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TO - Les Approches Sociologiques de L'organisation

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UNIVERSITE ABDELMALIK ESSADI

Ecole Nationale de Commerce et de Gestion

LES APPROCHES
SOCIOLOGIQUES DE
L’ORGANISATION

Réalisé par :
• Nohayla BALLA
• Asmae EL KHACHINE
• Ayoub EL AMRANI
• Youssef ELKHIARI
• Houda DAJOUR
• Oussama BOUZKRI

Encadré par :
• M. TAHROUCH Mohamed
PLAN DU TRAVAIL :
Introduction
Chapitre 1 : Anciennes approches de la sociologie de l'organisation :
1. Genèse et émergence de l’analyse stratégique :
1.1 Contexte d’émergence de l’analyse stratégique :
1.2 Définition et tenants de l’analyse stratégique
1.3 Spécificité de l’analyse stratégique :
2. Postulats de l’analyse stratégique :
2.1 L’acteur social dispose d’une marge de liberté :
2.2 Rupture avec les approches macrosociologiques
2.3 Théorie des organisations
3. Concepts clés de l’analyse stratégique
3.1 Le pouvoir
3.2 L’acteur stratégique
3.3 Le système d’action concret
3.4 Zone d'Incertitude
3.5 Jeu
3.6 Marge de liberté
3.7 Organisation
3.8 Changement
3.9 Stratégie
3.10 Rationalité
4. Limites de l’analyse stratégique
4.1 L’oublie de la négociation
4.2 L'absence de légitimité
5. Application pratique de l’analyse stratégique :
5.1 Objets d’étude de l’analyse stratégique
5.2 Exemples d’application pratique de l’analyse stratégique
5.2.1 Décentralisation : les raisons d’échec de la politique publique
et des reformes instaurées en France
5.2.2 Crise de la SNCF
5.2.3 Réforme de la compagnie Air France
Chapitre 2 : Nouvelles approches de la sociologie de l'organisation :
1. SAINSAULIEU et l'identité du travail :
1.1 L’auteur
1.2 Les questions posées par l’auteur
1.3 Les postulats
1.4 Les valeurs de l'organisation
1.5 Une culture organisationnelle
2. Les nouvelles théories sociologiques de l'organisation :
2.1 Les conventions - L’économie de la grandeur
2.1.1 L'économie des conventions
2.1.2 Les systèmes d'équivalence
2.1.3 Les différents mondes
2.1.4 Controverses
2.1.5 Pluralisme des logiques en entreprises
2.1.6 Déplacements de Boltanski et Thévenot
2.2 L'ethnométhodologie
2.2.1 Histoire de l’ethnométhodologie et de ses origines
2.2.2 L’Indexicalité
2.2.3 Réflexivité
2.2.4 Membre
2.2.5 L’indifférence Ethno méthodologique :
2.2.6 The Accountability (Intelligibilité, Rentabilité)
2.2.7 Le raisonnement de sens commun
2.2.8 Breaching ; Traduction de Cassure, Rupture :
2.3 La structuration
2.3.1 Les mécanismes de coordination
2.3.2 Les parties clés de l'organisation
2.3.3 Les autres facteurs
2.3.4 Les configurations structurelles
2.4 Les logiques d'action
2.4.1 L’action et ses justifications
2.4.1.1 La discorde dans un même monde
2.4.1.2 La juxtaposition entre deux mondes, sans
conflit
2.4.1.3 La controverse entre deux mondes
Conclusion
Introduction :
La naissance de la sociologie s’enracine dans les travaux d’Emile Durkheim. C’est une
discipline qui a pour ambition d’étudier les relatons entre l’individu, la société et les groupes.

La sociologie et son objet :

 Objet : étude des relations entre individu et société (groupes sociaux).

 Les objectifs sont de trouver des relations entre les phénomènes sociaux,
comprendre le fonctionnement et l'organisation des sociétés.

 L'approche est faite par la société, par une réalité historique, la géographie...

 Les thèmes sont les composantes d'une société c'est-à-dire la famille, l'état, les
organisations, la culture, le travail..., le comportement des hommes en tant qu'êtres
socialisés.

 Les questions qui se posent sont : Comment rendre compte des conflits, du
changement social, de la reproduction.

 Les différentes méthodes utilisées sont les enquêtes quantitatives, qualitatives,


statistiques…

La sociologie des organisations cherche à comprendre les règles et la logique de


fonctionnement de la vie collective et donne lieu à des formes de coopérations. Mintzberg
disait que tout ce que nous faisons se réalise dans des organisations.

Une branche de la sociologie étudie comment les acteurs construisent et coordonnent des
activités organisées.

Une organisation c'est l'ensemble des ressources humaines, matérielles, financières mais
aussi informationnelles qui sont organisées en fonction d'un objectif prédéterminé.

Toute organisation trouve un ensemble de participants avec une entente implicite ou


explicite sur certains objectifs et moyens pour exprimer son accord avec ces objectifs ou s'en
dissocier (contrats, démissions, grèves…)

Organiser, c'est concevoir et mettre en place des structures pour permettre la réalisation
d'un objectif, des structures orientées vers la conduite des hommes et définir des méthodes
et procédures.

Dans une organisation, il faut aussi mettre en œuvre une fonction essentielle qu'est la
gestion de l'organisation. Gérer c'est maintenir en état un système et diriger c’est faire les
grands choix stratégiques qui sont censés permettre l’adaptation à un environnement
nouveau et de prolonger son existence. De plus, il y a les choix organisationnels.
Dans une société telle que là notre, il y a des organisations multiples telles que les
entreprises, les administrations, les entreprises publiques, les coopératives ou mutualités,
les systèmes et les associations. Toutes ces organisations sont intégrées dans un système, en
interactions réciproques où chaque action génère une autre action quelque part. Aucune
entité ne peut agir seule.

Les grandes caractéristiques des organisations :

L’organisation est une collectivité, un ensemble d'individus qui développe des activités
inscrites dans la durée.

Dans toute organisation il y a division du travail entre les membres (chacun a un rôle et une
fonction précise). Le mode de partage regroupe généralement les compétences des
individus. S'il y a division du travail, il y a nécessairement coordination du travail de chacun
avec les autres. Une organisation développe, entretien des relations avec son
environnement en permanence, aucune n'est coupée avec l'extérieur. L'environnement peut
influencer organisation de différentes manières et organisation peut également avoir un
impact, c'est-à-dire modifier l'environnement.

Toute organisation se caractérise donc par une ou plusieurs finalités. Une entreprise est
plutôt tournée vers le profit, les administrations sont tournées vers l'intérêt collectif, c'est un
service non-marchand. De plus, toute organisation produit soit des biens, soit des services.

Ainsi, une organisation, dans une société peut être considérée comme un facteur de
développement. Chaque fois que nous décidons de faire des choses ensembles, de nous
réunir, c'est toujours parce que nous pensons que c'est une bonne méthode et que cela
permet d'être plus efficace.

En ce sens, une organisation est réellement facteur de développement. La rareté des


ressources nous oblige à penser en termes de rationalité.
Chapitre 1 : Anciennes approches de la sociologie de
l'organisation :
Dans le monde des sciences sociales et ou humaines, la sociologie des organisations est
dominée par le paradigme de l'analyse stratégique développé par CROZIER et FRIEDBERG
(1977). L'idée fondatrice de l'analyse stratégique, et sans doute la raison probable de son
succès, fut de repenser l'organisation comme un champ politique structuré par des relations
de pouvoir entre ses principaux acteurs. L'importation de la sociologie politique au cœur de
l'analyse organisationnelle s'est révélée d'une fécondité heuristique exceptionnelle. En effet,
dépassant la vision techniciste jusque-là prédominante, l’analyse stratégique met en évidence
la nature des relations de pouvoir qui structurent l’organisation. Les comportements des
acteurs s’analysent désormais sous la forme de stratégies personnelles visant à garantir une
position de pouvoir ou au contraire à se prémunir du pouvoir des autres acteurs. Dès lors,
c’est quoi la théorie de l’analyse stratégique et quels en sont les tenants, les principaux
postulats et les concepts clés qui la composent ? Dans un développement bien argumenté,
nous répondrons tour à tour à ces différentes interrogations tout en donnant des exemples
d’application.

Michel Crozier : Fondateur du centre de sociologie des organisations (CSO) Professeur à


l’Université de Harvard Publication : L'Acteur et le Système (en collaboration avec Erhard
Friedberg), Paris, Le Seuil, 1977, (Actors and Systems)

Erhard Friedberg : Directeur du CSO et directeur de recherche au CNRS

1. Genèse et émergence de l’analyse stratégique :


1.1 Contexte d’émergence de l’analyse stratégique :

En sociologie, il existe différents niveaux d'analyse. La macrosociologie est l'analyse de


grandes collectivités (la ville, l'église) ou, plus abstraitement, des institutions sociales, des
systèmes sociaux et des structures sociales. Elle s'intéresse au grand format en analysant la
société (et recherchant des modèles), la culture et les organismes d'une grande perspective
ainsi que les changements en leur sein. Ce fut le cas de l'industrialisation, et plus récemment
révolution de l'information. Tout phénomène qui a apporté de nouvelles formes de société.
Grâce à la macrosociologie, il est possible de prendre en compte la chose dans sa globalité et
d'en observer (sinon obtenir) un meilleur arrangement de la société. Cependant, au-delà de
ces nombreux apports, un débat subsiste encore, celui de la remise en question des approches
macrosociologiques. En effet, pendant longtemps les approches macrosociologiques ont
gouverne la recherche sociologique, mais dès les années 1920-1930, de nombreux travaux ont
été élaborés afin de démontrer que la société ne contraint pas totalement l’individu. Ce qui
permet de déboucher sur un autre débat, celui opposant les tenants de la macrosociologie à
ceux de la microsociologie.

C’est dans ce contexte qu’apparait l’analyse stratégique, une approche ni macrosociologique,


ni microsociologique. Car pendant qu’elle reproche à l’une son caractère trop normatif et sa
prétention à anticiper sur le devenir des hommes, elle reproche à l’autre sa prétention à faire
passer l’individu pour un « atome libre ». Ainsi, ce paradigme met en évidence une relation
dynamique entre l’acteur et le système. Cet aspect qui est primordial dans l’approche
organisationnelle a deux orientations. La première, centrée essentiellement sur l’acteur,
examinera les relations de pouvoir à l’intérieur de l’organisation. La seconde part du système
et examine les contraintes qui pèsent sur l’acteur. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’elle prône
l’existence d’un « acteur social » dont la « rationalité est limité ». L’analyse stratégique ou
approche organisationnelle vise dont à rendre compte du fonctionnement de l’organisation,
de la façon dont les acteurs interagissent en rapport avec le système, sans autre ambition que
d’expliquer et de comprendre. Selon cette théorie, l’organisation est un construit social, c’est-
à-dire qu’elle est le produit contingent des relations de pouvoir entre les acteurs contraints
par des situations d’interdépendance. Autrement dit, le fonctionnement réel de l’organisation
est la résultante des multiples jeux stratégiques qui se tissent entre tous les acteurs.

1.2 Définition et tenants de l’analyse stratégique

La théorie de l'acteur stratégique a été élaborée par Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG au
cours des années 1970. Il s'agit d'une théorie centrale en sociologie des organisations,
développée au sein de l'analyse stratégique. Elle part du constat suivant : étant donné qu'on
ne peut considérer que le jeu des acteurs soit déterminé par la cohérence du système dans
lequel ils s'insèrent, ou par les contraintes environnementales, on doit chercher en priorité à
comprendre comment se construisent les actions collectives à partir de comportements et
d'intérêts individuels parfois contradictoires. Ainsi, au lieu de relier la structure
organisationnelle à un ensemble de facteurs externes, cette théorie essaie donc de
l'appréhender comme une élaboration humaine, un système d’action concret. Elle rejoint
donc les démarches qui analysent les causes en partant de l'individu pour aboutir à la structure
(l'individualisme méthodologique, ethnométhodologie etc…) et non de la structure à l'individu
(structuralisme, constructivisme etc…). C’est simplement une approche dite
microsociologique.

1.3 Spécificité de l’analyse stratégique :

La spécificité de cette théorie réside dans son caractère promoteur ou rénovateur d'une
sociologie de l'action. En effet, Avec l’aide d’Erhard FRIEDBERG, CROZIER dans L’Acteur et le
Système : les contraintes de l’action collective (1977), présente les éléments d'une théorie
organisationnelle de l'action collective. Celle-ci veut étendre l'approche utilisée pour l'analyse
des organisations à l'étude des systèmes d'action qui sous-tendent l'action collective, en
dehors du cadre formel des organisations. Cette vision élargie va connaître un grand
retentissement et contribuer au redémarrage d'une sociologie de l'action ainsi qu'au
changement des pratiques de l'enseignement et de la recherche en sociologie. Car pour
Michel CROZIER, la théorie sociologique n'est pas une fin en soi. Elle doit être utile, produire
une connaissance pratique, une connaissance qui puisse être un outil du changement en
permettant aux intéressés de mieux comprendre la situation dans laquelle ils se trouvent et
donc, d'être mieux à même de la changer.

2. Postulats de l’analyse stratégique :


Cette approche théorique est sou tendue par plusieurs fondements :

2.1 L’acteur social dispose d’une marge de liberté :

’Dans une organisation sociale, l’acteur n’est jamais totalement contraint’’, tel est la base de
l’analyse stratégique. C’est dire que, quel que soit le degré de coercition d’une société, dans
toutes les situations, tous les problèmes ne peuvent lui être strictement réglementés de
manière à lui imposer dans chaque cas, une seule voie à suivre. Ainsi, il dispose d’une marge
de liberté exploitable à la faveur des zones d’incertitudes que les ‘’vides’’ ou les ‘’blancs’’ du
système social lui ménagent. Dès lors, la marge de manœuvre de l’acteur ne lui est plus
imposée bien au contraire, il s’efforce de contrôler les sources d’incertitudes tout en imposant
aux autres sa façon de définir et de régler ses problèmes.

