concurrents et successeurs au Il-2
Do 17, appareil incontournable de la Seconde
Guerre mondiale que nous avons trop peu eu AVIAZIONE COLONIALE p. 72
l’occasion d’aborder jusqu’ici. Les avions italiens dans les cieux africains
Bonnes vacances à tous,

La rédaction
AU SOMMAIRE
DU N°73

1943, COUP DE TONNERRE À KASSERINE !


Aérojournal n°72 Service Commercial : Imprimé en Espagne par :
3 120, route d'Avignon Rivadeneyra, Madrid
Bimestriel // Août - Septembre 2019 13 090 Aix-en-Provence - France -O
 rigine géographique du papier :
ISSN : 1962-2430 Téléphone : 04 42 21 06 76 Allemagne
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3 120, route d'Avignon Rédacteur en chef / Group Captain : Y. Kadari  ervice des ventes et réassort :
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publication, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une Ta 152 H « 1 blanc » de la Stabsschwarm JG 301, s'apprête à triompher du Hawker Tempest Mk. V
contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement SN141 du Warrant Officer O.J. Mitchell, du No 486 (RCAF) Squadron.
réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective
et, d’autre part, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère Illustration : © Piotr Forkasiewicz – Aérojournal 2019
spécifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées. Loi
du 11.03.1957, art. 40 et 41; Code Pénal, art. 425. Une lettre d’information accompagne votre magazine. Elle est réservée aux abonnés et clients VPC.
l'Actualité
de l'Aéronautique
France / Allemagne / Chasseur nouvelle génération

LE NEW
GENERATION
Par Laurent Lagneau
FIGHTER L’actualité de la défense et de la sécurité,
en partenariat avec :

L
 rs du salon du Bourget, la maquette du New Generation
o 2035/40. Ce point de blocage ayant été levé et à l’occasion du salon
Fighter (NGF) du Système de combat aérien futur de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, qui a ouvert ses portes
(SCAF) de Dassault Aviation et Airbus a été dévoilée. ce 17 juin, les ministres Florence Parly (France), Ursula von der Leyen
L’occasion de revenir sur un programme franco-alle- (Allemagne) et Margarita Robles (Espagne) ont pu signer l’accord-cadre
mand majeur à la gestation difficile et dont nombre de relatif au programme SCAF, « véritable engagement juridique pour la
questions, aussi bien techniques que politiques, n’ont construction d’un système complet d’avions de combat et de drones,
pas encore été résolues. qui entrera dans les forces armées d’ici 2040 », précise le ministère
français des Armées. « Cette signature concrétise une étape clé de la
construction de l’Europe de la défense, alliant excellence technologique,
DÉBLOCAGE ALLEMAND volonté politique et coopération industrielle », ajoute la même source.

Le vote du Bundestag, c’est-à-dire la chambre basse du Parlement


allemand, n’était pas forcément acquis. En effet, les députés d’outre- UN PROGRAMME
Rhin ont exigé d’Airbus Defence & Space des garanties sur la part POUR PLUSIEURS APPAREILS
qu’aura l’industrie allemande dans le programme SCAF (Système de
combat aérien du futur), conduit par la France. Finalement, le 6 juin De leur côté, Dassault Aviation et Airbus ont remis une offre industrielle
2019, après avoir obtenu, difficilement, les informations demandées, conjointe aux gouvernements impliqués dans ce programme en vue
ils ont débloqué une enveloppe de 32,5 millions d’euros pour financer de la « Phase initiale de démonstration du SCAF ». Cette phase de
une première étude sur les moteurs de cet avion de combat du futur, démonstration sera conduite à partir de 2019 jusqu’à la mi-2021. Elle
qui remplacera les Rafale et autres Eurofighter Typhoon à l’horizon marquera le point de départ du développement des démonstrateurs

4
2

3 1 Vue d'artiste du New Generation Fighter (NGF).


(© Dassault Aviation - L. Charleau)

2 Stand Dassault Aviation lors du 53ème Salon du Bourget.


(© Dassault Aviation - C. Cosmao)

3 Maquette du NGF à échelle 1.


(© Dassault Aviation - C. Cosmao)

et des technologies du chasseur de nouvelle génération


(New Generation Fighter, NGF), des drones d’appui (Remote
Carriers) et d’un « Air Combat Cloud » (ACC), en vue d’un vol
inaugural d’ici à 2026, précise Dassault Aviation.
« L’Étude de concept commune attribuée à Dassault Aviation et
Airbus en janvier 2019 a été la première étape d’une coopération
fructueuse entre les deux entreprises », a souligné Éric Trappier,
le PDG du constructeur aéronautique français. « La phase initiale
de démonstration marque un nouveau jalon décisionnel majeur
dans l’organisation industrielle du Système d’armes de nouvelle
génération NGWS (Next Generation Weapon System), dont le
chasseur de nouvelle génération, qui sera fabriqué par Dassault
et Airbus, sous la maîtrise d’œuvre de Dassault Aviation, les
drones d’appui et l’Air Combat Cloud, dont Airbus assurera la
maîtrise d’œuvre, constitueront les principales composantes du
Système de combat aérien futur », a encore expliqué M. Trappier.
« Les principes de notre coopération industrielle incluent un
processus décisionnel commun, une structure de gouvernance
très claire, des méthodes de travail transparentes ainsi qu’un
mode commun de préparation et de négociation des activités
de cette phase initiale de démonstration », a précisé Dirk Hoke,
le PDG d’Airbus Defence & Space.
Cette nouvelle étape franchie par le SCAF fait suite à l’accord de
coopération industrielle signé en février dernier par les motoristes
Safran (France) et MTU (Allemagne), le premier étant « leader »
sur l’architecture et l’intégration des moteurs destinés au futur
avion de combat, le second devant se concentrer sur la partie
des services.

5
l'Actualité
de l'Aéronautique
LE NEW GENERATION FIGHTER ainsi récemment fait valoir Mme Parly, lors d’une audition au Sénat.
Et d’ajouter : « Il faut de surcroît que nous dépassions les blocages qui
Quoi qu’il en soit, une maquette à l’échelle 1 du « New Generation se sont manifestés sur les programmes existants, et qui sont d’autant
Fighter » a été dévoilée en présence du président Macron afin d’il- plus forts que la part qu’y prend l’industrie allemande est faible. Peut-être
lustrer la signature de cet accord-cadre entre la France, l’Allemagne l’attitude allemande serait-elle différente si ses industriels y prenaient
et l’Espagne. Cette maquette, a fait valoir la Direction générale de une plus forte part… Il faut que de simples composants ne deviennent
l’armement (DGA) présente « l’aboutissement des travaux de concept pas des éléments bloquants pour l’exportation. Nous discutons donc
et d’architecture des industriels Dassault et Airbus. » Et d’ajouter : avec l’Allemagne pour fixer un seuil en deçà duquel on ne pourra blo-
« Concrétisation des premiers choix importants concernant l’avion de quer l’exportation. Pour l’instant, ces discussions n’ont pas abouti. »
combat du futur, il ne s’agit pas d’une simple vue d’artiste, mais du Par ailleurs, le développement du SCAF exigera des investissements
résultat des premières décisions technologiques actées entre les pays importants. Selon les sources, il est question de 8 à 10 milliards d’euros
concernés. » Au passage on notera que, contrairement aux ébauches sur 20 ans… Et il faudra, dès l’automne, financer une demi-douzaine
diffusées précédemment, le futur avion de combat aura bel et bien d’études sectorielles qui mobiliseront entre 200 et 300 millions d’euros.
deux dérives… Qu’en dira le Bundestag?
Là est d’ailleurs un autre risque pour le SCAF… Au Parlement allemand,
ce programme ne fait pas forcément l’unanimité. Ainsi en est-il chez les
DES BLOCAGES ALLEMANDS ? Verts, qui ont le vent en poupe outre-Rhin, à en juger par les dernières
élections européennes (les « Grünen » sont désormais la deuxième
Cela étant, il reste encore d’autres obstacles à surmonter pour le force politique du pays, derrière les conservateurs de la CDU/CSU, en
SCAF, qui se veut un « système de systèmes », soit un réseau de perte de vitesse, NDLR).
plusieurs types d’appareils au centre duquel on trouvera le NGF, qui, « Le gouvernement fédéral est plus intéressé par une belle cérémonie
selon les explications données par le général Philippe Lavigne, le chef de signature au Bourget que par la clarification à l’avance des questions
d’état-major de l’armée de l’Air, sera un vecteur (piloté ou non selon ouvertes et extrêmement sensibles comme contrôle des exportations
les circonstances) « capable de recevoir une grande quantité d’infor- pour cet avion de combat », a ainsi raillé Tobias Lindner, l’expert
mations […] utiles pour gagner la guerre des opportunités’ c’est-à-dire « défense » du parti écologiste allemand.
engager les moyens les plus adaptés lorsqu’il
y a une faille dans le dispositif ennemi : un
avion, un missile, un drone ou autre chose. »
En premier lieu, il faudra que la France et
l’Allemagne trouvent un terrain d’entente
pour régler définitivement les questions
relatives à l’exportation. En clair, il n’est
pas question pour Paris que Berlin puisse
bloquer des ventes, comme c’est actuelle-
ment le cas. Sur ce point, les discussions
n’avancent pas vite…
« Nous avons l’ambition d’investir sur qua-
rante ans avec notre partenaire allemand
dans des programmes structurants, mais
nous avons besoin de savoir dans quelles
conditions ces équipements pourront être
exportés. Si nous devions par principe
limiter le champ de nos exportations à
l’Union européenne, j’en serais ravie, mais
il faudrait que nos partenaires cessent
d’acheter majoritairement américain ! », a 1

6
Chine / Canada / Formose

UNE FRÉGATE CANADIENNE


« FRÔLÉE » À TRÈS BASSE ALTITUDE
PAR DEUX AVIONS DE CHASSE CHINOIS SU-30
Par Laurent Lagneau
canadien venait en effet de mettre le cap en
direction de la Corée du Nord afin de mener une
mission visant à faire respecter les sanctions
imposées par les Nations unies à Pyongyang
pour ses activités balistiques et nucléaires.
« Deux avions de chasse Su-30 des forces
aériennes de l’armée populaire de Chine sont
passés près du navire, dans un rayon d’en-
viron 300 mètres et à une altitude d’environ
30 mètres », a en effet indiqué le ministère
canadien de la Défense. « Bien que la frégate
ait été suivie par des navires et par un avion de
l’armée populaire chinoise depuis son départ
du Vietnam […], c’est la première fois qu’ils se
sont autant rapprochés », a-t-il fait remarquer,
via un communiqué cité par l’AFP.

MINIMISATION
DIPLOMATIQUE
Cela étant, la Défense canadienne a cherché à
3 minimiser l’incident, qui, hasard ou pas, s’est
produit alors que se tient le sommet du G-20,

LE
Taïwan comme faisant partie intégrante de son au Japon. Ce survol « n’était pas provoca-
18 juin, deux bâtiments de la territoire, la Chine proteste vigoureusement à teur, ni dangereux, ni surprenant étant donné
Marine royale canadienne, à chaque passage de navires ou d’avions de la la proximité avec la Chine », a-t-il affirmé.
savoir la frégate NCSM Regina et marine américaine. Même la frégate française Cependant, l’hélicoptère CH-148 Cyclone
le navire logistique MV Asterix, Vendémiaire n’y a pas échappé lors de son embarqué à bord de la frégate a eu « un laser
ont franchi le détroit de Formose, qui sépare transit, en avril dernier, pour rejoindre le port dirigé vers lui, qui provenait d’un navire de
la République populaire de Chine de Taïwan, chinois de Qingdao. pêche », a également indiqué la Défense cana-
île considérée comme rebelle à Pékin. Mais, visiblement, ce n’était que partie remise. dienne. « Personne n’a été blessé au cours de
Dix jours plus tard, deux avions de chasse cet incident », a-t-elle ajouté.
chinois de type Soukhoï Su-30 ont fait un Récemment, des pilotes d’hélicoptères austra-
TENSION « show of force » (démonstration de force) à liens ont aussi fait état d’incidents similaires.
DANS LE DÉTROIT l’intention de la frégate NCSM Regina, alors Les « navires de pêche » chinois n’appar-
DE FORMOSE que cette dernière naviguait dans les eaux
internationales de la mer de Chine orien-
tiennent pas forcément à des pêcheurs… mais
à la milice maritime chinoise, laquelle les utilise
Malgré des relations diplomatiques sino-cana- tale. Après une escale au Vietnam, le navire pour intimider d’autres flottes.
diennes à couteaux tirés depuis l’arrestation
à Vancouver, le 1er décembre 2018, et à la
demande des États-Unis, de Meng Wanzhou,
la directrice financière du groupe chinois de
télécommunications Huawei, cette présence
des deux navires canadiens dans le détroit
de Formose ne donna lieu à aucun incident.
Ce qui, en de pareilles circonstances et pour
d’autres forces navales, n’a pas été toujours
le cas. En effet, estimant que ce détroit lui
appartient dans la mesure où elle considère

1 Le NGF sera un biréacteur.


(© Dassault Aviation - V. Almansa)

2 le Le NGF et ses drones.


(© Dassault Aviation - C. Cosmao)

3 Frégate canadienne NCSM Regina. (DoD)


4 Su-30MKK (Modernizirovannyi Kommercheskiy
Kitayski) chinois. (Coll. Alex Snow) 4

7
l'Actualité
de l'Aéronautique
Turquie / Chasseur / Projet

TURKISH AEROSPACE
DÉVOILE UNE MAQUETTE
DE SON FUTUR AVION DE COMBAT DE 5E GÉNÉRATION
Par Laurent Lagneau

La
maquette du New Generation Fighter (NGF) du Système de combat aérien la famille des réacteurs F-110 de l’américain
futur (SCAF) sur lequel planchent Dassault Aviation et Airbus n’a pas été la General Electric. Une décision logique dans
seule à avoir été dévoilée à l’occasion de l’ouverture du salon de l’aéronautique la mesure où TUSAŞ Engine Industries (TEI)
et de l’espace, le 17 juin. En effet, Turkish Aerospace en a aussi profité pour assemble des moteurs F-110 sous licence en
présenter celle du TF-X, c’est-à-dire l’avion de combat de 5e génération que Turquie. Mais il s’agit d’une solution provisoire,
le constructeur turc développe dans le cadre d’un programme lancé en 2010. dans l’attente de pouvoir disposer de moteurs
produits par TRMotor.
point du TF-X vise à faire en sorte que la
UN F-22 TURC ? Turquie puisse disposer d’une industrie de
l’armement forte et autonome. UNE AIDE RUSSE ?
Évidemment, étant donné que tout laisse « Nous avons promis à notre pays que ce serait
à penser qu’Ankara devra renoncer à doter le meilleur chasseur en Europe », a ainsi affirmé Seulement, les relations entre Washington et
ses forces aériennes de l’avion F-35, déve- Temel Koti, le PDG de Turkish Aerospace. Ankara étant au plus bas, des complications
loppé par Lockheed-Martin, en raison de sa « Le développement d’une industrie locale de ne sont pas à exclure. Pour le moment, le
volonté de se procurer des systèmes russes défense forte et autosuffisante est une priorité Pentagone menace « seulement » de sanc-
de défense aérienne S-400, la communica- du gouvernement turc », a, de son côté, fait tionner la Turquie pour l’achat des missiles
tion autour du TF-X a pris un relief particulier. valoir Abdurrahman Can, le sous-secrétaire antiaériens S-400 russes en la privant des
Cependant, ce futur appareil n’est pas le pen- turc chargé des industries de défense. F-35 qu’elle a commandés. Mais le Congrès
dant du F-35 américain, fruit d’un programme américain pourrait aller plus loin, en vertu de
dans lequel l’industrie aéronautique turque est la loi dite CAATSA (Countering America’s
impliquée. Le TF-X sera avant tout un avion UN AVION NATIONAL ? Adversaries Through Sanctions Act), qui vise
de supériorité aérienne, ayant des capacités à empêcher tout commerce avec des entre-
air-sol. Comme le F-22 Raptor de l’US Air Cela étant, Turkish Aerospace a dû nouer des prises russes du secteur de l’armement. En
Force. D’ailleurs, dans les plans d’Ankara, les partenariats pour mener à bien ce programme, clair, Turkish Aerospace pourrait bien devoir
deux appareils devaient cohabiter au sein de dont un avec le BAE Systems, en janvier 2017. se passer des moteurs F-110 (et cela aurait
la force aérienne turque. « L’accord [d’une valeur de 100 millions de aussi des conséquences sur les F-16 turcs…).
livres sterling, NDLR] confirme une coopération Cependant, si cela devait arriver, le construc-
continue sur le design et le développement de teur turc pourrait se tourner vers l’industrie
CARACTÉRISTIQUES l’appareil », avait expliqué, à l’époque, Ian King, russe. Cette dernière est d’ailleurs ouverte à
alors PDG du groupe britannique de défense. une telle coopération.
Dans le détail, doté d’un radar à antenne Par ailleurs, la question de la motorisation reste Quoi qu’il en soit, selon le calendrier affiché
active (AESA), le TF-X doit pouvoir voler épineuse. Dans un premier temps, le motoriste par Turkish Aerospace, le premier vol du
à la vitesse de Mach 2, à l’altitude de Rolls Royce était pressenti pour participer à ce TF-X pourrait avoir lieu en 2023, voire en
55 000 pieds (17 000 mètres). Son rayon projet. Finalement, les discussions n’ayant pas 2025 au plus tard. Et sa mise en service
d’action serait de 600 km. Mais la mise au abouti, Turkish Aerospace a jeté son dévolu sur interviendrait en 2028.

8
Barkhane / Armée française / Sauvetage

BARKHANE
L’INCROYABLE SAUVETAGE
DE L’ÉQUIPAGE DE L’HÉLICOPTÈRE GAZELLE
Par Laurent Lagneau

1 Vue d'artiste du projet de


chasseur de 5e génération turc,
le TF-X. (© Turkish Aerospace)

2 Gazelle SA 342M.
(Coll. Albin Denooz)

3 Gazelle et Eurocopter EC665


Tigre, un tandem toujours efficace.
Ici en Afghanistan.
(© Dominique DHE/SIRPA Terre Image)
2

L
mors de l’opération « Aconit », menée
par la force française « Barkhane »
3
dans le Liptako malien, entre les 9
et 19 juin 2019, un hélicoptère d’at-
taque Gazelle engagé en appui a été
contraint à faire un atterrissage d’urgence,
nécessitant l’envoi d’une force de secours
pour évacuer son équipage.

ATTERRISSAGE FORCÉ
En réalité, l’appareil a fait un « posé dur ».
Et les trois membres de son équipage (pilote,
copilote et tireur d’élite), blessés, ont été
évacués vers un hôpital militaire en France
par mesure de précaution. L’État-major des
armées (EMA) ne s’est jusqu’à présent pas
attardé longuement sur cet incident. Au
plus comprend-on qu’il s’est produit à un
moment où les combats contre le groupe
armé terroriste (GAT) visé par l’opération
« Aconit » étaient acharnés. Toutefois, on Le tireur d’élite qui se trouvait en place qui consiste à sécuriser le périmètre où a atterri
en sait plus grâce aux informations de Radio arrière a ensuite extrait de l’appareil le pilote l’appareil touché [ou victime d’une avarie] en
France internationale (RFI). Informations et le copilote, alors plus gravement blessés déployant des commandos au sol, débarqués
que l’EMA ne souhaite ni infirmer ni confir- que lui. Et cela, sous la surveillance d’au d’un hélicoptère de manœuvre. Et la récupé-
mer, selon l’Agence France-Presse (AFP). moins un hélicoptère d’attaque Tigre. ration de l’équipage se fait sous la protection
Ainsi, d’après Olivier Fourt, de RFI, cet héli- d’un hélicoptère d’attaque.
coptère Gazelle a été touché par des tirs de Mais selon RFI, il a fallu trouver un autre
mitrailleuse 7,62 mm, lesquels ont provoqué un UNE MANŒUVRE mode d’extraction pour l’équipage de la
début d’incendie. Perdant de la puissance, l’ap-
pareil a donc été obligé de faire un atterrissage
EXCEPTIONNELLE Gazelle… Ainsi, son pilote et son chef de
bord ont chacun été sanglés sur une ailette
forcé près des combats, dans des conditions Dans ce genre de situation, l’Aviation légère de d’un EC-665 Tigre. Et le tireur d’élite a fait
difficiles, la visibilité du pilote ayant été réduite l’armée de Terre [ALAT] met en œuvre une pro- « sauter » l’hélicoptère accidenté avant de
par le nuage de poussière soulevé par le rotor. cédure appelée IMEX (Extraction immédiate), s’exfiltrer « dans un autre appareil ».

9
l'Actualité
de l'Aéronautique
Drone / États-Unis / Iran

UN DRONE AMÉRICAIN
Par Laurent Lagneau
ABATTU PAR L' IRAN

P
our le Pentagone, le drone HALE (Haute Altitude Longue Endurance) de type BASM-D qui en ont été tirés pour être publiés sur les
(version navale du RQ-4 Global Hawk [1]), abattu par l’Iran le 19 juin, volait dans réseaux sociaux, on ne voit aucun numéro de
l’espace aérien international, précisément à 34 km des côtes iraniennes. Ce que série, ce qui rend compliqué toute identifica-
conteste Téhéran, qui a produit des « preuves » de ses affirmations. tion. Cela étant, ces documents ne donnent
pas d’indication sur l’endroit exact où le drone
l’appareil que cet engin a touché. L’agence se trouvait avant d’être abattu.
VERSION IRANIENNE iranienne Tasnim a ensuite publié une photo-
graphie (prise de jour) censée montrer la chute
Ainsi, le ministre iranien des Affaires étran- du drone américain. VERSION AMÉRICAINE
gères, Mohammad Javad Zarif, a indiqué la Enfin, la télévision iranienne a montré des
position du drone au moment où il a été frappé images de débris présentés comme provenant De son côté, l’United States Central Command
par un missile surface-air : « 25°59’43 » (de de l’épave du Global Hawk. Sur les clichés (CENTCOM), le commandement militaire
latitude Nord et) « 57°02’25 » (de longitude
Est). C’est-à-dire que l’appareil américain ne 2
survolait pas l’Iran, mais les eaux territoriales
iraniennes. « Nous avons retrouvé des mor-
ceaux du drone militaire américain dans NOS
eaux territoriales à l’endroit où il a été abattu »,
a d’ailleurs précisé le ministre iranien.
En outre, les autorités iraniennes ont diffusé
une animation montrant le parcours suivi par
le drone américain jusqu’à sa chute. Mais
elles ne précisent pas les moyens utilisés
pour déterminer la trajectoire de l’appareil.
Une vidéo montrant le tir – de nuit – d’un
missile 3rd Khordad [2] du système de défense
aérienne iranien Raad a également été diffu-
sée. Seulement, il est bien difficile de préciser

10
missiles. Alors que le dispositif se mettait en
3 place, le chef de la Maison-Blanche se serait
ravisé. Étant donné le contexte, de telles affirma-
tions sont à prendre avec précaution. Toutefois,
des sources gouvernementales iraniennes ont
confié à l’agence Reuters que le président
Trump avait envoyé un message à Téhéran.

RÉACTIONS IRANIENNES
« Dans son message, Trump dit qu’il est contre
une guerre avec l’Iran et qu’il veut discuter
avec Téhéran de plusieurs sujets. […] Il a donné
un court délai pour qu’une réponse lui soit
donnée, mais dans l’immédiat, notre réponse,
c’est qu’il revient à notre guide suprême de se
prononcer », a affirmé un des interlocuteurs de
américain pour le Moyen-Orient et l’Asie cen-
trale, a aussi produit des documents. Dont la
A DEUX DOIGTS l’agence de presse. « Nous avons clairement
indiqué que le guide est contre toute discus-
carte de la trajectoire suivie par le drone et une Quoi qu’il en soit, et selon le New York Times, sion, mais le message lui sera transmis pour
photographie du drone en feu. Ainsi, l’appareil le président Trump était à deux doigts de donner qu’il prenne une décision. […] Nous avons
aurait été abattu à « 25°57’42 » de latitude son feu vert à une riposte des forces américaines toutefois prévenu le responsable d’Oman
Nord et « 56°58’22 » de longitude Est. Autre contre des positions tenues par le Sepâh-e (qui a relayé le message américain) que toute
différence avec les « preuves » données par Pâsdârân-e Enghelâb-e Eslâmi (Corps des gar- attaque contre l’Iran aurait des conséquences
l’Iran : l’horaire. Il y a en effet un écart de diens de la révolution ou Sepâh-e Pâsdârân, régionales et internationales », a ajouté ce res-
4 minutes entre les deux versions. Pasdaran), dont des radars et des batteries de ponsable iranien.
Par ailleurs, le commandant Amirali Hajizadeh,
4 qui dirige la division aérospatiale du Sepâh-e
Pâsdârân-e Enghelâb-e Eslâmi, a remis une pièce
dans la machine en affirmant que ses hommes
s’étaient abstenus d’abattre un avion de
patrouille américain P-8 Poseidon [3] qui accom-
pagnait le drone HALE, assurant que cet appareil
s’était aussi aventuré dans l’espace aérien ira-
nien. « Nous aurions pu l’abattre, nous ne l’avons
pas fait », a-t-il dit, selon l’agence Tasnim.
En attendant, cet incident à proximité du
détroit d’Ormuz a des conséquences sur le tra-
fic aérien civil, plusieurs compagnies aériennes
ayant ont indiqué avoir suspendu tout survol
de cette région.

[1] Développé par Northrop Grumman, le drone de


surveillance RQ-4 Global Hawk pèse 14,62 tonnes
et atteint une vitesse maximale de 635 km/h grâce
à un turboréacteur Rolls-Royce F137-RR-100 d’une
poussée de 34 kN. Il peut parcourir 22 779 km
(endurance de 36 heures) et son plafond maximal)
est de 18 288 mètres. Ce drone n’est pas armé,
mais il dispose censément d’un mode furtif élaboré.

[2] Le missile 3rd Khordad fait partie du système de


5 défense antiaérienne Raad (Ra’d) et, selon l’agence
de presse Fars, conçu pour intercepter les avions
de combat, les missiles de croisière, les bombes
intelligentes, les hélicoptères et les drones. Selon
les Iraniens, une batterie pourrait engager 4 objectifs
(d’autres sources parlent de 6 à 8) en simultané et le
3rd Khordad pourrait toucher une cible jusqu’à une
distance de 200 km et 85 km si elle est en mode furtif.

[3] Dérivé de l’avion de ligne Boeing 737, le P-8A


Poseidon (P-8 MMA, Multimission Maritime Aircraft)
est un avion de patrouille maritime et de lutte anti-
sous-marine. Pesant 85,8 tonnes, il peut atteindre
la vitesse de 908 km/h et embarque un équipage
de 9 hommes (2 pilotes et 7 opérateurs système).

1, 3 & 4 Drone de surveillance américain


Northrop Grumman RQ-4 Global Hawk. L'engin
abattu par les Iraniens est une version spécifique,
le RQ-4N BAMS-D, utilisée par l'US Navy.

2 & 5 Missiles antiaériens iraniens 3rd Khordad.


(Droits réservés)

11
BATAILLE

1944

COMME DE GUERRE
UN PARFUM FROIDE

YAK VS LIGHTNING DANS LE CIEL DE SERBIE


Profils couleur : Jean-Marie Guillou Par Vincent Bernard

En
le ciel italien et au dessus de la Grèce, patrouillé dans
novembre 1944, dans le ciel d’une Yougoslavie l’Adriatique, pour beaucoup, serré plus d’une main
déchirée depuis l’invasion de l’Axe de 1941 et en russe, en faisant la navette entre les terrains italiens
cours de libération par les forces de partisans de et ceux du front de l’Est. Aujourd’hui, le job est un peu
Tito puissamment assistées par l’Armée rouge, différent. L’Armée rouge et les partisans yougoslaves
se déroule un incident unique par son ampleur, si ce n’est sa talonnent les Allemands en pleine évacuation précipitée
de Grèce et de Serbie. Malgré la quasi disparition de la
nature, et qui préfigure une guerre froide qui pourtant ne verra Luftwaffe du théâtre d’opération, les appareils de la 17e
jamais de heurts si directs : pendant d’interminables minutes, armée aérienne soviétiques basés essentiellement en
des chasseurs Yak de la 17e armée aérienne soviétique et des Bulgarie ne peuvent pourvoir à tout. Le commandement
P-38 Lightning de la Fifteenth Air Force américaine se livrent soviétique sollicite l’aide de la Fifteenth Air Force basée
sur l’autre rive de l’Adriatique de harceler les colonnes
une lutte aérienne féroce dans le ciel de la ville serbe de Nis. allemandes partout où l’on pourra et en particulier sur
Pourquoi ? Comment ? Jusqu’à ce jour, personne ne peut le dire leur axe principal de retraite vers la Croatie par Skopje et
avec une absolue certitude, tant une aura de mystère entoure Pristina, le fameux « corridor de Vardar ». Pour ce genre
encore cette « bataille de Niš » soigneusement étouffée pendant de mission, le chasseur-bombardier P-38 est l’arme
des décennies par les Alliés d’alors. parfaite : certes un peu lourd pour le dogfight face à des
intercepteurs agiles, l’appareil est en revanche extrê-
mement solide, rapide, puissant, et dispose d’un rayon
UN MATIN DE NOVEMBRE d’action exceptionnel. Au plan offensif, le Lightning peut
ORDINAIRE emporter quelques bombes et roquettes voire même,
si nécessaire, une lourde torpille de 533 mm sous le
Aérodrome de Vincenzo, complexe aérien de Foggia, p Une formation en vol de ventre ; de quoi s’attaquer à quasiment n’importe quelle
Italie du sud, le 7 novembre 1944. Parfaitement alignés Lockheed P-38 L Lightning cible. Mais il est aussi parfaitement taillé pour le strafing
du 96th Fighter Squadron,
sur le tarmac, plusieurs dizaines de P-38 Lightning [1] à grande vitesse avec son canon automatique HS-404
82nd Fighter Group,
appartenant aux trois escadrilles et au groupe de com- au-dessus de l'Italie en 1944. de 20 mm encadré de quatre mitrailleuses lourdes de
mandement du 82nd Fighter Group du Group Captain (USAF) 12,7 mm. Le décollage par escadrille, 95, 96, 97th
Clarence « Curly » Edwinson attendent l’ordre de décol- Fighter Squadrons s’effectue dans un ordre parfait.
ler. Cette formation appartenant au 305th Fighter Wing Cap est-nord-est, survol de l’Adriatique et, de là, sans
de la Fifteenth Air Force n’en est pas, loin s’en faut, à guère d’inquiétude quant à une quelconque menace
sa première mission de combat. Les pilotes ont connu adverse, la ligne des montagnes albanaises puis le ciel
l’enfer au dessus des puits de pétrole de Ploesti en de Serbie et de Macédoine à la recherche des « krauts »
escortant les bombardiers de la ; ils ont combattu dans en retraite entre Skopje et Pristina...

12
m
Comme un parfu
de guerre froide

 Ci-contre :
Le lieutenant-général Grigory
Kotov, commandant du 6e
corps de fusiliers de la Garde,
tué lors du strafing de son QG
par les P-38 américains. (DR)

 À gauche :
Clarence T. « Curly »
Edwinson, commandant
du 82nd Fighter Group,
photographié après la
guerre alors qu'il est
colonel de l'USAF.
(DR)

Il est 12h40 sur le terrain d’aviation du nord-ouest de se détacher par paires en direction de l’aérodrome, leurs
la ville serbe de Niš, libérée par les Bulgares à la mi-oc- intentions hostiles ne font plus aucun doute. L’alerte de
tobre et occupée par plusieurs régiments de la 17e armée dispersion est donnée et chacun gagne déjà ses abris
aérienne soviétique, parmi lesquels les chasseurs Yak de quand rugissent les premières explosions. Six appareils
la 288e division de chasse (288 IAD). Selon le récit du survolent successivement le terrain, l’arrosant de tirs de
colonel Shmelev, alors commandant du 707e régiment roquettes et de rafales d’armes automatiques. Un Yak-9
d’aviation d’assaut et témoin direct des événements, explose en tentant de prendre l’air. Aux cris « voilà les
l’ambiance ce jour là est on ne peut plus détendue. On fascistes ! » succèdent bientôt des lamentations incré-
s’apprête à célébrer le 27e anniversaire de la Révolution dules et atterrés : ces étoiles blanches, pas de doute, il ne
d’Octobre. Soudain est signalée l’approche depuis les s’agit pas de « Rama » [3] mais de Lightning américains,
montagnes d’une importante formation aérienne non des amis ! Autre témoin de la scène, le commandant
identifiée. La surprise le dispute à l’incompréhension Syrtsov, commandant le 866 IAP (Régiment de chasse) x Le capitaine Alexander
lorsqu’on commence à distinguer les appareils – ils sont se précipite vers la base pour ordonner le décollage de Ivanovich Koldunov (1923-
plusieurs dizaines - ainsi que les double queues évoquant tous ses chasseurs. Il s’agit pour l’essentiel de Yak-9T et 1992), double Héros de
l'Union soviétique, au titre de
des Focke-Wulf Fw 189 ; mais d’où viendraient-ils, et D, mais aussi de quelques rares nouveaux Yak-3 flambant ses 412 missions marquées
comment pourraient-ils être si nombreux [2] ? Lorsque neufs arrivés au compte goutte depuis l’été de leurs usines par 96 combats aériens et 46
les arrivants commencent à rompre leur formation et à de Saratov et de Tbilissi pour les meilleurs pilotes, à com- victoires durant la Seconde
Guerre mondiale. Son
mencer par le capitaine Alexander Ivanovich Koldunov,
palmarès individuel comprend
« Koldun », l’un des meilleurs spécialistes des Yak des un... P-38 américain abattu
VVS, as aux trente victoires et déjà héros de l’Union lors de la bataille de Niš.
(DR)
soviétique. Lorsque Syrtsov arrive sur place, plusieurs
paires d’appareils s’élèvent déjà à la suite des Lightning,
dont une de Yak-3 menée par « Koldun » lui-même. [1] 27 appareils, selon
les sources américaines.
Consigne : faire comprendre aux Américains leur erreur
Les sources soviétiques
sans engager le combat. et yougoslaves évoquent
la présence de 40
voire 60 appareils.

