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L'impact de L'intelligence Artificielle Sur Le Management

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MASTER 2

DROIT ET MANAGEMENT PUBLICS DES COLLECTIVITES


TERRITORIALES

L’impact de l’intelligence artificielle sur le


management

MEMOIRE DE RECHERCHE REDIGE PAR SEBASTIEN PALETTI

SOUS LA DIRECTION DE :

MME ANAIS SAINT-JONSSON & CONTROLEUR GENERAL ERIC FLORES

ANNEE UNIVERSITAIRE 2018/2019


Remerciements

Rédiger un mémoire de Master 2 dans un temps contraint, au cours d’une formation


professionnelle engendrant une profonde remise en question est le challenge qu’ont relevé les
dix-neuf stagiaires de la première promotion des emplois supérieurs de direction des services
d’incendie et de secours, dont je fais partie.

Je souhaite dans un premier temps remercier l’École Nationale Supérieure des Officiers de
Sapeurs-Pompiers, et son directeur, le contrôleur général Hervé Enard, pour la qualité
d’organisation de cette formation, ainsi que pour l’ensemble des dispositions, humaines et
logistiques, prises pour nous rendre ces neufs mois d’investissement fructueux et profitables.

Je remercie ensuite, le contrôleur général Éric Flores, auprès de qui j’ai pu effectuer une période
d’immersion très enrichissante et qui m’a, par son engagement et sa disponibilité, conforté dans
ma future orientation professionnelle.

Dans le cadre de ce mémoire, je souhaite également remercier Mme Anaïs Saint-Jonsson, pour
ses conseils, orientations et validations qui m’ont permis de mener à bien ce projet. J’associe à
ces remerciements l’ensemble des experts qui m’ont consacré du temps lors de nos entretiens
afin de me permettre d’évoluer dans la réflexion.

Je souhaite également, à travers ces remerciements, écrire combien j’ai apprécié les neuf mois
passés aux côtés de mes dix-huit collègues de promotion. Nos échanges, notre cohésion, nos
différences ont construit une force collective et un lien durable. Cela a participé à la réussite de
cette formation.

Enfin, je souhaite remercier ma compagne, Johanna, ses enfants Madyson, Malcom et Leelou,
ainsi que ma fille Valentine. Cette année de formation leur a couté en termes de disponibilité et
de présence de ma part. Leur soutien et leur confiance ont été et sont un réel moteur de
l’indispensable équilibre entre épanouissement professionnel et personnel.

1
Sommaire

Remerciements ......................................................................................................................... 1
Sommaire .................................................................................................................................. 2
Introduction .............................................................................................................................. 3
1. L’avènement de l’intelligence artificielle au sein de la société, et des organisations : 5
1.1 Comment définir l’intelligence artificielle ? ....................................................................... 5
1.1.1 L’intelligence artificielle et ses éléments constitutifs ................................................................... 5
1.1.2 Historique de la création et de l’évolution de l’IA ..................................................................... 11
1.1.3 A travers les domaines d’application de l’IA, pourquoi apparaît-elle aujourd’hui ? ............ 15

1.2 Place de l’intelligence artificielle dans la transformation digitale ................................. 21


1.2.1 De la révolution numérique à la transformation intelligente ................................................... 21
1.2.2 Les perspectives liées à l’IA, ses avantages, ses limites ............................................................. 24
1.2.3 Zoom sur les possibilités offertes aux Services d’Incendie et de Secours ................................ 29

2 Les modifications managériales associées au digital et à l’intelligence artificielle .. 32


2.1 L’évolution du management des organisations (dans le cadre de la transformation
numérique) ....................................................................................................................................... 32
2.1.1 Le management des organisations au fil du temps, ................................................................... 32
2.1.2 L’évolution du rapport au travail ............................................................................................... 35
2.1.3 L’évolution du rôle du manager et les particularités du management à l’aune de la
transformation digitale ............................................................................................................................... 37
2.2 L’impact du numérique et de l’intelligence artificielle dans les organisations ............. 41
2.2.1 Contexte ......................................................................................................................................... 41
2.2.2 Impact global sur les organisations ............................................................................................. 42
2.2.3 Impact sur les administrations .................................................................................................... 48

3 L’intelligence artificielle comme accélérateur des évolutions managériales ............ 53


3.1 L’intégration de l’intelligence artificielle dans les organisations comme une
opportunité managériale, ................................................................................................................ 53
3.1.1 Les axes d’évolution organisationnels et managériaux au sein des organisations .................. 53
3.1.2 Les menaces de l’avènement de l’intelligence artificielle .......................................................... 64
3.2 Comment les services d’incendie et de secours peuvent répondre à ce nouvel enjeu
organisationnel et managérial ? ..................................................................................................... 66
3.2.1 Orientations liées à l’organisation du service ............................................................................ 68
3.2.2 Orientations liées au management, ............................................................................................. 73

Conclusion .............................................................................................................................. 77
Bibliographie .......................................................................................................................... 80
Résumé .................................................................................................................................... 84
Abstract ................................................................................................................................... 84

2
Introduction

L’intelligence artificielle (IA) est sans doute l’évolution technologique en mesure de


révolutionner notre quotidien et celui des organisations dans les vingt prochaines années. Le
management quant à lui a considérablement évolué au cours des dernières décennies et est
aujourd’hui un moteur essentiel de l’efficacité ou de la performance des organisations
humaines, quelles qu’elles soient.

Après une émergence au cours des dix dernières années, l’IA est devenue en 2019 un sujet
médiatique par les nombreuses publications ou communications, quasi quotidiennes, ayant lieu
sur de nombreux supports.
Elle est en effet un enjeu à plusieurs titres. C’est un enjeu technologique car elle va modifier en
profondeur de nombreuses activités. C’est un enjeu économique car elle va permettre aux
entreprises, organisations ou personnes l’utilisant des gains productifs significatifs. C’est un
enjeu stratégique par l’importance qu’ont et que vont avoir les données possédées par toutes les
organisations. Enfin, c’est un enjeu organisationnel car l’IA, en modifiant les activités, va
modifier le travail.

Le sujet du lien entre l’IA et le management a par contre été peu traité. Ce mémoire va tenter,
à travers sa question prioritaire de recherche d’envisager s’il est possible de définir un lien entre
l’IA et le management. De cette question découle celle de l’influence de l’IA sur le management
et celle de l’impact de l’IA sur les relations au travail et sur les conditions de travail, sachant
que le lien entre IA et travail est avéré.

Ainsi, la problématique à laquelle ce mémoire tentera de répondre est la suivante : Dans quelle
mesure l’avènement de l’intelligence artificielle dans le quotidien des organisations
publiques ou privées peut-il devenir une opportunité d’influer sur le management des
hommes et des femmes qui les constituent ?

Préalablement à la présentation du plan autour duquel est construit ce mémoire, il est nécessaire
d’en définir le périmètre d’étude et ses limites.
Ce mémoire est tout d’abord un travail orienté sur le management et non sur la technologie.
L’IA et ses fonctionnalités sera donc traitée uniquement en perspective avec ses potentielles

3
implications organisationnelles et managériales. Par ailleurs le thème de l’éthique et les enjeux
juridiques de l’IA seront volontairement abordés de manière superficielle.
Ensuite, le domaine du management est vaste. Il sera qualifié au regard de ses dernières
évolutions, en particulier celles inhérentes aux conséquences sur les organisations de la
transformation digitale. En effet, la notion d’IA n’est pas dissociable de la révolution
numérique. Ainsi, les potentielles conséquences managériales de l’IA seront interrogées à
l’aune de celles de la transformation digitale.
Enfin, dans ce mémoire, les organisations sont abordées dans un cadre large mais pas illimité.
Par le terme organisation, nous définissons les entreprises privées d’une part, l’ensemble des
administrations publiques d’autre part. Les services d’incendie et de secours (SIS), au sens
général du terme, bénéficient d’une lecture particulière, et nous le verrons ci-dessous,
d’orientations spécifiques.

Pour répondre à la problématique proposée, ce mémoire sera organisé en trois parties.

Dans un premier temps, l’avènement de l’IA dans la société et les organisations sera étudié sous
l’angle d’une part de sa définition, ses caractéristiques et domaines d’application, d’autre part
de sa place dans la transformation digitale.

Dans un deuxième temps, les modifications managériales, associées à la transformation digitale


et à l’IA seront soulignées. Il s’agira ainsi de commencer à envisager des éléments de réponse
à la problématique. Après avoir présenté en quoi se caractérisent les évolutions managériales
des dernières années, l’impact du numérique et potentiellement de l’IA dans ce cadre sera établi.

La troisième partie propose quant à elle d'établir l’IA comme un accélérateur des évaluations
managériales des organisations. L’intégration de l’IA dans les organisations est présentée
comme une opportunité, liée cependant à certaines menaces. En ce qui concerne enfin les SIS
une série d’orientations organisationnelles et managériales offre une direction à suivre afin de
leur proposer d’utiliser la transformation digitale et l’arrivée de l’IA pour faire évoluer leur
organisation et leurs modes de management.

4
1. L’avènement de l’intelligence artificielle au sein de la société, et des
organisations :

1.1 Comment définir l’intelligence artificielle ?

Selon Yan Lecun1, « l’intelligence artificielle permet aux machines de réaliser beaucoup
plus vite ce que l’homme ou l’animal peuvent faire ».
En partant de cette définition introductive, cette première partie va traiter tout d’abord des
éléments constitutifs de l’IA, à travers ses différentes techniques, ensuite l’historique de
l’évolution de l’IA sera présentée, enfin dans une dernière sous-partie, la raison de son
émergence actuelle et ses domaines d’application seront développés.

1.1.1 L’intelligence artificielle et ses éléments constitutifs

L’IA peut être définie sous de nombreux angles, et selon des axes de lecture très
différents.

L’intelligence artificielle, une réalité complexe :


Un de ces définitions est de la considérer comme un ensemble de théories ou de
technologies avancées qui permet aux machines de percevoir, de comprendre, d’agir,
d’apprendre et donc de simuler l’intelligence. Elle consiste ainsi à programmer des machines
pour leur permettre de reproduire sur des tâches définies l’intelligence de l’homme.

Au-delà de cette définition, simple au premier abord, l’intelligence artificielle apparaît en réalité
beaucoup plus complexe à définir. En effet, il s’agit tout d’abord d’un ensemble de concepts,
de technologies ayant évolué au fil du temps au carrefour de plusieurs disciplines à part entière.

Il est essentiel de noter également la différence fondamentale existante entre l’intelligence


artificielles et les programmes informatiques. Alors que les programmes informatiques
répondent à des commandes précises sans interprétation possible, l’intelligence artificielle
intègre l’autonomie, la capacité, dans un cadre fixé, à adapter la réponse et à progresser.

1
Chercheur français en intelligence artificielle, inventeur de l’apprentissage profond et lauréat du prix Turing
en 2019

5
Lorsque le terme intelligence artificielle est abordé, il est très souvent rattaché d’une part au
test de Turing, mais également au « machine learning », au deep learning, aux réseaux
neuronaux, aux algorithmes ou aux « data ». Ces cinq éléments dessinent l’IA aujourd’hui et
sont définis ci-dessous.

L’apprentissage machine :
Le machine learning ou apprentissage machine consiste à permettre à la machine
d’apprendre par des exemples, ce qui par des algorithmes lui permet de comprendre parfois des
situations ou des éléments que ne comprend pas l’intelligence humaine ou qu’elle ne peut
discerner. Il peut être défini comme une technologie d’intelligence artificielle permettant aux
ordinateurs d’apprendre sans avoir été programmés explicitement à cet effet. Pour apprendre et
se développer, les ordinateurs ont toutefois besoin de données à analyser et sur lesquelles
s’entraîner. Ce constat et ce besoin, associent de fait machine learning et données.

Concrètement, il s’agit d’une science moderne permettant de découvrir des modèles


informatiques et d’effectuer des prédictions à partir de données en se basant sur des statistiques,
sur du forage de données, sur la reconnaissance d’autres modèles et sur les analyses prédictives.
Le machine learning est très puissant et puise sa réussite dans l’analyse de données nombreuses
et complexes.

L’apprentissage profond :
Au sein du machine learning, le « deep learning » consiste à pondérer chaque étape des
liaisons d’informations. Par la mise à disposition de masses de données d’une part,
l’accroissement des capacités de calcul d’autre part, la méthode dite de « deep learning », aussi
appelée « neurones artificiels », car s’appuyant sur les réseaux de neurones (définis ci-après),
fait partie des principaux axes de développement actuels de l’intelligence artificielle.

Il permet, sur des tâches précises, un apprentissage supérieur en qualité, quantité et vitesse à
celui du cerveau humain. Il est cependant indispensable d’être focalisé sur des tâches
spécialisées et prévues.

6
Les réseaux de neurones :
Les réseaux de neurones, quant à eux, sont de création ancienne2 et peuvent être définis
comme un système informatique artificiel, s’inspirant de la construction et du fonctionnement
du cerveau humain. Les premières recherches dans le domaine, au cours des années 50, se sont
heurtés à deux écueils : la puissance insuffisante des ordinateurs de l’époque et l’absence de
données.
Ainsi, le développement de la puissance des machines et l’explosion des données informatiques
disponibles, le big data, à partir de 2010, ont relancé les recherches sur les réseaux neuronaux
et permis d’atteindre de réels résultats3.
Un réseau de neurones est organisé comme une série de processeurs fonctionnant en parallèle
appelés également tiers. Les premiers reçoivent des informations brutes, traitées au fur et à
mesure par les suivants pour, au final, produire un résultat.
Par l’intermédiaire d’algorithmes, le réseau de neurones apprend à l’ordinateur à obtenir des
résultats, à partir de nouvelles données. Toutefois, contrairement à d’autres types d’algorithmes,
les réseaux de neurones ne peuvent pas être programmés directement pour effectuer une tâche.
La seule instruction qu’ils ont est d’apprendre, selon trois types d’apprentissage, supervisé, non
supervisé ou renforcé.

Les algorithmes :
Les algorithmes sont à la base du fonctionnement des réseaux de neurones. Issu à
l’origine des travaux ancestraux sur les mathématiques4, ils sont l’élément clé du
développement de l’IA. Dans le domaine des mathématiques, un algorithme peut être considéré
comme un ensemble d’opérations ordonné et fini devant être suivi dans l’ordre pour résoudre
un problème. Or, dans le cadre présent, ayant pour but de résoudre un problème et donc de
produire un résultat, l’algorithme est en fait un arbre d’instruction complexe permettant de
répondre à toutes les situations potentielles.
Dans le domaine de la technologie et de l’informatique, lorsqu’un développeur crée un
programme, il crée en fait un ensemble d’algorithmes. En effet, un programme informatique

2
Le concept des réseaux de neurones artificiels fut inventé en 1943 par deux chercheurs de l’Université de
Chicago, le neurophysicien Warren McCullough, et le mathématicien Walter Pitts.

3
En 2012, pour la première fois, un réseau de neurones surpasse un humain dans la reconnaissance d’image.

4
Le terme algorithme est inventé par le mathématicien Mohammed Ibn Musa-Al Khwarizmi, dans le courant du
neuvième siècle avant Jésus Christ

7
est un ensemble de commandes données à la machine, écrites dans un langage spécifique, afin
d’effectuer une série d’opérations spécifiques pour obtenir un résultat.
Sachant qu’un ordinateur est (encore) incapable de comprendre le langage humain, le
programmeur utilise un langage de programmation. Ce langage sert de passerelle entre le
langage humain et le langage que la machine peut comprendre. Grâce à cet outil, le
programmeur peut créer une série d’instructions que l’ordinateur peut intégrer.

L’algorithme fait ainsi le lien entre l’informatique et l’IA. Quatre d’entre eux font partie de
notre quotidien et prouvent le rôle capital qu’ils jouent dans la société et les organisations.
On peut tout d’abord citer « PageRank » de Google. Il s’agit d’un ensemble d’algorithmes
utilisés par Google pour déterminer l’importance des documents indexés par son moteur de
recherche web. Ainsi, lors de chaque recherche sur Google, c’est l’un des éléments qui
permettent de déterminer l’ordre dans lequel les résultats sont affichés. PageRank est sans
conteste l’algorithme le plus utilisé du monde.
Un autre exemple est la « Timeline » de Facebook. En effet, le contenu que Facebook affiche
sur le fil d’actualité est choisi par un ensemble d’algorithmes. Ces derniers décident du contenu
à afficher en fonction de différents paramètres tels que les goûts personnels, les réactions à du
contenu précédemment proposé et bien plus encore.
Dans le domaine de l’entreprise, les algorithmes de trading à haute fréquence peuvent être cités.
Ils sont utilisés par les institutions financières les plus importantes du monde, afin de leur
permettre de lancer des ordres sur le marché en fonction du bénéfice qu’ils espèrent obtenir et
selon les conditions du marché à un moment précis. Ces algorithmes ont aujourd’hui plus
d’influence sur l’économie mondiale que les opérateurs humains, et engendrent la circulation
de milliards de dollars chaque jour.
En dernier exemple, l’algorithme de Round Robin peut être évoqué. Il s’agit d’un algorithme
largement utilisé dans le domaine de l’informatique, il permet aux ordinateurs de déterminer
quelles tâches ils doivent effectuer en priorité. En règle générale, il détermine le temps que le
processeur passera sur chaque tâche en cours.

Le big data :
L’explosion des données ou le big data est le dernier terme à aborder afin de situer l’IA.
Le big data est en effet un des catalyseurs de l’avènement actuel de l’IA. Il permet, en outre, de
lier transformation digitale et intelligence artificielle. En effet, l’accroissement exponentiel des
données disponibles est la conséquence de nombreux facteurs dont l’utilisation massives des

8
smartphones, des réseaux sociaux, de l’internet et de systèmes experts déployés dans la plupart
des entreprises ou organisations, créateurs de données de masse.

Il peut être défini comme le concept permettant de stocker un nombre indicible d’informations
sur une base numérique. Il est né de l’explosion quantitative des données numériques
engendrant la nécessité de découvrir de nouveaux ordres de grandeur concernant la capture, la
recherche, le partage, le stockage, l’analyse et la présentation des données.5
Le big data ou données massives désignent un ensemble très volumineux de données qu’aucun
outil classique de gestion de base de données ou de gestion de l’information ne peut vraiment
utiliser. Ces données proviennent d’origines multiples : messages envoyés, vidéos publiées,
informations climatiques, signaux GPS, enregistrements transactionnels d’achats en ligne,
internet des objets....

La gestion de ces données est devenue un enjeu stratégique, tant politique qu’économique. Les
géants du Web, au premier rang desquels les GAFAM, ont été les premiers à déployer ce type
de technologie et à prendre conscience des opportunités qu’elles offraient.
Toutefois, aucune définition précise et scientifique ne peut être donné au big data, en raison
d’une part qu’il s’agit d’un objet complexe et polymorphe, d’autre part que cette définition
varie selon le prisme de lecture de ses utilisateurs : une approche transdisciplinaire permet
d’appréhender ces différents acteurs comme les concepteurs et fournisseurs d’outils (les
informaticiens), les catégories d’utilisateurs (gestionnaires, responsables
d’entreprises, décideurs politiques, chercheurs) ou les acteurs de la santé et les usagers.

Le big data est entré dans le quotidien de chacun en qualité, pour certains, d’élément fondateur
d’une troisième révolution industrielle.

Le big data peut définir en outre un outil d’analyse de données, une solution permettant à chacun
d’accéder à des bases de données colossales. Ce concept s’appuie sur trois principes de base. Il
requiert tout d’abord un volume de données considérable à traiter, ensuite une
grande variété d’informations (venant de diverses sources, non-structurées, organisées,

5
Le terme de big data est apparu pour la première fois en 1997 selon les archives de la bibliothèque
numérique de l’Association for Computing Machinery.

9
ouvertes…), et enfin un certain niveau de vélocité à atteindre, autrement dit de fréquence de
création, collecte et partage de ces données.

Deux principes sont toutefois apparus importants : la véracité et la valeur des données.
La véracité des données concerne la fiabilité et la crédibilité des informations collectées. Il
s’agit d’un élément fondamental, sur lequel la recherche investit, gage de réussite des
apprentissages machines et donc de l’intelligence artificielle. La valeur des données, quant à
elle, correspond aux avantages à obtenir du big data tant stratégiques qu’économiques.

Ainsi, la croissance du big data a été favorisée par deux évolutions technologiques fondatrices :
d’une part les technologies de stockage comme en particulier les « clouds » à l’origine du
volume de données, d’autre part, les technologies de traitement de données, l’extension des
capacités des ordinateurs offrant quant à elles les vitesses de calcul idoines.