Cependant, qui dit liberté, exclu la notion de libertinage. C’est dire que la marge de liberté
dont jouie l’acteur social n’est pas absolue. En fait, elle est soumise à des contraintes et à des
contingences. En effet, les acteurs règlent leurs problèmes en construisant des moyens (lois
règles, principes, hiérarchisation etc…) qui structurent leur champ d’action et le rend possible.
Dans bien de situation, l’acteur se sert de cette marge de manœuvre pour acquérir du pouvoir
au sein d’une organisation. Ainsi, l’analyse stratégique considère que ce qui pousse l’acteur à
agir c’est l’acquisition du pouvoir sur d’autres acteurs. Le pouvoir est dont l’élément clé de la
dynamique de l’action collective, et ce faisant des organisations.

2.2 Rupture avec les approches macrosociologiques

L’analyse stratégique s’inscrit en fait contre toutes approches dites ‘’macrosociologique’’, qui
affirment avec force que la conduite humaine est le produit mécanique de l’obéissance ou de
la pression que la société exerce sur l’individu. C’est d’ailleurs dans ce sens que, dans L’acteur
et le système : les contraintes de l’action collective (1977, p : 45), CROZIER et FRIEDBERG
estiment que l’analyse stratégique est « contre les illusions des théoriciens de la domination
et du conditionnement ». De ce fait, il n’est pas question d’éluder la responsabilité de
l’individu dans l’acte social car aucun individu n’accepte être traité totalement ou uniquement
comme objet du fonctionnement ou de l’accomplissement des buts d’une organisation. Ainsi,
la conduite des acteurs n’est plus vue comme des simples résultantes prévisibles des
stéréotypes ou des déterministes structurels. Les conduites humaines sont dont inventées par
les acteurs sociaux eux-mêmes, dans un contexte précis, en vue d’attendre des buts bien
déterminés.

L’acteur social n’est donc pas passif, mais actif, c’est dire un agent libre ayant ses propres buts.
Il est d’une part libre parce que l’organisation, quoi étant une machine à rationaliser, a ses
buts ; d’autre part, il possède ses buts parce que en tant que membre de l’organisation, il a la
possibilité de développer ses propres stratégies. De ce fait, il utilisera les ressources dont il
dispose de la manière la plus judicieuse qui soit, compte tenu des contraintes du moment, tel
qu’il les perçoit depuis sa position. En fait, l’acteur ajuste constamment sa conduite aux
données nouvelles auxquelles il se trouve confronté dans la recherche de son intérêt.

2.3 Théorie des organisations

Cette approche théorique est avant tout une théorie organisationnelle. C’est dire qu’elle se
prose d’analyser le fonctionnement des organisations tout en prenant à la fois en compte
l’acteur et le système. Ce cadre théorique n’a en rien perdu de son intérêt surtout dans le
contexte actuel ou les organisations sont confrontées non plus seulement à des changements,
mais à un mouvement permanent. De ce fait, elle permet d’identifier les relations de pouvoir
qui se constituent autour des zones d’incertitudes offrant ainsi aux acteurs des marges de
manœuvres et des possibilités de régulation.

3. Concepts clés de l’analyse stratégique :


3.1 Le pouvoir :

La grande force de l’analyse stratégique est d’être parvenue à faire du pouvoir une
représentation objectivable. Cette transformation du concept est rendue possible par le
déplacement analytique du lieu d’origine du pouvoir. Ainsi, le pouvoir ne peut se concevoir
comme attribut d’une personne ou d’un groupe car il est propre à la relation entre deux
acteurs. En fait, la possibilité pour A de faire agir B comme il l’entend ne dépend pas des
caractéristiques personnelles de A, mais découle des propriétés de la relation entre A et B.
Dans ces conditions, parler du pouvoir de A n’a de sens que si l’on a défini B et la relation qui
les lient. C’est dire que les acteurs ne sont pas porteurs de pouvoir, si bien que A peut avoir
beaucoup de pouvoir sur B et être totalement démuni face à C, à D ou E, alors même que B
serait lui-même en situation de pouvoir face à ces trois derniers. L’origine du pouvoir est donc
à chercher dans les caractéristiques de la relation entre A et B.
En définitive, A a du pouvoir sur B s’il contrôle une incertitude dont celui-ci dépend. Si A
maitrise les conditions de l’avènement d’un évènement qui aura une influence sur B, alors A
sera en position de force pour exiger de B un certain comportement. Ainsi, A et B négocient
leurs comportements respectifs, et celui qui contrôle l’incertitude la plus importante pourra
plus aisément s’imposer à l’autre. Mais le faible ne sera jamais totalement dépourvu de
ressources, car si le fort fait pression sur lui, c’est bien parce qu’il en attend quelque chose de
lui. Dans les cas les plus extrêmes d’asymétrie, il reste toujours au faible la possibilité de
rompre la relation, pour limiter les exigences du fort. La relation de pouvoir est donc
forcément réciproque même si toujours déséquilibrée. Pour reprendre les mots de CROZIER
et FRIEDBERG, le pouvoir est une « relation instrumentale ». En fait, le pouvoir de A trouvé
son origine dans le contrôle d’une zone d’incertitude pertinente pour B, au sein d’une relation
d’interdépendance entre A et B. A titre illustratif, un enseignant a du pouvoir sur un étudiant,
parce qu’il est seul responsable de la note attribuée à l’examen de fin d’année.

L’enseignant est dont en position de force dans ses éventuelles négociations avec l’étudiant.
Cependant, si pour une raison ou une autre, l’étudiant en vient à se désintéresser de
l’obtention de son diplôme, alors l’enseignant perdra son pouvoir. Le pouvoir n’est donc pas
une caractéristique personnelle ou statutaire de l’enseignant, mais une conséquence de la
relation sociale entre l’étudiant et lui. La persistance de ce pouvoir dépend tout autant du
comportement de l’un que de l’autre. L’action collective, en tant qu’elle est collective, génère
nécessairement des relations d’interdépendance. Et comme les incertitudes sont
pratiquement innombrables, toute action collective sera traversée par des relations de
pouvoir. Ainsi, le pouvoir n’est plus un épiphénomène des organisations.

3.2 L’acteur stratégique :

Si le pouvoir est par nature relationnel, la stratégie est quant à elle clairement imputable à
l’acteur, c’est-. -dire à un individu particulier ou à un groupe capable de coordination. La
stratégie caractérise l’orientation fondamentale de l’acteur plongé dans un ensemble de
relations de pouvoir. Par cette notion de stratégie, CROZIER et FRIEDBERG refusent les
constructions de l’acteur a priori, c’est dire la prétendue mise en évidence de caractéristiques
universelles qui guideraient les individus dans l’entreprise, telles que besoins, intérêt
économique ou déterminismes de classes. En fait, l’acteur n’est pas déterminé par une
quelconque nature avant de rentrer dans l’organisation. Ainsi, les relations de pouvoir
constituent le déterminant majeur de sa conduite. De ce fait, l’acteur est obligé de s’adapter
localement aux relations de pouvoir dans lesquelles il est pris. C’est à travers ces relations qu’il
perçoit l’environnement et en fonction d’elles qu’il règle sa conduite. La conduite de l’acteur
est donc comprise à travers sa stratégie de pouvoir.

Concrètement, l’acteur devra toujours s’abriter entre deux grands objectifs : d’une part, un
objectif d’autonomie, c’est-à-dire une tendance à se soustraire au pouvoir d’autrui ; d’autre
part, un objectif d’action qui le pousse à développer ses propres ressources pour pouvoir
guider la conduite des autres acteurs. Dans les deux cas, cela revient pour l’acteur à accroitre
sa marge de liberté afin de ne pas être soumis au bon vouloir d’autrui. Le but de l’acteur
stratégique devient donc de conquérir des marges de liberté, indépendamment des
motivations profondes de son action. Les constructions a priori de la psychologie ou de la
socialisation de l’acteur ne sont donc que de peu d’utilité dans l’analyse du comportement en
situation qui doit s’interpréter par son adaptation rationnelle aux relations de pouvoir locales.

3.3 Le système d’action concret

Le concept de système d’action présente deux intérêts majeurs. D’abord, il permet d’intégrer
les jeux dans un ensemble plus large, mettant en évidence les dépendances entre les
différents jeux, tout en sauvegardant une marge de manœuvre aux acteurs, capables
d’influencer le système par les modifications apportées aux jeux. Ensuite, et surtout, le
système d’action montre que le champ structuré dans lequel évoluent les acteurs n’est pas
nécessairement l’entreprise formelle. Il peut s’agir soit d’une partie de celle-ci, soit d’un
ensemble humain sans existence formelle dans lequel se retrouvent des acteurs internes à
l’entreprise et des acteurs externes. Ainsi, de prime abord, le chercheur ne peut pas
considérer la structure formelle de l’organisation comme signifiante pour l’analyse. La
frontière du système restera toujours problématique, elle doit être mise en. Évidence par
l’observation des comportements réels des acteurs. Finalement, l’analyse stratégique ne
s’intéresse plus vraiment à l’entreprise, désormais conçue comme une entité au sens commun
sans véritable signification, mais part à la conquête de l’action organisée partout où elle se
trouve et sous toutes ses formes.

3.4 Zone d'Incertitude

Ce concept met l'accent sur l'autonomie et le pouvoir, deux notions liées. En fait, il est sous
tendu par le fait que le supérieur hiérarchique n'a pas 100 % de certitude que ses consignes
seront suivies à la lettre. Il y a des incertitudes quant à la manière dont les subalternes vont
interpréter ses consignes. Chaque acteur dispose donc, quel que soit l'endroit où il se trouve,
d'une zone au sein de laquelle il rend son comportement incertain, imprévisible pour les
autres acteurs. C’est ce que CROZIER et FRIEDBERG n’hésitent pas d’appeler une « zone
d'incertitude ». Ainsi, accroître son pouvoir, c'est accroître la zone au sein de laquelle on peut
avoir un comportement imprévisible, indéterminé.

Ce concept présente également une autre façade. En effet, l’organisation dans son ensemble
affronte elle aussi des incertitudes. Parmi les acteurs de l’organisation, ceux qui, plus que
d’autres, ont du contrôle sur ces incertitudes, détiennent aussi de ce fait davantage de
capacité d’influence dans l’organisation.
3.5 Jeu

Le jeu est un instrument que les hommes ont élaboré pour régler leur coopération. C’est
l’instrument essentiel de l’action organisée. Le jeu concilie la liberté et la contrainte. Le joueur
reste libre, mais doit, s’il veut gagner, adopter une stratégie rationnelle en fonction de la
nature du jeu et respecter les règles de celui-ci. Cela veut dire qu’il doit accepter pour
l’avancement de ses intérêts les contraintes qui lui sont imposées. S’il s’agit d’un jeu de
coopération, comme c’est toujours le cas dans une organisation, le produit du jeu sera le
résultat commun recherché par l’organisation. Ce résultat n’aura pas été obtenu par la
commande directe des participants, mais par l’orientation qui leur aura été donnée par la
nature et les règles de jeux que chacun joue et dans lesquelles ils cherchent leur propre
intérêt. Ainsi défini, le jeu est un construit humain. Il est lié aux modèles culturels d’une société
et aux capacités des joueurs, mais il reste contingent comme tout construit. La structure n’est
en fait qu’un ensemble de jeux.

3.6 Marge de liberté

« La marge de liberté, c’est fondamental. Ce n’est même plus un concept, c’est un postulat,
une conception de l’être humain, c’est presque philosophique » déclare MUSSELIN Christine
(1997). En effet, l’analyse sociologique des organisations s’est constituée en s’opposant à la
fois aux approches qui refusaient de reconnaître la contingence des comportements et
appréhendaient les acteurs comme des sujets totalement libres et à celles qui, privilégiant le
système, adoptaient une vision strictement déterministe. « Une situation organisationnelle
donnée ne contraint jamais totalement un acteur. Celui-ci garde toujours une marge de liberté
et de négociation. Grâce à cette marge de liberté (qui signifie source d’incertitude pour ses
partenaires comme pour l’organisation dans son ensemble) chaque acteur dispose ainsi du
pouvoir sur les autres acteurs » ajoute CROZIER et FRIEDBERG (1977, p : 90)

3.7 Organisation

Organisation évoque avant tout un ensemble de rouages compliqués, mais parfaitement


agencés. En revanche, cette conception de l’organisation change radicalement de signification
dès lors qu’on découvre que ces rouages sont constitués d’un capital humain, financier,
matériel etc… En fait, l’organisation est le royaume des relations de pourvoir, de l’influence,
du marchandage, et du calcul. C ‘est dire tout groupement d’individus régit par des relations
de pouvoir.

3.8 Changement

Pour Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, le changement est un phénomène systémique.


Pour qu’il y ait changement, il faut que tout un système d’action se transforme, c’est-à-dire
que les hommes doivent mettre en pratique de nouveaux rapports humains, de nouvelles
formes de contrôle social. Il ne s’agit pas de décider une nouvelle structure, une nouvelle
technique, une nouvelle méthode, mais de lancer un processus de changement qui implique
action et réactions, négociations et coopération. Dans cette vision, le changement sera le
résultat d’un processus collectif à travers lequel sont mobilisées, voire crées, les ressources et
capacités des participants nécessaires pour la constitution de nouveaux jeux dont la mise en
œuvre libre permettra au système de s’orienter ou de se réorienter comme un ensemble
humain et non comme une machine.