LA « BATAILLE AÉRIENNE [2] Le Focke Wulf


189 « Uhu » est un
DE NIŠ »  bimoteur triplace de
reconnaissance et de
bombardement léger
Ces témoignages évoquent clairement l’existence de dont l’allure générale
plusieurs groupes distincts de P-38, et l’attaque de l’aé- rappelle le P-38.
rodrome de Niš dès 12h40 par l’un d’eux, provoquant la
[3] « Cadre », surnom
réaction de la chasse soviétique. Ajoutent à la confusion
inspiré par l’allure carrée
d’autres témoignages yougoslaves [4] affirmant de leur de l’appareil vu du sol.
côté la présence de bombardiers B-25 aux côtés des
P-38. Plus sobre, le rapport officiel du 866 IAP daté [4] L’armée de l’air
yougoslave est en
de l’après-midi même du 7 novembre ne dit mot de
cours de reconstitution
ces éléments et fait quant à lui débuter « l’action » et plusieurs régiments
dix minutes plus tard à 12h50, lorsqu’un groupe de aériens sont formés
12 appareils vite identifiés comme des Lightning amé- et entraînés entre
l’automne 1944 et le
ricains attaque une colonne motorisée en mouvement printemps 1945.
vers l’ouest sur la route de Niš.

13
Il s’agit en l’espèce du quartier-général du 6e corps de p Trois Yak-9D en vol en Krivonogih est presque immédiatement victime d’un tir
fusiliers de la Garde du récemment promu lieutenant-gé- 1944. Difficile de déterminer, fratricide de sa propre DCA [6]. Ils sont suivis à 13h05
compte tenu de la confusion
néral Grigory Kotov, relevant de la 57e armée du général par six autres Yak-9 rassemblés sous le commande-
incroyable du combat, lequel
Sharokin [5]. Les P-38 attaquent par groupes de quatre du P-38 ou du Yakovlev a ment de l’as et héros de l’Union soviétique, le capitaine
depuis 400 mètres d’altitude et mitraillant jusqu’à 50 tiré son épingle du jeu en Alexander Bondar, puis à 13h10 par le Yak-3 du capi-
mètres, le reste de la formation attendant son tour en ce 7 novembre 1944 ! taine « Koldun » Koldunov flanqué du sous-lieutenant
(Marmain)
effectuant des cercles à 1 500 m. Lors de la deuxième Krasyukov, et enfin, quelques minutes plus tard, par le
vague d’attaque, la DCA soviétique qui s’est ressaisie Yak esseulé du sous-lieutenant Serdyuk ; au total, 11
ouvre le feu et abat l’un des appareils qui s’écrase à un appareils du 866 IAP, et peut-être d’autres appartenant
kilomètre au nord de l’aérodrome. Kotov lui-même est tué au 659 IAP, le régiment « frère », souvent mentionné.
lors de l’action dans son véhicule de commandement aux Impossible de faire la part des choses dans la succession
côtés de plusieurs dizaines d’hommes. Ce n’est que vers de duels qui s’ensuit dans la plus grande confusion,
13h00 que décolle la première paire de Yak-9 d’alerte du alors que conformément à leurs directives, certains
866 IAP pilotée par le lieutenant Krivonogih et son ailier { Belle vue d’un Yak-9T pilotes soviétiques tentent tant bien que mal de se
le sous-lieutenant Shipulya. Ceux-ci engagent immédia- en vol. La bande blanche faire reconnaître des Américains tandis que d’autres,
visible sur le plan d’aile
tement les assaillants et pensent abattre un P-38 mais engagés par les P-38 qui se révèlent de redoutables
droit aide à la visée des
cibles terrestres. On peut adversaires, ouvrent le feu. Par deux fois, le lieute-
[5] La 57e armée soviétique qui a participé à la se faire une idée du champ nant Surnev d’abord, puis face à un second groupe
campagne de Roumanie et à l’offensive conjointe avec de vision offert au pilote par de P-38, le lieutenant Poziba, des chasseurs à étoile
l’armée bulgare et les partisans yougoslaves contre la verrière panoramique,
en principe « dans tous les
rouge parviennent à approcher suffisamment d’un leader
le corridor de Macédoine constitue l’extrême sud de
l’Armée rouge, dépendant du 3e front d’Ukraine. sens », mais elle ne paraît américain en battant des ailes de façon assez explicite
pas aussi évidente vers pour se faire reconnaître et obtenir l’interruption de
[6] Il est possible, si ce n’est vraisemblable, que c’est l’arrière à cause du dossier l’attaque. Que la méprise ait pris autant de temps à
le P-38 de King que Krivonogih pense abattre avant et de la cloison vitrée blindée
placée dans son dos.
être reconnue et diffusée par radio à l’ensemble de la
d’être victime à son tour du réveil de la DCA.
(Marmain) formation reste en revanche incompréhensible malgré la

Yakovlev Yak-9T
Capitaine Alexander Bondar
866 IAP
Niš, Yougoslavie, novembre 1944

14
m
Comme un parfu
de guerre froide

attaquer les troupes soviétiques par erreur.


Tactiquement, le rapport relève en outre
la nette supériorité du P-38 en manœuvre
horizontale tout en créditant les Yak d’un
certain ascendant dans les manœuvres
verticales. La participation du 659 IAP
dans ce combat est difficile à connaître et
brouille sans doute une partie de l’histoire,
les unités étant stationnées ensemble et les
pilotes ayant l’habitude de se précipiter en
cas d’urgence sur le premier appareil dispo-
nible plutôt que sur leur propre « moulin ».
Selon le 82nd Fighter Group, Edwinson aurait
rompu le combat dès la contre-attaque en
comprenant sa méprise, ce qui ne concorde
guère avec le rapport soviétique. L’unité
revendique selon les récits 4 ou 5 Yak abat-
tus, dont un par Bill Blurock, exécutant à
bout portant un Yak lancé à la poursuite de
sa formation et venant de tirer sur le P-38
de son Group Captain, mais n’enregistre de
son côté, tout comme son adversaire du jour,
que trois pertes : deux en combat aérien :
le P-38L « My Fantasy » du lieutenant Philip
Brewer (N° de série 44-24035) et le P-38J
du lieutenant Eldon Coulson (N°43-28662),
tous deux du 95th FS, et tous deux tués.
Or, alors que le rapport soviétique attribue
clairement les victoires aux pilotes de Yak-9,
les deux avions perdus sont enregistrés dans
les archives américaines comme victimes de
Yak-3, dont au moins un, Coulson, explici-
tement attribué à Koldunov. « Koldun » se
voit par ailleurs crédité par certaines sources
soviétiques d’un ou deux P-38 abattus au
cours de l’année 1944. Mais est-ce ce jour
là ? S’ajoute au bilan, cette fois avec des
confusion générale. Chaque camp se recon- à Zhestovsky, en plus de celle créditée à la récits plus concordants, la perte du P-38 L du
naîtra deux pertes en combat aérien et une DCA. Il enregistre la perte de deux Yak-9 en capitaine Charles King (N°44-24392), 96th
par DCA, tout en revendiquant quatre ou cinq combat aérien (Shipulya, tué, et Zhestovsky, FS, abattu par la DCA soviétique, sans doute
victoires. Le rapport soviétique du 866 IAP blessé mais récupéré), et d’un par tir fratricide en même temps que le Yak de Krivonogih, au
crédite ainsi le sous-lieutenant Serdyuk de de la DCA (Krivonogih, tué). Il conclut à une dessus de Sjenica, mais qui parvient à sauter
deux victoires, plus une à Krivonogih et une perte d’orientation des P-38 ayant conduit à et sera récupéré et « rendu » aux Américains.
z Un char soviétique T-34/85
lancé à toute vitesse dans
une plaine de Yougoslavie
à l'automne 1944. L'incident
de Niš commence, en
ce 7 novembre, par le
mitraillage, par des P-38
du 82nd Fighter Group,
d'une colonne motorisée
du 6e corps de fusiliers de
la Garde de l'Armée rouge
en route vers la ville.
(Arhiv Znaci)

t Des Lockheed P-38


de la 15th Air Force en
formation au-dessus de la
Yougoslavie en 1944.
(DR)

15
Lockheed P-38J Lightning
95th Fighter Squadron
82nd Fighter Group
Vincenzo, Italie, novembre 1944

Beaucoup plus sûr est le bilan des troupes au


sol du 6e corps de fusiliers de la Garde « stra-
fées » sur la route de Niš par plusieurs groupes
d’attaque. Et il est particulièrement lourd :
Une vingtaine de véhicules détruits et une
quarantaine de victimes, dont une douzaine
de tués [7], parmi lesquels le général Kotov
lui-même, commandant l’unité et tué dans
son véhicule de commandement incendié.

WHY ?
Que s’est-il vraiment passé ce 7 nombre
1944 dans le ciel de Niš ? Au delà des faits,
incontestables mais difficiles à reconstituer
avec précision et laissant ouvertes bien des
questions, s’agit-il d’un simple incident isolé
après trois ans de coopération aérienne
pourtant étroite et fructueuse [8] ? C’est
la question que pose le colonel Glantz,
spécialiste bien connu et pionnier de la
redécouverte du front germano-soviétique
dans un article de 1998, à la lumière d’ar-
chives seulement partiellement ouvertes et
dans la perspective d’éclairer la méfiance
croissante et réciproque entre alliés aux
racines de la guerre froide : « Comment et
pourquoi les Américains ont-ils tué le général
Kotov ? ». On l’a vu, ni les archives connues
ni les récits partiels ne concordent vraiment.
[Kotov] « fut la victime d’un manque de
communication et de la ressemblance entre
les uniformes et les marquages de véhi-
cules soviétiques et allemands qui a trompé
les P-38 attaquant à grande vitesse »
expliquent certains récits américains sur le

[7] Certains récits évoquent plus de trente tués.

[8] En plus du système de « Shuttle » entre


les aérodromes italiens et du front de l’Est
pour bombarder certains objectifs lointains,
un petit groupe de chasse sur Yak 9 stationne
à Bari sous contrôle opérationnel de la RAF.
Au plan général l’URSS aura reçu au titre du
Lend Lease plus de 14000 avions américains,
46000 tonnes de pièces de rechanges et
une abondante documentation technique.

16
m
Comme un parfu
de guerre froide

Lockheed P-38L Lightning


96th Fighter Squadron
82nd Fighter Group
Vincenzo, Italie, novembre 1944

sujet dédouanant à peu de frais ce qui constitue pour le colonne Kotov mais encore directement du terrain d’avia-
moins une suite d’erreurs monumentales de la part du tion de Niš ? Un malheureux concours de circonstances
groupe d’Edwinson ; erreur de navigation d’abord, de ayant dégénéré ? Improbable et cynique avertissement
x Alignement de chasseurs
reconnaissance ensuite, de coordination enfin. Certaines soviétiques Yakovlev occidental « Soviétiques, n’avancez plus » ? Toutes les
explications vont jusqu’à renvoyer l’entière responsabilité Yak-3 à une seule interprétations ont été avancées, avec pour seul point
à des Soviétiques n’ayant non seulement pas transmis mitrailleuse sous capot. commun avéré la réalité de cette malheureuse « bataille
L’appareil au tout premier
les informations sur l’évolution de la ligne de front mais de Niš » peu reluisante à tous égards et dans laquelle
plan est un chasseur
ayant « après tout, tiré les premiers » en interceptant Lavotchkine La-5. Le 866 on semble parfois bien plus rechercher à démontrer un
les P-38. C’est encore moins convaincant. Niš était aux IAP dispose de plusieurs « score » favorable à son camp qu’à établir la réalité des
mains des alliés de l’Est et de la résistance yougoslave de ces nouveaux Yak-3 au circonstances.
moment de l'incident de Niš.
depuis trois semaines. Est-il possible qu’Edwinson et (Marmain)
Le 14 décembre 1944, l’ambassadeur W. Averell Harriman
ses chefs d’escadrilles se soient trompés à ce point présente au Kremlin les excuses du gouvernement améri-
d’objectif, confondant Niš avec Pristina, et une colonne q Un P-38J du 82nd Fighter cain pour le malheureux « incident », invoquant une erreur
soviétique avec des Allemands en retraite ? C’est tout Group sur le point de décoller de navigation et une confusion entre Niš et Pristina, une
pour une mission. Un cliché
au moins peu flatteur. Et qu’en est il des témoignages pris quelques semaines
explication et une erreur que valide l’enquête soviétique.
soviétiques et yougoslaves décrivant plusieurs groupes après la bataille de Niš. Une erreur de 150 kilomètres, prolongée pendant d’in-
d’attaque distincts s’en prenant non seulement de la (IWM) terminables minutes malgré les communications radio...

17
plusieurs commandements élevés au sein des VVS
jusqu’à un poste de vice-ministre. Quant à la proposition
d’Harriman de dépêcher des officiers de liaison au plus
près du terrain pour éviter toute nouvelle méprise, elle
est déclinée par Staline, ce qui alimentera à Washington
une défiance accrue envers cet allié ne paraissant vouloir
coopérer qu’à sens unique. Ressentiment et guerre froide
Une erreur conduisant à des faits qu’aucun des deux  Le P-38G Lightning en germes, déjà.
commandements ne sera pressé, évidemment, de rendre « Sweet Pea » du 97th
Fighter Squadron.
publics. Une erreur qui aura coûté la vie à des dizaines de (DR)
soldats soviétiques dont un général et à plusieurs pilotes
des deux camps. Rapatrié aux États-Unis, Edwinson { Ces armuriers s'affairent ESCARMOUCHES CHAUDES
AVANT GUERRE FROIDE
sur les mitrailleuses cal. 50
poursuivra néanmoins sa carrière dans l’Air Force en
du nez du P-38 piloté par
occupant plusieurs postes successifs de commande- le 2nd Lieutenant Ward
ment et obtenant le grade de Brigadier-General. Charles Kuentzel, du 96th FS. Plus largement, cet épisode, noyé dans la masse des
(DR)
King, le pilote abattu et récupéré – par des fantassins de combats des derniers mois de la guerre est-il unique,
l’Armée rouge disent les Soviétiques, par des paysans traduisant à la fois les difficultés de coordination et les
locaux selon les sources américaines, ne s’accordant « frictions » de plus en plus nombreuses à mesure du
décidément pas sur grand chose – est discrètement rendu rapprochement physique des alliés de circonstances ?
et rentre, lui aussi, au pays. Victorieux ou non ce jour Sans doute pas, même s’il est encore aujourd’hui très
là, « Koldun » poursuivra sa brillante carrière de pilote difficile d’éclairer et de vérifier ces faits, archives fermées
jusqu’en Corée, accumulant 46 victoires, et occupera ou incomplètes, témoins disparus, et mémoire passée

Yak vs P-38
Lockheed P-38L Lightning Yakovlev Yak-9T Yakovlev Yak-3
Type Chasseur lourd monoplace Chasseur monoplace Chasseur monoplace
Premier vol 27 janvier 1939 6 juillet 1942 28 février 1943
Mise en service Juillet 1941 Octobre 1942 Juin 1944
Retrait 1949 1 950 1 952
Exemplaires produits 10037 (total) 2 748 (version) 4 848
16 769 (total)
Dimensions 11,53 x 15,85 x 3,91 8,5 x 9,74 x 3 m 8,5 x 9,2 x 2,39 m
Masse (a.v/charge) 5800 / 7940 kg 2 277 / 2 870 kg 2 105 / 2 692 kg
Motorisation 2 x Allison V12 1600ch 1 x Klimov V12 1 180 ch 1 x Klimov V12 1 300 ch
Puissance 0,55 / 0,4 ch/kg 0,52 / 0,41 ch/kg 0,62 / 0,48 ch/kg
Vitesse 666 km/h 600 km/h 655 km/h
Vitesse ascens. 24,1 m/s 16,3 m/s 18,5 m/s
Plafond 13000m 11 100 m 10 700 m
Rayon d’action 1050km 450 km 325 km
Armement 1 x 20 HS-404 150c 1 x 37 NS 30 coups 1 x 20 ShVAK 150 coups
et munitions 4 x 12,7 M2 500c 1 x 12,7 UB 200 coups 2 x 12,7 UB 170 coups
Emport offensif 4x3 LR M10 112mm ou diverses configurations - -
de bmbs/rqts/réservoirs (Jusqu’à 2xbb de 907kg)

18
m
Comme un parfu
de guerre froide

au tamis de soixante-quinze ans d’oubli dont quarante


cinq de guerre froide. Ainsi, des témoignages évoquent- SOURCES ET RÉFÉRENCES 
ils l’existence d’incidents « étouffés », d’interceptions
entre « alliés » au dessus de l’Adriatique ou l’Allemagne,  lantz (D.) & Maslov (A.), How and why did the Americans kill Soviet general
G
de méprises au cours de l’opération « Frantik » ayant Kotov ? In Journal of Slavic Military Studies, 1998
conduit la DCA soviétique à tirer sur des avions alliés non A
 rchives centrales du ministère de la Défense de la fédération de Russie
reconnus. Il semble également que l’as des as « Boroda » (TsAMO), notamment le Rapport du 866 IAP daté du 7 novembre 1944
Kozhedub lui-même, triple héros de l’Union soviétique à 16 heures.
crédité de 64 victoires en ait remporté deux parmi les
toute dernières en mars ou avril 1945 contre des... P-51 H
 onor Roll 82nd Fighter Group 1942- Sep 45 (http://raf-112-squadron.
Mustang américains l’ayant attaqué au dessus de l’Al- org/82ndfghonor_roll.html)
lemagne, peut-être après avoir confondu son La-7 avec
 augher (J.), USASC-USAAS-USAAC-USAAF-USAF Military Aircraft Serial
B
un Fw-190. Difficile de faire la part de la réalité et du
Numbers-1908 to Present (joebaugher.com/usaf_serials/usafserials.html)
fantasme mais il est très vraisemblable que la bataille de
Niš ait été un (gros) arbre cachant une forêt d’incidents
traduisant une nervosité croissante et pour un temps
encore étouffée sous le poids de l’indéfectible et indis-
pensable « Grande alliance ». 

Né juste avant la guerre, en même temps que d’efficacité. Il reste aujourd'hui moins d'une
Superman, le P-38 était plus célèbre en 1940 demi-douzaine de Lightning en état de vol à
que le fils de Jorel auprès des adolescents du travers le monde. En voir évoluer un demeure
Midwest ou de Californie ! Il faut avouer que un privilège rare et qui marque à jamais la
le plus beau chasseur de sa génération* ne mémoire des spectateurs. Pour appréhender
pouvait pas laisser indifférent avec son design la richissime histoire de ce pur-sang, on pourra
futuriste et élégant propre aux ingénieurs de la utilement se référer au prochain hors-série
Lockheed : que l’on pense à son contemporain, d'Aéro-journal : un historique de presque 120
le sublime L-12 Electra, pour s’en convaincre ! pages, signé Guy Julien et richement illustré
Malgré des débuts difficiles, le « diable à de plans, de profils et de photos, à paraître
queue fourchue » saura trouver son rôle en août.
et largement contribuer à la victoire L’avion de « Rex » Barber, tombeur du
des Alliés, combattant aussi bien « Betty » de l'amiral Yamamoto, d’Antoine
en Europe, en Afrique du Nord, de Saint-Exupéry ou encore de Richard Bong,
que dans le Pacifique, où il as des as américains avec 40 victoires, n’aura
s’est taillé une réputation alors plus de secrets pour vous !
* Selon Robin Olds, futur général de l’Air Force et as
à 13 victoires sur P-38 pendant la guerre.

19
BATAILLE

1940

JABOS
1941

LONDRES !
SUR

LA "VRAIE FAUSSE BONNE IDÉE"


Profils couleur : Jean-Marie Guillou Par Chris Goss

P
L’Erp.Gr. 210 a été créé à Cologne-Ostheim le 1er
eu avant le début de la Bataille d’Angleterre, la juillet 1940 sous les ordres du Hauptmann Walter
Luftwaffe expérimente une nouvelle arme aérienne : Rubensdörffer. Ses deux premières escadrilles volent
le chasseur-bombardier [1]. Les résultats dépassent les sur Bf 110 et la troisième sur Bf 109. Cette unité a pour
espérances, mais l’apparence trompeuse de succès mission de mettre au point de nouveaux équipements et
sans portée stratégique va conduire l’aviation allemande dans de nouvelles techniques d’appui tactique et de bombar-
dement en piqué. Il avait été prévu d’équiper le groupe
une véritable impasse. du nouveau bimoteur Me 210, successeur désigné du
Ju 87 Stuka, dédié à l’attaque au sol et capable de se

Au
défendre seul. Toutefois, en raison des graves difficultés
printemps de 1940,
l’état-major géné-
ral de la Luftwaffe
demande au Service
technique d’étudier la
possibilité d’armer le
Messerschmitt Bf 109 E d’une bombe. Le
bureau d’études dessine un râtelier caréné à
installer sous le ventre de l’avion et pouvant
accueillir une bombe SC 250 de 250 kg. Les
essais s’avèrent satisfaisants, le râtelier et la
bombe n’engendrant qu’une faible dégrada-
tion des performances. Par conséquent, le
râtelier ETC 500 est commandé en série et
issu aux unités pour montage par leurs soins.
Simultanément, des commandes sont passées
pour une version spécifique des Bf 109 E-1
et E-4, baptisées Bf 109 E-1/B et E-4/B. Au
total, 110 Bf 109 E-1/B et 226 Bf 109 E-4/B
sont construits. Les premiers exemplaires sont
pris en compte en juillet 1940 et versés à la
3. Staffel d’une nouvelle unité, l’Erprobungs-
gruppe 210 (groupe d’expérimentation 210).

20
Jabos
sur Londres !

{ Le prototype du techniques qui plombent le programme du Me 210, une vitesse de 600 km/h est préconisée, tandis que pour
Messerschmitt Bf 109 E l’Erp.Gr. 210 reçoit l’ordre de s’acquitter de sa mission les attaques à haute altitude, une vitesse de 650 km/h
Jabo pourvu du râtelier
avec ses Messerschmitt. est recommandée. Étant donné le manque d’expérience,
ETC 500 affectant une
bombe de 250 kg. Le groupe se met au travail sans tarder, établissant un la visée se fait à l’estime ; cependant, par tâtonnements,
(Sauf mention contraire, toutes programme rigoureux d’entraînement au bombardement une méthode permettant d’utiliser le collimateur Revi finit
photos coll. C. Goss)
en piqué placé sous la responsabilité du Hauptmann par être mise au point, comme l’explique l’Oberleutnant
Karl Valesi, un farouche promoteur de l’emploi du Otto Hintze, alors Staffelkapitän de la 3./Erp.Gr. 210 :
Bf 109 dans ce rôle. Le 10 juillet, le groupe s’installe « L’angle du piqué depuis 3 000 mètres était de 45° en
à Denain, où l’entraînement se poursuit d’arrache-pied, maintenant la cible dans le centre du viseur. À 1 000
[1] Jabo, contraction de les pilotes se familiarisant à cette technique en lançant mètres, on commençait à rétablir pour se remettre en vol
Jagd-Bomber, signifie des bombes en ciment. C’est lors d’un de ces vols horizontal et on lançait la bombe environ deux secondes
chasseur-bombardier
en allemand.
d’entraînement que Karl Valesi perd la vie le 7 août. plus tard, quand la cible se trouvait au milieu de la moitié
Pour les attaques en piqué à basse et moyenne altitudes, inférieure du viseur. Il fallait aussi tenir compte du vent. »
z Magnifique vue du
Messerschmitt du Leutnant
Paul Steindl, du Stab II./JG 54,
photographié en vol fin 1940.

 Un Bf 109 E-1/B de la 9./


JG 26, avec l'écu frappé du S,
insigne de l'escadre nommée
en l'honneur d'Albert Leo
Schlageter, ce franc-tireur
allemand fusillé par les
Français lors de l'occupation
de la Ruhr en 1923. L'appareil
est armé d'une bombe SC 250
de 250 kg sous le ventre.

u Les Messerschmitt
Bf 109 E de la 3./Erp.
Gr. 210 photographiés sur
leur terrain à Denain en août
1940. Cette 3. Staffel est
aux ordres de l'Oberleutnant
Otto Hintze qui sera battu et
capturé lors de la coûteuse
journée du 29 octobre.

21
TROP D’OBJECTIFS,
PAS ASSEZ D’AVIONS
Début août, la 3. Staffel continue à s’intéresser
aux cibles maritimes, attaquant le 5 un convoi
au large de Harwich et coulant le chalutier Cape
Finisterre. Le 12 août, le Gruppe dans son
intégralité effectue plusieurs attaques simul-
tanées sur les stations de radar de Douvres,
Pevensey et Rye sur la côte du Kent et sur
celle de Dunkirk à l’intérieur des terres. Les huit
avions de la troisième escadrille s’en prennent à
la station de Douvres. Les bombes tombent au
milieu des bâtiments du complexe et secouent
l’antenne du radar sans causer de dommages
durables. Tous les avions rentrent en France
après avoir mis temporairement hors d’état trois
stations vitales pour la défense du Royaume-
Uni ; seule celle de Dunkirk a été laissée intacte.
Puis, un peu après midi, l’Erp.Gr. 210 repart
pour guider le I./KG 2 dans un raid dirigé contre
l’aérodrome de Manston. Le bombardement est
couronné de succès, et, après le départ des
L’entraînement va durer deux ou trois La semaine suivante, la troisième escadrille bombardiers, les Messerschmitt 109 reviennent
semaines. Une ligne rouge est peinte sur effectue treize nouvelles missions au rythme pour une passe de mitraillage.
le côté de la verrière, alignée à 45° avec moyen de deux par jour, la plupart contre des Les chasseurs-bombardiers ont clairement
l’horizon, afin de permettre aux pilotes de convois de charbonniers, de caboteurs et de démontré leur capacité de lancer une charge
maintenir un angle de piqué le plus correct cargos protégés par des dragueurs de mines offensive avec précision contre un objectif
possible. En effet, en cas de piqué plus pro- et des destroyers. La stratégie d’interdire les d’une grande importance sur le plan tactique.
noncé, sur les Bf 109, l’hélice risque de partir eaux de la Manche à la navigation britannique L’arme principale de la Luftwaffe dans le
avec la bombe. Dans le courant de la troi- commence à porter ses fruits. À la fin du domaine de l’appui tactique, le Ju 87 Stuka,
sième semaine de juillet, le Gruppe effectue mois, soit en seize jours depuis le début de s’est avérée beaucoup trop vulnérable à la
des reconnaissances armées et des attaques sa mise en œuvre, l’Erp.Gr. 210 revendique chasse britannique et l’appareil ne tardera pas
régulières sur les bateaux naviguant au large 89 000 tonneaux coulés, dont quatre navires à être retiré des premières lignes en raison de
des côtes Est et Sud de la Grande-Bretagne. de guerre, plus la destruction de trois chas- lourdes pertes. Quant aux bombardiers moyens
Le 19 juillet, la 3./Erp.Gr. 210 réalise deux seurs anglais pour la perte de trois Bf 110 en Heinkel He 111 et Dornier Do 17, ils manquent
attaques sur le port de Douvres. Au cours de combat et deux Bf 109 dans des accidents. de vitesse pour pénétrer le réseau défensif bri-
la première, qui implique la totalité du groupe Ces résultats amènent le Generalfeldmarschall tannique par surprise et demandent un nombre
protégée par le III./JG 51, un chalutier armé Kesselring à venir à Denain présenter ses féli- sans cesse croissant de chasseurs pour les pro-
est touché. Au cours de la seconde, le tanker citations au Gruppe le 30 juillet. « L’artillerie téger à l’aller comme au retour ; la précision leur
Oiler est coulé et plusieurs coups proches volante » a dégagé la route de la Manche fait aussi défaut pour atteindre des cibles de
endommagent le destroyer HMS Griffin, un pour la flotte d’invasion allemande, dit-il. faibles dimensions. En fait, à part l’Erp.Gr. 210,
remorqueur et un autre bateau de pêche étant Maintenant, il est temps de s’attaquer à des la Luftwaffe possède peu d’unités ayant une
également endommagés. objectifs à l’intérieur des terres. réelle expérience dans le domaine de l’attaque
{ Quelques pilotes de
la 3./Erp.Gr. 210, de gauche
à droite : l'Oberleutnant Otto
Hintze (Staka), le Leutnant
Horst Marx, l'Oberfähnrich
Paul Drawe et le Leutnant
Peter Emmerich. Cliché pris
avant le 15 août 1940, date à
laquelle Marx est abattu au-
dessus du Sussex et capturé.

u Un Messerschmitt Bf 110 C
de l'Erp.Gr. 210 pourvu d'un
râtelier à bombes ventral.

22
Jabos
sur Londres !

au sol. Seuls le II.(S)/LG 2, renvoyé en Allemagne pour p En haut : Un Messerschmitt hangars détruits. Un Fairey Battle est également incendié
être transformé sur Bf 109 E-4/B, et la 9./KG 76, dont Bf 110 C-6 de la 1./Erp. et l’explosion de sa bombe de 500 kg ajoute un peu plus
les équipages de Do 17 sont passés maîtres dans l’art de Gr. 210. Cet avion sera abattu à la confusion ambiante.
à Croydon le 15 août 1940,
la pénétration à basse altitude, peuvent répondre à l’at- avec à son bord le Leutnant
tente du haut commandement. Or, celui-ci est confronté Erich Beudel et l'Obergefreiter
à un grave problème : trop d’objectifs, pas assez de Otto Jordan, tous deux tués. UNE MISSION
chasseurs-bombardiers.
Loin de ces considérations qui leur échappent, les pilotes
z En bas, à gauche : Portrait CATASTROPHIQUE
du Leutnant Horst Marx, fait
de l’Erp.Gr. 210 vont connaître leur moment de gloire. prisonnier le 15 août après En revanche, la seconde mission du jour va s’avérer désas-
Le 15 août, ils vont attaquer Martlesham Heath dans que son Bf 109 a été abattu treuse. Alors qu’il doit attaquer l’aérodrome de Kenley, le
par le Pilot Officer Flinders.
le Suffolk. Ils décollent pour la circonstance de Calais- Gruppe s’en prend à Croydon, à trois kilomètres au nord
Marck, filent le long de la côte Nord du Kent et traversent { En bas, à droite : de Kenley. Les bombes ne causent que peu de dommages
l’estuaire de la Tamise. Leur intention demeure obs- Horst Marx pose devant matériels, bien qu’elles tuent 62 personnes et en blessent
cure pour les contrôleurs britanniques, même lorsque le Messerschmitt Bf 109 37 autres. Cependant, des Hurricane des No 32 et 111
« 3 jaune ».
la formation s’enfonce dans les terres. Dans leur style Squadrons ne tardent pas à les intercepter. Après avoir
caractéristique de l’attaque-éclair, les chasseurs-bombar- largué leur bombe, les Bf 109 de la 3. Staffel essaient de
diers ne s’attardent pas plus de cinq minutes au-dessus protéger les Bf 110 qui forment un cercle défensif. Sans
de leur objectif. Quand ils repartent, ils laissent der- l’avantage de l’altitude et en infériorité numérique, ils se
rière eux de nombreux bâtiments endommagés et deux retrouvent rapidement dans une situation désespérée.

23
L’enseignement de cette déroute est clair : le Bf 110
est trop lent et trop peu maniable pour affronter des
monomoteurs de chasse modernes et il n’a dû ses pre-
miers succès qu’à l’habileté, l’expérience et la plus grande
agressivité de ses pilotes. En outre, pour couronnées
de succès qu’elles puissent être, les attaques contre
des cibles côtières s’avèrent moins rentables que les
attaques contre les navires de surface. Les raids contre
des objectifs à l’intérieur des terres se révèlent beaucoup
plus coûteux en termes d’équipages et d’avions perdus
et leur efficacité est loin d’être prouvée. Des deux types
utilisés par l’Erprobungsgruppe, le Bf 109 se confirme
être le meilleur chasseur-bombardier, en grande partie
en raison de sa capacité à se défendre seul en cas de
mauvaise rencontre.

