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GÜNTHER LÜTJENS
UN OFFICIER CONTROVERSÉ
Après la percée de Normandie de juin 1944, les fortifient dans Metz déclarée « Festung » par
troupes alliées foncent vers l’Allemagne sans Hitler… et Patton, à la tête de sa Third Army,
rencontrer de véritable résistance. Fin août, tombe en panne sèche suite à l’étirement
Paris se soulève et la capitale française est de ses lignes de ravitaillement. L’arrivée de
libérée ; les forces allemandes, considérable- la « mauvaise saison » va considérablement
ment bousculées, se replient vers l’est pour ralentir la progression américaine, tout comme
s’adosser à la ligne Siegfried dans les terres l’opiniâtreté des défenseurs allemands, notam-
du III. Reich. Cependant, depuis l’armistice de ment la 17. SS-Panzergrenadier-Division « Götz
1940, une région française est en première von Berlichingen », qui vont infliger de lourdes
LORRAINE 1944
ligne : la Lorraine. Avec une partie considérée pertes aux Américains. Finalement, le « bond
LES MATÉRIELS
comme allemande par les nazis (la Moselle), vers la Sarre » n’a pas été si rapide que prévu ;
ce territoire va être le lieu d’une première la météo catastrophique a grandement gêné les
résistance acharnée avant le Reich. La plus Américains, et ce n’est qu’au début du mois
grande bataille de chars à l’ouest se déroule à de décembre que la campagne sera réellement
Arracourt, et les Français libres se distinguent achevée… avant que Patton n’oblique vers le
à Dompaire ; de leur côté, les Allemands se nord pour sauver Bastogne.
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Tél : +33 (0)4 42 21 06 76 - www.caraktere.com
L'ACTUALITÉ DE L'AÉRONAUTIQUE p. 04
New Generation Fighter, Iran, Barkhane...
NOTAM
N°
72 COMME UN PARFUM DE GUERRE FROIDE p. 12
[NOTICE TO AIR MEN] Yak vs Lightning dans le ciel de Serbie
La rédaction
AU SOMMAIRE
DU N°73
3 120, route d'Avignon Rédacteur en chef / Group Captain : Y. Kadari ervice des ventes et réassort :
S
13 090 Aix-en-Provence - France Secrétaire de rédaction / Junior Technician : L. Becker À juste Titres - 04 88 15 12 41
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© Copyright Caraktère. Toute reproduction ou représentation intégrale ou
partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans la présente Notre couverture : 14 avril 1945, Stendal, Allemagne. L'Oberfeldwebel Willi Reschke, à bord du
publication, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une Ta 152 H « 1 blanc » de la Stabsschwarm JG 301, s'apprête à triompher du Hawker Tempest Mk. V
contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement SN141 du Warrant Officer O.J. Mitchell, du No 486 (RCAF) Squadron.
réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective
et, d’autre part, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère Illustration : © Piotr Forkasiewicz – Aérojournal 2019
spécifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées. Loi
du 11.03.1957, art. 40 et 41; Code Pénal, art. 425. Une lettre d’information accompagne votre magazine. Elle est réservée aux abonnés et clients VPC.
l'Actualité
de l'Aéronautique
France / Allemagne / Chasseur nouvelle génération
LE NEW
GENERATION
Par Laurent Lagneau
FIGHTER L’actualité de la défense et de la sécurité,
en partenariat avec :
L
rs du salon du Bourget, la maquette du New Generation
o 2035/40. Ce point de blocage ayant été levé et à l’occasion du salon
Fighter (NGF) du Système de combat aérien futur de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, qui a ouvert ses portes
(SCAF) de Dassault Aviation et Airbus a été dévoilée. ce 17 juin, les ministres Florence Parly (France), Ursula von der Leyen
L’occasion de revenir sur un programme franco-alle- (Allemagne) et Margarita Robles (Espagne) ont pu signer l’accord-cadre
mand majeur à la gestation difficile et dont nombre de relatif au programme SCAF, « véritable engagement juridique pour la
questions, aussi bien techniques que politiques, n’ont construction d’un système complet d’avions de combat et de drones,
pas encore été résolues. qui entrera dans les forces armées d’ici 2040 », précise le ministère
français des Armées. « Cette signature concrétise une étape clé de la
construction de l’Europe de la défense, alliant excellence technologique,
DÉBLOCAGE ALLEMAND volonté politique et coopération industrielle », ajoute la même source.
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2
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l'Actualité
de l'Aéronautique
LE NEW GENERATION FIGHTER ainsi récemment fait valoir Mme Parly, lors d’une audition au Sénat.
Et d’ajouter : « Il faut de surcroît que nous dépassions les blocages qui
Quoi qu’il en soit, une maquette à l’échelle 1 du « New Generation se sont manifestés sur les programmes existants, et qui sont d’autant
Fighter » a été dévoilée en présence du président Macron afin d’il- plus forts que la part qu’y prend l’industrie allemande est faible. Peut-être
lustrer la signature de cet accord-cadre entre la France, l’Allemagne l’attitude allemande serait-elle différente si ses industriels y prenaient
et l’Espagne. Cette maquette, a fait valoir la Direction générale de une plus forte part… Il faut que de simples composants ne deviennent
l’armement (DGA) présente « l’aboutissement des travaux de concept pas des éléments bloquants pour l’exportation. Nous discutons donc
et d’architecture des industriels Dassault et Airbus. » Et d’ajouter : avec l’Allemagne pour fixer un seuil en deçà duquel on ne pourra blo-
« Concrétisation des premiers choix importants concernant l’avion de quer l’exportation. Pour l’instant, ces discussions n’ont pas abouti. »
combat du futur, il ne s’agit pas d’une simple vue d’artiste, mais du Par ailleurs, le développement du SCAF exigera des investissements
résultat des premières décisions technologiques actées entre les pays importants. Selon les sources, il est question de 8 à 10 milliards d’euros
concernés. » Au passage on notera que, contrairement aux ébauches sur 20 ans… Et il faudra, dès l’automne, financer une demi-douzaine
diffusées précédemment, le futur avion de combat aura bel et bien d’études sectorielles qui mobiliseront entre 200 et 300 millions d’euros.
deux dérives… Qu’en dira le Bundestag?
Là est d’ailleurs un autre risque pour le SCAF… Au Parlement allemand,
ce programme ne fait pas forcément l’unanimité. Ainsi en est-il chez les
DES BLOCAGES ALLEMANDS ? Verts, qui ont le vent en poupe outre-Rhin, à en juger par les dernières
élections européennes (les « Grünen » sont désormais la deuxième
Cela étant, il reste encore d’autres obstacles à surmonter pour le force politique du pays, derrière les conservateurs de la CDU/CSU, en
SCAF, qui se veut un « système de systèmes », soit un réseau de perte de vitesse, NDLR).
plusieurs types d’appareils au centre duquel on trouvera le NGF, qui, « Le gouvernement fédéral est plus intéressé par une belle cérémonie
selon les explications données par le général Philippe Lavigne, le chef de signature au Bourget que par la clarification à l’avance des questions
d’état-major de l’armée de l’Air, sera un vecteur (piloté ou non selon ouvertes et extrêmement sensibles comme contrôle des exportations
les circonstances) « capable de recevoir une grande quantité d’infor- pour cet avion de combat », a ainsi raillé Tobias Lindner, l’expert
mations […] utiles pour gagner la guerre des opportunités’ c’est-à-dire « défense » du parti écologiste allemand.
engager les moyens les plus adaptés lorsqu’il
y a une faille dans le dispositif ennemi : un
avion, un missile, un drone ou autre chose. »
En premier lieu, il faudra que la France et
l’Allemagne trouvent un terrain d’entente
pour régler définitivement les questions
relatives à l’exportation. En clair, il n’est
pas question pour Paris que Berlin puisse
bloquer des ventes, comme c’est actuelle-
ment le cas. Sur ce point, les discussions
n’avancent pas vite…
« Nous avons l’ambition d’investir sur qua-
rante ans avec notre partenaire allemand
dans des programmes structurants, mais
nous avons besoin de savoir dans quelles
conditions ces équipements pourront être
exportés. Si nous devions par principe
limiter le champ de nos exportations à
l’Union européenne, j’en serais ravie, mais
il faudrait que nos partenaires cessent
d’acheter majoritairement américain ! », a 1
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Chine / Canada / Formose
MINIMISATION
DIPLOMATIQUE
Cela étant, la Défense canadienne a cherché à
3 minimiser l’incident, qui, hasard ou pas, s’est
produit alors que se tient le sommet du G-20,
LE
Taïwan comme faisant partie intégrante de son au Japon. Ce survol « n’était pas provoca-
18 juin, deux bâtiments de la territoire, la Chine proteste vigoureusement à teur, ni dangereux, ni surprenant étant donné
Marine royale canadienne, à chaque passage de navires ou d’avions de la la proximité avec la Chine », a-t-il affirmé.
savoir la frégate NCSM Regina et marine américaine. Même la frégate française Cependant, l’hélicoptère CH-148 Cyclone
le navire logistique MV Asterix, Vendémiaire n’y a pas échappé lors de son embarqué à bord de la frégate a eu « un laser
ont franchi le détroit de Formose, qui sépare transit, en avril dernier, pour rejoindre le port dirigé vers lui, qui provenait d’un navire de
la République populaire de Chine de Taïwan, chinois de Qingdao. pêche », a également indiqué la Défense cana-
île considérée comme rebelle à Pékin. Mais, visiblement, ce n’était que partie remise. dienne. « Personne n’a été blessé au cours de
Dix jours plus tard, deux avions de chasse cet incident », a-t-elle ajouté.
chinois de type Soukhoï Su-30 ont fait un Récemment, des pilotes d’hélicoptères austra-
TENSION « show of force » (démonstration de force) à liens ont aussi fait état d’incidents similaires.
DANS LE DÉTROIT l’intention de la frégate NCSM Regina, alors Les « navires de pêche » chinois n’appar-
DE FORMOSE que cette dernière naviguait dans les eaux
internationales de la mer de Chine orien-
tiennent pas forcément à des pêcheurs… mais
à la milice maritime chinoise, laquelle les utilise
Malgré des relations diplomatiques sino-cana- tale. Après une escale au Vietnam, le navire pour intimider d’autres flottes.
diennes à couteaux tirés depuis l’arrestation
à Vancouver, le 1er décembre 2018, et à la
demande des États-Unis, de Meng Wanzhou,
la directrice financière du groupe chinois de
télécommunications Huawei, cette présence
des deux navires canadiens dans le détroit
de Formose ne donna lieu à aucun incident.
Ce qui, en de pareilles circonstances et pour
d’autres forces navales, n’a pas été toujours
le cas. En effet, estimant que ce détroit lui
appartient dans la mesure où elle considère
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l'Actualité
de l'Aéronautique
Turquie / Chasseur / Projet
TURKISH AEROSPACE
DÉVOILE UNE MAQUETTE
DE SON FUTUR AVION DE COMBAT DE 5E GÉNÉRATION
Par Laurent Lagneau
La
maquette du New Generation Fighter (NGF) du Système de combat aérien la famille des réacteurs F-110 de l’américain
futur (SCAF) sur lequel planchent Dassault Aviation et Airbus n’a pas été la General Electric. Une décision logique dans
seule à avoir été dévoilée à l’occasion de l’ouverture du salon de l’aéronautique la mesure où TUSAŞ Engine Industries (TEI)
et de l’espace, le 17 juin. En effet, Turkish Aerospace en a aussi profité pour assemble des moteurs F-110 sous licence en
présenter celle du TF-X, c’est-à-dire l’avion de combat de 5e génération que Turquie. Mais il s’agit d’une solution provisoire,
le constructeur turc développe dans le cadre d’un programme lancé en 2010. dans l’attente de pouvoir disposer de moteurs
produits par TRMotor.
point du TF-X vise à faire en sorte que la
UN F-22 TURC ? Turquie puisse disposer d’une industrie de
l’armement forte et autonome. UNE AIDE RUSSE ?
Évidemment, étant donné que tout laisse « Nous avons promis à notre pays que ce serait
à penser qu’Ankara devra renoncer à doter le meilleur chasseur en Europe », a ainsi affirmé Seulement, les relations entre Washington et
ses forces aériennes de l’avion F-35, déve- Temel Koti, le PDG de Turkish Aerospace. Ankara étant au plus bas, des complications
loppé par Lockheed-Martin, en raison de sa « Le développement d’une industrie locale de ne sont pas à exclure. Pour le moment, le
volonté de se procurer des systèmes russes défense forte et autosuffisante est une priorité Pentagone menace « seulement » de sanc-
de défense aérienne S-400, la communica- du gouvernement turc », a, de son côté, fait tionner la Turquie pour l’achat des missiles
tion autour du TF-X a pris un relief particulier. valoir Abdurrahman Can, le sous-secrétaire antiaériens S-400 russes en la privant des
Cependant, ce futur appareil n’est pas le pen- turc chargé des industries de défense. F-35 qu’elle a commandés. Mais le Congrès
dant du F-35 américain, fruit d’un programme américain pourrait aller plus loin, en vertu de
dans lequel l’industrie aéronautique turque est la loi dite CAATSA (Countering America’s
impliquée. Le TF-X sera avant tout un avion UN AVION NATIONAL ? Adversaries Through Sanctions Act), qui vise
de supériorité aérienne, ayant des capacités à empêcher tout commerce avec des entre-
air-sol. Comme le F-22 Raptor de l’US Air Cela étant, Turkish Aerospace a dû nouer des prises russes du secteur de l’armement. En
Force. D’ailleurs, dans les plans d’Ankara, les partenariats pour mener à bien ce programme, clair, Turkish Aerospace pourrait bien devoir
deux appareils devaient cohabiter au sein de dont un avec le BAE Systems, en janvier 2017. se passer des moteurs F-110 (et cela aurait
la force aérienne turque. « L’accord [d’une valeur de 100 millions de aussi des conséquences sur les F-16 turcs…).
livres sterling, NDLR] confirme une coopération Cependant, si cela devait arriver, le construc-
continue sur le design et le développement de teur turc pourrait se tourner vers l’industrie
CARACTÉRISTIQUES l’appareil », avait expliqué, à l’époque, Ian King, russe. Cette dernière est d’ailleurs ouverte à
alors PDG du groupe britannique de défense. une telle coopération.
Dans le détail, doté d’un radar à antenne Par ailleurs, la question de la motorisation reste Quoi qu’il en soit, selon le calendrier affiché
active (AESA), le TF-X doit pouvoir voler épineuse. Dans un premier temps, le motoriste par Turkish Aerospace, le premier vol du
à la vitesse de Mach 2, à l’altitude de Rolls Royce était pressenti pour participer à ce TF-X pourrait avoir lieu en 2023, voire en
55 000 pieds (17 000 mètres). Son rayon projet. Finalement, les discussions n’ayant pas 2025 au plus tard. Et sa mise en service
d’action serait de 600 km. Mais la mise au abouti, Turkish Aerospace a jeté son dévolu sur interviendrait en 2028.
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Barkhane / Armée française / Sauvetage
BARKHANE
L’INCROYABLE SAUVETAGE
DE L’ÉQUIPAGE DE L’HÉLICOPTÈRE GAZELLE
Par Laurent Lagneau
2 Gazelle SA 342M.
(Coll. Albin Denooz)
L
mors de l’opération « Aconit », menée
par la force française « Barkhane »
3
dans le Liptako malien, entre les 9
et 19 juin 2019, un hélicoptère d’at-
taque Gazelle engagé en appui a été
contraint à faire un atterrissage d’urgence,
nécessitant l’envoi d’une force de secours
pour évacuer son équipage.
ATTERRISSAGE FORCÉ
En réalité, l’appareil a fait un « posé dur ».
Et les trois membres de son équipage (pilote,
copilote et tireur d’élite), blessés, ont été
évacués vers un hôpital militaire en France
par mesure de précaution. L’État-major des
armées (EMA) ne s’est jusqu’à présent pas
attardé longuement sur cet incident. Au
plus comprend-on qu’il s’est produit à un
moment où les combats contre le groupe
armé terroriste (GAT) visé par l’opération
« Aconit » étaient acharnés. Toutefois, on Le tireur d’élite qui se trouvait en place qui consiste à sécuriser le périmètre où a atterri
en sait plus grâce aux informations de Radio arrière a ensuite extrait de l’appareil le pilote l’appareil touché [ou victime d’une avarie] en
France internationale (RFI). Informations et le copilote, alors plus gravement blessés déployant des commandos au sol, débarqués
que l’EMA ne souhaite ni infirmer ni confir- que lui. Et cela, sous la surveillance d’au d’un hélicoptère de manœuvre. Et la récupé-
mer, selon l’Agence France-Presse (AFP). moins un hélicoptère d’attaque Tigre. ration de l’équipage se fait sous la protection
Ainsi, d’après Olivier Fourt, de RFI, cet héli- d’un hélicoptère d’attaque.
coptère Gazelle a été touché par des tirs de Mais selon RFI, il a fallu trouver un autre
mitrailleuse 7,62 mm, lesquels ont provoqué un UNE MANŒUVRE mode d’extraction pour l’équipage de la
début d’incendie. Perdant de la puissance, l’ap-
pareil a donc été obligé de faire un atterrissage
EXCEPTIONNELLE Gazelle… Ainsi, son pilote et son chef de
bord ont chacun été sanglés sur une ailette
forcé près des combats, dans des conditions Dans ce genre de situation, l’Aviation légère de d’un EC-665 Tigre. Et le tireur d’élite a fait
difficiles, la visibilité du pilote ayant été réduite l’armée de Terre [ALAT] met en œuvre une pro- « sauter » l’hélicoptère accidenté avant de
par le nuage de poussière soulevé par le rotor. cédure appelée IMEX (Extraction immédiate), s’exfiltrer « dans un autre appareil ».
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l'Actualité
de l'Aéronautique
Drone / États-Unis / Iran
UN DRONE AMÉRICAIN
Par Laurent Lagneau
ABATTU PAR L' IRAN
P
our le Pentagone, le drone HALE (Haute Altitude Longue Endurance) de type BASM-D qui en ont été tirés pour être publiés sur les
(version navale du RQ-4 Global Hawk [1]), abattu par l’Iran le 19 juin, volait dans réseaux sociaux, on ne voit aucun numéro de
l’espace aérien international, précisément à 34 km des côtes iraniennes. Ce que série, ce qui rend compliqué toute identifica-
conteste Téhéran, qui a produit des « preuves » de ses affirmations. tion. Cela étant, ces documents ne donnent
pas d’indication sur l’endroit exact où le drone
l’appareil que cet engin a touché. L’agence se trouvait avant d’être abattu.
VERSION IRANIENNE iranienne Tasnim a ensuite publié une photo-
graphie (prise de jour) censée montrer la chute
Ainsi, le ministre iranien des Affaires étran- du drone américain. VERSION AMÉRICAINE
gères, Mohammad Javad Zarif, a indiqué la Enfin, la télévision iranienne a montré des
position du drone au moment où il a été frappé images de débris présentés comme provenant De son côté, l’United States Central Command
par un missile surface-air : « 25°59’43 » (de de l’épave du Global Hawk. Sur les clichés (CENTCOM), le commandement militaire
latitude Nord et) « 57°02’25 » (de longitude
Est). C’est-à-dire que l’appareil américain ne 2
survolait pas l’Iran, mais les eaux territoriales
iraniennes. « Nous avons retrouvé des mor-
ceaux du drone militaire américain dans NOS
eaux territoriales à l’endroit où il a été abattu »,
a d’ailleurs précisé le ministre iranien.
En outre, les autorités iraniennes ont diffusé
une animation montrant le parcours suivi par
le drone américain jusqu’à sa chute. Mais
elles ne précisent pas les moyens utilisés
pour déterminer la trajectoire de l’appareil.
Une vidéo montrant le tir – de nuit – d’un
missile 3rd Khordad [2] du système de défense
aérienne iranien Raad a également été diffu-
sée. Seulement, il est bien difficile de préciser
10
missiles. Alors que le dispositif se mettait en
3 place, le chef de la Maison-Blanche se serait
ravisé. Étant donné le contexte, de telles affirma-
tions sont à prendre avec précaution. Toutefois,
des sources gouvernementales iraniennes ont
confié à l’agence Reuters que le président
Trump avait envoyé un message à Téhéran.
RÉACTIONS IRANIENNES
« Dans son message, Trump dit qu’il est contre
une guerre avec l’Iran et qu’il veut discuter
avec Téhéran de plusieurs sujets. […] Il a donné
un court délai pour qu’une réponse lui soit
donnée, mais dans l’immédiat, notre réponse,
c’est qu’il revient à notre guide suprême de se
prononcer », a affirmé un des interlocuteurs de
américain pour le Moyen-Orient et l’Asie cen-
trale, a aussi produit des documents. Dont la
A DEUX DOIGTS l’agence de presse. « Nous avons clairement
indiqué que le guide est contre toute discus-
carte de la trajectoire suivie par le drone et une Quoi qu’il en soit, et selon le New York Times, sion, mais le message lui sera transmis pour
photographie du drone en feu. Ainsi, l’appareil le président Trump était à deux doigts de donner qu’il prenne une décision. […] Nous avons
aurait été abattu à « 25°57’42 » de latitude son feu vert à une riposte des forces américaines toutefois prévenu le responsable d’Oman
Nord et « 56°58’22 » de longitude Est. Autre contre des positions tenues par le Sepâh-e (qui a relayé le message américain) que toute
différence avec les « preuves » données par Pâsdârân-e Enghelâb-e Eslâmi (Corps des gar- attaque contre l’Iran aurait des conséquences
l’Iran : l’horaire. Il y a en effet un écart de diens de la révolution ou Sepâh-e Pâsdârân, régionales et internationales », a ajouté ce res-
4 minutes entre les deux versions. Pasdaran), dont des radars et des batteries de ponsable iranien.
Par ailleurs, le commandant Amirali Hajizadeh,
4 qui dirige la division aérospatiale du Sepâh-e
Pâsdârân-e Enghelâb-e Eslâmi, a remis une pièce
dans la machine en affirmant que ses hommes
s’étaient abstenus d’abattre un avion de
patrouille américain P-8 Poseidon [3] qui accom-
pagnait le drone HALE, assurant que cet appareil
s’était aussi aventuré dans l’espace aérien ira-
nien. « Nous aurions pu l’abattre, nous ne l’avons
pas fait », a-t-il dit, selon l’agence Tasnim.
En attendant, cet incident à proximité du
détroit d’Ormuz a des conséquences sur le tra-
fic aérien civil, plusieurs compagnies aériennes
ayant ont indiqué avoir suspendu tout survol
de cette région.
