NDD 78-1
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NDD 78-1
LA DANSE FACE
AUX DÉFIS ÉCOLOGIQUES
AUTOMNE 20 - N° 78
Trimestriel d’information
et de réflexion sur la danse
Édité par Contredanse
AUTOMNE 20 . N° 78
. ndd
SOMMAIRE ÉDITO
p. 03 br èv es « La danse n’est pas corona-compatible car elle engage le corps, elle est tactile par
essence. » C’est ce qu’affirmait en juin dernier la chorégraphe Mathilde Monnier,
p. 04 pr at iqu e s dans Libération. Ne nous voilons pas la face, la crise du Covid a rendu malades les
Entretien avec arts de la scène, appelés à juste titre « arts vivants ». Les conséquences écono-
Melinda Buckwalter miques dans un secteur déjà sinistré finissent par tuer certaines compagnies et
Par Patricia Kuypers amènent à repenser d’urgence le « statut d’artiste ». C’est dans ce chaos qu’a
émergé, sans grande surprise, un grand gagnant : le numérique. S’il a constitué une
p. 06 d o s s i e r aide précieuse durant le pic de la crise, il a contribué à creuser les inégalités so-
La danse face aux défis ciales. Les grands perdants ? Dans cette liste à rallonge se trouve une catégorie niée
écologiques durant des mois, à l’instar des artistes : les moins de 20 ans. La fenêtre culturelle
p. 07 Penser avec les pratiques s’est refermée durant de longs mois sur les murs de la classe, laissant apparaître en
chorégraphiques... son centre un gouffre béant entre les familles qui pallient ce manque avec facilité et
Par J. Clavel et C. Noûs les autres. On le sait bien, les décisions politiques révèlent des choix de société. L’Ita-
p. 09 Voyager moins, plus lentement... lie a décidé, non sans difficulté, d’engager 84 000 professeurs temporaires afin de
Par Jeroen Peeters diminuer les classes de moitié, le Danemark, d’organiser la classe en extérieur… et
p. 11 La culture passe au(x) vert(s) la Belgique, jusqu’à hier, interdisait les sorties scolaires pour les élèves du secon-
Par Isabelle Meurrens daire. Mais, aujourd’hui, réjouissons-nous (un peu), les activités culturelles ex-
p. 13 Entretien avec Thierry Smits tra-muros peuvent reprendre ! Une mesure qui va redonner un peu d’oxygène aux
ados - à cet âge-clé où se développe la pensée critique -, aux compagnies Jeune
Par Wilson Le Personnic
public et aux opérateurs.
p. 15 Échange avec
Maria Clara Villa Lobos Durant cette saison instable où notre équilibre (mental, social, économique…) est
Par Alexia Psarolis mis à rude épreuve, nous allons continuer de pratiquer « la technique du Bluetooth »
p. 16 Échange avec
ou le « non-contact improvisation ». Car chaque jour, notre interdépendance se rap-
Éleonore Valère-Lachky pelle à nous : si je tombe (malade), j’entraîne (potentiellement) l’autre dans ma chute.
Par Apolline Borne N’en déplaise à Sartre, on a suffisamment goûté à ce qu’est l’enfer sans les autres…
p. 17 Le spectacle vivant à l’heure jusqu’à la nausée.
de la scénographie durable pa r a l e x i a p sa rol i s
Par Rosita Boisseau
p. 18 Vers une Monnaie
éco-responsable
Par Sylvia Botella
RÉDACTRICE EN CHEF Alexia Psarolis RÉDACTION Rosita Boisseau, Apolline Borne, Sylvia Botella,
+ Cahier central Joanne Clavel, Anne Golaz, Patricia Kuypers, Wilson Le Personnic, Isabelle Meurrens,
age n da f r / e n Jeroen Peeters, Alexia Psarolis COMITÉ DE RÉDACTION Contredanse PUBLICITÉ Yota Dafniotou
P r e m i è r e s , events DIFFUSION ET ABONNEMENTS Laurent Henry MAQUETTE SIGN MISE EN PAGES Isabelle Meurrens, Alexia Psarolis
CORRECTION Ana María Primo TRADUCTION Laura Jones IMPRESSION Imprimerie IPM
COUVERTURE Mauro Paccagnella et Alessandro Bernardeschi/Cie Wooshing Machine
Closing Party © Stéphane Broc
ÉDITEUR RESPONSABLE Isabelle Meurrens / Contredanse - 46, rue de Flandre - 1000 Bruxelles
NOUVELLES DE DANSE
Pour le numéro est publié par CONTREDANSE avec le soutien des institutions suivantes :
de janv/fév./mars 2021 La Fédération Wallonie-Bruxelles (Service de la Danse), la COCOF
date limite de réception et la Ville de Bruxelles (Échevinat de la Culture)
des informations :
11 nov. 2020
ndd@contredanse.org
2
p.
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. AUTOMNE
BRÈVES
ndd
Culture déconfinée : help ! d’évaluer les demandes d’aides à la création redéfinir pour mieux propulser les arts vivants
Dans le contexte actuel de crise sanitaire et de déposées à partir de septembre. Emma Van made in Belgium à l’intérieur et au-delà des
ses répercussions économiques, un Fonds Overschelde, directrice de la Roseraie, est frontières.
d’urgence a été mis en place par le gouverne- élue présidente. Parmi les artistes qui siège-
ment de la Fédération Wallonie-Bruxelles ront : Leslie Mannès, Thierry Smits, Michèle
pour les opérateurs culturels subventionnés Noiret… Prix
qui ont subi des pertes importantes en raison Les Prix Maeterlinck de la critique ont bel et
de l’annulation de leurs activités durant la pé- bien été décernés en septembre, sans céré-
riode de confinement (du 10 mars au 3 mai ) et « Un futur pour la culture » monie publique ni fête, COVID oblige. En sou-
pour la période du 4 mai au 5 juillet. Une enve- La ministre de la Culture Bénédicte Linard a tien aux artistes des arts de la scène, une
loppe totale de 13,9 millions d’euros est desti- lancé un groupe de réflexion chargé de redé- partie des frais d’organisation liés à cette cé-
née à cette indemnisation. ployer la culture d’« après-COVID ». (Voir p. 11) rémonie sera versée à l’Union des Artistes et
à l’Association des techniciens du spectacle
Un fonds spécial Culture a également été dé- Comment relancer et vivant, l’ATPS. C’est Forces, de Leslie Mannès,
ployé par la RTBF à hauteur de 13,4 millions. Thomas Turine et Vincent Lemaître qui rem-
Charleroi danse, à l’initiative d’Annie Bozzini, a renforcer la création ? porte le prix de Meilleur spectacle dans la ca-
mis en place durant le confinement un Fonds tégorie danse. À leurs côtés, étaient nominés :
de solidarité destiné à soutenir les artistes du Comment (re)nouer avec IDA don’t cry me love, de Lara Barsacq et WEG,
secteur de la danse, prioritairement les dan- d’Ayelen Parolin. Le Prix Bernadette Abraté
seurs et chorégraphes domiciliés en Belgique le public ? Comment se (honorant le rayonnement d’une personnalité
en situation de précarité. Les Brigittines s’as- des arts de la scène) revient à Catherine Magis
socient à cette initiative. D’autres pouvoirs saisir des enjeux du et à Benoît Litt, fondateurs et directeurs de
publics apportent également leurs aides à des l’Espace Catastrophe, Centre international de
opérateurs spécifiques (COCOF, Ville de numérique et du virtuel création des arts du cirque.
Bruxelles…).
mis en évidence pendant
Rencontres Théâtre Jeune Public
Une reprise encadrée la crise ? Cette année, le rendez-vous annuel des pro-
À ce jour, le Conseil national de Sécurité main- fessionnels, qui a traditionnellement lieu en
tient l’accueil en salle jusqu’à 200 personnes. août, se tiendra à la place du festival Noël au
La première ministre, Sophie Wilmès, permet Changement de directions théâtre et sera réparti sur deux lieux : à Liège,
cependant aux opérateurs d’introduire une Cette saison s’annonce sous le signe du renou- du 3 au 10 novembre, et à Bruxelles, du 26 au
demande de dérogation auprès du bourg- vellement. L’auteure, actrice et metteuse en 30 décembre. Infos à venir : ctej.be
mestre compétent. La ministre de la Culture scène Cathy Min Jung est désignée directrice
confirme la réduction de la distanciation phy- artistique et générale du Rideau de Bruxelles
sique entre spectateurs isolés ou bulles de et succèdera à Michael Delaunoy à l’automne Catastrophe pour le cirque
spectateurs à un siège ou 1 mètre, avec obli- 2020. Le cirque perd son magazine dédié. Durant 5
gation du port du masque. La Ville de ans et 20 numéros, le magazine C!RQ en capi-
Bruxelles souhaite un retour à une jauge à tale s’est fait l’écho de la création circas-
100 % d’ici le mois de novembre, dans le res- La metteuse en scène Léa Drouet a été nom- sienne, soutenu par la COCOF et l’Espace Ca-
pect des mesures pour accueillir le public en mée coordinatrice artistique théâtre à l’Atelier tastrophe. Mais faute de moyens suffisants,
toute sécurité. 210. De nouvelles nominations sont attendues l’Espace Catastrophe a décidé de se consacrer
pour le Théâtre de la Balsamine, le Varia, à la transformation du projet du CIRK, ce
l’Atelier Théâtre Jean Vilar et le Théâtre de Centre international des Arts du Cirque qui
Nouvelles fédérations… Namur. devait s’implanter à Koekelberg avant l’aban-
Dix-huit nouvelles fédérations profession- don du chantier.
nelles représentatives de disciplines artis-
tiques et créatives viennent d’être reconnues Nommé directeur général et artistique du
par la ministre de la Culture Bénédicte Linard. Beursschouwburg en 2012, Tom Bonte a quitté Ballroom : la danse est finie
Ces organes seront chargés de remettre des la structure cet été pour l’Ancienne Belgique. Une autre aventure s’achève : la revue de
avis et recommandations sur les politiques C’est Melat Gebeyaw Nigussie, anciennement danse française Ballroom, créée en mars
culturelles de leur secteur (arts vivants, mu- coordinatrice de projet à Bozar, qui lui suc- 2014, met, elle aussi, la clé sous la porte. Mal-
siques, arts plastiques…) ainsi que sur les cède. gré le projet éditorial centré sur la danse
projets de décrets et d’arrêtés. Le hip-hop – toutes les danses – et l’équipe de rédacteurs
(ONH) et le théâtre d’objet (M-Collectif) re- professionnels, Ballroom, à l’instar de nom-
joignent ainsi les 57 autres fédérations. ProPulse fait une pause breux titres de la presse spécialisée, ne sera
La ministre de la Culture souhaite mettre Pro- pas parvenu à se maintenir.
Pulse « en chantier » et faire évoluer la vitrine
… et instances d’avis professionnelle des arts de la scène vers un
La reconnaissance des fédérations, c’était autre modèle. Organisé par le service Diffu- Disparition
l’étape cruciale pour que le nouveau décret de sion de l’administration de la Culture avec Au moment du bouclage, nous venons d’ap-
nouvelle gouvernance, initié par Alda Greoli, l’association des programmateurs profession- prendre le décès de Frie Leysen, la fondatrice,
puisse réellement voir le jour. Les 65 experts nels Asspropro, cet outil de promotion et de avec Guido Minne, du Kunstenfestivaldesarts
de la Commission des arts vivants ont siégé diffusion des arts de la scène souffrait de dif- en 1994, à Bruxelles.
3
pour la première fois le 7 septembre afin férents maux… Identité, objectifs, publics à • Alexia Psarolis
p.
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L’approche du mouvement élaborée par que peu d’écrits, et, au moment de sa disparition, de percevoir les différentes couches organiques
elle était justement en train de mettre à jour son vous transporte immédiatement dans une autre
Nancy Topf, connue sous le nom générique travail sous la forme d’un texte faisant dialoguer dimension, même si vous êtes toujours en train
d’« Anatomical Release Technique », est deux personnages. Chacun d’entre nous pensait de lire le texte. Certaines personnes peuvent
que nous allions pouvoir finir l’ouvrage, mais à trouver simpliste cette mise en scène d’une
relativement peu répandue en Europe fran- chaque fois que nous nous attelions au travail conversation entre des personnages, mais je
d’édition, il devenait évident que Nancy n’avait pense que ce subterfuge facilitait l’évocation de
cophone, même si l’artiste et ses collègues
pas eu le temps de développer les personnages l’expérience sensorielle.
l’ont enseignée à la SNDO (School for New de son livre de manière consistante. Elle venait
juste de commencer à travailler avec un coach et Quand on lit le texte, même dans son état de
Dance Development) d’Amsterdam et au était arrivée à cette idée d’un dialogue entre deux non-achèvement, on perçoit cette tentative de
EDDC (European Dance Development Cen- personnes, ce qui l’enthousiasmait beaucoup. parler directement au corps. Sans avoir jamais
Elle était vraiment dans un moment fort de son travaillé directement avec Nancy Topf, j’ai le
ter) d’Arnhem et de Düsseldorf, au Darting- développement quand elle est décédée, elle sentiment de pouvoir, à travers la lecture,
ton College of Arts en Angleterre ainsi savait très clairement où en était son travail et là appréhender une partie de son approche.
où elle voulait aboutir. Nous imaginions que cela Je pense en effet que cela opère, mais aussi
qu’en Suisse. n’allait pas être très compliqué de poursuivre parce que ce type d’approche sensorielle du
l’œuvre inachevée, mais cela s’est révélé être mouvement a aujourd’hui infiltré la pratique
Le terme « release » reste une notion floue et une vaste entreprise. Ceux d’entre nous qui quotidienne des danseurs. Aujourd’hui, l’usage
désigne différents courants pas toujours bien étaient les plus à l’aise avec le travail d’écriture de la visualisation anatomique connectée au
identifiés. La plupart des représentants de la s’y sont engagés, mais cela s’est révélé difficile ressenti dans le corps a été absorbée dans
première heure de cette lignée de pratique étant à conclure. L’ouvrage était dans un état qui ne le corpus de connaissances du monde de
aujourd’hui disparus, il est d’autant plus précieux rendait pas possible sa publication en tant que la danse. Nous sommes à même de lire cet
de recueillir un témoignage de première main manuscrit fini, l’option de réunir une partie de écrit et de comprendre comment intégrer ce
tel que celui de Melinda Buckwalter 1, une de ses textes choisis semblait plus adaptée. matériau, mais ce n’est tout de même pas
étudiantes, qui fut à l’initiative de la publication ce qui est enseigné dans les cours de danse
du recueil de textes « The Anatomy of Center » À la lecture il apparaît évident que Nancy Topf contemporaine plus traditionnels.
