45 Marwa HLEL Pp. 583 598
45 Marwa HLEL Pp. 583 598
45 Marwa HLEL Pp. 583 598
Hlel
Marwa HLEL
Université Paul Valéry Montpellier - France
Laboratoire CRISES
hlel.marwa@gmail.com
Abstract : Starting from the analytical and reflexive look brought to the
European coastal houses built between 1920 and 1950 in Sidi Bou Saïd and
Hammamet, the present work focuses on the relationship between the
concept of the artialisation, the coastal architecture and the tangible and
intangible heritage. The aim is to reveal the different forms of the cultural
and artistic mix between the East and West. In fact, pictorial, literary and
poetic representations, mixed with linguistic, mythical and architectural
registers outline a path towards the construction of an aesthetic architecture
and a new way of life on the Tunisian coast. Often marginalized, this coastal
heritage finds in the diversion of the initial function a preserved past that is
still surviving.
Introduction
Depuis l’instauration du Protectorat en 1881, la Tunisie connaît des
mutations politiques, sociales, économiques ainsi qu’architecturales et artistiques
caractérisant cette période transitoire de son histoire. Sa réception des flux
d’européens allait du quartier franc de la Médina, à la nouvelle ville européenne
jusqu’aux les villages de la banlieue de Tunis et la région de Cap Bon où les
résidences permanentes et secondaires en bords de mer constituent une véritable
1 Parmi ses ouvrages sur l’architecture tunisienne, on cite : L’habitation tunisoise. Pierre, marbre et fer dans
la construction et le décor (1978), Palais et résidences d’été de la région de Tunis (XVIe-XVIIe siècles) (1974),
Aspects de l’élément andalous dans les palais et demeures de Tunis (1973).
Pendant combien d’années faudra-t-il tremper nos yeux et notre pensée dans
ces colorations insaisissables, si nouvelles pour nos organes instruits à voir
l’atmosphère de l’Europe, ses effets et ses reflets avant de comprendre celle-
ci, de les distinguer et de les exprimer jusqu’à donner à ceux qui regarderons
les toiles où elles seront fixées par un pinceau d’artiste la complète émotion
de la vérité.
De Maupassant (1993, p.90)
Son palais était un véritable carrefour de rencontre pour les peintres, les
musiciens, les voyageurs, les hommes de sciences d’origine européenne,
tunisienne ou maghrébine. Sans oublier le grand intérêt qu'il portait à la musique
andalouse et du Malouf ainsi qu’aux instruments musicaux pour compléter son
œuvre orientale.
À l’aide d’un petit bateau, je me suis rendu au large pour vérifier la justesse
de l’implantation de mes bâtiments. Je voulais, du lycée, profiter de la vue
tout en respectant, l’intégrité du site millénaire.
Institut français d’architecture (1991, p.228)
Illustration 3 : Sidi Bou Saïd, Jacques Marmey, Aquarelle, 1987, Le centre d’archives d’architecture du
XXe siècle, Paris Source : Fonds Jacques Marmey. Centre d’archives d’architecture du XXe siècle
2L’architecturevernaculaire est avant tout une architecture amie du patrimoine et de l’environnement. Elle
est mise en œuvre par le biais de discours transmis d’une génération à une autre. Elle présente le modèle
d’une intégration à un environnement aussi complexe tels que le désert, la montagne, le littoral, etc. Selon
Amos Rapoport, l’architecture vernaculaire se définit à partir du climat, de l’économie, de la technologie,
des matériaux et de la religion.
le moucharabieh, mais aussi, les terrasses et la piscine encadrée par une galerie
d’arcades, sont agencés d’une manière à capter les segments de la nature, les
couleurs et la lumière dans son évolution journalière (voir Illustration 7 et 8).
Toute blanche, cette maison se fonde nettement dans l’atmosphère
méditerranéenne, excluant toute illusion de construction ou d’aménagement.
Ces caractéristiques s’appliquent à dar Henson avec une jonction entre les arts.
Des éléments architecturaux comme le patio, le bortal3, le moucharabieh, la
dokkana4, l’atba5 ou le seuil, les portes traditionnelles à double battants affirment
le style arabo-musulman (voir Illustration 9). L’agencement de l’espace intérieur,
quant à lui, est imaginé par Jean-Michel Frank, ami proche de couple Henson. Il
3
Bortal (bratel en pluriel) est un débordement au niveau de la dalle permettant de protéger les pièces
ouvertes sur le patio à ciel ouvert.
4
Dokkana ou dukkana (dkaken en pluriel) est une banquette en pierre, blanchie à la chaux.
5
Atba (atteb en pluriel) est une marche située à l’entrée principale de la maison.
patio, wesetel-dar entourée par des portiques et des pièces ayant la forme de T
renversée. Cet usage du terme Dar par les européens est voulu probablement
pour sa signification sociolinguistique et patrimoniale ainsi qu’architecturale. Ils
désiraient n’est-ce pas déchiffrer les signes de la culture arabo-musulman et de
s’investir profondément dans le patrimoine au moment où les tunisiens le
laissent en préférant le style moderne et international.