11
BATAILLE
1944
COMME DE GUERRE
UN PARFUM FROIDE
En
le ciel italien et au dessus de la Grèce, patrouillé dans
novembre 1944, dans le ciel d’une Yougoslavie l’Adriatique, pour beaucoup, serré plus d’une main
déchirée depuis l’invasion de l’Axe de 1941 et en russe, en faisant la navette entre les terrains italiens
cours de libération par les forces de partisans de et ceux du front de l’Est. Aujourd’hui, le job est un peu
Tito puissamment assistées par l’Armée rouge, différent. L’Armée rouge et les partisans yougoslaves
se déroule un incident unique par son ampleur, si ce n’est sa talonnent les Allemands en pleine évacuation précipitée
de Grèce et de Serbie. Malgré la quasi disparition de la
nature, et qui préfigure une guerre froide qui pourtant ne verra Luftwaffe du théâtre d’opération, les appareils de la 17e
jamais de heurts si directs : pendant d’interminables minutes, armée aérienne soviétiques basés essentiellement en
des chasseurs Yak de la 17e armée aérienne soviétique et des Bulgarie ne peuvent pourvoir à tout. Le commandement
P-38 Lightning de la Fifteenth Air Force américaine se livrent soviétique sollicite l’aide de la Fifteenth Air Force basée
sur l’autre rive de l’Adriatique de harceler les colonnes
une lutte aérienne féroce dans le ciel de la ville serbe de Nis. allemandes partout où l’on pourra et en particulier sur
Pourquoi ? Comment ? Jusqu’à ce jour, personne ne peut le dire leur axe principal de retraite vers la Croatie par Skopje et
avec une absolue certitude, tant une aura de mystère entoure Pristina, le fameux « corridor de Vardar ». Pour ce genre
encore cette « bataille de Niš » soigneusement étouffée pendant de mission, le chasseur-bombardier P-38 est l’arme
des décennies par les Alliés d’alors. parfaite : certes un peu lourd pour le dogfight face à des
intercepteurs agiles, l’appareil est en revanche extrê-
mement solide, rapide, puissant, et dispose d’un rayon
UN MATIN DE NOVEMBRE d’action exceptionnel. Au plan offensif, le Lightning peut
ORDINAIRE emporter quelques bombes et roquettes voire même,
si nécessaire, une lourde torpille de 533 mm sous le
Aérodrome de Vincenzo, complexe aérien de Foggia, p Une formation en vol de ventre ; de quoi s’attaquer à quasiment n’importe quelle
Italie du sud, le 7 novembre 1944. Parfaitement alignés Lockheed P-38 L Lightning cible. Mais il est aussi parfaitement taillé pour le strafing
du 96th Fighter Squadron,
sur le tarmac, plusieurs dizaines de P-38 Lightning [1] à grande vitesse avec son canon automatique HS-404
82nd Fighter Group,
appartenant aux trois escadrilles et au groupe de com- au-dessus de l'Italie en 1944. de 20 mm encadré de quatre mitrailleuses lourdes de
mandement du 82nd Fighter Group du Group Captain (USAF) 12,7 mm. Le décollage par escadrille, 95, 96, 97th
Clarence « Curly » Edwinson attendent l’ordre de décol- Fighter Squadrons s’effectue dans un ordre parfait.
ler. Cette formation appartenant au 305th Fighter Wing Cap est-nord-est, survol de l’Adriatique et, de là, sans
de la Fifteenth Air Force n’en est pas, loin s’en faut, à guère d’inquiétude quant à une quelconque menace
sa première mission de combat. Les pilotes ont connu adverse, la ligne des montagnes albanaises puis le ciel
l’enfer au dessus des puits de pétrole de Ploesti en de Serbie et de Macédoine à la recherche des « krauts »
escortant les bombardiers de la ; ils ont combattu dans en retraite entre Skopje et Pristina...
12
m
Comme un parfu
de guerre froide
Ci-contre :
Le lieutenant-général Grigory
Kotov, commandant du 6e
corps de fusiliers de la Garde,
tué lors du strafing de son QG
par les P-38 américains. (DR)
À gauche :
Clarence T. « Curly »
Edwinson, commandant
du 82nd Fighter Group,
photographié après la
guerre alors qu'il est
colonel de l'USAF.
(DR)
Il est 12h40 sur le terrain d’aviation du nord-ouest de se détacher par paires en direction de l’aérodrome, leurs
la ville serbe de Niš, libérée par les Bulgares à la mi-oc- intentions hostiles ne font plus aucun doute. L’alerte de
tobre et occupée par plusieurs régiments de la 17e armée dispersion est donnée et chacun gagne déjà ses abris
aérienne soviétique, parmi lesquels les chasseurs Yak de quand rugissent les premières explosions. Six appareils
la 288e division de chasse (288 IAD). Selon le récit du survolent successivement le terrain, l’arrosant de tirs de
colonel Shmelev, alors commandant du 707e régiment roquettes et de rafales d’armes automatiques. Un Yak-9
d’aviation d’assaut et témoin direct des événements, explose en tentant de prendre l’air. Aux cris « voilà les
l’ambiance ce jour là est on ne peut plus détendue. On fascistes ! » succèdent bientôt des lamentations incré-
s’apprête à célébrer le 27e anniversaire de la Révolution dules et atterrés : ces étoiles blanches, pas de doute, il ne
d’Octobre. Soudain est signalée l’approche depuis les s’agit pas de « Rama » [3] mais de Lightning américains,
montagnes d’une importante formation aérienne non des amis ! Autre témoin de la scène, le commandant
identifiée. La surprise le dispute à l’incompréhension Syrtsov, commandant le 866 IAP (Régiment de chasse) x Le capitaine Alexander
lorsqu’on commence à distinguer les appareils – ils sont se précipite vers la base pour ordonner le décollage de Ivanovich Koldunov (1923-
plusieurs dizaines - ainsi que les double queues évoquant tous ses chasseurs. Il s’agit pour l’essentiel de Yak-9T et 1992), double Héros de
l'Union soviétique, au titre de
des Focke-Wulf Fw 189 ; mais d’où viendraient-ils, et D, mais aussi de quelques rares nouveaux Yak-3 flambant ses 412 missions marquées
comment pourraient-ils être si nombreux [2] ? Lorsque neufs arrivés au compte goutte depuis l’été de leurs usines par 96 combats aériens et 46
les arrivants commencent à rompre leur formation et à de Saratov et de Tbilissi pour les meilleurs pilotes, à com- victoires durant la Seconde
Guerre mondiale. Son
mencer par le capitaine Alexander Ivanovich Koldunov,
palmarès individuel comprend
« Koldun », l’un des meilleurs spécialistes des Yak des un... P-38 américain abattu
VVS, as aux trente victoires et déjà héros de l’Union lors de la bataille de Niš.
(DR)
soviétique. Lorsque Syrtsov arrive sur place, plusieurs
paires d’appareils s’élèvent déjà à la suite des Lightning,
dont une de Yak-3 menée par « Koldun » lui-même. [1] 27 appareils, selon
les sources américaines.
Consigne : faire comprendre aux Américains leur erreur
Les sources soviétiques
sans engager le combat. et yougoslaves évoquent
la présence de 40
voire 60 appareils.
13
Il s’agit en l’espèce du quartier-général du 6e corps de p Trois Yak-9D en vol en Krivonogih est presque immédiatement victime d’un tir
fusiliers de la Garde du récemment promu lieutenant-gé- 1944. Difficile de déterminer, fratricide de sa propre DCA [6]. Ils sont suivis à 13h05
compte tenu de la confusion
néral Grigory Kotov, relevant de la 57e armée du général par six autres Yak-9 rassemblés sous le commande-
incroyable du combat, lequel
Sharokin [5]. Les P-38 attaquent par groupes de quatre du P-38 ou du Yakovlev a ment de l’as et héros de l’Union soviétique, le capitaine
depuis 400 mètres d’altitude et mitraillant jusqu’à 50 tiré son épingle du jeu en Alexander Bondar, puis à 13h10 par le Yak-3 du capi-
mètres, le reste de la formation attendant son tour en ce 7 novembre 1944 ! taine « Koldun » Koldunov flanqué du sous-lieutenant
(Marmain)
effectuant des cercles à 1 500 m. Lors de la deuxième Krasyukov, et enfin, quelques minutes plus tard, par le
vague d’attaque, la DCA soviétique qui s’est ressaisie Yak esseulé du sous-lieutenant Serdyuk ; au total, 11
ouvre le feu et abat l’un des appareils qui s’écrase à un appareils du 866 IAP, et peut-être d’autres appartenant
kilomètre au nord de l’aérodrome. Kotov lui-même est tué au 659 IAP, le régiment « frère », souvent mentionné.
lors de l’action dans son véhicule de commandement aux Impossible de faire la part des choses dans la succession
côtés de plusieurs dizaines d’hommes. Ce n’est que vers de duels qui s’ensuit dans la plus grande confusion,
13h00 que décolle la première paire de Yak-9 d’alerte du alors que conformément à leurs directives, certains
866 IAP pilotée par le lieutenant Krivonogih et son ailier { Belle vue d’un Yak-9T pilotes soviétiques tentent tant bien que mal de se
le sous-lieutenant Shipulya. Ceux-ci engagent immédia- en vol. La bande blanche faire reconnaître des Américains tandis que d’autres,
visible sur le plan d’aile
tement les assaillants et pensent abattre un P-38 mais engagés par les P-38 qui se révèlent de redoutables
droit aide à la visée des
cibles terrestres. On peut adversaires, ouvrent le feu. Par deux fois, le lieute-
[5] La 57e armée soviétique qui a participé à la se faire une idée du champ nant Surnev d’abord, puis face à un second groupe
campagne de Roumanie et à l’offensive conjointe avec de vision offert au pilote par de P-38, le lieutenant Poziba, des chasseurs à étoile
l’armée bulgare et les partisans yougoslaves contre la verrière panoramique,
en principe « dans tous les
rouge parviennent à approcher suffisamment d’un leader
le corridor de Macédoine constitue l’extrême sud de
l’Armée rouge, dépendant du 3e front d’Ukraine. sens », mais elle ne paraît américain en battant des ailes de façon assez explicite
pas aussi évidente vers pour se faire reconnaître et obtenir l’interruption de
[6] Il est possible, si ce n’est vraisemblable, que c’est l’arrière à cause du dossier l’attaque. Que la méprise ait pris autant de temps à
le P-38 de King que Krivonogih pense abattre avant et de la cloison vitrée blindée
placée dans son dos.
être reconnue et diffusée par radio à l’ensemble de la
d’être victime à son tour du réveil de la DCA.
(Marmain) formation reste en revanche incompréhensible malgré la
Yakovlev Yak-9T
Capitaine Alexander Bondar
866 IAP
Niš, Yougoslavie, novembre 1944
14
m
Comme un parfu
de guerre froide
15
Lockheed P-38J Lightning
95th Fighter Squadron
82nd Fighter Group
Vincenzo, Italie, novembre 1944
WHY ?
Que s’est-il vraiment passé ce 7 nombre
1944 dans le ciel de Niš ? Au delà des faits,
incontestables mais difficiles à reconstituer
avec précision et laissant ouvertes bien des
questions, s’agit-il d’un simple incident isolé
après trois ans de coopération aérienne
pourtant étroite et fructueuse [8] ? C’est
la question que pose le colonel Glantz,
spécialiste bien connu et pionnier de la
redécouverte du front germano-soviétique
dans un article de 1998, à la lumière d’ar-
chives seulement partiellement ouvertes et
dans la perspective d’éclairer la méfiance
croissante et réciproque entre alliés aux
racines de la guerre froide : « Comment et
pourquoi les Américains ont-ils tué le général
Kotov ? ». On l’a vu, ni les archives connues
ni les récits partiels ne concordent vraiment.
[Kotov] « fut la victime d’un manque de
communication et de la ressemblance entre
les uniformes et les marquages de véhi-
cules soviétiques et allemands qui a trompé
les P-38 attaquant à grande vitesse »
expliquent certains récits américains sur le
16
m
Comme un parfu
de guerre froide
sujet dédouanant à peu de frais ce qui constitue pour le colonne Kotov mais encore directement du terrain d’avia-
moins une suite d’erreurs monumentales de la part du tion de Niš ? Un malheureux concours de circonstances
groupe d’Edwinson ; erreur de navigation d’abord, de ayant dégénéré ? Improbable et cynique avertissement
x Alignement de chasseurs
reconnaissance ensuite, de coordination enfin. Certaines soviétiques Yakovlev occidental « Soviétiques, n’avancez plus » ? Toutes les
explications vont jusqu’à renvoyer l’entière responsabilité Yak-3 à une seule interprétations ont été avancées, avec pour seul point
à des Soviétiques n’ayant non seulement pas transmis mitrailleuse sous capot. commun avéré la réalité de cette malheureuse « bataille
L’appareil au tout premier
les informations sur l’évolution de la ligne de front mais de Niš » peu reluisante à tous égards et dans laquelle
plan est un chasseur
ayant « après tout, tiré les premiers » en interceptant Lavotchkine La-5. Le 866 on semble parfois bien plus rechercher à démontrer un
les P-38. C’est encore moins convaincant. Niš était aux IAP dispose de plusieurs « score » favorable à son camp qu’à établir la réalité des
mains des alliés de l’Est et de la résistance yougoslave de ces nouveaux Yak-3 au circonstances.
moment de l'incident de Niš.
depuis trois semaines. Est-il possible qu’Edwinson et (Marmain)
Le 14 décembre 1944, l’ambassadeur W. Averell Harriman
ses chefs d’escadrilles se soient trompés à ce point présente au Kremlin les excuses du gouvernement améri-
d’objectif, confondant Niš avec Pristina, et une colonne q Un P-38J du 82nd Fighter cain pour le malheureux « incident », invoquant une erreur
soviétique avec des Allemands en retraite ? C’est tout Group sur le point de décoller de navigation et une confusion entre Niš et Pristina, une
pour une mission. Un cliché
au moins peu flatteur. Et qu’en est il des témoignages pris quelques semaines
explication et une erreur que valide l’enquête soviétique.
soviétiques et yougoslaves décrivant plusieurs groupes après la bataille de Niš. Une erreur de 150 kilomètres, prolongée pendant d’in-
d’attaque distincts s’en prenant non seulement de la (IWM) terminables minutes malgré les communications radio...
17
plusieurs commandements élevés au sein des VVS
jusqu’à un poste de vice-ministre. Quant à la proposition
d’Harriman de dépêcher des officiers de liaison au plus
près du terrain pour éviter toute nouvelle méprise, elle
est déclinée par Staline, ce qui alimentera à Washington
une défiance accrue envers cet allié ne paraissant vouloir
coopérer qu’à sens unique. Ressentiment et guerre froide
Une erreur conduisant à des faits qu’aucun des deux Le P-38G Lightning en germes, déjà.
commandements ne sera pressé, évidemment, de rendre « Sweet Pea » du 97th
Fighter Squadron.
publics. Une erreur qui aura coûté la vie à des dizaines de (DR)
soldats soviétiques dont un général et à plusieurs pilotes
des deux camps. Rapatrié aux États-Unis, Edwinson { Ces armuriers s'affairent ESCARMOUCHES CHAUDES
AVANT GUERRE FROIDE
sur les mitrailleuses cal. 50
poursuivra néanmoins sa carrière dans l’Air Force en
du nez du P-38 piloté par
occupant plusieurs postes successifs de commande- le 2nd Lieutenant Ward
ment et obtenant le grade de Brigadier-General. Charles Kuentzel, du 96th FS. Plus largement, cet épisode, noyé dans la masse des
(DR)
King, le pilote abattu et récupéré – par des fantassins de combats des derniers mois de la guerre est-il unique,
l’Armée rouge disent les Soviétiques, par des paysans traduisant à la fois les difficultés de coordination et les
locaux selon les sources américaines, ne s’accordant « frictions » de plus en plus nombreuses à mesure du
décidément pas sur grand chose – est discrètement rendu rapprochement physique des alliés de circonstances ?
et rentre, lui aussi, au pays. Victorieux ou non ce jour Sans doute pas, même s’il est encore aujourd’hui très
là, « Koldun » poursuivra sa brillante carrière de pilote difficile d’éclairer et de vérifier ces faits, archives fermées
jusqu’en Corée, accumulant 46 victoires, et occupera ou incomplètes, témoins disparus, et mémoire passée
Yak vs P-38
Lockheed P-38L Lightning Yakovlev Yak-9T Yakovlev Yak-3
Type Chasseur lourd monoplace Chasseur monoplace Chasseur monoplace
Premier vol 27 janvier 1939 6 juillet 1942 28 février 1943
Mise en service Juillet 1941 Octobre 1942 Juin 1944
Retrait 1949 1 950 1 952
Exemplaires produits 10037 (total) 2 748 (version) 4 848
16 769 (total)
Dimensions 11,53 x 15,85 x 3,91 8,5 x 9,74 x 3 m 8,5 x 9,2 x 2,39 m
Masse (a.v/charge) 5800 / 7940 kg 2 277 / 2 870 kg 2 105 / 2 692 kg
Motorisation 2 x Allison V12 1600ch 1 x Klimov V12 1 180 ch 1 x Klimov V12 1 300 ch
Puissance 0,55 / 0,4 ch/kg 0,52 / 0,41 ch/kg 0,62 / 0,48 ch/kg
Vitesse 666 km/h 600 km/h 655 km/h
Vitesse ascens. 24,1 m/s 16,3 m/s 18,5 m/s
Plafond 13000m 11 100 m 10 700 m
Rayon d’action 1050km 450 km 325 km
Armement 1 x 20 HS-404 150c 1 x 37 NS 30 coups 1 x 20 ShVAK 150 coups
et munitions 4 x 12,7 M2 500c 1 x 12,7 UB 200 coups 2 x 12,7 UB 170 coups
Emport offensif 4x3 LR M10 112mm ou diverses configurations - -
de bmbs/rqts/réservoirs (Jusqu’à 2xbb de 907kg)
18
m
Comme un parfu
de guerre froide
Né juste avant la guerre, en même temps que d’efficacité. Il reste aujourd'hui moins d'une
Superman, le P-38 était plus célèbre en 1940 demi-douzaine de Lightning en état de vol à
que le fils de Jorel auprès des adolescents du travers le monde. En voir évoluer un demeure
Midwest ou de Californie ! Il faut avouer que un privilège rare et qui marque à jamais la
le plus beau chasseur de sa génération* ne mémoire des spectateurs. Pour appréhender
pouvait pas laisser indifférent avec son design la richissime histoire de ce pur-sang, on pourra
futuriste et élégant propre aux ingénieurs de la utilement se référer au prochain hors-série
Lockheed : que l’on pense à son contemporain, d'Aéro-journal : un historique de presque 120
le sublime L-12 Electra, pour s’en convaincre ! pages, signé Guy Julien et richement illustré
Malgré des débuts difficiles, le « diable à de plans, de profils et de photos, à paraître
queue fourchue » saura trouver son rôle en août.
et largement contribuer à la victoire L’avion de « Rex » Barber, tombeur du
des Alliés, combattant aussi bien « Betty » de l'amiral Yamamoto, d’Antoine
en Europe, en Afrique du Nord, de Saint-Exupéry ou encore de Richard Bong,
que dans le Pacifique, où il as des as américains avec 40 victoires, n’aura
s’est taillé une réputation alors plus de secrets pour vous !
* Selon Robin Olds, futur général de l’Air Force et as
à 13 victoires sur P-38 pendant la guerre.
19
BATAILLE
1940
JABOS
1941
LONDRES !
SUR
P
L’Erp.Gr. 210 a été créé à Cologne-Ostheim le 1er
eu avant le début de la Bataille d’Angleterre, la juillet 1940 sous les ordres du Hauptmann Walter
Luftwaffe expérimente une nouvelle arme aérienne : Rubensdörffer. Ses deux premières escadrilles volent
le chasseur-bombardier [1]. Les résultats dépassent les sur Bf 110 et la troisième sur Bf 109. Cette unité a pour
espérances, mais l’apparence trompeuse de succès mission de mettre au point de nouveaux équipements et
sans portée stratégique va conduire l’aviation allemande dans de nouvelles techniques d’appui tactique et de bombar-
dement en piqué. Il avait été prévu d’équiper le groupe
une véritable impasse. du nouveau bimoteur Me 210, successeur désigné du
Ju 87 Stuka, dédié à l’attaque au sol et capable de se
Au
défendre seul. Toutefois, en raison des graves difficultés
printemps de 1940,
l’état-major géné-
ral de la Luftwaffe
demande au Service
technique d’étudier la
possibilité d’armer le
Messerschmitt Bf 109 E d’une bombe. Le
bureau d’études dessine un râtelier caréné à
installer sous le ventre de l’avion et pouvant
accueillir une bombe SC 250 de 250 kg. Les
essais s’avèrent satisfaisants, le râtelier et la
bombe n’engendrant qu’une faible dégrada-
tion des performances. Par conséquent, le
râtelier ETC 500 est commandé en série et
issu aux unités pour montage par leurs soins.
Simultanément, des commandes sont passées
pour une version spécifique des Bf 109 E-1
et E-4, baptisées Bf 109 E-1/B et E-4/B. Au
total, 110 Bf 109 E-1/B et 226 Bf 109 E-4/B
sont construits. Les premiers exemplaires sont
pris en compte en juillet 1940 et versés à la
3. Staffel d’une nouvelle unité, l’Erprobungs-
gruppe 210 (groupe d’expérimentation 210).
20
Jabos
sur Londres !
{ Le prototype du techniques qui plombent le programme du Me 210, une vitesse de 600 km/h est préconisée, tandis que pour
Messerschmitt Bf 109 E l’Erp.Gr. 210 reçoit l’ordre de s’acquitter de sa mission les attaques à haute altitude, une vitesse de 650 km/h
Jabo pourvu du râtelier
avec ses Messerschmitt. est recommandée. Étant donné le manque d’expérience,
ETC 500 affectant une
bombe de 250 kg. Le groupe se met au travail sans tarder, établissant un la visée se fait à l’estime ; cependant, par tâtonnements,
(Sauf mention contraire, toutes programme rigoureux d’entraînement au bombardement une méthode permettant d’utiliser le collimateur Revi finit
photos coll. C. Goss)
en piqué placé sous la responsabilité du Hauptmann par être mise au point, comme l’explique l’Oberleutnant
Karl Valesi, un farouche promoteur de l’emploi du Otto Hintze, alors Staffelkapitän de la 3./Erp.Gr. 210 :
Bf 109 dans ce rôle. Le 10 juillet, le groupe s’installe « L’angle du piqué depuis 3 000 mètres était de 45° en
à Denain, où l’entraînement se poursuit d’arrache-pied, maintenant la cible dans le centre du viseur. À 1 000
[1] Jabo, contraction de les pilotes se familiarisant à cette technique en lançant mètres, on commençait à rétablir pour se remettre en vol
Jagd-Bomber, signifie des bombes en ciment. C’est lors d’un de ces vols horizontal et on lançait la bombe environ deux secondes
chasseur-bombardier
en allemand.
d’entraînement que Karl Valesi perd la vie le 7 août. plus tard, quand la cible se trouvait au milieu de la moitié
Pour les attaques en piqué à basse et moyenne altitudes, inférieure du viseur. Il fallait aussi tenir compte du vent. »
z Magnifique vue du
Messerschmitt du Leutnant
Paul Steindl, du Stab II./JG 54,
photographié en vol fin 1940.
u Les Messerschmitt
Bf 109 E de la 3./Erp.