Les données de masse sont un élément liant la transformation digitale, à l’origine du big data,
et l’IA, dont le déploiement est accéléré par ce concept. En effet, le big data est l’essence du
machine learning, technologie qui permet d’exploiter pleinement son potentiel.
Le big data est considéré comme étant à l’origine de bouleversements importants de la société.
En quelque sorte, il est un tournant pour les organisations au moins aussi important qu’internet
en son temps.
Le gouvernement et les organismes publics ont également investi dans le domaine, à travers en
particulier l’open data6, terme désignant des données auxquelles n’importe qui peut accéder,
que tout le monde peut utiliser ou partager.

Nous verrons également que la gestion des données nécessite pour les organisations, afin de
tenir les principes de véracité et de valeur, d’interroger leurs procédures, de les mettre à plat et
d’éduquer l’ensemble des agents à l’utilité de fournir des données fiables. L’impact managérial
n’est pas anodin. Il s’agit du premier lien clair entre IA et management.

6
Les critères essentiels de l’Open Data sont la disponibilité, la réutilisation et la distribution, et la participation
universelle. Il s’agit là de la définition donnée par l’Open Knowledge Foundation en 2005.

10
1.1.2 Historique de la création et de l’évolution de l’IA

Les prémices :
Le point de départ de l’IA se situe dans les années 1950 avec les travaux d’Alain Turing
qui se demande si une machine peut « penser ».
Mais les premières réflexions historiques semblent apparaître bien avant, sous forme de mythes
ou de légendes. L’intelligence artificielle a dès le début, était appréhendée selon des
considérations proches de la philosophie…

Plusieurs étapes apparaissent clairement dans sa création et son évolution, depuis ses prémices
jusqu’à son déploiement actuel :

Les robots dorés d’Héphaistos, Pygmalion et Galatée, dans les mythologies grecques peuvent
être considérés comme des êtres artificiels, premiers mythes, prémices de ce qui deviendra
l’intelligence artificielle.
« Il y a plus de 2 500 ans, les mythes grecs décrivaient déjà des robots-combattants, des arcs
aux flèches intelligentes, des trépieds autonomes qui viennent vous servir du nectar ou de
l’ambroisie. Ils mettaient même en scène des formes d’intelligence artificielle : des assistantes
automatisées dotées de conscience, ou un robot aux allures de femme souriante, envoyé par un
dieu pour tenir compagnie aux hommes. »7

Ensuite, au moyen-âge, les aspects mystiques des techniques alchimiques, dont le but est
d’imprégner les esprits, comme par exemple les homoncules, peuvent être regardés comme des
ancêtres de l’intelligence artificielle.

Au XIXème siècle, les notions d’intelligences artificielles prennent forme par l’intermédiaire des
hommes artificiels et des machines pensantes dans des œuvres de fiction, telle que Frankenstein
ou, dans des essais de spéculations comme « Darwin among the Machines » de Samuel
Butler. L’IA devient le sujet principal de la science-fiction, des siècles avant l’arrivée des
ordinateurs.

7
Source Libération

11
L’ordinateur comme catalyseur :
D’ailleurs, la véritable naissance de l’intelligence artificielle est considérée comme liée
à la naissance des ordinateurs, autour des années 40. Ainsi, la période de 1940 à 1956 est celle
de son premier développement significatif :
Tout d’abord, la naissance de l’ordinateur offre aux scientifiques et chercheurs, l’opportunité
d’imaginer la création de ce qu’ils appellent déjà « une intelligence artificielle ».8 Les réflexions
sur la création de « machine pensante » de « cerveau artificiel », les balbutiements de la
cybernétique, les recherches en neurologie participent à l’évolution du concept d’IA, qui n’en
a pas encore le nom.
Ensuite, deux approches intellectuelles parallèles se développent : d’une part
le connexionnisme comme « courant de recherche constituant une voie différente dans l’étude
des phénomènes cognitifs », d’autre part le cognitivisme, comme « courant de recherche
scientifique endossant l’hypothèse selon laquelle la pensée est analogue à un processus de
traitement de l’information ».
Au cours de cette période allant jusqu’en 1950, des études en neurologie montrent enfin que le
cerveau est constitué d’un réseau électrique de neurones.

Les fondations de l’intelligence artificielle :


Les travaux de Turing, un mathématicien britannique, à partir de 1950, constituent une
accélération dans l’histoire de l’intelligence artificielle, par la première réflexion philosophique
sur le sujet, qui aboutit au « test de Turing »9. Il publie en particulier, en octobre 1950, un article
scientifique, visionnaire et fondateur, relatif à la possibilité de créer des machines dotées d’une
intelligence.

La dernière étape de la création de l’intelligence artificielle est la conférence de Dartmouth en


1956. Au cours de ce rendez-vous de mathématiciens, le terme d’intelligence artificielle est
pour la première fois officiellement utilisé par le chercheur John McCarthy. Au cours de cette
conférence, la thèse suivante est développée : « chaque aspect de l’apprentissage ou toute autre

8
Frédéric Fürst, maître de conférences, du laboratoire MIS, Modélisation, Information et Système de
l’université de Picardie affirme ainsi que « L’apparition des ordinateurs, dans les années 1940-1950, semble
rendre possible le rêve de l’intelligence artificielle » .

9
Test fondé sur la capacité d’une machine à interpréter une conversation humaine.

12
caractéristique de l’intelligence peut être si précisément décrit qu’une machine peut être
conçue pour le simuler. »
A partir de cette date, l’intelligence artificielle devient une discipline à part entière,
indépendante, dissociée de l’informatique ou des mathématiques.

Au cours des 15 années suivantes, l’IA vit une première période propice aux progrès. Des
ordinateurs commencent à résoudre des problèmes algébriques de mots plus ou moins
complexes, démontrent des théorèmes en géométrie et apprennent à parler anglais. Pour autant,
ces évolutions ne touchent pas encore le grand public et leur impact au sein de la société, au-
delà des milieux initiés, est inexistant.

Une période de stagnation suit cette première phase de progrès. Elle va durer une dizaine
d’années et correspondra à la fois à l’image défavorable de l’IA auprès de la population, aux
recherches qui évoluent peu rapidement et aux contraintes budgétaires associées.

Les systèmes experts comme accélérateurs :


A partir de 1980, les systèmes experts et la représentation des connaissances participent
à relancer l’intérêt des recherches et leur efficacité. Il est désormais possible, d’une part de
reproduire les mécanismes cognitifs d’un expert, dans un domaine particulier, voie privilégiée
pour aboutir à l’IA, d’autre part d’organiser le savoir humain pour le partager et optimiser son
utilisation.

Le système expert, est à l’origine de la majorité des algorithmes « apprenants » utilisés


aujourd’hui comme les réseaux de neurones, l’apprentissage par renforcement ou les machines
à vecteurs de support.

Ces évolutions ont des premières connexions avec les entreprises, qui commencent à intégrer
les systèmes experts.10 En outre, IBM crée au début des années 1990 l’ordinateur « Deep Blue »
dont le fait d’armes est de remporter à deux reprises en 1996 et 1997 une rencontre d’échecs
contre le champion du monde de l’époque, Garry Kasparov.
Ces réussites, les progrès réguliers des possibilités technologiques offertes par l’informatique,
améliorent l’image de l’intelligence artificielle auprès du grand public et continuent à lui
permettre d’évoluer.

10
Arcelor utilise dès 1990 un système expert pour piloter des hauts-fourneaux

13
L’IA enjeu majeur de recherche :
Les années 2000 lui permettront de franchir plusieurs caps l’amenant à devenir en 2019
sans doute l’un des enjeux majeurs de recherche, de développement et d’intégration au sein de
la société. Comme celle de Deep Blue sur Garry Kasparov dans les années 1990, celle d’une
intelligence artificielle sur un humain au jeu de go en 2016 en a été un symbole.

Par cette capacité nouvelle, l’essor des techniques d’apprentissage profond permet aux
machines de commencer à surpasser les performances des meilleurs experts humains dans des
domaines comme la reconnaissance visuelle, l’analyse documentaire ou la traduction.

L’IA devient ainsi un enjeu organisationnel, économique, technologique, mais aussi


sociétal et philosophique.
Son développement est également lié à l’investissement dans le domaine des grandes
entreprises ayant saisi ces enjeux, dont en particulier les GAFAM.11
Google, principal moteur de recherche internet du monde, est en particulier en pointe dans la
recherche liée à l’IA. En effet, comme l’indique un chercheur du CNRS : « un moteur de
recherche est un algorithme et donc doit comprendre ce que l’utilisateur cherche, aime et
pourrait acheter ».

L’IA est aujourd’hui dans le quotidien, conscient ou inconscient, de chaque citoyen, de la


plupart des salariés. Elle offre des fonctionnalités et des améliorations de la vie de tous les jours
incontestables. Toutefois, les questions que son déploiement pose se situent aux frontières de
l’informatique, de la technologie, des sciences humaines et de la philosophie. Un robot peut-il
penser, réfléchir ? une machine peut-elle remplacer un être humain ? décider à sa place ?
certaines activités sont-elles menacées ?...
Il est intéressant également de noter que Google est à la fois précurseur dans l’utilisation
de l’intelligence artificielle mais également dans l’organisation du travail et les méthodes de
management, liant ainsi la technologie et l’humain. Selon IBM, deux des 5 innovations qui
devraient changer nos vies dans 5 ans sont directement reliées à l’intelligence artificielle.

11
Ce terme regroupe les 5 plus grands groupes ou entreprise influentes dans le domaine de l’internet ou du
numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

14
1.1.3 A travers les domaines d’application de l’IA, pourquoi apparaît-elle aujourd’hui ?

En 2019, l’IA est à la fois axe majeur de recherche, un élément incontournable de notre
quotidien et un enjeu pour les organisations publiques ou privées.

Les différents types d’IA :


Deux types d’intelligence artificielle peuvent communément être caractérisés. Elles sont
communément nommées faible et forte.

L’intelligence artificielle « faible » effectue une tâche très précise. Elle permet d’effectuer des
tâches répétitives, sans réflexion autre que celle ayant été programmée préalablement, sans
forme complexe d’apprentissage continu. Elle constitue un simple programme. Un exemple
classique d’intelligence faible est le logiciel Deep Blue conçu pour jouer aux échecs. L’IA
faible est aujourd’hui celle qui est majoritairement utilisée dans notre quotidien. Au sein de
cette IA faible, deux domaines distincts peuvent être définis.
Il existe d’une part une intelligence artificielle de la logique, de l’aide à la décision. C’est celle
des systèmes experts, des arbres de décision.
Le deuxième domaine est celui de l’apprentissage. Il est significativement en expansion et en
crée la majorité des applications actuelles. Les assistants vocaux, les outils de reconnaissance
ou les assistants personnels en sont les exemples probants.

Quant à l’IA « forte » elle permettrait de reproduire la capacité d’exécuter n’importe quelle
tâche, champ beaucoup plus large et plus ambitieux et non réalisé à l’heure actuelle. Elle est
conçue par des algorithmes sophistiqués, lui permettant d’évoluer dans ses compétences. Elle
peut se rapprocher de l’intelligence de l’homme et consacre une partie importante de recherche
à l’heure actuelle. Une intelligence artificielle forte est capable de réussir le test de Turing. Elle
est à la fois celle qui offre les perspectives d’aide à la décision les plus avancées mais aussi
celle qui est remise en cause par sa possibilité de dépasser un jour les capacités intellectuelles
humaines.

15
Les domaines de l’IA :
L’intelligence artificielle peut agir dans différents domaines ou axes de compétences.

Elle développe des dispositifs de raisonnement automatique, logique, les systèmes experts en
sont la matérialisation la plus aboutie. Les outils décisionnels mis en place dans les entreprises
privées ou publiques, en sont un exemple.

Par l’apprentissage machine, l’intelligence artificielle fournit des outils prédictifs. Ils
nécessitent des données structurées et en masse. Ils rendent crucial et stratégique l’enjeu du big
data. C’est le deuxième axe de compétence de l’IA. L’apprentissage profond, troisième axe de
développement, propose des solutions d’aide au langage comme les « chats bots » ou la
modélisation des connaissances.

La branche de développement de la vision offre quant à elle des dispositifs de vision augmentée,
qui utilise également les techniques de deep learning.

Enfin, le domaine de la parole est également un axe fort de développement de l’IA à travers la
traduction soit de texte écrit en parole, soit de parole en texte.

La synthèse des domaines de l’intelligence artificielle est résumée dans le tableau ci-dessous.

16
apprentissage
en profondeur
(deep learning)
apprentissage
supervisé
machine

non supervisé

extraction de
contenu

classification

traitement
traduction
du langage

système réponse aux


intelligence expert questions
artificielle
génération de
textes

reconnaissance
d'images
vision
vision de
l'appareil

traduction de la
parole à l'écrit
parole
traduction de
l'écrit à laparole
planification

robotique

Synthèse des domaines de l’intelligence artificielle12

Les raisons de l’avènement de l’IA :


Afin d’aborder la place que prend l’IA dans la société, il est important de présenter les
raisons de son avènement. Elle est aujourd’hui au centre de nombreuses attentions par la
maturité technologique qu’elle a acquise, par le volume des investissements qui lui sont
consacrés et enfin par les usages multiples qu’elle offre ou qu’elle fait entrevoir.

12
Figure inspirée de Métamorphose des managers à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle,
C.Déjoux-E.Léon, 2018, Pearson

17
La maturité technologique expliquant l’avènement de l’IA se matérialise tout d’abord par les
capacités offertes par les processeurs et le matériel informatique. Les capacités de calcul se sont
décuplées et sont devenus financièrement accessibles. Elles sont en outre adaptables au besoin.
Ensuite, parallèlement à cela, la disponibilité des données à travers les réseaux sociaux,
l’internet, l’internet des objets, conséquences de la transformation numérique au sens large, a
facilité la capacité à apprendre de l’IA. La mise à disposition des utilisateurs de l’IA des bases
de données très importantes permettant d’approfondir et d’affiner les apprentissages. Il s’agit,
comme nous l’avons vu précédemment, du « big data ».
Il a été renforcé par les capacités de stockage des données qui se sont développées de manière
exponentielle avec l’apparition des dispositifs de stockage virtuels ou clouds.
Enfin, l’évolution scientifique a été favorisée par l’accès à la science en open source qui a
favorisé la créativité et l’émulation entre les chercheurs. La création d’algorithmes de plus en
plus performants, de réseaux neuronaux toujours plus complexes en sont des exemples.
Le développement scientifique de l’intelligence artificielles ne peut par contre pas être
considéré comme une révolution mais plutôt comme une évolution sans rupture, même si dans
le quotidien les notions parfois de disruption apparaissent.
Apparaît ici également un autre lien avec le management : l’innovation est source d’avènement
de l’IA.

Le volume des investissements est la deuxième explication de l’émergence de l’IA.


Les GAFAM, de nombreuses start-ups, les États eux-mêmes investissent des sommes
colossales dans l’IA, tant dans la recherche que dans le déploiement de dispositifs. La
valorisation boursière des entreprises technologiques est en phase de croissance importante. Le
marché de l’IA représenterait 11 milliards de dollars en 2020.

Enfin, le troisième marqueur qui explique la place que prend l’IA est la massification des usages
qui en sont faits ou qui sont possibles.
Elle est présente à tous les niveaux de la société ou de l’entreprise : reconnaissance vocale,
visuelle, outils d’aide à la décision, assistant professionnel ou personnel ont ou vont intégrer
les domaines de la banque, de la finance, du commerce, en particulier en ligne, de l’énergie, de
l’éducation ou de la vie quotidienne.
Il ne se passe pas une semaine sans qu’une application utilisant l’IA ne soit présentée dans les
médias. De l’aide au diagnostic médical, à la rédaction d’articles de presse en passant par l’aide
juridictionnelle, l’assistance à l’agriculteur, la massification des usages est une réalité. Ci-

18
dessous quelques exemples significatifs d’utilisation de l’intelligence artificielle sont
sélectionnés :

Détection de cancer (type mélanome ou colon), aide au


Médical
diagnostic, rédaction de prescription médicale (Watson d’IBM)
Conseils prédictifs chez Orange Bank et Crédit mutuel (Watson
Finances
d’IBM)
Journalisme Rédaction d’articles (pour le Washington Post)
Droit Assistance d’avocats (Ross d’IBM)
Compréhension de la parole Siri d’Apple, Cortana de Microsoft, M de Facebook, chatbots…
Traduction simultanée Skipe Translator de Microsoft
Véhicule autonome Google car ou Infinity de Nissan
Interprétation automatisée du langage naturel (Google Brain,
Services cognitifs
Google Deepmind)
Création de musique (Intel, Sony) de peintures ou de scénarii
Art
de films
Optimiser les flux de transport en fonction des capacités des
Mobilité différents modes, d’informations environnementales ou
d’actualités (accident, grève)
Systèmes apprenants qui reproduisent le fonctionnement d’une
machine en conditions réelles, commencent à identifier des
facteurs d’utilisation non optimale ou de dysfonctionnement
Industrie
permettant d’anticiper une maintenance.

Systèmes apprenants qui anticipent la production solaire,


Transition énergétique
éolienne ou encore optimisent la distribution.
Travaux en cours sur les flux vidéo et l’intégration
Sécurité exponentielle des caméras de surveillance afin d’améliorer les
dispositifs de reconnaissance faciale.
Sélection d’exemples d’applications de l’IA13

13
Éléments issus de Métamorphose des managers à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, C.Déjoux
& E.Léon, 2018, Pearson

19
La dimension managériale de cet avènement :
Cette massification prend incontestablement une dimension managériale, cœur de ce
mémoire, à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, par l’importance que prennent les données, leur gestion, leur fiabilité devient
pour chaque organisation un enjeu stratégique. Il nécessite une mise à plat des processus, une
adaptation des postures décisionnelles, si cela n’a pas déjà été mené dans le cadre de la
transformation numérique.
Ensuite, l’émergence de l’IA et de ses potentialités sont des leviers d’innovation à saisir pour
dynamiser l’organisation, qu’elle soit publique ou privée.
Le développement d’outils d’aide à la décision de plus en plus performants va également
interroger les managers par l’évolution de leur capacité à décider et par le lien qui va se créer
entre leurs collaborateurs et les systèmes experts.
Enfin, dans les situations ou la transformation numérique ou digitale n’a pas encore été menée,
l’arrivée de l’intelligence artificielle peut en être le catalyseur et permettre de préparer
l’organisation à son avènement.
Ces éléments seront détaillés dans la suite de ce mémoire.

20
1.2 Place de l’intelligence artificielle dans la transformation digitale

L’IA ne peut être dissociée des transformations digitale ou numérique. Nous verrons dans
une première partie comment elle en est la continuité.
Ensuite, les perspectives qu’offrent l’IA, ainsi que ses avantages et ses limites, seront
présentées. Il s’agira essentiellement de sa placer sous l’angle des entreprises, des organisations
publiques plus que du citoyen même si l’impact de l’IA sur la société ne pourra être occulté.
Enfin, un zoom sur les possibilités qu’offre l’IA aux services d’incendie et de secours (SIS)
sera effectué.

1.2.1 De la révolution numérique à la transformation intelligente

La révolution numérique :
L’avènement de l’intelligence artificielle est la dernière étape d’un mouvement que l’on
peut considérer comme ayant débuté à la fin du siècle dernier, vers 1970.

La révolution numérique est en effet à l’origine des transformations que nous vivons à l’heure
actuelle. Son origine, que l’on peut estimer datant de 1971 est attachée à deux évènements :
l'invention du microprocesseur et la mise en réseau d'une vingtaine d'ordinateurs éloignés
géographiquement, préfiguration d'Internet. Dans les années 80, les premiers ordinateurs
personnels sont une étape suivante dans cette révolution, prolongée dix ans plus tard par
l’explosion d’internet puis enfin au début du XXème siècle par l’émergence des smartphones,
des objets connectés et des réseaux sociaux.

Alors que la révolution industrielle a profondément modifié la société du XIXème siècle, cette
révolution numérique et sa suite, la transformation digitale, bouleverse maintenant la nôtre ainsi
que le quotidien des entreprises et des organisations.

La transformation digitale :
La transformation digitale, que l’on appelle parfois aussi transformation numérique,
désigne le processus qui permet aux organisations d’intégrer toutes les technologies digitales
disponibles au sein de leurs activités.

21
Si le numérique est apparu en premier, le digital lui, a permis une utilisation plus simple des
différents outils technologiques.

Ces technologies qui se sont imposées à elles, ont pour vocation d’améliorer de nombreuses
choses au sein des organisations : performance, relation avec le client ou l’usager, réduction
des coûts, prise de décision… Elles leur permettent de poursuivre leur croissance ou d’adapter
leurs prestations.

Elles sont aussi, potentiellement synonymes de remise en cause profondes des modes
d’organisation, des pratiques des relations au sein de l’organisation, avec toutes les difficultés
et déstabilisations induites.

La banalisation de l’email dans le quotidien des salariés et des agents est l’un des exemples les
plus évidents de cette révolution technologique dans l’univers des organisations. Les modes de
communication changent et nécessitent pour les décideurs une adaptation et une réappropriation
des fondamentaux.

