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ET TAUX DE MARCHE
DE LA ZONE EURO
La règle de Taylor est une règle activiste de politique monétaire
reliant mécaniquement le niveau du taux d’intérêt à très court
terme contrôlé par la banque centrale à l’inflation et à l’écart de
production. Le taux de Taylor ainsi calculé est comparé au taux
d’intérêt à court terme observé pour juger de l’adéquation de la
politique monétaire aux données économiques fondamentales.
Cette règle est aujourd’hui couramment utilisée, notamment par
les économistes de marché qui cherchent à évaluer le niveau
futur du taux d’intérêt à court terme dans la zone euro.
L’usage de plus en plus fréquent de la règle de Taylor dans le
débat économique ne doit, toutefois, pas conduire à oublier la
sensibilité de ses résultats au choix de ses paramètres.
Cette note présente la construction d’une règle de Taylor pour la
zone euro, en précisant les modalités de calcul des paramètres
retenus : écart de production, taux d’intérêt réel neutre et
détermination des coefficients pondérant le taux d’inflation et
l’output gap. Le taux de Taylor ainsi obtenu peut ensuite être
comparé aux évolutions de taux d’intérêt passées ou anticipées
pour la zone euro.
ADRIEN VERDELHAN
Direction des Études et Statistiques monétaires
Service d’Études sur la politique monétaire
La règle deTaylor est une règle activiste de politique monétaire reliant mécaniquement le niveau du
taux d’intérêt à très court terme contrôlé par la banque centrale à l’inflation et à l’écart de production 1.
Selon cette règle, aménagée ultérieurement par une étude de Goldman Sachs 2, le taux d’intérêt à court
terme doit augmenter lorsque l’inflation anticipée est supérieure à la cible d’inflation de la banque centrale
ou lorsque le PIB effectif est supérieur à sa tendance de long terme. Le taux de Taylor ainsi calculé est
comparé au taux d’intérêt à court terme observé, pour juger de l’adéquation de la politique monétaire aux
données économiques fondamentales.
La règle de Taylor est aujourd’hui couramment utilisée tant par des économistes de marché pour
évaluer le niveau futur du taux d’intérêt à court terme de la zone euro 3 que par certains chercheurs dans le
débat sur la stratégie de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) 4. Cette note présente
une construction détaillée d’un taux de Taylor pour la zone euro, en précisant les hypothèses retenues et
leurs limites, et compare les résultats obtenus avec un taux d’intérêt passé et anticipé pour la zone.
où rneutre est le taux d’intérêt réel neutre, panticipée l’inflation anticipée, pcible la cible d’inflation choisie
par la banque centrale et y l’écart entre le PIB effectif réel et le PIB tendanciel. Taylor constate que cette
règle « hypothétique » très simple (avec des coefficients identiques égaux à 0,5 pour l’écart d’inflation et
l’écart de production) reproduit assez fidèlement l’évolution du taux des fonds fédéraux, c’est-à-dire serait
proche de la fonction de réaction des autorités monétaires américaines, sur la période 1987-1992.
Cette règle est très sensible au choix de ses paramètres : taux d’intérêt neutre, output gap, coefficients
de l’écart d’inflation et de l’écart de production 5. Il convient, notamment, de rappeler que Taylor n’a pas
justifié véritablement ce choix de coefficients égaux à 0,5, si ce n’est que l’équation ainsi formulée
permettait de rapprocher ses résultats de l’évolution observée du taux d’intérêt de court terme américain.
La construction d’une règle de Taylor adaptée à la zone euro nécessite donc la détermination d’un
output gap de la zone euro, ainsi que l’estimation des différents paramètres de la règle, le taux d’intérêt
neutre et les coefficients de l’écart d’inflation et de l’écart de production.
