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Handicap L'éthique Dans Les Pratiques Cliniques

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CONNAISSANCES DE LA DIVERSITÉ
Comprendre – Comparer
Accompagner – Soigner
Éduquer – Enseigner – Former

Collection dirigée par Charles Gardou


Cette collection ambitionne d’aider à comprendre la diversité humaine et les mul-
tiples visages de la fragilité, parfois radicale comme dans les situations de handicap ;
d’interroger les manières d’enseigner, d’éduquer ceux qui ne sont pas « à la norme »,
de les accompagner, de les soigner, également au sens psychique du terme ; de ques-
tionner les façons de former les acteurs sociaux ; d’identifier les leviers sur lesquels agir
pour susciter des pratiques et des dispositifs inclusifs ; de diffuser les fruits de la
recherche, les bonnes pratiques, les innovations ; de comparer ce qui est réalisé ici et

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ailleurs, dans d’autres cultures.
Elle veut contribuer de cette manière à régénérer les idées, les pratiques cliniques,
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éducatives et sociales, notamment pour les plus vulnérables, en difficulté de vivre dans
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nos sociétés qui supportent mal l’imparfait et l’imprévisible.
Elle s’intéresse aux grandes dimensions qui concernent leur existence : autonomie
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et citoyenneté ; santé, éthique et déontologie ; vie psychique, affective, familiale et


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sexuelle ; éducation scolaire ; vie professionnelle ; art et culture ; sport et loisirs ; situa-
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tions de grande dépendance. Visant un savoir incarné, partagé, utile, elle entrecroise
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des connaissances issues de différentes disciplines, de divers contextes culturels, et elle


met en dialogue les recherches, les expériences de terrain, les rôles, les réalisations
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concrètes.
Dans une démarche jamais achevée et inachevable, elle donne ainsi toute leur
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place aux expressions de la pluralité, reconnaît la fragilité comme condition commu-


ne, en replaçant le handicap, l’une de ses formes, dans l’ordinaire de la vie humaine.
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VOIR LES TITRES DÉJÀ PARUS EN FIN D’OUVRAGE


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dans les pratiques cliniques


Handicap : l’éthique
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ONT PARTICIPÉ À CET OUVRAGE

Pierre Ancet
Anne Brun
Jacques Cabassut
Albert Ciccone
Véronique Cohier Rahban
Jean-Pierre Durif-Varembont
Emmanuel Hirsch
Simone Korff-Sausse
Chantal Lheureux-Davidse
Sylvain Missonnier
Silvia Pagani

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Véronique Pautrel
Hélène Romano Z
Roger Salbreux
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George Saulus
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Régine Scelles
Elio Tesio
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Denis Vaginay
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Sous la direction de
Régine Scelles
avec
Albert Ciccone, Simone Korff-Sausse,
Sylvain Missonnier et Roger Salbreux

Handicap : l’éthique

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dans les pratiques
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cliniques
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Postface de Emmanuel Hirsh


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CONNAISSANCES DE LA DIVERSITÉ
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Conception de la couverture :
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Anne Hébert

ISBN : 978-2-7492-0955-5
CF – 1000
© Éditions érès 2008
11, rue des Alouettes, 31520 Ramonville Saint-Agne
www.edition-eres.com

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente
publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les
articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre français d’exploitation du
droit de copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris, tél. 01 44 07 47 70, fax 01 46 34 67 19.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 7

Introduction

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Ce livre traite de questions fondamentales en matière d’éthique dans


la clinique du handicap. Il regroupe les contributions d’auteurs qui sont
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intervenus lors du second séminaire interuniversitaire sur la clinique du


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handicap (SICHLA) à Nanterre en octobre 2007, dont l’objectif était de


rendre compte de la nécessité d’une réflexion éthique et de sa richesse
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pour la théorie et la pratique.


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La réflexion éthique n’est pas pour ceux qui s’expriment dans ce livre
un plus, un thème particulier qui s’ajouterait à d’autres thématiques mais
elle est au fondement même de la relation à l’autre et de la conception
du travail avec lui. Mis à part Emmanuel Hirsch qui a accepté de faire la
postface de cet ouvrage et qui est un spécialiste connu et reconnu de
l’éthique, aucun des auteurs n’est spécialiste de ce champ d’étude. En
revanche, tous, dans leur pratique de chercheurs, de praticiens ont été,
en quelque sorte, contraints de se confronter à des questions éthiques
qui naissent et se déploient dans les spécificités des liens qui se nouent
avec la personne handicapée dans le contexte sociétal, culturel et insti-
tutionnel de leurs rencontres.
Le handicap soulève de manière inéluctable la question de l’origine,
de la vie ou de la mort (avec, notamment, le diagnostic prénatal), de la
procréation et de la filiation (le droit à la sexualité et à la parentalité des
personnes handicapées), mais aussi celle de la valeur et du sens de l’au-
tonomie physique et psychique.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 8