édité par Contact Quarterly. Faisant suite aux était en train de chercher comment traduire
travaux de Mabel Todd dont on peut trouver les sa pratique en mots, ce qui constitue un Pourrais-tu nous dire en quelques mots ce que
bases théoriques essentielles dans l’ouvrage énorme pas à franchir pour une telle approche représente le terme « Release Technique »,
« Le corps pensant » 2 aux éditions Contredanse, corporelle basée sur la sensorialité. même si, bien sûr, nous savons qu’il recouvre
s’est développé un enseignement basé sur En effet, elle était particulièrement consciente différentes approches ?
l’imagerie anatomique, connu aussi sous le de cette nécessité. Elle adhérait au point Ce fut une expression très utilisée à New York
nom d’Idéokinesis proposé par Lulu Sweigard 3. de vue de Barbara Clark, une étudiante de dans le monde de la danse des années 90.
Il était transmis par des professeurs comme Mabel Todd, qui était très attentive à garder la J’en parle au début du recueil dans un bref
André Bernard, bien connu des danseurs à New formulation la plus simple possible pour éviter historique : c’était très à la mode à une certaine
York, ainsi que Barbara Clark 4, Irene Dowd, que l’on intellectualise les informations et époque, mais personne ne savait vraiment d’où
et d’autres. Dans leur sillage, une génération afin d’amener les lecteurs dans un processus cela venait ou n’avait une idée précise de ce
d’artistes, interprètes et enseignants, dont où il était indispensable de passer par le que cela désignait. On l’a reliée à l’esthétique
Nancy Topf, mais aussi Marsha Paludan, Mary corps. Il s’agissait de promouvoir un mode de de la danse de Trisha Brown par exemple, et
Fulkerson, Eva Karczag, Dany Lepkoff, entre connaissance proposant une alternative par les cela a été spécifié dans bien des pratiques
autres, ont poursuivi dans cette même direction, sens plutôt que de rester centré sur l’écrit. Et telles que la Skinner Release Technique, Susan
utilisant des images placées dans le corps pour le concernant cette nécessité de rester relié à la Klein Technique…, mais c’est resté comme une
mettre en mouvement à partir d’une conscience pratique perceptive, il est intéressant d’observer idée très générale d’une technique de danse
anatomique précise. Dans cet entretien avec que Nancy Topf commence son manuscrit en provenant de downtown New York. Aujourd’hui,
Melinda Buckwalter, nous tentons de ressaisir explorant la bouche. Ce n’est pas une approche on ne parle plus vraiment de Release Technique,
les ressorts de cette pratique, sa spécificité que nous avions nécessairement abordée avec on évoque plutôt l’idée de faire du travail
et ses outils d’exploration. Profitant ainsi de elle, mais j’ai trouvé cela tellement brillant sensoriel. Cela a été intégré dans un certain
l’expérience de danse vécue par l’auteure pour dans la mesure où elle parle de mots et nous type d’enseignement de la danse, du moins aux
donner chair aux mots laissés par Nancy Topf. amène en même temps dans l’espace des Etats-Unis. Pas dans la danse moderne, mais
mots tout en nous renvoyant au corps. Une dans les ateliers de danse contemporaine il y a
D’où est venue la nécessité de publier les des notions phares de son enseignement, et souvent des moments où l’on utilise le toucher,
écrits de Nancy Topf dans un livret de Contact qu’elle tient de Barbara Clark, est que « le le travail avec un partenaire, la notion de multi-
Quarterly ? corps réclame la profondeur ». Ainsi, il n’y a sensorialité dans l’échauffement ; que ce soit
Je pense que la nécessité est venue du groupe pas besoin de descendre au sol pour entrer avec le Body-Mind Centering, le Feldenkrais,
d’étudiants qui avaient perdu leur professeure dans le ressenti, on peut continuer à lire tout la Technique Alexander, ou que ce soit une
de manière aussi abrupte. Elle avait laissé un en plaçant son attention dans la bouche. Cette approche orientée vers le Contact Improvisation
4
sensation d’entrer dans la profondeur du corps, dans un travail en duo, en amenant des
informations sensorielles à l’autre à travers le dans le corps et tu peux t’appuyer sur cette s’ancrent dans les jambes à travers le psoas.
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toucher, ou encore dans toutes les approches connaissance quand tu danses. On le comprend Ces cycles remémorés deviennent ensuite des
les yeux fermés. mieux en pratiquant les cycles corporels basés partitions de mouvement. Il faut imaginer aussi
sur une circulation dans le corps. Elle proposait que, pendant que nous développions la danse
Comment peut-on donc distinguer ce qui est d’explorer ces cycles dans la danse, ce qui à partir de ces explorations, son partenaire, le
vraiment spécifique de la démarche de Nancy permettait d’intégrer l’imagerie anatomique musicien Jon Gibson, membre à l’époque de
Topf ? avec laquelle tu avais travaillé auparavant. l’ensemble de Philip Glass, nous soutenait en
L’usage de l’image anatomique était au centre On passait par exemple 15 à 20 minutes à jouant une incroyable musique.
de son travail, comme une base pour l’amener travailler avec le mouvement en cuillère à
.
ensuite dans le mouvement. Les quatre l’arrière du sacrum, à explorer comment on le Cette approche m’évoque l’enseignement de
ndd
collègues qui ont développé cette approche, ressent dans des étirements, à étudier certains Steve Paxton, entre autres dans « Material for
Marsha Paludan, Mary Fulkerson, John Rolland schémas des mouvements de développement, the Spine », également basé sur des images
et Nancy Topf, étaient tous d’accord sur cet axe, et ensuite on improvisait. On pratiquait le anatomiques explorées en mouvement.
déjà présent dans l’enseignement de Barbara dessin, dont l’élément essentiel était le tracé En effet, Nancy Stark Smith, une des pionnières
Clark. Nancy trouvait cela désolant que, dans des directions vectorielles pour aligner les du Contact Improvisation, mentionnait comment,
sa propre formation, la connaissance du corps, forces en jeu. Il ne s’agissait pas d’étudier les dans le groupe initial de CI, les personnes qui
de son fonctionnement dans le mouvement cycles pour les exécuter correctement, mais pratiquaient la Release Technique semblaient
avait manqué. Elle avait pourtant étudié avec d’éprouver comment cela circulait à partir de avoir un vocabulaire commun à partir duquel se
Margaret H’Doubler à l’Université du Wisconsin, cette conscience corporelle. Il y a énormément référer quand elles suivaient le travail de Steve
qui portait attention à la physicalité du corps, un de niveaux où se déploient les cycles, mais ils Paxton basé sur des images, comme dans la
peu comme Anna Halprin, explorant à partir de commencent toujours très simplement et ils « petite danse », alors que d’autres se forgeaient
mouvements simples, mais Nancy fut frappée sont renforcés par les dessins. leur propre expérience du Contact Improvisation
lorsque Barbara Clark lui demanda de toucher sans disposer de ce background. Cela devait être
l’os du talon et qu’elle n’arrivait pas à le situer Peux-tu décrire plus précisément comment incroyable d’avoir ces deux lignées réunies dans
dans son corps. Son enseignement ne consistait agissait le tracé de ces cycles ? une pièce pour pratiquer ensemble.
pas uniquement à obtenir une connaissance Dans son enseignement Nancy Topf proposait
anatomique, mais à savoir comment utiliser le d’étudier les formes anatomiques et leur Probablement que ce croisement a influencé
corps de façon anatomique. fonction, mais elle s’attachait surtout à la réciproquement les deux pratiques. Pourrais-
manière dont elles ont été conçues, leur design, tu nous expliciter si c’est le cas et en quoi elles
Quel rôle jouait le dessin dans son comment les forces mécaniques agissent dans se sont nourries mutuellement ?
enseignement ? le mouvement pour telle ou telle partie du corps. Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard
Un des aspects les plus stimulants de sa Elle nous amenait à comprendre/ressentir ces que j’ai eu l’occasion de rencontrer ces deux
pédagogie était l’intégration du dessin, ainsi que trajets. Par exemple, un de ses cycles favoris filiations, mais ce qui semblait notable c’est que
le développement de partitions de mouvement. était celui de la poussée vers le haut du psoas : les personnes venant du Contact tendaient à une
Il ne s’agissait pas juste de se représenter la comment le psoas s’origine dans les jambes et attitude d’observation directe des phénomènes
forme, du sacrum par exemple, mais de le monte en diagonale vers la colonne vertébrale, physiques, alors que le travail de Nancy Topf était
ramener dans la globalité du corps. Si tu perçois provoquant ce contre-effet d’élever la colonne. plus nettement orienté vers l’imagerie. Quand
l’arrière de la gorge comme relié au sacrum, Et comment ensuite l’appel de la gravité attire j’ai rencontré les étudiants de Mary Fulkerson,
alors tu acquiers ce sentiment de profondeur vers le bas les deux moitiés du bassin, qui j’étais surprise de voir qu’ils ne savaient
parfois même pas précisément où se trouvait
le sacrum dans le corps. J’ai pu observer dans
l’enseignement de Dany Lepkoff comment, après
une dérive dans les contrées de l’imaginaire en
solo, on peut revenir au corps avec un exercice
en duo, par exemple, où l’on doit vraiment
négocier avec la physicalité d’un autre. J’ai
toujours admiré la différence de cette approche,
ces danseurs disposaient d’informations que
nous n’avions pas nécessairement intégrées
dans notre pratique. Mais le toucher était en tout
cas toujours utilisé dans le travail avec Nancy.
DOS SIER
. ndd
c o o r d o n n é pa r a l e x i a p s a r o l i s
La danse face
écologique influe sur leur pratique artistique. virus). À l’heure du recyclage, la fabrication de rité, ont été rédigés avant la crise sanitaire.
p.
→ Penser avec les pratiques chorégraphiques
AUTOMNE 20 . N° 78
pour habiter autrement la Terre
| pa r J oa n n e C l av e l et C a m i l l e N oûs
. ndd
Au temps des catastrophes écologiques, et présente de nouveaux corps dansants flui- libertaires, anti-guerre et raciaux, ou encore
des et extatiques 6. Elle lit et admire l’un des les épreuves rencontrées par un individu ou
les artistes du champ chorégraphique
pères scientifiques de l’écologie, E. Haeckel, une communauté face au sida ou au cancer.
commencent à se revendiquer d’un enga- « le plus grand iconoclaste du monde depuis Dès les années 1960, les Halprin travaillent à
Charles Darwin », puis le côtoie intimement. concevoir un art participatif 10, à comprendre
gement écologique qu’ils endossent face
Leurs échanges renforcent une forme de cri- comment faire communauté et comment l’art
aux mutismes des politiques et du secteur tique au dualisme moderne : les danses peut se mêler à la vie. Ainsi, elle participe au
d’Isadora sont pour Haeckel une expression développement de danses militantes qui s’in-
économique.
du monisme 7, tandis qu’Isadora critique le ra- ventent à la croisée de l’art, du soin et des
tionalisme scientifique et par là les formes de danses spirituelles. Enfin, ces multiples re-
Immersion dans l’environnement plus ou
séparation corps-esprit. Isadora exprime éga- cherches somatiques présentent des danses
moins anthropisé, danses multi-espèce 1, pra-
lement un engagement certain pour la cause de la sensation, faisant du corps l’occasion
tiques « en situation » 2, réinvention de pen-
animale, inspirée des productions de l’artiste d’un voyage intérieur inédit.
sées du geste, bricolage de pratiques sociales,
George Bernard Shaw. « Tant que nous ser-
formes d’« artivisme »… Si ces expériences
vons nous-mêmes de tombeaux vivants aux Simone Forti, l’une de ses élèves et grande
sont parfois marginalisées des formes choré-
animaux assassinés, comment pouvons-nous actrice de la post-moderne dance américaine,
graphiques dominantes, elles sont entrelacées
espérer le règne de la paix sur la Terre ? » 8, commence des observations minutieuses des
avec d’autres pratiques sociales, esthétiques
écrit-elle. Elle pense d’ailleurs que ce régime mouvements et comportements des animaux
et politiques, qui font de la danse un terreau
végétarien participe à la bonne santé de ses au zoo de Rome en 1968. Elle étudie et analyse
fertile pour penser les enjeux écologiques
élèves, les duncaniennes, et favorise leurs les mouvements de différents animaux : des
dans leur complexité.
rapides apprentissages. ours polaires, des lynx, des chimpanzés, des
otaries… De cette activité elle puise de multi-
En passant par une action souvent collective,
Plusieurs décennies plus tard, Anna Halprin ples savoirs éthologiques mais aussi kinesthé-
les artistes proposent des dispositifs expé-
réinvente les conditions d’un art chorégra- siques qui animeront ses danses comme ses
rientiels. Au vu de l’arsenal de capture d’atten-
phique ancré sur un territoire. « Mon existence travaux graphiques. Elle note par ses observa-
tion de nos milieux 3, ils participent à la réap-
et mon travail sont indissociables des rythmes tions des coordinations étonnantes, des quali-
propriation de notre capacité de faire
de cette terre, de ses changements et de ses tés gestuelles diverses, des changements de
l’expérience du monde. Certains proposent de
subtiles évolutions. » 9 Si depuis les années rythmes soudain accompagnés de transferts
vivre des expériences « en » nature et « de »
1950 les chorégraphies et explorations du de poids précis, des tenues d’équilibre insoup-
nature, à l’aide d’outils affutés et spécifiques
mouvement de Halprin ont transformé consi- çonnables, des étendues de gestes et des
aux danseurs : leurs savoirs théoriques
dérablement le développement de la danse et usages de l’espace étrangers à nos conditions
comme leurs techniques corporelles. Les ar-
de la performance, c’est particulièrement par humaines. 11 Ces observations deviennent des
tistes développent ainsi des savoir-faire et
son attention aux relations : relations à inspirations kinésiques fécondes lors de simu-
savoir-sentir des lieux et des êtres vivants
l’environnement – naturel, urbain mais aussi lations en miroir ou, de retour au studio. Pour
– humains et au-delà de l’humain – inédits
social –, relations aux soins des autres et de Forti, « la danse a presque toujours été une
nous aidant à faire émerger la « présence »
soi. En effet, son travail en collaboration façon d’explorer la nature. (…) Je m’identifie à
des êtres, dans un « faire » à faible empreinte
étroite avec son mari Lawrence Halprin, archi- ce que je vois, je compte sur sa qualité, sa na-
sur les autres vivants.
