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Poésies PDF

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SAL WIDENER
11156
19 . 100 HN LBNL A
SAL llls6 . 19. 100

Harvard College Library


In Memory of
Aleixode Queiroz Ribeiro
de Sotomayor d'Almeida
Vasconcellos
Count of Santa Eulalia
The Gift of
Iohn B . Stetson Junior
of the Class of 1906
LONDON 1992
Downey S .

an
Stelm

POÉSIES
DE

CORIOLAN ARDOUIN

PRÉCÉDÉES
D 'UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE

PAR

B . ARDOUIN

PORT-AU -PRINCE
R . ETTÉART, EDITEUR

1881
LISTE DES SOUSCRIPTEURS.

M . M. M. M.
C . A . PRESTON 2 DUJOUR PIERRE
M . MONPLAISIR PIERRE I MARCELLUS FRÉMONT
A . Saint-ROME » B . LALLEMAND
EDMOND RÉGNIER " MAXIMILIEN LAFOREST
J . B . FERRUS » EUGÈNE BOUJOLLY
Louis RIVIÈRE ERNEST RIVIÈRE
D . BARBANCOURT ? T . POULLE
M . LAFONTANT " MME. ANGÈLE THORP
STURLA POULLE G . KEITEL
CHÉREST CHAUVET E . LESPINASSE
Tas. VALIN S . PIERRE
ALPHONSE PRÉZEAU " A . L . PRADINES
BEAUBRUN GAUVIN PEDERSEN
Paul ANDREOLI » DUTHIERS
· G . BESSON A . DUVAL
S . F . RÉMY 9 C . F . CarvaLHO
J . A . JEANSÈME ARTHUR CROSSWELL
N . DESLANDES A . COUPAUD
LE GRAND ORIENT D 'Haiti ” C . A . Van BOKKELEN
V . LAPORTE ” JULIEN ED . HÉREAUX
B . St.- VICTOR " WM. GARDÈRE
L . Barau » L . J. ADAM
C . RONEY " ULYSSE DÉCATREL
Cas. FATTON M . CARRÉ
Eug . MALBRANCHE EMILE DUPERVAL
MÉRISIER RÉGNIER LYSIS DYER
N . MITTON » A . D . DUCHATELLIER
M . M . M. M.
L . PROST 1 S . MILLET
St.- ARNAUD PERPIGNAND " . Dr. Roche GRELLIER
LÉONCE COBY " CAMILLE NAU
R . P . WEIK 3 D . LESPINASSE
Félix LESPINASSE 1 P . Roy
CHARLES D 'AUBIGNY A . BORNO
CHARLES Miot A . RossiGNOL
ACHILLE BARTHE LHÉRISSON PARISOT
TWEEDY PETERS & Co. Paul VIEUX
Chs. LAFORESTRIE " FÉLIX CARRIÉ
BOISROND CANAL JNE. BOISROND -CANAL
EDOUARD THÉBAUD JNE . ALIBÉE FÉRY
EDMOND LESPINASSE » MODÉ
DR. AUBRY 2 GRANVILLE
J . H . HOGARTH 1 ADOLPHE DÉJEAN
F . MARCELIN C . MARTIN
C . Vieux B . PRÉZEAU
A . GUYOT C . FOUCHARD
F . VERNA Arthur DUCHATELLIER
H . VAVAL D . BUTEAU
H . ST.-ROME ? Chs. CAMEAU
S . TUÉZAN » E . Nadal
R . RÉGNIER " H . LECHAUD
S . H . DALENCOUR » P . LESPÈS
R . SOLAGE3 » A . GABRIEL
R . LOVELACE Th . VALIN
POESIES
DE :

CORIOLAN ARDOUIN .
PORT-AU - PRINCE
IMPRIMERIE de RITT ETHÉART.
POÉSIES
DE

CORIOLAN ARDOUIN
PRÉCÉDÉES
D 'UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE

PAR

B . ARDOUIN

PORT-AU -PRINCE -
R. ETHEART , EDITEUR

1881
HARVARD COLLEGE LIBRARY
OF SANTA EULALIA
SAL 1156, 19 .100COUNT COLLE CTION
GIFT OF
JOHN B. STETSON, Jr.
FEB 1 1932

HARVARD

** * * *
**
UNIVERSITY
LIBRARY
MA ? 27 1963
AVERTISSEMENT DE L 'EDITEUR

La plupart des poésies de CORIOLAN ARDOUIN ont été publiées , après sa


mort, dans les journaux haïtiens de l'époque, et reproduites plus tard par la
REVUE DES COLONIES , LA REVUE CONTEMPORAINE , ET LA REVUE DES DEUX
MONDES .
- Il restait à les classer, à réunir les feuilles éparses que CORIOLAN a écrites
au courant de la plume, afin d'offrir à ceux qui désirent connaître ce
vrai poète haïtien , un recueil aussi complet que possible.
Il ne faut pas perdre de vue que la plupart de ces pièces n 'étaient
point destinées à la publication , et c'est seulement dans le but indiqué
que nous n'avons pas omis des vers que sans doute il eût modifiés , s'il
avait vécu plus longtemps. .
C 'était une cuvre réservée à M . B. ARDOUIN , son frère, qui avait déjà
publié en 1865 , les Essais de son frère CÉLIGNI ARDOUIN sur l'Histoire
d 'Haïti.
La mort est venue le surprendre au moment où il s'occupait de ce
travail.
En ma qualité de petit-neveu du grand poète , je reprends ce travail
et je l'offre aujourd'hui au public.
Quand ce feu sacré dont la nature est ordinairement si avare étincelle
chez un de ces êtres privilégiés que nous appelons poètes , c'est une gloire
pour le pays où il a vu le jour, et l'on est heureux, quand on
appartient à sa famille, de livrer ses productions au grand jour de la
publicité.
22 Avril 1881.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
- IX –