Gr. 210 photographiés sur
leur terrain à Denain en août
1940. Cette 3. Staffel est
aux ordres de l'Oberleutnant
Otto Hintze qui sera battu et
capturé lors de la coûteuse
journée du 29 octobre.
21
TROP D’OBJECTIFS,
PAS ASSEZ D’AVIONS
Début août, la 3. Staffel continue à s’intéresser
aux cibles maritimes, attaquant le 5 un convoi
au large de Harwich et coulant le chalutier Cape
Finisterre. Le 12 août, le Gruppe dans son
intégralité effectue plusieurs attaques simul-
tanées sur les stations de radar de Douvres,
Pevensey et Rye sur la côte du Kent et sur
celle de Dunkirk à l’intérieur des terres. Les huit
avions de la troisième escadrille s’en prennent à
la station de Douvres. Les bombes tombent au
milieu des bâtiments du complexe et secouent
l’antenne du radar sans causer de dommages
durables. Tous les avions rentrent en France
après avoir mis temporairement hors d’état trois
stations vitales pour la défense du Royaume-
Uni ; seule celle de Dunkirk a été laissée intacte.
Puis, un peu après midi, l’Erp.Gr. 210 repart
pour guider le I./KG 2 dans un raid dirigé contre
l’aérodrome de Manston. Le bombardement est
couronné de succès, et, après le départ des
L’entraînement va durer deux ou trois La semaine suivante, la troisième escadrille bombardiers, les Messerschmitt 109 reviennent
semaines. Une ligne rouge est peinte sur effectue treize nouvelles missions au rythme pour une passe de mitraillage.
le côté de la verrière, alignée à 45° avec moyen de deux par jour, la plupart contre des Les chasseurs-bombardiers ont clairement
l’horizon, afin de permettre aux pilotes de convois de charbonniers, de caboteurs et de démontré leur capacité de lancer une charge
maintenir un angle de piqué le plus correct cargos protégés par des dragueurs de mines offensive avec précision contre un objectif
possible. En effet, en cas de piqué plus pro- et des destroyers. La stratégie d’interdire les d’une grande importance sur le plan tactique.
noncé, sur les Bf 109, l’hélice risque de partir eaux de la Manche à la navigation britannique L’arme principale de la Luftwaffe dans le
avec la bombe. Dans le courant de la troi- commence à porter ses fruits. À la fin du domaine de l’appui tactique, le Ju 87 Stuka,
sième semaine de juillet, le Gruppe effectue mois, soit en seize jours depuis le début de s’est avérée beaucoup trop vulnérable à la
des reconnaissances armées et des attaques sa mise en œuvre, l’Erp.Gr. 210 revendique chasse britannique et l’appareil ne tardera pas
régulières sur les bateaux naviguant au large 89 000 tonneaux coulés, dont quatre navires à être retiré des premières lignes en raison de
des côtes Est et Sud de la Grande-Bretagne. de guerre, plus la destruction de trois chas- lourdes pertes. Quant aux bombardiers moyens
Le 19 juillet, la 3./Erp.Gr. 210 réalise deux seurs anglais pour la perte de trois Bf 110 en Heinkel He 111 et Dornier Do 17, ils manquent
attaques sur le port de Douvres. Au cours de combat et deux Bf 109 dans des accidents. de vitesse pour pénétrer le réseau défensif bri-
la première, qui implique la totalité du groupe Ces résultats amènent le Generalfeldmarschall tannique par surprise et demandent un nombre
protégée par le III./JG 51, un chalutier armé Kesselring à venir à Denain présenter ses féli- sans cesse croissant de chasseurs pour les pro-
est touché. Au cours de la seconde, le tanker citations au Gruppe le 30 juillet. « L’artillerie téger à l’aller comme au retour ; la précision leur
Oiler est coulé et plusieurs coups proches volante » a dégagé la route de la Manche fait aussi défaut pour atteindre des cibles de
endommagent le destroyer HMS Griffin, un pour la flotte d’invasion allemande, dit-il. faibles dimensions. En fait, à part l’Erp.Gr. 210,
remorqueur et un autre bateau de pêche étant Maintenant, il est temps de s’attaquer à des la Luftwaffe possède peu d’unités ayant une
également endommagés. objectifs à l’intérieur des terres. réelle expérience dans le domaine de l’attaque
{ Quelques pilotes de
la 3./Erp.Gr. 210, de gauche
à droite : l'Oberleutnant Otto
Hintze (Staka), le Leutnant
Horst Marx, l'Oberfähnrich
Paul Drawe et le Leutnant
Peter Emmerich. Cliché pris
avant le 15 août 1940, date à
laquelle Marx est abattu au-
dessus du Sussex et capturé.
u Un Messerschmitt Bf 110 C
de l'Erp.Gr. 210 pourvu d'un
râtelier à bombes ventral.
22
Jabos
sur Londres !
au sol. Seuls le II.(S)/LG 2, renvoyé en Allemagne pour p En haut : Un Messerschmitt hangars détruits. Un Fairey Battle est également incendié
être transformé sur Bf 109 E-4/B, et la 9./KG 76, dont Bf 110 C-6 de la 1./Erp. et l’explosion de sa bombe de 500 kg ajoute un peu plus
les équipages de Do 17 sont passés maîtres dans l’art de Gr. 210. Cet avion sera abattu à la confusion ambiante.
à Croydon le 15 août 1940,
la pénétration à basse altitude, peuvent répondre à l’at- avec à son bord le Leutnant
tente du haut commandement. Or, celui-ci est confronté Erich Beudel et l'Obergefreiter
à un grave problème : trop d’objectifs, pas assez de Otto Jordan, tous deux tués. UNE MISSION
chasseurs-bombardiers.
Loin de ces considérations qui leur échappent, les pilotes
z En bas, à gauche : Portrait CATASTROPHIQUE
du Leutnant Horst Marx, fait
de l’Erp.Gr. 210 vont connaître leur moment de gloire. prisonnier le 15 août après En revanche, la seconde mission du jour va s’avérer désas-
Le 15 août, ils vont attaquer Martlesham Heath dans que son Bf 109 a été abattu treuse. Alors qu’il doit attaquer l’aérodrome de Kenley, le
par le Pilot Officer Flinders.
le Suffolk. Ils décollent pour la circonstance de Calais- Gruppe s’en prend à Croydon, à trois kilomètres au nord
Marck, filent le long de la côte Nord du Kent et traversent { En bas, à droite : de Kenley. Les bombes ne causent que peu de dommages
l’estuaire de la Tamise. Leur intention demeure obs- Horst Marx pose devant matériels, bien qu’elles tuent 62 personnes et en blessent
cure pour les contrôleurs britanniques, même lorsque le Messerschmitt Bf 109 37 autres. Cependant, des Hurricane des No 32 et 111
« 3 jaune ».
la formation s’enfonce dans les terres. Dans leur style Squadrons ne tardent pas à les intercepter. Après avoir
caractéristique de l’attaque-éclair, les chasseurs-bombar- largué leur bombe, les Bf 109 de la 3. Staffel essaient de
diers ne s’attardent pas plus de cinq minutes au-dessus protéger les Bf 110 qui forment un cercle défensif. Sans
de leur objectif. Quand ils repartent, ils laissent der- l’avantage de l’altitude et en infériorité numérique, ils se
rière eux de nombreux bâtiments endommagés et deux retrouvent rapidement dans une situation désespérée.
23
L’enseignement de cette déroute est clair : le Bf 110
est trop lent et trop peu maniable pour affronter des
monomoteurs de chasse modernes et il n’a dû ses pre-
miers succès qu’à l’habileté, l’expérience et la plus grande
agressivité de ses pilotes. En outre, pour couronnées
de succès qu’elles puissent être, les attaques contre
des cibles côtières s’avèrent moins rentables que les
attaques contre les navires de surface. Les raids contre
des objectifs à l’intérieur des terres se révèlent beaucoup
plus coûteux en termes d’équipages et d’avions perdus
et leur efficacité est loin d’être prouvée. Des deux types
utilisés par l’Erprobungsgruppe, le Bf 109 se confirme
être le meilleur chasseur-bombardier, en grande partie
en raison de sa capacité à se défendre seul en cas de
mauvaise rencontre.
ARRIVÉE DE DEUX
À chaque fois qu’un appareil tente de s’échapper du cercle p Ci-dessus :
NOUVEAUX GROUPES
défensif, il est aussitôt pris en chasse par les Hurricane. Un Messerschmitt Bf 110 D-0 Quoi qu’il en soit, l’OKL a déjà décidé d’augmenter le
du Stab de l'Erp.Gr. 210 abattu
Le Leutnant Horst Marx, de la 3./Erp.Gr. 210, tente de le 15 août 1940, l'un des six
nombre de ses chasseurs-bombardiers en ordonnant la
protéger le Bf 110 du Hauptmann Rubensdörffer qui appareils perdus par le groupe transformation de deux nouveaux groupes. L’un des
s’enfuit en direction du sud. Les deux appareils croisent la d'expérimentation ce jour-là. deux, le I.(J)/LG 2, commandé par le Hauptmann Herbert
route du Pilot Officer « Polly » Flinders, aux commandes Ihlefeld, est une unité de chasse conventionnelle. L’une
p En haut : Autre vue du
de son Hurricane du No 32 Squadron : même appareil inspecté et
des toutes premières à avoir reçu le Bf 109 E avant la
« Un Me 109 m’est arrivé droit dessus sur le côté droit. surveillé par des Tommies, guerre, elle a été chargée de son évaluation opération-
J’ai coupé les gaz et il est passé devant moi dans mon qui permet d'apprécier nelle pendant la campagne de Pologne. Elle est alors en
collimateur. J’ai pressé la détente pendant deux secondes le code S9+CB. train d’être transformée sur Bf 109 E-7. Cette nouvelle
environ et un nuage de fumée blanche a jailli de son version, qui sort tout juste des lignes de production, est
moteur. L’appareil a piqué vers le sol. J’ai compris qu’il équipée d’un râtelier ETC 500 permettant l’emport d’une
ne rentrerait pas à sa base et j’ai continué à pourchasser bombe ou d’un réservoir supplémentaire de 300 litres.
les bombardiers. Une minute plus tard, j’ai aperçu un Le E-7 peut donc être employé indifféremment comme
parachute à environ 6 000 pieds au sud de Sevenoaks. » chasseur-bombardier ou chasseur d’escorte selon les
Horst Marx s’est parachuté au-dessus de Frant dans le besoins du moment.
Sussex. L’épave de son avion, le premier Messerschmitt Les premiers exemplaires du E-7 sont livrés au I.(J)/LG 2
109 chasseur-bombardier tombé sur le sol anglais, n’a à Calais-Marck courant août. À la fin du mois, le groupe a
pas vraiment attiré l’attention. Il n’en restait pas assez touché sa dotation complète et un entraînement intensif
pour un examen détaillé et rien ne laissait suggérer que ce peut commencer. Quelques pilotes sont envoyés à Denain
n’était pas un chasseur classique. Au cours de son inter- pour bénéficier de l’expérience de leurs homologues de la
rogatoire, Marx réussit à convaincre ses interlocuteurs 3./Erp.Gr. 210, mais il faut attendre fin septembre pour
qu’il effectuait une banale mission d’escorte et l’officier que le I.(J)/LG 2 soit déclaré opérationnel. Il effectue sa
de renseignement de la RAF conclut son rapport ainsi : première mission de guerre le 4 octobre.
« Ce Me 109 ne portait pas de bombe et ne pouvait en Entre-temps, la 3./Erp.Gr. 210 a été rejoint à Denain par
porter aucune ». le II.(S)/LG 2, l’un des premiers Schlachtgruppen (groupes
La mission s’avère particulièrement catastrophique pour le d’assaut) de la Luftwaffe. Commandé par le Hauptmann
groupe qui perd son commandant (Rubensdörffer et son Otto Weiß, il vole sur Bf 109 E-4/B. Formé à l’origine
radio tués), son Adjutant (Oberleutnant Hans Fiedler tué, pour tester sous conditions opérationnelles les avions
son radio prisonnier), son Technischer Offizier (Leutnant d’appui tactique et les chasseurs-bombardiers, il a acquis
Karl-Heinz Koch et son radio blessés et prisonniers) ainsi une grosse expérience dans ce domaine au cours des
que trois autres Bf 110 et un Bf 109 (celui de Marx). campagnes de Pologne et de France. Après cette dernière,
24
Jabos
sur Londres !
le groupe a été replié sur Braunschweig-Waggum, où, à z Gros plan sur le râtelier gadgets pour lancer des bombes et nous étions forcés de
la fin du mois de juillet, il a commencé à échanger ses ETC 500 joliment décoré d'un voir un tiers de nos avions abandonner le combat aérien.
Messerschmitt Bf 109 E-4/B.
vieux Henschel Hs 123 contre des Bf 109 E-4/B flam- Le chasseur se transformait en chasseur-bombardier pour
bant neufs. Après quatre semaines d’entraînement, il est { Une bombe de 250 kg servir d’expédient et de bouc émissaire. Nous partions
transféré à Calais-Marck et effectue sa première mission accrochée sous le ventre du principe que le chasseur était apparemment incapable
Jabo au-dessus de l’Angleterre le 2 septembre. d'un Bf 109 E-4/B de la de fournir une protection suffisante aux bombardiers.
3./JG 53 en octobre 1940.
Et c’était vrai. Si la chasse était incapable de protéger
les bombardiers, elle devait alors lancer les bombes elle-
DES CONSIDÉRATIONS même. Les raids sur l’Angleterre étaient devenus une
POLITIQUES question de prestige et, comme les bombardements de
jour ne pouvaient plus continuer et que les bombarde-
Ce même jour, le Reichsmarschall Hermann Göring signe ments de nuit étaient encore en préparation, la transition
une directive contenant un certain nombre de suggestions devait être assurée par des chasseurs transformés en
portant sur des changements tactiques à apporter dans chasseurs-bombardiers. Non pour des considérations
la conduite des opérations contre la Grande-Bretagne. Le militaires, mais pour une exigence politique passagère. »
chef de la Luftwaffe demande des attaques de précision q Le Messerschmitt Bf 109
contre l’industrie aéronautique britannique et des raids de E-4/B « H noir » de
nuisance visant des objectifs industriels dans le nord du la 5.(S)/LG 2 durant la bataille
d'Angleterre. Le triangle
UNE BELLE PRISE
pays à faire exécuter par des avions solitaires pilotés par
peint sur le fuselage est
des volontaires. Tout objectif situé dans le rayon d’action celui des Schlachtgruppen Le II.(S)/LG 2 enregistre sa première perte quatre
du Bf 109 E doit être traité par des chasseurs-bombardiers auxquelles s'apparente le jours après être entré dans le grand bain, lorsque, le
et, ipso facto, il ordonne qu’un tiers des appareils des groupe. L'appareil est armé 6 septembre, deux de ses Jabos s’aventurent un peu
unités de chasse puisse porter des bombes. de quatre bombes de 50 kg. trop près de l’artillerie navale de Chatham au cours
© ECPAD/France/1940/
Le Bf 109 E est un appareil disponible en grand nombre Photographe inconnu d’une sortie au-dessus de l’estuaire dans la soirée.
et les résultats de la 3./Erp.Gr. 210 sont impressionnants.
Les Jagdgeschwadern doivent être équipées de la version
E-4/B, désormais produite en série, et les pilotes doivent
recevoir un entraînement adéquat. Aussitôt, au sein de
chaque Gruppe, une escadrille – soit un tiers de son
effectif – est désignée pour être transformée sur Jabos.
La réaction des pilotes est pour le moins mitigée. Pour la
plupart d’en eux, elle est même franchement négative,
comme le rappelle le Gefreiter Heinz Zag de la 8./JG 53 :
« Je n’ai jamais pensé que c’était une bonne idée. Notre
rayon d’action était déjà assez limité comme ça sans
avoir besoin d’être lesté d’une bombe. »
L’Oberstleutnant Adolf Galland, alors commandant de la
JG 26 et lui-même ancien pilote d’assaut sur Hs 123,
exprime le sentiment général :
« Nous autres, pilotes de chasse, considérions cette vio-
lation de nos appareils avec une grande amertume. Nous
avions fait l’impossible pour améliorer nos performances...
Nous nous étions débarrassés de tout ce qui n’était pas
indispensable pour gagner la moindre once de vitesse...
Et au bout du compte, ils nous donnaient maintenant des
25
Le Leutnant Herbert Dültgen, de la 4. Staffel, est
contraint d’abandonner son avion en vol au large
de The Nore, tandis que l’appareil du Feldwebel
Werner Gottschalk, de la 6. Staffel, est touché
au réservoir, obligeant le pilote à se poser sur
la piste de Hawkinge dans le Kent. Les deux
Allemands, indemnes, sont faits prisonniers ;
ils ne révèlent rien d’intéressant pendant leur
interrogatoire, bien que la capture de l’appareil
intact de Gottschalk fournisse aux Britanniques
la première preuve de la construction en série
du Bf 109 E-4/B. Bien évidemment, il subit une
inspection et une évaluation complètes. De ce
fait, au début du mois de septembre, alors que
les unités de chasse allemandes sont en cours
de rééquipement avec la nouvelle version du
chasseur-bombardier, la RAF est parfaitement
informée de son existence et de ses possibilités.
La JG 26 est l’une des premières escadres à
appliquer la directive de Göring, et sa 4. Staffel
commence à pratiquer le lancement de bombes
dès le 5 septembre. Deux jours plus tard, son
Kapitän, l’Oberleutnant Hans Krug, effectue
un atterrissage forcé à Pluckley dans le Kent.
Son Bf 109 E-4/B ne subit que des dommages
superficiels et peut révéler des détails fort
intéressants aux yeux des experts de la RAF
venus l’examiner. Ils notent une ligne rouge
peinte sur le panneau latéral du pare-brise, un
panneau de sélection et un système auxiliaire
d’armement des bombes monté directement
au-dessus de l’indicateur de température d’huile
et une poignée de largage des bombes, autant
d’indices qui prouvent l’entrée en service tant
attendue de la version chasseur-bombardier du
Messerschmitt 109 E.
Comme souvent en pareil cas, une certaine liberté
par rapport à la directive du Reichsmarschall est
prise par quelques unités, car tous les groupes
ne forment pas une Jabostaffel. Les archives
encore existantes montrent que la 9./JG 54
reçoit trois exemplaires du chasseur-bombar-
dier le 20 septembre et qu’ils sont attribués
aux Oberleutnant Günther Fink, Leutnant
Waldemar Wübke et Unteroffizier Karl Kempf,
ce qui permet de former une section de Jabos
à l’intérieur de l’escadrille. La Jaboschwarm effectue p Ci-dessus : Une variante de maintenir une quelconque pression sur les défenses
dix-sept missions au-dessus de l’Angleterre jusqu’au 12 Bf 109 E Jabo à l'emport de britanniques en plein jour. Progressivement, le nombre
octobre, date à laquelle elle cède ses avions à la 8./JG la bombe de 250 kg consiste de chasseurs envoyés pour escorter les bombardiers
en un râtelier accommodant
54 qui devient officiellement la Jabostaffel du III./JG 54. quatre bombes de 50 kg.
chute de telle sorte que la Luftwaffe s’en remet alors
Cette dernière exécute encore cinq autres missions Jabo à de petites formations essentiellement composées de
avant le transfert du groupe aux Pays-Bas, d’où il ne p En haut : Le Messerschmitt Junkers Ju 88 A, un appareil plus performant que les
participera plus à l’offensive aérienne contre l’Angleterre Bf 109 E-7 « 12 blanc », de la autres bombardiers allemands mais disponible en trop
1./LG 2 (dont on voit l'insigne
jusqu’à la fin de l’année 1940. à la croix blanche sur rond faible quantité.
noir), le nez dans la boue Les raids à haute altitude au-dessus de l’Angleterre se
après s'être enlisé, sans trop composent maintenant de larges formations de chas-
UN CHANGEMENT DE TACTIQUE de casse, à l'atterrissage.
Le râtelier est du coup bien
seurs accompagnés par quelques chasseurs-bombardiers,
PEU EFFICACE visible sous cet angle ! une tactique que la RAF éprouve bien du mal à contrer.
La détection par radar et l’observation depuis le sol
Dans la mesure où la majorité des Jagdgeschwadern sont très problématiques à l’altitude à laquelle volent
poursuit les missions d’escorte des bombardiers et que les avions allemands et, n’étant plus bridés par la pré-
le reste est en pleine transformation sur la version chas- sence de bombardiers, les Jabos arrivent au-dessus de
seur-bombardier, le nombre de sorties Jabos pour le mois Londres moins de vingt minutes après avoir été repérés.
de septembre reste limité : 19 missions effectuées par Les contrôleurs aériens britanniques n’ont aucun moyen
des formations allant de 20 à 25 avions, soit 428 sorties, d’identifier les formations qui comportent des bombardiers
dont 264 contre Londres et son agglomération. Les pertes et, en conséquence, ils sont incapables de donner des
sont minimes, avec quatre appareils seulement (moins directives précises pour leur interception. Au-dessus de
d’un pour cent des effectifs engagés) : trois abattus par 6 000 mètres, grâce à son compresseur à deux étages,
la DCA et un par la chasse. le Bf 109 E se révèle largement supérieur aux Hurricane
Toutefois, l’accentuation des raids nocturnes implique et Spitfire et, en raison de son désavantage, la RAF ne se
désormais que la Luftwaffe devient dans l’incapacité sent guère encline à affronter les chasseurs allemands.
26
Jabos
sur Londres !
t Appartenant à de la 4.(S)/
LG 2, le Messerschmitt 109
E-1/B « G blanc » (WNr 6313)
de l'Unteroffizier Paul Wacker
se pose en catastrophe sur
panne à Woodhyde Farm,
près de Corfe Castle (Dorset),
le 30 novembre 1940. Il est
ensuite expédié aux États-
Unis par les Britanniques
pour y être exposé, comme
l'atteste ce cliché. Son
pilote, lui, a été capturé.
q Ci-dessous : Avant
un départ en mission sur
l'Angleterre, un armurier
vérifie la bonne fixation
des quatre bombes de
50 kg sous ce Bf 109 E.
27
Le 15 septembre, l’attaque d’un nœud ferroviaire par des u Montage de quatre
Jabos du II.(S)/LG 2 reçoit une importante couverture bombes de 50 kg sous un
Messerschmitt Bf 109 E Jabo.
médiatique en Grande-Bretagne. Avec une vive émotion,
qui n’est pas sans rappeler celle qu’avaient déclenchée
les premiers raids aériens lors de la précédente guerre,
les journalistes qualifient l’utilisation de chasseurs-bom-
bardiers de « déloyale » [2]. L’Oberleutnant Viktor Kraft
se défend :
« Quand notre groupe a survolé pour la première fois le
Kent, un journal anglais a écrit : “Aujourd’hui, un groupe
de chasseurs allemands a survolé le Kent et Londres.
Personne ne s’attendait à ce qu’ils lancent des bombes
et c’est pourtant ce qu’ils ont fait. Ce n’est vraiment
pas chevaleresque de voler comme un chasseur, puis
de lancer des bombes comme un bombardier.” Il faut
quand même que je dise que ce n’était pas parce que
nous n’étions pas chevaleresques que nous avons fait ça.
