9782402569842
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9782402569842
Saint-Martin
L'Empire toucouleur
1848-1897
Le livre africain
13, rue de Sèvres, Paris-50
(c) Le livre africain, Paris, 1970.
A M. Gabriel DER/EN,
à qui ce petit livre doit beaucoup.
Avant-Propos
Introduction
Les Toucouleur:
le p a y s et les hommes
Le pays.
Le cours moyen du fleuve Sénégal est constitué par une large val-
lée alluviale, qui s'étend sur une longueur d'environ six cents kilomètres, de-
puis le moment où le cours d'eau quitte les terrains anciens, en aval de Bakel,
jusqu'à celui où il commence à construire son delta intérieur, un peu en amont
de Dagàna. Cette vallée, que la crue annuelle du fleuve inonde sur plusieurs
kilomètres de large, forme, en période de maigre, un ruban de verdure et de
champs cultivés qui contraste avec l'âpreté des steppes environnantes. On l'a
souvent comparée à l'Egypte ; mais il faut se garder d'exagérer sa fertilité.
D'autre part les régions qui la cernent au nord et au sud, Chemama mauri-
tanienne et Ferlo sénégalais ne sont pas de véritables déserts et tolèrent une
certaine activité agricole et pastorale. Mais les terres de la vallée moyenne du
Sénégal, par la possibilité d'y faire des cultures de décrue, tranchent par leur
prospérité avec les pays voisins, et ont de tout temps concentré les établisse-
ments humains.
On y distingue généralement trois zones d'inégale largeur : le
fondé, suite de bourrelets de crue d'une vingtaine de mètres de hauteur qui
dominent le lit mineur du fleuve et où s'élèvent les villages de pêcheurs et
de bateliers ; le oualo, suite de dépressions inondées régulièrement entre
décembre et janvier, et qui font suite vers l'intérieur des terres au fondé ;
sur cette bande de quelques kilomètres de large, on pratique la culture du mil,
des melons d'eau, des oignons et de divers légumes, attestées dès le x f siècle
par El Bekri ; d'autres s'y sont ajoutées depuis. Enfin, le diéri est un second
ensemble de bourrelets, marquant ici l'ultime limite des hautes eaux. Il porte
les principaux villages, reliés entre eux par des pistes praticables presque
toute l'année. Sur ce diéri on fera les cultures d'hivernage qu'une pluviosité
variant de 350 à 600 millimètres rend possibles, sinon plantureuses. Au-delà,
vers le sud, ce sont les brousses du Ferlo, parcourues par les nomades
éleveurs de moutons, de chèvres, et de bœufs.
Entre le lit mineur du fleuve et les steppes pastorales, les agricul-
teurs noirs sont installés depuis des millénaires ; et l'aspect riant de leur pays,
après la traversée des espaces sahariens, a frappé les voyageurs et les premiers
chroniqueurs arabes. Au bord du « Nil des Noirs (1) », on pouvait rompre
enfin avec les privations de toutes sortes qu'imposait le désert. Dans le pépie-
ment et l'envol d'innombrables oiseaux, une fois franchies vers le sud les ber-
ges boisées du fleuve où s'affairent piroguiers et pêcheurs, on arrive dans une
terre bénie d'Allah, où deux récoltes successives, celle du diéri, puis du oualo,
font manger les hommes à leur faim. En témoignent les greniers à mil qui en-
tourent de leurs cylindres pansus les villages de cases rondes coiffées d'un
cône de paille, et les longues théories d'animaux domestiques qui vont boire
au fleuve ou s'assemblent autour des mares. C'est le pays de Tekrour, dont le
nom est cité par El Bekri, et plus tard par El Edrisi, comme celui du plus
ancien royaume noir islamisé. De ce Tekrour, et de ses habitants, le français,
sans doute par l'intermédiaire du wolof, a tiré le vocable Toucouleur, — en
anglais Tokolor.
Les hommes.
(1) C'est le nom que les Arabes donnaient au Sénégal — et aussi au Niger !
