J É S U S O U LE M O R T E L S E C R E T D E S T E M P L I E R S
LA V I E S E C R E T E D E S A I N T P A U L
ROBERT AMBELAIN
S u r le p a r v i s du T e m p l e réservé a u x h o m m e s , les
J u i f s p i e u x é t a i e n t d é j à r a s s e m b l é s , t o u r n é s v e r s l'est,
la tête c o u v e r t e d u taleth, les t h e p h i l i m en m a i n , afin
d ' ê t r e à m ê m e de p s a l m o d i e r la p r i è r e r i t u e l l e dès
que p a r a î t r a i t le soleil : « Sois loué, E t e r n e l , n o t r e
Dieu, Roi de l'univers, qui c r é a la l u m i è r e et c o n s e r v a
les ténèbres... Sois loué, E t e r n e l , n o t r e Dieu, Roi de
l'univers, qui d o n n a a u coq l'intelligence de d i s t i n g u e r
le j o u r de l'obscurité... »
D a n s la n u i t f r o i d e d u d e r n i e r j o u r de Nisan, le som-
bre v e l o u r s bleu d u ciel se p i q u e t a i t e n c o r e de mille
d i a m a n t s . A l'ouest, p l u s sombre, d é c l i n a i e n t les étoiles
d'Al K h u s , l' A r c h e r , alors q u ' a u levant, d é j à p l u s clair,
on voyait m o n t e r peu à p e u celles d'Ab M e n k h i r , la
Baleine. C'est alors q u e le g r a n d coq solitaire du T e m -
ple, le seul toléré d a n s la Cité sainte, et q u e n o u r r i s -
saient de blé fin les m a i n s frêles des filles des c o h a n i m ,
celui q u e l'on n o m m a i t l ' A v e r t i s s e u r , ce coq c h a n t a ,
a l e r t a n t ainsi les lévites de g a r d e d u lever d u j o u r .
Alors, de t o u t e la citadelle A n t o n i a , u n e i m m e n s e
c l a m e u r r y t h m é e s'éleva. F o r m é e en carrés, d e r r i è r e
son aigle et ses enseignes, et selon la c o u t u m e en Syrie,
la cohorte de la 1 légion saluait l ' a p p a r i t i o n du soleil,
et les vétérans, b r a s d r o i t levé, face à l ' a s t r e du j o u r ,
r é p é t a i t le t r i p l e s a l u t au « sol i n v i c t u s », au « soleil
invaincu ». N'était-ce pas lui en effet qui, sous le nom
de Mithra, marchait invisiblement à leur tête, assurant
ainsi en tous les combats la gloire de Rome ? 1
Safranée, orangée, amarante, la lumière montante
incendiait l'horizon en grandes nappes parallèles et
ascendantes, et Jérusalem, comme à l'appel du pro-
phète : « reprenait sa lumière... » 2 L'aube allait
bientôt paraître ; la fraîcheur nocturne s'évanouissait
progressivement, et mille odeurs diverses s'entremê-
laient au gré de la brise et de ses sautes d'humeur,
jouant comme un jeune chat au gré des ruelles et
des carrefours. A l'arôme des metzo, du férik, de la
rechta ou de la difna, mijotant depuis la veille dans les
fours des riches familles (car la disette éprouvait la
Judée), se joignait celui, un peu fauve, de l'intimité des
demeures enfin rouvertes, et aussi le parfum d'herbes
odorantes, venant des maquis tout proches. Sous
l'auvent des vieilles dépendances extérieures à la ville,
secouant de leur pelage poussiéreux la fraîcheur de
la nuit écoulée, les petits ânes gris s'ébrouaient aux
premiers rayons du soleil, libérant l'âcre fumet de leurs
litières. Et ici, dominant le tout, flottait cette odeur
puissante, faite de suint, de cuirs gras, d'armes huilées,
qui, partout, accompagne les soldats.