Il s’agissait tout simplement de l’émergence d’une arme
nouvelle, rien d’inhabituel dans une guerre. »
28
Jabos
sur Londres !
LA BONNE MÉTHODE – p Le « N blanc » (WNr 5593) moteurs fit se dresser les poils sur mes bras. Vite debout,
TROP TARD
de la 4.(S)/LG 2 appartenaitj’ai bondi à la fenêtre juste à temps pour voir la première
à l'Oberfeldwebel Josef
vague de 109 me passer juste au-dessus de la tête,
Harmeling (qui s'en est
Le 29 octobre, mettant à profit une couverture nuageuse suffisamment bas pour que je distingue les croix noires
sorti légèrement blessé),
basse, le II.(S)/LG 2 mène à bien un raid d’une efficacité sur les ailes.
contraint à l'atterrissage forcé
rare contre un aérodrome du Fighter Command. La for- à Langenhoe, Essex, le 29 Tout de suite après, ce fut un vrai bazar. Les bombes se
octobre 1940, après avoir été
mation, estimée à une cinquantaine d’avions, est repérée victime des balles du Sergeant
mirent à pleuvoir. Le bruit et la fureur des explosions, le
par radar au moment où elle franchit l’estuaire de la « Micky » Maciejowski. Leclaquement déchirant des mitrailleuses et le vrombisse-
Tamise et s’approche des côtes de l’Essex. Il est alors Messerschmitt est ici exhibément des moteurs rendaient l’atmosphère très pesante.
16h30 et la nuit commence à tomber. Les contrôleurs en trophée à la population.
Je me suis jeté par terre, m’attendant à tout moment
britanniques restent sur l’expectative : Hornchurch ou à recevoir le toit sur la tête. Ça a continué pendant une
North Weald ? Ou bien, au dernier moment, l’ennemi ne éternité – probablement guère plus de vingt secondes !
va-t-il pas obliquer vers le sud et se diriger sur la capitale ? Tout à coup, après une fraction de seconde d’accalmie,
Pour leur compliquer un peu plus la tâche, les Allemands un énorme bruit a soulevé le plancher, comme si lui et moi
ont déclenché simultanément plusieurs autres attaques allions décoller. Puis, après, vint une période de silence
sur le Kent. Grâce à la confusion qui règne au sein du tout relatif où la plainte de désespoir d’un Bofors dans le
contrôle de la RAF, les Jabos passent à travers les mailles lointain et le bourdonnement faiblissant de moteurs qui
du filet et s’en prennent à North Weald. s’éloignaient rapidement semblaient presque incongrus. »
Deux Squadrons de Hurricane, les No 17 et 46, ont déjà [2] Le terme anglais Les pilotes de Hurricane, après s’être ressaisis, se
décollé de Martlesham Heath pour couvrir le secteur de est unfair. reforment et partent en chasse des Jabos qui prennent
North Weald en cas besoin. Cependant, à North Weald rapidement de l’altitude en direction de l’est et de la côte
même, les Hurricane des No 249 et 257 Squadrons ont où le III./JG 26 les attend. Après une longue poursuite,
reçu l’ordre de prendre l’air beaucoup trop tard et ils sont encore en le 249 finit par les rattraper au-dessus de l’estuaire de Blackwater,
train de décoller lorsqu’une vingtaine de Jabos, piquant depuis 900 près de Maldon, et une série de durs combats s’engage au-dessus de
mètres, défile à 150 mètres au-dessus de l’aérodrome, arrosant la la côte de l’Essex.
piste de bombes. Le Flight Lieutenant « Butch » Barton revendique un Jabo qui s’écrase
Une bombe explose juste derrière la Yellow Section du 249, le Flying le long de la route entre Maldon et Goldhanger après que son pilote a
Officer Keith Lofts devant rapidement reposer son avion gravement sauté en parachute. Ce dernier est le Feldwebel Hans-Joachim Rank, de
endommagé. Au 257, le Sergeant Alexander Girdwood est touché la 4.(S)/LG 2, qui, gravement brûlé et blessé à la cuisse, décédera dans
par des éclats et son appareil s’écrase en flammes près de la cabane la soirée. Le Sergeant « Micky » Maciejowski en revendique un autre qui
du dispersal du 249. effectue un atterrissage forcé près de la plage à Langenhoe avec son
N’étant pas de service cet après-midi là, le Pilot Officer Tom Neil, du gouvernail endommagé et son moteur sur le point de serrer. Son pilote,
No 249, se repose dans sa chambre dans un baraquement près du l’Oberfeldwebel Josef Harmeling, appartenant à la même Staffel, est fait
mess lorsque l’attaque commence : prisonnier légèrement blessé. Le Sergeant George Stroud en poursuit
« J’ai entendu un bruit de moteurs au loin et j’en ai déduit que le un troisième en mer et l’abat à une quinzaine kilomètres de la côte. Il
Squadron avait été envoyé en patrouille. Cela ne m’intéressait pas était piloté par l’Oberleutnant Bruno von Schenck, le Staffelkapitän de
vraiment. Puis, avec une intensité croissant rapidement, le bruit d’autres la 5.(S)/LG 2, dont le corps sera repêché ultérieurement.
29
De retour à North Weald, ils constatent les dégâts, comme p Le fameux Messerschmitt dû interrompre leur mission. Les pertes ont été minimes :
Tom Neil le rapporte : Bf 109 E-1/B (WNr 6313) 29 appareils, soit tout juste 1% des forces engagées.
« À la tombée de la nuit, on avait fait le tour de la ques- « G blanc » de la 4.(S)/ Même à cette période, toutes les Geschwadern n’ont pas
LG 2 posé sur le ventre
tion. L’aérodrome avait subi de très nombreux dégâts, dans un champ de barbelés encore été transformées. Ce n’est que le 9 novembre
mais superficiels et insuffisants pour arrêter ou même à Corfe Castle, à la suite que la 2./JG 2 arrive à Denain pour faire connaissance
suspendre les opérations. Les victimes étaient cependant d'une panne mécanique avec son nouveau matériel. Comme l’écrira dans son
le 30 novembre 1940.
nombreuses, entre quinze et vingt hommes tués et une journal le Staffelkapitän, l’Oberleutnant Siefried Bethke :
Son pilote, l'Unteroffizier Paul
quarantaine blessés, parmi lesquels quelques mécaniciens Wacker, a été fait prisonnier. « On a lancé quelques bombes en ciment. À part ça,
du 249. Également, la salle de garde de la base, qui venait on n’a reçu aucun entraînement. Après ça, il y a eu pas
d’être reconstruite à grands frais, avait été aplatie pour mal d’injures et de grognements à propos des râteliers
la seconde fois. » à bombes sous le fuselage ».
Un hangar a aussi été détruit et la cour de la compagnie Les injures et les grognements se répandent rapidement
de Train a été touchée, mais le gros des bombes est et sur une telle échelle qu’ils finissent par remonter
tombé sur la piste. Cette attaque est l’exemple-même jusqu’au sommet du commandement. Adolf Galland
de ce que les chasseurs-bombardiers auraient dû faire s’en fait l’écho :
depuis le début : des frappes, que l’on ne dit pas encore « Notre aversion envers cet ordre qui nous transformait
« chirurgicales », exécutées à basse altitude par des en chasseurs-bombardiers était totale. Le haut com-
q Le Bf 109 E-7 « C jaune »
pilotes supérieurement entraînés. Exactement ce que (WNr 5567) de la 6.(S)/LG 2 mandement de la Luftwaffe réagit brutalement à notre
les Britanniques redoutent le plus, car ils n’ont pas les abattu le 6 septembre 1940. attitude négative. Göring, très en colère, déclara que
moyens de les contrer. Des attaques de cette nature, Son pilote, le Feldwebel les chasseurs avaient failli à leur mission de protéger
Werner Gottschalk, a été
soutenues à une forte cadence, sur des objectifs-clés capturé. Le triangle noir
efficacement les bombardiers et qu’ils s’opposaient main-
comme les terrains de la RAF les auraient rapidement des escadrilles d'assaut tenant à être transformés en chasseurs-bombardiers,
rendus intenables et auraient fortement amoindri le poten- est également de mise. alors qu’il s’agissait de la conséquence directe de leur
tiel du Fighter Command.
Cependant, en octobre 1940, il est déjà trop tard.
INJURES ET GROGNEMENTS
À la fin du mois d’octobre, 186 exemplaires du nouveau
Bf 109 E-7 ont été produits. Ainsi, au pic de l’offensive
des chasseurs-bombardiers contre l’Angleterre, plus de
550 Jabos dédiés sont disponibles, sans compter les
nombreux exemplaires modifiés au niveau des unités.
Octobre marque un sommet avec 2 633 sorties effec-
tuées contre Londres en 140 missions. Les archives
montrent que 60% ont trouvé leurs marques, la RAF
étant bien forcée d’admettre qu’« une assez forte pro-
portion de petites formations armées de bombes a atteint
les objectifs assignés sans obstruction sérieuse ». Une
analyse plus fine fait ressortir le fait que 37% des Jabos
ayant décollé avec leurs bombes ont été forcés d’attaquer
un objectif secondaire, soit en raison du mauvais temps,
soit à cause de la réaction ennemie. Seulement 3% ont
30
Jabos
sur Londres !
31
Puis, au-dessus de mon avion, j’ai repéré une
autre section de chasseurs – six traînées de
vapeur m’ont convaincu qu’ils s’apprêtaient à
me descendre. Je ne pouvais rien faire d’autre
que de disparaître rapidement dans les nuages
près de Douvres. Malheureusement, ils étaient
trop loin. L’une de ces traînées de vapeur a
piqué, accumulant assez de vitesse pour me
rattraper. Je ne l’ai pas vu à temps, il a ouvert
le feu et mon avion a pris feu. Le siège du
Messerschmitt était blindé et j’ai senti les obus,
mais ils n’ont pas percé la plaque de blindage.
Une seconde rafale tirée sur ma gauche m’a
blessé – il était grand temps de sauter [3]. »
UNE POLITIQUE
À LA PETITE SEMAINE
Au mois de décembre 1940, avec l’arrivée des
vents d’hiver et la dégradation des conditions
atmosphériques au-dessus de la Manche et
du sud de l’Angleterre, la majorité des unités
de chasse de la Luftwaffe est renvoyée en
Allemagne pour se reposer et compléter les potentiel. Cette politique à la petite semaine malgré les insuffisances de ses services de
effectifs. L’offensive des Jabos diminue pro- ne pouvait que donner des résultats dérisoires. renseignement. Si les Allemands avaient agi
gressivement d’intensité et, lorsque le temps Pourtant, les preuves des possibilités des Jabos comme les Britanniques le redoutaient, il est
permettra de la relancer, les chasseurs de la ne manquaient pas, même en 1940, si seule- indéniable qu’ils auraient pu paralyser le sys-
RAF auront repris l’initiative, menant leurs ment le haut commandement de la Luftwaffe tème de contrôle aérien et les aérodromes au
propres missions offensives sur la côte fran- avait trouvé bon de s’y intéresser. point qu’ils en auraient menacé l’existence
çaise. La Luftwaffe sera alors contrainte Dès ses premières campagnes, en Pologne même du Fighter Command.
d’utiliser ses chasseurs maintenus sur les comme en France, la Luftwaffe maîtrisait Au lieu de cela, à la fin de l’année 1940, le
côtes de la Manche à contrer cette menace, correctement l’utilisation d’avions d’assaut chasseur-bombardier était discrédité aux yeux
abandonnant ainsi son rôle offensif pour un comme arme tactique en appui des troupes de tous et les pilotes de chasse se félicitaient de
rôle purement défensif. terrestres. Toutefois, comme la Manche n’est retrouver sous peu une tâche qu’ils jugeaient
La bataille d’Angleterre a vu l’avènement du pas la Meuse, la campagne au-dessus du sud plus noble. Néanmoins, une poignée de pilotes
véritable chasseur-bombardier, prototype de de l’Angleterre à l’été 1940 se révéla d’une capable à la fois de piloter et naviguer à basse
l’avion d’appui tactique à hautes performances nature très différente. La Luftwaffe négligea altitude et de lancer une bombe avec précision,
qui, par la suite, formera l’épine dorsale de la valeur stratégique du Jabo, capable de consciente du potentiel du Jabo, s’apprêtait à
toute arme aérienne. Cependant, ceux qui l’ont « frappes chirurgicales » sur des objectifs continuer à faire encore passer quelques sales
mis en œuvre ont manqué de vision straté- clés situés loin à l’intérieur des terres. C’était quarts d’heure à la défense britannique.
gique et d’une appréhension de son véritable pourtant tout à fait à sa portée en 1940, Mais, ceci est une autre histoire.
{ Bien que tardive par
rapport à l'article, puisque
prise le 3 janvier 1943, cette
photo est caractéristique des
raids des Jabos sur le sud
de l'Angleterre. Elle montre
le mitraillage de l'hôpital
Winchester House à Shanklin
par un appareil de la 10./JG 2.
Le pilote, le Leutnant Leopold
Wenger, ne connaissait
toutefois pas la véritable
nature du bâtiment, au
moment où sa cinémitrailleuse
a pris ce cliché.
u Un Bf 109 E de la 3./
Erp.Gr. 210 photographié
en vol fin 1940, peut-être
au retour d'une mission sur
l'Angleterre, car l'appareil
est délesté de sa bombe.
32
Jabos
sur Londres !
33
OPÉRATION
1943
Le
erronément – la destruction de plus de 300 chasseurs
double raid du 17 août « secoue » The Bad Egg du allemands, un résultat conforme à l’objectif principal de
rudement Hitler, Speer, qui est ministre 401st BS/91st BG avant la directive Point Blank. Ensuite, les photos aériennes
qu’il ne reçoive son nom de
de l’Armement et des Munitions, et le baptême et DONALD DUCK et autres sources d’information confirment des dégâts
Generaloberst Hans Jeshonnek, chef sur la pointe avant. Accidenté considérables sur les deux sites visés, ce qui laisse croire
à l’atterrissage le 31 décembre
d’état-major de la Luftwaffe, qui se sui- 1943 après avoir percuté que la Luftwaffe est prise dans un engrenage d’attrition
cide dans la soirée du 18. une Jeep, il se verra greffer qui la réduira à l’impuissance en quelques mois.
À première vue, les dégâts aux usines Messerschmitt de la partie arrière du B‑17G Commentant le raid, le General Arnold déclare : « L’idée
42-31229 avec laquelle il
Ratisbonne et aux fabriques de roulements à billes de revolera au sein du 390th BG. américaine des bombardements de précision à haute alti-
Schweinfurt paraissent considérables, mais une fois les tude a traversé une période de doute et d’expérimentation
débris de toitures et de murs déblayés, on constate que pour enfin aboutir à une justification triomphante. » L’Air
les outils de production ont moins souffert qu’on ne le Ministry britannique envoie un message de félicitations,
craignait et les activités ne tardent pas à reprendre sur souhaitant la bienvenue à la 8th Air Force dans l’effort
les deux sites. De son côté, après analyse des pertes de de guerre et louant le coup porté à l’adversaire. Bien que
la 8th Air Force et de ses propres chasseurs, le General le coût du raid soulève d’importants doutes, le brouil-
der Jagdflieger Adolf Galland estime que la journée a été lard qui noyait les aérodromes américains dans l’est de
un « désastre pour l’ennemi. » l’Angleterre au matin du 17 août, explique cette lacune
34
Black
Thursday
u Immobilisé par le
photographe dans son
plongeon mortel, ce B‑17F,
victime d’une roquette
allemande qui lui a broyé
l’aile droite, amorce une série
de tonneaux qui piégeront
ses occupants coincés
par la force centrifuge.
35
La Luftwaffe réagit en envoyant quelques 163 quadrimoteurs sur Dantzig et Gotenhafen Les Allemands ne sont pas restés les bras
chasseurs attaquer les P-47 dès qu’ils arrivent (aujourd’hui Gdansk et Gdynia, en Pologne) croisés après le 17 août. Le cordon défensif
au-dessus du continent, les forçant à larguer se déroule mieux avec la perte de seulement tendu des côtes de la mer du nord à la Bretagne
prématurément leurs réservoirs et réduisant huit avions. Enfin, le 10, lorsque 273 bombar- a fait place à une grille permettant d’aisément
d’autant leur autonomie. diers s’en prennent à Cösfeld et à Münster, diriger les Gruppen et Staffeln vers les forma-
Début octobre, la 8th Air Force est prête à sur les 138 appareils envoyés vers cette der- tions de bombardiers et les contrôleurs aériens
reprendre ses raids sur l’Allemagne. Dans les nière, 30 sont perdus. À cela s’ajoute une peuvent coordonner plusieurs centaines de
journées des 2, 4, 8, 9 et 10, plus de 1 700 erreur d’objectif, 29 équipages confondant la sorties en provenance d’un grand nombre
sorties sont lancées vers une dizaine d’ob- ville néerlandaise d’Enschede avec leur cible d’aérodromes. Göring en personne ordonne
jectifs et, si certaines missions se déroulent et larguant 86 tonnes de bombes, qui tuent que sur cinq heures qu’une formation ennemie
avec des pertes limitées, d’autres se soldent 155 habitants. Les pertes étant inégalement passe dans l’espace aérien du Reich, chaque
par une nouvelle hécatombe. Le 8, lors du réparties, certains Groups sont décimés et pilote effectue au moins trois sorties.
raid contre Brême et Vegasack, sur 399 qua- le Lieutenant Joseph W. Baggs, du 384th Pour contrer les raids les plus importants de la
drimoteurs engagés, 37 ne rentrent pas. Le BG, expliquera plus tard qu’après le raid de 8th Air Force, la Luftwaffe retire un nombre
lendemain, sur 215 envoyés bombarder des Münster, le médecin chef du Group écrit que croissant d’unités de chasse du front de l’est
usines d’aviation à Marienburg et à Anklam, 20 « le moral est au point le plus bas observé et, à la prochaine visite des Américains à
vont au tapis. Lancé le même jour, un raid de jusqu’ici. » Schweinfurt, Galland entend opposer 800
chasseurs, contre un peu plus de 300 en août.
Aux côtés des Bf 110 apparaissent des Bf
210, capables d’attaquer les bombardiers à
la roquette et au canon depuis l’extérieur de
leur périmètre défensif, et des Junkers Ju 88
prélevés sur les unités de chasse de nuit et
dont l’armement comprend jusqu’à six canons
de 20 mm !
Il n’y a aucun problème de moral parmi les
pilotes allemands qui, comme leurs collègues
britanniques trois ans auparavant, défendent
leur territoire national. Néanmoins, cette expan-
sion rapide et forcée de la Jagdwaffe entraîne
un raccourcissement des programmes d’en-
traînement, qui se concrétise dans les unités
par l’arrivée d’un nombre croissant de jeunes
pilotes inexpérimentés. Incapable de stopper
les vagues de bombardiers, Galland espère au
36
Black
Thursday
Wess
Orford Ness 12h38 Schiphol AMSTERDAM Rheine Osnabrück Wunstorf
BERLIN
er
3rd Bomb Wing II./JG 3 Deelen II./JG 26
III./ZG 26 I./NJG 5
Clacton 12h42 II./JG 1
V./KG 2 III./ZG 1 JG 25
LONDRES Rh
in
I./ZG 26
III./JG 54
I./JG 3 Bönninghardt
Angleterre Anvers Stab/JG 3 Bad Lippspringe
Dortmund Kassel
ISS Erla I./NJG 1 Venlo
St. Trond Cologne Dresde
Vendeville BRUXELLES Bonn-Hangelar
Vitry II./JG 2 Belgique Allemagne
Florennes II./NJG 1
III./JG 26
Amiens I./NJG 4 Erbenheim II./JG 51 Schweinfurt
Finthen
III./JG 2 I./NJG 6 14h39 - 14h57
Beaumont-le-Roger Kitzingen IV./NJG 101
France Lux. Wertheim
Mannheim Fürth
Evreux JG 104
Lachen-Speyerdorf II./ZG 76
I./JG 2 Ansbach I./ZG 76
I./JG 27
PARIS Metz
JG 106
St. Dizier II./JG 27
III./NJG 101 I./NJG 101 I./JG 27
Sein Echterdingen Neuburg
II./NJG 6
e II./NJG 4 Strasbourg
e
Danub Ingolstadt
II./JG 51
I./ZG 101 III./JG 3 Munich
Loire II./ZG 101
Bad Aibling
Memmingen Salzbourg
Bad Wörishofen
Suisse Autriche
moins leur infliger des pertes suffisantes pour contraindre z Le 42-30242, Pappy’s chemin du retour et tentera de protéger les traînards.
les Alliés à mettre un terme à leurs raids stratégiques, Hellion/Lallah V du La mission sera conduite par le Colonel Budd Peasley,
364th BS/305th BG (à
exactement comme le Fighter Command l’a fait avec la gauche), est également perdu chef d’état-major du 40th Combat Bombardment Wing [3]
Luftwaffe durant la bataille d’Angleterre. à Schweinfurt ; il s’écrase (CBW), qui volera comme co-pilote à bord du B-17 du
près de Düren. L’équipage du
Le commandement allemand s’attendant à un nouveau 2nd Lieutenant Ellsworth E.
Captain James McLaughlin, du 92nd BG. Les appareils
raid sur Schweinfurt, plus de 300 canons de Flak de 8,8 Kenyon évacue l’avion, mais le proviendront de neuf Groups de la 1st BD, trois de la
cm, 10,5 cm et 12,8 cm sont retirés d’autres secteurs parachute du radio prend feu. 2nd BD et sept de la 3rd BD. Les pertes de la semaine
L’appareil avait été utilisé pour
pour les redéployer autour de la ville, ce qui exposera les des tests avec le radar H2S écoulée se font sentir, si bien qu’à la 3rd BD plusieurs
assaillants à leurs feux pour sept mortelles minutes. Deux à Burtonwood à l’été 1943. Groups sont incapables de mettre en l’air assez d’appa-
anneaux de générateurs de fumée sont également tracés reils pour constituer une formation complète. C’est le
autour du site pour le dérober à la vue des bombardiers. cas au 100th BG, comme l’explique un de ses pilotes,
le Lieutenant Robert Hughes. « Il n’y avait que huit
équipages de disponibles et encore fallait-il les com-
MISSION 115 pléter, dans certaines fonctions-clés, par du personnel
venant d’autres Groups, comme Bill Allen, qui nous était
La reprise des activités à Schweinfurt ne passant pas prêté pour voler comme bombardier avec un équipage
inaperçue des Alliés, l’état-major de la 8th Air Force y de mon unité. Le nombre réduit d’équipages était la
prévoit un nouveau raid pour le 14 octobre. Appelée conséquence des pertes extrêmement lourdes subies le
Mission 115, l’opération consistera à lancer trois for- 8 octobre 1943 (sept équipages) et le 10 octobre (douze
mations sur deux itinéraires principaux. Totalisant 300 équipages), la seconde opération étant connue sous le
B-17, les 1st et 3rd Bombardment Divisions [2] (BD) se [2] En septembre nom de Bloody Münster, toute une histoire en soi. Ces
suivront à 10 minutes d’intervalle sur deux parcours 1943, les 1st, 2nd et 4th huit équipages ont été séparés en deux Flights, quatre
parallèles, distants d’une quinzaine de kilomètres. La Bombardment Wings avions conduits par le Lieutenant Owen « Cowboy »
2nd BD empruntera une route plus au sud avec 60 ont été rebaptisés 1st, Roane accompagnant le 390th BG et quatre emmenés
2nd et 3rd Bombardment
B-24 et se joindra aux deux autres divisions peu avant Divisions, appellations par moi-même rejoignant le 95th BG. »
Schweinfurt, afin de constituer un fleuve continu de qui se changeront en 1st, Comme le 17 août, et d’une manière à laquelle les équi-
bombardiers sur l’objectif. 2nd et 3rd Air Divisions pages de la 8th Air Force commencent à s’habituer,
quelques mois plus tard.