(2) EL BEKRI, traduction de Slane, rééditée à Paris chez Adrien-Maisonneuve, 1965,
p. 324. La Description de l'Afrique Septentrionale date de 1068.
n a i s (1). C e p e n d a n t ils o n t s u b i d e n o m b r e u x m é t i s s a g e s ; l e u r l o n g u e c o h a -
b i t a t i o n a v e c les P e u l et a u s s i l e u r v o i s i n a g e a v e c les M a u r e s v a l e n t à b o n
n o m b r e d'entre eux u n teint plus clair et des traits moins négroïdes q u e c e u x
d e l e u r s voisins w o l o f o u s é r e r : d e s N é g r o - B e r b è r e s , e n q u e l q u e sorte.
L a r e l i g i o n m u s u l m a n e e t l a vie s é d e n t a i r e f u r e n t c e p e n d a n t les
p l u s s û r s f e r m e n t s d e l e u r o r i g i n a l i t é e t d e l e u r unité. L e u r d é s i r d ' i l l u s t r e r e t
d e r é p a n d r e l ' I s l a m , c o m m e l a d é f e n s e d e l e u r t e r r o i r c o n t r e les i n c u r s i o n s
des M a u r e s o u des P e u l , f i r e n t des T o u c o u l e u r des g u e r r i e r s e t des p r é d i c a -
teurs. Ils c o n t r i b u è r e n t à l a c o n v e r s i o n d e s g r a n d s e m p i r e s s o u d a n a i s , M a l i ,
S o n g h a ï , et p l u s t a r d à celle d e t o u t e la r é g i o n c o m p r i s e e n t r e l ' A t l a n t i q u e e t le
T c h a d . A u j o u r d ' h u i e n c o r e les n o m s d e M a l i k Sy, d e M a b a D y a k o u ,
d ' O u s m a n d ' a n F o d i o r é s o n n e n t p u i s s a m m e n t d a n s les c œ u r s des m u s u l -
m a n s d'Afrique occidentale.
L'organisation politique.
L'organisation sociale.
Le peuple toucouleur.
La question a souvent été posée — c'est assez dire qu'elle n'est pas
encore parfaitement résolue — de savoir s'il existe un ensemble de traits
vraiment distinctifs permettant de caractériser de façon précise le peuple
toucouleur et le « Toucouleur moyen » lui-même.
L'anthropologie et l'ethnologie ne permettent pas de répondre à
coup sûr. Métis ? Oui, sans doute, mais quel groupe soudanais ne l'est pas
peu ou prou ? La vallée du Sénégal, comme celle du Niger, semble bien
avoir été un creuset, un melting-pot, où sont venus se fondre, sur des berges
relativement fertiles et accueillantes, des Berbères du Sahara, des Peul et des
Sarrakolé d'origine incertaine, des Noirs authentiques, ancêtres des Wolof,
des Sérer, des Manding, des Bambara. Et le Toucouleur d'aujourd'hui n'est ni
plus grand, ni plus mince, ni plus clair, ni plus foncé, que ses proches
voisins.
Indiscutablement, le sang noir a prévalu. L'ethnie toucouleur ne
songe nullement à le renier, mais invoque souvent une origine et une pré-
sence très anciennes, parce que le nom de Tekrour est contemporain de celui
de Ghana chez les premiers chroniqueurs arabes ayant décrit le Blad-es-
Sudan — le pays des Noirs. Maurice Delafosse avance même — ce qui paraît
pour le moins aventureux —, que les Peul auraient emprunté leur langue aux
Toucouleur, contrairement à ce qu'on affirme généralement. D'autres,
comme Faidherbe, dont la thèse, bien que vieillie, a encore des partisans,
croient voir l'origine du peuplement actuel du Fouta-Toro dans un métis-
sage des Peul et des Noirs sénégalais, Wolof et Sérer.
Ne serait-il pas plus sage d'imaginer une lente émergence, une
sélection progressive de certains caractères : la langue, l'activité principale-
ment agricole, puis la religion ; l'élimination de certains autres ; la combinai-
son enfin d'origines ethniques variées, pour aboutir, il y a tout juste trois ou
quatre cents ans, à la constitution d'une petite nation dont les traits sont allés
se précisant jusqu'au xixe siècle, et paraissent aujourd'hui encore bien fixés ?