tecte paysagiste, se déploie dans une diversité ture ou son ‘esprit’. C’est un processus ani-
de milieux et d’échelles, accompagnant ainsi miste. J’ai la sensation de ne plus faire la dis-
À l’heure où les crises économique, politique
les mutations urbaines que connaissent les tinction entre les objets que je percevais
et environnementale appellent à de nouvelles
villes américaines, les mouvements sociaux là-bas, de ne plus les percevoir ni me perce-
façons de penser et de vivre, nous pensons que
les artistes chorégraphiques développent des
imaginaires et des savoir-faire de la « fruga-
lité du vivant » compatible avec un mode de vie
écologique. Pour penser « avec ou pour » ces
artistes, il est utile de retracer une perspec-
tive historique sur laquelle s’appuyer, étayer
les différentes valorisations du vivant pour in-
venter et ouvrir la voie à des formes d’habiter
écologiques. Mes expériences m’amènent à
mobiliser à la fois des artistes états-uniens
majeurs du XXe siècle ainsi que des artistes
discrets qui activent les marges de la danse
contemporaine française, mais il est bien sûr
Cie Du Petit Côté Pour qui tu te prends ©Maïa Jannel
voir moi-même. » 12 Simone Forti participe gestion et de redistribution énergétique. Par la Joanne Clavel est chargée de recherche au
également à la réhabilitation des gestes pay- respiration 20, ce sont cette fois-ci les échan- CNRS, LADYSS. Pendant près de dix ans, elle
sans, ceux qui cultivent pour se nourrir et se ges gazeux avec le monde végétal 21 qui met- étudie au MNHN l’impact des changements
réinsérer dans la chaîne des vivants face à la tent en avant les enchevêtrements de flux, globaux sur la biodiversité. Elle questionne
fragilité de notre condition d’hétérotrophe. traversant un dehors/dedans mais aussi un aujourd’hui les enjeux somatiques et poli-
Elle s’installe en 1988 dans le Vermont et passé/présent 22. Ainsi, les danseurs et dan- tiques de la disparition du vivant. Camille Noûs
cultive la terre ; ses compagnons de la Judson seuses savourent l’opportunité d’un déplace- est un collectif de chercheurs, appartenant au
Church, Steve Paxton et Deborah Hay, de la ment sans visée dont ils relatent l’expérience laboratoire Cogitamus.
Mad Brook Farm, deviennent ses voisins. Les sans projection humaine, souvent sans mots
partitions agricoles traversent les temps et les mais avec leurs gestes. Par un travail sur la
lieux. Au Japon, Min Tanaka et les danseurs de rencontre et ses effets, par le partage d’expé-
Mai Juku travaillent leurs pratiques dansées riences communes avec ces autres provo-
dans la ferme Hakushu Body Weather Farm, quant des ressentis étrangers, déplacés, trou-
fondée dans les années 1980 13. L’effort phy- blés, ce sont des visions radicalement 1 Cf les multispecies studies développées notamment en
anthropologie environnementale ou en biosémiotique.
sique des cultivateurs, leurs gestes précis et différentes qu’ils entrevoient : l’idée d’un 2 Site specific dance cf Hdr Julie Perrin, Questions pour une étude
spécifiques selon chacune des plantes culti- monde plurivoque. de la chorégraphie située, Hdr Université de Lille, 2019. Victoria
vées et soignées, participe au travail quotidien Les danseurs contemporains développent un Hunter, « Experiencing Space: Some Implications for Site-Spe-
cific dance Performance » in Contemporary Choreography:
des danseurs. Ces deux arts de la relation aux art de l’attention des êtres vivants considé- A Critical Reader. Routledge, London. 2017. Karen Barbour,
vivants sont des pratiques du don, qui se rable. Ils sentent la manière dont ils nous font « Backyard activisms: Site dance, permaculture and sustainab-
transmettent sans brevet, redéfinissant les signe, parfois par le simple ressenti de leurs ility », Choreographic Practices, 10:1, p. 113–25, 2019.
3 Jonathan Crary, 24/7 : Le Capitalisme à l’assaut du sommeil,
contours d’un art libre et autonome. Plus présences en développant des capacités inédi- Zones, 2014.
proche de l’échange qui pense l’inter et l’in- tes et des techniques du corps bien précises. 4 Ferdinand M., Une écologie décoloniale, Paris, Seuil, 2019 ;
tra-activité des relations, les écologies de- Ce travail somatique du sentir ouvre de nou- Hache E., 2016, Reclaim, recueil de textes écoféministes,
Cambourakis, Paris.
mandent à articuler les échelles et notamment velles perspectives de faire l’expérience des 5 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Gallimard, 1998 (1928),
l’impact des pratiques. Ainsi, ces milieux vivants et de leurs mondes riches, dévelop- p. 218-219.
conceptualisent par la pratique des formes pant des pensées-pratiques relationnelles 6 Cf les travaux de recherche de Katharina Van Dyk.
7 Le monisme est un courant philosophique qui pense la
d’autonomie alimentaire et énergétique. pour les « faire compter » autrement dans nos matière et l’esprit indissociable ; le biologiste Haeckel a con-
mondes et sortir de l’écocide actuel. tribué à cette réflexion en mettant en avant l’empirisme et en
s’opposant à la création divine.
De la mise en scène du vivant à son sentir 8 I. Duncan, ibid, p. 382.
Pour conclure, ces différentes formes de valo- 9 A. Halprin Mouvements de vie, Bruxelles, Contredanse,
Les chorégraphes semblent attribuer de mul- risation du vivant participent à une critique p. XII (trad. E. Argaud, D. Luccioni), 2009.
politique du modèle productiviste qui a pro- 10 L. Halprin, The RSVP Cycles. Creative Processes in the Human
tiples valeurs non marchandes aux vivants Environment, New York, George Braziller, 1969 ; L. Halprin,
– intrinsèque, relationnelle, écocentrée… – gressivement investi le monde du savoir et des J. Burns (dir.), Taking Part. A Workshop Approach to Collective
qu’ils estiment partager pleinement au point arts vivants. Le nombre de publications Creativity, The MIT Press, 1974.
comme le nombre de représentations ou le 11 Cf J. Perrin, « Une lecture kinésique du paysage dans les
d’essayer de penser de nouvelles perspecti- écrits de la chorégraphe Simone Forti », in Lambert Barthélémy
ves, de penser « comme une montagne » 14, nombre de spectateurs, indépendamment du (coord.), Imagination(s) environnementale(s), Raison publique.
mais aussi d’incorporer ce point de vue, c’est- contenu, de l’originalité, de la richesse de l’en- Arts, politique et société, Presses universitaires de Rennes,
quête, de l’enjeu questionné posé, bref de la n° 17, hiver 2012, p. 105-119 ; J. Clavel, A-G Huellec,
à-dire d’être en capacité de se sentir amibe, de P. Takegami-Martinez, « De l’observation à la danse, incorpo-
se sentir cachalot, de se sentir jaguar 15. Ce qualité, sont devenus les indicateurs de la va- ration de l’altérité animale », in Michel Briand (dir.), Corps (in)
travail est à la fois une fiction, un imaginaire, leur du travail. La perte de valeurs opère éga- croyables. Pratiques amateur en danse contemporaine, Pantin,
lement dans la transformation des processus Centre national de la Danse, p. 111-123, 2017.
une croyance, une représentation par l’incar- 12 S. Forti, Oh, Tongue, Genève, Al dante, (trad. C. Marchand-
nation, une exploration de la matérialité et en artefacts « marchandisables », une œuvre Kiss), 2009 (2003), p. 151.
parfois bien plus encore. Il stimule un renou- sans l’expérience de vie qui s’y invente, sans 13 Fond Christine Quoiraud et recherche Body Weather Labora-
les rencontres qui surprennent et changent le tory: laboratoire du toucher au Centre national de la Danse
veau poétique du geste et de nouvelles pra- de Pantin, 2018, Exposé de recherche en février 2020.
tiques comme le montre cet écrit de Deborah cap des explorations, sans la longue tempora- 14 Cf. Leopold, Aldo, Sand Country Almanach. Oxford,
Hay « Mon corps se construit et se maintient lité nécessaire au travail somatique ; bref un Oxford University Press, 1949.
modèle complexe sans émergence est un non- 15 Références respectives au : BMC, fiction corporelle de Nord-
dans la danse par l’imagination : je transforme mann, propositions perspectivistes de Vivero de Castro.
le corps tridimensionnel en un incommensu- sens écologique. Alors, si une partie des dan- 16 Deborah Hay, Mon corps, ce bouddhiste, Dijon,
rable ensemble de 53 milliards de cellules, seurs contemporains sont porteurs d’un ho- Les presses du réel, 2017, p. 22.
rizon sociétal écologique c’est que leurs 17 Barad K. 2016, « La grandeur de l’infinitésimal. Nuages de
toutes perçues en train de percevoir simul- champignons, écologies du néant et topologies étranges de
tanément. » 16 Ces nombreuses pratiques du pratiques sont une précieuse invitation au l’espacetempsmatérialisant », Multitudes n° 65, p. 64-74.
sentir retracent à la fois notre phylogenèse, voyage, au plaisir et à la découverte, et ce, 18 Les microbiotes sont un ensemble d’organismes divers :
sans que ces gestes n’affectent d’autres es- protistes, mycètes, bactéries et archées qui vivent dans des
l’histoire commune de notre matérialité entre microbiomes. Notre bouche, notre peau, notre estomac sont
vivants, mais également les sensations inté- paces-temps du monde. Danser produit des des microbiomes pour ces organismes vivants.
roceptives de nos cellules offrant l’occasion de effets pour les personnes en présence par la 19 Clavel J. & Ginot I. « Pour une écologie des somatiques ? »,
seule énergie du vivant : par l’écoute, le soin et Revista Brasileira de Estudos da Presença, 5(1), 2015,
sentir l’altérité du vivant qui est en nous. Ce p. 85-100.
ressenti ne concerne pas que le danseur avec la reconsidération 23 des autres les individus et 20 Clavel J. & Legrand M. « Respirations Communes : les
lui-même, mais s’engage avec des formes les communautés renforcent leur puissance pratiques somatiques comme créativités environnementales »,
d’altérité radicale, dans un vivre-ensemble d’agir, des alliances avec l’altérité à toutes les in Écosomatiques, penser l’écologie depuis le geste, dir. Bardet
M., Clavel J., Ginot I., Montpellier, Deuxième époque, 2019, p.
multi-espèce, une nature intra et interac- échelles des vivants se créent. Ces pratiques 23-46 ; Clavel J., Se sentir Vivant : Respirer, Voyage intérieur,
tionnelle 17. Cette fois l’accent est mis sur des humaines s’autoalimentent et ne détruisent atelier dans le cadre de La pensée coulisse de M. Suchet,
sensations de partage, celui d’un corps éco- pas le monde, ni n’exploitent les humains Théâtre Le Tarmac, Paris, 2017.
21 Et plus largement l’ensemble des vivants qui respirent.
système peuplé de microbiotes 18, plus nom- comme les non-humains, ces pratiques non 22 Les cyanobactéries et le monde végétal ont construit nos
breux que les cellules du soi 19. Ces non-hu- extractivistes ont quasiment disparu en Occi- conditions d’habitabilité de la Terre en transformant il y a des
mains vivants permettent aux hommes de dent, c’est en cela qu’une culture des pen- milliards d’années l’atmosphère.
8
. ndd
→ Voyager moins, plus lentement et autrement
Vers une mobilité plus durable dans le secteur artistique
| pa r j e roe n p e e t e r s
Les informations et les analyses portant identitaires qui découlent de la question normal des choses « à la maison », sont les
climatique et les réorienter vers une recherche premières raisons qui poussent au voyage.
sur le changement climatique et la crise
d’une autre pratique plus durable en matière Mais jusqu’où faut-il aller pour explorer de
socio-écologique qui en découle sont au- de mobilité internationale artistique ? nouveaux horizons ?
jourd’hui omniprésentes. Outre le trafic
Dans le secteur artistique, la conscience Viennent ensuite la rencontre et le dialogue.
automobile quotidien, les voyages aériens s’étend progressivement aux conditions de Certains contextes s’orientent vers l’échange
travail et à la rémunération correcte. Le déve- ou la recherche (pensez aux festivals, congrès,
réguliers ont un impact énorme sur notre
loppement d’un tel ethos doit aussi être pos- laboratoires, ateliers, académies d’été), mais
empreinte écologique. sible dans le domaine du respect de l’envi- là se pose à nouveau la question des condi-
ronnement et du développement durable. Pour tions annexes. Y a-t-il suffisamment de temps,
Si nous souhaitons freiner le réchauffement y parvenir, nous avons autant besoin d’une d’espace, de sérénité et d’ouverture pour auto-
catastrophique de la planète, il faut nous autre manière de voyager que d’un langage lui riser de vraies rencontres (ou d’autres, impré-
contenter de voyager moins et trouver des al- donnant forme et permettant de communiquer vues) ? Cette pensée s’accorde difficilement
ternatives, car il n’existe pas de solutions tech- à son sujet. Quelles histoires nous racontons- avec la vitesse du voyage et la pensée axée sur
nologiques miracles immédiates en matière de nous ? En voyageant, quelles histoires écri- l’efficacité, bien ancrée elle aussi dans le sec-
mobilité internationale. Au sein du secteur ar- vons-nous avec nos corps et leurs extensions teur artistique. Les professionnels de la
tistique actuel, ceci engendre des conflits technologiques ? Quand le voyage internatio- culture et les artistes hautement qualifiés
parce que la recherche, la production et la nal prend-il vraiment tout son sens ? prétendent pouvoir se placer au-dessus de la
diffusion sont aujourd’hui adaptées à un mar- mobilité superflue ou injustifiée par la nature
ché international. De plus, la mobilité interna- Voyager pour se développer de leur travail. Leur capital culturel et leur
tionale est un moteur que l’on peut qualifier rejet des attitudes bourgeoises forment ainsi
d’important lorsqu’il s’agit d’acquérir du capi- Pourquoi les artistes et les professionnels de une justification assez cynique pour, surtout,
tal symbolique, et elle est intimement liée à la culture voyagent-ils ? Pour élargir leurs n’abandonner aucun privilège. Par définition,
une certaine conception de la liberté qui défend horizons, prospecter, trouver l’inspiration, le voyage est-il, pour les artistes et les profes-
ardemment l’efficacité, la flexibilité, l’accessi- pouvoir se joindre au débat portant sur la der- sionnels de la culture, plus pertinent et donc
bilité et la disponibilité. L’artiste qui voyage, qui nière exposition en vue. Pour développer leur « plus noble » que pour les autres citoyens ?
est « autonome », n’est pas qu’une mascotte réseau, échanger avec la scène artistique lo- La conception de l’artiste ou du professionnel
abstraite de cette conception de l’humain, non, cale et s’enrichir de ses propres manières de de la culture qui, au nom de nombreux autres,
la mobilité internationale parle de nous, des travailler, de s’organiser, de regarder et de est productrice de sens se heurte ici aux ques-
valeurs et des expériences qui nous ont mode- parler. Pour faire de la recherche artistique, tions sociales et éthiques liées à la justice
lés. Leur dire adieu – en tant qu’être humain, notamment sous forme de travail de longue écologique. Les conséquences de la crise cli-
artiste ou acteur du monde culturel, en tant durée dans une communauté locale. La sus- matique toucheront bien entendu d’abord les
que secteur et en tant que société – est donc pension des routines quotidiennes et le déve- régions plus pauvres du monde. Combien de
loin d’être évident. Comment pouvons-nous loppement d’un regard étranger sur soi- temps fermerons-nous encore les yeux face à
9
aborder les conflits moraux et les crises même, qui permettent de questionner le cours cette mobilité excessive ?
p.