À l’aller, les quadrimoteurs seront escortés par quatre la météo joue les trouble-fête à l’aube du 14 octobre.
Groups de P-47, aussi loin que le permettra le carburant [3] Le 40th CBW Sur certains aérodromes, le temps est froid et brumeux.
emporté, ainsi que par un Group de P-38 Lightning, qui n'ayant été mis sur pied D’autres sont pris sous une forte pluie. La visibilité
s’enfoncera plus profondément en territoire ennemi. Aidé qu'en septembre 1943, moyenne est de 1 500 m et, une fois de plus, les condi-
Peasley commandait le
de deux Squadrons de Spitfire de la RAF, un cinquième 384th BG jusque-là.
tions climatiques retarderont le départ et compliqueront
Group de P-47 tendra la main aux bombardiers sur le les rendez-vous avec les chasseurs d’escorte.
37
Les briefings débutent vers 03h00 et la décou- C’est ma dernière mission ! » Affirmation « Et au-revoir [4] ! »
verte de l’objectif constitue un choc sur tous prémonitoire : au soir, il figurerait parmi les La plupart en véhicule, quelques-uns à bicy-
les aérodromes : « Un lourd silence s’installa manquants. » Au 385th BG le Lieutenant- clette, 3 600 hommes se rendent à leurs
alors que tout le monde se penchait vers la Colonel Elliott ‘Pete’ Vandevanter termine le avions, préparent leur équipement, effec-
carte et le bout révélateur du fil rouge. « C’est briefing par quelques mots qu’il veut encoura- tuent les contrôles préalables au décollage
Schweinfurt », annonça avec un sourire sar- geants : « C’est un rude boulot, mais je sais que et attendent que le temps s’améliore. Entre
donique le Major chargé du briefing, avant de vous en êtes capables. Bonne chance, bonne 10h00 et 10h30, sur chacune des bases
nous laisser à nos pensées. Un bourdonnement chasse et bon bombardement. » Aussitôt, une concernées, une fusée verte s’élève dans le
s’éleva et quelqu’un s’exclama : « Bon sang ! autre voix se fait entendre au fond de la salle : ciel pour annoncer le départ…
z Le WF-R (42-3436) du
364th BS/305th BG, piloté par
le 2nd Lieutenant Bennie J.
McDarby, est victime du
I./JG 1 et probablement
achevé par l’Oberfeldwebel
Rudolf Piffer de la 2. Staffel
(sa 5e victoire) le 14 octobre
1943. Cinq aviateurs sont
tués pendant le combat, les
autres sautant avant que
l’avion n’aille s’écraser près
de Eygelshoven, à l'est de
Maastricht. On note les larges
formations en « V » de la
1st Air Division en route vers
Anklam et Gdynia (Pologne) le
9 octobre. En incluant les trois
appareils au premier plan (et
celui d’où la photo est prise),
on peut compter 113 Fortress.
38
Black
Thursday
39
Bien qu’ils restent Low Group, c’est à dire mènent à bien leur mission, le 4th FG manque toutes les heures de l’horloge [6], comme le
dans la position la plus vulnérable aux coups le rendez-vous et regagne sa base après avoir racontera plus tard le colonel Peaslee : « Les
de la Flak lourde, les équipages du 305th BG vainement cherché les bombardiers. Le 352nd chasseurs foncent au beau milieu de notre
ressentent un certain soulagement, les raids FG accompagne les B-24 de la 2nd BD dans formation, à une vitesse relative de plus de 800
des dernières semaines ayant démontré que les leur diversion manquée. Quant aux P-38 du km/h. Un autre groupe d’éclairs remplace le
chasseurs allemands concentrent souvent leurs 55th FG, l’unité n’ayant pas été déclarée opé- premier, et cela se répète encore cinq fois, six
attaques frontales sur le Lead Wing. Ce senti- rationnelle à temps, ils ne sont pas de la partie. formations de Bf 109 chargeant contre nous
ment est de courte durée, le colonel Peaslee […] Je vois des chasseurs sur le côté, […]
ordonnant au 1st CBW de passer en tête. Les leurs trajectoires marquées dans la lumière
procédures opérationnelles prévoient en effet UNE RÉSISTANCE brillante du soleil par de fines lignes de fumée
que le Lead Wing doit toujours comprendre un
minimum de trois Groups. Réduit aux seuls
ACHARNÉE de couleur claire comme ils tirent de courtes
rafales. C’est une attaque coordonnée […] leur
92nd et 306th BG par l’absence du 305th Les contrôleurs allemands ont rameuté timing est parfait, leur technique magistrale. »
BG, le 40th CBW prend position sur la gauche des unités d’aussi loin que Rostock, sur la Schweinfurt est encore loin lorsque les pre-
et un peu plus haut que le 1st CBW, en une Baltique, et Döberitz, près de Berlin, pour miers B-17 se mettent à traîner un panache de
formation non prévue par le manuel. lancer contre les quadrimoteurs des Gruppen
Des ennuis techniques forcent 26 B-17 à et Staffeln provenant de 11 Jagdgeschwader,
[5] Par l’avant et légèrement plus haut
abandonner la mission. A la 2nd BD, seuls dont deux équipés de chasseurs bimoteurs, que le bombardier visé, voir Aérojournal n°
29 B-24 prennent l’air et, parmi ceux-ci, 8 6 Nachtjagdgeschwader et même deux 71, « Mission 84 », du même auteur.
ne trouvent pas la formation et rentrent. Sa Kampfgeschwader, sans compter des uni-
puissance de feu défensive s’en trouvant pra- tés-écoles, dont les instructeurs espèrent [6] En référence à la méthode consistant à considérer
son propre avion comme le centre d’une horloge. La
tiquement limitée à celle d’un seul Group, le donner quelques travaux pratiques à leurs direction de l’avant correspond alors à 12 hr, celle de
leader estime que ses avions ne sont pas en élèves. En protection de la 1st BD, les P-47 l’arrière à 6 hr, la droite à 3 hr et la gauche à 9hr.
mesure d’assurer leur défense et décide d’exé- du 353rd FG se font coiffer par des éléments
[7] Le 22 mars 1943, l’Oberleutnant Heinz Knoke
cuter une mission secondaire, une diversion en de la JG 3 au-dessus de la Belgique et, bien
de la JG 1 a abattu un B-17 du 91st BG avec une
direction d’Emden. La formation ne poussant que l’engagement se solde par un résultat de bombe de 250 kg, mais il pilotait un Bf 109 et de
guère au-delà des îles frisonnes, sa manœuvre 7 contre 1 en faveur des Américains, il coûte sérieux doutes subsistent quant à l’utilisation de Ju
n’attire pas l’attention des contrôleurs aériens à ces derniers une part importante de leurs 87 dans ce rôle. Quant au He 113, il n’existe que
sur des photos de propagande allemandes et ce
allemands, qui ne détourneront aucune unité maigres réserves d’essence. n’est qu’un He 100 repeint de plusieurs manières
du parcours des 1st et 3rd BD. Avant même Le 353rd FG se retire alors que les bombardiers différentes. Que sa présence ait été signalée par les
que les chasseurs de la Luftwaffe ne lâchent viennent tout juste de dépasser la ville belge de équipages de B-17 le 14 octobre 1943, démontre
le moindre coup de feu, le fleuve de bombar- Genk et franchissent la Meuse toute proche. que les services du Dr Goebbels exerçaient
bel et bien un effet dans le camp adverse !
diers se dirigeant vers Schweinfurt est réduit Les pilotes recommandent aux mitrailleurs de
de 24 %. limiter les conversations sur l’interphone et [8] Certains chasseurs allemands ont effectivement
L’escorte tarde également à trouver ses proté- d’économiser les munitions. Selon leur habi- décollé avec des réservoirs largables pour tenir
gés, réduisant d’autant la distance sur laquelle tude, les chasseurs allemands lancent leurs l’air plus longtemps. En revanche, il y a lieu de se
demander ce que Brunner et ses collègues ont bien
ils pourront les accompagner au-dessus du attaques en twelve o’clock, high [5] mais, à pu prendre pour des chasseurs d’escorte alliés.
territoire ennemi. Si les 56th et 353rd FG bord des B-17, on ne tarde pas à les voir à
40
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Thursday
41
{ Le Lieutenant Colonel Theodore R. Milton (en uniforme) regarde
son bombardier, le 2nd Lieutenant Marion M. Walshe, blessé à
la cuisse par un éclat d’obus, être évacué en ambulance.
42
Black
Thursday
BOMB RUN
Le brusque changement de cap au-dessus de
Darmstadt fait hésiter les chasseurs qui, de toute
façon, commencent à manquer de carburant et de
munitions et rentrent pour se ravitailler, mais il reste
la Flak. Dans le nez des B-17, les pilotes passent la
main aux bombardiers pour les cinq minutes les plus
déterminantes du raid. Contrairement aux conditions
rencontrées en Angleterre, la météo est plutôt favo-
rable et la plupart des Groups de la 1st BD larguent
leurs bombes avant que les objectifs ne disparaissent
sous un écran de fumée.
L’affaire est moins évidente pour les équipages de
la 3rd BD, qui arrive dix minutes plus tard et dont
le bombardier leader n’a d’autre option que d’ajus-
ter son viseur Norden sur un pont situé juste au
sud-est des fabriques de roulements à billes. Au
sein du dispositif du 95th BG, Bob Hughes est
toujours à la tête des quatre B-17 du 100th BG.
« Nous avions aperçu la Flak de temps à autre, à bonne
distance, mais comme nous approchions de l’objectif,
nous en ressentions l’effet de manière plus person-
nelle. Régulièrement, nous pouvions voir les cœurs
incandescents des explosions de gros projectiles. Nous
pouvions maintenant voir la zone des objectifs et,
comme nous avions été briefés au sujet des cibles
factices, le Lieutenant Elliott, notre bombardier, et
moi-même les avons reconnues comme telles. La
fumée était si dense que toute la ville semblait en feu.
« Soudain, notre attention a été détournée. Le leader
du 95th BG avait été touché par la Flak juste avant le
dernier virage sur l’Initial Point, à 14h47. Il s’écartait
rapidement de la formation, la Flak restait intense. Le
Lieutenant Donald Davis, mon copilote, s’est écrié :
« Ecarte-toi, Bob ! » J’avais ressenti le souffle de
l’éclatement de Flak qui avait soulevé notre ailier et
l’envoyait directement sur nous. Le Lieutenant Howard
Keel avait temporairement perdu le contrôle de son
avion. Le bon Dieu a donné un coup de palonnier à
gauche, poussé le manche vers le bas et l’aileron à
gauche puis nous a roulés hors d’un retournement
bien exécuté, qui a permis à Keel de traverser l’espace
que nous occupions l’instant d’avant et de reprendre
en mains son avion. Il nous a aussi placés sur un cap
direct vers la cible primaire, au sujet de laquelle Elliott
et moi avions été briefés en détail quelques heures
plus tôt. Elliott a immédiatement repéré la cible et
annoncé : « Skipper, objectif droit devant, branchez
le PDI ! […] J’ai encadré l’objectif juste avant que tu
ne vires comme un sauvage. J’ai aussi réglé l’altitude
p Deux vues de contrôle de
Schweinfurt, prises par les RETOUR SOUS LE FEU
B-17 durant le raid du 14
1 000 pieds plus bas. » octobre 1943. Qu’elle soit Une fois les bombes larguées, la 1st BD vire vers le sud,
« A toi Dick ! Nous maintiendrons l’altitude et la générée par les Allemands puis vers l’ouest, mais déjà, les chasseurs allemands sont
ou par les explosions de
vitesse. […] Elliott a ouvert la soute juste assez long- bombes, la fumée masque là pour prélever leur sanglant tribut. Des éléments des JG 3
temps pour bombarder et l’appareil photo prenait déjà progressivement les objectifs. et JG 51 se jettent sur le 41st BW, à l’arrière du dispositif
les vues de contrôle. Il était réglé sur intervallomètre, et ne tardent pas à abattre trois appareils du 379th BG,
mais le viseur de bombardement ne l’était pas. […] son Lead Group. Au 40th BW, des sept B-17 du 306th BG
Dick a mis le levier de sélection sur « Salve » et les qui ont atteint et bombardé Schweinfurt, deux sont encore
bombes sont parties à 14h54, toutes sur le point envoyés au tapis. Entre Stuttgart et Metz, des chasseurs
d’impact moyen. Il y a eu un rugissement sur l’inter- de nuit bimoteurs se montrent à leur tour et poursuivent
com : Dans le mille ! » les quadrimoteurs au-dessus du territoire français. Dix B-17
En tout, 228 B-17 larguent leurs bombes sur la zone supplémentaires sont perdus, ce qui fait monter le total pour
des objectifs : 395 tonnes d’explosifs et 88 tonnes la 1st BD à 45 pour l’ensemble de la mission.
d’incendiaires. Sur 1 222 projectiles lâchés, 143 Alors que son vol jusqu’à l’objectif a été relativement calme,
tombent à l’intérieur de la zone des objectifs et 88 les choses changent pour la 3rd BD. Dès qu’ils quittent
sont des coups directs sur les usines. Un résultat Schweinfurt, ses Groups sont assaillis par quelque 160
plutôt bon. En raison de la fumée, provenant tant des chasseurs monomoteurs, renforcés par des Bf 110 et 210
générateurs mis en place par les Allemands que des ainsi que des Ju 88. Les Low Groups sont particulièrement
bombes américaines, les résultats de la 3rd BD sont visés et c’est le 96th BG qui subit les pertes les plus lourdes.
moins bons que ceux de la 1st. Il y a aussi 276 tués En tout, 14 B-17 de la 3rd BD mordent la poussière sur le
parmi la population civile. chemin du retour.
43
de ses moteurs tombe en panne. Pour rester à hauteur
des autres appareils, le Lieutenant Joseph Brennan,
pilote, ordonne de larguer les bombes, mais celles-ci
refusent d’abord de se décrocher. Pour échapper
aux chasseurs ennemis, il lance son appareil dans
un piqué au cours duquel il arrive finalement à se
débarrasser de sa cargaison. Ce problème est à peine
résolu qu’un deuxième moteur s’emballe et son hélice
doit être mise en drapeau, puis un peu plus loin, c’est
un obus de Flak qui met hors d’usage un troisième.
Se traînant sur son seul moteur valide, perdant rapide-
ment de l’altitude, le Circus atteint enfin la Manche,
sur laquelle il se pose à quelques kilomètres de la côte
anglaise. Brennan et son équipage sont récupérés
sains et saufs.
Profitant de l’absence de chasseurs d’escorte,
certains pilotes de la JG 2, basée en France, pour-
suivent les bombardiers jusqu’au-dessus de la
Manche. Heureusement pour son équipage, Paper
Doll, du 96th BG, n’attire pas leur attention. Avec
un pilote tué et un copilote grièvement blessé, c’est
le Lieutenant Miles McFann, navigateur, qui ramène
p Ci-dessus : La perte l’avion en faisant appel à son expérience de pilote
d’une hélice en vol peut privé d’avant-guerre. « Nous aurions pu sauter au lieu
avoir des conséquences de prendre le risque d’un atterrissage de fortune. Je
dramatiques, comme le
Le Staff Sergeant Eugene Carson est mitrailleur de queue démontrent les dégâts sur suppose que beaucoup de gars préfèreraient éviter de
à bord de Tiger Girl, du 388th BG. « L’interphone était le nez de ce B-17F du 385th voir un navigateur jouer au pilote, mais ceux-là sont
BG. Ce dernier a toutefois eu
saturé d’avertissements concernant les positions des chas- la chance de rentrer de la
restés avec moi parce qu’ils me faisaient confiance.
seurs de la Luftwaffe. Je me suis agenouillé en silence. mission du 14 octobre 1943. Tous savaient que [le Lieutenant Robert] Bolick était
Je n’avais rien à dire. Mes mitrailleuses parlaient pour Ironiquement, un autre B-17 mort à bord de l’avion et aucun de nous n’était prêt
appelé SACK TIME,
moi en courtes rafales rageuses. Personne ne devait me appartenant également au à sauter en le laissant là. Nous en étions tout sim-
dire qu’il y avait des bandits à six heures et je n’avais pas 385th BG a été perdu lors du plement incapables. »
davantage besoin de signaler leur présence. La Luftwaffe précédent raid sur
Schweinfurt, le 17 août.
était tout autour de nous. Les douilles vides s’amoncelaient
jusqu’à hauteur de mes fesses. Nous nous faisions mas- z En haut à gauche : Nose LA FIN DES RAIDS
NON-ESCORTÉS
art du B-17F-80-BO-42-29988
sacrer. Je regardais comment les formations en-dessous THE UNCOUTH BASTARD,
et autour de nous se faisaient décimer. Je ne voyais pas perdu pendant le
comment nous réussirions à rentrer. J’étais néanmoins raid du 14 octobre sur Le raid de Schweinfurt se solde par la perte de 60
Schweinfurt. Cet appareil sert
étrangement calme et j’avais le sentiment que quelqu’un d’abord sous l’appellation de B-17 abattus, internés ou contraints de se poser en
veillait sur moi. Quand nous avons atteint la frontière belge, LUCIFER Jr au 535th mer, et 17 autres sont jugés irréparables, soit plus de
BS/381st BG avant
j’ai scruté le ciel à la recherche d’un signe de nos chas- d’être transféré au
21 % de la force envoyée. Les pertes en personnel se
seurs d’escorte. Il n’y avait pas la moindre trace d’eux. » 364th BS/305th BG. montent à 642 tués, blessés et manquants. Certains
Ce qu’ignore le jeune sous-officier, c’est que les aérodromes Groups sont pratiquement anéantis : le 305th BG a
{ En haut à droite : Gros
anglais sont toujours pris dans le brouillard et qu’une visibi- plan sur le nose art du perdu 13 B-17 sur les 15 qui sont entrés en territoire
lité de moins de 100 mètres empêche les P-47 et Spitfire B-17F-90-BO-42-30196 SAD ennemi et le 306th BG 12. Il manque six avions
de décoller. Tiger Girl rentre néanmoins à bon port et ce SACK. Pris en compte par chacun aux 92nd, 379th et 384th BG. La 3rd BD
le 546th BS/384th BG le 23
n’est qu’après avoir quitté l’appareil que Carson découvre juin 1943, cet appareil est s’en tire à meilleur compte, avec 15 B-17 perdus pour
qu’il est parti en mission… sans son parachute ! piloté par le Lieutenant Larry l’ensemble des sept Groups engagés, dont trois, y
Keller, lorsqu’il est abattu
Les ennuis du Brennan’s Circus, un B-17F du 94th BG, com- pendant le deuxième
compris le 100th BG, n’ont pas perdu un seul appareil.
mencent dix minutes avant d’arriver sur l’objectif, lorsqu’un raid sur Schweinfurt. Les mitrailleurs revendiquent 104 chasseurs ennemis
44
Black
Thursday
abattus et les pilotes des P-47 estiment avoir remporté 13 victoires, du mois d’octobre 1943, la 8th Air Force perd 214 bombardiers,
mais une fois de plus, les chiffres sont surestimés : la Luftwaffe admet dont une centaine en une seule semaine. Avec un tel taux d’attrition,
la perte de 32 chasseurs et 20 autres sont endommagés. aucune force de combat ne peut rester efficace et, le 22 octobre, le
Dès le retour des bombardiers, les agences de presse alliées sont Brigadier General Frederick L. Anderson, commandant le VIII Bomber
averties que les résultats des bombardements sont bons et qu’il est Command, annonce la fin des raids diurnes non-escortés au-dessus
possible que l’objectif ait même été détruit. Eaker envoie à Arnold le de l’Allemagne, avec l’approbation d’Eaker et d’Arnold.
message : « Il ne fait aucun doute que nous avons maintenant planté
nos dents dans la gorge des forces aériennes ennemies. » Arnold
s’en fait l’écho en annonçant durant une interview : « Nous l’avons MESURES CORRECTIVES
fait en plein jour, en lâchant nos explosifs avec le soin et la précision
d’un tireur d’élite au fusil. » Même Sir Charles Portal, Chief of Air Les généraux américains n’entendent pas jeter l’éponge pour autant,
Staff britannique, habituellement très prudent avec ses communiqués, mais les partisans de la suprématie du bombardier admettent enfin que,
déclare : « Le raid de Schweinfurt entrera dans l’histoire comme l’une sans escorte sur l’ensemble du parcours, ses chances de survie à long
des actions les plus décisives de la guerre, et il pourrait bien sauver terme sont inexistantes. Si on peut lui reprocher de s’être lourdement
d’innombrables vies en privant l’ennemi d’une large partie de ses trompé jusque-là, Arnold n’est pas homme à s’entêter dans son erreur
moyens pour résister. » et, tandis que la priorité de production passe des bombardiers aux
Effectivement, à Schweinfurt, les dégâts causés par le raid sont de chasseurs d’escorte, il ordonne que tous les Groups de P-38 et de P-47
nouveau loin d’être négligeables et, après la guerre, Albert Speer confir- en cours de formation aux USA soient envoyés en Grande-Bretagne.
mera que si les attaques s’étaient répétées régulièrement à intervalles Leur mise en place prend cependant du temps et, en attendant, la 8th
de deux mois sur un seul semestre, la production de roulements à Air Force se concentre sur des objectifs moins éloignés en territoire
billes n’aurait pas pu se poursuivre. Pourtant, comme à l’occasion du ennemi. Il n’en reste pas moins que les moteurs Allison V-1710 du
premier bombardement de Schweinfurt, le 17 août, l’Air Chief Marshal P-38 manquent de puissance au-dessus de 15 000 pieds et que le
Sir Arthur Harris, commandant le Bomber Command, refuse de doubler rayon d’action du P-47 est insuffisant.
le raid américain par une attaque nocturne britannique. Si le Round Sur ce dernier point, une mesure corrective a cependant déjà été
the Clock Bombing figure bien à l’agenda des autorités alliées, il n’y prise : en août 1943, l’Army Material Command en est toujours aux
a pour l’instant aucune coordination entre la RAF et l’USAAF, chaque essais sur un réservoir largable fiable mais, sous la conduite du Colonel
partie choisissant ses objectifs sans tenir compte de ceux de l’autre. Cass Hough, les services techniques de la 8th Air Force développent
Par ailleurs, même si Eaker avait pu connaître l’opinion de Speer sur un réservoir de 565 litres. Produit en seulement 300 exemplaires en
la situation, il serait bien en peine d’y donner suite. Sur l’ensemble septembre, il en est fabriqué 22 000 dès décembre.