Le Toucouleur est, nous l'avons dit, un terrien, un paysan, qu'il
possède la terre ou qu'il la cultive pour le compte d'autrui. Les castes artisa-
nales sont orientées vers la fabrication d'outils ou d'ustensiles de première
nécessité se rapportant à une vie sédentaire et rurale. Les esclaves étaient, dans
leur grande majorité, employés au travail des champs ; et les divisions politi-
ques du Fouta laissaient à chaque province un morceau de chacun des dif-
férents terroirs qui se succèdent à partir des rives du Sénégal, tandis que les
pâtures médiocres étaient abandonnées aux Peul, que la révolte religieuse
de 1776 avait permis de refouler partiellement dans les brousses incultivables
du Ferlo. Le Toucouleur se définit donc d'abord par son appartenance
paysanne, et par le village d'origine de sa famille — trait éminemment séden-
taire — même si la pression démographique et l'appauvrissement des terres
perpétuellement sollicitées, sans jachère ni engrais, obligent à l'émigration. Il
est aussi l'héritier d'une société à structure féodale, où les castes : nobles,
hommes libres, artisans, esclaves, restent encore aujourd'hui bien tranchées,
et formaient il y a un siècle, un cadre excessivement rigide.
L'Islam, de tradition ancienne, mais réveillé à la fin du x v n f siè-
cle, a imprimé là-dessus une marque qui n'est pas près de s'effacer. Il ne s'agit
pas seulement des croyances, où, comme en bien d'autres points du globe, la
religion monothéiste a recouvert sans les noyer des superstitions anciennes.
Il y a aussi la fierté d'appartenir, depuis un temps qu'on imagine volontiers
immémorial, à la religion du Prophète et à la communauté musulmane. Com-
bien de généalogies foutanké ne parviennent-elles pas à remonter acrobatique-
ment jusqu'à Mahomet (1) ! Il y a enfin, pour les gens de condition noble
surtout, la connaissance au moins superficielle du Coran, et de l'écriture, sinon
de la langue arabe, donc la possession ancestrale d'une culture transmissible
par écrit, et d'une jurisprudence fondée sur un texte sacré : supériorité qu'on
fait volontiers sentir au voisin wolof ou sérer.
D'avoir conquis par les armes, en 1776, le droit de pratiquer cette
religion et de l'imposer exclusivement, a conféré aux ToroBé et à leurs des-
cendants le devoir de défendre le sol et la foi. Le paysan toucouleur est donc
aussi, volontiers, un guerrier, pour protéger son terroir ou pour l'agrandir,
pour préserver sa croyance, ou pour la propager. Sa valeur militaire est répu-
tée, son courage certain ; ses adversaires l'ont redouté, ses alliés, apprécié ; et
plus tard ses maîtres-colonisateurs n'ont pas négligé de l'enrôler dans leurs
armées.
Amour du sol ; religion solide et ombrageuse, parfois fanatique ;
valeur guerrière ; tout cela explique que le Toucouleur doive parfois se
défendre de l'accusation d'orgueil et de vanité. Il s'agit plutôt d'un sens
exacerbé de l'honneur qui pousse à la générosité, à l'ostentation, à la distri-
bution des maigres ressources que l'on possède encore aux laudateurs inté-
ressés, aux griots, aux mendiants qui exaltent la noblesse ancienne de celui
qu'ils sollicitent. Le désir de paraître fera dévorer dans une noce ou dans
un baptême les revenus de toute une année, et au-delà. Un goût un peu théâ-
tral de la dignité drape l'homme toucouleur aussi somptueusement que dans
un boubou de parade raidi par l'amidon.
La soumission à la volonté de Dieu s'accompagne parfois d'un
certain fatalisme et de quelque nonchalance, mais l'esprit d'aventure et d'en-
treprise est rarement absent. Il se rencontrait chez ces hommes qui n'hési-
taient pas à quitter leur pays et leurs biens pour suivre les prophètes de
leur langue et de leur sang, comme il se retrouve aujourd'hui chez ces émi-
grants foutanké que Dakar et aussi l'Europe voient arriver en assez grand
nombre.
