Psychanalyse
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Psychanalyse
N° 19
Décembre 2018
Sommaire N° 19 – Décembre 2018
Argument ............................................................................................... 5
Le séminaire théorique
Aragon ou Le vivre double, Ph. De Georges ..................................... 9
Une clinique du sujet, incomparable, F. Rollier .............................. 23
L’invention de la psychose « ordinaire » et ses conséquences, F.
Bony....................................................................................................... 41
Aragon le vertige (entre symptôme et sinthome), Ph. De
Georges................................................................................................. 59
Transfert et « Présence de l’analyste » à la lumière d’un cas
clinique, Ch. Bonneau ......................................................................... 71
En ateliers
Commentaire de la « Note sur l’enfant », Ph. Lienhard ................. 83
À propos de « L’enfant et le savoir », E.-S. Hayat.......................... 89
Notes de lecture du texte de Jacques-Alain Miller : « Enfants
violents », Ch. Foulley ......................................................................... 95
« S’orienter du fonctionnement de l’autisme », N. Delzors .......... 99
« De la surprise à l’énigme », S. Haug ........................................... 109
Présentation du texte de J.-A. Miller : « Effet retour sur la
psychose ordinaire », Ph. Giovanelli .............................................. 115
« Effet retour sur la psychose ordinaire », P. Joly Saporta ......... 121
Conférences
Le parlêtre adore son corps, M. Serra Frediani ............................ 197
L’inconscient est ce qui se lit, E. Solano-Suarez ......................... 219
Argument
Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? C’est quoi, notre clinique,
aujourd’hui ? Comment vit-on l’analyse ?
Aujourd’hui, les concepts fondamentaux de la psychanalyse ne
cessent d’évoluer, de s’enrichir et de se transformer, du fait de
l’expérience cumulée comme du fait des changements profonds du
monde. Comment pensons-nous aujourd’hui notre pratique, comment
l’orientons-nous et la vivons-nous, après Freud et Lacan ?
L’analyse est une expérience. Chaque cure est sans pareil. Le savoir
qui s’y révèle procède de la venue au jour de ce qui constitue
l’inconscient d’un sujet unique en son existence. Il est question de
choses vues, entendues, perçues par un individu qui parle, de ce qui
lui a été transmis, de ce qui l’a marqué au cours de son histoire, faits,
signifiants, traumatismes comme bonnes rencontres…
Cette vie, dont les associations libres permettent d’élaborer les lignes
de destinée, recèle ce qui lui est le plus intime, qui se mêle
inextricablement avec ce qui, de l’Autre, a fait trace et s’est inscrit
dans son esprit et dans sa chair. Du flot de paroles dites, quelques
formules peuvent s’extraire, qui constituent ce que l’analysant a de
plus singulier, qui lui est le plus propre, mais qui lui apparaît en même
temps comme le plus étrange et le plus étranger.
Cette expérience est possible depuis que Freud en a ouvert la voie.
Cela fait plus de cent ans, donc, que des personnes en font
l’épreuve. Comme Freud nous y a invités, chaque analyste se
dépouille autant que faire se peut de tout savoir préalable, afin
d’aborder chaque cure comme si elle était la première, sans
antécédent, sans point de comparaison et sans préjugé. L’accueil de
chaque discours analysant suppose cette fraîcheur naissante qui
seule permet la surprise et la découverte à partir de la contingence et
de l’indéterminé. Le savoir dans une analyse n’est pas préalable : il
est à advenir. Sa source est ce que le sujet dit de lui-même et qui se
met au jour pas à pas, mot à mot, comme s’il ignorait ce qu’il sait : le
savoir supposé de son inconscient.
Les cas se sont multipliés de par le monde et les concepts qui
permettent à l’analyste de s’offrir comme instrument du travail
5
Argument
6
Le séminaire théorique
Philippe De Georges
Aragon
ou Le vivre double
« Il n’est plus terrible loi qu’à vivre double »1.
Le cas : Nous avons développé une pratique des cas qui a pour
discipline de mettre en évidence la singularité absolue de chacun. Cela nous
éloigne de l’accent mis autrefois sur le diagnostic et l’effort classificatoire.
Freud a toujours montré son attention extrême à ce qui rend une personne,
analysante ou non, incomparable à toute autre. Lacan l’a suivi en ce sens.
Faire de chacun un(e) sans-pareil est une éthique. Elle conduit à essayer
d’élever le cas au paradigme. C’est dans cette veine que Freud construit sa
théorie de la paranoïa (une classe diagnostique) à partir de ce que nous
enseigne le témoignage d’un sujet hors-pair, le Président Schreber. Et Lacan
fait de même (c’est à dire différemment) avec James Joyce, de qui (de sa vie
et de son œuvre mises en tension) il tire le concept de sinthome.
La logique de Lacan avec Joyce, à l’époque d’une clinique des nœuds, est
de montrer comment un sujet extra-ordinaire peut produire une solution, qui
lui est propre et ne vaut que pour lui-même, pour pallier le défaut de sa
structure. Comment tenir quand-même…
1 Aragon L., Œuvres poétiques complètes, La Pléiade, Gallimard, Tome II, p. 147.
9
Philippe De Georges
jusqu’à la psychose. S’il peut y aller, c’est qu’il peut aussi ne pas aller
jusque-là. Autrement dit, il peut y avoir rejet sans psychose. Le passage
de Télévision est le suivant : « Ce qui s’ensuit pour peu que cette lâcheté,
d’être rejet de l’inconscient, aille à la psychose…/…c’est le retour dans le
réel de ce qui est rejeté du langage ». Cette phrase est bien connue et je l’ai
déjà méditée pour ce qu’elle éclaire de la clinique de la dépression. Lacan
traite celle-ci, en tant qu’affect de « tristesse », sous l’angle éthique comme :
« lâcheté morale ». La jouissance de la tristesse est en effet corrélative du
fait de ne pas s’intéresser à ce qui s’agite alors dans l’inconscient du sujet et
qui concerne son désir, sur lequel il cède. Mais il y a « dépression » et
« dépression » ; Freud a voulu distinguer la mélancolie comme versant
psychotique de celle-ci. C’est alors que le « rejet de l’inconscient » va à la
psychose et que ce qui n’est pas symbolisé fait retour dans le réel.
Mais ces phrases de Lacan sont ciselées et elles tressent en une seule
formule plusieurs idées qui se trouvent compactées. "Comprendre" suppose
de délinéer le texte, de séparer les différents fils et de les suivre séparément,
puis ensemble. Ainsi peut-on, comme le fait Éric Laurent, détacher ce brin
qui dit, sans que l’accent soit mis dessus, que le rejet va ou non jusqu’à la
psychose.
Or c’est, en 1973, une formulation qui nous éloigne beaucoup du binaire mis
en place dans le Séminaire III : Bejahung (consentement, affirmation) →
névrose / Verwerfung (rejet, traduit par Lacan : forclusion) → psychose. Le
choix du mot forclusion supposait explicitement pour Lacan, à l’époque, une
non-inscription radicale, définitive et irréversible au champ du symbolique.
Revenir à la signification usuelle du mot Verwerfung comme rejet, et dire
« pour peu…/…aille » est un changement profond de perspective qui relève
de la logique continuiste !
Cela ouvre à la possibilité que des sujets s’appuient sur d’autres signifiants
(pluralisation des noms du père), assurent la signification phallique
autrement que sur P, et nouent les trois registres de façon inédite et non-
standard. Est-ce du coup « ordinaire » ou, au contraire, sur des modes qui
relèvent de l’exception assumée ?
12
Aragon ou le vivre double
Ma thèse : est que le cas d’Aragon relève en effet d’un rejet du Nom du
père, qui ne mène pas à la psychose, parce que le sujet construit et bricole
un certain nombre de semblants qui lui permettent de tenir.
2 Aragon L., Je n’ai jamais appris à écrire ou Les incipit, collection « Les sentiers de la
création », Skyra éditeur.
3 Aragon, L., Lettres à André Breton (1918-1931), Gallimard 2011.
14
Aragon ou le vivre double
tension rivale et à la jalousie. Les objets de l’autre (ses femmes entre autres)
sont convoités, mais l’affrontement menace toujours dans lequel l’autre peut
vouloir votre mort ou vouloir qu’on le tue ; à moins que les objets en tiers
s’évanouissent et qu’il n’y ait qu’à « conclure » ; « Il faut en finir », « une
ceinture se défit ». Dans le miroir, l’image de l’autre peut se dissoudre, et
soi-même, lorsqu’en toute logique on ne finit que par y rencontrer la mort :
« Ravages dans la pose classique de la mort qui vient de faire tomber son
suaire. Ô mon image d’os, me voici ».
L’amitié amoureuse envers Breton (« Mon ami et mon horizon ») déroute
ce dernier, qui plus que tout abhorre l’homosexualité : « Je t’aime tant que tu
ne sais pas à quoi tu t’engages ». « Je ne suis pas cet être sans sexe qu’un
autre rêvait ». Les tiers sont une menace et un objet de jalousie féroce : « Je
suis jaloux même des morts » ; « Je voudrais te battre comme l’ont fait les
femmes rebelles ». L’aimant est prêt au sacrifice de soi et l’aimé a tous les
droits, même de vie et de mort : « Je sais bien que tu peux me tuer. Je
voudrais que cela te fût encore plus aisé ». Cette touche masochiste se
trouve aussi engagée dans les relations amoureuses féminines. Breton,
comme Drieu, y voient l’identification féminine d’Aragon, ce que Drieu
appellera méprisamment « cette chose femelle ».
Cette période aboutit à deux passages à l’acte dramatiques. D’abord
Aragon détruit le volumineux manuscrit d’un livre auquel il tient par-dessus
tout : Défense de l’infini. Il le brûle à Madrid, et seule une partie (publiée
longtemps après) est sauvée des flammes par Nancy Cunard. Puis il tente
de mettre fin à ses jours à Venise.
Les choses sont lucidement énoncées : « Je suis le suicide vivant ». « Le
long désir de désirer m’accable » (notons la consonance avec ce qu’Eluard
appellera plus tard « Le dur désir de durer »). Mais alors, comment vivre ?
Deux voies se dessinent, qui apparaissent comme des horizons, des au-delà
du duel et de la solitude : l’engagement politique et l’amour. Les deux sont
des moyens de donner consistance à l’Autre et de rompre par une médiation
tierce ce qui est une solitude désespérante et mortelle : « Croire à l’existence
d’une femme / Il n’y a pas que moi au monde ». À l’engagement - après les
agitations nihilistes et anarchisantes qui colorent de radicalité un fond de
dandysme bourgeois et de mépris du prochain : « J’aime infiniment mieux le
jeu que les gens » -, Aragon est poussé par Breton qui veut s’ériger en
16
Aragon ou le vivre double
comme de faux prophètes / Qui prirent l’horizon pour une immense fête /
Sans voir les clous perçant les paumes du messie »…
De l’autre côté, Aragon voit dans l’Autre féminin la possibilité d’une sorte
de rédemption et de renaissance. L’élue (ou celle dont on est l’élu ?) a
nécessairement une nature exceptionnelle, à l’égal de soi-même. Les
grandes figures de l’amour sont présentes, sur fond de légendes et de
fables. Car ce qu’on écrit avec sa vie a la force du mythe : « Je me mis à
concevoir une mythologie moderne ». Beaucoup ont interrogé, voire douté,
de la sincérité et de la réalité de ce couple ou de l’intensité de cet amour.