ARRIVÉE DE DEUX
À chaque fois qu’un appareil tente de s’échapper du cercle p Ci-dessus :
NOUVEAUX GROUPES
défensif, il est aussitôt pris en chasse par les Hurricane. Un Messerschmitt Bf 110 D-0 Quoi qu’il en soit, l’OKL a déjà décidé d’augmenter le
du Stab de l'Erp.Gr. 210 abattu
Le Leutnant Horst Marx, de la 3./Erp.Gr. 210, tente de le 15 août 1940, l'un des six
nombre de ses chasseurs-bombardiers en ordonnant la
protéger le Bf 110 du Hauptmann Rubensdörffer qui appareils perdus par le groupe transformation de deux nouveaux groupes. L’un des
s’enfuit en direction du sud. Les deux appareils croisent la d'expérimentation ce jour-là. deux, le I.(J)/LG 2, commandé par le Hauptmann Herbert
route du Pilot Officer « Polly » Flinders, aux commandes Ihlefeld, est une unité de chasse conventionnelle. L’une
p En haut : Autre vue du
de son Hurricane du No 32 Squadron : même appareil inspecté et
des toutes premières à avoir reçu le Bf 109 E avant la
« Un Me 109 m’est arrivé droit dessus sur le côté droit. surveillé par des Tommies, guerre, elle a été chargée de son évaluation opération-
J’ai coupé les gaz et il est passé devant moi dans mon qui permet d'apprécier nelle pendant la campagne de Pologne. Elle est alors en
collimateur. J’ai pressé la détente pendant deux secondes le code S9+CB. train d’être transformée sur Bf 109 E-7. Cette nouvelle
environ et un nuage de fumée blanche a jailli de son version, qui sort tout juste des lignes de production, est
moteur. L’appareil a piqué vers le sol. J’ai compris qu’il équipée d’un râtelier ETC 500 permettant l’emport d’une
ne rentrerait pas à sa base et j’ai continué à pourchasser bombe ou d’un réservoir supplémentaire de 300 litres.
les bombardiers. Une minute plus tard, j’ai aperçu un Le E-7 peut donc être employé indifféremment comme
parachute à environ 6 000 pieds au sud de Sevenoaks. » chasseur-bombardier ou chasseur d’escorte selon les
Horst Marx s’est parachuté au-dessus de Frant dans le besoins du moment.
Sussex. L’épave de son avion, le premier Messerschmitt Les premiers exemplaires du E-7 sont livrés au I.(J)/LG 2
109 chasseur-bombardier tombé sur le sol anglais, n’a à Calais-Marck courant août. À la fin du mois, le groupe a
pas vraiment attiré l’attention. Il n’en restait pas assez touché sa dotation complète et un entraînement intensif
pour un examen détaillé et rien ne laissait suggérer que ce peut commencer. Quelques pilotes sont envoyés à Denain
n’était pas un chasseur classique. Au cours de son inter- pour bénéficier de l’expérience de leurs homologues de la
rogatoire, Marx réussit à convaincre ses interlocuteurs 3./Erp.Gr. 210, mais il faut attendre fin septembre pour
qu’il effectuait une banale mission d’escorte et l’officier que le I.(J)/LG 2 soit déclaré opérationnel. Il effectue sa
de renseignement de la RAF conclut son rapport ainsi : première mission de guerre le 4 octobre.
« Ce Me 109 ne portait pas de bombe et ne pouvait en Entre-temps, la 3./Erp.Gr. 210 a été rejoint à Denain par
porter aucune ». le II.(S)/LG 2, l’un des premiers Schlachtgruppen (groupes
La mission s’avère particulièrement catastrophique pour le d’assaut) de la Luftwaffe. Commandé par le Hauptmann
groupe qui perd son commandant (Rubensdörffer et son Otto Weiß, il vole sur Bf 109 E-4/B. Formé à l’origine
radio tués), son Adjutant (Oberleutnant Hans Fiedler tué, pour tester sous conditions opérationnelles les avions
son radio prisonnier), son Technischer Offizier (Leutnant d’appui tactique et les chasseurs-bombardiers, il a acquis
Karl-Heinz Koch et son radio blessés et prisonniers) ainsi une grosse expérience dans ce domaine au cours des
que trois autres Bf 110 et un Bf 109 (celui de Marx). campagnes de Pologne et de France. Après cette dernière,

24
Jabos
sur Londres !

le groupe a été replié sur Braunschweig-Waggum, où, à z Gros plan sur le râtelier gadgets pour lancer des bombes et nous étions forcés de
la fin du mois de juillet, il a commencé à échanger ses ETC 500 joliment décoré d'un voir un tiers de nos avions abandonner le combat aérien.
Messerschmitt Bf 109 E-4/B.
vieux Henschel Hs 123 contre des Bf 109 E-4/B flam- Le chasseur se transformait en chasseur-bombardier pour
bant neufs. Après quatre semaines d’entraînement, il est { Une bombe de 250 kg servir d’expédient et de bouc émissaire. Nous partions
transféré à Calais-Marck et effectue sa première mission accrochée sous le ventre du principe que le chasseur était apparemment incapable
Jabo au-dessus de l’Angleterre le 2 septembre. d'un Bf 109 E-4/B de la de fournir une protection suffisante aux bombardiers.
3./JG 53 en octobre 1940.
Et c’était vrai. Si la chasse était incapable de protéger
les bombardiers, elle devait alors lancer les bombes elle-
DES CONSIDÉRATIONS même. Les raids sur l’Angleterre étaient devenus une
POLITIQUES question de prestige et, comme les bombardements de
jour ne pouvaient plus continuer et que les bombarde-
Ce même jour, le Reichsmarschall Hermann Göring signe ments de nuit étaient encore en préparation, la transition
une directive contenant un certain nombre de suggestions devait être assurée par des chasseurs transformés en
portant sur des changements tactiques à apporter dans chasseurs-bombardiers. Non pour des considérations
la conduite des opérations contre la Grande-Bretagne. Le militaires, mais pour une exigence politique passagère. »
chef de la Luftwaffe demande des attaques de précision q Le Messerschmitt Bf 109
contre l’industrie aéronautique britannique et des raids de E-4/B « H noir » de
nuisance visant des objectifs industriels dans le nord du la 5.(S)/LG 2 durant la bataille
d'Angleterre. Le triangle
UNE BELLE PRISE
pays à faire exécuter par des avions solitaires pilotés par
peint sur le fuselage est
des volontaires. Tout objectif situé dans le rayon d’action celui des Schlachtgruppen Le II.(S)/LG 2 enregistre sa première perte quatre
du Bf 109 E doit être traité par des chasseurs-bombardiers auxquelles s'apparente le jours après être entré dans le grand bain, lorsque, le
et, ipso facto, il ordonne qu’un tiers des appareils des groupe. L'appareil est armé 6 septembre, deux de ses Jabos s’aventurent un peu
unités de chasse puisse porter des bombes. de quatre bombes de 50 kg. trop près de l’artillerie navale de Chatham au cours
© ECPAD/France/1940/
Le Bf 109 E est un appareil disponible en grand nombre Photographe inconnu d’une sortie au-dessus de l’estuaire dans la soirée.
et les résultats de la 3./Erp.Gr. 210 sont impressionnants.
Les Jagdgeschwadern doivent être équipées de la version
E-4/B, désormais produite en série, et les pilotes doivent
recevoir un entraînement adéquat. Aussitôt, au sein de
chaque Gruppe, une escadrille – soit un tiers de son
effectif – est désignée pour être transformée sur Jabos.
La réaction des pilotes est pour le moins mitigée. Pour la
plupart d’en eux, elle est même franchement négative,
comme le rappelle le Gefreiter Heinz Zag de la 8./JG 53 :
« Je n’ai jamais pensé que c’était une bonne idée. Notre
rayon d’action était déjà assez limité comme ça sans
avoir besoin d’être lesté d’une bombe. »
L’Oberstleutnant Adolf Galland, alors commandant de la
JG 26 et lui-même ancien pilote d’assaut sur Hs 123,
exprime le sentiment général :
« Nous autres, pilotes de chasse, considérions cette vio-
lation de nos appareils avec une grande amertume. Nous
avions fait l’impossible pour améliorer nos performances...
Nous nous étions débarrassés de tout ce qui n’était pas
indispensable pour gagner la moindre once de vitesse...
Et au bout du compte, ils nous donnaient maintenant des

25
Le Leutnant Herbert Dültgen, de la 4. Staffel, est
contraint d’abandonner son avion en vol au large
de The Nore, tandis que l’appareil du Feldwebel
Werner Gottschalk, de la 6. Staffel, est touché
au réservoir, obligeant le pilote à se poser sur
la piste de Hawkinge dans le Kent. Les deux
Allemands, indemnes, sont faits prisonniers ;
ils ne révèlent rien d’intéressant pendant leur
interrogatoire, bien que la capture de l’appareil
intact de Gottschalk fournisse aux Britanniques
la première preuve de la construction en série
du Bf 109 E-4/B. Bien évidemment, il subit une
inspection et une évaluation complètes. De ce
fait, au début du mois de septembre, alors que
les unités de chasse allemandes sont en cours
de rééquipement avec la nouvelle version du
chasseur-bombardier, la RAF est parfaitement
informée de son existence et de ses possibilités.
La JG 26 est l’une des premières escadres à
appliquer la directive de Göring, et sa 4. Staffel
commence à pratiquer le lancement de bombes
dès le 5 septembre. Deux jours plus tard, son
Kapitän, l’Oberleutnant Hans Krug, effectue
un atterrissage forcé à Pluckley dans le Kent.
Son Bf 109 E-4/B ne subit que des dommages
superficiels et peut révéler des détails fort
intéressants aux yeux des experts de la RAF
venus l’examiner. Ils notent une ligne rouge
peinte sur le panneau latéral du pare-brise, un
panneau de sélection et un système auxiliaire
d’armement des bombes monté directement
au-dessus de l’indicateur de température d’huile
et une poignée de largage des bombes, autant
d’indices qui prouvent l’entrée en service tant
attendue de la version chasseur-bombardier du
Messerschmitt 109 E.
Comme souvent en pareil cas, une certaine liberté
par rapport à la directive du Reichsmarschall est
prise par quelques unités, car tous les groupes
ne forment pas une Jabostaffel. Les archives
encore existantes montrent que la 9./JG 54
reçoit trois exemplaires du chasseur-bombar-
dier le 20 septembre et qu’ils sont attribués
aux Oberleutnant Günther Fink, Leutnant
Waldemar Wübke et Unteroffizier Karl Kempf,
ce qui permet de former une section de Jabos
à l’intérieur de l’escadrille. La Jaboschwarm effectue p Ci-dessus : Une variante de maintenir une quelconque pression sur les défenses
dix-sept missions au-dessus de l’Angleterre jusqu’au 12 Bf 109 E Jabo à l'emport de britanniques en plein jour. Progressivement, le nombre
octobre, date à laquelle elle cède ses avions à la 8./JG la bombe de 250 kg consiste de chasseurs envoyés pour escorter les bombardiers
en un râtelier accommodant
54 qui devient officiellement la Jabostaffel du III./JG 54. quatre bombes de 50 kg.
chute de telle sorte que la Luftwaffe s’en remet alors
Cette dernière exécute encore cinq autres missions Jabo à de petites formations essentiellement composées de
avant le transfert du groupe aux Pays-Bas, d’où il ne p En haut : Le Messerschmitt Junkers Ju 88 A, un appareil plus performant que les
participera plus à l’offensive aérienne contre l’Angleterre Bf 109 E-7 « 12 blanc », de la autres bombardiers allemands mais disponible en trop
1./LG 2 (dont on voit l'insigne
jusqu’à la fin de l’année 1940. à la croix blanche sur rond faible quantité.
noir), le nez dans la boue Les raids à haute altitude au-dessus de l’Angleterre se
après s'être enlisé, sans trop composent maintenant de larges formations de chas-
UN CHANGEMENT DE TACTIQUE de casse, à l'atterrissage.
Le râtelier est du coup bien
seurs accompagnés par quelques chasseurs-bombardiers,
PEU EFFICACE visible sous cet angle ! une tactique que la RAF éprouve bien du mal à contrer.
La détection par radar et l’observation depuis le sol
Dans la mesure où la majorité des Jagdgeschwadern sont très problématiques à l’altitude à laquelle volent
poursuit les missions d’escorte des bombardiers et que les avions allemands et, n’étant plus bridés par la pré-
le reste est en pleine transformation sur la version chas- sence de bombardiers, les Jabos arrivent au-dessus de
seur-bombardier, le nombre de sorties Jabos pour le mois Londres moins de vingt minutes après avoir été repérés.
de septembre reste limité : 19 missions effectuées par Les contrôleurs aériens britanniques n’ont aucun moyen
des formations allant de 20 à 25 avions, soit 428 sorties, d’identifier les formations qui comportent des bombardiers
dont 264 contre Londres et son agglomération. Les pertes et, en conséquence, ils sont incapables de donner des
sont minimes, avec quatre appareils seulement (moins directives précises pour leur interception. Au-dessus de
d’un pour cent des effectifs engagés) : trois abattus par 6 000 mètres, grâce à son compresseur à deux étages,
la DCA et un par la chasse. le Bf 109 E se révèle largement supérieur aux Hurricane
Toutefois, l’accentuation des raids nocturnes implique et Spitfire et, en raison de son désavantage, la RAF ne se
désormais que la Luftwaffe devient dans l’incapacité sent guère encline à affronter les chasseurs allemands.

26
Jabos
sur Londres !

t Appartenant à de la 4.(S)/
LG 2, le Messerschmitt 109
E-1/B « G blanc » (WNr 6313)
de l'Unteroffizier Paul Wacker
se pose en catastrophe sur
panne à Woodhyde Farm,
près de Corfe Castle (Dorset),
le 30 novembre 1940. Il est
ensuite expédié aux États-
Unis par les Britanniques
pour y être exposé, comme
l'atteste ce cliché. Son
pilote, lui, a été capturé.

q Ci-dessous : Avant
un départ en mission sur
l'Angleterre, un armurier
vérifie la bonne fixation
des quatre bombes de
50 kg sous ce Bf 109 E.

q En bas : Cette bombe


de 250 kg s'apprête à
être fixée sous ce Bf 109
Jabo de la 2./LG 2.

D’autant que sans bombardiers, ces formations, aussi


imposantes soient-elles, ne constituent pas une grande
menace. La RAF refuse le combat et la Luftwaffe devra
trouver une autre manière de l’amener à l’engager.

UNE INFLUENCE NÉGATIVE


SUR LE MORAL
Le faible niveau technique des pilotes de Jabos consti-
tue une autre raison pour laquelle Londres a été retenu
comme objectif principal. En dehors du II.(S)/LG 2 et de
la 3./Erp.Gr. 210, qui ont virtuellement fusionné, et du
reste de l’Erp.Gr. 210, la quasi totalité des Jabostaffeln
manque de pratique et d’expérience dans ce nouveau rôle.
La plupart des pilotes n’ont reçu qu’une instruction suc-
cincte et peu sont enthousiasmés par la nouvelle mission
qui leur est confiée, ainsi que le confirme Adolf Galland :
« Les chasseurs-bombardiers furent mis en service avec
une telle hâte que l’on avait pratiquement pas eu le temps
de former les pilotes au bombardement et la plupart
d’entre eux lancèrent une bombe pour la première fois
de leur vie au-dessus de Londres ou d’une autre cible
en Angleterre. »
Avec un objectif de la taille de Londres et sans véritable
risque d’être interceptés par les chasseurs anglais, tout ce
que les pilotes allemands ont à faire, c’est d’atteindre l’ob-
jectif et de larguer leurs bombes. Cependant, cette tâche
ennuyeuse, répétée jour après jour, ne fait qu’augmenter
l’amertume des pilotes de Jabos et pèse sérieusement
sur leur moral, déjà écorné par la fatigue.
Galland, décidément très critique à l’égard de cette
stratégie, écrit que ces attaques « à part leur valeur de
nuisance... n’ont aucune portée militaire ». Il reconnaît
également que ces missions influent de manière très
négative sur le moral des pilotes allemands :
« ...il est déstabilisant pour un pilote de chasse d’avoir
à combattre sans être en mesure de prendre l’initiative.
Le moral des pilotes en chasse en était affecté ; ils
devaient porter des bombes, les lancer à haute altitude
sur une énorme cible sans pouvoir en observer les effets
et adopter ensuite une attitude passive envers les chas-
seurs ennemis... »

27
Le 15 septembre, l’attaque d’un nœud ferroviaire par des u Montage de quatre
Jabos du II.(S)/LG 2 reçoit une importante couverture bombes de 50 kg sous un
Messerschmitt Bf 109 E Jabo.
médiatique en Grande-Bretagne. Avec une vive émotion,
qui n’est pas sans rappeler celle qu’avaient déclenchée
les premiers raids aériens lors de la précédente guerre,
les journalistes qualifient l’utilisation de chasseurs-bom-
bardiers de « déloyale » [2]. L’Oberleutnant Viktor Kraft
se défend :
« Quand notre groupe a survolé pour la première fois le
Kent, un journal anglais a écrit : “Aujourd’hui, un groupe
de chasseurs allemands a survolé le Kent et Londres.
Personne ne s’attendait à ce qu’ils lancent des bombes
et c’est pourtant ce qu’ils ont fait. Ce n’est vraiment
pas chevaleresque de voler comme un chasseur, puis
de lancer des bombes comme un bombardier.” Il faut
quand même que je dise que ce n’était pas parce que
nous n’étions pas chevaleresques que nous avons fait ça.
Il s’agissait tout simplement de l’émergence d’une arme
nouvelle, rien d’inhabituel dans une guerre. »

LES PERTES AUGMENTENT


Le mauvais temps au-dessus de la Manche et du sud
de l’Angleterre début octobre entraîne une réduction q Autre vue du Messerschmitt
du nombre de sorties, tandis que de nouvelles unités Bf 109 E-1/B « G blanc »
terminent leur entraînement et s’apprêtent à lancer (WNr 6313) de l'Unteroffizier
une offensive massive dès que les conditions météo le Paul Wacker exposé aux
yeux des Américains de
permettront. l'autre côté de l'Atlantique.
Pour certains, les premières missions avec leurs chas-
seurs-bombardiers vont se révéler une bien difficile épreuve. Le 2 docks et avons mis le cap sur la France. Tout à coup, j’ai entendu
octobre 1940, lors de sa toute première sortie Jabo, le III./JG 53 un appel à la radio : “Indiens derrière vous !” et en me retournant,
du Hauptmann Wolf-Dietrich Wilcke perd quatre appareils, dont celui j’ai aperçu une trentaine d’avions à 6 000 m en train de piquer sur
du Staffelkapitän, l’Oberleutnant Walter Fiel. Ce genre de mauvaise nous. J’ai attendu qu’ils se rapprochent, puis j’ai viré et fait face.
expérience n’aide en rien les pilotes de Jabo à retrouver la confiance Tout ce dont je me souviens ensuite, c’est d’avoir été touché au
ni à les faire changer d’avis sur l’utilité de leurs missions. Chacune radiateur. J’ai commencé à perdre du glycol et le moteur a com-
des Jabostaffeln va connaître des moments difficiles et, le 7 octobre, mencé à chauffer.
c’est le tour de la 2./JG 51. À la tête de l’escadrille se trouve le frère J’ai décidé de rester à basse altitude parce que mon moteur n’était
du célèbre Kommodore de la JG 51, l’Oberleutnant Viktor Mölders, pas capable de grimper. J’étais trop bas pour sauter, alors j’ai cherché
ancien pilote de Bf 110 C-6 à la 1./ZG 1. un champ où me poser. Dans tous les champs, il y avait de vieilles
« Mon escadrille, huit avions armés d’une bombe de 250 kg, devait voitures ou d’autres obstacles destinés à empêcher des planeurs
décoller de Pihen, grimper à 6 000 m, voler vers le nord en direction d’atterrir. J’ai fini par me crasher sur un fossé antichar... »
de Londres et attaquer les docks. Nous devions êtes protégés par la L’attaque sur Londres ce matin-là coûte à la 2./JG 51 deux appareils
Stabschwarm et huit autres appareils. Quand nous avons approché tombés victimes de Hurricane des No 501 et 605 Squadrons, un
de l’estuaire de la Tamise, mon frère m’a informé qu’il allait rester à troisième Jabo parvenant tout juste à atteindre la côte française avant
cette altitude et rentrer à Pihen parce qu’ils n’avaient plus beaucoup de s’écraser en blessant son pilote. La 4.(S)/LG 2 de l’Oberleutnant
de carburant. J’ai alors piqué avec ma Staffel et survolé les rues de Heinrich Vogler a également laissé deux Jabos dans l’aventure, deux
Londres au ras des toits. C’était amusant de voir les obus de DCA autres de la 5. Staffel revenant endommagés.
éclater au-dessus de moi ! Nous avons largué nos bombes sur les Le 12 octobre, la Luftwaffe lance douze vagues de chasseurs-bombar-
diers sur l’Angleterre, totalisant 217 appareils
dont 175 s’en prennent à Londres. Trois jours
plus tard, l’Angleterre est encore l’objet d’une
attaque massive : près de 300 Jabos tra-
versent la Manche en quinze vagues, parmi
lesquels 175 attaquent directement la capi-
tale, causant de sérieux dégâts et paralysant
quelque temps le réseau ferroviaire. Le 17
octobre, on ne compte que huit raids. Londres
attire 110 des 186 Jabos lancés ce jour-là.
Une nouvelle tactique est alors adoptée, fai-
sant appel à de larges formations comprenant
plus de 50 Jabos et des bombardiers conven-
tionnels, protégées par une escorte musclée.
Le 25 octobre, quatre vagues sont lancées
contre l’Angleterre ; sur les 237 Jabos,
186 visent Londres. Pour semer le trouble
et la confusion chez l’ennemi, 41 sorties de
bombardiers classiques sont également exé-
cutées dans la journée. Le tout est escorté
par 634 chasseurs. La même tactique est
reprise avec succès deux jours plus tard.

28
Jabos
sur Londres !

LA BONNE MÉTHODE – p Le « N blanc » (WNr 5593) moteurs fit se dresser les poils sur mes bras. Vite debout,

TROP TARD
de la 4.(S)/LG 2 appartenaitj’ai bondi à la fenêtre juste à temps pour voir la première
à l'Oberfeldwebel Josef
vague de 109 me passer juste au-dessus de la tête,
Harmeling (qui s'en est
Le 29 octobre, mettant à profit une couverture nuageuse suffisamment bas pour que je distingue les croix noires
sorti légèrement blessé),
basse, le II.(S)/LG 2 mène à bien un raid d’une efficacité sur les ailes.
contraint à l'atterrissage forcé
rare contre un aérodrome du Fighter Command. La for- à Langenhoe, Essex, le 29 Tout de suite après, ce fut un vrai bazar. Les bombes se
octobre 1940, après avoir été
mation, estimée à une cinquantaine d’avions, est repérée victime des balles du Sergeant
mirent à pleuvoir. Le bruit et la fureur des explosions, le
par radar au moment où elle franchit l’estuaire de la « Micky » Maciejowski. Leclaquement déchirant des mitrailleuses et le vrombisse-
Tamise et s’approche des côtes de l’Essex. Il est alors Messerschmitt est ici exhibément des moteurs rendaient l’atmosphère très pesante.
16h30 et la nuit commence à tomber. Les contrôleurs en trophée à la population.
Je me suis jeté par terre, m’attendant à tout moment
britanniques restent sur l’expectative : Hornchurch ou à recevoir le toit sur la tête. Ça a continué pendant une
North Weald ? Ou bien, au dernier moment, l’ennemi ne éternité – probablement guère plus de vingt secondes !
va-t-il pas obliquer vers le sud et se diriger sur la capitale ? Tout à coup, après une fraction de seconde d’accalmie,
Pour leur compliquer un peu plus la tâche, les Allemands un énorme bruit a soulevé le plancher, comme si lui et moi
ont déclenché simultanément plusieurs autres attaques allions décoller. Puis, après, vint une période de silence
sur le Kent. Grâce à la confusion qui règne au sein du tout relatif où la plainte de désespoir d’un Bofors dans le
contrôle de la RAF, les Jabos passent à travers les mailles lointain et le bourdonnement faiblissant de moteurs qui
du filet et s’en prennent à North Weald. s’éloignaient rapidement semblaient presque incongrus. »
Deux Squadrons de Hurricane, les No 17 et 46, ont déjà [2] Le terme anglais Les pilotes de Hurricane, après s’être ressaisis, se
décollé de Martlesham Heath pour couvrir le secteur de est unfair. reforment et partent en chasse des Jabos qui prennent
North Weald en cas besoin. Cependant, à North Weald rapidement de l’altitude en direction de l’est et de la côte
même, les Hurricane des No 249 et 257 Squadrons ont où le III./JG 26 les attend. Après une longue poursuite,
reçu l’ordre de prendre l’air beaucoup trop tard et ils sont encore en le 249 finit par les rattraper au-dessus de l’estuaire de Blackwater,
train de décoller lorsqu’une vingtaine de Jabos, piquant depuis 900 près de Maldon, et une série de durs combats s’engage au-dessus de
mètres, défile à 150 mètres au-dessus de l’aérodrome, arrosant la la côte de l’Essex.
piste de bombes. Le Flight Lieutenant « Butch » Barton revendique un Jabo qui s’écrase
Une bombe explose juste derrière la Yellow Section du 249, le Flying le long de la route entre Maldon et Goldhanger après que son pilote a
Officer Keith Lofts devant rapidement reposer son avion gravement sauté en parachute. Ce dernier est le Feldwebel Hans-Joachim Rank, de
endommagé. Au 257, le Sergeant Alexander Girdwood est touché la 4.(S)/LG 2, qui, gravement brûlé et blessé à la cuisse, décédera dans
par des éclats et son appareil s’écrase en flammes près de la cabane la soirée. Le Sergeant « Micky » Maciejowski en revendique un autre qui
du dispersal du 249. effectue un atterrissage forcé près de la plage à Langenhoe avec son
N’étant pas de service cet après-midi là, le Pilot Officer Tom Neil, du gouvernail endommagé et son moteur sur le point de serrer. Son pilote,
No 249, se repose dans sa chambre dans un baraquement près du l’Oberfeldwebel Josef Harmeling, appartenant à la même Staffel, est fait
mess lorsque l’attaque commence : prisonnier légèrement blessé. Le Sergeant George Stroud en poursuit
« J’ai entendu un bruit de moteurs au loin et j’en ai déduit que le un troisième en mer et l’abat à une quinzaine kilomètres de la côte. Il
Squadron avait été envoyé en patrouille. Cela ne m’intéressait pas était piloté par l’Oberleutnant Bruno von Schenck, le Staffelkapitän de
vraiment. Puis, avec une intensité croissant rapidement, le bruit d’autres la 5.(S)/LG 2, dont le corps sera repêché ultérieurement.

29
De retour à North Weald, ils constatent les dégâts, comme p Le fameux Messerschmitt dû interrompre leur mission. Les pertes ont été minimes :
Tom Neil le rapporte : Bf 109 E-1/B (WNr 6313) 29 appareils, soit tout juste 1% des forces engagées.
« À la tombée de la nuit, on avait fait le tour de la ques- « G blanc » de la 4.(S)/ Même à cette période, toutes les Geschwadern n’ont pas
LG 2 posé sur le ventre
tion. L’aérodrome avait subi de très nombreux dégâts, dans un champ de barbelés encore été transformées. Ce n’est que le 9 novembre
mais superficiels et insuffisants pour arrêter ou même à Corfe Castle, à la suite que la 2./JG 2 arrive à Denain pour faire connaissance
suspendre les opérations. Les victimes étaient cependant d'une panne mécanique avec son nouveau matériel. Comme l’écrira dans son
le 30 novembre 1940.
nombreuses, entre quinze et vingt hommes tués et une journal le Staffelkapitän, l’Oberleutnant Siefried Bethke :
Son pilote, l'Unteroffizier Paul
quarantaine blessés, parmi lesquels quelques mécaniciens Wacker, a été fait prisonnier. « On a lancé quelques bombes en ciment. À part ça,
du 249. Également, la salle de garde de la base, qui venait on n’a reçu aucun entraînement. Après ça, il y a eu pas
d’être reconstruite à grands frais, avait été aplatie pour mal d’injures et de grognements à propos des râteliers
la seconde fois. » à bombes sous le fuselage ».
Un hangar a aussi été détruit et la cour de la compagnie Les injures et les grognements se répandent rapidement
de Train a été touchée, mais le gros des bombes est et sur une telle échelle qu’ils finissent par remonter
tombé sur la piste. Cette attaque est l’exemple-même jusqu’au sommet du commandement. Adolf Galland
de ce que les chasseurs-bombardiers auraient dû faire s’en fait l’écho :
depuis le début : des frappes, que l’on ne dit pas encore « Notre aversion envers cet ordre qui nous transformait
« chirurgicales », exécutées à basse altitude par des en chasseurs-bombardiers était totale. Le haut com-
q Le Bf 109 E-7 « C jaune »
pilotes supérieurement entraînés. Exactement ce que (WNr 5567) de la 6.(S)/LG 2 mandement de la Luftwaffe réagit brutalement à notre
les Britanniques redoutent le plus, car ils n’ont pas les abattu le 6 septembre 1940. attitude négative. Göring, très en colère, déclara que
moyens de les contrer. Des attaques de cette nature, Son pilote, le Feldwebel les chasseurs avaient failli à leur mission de protéger
Werner Gottschalk, a été
soutenues à une forte cadence, sur des objectifs-clés capturé. Le triangle noir
efficacement les bombardiers et qu’ils s’opposaient main-
comme les terrains de la RAF les auraient rapidement des escadrilles d'assaut tenant à être transformés en chasseurs-bombardiers,
rendus intenables et auraient fortement amoindri le poten- est également de mise. alors qu’il s’agissait de la conséquence directe de leur
tiel du Fighter Command.
Cependant, en octobre 1940, il est déjà trop tard.

INJURES ET GROGNEMENTS
À la fin du mois d’octobre, 186 exemplaires du nouveau
Bf 109 E-7 ont été produits. Ainsi, au pic de l’offensive
des chasseurs-bombardiers contre l’Angleterre, plus de
550 Jabos dédiés sont disponibles, sans compter les
nombreux exemplaires modifiés au niveau des unités.
Octobre marque un sommet avec 2 633 sorties effec-
tuées contre Londres en 140 missions. Les archives
montrent que 60% ont trouvé leurs marques, la RAF
étant bien forcée d’admettre qu’« une assez forte pro-
portion de petites formations armées de bombes a atteint
les objectifs assignés sans obstruction sérieuse ». Une
analyse plus fine fait ressortir le fait que 37% des Jabos
ayant décollé avec leurs bombes ont été forcés d’attaquer
un objectif secondaire, soit en raison du mauvais temps,
soit à cause de la réaction ennemie. Seulement 3% ont

30
Jabos
sur Londres !

pour son « aptitude exceptionnelle au com-


mandement » le 24 novembre.
Le 5 novembre, la JG 26 déplore sa première
perte après un mois complet d’opérations de
ses Jabostaffeln. Ce jour-là, deux appareils
de la 9. Staffel entrent en collision au-dessus
de Dungerness. L’Oberleutnant Heinz Ebeling,
le commandant d’escadrille, et son ailier, le
Feldwebel Walter Braun, ne sautent en para-
chute que pour aller grossir les rangs déjà
bien garnis des équipages de Jabos détenus
dans les camps britanniques. La remise de la
Ritterkreuz à Ebeling est annoncée le même
jour pour « 18 victoires aériennes, de nom-
breuses attaques au sol et la réussite et la
rapidité de la transformation de la 9. Staffel
sur chasseurs-bombardiers ».
Le 11 décembre 1940, l’Oberleutnant Viktor
Kraft, du Stab II.(S)/LG 2, qui a déjà effectué
65 missions de guerre sur chasseur-bombar-
dier, aura le discutable honneur de clore la
liste des pertes des Jabos pour l’année 1940.
échec. Si l’aviation de chasse s’avérait tout donne la nette impression que la Luftwaffe « L’objectif qui nous avait été assigné à moi
autant incapable de mener à bien cette nou- s’est tiré une balle dans le pied. Quant à la et à un autre Messerschmitt 109 était les
velle tâche, il serait préférable de la dissoudre vive critique dont a fait l’objet l’aviation de docks du port de Londres. Au-dessus de la
purement et simplement. Dans les cercles des chasse au cours de la bataille d’Angleterre, elle France et au-dessus de la Manche, on a ren-
jeunes officiers, le commandement était l’objet débouchera sur une grave crise de confiance contré des nuages épais et la visibilité était
de critiques amères et passionnées. Ce fut la au sein de la Luftwaffe qui persistera encore mauvaise. Comme on nous avait dit aussi
première grande crise dans les relations entre la pendant des années. qu’il fallait qu’on s’attende à rencontrer
chasse et le commandement de la Luftwaffe. » les mêmes conditions météo au-dessus du
Les jeunes officiers ne sont pas les seuls à Kent, nous n’avons pas volé à notre altitude
vomir leur bile. Exaspéré, le Generalmajor DERNIÈRES PERTES habituelle de 7 000-8 000 mètres. Après
Theo Osterkamp, qui, en tant que Jafü 2, est
responsable de toutes les unités de chasse
DE L’ANNÉE avoir traversé la Manche, on est arrivés
au-dessus de l’Angleterre à une altitude de
de la Luftflotte 2, a une violente prise de bec Pendant ce temps, contre vents et marées, les 2 000 mètres pour trouver un ciel bleu et
avec le Generaloberst Hans Jeschonnek, alors missions se poursuivent quand les conditions dégagé ! Il fallait faire demi-tour et revenir
Chef der Luftwaffe General Stab. « Grâce à météo l’autorisent. Et la Luftwaffe continue en France immédiatement ; c’est ce qu’a
ces opérations absurdes, lui dit-il, il ne faudra à perdre des pilotes chevronnés, un gâchis fait mon Rottenflieger. J’ai maintenu mon
pas longtemps avant que toute l’aviation de qu’elle ne peut guère se permettre au regard cap et après quelques minutes, j’ai compris
chasse ne soit balayée. » des résultats enregistrés. Sans aucun doute qu’il serait stupide de ma part de continuer
Il est clair que la mise en œuvre des Jabos l’un des plus chevronnés, l’Oberleutnant Otto jusqu’à Londres. Alors, j’ai cherché une cible,
sur une large échelle ne peut en aucun cas Hintze, Staffelkapitän de la 3./Erp.Gr. 210, est j’ai lancé ma bombe et j’ai mis le cap à l’est.
être considérée comme une réussite. Mesurée abattu et fait prisonnier après une nouvelle J’espérais atteindre les nuages au-dessus de
en termes de gains militaires ou à l’aune du attaque contre Londres le 29 octobre – sa la Manche afin d’échapper aux chasseurs que
moral des équipages, cette nouvelle stratégie 52e mission Jabo. Il recevra la Ritterkreuz je voyais arriver de la direction de Rochester.
{ Un camarade du Corpo
Aereo Italiano vient avec
curiosité et amusement jeter
un œil aux préparatifs d'une
mission d'un Bf 109 de la 3./
Erp.Gr. 210 à la fin 1940.

u Retour de mission pour


ce Messerschmitt 109 E de
la 3./Erp.Gr. 210 fin 1940.