3.9 Stratégie

De l’avis de M CROZIER ET E FRIEDBERG, la stratégie est un ensemble cohérent de


comportement qu’un acteur adopte en vue de préserver ses intérêts. La stratégie est orientée
par les enjeux et zones d’incertitudes contrôlés par l’acteur social. De ce fait, toute stratégie
est rationnelle aux yeux de l’acteur social qui l’utilise.

3.10 Rationalité

L’acteur, en fonction de sa marge de manœuvre conférée par son expertise, ou sa situation


stratégique, peut exercer une pression plus ou moins grande sur l’organisation à travers la
confection d’une stratégie offensive pour atteindre ses objectifs. Cette stratégie n’est pas le
fruit du hasard, mais plutôt la résultante de son « raisonnement stratégique » qui permet de
mieux saisir son jeu. Ainsi, les attitudes des différents acteurs sont dictées par la recherche de
leurs intérêts au moindre risque. Il suffit dont de cerner les contraintes auxquelles les acteurs
ont à faire face pour comprendre le jeu. C’est d’ailleurs dans ce sens que CROZIER et
FRIEDBERG (1977 : pages 231) estiment qu’on peut « découvrir, à partir du vécu des membres
de l’organisation, les jeux qui conditionnent leurs comportements ».

4. Limites de l’analyse stratégique :


4.1 L’oublie de la négociation :

Bien que l’analyse stratégique insiste en permanence sur les négociations entre acteurs, elle
ne prend jamais la peine de les étudier. Tout se passe comme si la négociation était elle-même
une courroie de transmission, mécanique et transparente, entre les relations de pouvoir et les
comportements des acteurs. Pourtant, à un autre niveau mais pour les mêmes raisons, la
négociation est aussi problématique que l'entreprise. Elle impose des contraintes propres et
jouit, par ailleurs, d'une certaine autonomie par rapport au substrat de pouvoir sur laquelle
elle fleurit. La prise en compte des comportements réels en situation de négociation s'impose
assez clairement si l'on entend affiner notre compréhension de l'univers politique que
constituent les organisations.
4.2 L'absence de légitimité :

La réflexion sur la légitimité est totalement absente de l'analyse stratégique. Implicitement,


elle est considérée comme un épiphénomène qui ne modifiera pas le jeu stratégique. Elle
relève en quelque sorte de la superstructure, entièrement déterminée par l'infrastructure des
relations de pouvoir. Cependant, la légitimité dispose d'une autonomie par rapport aux
relations de pouvoir et agit de façon indépendante sur les acteurs. Ceci ne revient pas à
affirmer un conditionnement social préalable à l'entrée dans l'organisation. Les questions de
légitimité se jouent partiellement dans les relations ordinaires de travail et sont coconstruites
dans les interactions entre acteurs. Mais, simplement, elles ne sont pas déterminées par les
relations de pouvoir. La légitimité contribue à la compréhension même du système par les
acteurs et participe donc à l'élaboration de leurs stratégies.

5. Application pratique de l’analyse stratégique :


5.1 Objets d’étude de l’analyse stratégique :

Nombreux sont les objets d’études auxquels peut se prêter l’analyse stratégique. En effet,
CROZIER s’en sert pour comprendre de nombreux phénomènes à l’instar de l’administration
public, l’organisation de l’entreprise et les phénomènes bureaucratiques.

Concernant le système bureaucratique Max WEBER estimait qu’il est supérieur à toutes les
autres formes d'organisation, grâce à l'impersonnalité des règles, gage d'impartialité à la
compétence des professionnels et à une hiérarchie structurée. CROZIER quant à lui ne le
regarde pas avec la même bienveillance. Il considère que la bureaucratie a trouvé ses limites
à cause de la complexité croissante de l'environnement dans lequel les salariés évoluent.
L'observation de terrain lui a montré que, dans un système bureaucratique, l'individu résiste
en s'appropriant les règles du jeu et en les utilisant à son profit. Contrairement au rêve de
Frederick TAYLOR, CROZIER pense qu’il est impossible de tout régler au sein d’une
organisation. Ainsi, pour qu'une organisation fonctionne, il faut des zones de flou, de vides ou
d'incertitude. L'acteur cherchera toujours à maîtriser à son profit ces marges d'incertitude
pour les transformer en marges de liberté, qui lui permettront d'atteindre ses propres
objectifs.

5.2 Exemples d’application pratique de l’analyse stratégique

Selon CROZIER, certes on ne peut pas répondre de façon catégorique, précise, quantifiable et
rigoureuse à des questions liées à toute forme d’organisations, mais on peut désormais
obtenir des résultats raisonnables grâce à toutes sortes de modèles d’analyse, parmi lesquels
l’analyse stratégique de systèmes organisés qui joue un rôle clé dans l’analyse de tous les
problèmes impliquant d’importants changements. C’est d’ailleurs dans ce sens que CROZIER
et FRIEDBERG (1977 p : 391) affirment : « l’analyse stratégique et l’analyse systémique ne sont
pas seulement des propositions théoriques. Elles sont d’abord, et avant tout, des pratiques de
recherche ». Ainsi, loin de se résumer en une simple théorie, la réflexion Crozierienne est une
véritable méthodologie de la pratique de la recherche. C’est ce que nous allons essayer de
mettre en avant à travers la reprise de trois cas traités par M GROZIER.

5.2.1 Décentralisation : les raisons d’échec de la politique publique


et des reformes instaurées en France.

La société française s’est organisée depuis fort longtemps selon le modèle de la centralisation
territoriale. A cause de la surcharge, le centre gouvernemental ne peut plus résister à la
pression d’un monde beaucoup plus complexe avec des acteurs locaux et nationaux beaucoup
plus libre (concept de la liberté de l’acteur). Dans ce contexte des projets de réformes ont été
initiés depuis le début des années 60, des réformes qui ont abouti à une grande loi de
décentralisation qui en apparence réglerait le problème.

Dans une interview parue dans Le Journal de Genève et Gazette de Lausanne (1994), Michel
CROZIER reprend l’échec de la décentralisation : « Pour la décentralisation, l'orientation prise
a découlé à mon avis d'un mauvais diagnostic. Le diagnostic reposait sur le raisonnement
suivant : l'Etat central/ le gouvernement veut accaparer le pouvoir et conséquemment nous
avons cette centralisation par soif de pouvoir du centre ; alors, redistribuons le pouvoir grâce
à un changement de structure, pour donner du pouvoir au périphérique. Mon point de vue
était très différent (le centre de sociologie des organisations, dirigée à l’époque par CROZIER
avait mené deux séries d’enquêtes qui avaient permis de faire apparaître non seulement les
dysfonctions considérables du système centralisé, mais les mécanismes qui les produisent). Je
disais quant à moi que la soif de pouvoir au centre existait comme partout, que le centre était
tout à fait impuissant, que la pression pour la centralisation venait tout autant de la périphérie
que du centre. Je pensais donc que si on voulait réellement changer il fallait changer le
système, et que les réformes de structure peuvent changer les positions des gens mais ils ne
changeront pas les caractéristiques du système et ses défauts fondamentaux qui sont la
confusion, l'irresponsabilité, conséquence du cloisonnement de la mauvaise communication
et du système indispensable pour le faire marcher... Alors, je prédisais que la décentralisation
ne donnerait pas du tout le résultat qu'on attendait ; je crois malheureusement avoir eu
raison».

5.2.2 Crise de la SNCF

La SNCF (société nationale des chemins de fer français) était une société que tout le monde
considérait à l’époque comme une société bloquée. Une crise profonde éclate à l’occasion des
grèves de l’hiver 1986-1987 qui fait prendre conscience de l’urgence d’une réponse. Le débat
qui s’ouvre est un débat de politique publique confus se déroulant avec les arguments
rhétoriques du traditionnel maintien des avantages acquis, efficacité calculée en fonction de
critères financiers et de ratios de productivité (Crozier, 1997).

Largement exposé dans son ouvrage La Crise de l’intelligence, Crozier y revient dans la même
interview précitée en décrivant sa mission : « D’abord, en un diagnostic : en écoutant
réellement les gens et en ne les écoutant pas dans leurs plaintes et dans leurs demandes, mais
en les écoutant dans leurs "jeux stratégiques". Cela veut dire simplement qu'on fait parler les
gens sur leur situation, sur leurs problèmes, les uns avec les autres, avec la hiérarchie, avec
les subordonnés quand les gens ont des subordonnés, etc. On a donc les points de vue des
uns et des autres, et à partir de ces points de vue, on dispose d'une première image des
relations. Ce diagnostic, on le restitue aux intéressés, c'est-à-dire qu'on leur présente nos
résultats qu'ils discutent et authentifient. A partir de là, on enclenche un processus de
changement. Dans le cas de la SNCF, on a rendu compte à tous les groupes dont on a
interviewé les membres, et tous ont confirmé la validité de notre diagnostic. A partir de là,
nous avons fait accepter à la direction générale l'idée de rendre publics ces résultats, ce qui a
été fait : d'abord dans une journée de présentation des résultats devant tous les cadres
supérieurs moyens et subalternes ; ensuite, cette présentation a été faite à la direction
générale ; et enfin, le lendemain, aux syndicats. A partir de ce premier travail qui a duré six
mois, nous avons aidé à l'interprétation. Des changements considérables ont été accomplis ».

Selon Crozier (1997) les leçons qu’on peut tirer de cette expérience concernant l’utilisation de
l’analyse de système peuvent être résumées ainsi :

• La transparence du travail de l’analyse est primordiale ;


• Les responsables de l’application des mesures qui seront prises doivent être associés
à l’analyse et la discussion des résultats ;
• La connaissance de la réalité des rapports humains est l’élément qui fait basculer les
structures du débat. Une réforme ou une décision de politique publique doit s’élaborer
à partir d’une connaissance partagée et le plus possible intériorisée par les
responsables aux différents niveaux opérations du fonctionnement et des problèmes
du système.

5.2.3 Réforme de la compagnie Air France

Ce dernier cas concerne la réforme de la compagnie Air France en quasi-faillite après la grève
catastrophe de l’automne 1993. Dans ce cas l’intervention de Crozier comportait les mêmes
étapes et les mêmes méthodes « Nous avons fait une première partie plus rapidement qu'à la
SNCF parce que le temps pressait, trois mois. Nous avons écouté une centaine de personnes
en profondeur, après quoi nous avons procédé aux restitutions et établi un questionnaire à
l'ensemble du personnel. Finalement, cela a changé les données du jeu. Le PDG Christian
BLANC a négocié et un référendum s'en est suivi afin d'approuver les plans de restructuration.
Après cela, une équipe formée de personnes de la SMG a fait le travail de guidage de la
réforme. Comme vous le voyez, on ne se contente pas de dire en général ce qu'il faut faire...
» (Interview avec M. Crozier parue dans Le Journal de Genève et Gazette de Lausanne » en
1994). Toutefois, il y a lieu de signaler quelques enseignements complémentaires (Crozier,
1997) :

• Il est possible d’employer la même approche avec succès sur l’ensemble d’un système
hétérogène ;
• Il est possible d’obtenir un délai suffisant pour faire une enquête qualitative sérieuse,
même dans un cas d’urgence au cours d’un débat de politique publique ;
• La connaissance partagée est le levier décisif du changement d’attitude indispensable
au succès d’une réforme.

En bref, L’analyse stratégique constitue donc un apport fondamental dans la


compréhension des organisations en particulier et des phénomènes sociaux en général. Elle
permet ainsi de dépasser les visions formalistes et technicistes de l’entreprise en offrant un
nouvel espace de recherche, le système d’action concret, dont l’étude, associée à celle des
relations de pouvoir qui le fonde est une condition indispensable pour la compréhension de
l’action collective. De plus, quand bien même cette étude a été élaborée il y’a des dizaines
d’années, il n’en demeure pas moins qu’elle est toujours d’actualité aujourd’hui en raison du
caractère englobant du pouvoir, de l’action collective et des organisations. En effet, de même
que l’homme est appelé à interagir avec son environnement, il est condamné à naitre dans
une société, à y vivre et à y mourir. Dès lors, il ne saurait échapper au « vivre ensemble », et
dont à la vie en organisation et aux relations de pouvoir.
Chapitre 2 : Nouvelles approches de la sociologie de
l'organisation :
1. SAINSAULIEU et l'identité du travail :
1.1 Auteur :
Renaud Sainsaulieu, Docteur d'Etat des Lettres et Sciences Humaines est professeur à
l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Il a dirigé au CNRS, le Centre d'Etudes Sociologiques et
fondé le LSCI (Laboratoire de sociologie du changement des institutions)

Psychologue et sociologue, il porte un intérêt central aux relations du travail. Depuis son
livre "l'identité du travail" (1977) jusqu'à "méthode pour une sociologie de l'entreprise"
(1994) en passant par l'ouvrage collectif" l'entreprise une affaire de société" (1990), il
s'intéresse à l'entreprise en tant qu'institution sociale.

1.2 Les questions posées par l’auteur


Pour R. Sainsaulieu l'homme est au centre de l'entreprise, donc de la société, c’est ainsi
l'Entreprise Conciliatrice émerge avec l'importance de la dynamique propre de ses échanges
internes pour le devenir de la Société Civile tout entière.