De la I Augusta en effet, les cavaliers étaient là,
pied à terre, au grand complet, silencieux, à la tête
de leurs montures alignées au long des fossés de
défense. Derrière eux, dans l'ombre rose et ocre des
murailles crénelées, béait grande ouverte la porte de
Damas, qu'ils n'avaient jamais franchie en troupe,
puisque l'entrée de la Ville sainte était interdite aux
chevaux, autant par respect des usages religieux judaï-
ques, que par leur inutilité en une ville aussi accidentée
que Jérusalem. Et l'ala légionnaire, campée tout près
de la cité, venait simplement à la rencontre du Tribun
de cavalerie, son chef, logé, lui, dans le palais du Procu-
1. T a c i t e : H i s t o i r e s , III. 24.
2. I s a ï e : LX, I.
rateur, comme préliminaire à un changement de garni-
son.
Les hommes et leurs chefs étaient équipés exactement
comme leurs camarades à pied. Un grand bouclier
oblong couvrait le flanc gauche du cheval, la longue
épée d'ordonnance pendait du même côté de la selle.
A sa droite, le légionnaire conservait le glaive court
et large. Mais en plus de la lance des légionnaires à
pied, il portait en bandoulière un carquois de cuir
bouilli, garni de trois javelots de jet, au fer tranchant
comme un rasoir.
A l'écart, près d'un groupe d'officiers silencieux, le
Tribun de Cavalerie allait et venait doucement, sem-
blant attendre quelque chose. Soudain, les pas d'une
petite troupe armée se firent entendre, butant contre
les pierres du chemin, et peu après, dans le demi-jour,
apparurent une trentaine d'hommes. C'était là le déta-
chement éclaireur que le Tribun avait tenu à envoyer
en avant-garde.
La cavalerie de la I Augusta devait en effet quitter
son cantonnement proche de Jérusalem, où elle était
de peu d'utilité en cas de troubles urbains, pour s'en
aller cantonner à Césarée Maritime, aux limites de la
plaine de Saron, devant la mer bleue. Et le Tribun
s'était réjoui de quitter Jérusalem, cette ville de fana-
tiques, pour retrouver la douceur des garnisons romai-
nes, et aussi les corps tièdes et souples des courtisanes
iduméennes. Car les cadres supérieurs de Rome
n'avaient point le droit de faire venir leurs épouses
dans les territoires d'outre-mer ; l'empire craignait en
effet avec juste raison, et l'influence du climat et le
caractère émollient des garnisons légionnaires, auxquels
les sensuelles romaines résistaient fort peu.
Toutefois, avant de s'engager, à l'aube, sur la route
sinueuse descendant à travers le vallon du Térébinthe
encore à demi obscur, et où cavaliers et chevaux consti-
tuaient des cibles idéales pour les archers de la dissi-
dence juive, le Tribun de Cavalerie avait fait reconnaî-
tre la route sur une certaine distance. Après, le soleil
levé, l'ala légionnaire chevaucherait en un terrain lar-
gement découvert, où elle serait à même de répondre
à toute embuscade, et de châtier sévèrement ses agres-
seurs éventuels.
Le centurion qui commandait les trois décuries de
batteurs d'estrade, fit réordonner les rangs, commanda
la halte, puis, raidi en son manteau écarlate, bras droit
levé, salua le magistrat militaire :
— Centurion, que dit la route ?...
— Paisible et sèche, Tribun...
En ces régions méditerranéennes assez basses en
latitude, aurores et crépuscules sont très courts. Et
dejà le soleil levant éclatait au-dessus de l'horizon,
la lumière nouvelle irradiait, embrasant de ses feux les
fauves murailles de l'ancienne cité d'Adoni Tsedek.
Tout en haut, dominant la Cité sainte, l'or et le
cuivre rouge du toit et des portes gigantesques du
nouveau Temple n'étaient plus supportables aux yeux
éblouis. Et sous la légère chaleur qui se faisait insi-
dieusement sentir, soudain la brise tomba, laissant venir
une odeur à la fois douceâtre et écœurante.