31
Puis, au-dessus de mon avion, j’ai repéré une
autre section de chasseurs – six traînées de
vapeur m’ont convaincu qu’ils s’apprêtaient à
me descendre. Je ne pouvais rien faire d’autre
que de disparaître rapidement dans les nuages
près de Douvres. Malheureusement, ils étaient
trop loin. L’une de ces traînées de vapeur a
piqué, accumulant assez de vitesse pour me
rattraper. Je ne l’ai pas vu à temps, il a ouvert
le feu et mon avion a pris feu. Le siège du
Messerschmitt était blindé et j’ai senti les obus,
mais ils n’ont pas percé la plaque de blindage.
Une seconde rafale tirée sur ma gauche m’a
blessé – il était grand temps de sauter [3]. »

UNE POLITIQUE
À LA PETITE SEMAINE
Au mois de décembre 1940, avec l’arrivée des
vents d’hiver et la dégradation des conditions
atmosphériques au-dessus de la Manche et
du sud de l’Angleterre, la majorité des unités
de chasse de la Luftwaffe est renvoyée en
Allemagne pour se reposer et compléter les potentiel. Cette politique à la petite semaine malgré les insuffisances de ses services de
effectifs. L’offensive des Jabos diminue pro- ne pouvait que donner des résultats dérisoires. renseignement. Si les Allemands avaient agi
gressivement d’intensité et, lorsque le temps Pourtant, les preuves des possibilités des Jabos comme les Britanniques le redoutaient, il est
permettra de la relancer, les chasseurs de la ne manquaient pas, même en 1940, si seule- indéniable qu’ils auraient pu paralyser le sys-
RAF auront repris l’initiative, menant leurs ment le haut commandement de la Luftwaffe tème de contrôle aérien et les aérodromes au
propres missions offensives sur la côte fran- avait trouvé bon de s’y intéresser. point qu’ils en auraient menacé l’existence
çaise. La Luftwaffe sera alors contrainte Dès ses premières campagnes, en Pologne même du Fighter Command.
d’utiliser ses chasseurs maintenus sur les comme en France, la Luftwaffe maîtrisait Au lieu de cela, à la fin de l’année 1940, le
côtes de la Manche à contrer cette menace, correctement l’utilisation d’avions d’assaut chasseur-bombardier était discrédité aux yeux
abandonnant ainsi son rôle offensif pour un comme arme tactique en appui des troupes de tous et les pilotes de chasse se félicitaient de
rôle purement défensif. terrestres. Toutefois, comme la Manche n’est retrouver sous peu une tâche qu’ils jugeaient
La bataille d’Angleterre a vu l’avènement du pas la Meuse, la campagne au-dessus du sud plus noble. Néanmoins, une poignée de pilotes
véritable chasseur-bombardier, prototype de de l’Angleterre à l’été 1940 se révéla d’une capable à la fois de piloter et naviguer à basse
l’avion d’appui tactique à hautes performances nature très différente. La Luftwaffe négligea altitude et de lancer une bombe avec précision,
qui, par la suite, formera l’épine dorsale de la valeur stratégique du Jabo, capable de consciente du potentiel du Jabo, s’apprêtait à
toute arme aérienne. Cependant, ceux qui l’ont « frappes chirurgicales » sur des objectifs continuer à faire encore passer quelques sales
mis en œuvre ont manqué de vision straté- clés situés loin à l’intérieur des terres. C’était quarts d’heure à la défense britannique.
gique et d’une appréhension de son véritable pourtant tout à fait à sa portée en 1940, Mais, ceci est une autre histoire. 
{ Bien que tardive par
rapport à l'article, puisque
prise le 3 janvier 1943, cette
photo est caractéristique des
raids des Jabos sur le sud
de l'Angleterre. Elle montre
le mitraillage de l'hôpital
Winchester House à Shanklin
par un appareil de la 10./JG 2.
Le pilote, le Leutnant Leopold
Wenger, ne connaissait
toutefois pas la véritable
nature du bâtiment, au
moment où sa cinémitrailleuse
a pris ce cliché.

[3] Le Bf 109 E-7 WNr.


5941 (« D » vert) de Kraft
a été abattu par le Pilot
Officer Hubert Allen, du No
66 Squadron, et est allé
s’écraser à Baddlesmere
dans le Kent à 10h40.

u Un Bf 109 E de la 3./
Erp.Gr. 210 photographié
en vol fin 1940, peut-être
au retour d'une mission sur
l'Angleterre, car l'appareil
est délesté de sa bombe.

32
Jabos
sur Londres !

Messerschmitt Bf 109 E-1/B


6./JG 51
Wevelgem, Belgique, début 1941

Messerschmitt Bf 109 E-4/B


5.(S)/LG 2
Calais-Marck, France, octobre 1940

Messerschmitt Bf 109 E-7


7./JG 2
Oberleutnant Werner Machold, Staffelkapitän
Bernay, France, début 1941

Messerschmitt Bf 110 D-0


2./Erp.Gr. 210
Croydon, Angleterre, août 1940

33
OPÉRATION

1943

Le second raid sur Schweinfurt


Profils couleurs : Jean-Marie Guillou par Luc Vangansbeke

Les UNE CONFIANCE MAL PLACÉE


lourdes pertes subies durant le premier raid sur
Schweinfurt ébranlent la confiance des équipages Bien que les pertes subies alertent le commandement de
de la Eighth Air Force. Pourtant, le commandement l’USAAF, les généraux n’admettent toujours pas la faillite
américain ne jette pas l’éponge, et un nouveau bombardement est des bombardements diurnes non escortés, et avancent
prévu pour le jeudi 14 octobre 1943. plusieurs justifications ou explications. Tout d’abord,
les rapports de débriefing des équipages annoncent –

Le
erronément – la destruction de plus de 300 chasseurs
double raid du 17 août « secoue »  The Bad Egg du allemands, un résultat conforme à l’objectif principal de
rudement Hitler, Speer, qui est ministre 401st BS/91st BG avant la directive Point Blank. Ensuite, les photos aériennes
qu’il ne reçoive son nom de
de l’Armement et des Munitions, et le baptême et DONALD DUCK et autres sources d’information confirment des dégâts
Generaloberst Hans Jeshonnek, chef sur la pointe avant. Accidenté considérables sur les deux sites visés, ce qui laisse croire
à l’atterrissage le 31 décembre
d’état-major de la Luftwaffe, qui se sui- 1943 après avoir percuté que la Luftwaffe est prise dans un engrenage d’attrition
cide dans la soirée du 18. une Jeep, il se verra greffer qui la réduira à l’impuissance en quelques mois.
À première vue, les dégâts aux usines Messerschmitt de la partie arrière du B‑17G Commentant le raid, le General Arnold déclare : « L’idée
42-31229 avec laquelle il
Ratisbonne et aux fabriques de roulements à billes de revolera au sein du 390th BG. américaine des bombardements de précision à haute alti-
Schweinfurt paraissent considérables, mais une fois les tude a traversé une période de doute et d’expérimentation
débris de toitures et de murs déblayés, on constate que pour enfin aboutir à une justification triomphante. » L’Air
les outils de production ont moins souffert qu’on ne le Ministry britannique envoie un message de félicitations,
craignait et les activités ne tardent pas à reprendre sur souhaitant la bienvenue à la 8th Air Force dans l’effort
les deux sites. De son côté, après analyse des pertes de de guerre et louant le coup porté à l’adversaire. Bien que
la 8th Air Force et de ses propres chasseurs, le General le coût du raid soulève d’importants doutes, le brouil-
der Jagdflieger Adolf Galland estime que la journée a été lard qui noyait les aérodromes américains dans l’est de
un « désastre pour l’ennemi. » l’Angleterre au matin du 17 août, explique cette lacune

34
Black
Thursday

fait savoir à Eaker qu’il aimerait voir la 8th


[1] Sur une force
comprenant 376 B-17 au Air Force lancer de nouveaux raids comme
départ le 17 août 1943,celui de Ratisbonne-Schweinfurt, afin de
60 ont été perdus et
continuer à affaiblir la Luftwaffe en vue du
27 autres ont été jugés
futur débarquement allié sur le continent.
irréparables à leur retour.
Si on y ajoute 60 autresAvec de tels encouragements, Eaker n’a
qui, après avoir gagnépas l’intention de restreindre ses opérations
l’Afrique du nord avec
et entend même les intensifier.
le 4th Bomb Wing, ont
dû être abandonnés sur
Il n’en reste pas moins qu’avec un taux
de pertes en personnel de plus de 15 %
place faute de pièces
de rechange, on atteintet de 23 % [1] en matériel, aucune force
même un taux de pertes armée, qu’elle soit terrestre, aérienne ou
matérielles de 39 % !
navale, ne peut poursuivre sa mission bien
longtemps. Le premier souci d’Eaker est
de reconstituer ses effectifs avec des équipages et des avions de
remplacement. Parmi ceux-ci figurent les premiers B-17G qui, avec
leur Chin Turret Bendix doublent la puissance de feu concentrée dans
le nez et sont mieux à même de faire face aux attaques frontales des
chasseurs allemands. En outre, durant le restant du mois d’août et au
début de septembre, les objectifs de la 8th Air Force se concentrent
à proximité des côtes françaises de la Manche, ce qui réduit le temps
passé au-dessus du territoire ennemi et permet aux chasseurs alliés
d’escorter les bombardiers sur tout leur parcours.
Arnold visite le QG de la 8th Air Force durant la première semaine de
septembre. Le 6, il assiste au départ de 338 B-17 pour Stuttgart. Les
nuages empêchant de voir l’objectif, les bombardiers dépassent celui-ci
puis font demi-tour pour chercher une trouée. Également retardés
par le manque de visibilité, les chasseurs allemands surprennent les
Américains au milieu de leurs errements : 28 B-17 sont abattus, 12
se posent en mer sur le retour et 5 finissent internés en Suisse. Les
pertes en personnel se montent à 332 hommes.
et les résultats des bombardements ont effacé les doutes. L’intention
du Major General Ira Eaker était d’envoyer une masse de plus de 300
quadrimoteurs, capables de se protéger mutuellement durant une péné- DÉFENSES ALLEMANDES
tration profonde au cœur du Reich, mais les conditions météorologiques
ont entraîné une scission de la force en deux formations se suivant à Toujours en septembre, le 305th Bombardment Group (BG)
un intervalle de plus de trois heures. s’essaie aux raids nocturnes avec la RAF, mais au bout de huit
De l’état-major de la 8th Air Force jusqu’aux plus hautes sphères missions, il est clair que les B-17 ne pourront opérer de nuit qu’au
du monde politique américain, l’optimisme reste de mise en ce qui prix d’adaptations importantes. Fin septembre, de grandes quan-
concerne la doctrine de bombardement stratégique de jour. S’adressant tités de réservoirs largables de 280 litres arrivent dans les unités
au congrès, le président Roosevelt déclare : « Hitler a transformé de chasse, ce qui permet aux P-47 de porter leur rayon d’action à
l’Europe en forteresse, mais il a oublié de la munir d’un toit ! » Arnold 550 km, c’est à dire de tout juste franchir la frontière allemande.
{ Le Colonel Budd J. Peaslee
prendra le commandement
de la 1st Scouting Force
de la Eighth, une unité de
reconnaissance météo dédiée
aux heavies de la Eighth,
dont il a été l’instigateur.
Pénétrant dans l’espace
aérien ennemi en avant des
formations de bombardement,
ses P‑51D leur fournissent
des informations essentielles
sur les conditions
atmosphériques et sur la
faisabilité de poursuivre la
mission jusqu’au bout.

u Immobilisé par le
photographe dans son
plongeon mortel, ce B‑17F,
victime d’une roquette
allemande qui lui a broyé
l’aile droite, amorce une série
de tonneaux qui piégeront
ses occupants coincés
par la force centrifuge.

35
La Luftwaffe réagit en envoyant quelques 163 quadrimoteurs sur Dantzig et Gotenhafen Les Allemands ne sont pas restés les bras
chasseurs attaquer les P-47 dès qu’ils arrivent (aujourd’hui Gdansk et Gdynia, en Pologne) croisés après le 17 août. Le cordon défensif
au-dessus du continent, les forçant à larguer se déroule mieux avec la perte de seulement tendu des côtes de la mer du nord à la Bretagne
prématurément leurs réservoirs et réduisant huit avions. Enfin, le 10, lorsque 273 bombar- a fait place à une grille permettant d’aisément
d’autant leur autonomie. diers s’en prennent à Cösfeld et à Münster, diriger les Gruppen et Staffeln vers les forma-
Début octobre, la 8th Air Force est prête à sur les 138 appareils envoyés vers cette der- tions de bombardiers et les contrôleurs aériens
reprendre ses raids sur l’Allemagne. Dans les nière, 30 sont perdus. À cela s’ajoute une peuvent coordonner plusieurs centaines de
journées des 2, 4, 8, 9 et 10, plus de 1 700 erreur d’objectif, 29 équipages confondant la sorties en provenance d’un grand nombre
sorties sont lancées vers une dizaine d’ob- ville néerlandaise d’Enschede avec leur cible d’aérodromes. Göring en personne ordonne
jectifs et, si certaines missions se déroulent et larguant 86 tonnes de bombes, qui tuent que sur cinq heures qu’une formation ennemie
avec des pertes limitées, d’autres se soldent 155 habitants. Les pertes étant inégalement passe dans l’espace aérien du Reich, chaque
par une nouvelle hécatombe. Le 8, lors du réparties, certains Groups sont décimés et pilote effectue au moins trois sorties.
raid contre Brême et Vegasack, sur 399 qua- le Lieutenant Joseph W. Baggs, du 384th Pour contrer les raids les plus importants de la
drimoteurs engagés, 37 ne rentrent pas. Le BG, expliquera plus tard qu’après le raid de 8th Air Force, la Luftwaffe retire un nombre
lendemain, sur 215 envoyés bombarder des Münster, le médecin chef du Group écrit que croissant d’unités de chasse du front de l’est
usines d’aviation à Marienburg et à Anklam, 20 « le moral est au point le plus bas observé et, à la prochaine visite des Américains à
vont au tapis. Lancé le même jour, un raid de jusqu’ici. » Schweinfurt, Galland entend opposer 800
chasseurs, contre un peu plus de 300 en août.
Aux côtés des Bf 110 apparaissent des Bf
210, capables d’attaquer les bombardiers à
la roquette et au canon depuis l’extérieur de
leur périmètre défensif, et des Junkers Ju 88
prélevés sur les unités de chasse de nuit et
dont l’armement comprend jusqu’à six canons
de 20 mm !
Il n’y a aucun problème de moral parmi les
pilotes allemands qui, comme leurs collègues
britanniques trois ans auparavant, défendent
leur territoire national. Néanmoins, cette expan-
sion rapide et forcée de la Jagdwaffe entraîne
un raccourcissement des programmes d’en-
traînement, qui se concrétise dans les unités
par l’arrivée d’un nombre croissant de jeunes
pilotes inexpérimentés. Incapable de stopper
les vagues de bombardiers, Galland espère au

t Le B-17F-80-BO 42-29988, aka Lucifer Jr/The


Uncouth Bastard,
du 364th BS/305th BG tombe près d'Immendorf
(au nord d’Aix-la-Chapelle), probablement victime
de l’Oberfeldwebel Johann Edman de la 4./JG 26.
L’équipage du 2nd Lieutenant Robert W. Holt
compte six tués et quatre prisonniers.

36
Black
Thursday

LA MISSION SUR SCHWEINFURT - 14 OCTOBRE 1943


JaSta Helgoland Jever I./NJG 2
Hambourg
Marx Parchim
Leeuwarden
Oldenburg II./NJG 2
Mer II./JG 11
du Nord I./JG 1 III./JG 1 III./JG 11 Elbe
2nd Bomb Wing I./JG 26 Gardelegen
Pays-Bas Stendal
1st Bomb Wing

Wess
Orford Ness 12h38 Schiphol AMSTERDAM Rheine Osnabrück Wunstorf
BERLIN

er
3rd Bomb Wing II./JG 3 Deelen II./JG 26
III./ZG 26 I./NJG 5
Clacton 12h42 II./JG 1
V./KG 2 III./ZG 1 JG 25
LONDRES Rh
in
I./ZG 26
III./JG 54
I./JG 3 Bönninghardt
Angleterre Anvers Stab/JG 3 Bad Lippspringe
Dortmund Kassel
ISS Erla I./NJG 1 Venlo
St. Trond Cologne Dresde
Vendeville BRUXELLES Bonn-Hangelar
Vitry II./JG 2 Belgique Allemagne
Florennes II./NJG 1
III./JG 26
Amiens I./NJG 4 Erbenheim II./JG 51 Schweinfurt
Finthen
III./JG 2 I./NJG 6 14h39 - 14h57
Beaumont-le-Roger Kitzingen IV./NJG 101
France Lux. Wertheim
Mannheim Fürth
Evreux JG 104
Lachen-Speyerdorf II./ZG 76
I./JG 2 Ansbach I./ZG 76
I./JG 27
PARIS Metz
JG 106
St. Dizier II./JG 27
III./NJG 101 I./NJG 101 I./JG 27
Sein Echterdingen Neuburg
II./NJG 6
e II./NJG 4 Strasbourg
e
Danub Ingolstadt
II./JG 51
I./ZG 101 III./JG 3 Munich
Loire II./ZG 101
Bad Aibling
Memmingen Salzbourg
Bad Wörishofen

Suisse Autriche
moins leur infliger des pertes suffisantes pour contraindre z Le 42-30242, Pappy’s chemin du retour et tentera de protéger les traînards.
les Alliés à mettre un terme à leurs raids stratégiques, Hellion/Lallah V du La mission sera conduite par le Colonel Budd Peasley,
364th BS/305th BG (à
exactement comme le Fighter Command l’a fait avec la gauche), est également perdu chef d’état-major du 40th Combat Bombardment Wing [3]
Luftwaffe durant la bataille d’Angleterre. à Schweinfurt ; il s’écrase (CBW), qui volera comme co-pilote à bord du B-17 du
près de Düren. L’équipage du
Le commandement allemand s’attendant à un nouveau 2nd Lieutenant Ellsworth E.
Captain James McLaughlin, du 92nd BG. Les appareils
raid sur Schweinfurt, plus de 300 canons de Flak de 8,8 Kenyon évacue l’avion, mais le proviendront de neuf Groups de la 1st BD, trois de la
cm, 10,5 cm et 12,8 cm sont retirés d’autres secteurs parachute du radio prend feu. 2nd BD et sept de la 3rd BD. Les pertes de la semaine
L’appareil avait été utilisé pour
pour les redéployer autour de la ville, ce qui exposera les des tests avec le radar H2S écoulée se font sentir, si bien qu’à la 3rd BD plusieurs
assaillants à leurs feux pour sept mortelles minutes. Deux à Burtonwood à l’été 1943. Groups sont incapables de mettre en l’air assez d’appa-
anneaux de générateurs de fumée sont également tracés reils pour constituer une formation complète. C’est le
autour du site pour le dérober à la vue des bombardiers. cas au 100th BG, comme l’explique un de ses pilotes,
le Lieutenant Robert Hughes. « Il n’y avait que huit
équipages de disponibles et encore fallait-il les com-
MISSION 115 pléter, dans certaines fonctions-clés, par du personnel
venant d’autres Groups, comme Bill Allen, qui nous était
La reprise des activités à Schweinfurt ne passant pas prêté pour voler comme bombardier avec un équipage
inaperçue des Alliés, l’état-major de la 8th Air Force y de mon unité. Le nombre réduit d’équipages était la
prévoit un nouveau raid pour le 14 octobre. Appelée conséquence des pertes extrêmement lourdes subies le
Mission 115, l’opération consistera à lancer trois for- 8 octobre 1943 (sept équipages) et le 10 octobre (douze
mations sur deux itinéraires principaux. Totalisant 300 équipages), la seconde opération étant connue sous le
B-17, les 1st et 3rd Bombardment Divisions [2] (BD) se [2] En septembre nom de Bloody Münster, toute une histoire en soi. Ces
suivront à 10 minutes d’intervalle sur deux parcours 1943, les 1st, 2nd et 4th huit équipages ont été séparés en deux Flights, quatre
parallèles, distants d’une quinzaine de kilomètres. La Bombardment Wings avions conduits par le Lieutenant Owen « Cowboy »
2nd BD empruntera une route plus au sud avec 60 ont été rebaptisés 1st, Roane accompagnant le 390th BG et quatre emmenés
2nd et 3rd Bombardment
B-24 et se joindra aux deux autres divisions peu avant Divisions, appellations par moi-même rejoignant le 95th BG. »
Schweinfurt, afin de constituer un fleuve continu de qui se changeront en 1st, Comme le 17 août, et d’une manière à laquelle les équi-
bombardiers sur l’objectif. 2nd et 3rd Air Divisions pages de la 8th Air Force commencent à s’habituer,
quelques mois plus tard.
À l’aller, les quadrimoteurs seront escortés par quatre la météo joue les trouble-fête à l’aube du 14 octobre.
Groups de P-47, aussi loin que le permettra le carburant [3] Le 40th CBW Sur certains aérodromes, le temps est froid et brumeux.
emporté, ainsi que par un Group de P-38 Lightning, qui n'ayant été mis sur pied D’autres sont pris sous une forte pluie. La visibilité
s’enfoncera plus profondément en territoire ennemi. Aidé qu'en septembre 1943, moyenne est de 1 500 m et, une fois de plus, les condi-
Peasley commandait le
de deux Squadrons de Spitfire de la RAF, un cinquième 384th BG jusque-là.
tions climatiques retarderont le départ et compliqueront
Group de P-47 tendra la main aux bombardiers sur le les rendez-vous avec les chasseurs d’escorte.

37
Les briefings débutent vers 03h00 et la décou- C’est ma dernière mission ! » Affirmation « Et au-revoir [4] ! »
verte de l’objectif constitue un choc sur tous prémonitoire : au soir, il figurerait parmi les La plupart en véhicule, quelques-uns à bicy-
les aérodromes : « Un lourd silence s’installa manquants. » Au 385th BG le Lieutenant- clette, 3 600 hommes se rendent à leurs
alors que tout le monde se penchait vers la Colonel Elliott ‘Pete’ Vandevanter termine le avions, préparent leur équipement, effec-
carte et le bout révélateur du fil rouge. « C’est briefing par quelques mots qu’il veut encoura- tuent les contrôles préalables au décollage
Schweinfurt », annonça avec un sourire sar- geants : « C’est un rude boulot, mais je sais que et attendent que le temps s’améliore. Entre
donique le Major chargé du briefing, avant de vous en êtes capables. Bonne chance, bonne 10h00 et 10h30, sur chacune des bases
nous laisser à nos pensées. Un bourdonnement chasse et bon bombardement. » Aussitôt, une concernées, une fusée verte s’élève dans le
s’éleva et quelqu’un s’exclama : « Bon sang ! autre voix se fait entendre au fond de la salle : ciel pour annoncer le départ…
z Le WF-R (42-3436) du
364th BS/305th BG, piloté par
le 2nd Lieutenant Bennie J.
McDarby, est victime du
I./JG 1 et probablement
achevé par l’Oberfeldwebel
Rudolf Piffer de la 2. Staffel
(sa 5e victoire) le 14 octobre
1943. Cinq aviateurs sont
tués pendant le combat, les
autres sautant avant que
l’avion n’aille s’écraser près
de Eygelshoven, à l'est de
Maastricht. On note les larges
formations en « V » de la
1st Air Division en route vers
Anklam et Gdynia (Pologne) le
9 octobre. En incluant les trois
appareils au premier plan (et
celui d’où la photo est prise),
on peut compter 113 Fortress.

t & { Avant et après.


Le B-17F-5-VE 42-5714
(Old Faithful ?) du
323rd BS/91st BG doit se
poser près d’une voie ferrée
entre Metz et Nancy.
Remis en état par la Luftwaffe,
il reçoit le SKZ DR+PE et
est affecté à la KG 200.
(US NARA/E-N Archives)

38
Black
Thursday

CAP SUR SCHWEINFURT


En dehors d’un B-17 qui fait une sortie de piste et s’embourbe, les décollages se déroulent sans
incident. En revanche, le temps défavorable ne facilite pas le rassemblement des formations
et oblige les avions à tourner plus longtemps au-dessus de l’Angleterre, brûlant un carburant
précieux, au point que certains devront se débarrasser d’une partie de leurs bombes au-dessus
de la mer du Nord pour réduire leur consommation jusqu’à l’objectif.
A la 1st BD, trois Wings organisés en Combat Boxes se suivent à quelques minutes d’intervalle.
Chacun d’eux doit être composé d’un Lead Group, suivi d’un High Group, plus haut et sur la
gauche, et d’un Low Group, plus bas et sur la droite. Les trois Squadrons d’un même Group
se disposent de manière similaire. Quand un bombardier est abattu ou abandonne la mission
pour une raison quelconque, les autres resserrent le dispositif afin de continuer à se couvrir
mutuellement de leurs mitrailleuses.
Arrivant au point de rendez-vous avec huit minutes de retard, le 305th BG, de la 1st BD, ne
trouve pas le 40th CBW et n’arrive pas davantage à en contacter
[4] Tout cela rime mieux le leader. Apercevant le Box du 1st CBW, le 305th BG appelle le
en anglais : « Good leader de celui-ci et se voit finalement attribuer la place de Low
luck, good hunting and Group à la place du 381st BG, lui aussi en retard. Lorsque celui-ci
good bombing. »
« … and goodbye. » rejoint au bout de quelques minutes supplémentaires et trouve sa
place occupée, il prend position à hauteur du 351st BG, Lead Group.
p Le Colonel Archie J. Old Jr.
(à droite), entouré de pilotes
de chasse appartenant au club
des Flying Texas Rangers,
en compagnie desquels il se
sent parmi les siens, puisqu’il
est lui-même originaire de
Farmersville (Texas). Le 17
octobre 1943, il commande
depuis plus d'un an le 96th
Bomb Group participant au
second raid sur Schweinfurt
au sein de la 3rd BD.

t Flat Foot Floogie, le


B‑17F-70-BO 42-29803
du 534th BS/381st BG, est
descendu juste après avoir
largué ses bombes sur
Schweinfurt, probablement
par l’Unteroffizier Robert
Meyer-Ahrend de la 8./
JG 3. L’avion explose peu
après que le dernier homme
(le pilote, le 2nd Lieutenant
Bernardo M. Yorba Jr.) a
sauté ; quatre ont été tués.

39
Bien qu’ils restent Low Group, c’est à dire mènent à bien leur mission, le 4th FG manque toutes les heures de l’horloge [6], comme le
dans la position la plus vulnérable aux coups le rendez-vous et regagne sa base après avoir racontera plus tard le colonel Peaslee : « Les
de la Flak lourde, les équipages du 305th BG vainement cherché les bombardiers. Le 352nd chasseurs foncent au beau milieu de notre
ressentent un certain soulagement, les raids FG accompagne les B-24 de la 2nd BD dans formation, à une vitesse relative de plus de 800
des dernières semaines ayant démontré que les leur diversion manquée. Quant aux P-38 du km/h. Un autre groupe d’éclairs remplace le
chasseurs allemands concentrent souvent leurs 55th FG, l’unité n’ayant pas été déclarée opé- premier, et cela se répète encore cinq fois, six
attaques frontales sur le Lead Wing. Ce senti- rationnelle à temps, ils ne sont pas de la partie. formations de Bf 109 chargeant contre nous
ment est de courte durée, le colonel Peaslee […] Je vois des chasseurs sur le côté, […]
ordonnant au 1st CBW de passer en tête. Les leurs trajectoires marquées dans la lumière
procédures opérationnelles prévoient en effet UNE RÉSISTANCE brillante du soleil par de fines lignes de fumée
que le Lead Wing doit toujours comprendre un
minimum de trois Groups. Réduit aux seuls
ACHARNÉE de couleur claire comme ils tirent de courtes
rafales. C’est une attaque coordonnée […] leur
92nd et 306th BG par l’absence du 305th Les contrôleurs allemands ont rameuté timing est parfait, leur technique magistrale. »
BG, le 40th CBW prend position sur la gauche des unités d’aussi loin que Rostock, sur la Schweinfurt est encore loin lorsque les pre-
et un peu plus haut que le 1st CBW, en une Baltique, et Döberitz, près de Berlin, pour miers B-17 se mettent à traîner un panache de
formation non prévue par le manuel. lancer contre les quadrimoteurs des Gruppen
Des ennuis techniques forcent 26 B-17 à et Staffeln provenant de 11 Jagdgeschwader,
[5] Par l’avant et légèrement plus haut
abandonner la mission. A la 2nd BD, seuls dont deux équipés de chasseurs bimoteurs, que le bombardier visé, voir Aérojournal n°
29 B-24 prennent l’air et, parmi ceux-ci, 8 6 Nachtjagdgeschwader et même deux 71, « Mission 84 », du même auteur.
ne trouvent pas la formation et rentrent. Sa Kampfgeschwader, sans compter des uni-
puissance de feu défensive s’en trouvant pra- tés-écoles, dont les instructeurs espèrent [6] En référence à la méthode consistant à considérer
son propre avion comme le centre d’une horloge. La
tiquement limitée à celle d’un seul Group, le donner quelques travaux pratiques à leurs direction de l’avant correspond alors à 12 hr, celle de
leader estime que ses avions ne sont pas en élèves. En protection de la 1st BD, les P-47 l’arrière à 6 hr, la droite à 3 hr et la gauche à 9hr.
mesure d’assurer leur défense et décide d’exé- du 353rd FG se font coiffer par des éléments
[7] Le 22 mars 1943, l’Oberleutnant Heinz Knoke
cuter une mission secondaire, une diversion en de la JG 3 au-dessus de la Belgique et, bien
de la JG 1 a abattu un B-17 du 91st BG avec une
direction d’Emden. La formation ne poussant que l’engagement se solde par un résultat de bombe de 250 kg, mais il pilotait un Bf 109 et de
guère au-delà des îles frisonnes, sa manœuvre 7 contre 1 en faveur des Américains, il coûte sérieux doutes subsistent quant à l’utilisation de Ju
n’attire pas l’attention des contrôleurs aériens à ces derniers une part importante de leurs 87 dans ce rôle. Quant au He 113, il n’existe que
sur des photos de propagande allemandes et ce
allemands, qui ne détourneront aucune unité maigres réserves d’essence. n’est qu’un He 100 repeint de plusieurs manières
du parcours des 1st et 3rd BD. Avant même Le 353rd FG se retire alors que les bombardiers différentes. Que sa présence ait été signalée par les
que les chasseurs de la Luftwaffe ne lâchent viennent tout juste de dépasser la ville belge de équipages de B-17 le 14 octobre 1943, démontre
le moindre coup de feu, le fleuve de bombar- Genk et franchissent la Meuse toute proche. que les services du Dr Goebbels exerçaient
bel et bien un effet dans le camp adverse !
diers se dirigeant vers Schweinfurt est réduit Les pilotes recommandent aux mitrailleurs de
de 24 %. limiter les conversations sur l’interphone et [8] Certains chasseurs allemands ont effectivement
L’escorte tarde également à trouver ses proté- d’économiser les munitions. Selon leur habi- décollé avec des réservoirs largables pour tenir
gés, réduisant d’autant la distance sur laquelle tude, les chasseurs allemands lancent leurs l’air plus longtemps. En revanche, il y a lieu de se
demander ce que Brunner et ses collègues ont bien
ils pourront les accompagner au-dessus du attaques en twelve o’clock, high [5] mais, à pu prendre pour des chasseurs d’escorte alliés.
territoire ennemi. Si les 56th et 353rd FG bord des B-17, on ne tarde pas à les voir à

Messerschmitt Bf 109 G-6


Oberfeldwebel Alfred Sarau
9./JG 3
Bad Wörishofen, Allemagne, octobre 1943

Messerschmitt Bf 109 G-6


7./JG 3
Amsterdam-Schiphol, Pays-Bas, octobre 1943

40
Black
Thursday

fumée noire et se laissent distancer par la formation. p Brennan’s Circus, du


Les pilotes allemands concentrent leurs feux nom du pilote du B‑17F-100-
DES PERTES EFFROYABLES
BO 42-30383 appartenant
sur des Box bien précis, afin d’obtenir un effet au 332nd BS/94th BG a Aux commandes d’un Fw 190, le Feldwebel Wolfgang Brunner
psychologique. Même pour ceux qui s’en tirent trois moteur hors service établit le contact avec la 1st BD non loin de Coblence. « A 13h47,
à meilleur compte, l’extermination quasi totale sur le chemin du retour ! Il nous avons aperçu deux groupes de bombardiers lourds améri-
termine la mission en mer du
d’un Group constitue un choc, car personne ne Nord, à huit kilomètres des cains escortés et volant en direction du sud-est à 7 200-7 500
sait quelle sera l’unité suivante à faire les frais de côtes anglaises. L’équipage m. En raison de la présence de l’escorte, nous avons largué
l’attention des Jagdflieger. A bord des B-17, les est recueilli sain et sauf. nos réservoirs [8], mais mon Rottenführer (chef de patrouille de
mitrailleurs signalent la présence non seulement deux appareils) ne parvenait pas à se débarrasser du sien. Au
de Fw 190, de Bf 109, 110 et 210 ainsi que bout de quelques instants, il m’a ordonné d’attaquer seul. Je
de Ju 88, mais aussi de He 111, de Ju 87 qui me suis joint à trois Fw 190 volant à la même hauteur que le
larguent des bombes munies de fusées à retardement ou altimétriques premier paquet d’avions ennemis et, avec eux, j’ai attaqué cinq Boeing
et même de He 113 [7] et d’appareils de reconnaissance Fw 189 (dont du groupe de droite, qui volaient seuls en formation serrée. Nous avons
la présence était fortuite ou résultait d’une observation incorrecte) ! lancé nos attaques de la gauche et de la droite. J’ai attaqué le dernier
Certains chasseurs sont armés de Wurfer-Granate 21 cm ou BR 21, avion depuis la gauche en suivant un angle de 30 degrés par rapport
décrits par le Sergeant John Piazza, mitrailleur au 92nd BG. « Au brie- à l’arrière. J’ai vu des impacts sur le fuselage et l’empennage vertical
fing, on nous avait annoncé quelque 500 chasseurs de différentes se briser. Après m’être éloigné, j’ai vu le Boeing s’écarter du groupe et
sortes. Ils étaient plus de 700, dont certains arrivant du front russe. se faire distancer. Je devais rompre le contact en raison d’un manque
Nous avons vu se jeter sur nous tout ce qui était imaginable. Certains, de munitions et de carburant. La JG 26 s’est chargée de l’achever. »
généralement des bimoteurs, restaient hors de portée de nos mitrail- Au 1st CBW, le surcroît de puissance de feu résultant de la présence
leuses et nous envoyaient des roquettes, qui ressemblaient à des imprévue du 305th BG ne profite guère à ce dernier, toujours en position
poteaux téléphoniques tandis qu’elles passaient près de nous et explo- de Low Group. En à peine une heure, il perd 11 de ses 16 avions avant
saient. » Même si à première vue, les roquettes ne causent pas de grand même d’atteindre l’objectif et, rudement touché, un douzième met le
mal, elles élargissent les formations américaines, diminuant la concen- cap au sud, dans l’espoir d’atteindre la Suisse. En revanche, l’apport
tration du feu des mitrailleurs et ouvrant la voie aux Fw 190 et Bf 109. de mitrailleuses supplémentaires semble avoir été bénéfique aux trois
La 1st BD est soumise à la pression la plus forte. Au sein de celle-ci, autres Groups, qui ne perdent chacun qu’un seul appareil. Réduit à
sur les 18 B-17 avec lesquels le 306th BG a décollé de Thurleigh, trois deux Groups, le 40th CBW perd 19 de ses 37 avions.
ont fait demi-tour en raison d’ennuis techniques. Deux autres ont été Le 41st CBW subit les assauts répétés de vagues de chas-
abattus avant même que les P-47 de l’escorte ne rentrent. Une fois seurs arrivant à 12 de front. Le Second Lieutenant Carl Abele
ceux-ci partis, les chasseurs allemands s’en donnent à cœur joie et est navigateur à bord d’un B-17F du 384th BG : « Les chasseurs
envoient six autres B-17 au tapis avant qu’ils n’atteignent l’objectif. étaient implacables, ils nous assassinaient tout simplement. »

41
{ Le Lieutenant Colonel Theodore R. Milton (en uniforme) regarde
son bombardier, le 2nd Lieutenant Marion M. Walshe, blessé à
la cuisse par un éclat d’obus, être évacué en ambulance.

u Le 42-3158 (Max) du 427th BS/303rd BG a connu un retour de


Schweinfurt difficile. Un obus de 20 mm a touché l’hélice du moteur n° 3,
qui s’est mise à mouliner. Le 1st Lieutenant Howard C. Ness, qui effectuait
ce jour‑là sa 25e mission, n’a pas pu la mettre en drapeau. Le moyeu a
littéralement fondu sous la chaleur, libérant l’hélice, qui, heureusement,
n’a causé aucun dégât à l’appareil. Max explosera au sud-ouest de
Berlin (mission n° 327) le 29 avril 1944 (8 tués et 2 prisonniers).