Drieu - qui a beaucoup plus à se faire pardonner alors, ou qui se sait
impardonnable -, écrira encore en 40 qu’il pardonne tout à Aragon parce que
c’est un amoureux. Tristan et Iseult, comme toute la légende celtique,
rejoignent ici les personnages de l’amour courtois, et Laure et Béatrice sont
convoquées par « Les yeux d’Elsa », comme Dante et Pétrarque auprès de
leur frère en poésie. Le beau roman à l’eau de rose, les effusions lyriques et
l’amour éperdu, ne dissimulent cependant jamais que « l’amour est à
douleur », qu’on aime « à perdre la raison », que « la vie est un étrange et
douloureux divorce » ; soit que puisse être « heureux celui qui meurt
d’aimer », soit qu’« il n’y (ait) pas d’amour heureux ». Car : « On vit
ensemble séparés »…
Elsa et le Parti sont deux termes de la constellation mise en place par
Aragon à partir de 1927, qui dominent cet incessant travail d’invention de soi
dont l’écriture est, depuis l’âge de 5 ans, le principe et l’outil. Il ne s’agit pas
d’être un homme parmi les hommes (malgré le bavardage pseudo-
prolétarien et les lendemains qui chantent), de rejoindre ses semblables et
de faire humanité. Car les semblables sont précisément ceux par qui on est
toujours ramené au duel : « Abel et Caïn, le sabre toujours levé des guerres
de cent ans », à la solitude de soi et au maître absolu qu’est la mort.
C’est le hors-pair qui est visé, quelle que soit la facticité (dans tous les
sens du terme) de cette composition : comme Aragon l’écrira deux fois : « Je
suis un personnage hors-série ». Phrase où il faut entendre l’artificialité
que désigne le mot personnage, comme sur une scène et dans une fiction,
et le statut extra-ordinaire que définit le hors-série…
La constellation (ou la tresse) permet aussi de soutenir un nom, Aragon,
qui est sa signature, sans prénom ; ce nom, pure invention arbitraire de
19
Philippe De Georges
le prive des Lettres françaises, son journal sacrifié : « Je crois au pouvoir de
la douleur, de la blessure et du désespoir ».
Bibliographie
C’est dans Télévision, que l’on trouve la phrase de Lacan sur le rejet et la
psychose, page 39.
21
Philippe De Georges
22
Frank Rollier
2013, p. 21.
3 Freud A., Le moi et les mécanismes de défense, PUF, Paris, 2009, p. 62.
4 Lacan J., « La direction de la cure », Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 588.
23
Frank Rollier
5 Ibid., p. 585.
6 Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental N°15, pp. 9-27.
7 Cf. <Hypnose | Psychologies.com>
8 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIII, « Le Sinthome », Seuil, Paris, 2005, p. 66.
9 Lacan J., « La psychanalyse vraie, et la fausse », Autres Ecrits, Seuil, Paris, 2000,
p. 168.
24
Une clinique du sujet, incomparable
26
Une clinique du sujet, incomparable
l’idée d’un acte et s’oppose aux actions réalisées par une pratique –
cette praxis analytique est donc d’abord une clinique du sujet, ce qui
implique qu’elle ne peut se réaliser qu’au cas par cas, au un par un.
Par-delà les grandes formes symptomatiques que sont névrose,
psychose et perversion, pour prendre cette référence classique,
chacun est radicalement particulier, incomparable à tous les autres20.
Pour le dire avec Lacan, il s’agit d’abord, par l’effet du transfert, de
prendre « son analyse en première personne, c’est je qui parle et non
plus moi »21, et de laisser advenir les « formations de l’inconscient »,
cet inconscient dont nous sommes le sujet22 et qui se manifeste
précisément par des formations – lapsus, actes manqués, rêves,
mots d’esprit – qui surgissent d’un trou, d’une béance « toujours prête
à se suturer »23 puisqu’en effet le rêve s’oublie, le lapsus glisse... Et
c’est dans cet instant fugace d’ouverture qu’il y a du sujet.
Dans son Séminaire charnière sur « Les quatre concepts... », le
XIème, Lacan a opposé « l’inconscient freudien » – qui suppose un
message enfoui, endormi, qui est à déchiffrer –, et « le nôtre » (celui
que Lacan conceptualise) qui se manifeste par la survenue dans
l’analyse de quelque chose de nouveau, de « non né », sous la forme
d’une surprise, voire d’une trouvaille (c’est-à-dire ce quelque chose
qui surgit d’un trou).
20 Cf. Miller J.-A., «La signature des symptômes », La Cause du désir N°96.
21 Lacan J., Séminaire sur L’Homme aux loups (1952), notes d’un auditeur rédigées
par J.-A. Miller (inédit).
22 Cf. Lacan J., Télévision, Paris, Seuil, p. 64 : « […] tirer au clair l’inconscient dont
27 Lacan J., « Des religions et du réel », (Journée d’étude des cartels de 1975), La
Cause du désir N°90, p. 10.
28 Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, « L’envers de la psychanalyse », op.cit., p. 201.
29 Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes
1999.
31 Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, « L’envers de la psychanalyse », op. cit., p.
202.
32 Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », op.cit.
33 Lacan J., « Ouverture de la section clinique », 1977, Ornicar ? N°9.
28
Une clinique du sujet, incomparable
29
Frank Rollier
4. Une clinique aussi fondée sur l’amour, pour autant que l’amour
peut justement venir faire suppléance à ce qui fait trou chez le
parlêtre.
Il faut rappeler que l’histoire de la psychanalyse est une histoire
d’amour qui commence avec la rencontre, par Breuer, de l’amour
d’Anna O ; ce qui le fera fuir. C’est à partir de là que Freud pourra
31
Frank Rollier
32
Une clinique du sujet, incomparable
Lacan a montré que c’est une logique signifiante qui opère dans
la psychose. En posant, dans son Séminaire III sur « Les
psychoses », puis dans son article sur la « Question préliminaire à
tout traitement possible de la psychose » (dans ses Écrits), qu’au
fondement de celle-ci existe une forclusion du signifiant du Nom-du-
Père, et en construisant le mathème de la métaphore paternelle, où
père et mère sont, non pas des personnages, mais des signifiants, le
père est passé du mythe à la structure ; il est devenu une fonction,
plus ou moins performante.
Lacan franchit un pas de plus quand, à partir des années 1970, il
construit son nœud borroméen, qui noue les trois registres du réel, de
l’imaginaire et du symbolique, ce qui suppose au départ de les
considérer séparément, comme distincts 48. Ceci donne une tonalité
nouvelle à la clinique qui, dès lors, n’est plus sous la domination
exclusive du symbolique. Le statut unique du Nom-du-Père s’en
trouve remis en cause. J.-A. Miller a récemment formulé que cette
catégorie clinique formée à partir de : disposer ou non de ce signifiant
du Nom-du-Père, relevait d’une orthodoxie dont le soubassement est
théologique49.
33
Frank Rollier
Ce qui fait tenir ensemble les trois brins, ce qui assure leur
nouage, ne repose pas nécessairement sur le Nom-du-Père et sur
l’Œdipe, qui a bercé nos études de Freud. Le Nom-du-Père n’est plus
qu’une modalité de nouage parmi d’autres, même s’il est un prêt-à-
porter commode. Dans cette clinique au-delà de l’Œdipe, il y a une
pluralité possible de Noms-du-Père. Chaque sujet peut s’efforcer de
trouver sa solution, qui sera unique, sur mesure : « Les noms du père
il y en a 1 003 », a pu dire J.-A. Miller en commentant le Séminaire de
Lacan sur Joyce (« Le Sinthome ») – « pas de père standard,
étendard, mais un père singulier »50. Cette lecture reflète bien notre
époque où « le Nom-du-Père en tant que nom du Pater familias est
en train de dépérir »51 disait Miller ; ce qui vient à la place du signifiant
Nom-du-Père, c’est un chiffrage, un « nommer à » une fonction (être
nommé syndic d’une petite copropriété permet par exemple, à un
patient, de faire tenir le nouage RSI).
Ceci confirme que la clinique d’aujourd’hui ne peut être qu’une
clinique du un par un.
La rencontre d’un analyste peut être déterminante pour que, sous
transfert, le patient construise ce qui lui permettra de tenir la route :
qui une métaphore délirante, qui un symptôme, qui une œuvre qui lui
donnera un nom, fera tenir son corps, le fera exister dans le lien
social. Je pense à des personnages célèbres : J-J Rousseau, J.
Joyce, G. Chaissac – à propos duquel M. Amirault a récemment écrit
un livre52. Ainsi le sujet peut-il parvenir à réparer, desserrer ou
resserrer le nœud qui tient ensemble les trois registres, I, R et S, et
ainsi trouver une solution qui s’avèrera plus ou moins solide et
durable.
Cette représentation borroméenne transcende la distinction
névrose-psychose, une distinction que Lacan avait déjà radicalement
mise à mal lorsqu’à la faculté de Vincennes, en 1968, il avait énoncé
que « tout le monde est fou, c’est-à-dire délirant ». On ne cesse pas
de rêver, car on ne se réveille du sommeil que pour continuer à
34
Une clinique du sujet, incomparable
rêver 53; c’est là « une folie universelle » dit J.-A. Miller, une folie qui
commence avec le savoir, dès qu’un S2 s’accroche à un S1, ce qui
apparaît dès que l’on raisonne. Notons que, selon M.-H. Brousse
« tout le monde délire » sauf les autistes, parce qu’ils ne sont pas du
côté du sens.
Avec cette proposition, Lacan quitte l’orthodoxie du Nom-du-Père
pour une forme d’hérésie dans laquelle chacun choisit, choisit son
mode de folie (étymologiquement l’hérésie, c’est le choix).
J.-A. Miller, lui, parlera de « forclusion généralisée » dans laquelle
c’est un quatrième élément – le Nom-du-Père ou, à défaut, le
symptôme ou encore une métaphore délirante – qui peut faire tenir
les trois registres ensemble.
Évoquons enfin l’expression de « psychose ordinaire », inventée
par J.-A. Miller il y a presque 20 ans, pour tenter de mieux cerner les
cas rares de la clinique qui ne rentrent pas dans la classification
binaire névrose-psychose. Cette proposition nous invite à réfléchir
autrement que sur un mode binaire – oui ou non, présence ou
absence du signifiant du Nom-du-Père.
6. C’est une praxis qui ne se base pas sur des normes établies.
Elle ne repose pas sur des standards auxquels le sujet devrait se
plier, mais elle n’est pas pour autant sans orientation ni sans
principes. Elle n’est ni une magie – qui demande une mise en jeu du
corps, réellement –, ni une psychothérapie qui vise toujours à
tamponner le réel par du sens et provoque des effets d’identification.
D’une part, elle veille à ce que les débordements de jouissance
soient limités : les murs des institutions y contribuent, de même que
les paroles qui sont adressées aux patients – même s’ils ne parlent
pas (cf. Lacan qui disait que « les autistes, nous avons quelque
chose à leur dire ») – ou le maniement des séances qui sont de durée
variable et peuvent être levées selon différents modes.
D’autre part, ce qui vient à la place de la norme, c’est ce qui fait la
singularité absolue de chaque sujet, son symptôme – ou son
sinthome – et c’est ce que l’analyse vise, pour autant que ce
Par exemple :
Un enfant autiste réalise des montages étonnants avec des
ficelles, des fils électriques, ou bien il fait des trous dans les murs de
l’institution. L’intervenant commence par accompagner l’enfant dans
ce travail de bricolage, dans ces activités hors norme, tout en tentant
de le limiter à certains moments de la journée. Le collègue qui
présente le cas indique qu’apparaitront ensuite des moments de
tendresse, que des sourires commenceront à émerger. Puis l’enfant
s’intéressera à d’autres objets, en particulier à ses vêtements, puis
dans une étape suivante à son look, et plus tard encore il fréquentera
un atelier cinéma. Au fil d’un travail sur plusieurs années, la relation
devient donc plus élaborée, l’enfant supporte que ses demandes ne
soient pas toujours satisfaites (cas Kev, présenté par Fred Bourlez à
PIPOL 8).
Une jeune femme vient consulter dans les suites d’un attentat
survenu en face de chez elle à Paris. Le travail avec l’analyste ne
sera ni l’application de protocoles standards, ni l’encouragement à
36
Une clinique du sujet, incomparable
pp. 101-120.
37
Frank Rollier
57 Lacan J., « La psychanalyse, raison d’un échec », Autres Ecrits, Seuil, Paris, 2001,
p. 349.