Humant le vent léger avec un rictus de dégoût, le
Tribun se dirigea lentement vers l'angle de l'enceinte
nouvelle, d'où l'on pouvait, au loin, distinguer les mas-
ses de la tour de Pséphinos. Entre celle-ci et la porte
de Damas, un monticule s'élevait, que les Juifs nom-
maient le Golgotha, d'un mot hébreu signifiant crâne.
C'était là que, selon une de leurs invraisemblables
légendes, reposait le corps incorruptible d'Adam, et le
crâne de celui-ci, justement, était revêtu de la terre de
cette colline stérile. Chauve comme un lieu maudit du
Ciel et des hommes, la colline avait, de jour comme
de nuit, un aspect sinistre. C'était là que le jour, pour
la pâture, s'abattaient le corbeau et le vautour. C'était
là que la nuit, pour la même raison, venaient rôder le
chacal et la hyène. Car tel est le destin des lieux d'exé-
cution, qui veut que la mort entretienne la vie.
Au sommet du mont chauve, se dressaient quelques
poteaux patibulaires, semblant en attente de la sinistre
traverse, et aussi deux croix complètes, se découpant
sur le ciel clair de Judée. Suivi de quelques officiers,
le T r i b u n de Cavalerie s ' a p p r o c h a l e n t e m e n t et, p a r -
venu à u n e courte distance, s ' a r r ê t a et r e g a r d a .
S u r les croix, é t a i e n t d e u x crucifiés. Ils é t a i e n t m o r t s .
P e u t - ê t r e l'étaient-ils d é j à de l'avant-veille. Mais le
t e m p s n ' é t a i t p l u s où Rome, en sa t o l é r a n c e religieuse,
p e r m e t t a i t a u x familles des c o n d a m n é s à m o r t n o n
esclaves, de d e s c e n d r e d u gibet i g n o m i n i e u x le c a d a v r e
de l ' ê t r e cher, a v a n t q u e le soleil n e se couche, et,
selon la loi juive, « p o u r n e p o i n t souiller la t e r r e
s a i n t e d ' I s r a ë l ».
C'est p o u r q u o i , a p p u y é s s u r l e u r lance, le nez m a s q u é
en l e u r m a n t e a u de b u r e b r u n e , q u e l q u e s g a r n i s a i r e s
de la I I I C y r e n a ï c a m o n t a i e n t , à l e u r c œ u r d é f e n d a n t ,
u n e garde m a l g r é t o u t vigilante d e v a n t le Golgotha.
D ' o r d r e de T i b e r i u s A l e x a n d e r , en effet, les c o r p s
d e m e u r e r a i e n t s u r les croix p a t i b u l a i r e s j u s q u ' à ce q u e
la p u t r é f a c t i o n et les r a p a c e s a i e n t a c c o m p l i l e u r œ u v r e
n a t u r e l l e . Ainsi donc, avait d é c l a r é le P r o c u r a t e u r , on
ne v e r r a i t p l u s r e n a î t r e cette a b s u r d e légende q u i avait
suivi l'exécution de J é s u s , le « roi des J u i f s », fils
aîné de J u d a le Galiléen, et m i s en croix q u a t o r z e a n n é e s
a u p a r a v a n t , a u t e m p s d u P r o c u r a t de P o n t i u s P i l a t u s .
Car ses p a r t i s a n s , les zélotes, c o r r o m p a n t ou e n i v r a n t
la milice d u T e m p l e c h a r g é e de s u r v e i l l e r son t o m b e a u ,
a v a i e n t réussi à desceller la p i e r r e qui l ' o b t u r a i t , r e p r i s
le cadavre, p r é a l a b l e m e n t enrobé de m y r r h e et d ' a l o è s
en ce but, et l ' a v a i e n t s e c r è t e m e n t e m p o r t é en S a m a r i e ,
où les J u i f s ne p o u v a i e n t p é n é t r e r et faire e n q u ê t e .
Là, ils l ' a v a i e n t s e c r è t e m e n t i n h u m é d a n s u n t o m b e a u ,
p r é t e n d u m e n t d é j à occupé p a r u n c e r t a i n I o a n n è s , q u e
les J u i f s a p p e l a i e n t le Baptiste. Et depuis, ses p a r t i s a n s
l ' a f f i r m a i e n t ressuscité.