NOTICE BIOGRAPHIQUE

CORIOLAN , le plus jeune de mes frères , naquit le


11 Décembre 1812 , le jour même où notre Mère
perdit un jeune enfant âgé de deux ans et demi.
Son berceau fut donc placé à côté d 'un cercueil !
Quelques mois auparavant, notre mère avait perdu
un autre fils âgé de 7 ans. Sa grossesse s'en était
naturellement ressentie , et tant de peines influèrent
sans doute sur le tempérament de CORIOLAN qui na
quit excessivement faible: aussi eut-il souvent des con
vulsions nerveuses dars ses premières années. Le
médecin de la famille recommanda de n 'imposer à
cet enfant aucune étude précoce , aucune occupation
exigeant de l'assiduité , afin que le physique pût se
développer à l'aise et se fortifier par des exercices
gymnastiques.
CORIOLAN resta ainsi livré à toute la fougue de l'en
fance jusqu 'à l'âge de 7 ans. Cependant son intelli
gence se décelait par l'attention qu'il mettait à écouter
les conversations les plus graves.
A cette époque, M . J. GRANVILLE , qui dirigeait une
maison d 'éducation dans notre voisinage , imagina de
l'y attirer par l'attrait de quelques jeux appropriés à
cet âge , et auxquels il prenait part lui-même avec
d 'autres élèves de son établissement. On sait quel
talent M . GRANVILLE possédait pour l'enseignement ,
2
— X —
avec quelle bonté il traitait les enfants confiés à ses
soins intelligents.
Son amitié pour notre famille , les caresses inces
santes qu'il faisait à CORIOLAN , captivèrent tellement
celui- ci , qu 'en peu de temps son jeune disciple pas
sait presque toute la journée à l'école où des récréa
tions fréquentes lui étaient offertes , dans le but de
fortifier son physique. Et si M . GRANVILLE ferma son
établissement quelques années après, il ne fut pas moins
destiné lorsqu'il devint Directeur du Lycée National
à achever, avec une sollicitude toute paternelle , l'ins
truction de CORIOLAN. Il sortit de ce collége à peu
près à la même époque que plusieurs de ses condis
ciples , ses amis EMILE NAU , IGNACE NAU , MASSON
DIAS , ADAM , etc .
Ces jeunes gens qui possédaient à un haut degré
le gộut de l'étude , forinèrent un petit cercle qui
avait ses jours de réunioa fixes , et ils ' se sou
mettaient respectivement leurs compositions pour être
examinées et critiquées.
C 'est à cette époque heureuse de la vie que CORIOLAN
parut effectivement à EMILE NAU doué d 'un caractère
gai , aimable et sympathique. Dans le même temps
le sort D 'Haïti était loin d 'être fixé dans ses rapports
avec l’Extérieur , et ces jeunes amis n 'y étaient pas
indifférents: de là leurs sentiments patriotiques qu'a
nimaient encore les récits des contemporains sur les
événements politiques du passé et sur les actions guer
rières de nos devanciers qui s'illustrèrent le plus; de là
aussi l'enthousiasme qu 'éprouvait CORIOLAN et qui le
porta à composer des odes et des poëmes. L 'un de

• Voyez RELIQUIĘ d'un poëte haitien , brochure publiés par EMILE Nav.
- XI
ses premiers essais fut une Ode sur la bataille de Sibert,
journée néaste dans nos annales , où périt COUTILIEN
COUTARD qui se déroua pour le salut de PÉTION .
Les poésies de CASIMIR DE LAVIGNE entretenaient en
lui le feu sacré . Mais CORIOLAN considérait ces pre
mières compositions comme des essais , et ne les des
tinait pas à la publicité.
Ce qui peut justifier l'opinion de MR. A . BONNEAU
sur la nature de son talent poétique " sur la tristesse
et la mélancolie qui formaient les traits saillants de
son caractère éminemment impressionnable, " * c'est qu'à
l'âge de 11 à 12 ans CORIOLAN avait vu mourir
successivement , dans le cours de l'année 1824 , notre
père, mon premier fils, puis sa mère, et notre soeur
aînée. Le deuil de notre famille avait plongé notre
excellente mère dans un profond chagrin qui mina
son existence et l'entraîna aussi au tombeau quelques
temps après.
. Sensible à toutes ces pertes , à la mort de
notre mère qui le gâtait comme son dernier-né ,
CORIOLAN eut pu succomber également , si l' étude n 'é
tait venue lui donner des distractions et nous secon
der dans nos soins. Nous dûmes néanmoins l'éloigner de
1. capitale aussitôt après ce pénible événement , et il
alla connaître SANTO DOMINGO où il passa plusieurs
mois chez nos parents qui habitaient cette ville .
Sa gaîté était revenue, mais les tristes impressions de
son âme sensible furent alimentées par la lecture des
Méditations de LAMARTINE , par les poésies de MILLE

* Vovez. REVIT CONTEMPORAINE du 15 Décembre 1856 . article intitulé :


LES NOIRS, LES JAUNES ET LA LITERATURE FRANÇAISE EN HAITI. MR. GUSTAVE
D ’ALAUX a publié aussi dans la Revue des deux Mondes des appré
ciations sur les poésies de CORIOLAN .
— XII —
VOYE , et ses productions ont pris la teinte de celles
de ses poëtes favoris.
Enfin en 1833 , CORIOLAN devint passionnément épris
de son AMÉLIA. Malheureusement la jeune fille , sur le
point de s 'unir à lui par les liens du mariage , fut
atteinte d 'une maladie qui semblait héréditaire, puisque
M . STERLING , son père, en était mort. Elle fit un vo
yage à St.-MARC pour y voir ses parents ; de là cette
pièce:
Le vent frais de la nuit fait palpiter les voiles , etc.
où le jeune poète exprima quelques craintes par rapport
à sa bien -aimée: un triste pressentiment l'absorbait ;
il alla la chercher à SAINT-MARC.
AMÉLIA revint malade. Leur union se contracta néan
moins le 27 Mai 1835 , et ce jour fut pour nous
tous un jour plutôt de tristesse que de joie , car nous
reconnaissions que la santé de la jeune mariée était
profondément altérée. En effet les soins les plus intel
ligents , les plus empressés , ne purent la rétablir et
le 21 Octobre de la même année , cinq mois à peine
après son mariage , AMÉLIA succomba !
Toutes les illusions de CORIOLAN s'évanouirent aux
peines qu'il éprouva par ce malheur irréparable ; ses
premières impressions de tristesse se réveillèrent. C 'est
alors qu 'il écrivit cette mélancolique poésie intitulée:
La brise au tombeau d ' Emma.
Sa cruelle destinée voulut que peu après, il fut lui
même atteint de la maladie dont sa femme mourut.
La science épuisa vainement ses ressources pour l'en
guérir ; l'amitié , les affections de la famille ne purent
exercer aucune influence pour dissiper le triste pres
sentiment qu 'il avait de sa mort; le physique souffrait
-- XIII —

et le moral était encore plus cruellement atteint! Par


fois cependant il nous donnait le change sur son
intime douleur, il s'efforçait de paraître gai, et c'est
alors qu 'il composa la pièce adressée à son âme:
Toujours des pleurs, mon âme, et jamais un sourire !
Puis il écrivit cette dernière et désolante poésie :
Pauvre jeune homme, âgé de vingt-un ans à peine etc.
Le 12 Juillet 1835 , CORIOLAN cessa de souffrir !
- Et nous ses parents , nous eûmes le pénible devoir
de placer sa tombe à côté de celle d 'AMÉLIA .
Trente années se sont écoulées depuis que ce triste
événement a frappé ma famille , et M . DELORME, du Cap
HAITIEN , par son article du ler. avril , publié dans
l'Opinion Nationale , vient de faire revivre la mémoire
de CORIOLAN ARDOUIN . C 'est là une douce consolation
pour toute notre famille , et je le remercie sincèrement
d 'avoir bien voulu analyser , avec son mérite incontes
table , le caractère et le talent poétique de mon in
fortuné frère !
En lisant son article , on constatera que pour ap
précier ainsi les ouvres de ce jeune poète , il faut
être poète soi-même.
B . ARDOUIN .

1865.
A IGNACE NAU
- 3 –

A IGNACE NAU .