Arrivé à l’unité en septembre, l’équipage en est seulement à


sa quatrième mission et, bien qu’il ait choisi pour son avion
le nom de Blackjack, celui-ci n’a pas encore été peint sur
le nez. « Telles que les choses se sont déroulées, le nom
était destiné à ne jamais être peint dessus, » poursuit Abele.
« Nous avons perdu un moteur par la Flak et un autre à cause
des chasseurs, mais l’hélice de l’un d’eux ne pouvait être
mise en drapeau. La traînée du moteur mort était énorme
et a contribué à condamner l’avion. Notre pilote a maintenu
celui-ci droit pendant que nous sautions, puis il est sorti le
dernier. Je n’ai pas vu mon parachute s’ouvrir. La chose
suivante dont je me souvienne, c’est que j’étais couché
dans la benne d’un camion de la Totenkopf, en route vers
un camp de prisonniers. » En tout, la 1st BD perd 35 B-17
avant d’atteindre l’objectif.
Suivant un itinéraire plus au sud que prévu, et à une dizaine
de minutes derrière la 1st BD, la 3rd BD franchit la côte
ennemie sous la protection de 53 P-47. La formation attirant
moins l’attention des contrôleurs aériens allemands, le 56th
FG accompagne les bombardiers jusqu’Eupen, près de la
frontière belgo-allemande. Passant juste à l’est du Grand-
Duché de Luxembourg, les B-17 échappent aussi aux fortes
concentrations de Flak de la Ruhr et ce n’est qu’après avoir
franchi la Moselle qu’ils essuient les premières attaques de
chasseurs ennemis. A 14h05, la formation vire vers l’est
et se dirige sur Darmstadt, Initial Point à partir duquel doit
s’effectuer le Bomb Run. En position de Lead Group, le 96th
BG ne perd qu’un seul B-17 entre la Moselle et l’objectif.

42
Black
Thursday

BOMB RUN
Le brusque changement de cap au-dessus de
Darmstadt fait hésiter les chasseurs qui, de toute
façon, commencent à manquer de carburant et de
munitions et rentrent pour se ravitailler, mais il reste
la Flak. Dans le nez des B-17, les pilotes passent la
main aux bombardiers pour les cinq minutes les plus
déterminantes du raid. Contrairement aux conditions
rencontrées en Angleterre, la météo est plutôt favo-
rable et la plupart des Groups de la 1st BD larguent
leurs bombes avant que les objectifs ne disparaissent
sous un écran de fumée.
L’affaire est moins évidente pour les équipages de
la 3rd BD, qui arrive dix minutes plus tard et dont
le bombardier leader n’a d’autre option que d’ajus-
ter son viseur Norden sur un pont situé juste au
sud-est des fabriques de roulements à billes. Au
sein du dispositif du 95th BG, Bob Hughes est
toujours à la tête des quatre B-17 du 100th BG.
« Nous avions aperçu la Flak de temps à autre, à bonne
distance, mais comme nous approchions de l’objectif,
nous en ressentions l’effet de manière plus person-
nelle. Régulièrement, nous pouvions voir les cœurs
incandescents des explosions de gros projectiles. Nous
pouvions maintenant voir la zone des objectifs et,
comme nous avions été briefés au sujet des cibles
factices, le Lieutenant Elliott, notre bombardier, et
moi-même les avons reconnues comme telles. La
fumée était si dense que toute la ville semblait en feu.
« Soudain, notre attention a été détournée. Le leader
du 95th BG avait été touché par la Flak juste avant le
dernier virage sur l’Initial Point, à 14h47. Il s’écartait
rapidement de la formation, la Flak restait intense. Le
Lieutenant Donald Davis, mon copilote, s’est écrié :
« Ecarte-toi, Bob ! » J’avais ressenti le souffle de
l’éclatement de Flak qui avait soulevé notre ailier et
l’envoyait directement sur nous. Le Lieutenant Howard
Keel avait temporairement perdu le contrôle de son
avion. Le bon Dieu a donné un coup de palonnier à
gauche, poussé le manche vers le bas et l’aileron à
gauche puis nous a roulés hors d’un retournement
bien exécuté, qui a permis à Keel de traverser l’espace
que nous occupions l’instant d’avant et de reprendre
en mains son avion. Il nous a aussi placés sur un cap
direct vers la cible primaire, au sujet de laquelle Elliott
et moi avions été briefés en détail quelques heures
plus tôt. Elliott a immédiatement repéré la cible et
annoncé : « Skipper, objectif droit devant, branchez
le PDI ! […] J’ai encadré l’objectif juste avant que tu
ne vires comme un sauvage. J’ai aussi réglé l’altitude
p Deux vues de contrôle de
Schweinfurt, prises par les RETOUR SOUS LE FEU
B-17 durant le raid du 14
1 000 pieds plus bas. » octobre 1943. Qu’elle soit Une fois les bombes larguées, la 1st BD vire vers le sud,
« A toi Dick ! Nous maintiendrons l’altitude et la générée par les Allemands puis vers l’ouest, mais déjà, les chasseurs allemands sont
ou par les explosions de
vitesse. […] Elliott a ouvert la soute juste assez long- bombes, la fumée masque là pour prélever leur sanglant tribut. Des éléments des JG 3
temps pour bombarder et l’appareil photo prenait déjà progressivement les objectifs. et JG 51 se jettent sur le 41st BW, à l’arrière du dispositif
les vues de contrôle. Il était réglé sur intervallomètre, et ne tardent pas à abattre trois appareils du 379th BG,
mais le viseur de bombardement ne l’était pas. […] son Lead Group. Au 40th BW, des sept B-17 du 306th BG
Dick a mis le levier de sélection sur « Salve » et les qui ont atteint et bombardé Schweinfurt, deux sont encore
bombes sont parties à 14h54, toutes sur le point envoyés au tapis. Entre Stuttgart et Metz, des chasseurs
d’impact moyen. Il y a eu un rugissement sur l’inter- de nuit bimoteurs se montrent à leur tour et poursuivent
com : Dans le mille ! » les quadrimoteurs au-dessus du territoire français. Dix B-17
En tout, 228 B-17 larguent leurs bombes sur la zone supplémentaires sont perdus, ce qui fait monter le total pour
des objectifs : 395 tonnes d’explosifs et 88 tonnes la 1st BD à 45 pour l’ensemble de la mission.
d’incendiaires. Sur 1 222 projectiles lâchés, 143 Alors que son vol jusqu’à l’objectif a été relativement calme,
tombent à l’intérieur de la zone des objectifs et 88 les choses changent pour la 3rd BD. Dès qu’ils quittent
sont des coups directs sur les usines. Un résultat Schweinfurt, ses Groups sont assaillis par quelque 160
plutôt bon. En raison de la fumée, provenant tant des chasseurs monomoteurs, renforcés par des Bf 110 et 210
générateurs mis en place par les Allemands que des ainsi que des Ju 88. Les Low Groups sont particulièrement
bombes américaines, les résultats de la 3rd BD sont visés et c’est le 96th BG qui subit les pertes les plus lourdes.
moins bons que ceux de la 1st. Il y a aussi 276 tués En tout, 14 B-17 de la 3rd BD mordent la poussière sur le
parmi la population civile. chemin du retour.

43
de ses moteurs tombe en panne. Pour rester à hauteur
des autres appareils, le Lieutenant Joseph Brennan,
pilote, ordonne de larguer les bombes, mais celles-ci
refusent d’abord de se décrocher. Pour échapper
aux chasseurs ennemis, il lance son appareil dans
un piqué au cours duquel il arrive finalement à se
débarrasser de sa cargaison. Ce problème est à peine
résolu qu’un deuxième moteur s’emballe et son hélice
doit être mise en drapeau, puis un peu plus loin, c’est
un obus de Flak qui met hors d’usage un troisième.
Se traînant sur son seul moteur valide, perdant rapide-
ment de l’altitude, le Circus atteint enfin la Manche,
sur laquelle il se pose à quelques kilomètres de la côte
anglaise. Brennan et son équipage sont récupérés
sains et saufs.
Profitant de l’absence de chasseurs d’escorte,
certains pilotes de la JG 2, basée en France, pour-
suivent les bombardiers jusqu’au-dessus de la
Manche. Heureusement pour son équipage, Paper
Doll, du 96th BG, n’attire pas leur attention. Avec
un pilote tué et un copilote grièvement blessé, c’est
le Lieutenant Miles McFann, navigateur, qui ramène
p Ci-dessus : La perte l’avion en faisant appel à son expérience de pilote
d’une hélice en vol peut privé d’avant-guerre. « Nous aurions pu sauter au lieu
avoir des conséquences de prendre le risque d’un atterrissage de fortune. Je
dramatiques, comme le
Le Staff Sergeant Eugene Carson est mitrailleur de queue démontrent les dégâts sur suppose que beaucoup de gars préfèreraient éviter de
à bord de Tiger Girl, du 388th BG. « L’interphone était le nez de ce B-17F du 385th voir un navigateur jouer au pilote, mais ceux-là sont
BG. Ce dernier a toutefois eu
saturé d’avertissements concernant les positions des chas- la chance de rentrer de la
restés avec moi parce qu’ils me faisaient confiance.
seurs de la Luftwaffe. Je me suis agenouillé en silence. mission du 14 octobre 1943. Tous savaient que [le Lieutenant Robert] Bolick était
Je n’avais rien à dire. Mes mitrailleuses parlaient pour Ironiquement, un autre B-17 mort à bord de l’avion et aucun de nous n’était prêt
appelé SACK TIME,
moi en courtes rafales rageuses. Personne ne devait me appartenant également au à sauter en le laissant là. Nous en étions tout sim-
dire qu’il y avait des bandits à six heures et je n’avais pas 385th BG a été perdu lors du plement incapables. »
davantage besoin de signaler leur présence. La Luftwaffe précédent raid sur
Schweinfurt, le 17 août.
était tout autour de nous. Les douilles vides s’amoncelaient
jusqu’à hauteur de mes fesses. Nous nous faisions mas- z En haut à gauche : Nose LA FIN DES RAIDS
NON-ESCORTÉS
art du B-17F-80-BO-42-29988
sacrer. Je regardais comment les formations en-dessous THE UNCOUTH BASTARD,
et autour de nous se faisaient décimer. Je ne voyais pas perdu pendant le
comment nous réussirions à rentrer. J’étais néanmoins raid du 14 octobre sur Le raid de Schweinfurt se solde par la perte de 60
Schweinfurt. Cet appareil sert
étrangement calme et j’avais le sentiment que quelqu’un d’abord sous l’appellation de B-17 abattus, internés ou contraints de se poser en
veillait sur moi. Quand nous avons atteint la frontière belge, LUCIFER Jr au 535th mer, et 17 autres sont jugés irréparables, soit plus de
BS/381st BG avant
j’ai scruté le ciel à la recherche d’un signe de nos chas- d’être transféré au
21 % de la force envoyée. Les pertes en personnel se
seurs d’escorte. Il n’y avait pas la moindre trace d’eux. » 364th BS/305th BG. montent à 642 tués, blessés et manquants. Certains
Ce qu’ignore le jeune sous-officier, c’est que les aérodromes Groups sont pratiquement anéantis : le 305th BG a
{ En haut à droite : Gros
anglais sont toujours pris dans le brouillard et qu’une visibi- plan sur le nose art du perdu 13 B-17 sur les 15 qui sont entrés en territoire
lité de moins de 100 mètres empêche les P-47 et Spitfire B-17F-90-BO-42-30196 SAD ennemi et le 306th BG 12. Il manque six avions
de décoller. Tiger Girl rentre néanmoins à bon port et ce SACK. Pris en compte par chacun aux 92nd, 379th et 384th BG. La 3rd BD
le 546th BS/384th BG le 23
n’est qu’après avoir quitté l’appareil que Carson découvre juin 1943, cet appareil est s’en tire à meilleur compte, avec 15 B-17 perdus pour
qu’il est parti en mission… sans son parachute ! piloté par le Lieutenant Larry l’ensemble des sept Groups engagés, dont trois, y
Keller, lorsqu’il est abattu
Les ennuis du Brennan’s Circus, un B-17F du 94th BG, com- pendant le deuxième
compris le 100th BG, n’ont pas perdu un seul appareil.
mencent dix minutes avant d’arriver sur l’objectif, lorsqu’un raid sur Schweinfurt. Les mitrailleurs revendiquent 104 chasseurs ennemis

44
Black
Thursday

Republic P-47 D-5-RE (42-8476)


Captain Walter C. Beckham
351st Fighter Squadron, 353rd Fighter Group
Metfield, Angleterre, octobre 1943

abattus et les pilotes des P-47 estiment avoir remporté 13 victoires, du mois d’octobre 1943, la 8th Air Force perd 214 bombardiers,
mais une fois de plus, les chiffres sont surestimés : la Luftwaffe admet dont une centaine en une seule semaine. Avec un tel taux d’attrition,
la perte de 32 chasseurs et 20 autres sont endommagés. aucune force de combat ne peut rester efficace et, le 22 octobre, le
Dès le retour des bombardiers, les agences de presse alliées sont Brigadier General Frederick L. Anderson, commandant le VIII Bomber
averties que les résultats des bombardements sont bons et qu’il est Command, annonce la fin des raids diurnes non-escortés au-dessus
possible que l’objectif ait même été détruit. Eaker envoie à Arnold le de l’Allemagne, avec l’approbation d’Eaker et d’Arnold.
message : « Il ne fait aucun doute que nous avons maintenant planté
nos dents dans la gorge des forces aériennes ennemies. » Arnold
s’en fait l’écho en annonçant durant une interview : « Nous l’avons MESURES CORRECTIVES
fait en plein jour, en lâchant nos explosifs avec le soin et la précision
d’un tireur d’élite au fusil. » Même Sir Charles Portal, Chief of Air Les généraux américains n’entendent pas jeter l’éponge pour autant,
Staff britannique, habituellement très prudent avec ses communiqués, mais les partisans de la suprématie du bombardier admettent enfin que,
déclare : « Le raid de Schweinfurt entrera dans l’histoire comme l’une sans escorte sur l’ensemble du parcours, ses chances de survie à long
des actions les plus décisives de la guerre, et il pourrait bien sauver terme sont inexistantes. Si on peut lui reprocher de s’être lourdement
d’innombrables vies en privant l’ennemi d’une large partie de ses trompé jusque-là, Arnold n’est pas homme à s’entêter dans son erreur
moyens pour résister. » et, tandis que la priorité de production passe des bombardiers aux
Effectivement, à Schweinfurt, les dégâts causés par le raid sont de chasseurs d’escorte, il ordonne que tous les Groups de P-38 et de P-47
nouveau loin d’être négligeables et, après la guerre, Albert Speer confir- en cours de formation aux USA soient envoyés en Grande-Bretagne.
mera que si les attaques s’étaient répétées régulièrement à intervalles Leur mise en place prend cependant du temps et, en attendant, la 8th
de deux mois sur un seul semestre, la production de roulements à Air Force se concentre sur des objectifs moins éloignés en territoire
billes n’aurait pas pu se poursuivre. Pourtant, comme à l’occasion du ennemi. Il n’en reste pas moins que les moteurs Allison V-1710 du
premier bombardement de Schweinfurt, le 17 août, l’Air Chief Marshal P-38 manquent de puissance au-dessus de 15 000 pieds et que le
Sir Arthur Harris, commandant le Bomber Command, refuse de doubler rayon d’action du P-47 est insuffisant.
le raid américain par une attaque nocturne britannique. Si le Round Sur ce dernier point, une mesure corrective a cependant déjà été
the Clock Bombing figure bien à l’agenda des autorités alliées, il n’y prise : en août 1943, l’Army Material Command en est toujours aux
a pour l’instant aucune coordination entre la RAF et l’USAAF, chaque essais sur un réservoir largable fiable mais, sous la conduite du Colonel
partie choisissant ses objectifs sans tenir compte de ceux de l’autre. Cass Hough, les services techniques de la 8th Air Force développent
Par ailleurs, même si Eaker avait pu connaître l’opinion de Speer sur un réservoir de 565 litres. Produit en seulement 300 exemplaires en
la situation, il serait bien en peine d’y donner suite. Sur l’ensemble septembre, il en est fabriqué 22 000 dès décembre.

45
La solution définitive se présente sous la forme d’un
nouveau chasseur. Dès juin 1943, 145 P-51B Mustang
ont été envoyés en Grande-Bretagne où, jusqu’ici, ils ont
servi… à la reconnaissance tactique. Arnold ordonne
immédiatement que tous les P-51B et C [9] disponibles
soient reconvertis en chasseurs d’escorte, mais ce n’est
qu’au début de l’été 1944 que la mesure portera plei-
nement ses fruits. En attendant, lorsque le 19 février,
la 8th Air Force entame sa Big Week, marquant son
retour en force dans le ciel allemand, c’est toujours le
P-47 qui constitue la cheville ouvrière des escortes mais,
grâce aux nouveaux réservoirs largables, il dispose à
présent d’un plus grand rayon d’action et de récentes
améliorations en ont fait un adversaire redoutable pour
le Fw 190. L’arrivée du P-51D, avec une autonomie
de 1 550 km – 2 100 avec réservoirs largables – met
définitivement les chances du côté américain.
En raison de l’extrême solidité du B-17, la Luftwaffe a
renforcé la puissance de feu de ses chasseurs. Montage
de canons de 20 mm supplémentaires, adoption du
canon de 30 mm sur le FW 190 et même de 50 mm
sur certains bimoteurs, roquettes, tout cela a considé-
rablement alourdi les avions et réduit leur maniabilité.
Si cela ne gêne guère les pilotes tant qu’ils affrontent
des bombardiers sans escorte, c’est une autre affaire
lorsque les P-47 et P-51 font leur apparition au-dessus
du Reich et la Luftwaffe aura du mal à s’adapter à ce
nouveau changement.
Enfin, bien que les deux hommes soient de vieux amis,
Arnold estime qu’Eaker manque de détermination. Promu
Lieutenant General, celui-ci est muté vers le théâtre
d’opérations méditerranéen et remplacé par le Major
General James H. Doolittle, qui prend officiellement la
tête de la 8th Air Force le 3 janvier 1944. Celui-ci com-
mence par porter à 30 puis à 35 le nombre de missions
des tours d’opérations. Bien qu’impopulaire auprès des
équipages, la mesure donne aux unités un personnel plus
expérimenté, d’autant plus que les pertes commencent
à baisser de manière significative.
Doolittle innove aussi sur le plan tactique. Alors qu’au
début, les chasseurs restent avec les bombardiers durant
toute la mission, dans le nouveau système, une fois les
premières vagues d’intercepteurs allemands repoussées,
une partie de l’escorte descend à basse altitude pour
attaquer les aérodromes de la Luftwaffe, où ses chas-
seurs sont en train de réarmer et de refaire les pleins.
Traqués jusque sur leurs bases, les Jagdflieger subissent
des pertes de plus en plus élevées et, au printemps
1944, la Luftwaffe est enfin prise dans le processus
d’attrition annoncé par les généraux de l’USAAF depuis
plus de 15 mois.
Pour la 8th Air Force le Black Thusday apporta les pertes
les plus lourdes de toute la guerre, mais il ouvrit enfin
les yeux des généraux de l’USAAF et il marque le début
d’une évolution bénéfique. 

 Atteindre la base au retour d’un raid ne veut pas encore dire que
l’équipage est sauvé. Certains B-17 sont tellement endommagés
qu’ils s’écrasent à l’atterrissage, tuant tous leurs occupants,
comme en attestent ces trois photos prises au 305th BG. Seuls
deux B-17 rentrant à Chelveston le 14 octobre 1943 et ceux-ci
se posant sans incident, ces clichés ont probablement été pris
à une autre date, à moins qu’il ne s’agisse d’un appareil d’un
autre Group, mais elles démontrent bien dans quelles conditions
dramatiques pouvaient se dérouler les retours de mission.

[9] Équipés du Packard V-1650, version américaine


construite sous licence du Merlin, les P-51B et C sont
identiques mais ils sont fabriqués respectivement
à Inglewood en Californie et à Dallas, Texas.

[10] KUHL, George C, Wrong Place, Wrong Time:


The 305th Bomb Group & the 2nd Schweinfurt Raid,
Atglen (PA), Schiffer Military Aviation History, 1993

46
Black
Thursday

 Le P-47D-2-RA-BO-42-22482, aka STINKY POOL du


Captain Gordon S. Bullingame, 352nd Fighter Squadron/353rd
Fighter Group. Selon les informations jointes à la photo,
celle-ci a bien été prise le 14 octobre 1943 et il faut en
conclure que l’appareil a eu un problème avec la jambe
droite de son train d’atterrissage en rentrant de sa mission
d’escorte au profit des B-17 partant pour Schweinfurt.

UNE HEURE EN ENFER !


Les pertes du 305th BG
Pilote au 305th BG, le Lieutenant George Kuhl consacre un ouvrage entier [10] à la participation de son Group au deuxième raid sur Schweinfurt.
Dans celui-ci, il énumère, avion par avion, minute par minute, les pertes subies par les 364th, 365th et 366th Bomb Squadrons (BS) ; une
liste aussi effrayante qu’éclairante !

13h33 Les P-47 font demi-tour en coordonnées 5102N-0555E, 14h29 Maxwell, 365th BS, 42-30804, explose en l’air, s’écrase
entre Genk et Opglabbeek. près de Glashofen, à 25 km au nord-ouest de Würzburg
13h40 Murdock, 364th BS, 42-29952, s’écrase à Limmel (Pays-bas). (Allemagne).
13h45 McDarby, 364th BS, 42-3436, s’écrase à proximité d’Ey- 14h32 Franchissement de l’IP par Kane/Normand, Bullock, Kincaid
gelshoven (Pays-bas). et Farrell.
13h45 Eakle, 364th BS, 42-30807, s’écrase à Eisden (Belgique). 14h39 Kincaid, 365th BS, 42-3550, s’écrase près de Werneck, à
13h45 Willis, 366th BS, 42-3549, s’écrase à Horn (Pays-bas). une douzaine de kilomètres au sud-ouest de Schweinfurt
13h49 Dienhart, 364th BS, 42-30831, endommagé, met le cap (Allemagne), avant d’avoir pu bombarder.
au sud. 14h40 Bombes larguées pour Kane/Normand, Bullock et Farrell.
13h50 Holt, 364th BS, 42-29988, s’écrase à Immendorf (Allemagne). 14h41 Bullock, 365th BS, s’écrase au nord-est de Schweinfurt
13h50 Fisher, 366th BS, 42-3195, s’écrase à Waldenrath (Allemagne).
(Allemagne). 15h40 Dienhart, 364th BS, atterrissage sur le ventre à Reinach-
13h52 Lang, 366th BS, 42-37750, s’écrase à Puffendorf Aesch (Suisse).
(Allemagne). 18h07 Kane/Normand, 365th BS, 42-3412, retour à Chelveston.
13h53 Kenyon, 364th BS, 42-30242, s’écrase à 6 km à l’ouest 18h09 Farrell, 366th BS, 42-30678, retour à Chelveston.
de Düren (Allemagne).
14h02 Skerry, 366th BS, 42-30814, s’écrase à Adendorf, près de
Bonn (Allemagne).

47
UNITÉ

1945

TROP
PEU
TROP
TARD

Le Focke-Wulf Ta 152 en opération


Profils couleurs : J.M. Guillou. Plans : H.Cance Par Yann Mahé

48
Trop peu,
trop tard !

Le
23 janvier 1945, l’Oberkommando der Luftwaffe (état-major de la Luftwaffe)
ordonne de rééquiper le III./JG 301 en chasseurs à haute altitude Focke-Wulf
Ta 152 H‑0. Ce nouvel appareil conçu par Kurt Tank, disposant de caractéristiques
de vol si époustouflantes qu’il est souvent considéré comme le meilleur chasseur
à moteur à pistons jamais mis en service, vient alors de terminer sa phase de tests à Rechlin au
sein de l’Erprobungskommando Ta 152 de l’Hauptmann Bruno Stolle, unité d’expérimentation
qui doit en devenir le Stab…

L'
équipement du Gruppe s’avère dès le  14 avril 1945, Stendal, demi-heure, les pilotes allemands prennent place à bord
départ problématique, car, de la qua- Allemagne. L'Oberfeldwebel des Ta 152 H-0 et les emmènent à Alteno. L’as Willi
Willi Reschke, à bord du
rantaine d’exemplaires de présérie Ta Reschke (il est alors titulaire de 24 victoires) est l’un
Ta 152 H « 1 blanc » de
152 H-0 sortis des chaînes d’assemblage la Stabsschwarm JG 301, d’eux. Il donne ses premières impressions sur l’appareil :
de Cottbus, quatorze ont été rayés des s'apprête à triompher du « - L’accélération est si fulgurante au décollage que le
listes avant même leur prise en compte, à Hawker Tempest Mk. V corps est plaqué au siège,
SN141 du Warrant Officer
la suite d’un raid de P-38 et de P-51 américains sur l’aéro- O.J. Mitchell, du No 486
- Le Ta a décollé après seulement quelques centaines
drome de Neuhausen le 16 janvier 1945. Par conséquent, (RCAF) Squadron. de mètres,
le III./JG 301 n’alignera jamais plus de 16 machines (Piotr Forkasiewicz) - Le taux de montée initial est énorme,
à la fois, alors qu’il était prévu de lui en affecter 35. - Je n’ai jamais piloté un avion avec une envergure si
importante,
- Les commandes répondent bien,
PRISE EN MAIN - La visibilité périphérique et la liberté de mouvement à
l’intérieur du cockpit sont également très bonnes,
Au moment de cette décision, le III. Gruppe, commandé - La vitesse d’atterrissage est plutôt basse et ainsi très
par le Major Guth, vole sur Fw 190 A-8. Retiré des opéra- inhabituelle. »
tions en prévision de cette transformation, il est désormais En fin de matinée, les douze Ta 152 H-0 se posent à
basé à Alteno, près de Luckau (dans le Brandebourg), un Alteno. Une fois les puissants moteurs Junkers Jumo
terrain situé non loin de l’usine Focke-Wulf de Neuhausen- q Le Focke-Wulf Ta 213 E de 1 750 ch coupés, les appareils sont entourés
Cottbus où est produit le nouveau Höhenjäger. Le 27 152 H-0 WNr. 150005 par tout un aréopage animé autant par la curiosité que
janvier au petit matin, un petit contingent de pilotes se sur la butte de réglage du par l’excitation.
rend donc sur place en camion pour prendre livraison de compas à Cottbus. Sorti
Chacun aura bientôt la possibilité de s’installer aux com-
des chaînes le 8 décembre,
douze Focke-Wulf Ta 152 H‑0. Arrivés dans l’enceinte l'appareil est ensuite affecté mandes du Focke-Wulf de Kurt Tank, car tous les pilotes
de l’aérodrome, ils les découvrent alignés en trois ran- à l’usine de Junkers à du groupe doivent être formés sur la nouvelle machine,
gées sur le tarmac, et, sitôt descendus des véhicules, Dessau pour des essais ceci en fonction bien sûr des disponibilités. Cette phase
du moteur Jumo 213 E. À
s’empressent d’en faire le tour et de questionner les
la vue de ce cliché mettant
de conversion débute plutôt mal car le 1er février, lors
personnels au sol sur cette machine inconnue dont ils en évidence l'envergure d’un vol d’entraînement, l’Unteroffizier Hermann Dürr ne
ont instantanément remarqué l’envergure inhabituelle considérable de l'appareil, parvient pas à sortir d’une vrille à plat et s’écrase au sol.
qui ne cesse de les surprendre (14,44 m pour le Ta on comprend la surprise Il est le premier des deux pilotes tués pendant la période
des pilotes de la JG 301
152 H contre 10,5 m aux Fw 190 A-8 et D-9) et le venus réceptionner les
d’entraînement qui se déroule tout au long du mois.
long nez qui ne les apparente en rien à des chasseurs. premiers exemplaires H-0. Reschke a alors l’occasion de se familiariser pleinement
Après des « recommandations d’usage » de plus d’une (Collection W. Green) avec le Ta 152 H-0 et affine ses impressions premières :

49
« Même au roulage, on ressentait l’énorme puissance du p Les Focke-Wulf stratégique alliée lors de son offensive sur Dresde : la
Jumo 213 E. En poussant la manette des gaz à fond, on Ta 152 H-0 du Stab III./JG Geschwader perdra 26 pilotes au combat rien qu’en
301 alignés sur le terrain
déclenchait une énorme accélération qui vous collait au février !
d’Alteno, près de Luckau
siège, de sorte que les pilotes hésitèrent à mettre les gaz (Brandebourg), fin janvier Le 14 du mois, le Gruppe envoie un premier rapport
à fond lors de leurs premiers décollages. L’avion s’arra- 1945. L'unité a fière allure ! d’évaluation à l’OKL, qui, au passage, illustre la grande
chait facilement vers 210 km/h après une courte course (Collection W. Green) confusion sur la ligne de contact résultant de l’effon-
d’élan. On s’apercevait à peine du relevage du train et drement du front allemand consécutif à l’offensive
des volets. Cela faisait une grande différence avec les « Vistule-Oder » de l’Armée rouge :
autres versions du Fw 190 qui s’affaissaient de manière « Le III. Gruppe de la JG 301, qui a reçu pour mission
sensible quand les volets se relevaient. L’énorme traction de procéder à l’évaluation opérationnelle du Ta 152 H-0,
de l’hélice, avec ses larges pales de 60 cm, et l’immense est basé à Alteno, et volait précédemment, dans le cadre
envergure de l’avion ne passaient pas inaperçues. Le taux de ses missions de défense du Reich, sur Fw 190 A-8/
de montée initial était de 17,5 m/sec jusqu’à 5 000 m. R11 et R12. Au début de l’offensive russe, le Gruppe
Il fallait 12 min pour atteindre 10 000 m, ce qui corres- a été transféré vers l’est sur un aérodrome qui s’est
pondait à un taux de montée de 14,2 m/sec. avéré être situé derrière les lignes ennemies et a par
Lors des vols d’essai, le compresseur à trois étages du conséquent dû être précipitamment abandonné. Malgré
Ta 152 H-0 fonctionnait sans souci, bien qu’il faille men- le brouillard, la plupart des avions ont pu redécoller,
tionner qu’en opérations, il y eut quelques problèmes avec le restant ayant dû être saboté. Les appareils ayant
le troisième étage. À 10 000 m, le Ta 152 réussi à s’échapper ont été répartis dans
réagissait parfaitement aux commandes ; d’autres unités.
par comparaison, à cette altitude, le Le Gruppe avait donc seulement les Ta
Fw 190 A-8 était déjà instable et réagissait 152 H-0 livrés pour essais, onze appareils
de manière paresseuse. Jusqu’à 12 000 numérotés WNr. 001, 002, 025, 032
m, on n’avait pas vraiment l’impression et 034 à 040. Parmi eux, le 037 [NdlA,
d’avoir atteint les limites de l’avion. celui de Dürr] a été détruit à 98% dans
Pendant la période d’entraînement, il fut un crash, et le 022 a été endommagé
procédé à des exercices de combat avec lors d’un atterrissage forcé mais il a par
les derniers Fw 190 A-8 conservés par le la suite été réparé. Le taux de disponibilité
Gruppe. Ces combats simulés nous don- du parc est de 75% et il est tombé à 30%
nèrent la possibilité de jauger les capacités durant une brève période quand de l’eau
du Ta 152 et de voir si cet appareil était a été mélangée au carburant, entraînant
aussi bon que ce que l’on en disait. Chaque le grippage des pompes d’injection.
exercice prouva que le Ta 152 était net- Le personnel au sol et volant est très
tement supérieur en combat tournoyant, bien entraîné. Presque tous les pilotes
en particulier entre 6 et 8 000 m, alti- sont expérimentés et désireux de passer
tudes auxquelles la plupart des combats à l’action. Ils ont abordé le test du Ta
se déroulaient. On avait l’impression que 152 avec d’excellentes dispositions. Par
le Ta 152 pouvait tourner sur place. » conséquent, au sein du groupe, l’avion
Cette phase de conversion, qui se fait est entre de bonnes mains.
pour l’heure au prix d’une unique perte L’encadrement se compose des :
humaine, est en vérité un moindre mal, - Gruppenkommandeur : Major Guth,
car le reste de la JG 301 est alors taillé - Adjutant : Leutnant Schröder,
en pièces à la fois par l’aviation soviétique - Technischer Offizier : Hauptmann Hölzer
sur le front et par l’escorte de l’aviation puis Oberleutnant Schallenberg.