Cette fois, les c r é a t e u r s de légendes en s e r a i e n t p o u r
l e u r s frais, c a r il y avait p e u de c h a n c e p o u r que,
d e v a n t les débris i m m o n d e s q u i d e m e u r e r a i e n t fixés
à c h a c u n des gibets, on p u i s s e é c h a f a u d e r de telles
sornettes.
C h a c u n e des croix portait, d e r r i è r e la tête du crucifié,
1. E n latin : assez.
blessant ainsi le périnée, ajoutait encore aux douleurs
physiques du supplicié. Enfin, on avait fixé les deux
pieds, chacun à l'aide d'un dernier clou, faisant craquer
les os, puis on avait délié les avant-bras des liens
anciens. Afin que les cadavres futurs soient aisément
attaqués par les charognards, les pieds étaient à moins
de deux palmes du sol.
Les membres inférieurs et supérieurs des deux rebel-
les n'avaient toutefois pas été préalablement brisés,
sans doute pour que les suppliciés demeurent plus long-
temps en vie. La soif, la chaleur, les mouches, avaient
ajouté aux douleurs physiques déjà effroyables par
elles-mêmes, car le sang et le sérum suintant sur le
dos avaient tendance à coller au bois rugueux de la
croix les plaies à vif. La fièvre avait suivi.
Vers le soir, on avait allumé devant eux un abondant
feu de bois, autant pour éclairer le Golgotha que pour
permettre aux légionnaires de la Légion syrienne 1 de
se chauffer durant la froideur des nuits de Nisan. De
plus, par prudence, deux torches brûlaient encore en
permanence derrière les croix, tout en haut de per-
ches plantées en terre. Et peu à peu, avec la nuit, les
mains des crucifiés s'étaient crispées autour des énor-
mes pointes, et les doigts déjà morts leur donnaient
l'aspect de quelque araignée recroquevillée sur elle-
même. Les têtes pendaient sur les poitrines, et en
zigzag, les corps affaissés donnaient l'impression d'un
suprême renoncement à la vie. Pour les deux moribonds
grelottant de fièvre, et que l'asphyxie gagnait peu à peu,
chaque heure avait valu une journée, chaque journée
une semaine.
Malgré cela, la mort pitoyable et douce leur avait
été refusée une seconde fois. Vers le midi du lende-
main, exécutant les consignes reçues, le manipulaire de
1. L a I A u g u s t a é t a i t de r e c r u t e m e n t s y r i e n , l a I I I C y r e n a ï c a
de r e c r u t e m e n t a l g é r i e n e t t u n i s i e n , l a I I I A u g u s t a de r e c r u t e -
m e n t ibère. Seule, la C o h o r s I I I t a l i c a C i v i u m R o m a n o r u m ,
à l a q u e l l e a u r a i t a p p a r t e n u le c e n t u r i o n C o r n e l i u s (Actes : X, 1),
é t a i t de r e c r u t e m e n t i t a l i e n . M a i s l e s c a d r e s s u f f i s a m m e n t p o l y -
glottes changeaient assez facilement d'unité parfois.
la patrouille de contrôle avait donné un ordre. Et un
légionnaire au visage tanné par l'âge et les campagnes
s'était approché des crucifiés immobiles. Faisant glisser
et descendre la pointe de son pilum sous l'aisselle
droite et en appuyant, le soldat avait peu à peu ren-
contré le relief des côtes. A hauteur de l'une d'elles,
il s'arrêta et, lentement, enfonça le fer : un peu de
sang coula doucement de la plaie. L'agonisant sursauta
légèrement et se reprit à respirer. Alors le légionnaire
se dirigea vers la seconde croix, et recommença.
Et ainsi le supplice dura plus longtemps.
NOTES COMPLEMENTAIRES
A vrai dire, les chevaux n'étaient pas absolument interdits
dans la Cité Sainte, bien que le Deutéronome (XVIII, 16), pré-
cise : « Que le roi n'ait pas un grand nombre de chevaux ».