Trop restreinte, quand même, pour former une « nation » au sens
moderne du mot, l'ethnie toucouleur n'en conserve pas moins jalousement ses
traditions, ses particularismes, et, ce qui la caractérise sans doute le mieux,
son intelligente mais ombrageuse fierté.
Les migrations.
Un autre trait qu'il faut souligner pour bien camper la société tou-
couleur avant l'apparition d'El Hadj Omar, et pour mieux comprendre son
succès auprès des humbles, c'est le goût de ce peuple pour les migrations,
(1) Manuscrit arabe de CHEIKH MOUSSA KAMARA, Tarikh des YalalBé, DényankoBé
WanwanBé et Talakor, feuillet 41, verso, Département de l'Islam, I.F.A.N., Dakar.
(2) VERRIÈRE, cité par J. LOMBARD, Géographie humaine du Sénégal, C.R.D.S., Saint-
Louis du Sénégal, 1963, p. 16.
lointaines était forcément réduite à quelques milliers d'hommes. Dans le cas
d'El Hadj Omar, il ne faut pas oublier que la prédication du « pro-
phète (1) » venait souvent contrecarrer l'autorité et menacer la puissance
économique des grands feudataires qui s'employèrent à gêner le recrutement.
Omar ira jusqu'à brûler les villages et les récoltes de ses compatriotes, y
compris son village natal d'Halwar, pour qu'ils n'aient plus d'autre ressource
que de le suivre. Beaucoup partaient sous la contrainte, puis rebroussaient
chemin à la première occasion. L'empire d'El Hadj O m a r aurait été beaucoup
plus solide, et dans doute plus durable si le prédicateur toucouleur avait pu
imposer sa domination de façon permanente à tout le Fouta-Toro.
(1) L'emploi du mot prophète pour EL HADJ OMAR prête évidemment à controverse.
Le seul vrai prophète, pour les musulmans, étant le Nabi, le prophète Mohamed.
Mais El Hadj Omar n'est pas un simple prédicateur.
(2) Cité par F. BRIGAUD dans L'Histoire traditionnelle du Sénégal, C.R.D.S., Saint-
Louis, 1962, p. 42.
r e b e l l e s à l ' I s l a m et à l ' a u t o r i t é des A l m a n i é t a i e n t r e j e t é e s d a n s l a b r o u s s e
infertile d u F e r l o . L e s i n c u r s i o n s d e s M a u r e s f u r e n t v i v e m e n t c o m b a t t u e s .
M a l g r é l ' i d e n t i t é de r e l i g i o n , l ' h o s t i l i t é r e s t a v i v e e n t r e les T o u c o u l e u r e t l e u r s
t u r b u l e n t s v o i s i n s « b e ï d a n e » ( b l a n c s ) d e la rive d r o i t e .
T a n d i s q u e les émirs, m a î t r e s d e la t e r r e e t des p a y s d u F o u t a , se
c o n t e n t e n t de l e u r s o r t e t c o m m e n c e n t à l ' a g r é m e n t e r des c a d e a u x o u « c o u -
t u m e s » exigés des E u r o p é e n s , c e r t a i n s T o r o B é c o n t i n u e n t la p r é d i c a t i o n
g u e r r i è r e . Celle-ci est f a v o r i s é e p a r l a p r é s e n c e , p r i n c i p a l e m e n t à l ' E s t ,
d ' i n f i d è l e s h o s t i l e s : B a m b a r a d u K a a r t a et d u D i o m b o k h o , P e u l rebelles,
m a i s aussi, à l ' o u e s t , W o l o f e n c o r e p a ï e n s . A l a fois p r o p h è t e s et c h e f s d ' a r -
m é e s ces « s a i n t s » et l e u r s disciples, les talibé, p r o p a g e n t la religion et c h e r -
c h e n t à se tailler d e s fiefs. C ' e s t le cas d e M o h a m a d o u O m a r , q u e n o u s cite-
r o n s a u c h a p i t r e s u i v a n t ; il e n ira de m ê m e de M a b a D y a c k o u a u S a l o u m .