1
J.B. Taylor : « Discretion Versus Policy Rules in Practice », Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, n° 39,
1993
2
Goldman Sachs : « The International Economic Analyst », volume 11, issue 6, juin 1996
3
Merril Lynch : « The European Central Bank Policy Dilemma » in Currency & Bond Market Trends – A Biweekly Review,
juillet 1998
4
J.B. Taylor : « The Robustness and Efficiency of Monetary Policy Rules as Guidelines for Interest Rate Setting by the
European Central Bank », Conference on Monetary Policy Rules, Stockholm, juin 1998
G. Peersman, F. Smets : « The Taylor Rule: a Useful Monetary Policy Guide for the ECB? », Conference on Monetary Policy
of the ESCB: Strategic and Implementation Issues, Milan, juillet 1998
5
Cette sensibilité a déjà été mise en évidence sur données nationales, cf. F. Drumetz, A. Verdelhan : « Règle de Taylor :
présentation, application, limites », Bulletin de la Banque de France n° 45 (septembre 1997).
1
Selon les prévisions d’automne 1998 de la Commission européenne, la croissance de la zone euro serait de 3,0 % en 1998 et
de 2,6 % en 1999. L’indice des prix à la consommation augmenterait de 1,5 % en 1998 et de 1,6 % en 1999.
2
Le calcul d’une production potentielle par lissage du PIB conduirait à un output gap plus élevé de 140 points de base en 1997,
entraînant une hausse du taux de Taylor d’environ 80 points.
3
R. Clarida, M. Gertler : « How the Bundesbank Conducts Monetary Policy », NBER Working Paper n° 5581, 1996
4
Une nouvelle estimation de la fonction de réaction de la Banque fédérale d’Allemagne, à partir de données mensuelles et en
prenant en compte les anticipations d’inflation, conduit aux résultats suivants : 0,3 pour l’écart de production et pour l’écart
d’inflation (cf. R. Clarida, J. Gali, M. Gertler : « Monetary Policy Rules in Practice – Some International Evidence », European
Economic Review, 1998).
5
FMI : « Economic Policy Challenges Facing the Euro Area and the External Implications of the Euro », note EBS/98/134,
août 1998, et chapitre V, World Economic Outlook
1
Les taux forward retenus sont ceux du 7 décembre 1998, tenant compte de la baisse des taux directeurs intervenue
le 3 décembre 1998.
La limite fondamentale de l’équation de Taylor doit être recherchée dans sa genèse : cette équation est
construite pour retracer l’évolution passée du taux d’intérêt de court terme en supposant que la banque
centrale est sensible à l’écart de production et aux anticipations d’inflation, sans qu’il soit d’ailleurs
clairement précisé si la présence de l’output gap dans l’équation signifie que la banque centrale s’assigne
également un objectif explicite de production ou si cette présence se justifie par le fait que l’output gap a
un contenu en information sur l’évolution des tensions inflationnistes. Pour affirmer le caractère
« optimal » du taux de Taylor, il faudrait supposer, d’une part que le niveau des taux d’intérêt a été
optimal au cours de la période précédente, d’autre part que les variables prises en compte suffisent au
diagnostic.
Cette double hypothèse étant difficilement vérifiable, de nombreux chercheurs tentent actuellement
d’établir le caractère « optimal » d’un taux de Taylor « amélioré » (notamment par la prise en compte du
taux de change), soit en déduisant les coefficients de la règle d’un modèle simple de l’économie et de la
minimisation d’une fonction de pertes de la banque centrale 1, soit en introduisant différentes règles de
politique monétaire dans des modèles économiques nationaux et en comparant les variances de l’inflation,
de l’output gap et du taux d’intérêt pour vérifier le caractère optimal de la trajectoire suivie 2.