Quand on évoque les générations X, Y et Z et leur capacité à s’adapter aux nouvelles


technologies et aux nouveaux outils, il est parfois nécessaire d’avoir été éduqué au travers
d’elles. Apprendre à utiliser ces technologies peut représenter un frein pour de nombreux
collaborateurs au sein des entreprises, ou pire encore, les rendre réfractaires.
Cependant les nouvelles générations et notamment les millenials14, sont nés avec; les
smartphones, les tablettes et les nombreuses applications jusqu’aux réseaux sociaux sont
devenus leur quotidien. Ceci nous amène à comprendre les nouvelles formes de communication
et de consommation dans un écosystème où le facteur temps à une grande emprise sur les gens.
Il faut toujours aller plus vite !
Cette remarque renvoie à celle du colonel Grégory Allione, directeur du Service Départemental
d’Incendie et de Secours des Bouches du Rhône et président de la Fédération Nationale des
Sapeurs-Pompiers de France : « avec la transformation digitale, le temps s’accélère, va très
vite, alors que l’information doit être digérée. La question que de plus en plus se posent est :
jusqu’où aller ? De nombreux cadres disent régulièrement : « ça va trop vite !! ». »

14
Groupe de personnes âgées de 15 à 34 ans, habituées au digital et ayant grandi avec l’arrivée des réseaux
sociaux

22
La transformation digitale se caractérise par à la fois la diffusion d’information en
continue, l’accélération du temps, l’utilisation de nouvelles technologies et de nouveaux outils,
mais également par de nouveaux modèles d’organisation. Le smartphone avec ses corollaires
applications et réseaux sociaux en est un premier exemple évident. La mobilité en est un second
symbole.
La transformation digitale des entreprises est ainsi un profond changement qui permet de
répondre aux besoins futurs.
Elle interroge les organisations sur de nombreux aspects dont le besoin de transparence, le lien
entre le travail et la vie personnelle, la lenteur des décisions, le poids de la hiérarchie ou le
management des nouvelles générations sont les plus prégnants. Certains de ces aspects seront
abordés dans la deuxième partie de ce mémoire.

L’enjeu des données, pont entre le digital et l’IA :


Un des autres enjeux majeurs à venir est la capacité à faire parler les données que les
organisations accumulent depuis de nombreuses années. Comment interpréter ces données ?
C’est une des clés de l’évolution vers la transformation intelligente portée par l’IA. Elle
n’apparaît ainsi que l’étape suivante de la transformation digitale et peut être définie comme la
transformation intelligente.
Elle pousse les entreprises et les organisations à aller de la transformation digitale à la
transformation intelligente. Elle introduit en effet une nouvelle transition, après celle du
numérique, dont se sont déjà emparés la plupart des grandes entreprises.
Elle constitue une nouvelle rupture dans la construction même des systèmes informatiques. Les
technologies cognitives, cœur de l’intelligence artificielle, permettent en effet le traitement des
données en parallèle et non plus de manière séquentielle comme c’est le cas avec l’informatique
classique. Cela permet le traitement de masses de données en temps quasi réel et la réalisation
de plusieurs opérations simultanément. Les intérêts actuels du big data, de l’importance des
données, sont ainsi mis en exergue. Les systèmes d’information ne peuvent plus dans ce
nouveau paradigme rester l’apanage unique des informaticiens.

La transformation intelligente :
La transformation intelligente nécessite par contre comme préalable pour les
organisations d’avoir intégré la transformation numérique ou digitale. Or, à l’instar des petites

23
et moyennes entreprises françaises15, ce prérequis n’est pas encore en vigueur
systématiquement.

L’émergence de l’IA crée ainsi cette transformation intelligente qui apparait dans la continuité
de la transformation digitale. Elle est en ce sens plus une évolution qu’une disruption, au sens
de la révolution de l’internet par exemple.
Elle s’appuie sur les fondements permis par la transformation digitale à savoir l’accessibilité
des nouvelles technologies pour tous, la démocratisation de l’utilisation des outils et supports
numériques, la création exponentielle de données disponibles et utilisables, l’installation des
réseaux sociaux dans le quotidien ou l’arrivée des premières générations nées avec le
numérique.

Elle apporte à la transformation digitale des solutions améliorant le quotidien, répondant de


plus en plus aux attentes individuelles et accélérant les besoins de modification de
fonctionnement des organisations, publiques ou privées.

1.2.2 Les perspectives liées à l’IA, ses avantages, ses limites

Les perspectives :
A travers ses quatre grands domaines d’applications, la vision, la parole, le langage ou
les connaissances, l’IA offre de nombreuses perspectives aux organisations.

Au quotidien, les immeubles connectés, les applications de réalité augmentée, les assistants
intelligents, les drones, les emballages connectés, les robots assistants ou industriels ou les
véhicules connectés ou autonomes sont autant d’exemples d’applications présentes ou futures
de l’IA. Il est toutefois important de noter à ce stade que leur niveau de maturité ou d’intégration
dans la société est inégal et différent. La majorité des briques de déploiement de l’IA est
aujourd’hui débutante.

15
Selon Sylvain Duranton, directeur de la société de conseil BCG GAMMA « L'intelligence artificielle, tout le
monde en parle, mais peu de gens en font. Moins de 15 % des entreprises françaises ont des solutions IA qui
tournent, et ce taux est encore plus faible dans les PME. »

24
Par l’étude menées par l’organisme France Stratégie sur le travail d’une part16, sur le système
de santé d’autre part17, l’analyse de l’application de l’IA dans le domaine de la santé est très
éclairante. Elle permet de comprendre pourquoi l’IA est devenu prégnante dans ce domaine, ce
qu’elle offre dès à présent, quelles opportunités elle fait apparaître, ce sur quoi elle ne pourra
pas intervenir et comment, dans le domaine de l’organisation anticiper son émergence.
Cette analyse peut en outre être développée dans la plupart des autres domaines impactés par
l’intelligence artificielle.

Tout d’abord, comme cela a déjà été abordé ci-dessus, le lien entre la santé et l’intelligence
artificielle est caractérisé par trois aspects. Le secteur de la santé est, comme l’affirme Salima
Benhamou, « knowledge intensive ». Il est à la fois le lieu de compétences très élevées, de
recherches importantes matérialisées par des publications scientifiques soutenues et de création
de données en masse. La santé est un fournisseur important du big data.
Le deuxième élément significatif est le fait à la fois que le secteur de la santé est un de ceux qui
consacre le plus de moyens à la dépense publique, quels que soient les pays, et qu’il représente
un enjeu d’avenir structurant. De nombreux investissements sont ainsi consacrés dans le
domaine de l’intelligence artificielles en lien avec la santé, qu’ils soient menés par les États ou
par les groupes privés comme les GAFAM ou les BATX18 chinois. Cela en fait un secteur très
dynamique.
Le troisième élément est que le secteur de la santé comprend de nombreux métiers, de
nombreuses compétences. De nombreux de ces métiers seront forcément touchés et concernés
par l’avènement de l’IA.
Il existe ainsi une multitude d’intérêts pour des applications de l’IA, soit pour des activités
nécessitants une compétence supérieure, soit pour des fonctions d’exécution de tâches
répétitives. En outre, le secteur de la santé est aussi un employeur majeur, pour lequel les coûts
de fonctionnement représentent une part importante des dépenses de santé. Cela peut conduire,
dans un contexte de contrainte budgétaire associée à une augmentation des besoins, à se

16
Rapport remis en mars 2018 à la ministre du Travail et au secrétaire d'État auprès du Premier ministre,
chargé du numérique sur le thème « intelligence artificielle et travail »

17
"Idées préconçues à propos de l’intelligence artificielle. Moins une menace qu’une opportunité potentielle
pour repenser le système de santé". Point de vue de Salima Benhamiou, Économiste à France Stratégie,
département travail, emploi et compétences, dans "La revue du praticien" de décembre 2018.

18
Du nom de 4 entreprises chinoises concurrençant les Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.

25
demander s’il ne serait pas possible de remplacer au moins une partie de ces travailleurs par des
machines « intelligentes », à l’instar de ce qui a été fait dans l’industrie automobile.

En synthèse, quantité de données disponibles, enjeux forts, impact sur le travail et opportunités
de réduction des coûts sont et vont être les perspectives motrices et récurrentes de la prise en
compte de l’IA par les organisations. Par ses outils d’aide à la décision l’IA peut en outre
améliorer l’efficience des organisations.

Dans un avenir proche, il apparaît évident que les applications sectorielles futures seront
considérables et les évolutions rapides, que l’on pense par exemple à l’éducation, à
l’environnement, à l’énergie, aux transports, à l’aéronautique, à l’agriculture, au commerce, à
la finance, à la défense, à la sécurité, à la sécurité informatique, à la communication, aux loisirs,
à la santé, à la dépendance ou, encore, au handicap.

L’IA offre également des perspectives de déploiement aux villes intelligentes ou smart cities.
Concept de développement urbain fondé sur les nouvelles technologies, la ville intelligente va
révolutionner la vie des citadins en cherchant à améliorer leur quotidien, leur qualité de vie par
un écosystème connecté d’objets et de services. Les services publics, les transports, les réseaux
seront concernés. Par l’IA, grâce aux systèmes apprenants et aux données collectés, de
nombreuses fonctionnalités seront disponibles.

Les avantages :
Au-delà des perspectives futures, l’IA permet d’ores et déjà d’envisager de nombreux
avantages pour les entreprises ou organisations publiques.

Pour revenir au secteur de la santé, l’intelligence artificielles n’en est qu’à ses prémices dans
l’aide liée au « machine learning » comme l’aide au diagnostic ou à mener des opérations
ponctuelles. Par contre, comme le prouve le projet mené au Centre Hospitalier Universitaire
d’Amiens, l’intelligence artificielle offre déjà la possibilité à travers des systèmes experts
d’améliorer l’organisation des services et leur efficience au service d’une meilleure prise en
charge organisationnelle des patients.

Plus globalement, dans le cadre de l’évolution de la relation entre les organisations et ses clients
ou ses usagers, l’IA permet d’améliorer « l’expérience client ». Par l’augmentation et le

26
perfectionnement des interactions avec les interfaces clients, ou usagers, pilotées par l’IA, les
organisations peuvent ainsi adapter leurs processus, leurs produits afin de mieux répondre à
leurs attentes. Le développement des agents conversationnels ou « chatbots » par de
nombreuses entreprises en est un exemple parmi d’autres. Ils garantissent pour l’organisation
une meilleure disponibilité et un gain de productivité et placent le client ou l’usager au cœur
des attentes.

Deuxième avantage significatif pour les organisations, l’IA va très rapidement réaliser des
tâches répétitives, routinière à la place de l’homme. Les tâches administratives, les tâches de
planification, de coordination, très chronophages pour les managers seront bientôt confiées à
une IA. Cela aura pour conséquences concrètes une amélioration des conditions de travail pour
le remplacement des tâches pénibles, une amélioration du quotidien des travailleurs, un gain de
temps pour les managers, l’organisation et ainsi un gain d’efficacité et de productivité.

Par sa capacité à traiter en qualité et en quantité la donnée, l’IA est d’ores et déjà un outil
performant d’aide à la décision et va s’améliorer au fil du temps. L’IA intervient en complément
de l’intelligence humaine : elle est utile dès lors que l’on programme des tâches pour lesquelles
l’humain mobilise son intelligence dans leur réalisation. Cela concerne l’utilisation de la langue
naturelle, la reconnaissance des formes visuelles ou sonores, mais aussi la prise de décision ou
la mise en corrélation de faits significatifs. Ici encore, en filigrane, l’accroissement de la
création de valeur de l’organisation, quelle qu’elle soit, apparaît.

L’IA va enfin offrir l’opportunité de la création de nouveaux métiers comme par exemple les
« data scientists », qui vont être les nouveaux spécialistes de la donnée, ou de nouvelles
missions managériales orientées vers la compétence d’interface homme/machine.

Les limites :
Les limites de l’intégration de l’IA peuvent par contre être synthétisées ainsi.

Pour prendre l’exemple du secteur de la santé, trois éléments en limitent l’utilisation de l’IA.
Tout d’abord, elle s’appuie pour se réaliser sur un nombre important de données, le big data.
Ses algorithmes visent ensuite à établir des corrélations pour expliciter des phénomènes,
déterminer leurs causes afin, par exemple, dans le domaine de la santé en tirer des
recommandations cliniques. Or le lien entre la corrélation et la causalité n’est pas forcément

27
réalisé dans le domaine médical. Chaque patient étant différent, la détermination et le traitement
des pathologies ne peut et ne pourra s’appuyer uniquement sur des algorithmes aussi complexes
soient-ils.
Ensuite, de nombreuses tâches ne peuvent être automatisables dans le domaine de la médecine :
les préconisations thérapeutiques peuvent varier d’un individu à un autre selon le contexte. La
problématique des pathologies multiples est également difficile à intégrer au sein
d’algorithmes.
Enfin, la qualité d’un diagnostic ne se mesure pas uniquement sur le volume d’informations
disponibles mais sur la qualité d’interprétation de mécanismes complexes qui ne reposent donc
pas sur des lois naturelles et donc non déterministes. Les limites du big data sont ainsi atteintes
dans ce domaine. Il fonctionne avec une réelle efficacité sur des phénomènes explicatifs simples
et mécaniques.
Comme le précise M. Emmanuel Abord de Chatillon, professeur à l’institut d’administration
des entreprises de Grenoble19 :
« Les données de masse présentent toutefois la difficulté de ne pas être en mesure de régler ou
traiter les problèmes de type rare.
L’IA présente ainsi la limite de diminuer la dimension intuition dans la prise de décision : la
question de l’intelligence émotionnelle est posée et rappelle ainsi que l’IA ne pourra remplacer
à 100 % la décision humaine. »
La limite présentée ici est par conséquent de développer les fonctionnalités de l’IA tout en
maintenant la décision humaine au cœur de l’organisation.

Parmi les enjeux liés à l’avènement de l’intelligence artificielle, pouvant en fixer les limites, la
place prépondérante de la recherche privée, dominée par les GAFA et, potentiellement, les
BATX, l’accélération du passage à une économie globalisée dominée par des "plateformes",
les transformations du marché du travail, les régimes de responsabilité, les biais et les
problèmes posés par les données et les algorithmes, le phénomène de "boîtes noires" des
algorithmes et la question des "bulles d’information" sont prégnants.

D’une autre manière, il faut également évoquer certains sujets d’interrogation liés à la
"singularité", ou au "transhumanisme" qui rendent nécessaires la prise en compte grandissante
de règles éthiques, afin d’éviter le développement des fantasmes prévoyant la prise en main de

19
Dans un entretien réalisé le 23 avril 2019

28
l’homme par la machine ou l’utilisation de l’IA à des fins subversives. Ces questions intéressent
essentiellement le développement de l’IA dite forte dont les applications sont aujourd’hui quasi
inexistantes.

Enfin, la dernière limite pouvant être abordé dans ce mémoire est le risque de disruption
économique et de destruction de métiers. En contrepartie de l’apparition de nouveaux métiers
cités ci-dessus et du gain économique induit, un avènement trop rapide de l’IA menace
l’équilibre économique de nombreuses entreprises, organisations et donc de nombreux emplois.

1.2.3 Zoom sur les possibilités offertes aux Services d’Incendie et de Secours

Les opportunités propres aux Services d’Incendie et de Secours :


L‘IA offre aux SIS et à la sécurité civile au sens large de nombreuses opportunités.

La mission de la stratégie et de la prospective de la Direction générale de la sécurité civile et


de la gestion des crises, dans sa lettre n°1, définit six axes majeurs d’amélioration du
fonctionnement des services d’incendie et de secours grâce à l’IA, d’ici à 2030.
L’aide à la décision par l’anticipation, la conduite des secours en temps réels, le pilotage de la
performance par des plateformes d’infocentre de plus en plus intelligente, l’automatisation du
traitement d’appel, l’aide au bilan du secouriste et diagnostic d’urgence grâce à la télémédecine,
la robotisation autonome et collaborative lors des opérations de secours ou encore la formation
à travers l’e-learning et les simulations sont concernés.

Les autres opportunités :


Au-delà de ces domaines, l’ensemble des développements d’IA au sein des entreprises
ou des administrations peu également intéresser les services de secours.
Dans le domaine logistique, par exemple, l’entretien à distance des véhicules et des matériels,
ou le contrôle des équipements de protection individuel peut être une piste d’amélioration
significative.
Par ailleurs, des axes de progrès existent également avec l’utilisation de l’IA dans le cadre de
l’amélioration des recrutements ou dans la gestion de l’engagement des sapeurs-pompiers
volontaires.

29
Enfin, dans le cadre d’une potentielle expérience usager intéressante à mettre en place, les outils
digitaux, et pas forcément l’IA dans un premier temps, permettraient d’améliorer la réponse à
leurs attentes.

Une expérimentation limitée au projet Prévisecours20 :


Quelques expérimentations d’utilisation d’IA commencent à être menées, sans que cela
soit très répandu au sein des services de secours. Le projet « Prévisecours », mené en partenariat
avec Etalab, le ministère de l’intérieur avec le Sdis de l’Essonne en fait partie.

Il a consisté, au cours d’un projet d’une durée de 10 mois à créer un dispositif de prédiction des
interventions à venir afin d’anticiper les besoins opérationnels, humains et matériels.
Le produit final est une cartographie prédictive par commune proposant une évaluation du
nombre d’interventions à venir, par catégories selon un code de classification colorée liant
l’activité opérationnelle moyenne avec l’activité opérationnelle prévisionnelle.
Prévisecours est un outil d’aide à la décision qui intègre les donnes opérationnelles du Sdis de
l’Essonne, mais également deux cents autres facteurs comme les données météorologiques à
venir mais également des données qui peuvent décrire par secteur, « l’appétence » des citoyens
à solliciter les secours. Ces données sont issues par exemple de l’INSEE. Il existe deux types
de facteurs, ceux qui décrivent d’une part, ceux qui varient d’autre part.
Cette prédiction est fournie par machine learning.

Prévisecours offre l’opportunité de diminuer les temps d’intervention, de réduire les charges
opérationnelles des sapeurs-pompiers, donc leurs conditions d’engagement.

Selon Guillaume Lancrenon, l’un des deux data scientists ayant mené le projet, la contrainte
principale n’était pas technique mais liée aux difficultés d’obtenir des données fiables. 80 % du
temps du projet a été consacré à la gestion des données.

Cet applicatif prédictif est en cours de déploiement au sein du Sdis de l’Essonne, comme un
outil d’aide à la décision des managers que sont les chefs de groupements. Il sera en outre
totalement transparent, étant construit sur le l’open data.

20
Éléments recueillis le 23 mai 2019, auprès de Guillaume Lancrenon, data scientist, porteur avec Thiphaine
Phe-Neau du projet.

30
Sa mise en œuvre pérenne nécessite de lever plusieurs freins organisationnels et managériaux.
Tout d’abord, l’enjeu de la collecte de données fiables est central. Chaque structure doit
améliorer sa capacité de partage des données et donc ses processus internes.
Ensuite, le Sdis doit recruter, pour pérenniser la solution, un data scientist, nouveau métier au
sein de l’établissement.
Enfin, l’aide à la décision peut préconiser des décisions modifiant les modes d’organisation
traditionnels et donc potentiellement créer des point bloquants managérialement.

Nous verrons, dans la suite de ce mémoire, que l’intégration de l’IA dans une organisation passe
par le fait de pouvoir lever ces limites, qui sont coutumières.

Cette présentation de ce qu’est l’IA, de ce qu’elle peut apporter et des limites qu’elle
présente est une première étape pour répondre à la problématique de ce mémoire, l’IA est-elle
une opportunité managériale pour les organisations ?
L’IA est clairement un enjeu en matière de nouvelles fonctionnalités offertes aux entreprises
ou aux organisations publiques. Elle offre et offrira une amélioration de la relation avec les
clients ou usagers, une meilleure réponse à leurs besoins, une amélioration des conditions de
travail et une optimisation des coûts.
Afin de répondre à la question « l’IA est-elle une opportunité managériale pour les
organisations ? », il est nécessaire d’aborder dans une deuxième partie les modifications
managériales au sein des organisations sous l’angle d’une part de la transformation digitale et
de ses conséquences, d’autre part de l’évolution de la société.

31
2 Les modifications managériales associées au digital et à l’intelligence
artificielle

2.1 L’évolution du management des organisations (dans le cadre de la


transformation numérique)

L’impact managérial de l’IA ne peut être abordé sans présenter comment, au fil du temps le
management des organisations a évolué, mutation accélérée par la transformation numérique
qui touche depuis près de quinze ans la société.