Mon ami! quand l'orage gronde ,


Quand l'éclair éblouit nos yeux
Et qu'une obscurité profonde
Confond la terre avec les cieux ,
Sous le nuage qui les voile
Il ne scintille aucune étoile ,
Et les oiseaux n 'ont point de voix !
La foudre éclate dans les bois !
II

Ami! quand l'ouragan soulève


Les flots écumeux de la mer ,
Et qu 'ils s'élancent sur la grève
Ou volent se briser dans l'air ,
Tant que n 'a cessé la tourmente ,
Jamais la gondole riante ,
An bruit des rames n ’a glissé
Sur l'océan bouleversé !
III

Ah ! lorsque la douleur comme un cancer nous ronge , .


Quand le dard des soucis, hélas! dans nos caurs plonge ,
Et que notre avenir en un pâle lointain
S 'obscurcit à nos yeux ou vacille incertain ,
Attendons qu 'il nous luise un rayon d 'espérance ,
Et poëtes , souffrons , dans l'ombre et le silence !

e
LE SOMMEIL DE L 'ENFANT
LE SOMMEIL DE L 'ENFANT.

Sur sa natte de jonc qu 'aucun souci ne ronge ,


Ses petits bras croisés sur un coeur de cinq ans ,
Alaïda sommeille — heureuse! et pas un songe
. Qui tourmente ses jeunes sens !

Ce coeur sans souvenirs, cette âme que ne ride


- Nulle pensée humaine , et ce tendre souris
Que l'ange eût envié , cet air pur et candide ,
Ces douces , ces paisibles nuits ,

Sont aux enfants ! L 'enfance est l'onde bleue et claire


Qui dort au pied d'un roc dans son bassin d'argent:
Que font à l'humble flot les vents et le tonnerre
Et les soupirs de l'Océan ?
LA JEUNE FILLE
J'entends la voix de mon bien-aimé, le
voici qui vient sautant sur les montagnes
et bondissant sur les coteaux.
Cant. des Cant. Chap. 2.
– 11 –

LA JEUNE FILLE .

Pour l'avoir vu , je souffre et je ne puis dormir ;


Mon sommeil s'évapore en amour , en soupir ,
Car depuis , je ne vois sur mes flots que sa voile !
Je ne vois dans mon ciel briller que son étoile !

Lorsque la houe en main , je m 'en vais dans les bois ,


Lorsque sous le palmier , je m 'arrête et m 'asseois ,
Toujours il m 'apparaît et poursuit ma pensée !
Oui, par la brise ainsi la liane est bercée ,
Sous le feuillage ainsi l'oiseau poursuit l'oiseau ,
Ainsi l'ange apparaît à l'enfant au berceau.

Hier soir , il était venu sur la colline


Et de loin , j'entendis sa douce mandoline;
Mais je n 'ai point qui d'ici ce qu 'il chantait.
4 :
- 12 -

Oh ! serait -ce mon nom ? oh ! si son coeur battait


Pour moi ! — Beau colibri, sur tant de fleurs écloses
Promène tes couleurs ! baise toutes les roses
Dont le jardin s'émaille , et ne vole jamais
Au souci , la fleur d'or , l'emblème des regrets.
— 13 —

A * * *

Seule assise en ce lieu , vous rêvez , jeune fille !


Vous êtes dans le ciel une étoile qui brille ;
Où donc projetez-vous vos doux et purs rayons ?
Sur la source isolée ou sur le haut des monts ?
Rêvez-vous au printemps ? Rêvez-vous à votre âge ?
Est -ce à l'oiseau qui chante? Est- ce au flot du rivage?
A ce vent embaumé de l'essence des fleurs
Rêvez-vous ? Rêvez-vous au plus pur des bonheurs ,
Au bonheur d 'être aimée et d 'être jeune et belle ?
Ou bien votre âme est sombre et se désole -t-elle ?
Peut- être pensez-vous qu'il n 'est qu'une saison
Pour briller en ce monde , et qu 'au pâle horizon ,
L 'étoile d 'or se couche, évanouie , éteinte ?
Oh ! soit que votre cour exhale une complainte ,
Soit qu 'il se berce enfin des rêves les plus doux ,
Je vous aime, et l'objet de mes rêves , c'est vous !
UNE MATINÉE
Un fleuve sortait d' Eden pour arroser le
jardin.
GENÈSE. Chap. 2.
17 —

UNE MATINÉE

Il a plu cette nuit , et la brise est plus douce


Et l'oiseau semble mieux sautiller sur la mousse ,
Et les arbres verdis portent des diamants
Que suspend la rosée à leurs rameaux flottants.

Fraîche , riante et belle ,


La campagne étincelle
Sous des paillettes d 'or ;
Et la forêt immense
Au vent qui la balance
Soupire un vaste accord .

Le beau fleuve ! voyez le fleuve , comme il coule !


En de longs plis d 'azur son onde se déroule ,
Et des bambous touffus en dôme entrelacés
Etendent des deux bords leurs rameaux balancés,
- 18 -

Cora ! ta pirogue rapide


Arrive et t'appelle à son bord !
Apporte à l'espagnol avide
Ces paillettes et ces grains d 'or.
Et le fleuve reçoit la gentille indienne
Avec son panier d 'or ,
Et Nolisco gravit le sommet d 'un vieux chêne
Pour la revoir encor.
Nolisco voit la barque , et la barque avec grâce
Glisse sur les flots bleus,
Et le sillon d 'argent que sur l'onde elle trace
Etincelle à ses yeux !
LA PLAINE
- 21 -

LA PLAINE

Quand l'éternel fardeau des ennuis de la ville


Nous pèse ; quand l'esprit qui se traîne servile
Veut secouer sa fange et marcher libre et pur ,
Que le ciel est de brume et sans un coin d 'azur ,
Que l'onde est sans murmure et dans l'argile conle ,
Que le soupir du vent cède au bruit de la foule ,
Comme un oiseau lâché dans le bleu firmament ,
Le poète ouvre l'aile et s'envole en chantant.
II

Il aime la vallée
L 'ombre et le flot léger
De la source isolée ;
Il suit toute une allée
De saule ou d'oranger.
— 22 –

C 'est le troupeau qui bêle


Aux luisantes toisons,
C 'est la folle hirondelle
C 'est la dalle ou ruiselle
L 'eau qui descend des monts.
Ce sont des chants d'ivresse
Qui se mêlent au vent,
C 'est la fumée épaisse ,
C 'est le moulin que presse.
La roue en tournoyant.

C 'est le boeuf qui rumine,


C'est le conteur du soir
Pinçant la mandoline;
Elle pleure , Améline
Et gémit au manoir !
C 'est la tonnelle ombreuse , *
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

* La feuille où se trouvait la fin de la pièce , marique dans le ma


nuscrit.
- 23 —

Ma vie est devenue ennuyeuse à mon âme;


je m 'abandonnerai à mes plaintes , et je parlerai
dans l'amertume de mon coeur.
JOB. Chap. 10.

La tristesse n 'est pas une fleur du jeune âge.