Une initiative privée tout en faisant appel à des acteurs variés et complexes
en Tunisie et en France aboutit finalement au classement du village Sidi Bou Saïd
patrimoine mondiale par l’UNESCO en 1979. Avec Sébastian et Henson le
tourisme qui se fonde sur le voyage passager se transforme en un tourisme
romantique de résidence ou selon la formule de Paul Klee une manière d’«habiter
poétiquement Hammamet » (Duvignaud, 1980 :31). Cependant, les architectures
produites sont fortement attachées au paradigme patrimonial dont le concepteur
le façonne et le réutilise selon ses approches personnelles et ses rêveries. Il n’était
pas difficile que cette créativité architecturale se diffuse en tant qu’un véritable
art de vivre et de construire. Après des années d’isolement dans la Dar Lekbira,
Sébastian se remet à réaliser des actions de rénovation, de sauvegarde et de
réaménagement dans la ville de Hammamet.
Il aménagea des souks couverts, installa un bain maure, rénova les échoppes
offertes aux artisans, créa un café-maure aux pieds des remparts y imposant
son style reconnaissable aux trois grands arcs qui reposent sur de frêles et
hauts piliers formant trois portiques rythmés en alternance avec trois
mûriers. […]. Il fit disparaitre les câbles électriques qui défiguraient la
médina et interdit les antennes collective, installée extra muros.
Revue d’art et de décoration (1967)
Ses ambitions n’ont pas de limite ce qui lui amène d’ailleurs à déclarer que pour
la région de Cap Bon jusqu’au le Sahel :
Une initiative qui est en continuité avec celle de Rodolphe même si les processus
et les résultats ne sont pas les mêmes. Palais Ennajma Ezzahra, Dar Patout, Dar
Sébastian et Dar Henson qui ont une mission militante dans la valorisation de
l’architecture arabo-musulmane continuent leur mission aujourd’hui sous une
forme nouvelle. Ennajma Ezzahra détournait de sa fonction initiale pour devenir
le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes. Après l’acquisition de Dar
Sébastian par l’Etat, elle devient le Centre Culturel International de Hammamet.
Dar Patout et Henson, quant à eux, immortalisent l’histoire de leurs propriétaires
et leurs sites d’implantation. En effet, le concept de détournement se voit comme
une alternative pour revivre les bâtiments et préserver le patrimoine. Certaines
maisons en bords de mer qui ont tombé dans l’oubli pour des années ouvraient
leurs portes au public sous forme de musée de mémoire tels que le palais de
Habib Bourguiba (Palais de marbre à Skanès), le musée privé Dar El Annabi6 à
Sidi Bou Saïd. D’autres sont réaménagées en maisons d’hôtes à savoir Dar Babi
et Dar Lebhar à Hammamet, ou en accueillant une institution à savoir Dar El-
Kamila, la résidence de France à la Marsa. Le changement de la fonction initiale
ne se limite pas aux maisons côtières mais il atteindra les espaces sacrés comme
les zaouïas converties en un espace de loisir (café ou restaurant) ou culturel.
Même si la raison de leur existence s’estompe progressivement, ce nouvel usage
présente une forme de préservation face aux menaces du tourisme en masse.
Conclusion
De ces quelques maisons côtières, on arrive à parcourir une partie de
l’histoire de l’architecture tunisienne. Entre 1920 et 1950, Sidi Bou Saïd et
Hammamet ont connu des esthètes européens d’origine allemande, américaine,
française, italienne. Ils ont joué un rôle pionnier dans l’intégration d’un concept
nouveau l’artialisation de la nature et d’une œuvre architecturale esthétisée et
largement ouverte sur le paysage. C’est dans la trilogie : maison, jardin et mer
que la vie de ces esthètes se déroulait sans épanouissement. Cette artialisation in
situ est accompagnée par une artialisation in visu. Elle s’illustre dans les œuvres
artistiques, musicales, littéraires et poétiques. Paul Klee et ses amis peintres,
Auguste Macke et Louis Moilliet ont mémorisé leur voyage artistique à
Hammamet en 1914 par les peintures qui enchantent la lumière, la couleur et les
symboles de la Tunisie. Le discours élaboré par des artistes, écrivains, poètes,
architectes…à savoir Le Baron d’Erlanger, Jacques Marmey, Gustave Flaubert,
Guy de Maupassant complètent cette démarche esthétique. L’ensemble des
6 Dar El Annabi est une ancienne résidence d’été du Mufti Mohamed Annabi à Sidi Bou Saïd.
Références bibliographiques
ALAIN Roger. 1997. Court traité du paysage, Gallimard, Paris.
ALI Louati. 2006. Le Baron d’Erlanger et son palais EnnajmaEzzahra à Sidi Bou Saïd,
Simpact, Tunis.
AZZOUZ Ashraf, David Massey. 1988. Maisons de Hammamet, Dar Ashraf, Tunis.
AZZOUZ Ashraf, David Massey. 1992. Maisons de Sidi Bou Saïd, Dar Ashraf,
Tunis.
BEY Abdelaziz. 2016. Le vieux-Kram, Cartaginoiseries, Tunis.
HAKIM Besim Selim. 2009. Sidi BouSa’id, Tunisia : structure and form of a
Mediterranean village, Schooll of architecture Nova Scotia Technical
College, Halifax.
PAUL Klee. 2004. Journal, Grasset, Paris, coll. « Les cahiers rouges ».