Toutefois, il semble bien que leur circulation ait été réglementée,
et surtout interdite dans les quartiers avoisinant le Temple ;
ceci à cause de leurs excréments, souillant les sandales des
fidèles montant au sanctuaire. C'est pourquoi les écuries de
Salomon, (si tant est qu'il s'agisse bien des écuries de ce roi,
et pas simplement de celles des Templiers, ce qui est par contre
certain), furent bâties à la limite de l'enceinte sud-est de la
ville, le plus loin possible du Temple, et limitrophes de la
Porte de la Fontaine, face au mont du Scandale (voir plan de
Jérusalem page 344).
PREMIÈRE P ARTIE
LES ZÉLOTES
O n d o n n e le n o m de « disciples » à c e u x qui s o n t
s o u m i s à u n e discipline. Ce m o t vient d u l a t i n d i s c i p l i n a ,
s i g n i f i a n t règle, loi. Chez les j u i f s , cette discipline,
c'est la Loi, la T h o r a . E t n o u s s a v o n s m a i n t e n a n t q u e
les m e s s i a n i s t e s , les zélotes ou sicaires, s o n t des f a n a t i -
q u e s de la Loi. Ils v e u l e n t i n s t a u r e r en I s r a ë l u n e théo-
cratie d a n s laquelle il n ' y a u r a p l u s q u e Dieu q u i
sera roi, et p l u s de m a î t r e s , s i m p l e m e n t des j u g e s . Ils
r e j e t t e n t a b s o l u m e n t t o u t e p r e s t a t i o n de s e r m e n t . Reli-
sons d o n c les E v a n g i l e s :
« Mais vous, ne v o u s faites p a s a p p e l e r m a î t r e , c a r
u n seul est v o t r e Maître... » ( M a t h i e u : XXIII, 8).
« E t moi, je vous dis de n e j u r e r en a u c u n e façon...
Que v o t r e p a r o l e soit oui-oui, ou n o n - n o n . Ce q u ' o n y
a j o u t e v i e n t d u M a u v a i s » ( M a t h i e u : V, 34-37).
Or, p a r m i les m a n u s c r i t s d é c o u v e r t s p r è s de la m e r
Morte, d a n s les g r o t t e s d u K h i r b e t - Q o u m r â n , il se
t r o u v e u n « M a n u e l de discipline », sorte de r i t u e l
d ' u n e s t r a t é g i e m i l i t a i r e mêlée de rites occultes et
k a b a l i s t i q u e s . Le c o m b a t y est « o r d o n n é », c o m m e
une liturgie occulte, les étendards y portent des noms
d'anges, qui sont en même temps des noms de pouvoir
(comme en kabale), et ce rituel d'une bataille à la fois
occulte et militaire évoque invinciblement le siège de
Jéricho (Josué : VI, 5).
Si le dépôt de Qoumrân a eu lieu pour mettre les
manuscrits porteurs des Ecritures sacrées en lieu sûr,
c'est que des troubles importants menaçaient leur exis-
tence. Ces Ecritures sacrées, composées de manuscrits
de diverses époques avant notre ère, jouissent du privi-
lège de toutes les Saintes Ecritures chez les Juifs. Elles
expriment la Parole divine, ou celle des prophètes du
Seigneur. Elles sont transcrites sur des peaux d'ani-
maux purs, à l'aide d'une encre rituelle, par des scribes
spécialistes. Si ceux-ci commettent une erreur de trans-
cription, cette dernière est immédiatement arrêtée,
aucune rectification (ou grattage) ne saurait être effec-
tuée, on reléguera simplement ce texte interrompu et
imparfait en un abri spécial, nommé ginnza, avec ceux
qui l'ont précédé, et on recommencera ladite transcrip-
tion. Terminée, celle-ci sera l'objet d'une sorte de véné-
ration de la part des fidèles de la communauté israélite.