La brise vole et chante , et baise le feuillage,
La Rose vient d 'éclore et le Cygne d 'amour
Glisse sur les flots bleus où se mire le jour.
Tout est joie et plaisir dans le coeur du jeune homme!
Il s'emplit des parfums dont la brise s'embaume,
Et comme sur le lac le beau cygne qui fuit
-Laisse à peine un sillon que la lame détruit ,
Il glisse sur la vie et nage à sa surface ,
Cette vie , océan qui gronde et qui s'amasse ,
Qui compte mille écueils, et qui n 'a pas un port
Où la vague écumante, un jour calme, s'endort!
— 24 —

Oh ! si mon coeur est plein de larmes , d'amertume,


Comme une onde de sable, ou comme un ciel de brume,
C 'est que je n 'ai connu que peines et douleurs ,
C 'est qu 'enfant je n 'ai bu qu'un lait mêlé de pleurs ,
C 'est que le jour fatal où m 'a souri ma mère ,
Dans la chambre voisine, on couvrait d 'un suaire
Le cercueil de mon frère ! oh ! j'ai bien vu depuis !
J 'ai passé , l'oeil ouvert et mouillé , bien des nuits!
Depuis , j'ai vu mourir à quinze ans père et mère !
Tout le miel a tari! reste l'absinthe amère !
- 25 —

A UN AMI. .

La foule est insensible au vieux toit qui s'écroule,


A l'oiseau qui s'envole , au murmure de l'eau ,
Et pour elle le monde est toujours assez beau ;
Mais nous qui ne brûlons que de la pure flamme ,
Mon ami, notre monde est le monde de l'âme.
Tout n 'est que vanités , que misère et douleurs ;
Le coeur de l'homme juste est un vase de pleurs.
LES BETJOUANES.
Quand vous verrez que les filles de Silo
sortiront pour danser avec des flûtes, alors
VOUS vous élancerez des vignes, et vous
enlèverez pour chacun sa femme, et vous
vous en irez au pays de Benjamin .
LES JUGES. Dernier Chap .
Un négrier snr l' Atlantique
Courait sans lumière et sans bruit.
Ignace Nau. - Poésies inédites.
LES BETJOUANES 29

LA DANSE

Comme une fille demi nue


Laisse les ondes d 'un bassin ,
La lune que voile une nue
Sort de l'océan indien .
Joyeuse , la mer sur la grève
Vient soupirer avec amour ;
Le pêcheur en sa barque rêve
A ses gains ou pertes du jour.
Au loin les brunes Amirantes
Avec leurs sandals , leurs dattiers ,
Brillent sur les eaux murmurantes
Ainsi que l'île des palmiers .

Spectacle ravissant! nombreuses


Comme les étoiles des cieux ,
Les Betjouanes gracieuses
Dansent à fasciner les yeux !
LES BETJOUANES

Voyez , à l'éclat de la lune ,


Etinceler leurs bracelets ;
Oh ! qu 'elles sont belles chacune !
Admirez- les , admirez-les !

Les sons du tambour retentissent


Et vont dans la forêt bien loin
Se perdre ; les lions rugissent
Aux alentours , mais c'est en vain .

La Betjouane se balance ,
Recule , vient, recule encor ;
Mais cette fois elle s'élance
Et plane au-dessus du Sotor ;
Et les mains battent en cadence ,
Et mille harmonieuses voix ,
Douce musique de la danse ,
Se prolongent au fond des bois.
Dansez , jeunes filles d'Afrique !
Tandis que vous chantez en choeur.
Dansez ! la danse est poétique ;
La danse est l'hydromel du coeur.
LES BETJOUANES

CHANT DE MINORA.

“ C 'est le son du tambour“ dit-elle


“ Que m 'importe à moi le tambour ,
“ Qu 'importe à la lionne une ombre fraîche et belle ,
" Si le lion n 'est alentour !

“ Apprends-moi, mon fleuve limpide ,


“ Apprends-moi , mon bleu Koûranna ,
“ Sous quels cieux ton onde rapide
“A vu l'amant de Minora.

" Il est parti malgré mes larmes,


“ Il est parti son arc en main ;
" A -t-il trouvé la mort ? a-t-il trouvé des charmes
" Ingrat ! sur quelque sol lointain ?
" Désormais errante et pensive ,
: “ J'irai m 'exiler au désert.
“ Le malheur m 'a touchée, et pauvre sensitive ,
" Je ferme mes feuilles à l'air !
32 LES BETJO
UANES

“ Apprends-moi , mon fleuve limpide ,


“ Apprends-moi, mon bleu Köûranna ,
" Sous quels cieux ton onde rapide
“ A vu l'amant de Minora.”
Puis, suivant du regard le fleuve dans la plaine ,
Elle comtemple encor son cours majestueux ,
Lui, si calme et si bleu , lui dont l'onde sereine
A vu tant de climats, passé sous tant de cieux.
LES BETJOU ANES

LE BAIN .

Baignons-nous ! baignons-nous , dit l'une ,


Et toutes ont dit: baignons-nous !
Les feux paisibles de la lune ,
En se mêlant aux flots , rendent les flots plus doux.
Et c'est Minora la dernière
Qui laisse de ses reins tomber le beau santal,
Comme l'astre des nuits , reine brillante et fière ,
Attend que chaque étoile aît montré sa lumière
Pour faire luire au ciel son globe de cristal.

Le Koûranna gémit d 'ivresse


En entendant glisser sur ses ondes d'argent ,
Ces vierges que dans sa vieillesse ,
Il ose encore aimer comme aime un jeune amant.

Le nén uphar et les mimoses ,


Etendant des deux bords leurs guirlandes de fleurs
Se confondent avec ces roses
34 LES BETJOU ANES

Mais tandis que nageant ainsi qu'une Syrène ,


La Betjouane fend les flots ,
S'y plonge et laisse à peine
Balancer son corps sur les eaux ,
Un bruit lointain s'élève ;
Il s'éteint. Est- ce un rêve ?
Le bruit s'élève encore et de nouveau se perd !
La Betjouane timide
Abandonne toute humide
Le fleuve qui s'en va plus limpide et plus clair.
LES BETJOUANES

LES BOSCHISMENS.

Fuyez , filles timides ,


Fuyez de toutes parts !
Les Boschismens avides
S 'élancent. Leurs regards
Sont des regards d'hyène ;
Ils viennent , vagabonds ,
Par les chemins de plaine
Par les chemins de monts !
Tout en eux est farouche.
De misérables peaux
Les couvrent. . . . . . . . .
. .. .. . .. . . . . . .. .. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ils bondissent de joie ,
Quand par hasard leurs yeux
Tombent sur quelque proie .
. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . ,
D 'une ivresse infernale
Tout leur être est saisi ,
36 . LES BETJOUANES

Lorsque du sang qui coule


Colorant leurs cheveux , .
Ces barbares en foule
Mêlent des cris affreux
Aux cris d'une victime,
Singeant ses mouvements ,
Et conviant au crime
Tous leurs petits enfants.
. . . . . . . . . . . .... . . . . . . .