50
Trop peu,
trop tard !

Focke-Wulf Ta 152 H-0


Oberfeldwebel Willi Reschke
Stab III./JG 301
Alteno, Allemagne, fin janvier 1945

Le rapprochement du front a transformé Alteno Durant la dernière semaine de février 1945, le l’Unteroffizier Blum et du Feldwebel Reschke.
en aérodrome de première ligne utilisé par des III./JG 301 boucle sa période d’entraînement Pendant ce temps, le reste du groupe ne
Gruppen de chasse et d’attaque au sol. Pour en émettant un avis dithyrambique sur le Ta parvient pas à dénicher l’ennemi, les pilotes
éviter toute perturbation des essais en vol, le 152, dont les qualités de vol impressionnent : rentrant à leur base franchement déçus. Ce
Gruppe sera sous peu transféré à Alperstedt, les pilotes n’émettent aucune réserve sur n’est que partie remise.
près d’Erfurt. » l’appareil, se plaignant tout juste du circuit Le « grand jour » arrive enfin le 2 mars, quand
C’est en fait le terrain de Sachau, près de hydraulique du train d’atterrissage. les B-17 et B-24 américains s’en prennent à
Gardelegen, à l’ouest de Berlin qui est désigné l’usine de produits chimiques de Böhlen et
au groupe le 16 février. Les jours suivants Chemnitz. Le III./JG 301 décolle avec 12
apportent leur lot de mauvaises nouvelles. Tout
d’abord, l’usine de Cottbus doit déménager, ce
BAPTÊME DU FEU Ta 152 H et autant de Fw 190 A-8 et A-9.
Les premiers sont placés sous les ordres de
qui met un terme à la production du Ta 152 H. Le 25 février, l’ensemble de la JG 301, III. l’Oberleutnant Hermann Stahl : ils ont reçu
Peu après, un autre Fw 152, avec l’Oberfähn- Gruppe compris, est engagé contre la 8th US l’ordre d’engager en priorité les chasseurs
rich Jonny Wiegeshoff aux commandes, est Air Force qui s’attaque aux carrefours ferro- escortant les Viermot. Cette mission est d’un
perdu sur accident à l’atterrissage, sans que viaires du triangle Salzwedel – Wittenberge genre nouveau pour les pilotes de Ta 152,
les causes ne puissent en être déterminées : – Stendal. Dix ou douze Ta 152 H-0 et H-1 longtemps habitués, en tant que membres
l’appareil est victime d’un décrochage lors du décollent de Sachau, le reste du groupe sur de la Wilde Sau, à attaquer les bombardiers.
virage en bout de piste et s’écrase dans les des Fw 190 A-8 et A-9, sous la conduite Cette fois – et beaucoup s’en réjouissent – ils
arbres, entraînant son pilote dans la mort. Entre- du Major Guth… qui doit rapidement faire vont en découdre avec les Mustang. Toutefois,
temps, le Kapitän de la 9. Staffel, l’Hauptmann demi-tour sur ennui moteur. En raison de la aucun d’eux n’imagine la tournure désagréable
Gerhard Posselmann, est transféré au I. Gruppe menace représentée à cette époque par les que vont prendre les événements ! Les Ta
dont il devient le Kommandeur ; il est remplacé P-51 Mustang en maraude, il rentre à Sachau 152 évoluent vers 8 000 mètres quand ils
par l’Oberleutnant Hermann Stahl. escorté par deux autres appareils, ceux de croisent une formation de Bf 109 de la JG 301.
u Même altéré par l'obscurité
du hangar, ce gros plan sur
le nez du Ta 152 H peine
à dissimuler la puissance
du moteur V12 Junkers
Jumo 213 E produisant
1 750 ch (2 050 ch au
décollage avec le mélange
MW-50). C'est un moteur
à refroidissement à eau
équipé d'un compresseur
à trois étages qui améliore
considérablement les
performances en altitude.
Il souffre de maladies de
jeunesse qui auraient
probablement été corrigées
très vite dans les versions
suivantes du Ta 152 H.
(US Nara)

 L'Oberfeldwebel Willi
Reschke fait partie des rares
privilégiés de la Luftwaffe à
avoir piloté le Ta 152 H au
combat. Il a même remporté
trois victoires aux commandes
de ce formidable appareil :
un Tempest (14 avril 1945)
et deux Yak-9 (24 avril),
forcément un record.
(DR)

51
52
Trop peu,
trop tard !

Focke-Wulf Ta 152 H‑0
© Hubert Cance - 2019

53
– Bf 109 G inclus ! – mais prouve en revanche que
la silhouette du nouveau chasseur reste encore peu
familière aux yeux des jeunes pilotes de la Luftwaffe.

PREMIÈRE VICTOIRE !
Le 13 mars, ordre est donné de prélever quatre pilotes et
leurs Ta 152 H pour former un Stabschwarm au sein du
Stab/JG 301, unité qui serait basée à Stendal : sont dési-
gnés les Oberfeldwebel Sepp Sattler et Josef Keil, de la 9.
Staffel, les Oberfeldwebel Willi Reschke et Unteroffizier
Christopher Blum, de la 10. Staffel. C’est l’occasion pour
Reschke de recevoir la Croix allemande en or des mains du
Geschwaderkommodore, l’Oberstleutnant Aufhammer,
mais cette décision est aussi motivée par le souhait du
Generalleutnant Dietrich Peltz, successeur d’Adolf Galland
au poste de General der Jagdflieger, d’inspecter les Stab
et II./JG 301. À cette occasion, Peltz s’offre même un
petit tour à bord de l’un des Focke-Wulf Ta 152 H dont
il découvre lui aussi le formidable potentiel.
Malgré l’ostensible bande de défense du Reich rouge  Photo de trois quarts Au cours de l’après-midi, Reschke grimpe à bord du sien,
et jaune entourant le fuselage des Focke-Wulf, l’im- arrière du Ta 152 H-1/R11 le « 13 noir » pour intercepter un Mosquito de reconnais-
WNr. 150167 capturé par
pensable se produit, comme le rapporte Willi Reschke : les troupes américaines sance aperçu au-dessus de Berlin. Guidé depuis le sol par
« Quelques secondes plus tard, nous ne pûmes à Erfurt-Nord le 15 avril des radars Freya et Würzburg, l’Expert fraîchement décoré
en croire nos yeux : le groupe de Bf 109 ouvrit le 1945 et vu précédemment croit alors bien ajouter une 25e ligne à son palmarès :
dans son hangar. Cet
feu sur nous et les premières traçantes nous enca- « Bien que le Mosquito fût un appareil extrêmement
appareil, sorti des chaînes
drèrent. L’Unteroffizier Blum fut le premier attaqué de Cottbus, a par la suite rapide à haute altitude, je pus le rattraper très vite, en
et son cri d’alarme nous fit brusquement comprendre intégré plusieurs équipements dépit du fait que j’étais en légère ascension. Dans mon
dans quelle situation nous nous trouvions. » « tout-temps » destinés à Ta 152, tout était prêt : j’avais le Mosquito au milieu
la série : radiocompas FuG
Les Ta 152 dégagent en un virage serré en chandelle, 125 Hermine (navigation et
du réticule lumineux de mon collimateur et mes doigts
distançant facilement les Messerschmitt. Dispersée aux atterrissage sans visibilité) étaient crispés sur la détente. J’informai le contrôle
quatre vents, la formation ne subit heureusement aucune et pilote automatique aérien, avec lequel j’étais en contact permanent, que
perte, mais, à sa grande déception, elle n’aura pas, cette LGW-Siemens K 23. j’étais sur le point d’engager le combat. Soudain, un
(US Nara)
fois non plus, l’occasion de rencontrer la chasse américaine. secousse ébranla le Ta 152 et ma vitesse chuta : le
Il valait mieux peut-être ainsi, car la sortie a viré à troisième étage du compresseur avait lâché, alors qu’il
l’hécatombe pour la Geschwader : ses trois autres fonctionnait jusqu’ici parfaitement bien depuis sa mise
groupes ont été interceptés par une nuée de P‑51 en marche à 7 000 mètres. Le Mosquito poursuivit par
avant même d’avoir atteint les bombardiers et 25 ont q Le Ta 152 H-1 WNr. conséquent sa route sain et sauf, son équipage bien loin
150168, « 9 » vert,
été abattus, pour 19 pilotes tués dont 8 (des équi- de se douter qu’il avait échappé de justesse à la mort. »
tombé entre les mains
pages de He 177 du III./KG 1 récemment reconvertis des Britanniques à Leck. Dans la foulée, ce sont finalement tous les Ta 152 du
et dont c’était la première mission de chasse !) au seul Immatriculé AM-11, il III./JG 301 qui sont affectés au Geschwaderstab soit six
IV. Gruppe qui est aussitôt dissous. Ce malencontreux sera présenté quelque appareils. Impossible de dire ce que sont devenus les six
temps au public revêtu de
incident a néanmoins le mérite de démontrer que le Ta pseudomarques allemandes.
restants sur les douze du départ, car Reschke, dans ses
152 peut se débarrasser de n’importe quel assaillant (Collection E. Larger) mémoires, ne fait dès lors plus mention d’autre chose

54
Trop peu,
trop tard !

Focke-Wulf Ta 152 H-1


Stab JG 301
Leck, Allemagne, mai 1945

que d’une demi-douzaine de Ta 152 au Stab/


JG 301. Ce qui est certain, c’est effective-
enfin la toute première victoire du Ta 152,
au terme d’une rencontre avec une quinzaine
RESCHKE JOUE
ment que le III. Gruppe passe alors, toujours de P-47 Thunderbolt : il en abat un au nord DE MALCHANCE (OU PAS)
à partir du 13 mars, dans sa totalité sur Fw de Brunswick.
190 A-9/R11 et ne semble plus disposer du Le 13 avril, la JG 301 « déménage » sur deux En fin de journée le 14 avril, apercevant deux
moindre Ta 152. aérodromes distants de quelques kilomètres Hawker Tempest qui attaquent la voie ferrée
Les personnels volants mutés sont l’Oberst- l’un de l’autre : celui d’Hagenow pour les I. Ludwigslust-Schwerin près du terrain, l’Oberst-
leutnant Fritz Aufhammer (Kommodore), et III. Gruppen, celui de Neustadt-Glewe pour leutnant Fritz Aufhammer décolle suivi par les
l’Hauptmann Hermann Stahl, les Oberfeldwebel le Stab et le II. Gruppe. Le second de ces ter- Oberfeldwebel Willi Reschke (à bord du « 1
Josef Keil, Walter Loos, Sepp Sattler et Willi rains est copieusement garni de pièces Flak blanc ») et Sepp Sattler, ce dernier s’écrasant
Reschke, et le Feldwebel Christoph Blum. de divers calibres pour parer à toute mauvaise au sol dès les premières secondes du combat.
Versés au Geschwaderstab, ils n’ont dès lors surprise de la part des Jabo. D’ailleurs, un jour, Willi Reschke raconte la suite de ce duel qui se
quasiment plus de contact avec le III. Gruppe, leurs artilleurs abattront un Spitfire menaçant fait à présent à deux contre deux :
leur mission consistant à protéger le II./JG 301 le Ta 152 du Feldwebel Christoph Blum au « Pour la première fois, il m’était donné de
lors de ses décollages et atterrissages à Stendal. moment où il se posait. savoir ce que le Ta152 avait vraiment dans
Il est vrai que les chasseurs-bombardiers alliés Désormais aux ordres de l’Oberleutnant Stahl, le ventre. Zigzaguant et virant sans cesse à
vadrouillent constamment en toute impunité les six Ta 152 H assurent toujours la même moins de cinquante mètres du sol, je réduisais
dans le ciel allemand et surgissent régulièrement mission de protection des Fw 190 D-9 du la distance qui me séparait du Tempest. À
par surprise au-dessus des aérodromes pour II. Gruppe lors de leurs décollages et atterris- aucun moment je n’ai senti que ma machine
y clouer au sol les escadrilles de la Luftwaffe sages. Leurs pilotes opèrent en deux Ketten, était à la limite de ses possibilités. Bien évidem-
qui ont le malheur d’y stationner. Les mono- qui s’envolent en premier sous la protection ment, le pilote du Tempest devait se lancer
moteurs seront, du reste, les adversaires des de la Flak en profitant de leur course au dans des manœuvres risquées pour éviter
Ta 152 jusqu’à la fin, imminente, de la guerre : décollage inférieure, et rétractent leur train mes coups. Alors que je m’approchais, j’ai
jamais le chasseur ne sera utilisé dans son sitôt les roues dans le vide, le relevage sans vu qu’il était sur le point de basculer de l’autre
rôle de Höhenjäger contre les quadrimoteurs. à-coup et perte d’altitude – contrairement côté, preuve qu’il ne pouvait pas tourner plus
Le 8 avril, Reschke et Blum partent en aux diverses versions de Fw 190 – leur auto- serré. Ma première rafale l’a touché dans le
Arado Ar 96 pour récupérer deux Ta 152 H risant à mettre tout de suite plein gaz et à fuselage arrière et l’empennage. Le pilote du
flambant neufs dont on a appris qu’ils se prendre de l’altitude très vite pour être parés Tempest a aussitôt réagi en déclenchant sur
trouvaient sur le tarmac de l’usine d’Erfurt : au combat. Cette tactique s’avérera très effi- sa droite, ce qui m’a donné un avantage sup-
« Les pleins des deux Ta 152 avaient été cace, en dépit du faible nombre de Ta 152 plémentaire. Il ne pouvait plus m’échapper.
faits et ils avaient bien leur armement, mais alignés, puisqu’un seul « Dora » sera abattu J’ai pressé la détente, mais mes canons sont
nous devrions décoller sans munitions. alors que les Ketten évoluent en protection. restés silencieux. »
Quand nous avons commencé à rouler, les
q Le Ta 152 H-0 WNr. 150010 est capturé en mai 1945 par les Britanniques à Tirstrup
sirènes ont retenti, signalant l’approche de (Danemark). Il portait un « 6 » et un « 2 » noirs, preuves de ses passages successif à la JG 301 et à la JG 11.
chasseurs-bombardiers appuyant l’avance Souvent donné, par erreur, comme étant immatriculé 150003, il sera cédé aux États-Unis et finira au
des avant-gardes américaines. Nous pilo- National Air and Space Museum de Washington. Il est vu ici à sa réception par les Américains. (NASM)
tions des avions très rapides, quoique, sans
munitions, nous étions incapables de nous
défendre si les choses tournaient mal. Mais
tout se passa bien et nous avons atterri
sains et saufs à Stendal. Le Geschwaderstab
comptait deux Ta 152 H-1 neufs de plus. »
À deux jours près, ces appareils seraient
tombés aux mains des Américains, car
ceux-ci s’emparent de l’usine Focke-Wulf
d’Erfurt le 10 avril. En vérité, le sous-type de
ces deux Ta 152 H reste inconnu, puisque
les Werknummern n’ont pas été retrouvés.
La dotation de la Stabsschwarm remonte à
cet instant à huit machines.
Ce même 10 avril, alors qu’il escorte des
Fw 190 A de la JG 301, armés de bombes,
partis harceler les colonnes motorisées amé-
ricaines du côté de Cassel, l’Oberfelwebel
Josef Keil, à bord du « 3 vert », revendique

55
Décidément, depuis qu’il est sur Ta 152, Reschke n’est
pas en vaine au moment d’« achever » ses victimes, mais
la chance finit par lui sourire une fraction de seconde
plus tard. Ignorant que les canons du Focke-Wulf sont
muets, incapable de se débarrasser de son poursuivant,
le pilote du Tempest pense son heure venue. Il se lance
alors dans une série de manœuvres désespérées mais
un virage trop brusque sur la gauche finit par lui faire
percuter les arbres. De son côté, Aufhammer prend lui
aussi facilement le dessus sur « son » Tempest, sauf
que celui-ci parvient miraculeusement à lui échapper.
Une fois de retour au terrain, les deux Allemands
grimpent à bord d’une Kübelwagen et se dirigent
vers les lieux des crashs, distants seulement de 500
mètres l’un de l’autre, non loin de l’aérodrome. Le
Tempest Mk. V SN141 du No 486 (RCAF) Squadron
est découvert, hormis les impacts visibles des obus
de Reschke et la tôle déformée par sa chute, en rela-
tivement bon état : il n’a pas heurté d’arbre de plein
fouet et les innombrables branchages traversés ont
amorti son crash comme s’il avait simplement fait
un atterrissage forcé ; mais, sanglé sur son siège, le
pilote néo-zélandais, le Warrant Officer O.J. Mitchell,
est mort. Les Britanniques attribueront sa perte à un
Bf 109 E (!), mais Willi Reschke en reçoit le crédit. Bien
que Reschke et Aufhammer certifient que son avion
s’est abattu avant le combat, défendant l’hypothèse
d’un accident, Sattler semble pour sa part avoir été
descendu et tué par l’autre « Spit », aux mains du
Warrant Officer W.J. Shaw du « 486 » ; une victoire
qui lui sera refusée par le haut commandement de la
2nd Tactical Air Force, faute, et pour cause, de témoin
pour la confirmer.
Le 20 avril, jour anniversaire d’Hitler traditionnelle-
ment propice à la remise de récompenses, Walter
Loos, qui terminera le conflit avec 28 victoires en
66 missions, et Willi Reschke sont décorés de la
Ritterkreuz pour leur action dans la défense du Reich.

LA BATAILLE DE BERLIN
Le 21 avril, alors que l’Armée rouge s’est lancée
au-delà de l’Oder à la conquête de Berlin, le II./
JG 301 est jeté avec l’énergie du désespoir dans
la bataille pour la capitale du Reich. Cinq Ta 152
servent d’escorte à ses Fw 190 D-9 armés d’une
bombe. Ces derniers larguent leurs projectiles sur des
positions de la DCA soviétique sur la rive Ouest du
fleuve et repartent d’où ils sont venus. Au-dessus de
Berlin dévastée, les Ta 152 sont interceptés par des p Deux très belles vues « Les Soviétiques sont arrivés par nos quatre heures et ont
couleur du Focke-Wulf Ta 152
Yak-9 ; à l’issue du combat qui suit, l’Oberfeldwebel H-0 WNr. 150010 cédé par les
attaqué tout de suite l’avion de Stahl qui se trouvait sur
« Jupp » Keil en revendique deux. L’engagement a Britanniques au National Air ma droite. J’ai averti Stahl de la présence des chasseurs
cependant été trop bref pour que toute conclusion and Space Museum (NASM) ennemis, mais sa réaction m’a pris par surprise, car, au
relative à la supériorité du Ta 152 sur le Yakovlev après la guerre. Le « 4 vert » lieu d’amorcer une manœuvre défensive, il a simplement
semble avoir été rajouté après
puisse être tirée. coup en même temps que les
basculé le nez de son avion et s’est mis en piqué. Par radio,
Le matin du 24, c’est la totalité de la JG 301 qui se pseudomarques allemandes. je lui ai dit de grimper vers les nuages, car les premières
rend dans le secteur de Berlin pour bombarder des Le FE du code FE-112 sur traçantes rouges encadraient déjà son Ta 152, mais il n’a
cibles de l’Armée rouge à Zossen. la dérive signifie Foreign pas réagi et a maintenu son piqué.
Equipment (matériel étranger).
Assurant comme à leur habitude la protection au (US Nara) Je me trouvais en position de tir derrière un Yak-9 quand
décollage du II. Gruppe puis l’escorte jusqu’à l’ob- des traçantes m’ont frôlé. Je m’étais tellement concentré
jectif, cinq Ta 152 sont de la partie, volant en une sur la situation critique de Stahl que je ne m’étais pas
section de deux (Hauptmann Hermann Stahl et rendu compte que la mienne n’était guère meilleure. J’ai
Willi Reschke, ce dernier aux commandes du « 9 immédiatement exécuté un virage serré sur ma gauche
vert », le Ta 152H-1 WNr. 150168) et une de trois et j’ai réussi à me débarrasser du Yak-9. Ce ne fut qu’à
avions (Oberfeldwebel Walter Loos et Josef Keil et ce moment que je compris qu’il y en avait tout une for-
Feldwebel Christoph Blum). Au retour, les deux sec- mation. Comme j’avais perdu de l’altitude à suivre Stahl,
tions se séparent pour une mission de reconnaissance j’ai commencé à virer en même temps que les Russes.
aux alentours de la capitale, l’une contournant la ville N’ayant jamais rencontré de chasseurs russes auparavant,
par le nord et l’autre par le sud. Tout à coup des j’ignorais tout de leurs tactiques, mais j’ai pensé qu’en cas
Yak-9 surgissent aux environs d’Erkner : d’ennui sérieux je pouvais toujours grimper dans les nuages.

56
Trop peu,
trop tard !

u Le Ta 152 H-0 WNr.


150010 parqué sur le tarmac
du NASM à Washington.
Une nouvelle fois, difficile
de nier l'élégance et la
puissance de ce chasseur
à hélice considéré comme
le meilleur de la guerre.
(US Nara)

q Le fameux Ta 152 H-0 WNr.


150010 capturé à Tirstrup par
les Britanniques, qui l'ont cédé
par la suite aux Américains.
Les marquages de la RAF
sont encore visibles malgré
la « pose » de nouvelles
cocardes allemandes.
(US Nara)

Les Russes ont maintenu leur formation serrée, ce qui m’a empêché l’ordre de laisser ses avions à Neustadt-Glewe au profit de la JG 11
de virer aussi sec que je l’aurais aimé. Mais je me suis rapidement qui vient juste de s’y poser : le Stab de cette Jagdgeschwader met
retrouvé derrière eux, nouvelle preuve de la maniabilité exceptionnelle ainsi la main sur les Ta 152 H restants (probablement quatre), sauf
du Ta 152. Ce ne fut qu’après que j’ai descendu le numéro quatre que leurs nouveaux propriétaires n’ont pas bénéficié de la formation
que la formation russe s’est disloquée. Un seul Russe a continué le de leurs prédécesseurs. Les conséquences sont funestes. Deux de
combat, probablement le chef de patrouille, mais son Yak-9 était ces Focke-Wulf sont abattus par des Spitfire lors du transfert de la
désespérément inférieur à mon Ta 152. En fin de compte, il a piqué JG 11 à Leck (Schleswig-Holstein) et un autre effectue un atterrissage
en laissant échapper de la fumée. Le combat avait eu lieu au nord forcé, ne laissant qu’un seul appareil en état de vol, probablement
d’Erkner dans la direction de Neuenhagen. » le WNr. 150010 du Leutnant Mehling. Quant aux personnels de la
La priorité de Reschke est de savoir ce qu’est devenu son supérieur JG 301, ils attendront sagement dans le petit village de Sande, près
mais ses appels radios restent sans réponse : l’Hauptmann Hermann de Leck, l’arrivée des troupes britanniques quelques jours après la
Stahl est porté disparu. De son côté, Walter Loos revendique lui aussi cessation des hostilités.
deux Yak-9, ce qui porte à quatre les victoires de la journée. Sans Ainsi prend fin la courte guerre du Focke-Wulf Ta 152… 
vouloir jeter le discrédit sur les deux pilotes allemands, il semble
néanmoins que leurs revendications soient très optimistes, d’au-
tant que le carnet de vol de Willi Reschke mentionne 20 minutes BIBLIOGRAPHIE
comme durée de la mission (ses 26e et 27e victoires étant mention-
nées à 8h45 et 8h48 pour ajouter à la confusion). « J’ai atterri à  . Reschke, Jagdgeschwader 301/302 « Wilde Sau », Schiffer
W
Neustadt-Glewe à 09h15, ajoutera l’as dans ses mémoires. Ce fut Publishing, 2005.
mon dernier combat et ma dernière mission de la guerre. » Un dernier
R
 .Steiner, « Ta 152 H, la dernière merveille de Kurt Tank »,
combat aussi marqué par la première perte au feu d’un Ta 152...
Aérojournal n°1, décembre 2007-janvier 2008.
La JG 301 effectue sa dernière mission le 30 avril. Elle reçoit alors

57
PROJETS

1940
1953

{ Un commandant de régiment d’Il-10 donne ses instructions


à ses personnels. On peut noter l’agencement très exigu
des deux postes d’équipage et la tourelle de défense en
retraite armée ici d’un canon BT-20E. (Coll. Gorokhoff)

LES AUTRES

CHTOURMOVIKS
LES CONCURRENTS ET SUCCESSEURS AU IL-2 (2E PARTIE)
Plans : Herbert Léonard. Profils couleurs : J.M. Guillou par Herbert Léonard

D
ans le numéro précédent, Herbert Léonard a levé le voile sur un pan finalement assez peu connu
de l’histoire de l’Iliouchine Il-2, à savoir la concurrence à laquelle le mythique appareil soviétique
a été confronté, notamment de la part de Soukhoï. Il est maintenant temps de se pencher sur les
évolutions étudiées par l’avionneur lui-même à la lueur de l’expérience des premiers mois de confrontations
avec l’ennemi.
LE NOUVEAU CHTOURMOVIK
Pendant la bataille de Stalingrad, après avoir sur base d’Il-2 Type 3, dont toute la partie arrière du fuselage en bois et contreplaqué.
largué leurs bombes, les Il-2 s’en prennent avant du fuselage, incorporant le « caisson Testé à partir du 19 mai 1944 par Vladimir
fréquemment aux avions allemands plus lents blindé », est affinée grâce au remplacement K. Kokkinaki, le prototype Il-1 satisfait par
qu’eux. De même, ils détruisent des dizaines du conduit en « S » de refroidissement des son comportement en vol, l’aisance de son
de trimoteurs de transport Ju 52 dans la poche radiateurs, typique de l’Il-2, par deux ouïes aux pilotage et la facilité à accomplir les figures
de Demiansk, mais aussi des bombardiers emplantures de la voilure. Les configurations de voltige. Mais le Messerschmitt Bf 109 G-2
He 111, Ju 87 et Fw 200. Conscient de ce des empennages (dérive à bec débordant) et le surclasse et le GKO finit par renoncer au
potentiel inattendu, le GKO (commissariat du de la voilure sont revues avec réduction des « chasseur blindé », d’autant que les modèles
peuple à la Défense) commande une variante dimensions et le train d’atterrissage s’esca- de Yakovlev et Lavotchkine font l’affaire.
de chasse blindée à Iliouchine qui, peu enthou- mote « à la Soukhoï », vers l’arrière et à plat ! Iliouchine n’a toutefois pas perdu son temps
siaste, crée pourtant le prototype monoplace L’armement ne comprend que les deux canons car, dans l’optique de parfaire les caractéris-
Il-2I (ou Il-2IB), testé sans convaincre en juillet VYa-23 dans la voilure, mais deux bombes tiques de l’Il-2, les procédés technologiques
1943. Puis, l’avionneur conçoit le prototype de sont transportables en externe. L’appareil élaborés pour l’Il-1 sont appliqués aux pro-
« chasseur lourd blindé » Il-1 à moteur AM-42, est métallique à l’exception du tronçon grammes parallèles Il-8 et Il-10.

58
Les autres
Chtourmoviks

une mitrailleuse mobile UBT au poste arrière.


Dans ses quatre soutes d’aile, l’Il-8.1 peut
transporter autant de bombes de 100 kg, ou
des caissettes de bombes de petits calibres
à « effet cumulé » PTAB-2,5-1,5, plus deux
de 100 kg en externe. La masse maximale
transportable est d’une tonne : deux bombes
de 500 kg (ou de 250 kg) en externe, mais
avec les soutes vides.
Le second prototype, référencé Il-8.2 (ou
n° 2), bénéficie des technologies développées
pour le prototype de chasse lourd blindé Il-1
(ou Il-AM-42) et préfigure l’Il-10. C’est un Il-2
dont le compartiment du moteur AM-42 a été
affiné à l’image de celui de l’Il-1 et dont le train
d’atterrissage se relève et s’escamote « à la
Soukhoï » dans la voilure entièrement métal-
LES PROTOTYPES ILIOUCHINE IL-8 (1943-1945) lique. Les dimensions du « caisson blindé »
ont été revues « au plus juste » pour pouvoir
La conférence extraordinaire du BNT de février ses radiateurs d’eau et d’huile se côtoyant dans y inclure le mitrailleur de défense arrière et
1942 n’a pas seulement réclamé le retour au son conduit de refroidissement en « S » élargi l’armement fixe comprend deux canons NS-23
Chtourmovik biplace, elle le veut aussi sans et l’élimination du tunnel ventral remplacé par et deux mitrailleuses ChKAS, plus un canon
les défauts récurrents de l’Il-2, capable d’une une trappe réglable ; son « caisson blindé » mobile UB-20 de 20 mm au poste arrière. Un
plus grande pénétration sur les arrières de l’en- intégrant (enfin) totalement le mitrailleur grâce lance-grenade DAG-10 « de dissuasion » est
nemi en transportant des charges offensives au rallongement de 90 cm de l’arrière du fuse- situé dans la partie postérieure du fuselage.
plus importantes et équipé du puissant moteur lage en bois ; ses empennages métalliques à Les charges offensives sont les mêmes que
Mikouline AM-42. En réponse, l’OKB Iliouchine l’image de ceux de l’Il-2, mais en plus grands ; pour le premier prototype.
produit deux prototypes très différents. son aile au bord d’attaque en flèche de 5° (15° L’Il-8.1 est testé par Kokkinaki à partir du 10
Le premier, d’abord référencé Il-AM-42, puis aux Il-2 biplaces), avec profil revu, de corde mai 1943. S’il apprécie son comportement
Il-8.1 (ou n° 1), est un Il-2 en plus gros, plus moins profonde, mais de même envergure global et son maniement aisé, le pilote d’essai
long, plus lourd et « plus haut sur pattes ». Il (14,6 m) ; son atterrisseur surdimensionné, regrette le manque de fiabilité du moteur et de
en diffère par : son moteur AM-42 de 2 000 ch mais de conception identique à celui de l’Il- l’hélice, et ce n’est qu’après le changement
(1 492 kW) au décollage et 1 750 ch (1 305 2. L’armement fixe comprend deux canons de quatre AM-42 que l’appareil effectue ses
kW) nominaux, un 12 cylindres en « V » refroidi VYa-23 (remplaçables par des NS-37) et deux essais d’État en février 1944 et vole à 470
par liquide encore en cours de développement ; mitrailleuses ChKAS installés dans l’aile, plus km/h à 2 250 m et à la masse de 7 250 kg.
{ Le prototype de chasseur
blindé et « tueur de
bombardiers » Iliouchine
Il-1, dont 67% des éléments
proviennent du Chtourmovik
Il-2. Son aile et ses
empennages sont plus
petits, le train d’atterrissage
fonctionne « à la Soukhoï » et
le poste de pilotage est blindé,
tout comme sa verrière. Tout
l’avant du fuselage a été affiné
en relocalisant les radiateurs
dans la section centrale
de la voilure. L'Il-1 vole à
580 km/h : pas assez vite pour
pouvoir rivaliser avec le très
redouté chasseur allemand
Messerschmitt Bf 109 G-2. Il
sert néanmoins de base aux
programmes Il-8 et Il-10. (DR)

u & { Deux vues du


prototype Il-8.1 (ou n° 1)
pendant ses essais en 1943
et 1944. La filiation avec le
Chtourmovik Il-2 Type 3 est
évidente, mais il est plus
« haut sur pattes », plus long
et le couple du fuselage est
plus important pour accueillir
le gros moteur AM-42 pesant
980 kg. Les radiateurs sont
logés dans le conduit en « S »
et l’échangeur de température
ventral typique des Il-2 a été
remplacé par une trappe.
(Marmain et Gorokhoff)

59
Les lance-grenades DAG-5 et DAG-10
Le lance-grenade DAG-10 contient dix projectiles à fragmentation
type AG-2 de 1,8 kg. Installé perpendiculairement dans la partie
postérieure d’un avion, il est constitué d’un carter sphérique rempli
Schéma d'origine d'une d’explosif, qu’un corps cylindrique surplombe, contenant un para-
grenade AG-2 en coupe chute de freinage. La partie inférieure du lance-grenade est munie
et avec son parachute. d’un clapet s’ouvrant sur commande pour laisser s’échapper un
nombre choisi d’AG-2. Au moment de la séparation, le couvercle du
corps contenant le parachute s’arrache, activant la fusée-détonateur
programmée pour faire exploser le projectile trois à quatre secondes
plus tard, à quelque 100 m et 20 à 25 m plus bas, dans le sillage
de l’avion. L’explosion disperse approximativement 130 éclats de
3 à 80 grammes dans un rayon de 100 m. Deux modèles sont
fabriqués en série : DAG-5 et DAG-10 contenant respectivement
cinq et dix AG-2. Montée (entre autres) sur les Chtourmovik Il-2
biplaces, cette arme « dissuasive » va souvent briser les attaques
des prédateurs ennemis, voire les endommager.