58 Laurent E., « Nouvelles incarnations du désir de démocratie en Europe (II) »,
38
Une clinique du sujet, incomparable
40
François Bony
1 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto 94-95, Ecole de la
Cause freudienne en Belgique, 2009, p. 41.
2 Miller J.-A., « La psychose ordinaire, une catégorie épistémique », Hebdo-blog
N°109.http://www.hebdo-blog.fr/la-psychose-ordinaire-une-categorie-epistemique1/
3 Miller J.-A., La Psychose ordinaire : La convention d’Antibes, Le Paon, IRMA,
41
François Bony
42
L’invention de la psychose « ordinaire » et ses conséquences
Voilà, j’ai donc choisi la psychose ordinaire comme thème car, par
l’intermédiaire de cette catégorie épistémique, elle participe de
l’éclairage d’une zone d’ombre et permet d’affiner la clinique. C’est,
d’autre part, un thème d’actualité puisque vous savez que ce thème a
https://congresoamp2018.com/fr/textos/psicosis-ordenadas-transferencia/
17 Brousse M.-H., « La psychose ordinaire à la lumière de la théorie lacanienne du
https://congresoamp2018.com/fr/el-tema/scilicet/
20 Miller J.-A., La Psychose ordinaire : La convention d’Antibes, op.cit., p.231
44
L’invention de la psychose « ordinaire » et ses conséquences
45
François Bony
24 Ibid.
25 Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malade », Ornicar ? N°10,
p. 21.
26 Skriabine P., « La psychose ordinaire du point de vue borroméen », Quarto 94-95,
p. 18.
27 Entretien de Marie-Hélène Brousse avec Jean-Daniel Matet pour Les formes
J.-A. Miller nous dit aussi : « je réussis à avoir une clinique binaire,
une clinique ternaire, et une clinique unitaire. Tout en un ! Comme la
sainte Trinité »33. Trinité qui n’est pas encore tout à fait celle du nœud
borroméen, puisqu’elle s’appuie sur les discours, mais qui en
constitue les prémices. Nous le verrons, les signes cliniques de la
psychose ordinaire peuvent se décliner sur un mode borroméen.
28 Ibid. p. 44.
29 Maleval J.-C., « Discontinuité-Continuité », PAPERS 3
https://congresoamp2018.com/fr/papers/papers-no-3-traduit/
30 Miller J.-A., « L’invention du délire », La Cause freudienne N°70, décembre 2008,
p. 92.
31 Laurent D., « Les nouvelles normes et l’ordinaire de la psychose », PAPERS 2
https://congresoamp2018.com/fr/papers/papers-no-2-traduit/
32 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op.cit., p. 48.
33 Ibid.
47
François Bony
contre le réel »36. Ce qui veut dire aussi que choisir pour guide la
singularité de réponses sinthomatiques, ne nous dispense pas de
préciser la différence entre névrose et psychose.
Il convient de préciser avec Anna Aromi et Xavier Esqué que « les
psychoses ordinaires ne dissolvent pas le champ de la névrose mais
d’une certaine façon le résolvent, puisqu’elles dégagent la névrose de
toute prétendue équivalence avec l’idée de "normalité".
36 Miller, J.-A., « Clinique ironique », La Cause freudienne N°23, février 1993, Paris,
Navarin Seuil, p. 7.
37 Aromi A., Esqué X., « Les Psychoses Ordinaires et les Autres, sous transfert »,
op.cit.
49
François Bony
http://www.wapol.org/fr/articulos/Template.asp?intTipoPagina=4&intPublicacion=13&i
ntEdicion=9&intIdiomaPublicacion=5&intArticulo=2742&intIdiomaArticulo=5
42 Ibid.
43 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op.cit.
44 Ibid. p. 45.
50
L’invention de la psychose « ordinaire » et ses conséquences
51
François Bony
L’externalité sociale :
La question est de savoir si l’identification d’un sujet avec une
fonction sociale lui confère une place, un soutien ; ce peut être, par
exemple, une identification professionnelle. J.-A. Miller précise que :
« le plus clair des indices se trouve dans la relation négative que le
sujet a à son identification sociale. Quand vous devez admettre que
le sujet est incapable de conquérir sa place au soleil, d’assumer sa
fonction sociale. Quand vous observez une détresse mystérieuse,
une impuissance dans la relation à cette fonction. Quand le sujet ne
s’ajuste pas, non pas dans le sens de la rébellion hystérique ou à la
façon autonome de l’obsessionnel, mais lorsqu’il y a une sorte de
fossé qui constitue mystérieusement une barrière invisible. Quand
vous observez ce que j’appelle un débranchement, une
déconnection »51. Ce fossé, cette barrière invisible nous la repérons
fréquemment dans la clinique. Si un sujet se trouve dans une
identification sociale négative ou, à l’inverse, bien trop intense, c’est-
à-dire s’il surinvestit son travail, ce peut être l’indice d’une psychose
ordinaire. La perte de ce travail peut d’ailleurs être un facteur de
déclenchement, car cette position sociale faisait fonction de Nom-du-
Père qu’il n’y a pas. On retrouve là toute la problématique du
"nommer-à".
51 Ibid.
52 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op.cit., p. 46
52
L’invention de la psychose « ordinaire » et ses conséquences
53 Ibid.
54 Ibid.
55 Dessal G., cité par Blanco M.-F., Dedalus 05 « Le temps de la psychose
ordinaire », https://congresoamp2018.com/fr/textos-del-tema/tiempo-la-psicosis-
ordinaria/
56 Tizio H., « La jouissance de lalangue et le discours », Dedalus 04
https://congresoamp2018.com/fr/textos-del-tema/goce-lalengua-discurso/
57 Palomera V., cité par Blanco M.-F., Dedalus 05, « Le temps de la psychose
ordinaire », op.cit.
53
François Bony
On voit que l’on peut décliner ces signes cliniques selon les modes
de ratages du nœud, qui est la façon dont se décline la forclusion
dans le dernier enseignement de Lacan. C’est ainsi que J.-C..
Maleval60 nous invite à rechercher :
– Des indices de non-extraction de l’objet α (glissement du réel).
Dont : « l’émergence d’une jouissance sans limite […] Les ébauches
du pousse-à-la-femme […] une accumulation pathologique (souvent
de déchets), une identification (réelle) à l’être rejeté, abandonné qui
peut se rejouer dans le transfert, ou encore une confrontation à la
volonté de jouissance de l’Autre ».
– Des indices de défaillances discrètes du capitonnage et
d’inconsistance du sujet (glissement du symbolique) : notamment une
histoire peu habitée, sans liens, le vide, le vague…
– Des indices de glissements et prise en masse de l’imaginaire :
laisser-tomber du corps, émoussement affectif, phénomène de
transitivisme, prévalence des identifications imaginaires que l’on
retrouve dans le fonctionnement "as-if" ou la sur-identification.
55
François Bony
à inviter le sujet à déplier ce qui fait problème, pour localiser avec lui
des éléments pouvant faire agrafe, qui noueraient les trois
consistances, afin qu’ils se détachent comme point de capiton et
acquièrent du relief. Il s’agit de voir la construction faite de
symbolique et d’imaginaire, le délire au sens où « tout le monde
délire », que le sujet construit pour donner sens au Réel hors sens.
Pour donner du sens à la jouissance qui traverse et fait vivre les
corps sexués. Pour donner du sens à son existence. Il s’agit d’obtenir
que les éléments importants de cette construction soient le plus
disponibles possible pour le sujet, en suscitant leur usage et en
l’accompagnant dans la mise au point de sa pragmatique.
La clinique de la psychose ordinaire est une clinique de connexions
et de déconnections, ce n’est pas une clinique du conflit, ce pour quoi
elle fait tendre vers la clinique des nœuds. Cette clinique « oriente la
cure soit vers l’invention de suppléances, soit vers un soutien apporté
à des modes de stabilisations fragilisés »64. La direction de la cure
doit s’adapter à la diversité clinique de la psychose ordinaire. « Pour
le sujet débranché du discours, la présence de l’analyste peut être le
seul lien social qui le lie à l’humanité. Pour le sujet dont le corps ne
cesse de se décomposer, l’analyste serait un miroir, un moyen de
rassembler son corps. Pour le sujet qui souffre d’un excès de
jouissance de l’objet (non détaché), la présence de l’analyste assure
un dépositoire, une sorte d’organe supplémentaire qui permet de
condenser la jouissance hors-corps. La liste peut-être encore
prolongée. Il est possible que dans la psychose ordinaire, plus que
dans toute autre catégorie, la fonction de l’analyste comme objet
multifonctionnel est la plus appliquée »65, nous dit Gil Caroz. Ici il ne
s’agira donc pas d’épuiser le sens du symptôme comme dans la
névrose, mais plutôt d’aider le sujet à consolider son sinthome ou à
en créer un.
Cas Clinique
Nous empruntons ce cas à Gil Caroz qui l’a publié dans Quarto sous
l’intitulé « Un sinthome à ne pas guérir »66. Il s’agit d’un universitaire
qui va consulter l’analyste avec la crainte d’avoir le sida, ou une autre
maladie grave dont il craint de contaminer sa femme et ses enfants.
Cette crainte s’inscrivant dans un contexte plus général d’une crainte
que « Quelque chose de mal risque de se passer prochainement ».
Son histoire est marquée par des attouchements sexuels qui lui ont
été infligés régulièrement par un ami de ses parents, figure d’un père.
Il isole un moment décisif dans son histoire : lorsqu’il a 7 ans, il
énonce à ses parents, avoir le sentiment que son esprit s’est détaché
de son corps. Ils ne l’ont pas pris au sérieux. Coupable de ne pas
s’être opposé aux attouchements de l’ami de ses parents, il
s’explique le fait de pouvoir les supporter par cette capacité de son
esprit à quitter son corps. Il n’était pas dans son corps lorsque cela
arrivait. Par ailleurs, il peut dire à l’analyste que ses craintes
hypochondriaques d’avoir contracté le sida, bien qu’encombrantes, lui
permettent « de nouer l’esprit au corps ». Depuis cette « déposition »,
les angoisses ont fortement diminué. Il a retrouvé une joie de vivre,
un plaisir sexuel avec sa femme et une satisfaction dans son travail.
Ceci sans qu’il soit débarrassé de la crainte d’être contaminé.
On voit donc là une analogie frappante entre l’absence de corps
décrite par ce patient et le cas de Joyce lorsque, battu par ses amis, il
ne ressent ni douleur ni colère, affects du corps. Comme chez Joyce,
l’image du corps fout le camp, ici du fait de la jouissance forcée par
les attouchements. En ce sens, la peur d’être contaminé est
l’équivalent de l’écriture chez Joyce ; elle est donc un sinthome à
respecter à ne pas vouloir éliminer. Il s’agit plutôt dans ce cas de
concilier le sujet avec son sinthome. C’est ce que fait G. Caroz lors
des conversations avec ce patient. Non seulement la jouissance
inhérente à la « peur qu’il se passe quelque chose de grave » est
déplacée et traitée dans la conversation en la ramenant aux faits liés
au malaise dans la civilisation : guerres, violences, excès du
capitalisme… qui, par ravinement, creuse des bords à la jouissance
par l’usage répétitif de l’idée que « quelque chose de grave pourrait
66 Ibid., p. 56 et p. 59.
57
François Bony
I. Rappel
Je commence par revenir sur la position que j’ai choisie d’adopter à
propos d’Aragon.