1
Cf. L.O. Svenson : « Inflation Forecast Targeting: Implementing and Monitoring Inflation Targets », European Economic
Review, vol. 41, 1996, et « Open-Economy Inflation Targeting », Institute for International Studies, Stockholm University,
avril 1998
2
Cf. G. Rudebusch, L.O. Svenson : « Policy Rules for Inflation Targeting » in J.B. Taylor : « Monetary Policy Rules »,
University of Chicago, à paraître
ANNEXE 1
Le PIB de la zone euro est le plus souvent calculé par simple sommation des séries Eurostat de PIB de
chaque pays de la zone. Outre des risques de double comptabilisation de certains échanges extérieurs mal
recensés 1, ce mode de construction pose deux problèmes :
– la série obtenue débute seulement en 1980, puisque les séries Eurostat (en écus 1990) ne sont pas
antérieures, ce qui n’offre pas un historique suffisamment long pour calculer de véritables tendances ;
– l’introduction d’une monnaie extérieure à la zone (le dollar ou la livre sterling à travers l’écu) pour
convertir les séries nationales risque de fausser la variation du PIB de la zone : ainsi, une hausse
momentanée du dollar supérieure à la parité de pouvoir d’achat gonflerait artificiellement et
transitoirement le PIB de la zone.
Pour s’affranchir de cette double contrainte, la détermination d’un indice trimestriel du PIB de la zone
euro depuis 1970 nécessite trois étapes :
– pour chaque pays et par trimestre, le calcul du glissement trimestriel du PIB exprimé en monnaie
nationale à prix constants ;
– l’obtention de la moyenne de ces glissements trimestriels, pondérés par le PIB annuel de chaque pays
exprimé en dollars à parité de pouvoir d’achat ;
– la construction à partir de ces valeurs trimestrielles d’un indice de base 100 en 1970.
Le manque de données conduit pour certains pays à quelques approximations :
– pour la Belgique (1977-1985), l’Autriche (1996-1997) et l’Irlande, des données trimestrielles de PIB
sont obtenues par linéarisation des données annuelles du FMI ;
– pour la Finlande (1971-1975) et le Portugal (1978-1986), le glissement trimestriel de la série FMI est
raccordé à celui de la série nationale.
Sur la période 1971-1997, l’indice du PIB de la zone euro est donc finalement construit à partir des
données de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Finlande, de la Belgique (à partir du
troisième trimestre de 1971), de l’Irlande (troisième trimestre de 1971), de l’Autriche (premier trimestre de
1973), des Pays-Bas (premier trimestre de 1978) et du Portugal (premier trimestre de 1978).
1
Les exportations d’un pays vers un autre ne correspondent pas toujours aux importations de ce second pays en provenance
du premier.
ANNEXE 2
L’écart de production de la zone euro est estimé soit par lissage de la production observée, à l’aide d’un
filtre d’Hodrick-Prescott, soit par la méthode des trends coudés. Cette dernière estimation est préférée aux
valeurs obtenues par filtrage, trop sensibles au choix de la période d’estimation (effets de bords) et se
prêtant mal aux projections.
Le calcul du PIB tendanciel nécessite la détermination des dates de rupture du trend à partir d’une
équation en différence première car le PIB réel est I(1). Le choix des dates de rupture se fait par
minimisation de la somme des carrés des résidus avec les contraintes suivantes : deux dates doivent être
éloignées d’au moins trois ans pour véritablement définir une période homogène et elles doivent avoir une
signification économique. En supposant deux ruptures de tendance, cet algorithme conduirait à retenir le
deuxième trimestre de 1974 et le premier trimestre de 1985. Le problème de l’interprétation au niveau
européen de la seconde date conduit à ne retenir qu’une seule rupture, estimée selon la même méthode au
quatrième trimestre de 1973. Cette date s’inscrit à mi-chemin entre la date de rupture usuellement retenue
pour l’Allemagne (deuxième trimestre de 1973) et celle de la France (deuxième trimestre de 1974). Selon
cette estimation, l’écart de production serait de – 0,7 % au premier trimestre de 1998. Avant le choc
pétrolier, le rythme de croissance annuel tendanciel est évalué à 4,8 % ; ensuite, il n’est plus que de 2,3 %.