2.1.1 Le management des organisations au fil du temps,

Les origines du management :


Le terme management vient d’un terme français du XVème siècle « Mesnager » qui
signifiait « tenir en main les rênes d’un cheval » ou encore du terme « Manège » dans le sens
« faire bien tourner le manège ».
Il peut donc signifier par extrapolation savoir s’occuper et animer ses équipes et ses
collaborateurs pour atteindre ensemble les objectifs. Nous pouvons définir cela comme
l’efficacité collective. Le manque de motivation, apportera des résultats négatifs, donc toutes
les échelles de l’organisation sont concernées. Ainsi, tous les niveaux de l’organisation, qu’elle
soit publique ou privée, contribuent à l’efficacité collective.

Le modèle de Taylor :
Le type d’organisation managériale qui a longtemps été celui offrant de meilleurs
résultats était le modèle dit de Taylor21 ou Taylorisme, du nom cet ingénieur américain ayant
créé une organisation scientifique du travail, développé en particulier au sein du Groupe Ford
au XIXème siècle.

D’un point de vue managérial, cette organisation du travail s’apparente aux principes suivants :
elle est hiérarchisée avec des rôles de décideurs et d’exécutants clairement dissociés et non
interchangeables. Les objectifs et les moyens alloués sont fixés par les décideurs. Les

21
Frederick Winslow Taylor (1856-1915)

32
exécutants ont peu de marges de manœuvres et sont évalués au regard de l’atteinte de leurs
objectifs. Plus l’organisation est importante, plus les niveaux hiérarchiques sont nombreux.
Chacun connait sa mission, définie par sa « fiche de poste » et n’a pas vocation à en déroger.

Ce mode d’organisation présente les forces de fixer clairement le cap à l’organisation,


d’optimiser le rôle de chacun, de pouvoir mesurer aisément l’efficacité des actions menées et
de motiver les collaborateurs par les objectifs à atteindre. Ses faiblesses sont la rigidité de
l’organisation ainsi que la perte de sens potentielle des collaborateurs dans leur travail au
quotidien, d’autant plus pour ceux effectuant des tâches répétitives. Ce mode d’organisation
présente les opportunités d’être en mesure de s’adapter aux évolutions industrielles en
déployant le modèle taylorien des chaines de production industrielles au secteur tertiaire. Enfin,
il présente la menace, et c’est en cela que la transformation numérique le fragilise, de ne pas
être en mesure de s’adapter assez rapidement aux évolutions et besoins de la société et des
collaborateurs.

L’organisation post taylorienne :


Le mode d’organisation et par la même de management dit « tayloriste » est remis en
cause depuis le début des années 2000. Konosuke Matsushita22, parle d’organisation post-
taylorienne, au sein desquelles les principes de management sont modifiés : dans une société
devenue plus compliquée, en mouvement, dans un environnement de plus en plus dangereux,
inattendu et compétitif, une organisation pour exister, ou seulement survivre doit constamment
mobiliser l'intelligence de tous au risque de disparaître. Le management, devient alors l'art de
mobiliser et d’engendrer cette intelligence de tous, au service du projet de l’organisation.

C’est dans ce cadre, dans le contexte de la transformation numérique et de l’avènement à venir


de l’intelligence artificielle, qu’apparaissent les notions d’expérience client pour les entreprises
privées, et par miroir, d’expérience usager, ou d’expérience collaborateur dans les organisations
publiques.

Ainsi, au cours d’une conférence organisée à l’École de Guerre Économique en 201823, Thierry
Delcourt24 a abordé la crise du management en France aujourd’hui. Il fait le constat tout d’abord
que les français sont les plus démotivés et les plus tristes au travail en Europe aujourd’hui.

22
industriel japonais fondateur de Panasonic
23
Conférence organisée le 11 février 2019
24
directeur des achats au sein du groupe Vallourec et enseignant en management à l’École Spéciale Militaire
de Saint-Cyr

33
Selon lui, l’un éléments clés du management efficace aujourd’hui est de générer la confiance
entre l’équipe et le manager. Au-delà de ce constat, elle ne se décrète pas et passe par d’une
part des actions au quotidien entre le manager et ses collaborateurs, d’autre part par la prise en
compte de l’ensemble des collaborateurs dans certaines prises de décision et la création d’un
terreau d’intelligence collective.

Le nouveau manager :
Là où la puissance économique d’un pays se mesure à son produit intérieur brut, donc
par la création de valeur ajoutée par chacune de ses entreprises, la valeur ajoutée d’un bon
manager serait aujourd’hui de rendre heureux ses collaborateurs. Il est ainsi clairement
démontré que la bonne santé d’une organisation, se mesurant à son chiffre d’affaire ou la qualité
des prestations fournies, est liée à l’état d’esprit de ses collaborateurs. Les rendre heureux
améliore par conséquent les résultats de l’organisation.
Connaitre leurs besoins, les écouter et les faire se sentir soutenus et utiles en sont les aspects
prépondérants. Il apparaît dans de nombreuses études que le salaire est une préoccupation, mais
secondaire au regard de l’utilité que l’on peut avoir dans l’organisation.
La reconnaissance est également un facteur de performance et d’efficacité. Instaurer une
confiance réciproque et une certaine estime dans la relation hiérarchique en est une des clés.

La transformation numérique, préparant l’avènement de l’intelligence artificielle, entre par


conséquent en résonnance avec ces évolutions managériales pour les rendre encore plus
prégnantes et stratégiques.

La mutation des organisations :


Le monde de l’entreprise et des organisations publiques est par conséquent en pleine mutation.
Des transformations substantielles se mettent en placent. Elles suivent les mouvements et les
fluctuations de la révolution du numérique. A l’appui de la transformation digitale des
entreprises, de nouveaux modèles d’organisation du travail dessinent de nouvelles logiques de
production, de création de valeur ou de services et de nouvelles perspectives d’innovation.

34
Organisations actuelles Organisations digitales
Siloté, cloisonné, fermé Décloisonné ouvert
Dense, structuré Communicant, connecté
Bureau Transparent
Isolement, solitude Transverse, fluide
Organigramme Simple, épuré
Hiérarchie Informel
Frontières Coloré, lumineux
Top-secret Bien-être, détente
Procédures Lâcher prise…

Évolution de la représentation entre les organisations actuelles et les organisations digitales25

L’horizontalisation de l’organisation, l’accroissement de la flexibilité, du travail collaboratif en


sont des exemples prégnants. Ils imposent pour le manager un nouveau rôle, une nouvelle
posture.
Le management se retrouve ainsi au cœur des changement en cour et à venir. Il est également
le moteur de ces nouveaux modèles, le manager étant le plus à même de proposer des visions
nouvelles, des stratégies novatrices afin d’accompagner ou porter les transformations digitales
à venir.

Comme le montre le tableau ci-dessus, la révolution ou transformation numérique modifie


significativement les pratiques managériales selon au moins trois aspects fondamentaux :
Tout d’abord, la transparence est favorisée et renforcée au sein des communautés de pratiques
des réseaux sociaux, qu’ils soient internes ou externes. Ensuite, le développement du travail
collaboratif entraine la réduction des lignes hiérarchiques. Enfin, le partage et l’échange
d’informations rend le lien séculaire entre pouvoir et rétention de l’information caduque.

Ces changements organisationnels, exacerbés par la transformation digitale, entrent également


en résonnance avec un nouveau rapport au travail.

2.1.2 L’évolution du rapport au travail

25
Tableau issu de la transformation digitale des entreprises, Aurélie Dudézert, 2018, collection Repères

35
La place du travail :
L’évolution du rapport au travail est tout d’abord lié à la nouvelle place qu’il prend par
rapport à la vie personnelle. L’utilisation des réseaux sociaux, des smartphones, des outils
numériques à des fins professionnelles rendent de plus en plus poreuse la séparation entre la
vie professionnelle et la vie privée. Le numérique crée une sorte de pont entre les vies
personnelles et professionnelles.
Le lieu de travail n’est plus sanctuarisé. Le développement du télé travail, dans le privé comme
plus récemment dans le public, l’essor de nouveaux types d’espaces de travail au sein des
entreprises ou l’émergence de sites de coworking26, modifient en profondeur le lien entre les
collaborateurs et leur poste de travail. Cela a également un impact fort sur les pratiques
managériales.
L’accélération des échanges et l’exigence de réactivité, l’interactivité et le développement du
travail à distance vont faire désormais partie du quotidien des managers.

La motivation :
Dans l’environnement actuel des organisations les moteurs de la motivation des
collaborateurs au travail ont également évolué.

Là où, il y a encore quelques années, la satisfaction du « travail bien fait », la réalisation réussie
de la mission ou la satisfaction de partager des moments avec son équipe pouvaient être
considérées comme des éléments de motivation réels, ils ne sont plus suffisants aujourd’hui
pour justifier l’implication dans le travail.
Le nouveau contexte, fait de plus de polyvalence et d’une relation différente avec son travail,
semble faire émerger deux éléments importants dans les attentes des collaborateurs : avoir une
expérience de travail intense et développer une réputation.

Le collaborateur attend de son organisation aujourd’hui qu’elle lui offre plus que le confort
d’un poste ou d’un emploi. Il recherche une mission qui l’intéresse, qui fasse sens et qui par
son intensité lui permette de se remettre en question. Les activités routinières et prévisibles lui

26
Le coworking, espace de travail partagé ou parfois bureaux partagés est un type d'organisation du travail qui
regroupe deux notions : un espace de travail partagé, mais aussi un réseau de travailleurs encourageant
l'échange et l'ouverture. Il est un des domaines de l'économie collaborative et est souvent présenté comme un
contexte favorisant l'innovation.

36
sont de plus en plus difficilement acceptables. La mission motivante aujourd’hui ne doit pas
être monotone mais doit amener le collaborateur à se dépasser et à s’adapter en permanence.
Ainsi, dans ce contexte digital, de plus en plus d’entreprises mettent en place des dispositifs
d’« expérience salarié » afin d’impliquer leurs collaborateurs selon le même principe que
l’expérience client. Le collaborateur peut influer ainsi, en donnant son avis, aux choix de
l’entreprise.
Ce nouvel axe de motivation du collaborateur présente cependant deux écueils. Le premier est
que la réalisation des tâches routinières, sans intérêts, reste tout de même indispensable et qu’il
est de plus en plus difficile de motiver les agents pour les effectuer. La piste de l’intelligence
artificielle pour les mener prend ici tout son sens.
Le deuxième est que l’intensité, l’unicité de la mission, l’apprentissage fondé sur des principes
de réactivité permanente, ne permettent pas une montée en compétences optimisée des
collaborateurs. En effet, seul l’apprentissage de long terme offre des perspectives d’acquisition
de compétences pérennes. L’enjeu pour les managers est donc de trouver le juste équilibre
permettant au salarié de s’épanouir tout en progressant réellement.

Le développement de la réputation est le deuxième élément de motivation du collaborateur


aujourd’hui.
Dans le nouveau monde digital, c’est un élément de motivation extrinsèque : le regard des
autres devient un véritable moteur de l’action du collaborateur. En mettant en jeu les réseaux
sociaux, les nouvelles organisations du travail accroissent ce phénomène et renforcent
l’interconnexion entre les vies professionnelles et privées.
La manière dont le salarié, son travail, sont perçus à travers cette réputation sociale, influent
sur sa place dans ce que l’on peut appeler le « jeu social » de l’organisation. Les agents sont
donc amenés à créer leur propre marque sur les réseaux sociaux. Cela peut interroger sur
l’évolution des modalités d’évaluation des salariés au regard de la réputation qu’ils se seront
créés, et donc l’évolution de leur management.

2.1.3 L’évolution du rôle du manager et les particularités du management à l’aune


de la transformation digitale

37
Le manager, à l’origine garant du taylorisme :
Né du Taylorisme, le management s’est évertué, au fil du temps et des mutations de la
société, à dégager des schémas organisationnels nouveaux cherchant à faire coïncider les
aspirations des entreprises à l’air du temps, aux nouveaux modes de pensée et aux changements
paradigmatiques, économiques, scientifiques et maintenant technologiques.
En somme, le manager est le symbole de l’organisation du travail et incarne ses courants. Il
n’en est pas, en outre à sa première évolution. Apparu au tout début du XXème siècle en plein
cœur de la révolution industrielle pour faire face à une conception rigoriste et productiviste de
l’économie, le manager a d’abord été considéré comme garant de la division verticale du travail,
veillant au bon fonctionnement des chaînes de production, des protocoles et autres procédures
scientifiquement rationalisées.

L’évolution vers les ressources humaines :


Vers le milieu du 20ème siècle, son rôle de gardien du temple productiviste évolue vers
celui de dirigeant des ressources humaines, lorsque l’entreprise est petit à petit considérée
comme une société, au sens d’entité humaine regroupant des individus visant à être coordonnés,
orientés et non plus mécaniquement dirigés.
L’autorité devient relation, interaction car les théoriciens de l’organisation des entreprises
commencent à constater que l’homme est plus productif en groupe qu’isolé. En créant une
conscience d’appartenance sociale au sein même de l’entreprise, les équipes se fédèrent et la
productivité et la rentabilité de l’organisation augmentent.

Le manager des systèmes complexes :


Au début du 21ème siècle une nouvelle évolution apparait, déclenchée par la révolution
numérique. L’entreprise épouse alors les approches systémiques et stratégiques dans une
société de plus en plus complexe, au sein de laquelle le temps s’accélère.
Les organisations sont ainsi considérées comme des systèmes complexes, nés de la pluralité des
perspectives, des environnements, des interactions et des structures institutionnelles. Dans ce
cadre, le rôle du manager est donc d’harmoniser des forces contraires et établir des processus
de décision de plus en plus complexes permettant une synergie, in fine, propice à l’innovation
et à la singularisation face à une concurrence toujours plus dure, dans un monde de plus en plus
évolutif.

38
Apparaissent alors deux notions au sein de l’organisation : d’une part, elle devient ou cherche
à devenir participative, inclusive. D’autre part, elle prône l’intelligence collective en cherchant
à challenger les compétences et les visions individuelles dans une grande conversation, dans un
échange d’idées quasi permanent. Dans ce cadre, la gestion managériale se trouve bouleversée.

Le paradigme managérial :
Malgré les infléchissements humains du milieu du 20ème siècle, les théories et pratiques
du management ne se sont jamais totalement éloignées du modèle fordiste originel. Nonobstant
les efforts de prise en compte du facteur humain, elles ont peiné à fédérer les équipes.
Ces paradigmes managériaux se sont sans doute institutionnalisés autour de valeurs encore trop
rigoristes se heurtant à l’émancipation des salariés, à la prise en compte effective des
différences, de la mixité et de la diversité.
Dans de nombreuses organisations, le poids hiérarchique pèse encore sur l’innovation, sur la
liberté de créer car elle annihile encore trop les prises de risques, la confiance des collaborateurs
dans leur capacité à être les véritables acteurs du changement, et à optimiser les chances de
réussite de tous.
La verticalité de l’autorité, l’éloignement hiérarchique des collaborateurs et les rapports de
force qu’impliquent nécessairement les différents pouvoirs de commandement, tendent à
véhiculer des systèmes de valeurs qui entravent le développement de l’organisation plus
ouverte, celle de la transformation digitale, dite organisation inclusive.

Le manager de demain :
La clé de l’avènement d’une organisation inclusive est sa capacité de promouvoir la
diversité dans ses recrutements, ses promotions. Elle en obtiendra de nombreux gains
stratégiques. Tout d’abord, elle aura de meilleures capacités d’adaptation, d’innovation,
d’intelligence collective et donc de performance. Ensuite, elle saura attirer de nouveaux talents.
Enfin, elle se préparera à l’enjeu de la transformation intelligente : la capacité à intégrer
l’émergence de l’intelligence artificielle.
En effet, le manager de demain aura une mission élargie selon deux axes : harmoniser les
relations humaines et gérer les systèmes intelligents pour les faire converger.
Par conséquent, au lieu de voir son rôle fragilisé, le manager verra son engagement et ses
compétences se complexifier.
Il sera ainsi sans doute conduit à devoir maîtriser de nouveaux outils, à comprendre les
nouveaux processus de l’entreprise digitale, l’accompagnement de la virtualisation, de

39
l’automatisation et de la robotisation des activités. En ce sens son rôle sera « augmenté ». Ce
n’est qu’en s’appropriant ces nouveaux processus qu’il pourra organiser la synergie de toutes
les forces de travail dans l’organisation. Ces nouvelles charges sont donc importantes,
chronophages, et nécessitent un changement de positionnement.
C’est pourquoi, notamment, il est nécessaire de redéfinir la place du manager dans un
écosystème en pleine mutation, et par là même, il apparait évident que la transformation
digitale, puis intelligente a un impact sur le management organisations.

Les compétences du manager de demain :


Les cinq compétences clés du manager de demain pourront être par conséquent et en
complément la notion de leadership, la capacité à se remettre en question, la capacité à créer du
lien, la capacité à être au service de son équipe ou d’œuvrer pour le bien de tous.

Le manager doit être ou devenir un leader bienveillant, porteur des valeurs de l’organisation et
incarnant l’état d’esprit qu’il souhaite diffuser auprès de ses équipes.
Pour rester la locomotive auprès de ses équipes, il doit en permanence chercher à réinterroger
ses acquis, à se former soit en auto-formation, soit auprès de ses jeunes collaborateurs (reverse
monitoring), élément prégnant avec les collaborateurs issus de la génération Y, en particulier
dans le cadre de la transformation digitale.
Le manager de demain sait créer un réseau, interne ou externe, met ses collaborateurs dans les
meilleures dispositions possibles et ne se focalise pas sur le parcours pour recruter ses
collaborateurs afin de pouvoir détecter les talents de demain par sa sensibilité et son ouverture
d’esprit.
Le manager de demain est enfin plus proche de ses équipes, des actions et sait s’effacer au profit
de ses collaborateurs pour les laisser faire preuve d’innovation et de créativité.
Le manager de demain peut être un élément essentiel du bien-être de ses collaborateurs en les
valorisant, leur offrant de l’autonomie et des conditions de travails adaptées et correspondant à
leurs attentes.

40
2.2 L’impact du numérique et de l’intelligence artificielle dans les organisations

Cette sous-partie a pour objet de commencer à répondre à la question de l’opportunité


l’avènement de l’IA sur les organisations. Après une présentation du contexte dans lequel
s’inscrit la révolution numérique, nous aborderons son impact d’une part sur les entreprises,
d’autre part sur les administrations et son lien avec l’IA.

2.2.1 Contexte

L’impact de la transformation numérique et de l’IA dans les entreprises et les


administrations s’inscrit dans un contexte lié à leur avènement dans la société, mais également
à l’évolution même de la société.

L’envahissement de l’information, l’utilisation massive des smartphones par la


population, des applications ou des réseaux sociaux sont, nous l’avons vu, autant de
modifications qui font rentrer la révolution numérique dans les entreprises et administrations,
qu’elles y soient préparées ou non.
Les nouveaux modes de consommation sont également significatifs de ce changement de
paradigme. Le développement du e-commerce, les attentes croissantes envers les services
marchands ou publics modifient les postures des organisations par rapport aux clients ou
usagers. L’apparition des termes expérience client ou expérience usager montrent que les
organisations doivent construire aujourd’hui leurs produits, leurs prestations en tenant compte
de ceux à qui ils sont destinés.
Enfin, la transformation numérique dans les organisations privées et publiques est poussée par
la volonté des GAFAM de rester moteur de ces changements, celles des entreprises de rester
concurrentielle et par celle de l’État à travers les diverses mesures de dématérialisation de
l’administration. L’enjeu dans ce cadre pour les administrations est de ne pas renforcer la
fracture numérique vis-à-vis de certains citoyens éloignés des nouvelles technologies.
En ce qui concerne la sécurité civile et les SIS, l’utilisation des médias sociaux en gestion
d’urgence est une introduction significative d’intégration de la transformation numérique dans
le processus d’activité.

41
Après cette rapide présentation contextuelle, nous allons aborder le fait que la
transformation digitale va avoir un impact sur l’organisation des entreprises et des
administrations. Nous nous interrogerons également sur les modifications des dimensions
managériales induites.

2.2.2 Impact global sur les organisations

La transformation digitale, stratégique pour les entreprises :


Avant d’aborder l’impact potentiel et futur de l’IA, il est nécessaire de présenter en quoi
la transformation digitale est stratégique pour les entreprises. Elle participe explicitement à leur
transformation organisationnelle. D’une part, par l’usage des technologies digitales, elle les
accélère. D’autre part elle accompagne les modifications de la relation au travail.
A travers un rapport de l’observatoire social international27, l’hypothèse selon laquelle la
révolution numérique va transformer radicalement les pratiques managériales semble se
confirmer. Elle se matérialise sous plusieurs aspects, liés à la fois à l’évolution des
comportements, des habitudes dans l’entreprise mais aussi dans la vie quotidienne. Ces
transformations jouent en outre le rôle d’accélérateur des évolutions générationnelles.