à 509 km/h à 2 800 m à la masse de 7 610 kg et peut en principe


parcourir 1 140 km. Mais, malgré ces appréciations « idylliques », le
programme Il-8 s’achève après les essais du n° 2 (une version avec
moteur AM-43 de 2 150 ch/1 603 kW, projetée en 1944, reste sans
suites). Les militaires ont en effet opté pour la production en série de
l’Il-10, successeur de l’Il-2, doté des mêmes apparats technologiques
que l’Il-1 et l’Il-8 n° 2.

LES CHTOURMOVIK ILIOUCHINE IL-10


ET IL-10M (1944 ET 1951)
L’Il-8.2, testé à partir du 27 mai 1945, est autrement plus convaincant. En automne 1943, les « milieux autorisés » des VVS estiment que
Kokkinaki aime l’aisance de sa mise en œuvre, son hélice à quatre les unités au front ont moins besoin d’un chasseur lourd que d’un
pales, les décollages et atterrissages aisés, sa stabilité sur tous les axes, « nouvel Il-2 amélioré », plus maniable, plus stable, plus rapide et
ses sorties de piqué faciles, l’absence d’embardées et la visibilité vers plus performant. Le TsAGI (Institut central d’aéro-hydrodynamique)
l’avant et le bas. Même l’armement lui semble adéquat. Le n° 2 vole et l’OKB Iliouchine collaborent étroitement en se basant sur l’Il-1 et

u & { Le prototype Il-


8.2 (ou n° 2), second
exemplaire du programme
de « Chtourmovik lourd »
d’Iliouchine. Il est équipé
d’une hélice à quatre
pales, d’un atterrisseur
s’escamotant « à la
Soukhoï » et tout l’avant
de son fuselage a été
affiné selon les mêmes
technologies que celles
développées pour le
chasseur lourd Il-1. (DR)

60
Les autres
Chtourmoviks

Prototype I-AM-42 n°1


ou Il-8.1, premier prototype

Prototype I-AM-42 n°2


ou Il-8.2, second prototype

Prototypes Iliouchine Il-8 Si l’armement fixe ne change pas (deux


canons VYa-23 et deux ChKAS, viseur PBP-
1B), les deux petites soutes de part et d’autre
Il-8.1 Il-8.2 du fuselage peuvent contenir chacune 84
Moteur Mikouline AM-42 de 2 000 ch au décollage petites projectiles PTAB ou une bombe de
Envergure 14,60 m 14,60 m 100 kg. Deux autres bombes de 100 ou de
Longueur 12,932 m 12,932 m 250 kg sont transportables en externe, plus
Surface alaire 39 m2 39 m2 quatre roquettes RS-132 (peu employées, sou-
Masse à vide 5 245 kg 5 110 kg vent remplacées par des petits projectiles).
Le mitrailleur de défense manie une UBT
Masse au décollage 7 250 kg 7 610 kg
sur affût-tourelle VUB-8. Un lance-grenade
Masse en surcharge 7 650 kg 7 830 kg
DAG-10 est présent juste après son habitacle,
Masse carburant 740 kg 740 kg une cinémitrailleuse S-13 l’est à l’emplanture
Masse huile 85 kg 85 kg d’aile droite et une caméra AFA-1M peut être
Vitesse maximale 435 km/h à 0 m 461 km/h à 0 m installée en queue du fuselage.
472 km/h à 2 500 m 509 km/h à 2 800 m En février 1944, V.N. Bougaïsky, directeur
Vitesse de croisière 300 km/h 290 km/h de l’usine n° 18 à Kouïbychev, rend compte
Vitesse à l’atterrissage 132 km/h 138 km/h à Iliouchine de l’envoi imminent du premier
Montée à 1 000 m en 1,97 minutes 2,6 minutes prototype (sur trois) à Moscou. Ce n’est
Montée à 3 000 m en 6,2 minutes - qu’après le montage de son moteur AM-42
Plafond pratique 6 800 m 6 900 m
(hélice tripale métallique AV-5I-24 de 3,6 m
de diamètre) et sa finition complète (équi-
Distance franchissable 1 180 km 1 140 km
pements) que le concept est officiellement
désigné Il-10. Ses essais, d’usine à partir du
conçoivent un « caisson blindé » incorporant toutes les innovations technologiques créées 18 avril 1944 avec Kokkinaki et Dolgov, puis
tout le groupe motopropulseur et les deux pour le chasseur Il-1 : avant du fuselage affiné, au NII VVS à compter du 13 mai, engendrent
postes d’équipage. Compte tenu des rap- surface de la voilure réduite de 22%, empen- des rapports dithyrambiques : traînée aéro-
ports venus du front, qui actent les attaques nages de même facture, gouverne de direction dynamique réduite de 50% par rapport à
des chasseurs ennemis par l’arrière et les tirs à bec débordant, atterrisseur s’escamotant à celle d’un Il-2 Type 3, caractéristiques de vol
venant du sol par le dessous, la répartition du plat vers l’arrière (roulette de queue semi-es- « exceptionnelles », vitesse de pointe de 551
blindage est revue : épaississement des tôles camotable), moteur AM-42 avec radiateurs km/h à 2 300 m et charges utiles élevées sont
inférieures et latérales et amincissement des d’eau et d’huile installés côte à côte dans la dûment notées !
tôles supérieures. Celles embouties de capot partie basse du fuselage, juste après le moteur, En autorisant la production en série de l’Il-
sont en dural de 0,6 à 1,5 mm d’épaisseur et refroidis grâce aux deux ouïes pratiquées aux 10 à partir d’août 1944, le GKO exige la
toutes les cloisons protégeant le pilote et le emplantures de la voilure et carburant contenu livraison de 100 exemplaires pour la fin
mitrailleur, assis dos à dos, sont constituées dans deux réservoirs devant (440 litres) et sous de l’année. Les premiers exemplaires sont
de deux plaques en « sandwich » de 8 mm. (290 litres) le poste de pilotage. Les verrières affectés au 108e régiment d’assaut de la
Désigné initialement « Il-1 biplace », le concept des deux habitacles très exigus basculent vers Garde « Rava-Roussky » de la 2e armée
est entièrement métallique et bénéficie de la droite et sont éjectables en vol. aérienne pour les essais opérationnels.

61
t Un Il-10 de série dont on
peut apprécier l’importance
des ouïes de refroidissement
du groupe motopropulseur
aux emplantures de la
voilure. Celle de gauche est
cloisonnée car elle refroidit à
la fois le radiateur d’huile et
celui de l’eau, tandis que la
droite ne refroidit que l’eau.
On aperçoit deux lance-
bombes pour des projectiles
de fort calibre, entre les
jambes de l’atterrisseur qui
s’escamote « à la Soukhoï »,
les tubes des canons VYa-23
et des mitrailleuses ChKAS
au bord d’attaque des plans
de la voilure. (Marmain)

Engagé dans la région de Sprottau (actuelle


Szprotawa, en Pologne) en février 1945, l’ap-
pareil démontre la fiabilité du modèle, l’aisance
de sa maintenance, l’efficacité du blindage,
ses capacités opérationnelles contre les chars
et l’infanterie motorisée et en escorte des for-
mations aériennes amies [1]. La production
d’Iliouchine Il-10 est si rapide que, dès le prin-
temps, la conversion des régiments d’assaut
s’effectue au rythme de 20 appareils par jour.
Et à l’Est du pays, les 9e, 10e et 12e armées
aériennes en sont rapidement équipées dans
l’optique de l’offensive contre les Japonais en
Mandchourie et en Corée.
Les régiments d’assaut maintenu en service
après la fin de la Seconde Guerre mondiale sont
rééquipés d’Il-10 armés de canons NS-23 de 23 La production en série de l’Il-10 s’achève en besoins et pour l’exportation. Le prototype,
mm plus légers (40% de recul en moins) et le 1947 (4 540 sortis des chaînes). Un certain désigné B-33 et construit par la firme nationale
mitrailleur manie un canon BT-20E de 20 mm nombre d’exemplaires et les outillages néces- Avia, effectue son envol le 8 janvier 1952. Il est
(tourelle VU-9M et BTN-20E pour les derniers saires sont transférés en Tchécoslovaquie, car, suivi de 1 200 autres exemplaires de série, dont
lots). Un radiocompas est rajouté à l’équipe- aux termes des accords de Cakovice (Prague), quelques lots limités de CB-33, l’équivalant de
ment, dont l’antenne circulaire est implantée ce pays obtient la possibilité de poursuivre la formation et d’entrainement de l’Il-10U.
à la base de la dérive. production de l’Iliouchine pour ses propres À l’été 1951, Kokkinaki décolle le prototype

Iliouchine Il-8.1
Prototype

Iliouchine Il-10
108e régiment d'assaut de la Garde
Kolo, Pologne, 1945

62
Les autres
Chtourmoviks

u Gros plan sur les deux


postes très étroits de
l’équipage de cet Il-10. Le
pilote et le mitrailleur ne
sont séparés que par deux
plaques en « sandwich » de
8 mm d’épaisseur. On peut
noter la bande d’obus du
canon BT-20E qui arme la
tourelle du mitrailleur. Celui-
ci est en train de refermer
sa verrière alors que le
pilote, hilare, n’a pas encore
relevé le panneau latéral
gauche de la sienne. Le mât
d’antenne fixé sur l’arceau
du pare-brise indique qu’il
s’agit d’un Il-10 de série
ou, peut-être, d’un des tous
premiers Il-10M. (DR)

x Un Il-10 de série dont on


peut apprécier la finesse
de son dessin. L’antenne
ronde sur le dos du fuselage,
juste avant la dérive, indique
que l’appareil est équipé
d’un radiocompas. (DR)

du nouveau « chtourmovik rapide » Il-10M entièrement métallique. de profondeur sont surélevés de 75 mm pour échapper aux remous
C’est un Il-10 ayant subi un grand chantier de modifications et aérodynamiques causés par la voilure et améliorer les caractéristiques
d’améliorations qui, pendant ses essais, révèlent des caractéristiques de décollage et d’atterrissage. Et puis, le fuselage est rallongé de 75 cm
de vol, une stabilité et des capacités manœuvrières encore meil- pour mieux gérer la stabilité et l’ergonomie du « caisson blindé », l’af-
leures. L’OKB Iliouchine s’est penché sur son berceau avant la fin fût-tourelle est électrifié et (pour certains) doté d’une visière blindée.
de la production en série de l’Il-10 pour le « moderniser », relever Enfin, les ouïes aux emplantures de la voilure sont agrandies et plus
ses performances, ses qualités de vol et sa distance franchissable. anguleuses, et la capacité en carburant est augmentée. Un système
Mais sa masse de plus de sept tonnes fait tout de même chuter « tous temps » de transmissions est présent dont l’antenne oblique
la vitesse à 516 km/h à 2 650 m (551 km/h à 2 300 m à l’Il-10). est située sur le dos du fuselage (sur l’arceau du pare-brise pour les
D’abord, la voilure est simplifiée : profil « Clark YH », plans avec dièdre Il-10 et les premiers Il-10M).
constant, bords d’attaque en flèche de 15°, saumons rectilignes, Avec l’accroissement inévitable de la masse, l’OKB Iliouchine été
envergure portée à 14 m, surface augmentée de près de 3 m2, volets obligé de renforcer le train d’atterrissage et d’en augmenter la voie de
d’intrados en quatre éléments (cinq à l’Il-10). Ensuite, la surface des 10%, de l’équiper de pneus plus grands, de revoir les carénages et les
gouvernes d’empennages est accrue (structures renforcée) et les plans flasques de roues et de reculer la roulette de queue semi-escamotable.
L’armement fixe est le même que celui
des derniers lots d’Il-10 : quatre canons
Iliouchine Il-10 & Il-10 M NR-23 dans la voilure et si les charges
offensives sont les mêmes, elles peuvent
être remplacées par des bidons externes
Il-10 Il-10 M de carburant pour 300 litres de contenance
Moteur Mikouline AM-42 de 2 000 ch au décollage totale. Jusqu’en 1954, 146 Il-10M sont
Envergure 13,40 m 14 m produits. Les exemplaires de série sont
Longueur 11,12 m 11,87 m équipés d’une longue quille sous l’arrière du
Hauteur 4,18 m - fuselage. Engagés dans la guerre de Corée,
Surface alaire 30 m2 33 m2 les Il-10 et Il-10M, baptisés « Beast » par
Masse à vide 4 650 kg (4680 kg)* 5 353 kg l’OTAN, s’avèrent très vulnérables face
Masse au décollage 6 300 kg (6335 kg)* 7 320 kg aux avions à réaction. Leur éviction est
Masse en surcharge 6 525 kg (6535 kg)* 540 kg
actée dès 1956 (ils sont remplacés par
des mono-réacteurs MiG-15).
Masse carburant 535 kg 65 kg
Masse huile 65 kg 461 km/h à 0 m
[1] La maniabilité de l’Il-10 de série, bien
Vitesse maximale 507 km/h (490 km/h) au niveau de la mer 476 km/h au niveau de la mer
supérieure à celle d’un Il-2 Type 3, en font
551 km/h (530 km/h) à 2 800 m (2400 m)* 516 km/h à 2650 m quasiment un chasseur. Car, au cours de
Vitesse de croisière 310 km/h (325 km/h)* 283 km/h simulacres de combat avec un chasseur
Lavotchkine La-5FN piloté par l’as à la
Vitesse à l’atterrissage 148 km/h (150 km/h* 138 km/h
quarantaine de victoire, le capitane V.I.
Montée à 1 000 m en 1,6 minute en 2,2 minutes Popov (Héros de l’Union soviétique), l’Il-10 du
Montée à 3 000 m en 5 minutes (6 minutes)* en 6,4 minutes capitaine A. Sirotkine a si bien manœuvré que
Popov a eu beaucoup de mal à se mettre dans
Montée à 5 000 m en 9,7 minutes en 12,7 minutes sa queue et a dû reconnaître que le nouveau
Plafond pratique 7 480 m (7 200 m)* 7 000 m Chtourmovik d’Iliouchine était un excellent et
digne adversaire du La-5FN. Mais ce simulacre
Distance franchissable 800 km 805 km
a aussi démontré qu’à aucun moment, ni
le pilote ni le mitrailleur de l’Il-10 n’avaient
* Les chiffres entre parenthèses concernent la version construite en Tchécoslovaquie sous la désignation B-33. pu aligner Popov dans leurs collimateurs.

63
Iliouchine Il-10
de série (1945)

64
Les autres
Chtourmoviks

Iliouchine Il-10M
de série (1953)

65
L'Iliouchine UIl-10 LE PROTOTYPE
ILIOUCHINE IL-16 (1945)
Avant d’y mettre un terme, l’OKB Iliouchine
Un biplace de formation et d’entrainement
CB-33 (Il-10U) polonais. L’élève est assis
effectue une ultime tentative d’amélioration du
au poste avant avec l’instructeur derrière concept du Chtourmovik monomoteur. Il associe
lui. L’armement fixe de celui-ci ne comprend un fuselage d’Il-10 raccourci de près d’un mètre
que deux canons NR-23 de 23 mm (DR). au puissant moteur Mikouline AM-43NV à injec-
tion directe encore « parfaitement expérimental »,
développant 2 300 ch (1 515 kW) au décollage
(hélice à quatre pales très larges AV-9I-70 de
3,4 m de diamètre). La surface de l’aile est réduite
de 6 m2 et les tôles de blindage sont amincies. Le
gain de masse d’environ 800 kg doit permettre de
surclasser tous les programmes de Chtourmoviks
similaires en termes de caractéristiques de vol et
de vitesse.
En février 1945, l’OKB Iliouchine est chargé de concevoir une version biplace de Armé comme les derniers lots d’Il-10, charges
formation et d’entraînement de l’Il-10. Désigné UIl-10 (Il-10U ou Il-10UT – Utchebno- offensives comprises, le prototype, désigné Il-16,
trenirovochnyi), le modèle conserve les mêmes proportions que l’Il-10. Le poste du est achevé de construction début 1945 et vole aux
mitrailleur est rallongé et entièrement vitré pour que l’instructeur y prenne place, face mains de Kokkinaki pour ses essais d’usine. S’il
vers l’avant, et dispose d’un second jeu de commandes (la plaque de blindage séparant se comporte bien en vol et s’il accomplit toutes
les deux hommes est supprimée). C’est l’exemplaire UIl-10 n/s 106085 construit par les figures acrobatiques, sa stabilité en lacet n’est
l’usine n° 1 qui est testé au NII VVS du 20 mai au mois juin 1945 avec des résultats pas bonne (queue trop courte) et le groupe moto-
appréciables. La production en série suit par les usines n° 1 et n° 18 à Kouïbychev. propulseur pose d’énormes problèmes, de sorte
Mais déjà, le manque chronique d’avions de cette sorte pour l’entraînement à l’assaut que la vitesse maximale enregistrée n’est que de
a engendré des conversions d’Il-10 par les dépôts de maintenance. Et si l’armement 576 km/h à 2 700 m au lieu des 625 km/h espérés.
standard ne comprend plus que les deux mitrailleuses ChKAS d’aile, le lance-grenades Un chantier de modifications rallonge l’arrière du
DAG-10 et deux rails pour des roquettes RS-132 (pas de charges offensives), certains fuselage de 50 cm et agrandit l’empennage verti-
exemplaires conservent l’armement complet des Il-10, quand d’autres n’ont que deux cal. Et si cela suffit à améliorer la stabilité, rien ne
canons NS-23 et deux lance-roquettes. La production totale d’UIl-10 par les deux usines semble pouvoir fiabiliser le moteur (il ne sera pas
atteint 280 exemplaires, dont 269 par la n° 1 et onze par la n° 18. homologué), de sorte que le programme Il-16 est
enterré à l’été 1946.
t Un Il-10M fraîchement sorti
d’usine. Il se différencie surtout
de l’Il-10 par sa nouvelle voilure
aux saumons rectilignes et ses
quatre canons NR-23. L’emport
de lance-roquettes est limité
à quatre. Son antenne fixée
sur l’arceau du pare-brise et
l’absence de quille sous l’arrière
du fuselage indiquent qu’il
s’agit d’un des tous premiers
Il-10 construits. (Marmain)

q Un Il-10M parfaitement
conservé et exposé au public
en Union soviétique. C’est un
exemplaire de série, comme en
témoignent son mât d’antenne
oblique sur le dos du fuselage et
sa quille sous la queue. (Marmain)

66
Les autres
Chtourmoviks

Iliouchine Il-16
Moteur Mikouline AM-43NV
de 2 300 ch au décollage
Envergure 12,50 m
Longueur 10,19 m
10,69 m (après modifications)
Surface alaire 24 m2
Masse à vide 4 315 kg
Masse au décollage 5 780 kg
Masse en surcharge 5 980 kg
Masse carburant 500 kg
Masse huile 65 kg
Vitesse maximale 529 km/h au niveau de la mer
576 km/h à 2 700 m
Vitesse de croisière 375 km/h
Vitesse à l’atterrissage 175 km/h
Distance franchissable 800 km

t & z Le prototype Il-16, ultime tentative d’Iliouchine pour


améliorer son Chtourmovik Il-2, après le rallongement de son
fuselage pour le rendre plus stable en lacet. Mais son moteur
Mikouline AM-43NV de 2 300 ch s’avère si problématique que
le programme est abandonné à l'été 1946. (Coll. Gorokhoff)

Iliouchine prototype Il-16


- Avec fuselage court (en haut)
- Avec fuselage rallongé et dérive agrandie (en bas)

Les pointillés figurent un canon BT-20


de 20 mm au poste du mitrailleur et
l'antenne circulaire du radiocompas.

LES CHTOURMOVIKS BIMOTEURS


LES PROJETS ILIOUCHINE DE 1940-1941 s’achevant avec un empennage bidérive. Sa voilure basse cantilever
inclut deux fuseaux pour des moteurs Mikouline AM-38 et des becs
de bord d’attaque. Les deux mono-jambes de l’atterrisseur se relèvent
Dès l’automne 1940, alors que les armées allemandes occupent tout vers l’arrière dans les parties postérieures des nacelles motrices, la
l’ouest de l’Europe à l’exception de la Grande-Bretagne, le NKAP (com- roulette de queue s’éclipsant dans le cône de queue.
missariat du peuple à l’Industrie aéronautique) charge l’OKB Iliouchine Concentré dans le nez, l’armement fixe prévoit un canon ChFK-37
de produire un Chtourmovik lourd antichar fortement armé et capable (facultatif), deux canons VYa-23 et quatre mitrailleuses UB ou ChKAS.
de transporter des charges offensives importantes sur une plus grande Six soutes individuelles dans la section centrale de l’aile accueillent
distance que l’Il-2. Iliouchine projette un bimoteur entièrement métal- autant de bombes de 100 kg et trois autres sont transportables en
lique qu’il référence TsKB-60, avec un fuselage très effilé débutant externe, à moins de les remplacer par huit roquettes RS-132 (masse
par un long nez et un poste de pilotage avec petit pontage dorsal, et offensive maximale d’une tonne).

67
t & q La maquette en
bois du projet monoplace
TsKB-60 pour les essais
en soufflerie du TsAGI. Les
becs de bord d’attaque sont
nettement visibles (DR).

Des maquettes en bois sont testées en souffle-


rie au printemps 1941 et le projet préliminaire
est « scruté » en juin. L’OKB Iliouchine a prévu
deux versions : monoplace sans armement
défensif et biplace avec une mitrailleuse tirant
en retraite. Le principe du « caisson blindé » est
retenu pour protéger tout ce qui est « vital »
(masse de 800 kg). Les estimations optimistes
engendrent la commande d’un prototype sous
la désignation d’Il-6, mais ce consentement
arrive trop tard car le 22 juin 1941 à l’aube,
les armées du IIIe Reich envahissent l’URSS,
provoquant l’arrêt du projet TsKB-60 et le
recentrage de tous les travaux de l’OKB sur
le Chtourmovik Il-2 et le bombardier en pallier
DB-3F, alias Il-4. Quant à la désignation Il-6,
elle sera réattribuée à une tentative d’amélio-
ration de l’Il-4. L’invasion allemande met aussi un terme aux essais poste de pilotage blindé, d’un gros réservoir de carburant et d’une
d’une maquette en soufflerie au TsAGI de la version biplace référencée queue supportant un empennage bidérive. Le pilote jouît d’un vaste
TBCh (parfois TsKB-60-II), avec un poste de défense en retraite, une champ de vision y compris vers le bas, la moitié inférieure du nez
vitesse et une distance franchissable estimées à 480 km/h et 700 km. étant vitrée. La voilure en porte-à-faux incorpore les fuseaux pour
les moteurs Chvetsov M-71F et les systèmes hypersustentateurs.
L’atterrisseur s’escamote dans les parties caudales des nacelles
LE PROJET « ODBCH » (ARTICLE 91) motrices. L’armement fixe est lourd et concentré dans la partie basse
DE SOUKHOÏ (1941) renflée du fuselage : deux canons de 37 mm et deux mitrailleuses
de 12,7 mm qui peuvent être légèrement défléchis vers le bas,
L’OKB Soukhoï s’attèle au développement d’un « chtourmovik lourd plus quatre ChKAS dans la voilure (le projet ne cite pas de charges
» un peu plus tard que son confrère S.V. Iliouchine et présente le offensives). Une version biplace est projetée en août 1941, avec un
projet « ODBCh » (Odnomestnyi Dvukhdvigatelnyi Bronirovannyi mitrailleur installé à l’aplomb du bord de fuite de la voilure, servant
Chturmovik – monoplace bimoteur d’assaut blindé, ou article 91) en deux armes : une UBT sous tourelle dorsale maniée debout avec
juin 1941. Il concerne un fuselage monocoque au nez court, suivi du un viseur périscopique et une ChKAS servie à genoux à travers
une trappe vitrée. Malgré son acceptation le 26 août par le NKAP,
Soukhoï ne développe pas l’ODBCh, préférant concentrer ses efforts
TsKB-60 (estimations) sur le très lourdement armé DDBCh.

Moteur 2 x Mikouline AM-38 de 1 626ch au


décollage LE PROTOTYPE
Envergure 17,25 m SOUKHOÏ SU-8 (DDBCH - 1942)
Longueur 12,95 m
S’il avait fallu décerner la palme d’or au plus fortement blindé et plus
Surface alaire 41,5 m2
puissamment armé des Chtourmoviks créé pendant la Grande guerre
Masse à vide 6 383 kg
patriotique, c’est sans conteste à P.O. Soukhoï qu’elle aurait dû reve-
Masse au décollage 9 000 kg nir. Avant son évacuation avec l’usine n° 289 pour Molotov (Perm)
Vitesse maximale 490 km/h au niveau du sol à partir du 10 octobre 1941, Soukoï, se projetant « dans l’avenir »,
550 km/h à 2000 m a envisagé un monomoteur d’attaque au sol lourdement armé d’un
Vitesse à l’atterrissage 125 à 130 km/h canon de 45 ou de 75 mm, mais n’a pas persisté dans son élaboration
Montée à 5 000 m en 8,5 minutes car cette association lui paraissait finalement impossible. Par contre,
Plafond pratique 12 200 m il est prêt à disserter sur la réalisation d’un bimoteur équipé d’armes
Distance franchissable 700 à 800 km lourdes et a commencé l’étude ODBCh au cours de l’été 1941, puis a
été contraint de la mettre de côté à cause des évacuations.

68
Les autres
Chtourmoviks

Soukhoï
Épure du projet ODBCh biplace

qui manie une tourelle dorsale UTK-1 armée d’une UBT


ainsi qu’un affût mobile ventral LU-100 avec une ChKAS.
La voilure en porte-à-faux (profil NACA-230, un longe-
ron principal et deux auxiliaires) comprend une section
Soukhoï
centrale métallique sans dièdre incorporant les nacelles
Épure du projet ODBCh monoplace blindées des moteurs M-71F (capots NACA, échappe-
ments en couronne, hélices VICh-105) et six soutes pour
autant de bombes de 100 kg, ainsi que deux plans exté-
rieurs en bois et contreplaqué (dièdre de 7°) pourvus de
Pendant la conférence du BNT (Bureau des nouvelles tech- becs automatiques, des systèmes hypersustentateurs et
niques) en février 1942, Soukhoï et Iliouchine insistent d’ouïes rondes de refroidissement des radiateurs d’huile
sur la défense de leurs Chtourmoviks, sur l’augmentation noyés dans la voilure. En surcharge, deux bombes de
de leur puissance de feu et l’accroissement nécessaire de 500 kg ou trois de 250 kg peuvent être transportées sous
leur autonomie pour assurer des missions de pénétration la section centrale de la voilure, plus (ou) 10 roquettes
lointaine dans le dos de l’ennemi en vue d’appuyer en RS-132 sous les plans extérieurs. L’imposant train d’at-
profondeur les troupes de l’Armée rouge. Staline, malgré terrissage (pneus de 1200 x 450 mm) se relève vers
son « mea culpa » au sujet de la défense de l’Il-2, pros- q Le Su-8, Chtourmovik l’arrière et s’escamote dans les nacelles motrices.
crit tout changement des protocoles de productions en lourd, bimoteur, biplace et Soumis à examen, le projet DDBCh est officiellement
blindé, conçu par Soukhoï
série, mais n’interdit pas la transformation de l’étude selon les données des
approuvé en août 1942 et désigné Su-8. Il est inscrit
ODBCh en DDBCh (Dvukhmotornyi Dalnyi Bronirovannyi programmes ODBCh et au plan des productions expérimentales pour 1943,
Cthturmovik - bimoteur blindé à long rayon d’action). DDBCh, testé en été 1944. avec présentation aux essais d’homologation le 1er
Soukhoï démarre l’étude, codée « B » en interne, en mai Les tubes de ses quatre septembre. Mais, alors que le prototype est en voie
canons NS-45 sont bien
1942 autour de deux moteurs M-71 (ou Ourmine M-90) visibles sous le fuselage, de
d’achèvement, l’usine n° 289 est renvoyée à Touchino
et d’un armement fixe impressionnant : 4 canons NS-37 même que les orifices des (Moscou). Démonté, chargé sur une péniche et achemi-
groupés dans un gros conteneur ventral, les tubes légère- mitrailleuses dans la voilure, née par voies fluviales, l’appareil n’arrive à destination
ment calés vers le bas ; plus huit ChKAS dans la voilure les deux phares et les ouïes qu’en octobre 1943. Il y est réassemblé, sans l’arme-
ovalisées au bord d’attaque.
(quatre par plan d’aile). Les canons sont censés « tuer Malgré un comportement ment prévu, pour ses essais de roulement en novembre
les chars allemands les plus récents » et détruire tout en vol satisfaisant, les et décembre au cours desquels les moteurs, les freins
ce qui roule, trains compris. Le pilote est assis dans un VVS n’ont plus besoin du train d’atterrissage, les volets et quelques sous-en-
d’un avion d’assaut aussi
« caisson blindé » au plus près du nez vitré du fuselage, sembles subissent des rectifications. Deux grosses
imposant. L’appareil est testé
devant un gros réservoir de carburant (3 300 litres) et jusqu’au printemps 1945 pipes par moteur remplacent les échappements en cou-
le poste du mitrailleur, protégé par des tôles rapportées, avant d’être abandonné. ronne et les ouïes de voilure sont élargies et ovalisées.

69
p Le prototype DDBCh, alias Su-8, vu par l’arrière, avec sa tourelle
dorsale UTK-1 armée d’une mitrailleuse UBT de 12,7 mm.

Su-8 (DDBCh)
Moteur 2 x Chvetsov M-71F de 2 200 ch
Envergure 20,50 m
Longueur 13,58 m
Hauteur 5,08 m
Surface alaire 60 m2
Voie du train 5,33 m
Masse à vide 9 168 kg / 9 218 kg équipé
Masse au décollage 12 413 kg / 13 380 kg en surcharge
485 km/h au niveau de la mer
Vitesse maximale (500 km/h, selon les sources)
550 km/h à 4600 m
Montée à 4 000 m en 7,26 minutes
Montée à 5 000 m en 9 minutes
Plafond pratique 9 000 m
Distance 600 km à 1 450 km maximum,
franchissable selon les charges offensives

Le premier vol, prévu pour le 11 mars 1944 avec le pilote


d’essais N.D. Fikson, doit être reporté en raison du mauvais
état du terrain de Touchino.
Le prototype Su-8 revient à l’usine n° 289 en avril 1944
et y reçoit son armement fixe (4 canons NS-45 en lieu et
place des NS-37 prévus). Fikson le teste en été 1944 au
LII NKAP à Ramenskoye et rapporte son bon comporte-
ment global et des performances intéressantes : vitesse de
pointe de 552 km/h à 4 600 m et distance franchissable
de 1 500 km à vitesse de croisière. En août, lors des essais
de tir au NIPAV (polygone de tir) de Noginsk, les effets
de recul des canons de 45 mm déforment les capots des
moteurs M-71F !
Soukhoï Su-8
Prototype

Sauf qu’à cette époque, les militaires ne voient plus la


nécessité d’aligner un aussi « formidable » Chtourmovik
que le Su-8. En effet, depuis la déroute de la 6. Armee
du maréchal Paulus à Stalingrad, les troupes allemandes
reculent partout : à cette époque, les Alliés ont débarqué en
Normandie le 6 juin 1944, l’Armée rouge est sur la Vistule
aux portes du IIIe Reich et les incessants raids aériens
anglo-américains contribuent à détruire et à désorganiser
les sources d’approvisionnement des forces allemandes.
Les essais du Su-8 se poursuivent toutefois jusqu’au
printemps 1945, puis le programme est définitivement
abandonné (une variante avec deux moteurs AM-42 et
610 kg de blindage supplémentaire a été laissée sur plans
en 1943, car les AM-42 sont exclusivement réservés à la
production des Il-10). 

70
Les autres
Chtourmoviks

Les vues de profil et de dessus représentent


le prototype Su-8 avec des capots moteurs
équipés d'une couronne d'échappement.
La vue de face le montre avec une pipe
de part et d'autre de chaque GMP et
avec des ouïes de refroidissement des
radiateurs d'huile rondes (ovales ensuite).
Les pointillés figurent les volets d'intrados et
les fuseaux des moteurs (vue de dessus),
le conteneur ventral et les tubes des
canons lourds NS-45 (vue de profil).