• Que devient alors le gouvernement d'une entreprise tout à la fois société civile et
système d'action concret de production ?
• Comment parler de management si l'expression d'autonomie croit chez les gouvernés ?
• Face à la fragilité nouvelle des entreprises du marché, comment mobiliser des gens
autonomes sans pouvoir leur affirmer d'autre cause sacrée que celle de la défense de
l’emploi, au prix de calculs sur la durée du contrat, de la retraite, de l'aménagement du
temps de travail et des salaires redevenus variables ?
• Comment fonder l'esprit d'entreprise et la prise de risque économique sur une nouvelle
autonomie des régulations sociales, tout en imposant aux acteurs de multiples pressions
présentées comme inévitables au nom de l'économie mondialisée ?
1.3 Les postulats
D'après la masse des enquêtes faites sur la réalité sociale des entreprises, R Sainsaulieu tire
les postulats suivants :

Il existe 4 modèles d'identité au travail

• Une culture de la fusion ou modèle “communautaire” : culture de masse, de solidarité


entre pairs, fusion, fraternité, camaraderie, syndicats… valorisation de “la communauté”.
• Une culture de la négociation ou modèle du “métier” : culture d’experts, de la différence,
autonomie, mérite… valorisation de “la mission”. Par les compétences et les
responsabilités on affirme sa différence, on négocie ses alliances et sa reconnaissance
sociale.
• Une culture d’affinité ou modèle du “parcours” : culture des relations, individualisme,
parcours personnel, capital social… valorisation de “la carrière”. Ici pas de forte solidarité
entre collègues, mais des connivences affectives pour chercher une ascension sociale.
• Une culture de retrait ou modèle “réglementaire” : culture de l’exclusion, des marginaux,
des dominés ou des “réglementaristes”… valorisation de “la règle”. Ici on est présent mais
absent, “la vie est ailleurs”, car les emplois peu qualifiés ne permettent pas une
construction de l’identité dans la sphère du travail.

Il existe 3 conceptions de la société d'entreprise qui coexistent de nos jours :

▪ L’entreprise réparatrice
▪ L’entreprise négociatrice
▪ L’entreprise conciliatrice

1.4 Les valeurs de l'organisation


« Il ne peut y avoir de développement économique sans un développement social de
l'entreprise »

La vie dans les organisations repose sur des valeurs explicites ou implicites qui servent à
définir des règles d'action qui inspirent les jugements et les conduites

La mondialisation et la concurrence doivent conduire les entreprises à rénover leur


organisation afin de devenir de véritables sociétés humaines

Bien que la culture soit présente dans toute entreprise, chaque entreprise n'a pas forcément
sa culture propre dans la mesure où elle est traversée par un ensemble de régulation
culturelle qui ne réussissent pas obligatoirement à se fondre en culture spécifique

L'auteur explore la dynamique des modèles de l'histoire industrielle et post industrielle des
organisations. Des logiques d'interprétation et de traitement des problèmes sociaux de
l'entreprise n'ont cessé de s'édifier au croisement des problèmes pratiques rencontrés et du
système de développement des sciences sociales. Ces logiques coexistent au cœur de
chaque entreprise et posent le débat d'une volonté de développement social au sein
d'entreprises contemporaines. Développer l'entreprise doit commencer par l'aménagement
d'un débat social sur l'intégration des modèles rationalisateurs qui ont cours dans chacune
d'elles. Il faut donc repérer, classer, reconnaître les pratiques normatives et les règles qui
constituent les logiques de références au sein de l'entreprise

R. SAINSAULIEU cite 3 références : les communautés monastiques, l'armée, et les sciences.


L'invention de la rationalité organisationnelle en entreprise apparaît avec Max Weber dans
les essais sur la théorie des sciences ou il distingue 2 rationalités qui correspondent à 2 types
de comportement humain : La rationalité subjective, et la rationalité objective.

Un autre facteur de rationalisation des modèles d'organisation a été l'évolution des sciences
sociales et leur intégration dans le secteur de la production économique

En fait 4 grands courants de rationalisation dans l'entreprise coexistent dans le monde


contemporain :

• Courant professionnel
• Courant bureaucratique et scientifique
• Courant gestionnaire
• Courant social et démocratique

L'intérêt de l'approche professionnelle de la rationalité repose sur une sorte de confiance


nécessaire en la pratique du métier

Au moment où la précarité menace tout individu dans l'entreprise avoir une compétence
reconnue comme profession officielle apparaît comme une valeur fondamentale du travail

Le problème de rationalité qui se pose à l'entreprise dès lors que sa taille augmente et celui
de l'articulation de ses éléments économiques et techniques et humains

Après l'organisation scientifique du travail, le modèle bureaucratique apparaît le modèle de


management des ressources humaines

Dickson et Roethlisberger ont découvert la considération comme facteur humain de


motivation et l'existence de relations informelles. On peut dire que l'école des relations
humaines n'a pas entièrement transformé l’OST, mais a suscité une attention concrète aux
problèmes humains.

Une autre façon d'aborder le processus de rationalisation en entreprise est la démocratie.


Cette quête d'une vie plus sociale et plus juste est issue des politiques dites paternalistes.

La réflexion engagée en France sur la démocratie a été imposée par 3 courants

➢ Courant sociotechnique
➢ Courant de travail communautaire
➢ Courant d'inspiration managériale fondée fondé sur la motivation volontaire

Les lois Auroux qui ont permis la mise en place de groupes d'expression dans l'entreprise
ont fait apparaître de difficiles problèmes d'apprentissage culturel pour les bases et n'ont
pas débouché sur une conception renouvelée de l'entreprise.
On ne peut négliger l'impact sur la rationalité de l'organisation d'un ensemble important de
réalisations organisationnelles, dont l'objectif est de fonder l'organisation du travail sur un
triple principe :

✓ Abolition du capitalisme privé


✓ Installation de structures directes pour gérer le travail
✓ Recherche d'une plus grande justice dans la distribution des salaires et des
responsabilités

Toutes ces expérimentations sont restées fragiles sur le plan économique et se heurtent aux
résistances des fonctionnements alentour ou des environnements plus classiques

On peut dire que l'histoire des entreprises du XX siècle restera marquée par la recherche de
modèles rationalisateurs capables d'enserrer tous les facteurs économiques, techniques et
humains de la production

1.5 Une culture organisationnelle


Les entreprises contemporaines qui, plus qu'avant rencontrent le changement de leurs
structures sociales internes pour répondre aux pressions de l'environnement, ne peuvent
faire l'impasse sur la dimension culturelle de leurs rapports organisés. Pour Hofstede, la
culture est bien caractéristique des nations et les sous cultures, caractéristiques des sociétés
locales, des métiers et des organisations.

Quant à D'Iribarne, il propose le concept de pacte social pour tenter de jeter un pont entre
la culture sociétale et celle de l'organisation

L'étude qui a porté sur l'implantation des entreprises japonaises en France et au Brésil a
démontré que les structures d'organisation des entreprises devaient être ajustées aux
spécificités culturelles nationales pour réussir.

De même une entreprise quelle qu'elle soit ne peut éviter de prendre en compte la société
nationale et locale dans laquelle il faut produire pour élaborer une conception plausible de
sa rationalité.

Différentes études à ce sujet ont été menées en France, en Allemagne, en Angleterre et


enfin au Japon par l'auteur.

Enfin, il apparaît en France que l'Etat qui permet le passage des ingénieurs des grands corps
et des élèves de l'ENA dans les cabinets ministériels avant d'occuper des places de dirigeants
dans les entreprises, induit par la même l'application de ses règles, ses coutumes, ses
projets, et a tendance à devenir une donnée fondamentale de l'entreprise.

L'entreprise doit aussi compter sur ses communautés sociales et professionnelles internes
pour organiser son développement.
On peut recenser 2 sortes de construction de forme de sociabilité durable :

• Sociabilités collectives au cœur du travail


• Enjeux communautaires

L'entreprise devient alors une véritable institution capable de diffuser ses conséquences
culturelles sur le reste de la société. L'entreprise est considérée comme source
d'apprentissage culturel.

Une scène sociale majeure de la transformation culturelle est celle du groupe, ou l'individu
vit des relations durables et différentes de la vie quotidienne, et où il perçoit l'image de soi
qu'il reçoit des autres.

Le changement pouvant conduire à d'autres regards sur soi et les autres, l'évolution des
identités collectives résulte donc de processus groupaux et relationnels.

Le développement des capacités stratégiques par le biais de l'expérience quotidienne des


rapports de pouvoir au travail est certainement l'une des circonstances d'apprentissage les
plus fortes et les plus durables de la vie d'adultes. Le système de représentation concernant
le travail et ses relations est profondément marqué par les rapports de pouvoir qui s'y
déploient.

L'organisation offre plus ou moins l'occasion de constituer des coalitions offensives ou


défensives, de développer des jeux de pouvoir plus ou moins complexes et changeants.

On peut dire que l'expérience du travail organisé fait émerger de véritables types d'acteurs
sociaux :

• L’acteur de masse
• L’acteur stratège
• L’acteur de soi
• L’acteur d'ailleurs

Les apprentissages qu'on peut faire au travail sont aujourd'hui modifiés par le chômage,
l'augmentation du temps libre et la formation continue.

Le changement technologique a un impact sur la façon d'être acteurs et introduit un


véritable désordre dans les jeux habituels au sein du système social au point que les
individus vivent une redéfinition d'identité.

La mobilité forcée des salariés pour conserver leur emploi est un facteur de changement
important que beaucoup refusent pour conserver les relations locales qu'ils ont édifié.

La dernière perspective de changement culturel est la loi tendant à développer l'expression


des salariés dans l'entreprise, à laquelle il faut ajouter la loi de 1971 sur la formation
continue. Toutes ces tentatives pour mettre en place une forme d'organisation plus
participative ont fait apparaître l'ampleur culturelle de tels fonctionnements

Compte tenu des contingences qui pèsent sur l'entreprise dans les années 90, la bonne
organisation ne suffit pas à mobiliser les forces productives de l'entreprise.

La reconnaissance des manières de se comporter et la compréhension des identités


collectives qui s'y élaborent et influencent les motivations devraient tenir lieu de pratique
indispensable à la gestion.

Il ressort globalement que les attraits du temps libre, les démotivations liées aux pertes de
perspectives ascensionnelles, les menaces de chômage, semblent avoir accru l'idée d'aller au
travail pour s'investir un minimum, et pourtant la réalisation de l'individu continue à passer
par l'expérience du travail en entreprise.

Pour sortir de la crise économique, le développement devra être social en misant sur les
interventions de l'Etat dans le secteur des activités bénévoles et de proximités.

Le processus de la confrontation culturelle longtemps occultée par les luttes de classes ou


les formes tayloriennes bureaucratiques de l’organisation, se développe en conséquence
directe de la multiplicité des relations informelles de travail engendrées par la croissance
puis par la crise.

Le problème de la culture conduit à s'interroger sur 3 types de confrontation : avec les


autres, avec le passé, avec les alentours.

Les recherches effectuées sur les identités au travail dans divers contextes d'entreprises
conduisent à percevoir 4 types de confrontations identitaires ayant permis l'instauration
d'une forme de culture intégrative en entreprise

➢ Évitement culturel par le taylorisme


➢ Modalités d'intégration communautaires
➢ Culture du fonctionnement collectif
➢ Une culture de la régulation entre acteurs

La culture d'entreprise peut devenir un véritable concept de développement dans les


processus de créativité interne, fondée sur la reconnaissance des différences, l'émergence
de nouvelles identités, la formulation collective de projet.

On peut définir 3 modes de production sociale de la culture :

✓ Transmission par les anciens


✓ L’apprentissage
✓ La prescription idéologique
Le management du changement suppose que l'on soit en permanence capable de confronter
les acquis du passé lointain, transmis avec force d'exemples dans le présent pour préparer
l'avenir, aux expériences d'un présent récent, qui peuvent soit confirmer, soit bousculer,
l'héritage antérieur au point d'influencer profondément les cohésions sociales porteuses
d'avenir.

L'entreprise est fondamentalement un lieu où se rencontrent et se transforment divers


courants culturels issus de groupes sociaux et d'institutions environnants. L'entreprise
apparaît comme une institution culturelle par l'intensité, la durée et la complexité des
rapports humains qu'elle met en œuvre au cours de ses fonctions

2. Les nouvelles théories sociologiques de l'organisation :


2.1 Les conventions - L’économie de la grandeur
Cette théorie est apparue pour donner suite à la publication par Luc Boltanski
(sociologue) et Laurent Thévenot (économiste) de De la Justification en 1991.
Ces deux auteurs font partie d’un courant de pensée qui cherche à réconcilier l’action
individuelle et l’action collective : c’est à dire trouver des modèles d’action qui permettent
d’expliquer l’individu et l’organisation ; c’est pour cela ils ont opté en premier vers
l’économie de la grandeur.
Le courant des économies de la grandeur analyse les organisations en termes de
conventions et d'accords. Il est issu des travaux communs d'un économiste des
conventions, Laurent Thévenot et d'un sociologue au départ collaborateur de Pierre
Bourdieu, Luc Boltanski. C'est une approche interdisciplinaire. On parle aussi de sociologie
pragmatique.
Le modèle des économies de la grandeur apporte alors un éclairage à la problématique de la
coordination et de l'accord en entreprise qui est souvent délaissée en sociologie des
organisations au profit de l'analyse du conflit, du pouvoir et de la rationalité. Il tente de
répondre en partie aux questions suivantes. Comment sont produits les accords ? Comment
se réalise la coordination entre les personnes au sein d'une entreprise ?
Laurent Thévenot est un sociologue et économiste français, initiateur avec Luc Boltanski du
courant pragmatique à partir des « économies de la grandeur » étendues aux « régimes
d'engagement »
Date de naissance : 1949

Luc Boltanski est un sociologue français né le 4 janvier 1940. Il a initié avec Laurent Thévenot
un courant pragmatique, appelé aussi « économies de la grandeur » ou « sociologie des
régimes d'action ». Il est directeur d'études à l'EHESS

Date et lieu de naissance : 4 janvier 1940 (78 ans), Paris, France


Ses principes :

Selon Luc Boltanski et Laurent Thévenot, l'organisation ou l'entreprise sont par nature un
espace de règles et de circulation des biens. On ne peut donc se permettre de mettre en
place deux lectures antinomiques du phénomène de l’organisation. Les acteurs sont insérés
dans des situations à la fois conflictuelles et coopératives.