Tout d’abord, les communautés de pratiques développées au sein des réseaux sociaux, qu’ils
soient internes ou externes, font progresser la transparence des décisions, des actions.

Ensuite, et cela est lié, les lignes hiérarchiques se réduisent lorsque le travail collaboratif
progresse. Ainsi, désormais le pouvoir n’est plus lié structurellement à l’information que l’on
garde pour soi, mais à celle que l’on partage et que l’on reçoit des autres.

Ce scénario semble construire un nouveau modèle managérial, dans la mesure ou les managers
sont formés, sensibilisés et conscients de cette évolution. L’enjeu de l’avènement de l’IA et de
la transformation intelligente est qu’elle va exacerber cet indispensable changement de posture.

La transformation digitale est caractérisée par les premières conséquences suivantes :


l’accélération des échanges et l’exigence de réactivité, l’interactivité et le développement du
travail à distance font désormais partie du quotidien.

27
Les managers face aux disruptions numériques, 2015,

42
Gouvernance de l'intelligence artificielle dans les grandes entreprises
Enjeux managériaux, juridiques et éthiques

L’avènement
3. LESdeENJEUX
l’IA : DE MANAGEMENT
Un des 3.1.
éléments fondamentaux
L’EXPRESSION de l’avènement
DE L’INTELLIGENCE de l’IA auDANS
ARTIFICIELLE sein des
LES organisations est
GRANDES
qu’elle est rattachée ENTREPRISES
à l’activité décisionnaire ou métier de l’organisation alors que les
technologies de3.1.1.
l’information sont numérique
De la transition un support
à laessentiel
transitionau développement des algorithmes.
intelligente

Ainsi, le numérique au sens large impacte toute l’organisation.


Toutes les grandes entreprises ont amorcé leur transformation numérique depuis longtemps.
L’intelligence artificielle introduit une nouvelle transition, après celle du numérique. Elle constitue déjà
Il suppose par une
conséquent
rupture dans un rapprochement
la construction même des des équipes
systèmes et dedans
informatiques, nouvelles
le hardware.formes
Les de co-
technologies cognitives permettent en effet le traitement des données en parallèle et non plus de
construction, modifiant par là-même,
manière séquentielle comme c’est les modes
le cas de management.
avec l’informatique classique. Cela permet le traitement de
masses de données en temps quasi réel et la réalisation de plusieurs opérations en même temps et
Il semble doncmet indispensable
donc en exergue lesde rattacher,
enjeux actuels du Bigoudata.de rapprocher, au sein des organisations la
direction des systèmes d’information
L’intelligence au cœur
artificielle est rattachée de métier
au business et l’IT estde l’organisation
un support et renforcer pour cela
essentiel au développement
des algorithmes. Le numérique impacte toute l’entreprise et suppose un rapprochement des équipes
la transversalité.et de nouvelles formes de co-construction. Il semble donc indispensable de rattacher la DSI au
business.

TRANSITION

Intelligente
Numérique
Informatique

28
Les différentes
Figure 5 : Lestransitions dansdans
différentes transitions uneuneorganisation
entreprise

16
Septembre 2016
Les transitions informatiques, numériques puis intelligentes se succèdent au sein des
organisations.

D’après Serge Besnard, digital transformation manager chez Total, mettre en place au sein
d’une organisation la transformation digitale et intelligente répond à l’enjeu de ne pas se faire
« ubériser » par les concurrents. Elle permet d’enlever les « points de douleur » en interne et
d’expérimenter plus facilement les services au client.

28
Rapport du CIGREF sur la gouvernance des entreprises, 2016

43
Au sein d’une organisation publique, la transformation digitale et intelligente va permettre
d’anticiper sur les besoins des usagers et donc renforcer la qualité du service, tout en améliorant
les conditions de travail des collaborateurs et réduire les coûts. Il existe donc un lien entre
l’intelligence artificielle et management de l’organisation et des collaborateurs.

La transformation intelligente, ou avènement de l’intelligence artificielle constitue ce que l’on


peut appeler le web 4.0.

Les relations repensées au sein de l’organisation :


Une des pistes de prise en compte par l’entreprise ou l’organisation, d’adaptation aux
évolutions et enjeux de la transition intelligente, est de repenser les relations avec ses parties
prenantes : les clients, les usagers, les collaborateurs. Il ne s'agit pas tant de souligner que « le
client est important » ou que « le collaborateur est au centre du management » mais d'imaginer
la création d’une réelle interaction avec le client, l’usager ou le collaborateur. L’autre n’existe
qu’à travers les interactions développées avec lui. L’intelligence artificielle, le numérique,
offrent les opportunités techniques de penser ces interactions. L’organisation 3.0 présente la
particularité, vis-à-vis de ses collaborateurs, de mettre en place ce que l’on peut ainsi considérer
comme l’expérience employé ou l’expérience collaborateur. Ce nouveau concept désigne par
effet miroir avec la notion plus traditionnelle de l’expérience client, « ce qui arrive quand
l’employé interagit avec l’organisation.29».

L’employé, qui devient un collaborateur, dans une relation managériale plus horizontale et
équilibrée, n’est plus seulement celui qui va exécuter les tâches confiées par son manager mais
devient une force de proposition dont l’avis et les idées peuvent compter. La création de
confiance au sein des équipes, de lieux ou périodes d’échanges est directement liée aux
conséquences de la transformation digitale et de l’opportunité qu’offre par exemple, les sites
de e-commerce, à demander leur avis aux clients. Le collaborateur devient un client de
l’entreprise et peut influer sur ses décisions. Ce nouveau mode de fonctionnement influe
significativement sur l’implication et la motivation des collaborateurs.

29
Citation de Jacob Morgan, dans un article du Huffington post « why the future of work is all about employee
experience », 6 décembre 2017.

44
L’horizontalisation des lignes hiérarchiques :
L’autre caractéristique organisationnelle liée à l’avènement du digital, puis de
l’intelligence artificielle est par conséquent l’horizontalisation de la hiérarchie. Afin de
répondre à la complexité de la société et aux évolutions rapides des attentes des clients,
l’organisation doit être conçue comme une entité stable mais capable d’être en perpétuelle
mutation et donc innovante. Les cycles de décisions et les relations au sein de l’organisation
sont simplifiés. L’entreprise libérée est un exemple extrême d’affranchissement des chaînes
hiérarchiques. Au-delà de ce cas particulier, l’idée de plus en plus dominante est de permettre
l’expression des talents, l’énergie, indispensables à l’innovation en s’affranchissant le plus
possible des cadres organisationnels et institutionnels, en particuliers les organes de contrôle.

Les organisations favorisent également, en leur sein, la création de structures ou d’équipes à


taille humaine, bénéficiant d‘une autonomie consolidée de capacités de gestion, d’une certaine
indépendance et d’une polyvalence renforcée. Ce nouveau modèle renforce le dynamisme de
l’organisation, ses capacités d’adaptation à la société et sa productivité. Il est rendu possible
par les nouvelles technologies et modifie profondément la posture des managers. Il a vocation
à améliorer l’efficacité et la productivité des organisations.

Les organisations se transforment avec l’IA :


Ces éléments consistent en fait en la transformation des organisations, des entreprises
et de leurs pratiques par de nouveaux usages des technologies de l’information.
Le premier élément fondamental est que les organisations passent d’une logique d’un outil
conçu pour celui qui le gère, vers une logique d’outil pour celui qui l’utilise.
Ensuite, pour évoluer, ou rester en vie, l’organisation doit développer la créativité, l’innovation.
Pour cela, utiliser l’intelligence collective de ses collaborateurs peut être essentielle. C’est un
autre enjeu offert par la transformation digitale. En effet, l’intelligence collective est un concept
pouvant être définie comme l’intelligence créée en synergie par la rencontre entre les
intelligences individuelles des collaborateurs et leurs pratiques de travail pour répondre à des
problèmes complexes. Il s’appuie sur plusieurs principes, tous liés à la capacité des
organisations à se remettre en question à se modifier en profondeur.

45
Selon l’un d’entre-eux, l’intelligence collective est portée par « une pierre philosophale »30 que
l’on considère être les technologies digitales. C’est le deuxième enjeu de la transformation
digitale des entreprises qui fait le lien avec la transformation intelligente.

La transformation digitale accompagne en outre les modifications structurelles de la relation au


travail dans les organisations en offrant les opportunités techniques les facilitant. Ces
modifications concernent le partage d’informations, les notions de travail à distance, de
séparations des sphères entre les vies professionnelles et privées, de temps de travail effectif…
Le territoire du travail est ainsi reconfiguré. Cette reconfiguration interroge sur les métiers
pouvant être concernés, les modes de management devant évoluer, la place des nouvelles
générations, les notions de qualité de vie au travail ou pendant le travail.
Ce nouveau rapport au temps et au travail, offert et facilité par la transformation digitale, est un
troisième enjeu tant pour l’organisation que pour le collaborateur.

Une nouvelle équation managériale :


La transformation digitale engendre ainsi une nouvelle équation managériale exacerbée
par la transformation intelligente.

L’avènement présent et prochain de l’IA amène par conséquent trois questions liées aux enjeux
sociétés et touchant à l’organisation des entreprises.
Tout d’abord, l’IA aura-elle un impact sur le travail ? Ensuite, va-t-elle transformer l’homme ?
Enfin, les robots peuvent-ils prendre la place des hommes ?

L’impact potentiel de l’intelligence artificielle sur le travail semble évident.


Par exemple, les éléments conversationnels de type chatbot automatisent la réponse aux clients
et aux usagers et peuvent ainsi remplacer l’homme. Selon l’OCDE, la robotisation devrait
engendrer la disparition de 14% d’emplois d’ici à 20 ans.
Cependant le discours public sur cet impact tend à le présenter de manière inquiétante sans pour
autant être concret sur les délais réels de transformation. En effet, selon, Emmanuel Abord de
Chatillon ou selon l’association Atraksis31, il est encore trop tôt pour aborder l’impact actuel de
l’intelligence artificielles sur le travail.

30
La transformation digitale des entreprises, Aurélie Dudézert, La Découverte, 2018
31
Association créée par deux officiers de sapeurs-pompiers et œuvrant pour l’émergence de politiques
d’innovation au sein des Sdis. Entretien réalisé le 26 avril 2019

46
Cela est corroboré par le fait que les politiques publiques sont en attente de destructions
d’emplois, pas encore avérés dans le cadre de l’IA.
Par conséquent, afin d’anticiper cet impact sur le travail, les organisations ont tout intérêt à être
offensives et à anticiper : dresser la liste de leurs métiers « computarisables », c’est-à-dire
pouvant être touché par l’IA est un préalable indispensable. Il peut s’accompagner sur une
réflexion approfondie sur ces métiers, sur comment enrichir le travail des entreprises et par
conséquent les transformer grâce à l’IA. De nombreuses entreprises privées ont déjà franchi ce
pas.

Le deuxième questionnement est celui de la transformation du corps humain. L’évolution vers


l’IA forte, le fait que certains mécanismes de machine learning permettent d’obtenir des
résultats sans comprendre le cheminement de la décision font peur. Ce questionnement amène
au débat vers le transhumanisme. Ce domaine, qui ne sera pas traité dans ce mémoire est
toutefois à aborder car il renvoie à la question de la confiance en l’IA ainsi qu’à la question de
la politique de l’éthique et des enjeux sociétaux qui en découlent.

Le remplacement de l’homme par les robots renvoie quant à lui à la théorie de Schumpeter32,
mais également à une théorie plus pessimiste de changement profond.
L’IA va détruire des emplois mais en créer également de manière équivalente, dans la mesure
où les organisations feront preuve d’innovation et d’anticipation.
Ainsi, en ce qui concerne le management des organisations, de nouveaux métiers vont être à
intégrer, de nouvelles compétences de management vont être à développer.
Le lien entre l’IA et l’emploi est réel et global : l’ensemble des métiers, y compris ceux
intellectuels ou ceux liés au secteur tertiaire vont être impactés. Les métiers à forte pénibilité,
comme par exemple les opérateurs des call centers, peuvent envisager à travers l’IA un espoir
d’amélioration des conditions de travail.
Elle est d’ores et déjà présente, les organisations par l’intermédiaire de leurs managers vont
devoir développer de nouvelles compétences, inventer les interactions entre l’homme et la
machine, intégrer de nouveaux métiers (comme les data scientists) et surtout renforcer leurs

32
Théorie de la destruction créatrice de Joseph Schumpeter (1883-1950), économiste et professeur en sciences
autrichien, naturalisé américain : tout évolution industrielle ou économique crée autant d’emplois qu’elle n’en
détruit.

47
compétences humaines. La notion de manager augmenté, définie par Cécile Dejoux33, qui sera
développée ci-après, apparait à ce niveau.
Il en va de leur compétitivité ou de leur survie, y compris dans le secteur public.

Le fonctionnement des entreprises redéfini :


Ensemble de technologies avancées permettant aux machines de percevoir, de
comprendre, d’agir et d’apprendre, l’IA redéfinit totalement la façon dont les entreprises
fonctionnent, se concurrencent et prospèrent. Elle est en passe de révolutionner les
organisations de manière aussi radicale que la révolution industrielle.

Les enjeux offerts par l’intelligence artificielle, au niveau managérial, dépassent largement
l’environnement de l’entreprise privée. Les administrations, les organisations publiques, et
donc les SIS bénéficient de la même opportunité d’interroger leurs systèmes managériaux au
regard de son émergence.

2.2.3 Impact sur les administrations

L’IA, un enjeu pour le secteur public :


Comme cela a été abordé ci-dessus, l’IA transforme d’ores et déjà des pans entiers du
secteur privé, avec une potentialité d’évolution inconnue à ce jour.
Dans la continuité de la disruption engendrée par la transformation digitale, son potentiel
d’intervention va bien au-delà. Les innovations sociétales et économiques générées par ces
technologies seront bientôt présentes dans tous les secteurs d’activité, dont le secteur public.
La perspective offerte par l’IA d’augmenter la productivité du travail de manière significative,
certains experts annoncent jusqu’à 40 % de gain de productivité34, ne peut que convaincre de
son intérêt pour le secteur public. De plus, la recherche de plus de satisfaction pour les usagers
associée à la nécessaire mutabilité des services publics et aux besoins d’efficience financière
plaident dans le sens de son intégration.

Grâce à l’IA, des progrès significatifs ont été, ou sont en passe d’être, réalisés dans le secteur
privé. Des entreprises à la pointe de la transformation digitale comme Uber et Netflix utilisent

33
Professeur des universités au CNAM, auteur avec Emmanuelle Léon de la métamorphose des managers à
l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, 2018, éditions Pearson.
34
Rapport intelligence artificielle, des conséquences réelles, les services publics à l’ère de l’intelligence
artificielle, Accenture, 2018.

48
des technologies intelligentes pour améliorer en permanence le service client, de
personnalisation et d’automatisation. Ces opportunités existent également pour le service
public, comme le prouvent certaines expériences à l’étranger :

Le gouvernement singapourien utilise l’intelligence artificielle pour répondre aux questions de


ses administrés. Le déploiement de l’intelligence artificielle au sein du département britannique
du Travail et des Retraites lui permet de traiter plus efficacement les messages reçus. Au cours
d’une opération pilote, le département de la santé et des services sociaux des États-Unis a utilisé
l’intelligence artificielle avec succès pour traiter des milliers de commentaires publics sur les
propositions de réglementation.

Toutefois, la méconnaissance de ce qu’est ou de ce que peut apporter l’IA est un premier frein
à son déploiement. Le défi de la confiance, de la transparence et de l’éthique est également à
relever pour les administrations. Il le sera à travers une politique ambitieuse, réfléchie et
proactive.

Ainsi, l’intelligence artificielle est un enjeu pour l’État et les administrations françaises.

La stratégie nationale pour l’IA et ses enjeux :


En 2018, la France a initié sa stratégie nationale d’intelligence artificielle. Elle s’appuie
sur plusieurs rapports, dont en particulier sur le rapport Villani « donner un sens à l’intelligence
artificielle »35.

L’une des actions phares de cette stratégie consiste à lancer, chaque année, auprès des
administrations publiques, un appel à projets, nommé appel à manifestation d’intérêt, visant à
mener des expérimentations sur le thème de l’intelligence artificielle.

Cette démarche est portée par la direction interministérielle du numérique et du système


d’information et de communication de l’État (DINSIC)36 et la direction interministérielle de la
transformation publique (DITP), dans le cadre du laboratoire d’intelligence artificielle piloté
par la DINSIC. Elle offre l’opportunité aux administrations de créer en leurs seins les conditions

35
Rapport issu d’une mission parlementaire confiée au député de l’Essone Cédric Villani par le premier ministre
en spetembre 2017, rendu en mars 2018.
36
Direction créée en 2015, service du premier ministre sous l’autorité du ministre de l’Action et des Comptes
publics, elle a en charge la transformation numérique de l’État sous tous ses aspects.

49
de déploiement de l’intelligence artificielle en bénéficiant le cas échéant de soutien
d’entreprises ou d’instituts de recherches.

Les objectifs attendus de ces projets sont de proposer des actions au bénéficie des usagers des
services publics, résolvant avec pertinence un problème technique, permettant aux agents de
s’approprier l’IA dans leur quotidien, mener une expérimentation et enfin fiabilisant le
traitement des données.

En 2018, six projets avaient été retenus. Ils permettent d’une part d’obtenir des gains de
productivité et d’efficacité sur certaines tâches répétitives comme le contrôle visuel de grandes
zones géographique sou l’analyse de documents. Ils offrent ensuite l’opportunité aux agents
d’améliorer la qualité et la rapidité de réponse à l’usager ou la bonne application de la loi ou
des règlements.

A travers cette démarche, apparaissent les trois enjeux majeurs de la transformation intelligente
de l’administration à savoir répondre aux nouvelles attentes des usagers, faciliter son
appropriation par les agents et fiabiliser le management des données.

Pour cela, un effort de formation doit être réalisé : la mise au point d’algorithmes de machine
learning fait un usage important des probabilités dans le raisonnement. Hormis quelques
formations spécialisées, cette discipline est insuffisamment enseignée de manière générale.
Cette indispensable étape d’adaptation est encore difficile à mener aujourd’hui pour les
organisations voulant travailler sur l’IA et développer des compétences dans le domaine.

Pour favoriser cette adaptation et développer des expertises, un effort majeur de formation doit
ainsi être entrepris comme cela est souligné dans les rapports « Stratégie France IA » et «
Donner un sens à l’intelligence artificielle ». Pour accélérer cette formation, un effort particulier
devrait être fait rapidement au travers par exemple de MOOCs et de projets de formations
universitaires. L’objectif est de créer un corpus de référence sur l’IA propre à notre culture.

L’impact concret sur les administrations :


A travers l’entretien réalisé avec M. Pascal Otheguy37, l’impact de l’IA sur les
administrations peut être abordé sous un prisme complémentaire. Cet impact s’articule autour
de quatre volets :

37
Entretien réalisé le 8 mars 2019.

50
D’un part, les procédures administratives classiques sont remises en cause.
Elles sont déplacées des collaborateurs vers les usagers. Les collaborateurs s’orientent vers des
missions d’expertise, plus liées à la stratégie de l’organisation. Cela va engendrer un enjeu de
formation pour faire évoluer les compétences.

Ensuite, les espaces de travail traditionnels sont modifiés ou détériorés.


Le télétravail, le coworking, le travail sur site distant pour ne citer que les principales
évolutions, sont développés par le déploiement de l’IA. Les exemples de la Hollande, de la
Belgique à ce sujet sont prégnants et montrent que les administrations peuvent évoluer dans ce
domaine.
Cela remet en cause la relation avec le lieu de travail, offre l’opportunité aux administrations
de réduction de coût, d’amélioration de la gestion du patrimoine. Cella interroge également sur
les modalités de management des équipes.
Cette évolution du lieu de travail va faire évoluer le management vers un management
« pilotage », ou un management par l’impact des décisions prises, un management par objectifs.
Cela est rendu nécessaire par l’expansion des modes de travail à distance.
Cette évolution des espaces de travail traditionnels a les conséquences suivantes sur les
organisations publiques : augmentation de la productivité, de la motivation, baisse de
l’absentéisme, liée en particulier à la volonté de ne pas revenir en arrière pour ceux qui ont
goûté au télétravail.
Le management va s’orienter vers plus de responsabilisation des collaborateurs. La posture
managériale évolue ou doit évoluer.

Le troisième impact de l’avènement de l’intelligence artificielle est le fait que les « intrants »
changent. Par intrant, il faut entendre les données ou les actions de décisions.
Les administrations publiques étaient caractérisées par un mode d’organisation « top-down »,
dont les conséquences sont, entre-autres des difficultés d’adaptabilité, et un
surdimensionnement des ressources humaines afin de pouvoir répondre aux pics d’activité.
L’IA remet en cause ces principes.