D ' a u t r e s v o n t p r ê t e r m a i n - f o r t e j u s q u ' à S o k o t o et K a n o à l ' œ u v r e d ' i s l a m i s a -
t i o n e n t r e p r i s e p a r O u s m a n d ' a n F o d i o e t ses s u c c e s s e u r s . M a i s , e n m ê m e
t e m p s , les r e l a t i o n s a v e c les E u r o p é e n s se m u l t i p l i e n t e t se c o m p l i q u e n t .
D e p u i s q u e les F r a n ç a i s a v a i e n t pris p i e d a u S é n é g a l , et q u e S a i n t - L o u i s
é t a i t d e v e n u l e u r b a s e p e r m a n e n t e ( 1 6 5 9 ) , d e u x p r é o c c u p a t i o n s se p a r t a -
g e a i e n t les p r o j e t s et les c a l c u l s d e s c o m p a g n i e s c o n c e s s i o n n a i r e s : l a t r a i t e d e
la g o m m e a v e c les M a u r e s , q u i p o u v a i t se p r a t i q u e r assez p r è s de l ' e m b o u -
c h u r e d u fleuve, et le « c o m m e r c e d e G a l a m et de B a m b o u c », e n t e n d o n s les
é c h a n g e s a v e c les p a y s b e a u c o u p p l u s éloignés, s i t u é s a u - d e l à d u c o n f l u e n t
d u S é n é g a l e t de l a F a l é m é . D è s l a fin d u XVIIe siècle, ce s e c o n d s e c t e u r avait,
p a r l a p e r s p e c t i v e d ' e n t i r e r or, p l u m e s d ' a u t r u c h e s , ivoire et b e a u x esclaves,
e x c i t é l a p a s s i o n d e q u e l q u e s d i r e c t e u r s e t a g e n t s des c o m p a g n i e s d u Sénégal.
C ' e s t p o u r c e l a q u e A n d r é B r ü e s ' é t a i t r e n d u c h e z le r o i « S i r i a t i q u e », d o n t
il a v a i t o b t e n u la c o n c e s s i o n d e l'île d e Sadel, à h u i t lieues e n a v a l de M a t a m .
C ' e s t p o u r d i s p o s e r d ' u n e série d e p o i n t s d ' a p p u i et d e c o m p t o i r s d ' é c h a n g e
q u ' i l a v a i t f a i t é d i f i e r les f o r t s S a i n t - J o s e p h , à M a k h a n a , e n a m o n t de B a k e l ,
e t S a i n t - P i e r r e ( S é n o u d é b o u ) a u B o u n d o u , s u r la b a s s e F a l é m é . P l u s t a r d des
a g e n t s c o m m e C o m p a g n o n et D u l i r o n a v a i e n t r e c o n n u les m i n e s d ' o r , s a n s
en r a p p o r t e r autre chose q u e des espérances exagérées. E n 1743, Pierre David
a v a i t c o n s t r u i t le f o r t d e P o d o r , a u c œ u r d u p a y s t o u c o u l e u r .
T a n t q u ' a v a i t d u r é l a d o m i n a t i o n p e u l , les r e l a t i o n s a v a i e n t été
p a c i f i q u e s . L ' u s a g e s ' é t a i t é t a b l i d ' é c h a n g e r des c a d e a u x d o n t à v r a i d i r e c e u x
a p p o r t é s p a r les F r a n ç a i s é t a i e n t b e a u c o u p p l u s i m p o r t a n t s q u e les q u e l q u e s
p r é s e n t s r e ç u s d e l e u r s i n t e r l o c u t e u r s a f r i c a i n s . C e s c a d e a u x , érigés b i e n t ô t e n
r e d e v a n c e s obligées et p é r i o d i q u e s — les « c o u t u m e s » — , a v a i e n t p o u r o b j e t
d ' a s s u r e r l a r é g u l a r i t é d u c o m m e r c e d u mil d a n s le M o y e n - F l e u v e — s a n s
l e q u e l les h a b i t a n t s d e S a i n t - L o u i s , c o m m e aussi les é q u i p a g e s et la c a r g a i s o n
h u m a i n e des n a v i r e s n é g r i e r s e u s s e n t c o n n u la f a i m . L e s c o u t u m e s p a y é e s p a r
l a C o m p a g n i e d u S é n é g a l g a r a n t i s s a i e n t aussi le l i b r e p a s s a g e des e m b a r c a -
t i o n s se l i v r a n t à l a « g r a n d e t r a i t e d e G a l a m » (1). L o r s q u e a p r è s 1 7 9 3 , le
p r i v i l è g e d e la c o m p a g n i e f u t s u p p r i m é , c ' e s t l ' a u t o r i t é f r a n ç a i s e , r e p r é s e n t é e
L'Islam noir
a v a n t la prédication
d'El Hadj O m a r
(1) Cf. VINCENT MONTEIL : Lat Dyor, damel du Kayor, et l'islamisation des Wolof
au xixe s. Paris, Archives de Sociologie des Religions. N° 16, décembre 1963.