.. .. .. .. .. .. . . . .. . .
La Betjouane écoute : un bruit lointain s'élève
Encore et retentit. Ce bruit , était-ce un rêve ,
Ou le simoun impur qui tournoyait dans l'air ?
En vain Minora fuit et dans le bois se perd .:
. . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . ..
''
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et comme sous soal aîle , un vautour brise et ploie
Le cou frêle et blanc du ramier ,
Les cruels Boschismens en ont fait une proie
Qu'ils destinent au négrier.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .
Adieu , les nuits d 'ivresse !
Adieu , son du tambour ,
Récits de la vieillesse
LES BETJOUANES 37

A la chute du jour ,
Promenade rêveuse
Le long du fleuve bleu ,
Et la tonnelle heureuse
Et le culte du dieu
Qu'adorait leur jeunesse
Dans les bois d 'alentour !
Adieu , les nuits divresse
Adieu , son du tambour !
38 LES BETJOUANES

LE DÉPART DU NÉGRIER.

Le vent soufflait ; quelques nuages


Empourprés des feux du soleil ,
Miraient leurs brillantes images
Dans les replis du flot vermeil.
On les embarque pêle -mêle ;
Le négrier, immense oiseau
Leur ouvre une serre cruelle ,
Et les ravit à leur · berceau !

L 'une , le front sur le cordage


Répand des larmes tristement;
L 'autre de l'alcyon qui nage
Ecoute le gémissement;
L 'une sourit dans un doux rêve ,
Se réveille et soupire encor ,
Toutes en regardant la grève
Demandent son aîle au Condor.
LES BETJOUANES

- Minora , quel exil pour ton coeur et ton âge !


Son oeil réfléchissait le mobile rivage:
Elle était sur la proue : on dirait à la voir ,
Toute belle , et des pleurs coulant sur son visage ,
Cet ange qui nous vient dans nos rêves du soir .

C 'en est fait ! le navire


Sillonne au loin les mers; .
Sa quille entend l'eau bruire
Et ses matelots fiers
Aiment sa voile blanche
Qui dans les airs s'étend
Et son grand mât qui penche
Sous le souffle du vent.
Car à la nef qu'importe
La rive qui l'attend ;
Insensible , elle porte
Et l'esclave et le blanc !
_
Floranna la Fiancée.
- 43 —

FLORANNA LA FIANCÉE .

Anacoana ;: la Reine ,
Voyant que le ciel est pur ,
Qu 'un souffle berce la plaine ,
Que la lune dans l'azur
Se perd ; voyant sur la grève
La mer que nul vent soulève
Mourir tranquille et sans voix ;
Elle appelle ses compagnes ,
Les roses de ses campagnes ,
Les colombes de ses bois !
Elles viennent sur la mousse
Formant un cercle de soeurs ;
Chacune est naïve et douce ,
Et toutes , brillantes fleurs
- 44 -

Que perle une aurore humide


Regardent d 'un meil timide
La Reine Anacoana ;
Soir voluptueux ! les brises
Des senteurs les plus exquises
Parfument Xaragoa !
11

Innocence et beauté ! - Toutes à la peau brune ,


Luisante comme l'or à l'éclat de la lune !
Moins fraîche est la rosée , et moins pur est le miel,
Moins chaste , la clarté des étoiles du ciel!
Floranna , la plus jeune et la plus ingénue,
Laisse voir sur ses traits son âme toute nue ;
Car la vierge 'rougit d 'ivresse et de pudeur ;
Car les pulsations de son candide cæur ,
Disent que Floranna . d 'une douce pensée ,
Comme l'onde des mers , cette nuit est bercée.
Des roses, des jasmins embaument ses cheveux ,
Et de même qu 'on voit sur un lac aux flots bleus ,
S 'incliner mollement les longs rameaux du saule ,
Sa chevelure ainsi flotte sur son épaule !
Oh ! chez elle pourquoi cette molle langueur ,
Ces craintes , et ce front penché comme une fleur
Que la brise toucha de son aile amoureuse ?
Oh ! c'est que Floranna , la fiancée heureuse ,
Demain verra briller le jour de son hymen .
De là , ces battements précipités du sein ,
Et ce regard voilé qui se lève et qui tombe ,
Et cette rêverie où son âme succombe !
- 45 -

Quand elle dormira , mille songes dorés


Lui montreront la fête , et les guerriers parés ,
Et ses joyeuses soeurs , abeilles des allées ,
Lui composant un lit de ce que les vallées ,
Les plaines ou les moits ont de parfums exquis
Pour embaumer l'azur et la brise des nuits.
Oh ! qu ’un ange debout la contemple et la veille !
Qu'elle rêve en silence , et qu elle se réveille
A la voix des oiseaux chantant l'aube du jour ,
Heureuse ainsi , vivant de rosée et d 'amour !
.. . . . .. . . . . . . . . .. .. . . . . .. . . . . .
L 'oiseau dont l'oiseleur a dépouillé le nid ,
Et qui voit le barbare enlever son petit ,
Demande-t-il au ciel de ternir son plumage
Ou ne chante-t-il pas , triste , sous le feuillage ?
Il chante ! Le vallon l'entend chanter encor !
Jamais plus douce voix ! jamais plus doux accord !
Que deviendrait l'oiseau , si ployant son cou frèle ,
Muet , il le couvrait des plumes de son aile ,
Si sourd à toute brise , et ne cherchant ni grain ,
Ni flot bleu ruisselant dans le creux du ravin ,
Ni le chêne des monts , ni l'orme de la plaine,
Il se taisait , la voix encor toute sereine !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- 49 —

* * *

Malheur à l'habitant de l'Afrique sauvage


Qui buvant une eau pure et sous l'ombrage assis , .
Voyant le sable au loin monter comme un nuage ,
De la bonté d 'un Dieu n 'aperçoit pas l'image
Dans le gazon des oasis !

Insensé que celui dont la pitié s'efface ,


Qui n 'a pas une larme à donner au malheur ,
Qui voit mourir le pauvre et détourne la face
En disant: " ce n'est rien , rien , c'est la mort qui passe,
" C 'est un indigent qui se meurt ! "

Pourtant voilà le monde ! et dans cette demeure


Où notre âme languit , voilà ce que toute heure
Etale en spectacle à nos yeux.
La veuve et l'orphelin ont perdu leur patrie ;
Mais dans leur triste exil, l'espérance chérie
Les console du moins en leur montrant les cieux.

- Cette pièce est une réponse à des vers sur l’Indifférence du monde.
- 50 -

Prions donc; pour prier joins ta voix à la mienne .


Comme ton pauvre a , fui ces temples de la haine ,
Fuyons les perfides cités.
Pour qui sent Dieu partout la forêt n 'est pas vide ;
Là , son hymme plus pur , sous un ciel plus limpide ,
Monte mieux au séjour des saintes vérités.
LA BRISE AU TOMBEAU D 'EMMA.
Retirez-vous, aquilon ; venez , ô vent
du midi!
CANT. DES CANT. Chap. IV .
. . – 53 —

LA BRISE AU TOMBEAU D 'EMMA.

Emma , lorsque tous deux assis dans une yole ,


Nous voguions sur les mers , mon front sur ton épaule ,
Et le tien sur mon coeur , oh ! c'étaient de beaux jours !
Tu me disais , voyant courir les blanches lames ,
Tandis que s'élevaient et retombaient les rames :
" Ecoutons soupirer la brise des amours."