Secrétaire général de la préfecture de l’Hérault. Ancien directeur de cabinet du secrétaire d’État chargé de la
réforme de l’État. Spécialiste de la transformation numérique au sein de l’État.

51
La gestion des données peut être traitée en masse grâce à l’IA, c’est la notion de big data. Cela
permet d’évoluer vers une dimension prédictive de la décision. La modélisation facilite
également l’anticipation.
Cela entraine en outre une transformation des modes d’organisation vers une
« horizontalisation » des décisions.

Enfin, à travers l’intelligence artificielle, l’aide à la décision est renforcée.


Au-delà du volet prédictif, les algorithmes de l’intelligence artificielle deviennent auto-
apprenant, c’est, nous l’avons vu précédemment, le deep learning. Ils sont ainsi en mesure de
proposer des solutions, des options de plus en plus pointues et précises. Cela ne remet pas en
cause la légitimité du décideur mais fait évoluer sa posture, vers le passage à une dimension
horizontale de la décision.
L’IA devient une aide, un appui, qui se rapproche de plus en plus du terrain, des périmètres
d’action.
L’enjeu est de lui faire confiance dans sa capacité à proposer des solutions, d’en évaluer toutes
les dimensions et les conséquences juridiques. La réalisation des droits, l’application du
règlement général de protection des données38 sont de réels sujets à prendre en compte.
Il est également question de la dépossession de l’autorité de décision : l’opérateur exécutif peut
devenir l’IA, qui peut par conséquent entrer en concurrence avec les collaborateurs.

La transformation de l’organisation dans son intégration de l’IA, doit commencer par


l’encadrement supérieur. Il s’agit en effet de la fin de l’ère de l’intuition dans la décision. Elle
va entrainer une réforme de l’encadrement et des modalités de prise de décision.

En matière de ressources humaines, bénéficier pour l’organisation d’un registre des


compétences réelles est indispensable, au même titre que le fait de faire monter en compétences
les collaborateurs.

38
Directive européenne de référence sur la protection des données, entrée en application dans tous les États
membres le 25 mai 2018

52
3 L’intelligence artificielle comme accélérateur des évolutions
managériales

3.1 L’intégration de l’intelligence artificielle dans les organisations comme une


opportunité managériale,

Dans le prolongement de la transformation digitale, l’avènement de l’IA aura un impact sur le


management des organisations et sur les managers. Elle constitue clairement une opportunité
en la matière.
A travers certaines bonnes pratiques et réflexions abordées dans ce mémoire, ces opportunités
et enjeux potentiels liés à l’impact managérial de l’IA peuvent être synthétisés par des axes
d’évolution organisationnels et managériaux.

3.1.1 Les axes d’évolution organisationnels et managériaux au sein des


organisations

L’IA, outil de création de valeur :


Selon Cyril Battaler 39, l’IA est une véritable opportunité de création de valeur pour
l’entreprise, d’amélioration de son fonctionnement. Elle permet l’augmentation des résultats,
de la qualité, à travers deux axes :
D’une part, elle permet l’automatisation et donc des gains de temps et de productivité. D’autre
part, elle augmente la performance. Cela nécessite toutefois, une transformation du modèle de
l’organisation.

Pour obtenir cette création de valeur par l’IA, il convient au sein de l’organisation de regarder
activité par activité, sur la base de leur complexité ce qui peut être amélioré. Comme le propose
Marc Riedel40, la création au sein de l’organisation d’un schéma directeur de l’intelligence
artificielle et de la donnée peut répondre à cet objectif.

39
Responsable du management et des technologies émergentes chez Accenture.

40
Dirigeant de Aum Biosync, chercheur et sapeur-pompier volontaire, entretien réalisé le 7 mai 2019

53
Le préalable de la transformation des pratiques managériales :
La transformation digitale est en réalité une transformation des pratiques managériales
en profondeur. Elle engendre une transformation des pratiques socio-culturelles fortes. Elle est
très liée à l’innovation. Comme le cite Sébastien Bazin, PDG d’Accor : « Si on ne comprend
pas que la transformation digitale est une transformation de culture, on n’y arrivera pas ».41

Comme le propose Gilles Martin42, Le socle d’une transformation digitale et d’une intégration
de l’IA réussie est de mettre en place la transformation préalable des pratiques managériales,
de mettre à plat le management. Le sens de la transformation à mettre en œuvre semble être
dans un premier temps, mener une transformation des pratiques managériales, dans un
deuxième temps intégrer la transformation digitale au sein de l’organisation avant enfin de créer
les conditions de l’avènement de l’IA.

Les défis à relever :


Pour relever le défi organisationnel et managérial de l’IA, plusieurs enjeux sont à
considérer.
Le premier est de favoriser au maximum l’expérimentation de ces technologies. Cette notion
est fondamentale pour fédérer l’ensemble des acteurs : acteurs publics, laboratoires de
recherche, enseignement, écosystèmes innovants, start-up, grands groupes, financeurs et grand
public.

Trois exemples de possibilité d’expérimentation peuvent être présentés :


Dans le domaine de la santé, l’accès simplifié à une ou plusieurs structures de soins pour
expérimenter des solutions innovantes accélèrerait leur mise au point. Pour une structure (un
laboratoire de recherche, une start-up ou un grand groupe) qui souhaite expérimenter, cet accès
simplifié pourrait se matérialiser par la signature d’une convention simple d’expérimentation,
le déploiement rapide pendant le temps nécessaire à l’expérimentation au sein d’un service
hospitalier, l’accès régulier aux experts et aux données de soins en volume.

Dans le domaine des transports et de la mobilité, une ville de plusieurs milliers d’habitants
pourrait être transformée pour servir de champ d’expérimentation à l’ensemble des technologies

41
Article « ne faites pas dans l’artificiel, adaptez-vous avec intelligence…collective » rédigé par Jérôme Bousquet,
dans la revue du département intelligence et sécurité économiques, DEFIS n°8 de l’INHEJS
42
Expert en numérique, membre fondateur de l’association VISOV, Entretien réalisé le 10 mai 2019

54
innovantes du véhicule autonome. Une infrastructure pourrait être mise en place pour fournir
des données et une cartographie de très grande précision, des éléments nécessaires à la mise au
point de toutes les situations de conduite. En dehors d’une ville, d’autres zones
d’expérimentation pourraient être mises en place comme une portion d’autoroute ciblée ou une
zone rurale.

Dans le domaine de l’énergie, un ou plusieurs écoquartiers regroupant l’ensemble des


technologies de transition énergétique (production énergétique intermittente, gestion
intelligente de la demande, véhicules électriques...) pourraient être mis à disposition des
sociétés souhaitant développer des technologies d’intelligence artificielle dans le domaine.

En matière d’expérimentation, Comme le montre par exemple la société Total, la stratégie


digitale de l’organisation peut se construire autour des axes suivants : se rapprocher du client
ou de l’usager en tissant des liens forts, simplifier les processus de décision internes, et ainsi
développer l’expérimentation pour accélérer la réponse aux nouveaux besoins des clients et
usagers. Par exemple, la société a conçu une application d’IA pour mieux traiter l’information
formelle et informelle partagée en interne.

L’expérimentation est très liée à la capacité de mettre en place des circuits de décision courts.
L’exemple de l’armée française en la matière est significatif. Comme le précise Jérôme
Bouquet43, aujourd’hui, les organisations doivent faire face à un monde de plus en plus
complexe, au sein duquel les échanges d’information et de connaissance évoluent en qualité et
en quantité de manière exponentielle.
Afin de s’adapter à cet état de fait, l’IA, le développement des algorithmes simulant
l’intelligence sont un outil permettant d’appréhender cette complexité et de gagner en rapidité.
L’IA renforce ainsi l’organisation sur son marché concurrentiel ou dans le domaine des
prestations qu’elle fournit, dans la mesure où l’organisation est capable de l’intégrer dans ses
cas d’usage, ses solutions, ses matériels.
Pour cela, l’organisation se doit de modifier ses postures managériales et de se transformer.

La particularité du contexte actuel des organisations, que leurs activités soient orientées vers
l’économie, le commerce ou les services au public, est la réduction du temps. Les organisations

43
Cadre à la direction générale de l’armement du ministère des armées

55
travaillent de plus en plus dans un temps court : les besoins évoluent rapidement, les nouvelles
technologies progressent rapidement.

Ainsi, le premier enjeu est de lier, en tenant compte de ce temps court, les usages et les
technologies, à travers de nouvelles pratiques de management. Pour créer les conditions de
réussite de ces nouvelles méthodes, l’organisation doit se modifier et intégrer l’intelligence
collective, l’innovation, l’expérimentation, les circuits courts de décision dans ses fondements.
En outre, comme cela a été présenté précédemment, l’IA pour être la plus efficace possible a
besoin d’une quantité importante de données, fiables.

Par conséquent, sa puissance réside dans ce que l’on peut considérer comme des effets de
réseau : Plus une IA intègre de données pertinentes, meilleure elle sera. En d’autres termes, plus
elle a d’utilisateurs, plus elle collecte de données, et meilleure elle devient, meilleures seront sa
connaissance des clients ou des utilisateurs, ses prédictions et donc ses performances.
Il est donc nécessaire qu’au-delà de la qualité technologique du dispositif, l’IA mise en place
bénéficie de la confiance des utilisateurs, afin d’obtenir le plus de données possibles et des
collaborateurs qui ont défini le besoin. Pour cela son déploiement doit être rapide.

Or, dans le mode d’organisation traditionnel et historique des administrations, la manière dont
sont gérés les projets n’est pas compatible avec cet objectif. Une gestion de projet qui s’appuie
sur une définition de besoin parfaite, une évaluation des coûts a priori définie et une estimation
des résultats à obtenir avant la création du projet n’est pas adaptée au déploiement de dispositifs
utilisant les technologies digitales ou l’intelligence artificielle.
Comme le précise Jérôme Bouquet au sujet de son expérience au sein de la direction générale
de l’armement du ministère des armées : « Alors que les utilisateurs insistaient sur l’urgence
du besoin et acceptaient qu’il ne soit couvert qu’à 60 %, les ingénieurs proposaient une solution
parfaite, couvrant 100 % des besoins et respectant l’intégralité des normes... dans 3 ans. »
Pour choisir la possibilité de répondre aux besoins des utilisateurs, dans leurs délais, la DGA
a mis en place une gestion de projet adaptée et sortant des habitudes managériales françaises.
Tout d’abord, cela consiste à accepter l’incertitude et à expérimenter rapidement, afin de gagner
du temps sur la disponibilité du nouvel usage créé.

Ensuite, L’IA nous aide, à partir de données, à apprendre, comprendre et prendre des décisions.
Toutefois, pour apprendre collectivement à partir de ces données et rendre plus efficace l’IA, il

56
est indispensable de partager les données, être transparent sur les informations en notre
possession et faire preuve de confiance collective. Nous avons vu précédemment que, dans le
cadre des organisations classiques encore en vigueur aujourd’hui, ces éléments ne sont pas
naturellement mis en œuvre. Le deuxième point clé est ainsi le changement de posture de la
direction : Elle doit passer d’un management de contrôle et de décision à un management de
délégation et d’intelligence collective. Plus focalisée sur la vision et la stratégie, elle doit laisser
aux équipes opérationnelles, au plus près du terrain, la prise de décision de façon collective.

Enfin, il est important de noter que ce changement de paradigme organisationnel est à la fois
indispensable à toute transformation réussie, qu’elle soit digitale ou intelligente. Il prend du
temps car impose une modification profonde des schémas décisionnels. Le comité de direction
n’est plus dans ce cadre, le lieu idoine de toutes les prises de décision, qui doivent pour gagner
en rapidité se rapprocher du terrain et des équipes opérationnelles.
Pour bénéficier de toutes les opportunités offertes par l’IA, l’organisation se doit de
reprogrammer son état d’esprit collectif.

Les composants de la transformation culturelle de l’organisation :


Toujours en s’appuyant sur l’exemple de la DGA du ministère des armées, trois
composants sont utiles à la transformation culturelle de l’organisation, permettant l’intégration
de l’IA.

Tout d’abord, il s’agit de réaliser des projets, à court terme, permettant de remettre en cause les
modes de fonctionnement de l’organisation.

Ensuite, la direction et les managers doivent évoluer vers une posture de coach ainsi que vers
une délégation du leadership sur le terrain, gage d’autonomie pour relever le défi de la
transformation intelligente.

Enfin, le leadership du projet d’innovation en tant que tel doit se focaliser sur le groupe de
collaborateurs et cultivant son autonomie et en créant les conditions d’une intelligence
collective fertile. Souplesse et adaptabilité remplacent planification et gestion des risques.

57
L’innovation comme enjeu de l’IA :
Un autre enjeu est celui de favoriser l’innovation.

Afin de développer l’innovation au sein des équipes, il faut faciliter leur autonomie,
l’innovation ne se commandant pas. La direction de l’organisation a un rôle primordial à jouer
dans ce cadre.

Par exemple, certaines structures créent une cellule « Innovation et prospective » afin de mener
une analyse et une réflexion de l’impact de l’intelligence artificielle dans l’entreprise. Cela a
pour objectif de franchir le pas tout en intégrant les collaborateurs qui sont au centre du sujet.
Ces cellules permettent le partage d’idées, la co-construction et participent à l’horizontalisation
des décisions. L’objectif étant d’échanger afin de faire de la prospective, et ce, de manière
participative via des colloques, séminaires, des comptes rendus écrits ou encore la production
de scénarii, selon le choix des structures.

Dans le secteur privé, la société générale s’est engagée également dans cette voie. Sa cellule «
prospective stratégique » considère l’IA sur un horizon de dix à quinze ans. Elle part du postulat
que l’entreprise doit pouvoir s’appuyer sur ses collaborateurs, en tant que vecteurs de
changement, en les faisant directement participer aux réflexions sur l’IA et ses conséquences,
de manière à leur permettre de s’approprier les mutations à venir. Elle opère sa transition en
cherchant à favoriser l’émergence d’une communauté ouverte autour de l’IA, car les solutions
pour la mettre en œuvre doivent s’appuyer sur les besoins des utilisateurs.
Pour ce faire, sa cellule de « Prospective stratégique », constituée de trois personnes, a organisé
la prise en compte de la transition intelligente par l’entreprise autour de présentations
construites suivis de débats. Cette initiative a permis de toucher près de 7000 collaborateurs et
2000 citoyens. Elle a été renforcée par une diffusion des échanges par capillarité. Une
communauté a été ainsi crée auprès des clients et la notion centrale ressortie de ces échanges a
été de replacer ou de laisser l’humain au cœur des décisions.

Axa a quant à elle créé une équipe transversale et multidisciplinaire pour réfléchir aux
innovations liées à l’IA. Cette équipe prospective est créée de manière ponctuelle, pour la
mission confiée. Elle a tout d’abord défini les variables impactées par l’avènement de l’IA, les
a classées en hypothèses puis a organisée ces hypothèses en scénarii. Cette démarche permet à

58
l’organisation d’anticiper sur un futur possible, permettre aux collaborateurs de s’approprier le
sujet et donner du sens au travail.

L’intelligence collective, facilitatrice pour l’IA :


L’innovation, les conditions de l’autonomie seront propices au déploiement de
l’intelligence collective, augmentée par l’IA. C’est le troisième enjeu du défi organisationnel et
managérial de l’IA. Il est associé à l’amélioration au sein de l’organisation de la transversalité
et du questionnement sur les organisations exclusivement en silo.

Plusieurs études montrent que l’intégration de l’IA sera normalement progressive, permettant
à l’organisation agile de s’adapter et d’anticiper. Par ailleurs, son intégration dans les
organisations rend indispensable des besoins d’approche transdisciplinaires, notamment en la
croisant avec les sciences humaines et sociales.

A titre d’exemple, le département de l’Hérault a mise en place un projet qui lie expérimentation,
transversalité et intelligence collective. Il a créé six conférences, sur six territoires du
département, regroupant vingt agents et cadres issus de plusieurs services. Ils ont pour mission
de porter un projet opérationnel territorial et d’en mener l’expérimentation, afin éventuellement
de le déployer. Des projets comme l’élargissement du télétravail ont permis de tester à petite
échelle des modifications d’organisation envisagées.

L’agilité de l’organisation :
Un quatrième enjeu est de développer l’agilité de l’organisation. Il apparaît selon deux
angles. Le premier est de renforcer la transversalité. Le développement de l’IA va s’appuyer
sur les besoins des utilisateurs, sur les usages. Il impose de rapprocher les directions des
systèmes d’information et les directions métiers afin de mener à bien les projets.

Le deuxième est de développer pour mener les projets des méthodes dites agiles selon les axes
suivants : les individus et leurs interactions sont plus importants que plus que les processus et
les outils. Les logiciels opérationnels sont à prioriser par rapport aux documentations
exhaustives. La collaboration avec les clients, les utilisateurs valent plus que la négociation
contractuelle. L'adaptation au changement sera plus efficace que le suivi d'un plan.

59
Et le manager dans tout cela ?
Le cinquième enjeu est celui de la place du manager et de la motivation du collaborateur
pour répondre également au défi de l’IA.

Les modifications organisationnelles comme celles favorisant l’innovation intègrent la


motivation des collaborateurs. Comme cela a été vu ci-dessus les conditions de la motivation
des collaborateurs ont évolué. Les facteurs de motivation pour innover sont très différents de
ceux pour occuper un poste dans une organisation. Les ressorts de l’innovation reposent sur un
besoin de réalisation et de dépassement de soi pour une cause ou une vision plutôt que sur un
besoin d’estime de soi et de satisfactions matérielles. Ils correspondent aux attentes de plus en
plus de collaborateurs et sont d’autant plus développés au sein de petites structures à taille
humaine.
Globalement, l’acceptation de l’IA comme facteur majeur de progrès est un enjeu déterminant,
et passe par l’engagement du manager.

D’après une étude menée par KRS research44 auprès de 800 entreprises de développement
différent au sein de huit pays, l’IA améliorerait au sein des entreprises l’ayant déployée le
leadership de leurs managers et donc la bonne santé de l’entreprise.
Cette étude montre que l’IA joue certes sur les capacités de l’entreprise à progresser dans ses
outils d’aide à la décision, il s’agit de sa dimension traditionnellement technique, mais
également dans l’amélioration des compétences et des façons de travailler, donc dans une
dimension managériale.

Ainsi, le manager décideur, tout en étant épaulé par l’IA dans ses choix stratégiques va être
investi d’une mission d’accompagnement, de ses collaborateurs, résolument humaine. Il
développera par conséquent de nouvelles qualités, celles du leader augmenté, visionnaire et
inspiré, au-delà de ses qualités de gestionnaire.

L’impact managérial de l’IA sur les entreprises semble se dessiner à travers cette étude. En
effet, 29% des entreprises françaises interrogées comptent l’utiliser pour motiver et inspirer
leurs équipes, 25% pour les aider à mieux échanger et collaborer. 41% estiment que trouver les
bons talents ou faire monter en compétences les talents existants est un des défis posés par l’IA.

44
Étude menée au profit de Microsoft et publiée le 21 mars 2019

60
Enfin, 43% considèrent que développer une nouvelle culture d’entreprise est nécessaire pour
aider les équipes à mieux s’approprier les innovations telles que l’IA.

Tout en influant sur la performance des organisations, elle peut les préparer à transformer le
rôle même de ses décideurs, en intégrant une nouvelle place pour le relationnel et la capacité
de faire évoluer les dynamiques de travail. Elle est donc une opportunité pour les managers de
développer un leadership empathique, social et orienté vers les collaborateurs, prémices de la
création d’une expérience collaborateur pendant de l’expérience client.

En faisant ressortir des thèmes comme la motivation au travail, la montée en compétence, la


recherche de talents ou l’innovation, cette étude fait écho à l’entretien avec l’association
Atraksis45 et également avec les conclusions de la web conférence menée par cette même
association le 22 février 2019 sur le thème « innovation et intelligence collective, pistes
d’avenir pour les Sdis »46. L’IA offre l’opportunité pour les collaborateurs de retrouver du sens
au travail, à travers par exemple le développement de démarches d’innovation, qui doivent
partir du terrain.

Les opportunités managériales :


L’IA s’inscrit dans le phénomène plus large de la transition numérique. Elle s’inscrit
dans le domaine de la numérisation, et en dépend.
Les effets de la transformation des tâches, liés à l’IA, vont être soit de se substituer à des actions
réalisées par l’homme, soit de devenir complémentaires, et donc d’engendrer des montées en
compétences des travailleurs.
Nouvelles tâches, automatisation et assistance à la prise de décision sont les opportunités
offertes par l’IA à l’humain. L’IA peut traiter à la fois les tâches répétitives et fastidieuses,
comme les tâches complexes. Lorsque l’IA traite des tâches élémentaires, il en découlera une
augmentation des compétences de l’agent, en particulier vers ses compétences relationnelles,
sociales. La formation des collaborateurs aux outils numériques, à la gestion des données est
cruciale.