2.1.1 L'économie des conventions :


Luc Boltanski et Laurent Thévenot rejettent donc naturellement le clivage qui existe entre
deux types d'explication, les explications exclusivement économiques et les explications
exclusivement sociologiques. Ils rejettent donc deux types de modèles.

• Les modèles sociologiques expliquant la coordination entre les acteurs par la conformité
à une norme qui s'imposerait à tous. Par conséquent, l'ordre d’organisation ne peut
découler de règles sociales réifiées ou de phénomènes purement culturels.
• Les modèles économiques qui se centrent sur les rapports constitués au travers de
l'échange et de la circulation des biens qui sont des rapports de force et
de pouvoir visant à accaparer les ressources rares.
À ces approches, ils substituent un modèle fondé sur l'économie des conventions. Celui-ci
part de l'idée que pour qu'il y ait échange, coordination, coopération entre des agents, il faut
qu'il y ait des conventions entre les personnes concernées ; c’est-à-dire un système
d'attentes réciproques entre les personnes sur leurs comportements. Ces conventions
peuvent être écrites ou non.
2.1.2 Les systèmes d'équivalence :
Pour tenter, à partir de ce modèle, de comprendre comment les situations de travail arrivent
à « se tenir » dans les organisations, et pour expliquer comment les acteurs parviennent à
mettre en place les conditions de production des accords, Boltanski et Thévenot insistent sur
certains traits essentiels de toutes situations sociales :

• Toute situation doit être analysée dans le cadre d'une sociologie compréhensive. Il faut
les étudier à travers les représentations qu'en donnent les personnes.
• Le chercheur en sociologie doit se pencher en priorité sur les compétences des individus
à évaluer les situations à travers des systèmes d'équivalence partagés.
C'est grâce à des systèmes d'équivalences partagés, des grandeurs communes, permettant à
chacun de retrouver les repères qui vont guider ses relations dans la situation, la
caractériser, que des relations entre personnes peuvent se nouer. Selon Boltanski et
Thévenot, « ces grandeurs, ces systèmes se déploient dans des mondes régis par la
cohérence des principes qui y sont activés ».
2.1.3 Les différents mondes :
Boltanski et Thévenot (1991) distinguent alors six différentes cités, auxquelles Boltanski et
Chiapello (1999) ajouteront plus tard la « Cité par projets ». Ces cités impliquent des formes
d'accords, des objets sociaux différents, qui permettront de reconnaître la nature de la
situation, et de savoir sur quel mode de résolution des conflits et des controverses il faut se
positionner.

Cité inspirée Cité Cité de Cité civique Cité Cité Cité par projets
domestique l'opinion marchande industrielle

Valeurs de Inspiration, Tradition, Réputation, Collectivité, Concurrence, Efficacité, Activité, projets,


référence création, famille, renommée démocratie, rivalité science extension du
imagination, hiérarchie monde réseau,
intériorité associatif prolifération des
liens

Caractéristiques L’insolite, la La La célébrité, Solidarité, La La L’enthousiasme,


valorisées passion, le bienveillance, la visibilité, équité, désirabilité, la performance, la flexibilité, la
merveilleux, la la bienséance, la mode, le liberté « gagne », la la fiabilité, la connexion aux
spontanéité, la distinction, fait d'être valeur, le fait fonctionnalité autres,
l'émotion la discrétion, remarqué, d'être , la validité l'autonomie,
la fidélité d'avoir du « vendable » scientifique l'employabilité
succès

Caractéristiques L’habitude, les L’impolitesse, La banalité, La division, La défaite, L’improductivi L’in employabilité,
dévalorisées signes la vulgarité, la l'indifférenc l'individualis l'indésirable, té, la rigidité, le
extérieurs, le traîtrise, la e, le me, le fait de ne l'inefficacité manque de
réalisme nouveauté méconnu, la l'arbitraire, pas être polyvalence,
désuétude l'illégalité compétitif l'immobilité, la
sécurité, l'autorité

Sujets valorisés L’artiste, Le père, le roi, La vedette, Le Parti, Le L’expert, le Le coach, le


l'enfant, la fée, le patron, le chargé de l'Elu, le businessman, professionnel, médiateur, le chef
le fou, le génie, l’« Ancien » communicat représentan le vendeur, le l'opérateur de projet
l'illuminé ion, le t, le délégué « battant »
people

Epreuves La création à Les Le regard L’élection, Le marché, la Le test, la Le passage d'un


modèles partir d'une cérémonies des autres la conclusion réalisation projet à un autre
feuille blanche, familiales, les sur un manifestati d'une affaire
l'aventure réceptions événement on
intérieure, le
vagabondage de
l'esprit

Comme ces cités sont en contradiction, il faut trouver des compromis pour assurer la
cohésion du collectif au travail. C’est le rôle des conventions.
2.1.4 Controverses :
Partant de là, les acteurs peuvent entrer dans plusieurs types de relations :

• Survient une controverse dans une même cité. Pour la clore, on recourt à un principe
supérieur commun. Car les personnes engagées dans une même cité ont un même
système d'équivalence, ils se déplacent dans une grandeur identique. Les objets sont
identifiés et hiérarchisés de manière compatible.

• Il peut coexister Il des cités différentes sans discordes. Mais dans ce cas l'équilibre
reste provisoire.

• Il peut survenir un différend entre des cités. La discorde doit, pour être clarifiée, être
rapportée à une cité et une seule. Elle peut également être résolue par un
arrangement, les partenaires se mettent localement d'accord sur une transaction.
Enfin, les acteurs peuvent arriver à un compromis, et dans ce cas, ils réunissent
plusieurs cités à travers un bien commun.

2.1.5 Pluralisme des logiques en entreprises :


Cette approche souligne l'intérêt d'une technique qui prend en compte la variété des
logiques à l'œuvre dans les entreprises. Des justifications multiples sont avancées par les
acteurs pour légitimer leurs actions, et à chaque fois des formes d'accords ou de compromis
différents vont être nécessaires pour se coordonner. Par conséquent, la mise en place d'une
politique d’organisation, si elle ne tient pas compte des systèmes d'équivalence partagés et
des conventions propres à une organisation, risque fort bien d'être vouée par avance à
l'échec. Tel est l'un des principaux enseignements du modèle des économies de la grandeur.

2.1.6 Déplacements de Boltanski et Thévenot :


Dans Le nouvel esprit du capitalisme (1999), Luc Boltanski et Eve Chiapello donneront une
première inflexion critique vis-à-vis du capitalisme en partant du modèle des économies de
la grandeur. Boltanski radicalisera sa position critique dans De la critique (2009), en
dessinant une théorie critique pragmatiste.
Dans L'action au pluriel (2006), Laurent Thévenot élargira ses analyses par rapport au
modèle des économies de la grandeur en s'intéressant à une pluralité de « régimes
d'engagement », en deçà du régime public visé par les économies de la grandeur.

Récapitulant : Les conventions proposent une analyse générale de la société et de


l’économie qui s’oppose aux théories dominantes (néo-classique notamment). Les travaux
fondateurs ont fait place à un courant de pensée pluridisciplinaire très fructueux.

L’utilité essentielle est d’identifier les facteurs explicatifs de l’action collective et par là les
modes de justifications de solutions de gestion (ex : le progrès l’impose). La notion de
convention permet de mettre d’accord des individus aux positions antagonistes. Ainsi
Boltanski & Chiapello (1999) montrent l’adaptation des valeurs managériales aux
préoccupations de la société : la critique nourrit la pratique organisationnelle.
Seulement cette analyse n’a pas le pouvoir explicatif des théories dominantes, elle reste trop
abstraite et insuffisamment opérationnelle pour s’imposer dans tous les champs qu’elle vise.
2.2 L'ethnométhodologie

L'ethnométhodologie est un programme de recherche qui se propose d'aborder les


phénomènes sociaux différemment des approches dominantes en sciences sociales. Il s'agit
pour l'essentiel de revenir au concret, d'arriver, comme le disait Marcel Mauss, " à voir les
choses sociales elles-mêmes comme elles sont ", c'est-à-dire telles qu'elles émergent et
s'organisent dans l'expérience des agents sociaux, sans préjuger de leur définition. Ce parti
pris s'accompagne d'une réorientation de l'analyse : l'explication théorique cède la place à la
simple description. Un tel programme, qui implique de rompre tant avec l'intellectualisme
qu'avec l'empirisme, a été à l'origine d'approches novatrices dans plusieurs domaines de
recherche : l'étude des organisations, l'analyse du travail et de la coopération dans le travail,
la sociologie des sciences et des techniques, l'étude de la communication sociale, l'analyse
du discours, etc. Cet ouvrage collectif s'efforce de présenter l'état actuel de la recherche en
ethnométhodologie, et tente d'évaluer, de façon raisonnée, l'importance de sa contribution
aux sciences sociales, trente années après la parution de son ouvrage fondateur, Studies in
Ethnomethodology, d’Harold Garfinkel. Il poursuit ainsi une double ambition : approfondir la
réflexion sur les difficultés - théoriques, conceptuelles, méthodologiques - rencontrées par
ceux qui ont inscrit leurs recherches dans la perspective tracée par Garfinkel et ses collègues
; confronter les acquis des travaux en ethnométhodologie aux réactions qu'ils ont suscitées
dans la sociologie française.

2.2.1 Histoire de l’ethnométhodologie et de ses origines :

" Les ethno méthodologues ont développé une technologie alternative et radicale pour
l’analyse sociale. " H. Garfinkel.

L’Ethnométhodologie est un courant de la sociologie américaine fondée par Harold Garfinkel


dans les années 60. Installé principalement dans les campus Californien, il a ensuite gagné
ensuite d’autres Universités Américaines mais aussi Européennes.

L’ethnométhodologie commence donc avec les travaux de H. Garfinkel qui entreprend des
études doctorales en 1946 sous la direction de Talcott Parsons, En 1952 il soutiendra sa
thèse : " The Perception of other ". Parallèlement à son doctorat, il s’initie à la
phénoménologie, lit A. Schütz, E. Husserl qui exerceront sur lui une grande influence.
Garfinkel ne cessera jamais de reconnaitre que T. Parsons a eu une grande influence sur lui.

" Cela s’entend si l’on conçoit que tout d’abord que l’ethnométhodologie était la
conséquence logique de l’œuvre monumentale de Talcott Parsons". H. Garfinkel.

Mais c’est en 1945 que les prémices de ce qui allait devenir l’ethnométhodologie
commencèrent à germer dans l’esprit de son fondateur lorsqu’il participa avec Saul
Mendlovitz au projet d’une étude des jurés organisé par Fred Strodtbeck à l’Ecole de Droit
de Chicago.

Garfinkel et Mendlovitz devaient écouter des enregistrements dissimulés dans les salles de
délibération des jurés de Wichita. Ils s’intéressaient " aux façons dont les jurés utilisaient
Une certaine connaissance du fonctionnement des affaires organisées de la société -
connaissance dont ils se servaient sans difficulté " H. Garfinkel.

En rédigeant ses travaux sur les jurés, Garfinkel fut stupéfait d’apprendre que les jurés
avaient des méthodes sociologiques profanes pour appréhender les problèmes liés au
verdict qu’ils devaient rendre à la cour. Ces méthodes utilisées, Garfinkel les qualifiera
d’ethnométhodes. L’idée de l’ethnométhodologie était née. Le terme fut ensuite inventé par
analogie avec l’ethnobotanique lorsqu’il consulta les fichiers comparatifs de Yale.

En résumé nous pouvons dire que :

Cette école se pose comme une " anti sociologie " ou " sociologie profane ", qui s’intéresse
avant tout aux raisonnements pratiques et au " sens commun ", pour permettre à l’individu
de décrypter et d’ordonner le monde qui l’entoure. L’ethnométhodologie s’articule autour
d’une critique des méthodes de la sociologie conventionnelle.

Pour l’ethnométhodologie, il n’y a pas d’objets d’études stables, par exemple des structures
sociales fixes (mises en évidence par les travaux de Durkheim), mais des processus à travers
lesquels l’organisation sociale est continuellement recréée.

" L’ethnométhodologie substitue à cette hypothèse de la constance de l’objet celle de


processus ".

Pour l’ethnométhodologie, seuls les membres d’un groupe partageant par leur indexicalité
une pratique sociale commune sont à même, par leur compétence unique, de décrire ces
processus.

L’ethnométhodologie est une étude basée sur l’observation des accomplissements


quotidiens et leur interprétation.

Enfin comme le dit son fondateur, " c’est l’étude de l’organisation du savoir d’un membre
de ses affaires quotidiennes, de ses propres activités organisées. "

Comme outil épistémologique, l’ethno méthodologue s’appuie sur des axiomes qui aident à
découvrir les pratiques, les modes de raisonnement, à définir " les allants de soi " que
partagent les membres d’une même tribu.

Ces axiomes, que l’on définit au sein du lexique, sont à l’utilisation un outil privilégié
d’analyse ; Ils permettent en effet, de voir comment un ensemble d’individus s’est approprié
le langage et, à travers cette appropriation, l’organisation du monde social.