Depuis , nous avons vu s'écouler bien des choses,


Le soir a détaché du rosier bien des roses;
Et cette brise , Emma , si douce sur les flots ,
Je l'entends aujourd'hui, pleurante et solitaire . . . .
Ah ! si l'on peut encore ouïr dessous la terre ,
Ecoutez soupirer la brise des tombeaux.
LE PONT ROUGE.
Comment les forts sont-ils tombés ?
Comment la gloire des armes a -t-elle péri ?
LES ROIS .— LIVRE I , chap. I.
— 57 —

LE PONT ROUGE.

C' est là qu'il est tombé dans toute sa puissance


Celui dont le bras fort conquit l' Indépendance !
· Que lui fesaient à lui sa gloire et son grand nom ?
Sous son pied d 'Empereur il foula cette gloire ,
Et du sang fraternel il a taché l'histoire
De notre révolution !

Pourtant il était beau , quand tirant nu son glaive, ,


Il s'écria : ton jour, ô liberté ; se lève !
Cri de lion qui fit tressaillir les déserts !
Cri sublime ! Et soudain de vils troupeaux d 'esclaves
Deviennent des guerriers qui brisent leurs entraves
En s'armant de leurs propres fers !
· II

Le blanc disait : " Toussaint expire !


" L 'aigle est tombé dans nos filets !
" Rage impuissante ! vain délire !
" Ils redeviendront nos sujets !
- 58 -

" Et nous rirons de leur défaite ,


"De leur orgueil , de leur espoir !
" La liberté n 'était point faite
"Pour l'homme qui porte un front noir."
III
Dessaline apparut superbe , grand, immense !
Lui-même les pendit à l'ignoble potence ,
Qu'élevèrent pour nous leurs criminelles mains !
C 'était pitié de voir la terreur dans leurs âmes !
Pâles , on les prenait sous des habits de femmes ,
Et leurs têtes tombaient à paver les chemins !
Oh ! s'il voulut détruire après son propre ouvrage ,
Si contre des écueils sa barque fit naufrage
Et qu'il s'ensevelit sous un triste linceul,
C 'est qu'il faut que d 'un ciel la clarté se ternisse ,
Que le flot se mêlant au sable se brunisse ,
C 'est que la pure gloire appartient à Dieu seul.
PETION.
— 61 —

PÉTION .

Quand le ciel se dorait d 'un beau soleil couchant;


Quand il voyait le soir aux brises d 'Orient ,
Jeter les premiers plis de son écharpe noire ,
Et qu'au pied du palmier quelques soldats assis ,
Quelques vieux compagnons d 'infortune et de gloire ,
Contaient leurs peines , leurs soucis ;

Il s'approchait alors , toujours pensif et sombre ,


Recueillait leurs aveux , se mêlait à leur nombre ,
Et parlait à chacun comme à son propre enfant.
Puis , il s 'en retournait triste et mélancolique ,
Puis , quand la nuit venait , il la passait , rêvant
Aux destins de la République .
Et son coeur palpitait , et son front incliné ,
Dans ses deux mains tombait , de rides couronné.
Oh ! que d 'illusions dans son âme bercée !
Le présent trop étroit ne peut les contenir ,
Et sa pensée alors , sa sublime pensée
Vole au devant de l'avenir !
— 62 —

II

Ainsi , lorsqu'au doux bruit des voiles ,


Aspirant le parfum des mers ,
Le nautonnier voit les étoiles
Briller et flotter dans les airs ,
Il rêve une lointaine plage
Que ses yeux ne verront jamais !
Car bientôt la voix de l'orage
Réveille ses sens inquiets ;
Bientôt le souffle de la brise
Cède aux fureurs de l'ouragan ,
Bientôt c'est la nef qui se brise
Sur les écueils de l'océan .
III

C 'est le mal qui triomphe et le bien qui s'exile !


C 'est l'immense volcan de la guerre civile
Eclairant notre nuit de son funèbre éclair !
Avides de son sang qu'ils ne peuvent répandre , .
Ce sont des insensés qui voudraient que sa cendre
Fut jetée aux brises de l'air !

Hélas ! en vain sa fille , ange du ciel venue ,


Montrait à ses regards son enfance ingénue !
Comme un astre pâli se plonge à l'horizon ,
Il abîma son coeur en des flots d'amertume ,
Et lorsqu'après sa mort on écarta l'écume ,
On vit le désespoir au fond !
A AMELIA.
- 65 –

A AMÉLIA .

Le vent frais de la nuit fait palpiter les voiles ,


Lemarin sur les mers t'appelle , Amélia !
Vois comme ton esquif est couronné d 'étoiles ,
· Dieu te ramènera !

O vague ! ne soyez qu 'une mourante lame


A la nef qu 'embellit la brune qui s'en va !
La nef l'emporte en vain : âme, soeur de mon âme ,
Dieu te ramènera.

Hélas! adieu. Saint-Marc , étonné de ses charmes ,


La prendra pour un ange et se prosternera !
Moi, je reste et je pleure. oh ! pourquoi tant de larmes ?
Dieu la ramènera .
MILA .
Ainsi que l' oiseau dont le chant
S'harmonie au vent dans la plaine ,
Que nos soupirs de voix humaine
Montent, musique aérienne ,
Au dôme du ciel éclatant !
Lorsque la liberté naissante ,
Vierge guerrière au front altier ,
Grandit chez nous, belle et puissante ,
Pleurons sur Mila gémissante
Morte sous l'ombre du palmier !
C. A.
MILA

Hélas ! je me souviens de ce jour que mon père


Me dit la mort si triste et l'existence amère
De Mila , la pauvrette , éteinte avant le temps !
Je me souviens encor de cet ange des champs !
Sa démarche était simple , et son âme aussi douce
Que la lune qui dort un beau soir sur la mousse .

“ Quand le vent du matin


" Fait balancer les cannes ,
" Et m 'apporte au jardin
“ L 'odeur des frangipanes ,
“ Ce vent me dit:
“ Fille d 'Angole ,
" Le beau créole ,
“ Ta chère idole ,
" Dieu l'a béni !
“ Dieu l'a béni ! ” .

“ Sur ma maison de paille ,


“ Quand le soir un oiseau
“ Chante petit et beau ,
“ Pour mon coeur qui tressaille ,
- 70 . MILA
.

“ L 'oiseau me dit:
" Fille d 'Angole ,
“ Le beau créole ,
" Ta chère idole ,
" Dieu l'a béni !
" Dieu l'a béni !”
“ C 'est Osala que . j'aime!
“ Dieu , soyez son appui ,
* Et répandez sur lui
" Votre bonté suprême !
**Et Dieu me dit:
“ Fille d 'Angole ,
“ Le beau créole , .
* Ti chère idole ,
- Je l'ai béni !
" Je l'ai béni ! ”

Mila laisse dormir les herbes sous sa houe ,


Et sur elle se penche et rêve doucement ,
Et regarde le vent qui joue
Avec la came au loin , comme eût fait un amant.