Les opportunités managériales liées ou consécutives à l’avènement de l’IA vont être par
conséquent la capacité du manager à mettre en place des démarches de collaboration,

45
Entretien réalisé le 26 avril 2019
46
Web conférence organisée par l’organisme idéal connaissances

61
d’animation de groupe. Elles permettront de créer de la confiance dans l’équipe, moteur de
l’investissement et de l’engagement. La transformation numérique à la SNCF s’est appuyée
entre autres sur le réseau social d’entreprises pour permettre aux managers de créer une relation
différente avec leurs collaborateurs, à travers des groupes fermés générant une dynamique47.

Afin de préparer l’organisation à l’arrivée de l’IA, le manager va renforcer sa capacité à donner


du sens au travail de ses collaborateurs, le faciliter, libérer les énergies et porter l’intelligence
collective.
La transparence et la transversalité, comme au sein de la transformation digitale de la SNCF,
sont enfin des axes d’évolution clés des managers.

Comme le précise Cécile Déjoux et Emmanuelle Léon, l’IA va transformer le métier de


manager en manager augmenté.
Elle va dans un premier temps l’assister voire le remplacer en effectuant à sa place des tâches
administratives de faible valeur ajoutée, récurrentes et chronophages comme les prises de notes
de rendez-vous. Ce sera l’opportunité pour le manager de se recentrer sur l’accompagnement
de ses collaborateurs.
Elle va dans un second temps l’aider à décider plus rapidement et de manière plus rationnelle.
Les systèmes experts vont faire gagner du temps au manager, lui permettant de se consacrer
aux tâches à valeur ajoutée comme la stratégie ou le pilotage de l’activité. Le recrutement, la
gestion des talents sera également assistée par l’IA.
C’est ainsi que l’IA va augmenter le manager et lui permettre d’être plus créatif, empathique
de prendre du temps pour gérer sa communauté et décider.

Le schéma ci-dessous synthétise les nouvelles compétences attendues pour le manager dans le
contexte du numérique et de l’IA.

47
La transformation digitale des entreprises, A. Dudézert, 2018, La découverte

62
Expérimentation Communautés Créativité

Compétences
Compétences de design
d’agilité thinking

Partage Transdisciplinarité

Rites
Compétences Compétences
numériques Le manager augmenté
collaboratives

Curation Reconnaissance

Compétences Compétences
IA avec les IA avec les
machines équipes
Données Accompagner
Contrôle Acculturation

Le manager augmenté48
Ce schéma fait apparaître de nouvelles compétences pour le manager, celle du design thinking
et celles relatives à l’IA.

Complémentaire à l’agilité, le design thinking va permettre au manager de développer à la fois


sa capacité à faire preuve de transversalité, sa créativité, son empathie avec ses équipes mais
également sa capacité à concevoir des projets rapides et fonctionnels. A l’ère du numérique,
cette compétence est un atout managérial.

Les compétences managériales liées à proprement parlé à l’IA sont partagées d’une part en
compétences en relations avec l’outil technologique, d’autre part les équipes.

48
Source Céline Déjoux dans Métamorphose des managers à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle

63
Les compétences technologiques sont celles qui permettent de comprendre les données, ce que
l’on peut en faire, quelle plus-value peut apporter l’IA, comment contrôler les IA et les rendre
complémentaires des actions humaines.
Les compétences liées aux équipes sont quant à elles celles qui permettent de repenser le travail
avec l’IA, acculturer les équipes et accompagner l’intégration de l’IA et enfin développer
l’intelligence collective et collaborative.

3.1.2 Les menaces de l’avènement de l’intelligence artificielle

L’effet de mode :
Il est important de noter à ce stade du mémoire qu’une organisation ne doit pas céder
aux effets de modes liés à l’intelligence artificielle ou au numérique. L’utilisation de
l’intelligence artificielle doit répondre à un besoin clairement identifié au sein de l’organisation.

L’écart de compétences :
L’IA risque d’accroître les écarts entre les compétences détenues et les compétences
nécessaires. Devant le défi que représente la bonne intégration des outils numériques dans le
travail, avoir des personnes formées bénéficiant déjà d’une expérience professionnelle peut être
extrêmement enrichissant. Ce point n’est pas spécifique à l’IA et concerne plus généralement
la transformation numérique.

Le risque de disruption sociétale :


Selon le rapport de France Stratégie sur l’intelligence artificielle49, L’IA est au centre
de controverses quant à ses impacts futurs :
D’une part elle offre des perspectives de progrès, de productivité et d’amélioration des
conditions de travail en effectuant les tâches répétitives et basiques auparavant confiées à
l’humain.

49
Intelligence artificielle et travail, rapport de France Stratégie remis rapport à la ministre du Travail et au
secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du Numérique, en mars 2018.

64
D’autre part, elle menace de révolutionner le monde de travail en supprimant certains métiers
ou en accroissant les risques psychosociaux par l’aliénation de l’humain au contrôle de la
« machine ». La mutation technologique va nécessairement engendrer une mutation sociale à
anticiper.
L’IA apparaît ainsi comme une opportunité économique, sociale, mais également comme une
menace sociétale accroissant les inégalités et fragilisant les conditions de travail. Elle ne peut
être dissociée de la transformation numérique en cours.

La fracture au sein des organisations :


Un autre écueil à éviter est la fracture de l’IA, c’est-à-dire la fracture entre ceux qui
pourront utiliser l’IA dans leur entreprise et ceux qui ne le pourront pas.
Le problème ne se pose pas pour les startups qui n’ont pas de hiérarchie pyramidale. En
revanche la question se pose dans les grandes entreprises ou organisations où l’ouverture et
l’échange sont plus difficiles mais également pour les petites et moyennes entreprises qui n’ont
pas le budget ni le projet d’en avoir un pour entamer le processus de la transition intelligente.
Pour ces dernières, il conviendrait que l’État ou les grandes entreprises de concert avec l’État
aident à la création d’une filière de l’intelligence artificielle.

La question peut également se poser pour les administrations aux organisations très
hiérarchisées. Pour ces dernières l’agilité, la souplesse ne sont pas naturelles à intégrer.

65
3.2 Comment les services d’incendie et de secours peuvent répondre à ce nouvel
enjeu organisationnel et managérial ?

Les SIS, en qualité d’établissements publics départementaux, présentent à la fois des


atouts et des fragilités face à l’enjeu managérial de l’avènement de l’intelligence artificielle.

Les atouts des SIS pour intégrer l’IA :


En ce qui concerne les atouts, établissement public financé par le département, les
communes et les établissements de coopération intercommunale, le SIS, tout en bénéficiant
d’un pilotage doctrinal national, à travers la direction générale de la sécurité civile et de la
gestion des crises du ministère de l’intérieur, est doté d’une autonomie de gestion
administrative. Cela lui confère des opportunités en matière d’expérimentation ou d’intégration
de dispositifs managériaux innovants.

Le contexte dans lequel il évolue actuellement, même s’il présente de nombreuses contraintes
ou incertitudes est également une opportunité. Tout d’abord, les contraintes financières
auxquelles sont soumises les principaux financeurs des SIS rejaillissent sur ces établissements.
Afin de maintenir le niveau de réponse opérationnelle et donc de prestations aux citoyens
usagers, l’utilisation de dispositifs innovants et de nouvelles méthodes organisationnelles ou
managériales liées à l’IA peut être une solution.
Ensuite, dans cette continuité, l’évolution du champ missionnel des SIS, avec un accroissement
significatif des missions50, et un élargissement du spectre des opérations pour secours à
personnes nécessite un pilotage de plus en plus acéré et une réflexion permanente pour adapter
la réponse. La complexité croissante des missions, les attentes accrues des usagers sont
également à prendre en compte.
L’IA peut permettre de répondre à ces enjeux.
Enfin, la fragilité des ressources humaines à disposition des SIS est à noter. Ils s’appuient pour
mener à bien leurs missions sur l’ensemble du territoire à près de 70 % sur les sapeurs-pompiers
volontaires. Cet engagement, le volontariat chez les sapeurs-pompiers, clé de voute de la
réponse de sécurité civile française, est vulnérable tout en étant défendu et protégé par l’État et
les collectivités territoriales. Porté par plusieurs plans de développement ou de relance, dont le

50
Les sapeurs-pompiers ont vu entre 1998 et 2018 leurs missions augmenter de plus d’1,5 millions

66
dernier date de 201851, ce volontariat peine à voir ses effectifs significativement augmenter
depuis plusieurs années52. Par ailleurs, un récent arrêt de la cour de justice européenne, relatif
à un sapeur-pompier volontaire belge, pourrait remettre, à terme, en cause le modèle de
l’engagement volontaire à la française. Dans ce cadre, l’IA peut être un outil à disposition des
services d’incendie et de secours.

Le dernier atout visant à intégrer l’intelligence artificielle au cœur des services d’incendie et de
secours est celui d’être, à l’instar des autres administrations, porté par une nécessité d’améliorer
les modes d’organisation interne, à travers la mutabilité du service public, et la nécessaire prise
en compte des attentes accrues des usagers. En outre, la volonté de l’État de développer au sein
de ses administrations, qu’elles soient déconcentrées ou décentralisées, l’intégration de l’IA
offre des possibilités de financement, d’aide ou de soutien pouvant être utiles.

Les freins au déploiement de l’IA :


Cependant, les services d’incendie et de secours doivent lever quelques freins s’ils
souhaitent intégrer l’IA au sein de leurs processus organisationnels et managériaux.

Tout d’abord, nous avons vu précédemment que l’avènement de l’IA au sein d’une organisation
apparaissait comme la suite logique et intelligente de sa transformation digitale. Or, les services
d’incendie et de secours n’ont pas pour la grande majorité d’entre-eux mis en œuvre cette
transformation digitale. Établissements publics autonomes récents, ils existent dans leur forme
administrative et juridique actuelle depuis moins de vingt ans, ils ont eu à construire dans un
premier temps leur stabilité organisationnelle et financière. La transformation digitale est
devant eux.

Ensuite, les modes d’organisation des services d’incendie et de secours sont bâtis sur un arsenal
statutaire précis et robuste. Il en découle dans la plupart des situations des organisations
structurées relativement figés, comprenant de nombreux niveaux hiérarchiques et des fiches de
poste, de tâches ou de procédures très prégnantes dans les décisions. Nous l’avons vu
précédemment, les organisations tournées vers le digital puis vers l’IA ont adapté ces modes de
fonctionnement, peu propices à l’innovation ou l’expérimentation.

51
Plan d’action 2019-2021 pour les sapeurs-pompiers volontaires, diffusé en septembre 2018 par la direction
générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’intérieur
52
La France compte en 2018, 197 000 sapeurs-pompiers volontaires, chiffre stable depuis plus de 5 ans.

67
Enfin, alors que les services d’incendie et de secours savent faire preuve d’adaptation, de
créativité et d’imagination sur le champ opérationnel pour répondre aux problématiques de
sécurité civile, il n’est pas rare de ne pas réussir à reproduire sur le terrain managérial ou
organisationnel cette force. Il s’ensuit une difficulté générale au sein des services d’incendie et
de secours de sortir, en matière de management, d’un cadre réglementaire par définition rigide,
et d’un cadre culturel ou l’ancienneté est un principe fort.

Ce contexte étant présenté, et au regard, d’une part de l’analyse de ce qu’est l’IA


aujourd’hui, d’autre part des évolutions managériales possible dans le contexte de son
avènement, des orientations peuvent être formulées à l’endroit des SIS. Elles sont axées dans
un premier temps sur des principes d’organisation, dans un second temps sur des principes
managériaux.

3.2.1 Orientations liées à l’organisation du service

Comme cela a été abordé à plusieurs reprises au sein de ce mémoire, la transformation


digitale apparaît comme un prérequis indispensable à l’intégration de l’IA au sein du service
d’incendie et de secours, et cela pour plusieurs raisons.
La transformation digitale va permettre à la fois de créer, développer ou renforcer une culture
digitale au sein de l’organisation. Elle va également imposer de s’interroger sur les métiers
potentiellement impactés, modifiés ou améliorés par le numérique, qu’ils soient liés à l’activité
opérationnelle ou fonctionnelle de l’établissement. Elle va enfin à la fois moderniser l’image
externe et interne du service et acculturer les agents à l’importance de la donnée. Aujourd’hui,
comme cela a été précédemment abordé, le numérique fait partie du quotidien de tous les
citoyens. Les agents des SIS, quel que soit leur statut, ne sont pas exclus de ce constat. L’enjeu
est donc également de réduire le décalage existant entre leur vie quotidienne et leurs missions
au profit du service.

Orientation n° 1 : mettre en place la transformation digitale de l’organisation.

68
Ce projet être porté par la direction de l’établissement au regard des conséquences
directes et indirectes qu’il va engendrer. Il doit également être validé par la gouvernance de
l’établissement, qui est également concernée par cette problématique au sein de la collectivité
territoriale du département, avec sans doute des synergies à mettre en place. Elles seront
abordées ci-dessous.
La mise en place de la transformation digitale du SIS doit passer par une stratégie claire mais
également des décisions managériales marquées et neuves. La première pourrait être la
désignation au sein de l’établissement d’un responsable de la transformation digitale. En charge
de porter ce projet, il aurait une autonomie significative et un lien direct avec l’équipe dirigeante
de l’établissement. D’autres orientations indispensables à la transformation digitale sont
présentées ci-dessous dans le cadre du domaine des ressources humaines.

Orientation n°2 : désigner un responsable de la transformation digitale

Cette démarche de transformation digitale sera forcément pilotée par étapes, en mode
projet. Dans ce cadre, la structure a tout intérêt à développer son agilité, sa souplesse.
L’utilisation par le groupe du projet transformation numérique, mais aussi par d’autres entités
du service de dispositifs managériaux modernes comme la « méthode agile » ou le « design
thinking » présentés précédemment seront très adaptés à ce nouveau contexte organisationnel.
La création de groupe de travail très transversaux, l’opportunité donnée aux utilisateurs de
terrain de proposer des solutions pour traiter leurs difficultés sont des moyens de libérer la
créativité et l’innovation. La mise en place, dans ce contexte de dispositifs d’expérimentation
locaux peut ainsi favoriser l’émergence de solutions intégrant l’IA, adoptées par les utilisateurs
car proposées par eux.

Orientation n° 3 : favoriser l’expérimentation et l’utilisation de méthodes managériales


innovantes

Par cette orientation, il s’agit de développer la capacité du Sdis de devenir une


organisation apprenante. L’arrivée du numérique puis de l’IA engendrant potentiellement des

69
changements majeurs, créer de la souplesse dans l’organisation, comme l’orientation
précédente le permet, est un gage d’anticipation et donc de réussite.
Selon le même axe de réflexion, le service d’incendie et de secours se doit, dans une société en
pleine évolution, et dans un contexte de plus en plus complexe de s’organiser pour prévoir ses
futures menaces et opportunités. Dans le domaine opérationnel, la fonction prévision est dans
les Sdis une activité connue, maitrisée qui permet aux établissements d’anticiper et de planifier
au mieux son évolution dans le domaine. En outre, de nombreux établissements ont créés des
fonctions prospectives, qui sont essentiellement orientées vers le domaine opérationnel.
Afin d’anticiper au mieux les impacts de la transformation digitale, et préparer l’arrivée de l’IA,
les SIS pourraient élargir ces fonctions au-delà du champ opérationnel. Cela permettrait de
mener des réflexions sur le terrain du management ou par exemple de dresser la liste des
opportunités offertes par l’IA pour un SIS. Cela offrirait également la possibilité de renforcer
le rôle des démarches de retour d’expérience, en les rendant transversaux à la structure.

Orientation n° 4 : promouvoir une fonction prospective et innovation élargie

Nous avons vu précédemment que l’une des raisons pour lesquelles l’IA est devenue
stratégique est l’importance qu’ont prises les données et leur utilisation. Le « big data » est
devenu un enjeu, y compris pour les services d’incendie et de secours. Chaque SIS possède ce
que Marc Riedel considère comme une mine d’or en matière de données. En outre, chaque SIS
est entouré, sur son territoire, de collectivités territoriales, d’établissements publics de
coopération intercommunale ou d’autres entités publiques ou privées possédant des données.
Dans le cadre de déploiement de systèmes intelligents comme les outils décisionnels ou de
dispositifs prédictifs ces données seront essentielles. Comme le préconise le colonel Olivier
Morin lors de notre entretien, les SIS doivent être capables de contribuer aux programmes de
partage des données et ainsi aux projets innovants, comme celui de « Prévisecours ».
Cette contribution, cette volonté d’ouverture et de partage nécessite de modifier les postures
managériales, nous l’aborderons ci-dessous, décisionnelles et organisationnelles.
L’organisation, et donc ses cadres managers, devra œuvrer vers plus de transparence dans le
management de ses données, ce qui est l’une des conséquences de la transformation digitale.

70
Enfin, ouvrir l’établissement vers les universités est également une orientation visant à se
préparer au changement de paradigme lié à l’IA, par l’accompagnement offert au portage des
projets innovants.

Orientation n° 5 : ouvrir l’établissement vers l’extérieur

L’un des piliers de la transformation digitale est le développement de la collaboration


au sein des organisations, qui permet d’évoluer des modes de communication « top-down »,
vers des échanges équilibrés « bottom-up ». Selon Cécile Déjoux, l’un des moyens d’atteindre
cet objectif, qui apparaît comme étant un des piliers pour mener une transformation digitale, est
la création d’un réseau social d’entreprise.
Cet outil permet de nombreuses opportunités organisationnelles et managériales. Il favorise
d’une manière générale d’une part les échanges et la collaboration interne et offre aux
collaborateurs un outil numérique de travail ressemblant à ceux qu’ils utilisent dans leur
quotidien.
Ensuite, la direction peut être sollicitée directement par les collaborateurs pour aborder un sujet
particulier ou proposer une amélioration de fonctionnement de l’organisation. Enfin, les
managers peuvent animer des groupes de communication fermés avec leurs équipes et ainsi
créer une dynamique collective.
Ce type d’outil numérique répond aux besoins de transversalité, d’horizontalisation des lignes
hiérarchiques, d’implication des collaborateurs, de rapidité de partage des informations et
favorise l’intelligence collective, éléments fondamentaux de la transformation numérique.

Les SIS ont mis en place au fil du temps les outils de communication traditionnels de type site
internet, intranet ou lettre de communication périodique. Depuis environ 5 ans, ils ont investi
les réseaux sociaux, essentiellement à travers la création de page Facebook ou de compte
Twitter. Cette acculturation est une première étape importante. Cependant, ces outils sont, à de
rares exceptions près, dédiés à de la communication « descendante », de l’établissement vers la
population ou les agents.
La création du réseau social d’entreprise répond à ce nouveau besoin, interne, d’interaction
avec les agents qui deviendraient des collaborateurs. Il renforcerait le socle de la construction

71
de la transformation digitale de l’établissement, préalable à l’avènement de l’IA. Il permettrait
de modifier les postures managériales de l’ensemble des cadres.

Orientation n° 6 : créer un réseau social d’entreprise

Comme cela a été abordé dans le corps de ce mémoire, la transformation digitale a


modifié la relation entre les clients et les entreprises en créant le concept de l’expérience client.
Aujourd’hui, les entreprises privées, à vocation commerciale, de service ou industrielle,
organisent leurs processus de décision en intégrant de manière plus ou moins marquée selon
leur environnement l’avis de leurs clients. Elles ont ensuite élargi ce mode de fonctionnement
à leurs collaborateurs, afin de recueillir également leur avis ou proposition sur des sujets
pouvant être liés à la stratégie de l’entreprise. L’exemple du projet i-magine du groupe Bel en
la matière est significatif53.
Cette expérience client est devenue, par exemple pour le groupe SNCF l’expérience usager. Ce
terme d’expérience usager peut être élargie à l’ensemble des administrations et donc être utilisé
pour le SIS. En se mettant à la place du citoyen, la création par le SIS d’une expérience usager,
peut lui permettre de mieux répondre à ses attentes et donc d’améliorer la qualité de ses
missions. Cela peut par conséquent lui permettre d’interroger ses pratiques afin de les adapter.
En corollaire, l’expérience collaborateur peut permettre, au sein de l’établissement, de libérer
les échanges, et favoriser ainsi la détermination des besoins au plus près du terrain et de
l’utilisateur.
La création d’une expérience collaborateur, dans le cadre de l’avènement de l’IA, va permettre
au Sdis, de créer les conditions propices à la définition juste des besoins en IA, à
l’expérimentation au plus près du terrain, à l’innovation et va favoriser les démarches
d’intelligence collective.

Orientation n° 7 : développer l’expérience usager et collaborateur

53
Sollicitation de 65% des salariés sur 5 problématiques sratégiques pour l’entreprise, la transformation
digitale des entreprises, Aurélie Dudezert, 2018, La découverte.