45
La solution définitive se présente sous la forme d’un
nouveau chasseur. Dès juin 1943, 145 P-51B Mustang
ont été envoyés en Grande-Bretagne où, jusqu’ici, ils ont
servi… à la reconnaissance tactique. Arnold ordonne
immédiatement que tous les P-51B et C [9] disponibles
soient reconvertis en chasseurs d’escorte, mais ce n’est
qu’au début de l’été 1944 que la mesure portera plei-
nement ses fruits. En attendant, lorsque le 19 février,
la 8th Air Force entame sa Big Week, marquant son
retour en force dans le ciel allemand, c’est toujours le
P-47 qui constitue la cheville ouvrière des escortes mais,
grâce aux nouveaux réservoirs largables, il dispose à
présent d’un plus grand rayon d’action et de récentes
améliorations en ont fait un adversaire redoutable pour
le Fw 190. L’arrivée du P-51D, avec une autonomie
de 1 550 km – 2 100 avec réservoirs largables – met
définitivement les chances du côté américain.
En raison de l’extrême solidité du B-17, la Luftwaffe a
renforcé la puissance de feu de ses chasseurs. Montage
de canons de 20 mm supplémentaires, adoption du
canon de 30 mm sur le FW 190 et même de 50 mm
sur certains bimoteurs, roquettes, tout cela a considé-
rablement alourdi les avions et réduit leur maniabilité.
Si cela ne gêne guère les pilotes tant qu’ils affrontent
des bombardiers sans escorte, c’est une autre affaire
lorsque les P-47 et P-51 font leur apparition au-dessus
du Reich et la Luftwaffe aura du mal à s’adapter à ce
nouveau changement.
Enfin, bien que les deux hommes soient de vieux amis,
Arnold estime qu’Eaker manque de détermination. Promu
Lieutenant General, celui-ci est muté vers le théâtre
d’opérations méditerranéen et remplacé par le Major
General James H. Doolittle, qui prend officiellement la
tête de la 8th Air Force le 3 janvier 1944. Celui-ci com-
mence par porter à 30 puis à 35 le nombre de missions
des tours d’opérations. Bien qu’impopulaire auprès des
équipages, la mesure donne aux unités un personnel plus
expérimenté, d’autant plus que les pertes commencent
à baisser de manière significative.
Doolittle innove aussi sur le plan tactique. Alors qu’au
début, les chasseurs restent avec les bombardiers durant
toute la mission, dans le nouveau système, une fois les
premières vagues d’intercepteurs allemands repoussées,
une partie de l’escorte descend à basse altitude pour
attaquer les aérodromes de la Luftwaffe, où ses chas-
seurs sont en train de réarmer et de refaire les pleins.
Traqués jusque sur leurs bases, les Jagdflieger subissent
des pertes de plus en plus élevées et, au printemps
1944, la Luftwaffe est enfin prise dans le processus
d’attrition annoncé par les généraux de l’USAAF depuis
plus de 15 mois.
Pour la 8th Air Force le Black Thusday apporta les pertes
les plus lourdes de toute la guerre, mais il ouvrit enfin
les yeux des généraux de l’USAAF et il marque le début
d’une évolution bénéfique.
Atteindre la base au retour d’un raid ne veut pas encore dire que
l’équipage est sauvé. Certains B-17 sont tellement endommagés
qu’ils s’écrasent à l’atterrissage, tuant tous leurs occupants,
comme en attestent ces trois photos prises au 305th BG. Seuls
deux B-17 rentrant à Chelveston le 14 octobre 1943 et ceux-ci
se posant sans incident, ces clichés ont probablement été pris
à une autre date, à moins qu’il ne s’agisse d’un appareil d’un
autre Group, mais elles démontrent bien dans quelles conditions
dramatiques pouvaient se dérouler les retours de mission.
46
Black
Thursday
13h33 Les P-47 font demi-tour en coordonnées 5102N-0555E, 14h29 Maxwell, 365th BS, 42-30804, explose en l’air, s’écrase
entre Genk et Opglabbeek. près de Glashofen, à 25 km au nord-ouest de Würzburg
13h40 Murdock, 364th BS, 42-29952, s’écrase à Limmel (Pays-bas). (Allemagne).
13h45 McDarby, 364th BS, 42-3436, s’écrase à proximité d’Ey- 14h32 Franchissement de l’IP par Kane/Normand, Bullock, Kincaid
gelshoven (Pays-bas). et Farrell.
13h45 Eakle, 364th BS, 42-30807, s’écrase à Eisden (Belgique). 14h39 Kincaid, 365th BS, 42-3550, s’écrase près de Werneck, à
13h45 Willis, 366th BS, 42-3549, s’écrase à Horn (Pays-bas). une douzaine de kilomètres au sud-ouest de Schweinfurt
13h49 Dienhart, 364th BS, 42-30831, endommagé, met le cap (Allemagne), avant d’avoir pu bombarder.
au sud. 14h40 Bombes larguées pour Kane/Normand, Bullock et Farrell.
13h50 Holt, 364th BS, 42-29988, s’écrase à Immendorf (Allemagne). 14h41 Bullock, 365th BS, s’écrase au nord-est de Schweinfurt
13h50 Fisher, 366th BS, 42-3195, s’écrase à Waldenrath (Allemagne).
(Allemagne). 15h40 Dienhart, 364th BS, atterrissage sur le ventre à Reinach-
13h52 Lang, 366th BS, 42-37750, s’écrase à Puffendorf Aesch (Suisse).
(Allemagne). 18h07 Kane/Normand, 365th BS, 42-3412, retour à Chelveston.
13h53 Kenyon, 364th BS, 42-30242, s’écrase à 6 km à l’ouest 18h09 Farrell, 366th BS, 42-30678, retour à Chelveston.
de Düren (Allemagne).
14h02 Skerry, 366th BS, 42-30814, s’écrase à Adendorf, près de
Bonn (Allemagne).
47
UNITÉ
1945
TROP
PEU
TROP
TARD
48
Trop peu,
trop tard !
Le
23 janvier 1945, l’Oberkommando der Luftwaffe (état-major de la Luftwaffe)
ordonne de rééquiper le III./JG 301 en chasseurs à haute altitude Focke-Wulf
Ta 152 H‑0. Ce nouvel appareil conçu par Kurt Tank, disposant de caractéristiques
de vol si époustouflantes qu’il est souvent considéré comme le meilleur chasseur
à moteur à pistons jamais mis en service, vient alors de terminer sa phase de tests à Rechlin au
sein de l’Erprobungskommando Ta 152 de l’Hauptmann Bruno Stolle, unité d’expérimentation
qui doit en devenir le Stab…
L'
équipement du Gruppe s’avère dès le 14 avril 1945, Stendal, demi-heure, les pilotes allemands prennent place à bord
départ problématique, car, de la qua- Allemagne. L'Oberfeldwebel des Ta 152 H-0 et les emmènent à Alteno. L’as Willi
Willi Reschke, à bord du
rantaine d’exemplaires de présérie Ta Reschke (il est alors titulaire de 24 victoires) est l’un
Ta 152 H « 1 blanc » de
152 H-0 sortis des chaînes d’assemblage la Stabsschwarm JG 301, d’eux. Il donne ses premières impressions sur l’appareil :
de Cottbus, quatorze ont été rayés des s'apprête à triompher du « - L’accélération est si fulgurante au décollage que le
listes avant même leur prise en compte, à Hawker Tempest Mk. V corps est plaqué au siège,
SN141 du Warrant Officer
la suite d’un raid de P-38 et de P-51 américains sur l’aéro- O.J. Mitchell, du No 486
- Le Ta a décollé après seulement quelques centaines
drome de Neuhausen le 16 janvier 1945. Par conséquent, (RCAF) Squadron. de mètres,
le III./JG 301 n’alignera jamais plus de 16 machines (Piotr Forkasiewicz) - Le taux de montée initial est énorme,
à la fois, alors qu’il était prévu de lui en affecter 35. - Je n’ai jamais piloté un avion avec une envergure si
importante,
- Les commandes répondent bien,
PRISE EN MAIN - La visibilité périphérique et la liberté de mouvement à
l’intérieur du cockpit sont également très bonnes,
Au moment de cette décision, le III. Gruppe, commandé - La vitesse d’atterrissage est plutôt basse et ainsi très
par le Major Guth, vole sur Fw 190 A-8. Retiré des opéra- inhabituelle. »
tions en prévision de cette transformation, il est désormais En fin de matinée, les douze Ta 152 H-0 se posent à
basé à Alteno, près de Luckau (dans le Brandebourg), un Alteno. Une fois les puissants moteurs Junkers Jumo
terrain situé non loin de l’usine Focke-Wulf de Neuhausen- q Le Focke-Wulf Ta 213 E de 1 750 ch coupés, les appareils sont entourés
Cottbus où est produit le nouveau Höhenjäger. Le 27 152 H-0 WNr. 150005 par tout un aréopage animé autant par la curiosité que
janvier au petit matin, un petit contingent de pilotes se sur la butte de réglage du par l’excitation.
rend donc sur place en camion pour prendre livraison de compas à Cottbus. Sorti
Chacun aura bientôt la possibilité de s’installer aux com-
des chaînes le 8 décembre,
douze Focke-Wulf Ta 152 H‑0. Arrivés dans l’enceinte l'appareil est ensuite affecté mandes du Focke-Wulf de Kurt Tank, car tous les pilotes
de l’aérodrome, ils les découvrent alignés en trois ran- à l’usine de Junkers à du groupe doivent être formés sur la nouvelle machine,
gées sur le tarmac, et, sitôt descendus des véhicules, Dessau pour des essais ceci en fonction bien sûr des disponibilités. Cette phase
du moteur Jumo 213 E. À
s’empressent d’en faire le tour et de questionner les
la vue de ce cliché mettant
de conversion débute plutôt mal car le 1er février, lors
personnels au sol sur cette machine inconnue dont ils en évidence l'envergure d’un vol d’entraînement, l’Unteroffizier Hermann Dürr ne
ont instantanément remarqué l’envergure inhabituelle considérable de l'appareil, parvient pas à sortir d’une vrille à plat et s’écrase au sol.
qui ne cesse de les surprendre (14,44 m pour le Ta on comprend la surprise Il est le premier des deux pilotes tués pendant la période
des pilotes de la JG 301
152 H contre 10,5 m aux Fw 190 A-8 et D-9) et le venus réceptionner les
d’entraînement qui se déroule tout au long du mois.
long nez qui ne les apparente en rien à des chasseurs. premiers exemplaires H-0. Reschke a alors l’occasion de se familiariser pleinement
Après des « recommandations d’usage » de plus d’une (Collection W. Green) avec le Ta 152 H-0 et affine ses impressions premières :
49
« Même au roulage, on ressentait l’énorme puissance du p Les Focke-Wulf stratégique alliée lors de son offensive sur Dresde : la
Jumo 213 E. En poussant la manette des gaz à fond, on Ta 152 H-0 du Stab III./JG Geschwader perdra 26 pilotes au combat rien qu’en
301 alignés sur le terrain
déclenchait une énorme accélération qui vous collait au février !
d’Alteno, près de Luckau
siège, de sorte que les pilotes hésitèrent à mettre les gaz (Brandebourg), fin janvier Le 14 du mois, le Gruppe envoie un premier rapport
à fond lors de leurs premiers décollages. L’avion s’arra- 1945. L'unité a fière allure ! d’évaluation à l’OKL, qui, au passage, illustre la grande
chait facilement vers 210 km/h après une courte course (Collection W. Green) confusion sur la ligne de contact résultant de l’effon-
d’élan. On s’apercevait à peine du relevage du train et drement du front allemand consécutif à l’offensive
des volets. Cela faisait une grande différence avec les « Vistule-Oder » de l’Armée rouge :
autres versions du Fw 190 qui s’affaissaient de manière « Le III. Gruppe de la JG 301, qui a reçu pour mission
sensible quand les volets se relevaient. L’énorme traction de procéder à l’évaluation opérationnelle du Ta 152 H-0,
de l’hélice, avec ses larges pales de 60 cm, et l’immense est basé à Alteno, et volait précédemment, dans le cadre
envergure de l’avion ne passaient pas inaperçues. Le taux de ses missions de défense du Reich, sur Fw 190 A-8/
de montée initial était de 17,5 m/sec jusqu’à 5 000 m. R11 et R12. Au début de l’offensive russe, le Gruppe
Il fallait 12 min pour atteindre 10 000 m, ce qui corres- a été transféré vers l’est sur un aérodrome qui s’est
pondait à un taux de montée de 14,2 m/sec. avéré être situé derrière les lignes ennemies et a par
Lors des vols d’essai, le compresseur à trois étages du conséquent dû être précipitamment abandonné. Malgré
Ta 152 H-0 fonctionnait sans souci, bien qu’il faille men- le brouillard, la plupart des avions ont pu redécoller,
tionner qu’en opérations, il y eut quelques problèmes avec le restant ayant dû être saboté. Les appareils ayant
le troisième étage. À 10 000 m, le Ta 152 réussi à s’échapper ont été répartis dans
réagissait parfaitement aux commandes ; d’autres unités.
par comparaison, à cette altitude, le Le Gruppe avait donc seulement les Ta
Fw 190 A-8 était déjà instable et réagissait 152 H-0 livrés pour essais, onze appareils
de manière paresseuse. Jusqu’à 12 000 numérotés WNr. 001, 002, 025, 032
m, on n’avait pas vraiment l’impression et 034 à 040. Parmi eux, le 037 [NdlA,
d’avoir atteint les limites de l’avion. celui de Dürr] a été détruit à 98% dans
Pendant la période d’entraînement, il fut un crash, et le 022 a été endommagé
procédé à des exercices de combat avec lors d’un atterrissage forcé mais il a par
les derniers Fw 190 A-8 conservés par le la suite été réparé. Le taux de disponibilité
Gruppe. Ces combats simulés nous don- du parc est de 75% et il est tombé à 30%
nèrent la possibilité de jauger les capacités durant une brève période quand de l’eau
du Ta 152 et de voir si cet appareil était a été mélangée au carburant, entraînant
aussi bon que ce que l’on en disait. Chaque le grippage des pompes d’injection.
exercice prouva que le Ta 152 était net- Le personnel au sol et volant est très
tement supérieur en combat tournoyant, bien entraîné. Presque tous les pilotes
en particulier entre 6 et 8 000 m, alti- sont expérimentés et désireux de passer
tudes auxquelles la plupart des combats à l’action. Ils ont abordé le test du Ta
se déroulaient. On avait l’impression que 152 avec d’excellentes dispositions. Par
le Ta 152 pouvait tourner sur place. » conséquent, au sein du groupe, l’avion
Cette phase de conversion, qui se fait est entre de bonnes mains.
pour l’heure au prix d’une unique perte L’encadrement se compose des :
humaine, est en vérité un moindre mal, - Gruppenkommandeur : Major Guth,
car le reste de la JG 301 est alors taillé - Adjutant : Leutnant Schröder,
en pièces à la fois par l’aviation soviétique - Technischer Offizier : Hauptmann Hölzer
sur le front et par l’escorte de l’aviation puis Oberleutnant Schallenberg.
50
Trop peu,
trop tard !
Le rapprochement du front a transformé Alteno Durant la dernière semaine de février 1945, le l’Unteroffizier Blum et du Feldwebel Reschke.
en aérodrome de première ligne utilisé par des III./JG 301 boucle sa période d’entraînement Pendant ce temps, le reste du groupe ne
Gruppen de chasse et d’attaque au sol. Pour en émettant un avis dithyrambique sur le Ta parvient pas à dénicher l’ennemi, les pilotes
éviter toute perturbation des essais en vol, le 152, dont les qualités de vol impressionnent : rentrant à leur base franchement déçus. Ce
Gruppe sera sous peu transféré à Alperstedt, les pilotes n’émettent aucune réserve sur n’est que partie remise.
près d’Erfurt. » l’appareil, se plaignant tout juste du circuit Le « grand jour » arrive enfin le 2 mars, quand
C’est en fait le terrain de Sachau, près de hydraulique du train d’atterrissage. les B-17 et B-24 américains s’en prennent à
Gardelegen, à l’ouest de Berlin qui est désigné l’usine de produits chimiques de Böhlen et
au groupe le 16 février. Les jours suivants Chemnitz. Le III./JG 301 décolle avec 12
apportent leur lot de mauvaises nouvelles. Tout
d’abord, l’usine de Cottbus doit déménager, ce
BAPTÊME DU FEU Ta 152 H et autant de Fw 190 A-8 et A-9.
Les premiers sont placés sous les ordres de
qui met un terme à la production du Ta 152 H. Le 25 février, l’ensemble de la JG 301, III. l’Oberleutnant Hermann Stahl : ils ont reçu
Peu après, un autre Fw 152, avec l’Oberfähn- Gruppe compris, est engagé contre la 8th US l’ordre d’engager en priorité les chasseurs
rich Jonny Wiegeshoff aux commandes, est Air Force qui s’attaque aux carrefours ferro- escortant les Viermot. Cette mission est d’un
perdu sur accident à l’atterrissage, sans que viaires du triangle Salzwedel – Wittenberge genre nouveau pour les pilotes de Ta 152,
les causes ne puissent en être déterminées : – Stendal. Dix ou douze Ta 152 H-0 et H-1 longtemps habitués, en tant que membres
l’appareil est victime d’un décrochage lors du décollent de Sachau, le reste du groupe sur de la Wilde Sau, à attaquer les bombardiers.
virage en bout de piste et s’écrase dans les des Fw 190 A-8 et A-9, sous la conduite Cette fois – et beaucoup s’en réjouissent – ils
arbres, entraînant son pilote dans la mort. Entre- du Major Guth… qui doit rapidement faire vont en découdre avec les Mustang. Toutefois,
temps, le Kapitän de la 9. Staffel, l’Hauptmann demi-tour sur ennui moteur. En raison de la aucun d’eux n’imagine la tournure désagréable
Gerhard Posselmann, est transféré au I. Gruppe menace représentée à cette époque par les que vont prendre les événements ! Les Ta
dont il devient le Kommandeur ; il est remplacé P-51 Mustang en maraude, il rentre à Sachau 152 évoluent vers 8 000 mètres quand ils
par l’Oberleutnant Hermann Stahl. escorté par deux autres appareils, ceux de croisent une formation de Bf 109 de la JG 301.
u Même altéré par l'obscurité
du hangar, ce gros plan sur
le nez du Ta 152 H peine
à dissimuler la puissance
du moteur V12 Junkers
Jumo 213 E produisant
1 750 ch (2 050 ch au
décollage avec le mélange
MW-50). C'est un moteur
à refroidissement à eau
équipé d'un compresseur
à trois étages qui améliore
considérablement les
performances en altitude.
Il souffre de maladies de
jeunesse qui auraient
probablement été corrigées
très vite dans les versions
suivantes du Ta 152 H.
(US Nara)
L'Oberfeldwebel Willi
Reschke fait partie des rares
privilégiés de la Luftwaffe à
avoir piloté le Ta 152 H au
combat. Il a même remporté
trois victoires aux commandes
de ce formidable appareil :
un Tempest (14 avril 1945)
et deux Yak-9 (24 avril),
forcément un record.
(DR)
51
52
Trop peu,
trop tard !
Focke-Wulf Ta 152 H‑0
© Hubert Cance - 2019
53
– Bf 109 G inclus ! – mais prouve en revanche que
la silhouette du nouveau chasseur reste encore peu
familière aux yeux des jeunes pilotes de la Luftwaffe.
PREMIÈRE VICTOIRE !
Le 13 mars, ordre est donné de prélever quatre pilotes et
leurs Ta 152 H pour former un Stabschwarm au sein du
Stab/JG 301, unité qui serait basée à Stendal : sont dési-
gnés les Oberfeldwebel Sepp Sattler et Josef Keil, de la 9.
Staffel, les Oberfeldwebel Willi Reschke et Unteroffizier
Christopher Blum, de la 10. Staffel. C’est l’occasion pour
Reschke de recevoir la Croix allemande en or des mains du
Geschwaderkommodore, l’Oberstleutnant Aufhammer,
mais cette décision est aussi motivée par le souhait du
Generalleutnant Dietrich Peltz, successeur d’Adolf Galland
au poste de General der Jagdflieger, d’inspecter les Stab
et II./JG 301. À cette occasion, Peltz s’offre même un
petit tour à bord de l’un des Focke-Wulf Ta 152 H dont
il découvre lui aussi le formidable potentiel.
Malgré l’ostensible bande de défense du Reich rouge Photo de trois quarts Au cours de l’après-midi, Reschke grimpe à bord du sien,
et jaune entourant le fuselage des Focke-Wulf, l’im- arrière du Ta 152 H-1/R11 le « 13 noir » pour intercepter un Mosquito de reconnais-
WNr. 150167 capturé par
pensable se produit, comme le rapporte Willi Reschke : les troupes américaines sance aperçu au-dessus de Berlin. Guidé depuis le sol par
« Quelques secondes plus tard, nous ne pûmes à Erfurt-Nord le 15 avril des radars Freya et Würzburg, l’Expert fraîchement décoré
en croire nos yeux : le groupe de Bf 109 ouvrit le 1945 et vu précédemment croit alors bien ajouter une 25e ligne à son palmarès :
dans son hangar. Cet
feu sur nous et les premières traçantes nous enca- « Bien que le Mosquito fût un appareil extrêmement
appareil, sorti des chaînes
drèrent. L’Unteroffizier Blum fut le premier attaqué de Cottbus, a par la suite rapide à haute altitude, je pus le rattraper très vite, en
et son cri d’alarme nous fit brusquement comprendre intégré plusieurs équipements dépit du fait que j’étais en légère ascension. Dans mon
dans quelle situation nous nous trouvions. » « tout-temps » destinés à Ta 152, tout était prêt : j’avais le Mosquito au milieu
la série : radiocompas FuG
Les Ta 152 dégagent en un virage serré en chandelle, 125 Hermine (navigation et
du réticule lumineux de mon collimateur et mes doigts
distançant facilement les Messerschmitt. Dispersée aux atterrissage sans visibilité) étaient crispés sur la détente. J’informai le contrôle
quatre vents, la formation ne subit heureusement aucune et pilote automatique aérien, avec lequel j’étais en contact permanent, que
perte, mais, à sa grande déception, elle n’aura pas, cette LGW-Siemens K 23. j’étais sur le point d’engager le combat. Soudain, un
(US Nara)
fois non plus, l’occasion de rencontrer la chasse américaine. secousse ébranla le Ta 152 et ma vitesse chuta : le
Il valait mieux peut-être ainsi, car la sortie a viré à troisième étage du compresseur avait lâché, alors qu’il
l’hécatombe pour la Geschwader : ses trois autres fonctionnait jusqu’ici parfaitement bien depuis sa mise
groupes ont été interceptés par une nuée de P‑51 en marche à 7 000 mètres. Le Mosquito poursuivit par
avant même d’avoir atteint les bombardiers et 25 ont q Le Ta 152 H-1 WNr. conséquent sa route sain et sauf, son équipage bien loin
150168, « 9 » vert,
été abattus, pour 19 pilotes tués dont 8 (des équi- de se douter qu’il avait échappé de justesse à la mort. »
tombé entre les mains
pages de He 177 du III./KG 1 récemment reconvertis des Britanniques à Leck. Dans la foulée, ce sont finalement tous les Ta 152 du
et dont c’était la première mission de chasse !) au seul Immatriculé AM-11, il III./JG 301 qui sont affectés au Geschwaderstab soit six
IV. Gruppe qui est aussitôt dissous. Ce malencontreux sera présenté quelque appareils. Impossible de dire ce que sont devenus les six
temps au public revêtu de
incident a néanmoins le mérite de démontrer que le Ta pseudomarques allemandes.
restants sur les douze du départ, car Reschke, dans ses
152 peut se débarrasser de n’importe quel assaillant (Collection E. Larger) mémoires, ne fait dès lors plus mention d’autre chose
54
Trop peu,
trop tard !