Il s’agit de prendre au sérieux l’invitation que Freud nous adresse,
puis Lacan, de se laisser surprendre par le « cas », sans préjugé et
dans le souci de sa singularité. Je tiens ainsi le fil de Lacan, nous
prévenant que dans notre expérience nous rencontrerons des
inclassables, et sa définition du désir de l’analyste comme visant la
différence absolue. C’est de là que je m’autorise à élever le cas que
j’ai retenu à la dignité d’un paradigme, comme nous y incitait Serge
Cottet : s’attacher à « l’un » comme incomparable…
Se guider sur la singularité du sujet s’oppose à l’universel du « pour
tous » et à la logique classificatoire. C’est ce souci qui avait conduit
Jacques-Alain Miller à lancer le programme de recherche sur les cas
rares dans la clinique. C’est aussi ce qui le justifie sans doute, dans
son cours intitulé « Vie de Lacan », à parler des affinités
paranoïaques de celui-ci. J’entends retenir ce terme d’affinité et m’en
servir. Dans ce cours, il ne s’agit évidemment pas de diagnostiquer
Lacan comme paranoïaque, mais de retenir l’idée qu’il avait sa pente
de ce côté-là de la structure, qu’il avait la possibilité de l’être et qu’il a
trouvé avec sa pratique analytique et son enseignement une solution
1 « En ligne avec Jacques-Alain Miller », La Cause du désir, N°80, mars 2012, p. 13.
59
Philippe De Georges
62
Aragon le vertige (entre symptôme et synthome)
63
Philippe De Georges
65
Philippe De Georges
12 Ibid., p. 641.
13 Naveau P., Ce qui de la rencontre s’écrit, op.cit.
66
Aragon le vertige (entre symptôme et synthome)
14 Traits de perversion dans les structures cliniques, Volume préparatoire aux VI°
Rencontres Internationales du Champ freudien, Navarin, 1990.
15 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIII, « Le sinthome », Le seuil, 2005, p. 132.
67
Philippe De Georges
une continuité des deux qui rend impossible leur distinction. C’est ce
raboutage original (ou cette épissure) qui permet à la structure de
tenir, au sujet de se loger dans le monde et à son œuvre de
s’accomplir.
69
Chantal Bonneau
72
Transfert et « Présence de l’analyste » à la lumière d’un cas clinique
9 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 95.
10 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, op.cit., p. 77.
73
Chantal Bonneau
12Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.
495.
75
Chantal Bonneau
À dix-neuf ans, elle fait une psychothérapie, qui dure trois ans, pour
comprendre son statut d’enfant adoptée. Elle veut savoir d’où elle
vient pour tenter d’apprendre à vivre avec ce trou qui l’obsède, pour
faire avec cette énigme première. Après sa thérapie, elle s’engage
dans des recherches sur l’histoire de son adoption mais elle trouve
peu d’éléments. Elle se marie à vingt-trois ans après trois ans de
concubinage. Elle ne souhaite pas ce mariage, mais quand elle est
enceinte de huit mois, son compagnon lui demande de l’épouser pour
que leur fille figure sur son passeport portugais. Elle accepte sans
désir. Elle présente sa vie conjugale comme un perpétuel enfer. Elle
se sent bafouée, ignorée et maltraitée. Se refusant aux relations
sexuelles depuis de nombreuses années, elle parle de divorcer mais
ne peut accepter d’être séparée de ses filles qui restaurent les trous
dans le maillage de sa vie.
76
Transfert et « Présence de l’analyste » à la lumière d’un cas clinique
77
Chantal Bonneau
13Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris,
Seuil, 1966, p. 617.
78
Transfert et « Présence de l’analyste » à la lumière d’un cas clinique
80
En ateliers
Philippe Lienhard
tant que femme, que l’enfant ne sature pas pour la mère le manque
dont se supporte son désir.
84
Commentaire de la « Note sur l’enfant »
3 Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite Girafe, N° 18, décembre 2003, pp. 7-8.
85
Philippe Lienhard
87
Emma-Sophie Hayat
2013.
89
Emma-Sophie Hayat
janvier 2016.
8 Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Éducation nationale, a installé les membres du
90
À propos de « L’enfant et le savoir »
9 Se référer aux travaux de Céline Alvarez qui décide en 2009 d’entrer dans le
système éducatif national pour expérimenter des tests scientifiques annuels auprès
des enfants.
10 Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », op. cit., p. 1.
11 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 174.
12 De Georges C., « Les enfants rebelles au savoir », Enfant... Points de repères. De
Éducation Savoir
Jouissance
93
Emma-Sophie Hayat
94
Christophe Foulley
95
Christophe Foulley
J’ai relevé trois axes de réflexion qui lui permettent d’éclairer son
propos :
6 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 26.
7 Ibid., p. 27.
8 Ibid., p. 104.
9 Miller J.-A., « Enfants violents », op. cit., p. 5.
10 Ibid.
11 Ibid.
97
Christophe Foulley
12 Ibid., p. 7.
13 Ibid.
14 Ibid., p. 8.
98
Nathalie Delzors
99
Nathalie Delzors
6Maleval J.-C., L’Autiste et sa voix, Paris, Seuil, Champ freudien, 2009, p. 10.
7Lacan J., Le Séminaire, Livre I, Les Écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975,
p. 101.
100
« S’orienter du fonctionnement de l’autisme »
2. Le refuge apaisant
Il est courant chez les autistes de les voir se construire un abri, un
espace personnel et intime afin de trouver un moment de calme
sensoriel ; ce refuge est un lieu sécurisant. De nombreux parents
101
Nathalie Delzors
3. L’immuabilité
Les rituels, règles et routines les rassurent car ils donnent un
sentiment de maitrise. Ils permettent de précieux repères qui
contribuent « à mettre de l’ordre dans le chaos insupportable de la
vie »11. Une structuration de l’environnement temporel et spatial avec
planning individuel ou collectif doit être alors d’usage dans toutes
institutions. On constate généralement que les autistes sont aussi
plus à l’aise dans l’obéissance à des ordres et des règles valables
pour tous, absolues, générales et uniques. Une fois repérées, donc
repérables, ces règles routinières les protègent « de la jouissance
énigmatique de l’Autre en contribuant à la réguler »12.
10 Ibid., p. 13.
11 Joliffe T., Lansdown R., Robinson T., « Autism : a personnal account »,
Communication, 1992, N° 26, p. 13, cité par J.-C. Maleval, « S’orienter du
fonctionnement de l’autiste », op. cit., p. 13.
12 Maleval J.-C., « S’orienter du fonctionnement de l’autiste », op. cit., p. 13.
13 Entretien avec J.-C Maleval sur la création du site : Écouter les autistes,
14 Ibid.
15 Williams D., Si on me touche je n’existe plus, Robert Laffont, Paris, 1992, p. 83,
cité par J.-C. Maleval, « S’orienter du fonctionnement de l’autiste », op. cit., p. 14.
16 Hébert F., Rencontrer l’autiste et le psychotique, Paris, Dunod, 2015, p. 203, cité
103
Nathalie Delzors
18 Schovanec J., Je suis à l’Est !, op. cit., p. 129, cité par J.-C. Maleval, « S’orienter
du fonctionnement de l’autiste », op. cit., p. 17.
19 Caron S., Le Monde de Théo, quand l’autisme s’invite dans une famille, Film
documentaire.
104
« S’orienter du fonctionnement de l’autisme »
fois installés, ces rituels doivent être « cassés, assouplis afin d’y
donner du choix », autrement dit de proposer différentes possibilités à
partir d’un même rituel. En revanche, insiste-t-elle, il s’agit de le faire
avec tact et prudence. Ce temps bien sûr n’est pas sans
conséquence sur Théo, l’angoisse surgit, Théo se sent un peu
agressé. Elle constate à ce moment-là l’ampleur du travail quotidien
que son fils Théo doit faire. Sa formule est la suivante : « Théo a
appris à apprendre ». Elle ajoute qu’elle et ses proches ont dû
également apprendre, « à dédramatiser l’approche de l’autisme » afin
de « laisser Théo être ce qu’il était ». Ainsi, conclut-elle, « la méthode
ne suffit pas, il faut être attentif à l’enfant. C’est mon fils Théo qui
nous a appris à regarder autrement ».
105
Nathalie Delzors
pas entrer frontalement en relation avec eux mais de les laisser venir,
puis prendre appui sur leurs intérêts spécifiques, leurs inventions et
enfin complexifier le bord non pas à partir de l’objet mais de son
manque.
J.-C Maleval nous encourage, pour illustrer son propos, à lire le cas
présenté par Alexandre Stevens22 d’un jeune enfant très déstructuré,
collectionneur de déchets. Alors qu’un jour une tasse vide ébréchée
et cachée par un arbre se trouve au fond du jardin de l’institution
dans laquelle l’enfant est accueilli, sa thérapeute fait le choix d’inciter
l’enfant à reconnaitre l’inaccessibilité de la tasse plutôt que l’aider à
atteindre l’objet qu’il convoite. L’effet thérapeutique est obtenu par le
fait d’avoir laissé l’objet en place et d’avoir pris le parti de ne pas
réduire immédiatement la frustration de l’enfant.
Conclusion
Certes tous les autistes sont différents mais on ne peut que
constater, souligne J.-C. Maleval, qu’ils adoptent tous des stratégies
et des méthodes identiques, sans les avoir apprises. Il soutient alors
22 Stevens A., « Points de vue concrets », À l’écoute des autistes, Des concepts et
des cas, Conversation UFORCA du 30 juin 2012, Vol. 1, p. 74.
23 Maleval J.-C., « S’orienter du fonctionnement de l’autiste », op. cit., p. 19.
106
« S’orienter du fonctionnement de l’autisme »
24 Ibid., p. 20.
25 Maleval J.-C., L’Autiste et sa voix, op. cit., p. 10.
107
Stéphanie Haug
109
Stéphanie Haug
110
« De la surprise à l’énigme »
7 Ibid., p. 15.
111
Stéphanie Haug
8 Ibid., p. 18.
9 Ibid., p. 17.
10 Lacan J., Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2006, p. 92.
112
« De la surprise à l’énigme »
1 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, N° 94-95, pp. 40-51.
2 cf. Miller J.-A., « Logiques du non-savoir en psychanalyse », La Cause freudienne,
N° 75, 2010, p. 177 ; inspiré par cette phrase de J.-A. Miller, « Frege a rendu le rien
opératoire, en lui imposant un cadre qui n’est rien d’autre que le concept lui-même ».
3 Miller J.A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, N° 88, 2016,
p. 110.
115
Philippe Giovanelli
116
« Effet retour sur la psychose ordinaire »
À partir de cette clinique, « on peut connecter tous les petits détails
qui apparaissent distants les uns des autres à un désordre central. Il
s’agit d’ordonner le cas. […] Cherchez les petits indices […] de la
forclusion »8. C’est donc une clinique de la tonalité et du détail. Cette
valorisation de la finesse dans l’observation clinique n’est pas
spécifique d’un diagnostic de psychose ordinaire ; pour exemple elle
est relevée par J.-A. Miller à propos de Clérambault : « Quand il
questionne un patient, quand il rapporte son cas, il apporte une
attention extrême au détail, s’efforçant de saisir l’autre dans ses traits
les plus originaux »9.
8 Ibid., p. 49.
9 Commentaire de Miller J.-A., in Dewambrechies-La Sagna C., « Clérambault, une
anatomie des passions », La Cause freudienne, N° 74, mars 2010, p. 238.
10 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose »
118
« Effet retour sur la psychose ordinaire »
18 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op. cit., p. 44.
19 Cottet S., « Le chemin des écoliers », L’inconscient de papa et le nôtre, Éditions
Michèle, Avril 2012, p. 232.
20 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op. cit., p. 47.
119
Philippe Giovanelli
21 Ibid., p. 44.
22 Ibid., p. 49.
120
Pascale Joly Saporta
1 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, N° 94-95, pp. 40-51.
2 Brousse M.-H., « La psychose ordinaire à la lumière de la théorie lacanienne du
discours », Quarto, N° 94-95, janvier 2009, pp. 10-15.
3 Ibid., p. 10.
121
Pascale Joly Saporta
4 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op. cit., p. 44.