Prototype Soukhoï Su-8


(programme DDBCh)

71
CAMPAGNE

1911
1939

Aviazione
Coloniale
LES AVIONS ITALIENS DANS LES CIEUX AFRICAINS (1911-1939)
Profils couleur : J.M.Guillou Par Marco Petrelli - Traduction et adaptation de David Zambon

1 er
http://www.marcopetrelli.com/
novembre 1911 : un événement, a priori banal mais
qui va marquer pour toujours l’histoire de l’aviation
militaire, se produit. En effet, à bord de son Etrich

C'
est en tentant d’arracher la Tripolitaine Taube, le jeune Sottotenente Giulio Gavotti sur-
à l’« Homme malade de l’Europe » [1] vole le campement ottoman d’Aïn Zara et y jette trois bombes
que l’Italie jette les bases d’une avia-
modello Cipelli de 2 kg chacune qui explosent au milieu des
tion coloniale qui lui est indispensable
pour surveiller et contrôler de vastes fantassins turcs. Il s’agit là de la première action connue de
espaces en Afrique du Nord et en bombardement à partir d’un avion, spécialité qui, en quelques
Afrique orientale. Nous en livrons ici, succinctement, décennies, démontre tout son potentiel destructeur.
les principaux aspects.
p La pacification de l’Éthiopie ottomanes, incapables d’affronter efficacement les unités
n’est pas une mince affaire alignées par le royaume d’Italie. À cette époque, le pays
LA GUERRE ITALO-TURQUE pour les Italiens. À la fin de
l’année 1937, les rebelles
ne dispose pas encore d’une véritable force aérienne, en
(1911-1912) sont particulièrement actifs
dans la région du Goggiam,
dépit de l’existence, depuis 1884, du Servizio Aeronautico
créé par le Tenente del genio Alessandro Pecori Giraldi
La Libye est le théâtre d’opérations idéal pour expéri- au nord-ouest du pays. Ces dans le but de coordonner le vol des aérostats. Ces ballons
menter de nouvelles armes et de nouvelles technologies, trimoteurs Ca.133 alignés ne sont pas alignés en première ligne puisque leur rôle se
sur l’aérodrome d’Addis
en particulier les aéronefs qui débarquent sur le sol de Abeba sont intensément limite à l’observation, comme cela a été le cas pendant
la Tripolitaine à la suite des troupes du Regio Esercito employés dans des la courte guerre d’Érythrée (1884-1885) où trois d’entre
(Armée royale italienne). missions de recherche et de eux ont été utilisés pour appuyer le corps expéditionnaire
bombardement des groupes
Les forces adverses prennent la forme de bandes irrégu- du général Alessandro Asinari di San Marzano pour la
rebelles. (Coll. F. Pedriali)
lières « indigènes » encadrées par de petites garnisons reconquête de Saati.

72
Aviazione
Coloniale 

t Le Capitano Piazza pose


devant son Blériot XI. C’est
à bord de cet appareil, quasi
identique à celui que le pilote
français éponyme a utilisé deux
ans plus tôt pour traverser la
Manche, que Piazza effectue
le premier vol de guerre, le
22 octobre 1911. (USSMA)

xx En bas : Les aérostats,


comme ce Draken déployé ici
au-dessus de Tripoli semble-
t-il, sont utilisés afin de diriger
le feu de l’artillerie du Corpo di
Spedizione Speciale. (USSMA)

x Ci-dessous :
Le 1er novembre 1911,
le Sottotenente Gavotti
mène la première action de
bombardement aérien connue
à bord d’un Etrich Taube. Cet
appareil d’origine allemande
est célèbre pour ses ailes du
type « colombe ». (USSMA)

Pour autant, le développement de l’avion Piazza, elle se compose de 9 appareils, tous partant de Tripoli, il survole l’oasis Zanzur à
impose la nécessité de mettre sur pied des de construction étrangère, en l’occurrence 700 m d’altitude avant de revenir à sa base
unités ad hoc capables d’exploiter tout le française (2 Blériot XI monoplaces, 3 Nieuport 50 minutes plus tard. À mesure que les jours
potentiel qu’offre cette technologie nouvelle. biplaces et 2 Farman) et allemande (2 Etrich passent, les pilotes et les spécialistes s’enhar-
Plus rapide et bien plus maniable que le ballon, Taube). Ces avions peuvent atteindre une dissent et projettent des actions offensives en
l’aéroplane est idéal pour photographier le ter- vitesse comprise entre les 90 et 115 km/h utilisant de petites bombes. C’est ainsi que le
rain et les mouvements de troupes ennemies. et ont trois heures d’autonomie au maximum Sottotenente Gavotti effectue son action de
C’est pourquoi la 1a Squadriglia Aeroplani (pour le Taube). bombardement (dont on ignore véritablement
est agrégée au corps expéditionnaire. Placée Le 22 octobre 1911, le Capitano Piazza effec- les effets) contre Aïn Zara. Il n’en reste pas
sous les ordres du Capitano Carlo Maria tue le premier vol de guerre de l’Histoire : moins que les pilotes sont susceptibles de
subir la réaction venue du sol : même si la
défense antiaérienne n’existe pas encore, les
tirs d’armes légères peuvent sérieusement
endommager des appareils dont la structure,
composée de bois, de toile et de câbles, est
encore très fragile.
La guerre en Tripolitaine permet aux aéropla-
nes de jouer un rôle important tout en
expérimentant des tactiques militaires adap-
tées non seulement aux aéronefs à ailes
fixes mais aussi aux dirigeables, ces derniers
demeurant incontournables depuis le début du
XXe siècle tant pour l’usage civil que militaire.
Le 8 juin 1912 par exemple, des dirigeables
italiens participent à une action de bombar-
dement sur l’oasis de Zanzur, à une trentaine
de kilomètres à l’ouest de Tripoli, où 15 000
combattants ottomans ont pris position. La
mission est coordonnée avec l’action au sol de
12 000 fantassins du Regio Esercito, plusieurs
batteries d’artillerie et le feu de trois croiseurs :
la place forte ennemie, dernier bastion de la
résistance turque en terre libyenne, tombe.
Lors de ce conflit, les aéronefs italiens accom-
plissent 136 missions de guerre, sanctionnant
ainsi une activité loin d’être négligeable et aux
effets concrets sur les opérations de guerre
qui durent une année.
Le traité de Lausanne permet à Rome de mettre
la main sur la Tripolitaine, la Cyrénaïque,
Rhodes et les îles du Dodécanèse. Ce succès
est d’importance pour le jeune État italien,
qui doit cependant faire face à une résis-
tance farouche des autochtones jusqu’aux
années 1930.

[1] Métaphore alors utilisée pour qualifier


un Empire ottoman agonisant.

73
L’AVIATION COLONIALE À L’AUBE Le développement des hydravions mérite que

DE LA PACIFICATION DE LA LIBYE
l’on s’y attarde quelque peu. Les petites bases
intermédiaires ne manquent pas à Venise,
Porto Corsini (Ravenne), Pesaro et Tarente,
À la fin de la Première Guerre mondiale, les (près d’Ancône), cette dernière ayant subi un sans parler d’un navire d’appui, l’Elba, qui
Italiens ne contrôlent qu’une mince frange bombardement austro-hongrois dans la nuit mouille dans le port de Brindisi. Des appareils
côtière en Tripolitaine et en Cyrénaïque, tandis du 24 mai 1915, quelques heures seulement Farman et SVA 3 se trouvent aussi près du
que le Fezzan (700 000 km2 de territoire qui après l’entrée en guerre officielle de l’Italie. fleuve Aspio (Ancône). Ils sont actifs pendant
séparent la Méditerranée du Sahel) est aux
mains de tribus nomades qui organisent une
lutte sans merci contre la pénétration coloniale.
En l’espace d’une décennie donc, le royaume
d’Italie est contraint d’investir un nombre
considérable d’hommes et de moyens afin
de reprendre la main sur ce territoire.
L’aviation coloniale joue un rôle décisif dans
la traque et la lutte contre les insurgés.
L’organisation et l’organigramme des forces
aériennes coloniales sont corrélés aux transfor-
mations qui ont lieu en métropole. Depuis sa
constitution en 1884, le Servizio Aeronautico
est une spécialité du Regio Esercito, c’est-
à-dire l’armée de Terre. En effet, selon la
Legge n. 698 du 27 juin 1912, le Battaglione
Specialisti (dirigeables et aérostats à Rome)
et le Battaglione Aviatori (unités d’aéroplanes
et écoles de vol à Turin) sont encadrés par la
Direzione Generale del Genio e d’Artiglieria.
Les officines de construction y sont aussi liées,
soit le Stabilimento Costruzioni Aeronautiche
et un centre expérimental à Vigna di Valle,
dans le Latium. Ainsi, les premières formations
de chasse et de bombardement sont directe-
ment encadrées au sein des unités terrestres
dont elles dépendent dans les cadres organi-
sationnel et opérationnel. La seule exception
concerne la Regia Marina qui, depuis 1915,
dispose de son propre Servizio Aeronautico
et d’installations logistiques propres.
Parmi elles, nous pouvons citer les hydrobases
de Ferrare, Campalto (près de Venise) et Jesi

{ Ci-dessus : La rébellion sénoussite donne


du fil à retordre aux Italiens. Au printemps
1922, des troupes sont assiégées à el-Azizia,
à environ 50 km de Tripoli. Ce SVA est chargé
de sacs de farine à leur intention. L’appareil est
piloté par le Tenente Dalle Molle. (USSMA)

u Ci-contre : Les Caproni Ca.3 sont utilisés pour


les premières opérations de bombardement
en Cyrénaïque dès la fin de l’année 1922. On
distingue les radiateurs spécialement adaptés
pour évoluer sous ces latitudes. (Coll. A. Ghizzardi)

Caproni Ca.3
Tripoli, Libye, avril 1927

74
Aviazione
Coloniale 

les tribus nomades connaissent pour les sillon-


ner depuis des siècles. Les petits mais agiles
SVA 1, appareils de reconnaissance vitaux
pour le survol de la mer de sable, sont seuls
capables de repérer les mouvements et les
campements des rebelles. L’introduction de
la radio permet une avancée significative
vers le succès final de la politique militaire de
pacification. Les communications sont alors
immédiates entre les aéroplanes et les forces
au sol, avec des effets dévastateurs sur un
adversaire qui ne dispose pas de l’équipement
nécessaire pour contrer les attaques aériennes
ainsi que les actions des unités motorisées
et des méharistes. C’est grâce à l’aviation
coloniale que 10 000 hommes parviennent à
occuper Beni Ulid, près de Misurata, avant de
conquérir définitivement les Syrtes.
Une fois la Tripolitaine pacifiée, l’attention des
Italiens se porte sur l’arrière-pays, où l’ennemi
trouve refuge, puis sur la Cyrénaïque, où les
Senoussis règnent. Les opérations débutent
au mois de février 1926, avec la conquête
de l’oasis de Giarabub, et se termine avec
l’occupation de celle de Koufra le 31 juillet
1930, avec le concours de forces aériennes
menées par le Tenente colonnello Roberto
Lordi qui larguent sur les positions rebelles
342 bombes conventionnelles et 24 chargées
d’ypérite. L’emploi des armes chimiques fait
naturellement débat chez les historiens, étant
donné que les Italiens utilisent régulièrement
le potentiel du gaz moutarde pour frapper les
rebelles, totalement démunis face à ses effets
dévastateurs. Notons que les Britanniques
utilisent des moyens identiques contre les
rebelles de l’Hadramaout, au Yémen en 1919,
de même que les Espagnols lors de la guerre
du Rif (1921-1926).

ITALO BALBO, MINISTRE


DE L’AÉRONAUTIQUE
L’aviation coloniale est réorganisée une
première fois en 1927, lorsque le gouverne-
ment de Benito Mussolini nomme Italo Balbo
p Ci-dessus : La conquête de Koufra (Cufra pour les Italiens) marque une étape importante ministre de l’Aéronautique. Balbo est un ancien
dans la guerre contre les rebelles sénoussites d’Omar al-Mukhtar. Koufra est un groupe de sous-lieutenant des troupes alpines, vétéran
dix oasis, dont celui d’el-Giof, bombardé ici par les Ro.1 le 26 août 1930. (USSMA) des dures batailles du Carso et du Piave, où il a
combattu dans les unités de choc formées ad
pp En haut : Dans les djebels de Cyrénaïque, les groupes de rebelles
sont constamment harcelés par l’aviation. (USSMA) hoc, les Arditi. Il a très vite adhéré au mouve-
ment des Fasci italiani di combattimento créé
la Grande Guerre, menant des missions de EN VOL par Mussolini le 23 mars 1919 à Milan. Il est

CONTRE LES REBELLES


reconnaissance mais aussi de chasse, le devenu l’un des quadrumvirs de la « marche
Tenente di vascello Orazio Perozzi étant même sur Rome » en tant que chef du fascio de
crédité de 7 victoires homologuées, obtenues Ferrare, en Émilie-Romagne. Passionné par le
à bord d’un Macchi M. 5, hydravion apprécié Si, d’un côté, les Italiens sont en difficulté et vol – discipline « fasciste » car résolument
aussi bien en Italie qu’aux États-Unis, où il est ne parviennent pas à imposer leur souveraineté moderne, risquée et toujours en mouvement
aligné au sein de l’US Army et du corps des sur toute la colonie libyenne, de l’autre, les – il a été breveté pilote civil en 1925.
Marines. Signalons enfin que la Marine italienne rebelles n’ont pas de chef capable de fédérer Alors que le général Rodolfo Graziani mène
possède une excellente école pour l’instruction leurs efforts contre le colonisateur ou encore de une lutte sans pitié contre les rebelles senous-
des équipages navigants, sur les rives du lac de mobiliser une aide internationale en leur faveur. sis en Cyrénaïque, Balbo se rend en Libye au
Bolsena (Viterbe), dont l’activité s’étale entre C’est en 1922 que la reconquête de la mois d’avril 1927. Il décide d’augmenter sen-
1917 et 1921, sous l’égide de Mario Calderara Tripolitaine est décidée ; deux ans de cam- siblement l’organigramme de l’Aviazione della
(premier Italien à posséder le brevet de pilote en pagne durant lesquelles les appareils de Cirenaica en expédiant sur place un premier lot
1909 et collaborateur, entre autres, de Gabriel bombardement jouent un rôle fondamental de cinq bombardiers Caproni Ca.73 ; à la fin
Voisin et Wilbur Wright). Les Américains y pour faire plier la résistance autochtone. Les du mois de septembre, près de 60 appareils
dépêchent l’US Navy Aviation Detachment difficultés n’en sont pas moins importantes, apportent une contribution importante à la mise
commandé par William B. Atwater, une fois à commencer par les distances et la connais- au pas progressive des bandes rebelles menées
l’entrée en guerre validée par le Congrès. sance relative du terrain désertique, que seules par le vénérable Omar al-Mokhtar.

75
du Regio Corpo Truppe Coloniali permet de
mener à bien les dernières phases de la paci-
fication de la Tripolitaine, au début de l’été
1929. Jusqu’en 1940, les escadrilles mènent
des opérations régulières de reconnaissance
sur les vastes zones désertiques, en particu-
lier les ergs du Fezzan, afin de prévenir toute
tentation de rébellion ou de raids.

L’ÉTHIOPIE
Une fois la Libye fermement contrôlée, l’Italie
de Mussolini lorgne vers la corne de l’Afrique.
C’est précisément dans cette région qu’a
débuté l’histoire coloniale transalpine, à partir
de 1885, lorsque l’Érythrée et la Somalie sont
devenues des possessions de la jeune nation.
Les autochtones qui y sont recrutés, c’est-
à-dire les ascaris, zaptiés et méharistes,
sont omniprésents dans les campagnes
coloniales conduites par Rome depuis la fin
du XIXe siècle. L’Érythrée, rappelons-le, est
un territoire qui a été arraché à l’Abyssinie,
contre laquelle les Italiens ont connu un échec
cuisant, à Adoua, le 1er mars 1896. Le pro-
blème libyen évacué, le gouvernement italien
se penche sur le cas de l’Éthiopie, État sou-
verain et membre de la Société des nations.
On a beaucoup glosé sur les motivations qui
ont poussé Mussolini à envahir l’Éthiopie, les
réduisant le plus souvent au slogan « venger
Adoua » : une simple question d’orgueil ne
saurait justifier la mise sur pied d’une entre-
prise aussi risquée (géopolitiquement parlant)
et coûteuse pour l’économie d’un pays qui
n’est encore qu’un nain industriel. Si « venger
Adoua » relève davantage du slogan propa-
gandiste, les frustrations de Versailles sont
en revanche bien présentes, puisque l’Italie
a été écartée du partage du butin (territoires
sous administration allemande et ottomane)
et n’a pas fait partie des États mandataires.
Pour autant, Rome conclut un traité d’ami-
tié avec Addis-Abeba en 1928, censé durer
Les aéronefs les plus vétustes sont modernisés par le Ca.101. Italo Balbo s’occupe ensuite deux décennies. Il s’agit là d’un leurre diplo-
et flanqués de nouveaux modèles, comme le des formations aériennes de Tripolitaine, qui matique par lequel l’Italie tente d’arracher des
Ro.1. Par ailleurs, les problèmes rencontrés comptent 31 appareils fin décembre (Ca.73, concessions au Négus afin d’étendre son aire
par le Ca.73 incitent à son retrait momen- Ca.3, Ro.1, SVA, A300/4). La parfaite coordi- d’influence politique et commerciale sur la tota-
tané des premières lignes, et à le remplacer nation entre les forces aériennes et terrestres lité de l’empire éthiopien.
z En haut : Tripoli, avril
1927. Italo Balbo (de dos),
vétéran maintes fois décoré
de la Grande Guerre, ancien
ras de Ferrare, hiérarque
fasciste et grand aviateur,
participe aux opérations
contre les rebelles.
(USSMA)

z Au milieu :
Ce bombardier Ca.73
est l’objet de la curiosité
des autochtones de la
région de Benghazi.
(Coll. F. Fortunato)

t Différents modèles de
bombardiers cohabitent
en Libye, comme on le
voit sur cet aérodrome de
Cyrénaïque : Ca.73, Ca.3
et SVA sont alignés au
bord de la piste. (USSMA)

76
Aviazione
Coloniale 

Fiat CR.20 bis AO, MM.2336


111a Squadriglia CT
Asmara, Érythrée, novembre 1935

L’emblème est tiré d’une publicité pour une boisson


purgative au cacao !

Les forces aériennes à la veille de l’attaque contre l’Éthiopie


Forces aériennes en Érythrée Comando Aviazione di Assab da
 Comando III Brigata aerea Africa Orientale  Comando XXVII Gruppo bombardamento AO :
 Comando Gruppo Ricognizione Terrestre (reconnaissance) : - 17a Squadriglia
- Squadriglia Ro.1 (de Libye) - 18a Squadriglia
- 34a Squadriglia - un section de la 14a Squadriglia
- 118a Squadriglia Ro.1 - un section de la Squadriglia Ro.1 (de Libye)
- 41a Squadriglia - un section de la 116a Squadriglia
- 116a Squadriglia Ro.1 - une section de la 106a Squadriglia
- 38a Squadriglia Ro.1
- 131a Squadriglia Ro.1 Forces aériennes de Somalie italienne
- 103a Squadriglia
- 106a Squadriglia da caccia  Comando 7° Stormo Bombardamento di Mogadiscio :
- Comando XXV Gruppo bombardamento
Comando IV Gruppo Bombardamento - Squadriglia RT
- 107a Squadriglia caccia
- 14a Squadriglia
- 15a Squadriglia
- Squadriglia Stato maggiore Asmara
- Sezione autonoma idrovolanti
- Reparto Aereo Imbarcato sur le croiseur RN Taranto

Caproni Ca.101
15a Squadriglia BT « La Disperata »
Éthiopie, décembre 1935

77
{ Uarder, Somalie italienne, à la veille de la guerre
contre l’Éthiopie. Ces Ro.1 sont alignés et protégés
par une automitrailleuse Lancia 1Z. (USSMA)

u & y L’effort logistique italien déployé pour la


campagne d’Éthiopie est immense. Ici, des Ro.1 sont
précautionneusement démontés et embarqués dans
des navires à destination de l’Érythrée. (USSMA)

Mais Hailé Sélassié se méfie de Mussolini et décide


de moderniser son armée en acquérant de l’armement
en Europe, notamment en Allemagne et en Suisse.
Les Italiens sont parfaitement au courant de ces flux et,
dès 1932, les premières études sur une invasion de
l’Éthiopie sont menées. Les hostilités [2] débutent en
octobre 1935 et prennent fin le 9 mai 1936, avec
la prise d’Addis-Abeba. Ce théâtre d’opérations peut
aussi être considéré comme un banc d’essais pour les
forces armées italiennes, en particulier pour la Regia
Aeronautica, dont le concours est déterminant pour
la victoire finale.
Peu avant le début de l’offensive italienne, les forces
aériennes de l’Érythrée et de la Somalie sont réu-
nies en un seul et même commandement (Comando
Aeronautica dell’Africa Orientale, aux ordres du
Generale di brigata aerea Mario Ajmone Cat).
La structure opérationnelle est articulée en Stormi
composés de 2 ou 3 Gruppi, eux-mêmes subdivisés
en 3 Squadriglie dotées de 7 à 12 appareils chacune.
Les Squadriglie de reconnaissance dépendent du
commandement de corps d’armée, celles de bom-
bardement du commandement supérieur.
En octobre 1935, ces forces regroupent une centaine
d’appareils, mais, au cours des sept mois suivants, ce
ne sont pas moins de 386 avions, dont 170 bombar-
diers, qui sont expédiés de métropole. Pour ce faire,
le porte-hydravions Giuseppe Miraglia et les trans-
ports Ircania, Bainsizza et Provvidenza sont mobilisés
et adaptés à ce convoyage spécial nécessitant des
milliers d’heures de main d’œuvre et une logistique
délicate. Ces cinq navires assurent le débarquement
de 313 appareils, tandis que les 73 restants sont

[2] Voir David Zambon, Duce contre Négus : comment


l'Italie vainquit l'Éthiopie, Ligne de front n°65.

78
Aviazione
Coloniale 

Caproni Ca.133
14a Squadriglia « Testa di Leone »
Éthiopie, avril 1936

livrés par d’autres cargos, sans parler des pièces de


rechange dont 309 moteurs. Ces avions ne sauraient être
d’une quelconque utilité sans les unités de mécaniciens
et de spécialistes, en particulier les Squadre Riparazioni
Aeromobili e Motori (SRAM), présentes à Asmara, Assab
et Mogadiscio. Durant la totalité de la campagne contre
les forces du Négus, les ateliers d’Érythrée réparent
ainsi 112 appareils et 205 moteurs, tandis que ceux
de Somalie font de même pour 77 appareils et 143
moteurs. Les critères d’emploi de l’armée de l’air italienne
en Éthiopie sont les suivants : reconnaissance du front et
des flancs des colonnes en marche, communications avec
les troupes et le commandement à tous les échelons,
reconnaissance à long rayon d’action, actions offensives
de bombardement et de mitraillage au sol (y compris par
les escadrilles de chasse) et transport (hommes, vivres,
munitions, matériels divers).

ASCARI ET BOMBARDIERS
Adoua et Adigrat sont les objectifs principaux de l’offen-
sive italienne déclenchée le 3 octobre 1935.
Les Ascari, troupes coloniales italiennes recrutées en
Érythrée, ouvrent la route avec le soutien des bombardiers
de l’escadrille La Disperata, composée de Caproni Ca.
101. Elle est commandée par Galeazzo Ciano, gendre
de Benito Mussolini et ancien ministre de la Presse et de
la Propagande. L’attaque est fulgurante et les objectifs
sont atteints en 48 heures seulement. Le 5 octobre, la
presse transalpine peut annoncer symboliquement la prise
d’Adoua, 39 ans après l’humiliante défaite de Baratieri. Le
général Emilio De Bono est nommé gouverneur du Tigrè
et le premier acte de son mandat est d’abolir l’esclavage
encore en vigueur dans la région, acte ostentatoire servant
à justifier l’expédition italienne aux yeux du monde et
des membres de la Société des nations.
Cela n’empêche point le Royaume-Uni d’engager une
campagne destinée à faire voter des sanctions écono-
miques contre l’Italie, par l’entremise de son ministre des p Ci-dessus : Les parachutes des du gouvernement de Vienne suite au putsch
Affaires étrangères Anthony Eden. Presque totalement conteneurs largués aux troupes national-socialiste.
dépendante de l’étranger pour les matières premières combattant au sol sont bien
Il n’en reste pas moins que les troupes abyssines
visibles ici, tout comme les sacs
énergétiques, Rome risquerait de voir s’estomper son de farine ayant éclaté à l’impact, donnent du fil à retordre à l’envahisseur, notamment
rêve impérial en cas d’embargo. Finalement, les paroles en haut à droite. (USSMA) lorsque Ras Immirù contre-attaque les divisions de
ne sont pas confirmées par des actes et le pétrole servant Pietro Badoglio autour d’Axum, Scirè et Abbi Addii.
p En haut : Les immenses
à alimenter les unités mécanisées et aériennes continue étendues éthiopiennes imposent un
Afin qu’un nouvel Adoua ne se reproduise pas, on
d’être débarqué dans le port de Massaoua en flux tendu, ravitaillement en flux tendu. Ici, un décide en haut lieu d’utiliser des armes plus efficaces
notamment en provenance d’URSS. De son côté l’Al- Ca.111 bis parachute des animaux de et contre lesquelles l’adversaire n’a aucune protec-
lemagne expédie de l’aide au Négus, Hitler n’ayant pas bouche, vivants, aux troupes à terre. tion, à savoir les bombes à l’ypérite et au phosgène
On n’ose imaginer la terreur ressentie
encore digéré l’affront de juillet 1934, lorsque Mussolini par ces pauvres bêtes, sans parler qui arrivent en grande quantité à Massaoua à partir
a menacé d’entrer en Autriche pour garantir l’intégrité de l’impact au sol ! (USSMA) de la fin du mois de décembre.

79
Pour autant, ces armes ne produisent pas les effets désirés : de
nombreux projectiles n’explosent pas et l’ennemi ne semble pas par-
ticulièrement ralenti. Une nouvelle tactique est alors appliquée : les
bombes chimiques (type C500T notamment) sont larguées à haute
altitude et réglées pour exploser 250 mètres avant l’impact, dispersant
ainsi la substance mortelle directement sur la piétaille du Négus au lieu
de s’accrocher au sol. Les résultats sont immédiats, notamment sur
le front Sud où évoluent les unités commandées par Rodolfo Graziani,
lorsque 125 de ces bombes sont lancées sur les troupes de Ras Destà
dans la région d’Aren.

LE MYTHE DE LA DISPERATA
ET LA FIN DE LA CONQUÊTE
DE L’ÉTHIOPIE
Comme nous l’avons évoqué, les opérations aériennes jouent un rôle
important dans la guerre d’Éthiopie et le régime mussolinien, qui l’a
amplement développée et subventionnée, ne manque pas de célébrer
ses exploits à grand renfort de propagande.
Les hiérarques fascistes sont en outre nombreux au sein de la Regia
Aeronautica : Ciano, Farinacci, Pavolini et Muti volent au sein de
La Disperata, la 15a Squadriglia di Bombardamento Caproni portant le
nom d’une squadra fasciste toscane. En effet, les raids de La Disperata
rappellent symboliquement ceux des squadristi du début des années
1920, frappant vite, fort, et revenant triomphants au bercail. La citation
liée à la Medaglia di Bonzo al Valore Militare décernée à Ettore Muti au
mois de décembre 1935 est symptomatique de la légende savamment
construite autour de cette escadrille : « Lieutenant pilote de réserve
volontaire en Afrique-Orientale, il participe à de nombreuses actions de
guerre, démontrant de vives qualités de courage, de sens du devoir et de
mépris du danger. Lors d’un vol sur Chidana-Mierat, à bord d’un appareil
touché par la défense antiaérienne ennemie, il demeure à son poste
afin de mener à bien la mission qui lui a été confiée, parvenant même
à disperser de grosses formations ennemies par des tirs bien ajustés ».
La « défense antiaérienne » abyssine se résume naturellement à des
fusillades venues du sol, étant donné que les rares appareils alignés par
l’armée du Négus sont presque incapables de prendre l’air. Ces tirs sont
par ailleurs loin d’être inefficaces contre des appareils encore largement
constitués de bois et de toile, les projectiles étant susceptibles de les
traverser et de blesser, voire tuer, les membres d’équipage. Durant par les dernières opérations qui aboutissent à la chute d’Addis-Abeba
toute la campagne cependant, seuls 8 appareils italiens sont abattus le 9 mai 1936. Le 10 février, 400 tonnes de bombes sont déver-
par leurs opposants, tandis que 65 autres sont victimes d’accidents. sées par les escadrilles de bombardement sur les positions de l’Amba
La fin de l’hiver et le début du printemps 1935-1936 sont marqués Aradam. Sur le front Sud, les bombardiers frappent les fortifications
p Sur un tel théâtre
http://www.marcopetrelli.com/ d’opérations, où le climat
cause des pathologies ou
aggrave les blessures reçues
au combat, le parachutage
de matériel sanitaire est
vital. Les Italiens utilisent
ce type de conteneur de
120 kg de charge. (USSMA)

t Action de bombardement
contre les positions
abyssines d’Irgalem, à
260 km au sud d’Addis
Abeba. (USSMA)

80
Aviazione
Coloniale 

t Peu avant l’entrée en


guerre de l’Italie le 10
juin 1940, le duc Amédée
d’Aoste (au centre, en tenue
de vol) converse avec des
responsables de la Regia
Aeronautica et Ettore Muti
(à droite). À cette époque, il
est urgent de renforcer les
forces aériennes du secteur
afin de contrôler la mer
Rouge. Les appareils les
plus modernes en dotation
sont le bombardier S.79 (à
l’arrière-plan) et le chasseur
Fiat CR.42. (USSMA)

q Des ascaris érythréens


sont transportés par avions
afin d’être déposés dans les
zones à ratisser. (USSMA)

de Sessabanèh-Bullalèh-Daghbùr, derniers obs- 8°, 9° et 14° Stormi da Bombardamento, dell’ A.O.I. est restructurée afin d’en améliorer
tacles sur la route d’Harar puis de Dire Daua. celui du Gruppo Autonomo RT et du Comando l’efficacité (notamment les communications)
La conquête de l’Éthiopie impose un redimen- Aviazione di Assab sont dissous. Les com- et pour des mesures d’économie (les caisses
sionnement des forces aériennes : au mois mandements de l’Aeronautica dell’Eritrea et sont vides après les coûts somptuaires de la
d’octobre 1936, le Comando Aeronautica de l’Aeronautca della Somalia prennent res- campagne de 1935-1936). À partir de l’été
Africa Orientale est transféré d’Asmara, en pectivement le nom de Comando Settore 1940, les cieux de l’Afrique-Orientale en
Érythrée, à Addis-Abeba et prend le nom de Aeronautico Nord (Asmara) et Comando général et italienne en particulier, deviennent
Comando Superiore Aeronautica in Africa Settore Aeronautico Sud (Mogadiscio). le théâtre de joutes aériennes épiques pendant
Orientale Italiana. Quatre commandements Entre 1936 et 1939, les opérations de paci- lesquelles les pilotes de la Regia Aeronautica
aéronautiques de secteurs sont mis sur pied fication menées par le maréchal Graziani tiennent la dragée haute à leurs opposants
et placés sous les ordres de généraux de bri- mobilisent des forces importantes, notamment du Commonwealth.
gade aérienne. Cinq bases, confiées à des dans la région du Goggiam. La répression est Mais ceci est une autre histoire… 
colonels, sont toutes aménagées le long des au moins aussi féroce qu’en Libye et les unités
axes principaux de communications (Asmara, aériennes sont indispensables pour la recon-
Visitez le site de l'auteur de l'article :
Gura, Mogadiscio, Dire Daua et Addis-Abeba). naissance et le guidage des troupes au sol, en
http://www.marcopetrelli.com/
Dans les foulée, les commandements des 7°, particulier la cavalerie. En 1937, l’Aeronautica

81
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 n°37 : Kamikaze, la vanité de l’héroïsme (Réf. 537)  n°66 : Les jets de Shōwa (Réf. 11066) Signature :
 n°38 : Jagdgeschwader, les escadres de formation (Réf. 538)  n°67 : L'aviation embarquée allemande (Réf. 11067)
 n°40 : Insurrection en Irak (Réf. 540)  n°68 : « Tueurs de chars » (Réf. 11068)
 n°41 : Kampfgeschwader KG 200 (Réf. 541)  n°69 : Les P-47 du 353rd Fighter Group (Réf. 11069)
 n°42 : KG 200 « Beethoven » (Réf. 542)  n°70 : Dans l'ombre de Marseille (Réf. 11070)
 n°43 : Les As de l’armée impériale japonaise (Réf. 543)  n°71 : Mission 84 - Le 1 raid sur Schweinfurt (Réf. 11071)
er

 n°44 : Monstres marins : le Martin PBM Mariner Réf. 544)  n°72 : Le Focke-Wulf Ta 152 en opération (Réf. 11072) Attention ! Les Eurochèques, cartes Maestro
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Assemblé entre 1940 et 1944 à réellement l’appareil médiocre que – P-51. De fait, le P-40 reste le seul
presque 14 000 exemplaires, ce qui certains auteurs se sont plu à décrire chasseur valable et disponible en
en fait le 3e avion de chasse le plus depuis la fin des années 1940 ? grand nombre jusqu’à l'automne
produit des USA, le P-40 jouit d’une 1943. Et au-delà des préjugés, dont
renommée principalement justifiée En considérant ses origines, son il est encore victime aujourd’hui, il
par ses états de services, plus que par évolution et son action sur ses prin- rendra d’inestimables services aux
ses performances. Si l’on se place cipaux théâtres d’opérations, on Alliés, y compris aux Soviétiques, et
du seul point de vue de la notoriété, arrive à une conclusion beaucoup saura tirer son épingle du jeu.
l’avion, qui a trouvé sa place au ci- moins sévère. Il convient de se sou-
néma et jusque dans la Pop Culture, venir que le P-40 aura été présent Ce sont les traces de cet illustre in-
est effectivement un «  fameux  » au bon moment et au bon endroit connu que Guy Julien et la rédac-
combattant. Pour autant, au-delà pour «  sauver la mise  » d’une avia- tion d’Aérojournal vous invitent à
de cette image publique flatteuse, tion américaine qui n’avait pas en- suivre, avec ce nouveau hors-série
le chasseur de chez Curtiss était-il core accès au tandem de choc P-47 illustré avec soin.

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