Pourtant, un regard sociologisant est trop de l’évidence en Flandre, tandis que la mobilité base d’un élan individuel à transmettre à ses
AUTOMNE 20 . N° 78
simple, précisément parce que notre pratique abordable facilite l’accès à un marché dans le collègues et à d’autres organisations.
quotidienne nous offre rarement une position reste de l’Europe (et au-delà). Il est normal de
si claire et distante. Les artistes (et par exten- vouloir présenter autant de fois que possible Pourtant, un soutien large est nécessaire à
sion les professionnels de la culture) sont au- un spectacle sur lequel on a travaillé pendant une telle transition de la propre pratique et de
jourd’hui des anthropologues de terrain qui des mois. Plus qu’un argument économique, ses conditions d’existence. Comment pou-
expérimentent avec les significations dont se les invitations internationales sont surtout at- vons-nous, au sein du secteur culturel, parve-
nourrit une société. La globalisation, la crise tirantes par ce qu’elles promettent : la ren- nir à un changement structurel global ? Ceci
écologique et le voyage font partie intégrante contre avec d’autres publics, la chance de dé- signifie donner une autre forme à nos maniè-
.
du monde complexe actuel. La conscience de couvrir des lieux que l’on ne connaît pas res de produire, de diffuser et de collaborer,
ndd
notre propre position en relation avec « l’autre » encore, etc. Pour autant qu’elles soient mon- les repenser fondamentalement. Pour cela,
englobe donc aussi une approche potentielle- trées dans un circuit relativement uniforme de une autre culture de concertation et de colla-
ment critique de notre propre pratique et de théâtres et de centres artistiques, les repré- boration est nécessaire, entre nous et avec les
son intégration. Le « récit du développement » sentations peuvent aller à la rencontre de pu- instances politiques. Cet échange ne peut être
par lequel nous justifions notre comportement blics toujours nouveaux dans de bonnes condi- autre que politique, imprégné d’une ci-
de voyage mène-t-il vraiment à d’autres choix tions. Cependant, cette « conquête » de toyenneté artistique et mondiale à la compo-
spécifiques ? À quel moment le voyage a-t-il un nouveaux publics a-t-elle toujours du sens sante socio-écologique prononcée. •
impact positif sur la diversité et la qualité de la pour ceux-ci et pour l’œuvre en question ?
production artistique dans notre pays ? Com- Quand le voyage dans un but de présentation Traduit du néerlandais par Judith Hoorens
ment les histoires que nous nous racontons a-t-il vraiment du sens ?
contribuent-elles à générer de nouvelles
formes de citoyenneté mondiale et écologique ? Comment prend-on en considération la valeur
véritable de l’échange ? Cette vision mène-t- Jeroen Peeters est essayiste et dramaturge. Il
Produire en résidence elle vraiment au rejet d’invitations arbitraires ? écrit sur la danse contemporaine et des
Comment pouvons-nous créer plus de contexte thèmes tels que l’attention, le savoir incor-
Certains artistes ont fait du voyage ou du tra- autour de la présentation d’un spectacle ? poré, la culture de la matière et l’écologie.
vail prolongé dans un lieu déterminé ou au Rester plus longtemps sur place ou revenir
sein de communautés locales le cœur de leur dans certains lieux a du sens, car cela permet
pratique artistique. Ils cherchent des possibi- de développer et d’entretenir des contacts
lités de s’exposer à un contexte étranger et avec une scène locale et son public à plus long Ce texte est une version abrégée d’un article ré-
d’intégrer ces expériences à leur travail. Dans terme. D’un point de vue du développement digé à la demande du Kunstenpunt dans le cadre
cette optique, les résidences internationales durable, le désavantage est que ce type de de « re/framing the international » en février
choisies avec soin présentent un enjeu clair de relations implique un attachement humain 2018. La version complète est disponible en an-
recherche artistique. Le plus souvent, la moti- poussant sans doute à voyager plus. glais et en néerlandais sur www.kunsten.be.
vation sous-jacente à la production en rési- En dehors de l’attention pour les lieux locaux,
dence est cependant tout autre : les résiden- il faut s’attarder sur la question du voyage à
ces offrent la possibilité de se retirer proprement parler. Souvent, le voyage est
temporairement et de pouvoir travailler loin perçu de manière trop instrumentale, comme
des soucis et des distractions du quotidien. En un simple « déplacement » abstrait ou un pro-
y regardant de plus près, les voyages interna- duit dérivé évident de l’œuvre et des
tionaux (lointains) n’ont pas de raison d’être circonstances économiques. Se précipiter
pour ce genre de résidence, car des conditions sans réfléchir de l’aéroport au théâtre puis à
identiques peuvent être trouvées plus près de l’hôtel pour inscrire une œuvre dans le monde
chez soi. En pratique, la production en rési- mène, paradoxalement, à la pauvreté dans le
dence prend cependant régulièrement la monde. Qu’apporterait une autre manière de
forme d’un filet de sécurité économique pour voyager, plus lente, par exemple en train, en
des artistes travaillant dans des situations termes d’expérience et de savoir incorporé ?
précaires. Il reste néanmoins une illusion pro-
blématique qui rend l’argument économique Vers une autre mobilité
insoutenable, selon laquelle les honoraires
seraient plus élevés et les conditions de travail Que faire ? À la lumière de la crise climatique,
meilleures ailleurs. Pourquoi ne sommes- l’appel à un changement systémique et à une
nous pas capables, dans notre riche Flandre, citoyenneté écologique se heurte aujourd’hui à
avec son solide système de subsides artis- un système sociétal figé par les habitudes his-
tiques, de mieux faire ? toriques, les lobbies puissants, les insuffisan-
ces de réglementation et les autorités défail-
Le prestige du travail international pose un lantes. Changer nos comportements et
sérieux obstacle. Prenez l’exemple d’une com- renverser les pratiques de production de tout
pagnie de danse qui travaille avec une équipe le secteur artistique est donc une affaire aussi
de 15 collaborateurs issus d’autant de pays, complexe que laborieuse. Les individus et les
qui doivent tous voyager pour une production. organisations peuvent développer un « ethos
N’y a-t-il pas de collaborateurs qualifiés moins flexitarien » en matière de mobilité
éloignés ? Ou le regard soi-disant mondial internationale en voyageant moins, plus
est-il devenu la nouvelle norme ? La relocali- lentement et autrement : en posant systéma-
sation de la production représente un défi, tiquement la question de la nécessité d’un
mais le principe du cosmolocalisme (et son voyage à l’étranger, en refusant activement les
point de départ « design global, manufacture invitations, en donnant la priorité au train pour
local ») ne peut s’appliquer purement et sim- les voyages internationaux et en ne prenant
plement aux arts, précisément parce que le l’avion que de manière exceptionnelle (et en
savoir incorporé est au cœur de la pratique. compensant les émissions), en restant plus
D’autre part, pouvons-nous imaginer un longtemps dans un lieu et en y multipliant les
monde où nous restons chez nous et revalori- interactions, ou en élargissant une tournée à
sons le travail local ? Pouvons-nous, en tant d’autres lieux de représentation.
que secteur artistique, mieux accorder nos
structures de production à cette conception ? Cette attitude de principe permet de réduire
l’empreinte écologique de manière systéma-
Tournées tique. Dire adieu à des modèles familiers n’est
pas seulement une austérité imposée à soi-
Les tournées (représentations, concerts, même, mais aussi un « processus d’apprentis-
conférences, etc.) représentent une part sage » dans lequel de nouvelles expériences,
10
AUTOMNE 20 . N° 78
Entretien avec Bénédicte Linard
| prop o s r e c u e i l l i s pa r i sa be l l e m e u r r e n s
. ndd
Justice sociale, mobilité, crise climatique… culture ouvrière au XXe siècle à travers les visible, c’est un vrai choix de se dire que, pour
comment penser la culture à partir de maisons du peuple comme à travers la création construire ce monde avec le citoyen, on a
du Théâtre National, par exemple. Du côté des besoin des artistes au cœur de la société pour
l’écologie ? Rencontre avec Bénédicte Li- partis libéraux, si les subventions constituent décoder ce qu’on fait aujourd’hui et pour
nard, ministre de la Culture en Fédération toujours la pierre d’achoppement entre monde projeter ce qu’on veut être demain. C’est aussi
culturel et pouvoir politique, les institutions une façon de lutter sur ce qu’on ne veut pas
Wallonie-Bruxelles. culturelles trouvent grâce, par la théorie des que le monde devienne. La culture est un
retombées : une ville à offre culturelle forte levier fondamental pour lutter contre les
attirera davantage les métiers créatifs et, par obscurantismes, le repli sur soi, les
En France, lors des élections municipales de conséquent, les entreprises. mécaniques de complotisme, et pour
mai 2020, Bordeaux, Lyon, Strasbourg sont construire le monde dont on rêve.
passées aux Verts. Une nouvelle accueillie La relation entre le parti Ecolo et le monde
avec une certaine ambivalence par les culturel est une histoire récente, puisqu’en En quoi les enjeux classiques de l’écologie
travailleurs culturels. « Ils ont souvent la fibre Belgique, depuis un an et pour la première politique (gestion des ressources, mobilité,
verte dans l’isoloir, mais, pour leur métier, la fois, c’est une ministre issue du mouvement gouvernance…) peuvent-ils être de nouveaux
fébrilité les gagne, estimant, à tort ou à raison, écologiste, Bénédicte Linard, qui détient ce apports pour la politique culturelle ?
qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner », pointe portefeuille. Ce poste n’avait jamais été D’une vision du monde découle des choix. Les
Michel Guerrin dans sa chronique du Monde le revendiqué, à notre connaissance, par ce parti, deux appels qu’on vient de lancer dans le
3 juillet dernier. qui a participé, il est vrai, à quatre cadre d’un « Futur pour la culture » visent à
gouvernements de l’histoire de la Fédération soutenir la création et le travail des artistes,
Entre le Parti socialiste et la culture, l’histoire Wallonie-Bruxelles. Au niveau local, le parti en développant à la fois un travail avec le
s’écrit depuis plus d’un siècle. Le PS, ex-Parti est davantage implanté, mais là aussi, à territoire et avec les publics, grâce à des
ouvrier belge, a constitué à la fois un porte- quelques exceptions notables près, l’échevinat bourses et des résidences. Lorsqu’on travaille
voix et une condition de possibilité pour la de la culture est rarement revendiqué. à l’ancrage de la culture dans un territoire, on
Pourquoi ? Voilà la question que nous nous travaille aux droits culturels. Il y a un parallèle
sommes posée. L’écologie politique s’est également entre l’enjeu de la biodiversité et la
construite à partir de revendications nécessité de la diversité au sens large, autant
environnementalistes : santé, environnement, à l’intérieur du monde culturel que des
mobilité restent les domaines de prédilection. cultures. La vie a besoin de la diversité au sens
Par ailleurs, la culture est un arrachement à la où l’on entend biodiversité et donc cette notion
nature. Or, on sait que les écologistes de diversité jalonne nécessairement les
entretiennent une certaine méfiance pour qui politiques culturelles. Et puis surtout, parmi
rompt l’équilibre naturel, la technique et la les enjeux écologiques, il y a la question de la
technologie, voire plus largement toute justice sociale, et moi-même je suis davantage
création d’artefacts. Enfin, c’est l’épuisement mue par les questions de justice sociale que
des ressources qui tient lieu de fil rouge à par celles du réchauffement climatique, par
l’écologie politique. C’est vrai pour tout ce qui exemple. La justice sociale sous-tend toutes
touche aux fondamentaux (énergie, mobilité), les mesures que je prends et cela nécessite de
mais aussi pour penser l’accès à la justice ou soutenir ceux qui en ont le plus besoin. C’est
la régularisation des sans-papiers… Or, à ce qui motive par exemple mon combat auprès
l’inverse de l’énergie ou de l’eau, la culture est du gouvernement fédéral par rapport au statut
une ressource dont l’accroissement est de l’artiste ; je veux prendre ma part pour
potentiellement infini : plus elle se partage, construire un statut en phase avec la réalité.
plus elle croît. Voilà ce qui nous taraudait
jusqu’à notre entretien avec Bénédicte Linard. On entend souvent les artistes préoccupés
Une rencontre qui permit à la ministre de par les enjeux environnementaux vouloir
mettre entre parenthèses la gestion réduire les impératifs de mobilité, mais
journalière et de revenir aux valeurs qui est-ce qu’il n’y a pas parfois une forme de
l’animent, et à nous de comprendre comment paradoxe entre la question de l’accessibilité
la posture de l’écologie politique, qui nous pour tous les publics à une diversité de l’offre
semblait restrictive, pouvait en réalité amener culturelle et le fait de réduire la mobilité
une vision exigeante et originale de la culture. artistique ? N’y a-t-il pas un risque de repli
Anna Halprin © F. Corin/B. Andrien
sur soi ?