72
3.2.2 Orientations liées au management,

Au-delà des orientations organisationnelles proposées ci-dessus, l’avènement de l’IA


impose, l’hypothèse se confirme, une modification de la fonction managériale selon plusieurs
aspects. Le SIS sera concerné, à travers ses métiers fonctionnels et managériaux.
Au-delà de ses fonctions supports, pouvant être mises en perspectives avec celles des autres
administrations, la particularité managériale du SIS est ses ressources humaines composées à
près de 70 % de sapeurs-pompiers volontaires, donc de citoyens engagés issus de tous les pans
de la société. Par conséquent, la transformation digitale, puis l’avènement de l’IA pourront être
accélérés au sein des SIS par ces citoyens qui auront dans leur engagement les mêmes attentes
que dans leur quotidien personnel ou professionnel.
L’établissement doit par conséquent anticiper et préparer ses managers.

Nous l’avons vu, l’IA va avoir un impact sur de nombreux métiers. Il s’agit donc pour
le SIS d’en évaluer concrètement les effets. Cette anticipation sur les changements potentiels
de la multitude de métiers le constituant peut être menée à travers la réalisation d’une
cartographie des métiers existant dans l’établissement, qu’ils soient opérationnels ou
fonctionnels. Elle sera un préalable indispensable à toute démarche construite de formation ou
d’adaptation de certaines fonctions à l’arrivée de l’IA. Elle permettra d’objectiver les impacts
potentiels, d’une part du numérique, d’autre part de l’IA.
Comme le précise Pascal Otheguy, en matière de ressources humaines, il sera en outre
indispensable de bénéficier pour l’organisation d’un registre des compétences réelles, au même
titre que le fait de faire monter en compétences les collaborateurs. Ce dernier point sera traité
ci-dessous.

Orientation n° 8 : créer une cartographie des métiers de l’établissement

La transformation digitale et l’évolution de la société, se caractérise par une


modification profonde du rapport au travail. Les agents du SIS n’échappent pas à ce principe.
Selon leur niveau d’intégration numérique, leur environnement géographique, concurrentiel ou
sociétal, de nombreuses organisations ont mis en place des expérimentations visant à repenser
l’efficacité des missions à l’aune des espaces de travail. Comme précisé précédemment, le
développement du télétravail, les espaces de coworking ou les open space dans leur version

73
modernisée sont des exemples de nouveaux modes d’espace de travail facilités par la
transformation digitale.
Selon ses besoins et la stratégie numérique qu’il mettra en place, le SIS à tout intérêt à
développer ces modes de travail alternatifs. Les structures opérationnelles ne peuvent-elles pas
devenir, pour des durées limitées, un espace de coworking au sein duquel des agents de la
direction d’horizons différents viendraient travailler sur un projet transversal au plus près du
terrain ?
Ces nouveaux espaces favorisent, nous l’avons vu, la transversalité, la créativité et l’innovation.
En outre, il est constaté que le développement du télétravail, lorsqu’il n’est pas imposé,
améliore l’implication des collaborateurs et donc leur engagement.

Orientation n° 9 : développer les modes de travail alternatifs

Un autre élément partagé dans le cadre de l’intégration de l’IA au sein des organisations
est que l’intelligence collective et l’innovation sont facilitées lorsque les profils les composant
sont variés.
Les Sdis, en matière de ressources humaines, ont une fragilité à ce niveau. La transformation
digitale va nécessiter de nouvelles compétences, de nouveaux modes de décision, l’intégration
de collaborateurs d’horizons différents, de culture complémentaire sera un atout pour la mettre
en œuvre et préparer l’arrivée de l’IA.

Orientation n° 10 : renforcer la diversité dans les recrutements

De manière complémentaire au renforcement de la diversité dans les recrutements, la


détection des jeunes talents est un enjeu pour les Sdis, particulièrement prégnants dans la
perspective du changement de paradigme qu’est l’avènement de l’IA.
Les Sdis offrent aujourd’hui à leurs cadres des parcours « qualifiants » nécessitant d’occuper
certains postes considérés comme clés et indispensables à leur évolution tant en responsabilité
que de carrière. Ce mode de fonctionnement ne correspond pas aux besoins de cadres de
demain, ceux de la génération Y et empêchent les cadres d’aujourd’hui de construire des
parcours différents sous peine de voir leur carrière en pâtir.

74
Les SIS doivent modifier ce mode de management et permettre à leurs jeunes talents d’être
valorisé dès que possible pour leur savoir-faire.

Orientation n° 11 : Détecter les jeunes talents et leur offrir des perspectives d’évolution

Le développement interne de l’intelligence collective est, nous l’avons abordé, un des


enjeux majeurs de l’innovation et donc de l’avènement de l’IA.
Comme l’a précisé l’association Atraksis lors de sa web conférence avec le club des Sdis54, elle
se construit autour de quatre piliers qui sont fournir un espace d’expression, fournir un ou des
espaces de liberté, bénéficier du droit à l’erreur et développer la gestion des compétences.
Les SIS bénéficient à la fois d’atouts et de frein pour mettre en place des démarches
d’intelligence collective. Notre adaptabilité opérationnelle, notre organisation territoriale
offrant la possibilité de créer 100 laboratoires d’innovation sont des atouts. Nos organisations
en silo et nos difficultés culturelles et structurelles à accepter le droit à l’erreur sont par contre
des freins.
Comme au sein de nombreuses structures publiques ou privées, n’ayant pas encore initié la
transformation digitale, les postures et organisations de deux fonctions sont traditionnellement
à modifier au sein des Sdis.
Les directions des systèmes d’information doivent évoluer vers une fonction d’usage et de
facilitation. La définition des besoins numériques doit dorénavant venir des utilisateurs et ne
pas être imposée ou bloquée.
Les directions des ressources humaines quant à elles doivent évoluer vers ce que l’on peut
appeler la marque employeur et vers, nous l’avons vu ci-dessus, l’expérience collaborateur.
Ces deux modifications faciliteront la transversalité au sein de la structure et donc l’initiation
de démarches d’intelligence collective, qui devront toutefois et nécessairement être portées par
la direction du SIS.

Orientation n° 12 : Organiser les conditions d’épanouissement de l’intelligence collective

54
Web conférence organisée le 22 janvier 2019, sur le thème « Innovation et intelligence collective : pistes
d’avenir pour les Sdis.

75
La gestion et l’utilisation des données sont des éléments fondamentaux dans
l’émergence de dispositifs intégrant de l’IA. Pour cela, les données, leur obtention, leurs limites,
doivent être connues par les managers les utilisant. Elles doivent également être mises en
perspectives avec le contexte de leur interprétation. En effet, les systèmes experts, utilisant de
l’IA peuvent être des outils d’aide à la décision très efficaces, comme engendrer des décisions
aberrantes. Pour éviter cela, il sera indispensable de former les cadres à l’utilisation des
données.
Plus globalement, l’émergence de l’IA, des nouveaux outils de transformation digitale doivent
être accompagnés de dispositifs de formation afin de faire évoluer les compétences de
l’ensemble des agents.
Ces formations doivent être individualisées et centrées sur leurs compétences.

Orientation n° 13 : former les cadres à l’utilisation des données

Comme cela a été vu précédemment et d’après Cécile Déjoux et Emmanuelle Léon55,


l’ensemble des experts s’accordent à penser que l’IA va profondément bouleverser de
nombreux métiers, dont celui du manager, qu’il soit de proximité ou cadre dirigeant. Les
organismes publics, et donc les Sdis sont également concernés. A terme, comme vu
précédemment, l’IA pourra selon les situations remplacer, aider ou « augmenter » le manager.
Ainsi, au sein des SIS, portées par les hauts dirigeants de l’établissement, les conditions doivent
être créées pour préparer les managers à cela.
Renforcer la communication interne, la collaboration entre les agents, favoriser
l’expérimentation, développer l’innovation, rendre l’organisation plus souple et agile,
individualiser les formations sont quelques-uns des axes possibles pour créer ces conditions.

Orientation n° 14 : créer les conditions de transformation du manager en manager


augmenté

55
Dans Métamorphose des managers à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, 2018, Pearson.

76
Conclusion

Ce mémoire avait pour objectif de d’envisager la possibilité de définir un lien entre l’IA et
l’évolution du management. De cette question découlait deux interrogations secondaires, celle
de l’influence de l’IA sur le management et celle de l’impact de l’IA sur les relations au travail
et sur les conditions de travail.

La problématique à laquelle ce mémoire a tenté de répondre était la suivante : Dans quelle


mesure l’avènement de l’intelligence artificielle dans le quotidien des organisations publiques
ou privées était-elle une opportunité pour influer sur le management des hommes et des femmes
qui les constituent ?

A travers les lectures effectuées, les études et analyses synthétisées ou les entretiens menés il
apparaît possible de répondre à la problématique posée, avec toutefois quelques réserves.
L’IA va effectivement transformer la société, les modèles économiques des entreprises, les
attentes des citoyens vis-à-vis des services publics ainsi que le rapport au travail. En ce sens,
son avènement va nécessairement influer sur le management au sein des organisations.
Toutefois, l’IA n’est pas encore suffisamment présente, en particulier au sein des
administrations publiques, pour en faire un enjeu managérial imminent.
Cependant, l’avènement de l’IA apparaît clairement dans la continuité de la transformation
digitale qui, elle, touche d’ores et déjà, de plein fouet les administrations et impose
indubitablement une évolution managériale.
Par conséquent la transformation digitale, préparant l’avènement de l’IA, est une réelle
opportunité de modifier les organisations, tant au niveau des pratiques, des postures
managériales, que des modes de gestion. L’exemple réussi de la transformation numérique du
ministère des armées est significatif en la matière.

Ainsi, deux axes d’évolution apparaissent au fil de l’étude, l’un au niveau des organisations,
l’autre du point de vue managérial. Ils entrent en outre en résonnance avec la transformation
digitale, qui en est le principal catalyseur, l’évolution de la société et l’arrivée des nouvelles
générations, à la fois causes et conséquences de ces modifications.

77
Les principales orientations organisationnelles préparant l’avènement de l’IA sont la réduction
des lignes hiérarchique visant à l’horizontalisation des organisations et à l’accélération des
prises de décisions, l’amélioration de la transversalité au sein des équipes par entre-autres la
création de structures temporaires à taille humaine et dotées d’une autonomie réelle, le
développement de l’expérimentation et la création de dispositifs favorisant l’intelligence
collective. La mise en œuvre de dispositifs développant l’expérience client, pour le secteur
privé, usager pour le secteur public est le corollaire de ces orientations.

Elles ont des conséquences importantes sur le volet managérial. Les principales sont le
renforcement des espaces et des temps de collaboration entre le manager et ses agents, devenus
par conséquents collaborateurs. Le renforcement de leur autonomie, le développement des
méthodes de gestion de projet dites agiles et surtout la volonté de replacer l’humain au cœur
des dispositifs de l’organisation sont significatifs d’un prégnant changement d’ère.
L’expérience collaborateur sera par conséquent recherché.
Enfin, la notion de manager augmenté voit le jour avec l’avènement de l’IA. Ce manager de
demain aura de nouvelles compétences à la fois de collaboration, d’agilité, de transversalité et
d’empathie, mais également des compétences numériques et une capacité à comprendre,
expliquer, utiliser ou interroger l’IA et ses données.

Dans ce cadre, il est important, pour ne pas dire vital que les SIS prennent le train de la
transformation digitale en marche. Des orientations sont proposées dans ce sens.
La mise en œuvre de la transformation digitale et l’ouverture de l’établissement vers son
écosystème apparaissent comme deux des enjeux organisationnels importants pour s’adapter à
l’évolution de la société et rester en phase avec les citoyens.
Au niveau managérial, la culture hiérarchique et procédurière marquée au sein des SIS,
inéluctablement liée à l’activité opérationnelle et à ses obligations, se heurte aujourd’hui aux
évolutions et aux attentes des collaborateurs. En ce sens, les nouvelles technologies de
l’information et de la communication, dont l’IA n’est que la future manifestation, peuvent être
un prétexte pour remodeler l’organisation du SIS, ses relations managériales. L’objectif n’est
pas de suivre un courant de pensée moderne mais d’améliorer les modes de fonctionnement
pour plus d’efficacité et au final plus de performance au profit des citoyens.

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L’une des clés d’une intégration réussie du digital dans l’entreprise est la création d’une
expérience client, c’est à dire la capacité à adapter son produit aux attentes et besoins de ceux
qui l’utilisent.
Au sein de l’organisation, son corollaire est l’expérience collaborateur. Elle implique un
changement de posture majeur des managers et des décideurs. La bonne idée ne vient pas
systématiquement du haut de la pyramide hiérarchique mais de plus en plus du terrain. Sa mise
en œuvre impose qu’elle fasse sens afin qu’elle soit appropriée par tous.
L’avènement de l’IA va imposer ce changement, au même titre que la crise des gilets jaunes a
interrogé sur la nécessité de mieux répondre aux attentes des citoyens.

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Bibliographie

Ouvrages :

- Chastenet de Gery Gonzague, (2018), le knowledge management, un levier de


transformation à intégrer, Information & stratégie,
- Cuillandre Hervé, Un monde meilleur : et si l’intelligence artificielle humanisait notre
avenir, (2018), Éditions, Maxima, 2018,
- Déjoux Cécile & Léon Emmanuelle, Métamorphose des managers, à l’ère du numérique
et de l’intelligence artificielle, (2018), Pearson,
- Desplats Marie & Pinaud Florence, Manager la génération Y, (2018), Dunod,
- Dudezert Aurélie, La transformation digitale des entreprises, (2018), La Découverte,
collection Repères,
- Enlart Sandra & Charbonnier Olivier, A quoi ressemblera le travail demain ? (2014),
Dunod,
- Sadin Éric, (2018), l’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle, anatomie d’un
anhumanisme radical, L’échapée,
- Karsenti Gérald, Leaders du troisième type, (2016), Eyrolles,

Rapports :
- Benhamou Salima & Janin Lionel, Intelligence artificielle et travail (2018), France
Stratégie, mars 2018,
- Benhamou Salima, Le travail en 2030, (2017), France Stratégie, avril 2017,
- Intelligence artificielle, état de l’art et perspectives pour la France, rapport du pôle
interministériel de prospective et d’anticipation économique (PIPAME), 2019,
- Comment permettre à l’homme de garder la main, rapport de la CNIL dans le cadre de
la mission de réflexion éthique confiée par la loi pour une république numérique, 2017,
- Intelligence artificielle, des conséquences réelles, les services publics à l’ère de
l’intelligence artificielle, Accenture consulting, 2018,
- Gouvernance de l‘intelligence artificielle dans les entreprises, enjeux managériaux,
juridiques, éthiques, rapport du CIGREF, 2016,
- Pour une intelligence artificielle maitrisée, utile et démystifiée, rapport de l’officie
parlementaire des choix scientifiques et technologiques, 2017,

80
- Le préfet et l’intelligence artificielle, actes n°37 des journées d’études et de réflexions
du centre des hautes études du ministère de l’intérieur, 2018,
- Les managers face aux disruptions numériques, étude de l’observatoire social
international, 2016,
- La question du travail à l’ère digitale, Henri Isaac, la renaissance numérique, 2016,
- Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? rapport du service de recherche du Parlement
Européen, 2018,
- Donner un sens à l’intelligence artificielle, rapport de la mission parlementaire confiée
à M. Cédric Villani, 2018,
- Intelligence artificielle, les défis actuels et l’action d’INRIA, livre blanc n°1, 2017,
- Les impacts de la transformation numérique sur les métiers de la fonction publique
territoriale, étude CNFPT, 2018,
- Anticiper les impacts économiques et sociaux de l’intelligence artificielle, France
stratégie et conseil national du numérique, 2017,
- Impact des nouvelles technologies sur le management des hommes dans les services
d’incendie et de secours, mémoire en vue de l’obtention de la formation d’adaptation à
l’emploi de chef de groupement rédigé par le Commandant Patrick Aygalenq (SDIS
47), le Commandant Benjamin Gadal (SDIS 32), le Capitaine Marc Monacelli (SDIS
65) et le Commandant Yann Sanchez (SDIS 31) , ENSOSP, 2017,

Divers :

— Le juge administratif et l’intelligence artificielle, intervention de M. Jean-Marc Sauvé,


vice-président du conseil d’État à la conférence des présidents des juridictions
administratives, 20 avril 2018,
— Web conférence sur l’innovation et l’intelligence collective, 22 janvier 2019, club des
Sdis,
— Conférence de M. Olivier Piazza, enseignant chercheur, sur l’intelligence collective,
27 février 2019, ENSOSP,
— Mooc « l’intelligence artificielle pour les managers et leurs équipes, CNAM, 2019,
— Mooc « du manager au leader, devenir agile et collaboratif, CNAM, 2018,

81
Articles :
- Le manager à l’ère de l’intelligence artificielle, Cécile Dejoux, Forbes, 2018,
- L’intelligence artificielle n’est pas si intelligente que cela, Claude Riveline, le journal
de l’école de Paris n°132, Juillet-Août 2018,
- Qu’est-ce que l’IA, par Renaud Vedel,
- Le management des nouvelles formes d’organisation du travail, Margot Fort Claisse,
Sabine Séparit, ENS Paris Saclay, 2018,

Sites internet :
— https://www.manager-go.com/
— https://www.anvie.fr/
— https://www.accenture.com/
— https://www.lebigdata.fr/
— https://siecledigital.fr/
— https://forbes.fr/
— https://acteurspublics.com/

Liste des entretiens réalisés :


— M. Pascal Otheguy, Secrétaire général de la préfecture de l’Hérault. Ancien directeur
de cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État. Spécialiste de la
transformation numérique au sein de l’État (8 mars 2019),
— Marc Riedel, enseignant chercheur, (7 mai 2019)
— Colonel Olivier Morin, chef de la mission Stratégie et Prospective à la Direction
générale de la sécurité civile et de gestion des crises, (17 avril 2019),
— M. Renaud Vedel, préfet en charge de l’intelligence artificielle au sein du ministère de
l’intérieur (17 avril 2019),
— M. Emmanuel Abord de Chatillon, enseignant chercheur spécialiste en organisations
complexes (23 avril 2019),
— Colonel Grégory Allione, Directeur départemental du Sdis des Bouches du Rhône, (23
avril 2019),
— Thibaut Reffay, Julien Fisher, membres fondateurs de l’association ATRAKSIS, (26
avril 2019),

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— M. Gilles Martin, membre fondateur de l’association VISOV, expert en numérique et
nouvelles technologies, (9 mai 2019),
— M. Guillaume Lancrenon, data scientist porteur du projet Prévisecours, (23 mai 2019)
— Colonel François Vallier, Directeur départemental des services d’incendie et de secours
de Moselle, (24 mai 2019).

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Résumé

L’intelligence artificielle est un des enjeux des prochaines années, à plus d’un titre. Ce mémoire
a pour objet d’en étudier l’impact, en matière de management, et d’évaluer si son avènement
dans les organisations peut constituer une opportunité managériale. Apparaissant dans le
prolongement de la transformation digitale, l’avènement de l’IA va bouleverser le travail et
accélérer les modifications des organisations publiques ou privées, déjà engendrées par la
transformation digitale.
En ce sens, il s’agit d’une opportunité pour les organisations de revoir leurs modèles
managériaux. L’horizontalisation de la hiérarchie, la collaboration accrue, la transversalité, les
expériences usagers et collaborateurs, l’intelligence collective ou les méthodes de management
agile sont abordés dans ce mémoire comme des pistes visant à faciliter l’avènement futur de
l’IA. Le manager est au cœur de ces solutions, dans une posture de manager augmenté.
Les services d’incendie et de secours bénéficient également d’orientations en la matière au
regard des enjeux de progrès que peut leur apporter l’IA. Mener la transformation digitale ou
organiser les conditions d’épanouissement de l’intelligence collective font partie des 14
orientations proposées.

Abstract

Artificial intelligence is one of the challenges of the coming years, for more than one reason.
This thesis aims to study the impact, in terms of management, and to evaluate if its advent in
organizations can constitute a managerial opportunity. Appearing as an extension of the digital
transformation, the advent of AI will disrupt the work and accelerate the changes in public or
private organizations, already generated by the digital transformation.
In this sense, it is an opportunity for organizations to review their managerial models.
Horizontalization of the hierarchy, increased collaboration, transversality, user and collaborator
experiences, collective intelligence or agile management methods are discussed in this thesis
as ways to facilitate the future advent of AI. The manager is at the heart of these solutions, in a
position of increased manager.
The fire and rescue services also benefit from guidelines in this area with regard to the stakes
of progress that the AI can bring them. Leading the digital transformation or organizing the
conditions for the development of collective intelligence are among the 14 orientations
proposed.

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