5 Ibid., p. 49.
6 Ibid., p. 45.
122
« Effet retour sur la psychose ordinaire »
7 Ibid., p. 45.
8 Ibid.
9 Ibid.
123
Pascale Joly Saporta
10 Ibid., p. 46.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.
124
« Effet retour sur la psychose ordinaire »
14 Ibid.
15 Ibid., p. 47.
16 Ibid.
17 Ibid., p. 48.
125
Pascale Joly Saporta
18 Ibid.
19 Ibid., p. 47.
126
Les travaux du
Séminaire de
Psychanalyse
Appliquée
« L’addiction et la répétition »
Salvatore Maugeri
Il y a bien sûr les patients qui s’y plient, plus ou moins docilement,
mais il y a ceux qui ne vont pas se laisser domestiquer aussi
facilement. Du coup, ce qui se répète pour l’institution, c’est le réel du
symptôme, rebelle, qui revient cogner à la porte toujours à côté de là
où il est idéalement attendu.
132
Ce qui ne cesse pas de nous éclairer dans le champ des addictions
134
Ce qui ne cesse pas de nous éclairer dans le champ des addictions
Ainsi quand un sujet se dit « addict à… », il est important de voir s’il
est en mesure de décliner ce signifiant (S1) ou bien si nous avons
affaire à une surdétermination identificatoire qu’il ne s’agit pas
d’ébranler puisqu’elle peut à la fois nourrir l’être du sujet, lui conférer
une consistance corporelle, endiguer sa jouissance, et permettre un
lien social a minima.
Si l’on se réfère au discours du maître, il est donc intéressant de voir
ce qui va venir à la place du S 2.
De plus, il est très fréquent que ladite addiction ne soit pas désignée
comme symptôme par le sujet lui-même : ce n’est pas un symptôme
qu’il a mais plutôt qu’il est pour l’Autre (familial, social, judiciaire…).
Nous sommes assez proches de ce qui se passe dans la clinique des
enfants et des adolescents, lorsque le symptôme est épinglé par
l’Autre parental, scolaire…, où l’enjeu va être de tenter d’accrocher le
sujet sur un point qui le concerne et le questionne, en commençant
136
Ce qui ne cesse pas de nous éclairer dans le champ des addictions
parvient pas à savoir ce qu’elle est pour lui, s’il l’aime. Elle a
l’impression d’être seulement « un objet consommable » pour lui, qu’il
prend et qu’il jette, quand il en a envie. Elle reste ainsi, jour après
jour, appendue à ses va-et-vient capricieux. Analyser sa position lui
aura permis de cerner la fonction des médicaments comme pouvant
l’aider à traiter l’énigme du désir de son partenaire. Elle repère aussi
qu’en lieu et place du désir énigmatique, incontrôlable et imprévisible
de son bienaimé – « Est-ce qu’il m’aime ? Est-ce qu’il me désire ?
Est-ce qu’il pense à moi ? Suis-je juste un bouche-trou, un passe-
temps ? » –, elle a substitué un partenaire à portée de main (les
médicaments), contrôlable, qu’elle prend à sa guise et dont elle
mesure également les différents effets dans le temps. Ils lui
permettent surtout de traiter son angoisse, liée à ce sentiment de
n’être rien pour l’autre.
Dans ce cas, l’addiction aux médicaments comme telle vient boucher
la question de la place qu’elle occupe dans le désir de l’Autre et, du
coup, empêcher l’hystérisation de son discours. En lieu et place du
rapport qu’il n’y a pas, l’objet peut ainsi constituer ce partenaire
silencieux, fidèle et toujours présent.
Lorsque le sujet découvre que l’addiction servait d’écran ou de
défense contre le symptôme, il arrive qu’il décide de lâcher le
bonheur de sa solution, envisagée du coup elle-même comme
problématique, au profit du symptôme et de ce qui le sous-tend.
Ainsi, au-delà des diverses significations qui pourront être produites
et des vérités qui auront pu être touchées, peut s’entrevoir parfois
l’opacité du réel, c’est-à-dire la fixité d’une jouissance hors-sens, dont
la répétition n’est en rien libératoire, puisqu’elle est bien plutôt
asservissante.
4 Miller J.-A., « La théorie du partenaire », Revue Quarto, N° 77, Les effets de la
sexuation dans le monde, Juillet 2002.
138
Ce qui ne cesse pas de nous éclairer dans le champ des addictions
139
Salvatore Maugeri
Ce qui est frappant dans la clinique des addictions, c’est que d’un
sujet à l’autre, pour le même produit, la fonction de celui-ci n’est pas
du tout la même, d’où l’importance de repérer pour chaque cas les
coordonnées singulières dans lesquelles ces pratiques s’inscrivent.
140
Ce qui ne cesse pas de nous éclairer dans le champ des addictions
5Laurent E., « Les enjeux du Congrès de 2008 », Congrès de l’AMP, Les objets α
dans l’expérience analytique, 2008.
141
Nathalie Seban
143
Nathalie Seban
Dans notre champ, je crois que nous sommes d’accord pour dire,
avec Marie-Hélène Brousse, que « l’addiction signale le triomphe de
la jouissance » sur le désir2. Le désir, ce n’est pas l’envie du sujet
mais le désir de l’Autre ; le sujet se demande : " Que me veut-t-il ? ".
Une jeune fille a très bien repéré cela. Tous les soirs, elle est
confrontée à un moment d’angoisse lorsque sa mère, croyant bien
faire, lui demande : Que veux-tu manger ? À cela elle ne sait pas
répondre, elle reste perplexe, convaincue que quel que soit son choix
ce n’est jamais ça. Je ne sais jamais ce qu’elle veut que je mange,
dit-elle. Du coup, soit je prends toujours pareil et ça m’énerve, soit
c’est mauvais et je regrette. La pente qui la menace, pour résoudre
cette angoisse, est de "manger rien".
L’addiction viserait ainsi à faire s’évanouir le désir, car avec lui
apparait : soit la division du sujet (comme pour cette jeune fille), soit
la jouissance de l’Autre et, dans tous les cas, l’angoisse surgit. Cette
consommation répétée est donc une tentative de résoudre
l’angoisse, sans en interroger la cause. Evidemment, toute la
difficulté est d’amener le sujet addict, dont la solution ne passe pas
par la parole, à y consentir. Pour cela, encore faudrait-il qu’il « élève
ce réel à la dignité d’un symptôme »3. Pardon de le dire ainsi, mais
autant dire qu’en institution : ce n’est pas gagné !
Ce qui est néanmoins possible, c’est que chaque "professionnel"
trouve un intérêt à observer ce qui, de la répétition, se décale, et à
partager ces observations avec d’autres. Ainsi verrons-nous se
dessiner un mode de jouir singulier. Ainsi aurons-nous, peut-être, la
chance de situer la place et la fonction de l’objet dans le rapport du
sujet à l’Autre. Ainsi, éviterons-nous la précipitation qui conduit à
réduire à toute force une pratique ayant pour fonction de suppléer
1 Cf. Naparstek F.-A., « Usages de la drogue chez les aborigènes et chez les
occidentaux », http://www.causefreudienne.net/deux-notes-sur-les-addictions/
2 Brousse M.-H., « L’expérience des addicts ou le surmoi dans tous ses états »,
http://www.causefreudienne.net/drogues-et-addictions-en-question/
144
Une certaine clinique de l’addiction
Le savoir
Nous accueillons actuellement un enfant qui n’a jamais mangé. Il est
né avec une pathologie nécessitant une alimentation par sonde.
Lorsqu’il est frustré, lorsqu’il est en colère, il s’enferme dans sa
chambre, dans le noir, et mange des objets non-consommables : des
gants en latex, ses chaussettes, le cathéter de sa voie centrale, une
bonne partie de sa couverture… Je ne m’étendrai pas sur les risques
d’occlusion qui menacent sa vie. J’évoque simplement ce cas pour
introduire une façon de lire la clinique. La clinique part de ce qui est
observable ; après, seulement, vient l’interprétation. Les "troubles"
observables de cet enfant correspondent à deux catégories du DSM :
- La première est, celle de l’addiction : un « mode d’utilisation
inapproprié d’une substance, entraînant une altération du
fonctionnement ou une souffrance cliniquement significative ».
- La seconde est celle du syndrome dit de P.I.C.A, acronyme qui
signifie en français : « investissement pervers de l’appétit de
l’enfant ».
Voilà ! Nous avons appris deux choses. Mais en quoi ces savoirs
sont-ils opérants ? Que nous apprennent-ils de cet enfant-là ? Ce
type de savoirs, dont nous avons compris par notre propre cure qu’ils
ne servent qu’à recouvrir la question du sujet, sont issus de
l’observation de comportements auxquels répondent des techniques
préétablies : il s’agit d’apprendre au patient à se tenir ; à se retenir.
On lui demande de se discipliner.
Envisager les choses ainsi pose entièrement le savoir du côté des
soignants. Quelles peuvent en être les conséquences ?
145
Nathalie Seban
Aucun savoir n’est non plus fourni clés en main aux adolescents, qui
viennent dans ce service de leur propre initiative. Il arrive même
parfois d’y entendre, selon le cas : On ne sait pas encore comment
faire avec toi ; c’est toi qui va nous aider. Lorsque cela arrive, je vous
assure que ces paroles ne sont pas sans effet, surtout avec des
adolescents qui, pas plus à la maison qu’à l’école, n’ont l’habitude
d’entendre dire que le savoir est troué. L’effet en est que l’angoisse
peut changer de camp. Le sujet peut se sentir concerné par sa
souffrance répétée au lieu de jouir, pour le pire, de l’angoisse de
l’autre ; c’est déjà un grand pas.
Car Ça, se répète. La répétition est plus forte que tous les discours,
que toutes les techniques éducatives, que tout ce "Bien" qu’on leur
veut. Si la psychanalyse s’y est trouvée confrontée dès l’origine,
qu’observe-t-on, dans ce service, de ce qui se répète au quotidien ?
- Répétition d’exigences insoutenables que certains s’imposent ; ou
inlassable passivité, absence totale d’envie. Sophie refuse de
s’asseoir, marche tout le jour et fait des pompes la nuit. Rien ne
l’arrête. Sa seule pensée est de retrouver l’image de son corps à
147
Nathalie Seban
29kg. Alain qui, lui, en pèse 198, est hanté par l’image de son père,
obèse, mort d’un infarctus dans ses bras. Pour ne pas mourir il veut
maigrir, il veut faire du sport, mais aucun mouvement ne vient contrer
la jouissance mortelle qui le cloue au lit.
- Répétition d’une difficulté à se lier à l’autre autrement que pour
rivaliser, en jouir ou se faire objet de sa jouissance. Rivalité de Louise
qui, à chaque repas, tente d’écraser l’autre du poids d’une cuiller en
moins. Satisfaction intense d’Edgar, qui donne toujours son pain à un
autre afin qu’il engraisse à sa place. L’insistance de Sarah, harcelée
dit-elle depuis l’enfance, à se faire traiter de grosse par des
adolescents qui pèsent le double de son poids. Répétition de ce que
le sujet se fait être comme objet, pour un Autre réduit à son usage de
satisfaction.
- Répétition d’un désintérêt du sujet pour le savoir qui le concerne,
mais aussi pour toute forme d’imagination ; pas de projet, pas de
projection. Seule l’immédiateté compte et chacun constate qu’elle ne
produit aucune joie.
- Répétition d’une plainte incessante, sans adresse différenciée ; ou
insensibilité totale du corps, même lorsqu’il se brise.
- Répétition assourdissante du silence des mots et des affects avec
pour corollaire, parfois, la profusion d’insultes où le déchainement qui
lacère le corps.
- Répétition du recours à un objet unique pour régler tous les conflits,
abraser tous les émois, réduire le corps au silence ; pour traiter les
impasses subjectives sans en passer par l’Autre.
Voilà ce qui se répète. Il faudrait être sourd pour ne pas l’entendre,
aveugle pour ne pas le voir ; et c’est insupportable !
149
Nathalie Seban
Le savoir-faire
Ainsi, ce qui produit des effets, ce n’est pas que chacun fasse son
petit travail dans son petit coin. Mais que chaque activité devienne un
prétexte pour observer l’actualité du rapport de l’adolescent à son
Autre afin que, repris par l’ensemble de l’équipe, ce lien soit analysé
et, si possible, remanié ou pacifié. Cette façon de faire nécessite de
formuler des offres non plus comme des exigences, mais comme des
appels pouvant ouvrir à la surprise, voire au désir ou à la création
d’une suppléance (ainsi peut-il en être des activités artistiques, des
ateliers, des sorties culturelles ou sportives, du savoir scolaire, d’un
goût pour la parole…).