C'est avec un instrument spécial, la « main de Thora »,
que le lecteur suivra le texte, ligne par ligne, mot par
mot. La « main de Thora » est composée d'une tige
de bois précieux, terminée par une main minuscule en
bronze, argent ou or.
Lorsque le dépôt de Qoumrân sera effectué, les
Ecritures sacrées seront soigneusement enveloppées
dans une étoffe de lin, et déposées en des jarres de
terre cuite, au sein de la grotte. Compte tenu de ce
respect immense que les fidèles témoignent à ces Ecri-
tures sacrées, il est inimaginable de supposer que l'on
a pris n'importe quelles vieilles étoffes usagées pour
les abriter. Cela aurait constitué une véritable souillure
rituelle pour ces manuscrits, et ils eussent été inutili-
sables, ainsi profanés. Ce sont donc des pièces de lin
neuf, que l'on a utilisées pour envelopper ces textes.
C'est d'ailleurs en ce domaine un usage universel.
Or, en janvier 1951, à l'Institut d'Etudes Nucléaires
de l'Université de Chicago, on a procédé à une analyse
des éléments végétaux constitutifs de ces étoffes, à
l'aide du « carbone 14 ». Découvert par le docteur
W. Libby, déjà classique pour les recherches archéologi-
ques, son principe est le suivant. Tout être vivant, végé-
tal ou animal, absorbe en respirant du « carbone 14 »,
corps radioactif qui reste dans l'organisme même après
la mort du végétal ou de l'animal. Mais le degré de
radioactivité diminue de façon régulière, au fur et à
mesure que le temps s'écoule, et ce degré est mesurable.
En appréciant ainsi le résidu, on peut fixer avec une
précision importante la date à laquelle la matière orga-
nique (végétale ou animale) a cessé de vivre. Cette
méthode a été suffisamment contrôlée pour que sa
valeur ne soit plus mise en doute.
Et en ce qui concerne les étoffes neuves ayant servi
à envelopper les manuscrits de la mer Morte, lors de
leur mise en sûreté dans les grottes du Khirbet-Qoum-
rân, le « carbone 14 » permet d'affirmer que le lin
dont elles sont constituées fut récolté il y a environ
1917 ans avant l'expérience de Chicago. Déduisons
1917 de 1951, nous trouvons l'an 34 de notre ère, date
moyenne de la crucifixion de Jésus p a r les Romains. 1
Or il y a un écart possible d'un demi-siècle, avant ou
après cette date, avec le « carbone 14 » ; ainsi, l'enfouis-
sement de ces documents a pu avoir lieu de 15 avant
notre ère, à 85 de celle-ci. Notons-le.
Cela démontre néanmoins que cette mise à l'abri
fut effectuée en pleine période de troubles. Or les
Evangiles ne nous parlent ni de la sanglante révolte
du Recensement, lors de la prétendue naissance de
Jésus à Bethléem, ni d'une révolte coiffant la période
où il fut crucifié à Jérusalem par les Romains. Et en
place d'une époque bucolique, toute de douceur et de
1C
.alir est faux Jésus ait seulement eu deux ans
publiques, et saint Irénée a raison de le faire mourir
vers sa cinquantième année. L'épisode de la femme adultère
rappoértdansJean (VIII, 3 à 11) montre queelfaetiut
lieu avant dans puisque après cette date, les Juifs n'eurent
plus le droit de condamner à mort et d'exécuter.
paix, sur les bords du lac de Génésareth, nous nous
trouvons historiquement plongés dans l'une des innom-
brables et sanglantes révoltes juives. Le lecteur qui étu-
die l'histoire du christianisme dans les livres pieux
ignorera toujours que de l'an 68 avant notre ère, à
l'an 6 de celle-ci (la fameuse révolte du Recensement
dont on ne parle jamais), il y eut trente-six révoltes
juives, que ces révoltes représentent des milliers de
juifs messianistes mis en croix par Rome, des villes et
des villages incendiés et rasés plusieurs fois, des cam-
pagnes désolées, des troupeaux massacrés, et des fami-
nes sanglantes. Ce lecteur ignorera toujours que des
gouvernements juifs furent mis sur pied de façon offi-
cielle.