(2) Les Almoravides. De l'arabe : Al-mrabtîn : ceux qui habitent dans un ribât, cou-
vent militaire fortifié. Les Almoravides sont des Berbères sahariens de la tribu des
Lemtoûna, convertis au xi" siècle à l'Islam malékite, le plus rigoureux des quatre rites
musulmans. Leur premier couvent ou ribât, aurait été installé au bord de l'océan Atlan-
tique, dans une île dont on n'a pu déterminer l'emplacement exact, peut-être Tidra,
sur la côte méridionale de Mauritanie.
Sous la direction spirituelle d'Abdallâh Ibn Yâsîn, ils imposèrent au milieu du XIE siè-
cle leur domination au Sahara occidental, puis au Maroc et au Sud de l'Espagne.
Dans la région proche du fleuve Sénégal, ils eurent l'appui des populations déjà en
partie islamisées du Tekrour, et de leur chef Ouar Diabi N'diaye. Mais il n'est pas
prouvé, malgré la tradition flatteuse, que les premiers noirs soudanais islamisés dès
1040 aient été les ancêtres des Toucouleur actuels.
E m p i r e m a r q u e a u s s i l ' a r r ê t , p o u r p l u s i e u r s siècles, d e l ' e x p a n s i o n i s l a m i q u e ,
et m ê m e , d a n s c e r t a i n s cas, s a d i s p a r i t i o n q u a s i t o t a l e . I b n B a t o u t a et A l O m a -
ri n o u s o n t d é c r i t la s p l e n d e u r e t la f e r v e u r des fêtes m u s u l m a n e s c é l é b r é e s à
l a c o u r d e K a n g o M o u s s a ( 1 3 1 2 - 1 3 3 7 ) e t d e ses s u c c e s s e u r s i m m é d i a t s . D e u x
siècles p l u s t a r d , les r é g i o n s d u H a u t - N i g e r q u i a v a i e n t a b r i t é l e u r s c a p i t a l e s
— N i a n i , K a n g a b a ? — n ' e n g a r d a i e n t p l u s trace. O n n ' y v o y a i t p l u s ce b e a u
zèle à a p p r e n d r e le C o r a n , à l ' i n c u l q u e r a u x e n f a n t s :
« D a n s le c a s o ù l e u r s e n f a n t s f o n t p r e u v e d e n é g l i g e n c e à c e t
é g a r d , ils l e u r m e t t e n t d e s e n t r a v e s a u x p i e d s et n e les ô t e n t p a s
q u ' i l s n e le s a c h e n t r é c i t e r d e m é m o i r e . L e j o u r d e la fête, é t a n t
e n t r é c h e z le juge, et a y a n t vu ses e n f a n t s e n c h a î n é s , je lui d i s :
" E s t - c e q u e tu n e les m e t t r a s p a s e n l i b e r t é ? " Il r é p o n d i t : " J e
n e le f e r a i q u e l o r s q u ' i l s s a u r o n t p a s c œ u r le C o r a n (1). »
La Qadriya.
Le principal mouvement fut celui qui répandit auprès des Maures,
d'abord, des Noirs soudanais, ensuite, les préceptes de la confrérie Qadriya.