Que signifie pour vous être une ministre de la C’est totalement complémentaire : travailler
Culture issue du parti Ecolo ? sur une culture de proximité et la mobilité des
Il faut savoir qu’Ecolo c’est en Belgique au artistes. C’est tout l’intérêt des résidences
départ un acronyme pour « Écologistes d’artistes : bouger et aller porter un projet
confédérés pour l’organisation de luttes quelque part. C’est aussi intéressant de mettre
originales ». Le mot « lutte » fait donc partie de en contact les artistes d’un territoire avec leur
l’histoire du mouvement, que ce soit en termes territoire, mais cela ne doit pas empêcher les
de droit des femmes, de défense des sans- échanges, le partage… Cette nécessité
papiers, de défense de l’environnement. Cet d’ouverture est vraie pour les artistes et pour
engagement amène une grande confiance la diversité des formes ou des thématiques
dans le travail collectif. Le travail collaboratif, présentées aux publics. Néanmoins, la
le rapport entre l’individu et le collectif, fait question des déplacements est importante, le
partie de l’ADN des écologistes comme de dérèglement climatique peut être une menace
celui des artistes. Une autre similitude est la pour les droits culturels. Lors de catastrophes,
démarche interrogative. Si on veut construire les publics précarisés sont les premiers privés
un monde nouveau, on a besoin d’être éclairé de la jouissance des droits culturels.
et la démarche interrogative c’est aussi la
11
démarche du monde culturel. Si le choix du Vous héritez d’un décret sur la bonne
portefeuille de la culture n’a pas toujours été gouvernance-thématique chère à Ecolo, qui a
p.
permis la reconnaissance des fédérations, la impression de vous battre pour un secteur
AUTOMNE 20 . N° 78
réorganisation des instances d’avis… sans que vos collègues des autres
Pourquoi, pour réfléchir au futur de la gouvernements ne vous entendent ?
culture, ne pas avoir activé le Conseil La crise a mis le doigt sur quelque chose qui
supérieur de la Culture en vous appuyant précédait. Le secteur culturel est un secteur
davantage sur les fédérations ? méconnu, voire parfois méprisé par certains.
Le décret « bonne gouvernance », arrivé en fin Il a fallu plusieurs semaines pour que les
de législature, n’est pas encore opérationnel, communications officielles du niveau fédéral
le Conseil supérieur de la Culture n’existe pas ne mentionnent ne fût-ce qu’une seule fois le
.
travaillé avec les fédérations, qui travaillent de sanitaires et des enjeux économiques, sans
façon sectorielle. Pour le projet « Un futur considérer que le secteur culturel, pourtant
pour la culture », on a donc choisi de réunir 52 un des plus durement touchés, est ne fût-ce
personnes pour avoir une sorte de panel qu’un acteur économique. Cette crise aura au
constitué de la société civile et d’experts afin moins permis de faire réaliser à davantage de
d’avoir une vision transversale des politiques gens, y compris des politiques, que les artistes
culturelles qui pourraient exister à court, sont des travailleurs. Derrière une chanson
moyen et long terme. Pour le court terme on a qu’on écoute ou un film qu’on regarde à la télé,
sorti deux appels à projets. Pour la suite, ce il y a des personnes, beaucoup de personnes.
rapport a été remis aux fédérations et aux Cette crise a aussi mis le doigt sur la nécessité
chambres de concertation, afin de l’enrichir absolue de travailler ensemble à différents
pour l’opérationnalisation du redéploiement à niveaux de pouvoir (local, communautaire,
moyen et long terme. régional, fédéral), non seulement pour
traverser la crise et refonder le statut d’artiste,
Vous, comme personne d’ailleurs, n’étiez mais aussi pour penser le monde autrement.
préparée à ce qui allait s’opérer depuis le
mois de mars. Sur quoi s’appuie-t-on ? Dans la note « Un futur pour la culture », il
Comment pensons-nous prendre de « bonnes est beaucoup question de médiation et de
décisions », comment construit-on un avenir l’importance de faire participer tous les
quand tout semble inconnu, et que le présent publics de tous les âges à la vie culturelle,
semble se dérober ? mais lorsque votre collègue Caroline Désir,
De tout temps l’être humain a été confronté au ministre de l’Enseignement, annonce
monde et à ses manifestations, qu’il n’a pas l’interdiction des sorties aux spectacles ou
toujours comprises. Face à cela, soit on subit aux musées pour le secondaire, n’avez-vous
ce qui se passe et on laisse le pouvoir à des pas l’impression que les choix qui sont opérés
gens qui pourraient en profiter, soit on accepte sabordent vos propres politiques ?
d’entendre, de voir, de travailler ensemble Cette recommandation qui émane du Celeval
avec ce qu’on sait. C’est le cas aussi de la crise résulte d’une position purement sanitaire de la
climatique : si on accepte d’entendre ces gestion de crise. Avec Caroline Désir on est en
jeunes qui manifestent pour leur futur, si on train de travailler pour lever cette décision le
accepte de voir ce que les experts nous plus rapidement possible, car je sais que le
montrent – pas seulement les experts secteur culturel est prêt pour accueillir les
scientifiques, les fédérations culturelles étant élèves de façon sécurisée. Il faut que les
aussi des experts –, alors on trouve des jeunes aient des expériences culturelles pour
solutions. C’est en travaillant ensemble qu’on décoder ce qu’ils sont en train de vivre et le
gère une crise. Ces contacts réguliers avec les confinement qu’ils ont vécu. On a atteint les
fédérations m’ont servi de boussole, pour limites de la gestion par les robinets qui
garder le cap dans les décisions qu’il fallait génèrent forcément des incohérences. Cela
prendre sur l’aspect des indemnisations, de fait des semaines que je pense que ce n’est
l’organisation du déconfinement et également plus comme ça qu’on doit travailler et qu’on
pour le redéploiement. doit donner des perspectives sur le long terme.
Comme par exemple, le fait de repenser
Durant cette crise, les artistes ont eu le l’espace public autrement pour y mettre plus
sentiment d’être totalement invisibilisés. de culture. On doit faire de la crise une
N’avez-vous pas vous-même eu cette opportunité. •
La ministre de la Culture a créé un groupe de milieu de la danse on retiendra la présence artistes en marge des institutions ou
réflexion composé de différents représentants des chorégraphes Louise Vanneste et Ayelen discriminés. Côté médiation, on retiendra
du monde culturel et associatif de la Parolin, ainsi que celle de la directrice du l’investissement dans l’espace public,
Fédération Wallonie-Bruxelles afin de Jacques Franck, Sandrine Mathevon. Dirigés l’importance d’une présence artistique
proposer des solutions politiques innovantes par Philippe Kaufman, directeur de la durable sur un territoire ou encore celle du
dans le contexte de l’après-crise sanitaire. structure Sur Mars, et Céline Romainville, décloisonnement entre lieu institutionnel et
Ce plan de relance prend comme boussole les professeure de droit et spécialiste des droits « tiers-lieu ». Le numérique constitue le
droits humains, et en particulier la protection culturels, les travaux ont porté sur le soutien troisième axe de cette note, avec la nécessité
et la promotion des droits culturels : le droit à la création, le soutien à la médiation et à la d’investir dans des outils numériques, tant
d’accès à la diversité de la vie culturelle, le participation culturelle, et le numérique. pour ce qui concerne la médiation – puisque
droit de participer à la vie culturelle, le droit à Les priorités pour le soutien à la création sont ceux-ci constituent un « sas d’entrée » dans
l’égalité et à la non-discrimination dans le statut de l’artiste et le respect de la l’accès à la culture –, que pour la diffusion
l’exercice des droits culturels… rémunération pour tout travail artistique ; le d’œuvres, via des plateformes de
refinancement de la création et l’activation de « streaming » par exemple.
Un groupe de 40 personnes au départ, 52 à nouveaux leviers de financement ; la
l’arrivée, s’est réuni en mai et juin pour établir simplification administrative ; le soutien à la Note complète sur culture.be > Un futur pour
un plan prospectif de redéploiement. Du recherche et à l’émergence ; le soutien aux la culture.
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AUTOMNE 20 . N° 78
. ndd
Cie Thor Toumaï © Laeticia Defendini
→ « Les tournées ne vont bientôt plus être possibles »
Entretien avec Thierry Smits
| P rop o s r e c u e i l l i s pa r W i l s on L e P e r s on n ic
Repenser la création et la diffusion de la de boue partout. Je trouvais cette situation terriblement dégoûté par ce festival. J’avais
danse est désormais au cœur des débats insupportable. La première nuit, j’ai invité une réellement l’impression d’assister à une foire
dizaine de personnes à venir dormir au studio, de salon d’automobile, qui, en plus, est divisé
visant à trouver des solutions pour réduire puis chaque soir, le nombre de personnes lo- par classe. J’avais réellement l’impression
notre empreinte carbone. Le chorégraphe gées dans le studio augmentait, jusqu’à d’être un sandwich parmi d’autres sur un étal
accueillir environ 50 personnes par soir, en libre-service. Ça a été la goutte d’eau qui a
Thierry Smits renonce désormais aux tour- pendant un mois. J’ai écrit une lettre à tous les fait déborder le vase. Être continuellement
nées et développe actuellement un projet studios et les théâtres de Bruxelles pour les confronté aux marchés, aux programmateurs,
informer de la situation et leur demander d’ou- aux théâtres, aux réseaux internationaux… Je
engagé : imaginer la danse à une échelle vrir leurs portes ; certains l’ont fait. Évi- ne veux plus avoir à faire à ce qu’on appelle la
territoriale et sociale. Il nous reçoit dans demment cet événement est intrinsèquement diffusion de spectacle. Ma retraite approchant,
lié aux décisions que j’ai prises pour l’avenir de je veux travailler aujourd’hui comme j’ai envie
les locaux de son Studio Thor, où sa pro- la compagnie, ou encore du spectacle que de le faire, pas dans le sens du marché ultra
chaine création Toumaï sera présentée à nous sommes actuellement en train de prépa- libéral des arts du spectacle. Nous avons donc
rer. La grande majorité des réfugiés qu’on ac- décidé avec Fabien Defendini, mon administra-
partir de décembre. cueille en Europe viennent de sociétés effon- teur, d’imaginer un nouveau contrat-pro-
drées, aussi bien à cause de la guerre, de la gramme, totalement différent des précédents,
politique, que du climat, de la famine… Je et de voir si une nouvelle manière d’envisager la
NDD : Durant tout le mois de novembre 2017, pense que tout est lié. Ils vivent déjà ce qui danse et sa diffusion était possible…
vous avez accueilli des migrants et migrantes nous pend au nez.
dans votre studio. Cette initiative a-t-elle Quelles sont les grandes lignes de ce nou-
engendré de nouvelles réflexions sur votre Quelques mois après, vous avez entamé, in veau contrat-programme ?
engagement sociétal ? situ, une nouvelle réflexion sur le milieu de la On ne voulait plus être dépendant de la diffu-
Thierry Smits : Mon engagement et mes danse. Dans un communiqué de presse vous sion et nous voulions mettre l’accent sur le
convictions ne sont pas récents, je crois avoir indiquez que votre compagnie et votre studio travail en proximité : repenser des liens, tra-
toujours été quelqu’un de militant et qui adjoint s’engageaient désormais dans un fonctionne- vailler avec des structures locales, etc. Pour
les actes à la parole. Je passais régulièrement ment plus écologique et durable. Qu’est-ce moi, c’est extrêmement important de créer
au Parc Maximilien, qui était devenu un lieu de qui a entraîné cette décision ? des liens avec des institutions proches, pas
rassemblement de réfugiés. C’était pendant Ce qui a déclenché profondément cette dé- avec des institutions à Tokyo ou à Hong Kong,
marche a été la programmation de mon spec- ce n’est pas ça l’avenir. Nous sommes situés
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d’ethnies différentes qui se mélangent et carbone. Même les grosses productions pouvons intégrer ces nouvelles questions dans
cohabitent. Cet espace est tellement vivant mainstream commencent à transitionner, car la création d’un spectacle. Toute l’équipe
que c’est impossible de tomber dans l’au- les publics sont aussi de plus en plus critiques prend part à ces réflexions. Nous ne sommes
tarcie. Avec mon équipe, nous sommes en concernant les problématiques écologiques. ni extrémistes, ni radicaux : nous allons sim-
train d’imaginer un cahier des charges pour plement essayer de faire le maximum, à notre
ces cinq prochaines années afin de travailler Votre prochaine création Toumaï cristallise propre échelle. Par exemple, nous avons
de manière respectueuse de l’environnement. ces nouvelles préoccupations. Comment conscience que construire un décor utilisable
Nous allons également tenter l’expérience de s’annonce le processus de travail ? uniquement dans l’architecture de notre stu-
.
la « diffusion inversée », c’est-à-dire de ne En plus d’avoir pris pour sujet de travail l’ef- dio n’est pas éco-responsable, mais nous al-
ndd
plus aller jouer dans d’autres théâtres, mais fondrement de notre société, nous allons faire lons travailler avec des matières recyclées et
de faire venir des gens d’ailleurs chez nous. tout notre possible pour intégrer à notre pro- recyclables. Il faut penser en dehors des cir-
Personnellement, je ne sais plus si c’est né- duction des paramètres que nous n’envi- cuits, trouver de nouvelles manières de faire
cessaire de voyager outrageusement pour un sagions pas auparavant. Nous avons fait appel rentrer et sortir un produit en ayant pour ligne
spectacle : l’empreinte écologique d’un spec- à l’association EcoRes, qui fait partie du projet de conduite qu’il puisse toujours être recyclé
tacle est énorme. On me rit toujours au nez Resilience Coaching de Bruxelles Environne- ou transformé. Nous avons pour ambition et
lorsque je dis que les tournées ne vont bientôt ment. C’est la toute première fois que l’asso- nous nous donnons comme obligation que tout
plus être possibles. Certaines personnes pré- ciation travaille avec une compagnie de danse, élément du décor puisse être recyclé ou inséré
textent que les arts vivants polluent moins que habituellement elle collabore avec des dans un circuit de seconde main une fois l’ex-
les voitures ou les avions… En effet, mais je ne grandes entreprises. À ce stade de travail, ploitation du spectacle terminée. •
veux plus penser de cette manière. Nous nous avons déjà organisé plusieurs réunions
sommes donc en train de tisser des liens avec Toumaï de la Cie Thor/Thierry Smits
des centres culturels dans la périphérie de 1-12/12 au Studio Thor
Bruxelles, à moins d’une heure de notre stu-
dio, et essayons de trouver avec eux des solu-
tions de moyens de transport en commun et
des actions de médiation en relation avec le
spectacle. Nous avons également décidé de
faire un festival disséminé un peu partout dans
la commune, ouvrir le studio à de jeunes artis-
tes en résidence, etc.