Entre 66 et 58 av. J.-C., soit en huit années, on compte
en Judée vingt-six mouvements insurrectionnels. Encore
les sources qui nous en parlent émanent-elles de Flavius
Josèphe, partisan de la collaboration avec Rome, et
ses manuscrits sont-ils perdus, remplacés par des copies
des IX et XII siècles de notre ère, effectuées au fond
des couvents par les fameux moines-copistes.
Des membres de la dynastie asmonéenne, chassés du
pouvoir par Pompée, entraînent le peuple à la révolte,
huit fois entre 58 et 27 av. J.-C. Des « maquis »
s'organisent, et tentent périodiquement des coups de
main. En l'an 43 av. J.-C., Ezéchias, père de Juda de
Gamala, de lignée royale et davidique, harcèle long-
temps les légions romaines. Il est finalement pris et
crucifié. Costobar (27 av. J.-C.), Bagoas (6 av. J.-C.),
Juda de Gamala et Matthiatas (5 av. J.-C.) continuent
la lutte contre Rome.
En 6 av. J.-C., un gouvernement fédéral juif est mis
sur pied, face à ceux établis par Rome, et qui groupaient
d'une part la Trachonitide, la Batanie et l'Auranitide,
d'autre part la Galilée et la Pérée, et enfin la Judée,
l'Idumée, et la Syrie. Ce gouvernement juif, c'est celui
de Siméon à Jéricho, du berger Athronge en Judée,
et de J u d a de Gamala, fils d'Ezéchias, à Séphoris.
Les légions romaines écrasent ce dernier mouvement,
et deux mille patriotes juifs sont mis en croix. Coponius,
futur procurateur, fait massacrer les combattants gali-
léens dans le Temple même, où ils s'étaient retranchés.
C'est au cours de ce combat que Zacharie, père du futur
Baptiste, sera tué « entre le Temple et l'Autel »,
(infra, page 52 et suivantes).
Au cours de cette terrible répression, Varus, légat
de Syrie, assiégera Sepphoris, quartier général de Juda
de Gamala, et lieu de naissance de Marie, son épouse,
(infra, page 64).
Finalement, la ville sera prise, incendiée, et ses habi-
tants déportés et vendus comme esclaves (Cf. Alphonse
Séché : Histoire de la nation juive). Sans doute, Marie,
ses fils et ses filles, échappèrent à ce sort par une
fuite organisée d'avance, puisque nous les retrouverons
plus tard, revenus en Galilée. Il n'en est pas moins
évident que lorsque l'empereur Julien déclarera plus
tard à saint Cyrille d'Alexandrie, son ancien condisciple,
en une lettre citée par ce dernier : « L'homme qui fut
crucifié par Ponce Pilate était sujet de César, et nous
l 'allons démontrer... » (Cf. Cyrille d'Alexandrie : Contre
Julien), il dut employer le terme servus, signifiant
esclave, ou obnoxius, signifiant la même chose, car le
terme sujet, au sens que nous lui donnons maintenant,
se traduirait par civis, citoyen. Et Jésus n'était évidem-
ment pas citoyen romain !
Par conséquent, les habitants de Sepphoris devinrent
tous « esclaves de César », soit serfs et serves de
l'Empire romain, comme tous les déportés d'ailleurs.
Il en fut ainsi pour tous les fugitifs qui furent
alors considérés comme esclaves contumaces. Cyrille
d 'Alexandrie a fait sauter la démonstration de l'empe-
reur Julien afin de ne pas révéler cette condition.
Elle impliquait en effet la crucifixion inévitable pour
Jésus et tous les siens, à plus forte raison lorsque le
cas se doublait de rébellion contre Rome. Or il fallait
à cette époque faire retomber la responsabilité de la
mort de Jésus sur les malheureux Juifs.