Ces axiomes doivent être considérés comme un réseau, car tous ces concepts sont liés entre
eux et lorsque l’un d’eux est indiqué, les autres sont impliqués bien qu’ils ne soient pas en
relation hiérarchique ni en relation de sérialité. Il ressemble étrangement à ce que l’on
nomme outre-Atlantique le CYBERSPACE ...
2.2.2 L’Indexicalité :

INDEXICALITE nF (Ethnométhodologie). Caractère de ce qui est indexical. Indexicalité


restreinte : état de certains mots et de certaines expressions. Indexicalité généralisée : état
du langage et des actions.

Cette notion d’ « indexicalité », soulignée pour la première fois par le linguiste Y. Bar-
Hillel en 1954 est une notion centrale pour les sciences sociales, qu’on peut illustrer aussi
par le cas des déictiques ou Shiftears (Ex : Je, Tu, Ici, maintenant, là).

Ces mots ne prennent leurs sens complets que par rapport à la phrase dans laquelle ils sont
énoncés, ils dépendent en quelque sorte de l’instance du discours de son contexte de sa
localité.

" Ce sont des expressions dont la signification ne peut être donnée sans recours à des
éléments liés au contexte pragmatique (espace, temps, sujets présents, objets présents) "
B. Cohein

Un mot n’a pas le même sens ici et là, hier, aujourd’hui et demain, c’est pour cette raison
que nous pouvons dire que le sens est toujours local et qu’il ne peut être généralisé. Il faut
préciser cependant qu’il existe une différence notable entre l’indexicalité et la polysémie qui
ne contient pour sa part qu’un nombre fini de sens, contrairement à l’indexicalité qui peut
en contenir une infinité.

Cette particularité de l’indexicalité, souligné par Bar-Hillel a été reprise par les ethno
méthodologues et étendue à l’ensemble du langage, des actes et des faits sociaux. Ils posent
en quelque sorte la transparence de sens comme hypothèse initiale de leurs discours.

" Le langage tout entier est soumis à l’indexicalité " (Paul Loubière).

La vie quotidienne nous offre constamment des occasions d’indexicalité. Une récente
expérience me mit en situation lorsque je me suis retrouvé dans un cabinet Out-Placement
chargé d’évaluer les compétences de mes collègues de travail et de moi-même. Le test que
nous devions faire était simple, dessiner un arbre ; simplicité du travail demandé, et chacun
de faire son arbre.

Bien sûr, le résultat fut loin d’être homogène, il se trouvait presque autant de croquis que
d’individus. Chaque fois, il s’agissait bien d’un arbre, mais tantôt cet arbre comportait des
feuilles, tantôt des branches.

Quelques fois l’arbre représentait un peuplier, ou semblait s’apparenter à un chêne. Si le


psychologue nous avaient décrit l’arbre qu’il désirait voir figurer sur nos feuilles, nous
aurions très certainement réduit les écarts de représentation, mais quelles que soient les
descriptions qu’il aurait pu nous faire de son arbre, il aurait subsisté des différences notables
dans les proportions et même dans la représentation.
Chaque personne en fait porte donc en elle une idée de ce qu’est un arbre, mais ce mot
renvoie pour chacun d’entre nous à une représentation différente d’où cette notion
d’infinitude des indexicalités. Il existe donc une infinité de sens pour un mot, le mot n’est
pas défini une fois pour tous mais change constamment. Comme le souligne Y. Lecerf « Il y a
un hypertexte derrière chaque mot «. En fait les mots n’ont de sens que par la manière dont
ils sont employés : selon que ce sont des relations professionnelles, relationnelles, affectives
qu’entretiennent les individus, les mots prendront donc des sens très divergents voire
opposés. Ces mutations ou déviations du sens sont autant de repères pour décrypter des
relations sociales et analyser une situation donnée entre individus. Très souvent les petits
groupes ont été des lieux d’étude et d’investigation à cause de la facilité relative qu’ils
offrent pour l’observateur au niveau de l’analyse du comportement communicationnel. Ce
qui a permis de définir des groupes sociaux en analysant le langage ou l’écriture qu’il se sont
approprié, et la façon dont ils l’utilisent.

En effet, dans chaque micro-ethnie, les membres se reconnaissent par cette utilisation
propre du langage. Ce cas est d’autant plus vérifiable sur les Bulletins Board System que le
langage est totalement remplacé par l’écriture, écriture qui pour le néophyte peut sembler
étrange car il utilise des nouveaux codes de communications, des abréviations que nous
expliquerons dans la notion de " membre ".

2.2.3 Réflexivité :

La notion de réflexivité, nous ramène à la notion d’indexicalité indi : sociable selon Garfinkel.

La réflexivité est, avec l’indexicalité, constitutive du langage et des descriptions du monde


que je produis : si je décris une situation, je contribue à la constitution de la situation que je
suis en train de décrire. Un Journaliste reporter qui décrit l’évènement en cours, s’il le fait
pour une émission en direct contribue à la production de cet événement. Il fait partie de cet
événement " Dans la pratique ethnographique l’observateur participant contribue à
produire par ses descriptions et son action la situation qu’il décrit (Schwartz et Jacobs 1979
: 53-54) ".

La réflexivité désigne donc les pratiques qui permettent de montrer que l’action et la
situation sont inextricablement liées, indissociables. Elle permet donc de décrire le cadre
social et qui le décrivant le constitue. On perçoit donc combien l’interaction et la description
de l’ordre social et l’existence même de celui-ci est constante.

Exemple : lorsque je prends ma place dans une file d’attente qui se constitue, je contribue
activement à la constitution de cette file. Mais je suis en même temps tenu de rester à ma
place par cet ordre que je contribue à constituer : Sans moi et bien sûr, sans tous ceux qui
attendent l’autobus avec moi, il n’y aurait pas de file d’attente. Par mon arrivée et par mon
installation dans la file, je participe activement à son institution et je suis en même
temps institué par elle, soumis à sa règle dont je suis l’un des instituants.

Au contraire de la sociologie classique qui considère que l’action et la situation sont deux
choses distinctes que l’on peut décrire séparément, l’ethnométhodologie s’attache à
montrer que nulle action est indépendante de la situation dans laquelle elle évolue et
réciproquement. En fait, cette situation apparaît en quelque sorte comme un sous-ensemble
du contexte.

Garfinkel dans les studies, nous parle du caractère " incarné " et réflexif des descriptions.
Incarné car elle est une partie constitutive de la personne, réflexives parce que cette
description renvoie à cette personne et à son contexte.

" De toute personne difficile on peut se demander : Est-elle mauvaise ou folle ?? "
" Ce type était ostensiblement mauvais dans son comportement, mais si nous envisageons
le contexte, il y avait de la folie ".

D’autres courants comme celui de l’antipsychiatrie emprunteront cette notion fondamentale


à la phénoménologie.

" De même, si vous êtes assis en face de moi, je puis vous voir comme une personne
pareille à moi - ou sans que vous changiez ou fassiez quoi que ce soit, comme un système
physico-chimique complexe, c’est à dire non plus comme une personne mais comme un
organisme. Traduisons cela dans le langage de la phénoménologie existentielle : l’autre,
selon qu’il est vu comme une personne ou comme un organisme, est l’objet de différents
actes intentionnels. Il n’y a pas dualisme au sens de coexistence de deux essences ou
substances différentes dans le même objet, psyché ou soma - mais deux Gestalt
expérientielles différentes, personne et organisme " D.D. Laing.

Cette notion de réflexivité apparaît donc comme un concept clé de l’ethnométhodologie


puisqu’elle oblige l’ethno méthodologue à considérer le contexte et l’action dans un même
moment, en observant comment ils fonctionnent simultanément et en interaction. Sans
jamais être dissociés.

2.2.4 Membre :

L’indexicalité nous amène tout naturellement à évoquer la notion de " membre ".
Constamment utilisé en sociologie, ce terme désigne habituellement l’appartenance de
l’individu à un groupe collectivement organisé, à une communauté. Cette notion de membre
souligné dans les travaux de T. Parsons se nomme " Collectivity Membership ".

" Certains sociologues insistent, soi-disant en accord avec nous, qu’il nous faut concevoir
des membres comme des individus collectivement organisés. " H. Garfinkel.

L’Ethnométhodologie réfute cette définition. :

" Pour nous, les "personnes", "personnes particulières" et "individus" sont des aspects
observables d’activités ordinaires. " H. Garfinkel.

En fait, les membres d’une communauté ne se définissent qu’en regard de leur pratique de
sens commun. Seul le partage d’une même indexicalité donne à une personne le statut de "
membre ". Le membre est donc celui qui partage le langage commun du groupe.
" La notion de membre est le fond du problème. Nous n’utilisons pas le terme en référence
à une personne. Cela se rapporte plutôt à la maîtrise du langage commun ".

Garfinkel rejette donc cette idée et insiste sur la maîtrise du langage commun il insiste sur le
fait qu’un membre doit être capable » de produire des énoncés reconnaissables pour
transmettre ce qu’il fait, a fait ou fera ".

Nous savons que l’adhésion à un groupe et la maîtrise du langage commun nous donne le
statut de membre. Mais cela à condition que nous donnions un sens commun à nos
conversations, partageable par tous malgré l’infinitude des indexicalités qui existe dans une
locution. Pour pallier cette insuffisance créée par l’indexicalité, les membres mettent en
œuvre " une méthode documentaire d’interprétation " qui permet de créer un supplément
de sens permettant ainsi une meilleure compréhension et la poursuite de la conversation.

Cependant l’écriture électronique apporte avec elle une contrainte supplémentaire. " La
décontextualisation " et la " non observabilité physique " du locuteur.

Exemple : Admettons une conversation comprenant deux interlocuteurs.


(Jean) : Salut Paul comment vas-tu ??
(Paul) : Ça va Jean...
(A son apparence physique, Jean s’aperçoit qu’il ne va pas bien)
(Jean) : Tu es sur ?
(Paul) : En fait, ma femme et moi nous nous séparons.

Le fait de ne pas voir son interlocuteur pose ici un problème du fait de la non-observabilité
du locuteur, il faut donc pour être admis par les membres de cette communauté
d’informaticiens, savoir utiliser et interpréter des formes particulières de communication,
D’où la nécessité de nouveaux codes de communications tels que les smilles qui permettent
de recontextualiser l’état d’esprit du locuteur sur un réseau. L’écriture électronique
induisant un certain nombre de décontextualisations qui prêtent moins à confusion lors d’un
face à face : (la mauvaise interprétation du sens d’un message est chose courante sur les
BBS).

" Un membre, ce n’est pas seulement une personne qui respire et qui pense. C’est une
personne dotée d’un ensemble de procédures, de méthodes, d’activités, de savoir-faire,
qui la rendent capable d’inventer des dispositifs d’adaptation pour donner un sens au
monde qui l’entoure, c’est quelqu’un ayant incorporé les ethnométhodes d’un groupe
social considéré, exhibe naturellement la compétence sociale qui le lie à ce groupe et qui
lui permet de se faire reconnaître et accepter " A. Coulon.

Si nous reprenons l’exemple de conversation ci-dessus nous aurions dans le message :

(Jean) : Salut Jean comment vas-tu ??


(Paul) : Ça va Paul... :-((
(Jean) : Tu es sur ?
(Paul) : En fait, ma femme et moi nous nous séparons.
Autre exemple : Si vous recevez l’un ou l’autre de ces messages sur un BBS, ils n’auront pas
le même sens.

- Nous apprécions tes compétences :-)

Dans ce premier cas la phrase est sincère.

- Nous apprécions tes compétences :-7

Dans le deuxième cas, nous ne le pensons pas, le smiley voulant dire que nous le disons de
façon ironique.

Exemple de Smilles employés sur les BBS.

:-) ou :-))) : L’utilisateur est heureux ou très heureux.

:-( ou :-((( : L’utilisateur est mécontent ou très triste.

`-) : L’utilisateur cligne de l’œil.

:-* : L’utilisateur s’est trompé (il se couvre la bouche avec la main).

:-D : L’utilisateur parle en souriant.

:-# : L’utilisateur censure.

:-7 : L’utilisateur rit jaune.

:-C : L’utilisateur est vraiment déçu

:-@ : L’utilisateur crie

[:-) : L’utilisateur écoute un walkman.

8-) : L’utilisateur porte des lunettes.

d:-) : L’utilisateur porte une casquette

En résumé, nous pouvons dire que la cohésion du groupe se réalise en fonction des
communications développées entre ses membres. Ainsi plus il y aura de communications au
sein du groupe, plus y aura de cohésion entre ses membres.

En fait si l’individu ne comprend pas les " Allants de soi " du groupe, il ne comprendra pas ce
qui se dit. Etre membre, c’est donc apprendre les " Allants de soi " du groupe et vérifier que
l’on n’a pas commis de contresens vis à vis de ses " Allants de soi ". C’est surtout participer le
plus à la vie de ce groupe.
Ce qui est également très révélateur sur un BBS, est la participation de chaque membre aux
diverses activités du serveur. J’ai souvent remarqué sur mon serveur, que tous les membres
participent rarement de la même manière. ; il y a les plus actifs et les moins actifs. Ceux qui
émettent le plus de messages sont généralement ceux qui en reçoivent le plus. Les individus
les moins impliqués sont en général les moins intégrés donc les " moins membres ".

Ce type de cohésion accroît donc le sentiment d’appartenance et renforce les liens par
rapport au monde extérieur. Cette communication dans un BBS concerne donc l’interaction
entre un certain nombre de personnes qui sont capables d’envoyer et de recevoir des
messages entres elles. Toute personne, même la plus isolée, est liée à un grand nombre
d’individus par un réseau de communications. Ces liaisons constituent ce que l’on appelle "
les réseaux personnels «. Ils consistent en un ensemble de contacts directs et indirects que
les gens établissent entre eux.

Les réseaux personnels mettent des individus en contact au travers d’un ensemble
d’expériences vécues, de domaines d’intérêt similaire que les membres partagent au sein de
conférences établie par les SysOps.