Notre mode de consommation, nos excès, tion du projet. Dans Alex au pays des poubelles, chorégraphes commencent à renoncer aux
qui s’adresse au jeune public, j’ai souhaité tournées. Comment concilies-tu les
le recyclage... La chorégraphe Maria
tout d’abord le faire réfléchir au « pourquoi » contraintes écologiques avec tes contraintes
Clara Villa Lobos n’a pas attendu les et au « comment » nous sommes arrivés à artistiques ?
polluer autant notre planète. Et penser au fait Cela pose de plus en plus question de faire
marches pour le climat pour s’en préoccu-
qu’il n’y a pas si longtemps nous avions des 10 000 kilomètres en avion pour aller jouer
per. Depuis plusieurs années déjà, elle modes de production et de consommation trois fois à l’autre bout de la planète. Cela me
moins polluants. J’ai surtout l’envie d’éveiller pose problème depuis longtemps d’ailleurs,
dénonce nos dérives consuméristes avec
l’esprit critique des enfants face à cette réa- mais il est parfois difficile de refuser l’invita-
son esthétique foisonnante et son impa- lité dans laquelle ils sont nés, puisqu’ils n’ont tion d’un festival quand cela se produit. Mais
pas connu autre chose. cela n’arrive pas si souvent non plus ; la plu-
rable sens de l’humour. Réponses écrites
Ce sont là deux exemples très clairs, mais part du temps, une camionnette transporte
à nos interrogations. tous mes spectacles n’ont pas des messages le décor tandis que les danseurs prennent le
aussi explicites ; je cherche en tous cas à train.
susciter une réaction, du dégoût, du rire, de
Depuis tes premières créations, tu dénonces l’étonnement… La « fièvre » du réchauffement climatique,
la société de consommation, l’industrie de la relativement récente, a vraiment pris de
viande, la profusion des déchets que nous Penses-tu que la danse ou l’art en général l’ampleur médiatique et sociétale en 2018-19,
générons… Considères-tu ton art au service doive revêtir un rôle social et contribuer à même si des rapports scientifiques écrits
de la critique sociétale ? changer les pratiques notamment écolo- dans les années 70 prédisaient déjà assez
Oui, la critique sociale est un moteur pour giques ? précisément ce réchauffement dû aux gaz à
moi, et ce, dès le début avec ma première Je ne pense pas que l’art en général doit avoir effet de serre. Maintenant ce changement est
pièce de groupe, XL, because size does matter, ce rôle, il existe autant de pratiques artis- devenu vraiment tangible, vu la récurrence
qui critiquait entre autres l’aspect commer- tiques que d’artistes… et il est dangereux, à des phénomènes de catastrophes naturelles
cial de la danse, présentant la danse en tant mon sens, de vouloir donner un seul rôle à dans le monde. La détermination d’activistes
que produit de consommation rapide, comme l’art. Cela a été le cas souvent dans des ré- comme Greta Thunberg, entre autres, a aussi
dans un fast-food. Dans les pièces qui ont gimes totalitaires où l’art avait une fonction contribué dernièrement à donner un nouveau
suivi, cet aspect est resté toujours plus ou claire, maîtrisée et était mis au service d’une souffle à cette lutte, et cette prise de
moins présent mais je ne me dis pas spécia- idéologie, de la propagande. Chaque artiste conscience amène un questionnement pro-
lement quand je réfléchis à un projet qu’il est libre de définir ses propres enjeux. Je fond de nos modes de fonctionnement, y com-
s’agira de faire une critique sociétale, cela crois, par contre, au rôle de déclencheur, pris dans le domaine artistique. Depuis la
part plutôt de choses qui m’interpellent, me d’instigateur d’idées et de changement que création d’Alex au pays des poubelles en dé-
fascinent ou m’inspirent une image, une peut avoir la danse ou l’art en général. Je suis cembre 2016, nous avons vu les festivals fai-
idée… également attirée par ce genre de démarches sant de leur thématique principale le déve-
que je trouve inspirantes ; notamment pen- loppement durable ou l’environnement se
As-tu des attentes auprès des spectateurs dant la recherche autour d’Alex au pays des multiplier. Nous avons même joué au premier
(prise de conscience, changement de pra- poubelles, j’ai vu beaucoup d’œuvres d’art sur « Festival des déchets » à Brest.
tiques…) et si oui lesquelles ? internet qui dénonçaient de manière originale
Cela dépend. Un spectacle comme Mas-Sacre, la pollution des océans dans le but de sensi- Paradoxalement, j’ai pu observer qu’il n’y a pas
avait la volonté de confronter le spectateur à biliser les gouvernements, les fabricants et toujours de poubelles pour faire le tri dans les
une réalité qu’il préfère ignorer, celle de la les consommateurs à ce vaste fléau plas- théâtres et que les petites bouteilles d’eau en
cruauté de l’élevage et de l’abattage indus- tique. Avec internet, ces œuvres deviennent plastique sont encore légion… Nous avons
triels. Ce cheminement vers cette prise de virales et je pense que cela contribue réelle- donc instauré des choses simples, en achetant
conscience, je l’ai d’ailleurs moi-même tra- ment au changement des pratiques. des gourdes pour toute l’équipe pour sensibi-
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versé à travers le visionnage de nombreuses liser les équipes des théâtres à stopper cette
vidéos et documentaires lors de la prépara- Tes spectacles tournent beaucoup. Certains consommation effrénée de plastique. •
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→ Une œuvre artistique, un acte citoyen
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Se le rappeler, nous le rappeler. Dans Cou- cette danse qui déborde dans un espace non ensuite amener autre chose. Il était important
ndd
nécessairement clos dessine la trajectoire pour moi de refaire cette trajectoire du re-
rir les yeux fermés au bord d’un ravin, Éléo-
bientôt ascendante d’une humanité au bord du dressement.»
nore Valère-Lachky nous invite à réveiller gouffre écologique. Dans une démarche de
sensibilisation, la danseuse souhaite donner Quel impact sur les spectateurs aujourd’hui ?
un sentiment d’urgence face à la crise
les outils d’information à son public en ren- Un nombre limité de spectateurs changerait-il
écologique. dant accessibles, sur les sites de diffusion des sa manière d’envisager l’adresse du solo ? « À
structures où elle se produit, le texte de son partir du moment où il y a une personne qui
Son solo est composé d’un geste chorégraphié solo ainsi que les différentes sources l’ayant regarde, je suis en représentation. Le nombre
à partir d’un texte écrit par la chorégraphe, se inspirée. de personnes n’influe pas. Il s’agit d’un spec-
référant principalement aux rapports scienti- tacle, donc cela ne change pas l’intensité du
fiques d’Aurélien Barrau 1, de Pablo Servigne 2, L’engagement face à un présent qui déborde message et mon adresse. »
de Baptiste Morizot 3, ainsi qu’à la conférence
Transition écologique : quelles solutions pour le Un besoin personnel d’avoir un impact sur le Aujourd’hui, l’artiste envisage d’inscrire ce
monde de demain ? 4. Conçue en automne der- monde. C’est cette nécessité et cette exigence premier solo dans un triptyque et prépare une
nier, née d’un sentiment de désarroi, la pièce qui ont poussé la chorégraphe à teinter sa nouvelle pièce, en résidence aux Brigittines,
fait le constat d’une destruction massive de danse d’une dimension actuelle et à penser qui portera également sur la crise écologique
notre environnement pour enfin dessiner son solo autrement qu’un projet exclusivement mais dont le message sera moins explicite,
d’autres issues que l’humanité peut encore professionnel. « Pour ce solo, j’avais besoin plus poétique, « un questionnement sur la si-
embrasser. que ma danse serve plus qu’un intérêt artis- gnification d’être ici ». •
tique propre. J’ai eu besoin d’utiliser mes ou-
L’émotion comme levier à la connaissance tils de danseuse afin de prendre part à ce
grand mouvement de révolte et d’espoirs por- 1 Astrophysicien, docteur en philosophie et militant écologiste,
auteur de Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Éditions
« L’idée était de toucher les gens par l’émotion tés aujourd’hui par un grand nombre de ci- Michel Lafon, Paris, 2020.
avec mon mouvement mais que cette émotion toyens, scientifiques, activistes. J’ai eu sim- 2 Chercheur « in-terre-dépendant » et collapsologue.
soit un réel levier à la connaissance. Ce solo plement besoin de prendre part à cet élan, Référence à l’ouvrage Comment tout peut s’effondrer, avec
Raphaël Stevens, Éditions Seuil, Paris, 2015.
est pour moi une œuvre hybride, un acte ci- avec les outils qui sont les miens. » Ce corps 3 Référence à l’ouvrage Manières d’être vivant, Éditions Actes
toyen qui surgit à un endroit où le public ne mis en scène est finalement générateur Sud (Nature, Mondes sauvages), Paris, 2020.
l’attend pas : dans les halls de théâtre, les d’autres espaces et solutions possibles qui 4 Conférence organisée par Le Soir, le 19 juin 2019 à Flagey
avec les intervenants Nicolas Hulot (ancien ministre français
rues, les manifestations. »P our Éléonore nous invitent à « vivre avec éthique et élégance de la Transition écologique), Pierre Larrouturou (économiste
Valère-Lachky, il s’agit de penser l’interven- sur cette Terre ». Son geste retrace la français), Céline Tellier (secrétaire générale d’Inter-Environ-
tion chorégraphique comme un « acte ci- trajectoire d’un corps en mutation partant du nement Wallonie) et Jacques Crahay (président de l’Union
wallonne des Entreprises et CEO de Cosucra).
toyen » adressé à tous et à n’importe quel en- sol puis qui se redresse, pour devenir rési- 5 Terme emprunté à Élodie Verlinden (Laboratoire ReSIC, ULB)
droit, plutôt que comme une œuvre artistique lient : « Ce que je traverse physiquement avec à propos de performances dansées en espaces publics, lors de
conçue pour une salle de spectacle. Moins une mon corps dans le solo, c’est partir de nou- son intervention « Infiltration et expérience artistique » au
colloque du 28 novembre La médiation transartistique au musée
représentation qu’une réelle « infiltration » 5, velles terribles que nous connaissons pour par la recherche-création, au MNAG.
© DR
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. AUTOMNE
Atelier5 © Simon Gosselin
ndd
→ Le spectacle vivant à l’heure
de la scénographie durable
| Par Rosita Boisseau
Alerte écologique sur le spectacle vivant. Nathalie Pousset. L’idée est vraiment de tout 2019 par la compagnie La vie brève, composée
faire pour réemployer les choses, ne pas les de Samuel Achache, Marion Bois, Jeanne Can-
Déclarations médiatisées sur les trans-
jeter si elles ne sont pas usées et évidemment del et Elaine Meric. Parmi les projets de la
ports, engagements variés pour donner un de faire baisser les dépenses sur ce terrain. Le nouvelle équipe : la reconfiguration de l’ancien
sol en bois de Comme il vous plaira, créé en 2018 atelier de construction en « matériauthèque »
coup de frein au speed ambiant, actions tout
par Christophe Rauck, se retrouve dans sa de 450 mètres carrés où l’on retrouvera les
aussi diverses, claironnées ou discrètes, nouvelle pièce, La faculté des rêves. Nous veil- équipements scéniques, accessoires et les
lons par ailleurs à ne pas utiliser de matériaux quelques 3 000 costumes stockés dans ces lo-
autour du low-tech et du retour au local, les
polluants. » caux historiques. « Nous avons imaginé cet
artistes, les directeurs de salles mais aussi espace en deux temps, explique Elaine Meric. Il
Chez le second, ce sont une quinzaine de dé- y aura, sous la direction d’un chef d’atelier, une
les dirigeants d’associations prennent à
cors dont certains très imposants comme celui sorte de « fablab » pour le bricolage, le maté-
bras-le-corps la question de la bascule cli- de Thyeste, de Thomas Jolly, qui sortent chaque riel de réemploi, qui permettra à la vingtaine
saison de l’atelier d’une surface de 1600 mètres de compagnies que nous accueillons en rési-
matique, culturelle et sociétale que le
carrés. Le plancher de la billetterie exemplaire dence de concevoir des prototypes de décors.