55
Décidément, depuis qu’il est sur Ta 152, Reschke n’est
pas en vaine au moment d’« achever » ses victimes, mais
la chance finit par lui sourire une fraction de seconde
plus tard. Ignorant que les canons du Focke-Wulf sont
muets, incapable de se débarrasser de son poursuivant,
le pilote du Tempest pense son heure venue. Il se lance
alors dans une série de manœuvres désespérées mais
un virage trop brusque sur la gauche finit par lui faire
percuter les arbres. De son côté, Aufhammer prend lui
aussi facilement le dessus sur « son » Tempest, sauf
que celui-ci parvient miraculeusement à lui échapper.
Une fois de retour au terrain, les deux Allemands
grimpent à bord d’une Kübelwagen et se dirigent
vers les lieux des crashs, distants seulement de 500
mètres l’un de l’autre, non loin de l’aérodrome. Le
Tempest Mk. V SN141 du No 486 (RCAF) Squadron
est découvert, hormis les impacts visibles des obus
de Reschke et la tôle déformée par sa chute, en rela-
tivement bon état : il n’a pas heurté d’arbre de plein
fouet et les innombrables branchages traversés ont
amorti son crash comme s’il avait simplement fait
un atterrissage forcé ; mais, sanglé sur son siège, le
pilote néo-zélandais, le Warrant Officer O.J. Mitchell,
est mort. Les Britanniques attribueront sa perte à un
Bf 109 E (!), mais Willi Reschke en reçoit le crédit. Bien
que Reschke et Aufhammer certifient que son avion
s’est abattu avant le combat, défendant l’hypothèse
d’un accident, Sattler semble pour sa part avoir été
descendu et tué par l’autre « Spit », aux mains du
Warrant Officer W.J. Shaw du « 486 » ; une victoire
qui lui sera refusée par le haut commandement de la
2nd Tactical Air Force, faute, et pour cause, de témoin
pour la confirmer.
Le 20 avril, jour anniversaire d’Hitler traditionnelle-
ment propice à la remise de récompenses, Walter
Loos, qui terminera le conflit avec 28 victoires en
66 missions, et Willi Reschke sont décorés de la
Ritterkreuz pour leur action dans la défense du Reich.
LA BATAILLE DE BERLIN
Le 21 avril, alors que l’Armée rouge s’est lancée
au-delà de l’Oder à la conquête de Berlin, le II./
JG 301 est jeté avec l’énergie du désespoir dans
la bataille pour la capitale du Reich. Cinq Ta 152
servent d’escorte à ses Fw 190 D-9 armés d’une
bombe. Ces derniers larguent leurs projectiles sur des
positions de la DCA soviétique sur la rive Ouest du
fleuve et repartent d’où ils sont venus. Au-dessus de
Berlin dévastée, les Ta 152 sont interceptés par des p Deux très belles vues « Les Soviétiques sont arrivés par nos quatre heures et ont
couleur du Focke-Wulf Ta 152
Yak-9 ; à l’issue du combat qui suit, l’Oberfeldwebel H-0 WNr. 150010 cédé par les
attaqué tout de suite l’avion de Stahl qui se trouvait sur
« Jupp » Keil en revendique deux. L’engagement a Britanniques au National Air ma droite. J’ai averti Stahl de la présence des chasseurs
cependant été trop bref pour que toute conclusion and Space Museum (NASM) ennemis, mais sa réaction m’a pris par surprise, car, au
relative à la supériorité du Ta 152 sur le Yakovlev après la guerre. Le « 4 vert » lieu d’amorcer une manœuvre défensive, il a simplement
semble avoir été rajouté après
puisse être tirée. coup en même temps que les
basculé le nez de son avion et s’est mis en piqué. Par radio,
Le matin du 24, c’est la totalité de la JG 301 qui se pseudomarques allemandes. je lui ai dit de grimper vers les nuages, car les premières
rend dans le secteur de Berlin pour bombarder des Le FE du code FE-112 sur traçantes rouges encadraient déjà son Ta 152, mais il n’a
cibles de l’Armée rouge à Zossen. la dérive signifie Foreign pas réagi et a maintenu son piqué.
Equipment (matériel étranger).
Assurant comme à leur habitude la protection au (US Nara) Je me trouvais en position de tir derrière un Yak-9 quand
décollage du II. Gruppe puis l’escorte jusqu’à l’ob- des traçantes m’ont frôlé. Je m’étais tellement concentré
jectif, cinq Ta 152 sont de la partie, volant en une sur la situation critique de Stahl que je ne m’étais pas
section de deux (Hauptmann Hermann Stahl et rendu compte que la mienne n’était guère meilleure. J’ai
Willi Reschke, ce dernier aux commandes du « 9 immédiatement exécuté un virage serré sur ma gauche
vert », le Ta 152H-1 WNr. 150168) et une de trois et j’ai réussi à me débarrasser du Yak-9. Ce ne fut qu’à
avions (Oberfeldwebel Walter Loos et Josef Keil et ce moment que je compris qu’il y en avait tout une for-
Feldwebel Christoph Blum). Au retour, les deux sec- mation. Comme j’avais perdu de l’altitude à suivre Stahl,
tions se séparent pour une mission de reconnaissance j’ai commencé à virer en même temps que les Russes.
aux alentours de la capitale, l’une contournant la ville N’ayant jamais rencontré de chasseurs russes auparavant,
par le nord et l’autre par le sud. Tout à coup des j’ignorais tout de leurs tactiques, mais j’ai pensé qu’en cas
Yak-9 surgissent aux environs d’Erkner : d’ennui sérieux je pouvais toujours grimper dans les nuages.
56
Trop peu,
trop tard !
Les Russes ont maintenu leur formation serrée, ce qui m’a empêché l’ordre de laisser ses avions à Neustadt-Glewe au profit de la JG 11
de virer aussi sec que je l’aurais aimé. Mais je me suis rapidement qui vient juste de s’y poser : le Stab de cette Jagdgeschwader met
retrouvé derrière eux, nouvelle preuve de la maniabilité exceptionnelle ainsi la main sur les Ta 152 H restants (probablement quatre), sauf
du Ta 152. Ce ne fut qu’après que j’ai descendu le numéro quatre que leurs nouveaux propriétaires n’ont pas bénéficié de la formation
que la formation russe s’est disloquée. Un seul Russe a continué le de leurs prédécesseurs. Les conséquences sont funestes. Deux de
combat, probablement le chef de patrouille, mais son Yak-9 était ces Focke-Wulf sont abattus par des Spitfire lors du transfert de la
désespérément inférieur à mon Ta 152. En fin de compte, il a piqué JG 11 à Leck (Schleswig-Holstein) et un autre effectue un atterrissage
en laissant échapper de la fumée. Le combat avait eu lieu au nord forcé, ne laissant qu’un seul appareil en état de vol, probablement
d’Erkner dans la direction de Neuenhagen. » le WNr. 150010 du Leutnant Mehling. Quant aux personnels de la
La priorité de Reschke est de savoir ce qu’est devenu son supérieur JG 301, ils attendront sagement dans le petit village de Sande, près
mais ses appels radios restent sans réponse : l’Hauptmann Hermann de Leck, l’arrivée des troupes britanniques quelques jours après la
Stahl est porté disparu. De son côté, Walter Loos revendique lui aussi cessation des hostilités.
deux Yak-9, ce qui porte à quatre les victoires de la journée. Sans Ainsi prend fin la courte guerre du Focke-Wulf Ta 152…
vouloir jeter le discrédit sur les deux pilotes allemands, il semble
néanmoins que leurs revendications soient très optimistes, d’au-
tant que le carnet de vol de Willi Reschke mentionne 20 minutes BIBLIOGRAPHIE
comme durée de la mission (ses 26e et 27e victoires étant mention-
nées à 8h45 et 8h48 pour ajouter à la confusion). « J’ai atterri à . Reschke, Jagdgeschwader 301/302 « Wilde Sau », Schiffer
W
Neustadt-Glewe à 09h15, ajoutera l’as dans ses mémoires. Ce fut Publishing, 2005.
mon dernier combat et ma dernière mission de la guerre. » Un dernier
R
.Steiner, « Ta 152 H, la dernière merveille de Kurt Tank »,
combat aussi marqué par la première perte au feu d’un Ta 152...
Aérojournal n°1, décembre 2007-janvier 2008.
La JG 301 effectue sa dernière mission le 30 avril. Elle reçoit alors
57
PROJETS
1940
1953
LES AUTRES
CHTOURMOVIKS
LES CONCURRENTS ET SUCCESSEURS AU IL-2 (2E PARTIE)
Plans : Herbert Léonard. Profils couleurs : J.M. Guillou par Herbert Léonard
D
ans le numéro précédent, Herbert Léonard a levé le voile sur un pan finalement assez peu connu
de l’histoire de l’Iliouchine Il-2, à savoir la concurrence à laquelle le mythique appareil soviétique
a été confronté, notamment de la part de Soukhoï. Il est maintenant temps de se pencher sur les
évolutions étudiées par l’avionneur lui-même à la lueur de l’expérience des premiers mois de confrontations
avec l’ennemi.
LE NOUVEAU CHTOURMOVIK
Pendant la bataille de Stalingrad, après avoir sur base d’Il-2 Type 3, dont toute la partie arrière du fuselage en bois et contreplaqué.
largué leurs bombes, les Il-2 s’en prennent avant du fuselage, incorporant le « caisson Testé à partir du 19 mai 1944 par Vladimir
fréquemment aux avions allemands plus lents blindé », est affinée grâce au remplacement K. Kokkinaki, le prototype Il-1 satisfait par
qu’eux. De même, ils détruisent des dizaines du conduit en « S » de refroidissement des son comportement en vol, l’aisance de son
de trimoteurs de transport Ju 52 dans la poche radiateurs, typique de l’Il-2, par deux ouïes aux pilotage et la facilité à accomplir les figures
de Demiansk, mais aussi des bombardiers emplantures de la voilure. Les configurations de voltige. Mais le Messerschmitt Bf 109 G-2
He 111, Ju 87 et Fw 200. Conscient de ce des empennages (dérive à bec débordant) et le surclasse et le GKO finit par renoncer au
potentiel inattendu, le GKO (commissariat du de la voilure sont revues avec réduction des « chasseur blindé », d’autant que les modèles
peuple à la Défense) commande une variante dimensions et le train d’atterrissage s’esca- de Yakovlev et Lavotchkine font l’affaire.
de chasse blindée à Iliouchine qui, peu enthou- mote « à la Soukhoï », vers l’arrière et à plat ! Iliouchine n’a toutefois pas perdu son temps
siaste, crée pourtant le prototype monoplace L’armement ne comprend que les deux canons car, dans l’optique de parfaire les caractéris-
Il-2I (ou Il-2IB), testé sans convaincre en juillet VYa-23 dans la voilure, mais deux bombes tiques de l’Il-2, les procédés technologiques
1943. Puis, l’avionneur conçoit le prototype de sont transportables en externe. L’appareil élaborés pour l’Il-1 sont appliqués aux pro-
« chasseur lourd blindé » Il-1 à moteur AM-42, est métallique à l’exception du tronçon grammes parallèles Il-8 et Il-10.
58
Les autres
Chtourmoviks
59
Les lance-grenades DAG-5 et DAG-10
Le lance-grenade DAG-10 contient dix projectiles à fragmentation
type AG-2 de 1,8 kg. Installé perpendiculairement dans la partie
postérieure d’un avion, il est constitué d’un carter sphérique rempli
Schéma d'origine d'une d’explosif, qu’un corps cylindrique surplombe, contenant un para-
grenade AG-2 en coupe chute de freinage. La partie inférieure du lance-grenade est munie
et avec son parachute. d’un clapet s’ouvrant sur commande pour laisser s’échapper un
nombre choisi d’AG-2. Au moment de la séparation, le couvercle du
corps contenant le parachute s’arrache, activant la fusée-détonateur
programmée pour faire exploser le projectile trois à quatre secondes
plus tard, à quelque 100 m et 20 à 25 m plus bas, dans le sillage
de l’avion. L’explosion disperse approximativement 130 éclats de
3 à 80 grammes dans un rayon de 100 m. Deux modèles sont
fabriqués en série : DAG-5 et DAG-10 contenant respectivement
cinq et dix AG-2. Montée (entre autres) sur les Chtourmovik Il-2
biplaces, cette arme « dissuasive » va souvent briser les attaques
des prédateurs ennemis, voire les endommager.
60
Les autres
Chtourmoviks
61
t Un Il-10 de série dont on
peut apprécier l’importance
des ouïes de refroidissement
du groupe motopropulseur
aux emplantures de la
voilure. Celle de gauche est
cloisonnée car elle refroidit à
la fois le radiateur d’huile et
celui de l’eau, tandis que la
droite ne refroidit que l’eau.
On aperçoit deux lance-
bombes pour des projectiles
de fort calibre, entre les
jambes de l’atterrisseur qui
s’escamote « à la Soukhoï »,
les tubes des canons VYa-23
et des mitrailleuses ChKAS
au bord d’attaque des plans
de la voilure. (Marmain)
Iliouchine Il-8.1
Prototype
Iliouchine Il-10
108e régiment d'assaut de la Garde
Kolo, Pologne, 1945
62
Les autres
Chtourmoviks
du nouveau « chtourmovik rapide » Il-10M entièrement métallique. de profondeur sont surélevés de 75 mm pour échapper aux remous
C’est un Il-10 ayant subi un grand chantier de modifications et aérodynamiques causés par la voilure et améliorer les caractéristiques
d’améliorations qui, pendant ses essais, révèlent des caractéristiques de décollage et d’atterrissage. Et puis, le fuselage est rallongé de 75 cm
de vol, une stabilité et des capacités manœuvrières encore meil- pour mieux gérer la stabilité et l’ergonomie du « caisson blindé », l’af-
leures. L’OKB Iliouchine s’est penché sur son berceau avant la fin fût-tourelle est électrifié et (pour certains) doté d’une visière blindée.
de la production en série de l’Il-10 pour le « moderniser », relever Enfin, les ouïes aux emplantures de la voilure sont agrandies et plus
ses performances, ses qualités de vol et sa distance franchissable. anguleuses, et la capacité en carburant est augmentée. Un système
Mais sa masse de plus de sept tonnes fait tout de même chuter « tous temps » de transmissions est présent dont l’antenne oblique
la vitesse à 516 km/h à 2 650 m (551 km/h à 2 300 m à l’Il-10). est située sur le dos du fuselage (sur l’arceau du pare-brise pour les
D’abord, la voilure est simplifiée : profil « Clark YH », plans avec dièdre Il-10 et les premiers Il-10M).
constant, bords d’attaque en flèche de 15°, saumons rectilignes, Avec l’accroissement inévitable de la masse, l’OKB Iliouchine été
envergure portée à 14 m, surface augmentée de près de 3 m2, volets obligé de renforcer le train d’atterrissage et d’en augmenter la voie de
d’intrados en quatre éléments (cinq à l’Il-10). Ensuite, la surface des 10%, de l’équiper de pneus plus grands, de revoir les carénages et les
gouvernes d’empennages est accrue (structures renforcée) et les plans flasques de roues et de reculer la roulette de queue semi-escamotable.
L’armement fixe est le même que celui
des derniers lots d’Il-10 : quatre canons
Iliouchine Il-10 & Il-10 M NR-23 dans la voilure et si les charges
offensives sont les mêmes, elles peuvent
être remplacées par des bidons externes
Il-10 Il-10 M de carburant pour 300 litres de contenance
Moteur Mikouline AM-42 de 2 000 ch au décollage totale. Jusqu’en 1954, 146 Il-10M sont
Envergure 13,40 m 14 m produits. Les exemplaires de série sont
Longueur 11,12 m 11,87 m équipés d’une longue quille sous l’arrière du
Hauteur 4,18 m - fuselage. Engagés dans la guerre de Corée,
Surface alaire 30 m2 33 m2 les Il-10 et Il-10M, baptisés « Beast » par
Masse à vide 4 650 kg (4680 kg)* 5 353 kg l’OTAN, s’avèrent très vulnérables face
Masse au décollage 6 300 kg (6335 kg)* 7 320 kg aux avions à réaction. Leur éviction est
Masse en surcharge 6 525 kg (6535 kg)* 540 kg
actée dès 1956 (ils sont remplacés par
des mono-réacteurs MiG-15).
Masse carburant 535 kg 65 kg
Masse huile 65 kg 461 km/h à 0 m
[1] La maniabilité de l’Il-10 de série, bien
Vitesse maximale 507 km/h (490 km/h) au niveau de la mer 476 km/h au niveau de la mer
supérieure à celle d’un Il-2 Type 3, en font
551 km/h (530 km/h) à 2 800 m (2400 m)* 516 km/h à 2650 m quasiment un chasseur. Car, au cours de
Vitesse de croisière 310 km/h (325 km/h)* 283 km/h simulacres de combat avec un chasseur
Lavotchkine La-5FN piloté par l’as à la
Vitesse à l’atterrissage 148 km/h (150 km/h* 138 km/h
quarantaine de victoire, le capitane V.I.
Montée à 1 000 m en 1,6 minute en 2,2 minutes Popov (Héros de l’Union soviétique), l’Il-10 du
Montée à 3 000 m en 5 minutes (6 minutes)* en 6,4 minutes capitaine A. Sirotkine a si bien manœuvré que
Popov a eu beaucoup de mal à se mettre dans
Montée à 5 000 m en 9,7 minutes en 12,7 minutes sa queue et a dû reconnaître que le nouveau
Plafond pratique 7 480 m (7 200 m)* 7 000 m Chtourmovik d’Iliouchine était un excellent et
digne adversaire du La-5FN. Mais ce simulacre
Distance franchissable 800 km 805 km
a aussi démontré qu’à aucun moment, ni
le pilote ni le mitrailleur de l’Il-10 n’avaient
* Les chiffres entre parenthèses concernent la version construite en Tchécoslovaquie sous la désignation B-33. pu aligner Popov dans leurs collimateurs.
63
Iliouchine Il-10
de série (1945)
64
Les autres
Chtourmoviks
Iliouchine Il-10M
de série (1953)
65
L'Iliouchine UIl-10 LE PROTOTYPE
ILIOUCHINE IL-16 (1945)
Avant d’y mettre un terme, l’OKB Iliouchine
Un biplace de formation et d’entrainement
CB-33 (Il-10U) polonais. L’élève est assis
effectue une ultime tentative d’amélioration du
au poste avant avec l’instructeur derrière concept du Chtourmovik monomoteur. Il associe
lui. L’armement fixe de celui-ci ne comprend un fuselage d’Il-10 raccourci de près d’un mètre
que deux canons NR-23 de 23 mm (DR). au puissant moteur Mikouline AM-43NV à injec-
tion directe encore « parfaitement expérimental »,
développant 2 300 ch (1 515 kW) au décollage
(hélice à quatre pales très larges AV-9I-70 de
3,4 m de diamètre). La surface de l’aile est réduite
de 6 m2 et les tôles de blindage sont amincies. Le
gain de masse d’environ 800 kg doit permettre de
surclasser tous les programmes de Chtourmoviks
similaires en termes de caractéristiques de vol et
de vitesse.
En février 1945, l’OKB Iliouchine est chargé de concevoir une version biplace de Armé comme les derniers lots d’Il-10, charges
formation et d’entraînement de l’Il-10. Désigné UIl-10 (Il-10U ou Il-10UT – Utchebno- offensives comprises, le prototype, désigné Il-16,
trenirovochnyi), le modèle conserve les mêmes proportions que l’Il-10. Le poste du est achevé de construction début 1945 et vole aux
mitrailleur est rallongé et entièrement vitré pour que l’instructeur y prenne place, face mains de Kokkinaki pour ses essais d’usine. S’il
vers l’avant, et dispose d’un second jeu de commandes (la plaque de blindage séparant se comporte bien en vol et s’il accomplit toutes
les deux hommes est supprimée). C’est l’exemplaire UIl-10 n/s 106085 construit par les figures acrobatiques, sa stabilité en lacet n’est
l’usine n° 1 qui est testé au NII VVS du 20 mai au mois juin 1945 avec des résultats pas bonne (queue trop courte) et le groupe moto-
appréciables. La production en série suit par les usines n° 1 et n° 18 à Kouïbychev. propulseur pose d’énormes problèmes, de sorte
Mais déjà, le manque chronique d’avions de cette sorte pour l’entraînement à l’assaut que la vitesse maximale enregistrée n’est que de
a engendré des conversions d’Il-10 par les dépôts de maintenance. Et si l’armement 576 km/h à 2 700 m au lieu des 625 km/h espérés.
standard ne comprend plus que les deux mitrailleuses ChKAS d’aile, le lance-grenades Un chantier de modifications rallonge l’arrière du
DAG-10 et deux rails pour des roquettes RS-132 (pas de charges offensives), certains fuselage de 50 cm et agrandit l’empennage verti-
exemplaires conservent l’armement complet des Il-10, quand d’autres n’ont que deux cal. Et si cela suffit à améliorer la stabilité, rien ne
canons NS-23 et deux lance-roquettes. La production totale d’UIl-10 par les deux usines semble pouvoir fiabiliser le moteur (il ne sera pas
atteint 280 exemplaires, dont 269 par la n° 1 et onze par la n° 18. homologué), de sorte que le programme Il-16 est
enterré à l’été 1946.
t Un Il-10M fraîchement sorti
d’usine. Il se différencie surtout
de l’Il-10 par sa nouvelle voilure
aux saumons rectilignes et ses
quatre canons NR-23. L’emport
de lance-roquettes est limité
à quatre. Son antenne fixée
sur l’arceau du pare-brise et
l’absence de quille sous l’arrière
du fuselage indiquent qu’il
s’agit d’un des tous premiers
Il-10 construits. (Marmain)
q Un Il-10M parfaitement
conservé et exposé au public
en Union soviétique. C’est un
exemplaire de série, comme en
témoignent son mât d’antenne
oblique sur le dos du fuselage et
sa quille sous la queue. (Marmain)
66
Les autres
Chtourmoviks
Iliouchine Il-16
Moteur Mikouline AM-43NV
de 2 300 ch au décollage
Envergure 12,50 m
Longueur 10,19 m
10,69 m (après modifications)
Surface alaire 24 m2
Masse à vide 4 315 kg
Masse au décollage 5 780 kg
Masse en surcharge 5 980 kg
Masse carburant 500 kg
Masse huile 65 kg
Vitesse maximale 529 km/h au niveau de la mer
576 km/h à 2 700 m
Vitesse de croisière 375 km/h
Vitesse à l’atterrissage 175 km/h
Distance franchissable 800 km
67
t & q La maquette en
bois du projet monoplace
TsKB-60 pour les essais
en soufflerie du TsAGI. Les
becs de bord d’attaque sont
nettement visibles (DR).