Tel éducateur sportif, ayant repéré qu’une jeune fille donnait à voir sa
parfaite maîtrise, la surprend, la déstabilise, en lui proposant des jeux
de ballons sur lesquels son corps instable peine à se maintenir.
Qu’elle fiche tout en l’air et parte en claquant la porte ?, peu importe.
150
Une certaine clinique de l’addiction
Pierre, lui, n’a jamais eu le moindre copain ; il a bien à l’œil tous ceux
qui tentent une approche, soignants compris. Après plusieurs
semaines au cours desquelles son poids, extrêmement bas, n’évolue
guère, il finit par consentir à suivre la diététicienne en atelier cuisine.
La première fois, celle-ci rapporte comment, il a à ce point dégoûté
les autres, qu’ils ne le veulent plus. Dans les conversations qu’elle a
avec lui, une négociation s’établit, sans forçage, car il a pris goût à
cet atelier et veut y retourner. De petits aménagements dans ses
rituels deviennent possibles ; ils lui permettent aussi de partager des
repas avec ses parents. Pierre commence alors à tourner dans les
jardins de la clinique, en quête de canettes vides et de capsules avec
lesquelles il fabrique des objets. Cela lui permet un contact discret
avec les autres adolescents, qui ne rechignent pas à lui donner un
coup de main pour être déchargés des déchets de leurs
consommations ! En parallèle — et malgré l’obséquiosité qui
caractérise son rapport aux soignants — il crache, plus qu’il ne les
dits, les mots qui l’empoisonnent. Il matérialise ainsi la haine qui lui
tient le corps au point d’en avoir entravé le développement
pubertaire. Le déclenchement de son anorexie, il le relie directement
à des circonstances dans lesquelles il s’est identifié à la position
d’objet d’une jouissance mauvaise et ravageante. Lors d’une séance,
il révèle un secret bien gardé jusque-là, et que je me garderai
d’interpréter : je me fais gerber. Progressivement, il peut alors
s’appuyer sur d’autres coordonnées que sa haine de l’Autre : une
solitude et une angoisse tellement vertigineuses qu’elles le font
vomir. Il se met à fabriquer des bijoux en enserrant des pierres
colorées dans un tressage de fil de fer. Ces pierres, c’est toute une
histoire, mais disons qu’elles lui sont offertes par sa famille et qu’elles
deviennent l’insigne d’un signe : le signe d’amour. Les bijoux, il les
troque, jusqu’à pouvoir les offrir. Et voilà qu’il demande à faire de la
musculation. Au regard de son poids, de son état, rendez-vous
151
Nathalie Seban
153
Salvatore Maugeri
Sigmund Freud
En même temps qu’il découvre les mystères de l’inconscient en 1884,
Freud s’intéresse de très près à la cocaïne et reconnaît le bonheur
suscité par cette substance chimique. Dans son article « De la
coca »1, il a une position plus nuancée que certains de ses confrères
quant à l’usage de la cocaïne dans les cures de désintoxication des
morphinomanes, parce qu’il constate que « tout patient soigné par
cocaïne ne devient pas cocaïnomane pour autant »2 : « tous les
rapports concernant la dépendance à la cocaïne et la détérioration
dont elle est à l’origine se réfèrent à des morphinomanes, des
personnes qui avaient déjà succombé à ce démon et, dont la volonté
affaiblie et le besoin de stupéfiants, auraient fait et faisaient mauvais
usage de n’importe quel stimulant mis à leur disposition »3.
Pour Freud, l’appétence pour la drogue n’est pas uniquement liée aux
effets physiologiques et indéniables du produit sur le corps, mais elle
dépend d’un facteur inconnu lié à la diversité de la sensibilité
individuelle, à des dispositions personnelles qu’il ramène à une
« volonté affaiblie ».
1 Freud S., « De la coca », (1884), De la cocaïne, Éditions Complexe, 1976, p. 98.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Freud S., « Lettre à Fliess du 22 décembre 1897 », La naissance de la
5 Ibid.,
p. 211.
6 Freud S., « La sexualité dans l’étiologie des névroses », Résultats, idées,
problèmes, Tome I, Paris, PUF, 1998, p. 88.
156
Salvatore Maugeri
7 Ibid.
8 Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 106.
9 Freud S., « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de
157
Références psychanalytiques sur l’addiction
11 Freud S., « Sur le plan général des rabaissements de la vie amoureuse », 1912, La
vie sexuelle, PUF, 1925, pp. 63-64.
12 Ibid.
13 Ces affirmations résonnent avec certaines formules lacaniennes, telles que « il n’y
a pas de rapport sexuel » ou encore celle qui définit la drogue comme ce qui permet
de « rompre le mariage avec le petit-pipi ».
158
Salvatore Maugeri
est d’une humeur si gaie et, d’autre part, on est si désinhibé dans
l’action »14.
1985, p. 324.
17 Ibid.
18 Freud & Binswanger, Correspondance 1908-1938, Paris, Calmann-Lévy, p. 275.
159
Références psychanalytiques sur l’addiction
19 Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1992, pp. 21-23.
160
Salvatore Maugeri
Jacques Lacan
Dans le tout premier enseignement de Lacan, les quelques
références à la drogue s’articulent à une sorte de nostalgie
fondamentale, une aspiration à se fondre avec la Chose maternelle,
vocation mortifère et suicidaire. C’est la voie d’un retour à l’harmonie
primaire, d’une coïncidence du moi avec l’être, notamment par le
court-circuit de la fonction de l’inconscient et la suture de la division
subjective.
20Ibid.
21Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits,
Paris, Seuil, 2001, p. 35.
161
Références psychanalytiques sur l’addiction
comporter en soi des effets toxiques dès lors qu’elle s’articule à une
forme d’envahissement du sujet par l’Autre, ou à l’inverse, qu’elle
produit des effets de laisser-tomber assez radicaux.
22 Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », (1946), Écrits, Paris, Seuil, 1966,
p. 187.
23 Ibid.
24 Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient
26Ibid.
27Lacan J., Le Séminaire, Livre XXI, Les non-dupes errent, Leçon du 18 décembre
1973, Inédit.
163
Références psychanalytiques sur l’addiction
Jacques-Alain Miller
Lors de sa conférence de clôture de la première journée d’étude du
GRETA en 1988, J.-A. Miller reprend la question de la toxicomanie
dans son articulation au phallus et au manque inhérent à la
castration : « Le problème de la castration concerne un savoir, une
connaissance sur le sexe. Le phallus, pris dans sa dimension
symbolique, s’il est opérant dans l’inconscient, assure donc un
semblant de connexion entre le savoir et la jouissance. Or quel
rapport le toxicomane est-il en mesure d’entretenir avec un savoir sur
sa jouissance, avec la parole qui permet à l’occasion de le déplier ?
Le toxicomane privilégie une autre voie de satisfaction que celles qui
en passent par la parole. La drogue donne lieu à une réelle
expérience pour le sujet ; ce n’est pas une expérience de langage,
mais au contraire, ce qui permet un court-circuit sans médiation,
c’est-à-dire sans le média phallique. Autrement dit, le toxicomane se
28 Lacan, J., Journées d’étude des cartels de l’École freudienne de Paris, Séance de
clôture, 1975.
164
Salvatore Maugeri
http://www.lepoint.fr/grands-entretiens/jacques-alain-miller-les-propheties-de-lacan-
18-08-2011-1366568_326.php
165
Références psychanalytiques sur l’addiction
Éric Laurent
Lors d’une conférence donnée à Bruxelles, en décembre 1988, Éric
Laurent avance que le symptôme toxicomaniaque ne répond pas à la
conception freudienne classique du symptôme : « Rien, dans la
drogue, ne nous introduit à autre chose qu’à un mode de rupture
avec la jouissance phallique. Ce n’est pas une formation de
compromis, mais une formation de rupture »34.
La drogue y est décrite comme jouissance Une, qui désinscrit le sujet
de la jouissance phallique limitée par l’organe, et entraine selon les
cas, une formation de rupture à trois niveaux :
– Rupture avec les Noms-du-Père, hors psychoses, qui provoque la
chute de la signification phallique (Φ0) ;
– Rupture avec les particularités du fantasme, que la drogue court-
circuite. Il considère qu’il s’agit d’une jouissance hors fantasme, car le
fantasme suppose un objet de jouissance incluant la castration. Il
pense que ce n’est pas non plus pervers car la perversion suppose
l’usage du fantasme.
– Rupture avec la jouissance sexuelle, étant donné le refus fréquent
d’en passer par la jouissance du corps de l’Autre, qui situe la
jouissance dans l’Un du corps.
36 Ibid.
168
Salvatore Maugeri
Francisco-Hugo Freda
Il avance que « c’est le toxicomane qui fait la drogue »37 et non
l’inverse, même si c’est à travers l’objet de jouissance qu’il essaie de
se constituer. Dans cette clinique de l’objet, il s’agirait de rendre
symptomatique la solution afin que « le toxicomane puisse faire de sa
rencontre avec la drogue une erreur d’interprétation »38. Quand cela
s’y prête, le but serait alors de « lui faire perdre le bonheur de la
solution pour le malheur du symptôme en tant qu’il présentifie
l’inconscient »39.
37 Freda F.-H., « Qui vous l’a dit ? », Revue Autrement, N° 106, L’esprit des drogues,
Avril 1989.
38 Ibid.
39 Ibid.
169
Les travaux du CERCLE
Le « pousse à la femme »
Alain Courbis
1 Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres Ecrits,
Paris, Seuil, pp. 23/83.
2 Miller J.-A. et Laurent E., L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique,
séminaire inédit.
3 Miller J.-A., lit « Une semaine de vacances » de Christine Angot, L.Q. N°33.
4 Miller J.-A., 4° de couverture du Séminaire de Jacques Lacan, Livre VI, Le désir et
son interprétation.
Alain Courbis
5 Vallet D., « Figures du pousse-à-la femme », Lettre Mensuelle N°158, Avril 97.
6 Brousse M.-H., « Le pousse-à-la femme, un universel dans la psychose ? », Quarto
N°77, pp. 84/91.
7 Weber, « Expertise médico-légale », in Schreber D.-P., Mémoires d’un névropathe,
Transexualisme
Mais, dans d’autres conjonctures cliniques, quand la dimension
imaginaire fait défaut, quid du rapport dénudé de ces sujets au réel,
alors que s’impose pour eux « la certitude inébranlable d’être La
femme »13 ? Du reste, certains d’entre eux, convaincus d’appartenir à
l’autre sexe, peuvent vouloir corriger cette « erreur de la nature ». De
ce transexualisme à l’œuvre, J. Lacan énonce : « Le transexualisme,
ça consiste très précisément en un désir très énergique de passer
par tous les moyens à l’autre sexe, fût-ce à se faire opérer quand on
est du côté mâle »14.
Ce qui semble faire point de convergence entre le « pousse-à-la
femme » dans le transexualisme masculin et féminin est la visée dans
ces deux positions de vouloir incarner une « figure d’exception » en
l’espèce de La femme « toute », sans manque, asservis dans les
deux cas à un « idéal de féminité totale ».
Transexualisme et structure
Sur la question du transexualisme, J. Lacan, dans le commentaire
qu’il fait des cas de Stoller, indique que ce dernier aurait eu avantage
à les écrire avec la référence à la « forclusion lacanienne »16. Alice
Delarue, dans son excellent article17, confirme que le refus du
signifiant phallique signe bien la structure. Et la « folie » (du sujet
transexuel), écrit-elle, « est de vouloir viser l’organe alors que c’est le
signifiant phallique qu’il rejette ».
Ainsi, le « syndrome transsexuel » émarge-t-il dans la majorité des
cas au registre des psychoses au bémol près, pointé par M.-H.