Oh ! que de fois , Mila , la colombe plaintive


Enivre de ses chants la vallée attentive ,
Quand l'écho .trop ingrat à ses accents d'amour
La trahit , la découvre aux griffes du vautour.
MILA 71

Mila , c 'est une esclave , et la naïve angole


Appelle Elbreuil “ mon maître.” Ainsi qu 'une créole
Elle est belle , Mila ! c'est la fleur du jardin .
Oh ! qui pour la cueillir ne tendrait pas la main !
Sa beauté , doux rayon , flamme divine et pure ,
N 'attend pas pour briller l'éclat de la parure :
C 'est l'étoile des nuits aux feux plus scintillants
Lorsqu'un nuage obscur l'entoure de ses flancs .
Lorsque Mila chantait sa chanson ingénue ,
Elbreuil n 'était pas loin ; et , ravi , l'âme émue ,
Le colon écoutait : la brise lui porta
Les paroles d 'amour et le nom d'Osala .
Retenant ce nom , il s'avance.
Il la voit sous un ciel brûlant ,
Travaillant avec patience.
D 'abord son langage est d'un blanc :
C 'est une pitié qui vers elle
Le conduit. — Puis changeant de ton ,
Il lui dit qu 'elle est la plus belle
De toute l'habitation !
72 MILA

Elle est la fleur de la colline !


L 'oiseau chantant sur le palmier !
Son âme est la blanche aubépine !
Sa voix est la voix du ramier !
Mais c'est vainement qu 'il la presse,
Le maître ,ne peut la ſéchir ,
Car de son coeur elle est maîtresse.
Le Colon se sentant rougir ,
De fuir promptement se hâte ,
Et craignant qu 'à l'oeil de Mila
La rougeur de son front n 'éclate ,
Par un sentier , non loin de là ,
S 'éloigne et disparaît .
Une noire pensée ,
Maintenant qu'il est seul , de son cæur élancée ,
S 'imprime sur ses traits ; de mille éclairs ses yeux
Scintillent et sa bouche en un sourire affreux
Se ride. Il est muet de honte et de colère.
Silencieux , il marche en regardant la terre.
On dirait le démon du séjour infernal
Rêvant profondément et ne rêvant que mal.
MILA 73

C 'est la cloche argentine


Qui sonne le repos ;
Tout le troupeau rumine ,
Couché près des ruisseaux .
Le soleil monte et brille
Au plus haut point des cieux ;
L 'onde ardente scintille ,
Eblouissant les yeux .
Le rossignol soupire !
A cette heure du jour ,
C 'est la vivante lyre
Du coeur et de l'amour.

A cette heure venez , venez aussi l'entendre ,


Esclaves malheureux . Son nid est sur vos toits !
Ce chantre aimé du ciel ne sera pas moins tendre
Si l'esclave écoute sa voix .

Osala , c'est ce beau , c'est ce jeune créole


Qui s'avance en sifflant, à travers le vallon :
Le bonheur un moment brille aux yeux de l'angole
Et s' épanouit sur son front.
Il arrive. “ Voilà , ” dit- il , “ ma tendre amie ,
Car fruits
• “ Quelques up des
je coet fert, mque
souffleurs ae jjee t'a pporte. prends.
t'apporte,
“ Oh ! j'ai beaucoup souffert, mais ma peine est finie ,
Car je te vois et je t'entends.”
74
MILA

Tous deux obéissant à la douce nature


Se parlèrent de l'âme à l'ombrage des bois ,
Et doutèrent ensemble en leur ivresse pure
Qu'on s'aimât comme eux autrefois .
"Ce soir , lorsque la lune au haut de la colline
" Montera” disait-elle “ Osala chantera
" Quelques uns de ces airs que sur sa mandoline
Il fit pour sa bonne Mila .
" Et moi je te dirai quelque histoire natale
“ Comment on sait dompter le lion le plus fier ,
“ Et puis je dépeindrai la brise si fatale
“ Aux habitants du Grand-désert.

" Doux pays de l'Afrique, oh ! que je t'aime encore !


“ Pour le tigre et le blanc, Dieu fit un même coeur !
" Plus , je vis avec eux et plus je les abhorre !
" Pour eux l'or , pour nous la douleur ! ”
Osala répondit: " Mila , pourquoi ces larmes ?
" Au lieu de tant gémir , adorons-nous plutôt !
" Tousmes chagrins s'en vont, quand j'admire tes charmes.
“Garde tes pleurs pour mon tombeau ! "
Il dit , et l'embrassa timide et palpitante !
La vie est le Sarah , l'amour , c'est l'oasis
Où l'on voit , à l'abri de l'arène inconstante ,
Flotter - le duvet des épis.
MILA 75

Deux heures ont sonné , l'esclave aux champs revole !


Non , il n'a point d'ailes , le temps ,
L 'orsqu 'il sépare deux amans !
Quand viendra le soir qui console ?
C 'est mourir que d 'attendre ! oh ! quand viendra le soir
Où tous deux ensemble au manoir
Ils pourront se bercer d'une douce parole ?
Où Mila contera quelque histoire d'Angole ,
Où le tendre Osala , de son naïf accent ,
Et des sons de sa mandoline ,
Montera saluer au haut de la colline
La lune chère aux monts , leur couronne d 'argent !
Que béni soit le ciel ! et toi , Mila , respire .
Regarde le soleil derrière les dattiers
Qui s'en va dans la mer. La pauvrette ! un sourire
A couru sur sa bouche , et les rayons derniers
De l'astre dont le disque à l'océan se noie
Quoique tièdes , chez elle ont allumé la joie .
76 MILA

Hélas ! on voit du haut du ciel


Briller des astres d 'or la lumière lointaine !
Hélas ! déjà la nuit est dans la plaine !
Et d 'où vient qu'Osala , sous le toit paternel ,
Se fasse désirer. Pauvre Mila ! son âme ,
Qui ce matin encore était toute gaîté ,
Par mille chimères de femme .
Augmente les douleurs de son sein agité :
“ Marie a les yeux noirs , Marie a les dents blanches,
" Et le serin qui chante entre les branches
" Chante encor moins bien qu 'elle; et le jeune roseau
“ Qui plie au gré des vents sa taille obéissante
“ La balance moins élégante
“ Qu'elle en marchant , son corps si beau !
" Et les hommes ! comment à leur vaine parole
" Se fier un moment?
" Les filles à leur coeur sont ce qu 'est une yole
“ Aux flots qu 'elle ne peut qu 'effleurer seulement ! ”

Vous diriez à la voir toute pâle et songeuse ,


S 'éloignant de ses sours qui l'entendaient gémir ,
Vous diriez que Mila , naguère calme, heureuse ,
Pressentait un sombre avenir !
MILA 77

Oh! laissez-la pleurer ! Lui que sur cette terre


Elle aime plus qu 'on aime une sœur ou son frère ,
Osala , son amour ,
Il languit maintenant bien loin ; sa longue chaîne ,
Car Elbreuil l'a voulu , sillonne une autre plaine
Où courbé sur le sol , jamais il n 'entendra
Les jardins retentir du nom de sa Mila !

Et Mila fut jadis la couronne d 'Angole !


Aujourd'hui voyez-la ! rêveuse et triste folle ,
Partout elle porte ses pas ,
Sans cesse commençant une chanson créole
Qu'elle n 'achève pas !
Oh ! c'est pitié de voir une amante en délire !
Compagnes de Mila , cachez- lui donc vos pleurs !
Mère, et vous son vieux père , et vous, ses tendres soeurs,
Couvrez d 'un voile épais le mal qui vous déchire !