Ce qui caractérise la communication établie au sein d’un BBS, ce sont les relations
dynamiques entre ces éléments.

De l’interaction émerge souvent un sentiment d’attachement entre les membres bien qu’ils
ne se connaissent que par écriture interposée ; de même la communication fait naître une
acquisition des normes communes et participe à l’émergence de la solidarité, typique sur ces
serveurs.

" Osijek, en Croatie. Le 10 Mai 1992, à 19h49, le docteur Adjelko L. dépose par modem, un
message dans la conférence électronique d’Euro-Health, sur le BBS Parisian Médical :
victime de l’explosion d’une grenade à quelques pas de son automobile, sa femme
Dubravka, elle-même médecin, est hospitalisée à Zagreb ; elle a besoin d’aide et de
médicaments ; Andjelko L qui maîtrise mal l’anglais médical, délivre un diagnostic en latin.
Quelque part en Angleterre, le même jour, à 20h46. Le docteur David McK, découvre le
message d’Andjelko via le réseau UK Healthlink. Il répond qu’il enverra dès que possible ce
dont Dubravka a besoin ..."

En fait notre appartenance au groupe se signe de la manière suivante : nous sommes


capables de décrypter le langage avec toutes les nuances et les non-dits dont il est porteur.

C’est ainsi que nous devenons " membre " à savoir que nous partageons par une même
indexicalité, le sens commun du groupe. Ce partage du langage commun favorise donc le
sentiment d’appartenance au groupe.

Mais cela n’empêche nullement chaque personne d’être " membre " d’une ou plusieurs
communautés. L’individu peut par exemple être membre d’une communauté
d’informaticiens, mais aussi être membre d’une communauté de Cibistes.
Dans ces différents milieux, il utilisera le langage commun du groupe, conformément aux
règles tacites définies par la communauté et cela sans mélanger ses différentes
appartenances.

Dans chaque groupe, " le membre " devra se munir du savoir de sens commun qui lui
permettra d’adapter son attitude, son vocabulaire, à l’ensemble des membres de sa
communauté. Lorsqu’il changera de " tribu ", il devra changer son attitude, son vocabulaire
afin de s’intégrer de nouveau. L’individu n’est cependant pas enfermé dans l’appartenance à
une seule communauté qui régirait entièrement sa vie. Cette notion de membre est
beaucoup plus complexe et plus souple. Je suis membre de plusieurs communautés selon
mes activités professionnelles ou extra-professionnelles.

Mieux je peux me créer un monde dans lequel, je suis seul à pouvoir déchiffrer les codes de
conduite, alors je deviens l’unique individu capable de m’adapter à ce monde, je reste "
membre ". Au titre de personne particulière (Cf Citation d’H. Garfinkel), je reste un objet
d’étude pour les ethno méthodologues.

Un membre est donc une personne " dotée d’un ensemble de procédures, de savoir-faire qui
la rendent capable d’inventer des dispositifs d’adaptation pour donner sens au monde qui
l’entoure ".

Comme je l’ai expliqué dans la notion d’indexicalité, il est très difficile de mettre à jour la
connaissance des règles de l’ordre de social. Lorsque nous devenons membre d’une micro-
ethnie et que nous partageons le même sens commun, la situation est telle qu’elle devient
naturelle et nous ne la percevons plus, et c’est seulement lorsqu’il y a une sorte de cassure
que nous la percevons de nouveau.

Ces conduites " anormales ou déviantes " sont appelées " Breaching " par Garfinkel.

Pour illustrer ces comportements anormaux, Garfinkel demandait à ses étudiants de se


comporter comme des étrangers lorsqu’ils rentraient chez eux. Devant ce comportement
étrange, les membres de la famille s’interrogeaient sur sa façon d’être, et lui demandait
pourquoi il se comportait différemment. Ces petits incidents permettent de prouver que les
membres de chaque famille fonctionnent habituellement selon des règles tacites qui
régissent leur organisation sociale, que chacun d’eux les connaît et attend de l’autre la
même connaissance.

2.2.5 L’indifférence ethno méthodologique :

L’indifférence ethnométhodologie est la notion qui selon moi différencie le plus


l’ethnométhodologie de la sociologie traditionnelle. En effet lorsqu’on lit les studies on
constate l’indifférence de Garfinkel à l’égard de toute élaboration de théorie et d’entreprise
critique. Il réfute la notion de raisonnement par induction de la sociologie traditionnelle.

Garfinkel et Sacks ont défini ce qu’il fallait entendre par cette indifférence ethno
méthodologique :
" Les études ethno méthodologiques sur les structures formelles sont destinées à l’étude
de phénomènes tels que leurs descriptions par des membres quels qu’ils soient, en
s’abstenant de tout jugement sur leur pertinence, leur valeur, leur importance, leur
nécessité, leur " praticalité «, leur succès, ou leur conséquence. Nous appelons cette
procédure " indifférence ethno méthodologique ".

A première vue, le principe même de l’indifférence ethno méthodologique semble être en


parfaite contradiction avec les méthodes épistémologiques de l’ethnométhodologie qui
impliquent pour l’observateur la nécessité d’être membre du groupe, mais aussi d’être aussi
participant qu’on puisse l’être. Capable d’être réceptif à toutes les interprétations, les non-
dits, les sensations du groupe.

On peut donc s’interroger sur la possibilité d’une telle indifférence. En fait, il faut se montrer
aussi participant que possible donc ne pas être indifférent à la vie de cette communauté,
néanmoins, il est impératif de rester impartial dans la retranscription de cette observation,
afin de ne pas y adjoindre de jugements de valeur qui la fausseraient. L’indifférence
ethnométhodologie est donc un " break " momentané de ses propres accounts, " une
suspension de jugement ".

Cette notion d’indifférence peut être exprimée de la manière suivante. Elle est une sorte de
" Voyage Astral " de l’ethno méthodologue.

En dissociant son personnage de journaliste de terrain de celui de membre actif de la


communauté étudiée. " Il observe, mais parallèlement il se voit dans cette communauté ",
lui permettant ainsi de s’impliquer totalement dans son rôle de membre mais aussi dans
celle d’ethno méthodologue.

" Pour évaluer par exemple la réalité de sa qualité de membre, il devra réfléchir
froidement au volume effectif de communication qu’il a pu avoir avec le groupe étudié,
sans se laisser entraîner par des illusions et des désirs " Y. Lecerf.

Cette notion d’indifférence doit être celle adoptée par un ethnologue lorsqu’il étudie un
groupe.

Il ne doit se soucier que de son observation, sans avoir à porter le moindre jugement sur ce
qu’il observe. Il devra rester impartial et éviter toute affirmation hasardeuse, j’entends par
hasardeuse toute affirmation dont il n’est pas certain. Affirmation hasardeuse qui n’est autre
qu’un mode de raisonnement par induction.

Cette façon d’opérer, Garfinkel, l’utilise dans son étude sur le cas Agnès.

Agnès est un transsexuel américain qui veut se faire opérer, dans cette étude Garfinkel ne
cherche pas à savoir pourquoi elle désire être une femme, pas plus qu’il ne démontre qu’elle
y est parvenue. Les seules constatations qu’il observe sont les comportements d’Agnès, ses
attitudes vis à vis des autres et le fait qu’elle est unanimement reconnue comme une femme
par son entourage, son ami, la famille de son ami. Dans son observation Garfinkel refuse de
prendre position, il se cantonne à montrer Agnès comme elle apparaît aux yeux des autres. Il
ne fait qu’une description d’elle, il se contente de décrire les " Accounts " d’Agnès.
" Une jolie femme, avec de mensurations impressionnantes, une peau féminine,
complètement imberbe, un maquillage discret, une taille fine, des pieds un peu trop
grands, une voix douce, féminine, mais grave «. H. Garfinkel.

Lorsqu’il la décrit, Garfinkel semble prendre du recul en évitant de prendre position.

Toutefois, il est possible que l’observateur désire prendre position dans son étude et porter
des jugements de valeurs, mais il devra mentionner dans son observation son implication et
ses prises de position en tant que membre du groupe qu’il observe.

" Tout cela est en effet tout de même permis à condition de s’assortir d’une ‘ mise entre
guillemets’ "Y. Lecerf.

Cette posture d’indifférence ethno méthodologique, je me dois de l’employer en tant que


SysOp de mon serveur. Parfois il m’arrive de voir des querelles éclater entre certains
membres de mon serveur, ou des messages véhiculant une agressivité parfois sous-jacente
circulent dans certaines conférences, bien qu’il me serait facile de censurer en effaçant les
messages ou simplement de pondérer ces tensions.

Je reste stoïque, à ce moment précis, je pose en quelque sorte ma casquette de SysOp, pour
rentrer dans celle d’un observateur, qui ne porte aucun jugement de valeur sur le contenu
des messages. Casquette d’observateur d’autant plus facile à porter que l’utilisateur ne sait
pas qu’il est observé.

2.2.6 The Accountability (Intelligibilité, Rentabilité) :

Garfinkel a choisi ce terme car il était selon ses dires celui qui se rapprochait le plus de
cette façon particulière qu’a un membre d’examiner, de scruter, fouiller, de voir, mais aussi
de « voir-rapporter », n’ayant pas trouvé de mot pour traduire en langue anglaise ce terme,
il a utilisé « Accountability ».

Ce terme Anglais est très difficile à traduire en français sans faire appel à ces deux notions
d’intelligibilité et de racontabilité. « Racontabilité » d’une part car « l’accountabilily »
renvoie à la possibilité de décrire ce qui l’entoure, à décrire le réel. « Intelligibilité » d’autre
part car ce terme renvoie aussi à la possibilité de rapporter ce qui nous entoure, car un
compte rendu est organisé, raisonné et met en œuvre sa compétence unique et les
pratiques de sens commun de son auteur, A ce titre l’accountability est aussi réflexive.

L’accountability correspondrait en quelque sorte à la faculté que l’on a de décrire ce qui


nous entoure, de façon raisonnée, en lui donnant du sens.

« Quand je parle du caractère « accountable » des choses, je parle de la disponibilité pour


un membre de toute organisation courante d’un ensemble de pratiques localisées. » H.
Garfinkel

Louis Queré dans Arguments Ethno méthodologique souligne deux caractéristiques


essentiels de l’accountability : « Elle est réflexive et elle est rationnelle » Dire qu’elle est
réflexive c’est souligner que l’accountability d’une activité et de ses circonstances est un
élément constitutif de ses activités , dire qu’elle est rationnelle, c’est souligné qu’elle est
produite méthodiquement en situation , et que les activités sont intelligibles, peuvent être
décrites , et évaluées sous l’aspect de leur rationalité.

Pour expliquer cet axiome, j’emprunterai à Garfinkel un exemple d’accountability celui du


cas Agnès qui occupe tout le cinquième chapitre des Studies.

Comme nous l’avons déjà précisé dans l’axiome précédent, Garfinkel ne cherche pas à savoir
pourquoi Agnès veut être une femme, non plus qu’il cherche à démontrer
physiologiquement qu’elle y soit parvenue. Les seuls éléments qui pour lui sont importants,
sont ses comportements, son attitude vis à vis des autres, et le fait qu’elle est unanimement
reconnue comme une femme par son ami et la famille de celui-ci. Garfinkel refuse dans son
étude de s’interroger sur les mobiles qui font qu’elle désire se faire opérer, il se contente de
décrire le plus fidèlement possible les mécanismes, les processus par lesquels elle acquiert le
statut de femme vis à vis des autres. Ce qui l’intéresse ce sont ces « accounts ».

Garfinkel montre qu’Agnès doit continuellement exhiber, dans toutes les activités de vie
quotidienne, les caractères culturels qui font qu’Agnès semble être une femme. Elle doit
continuellement contrôler ses attitudes, quand elle va à la plage, quand elle mange, sort ou
lorsqu’elle dissimule son anatomie à l’amie avec qui elle partage son appartement.
L’accountability d’Agnès c’est cette « exhibition » de sa personnalité de femme dans les
activités de tous les jours. Cette attitude qui d’habitude est innée chez une femme, est
acquise et contrôlée dans le cas d’Agnès. Ce que cherche à montrer Garfinkel, c’est la mise
en scène de sa féminité et non le pourquoi de celle-ci.

Les réunions que nous avons entre SysOps de BBS sont un exemple assez parlant de ce
phénomène. Chaque réunion que nous avons après le partage des coûts des conférences
tous les deux mois donne lieu à un compte rendu de l’activité de nos serveurs. Ce règlement
repose sur des règles tacites de fonctionnement du Net.

Cet account reflète très précisément les pratiques d’un groupe de SysOps, leur méthode de
réflexion et d’évaluation. Mais le compte rendu de la réunion qui se passe toujours par
conférence et quelquefois de « visu » est une référence que les « Area Coordinateur » et les
SysOps utilisent en cas de difficulté, un document qui permet de construire de nouveaux
raisonnements basés sur ce qui s’est déjà produit.

Ces conseils de SysOps, véhiculés par certaines conférences réservés exclusivement aux
possesseurs de BBS permettent de réaffirmer en permanence les règles qui régissent notre
petite communauté, Ces conférences sont à la fois le lieu où les règles se constituent et celui
où elles se défont. Une fois établies, elles sont publiées et envoyées à chaque SysOps de
serveur. Nous l’appelons la POLICY.

Les décisions que nous prenons lors de ces réunions apparaissent bien comme raisonnées,
motivés par des raisonnements justes, et de sens commun et à travers ces raisonnements, le
« Net » trouve sa crédibilité vis à vis des autres membres.
« Les accounts ne sont pas seulement la description d’un ordre social, mais une partie
constitutive de cet ordre »
2.2.7 Le raisonnement de sens commun :

Plus communément appelé « le bon sens » est « ce qu’il est raisonnable de faire », « ce que
tout le monde sait », « ce qui est évident » ou « ce qui se fait », il s’observe et on le met en
œuvre, Garfinkel utilise la notion « d’Everyday life ».