-1
-2
-3
-4
ANNEXE 3
L’estimation d’une fonction de réaction fictive de la zone euro avant la mise en place de la BCE repose
sur la méthodologie présentée par R. Clarida et M. Gertler en 1996 sur données allemandes. Celle-ci
suppose qu’une banque centrale tend à lisser les changements de taux d’intérêt afin de ne pas entamer, par
des mouvements erratiques de taux, sa crédibilité auprès des marchés financiers. La fonction de réaction
s’écrit donc sous la forme d’un ajustement partiel du taux d’intérêt ; à chaque période, le taux d’intérêt
s’ajuste à la moyenne pondérée du taux d’intérêt désiré et du taux d’intérêt réalisé lors de la période
précédente :
i (t) = λi (t-1) + (1-λ) * (α y (t) + βp (t) + γ
)
Sur la période troisième trimestre de 1979-quatrième trimestre de 1997, les séries de taux d’intérêt de
court terme, d’output gap et de glissement annuel des prix à la consommation peuvent être considérées
comme stationnaires au seuil de 10 % 1. L’estimation économétrique des coefficients c1, c2, c3 et c4
conduit (selon les MCO) à l’équation suivante :
i (t) = 0,826 i (t-1) + 0,148 y (t) + 0,180 p (t) + 0,75 %
1
Selon les travaux de R. Clarida et alii, 1979 est une année charnière pour l’étude du comportement de la Banque fédérale
d’Allemagne. Cette date est reprise comme début de la période d’étude de la zone euro par G. Peersman et F. Smets, op. cit.
2
Les variables instrumentales utilisées sont, comme dans R. Clarida et alii, les valeurs retardées de 1, 2, 3, 4, 5, 6 et
8 trimestres de l’inflation, des taux court et long, du taux de change, de l’output gap et du prix mondial des marchandises.
Le paramètre J suit une loi du khi-deux à 38 degrés de libertés (42 variables instrumentales – 4 paramètres). La p-value
associée, supérieure à 95 %, témoigne de la validité de l’ensemble des coefficients.
ANNEXE 4
Le taux de Taylor est construit avec, pour les coefficients d’écart de production et d’écart d’inflation et
pour le taux neutre, les valeurs estimées de la fonction de réaction en fixant le plafond d’inflation toléré par
la banque centrale à 2 %, selon l’expression :
i (t) = 3,4 % + p (t) + 0,6 y (t) + 0,3 (p (t) - 2 %)
Le taux d’intérêt nominal de court terme de la zone est la moyenne des taux d’intérêt interbancaires à 3
mois des onze pays, pondérés par le PIB annuel de chaque pays exprimé en dollars à parité de pouvoir
d’achat. À partir du quatrième trimestre de 1998, ce taux est remplacé par la moyenne pondérée des taux
forward de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, selon leur valeur au 7 décembre 1998.
L’écart entre le taux de Taylor et le taux de marché peut être décomposé selon l’expression proposée
par R. Clarida et M. Gertler : somme de l’écart entre le taux de marché moyen et le taux de marché
allemand (prime de risque moyenne), de l’écart entre le taux de marché allemand et le taux de Taylor pour
l’Allemagne (écart de comportement de la Banque fédérale d’Allemagne par rapport à sa fonction de
réaction), et de l’écart entre le taux de Taylor pour l’Allemagne et le taux de Taylor pour l’ensemble de la
zone euro (écart de fondamentaux). Le graphique ci-après représente cette décomposition.
D’un point de vue rétrospectif, l’écart très faible entre le taux de Taylor et le taux de marché de la zone
euro depuis 1994 est la résultante d’une prime de risque décroissante et d’un écart entre le taux de Taylor
pour l’Allemagne et celui de la zone croissant à partir d’une valeur négative. À partir de 1998, le taux de
Taylor de la zone euro devient inférieur au taux de marché de la zone et cet écart est très proche de celui
observé entre le taux de Taylor pour l’Allemagne et le taux de marché allemand.