15 http://www.desiroudressage.com/2017/11/03/genre-dapprentissage-
lapprentissage-genre-alexandre-stevens/
16 Lacan J., Le Séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant,
174
« Féminisation de la civilisation contemporaine »
175
Alain Courbis
176
Frank Rollier
Silvia
Depuis qu’elle a 12 ans, Silvia a souvent parlé avec des psys. Elle fait
référence aux nombreux thérapeutes et éducateurs rencontrés après
avoir révélé que son beau-père l’avait mise en position d’objet de
jouissance, dès sa petite enfance, il y a une trentaine d’années.
Il était violent, criait, buvait et battait sa mère. Silvia a 12 ans quand
sa mère profite d’une absence de cet homme pour quitter
précipitamment leur domicile avec elle et ses autres enfants.
Quelques mois plus tard, Silvia décrit des événements : il a abusé
d’elle depuis son enfance. Elle rencontrera de nombreux psys et
éducateurs qui vont mettre des mots sur ce qu’elle a vécu. À partir de
là, dit-elle, force est de constater que j’ai vécu des choses horribles,
mais au moment où je les vis quelque chose m’échappe.
Son arrimage avec le symbolique sera chaotique. Elle ne parle que
très tard, vers cinq ans. Puis a des difficultés, dans l’acquisition de la
lecture et de l’écriture, dont certaines la pénalisent encore. Elle
attribue cela aux événements de son enfance, qui ont commencé
avant ses six ans.
D’un côté, elle dit qu’avec son beau-père elle ne s’est jamais sentie
forcée. D’un autre côté, lorsqu’elle parle des pratiques sexuelles de
cet homme qui la mettaient en contiguïté avec le déchet, les
excréments, elle énonce avec lucidité qu’elle a été meurtrie au fond
de son âme. Cependant, ces deux constats restent pour elle
hétérogènes l’un à l’autre, et ne participent pas d’un questionnement.
Elle fait aussi le constat qu’elle a un extérieur net et un intérieur
bousillé. Il était nécessaire en séance de mettre un voile sur ce
versant de déchet et de la décaler de sa satisfaction à dire ses récits
de rencontres destructrices où règne la jouissance. Cette orientation
du travail l’amène à considérer que d’aller trop directement aux
choses, dans la sexualité, l’a toujours amenée à rencontrer des
hommes violents.
Silvia aura recours à l’image de la femme toujours très apprêtée,
mais ces semblants imaginaires ne pourront endiguer le réel de la
181
Philippe Giovanelli
182
Silvia
première fois qu’elle ne raconte pas à un partenaire tout ce qui lui est
arrivé. Je soulignerai en séance qu’au moins un est correct avec elle,
pour relever la distinction qu’elle établit ici, et décompléter ce « tous »
qu’elle utilisait pour qualifier ceux qui ont abusé d’elle. Elle utilisera
cette intervention comme un appui dans son choix. Elle le fréquente
quelques mois puis sera mise en difficulté par le peu de désir qu’il lui
manifeste, qu’elle interprète comme un défaut situé chez elle. Elle
trouvera par la suite un travail de garde auprès d’enfants. Le travail
d’assistance auprès d’enfants lui procure de nouveau un soutien, en
l’inscrivant dans un lien social.
183
Audrey Prévot
185
Audrey Prévot
rencontra un jeune homme de son âge avec lequel elle entama une
relation amoureuse.
Au bout de quelques mois, contre toute attente, le garçon la laissa
tomber. La rupture fut difficile à supporter. Dans ce moment de
grande solitude, comme pour se rassurer sur sa capacité à plaire,
Barbara se mit à fréquenter de plus en plus assidûment des sites de
rencontres puis, par effet de contiguïté, des sites pornographiques où
le principe est de s’exhiber sexuellement pour satisfaire un partenaire
qui observe et parle via l’écran. Barbara ne dit pas grand-chose de
cette pratique qui s’impose à elle. Quasi quotidiennement, elle est
poussée à se connecter pour trouver quelqu’un auprès de qui répéter
le même scénario. Peu importe qui la regarde, ce qui compte c’est de
combler sexuellement son spectateur. Le plaisir induit chez l’autre,
non pas de provoquer pour elle une satisfaction sexuelle, la rassure
plutôt sur sa capacité à séduire, sur son identité de femme. Si elle n’y
trouve pas de plaisir, elle en retire un gain narcissique. Les hommes
lui disent en effet le plus souvent qu’elle est exceptionnelle, qu’elle
sait y faire et c’est ce qui la contente. Car ce caractère de l’exception
est, semble-t-il, ce vers quoi elle tend, au point même de parfois se
retrouver dans des situations risquées (jeu sexuel devant un écran
noir, rendez-vous avec un homme douteux, etc.). Être exceptionnelle,
Barbara ne sait finalement pas très bien ce que ça recouvre. Elle
reconnaît qu’elle a toujours été désinhibée vis-à-vis de la sexualité,
qu’elle a très tôt assumé ses pulsions et que, durant l’enfance, la
pratique de la masturbation était de mise, sans aucun embarras. La
sexualité, ce n’était pas un problème pour elle pendant qu’elle s’en
débrouillait seule, sans la présence réelle de l’Autre.
Barbara est donc poussée à se faire La femme qui fait jouir les
hommes. Dans cette manœuvre, n’est-elle pas en recherche d’une
maîtrise perdue à l’occasion des relations forcées avec son patron ?
Ne pouvons-nous pas considérer ce symptôme comme une tentative
de renouer ensemble RSI ? Il me semble en effet que la rencontre
avec le désir et la jouissance de l’Autre dans sa face réelle est restée
très énigmatique pour elle, comme une expérience hors-sens,
incompréhensible. Elle ne peut pas initialement en rendre compte. La
stratégie imaginaire qu’elle élabore ensuite au moyen de son
exhibition sexuelle sur internet est une façon de recouvrir le trou dans
186
Hypothèse d’un pousse-à-la-femme chez une femme
lequel elle est tombée après avoir accepté sans défense des rapports
sexuels avec son patron. L’écran interposé entre elle et les voyeurs a
sans doute toute son importance, il constitue un filtre qui la protège
du corps-à-corps réel, il rend en même temps plus puissante sa
pantomime où elle se fait La femme-toute qui contente tous les
hommes. Les messages, les commentaires positifs qui lui sont
adressés en retour sont, me semble-t-il, aussi essentiels : ils valident
l’efficacité de l’opération où, avec un certain savoir y faire avec son
image et son corps, elle se construit une identité de femme qui
l’arrime autrement au manque de l’Autre.
C’est la relation avec Kévin, son partenaire actuel, qui met
progressivement un terme à ses pratiques d’exhibition. Face à la
découverte fortuite par le jeune homme de son addiction, Barbara finit
par tout arrêter. Contrainte d’en expliquer les raisons, elle se confie
alors pour la première fois sur les rapports sexuels imposés par son
ancien patron. Elle en fait la cause du montage singulier qu’elle a mis
en œuvre via internet, considéré par le petit ami comme un
dérèglement de sa sexualité à éradiquer totalement, ce à quoi elle
consent car « les besoins des autres sont plus importants que les
siens ».
Encouragée par Kévin, elle fera part à ses parents de sa mauvaise
expérience sexuelle à l’âge de 16 ans. Ce qu’elle ne pouvait pas
subjectiver jusqu’ici lui revient de l’entourage qui interprète cela
comme un abus. Accompagnée par la famille, Barbara engage des
démarches auprès des autorités mais finalement ne porte pas plainte,
décidant de se régler sur le caractère d’ambiguïté de la situation.
Le lien de causalité qu’elle établit entre les rapports sexuels imposés
par le patron et son usage addictif des sites pornographiques valide
notre hypothèse d’une tentative chez elle de se remettre de
l’expérience traumatique par l’appui pris sur la stratégie imaginaire.
En consentant à la figure d’exception de La femme-toute qui satisfait
les hommes, elle se met à distance de l’objet de jouissance de l’Autre
auquel elle s’était vue réduite, sans défense, avec les avances du
patron.
Sans le support de la signification phallique, Barbara est donc
contrainte d’élaborer une solution tout à fait singulière, orientée sur la
187
Audrey Prévot
Autobiographie sommaire
C’est à Rochester (Etat de New-York), où ses parents s’étaient
rendus pour raisons professionnelles, qu’il nait en 1925 alors que
quelques mois auparavant son père – Pierre – décédait brutalement
d’une crise d’appendicite purulente ravageant sa mère, esseulant
l’enfant, trouant par cette « ab-sens » l’univers symbolique de ce sujet
sans père « à la recherche – comme il l’écrira – de l’homme, de la
189
Alain Courbis
190
Le « pousse-à-la femme » dans l’œuvre de l’écrivain François Augiéras
191
Alain Courbis
192
Le « pousse-à-la femme » dans l’œuvre de l’écrivain François Augiéras
Le « pousse-la femme »
Dans l’examen des différents écrits de François Augiéras, P. Lacadée
considère le « pousse-à-la femme » comme une « solution, voie
d’issue pour tenter de loger chez ce sujet les débordements de
jouissance »30. Pour exemple, ceux-ci l’amenaient parfois, revêtu
d’une robe de femme, à « se trousser lui-même pour « se faire bien
jouir » »31. Dans deux ouvrages, qui à l’époque ont pu faire
scandale32, sont décrites deux déclinaisons de ce « pousse-à-la
femme » :
La première assigne à « l’artiste-écrivain », dans son ouvrage
« L’apprenti-sorcier », une position de « servante, d’épouse d’un
prêtre-sorcier qui, ayant instauré avec lui un rapport de soumission
provoquait lors d’échanges charnels ce qu’il avait « en lui de
femme ». Aussi, « faisait-il » avec cet homme « la tendre et
charmante épouse »33.
« Un voyage au Mont Athos », relate des séjours effectués auprès
des moines orthodoxes. Là, le « pèlerin Augiéras, « à la recherche de
la Terre Sainte », connait une « métamorphose éprouvée de la
jouissance dans son corps »34 en se proposant comme « la seule et
jolie fille »35 qui manque aux hommes de la Montagne Sainte de ce
Lieu. « Dans l’obscurité, précise-t-il, la féminité l’emportait alors sur la
virilité »36.
Ainsi, cette « liberté libre » du poète, au-delà des limites que le
phallus et la castration imposent, faisait-elle boussole à la question
de savoir qui il était : « L’épouse en lui » faisait réponse, participant à
sa joie d’exister quand il découvrait cette part féminine « douce et
29 Ibid.
30 Ibid., p. 168.
31 Ibid., p. 167.
32 Augiéras F., « L’apprenti-sorcier » et « Un voyage au Mont Athos ».
33 Ibid., p. 171.
34 Ibid., p. 25.
35 Ibid., p. 172.
36 Ibid., p. 177.
193
Alain Courbis
En guise de conclusion
Dans la phase terminale de sa vie, à la recherche de l’Enchantement
cosmique et aspirant à « devenir la « Claire Lumière
Primordiale » »40, la jouissance subie du Dieu de l’Univers
correspondra à un abandon, un laisser-tomber – mortel – de son
corps. Quant au « pousse-à-la femme », qui lestait son rapport aux
petits autres en voulant incarner La femme qui manque aux hommes,
Philippe Lacadée construit l’hypothèse que ce « pousse à… » peut se
repérer par le surgissement dans l’univers délirant de ce sujet d’une
aspiration à devenir un « quasar ». Ainsi, comme « étoile de la voute
céleste »41, il aura pu vouloir incarner l’astre qui manque à l’Univers.
194
Conférences
Marta Serra Frediani
1Lacan J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », Écrits, Paris,
Seuil, 1966, p. 93-100.
197
Marta Serra Frediani
2 Lacan J., Le Séminaire, Livre I, Les Écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975,
p. 94.
3 Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 181.