« D’une certaine manière, le bon sens des investigations de chacun était ...observable et
reconnaissable. Il était disponible, d’une manière ou d’une autre pour cette manière
particulière de regarder que les membres mettent en œuvre, cette manière particulière de
chercher, de pressentir, de voir, et pas seulement de voir, mais de voir et relater. Il était
disponible pour une observation et un compte rendu. » H. Garfinkel

Très souvent employé dans notre vie pour résoudre des problèmes quotidiens comme
choisir un vêtement, fixer un itinéraire etc. ... le raisonnement de sens commun est
habituellement défini par opposition au raisonnement scientifique, qui est tenu pour être
plus rigoureux et infiniment supérieur dans la véracité de ses résultats ; Etant donné que
celui-ci repose sur des principes démontrés et vérifiés excluant toute approximation et
principes non démontrés. Le sens commun, quant à lui renvoie, à une connaissance
beaucoup plus intuitive de notre organisation sociale, il renvoie à l’ensemble des allants de
soi qui guident notre conduite.

Mais faits étrange : Les sciences et en particulier les sciences sociales qui reposent sur le
langage naturel ne peuvent gommer l’indexicalité inhérente de celui-ci.

Or le principe même de l’indexicalité est qu’il rattache tout discours scientifique à son
contexte. Par conséquent les raisonnements scientifiques ne peuvent exister dans un espace
neutre et se défaire de leurs allants de soi.
En cela nous pouvons dire que l’impartialité affichée est entachée par des raisonnements de
sens commun qui « viennent de façon sournoise, couramment s’insérer au cœur même des
raisonnements scientifiques comme composante essentielle » Y. Lecerf

Bien que les scientifiques de tous bords revendiquent haut et fort l’objectivité de leurs
propos et l’impartialité de leurs points de vue, nous ne pouvons que constater que toute
science ou tout raisonnement scientifique possède sa part de subjectivité.

Je vais donc essayer de donner un exemple courant de l’introduction dans les raisonnements
scientifiques de procédures de sens commun.

Très souvent lorsque les scientifiques décident d’étudier une population importante, ils
partent du principe qu’il suffit de compiler les études de plusieurs micro-ethnies pour avoir
la connaissance globale de la région ou du pays. Comme s’il suffisait pour avoir cette
connaissance d’accumuler des multitudes de micro-savoirs, sans se préoccuper du contexte
dans lequel ces individus évoluent. Pourtant nul ne s’interroge sur la validité de cette
démarche scientifique qui consiste à accumuler des parties pour obtenir un tout.

Les sondages politiques sont basés sur ce même principe. Il est communément admis par les
scientifiques et « les autres » que cette méthode est « valable » et personne ne songe à la
mettre en doute. Pas même les politiciens sauf peut-être lorsqu’ils sont donnés perdants.
Ce constat que le sens commun influence s’immisce dans les raisonnement dits scientifiques
devrait nous amener à réfléchir à cette valeur que nous accordons à la science mais aussi sur
la supériorité affichée des raisonnements scientifiques sur le sens commun.
L’Ethnométhodologie s’insurge sur la prédominance du raisonnement scientifique face au
raisonnement de sens commun. Mais le but de l’ethnométhodologie n’est pas d’assimiler la
connaissance pratique à la connaissance scientifique ni même de les opposer, mais de voir
commun l’individu les utilises en interaction l’une avec l’autre.

2.2.8 Breaching ; Traduction de Cassure, Rupture :

Cette notion de cassure, de rupture dont nous avons déjà parlé à propos de l’indexicalité et
de la notion de membre, est une attitude que l’on doit adopter pour mettre à jour les
pratiques de sens commun des membres d’un groupe.

C’est une " Technique de perturbation délibérée du réel quotidien pour essayer de "
comprendre " comment les structures des activités quotidiennes sont normalement et
routinièrement produites et maintenues. " G. Lapassade

Chose qu’il serait impossible d’observer sans cette pratique, étant donné que ces règles sont
implicites pour le groupe, et qu’elles n’ont nul besoin d’être exhibées et c’est seulement
lorsqu’il a rupture de ces règles qu’elles redeviennent évidentes.

Cette pratique que l’on pourrait qualifier de provocatrice, semble être la seule à pouvoir
provoquer une réaction des membres qui se sentent en quelque sorte bousculés, ce qui
provoque en eux une réaction visant à rétablir " l’ordre social ".

Lorsqu’un des membres rompt cet ordre, le groupe se charge aussitôt de le rappeler à
l’ordre ou si nécessaire de lui exhiber la règle. C’est à cet instant précis que l’ordre social
devient visible et observable, que les lois tacites qui régissent le groupe sont formulées.

Depuis quelques temps déjà, nous voyons apparaître sur les BBS, un certain nombre
d’individus venant d’une autre " tribu «, " les minitellistes ". Ces personnes qui ne
connaissent pas les règles tacites qui régissent les BBS, amènent donc leur propre culture, ce
qui ne fait pas l’unanimité pour les SysOps de serveur BBS.

Les " minitellistes " utilisent un langage très différent des " Bbsings " qui se présentent en
quelque sorte comme un " Argot de réseau " où les mots sont changés, caricaturés, tronqués
pour être réduits à leur plus petite taille. La taille des mots étant plus petite et donc plus
rapide à taper sur le clavier, les coûts de communication s’en trouve automatiquement
réduit. Phénomène inconnu sur les BBS car les messages sont tapés Off-Line c’est à dire non
connecté ... Les nouveaux connectés amènent donc leur propre culture mais sont
automatiquement classés comme personnes indésirables sur les BBS car ils ne partagent pas
le même langage commun.
2.3 La structuration
Cette théorie a été développée par Anthony Guiddens, professeur de sociologie anglais, dans
son ouvrage classique : La constitution de la société (1984).

Il faut prendre en considération à la fois l’individu et les structures dans lesquelles il évolue.
Ces structures sociales (les organisations par exemple) permettent aux acteurs d’agir et sont
à la fois des contraintes qu’il faut dépasser.

Les acteurs mènent des stratégies qui ont un sens dans un contexte donné ; et qui vont
entraîner des conséquences non-intentionnelles.

Giddens montre donc qu’il faut aller au-delà des actions simples pour comprendre toutes les
situations sociales dans leur ensemble : comme tout n’est pas intentionnel et rationnel dans
l’action humaine, il faut identifier les structures où se déroulent les actions collectives ainsi
que les actions individuelles.

2.3.1 Les mécanismes de coordination


Comment on se coordonne, cinq mécanismes :

 L’ajustement mutuel, coordination informelle, instantanée (auto organisation, niveau


zéro de l'organisation).

 Supervision directe, une personne responsable du travail des autres, elle donne des
ordres directs. Structure simple.

 Standardisation des procédés, définition de normes préalables, des méthodes de travail,


codification des tâches.

 Standardisation des qualifications, codification des qualifications par rapport au poste.

 Standardisation des résultats, maître des règles sur les performances ou les résultats à
atteindre.

Ces cinq mécanismes existent dans toute organisation. La coordination s'adapte au contexte
et aux facteurs de contingences.

2.3.2 Les parties clés de l'organisation


1 - sommet stratégique

2 - centre opérationnel

3 - lignes hiérarchiques

4 – technostructures (activités qui supervisent les autres activités)


5 - fonctions logistiques (activités marginales n'ont tourné vers les activités de production,
restaurants…)

2.3.3 Les autres facteurs


 Les paramètres de concertation, comment est conçu organisation.

 Les facteurs de contingences, facteurs liés à l'histoire ou la technique utilisée.

Tous ces facteurs vont se combiner pour définir des idéals types. Des formes abstraites
d'organisation. Cinq formes classiques plus deux.

2.3.4 Les configurations structurelles


Sept configurations structurelles qui vont servir à un analyser les cas concrets.

Mécanismes de
Configurations Particulier de Type de
coordination
structurelles l'organisation décentralisation
principale
Centralisation
Structure simple Supervision directe Sommet stratégique horizontale et
verticale
Bureaucratie mécaniste
Décentralisation
ou industrielle Standardisation des
Technostructures horizontale et
(organisation procédés de travail
verticale limitée
Taylorienne)
Décentralisation
Bureaucratie Standardisation des
Centre opérationnel horizontale et
professionnelle qualifications
verticale
Standardisation des Décentralisation
Formes divisionnalisées Lignes hiérarchiques
produits verticale limitée
Fonctions de support Décentralisation
Adhocratie Ajustement mutuel
logistique sélective
Missionnaire ** ** **
Politique ** ** **

La structuration est une bonne méthode d’analyse pas un guide d’action.

2.4 Les logiques d’actions


Elles découlent des analyses de Philippe Bernoux, sociologue des organisations français dans
son ouvrage de 1995, Sociologie des entreprises.

Bernoux cherche les facteurs explicatifs des différents comportements des organisations : il
faut trouver ce qui donne un sens à l’action collective (les logiques d’action). Il constate que
les conventions, les identités, les normes et les comportements adoptés dans les
organisations résultent de la manière dont chaque membre interprète son rôle et voit sa
place.

Ce statut dépend de l’évolution passée et des perspectives d’évolution possible dans le


contexte donné. Cette notion de mémoire est essentielle pour Bernoux : l’expérience va
faciliter ou au contraire compliquer les situations sociales ; avant de prendre en
considération la situation actuelle et ses potentialités.

Les logiques d’action forment la synthèse de la pensée sociologique française : Bernoux s’est
d’abord fait connaître comme vulgarisateur de la sociologie des organisations avant de
présenter sa propre théorie. Il est passé des logiques d’action à l’analyse du changement,
Bernoux (2010).

Les différences de représentations entre acteurs au sein des organisations vont influencer
leur manière de concevoir les contraintes sociales et les solutions aux problèmes rencontrés.
Les acteurs se situent face à une situation en fonction de l’action envisagée, des jeux de
pouvoir et du passé. Tous ces éléments vont modeler les représentations des acteurs.

Une organisation devient alors le lieu où se formeront les représentations.

2.4.1 L'action et ses justifications


Différentes logiques d'action : différents registres de justifications qui s'imbriquent ou
différents mondes qui se rencontrent, différentes cités.

Six cités où Six mondes (six sphères où six logiques d'action).

 Le monde civique :

Intérêt général, équité, liberté, solidarité, démocratie.

 Le monde domestique :

Respect de la place dans un réseau de relations, ordonnés selon l'âge, le statut, la tradition.

 Le monde industriel :

Principe d'efficacité, volonté de résultats, excellence technique, système fonctionnel,


(efficace).

 Le monde inspiré :

Expression du moi profond de chacun, dans l'interaction, inspiration.

 Le monde de l'opinion :

Célébrité, regard et reconnaissance par l'autre, notoriété, médiatisation.


 Le monde marchand :

Échange de biens et de services dans un but de profit, d'enrichissement mutuel.

Y aurait-il d'autres mondes qui auraient été oubliés ?

 Le monde par projet :

L'activité, les projets, les tensions du réseau (Luc Boltanski et Eve Chiapello – 1999).

Alors, Comment se construisent des compromis ?

2.4.1.1 La discorde dans un même monde

Un conflit peut apparaître au sein d'une même cité. Il faut trouver un mode de résolution
adaptée à la logique action (la cité). Réactiver les principes communs pour trouver une
justification commune.

2.4.1.2 La juxtaposition entre deux mondes, sans conflit

Deux logiques cohabitent sans complet. Une reprise travaille dans un mode familial (monde
domestique). Si l'entreprise fait appel à un service commercial aiglefin monde marchand, la
cohabitation marche signe pas de remise en cause. Équilibre fragile.

2.4.1.3 La controverse entre deux mondes

 La clarification dans un monde, quand il y a cohabitation entre différentes logiques, une


logique peut être dominante. Si elle fait preuve de sa supériorité, c'est cette logique qui sera
adoptée.

 L'arrangement local, chacun reste dans son monde mais trouve un espace d'échanges (de
transactions). Tolérance réciproque (logique civique du syndicaliste et logique industrielle du
patron).

 Le compromis « frayé », forme d'accord la plus durable. Deux logiques d'action sont
associées. Compromis lorsque des individus ont reconnu dans chacun des deux mondes. Le
débat : quelle est la logique d’action qui est légitime ?
Conclusion :

En guise de conclusion, on peut dire que la sociologie des organisations renvoie à une
réflexion sur l’action collective. Càd une action concertée, convergente menée par une
pluralité d’acteurs en vue d’atteindre un certain objectif. Il s’agit, d’appréhender les
mécanismes de coopération sur lesquels repose cette action collective. On s’intéresse à
l’organisation sociale au sens large, société est organisée avec des règles et des principes.

De même, et à la suite des différents développements des auteurs, il est difficile de ne


pas ressentir un malaise devant la diversité méthodologique des différentes approches et le
caractère hétéroclite des conclusions établies. Certaines théories apparaissent purement
normatives, d'autres ont une vocation sociologique beaucoup plus affirmée. Les organisations
sont considérées soit comme des agrégats d'individus aux objectifs conflictuels, soit comme
des entités ayant leurs propres buts.

D’ailleurs, même si nous avons nos propres préférences, on préfère rester neutre et
ne pas trancher entre ces différentes approches, nous réfugiant dans un pluralisme
méthodologique de façade, en considérant que chaque théorie peut contribuer de façon
productive à une meilleure compréhension du comportement et du fonctionnement des
organisations.

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