C 'est très probablement là une des raisons complé-
mentaires du remariage de Marie avec le mystérieux
Zébédée 1
Et cette condition d'esclave contumace, de déporté
devenu serf de l'Empire, elle nous est encore confirmée
par Commodien de Gaza, le plus ancien poète chrétien,
lequel vivait au III siècle, et nous déclare que Jésus
était d' « allure infime », appartenant à une classe
« abjecte » (le latin abjectus signifie rejeté, et s'appli-
que à une classe sociale, non à une catégorie morale),
précisant encore : « sorte d'esclave » (Cf. Commodien :
Carmen apologeticum).
Voilà qui est fort clair. Jésus était donc classé par
la police romaine dans la catégorie des rebelles contu-
maces, c'est-à-dire des « esclaves de César » en fuite,
parce qu'ayant échappé à la déportation de l'an 6.
1. C e t t e m o n n a i e , n o u s en p o s s é d o n s d e s e x e m p l a i r e s , d é c o u -
v e r t s à M a s s a d a , e n d e s a b r i s s i t u é s s o u s le m u r de l a c a s e m a t e
d u s e c o n d p a l a i s , d i t « p a l a i s d e l ' o u e s t ». O n y a m i s a u j o u r
de n o m b r e u s e s p i è c e s de m o n n a i e , d o n t l a p l u p a r t d a t e n t de l a
s e c o n d e e t de l a t r o i s i è m e a n n é e de l a r é v o l t e j u i v e c o n t r e
H é r o d e , n o t a m m e n t t r o i s « s h e k e l s », t r è s r a r e s , d a t é s « A n 5 »,
et q u i f u r e n t les d e r n i e r s f r a p p é s d u r a n t c e t t e r é v o l t e . N o u s
r e l e v o n s ces r e n s e i g n e m e n t s d a n s le G u i d e B l e u « I s r a ë l »,
p a g e 480, é d i t i o n de 1966 ( H a c h e t t e é d i t e u r ) .
Jude, rappelons-le, était le véritable nom du taôma,
le frère jumeau de Jésus 1 comme nous le rapportent
Tatien et saint Ephrem.
Mais il est très difficile de démêler les véritables
personnalités de tout ce monde confus, ou que l'on a,
à dessein, rendu confus. Qu'on en juge :
« Après l'Ascension de Jésus, Jude, que l'on appelle
également Thomas, envoya à Abgar, roi d'Edesse, l'apô-
tre Thaddée, un des soixante-dix disciples... » (Eusèbe
de Césarée : Histoire ecclésiastique : III, xx, I).
On le voit, Eusèbe confirme Tatien et saint Ephrem
quant au véritable nom du jumeau de Jésus.
Ainsi, lorsque nous lisons un épisode évangélique
où il est question d'un certain Juda, il est possible qu'il
s'agisse de Thomas. Car il y avait deux personnages
de ce nom parmi les lieutenants de Jésus.
De même, lorsque nous rencontrons le nom d'Alphée,
père de Jacques le Mineur, nous ne faisons pas atten-
tion, bien souvent, au fait qu'il s'agit d'un surnom,
et d'un surnom en langue grecque. Car ce mot désigne
(alphos : dartre blanche) un homme atteint de psoria-
sis. Son véritable nom était peut-être Simon le Lépreux,
celui de Béthanie (Mathieu : XXVI, 6 — Marc : XIV,
3).
De même, lorsque nous rencontrerons un certain
Simon le Canaéen, (Marc : III, 18 — Luc : VI, 15 —
Actes : I, 13), nous n'établissons pas de rapports avec
Simon le Zélote, alias Simon le Sicaire. Or, en hébreu,
un Canaéen est celui qui est de Cana, et Cana, en
hébreu, signifie zèle, jalousie, fanatisme. Cana, ville
de Galilée où ont lieu les célèbres noces, Cana est
donc le centre où se réunissent les zélotes, les sicaires,
c'est le centre de l'intégrisme judaïque (du grec zélotès :
zélé, fanatique). Et Simon le Canaéen et Simon le
Zélote sont un seul et même personnage. Mieux encore,
ce personnage est un apôtre (Actes : I, 12 à 14), et
un frère du Seigneur » (Marc : VI, 3).
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