monde est en train de vivre. bâtie en 2017 est celui de la pièce La fin de l’his- Nous allons développer le réemploi en particu-
toire, de Christophe Honoré, dont la scénogra- lier de la serrurerie et du travail du fer ; nous
Parallèlement à une vigilance sur le front de la phie a été fabriquée au Grand T. « Nous avons possédons en grande quantité des châssis en
consommation énergétique des lieux mais négocié avec Honoré pour qu’il nous le cède, métal. Nous allons nous appuyer et collaborer
aussi des comportements quotidiens à réin- raconte Catherine Blondeau. Nous sommes avec la Réserve des Arts, basée à Pantin, qui
venter tant du point de vue du tri des déchets, prestataires de services en général pour les travaille sur le secteur depuis 10 ans. »
que de l’utilisation de l’eau…, une attention ac- compagnies qui demandent à construire leurs
crue est portée depuis deux ans à la question décors chez nous. Dans ce contexte, nous ne Ce changement vital qui s’accélère depuis deux
des décors et des accessoires. Ce sont eux qui pouvons pas imposer un cahier des charges ans sur ce terrain et plus généralement dans le
génèrent le plus de déchets et de pollution mais nous insistons sur l’éco-responsabilité. secteur du spectacle vivant est aussi propulsé
dans le secteur du spectacle vivant. Contrer les En revanche, lorsque nous commandons du par l’apparition de nouveaux espaces comme
habitudes actuelles de création devient un mot mobilier pour notre propre usage comme par celui par exemple de la Maison Forte, fabrique
d’ordre : plus question de fabriquer des scéno- exemple pour le festival Tous Terriens, nous coopérative des transitions, soutenue par le
graphies pour s’en débarrasser immédiate- veillons à choisir des matériaux réemployables Ministère de la Culture, la DRAC Nou-
ment après usage ; au contraire, il s’agit de leur par exemple. » Le Grand T collabore avec des velle-Aquitaine, la région Nouvelle-Aquitaine
inventer de nouvelles vies. associations locales comme Station-Service, et la Fondation Crédit Coopératif. Situé à Mon-
qui propose des accessoires de seconde main, balen, près d’Agen, ce « tiers lieu », comme le
Des institutions comme le Théâtre du Nord, à et la Ressourcerie Culturelle, qui répare et re- nomme Bruno Caillet, qui y travaille comme
Lille, dirigé depuis 2014 par le metteur en valorise le matériel de spectacle. Parallèle- coopérateur, est installé dans un bâtiment du
scène Christophe Rauck et Nathalie Pousset, ment, Catherine Blondeau participe aussi à un XIe siècle entouré de sept hectares de terrain et
ou le Grand T, à Nantes, qui sous la houlette groupe de réflexion avec des membres du se veut « espace d’expérimentation et incuba-
depuis 2011 de Catherine Blondeau a été le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence et du teur de projets ». Il croise lieu d’apprentis-
premier théâtre français à recevoir le label Théâtre national de Strasbourg. sages, échangeur culturel et artistique…
Lucie en 2017, ont enclenché des réflexions de « Nous traversons une crise qui nous oblige à
fond sur les questions de la conception des Mise en réseau et éco-responsabilité revoir nos modes de vie et ce choc est impor-
scénographies, de leur stockage et du réem- tant, déclare Bruno Caillet. Comment va-t-on
ploi des matériaux utilisés. Tous les deux pos- Cette mise en réseau de plus en plus fréquente assumer un acte poétique sur lequel pourront
sèdent en effet un atelier de décors.Avec 1 700 autour de l’éco-responsabilité génère de nou- s’appuyer les jeunes générations dans 40 ans ?
mètres carrés dédiés à la construction, le veaux comportements et partages. Depuis Il y a au cœur du projet de la Maison Forte
premier produit une dizaine de scénographies 2015, le Théâtre national de Chaillot, sous la l’ambition culturelle et sociétale d’une civilisa-
chaque année comme par exemple celles de direction de Didier Deschamps, tente de géné- tion nouvelle. Comment réinventer les res-
Julien Gosselin, de Tiphaine Raffier ou de Julie rer d’autres comportements. Les sièges de sources, l’habitat, la question du pouvoir ? Le
Duclos. Son espace d’accueil a été rhabillé par l’ancienne salle Gémier sont désormais instal- sujet qui nous occupe est bien celui de la réa-
un sol issu du Don Juan, mis en scène en 2011 lés au Point Ephémère, à Paris. Créé en sep- lisation d’un nouvel environnement de repré-
par Julie Brochen, ainsi que d’autres éléments, tembre 2019 par la Mairie de Paris, un atelier sentation et de socialisation. La problématique
dont des lustres, présents dans certains spec- Économie circulaire & culture rassemble est donc d’abord passionnément culturelle. »
tacles de Rauck. « Julie Brochen devait se dé- quatre théâtres parisiens : la Gaîté-Lyrique, la Place donc à l’imagination, à l’adaptation au
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barrasser de ce décor et nous lui avons pro- Médiathèque des Halles, la Maison des Métal- local et ses ressources contre le gaspillage
posé de récupérer ce sol très beau, raconte los et le Théâtre de l’Aquarium, dirigé depuis pollueur à tout va. •
p.
→ Vers une Monnaie éco-responsable
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| Pa r S y lv i a B o t e l l a
.
© Johan Jacobs
l’écologie. Aujourd’hui, nous sommes au début projet que les décisions se prennent. Autre-
de la mise en œuvre d’une politique de déve- ment dit, dès la conception, il est important
loppement durable au sein de la Monnaie. Elle que chacun soit dans la capacité d’agir en
constitue pour nous un paramètre supplémen- sachant précisément quel rôle il ou elle peut
taire, impératif et intégré, influençant notre jouer à chaque étape du processus de pro-
manière de construire, d’utiliser du matériel duction. »
ou de nous déplacer. Certes, nous sommes
conscients que nous devons nous engager sur Palace et probablement Argos. Il est néces-
le long terme et tous ensemble. Je suis heu- saire que le secteur culturel et artistique dans Etienne Andreys, responsable des Ateliers
reux d’observer que cette question mobilise son entièreté accepte d’adopter de bonnes Décors
aujourd’hui la Green Team et d’autres maisons pratiques. Je sens qu’il y a une vraie volonté
d’opéra partenaires. Agir seuls serait ridicule. politique à Bruxelles. Nous vivons dans une « Pour l’instant, la question du développement
Nous devons mener une réflexion dialoguée ville très polluée. Nous respirons mal, nous durable n’est pas suffisamment abordée dans
afin de développer et partager de bonnes pra- sommes fatigués. Nous devons faire des ef- les discussions avec les artistes, elles se foca-
tiques. Nous devons changer de paradigme. Et forts chacun à notre endroit. Nous ne pouvons lisent encore sur le résultat artistique. Donc
cela concerne autant l’éco-gestion que notre pas changer le monde mais chacun peut chan- tout ce que nous faisons en matière de réduc-
écosystème. Il est important de comprendre ger son monde. Je suis prêt à y sacrifier des tion d’empreinte CO2 reste marginal. C’est
qu’il ne peut y avoir d’opéra sans travail choses. Car je suis convaincu que nous y ga- pour cette raison que nous devons passer à
d’équipe. Je ne pense pas que le star-system gnerons beaucoup ! Nous vivons des années une étape supérieure : comptabiliser l’impact
existe encore à l’opéra. Où sont les Sylvie Guil- de populisme et en vivrons encore : « unbelie- et fixer des objectifs et un cahier des charges
lem, aujourd’hui ? Sauf exception, les artistes ver », « fake news ». Nous vivons une époque précis aux metteur en scène et scénographe.
sont tous et toutes au même niveau. Sommes- très cynique. Mais nous y arriverons ! » Néanmoins, nous avons progressé. Par
nous encore en mesure d’accepter qu’un chan- exemple, nous avons entièrement construit
teur gagne en une soirée ce que gagne en six les décors de répétition de La Trilogia Mozart
mois une personne qui travaille dans les cin- Agathe Cornet, responsable éco-gestion da Ponte avec des matériaux de répertoire. Le
tres ? Sans heurter nos valeurs ?! Nous de- bureau d’études a véritablement travaillé
vons redistribuer les responsabilités pour ga- « Nous avons mené d’abord une série d’actions dans ce sens-là. Nous avons également ac-
rantir un vivre-ensemble plus harmonieux. Et tant dans la gestion énergétique du bâtiment quis certains réflexes en matière de recy-
vivre dans un monde plus sain. Sinon, nous que dans l’intégration des critères environne- clage. Désormais, nous nous demandons tou-
irons droit dans le mur ! mentaux dans le cahier des charges des mar- jours : que pouvons-nous faire des chutes ?
chés publics ou le type de papier utilisé pour Sont-elles réutilisables ? Jeter, c’est le der-
Je ne crois pas au seul pouvoir du contrat. Les les publications. Ce qui nous a permis de réa- nier recours ! Et nous discutons davantage
artistes doivent prendre conscience de l’ur- liser quelques progrès dans la réduction de avec nos fournisseurs.
gence climatique. Ainsi, lorsqu’un artiste nous l’empreinte carbone. Jusqu’à ce que nous
demande de construire des décors avec des prenions conscience qu’il manquait quelque Notre préoccupation est partagée par davan-
matériaux chimiques nocifs pour la santé, chose de fondamental dans notre démarche tage de monde. Et c’est tant mieux ! Tout le
nous devons pouvoir lui demander de songer à focalisée sur le bâtiment ou l’activité générale monde doit y participer activement afin que ça
une autre alternative. Parce que la construc- de la Monnaie : le processus de production. S’y soit moins une lutte qu’un réflexe intégré. Ré-
tion, c’est une chose ! Et le recyclage en est intéresser aujourd’hui nous permet d’être cemment, l’atelier de tapisserie s’est débar-
une autre. On ne saurait trop espérer que nos plus ambitieux et d’inscrire nos diverses ac- rassé de vieux rideaux qui étaient inutilisa-
choix nous amènent à être à la hauteur de tions dans une démarche plus cohérente. C’est bles : les couleurs étaient délavées, etc. Grâce
notre éco-responsabilité. la raison pour laquelle, depuis la saison der- à la plateforme digitale in Limbo (La Monnaie,
nière, nous nous intéressons à la notion de Zinneke, Toestand et Rotor) qui vise à faciliter
La Monnaie en tant qu’institution fédérale sub- « Green Opera ». Et que nous avons créé la le don et la récupération des matériaux au sein
sidiée a un devoir d’exemplarité. Cela fait par- Green Team, qui est constituée de presque du secteur socioculturel à Bruxelles, nous
tie de ses valeurs : l’innovation de l’excellence. tous les représentants de chaque direction : avons pu en faire bénéficier d’autres institu-
Nous devons être cohérents: nous ne pouvons technique, production, publics, mécénat, etc. tions. Cette plateforme est vraiment opérante.
pas revendiquer l’excellence, si nous n’inno- Concernant la conception des décors, cela
vons pas ! Actuellement, nous rédigeons une La Green Team est une équipe ressource reste laborieux. Actuellement, nous travail-
charte environnementale coordonnée par le d’échanges, de questionnements. Et égale- lons sur les décors d’une production de la
18
RAB/BKO avec le Théâtre national Wal- ment de relais auprès des directions. Elle saison prochaine. Nous avons présenté au
lonie-Bruxelles, le KVS, la Zinneke, le Cinéma nous a permis d’identifier plusieurs dimen- scénographe les prototypes de 300 tables en
p.
AUTOMNE 20 . N° 78
.
bois dont nous avons réduit le nombre de qui s’élargira à d’autres maisons d’opéra eu- Sophie Briard, responsable Publics
ndd
chutes à 10 %. Le scénographe a préféré faire ropéennes : Opéra de Paris, Opéra de Lyon,
d’autres choix dictés par des impératifs esthé- Festival d’Aix-en-Provence, Théâtre du Châte- « La question de l’écologie m’intéresse depuis
tiques. Et je me suis senti incapable de lui dire let et la Monnaie. Comment pouvons-nous longtemps. Et je suis ravie de transformer en
« non » en l’absence de discussion préalable. » ensemble réduire notre empreinte CO2 ? Et équipe mes convictions personnelles dans
réfléchir sur l’éco-conception. Nous travail- l’exercice de mon métier. En réfléchissant, par
lons sur un outil de calcul d’impact de diffé- exemple, sur les modalités de la communica-
Agathe Chamboredon, directrice financière rents scénarios de principes constructifs, tion faite aux publics : envois postaux ou élec-
une matériauthèque (fiches techniques, im- troniques ? Car les envois électroniques sont
« Pour opérer un vrai virage, il est nécessaire pact, etc.) et sur la question des structures très pollueurs et souvent considérés comme
de s’appuyer sur la capacité de l’artiste à se standard. L’idée est que chaque maison intrusifs. Ou en réalisant une enquête sur la
réinventer et sur les alternatives proposées d’opéra ait des structures de base auxquelles mobilité des publics pendant la durée de l’ex-
par les maisons d’opéra. Il faut donc s’adres- on pourrait ajouter les éléments de déco lors ploitation de La Trilogia Mozart da Ponte. En
ser aux artistes différemment. Il faut leur ex- de la tournée. Ce qui réduirait le volume des outre, on a trop tendance à oublier que toutes
pliquer notre démarche, les sensibiliser à la décors transportés. Après, bien évidemment, ces initiatives amènent à la question des rela-
réduction de l’empreinte CO2. Faut-il leur im- il faut relativiser. Ce que nous produisons tions humaines : stress, burn out. Et que res-
poser un cahier des charges ? Ou attendre que n’est rien à l’égard de ce qui est produit à pecter l’environnement, c’est respecter l’être
les initiatives viennent d’eux ? Je pense qu’au- l’échelle planétaire. Mais dans le même humain dans ce qu’il est et dans ses limites.
jourd’hui, nous devons être plus incitatifs et temps, cette question doit être au cœur de
entrer dans une première forme de cahier des notre stratégie d’évolution ! À mon sens, la Monnaie doit avoir un rôle de
charges en prévoyant de ne pas construire modèle et de solidarité. Si nous sommes dans
plus de x volume de décors par an, d’utiliser Comme dans tout changement, nous devrons une prise de parole permanente et que nous
des matériaux dont la provenance est bien faire des investissements de départ impor- occupons constamment le terrain. Et que nous
identifiée ou de ne pas utiliser certains pro- tants qui à terme pourront être amortis par la sommes en réseau, que nous partageons de
duits chimiques. Je suis convaincue que la diminution des coûts de construction, de bonnes pratiques et que nous y sensibilisons
discussion avec les artistes est essentielle. Et transport et de stockage. Aujourd’hui, il s’agit le public, je pense que nous pouvons réveiller
que cette question peut être centrale dès lors avant tout d’un investissement de temps. Et les consciences. » •
que nous sommes plusieurs à la poser. nous ne pouvons pas nous y soustraire. C’est
certain, cette question va changer profondé-
L’opéra est un art monumental. Il coûte très ment nos manières de travailler. Et il faut ac-
cher. Mais il fait vivre beaucoup de métiers. Et compagner au mieux cette évolution en se Le 20 juin dernier, la Monnaie avait programmé
rêver les publics. On ne va donc pas l’éliminer. structurant, en travaillant de manière plus un Green Opera Day (annulé à cause de la crise
En revanche, nous pouvons mieux le maîtriser. transversale. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui sanitaire) pour sensibiliser les professionnels et
Aujourd’hui, la Monnaie fait partie d’un collec- à l’opéra où chacun, chacune, a un rôle bien les publics à la question écologique.
tif composé principalement d’opéras français, défini. Elle est là aussi la révolution ! »
© Pieter Claes
19
p.