Elbreuil , vois ta victime! Une main sur le coeur ,


Ses beaux yeux noirs levés vers le ciel, elle est morte ,
Oui, morte avant le temps , et morte de douleur !
78 MILA

Et voici qu 'on l'emporte


Sans bruit , sans une fleur.
Sa famille , un vieux prêtre accompagnent sa bière
Au prochain cimetière ;
Et dans la fosse le cercueil
Est bientôt couvert par la terre.
Puis pour elle chacun a dit une prière
Tout haut, en maudissant tout bas le nom d 'Elbreuil.
MARIANI.
Il y a un temps de pleurer, et un temps
de rire; un temps de se lamenter et un
temps de sauter de joie.
ECCLÉSIASTE. Chap. II.
- 81

MARIANI.

Les barques sont près du rivage ;


L 'air est serein et le nuage
Suspend ses franges dans l'azur.
Aux rayons mourants des étoiles ,
Notre flottille étend ses voiles ,
Et sur le golfe vaste et pur.,
S ' élance et glisse plus rapide
Que le cygne , lorsque le vent
Gonfle à plaisir son aile humide ,
Et qu'il s'abandonne au courant.
Chaque mât, couronné de roses
Qui la nuit même sont écloses ,
Elève son front radieux ;
Et la brise qui le caresse
Court à son tour avec ivresse
Parfumer le flot amoureux ;
Et la rame en cadence tombe ;
Et son bruit en frappant la mer
Est le bruit que fait la colombe
Voguant dans les vagues de l'air .
, - 82 —

Mariani ! dit le pilote ;


Et dans notre petite flotte
Ce n 'est pas un nom , c'est un cri !
Pour le mieux voir chacun se lève ,
On le voit , on croit que l'on rêve ,
Et c 'est pourtant Mariani !
Alussitôt chaque barque est mise
A l'abri des flots et du vent :
On foule la terre promise ,
On la parcourt en bondissant.

Ici , c'est une source vive


Qui coule du flanc des rochers
Et creuse un bassin dont la rive
S 'ombrage de verts orangers.

Là , c'est une haute colline


Où s'élève un simple manoir ,
Que la nuit le ciel illumine
D 'où la brebis descend le soir .

Et c'est au pied de la colline ,


Au bord de ces flots enchanteurs
Que le barbaco s'achemine ,
Passant sous des touffes de fleurs.

Et la troupe aimable et bruyante


A formé ses cercles joyeux ,
Et l'on s'assemble , on danse , on chante ,
Et l'on s'égaie en mille jeux ! .
- 83 :

Et c'est un immense délire !


Et ce sont des voix et des ris !
Et c 'est la flûte , et c 'est la lyre
Berçant les oiseaux dans leurs nids !
Quand le barbaco tourbillonne
Et vous enlève et vous suspend ,
Quand il vous fait une couronne .
De plaisir et d 'enivrement,
Jeunesse ! oh ! c'est bien d 'être folle !
Le temps est la biche qui court !
Un jour comme un oiseau s'envole ,
C 'est bien de t'amuser un jour !
A MON AME
Elle n 'a point cessé de pleurer pen
dant la nuit et ses joues sont trempées
de ses larmes.
JÉRÉMIE — Lamentations - Chap . I.
… … -- - - - -
- 87

. A MON AME.

Toujours des pleurs, mon âme, et jamais un sourire !


Et pourquoi ne peux-tu que gémir sur la lyre
Et chanter des douleurs ?
En ce monde il n 'est rien qui t'enivre ou t'enflamme !
Ni l'étoile du ciel, ni l'amour de la femme ,
La brise , ni les fleurs !

Saule pleureur penché sur les ondes du fleuve ,


Comme on voit sur le marbre une plaintive veuve ,
. Redresse tes rameaux !
Regarde - cheminer le fleuve de la vie ; .
Au lieu de se traîner que ta branche fleurie
Se mire dans les flots !

Après tout c'est la mort, la mort que rien n 'étonne !


Ozama , Meschasbé , Sénégal, Amazone
Meurent dans l'Océan !
Ils ont beau sillonner la surface du monde ,
Ils rencontrent toujours la mer sourde et profonde ;
Comme nous le néant !
MOI-MÊME.
Pouvez-vous vous plaire à m 'accabler,
moi l'ouvrage devos mains ?............ Mes
peu de jours ne finiront-ils point bientôt ?
Laissez-moi donc , que je pleure un peu
ma misère, avant que j'aille sans retour,
en cette terre ténébreuse , qui est couverte
de l'obscurité de la mort.
JOB. — Chap. X .
a- re
— 91 —

MOI-MÊME.

Pauvre jeune homme âgé de vingt-un ans à peine,


Je suis déjà trop vieux. Oui, l'existence humaine
Est bien nue à mes yeux.
Pas une île de fleurs dans cette mer immense !
Pas une étoile d 'or qui , la nuit , se balance ,
Au dôme de mes cieux !

Désert sans oasis ! campagne sans verdure !


Hélas ! c'est le simoun , vent à l'haleine impure ,
Non la brise du soir !
C 'est le cri du lion , non la voix de la femme ,
Non des concerts d 'oiseaux , qui remplissent mon âme
D 'harmonie et d 'espoir !
Moi, j'ai le sort de ceux qu 'on voit sur cette terre ,
Traîner de tristes jours , vrais boulets de galère
Jusques à leur tombeau .
Car tu me réprouvas , mon juge , Ô Providence ,
Car un papillon noir , le jour de ma naissance ,
Posa sur mon berceau .
14
— 92 —

Le démon tend mes nuits d 'un voile de ténèbres !


Si je rêve , en rêvant j'entends des glas funèbres
Ou les soupirs d'un mort !
Un ange ne vient pas me bercer et me dire
Ces paroles du ciel qui me feraient sourire
Comme l'enfant qui dort!
Non , de tout cela rien ! Vivre ou mourir , qu'importe ?
Vivre jusques au jour où la tombe l'emporte ,
Jusqu'à ce que le coeur
Plonge sans remonter et se noie et s'abîme ,
Alors c'est le repos éternel et sublime,
Alors , c'est le bonheur !
TABLE .
· TABLE .

AVEPTISSEMENT DE L 'EDITEUR.
NOTICE BIOGRAPHIQUE.
I. – A Ignace Nau . . PAGE.

tadce or
II. -- Le Sommeil de l'Enfant.
III. – La Jeune Fille.
A ***
V . - Fragment : Une Matinée.
VI. - Fragment : La Plaine.
VII. - La tristesse n 'est pas etc.
VIII. – A un Ami.
IX . – Les Betjouanes .
X . – Floranna la Fiancée .
XI. --- Fragment:: l'Oiseau etc.
XII. — *** Malheur à l'habitant etc.
XIII. --- La Brise au Tombeau d'Emma.
A

XIV . - Le Pont Rouge.


XV . – Pétion .
XVI. – A Amélia.
DS

XVII. – Mila.
se

XVIII. – Mariani.
XIX . - A mon Ame.
XX . – Moi-même.

IMPRIMERE. - R . ETHÉART
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