68
Les autres
Chtourmoviks
Soukhoï
Épure du projet ODBCh biplace
69
p Le prototype DDBCh, alias Su-8, vu par l’arrière, avec sa tourelle
dorsale UTK-1 armée d’une mitrailleuse UBT de 12,7 mm.
Su-8 (DDBCh)
Moteur 2 x Chvetsov M-71F de 2 200 ch
Envergure 20,50 m
Longueur 13,58 m
Hauteur 5,08 m
Surface alaire 60 m2
Voie du train 5,33 m
Masse à vide 9 168 kg / 9 218 kg équipé
Masse au décollage 12 413 kg / 13 380 kg en surcharge
485 km/h au niveau de la mer
Vitesse maximale (500 km/h, selon les sources)
550 km/h à 4600 m
Montée à 4 000 m en 7,26 minutes
Montée à 5 000 m en 9 minutes
Plafond pratique 9 000 m
Distance 600 km à 1 450 km maximum,
franchissable selon les charges offensives
70
Les autres
Chtourmoviks
71
CAMPAGNE
1911
1939
Aviazione
Coloniale
LES AVIONS ITALIENS DANS LES CIEUX AFRICAINS (1911-1939)
Profils couleur : J.M.Guillou Par Marco Petrelli - Traduction et adaptation de David Zambon
1 er
http://www.marcopetrelli.com/
novembre 1911 : un événement, a priori banal mais
qui va marquer pour toujours l’histoire de l’aviation
militaire, se produit. En effet, à bord de son Etrich
C'
est en tentant d’arracher la Tripolitaine Taube, le jeune Sottotenente Giulio Gavotti sur-
à l’« Homme malade de l’Europe » [1] vole le campement ottoman d’Aïn Zara et y jette trois bombes
que l’Italie jette les bases d’une avia-
modello Cipelli de 2 kg chacune qui explosent au milieu des
tion coloniale qui lui est indispensable
pour surveiller et contrôler de vastes fantassins turcs. Il s’agit là de la première action connue de
espaces en Afrique du Nord et en bombardement à partir d’un avion, spécialité qui, en quelques
Afrique orientale. Nous en livrons ici, succinctement, décennies, démontre tout son potentiel destructeur.
les principaux aspects.
p La pacification de l’Éthiopie ottomanes, incapables d’affronter efficacement les unités
n’est pas une mince affaire alignées par le royaume d’Italie. À cette époque, le pays
LA GUERRE ITALO-TURQUE pour les Italiens. À la fin de
l’année 1937, les rebelles
ne dispose pas encore d’une véritable force aérienne, en
(1911-1912) sont particulièrement actifs
dans la région du Goggiam,
dépit de l’existence, depuis 1884, du Servizio Aeronautico
créé par le Tenente del genio Alessandro Pecori Giraldi
La Libye est le théâtre d’opérations idéal pour expéri- au nord-ouest du pays. Ces dans le but de coordonner le vol des aérostats. Ces ballons
menter de nouvelles armes et de nouvelles technologies, trimoteurs Ca.133 alignés ne sont pas alignés en première ligne puisque leur rôle se
sur l’aérodrome d’Addis
en particulier les aéronefs qui débarquent sur le sol de Abeba sont intensément limite à l’observation, comme cela a été le cas pendant
la Tripolitaine à la suite des troupes du Regio Esercito employés dans des la courte guerre d’Érythrée (1884-1885) où trois d’entre
(Armée royale italienne). missions de recherche et de eux ont été utilisés pour appuyer le corps expéditionnaire
bombardement des groupes
Les forces adverses prennent la forme de bandes irrégu- du général Alessandro Asinari di San Marzano pour la
rebelles. (Coll. F. Pedriali)
lières « indigènes » encadrées par de petites garnisons reconquête de Saati.
72
Aviazione
Coloniale
x Ci-dessous :
Le 1er novembre 1911,
le Sottotenente Gavotti
mène la première action de
bombardement aérien connue
à bord d’un Etrich Taube. Cet
appareil d’origine allemande
est célèbre pour ses ailes du
type « colombe ». (USSMA)
Pour autant, le développement de l’avion Piazza, elle se compose de 9 appareils, tous partant de Tripoli, il survole l’oasis Zanzur à
impose la nécessité de mettre sur pied des de construction étrangère, en l’occurrence 700 m d’altitude avant de revenir à sa base
unités ad hoc capables d’exploiter tout le française (2 Blériot XI monoplaces, 3 Nieuport 50 minutes plus tard. À mesure que les jours
potentiel qu’offre cette technologie nouvelle. biplaces et 2 Farman) et allemande (2 Etrich passent, les pilotes et les spécialistes s’enhar-
Plus rapide et bien plus maniable que le ballon, Taube). Ces avions peuvent atteindre une dissent et projettent des actions offensives en
l’aéroplane est idéal pour photographier le ter- vitesse comprise entre les 90 et 115 km/h utilisant de petites bombes. C’est ainsi que le
rain et les mouvements de troupes ennemies. et ont trois heures d’autonomie au maximum Sottotenente Gavotti effectue son action de
C’est pourquoi la 1a Squadriglia Aeroplani (pour le Taube). bombardement (dont on ignore véritablement
est agrégée au corps expéditionnaire. Placée Le 22 octobre 1911, le Capitano Piazza effec- les effets) contre Aïn Zara. Il n’en reste pas
sous les ordres du Capitano Carlo Maria tue le premier vol de guerre de l’Histoire : moins que les pilotes sont susceptibles de
subir la réaction venue du sol : même si la
défense antiaérienne n’existe pas encore, les
tirs d’armes légères peuvent sérieusement
endommager des appareils dont la structure,
composée de bois, de toile et de câbles, est
encore très fragile.
La guerre en Tripolitaine permet aux aéropla-
nes de jouer un rôle important tout en
expérimentant des tactiques militaires adap-
tées non seulement aux aéronefs à ailes
fixes mais aussi aux dirigeables, ces derniers
demeurant incontournables depuis le début du
XXe siècle tant pour l’usage civil que militaire.
Le 8 juin 1912 par exemple, des dirigeables
italiens participent à une action de bombar-
dement sur l’oasis de Zanzur, à une trentaine
de kilomètres à l’ouest de Tripoli, où 15 000
combattants ottomans ont pris position. La
mission est coordonnée avec l’action au sol de
12 000 fantassins du Regio Esercito, plusieurs
batteries d’artillerie et le feu de trois croiseurs :
la place forte ennemie, dernier bastion de la
résistance turque en terre libyenne, tombe.
Lors de ce conflit, les aéronefs italiens accom-
plissent 136 missions de guerre, sanctionnant
ainsi une activité loin d’être négligeable et aux
effets concrets sur les opérations de guerre
qui durent une année.
Le traité de Lausanne permet à Rome de mettre
la main sur la Tripolitaine, la Cyrénaïque,
Rhodes et les îles du Dodécanèse. Ce succès
est d’importance pour le jeune État italien,
qui doit cependant faire face à une résis-
tance farouche des autochtones jusqu’aux
années 1930.
73
L’AVIATION COLONIALE À L’AUBE Le développement des hydravions mérite que
DE LA PACIFICATION DE LA LIBYE
l’on s’y attarde quelque peu. Les petites bases
intermédiaires ne manquent pas à Venise,
Porto Corsini (Ravenne), Pesaro et Tarente,
À la fin de la Première Guerre mondiale, les (près d’Ancône), cette dernière ayant subi un sans parler d’un navire d’appui, l’Elba, qui
Italiens ne contrôlent qu’une mince frange bombardement austro-hongrois dans la nuit mouille dans le port de Brindisi. Des appareils
côtière en Tripolitaine et en Cyrénaïque, tandis du 24 mai 1915, quelques heures seulement Farman et SVA 3 se trouvent aussi près du
que le Fezzan (700 000 km2 de territoire qui après l’entrée en guerre officielle de l’Italie. fleuve Aspio (Ancône). Ils sont actifs pendant
séparent la Méditerranée du Sahel) est aux
mains de tribus nomades qui organisent une
lutte sans merci contre la pénétration coloniale.
En l’espace d’une décennie donc, le royaume
d’Italie est contraint d’investir un nombre
considérable d’hommes et de moyens afin
de reprendre la main sur ce territoire.
L’aviation coloniale joue un rôle décisif dans
la traque et la lutte contre les insurgés.
L’organisation et l’organigramme des forces
aériennes coloniales sont corrélés aux transfor-
mations qui ont lieu en métropole. Depuis sa
constitution en 1884, le Servizio Aeronautico
est une spécialité du Regio Esercito, c’est-
à-dire l’armée de Terre. En effet, selon la
Legge n. 698 du 27 juin 1912, le Battaglione
Specialisti (dirigeables et aérostats à Rome)
et le Battaglione Aviatori (unités d’aéroplanes
et écoles de vol à Turin) sont encadrés par la
Direzione Generale del Genio e d’Artiglieria.
Les officines de construction y sont aussi liées,
soit le Stabilimento Costruzioni Aeronautiche
et un centre expérimental à Vigna di Valle,
dans le Latium. Ainsi, les premières formations
de chasse et de bombardement sont directe-
ment encadrées au sein des unités terrestres
dont elles dépendent dans les cadres organi-
sationnel et opérationnel. La seule exception
concerne la Regia Marina qui, depuis 1915,
dispose de son propre Servizio Aeronautico
et d’installations logistiques propres.
Parmi elles, nous pouvons citer les hydrobases
de Ferrare, Campalto (près de Venise) et Jesi
Caproni Ca.3
Tripoli, Libye, avril 1927
74
Aviazione
Coloniale
75
du Regio Corpo Truppe Coloniali permet de
mener à bien les dernières phases de la paci-
fication de la Tripolitaine, au début de l’été
1929. Jusqu’en 1940, les escadrilles mènent
des opérations régulières de reconnaissance
sur les vastes zones désertiques, en particu-
lier les ergs du Fezzan, afin de prévenir toute
tentation de rébellion ou de raids.
L’ÉTHIOPIE
Une fois la Libye fermement contrôlée, l’Italie
de Mussolini lorgne vers la corne de l’Afrique.
C’est précisément dans cette région qu’a
débuté l’histoire coloniale transalpine, à partir
de 1885, lorsque l’Érythrée et la Somalie sont
devenues des possessions de la jeune nation.
Les autochtones qui y sont recrutés, c’est-
à-dire les ascaris, zaptiés et méharistes,
sont omniprésents dans les campagnes
coloniales conduites par Rome depuis la fin
du XIXe siècle. L’Érythrée, rappelons-le, est
un territoire qui a été arraché à l’Abyssinie,
contre laquelle les Italiens ont connu un échec
cuisant, à Adoua, le 1er mars 1896. Le pro-
blème libyen évacué, le gouvernement italien
se penche sur le cas de l’Éthiopie, État sou-
verain et membre de la Société des nations.
On a beaucoup glosé sur les motivations qui
ont poussé Mussolini à envahir l’Éthiopie, les
réduisant le plus souvent au slogan « venger
Adoua » : une simple question d’orgueil ne
saurait justifier la mise sur pied d’une entre-
prise aussi risquée (géopolitiquement parlant)
et coûteuse pour l’économie d’un pays qui
n’est encore qu’un nain industriel. Si « venger
Adoua » relève davantage du slogan propa-
gandiste, les frustrations de Versailles sont
en revanche bien présentes, puisque l’Italie
a été écartée du partage du butin (territoires
sous administration allemande et ottomane)
et n’a pas fait partie des États mandataires.
Pour autant, Rome conclut un traité d’ami-
tié avec Addis-Abeba en 1928, censé durer
Les aéronefs les plus vétustes sont modernisés par le Ca.101. Italo Balbo s’occupe ensuite deux décennies. Il s’agit là d’un leurre diplo-
et flanqués de nouveaux modèles, comme le des formations aériennes de Tripolitaine, qui matique par lequel l’Italie tente d’arracher des
Ro.1. Par ailleurs, les problèmes rencontrés comptent 31 appareils fin décembre (Ca.73, concessions au Négus afin d’étendre son aire
par le Ca.73 incitent à son retrait momen- Ca.3, Ro.1, SVA, A300/4). La parfaite coordi- d’influence politique et commerciale sur la tota-
tané des premières lignes, et à le remplacer nation entre les forces aériennes et terrestres lité de l’empire éthiopien.
z En haut : Tripoli, avril
1927. Italo Balbo (de dos),
vétéran maintes fois décoré
de la Grande Guerre, ancien
ras de Ferrare, hiérarque
fasciste et grand aviateur,
participe aux opérations
contre les rebelles.
(USSMA)
z Au milieu :
Ce bombardier Ca.73
est l’objet de la curiosité
des autochtones de la
région de Benghazi.
(Coll. F. Fortunato)
t Différents modèles de
bombardiers cohabitent
en Libye, comme on le
voit sur cet aérodrome de
Cyrénaïque : Ca.73, Ca.3
et SVA sont alignés au
bord de la piste. (USSMA)
76
Aviazione
Coloniale
Caproni Ca.101
15a Squadriglia BT « La Disperata »
Éthiopie, décembre 1935
77
{ Uarder, Somalie italienne, à la veille de la guerre
contre l’Éthiopie. Ces Ro.1 sont alignés et protégés
par une automitrailleuse Lancia 1Z. (USSMA)
78
Aviazione
Coloniale
Caproni Ca.133
14a Squadriglia « Testa di Leone »
Éthiopie, avril 1936
ASCARI ET BOMBARDIERS
Adoua et Adigrat sont les objectifs principaux de l’offen-
sive italienne déclenchée le 3 octobre 1935.
Les Ascari, troupes coloniales italiennes recrutées en
Érythrée, ouvrent la route avec le soutien des bombardiers
de l’escadrille La Disperata, composée de Caproni Ca.
101. Elle est commandée par Galeazzo Ciano, gendre
de Benito Mussolini et ancien ministre de la Presse et de
la Propagande. L’attaque est fulgurante et les objectifs
sont atteints en 48 heures seulement. Le 5 octobre, la
presse transalpine peut annoncer symboliquement la prise
d’Adoua, 39 ans après l’humiliante défaite de Baratieri. Le
général Emilio De Bono est nommé gouverneur du Tigrè
et le premier acte de son mandat est d’abolir l’esclavage
encore en vigueur dans la région, acte ostentatoire servant
à justifier l’expédition italienne aux yeux du monde et
des membres de la Société des nations.
Cela n’empêche point le Royaume-Uni d’engager une
campagne destinée à faire voter des sanctions écono-
miques contre l’Italie, par l’entremise de son ministre des p Ci-dessus : Les parachutes des du gouvernement de Vienne suite au putsch
Affaires étrangères Anthony Eden. Presque totalement conteneurs largués aux troupes national-socialiste.
dépendante de l’étranger pour les matières premières combattant au sol sont bien
Il n’en reste pas moins que les troupes abyssines
visibles ici, tout comme les sacs
énergétiques, Rome risquerait de voir s’estomper son de farine ayant éclaté à l’impact, donnent du fil à retordre à l’envahisseur, notamment
rêve impérial en cas d’embargo. Finalement, les paroles en haut à droite. (USSMA) lorsque Ras Immirù contre-attaque les divisions de
ne sont pas confirmées par des actes et le pétrole servant Pietro Badoglio autour d’Axum, Scirè et Abbi Addii.
p En haut : Les immenses
à alimenter les unités mécanisées et aériennes continue étendues éthiopiennes imposent un
Afin qu’un nouvel Adoua ne se reproduise pas, on
d’être débarqué dans le port de Massaoua en flux tendu, ravitaillement en flux tendu. Ici, un décide en haut lieu d’utiliser des armes plus efficaces
notamment en provenance d’URSS. De son côté l’Al- Ca.111 bis parachute des animaux de et contre lesquelles l’adversaire n’a aucune protec-
lemagne expédie de l’aide au Négus, Hitler n’ayant pas bouche, vivants, aux troupes à terre. tion, à savoir les bombes à l’ypérite et au phosgène
On n’ose imaginer la terreur ressentie
encore digéré l’affront de juillet 1934, lorsque Mussolini par ces pauvres bêtes, sans parler qui arrivent en grande quantité à Massaoua à partir
a menacé d’entrer en Autriche pour garantir l’intégrité de l’impact au sol ! (USSMA) de la fin du mois de décembre.
79
Pour autant, ces armes ne produisent pas les effets désirés : de
nombreux projectiles n’explosent pas et l’ennemi ne semble pas par-
ticulièrement ralenti. Une nouvelle tactique est alors appliquée : les
bombes chimiques (type C500T notamment) sont larguées à haute
altitude et réglées pour exploser 250 mètres avant l’impact, dispersant
ainsi la substance mortelle directement sur la piétaille du Négus au lieu
de s’accrocher au sol. Les résultats sont immédiats, notamment sur
le front Sud où évoluent les unités commandées par Rodolfo Graziani,
lorsque 125 de ces bombes sont lancées sur les troupes de Ras Destà
dans la région d’Aren.
LE MYTHE DE LA DISPERATA
ET LA FIN DE LA CONQUÊTE
DE L’ÉTHIOPIE
Comme nous l’avons évoqué, les opérations aériennes jouent un rôle
important dans la guerre d’Éthiopie et le régime mussolinien, qui l’a
amplement développée et subventionnée, ne manque pas de célébrer
ses exploits à grand renfort de propagande.
Les hiérarques fascistes sont en outre nombreux au sein de la Regia
Aeronautica : Ciano, Farinacci, Pavolini et Muti volent au sein de
La Disperata, la 15a Squadriglia di Bombardamento Caproni portant le
nom d’une squadra fasciste toscane. En effet, les raids de La Disperata
rappellent symboliquement ceux des squadristi du début des années
1920, frappant vite, fort, et revenant triomphants au bercail. La citation
liée à la Medaglia di Bonzo al Valore Militare décernée à Ettore Muti au
mois de décembre 1935 est symptomatique de la légende savamment
construite autour de cette escadrille : « Lieutenant pilote de réserve
volontaire en Afrique-Orientale, il participe à de nombreuses actions de
guerre, démontrant de vives qualités de courage, de sens du devoir et de
mépris du danger. Lors d’un vol sur Chidana-Mierat, à bord d’un appareil
touché par la défense antiaérienne ennemie, il demeure à son poste
afin de mener à bien la mission qui lui a été confiée, parvenant même
à disperser de grosses formations ennemies par des tirs bien ajustés ».
La « défense antiaérienne » abyssine se résume naturellement à des
fusillades venues du sol, étant donné que les rares appareils alignés par
l’armée du Négus sont presque incapables de prendre l’air. Ces tirs sont
par ailleurs loin d’être inefficaces contre des appareils encore largement
constitués de bois et de toile, les projectiles étant susceptibles de les
traverser et de blesser, voire tuer, les membres d’équipage. Durant par les dernières opérations qui aboutissent à la chute d’Addis-Abeba
toute la campagne cependant, seuls 8 appareils italiens sont abattus le 9 mai 1936. Le 10 février, 400 tonnes de bombes sont déver-
par leurs opposants, tandis que 65 autres sont victimes d’accidents. sées par les escadrilles de bombardement sur les positions de l’Amba
La fin de l’hiver et le début du printemps 1935-1936 sont marqués Aradam. Sur le front Sud, les bombardiers frappent les fortifications
p Sur un tel théâtre
http://www.marcopetrelli.com/ d’opérations, où le climat
cause des pathologies ou
aggrave les blessures reçues
au combat, le parachutage
de matériel sanitaire est
vital. Les Italiens utilisent
ce type de conteneur de
120 kg de charge. (USSMA)
t Action de bombardement
contre les positions
abyssines d’Irgalem, à
260 km au sud d’Addis
Abeba. (USSMA)
80
Aviazione
Coloniale
de Sessabanèh-Bullalèh-Daghbùr, derniers obs- 8°, 9° et 14° Stormi da Bombardamento, dell’ A.O.I. est restructurée afin d’en améliorer
tacles sur la route d’Harar puis de Dire Daua. celui du Gruppo Autonomo RT et du Comando l’efficacité (notamment les communications)
La conquête de l’Éthiopie impose un redimen- Aviazione di Assab sont dissous. Les com- et pour des mesures d’économie (les caisses
sionnement des forces aériennes : au mois mandements de l’Aeronautica dell’Eritrea et sont vides après les coûts somptuaires de la
d’octobre 1936, le Comando Aeronautica de l’Aeronautca della Somalia prennent res- campagne de 1935-1936). À partir de l’été
Africa Orientale est transféré d’Asmara, en pectivement le nom de Comando Settore 1940, les cieux de l’Afrique-Orientale en
Érythrée, à Addis-Abeba et prend le nom de Aeronautico Nord (Asmara) et Comando général et italienne en particulier, deviennent
Comando Superiore Aeronautica in Africa Settore Aeronautico Sud (Mogadiscio). le théâtre de joutes aériennes épiques pendant
Orientale Italiana. Quatre commandements Entre 1936 et 1939, les opérations de paci- lesquelles les pilotes de la Regia Aeronautica
aéronautiques de secteurs sont mis sur pied fication menées par le maréchal Graziani tiennent la dragée haute à leurs opposants
et placés sous les ordres de généraux de bri- mobilisent des forces importantes, notamment du Commonwealth.
gade aérienne. Cinq bases, confiées à des dans la région du Goggiam. La répression est Mais ceci est une autre histoire…
colonels, sont toutes aménagées le long des au moins aussi féroce qu’en Libye et les unités
axes principaux de communications (Asmara, aériennes sont indispensables pour la recon-
Visitez le site de l'auteur de l'article :
Gura, Mogadiscio, Dire Daua et Addis-Abeba). naissance et le guidage des troupes au sol, en
http://www.marcopetrelli.com/
Dans les foulée, les commandements des 7°, particulier la cavalerie. En 1937, l’Aeronautica
81
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n°42 : KG 200 « Beethoven » (Réf. 542) n°70 : Dans l'ombre de Marseille (Réf. 11070)
n°43 : Les As de l’armée impériale japonaise (Réf. 543) n°71 : Mission 84 - Le 1 raid sur Schweinfurt (Réf. 11071)
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n°44 : Monstres marins : le Martin PBM Mariner Réf. 544) n°72 : Le Focke-Wulf Ta 152 en opération (Réf. 11072) Attention ! Les Eurochèques, cartes Maestro
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