4 Lacan J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », Idem, p. 95.
198
Le parlêtre adore son corps
dit : « C’est l’image de son corps qui est le principe de toute unité qu’il
(l’homme) perçoit dans les objets […] »5. Ou, dit autrement, l’objet est
toujours plus ou moins structuré comme l’image du corps du sujet.
Et, dans ce moment de son enseignement, Lacan qualifie la relation
du sujet avec son image de rapport érotique : « […] Ce rapport
érotique où l’individu humain se fixe à une image qui l’aliène à lui-
même, c’est là l’énergie et c’est là la forme d’où prend origine cette
organisation passionnelle qu’il appellera son moi »6.
Se procurer un corps
Le parlêtre « croit » qu’il a un corps, mais c’est une possession
particulière, étant donné qu’il ne l’a pas d’entrée sinon qu’il l’obtient
dans le nouage des trois registres. En introduisant l’ordre de la
croyance entre le parlêtre et son corps est mise en relief l’inévitable
influence du symbolique dans cette relation car, croire ou ne pas
croire est une alternative qui n’est possible que pour ceux qui
soutiennent leur être du langage. La croyance est un pur effet de
langage en ceci que les seuls éléments avec lesquels on peut la
5 Lacan J., Le Séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la
technique de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1978, p. 198-199.
6 Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, op. cit., p. 113.
7 Lacan J., « La troisième », La Cause freudienne, 2011, N° 79, Lacan au miroir des
sorcières, p. 22. Lacan poursuit ainsi : « Au départ, j’ai bien souligné qu’il fallait pour
cela une raison dans le réel. Il n’y a que la prématuration qui l’explique. Ceci n’est
pas de moi, c’est de Bolk […] Cette préférence pour l’image vient de ce que l’homme
anticipe sa maturation corporelle, avec tout ce que ça comporte, à savoir qu’il ne
peut pas voir un de ses semblables sans penser que ce semblable prend sa place —
donc, naturellement qu’il le vomit ».
199
Marta Serra Frediani
9 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 26.
10 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2006, p. 154.
201
Marta Serra Frediani
202
Le parlêtre adore son corps
quelque chose avec son corps – que ce soit l’adorer ou quelque autre
chose qui lui vienne – requiert qu’il le prenne en charge comme une
possession à laquelle il attribue la valeur de pouvoir le représenter,
de dire quelque chose de lui y compris d’avant que le parlant ne
prenne la parole. Pour le parlêtre, dit Lacan, « […] l’idée de soi
comme corps a un poids. C’est précisément ce que l’on appelle
l’ego »15. Et, tout parlêtre est toujours, mentalement, en relation avec
une image de soi-même en laquelle il croit. Il croit que ça, c’est lui, il
croit que ça parle de lui. J.-A. Miller, lors du Parlement de
Montpellier 16, disait que cette image mentale a la particularité d’être
passée par le Photoshop de l’Idéal et que, de cela, surgissent
précisément les difficultés dans la vie du sujet parlant, étant donné
que, très souvent, l’un ne se reconnaît pas dans ce qu’il réalise, dans
ce qu’il fait, parce qu’il se croit semblable à son image mentale. Le
sujet souffre donc de sa croyance, il souffre d’essayer de faire
coïncider ce qu’il vit avec ce qu’il pense de lui-même, avec ce qu’il
pense qu’il est17.
1973, Inédit : « Ce que vous faites, sait — sait : s.a.i.t. - sait ce que vous êtes, sait
vous ». Ce que l’on peut traduire ainsi : « ce que vous faites, sait - sait que vous
êtes, vous savez ». Cependant, avec l'équivoque homophonique en français, cela
donnerait : « ce que vous faites, sait - sait que vous êtes, que c’est vous ».
203
Marta Serra Frediani
18 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, (1972-73), Paris, Seuil, 1975, p. 44.
19 Lévi-Strauss C., Tristes tropiques, Paris, Plon, Terre humaine, 1955, p. 214.
204
Le parlêtre adore son corps
Mais Lacan a dit que « la théorie doit toujours passer ses pouvoirs à
la pratique »21, parce que son enseignement n’était pas celui d’une
philosophie mais celui d’une praxis ; et pour cela il inventa aussi la
passe, avec l’ambition que l’expérience de chacun puisse apporter sa
contribution à l’élaboration épistémique.
C’est cette voie que je vais prendre maintenant pour essayer de
transmettre quelque chose de ce concept complexe qu’est le corps à
partir de ma propre expérience analytique, en divisant mon
témoignage en trois parties : le corps imaginaire, le corps symbolique
et le corps réel.
Le corps imaginaire
« L’homme […] aime son image comme ce qui lui est le plus
prochain, c’est-à-dire son corps. Simplement, son corps, il n’en a
strictement aucune idée. Il croit que c’est moi. Chacun croit que c’est
soi. C’est un trou. Et puis au-dehors, il y a l’image. Et avec cette
image, il fait le monde »22.
cit., p. 95.
26 Lacan J., « L'agressivité en psychanalyse », Ecrits, op. cit., p. 113.
207
Marta Serra Frediani
avec »27, écrit Lacan. J’ai appris à faire de mon corps une possession
à laquelle j’attribuais la capacité et la valeur de pouvoir me
représenter y compris avant de prendre la parole. J’ai appris à utiliser
l’image comme parapet de ma division subjective, pour me réfugier
derrière elle. Dans l’image mentale de moi-même, mon apparence
dépassait de beaucoup mon être. L’idée de moi-même comme corps
avait un poids, ce que Lacan nomme l’ego, duquel de plus il affirme
que : « Si l’ego est dit narcissique, c’est bien parce que, à un certain
niveau, il y a quelque chose qui supporte le corps comme image »28.
81-105.
208
Le parlêtre adore son corps
Du corps symbolique
« L’inconscient, c’est qu’en somme on parle – si tant est qu’il y ait du
parlêtre – tout seul. On parle tout seul parce qu’on ne dit jamais
qu’une seule et même chose – sauf si on s’ouvre à dialoguer avec un
psychanalyste »31.
Je n’ai aucune idée de comment cette histoire surgit, mais j’ai cru
pendant de nombreuses années que c’était un mensonge dont
l’unique but consistait à m’élever au rôle d’héroïne. Je ne réalisais
pas comment je soutenais avec elle un père qui, ayant tout, restait
désirant envers moi, un père avec du désir. Je me suis inventé un
père. La vérité de mon désir jouait à cache-cache avec moi dans le
mensonge. Lacan le dit ainsi : « Le langage de l’homme, cet
instrument de son mensonge, est traversé de part en part par le
problème de sa vérité »32.
32 Lacan, J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 166.
210
Le parlêtre adore son corps
33Freud S., « Esquisse pour une psychologie à usage des neurologues », (1895),
Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956.
211
Marta Serra Frediani
Mais le plus important de cette scène c’est que ce fut le pilier sur
lequel s’édifia le fantasme. En elle, la jouissance rencontra la fixation
et la signification qui favorisa une certaine orientation du désir du
sujet due à l’extraction de l’objet a du fantasme, grâce à la
combinaison des pouvoirs métaphoriques et métonymiques du
langage qui localisa, condensa et déplaça, les parties du corps
imaginaire qui prédominaient dans la scène – les jambes et les
fesses – pour constituer jambon.
Sans aucun doute on m’avait parlé, limitée et grondée pour des tas
de choses avant ce jour – si ce jour a existé – mais c’est précisément
le trait exceptionnel de la contingence : ce jour, dans cette scène,
s’inscrivît l’aliénation du sujet au langage, son consentement à ladite
aliénation et, bien sûr, à ses conséquences de régulation. Et, allant
de pair, se produisit en conséquence la réponse de séparation, livrant
la livre de chair de l’objet a, objet en même temps de la faute du sujet
et du désir de l’Autre.
212
Le parlêtre adore son corps
Le corps réel
« […] nous ne savons pas ce que c’est que d’être vivant sinon
seulement ceci, qu’un corps cela se jouit »36.
« […] les pulsions, c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un
dire »37.
214
Le parlêtre adore son corps
J’ai repris mon analyse sur cette expérience de corps que j’appelais
va-et-vient. Ce baptême eut sa valeur, parce que le propre du sens
c’est précisément ça, nommer, et dès que nous nommons quelque
chose, comme le dit Lacan38, il y a des choses que nous pouvons
supposer qui ne sont pas sans fondement dans le réel.
38 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXII, RSI, Leçon du 11 mars 1975, Inédit.
215
Marta Serra Frediani
216
Le parlêtre adore son corps
217
Esthela Solano-Suarez
1971, p. 87.
3 Ibid., p. 88.
4 Ibid.
5 Freud S., « Observations sur l’amour du transfert », La technique psychanalytique,
6 Lacan J., « Intervention sur le transfert », Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 215-226.
7 Ibid., p. 216.
8 Ibid.
9 Ibid. p. 225.
10 Ibid.
220
Supposé savoir lire autrement
pp. 585-645.
221
Esthela Solano-Suarez
14 Ibid., p. 617.
15 Ibid., p. 618.
16 Ibid., p. 619.
17 Ibid., p. 633.
18 Ibid.
19 Ibid., p. 620.
20 Ibid., p. 622.
21 Ibid.
22 Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient
Or, Lacan insiste sur le fait que toute demande, en tant que demande
inconditionnelle, vise à recevoir de l’Autre un complément d’être.
Ainsi la demande d’amour trouve sa source dans le manque, et
l’Autre est appelé à le combler par le don de « ce qu’il n’a
pas, puisque à lui aussi l’être manque »23.
De sorte que le transfert met en jeu la dimension de la demande,
notamment de la demande d’amour, et son maniement comporte la
mise à l’écart des identifications aux signifiants de la demande, afin
de produire une séparation d’avec l’identification à l’objet d’amour.
Lacan anticipe ici les développements qu’il mettra à jour au cours du
Séminaire XI en termes d’aliénation et de séparation, aussi bien qu’il
ébauche la fonction éminente du fantasme « dans son usage
fondamental » par quoi « le sujet se soutient au niveau du désir
évanouissant »24. Le fantasme étant conçu à ce moment comme
« image mise en fonction dans la structure signifiante »25, sera
soumis à une reformulation de ses prémisses vers la fin du
Séminaire VI, quand Lacan parachève son graphe du désir. Le désir
du sujet sera alors conçu non pas seulement comme la métonymie
du manque-à-être, mais comme étant relatif à la fonction de l’objet
petit α dans le fantasme. L’objet dégagé de ses accointances
imaginaires, voire dégagé de la matrice i(α), devient l’équivalent d’un
objet pulsionnel. Ainsi dans l’analyse, il ne sera pas seulement
question de faire advenir une vérité refoulée, mais de jouer la partie
là où au niveau du fantasme inconscient, s’accomplit une exigence
de jouissance, pas toute accordée au désir de l’Autre.
Dans ce cheminement, la fin de l’analyse sera théorisée par Lacan à
partir de la logique du fantasme, et le maniement du transfert viendra
nécessiter l’élucidation de l’acte analytique. L’acte analytique est la
réponse élaborée par Lacan pour contrer les écueils du transfert là où
il rend ses armes face aux exigences pulsionnelles, lui permettant de
trouver la voie de dépassement de l’impasse dont Freud témoigne
dans son texte « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin ». La
résolution de cette impasse par la voie de l’acte analytique ouvre la
voie de la théorisation de la fin de l’analyse en termes de passe.
223
Esthela Solano-Suarez
224
Supposé savoir lire autrement
29 Ibid., p. 249.
30 Ibid., p. 251.
31 Lire à ce propos le texte de Miller J.-A., « L’Ecole, le transfert et le travail », La
226
Supposé savoir lire autrement
32 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, PUF, 1975, p. 32.
33 Ibid., p. 31.
34 Ibid., p. 37.
35 Ibid., p. 34.
36 Ibid., p. 29.
37 Miller J.-A., « Le tout dernier Lacan », L’orientation lacanienne, Cours du 7 mars
2007, Inédit.
227
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228
Supposé savoir lire autrement
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Directeur de la publication
Jacques-Alain Miller
Responsable
Philippe De Georges