01.10 > 31.12 . 2 0
2 0
Ko e
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© Stanisl as Dobak
PR EM IER ES Å Spectacle Jeune public Premieres ► Voir article
SA INCTELE T TE17.BE
FR Nouveau solo d’Anne Teresa De Keers- FR Le solo de Dominique Duszynski est une
maeker, interprété par la chorégraphe elle- plongée intrusive, une incursion dans la mé- FR Installation-performance autour des soins
même, en collaboration avec le pianiste Pavel moire. « En textes et en mouvements, j’élabore donnés au corps vulnérable, de la force régé-
Kolesnikov. Poursuivant son étude de partitions une partition délibérément facétieuse, espiègle, nératrice du souffle, de l’oxygène et du sang,
musicales, elle renouvelle ici son intérêt pour la taquine, qui expose les points de vue et leurs mais aussi autour de l’’oxygène dont a besoin
musique de Bach. paradoxes, tout en jetant un regard sur les cou- l’artiste. La performance se déroule au milieu
lisses de l’univers de Pina Bausch. » D. D. d’une exposition de tissages monumentaux
créés au Maroc et en Tunisie, baignant dans la
EN Anne Teresa De Keersmaeker’s new solo, EN Dominique Duszynski’s solo delves intrusively couleur rouge.
performed by the choreographer herself, in
into memory. “Using text and movement, I
collaboration with the pianist Pavel Kolesnikov.
created a deliberately whimsical, mischievous, EN An installation-performance about the
Continuing with her study of musical scores, in
and cheeky piece that presents points of view and forms of care given to the vulnerable body, the
this piece she renews her interest in the music
the paradoxes within them, while shining a light recuperative power of breathing, oxygen, and
of Bach.
behind the scenes of Pina Bausch’s world.” D.D. blood, but also about the oxygen that the artist
room and The hidden floo, deSingel 27/11 • KABINET K as long as we are playing (+8),
TENDER MEN
STUK kunstencentrum Å
5/11 • MACHIAS BOSSCHAERTS EN KLÁRA EŠNE-
STUK , LEU V EN ROVÁ Double bill: Chapel of love & Xposure, CC Berchem 1-2/12 • ULA SICKLE The Sadness, STUK kunstencentrum
STUK .BE 6/11 • ISABELLE BEERNAERT Naakt, Stadsschouwburg 13/12 • WONDERLAND COLLECTIEF (NL) EN MAKIKO ITO
Antwerpen (JP) BB, 30 CC
FR Dans cette pièce pour 4 danseurs, Koen De 12-15/11 • HETPALEIS, MARTHA!TENTATIEF, BART VAN
Preter crée un univers en orbite autour de la NUFFELEN Dounia B., Het Paleis
ZAVENTEM
virilité et de la sensibilité, autour de cette 13/11 • KINGDOM OF KELA, OUTA CREW, AFREEWXRLD,
question centrale : comment les hommes agi- WOA, OS PINIPUKI, MOYINDO SQUAD, JOHNNY BRAVO 7/11 • ULTIMA VEZ , WIM VANDEKEYBUS TRACES,
Afro Blood, Blood pressure edition, CC Berchem CC De Factorij
raient les uns envers les autres dans un
monde sans homophobie ? 9-12/12 • BATMAT THIS SIDE UP, Het Paleis 15/11 • HANNA MAMPUYS, FABULEUS Softies (+6),
CC De Factorij Å
EN In this piece for four dancers, Koen De Pre- DRRRAAI, Het Paleis 11/12 • PAULA COMITRE Percepción, CC De Factorij
ter creates a world that revolves around virility
29/10 GEEL
BRUXELLES . BRUSSEL
FR Matki explore les différentes façons, inat- 22/10 • GRANVAT Come On Feet, CC Zwaneberg 8-10/10 • BAHAR TEMIZ ICE, KVS_BOX
THÉ ÂTRE M A RNI, BRUX ELLE S DIEST 17/10 • SEPPE BAEYENS Birds (répétition ouverte,
KVS Achterplein BOL
THE ATREM A RNI.COM 20/11 • SABINE MOLENAAR, SANDMAN Transmute, CC Diest
16/10 • BÉNÉDICTE MOTTART / COMPAGNIE 3637
FR Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour Cortex (8+), Festival météorites, MCCS Molenbeek Å
DILBEEK
satisfaire nos désirs, ne pas perdre la face ou 21/10 • ÉRIC MINH CUONG CASTAING L’Âge d’or, La Raffinerie
encore défendre notre territoire ? Spectacle 18/10 • DOFT Zozoöfzo, Westrand - CC Dilbeek
29/10 • CRÉAHM-BRUXELLES Connexions (Extatic Festi-
desires, to avoid losing face, or to defend our val), Extatic Festival, CC Jacques Franck
territory? A dance-theatre show aimed at a
tone, but without avoiding the harsher side of en Tomas Ntamashimikiro), 30 CC 11-27/11 • GUIDA INÈS MAURÍCIO E-CO.SYSTEM,
Les Riches-Claires
the subject. 3/10 • COLLECTIEF ELAN(D) In Between Spaces, 30 CC
12/11-21/11 • ANNA NILSSON / PETRI DISH
4/10 • DOFT Zozoöfzo, 30 CC The Show, Théâtre de la Vie
12/11
sonore, ce spectacle conçu par Anna Wilson 23-24/10 • JAN MARTENS / FABULEUS 19-28/11 • CLAUDIO BERNARDO Après les Troyennes,
explore nos modes de communication et notre Passing the Bechdel, OPEK Théâtre Varia
propension à fermer les yeux et les oreilles 27-28/10 • MOHAMED TOUKABRI The Power (of) The Fra- 19/11 • DOWN THE RABBIT HOLE Screening, La Raffinerie
afin d’éviter les responsabilités. gile, STUK kunstencentrum
EN Combining physical exploration, imagery EN For this new project, Julie Bougard wanted EN Questions the metamorphosis of the body. The
and sound, this show devised by Anna Wilson to confront virtual bodies with living bodies piece tells the tale of a woman who is gradually
explores our modes of communication and our using the world of video games. Inspired by overcome by an ambient malaise. In a refined
propensity to close our eyes and ears in order video game culture, Stream Dream combines dance solo, Estelle Delcambre offers her body
to avoid responsibilities. dance, theatre and 3D images. It draws you the possibility of being reborn, forgetting for a
into a curious narrative, in which living beings, moment her own identity. The movement repeats
virtual reality and dreams intertwine. itself, the limbs twisting, with the dark tide engu-
17/11 lfing her. Through a sensual and brutal dialogue
between the dancer and pictorial art, this piece
JULIEN CARLIER 26/11 questions the imprint we leave on the world and
DRESS CODE questions the destiny of each human being.
THÉ ÂTRE LE S TA NNEUR S ESTELLLE DELCAMBRE
MARÉE HAUTE
LE STA NNEUR S.BE
LE S BRIGIT TINE S, BRUX ELLE S 27/11
FR Dress Code est une plongée dans l’univers BRIGIT TINE S.BE
ÉLÉONORE VALÈRE-L ACHK Y
complexe du breakdance, un partage du vécu
COURIR LE S Y EUX FERMÉ S AU BORD
des danseurs avec le public. Le titre sert de FR Questionnant la métamorphose du corps,
D’UN R AVIN
métaphore à l’ensemble des règles de mise en Marée haute raconte l’histoire d’une femme
scène de soi (attitude, posture physique, submergée progressivement par un mal-être LE S BRIGIT TINE S, BRUX ELLE S
habits) qu’il s’agit de respecter pour pouvoir ambiant. Dans un solo de danse à la composi- BRIGIT TINE S.BE
appartenir à cette communauté. Julien Carlier tion épurée, Estelle Delcambre offre à son
questionne ici sa discipline d’origine et pré- corps la possibilité de renaître, oubliant FR Ce court solo est conçu comme un « acte
sente une facette méconnue du milieu du quelques instants sa propre identité. Le geste citoyen chorégraphique ». Destinée aux halls
breakdance. Le danseur-chorégraphe est en se répète, les membres se tordent, la marée de théâtre et aux lieux publics, cette « prise de
résidence à Charleroi danse. noire l’engloutit.Au travers d’un dialogue sen- parole dansée sur la crise écologique » vise à
suel et brutal entre la danseuse et l’art pictural, soutenir et promouvoir les discours des scien-
EN Dress Code is a foray into the complex world cette pièce questionne l’empreinte que nous tifiques sur le réchauffement climatique et à
of breakdance, sharing the experience of dan- laissons au monde et interroge sur la destinée alerter sur les dangers imminents qui guettent
cers with the public. The title is a metaphor for de chaque être humain. notre planète.
the set of rules for self-presentation (attitude,
physical posture, dress) that you must respect
in order to belong to this community. In this
piece, Julien Carlier raises questions about his
original discipline and presents a little-known
side of the breakdance scene. The dan-
cer-choreographer is in residence at Charleroi
Danse.
19/11
A S PAL AVR A S / CIE CL AUDIO BERNARDO
APRÈS LES TROYENNES
THÉ ÂTRE VA RIA , BRUX ELLE S
VA RIA .BE
25/11
JULIE BOUGARD
STRE AM DRE AM
JACQUE S FR A NCK , BRUX ELLE S
FR
tend confronter les corps virtuels aux corps
vivants par le biais de l’univers des jeux vidéo.
Entre danse, théâtre et images 3D, Stream
Dream puise du côté de la culture des jeux
vidéo et nous embarque dans une narration
insolite, dans laquelle se fondent le vivant, la
réalité virtuelle et le rêve.
EN Thisshort solo was devised as a “civic act of 21-28/11 • WIM VANDEKEYBUS Hands do not touch your COXYDE . KOKSIJDE
precious Me, KVS_BOL
choreography”. Intended for theatre Foyers
1/12
Les Brigittines
12/11 • MARLENE MONTEIRO FREITAS Mal – Embriaguez
Divina, CC de Grote Post
27-28/11 • ÉLÉONORE VALÈRE LACHKY Courir les yeux
fermés au bord d’un ravin Les Brigittines ►
THIERRY SMITS/
l’exploration du rapport au corps comme es- 26/11 • MET STUART & TIM ETCHELLS / DAMAGED
3/12 • MATTY DAVIS, BEN GOULD Carriage, Danser Brut, GOODS Shown and told, CC De Schakel
pace politique. Depuis longtemps intéressé Bozar
par les questions, de l’environnement et d’un
FLANDRE ORIENTALE
5/12 • LORAINE DAMBERMONT 3/4 Face, XX Time, Balsamine
monde défait tant écologiquement qu’écono-
3/12
nine Greek contemporary dancers, is based on CC Brugge 27/11 • MILØ SLAYERS Monstrare et/ou Monere,Focus Hip-
a ritual from Epirus (a region in the north of
Hop, Les Écuries
5/12 • BOLLYCIOUS Sitara, De Werf
4/12
FR Après Happy Hour et El Pueblo unido jamás 15/10 • 30s PROJECT, Schouwburg Kortrijk 11-12/10 • ANTON LACHKY Cartoon (+6),
Théâtre Le Manège Å
será vencido, les complices Mauro Paccagnella
et Alessandro Bernardeschi referment avec vine’, Schouwburg Kortrijk 24/10 • COMPAGNIE ART-TRACK Hip-Hop Games, Mons Street
Festival, Maison Folie
Closing Party leur trilogie de la mémoire. Écrit
à quatre mains, ce dernier volet développe les RIN Through the Grapevine, Schouwburg Kortrijk 13/11 • COMPAGNIE HAPPY BROTHERS & FUNKYFEET Sa-
lade mentale & Dimension, Mons Street Festival,
thématiques chères aux deux artistes : le La maison folie
temps qui passe, les corps qui changent, la 16/11 • ELORA PASIN « Moi, l’autre », Mons Street Festi- HASSELT
val, Théâtre Le Manège
tists: the passage of time, the changing of bo- 14/11 • LISBETH GRUWEZ, VOETVOLK & CLAIRE CHEVA-
LIER PIANO WORKS DEBUSSY, CC Maasmechelen
dies, death, dance, etc., combining intimate
recollections, collective memory and political ENGIS
consciousness. OVERPELT
2/10 • DOMINIQUE DUSZYNSKI Else, CC Engis
8/12 EUPEN
TONGRES . TONGEREN
29/10 • IRENE K Matki, Alter Schlachthof Kulturzemtrum
corps à cet art par le chant, les mots et la danse. 27/10 • KOEN DE PRETER Tender man, CC C-Mine 27/11 • KOEN DE PRETER Dancing, Le delta
En partant à la recherche de gestes perdus du
3-13/12
16-18/10 FR Le 25/11, dans le cadre d’Émergences Hip-
Hop, 9 danseurs et chorégraphes hip-hop
DECEMBER DANCE
belges présentent leurs créations, aboutisse-
FESTIVAL MÉTÉORITES BRUGE S, CONCERTGEBOU W
ment du Tremplin Danse Hip Hop #3 (projet
BRUX ELLE S, M A ISON DE S CULTURE S DE MOLENBEEK pilote de formation et d’accompagnement à la DECEMBERDA NCE.BE
L A M A ISON1080HE THUIS.BE / création qui réunit une douzaine de parte-
naires en Belgique et en France). FR Cette nouvelle édition est placée sous le
FR Pierrede Lune et la Maison des cultures et signe de l’écologie. Comment pouvons-nous
de la cohésion sociale de Molenbeek s’associe EN On 25/11, as part of Émergences Hip-Hop, nous intégrer de manière saine dans notre
pour un Focus autour du travail de la compa- nine Belgian hip-hop dancers and choreo- écosystème ? Avec des coproductions et pre-
gnie 36/37 qui fête ses 15 ans d’existence. Au graphers present their new work, the culmina- mières de chorégraphes belges et internatio-
programme Des illusions et Cortex. tion of Tremplin Danse Hip Hop #3 (a pilot naux tels que Meg Stuart, Cindy Van Acker,
project that provides artists with training and Robyn Orlin, François Chaignaud…
Pierre de Lune and the Maison des cultures et assistance in creating work, which brings to-
de la cohésion sociale from Molenbeek are gether a dozen partners in Belgium and EN The theme of this edition is the environ-
joining forces to focus on the work of the Cie France). ment. How can we integrate ourselves into our
36/37, which is celebrating its 15th anniver- ecosystem in a healthy way? Featuring co-pro-
sary. On the agenda the shows Des illusions ductions and premieres of works by choreo-
and Cortex. graphers from Belgium and abroad, including
Meg Stuart, Cindy Van Acker, Robyn Orlin and
François Chaignaud.
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héritier des grandes figures de la danse des années 1980, qui participa au renouvellement de la scène française en croisant
sa propre histoire et ses mythologies personnelles avec nombre des problématiques de son temps, de la question du sida
à celle du post-colonialisme.
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