8 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Le dépistage médical du handicap peut être pensé comme une


scène dans laquelle sont actées des décisions concernant la valeur de
formes de vie particulières, certaines pouvant paraître ne pas valoir la
peine d’être vécues. Cette décision en implique une autre : celle de
décider ce qui fait partie de l’humanité et ce qui en est exclu. La
prévention du handicap, en particulier via le diagnostic anténatal, nous
confronte à un paradoxe : dans une société qui exalte le respect de la
différence, on en vient à vouloir éradiquer toute différence dès lors
qu’elle apparaît comme déplaisante ou anormale. Ainsi s’impose sur la
scène sociale et professionnelle la question suivante : qu’est-ce qu’une
vie digne d’être vécue ? Évidemment, les critères qui président à ces
choix et qui déterminent les pratiques sont largement déterminés par

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les variables sociales et culturelles historiquement datées. Par ailleurs,
la liberté de décider pour soi et pour les membres de sa famille, celle
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du professionnel d’accepter ou de refuser certaines façons de faire ou
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de penser sont fondamentales et parfois douloureusement contradic-
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toires ou antagonistes.
Les auteurs montrent que les problèmes éthiques ne concernent pas
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seulement des thèmes médiatisés évoqués précédemment comme le


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diagnostic anténatal ou encore l’euthanasie. En effet, c’est véritablement


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au quotidien de la pratique, en libéral, en institution, à domicile avec des


enfants, des adolescents, des adultes que le praticien est sommé de
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réfléchir à ses postures éthiques à construire, à fonder et à faire évoluer.


Il n’y a pas pour le clinicien de « grands » et de « petits » problèmes
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éthiques, il y a la nécessité de toujours élaborer une position, une


manière de dire, de faire, de regarder, de penser, de rencontrer l’autre
qui soit le plus respectueuse possible de la dignité des protagonistes de
la relation et qui tienne compte des spécificités des objectifs que chacun
se fixe dans cette rencontre.
Les réflexions éthiques générées par ces situations soulèvent de
multiples questions fondamentales : les processus de production des
normes, de la morale, le rapport entre corps et psyché, l’articulation entre
pensée et langage, l’altérité, la question du mal et de l’absurde, celle des
conditions d’appartenance à l’humanité…
Les professionnels du handicap qui sont quotidiennement aux prises
avec la constante interaction des facteurs éthiques et cliniques sont bien
placés pour relever le défi que représente l’étude des enjeux éthiques
dans leurs dimensions psycho(patho)logiques, imaginaires et fantasma-
tiques évidemment pour partie inconscientes.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 9

INTRODUCTION 9

Une première partie pose les fondements théorico-cliniques du ques-


tionnement, à partir de situations particulières de pathologies rencon-
trées dans la clinique mais aussi dans la littérature. Les auteurs,
psychologues, sociologues, philosophe, psychanalystes, ouvrent des
portes aidant à dépasser la sidération face aux interrogations pour le
moins dérangeantes évoquées plus haut et rendent compte de la néces-
sité et de l’intérêt de ce travail de pensée aux potentialités libératoires et
transformatives indéniables. Pour chacun, avec des références théoriques
et un point de vue différents, il s’agit de montrer que la question est
moins de parvenir à édicter des règles que de ne jamais interrompre ce
débat-là dans un colloque singulier entre soi et l’autre. En effet, l’éthique
ne peut se penser uniquement en terme de « je » mais doit y inclure

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l’autre, la temporalité et le contexte de leur rencontre. Autrement dit,
parler d’éthique suppose de penser le mouvement, l’entre-deux évolutif
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de la prise en compte de soi dans une réciprocité entre l’autre et soi. Ce
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lien se noue et évolue dans la réalité de la rencontre mais peut aussi se
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nourrir d’un lien avec un sujet encore pas né, imaginé, fantasmé.
Dans la seconde partie, à partir de situations cliniques particulières
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(culpabilité des familles confrontées au handicap, autisme, diagnostic


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anténatal, sexualité des personnes handicapées, polyhandicap, travail du


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psychologue à domicile), les auteurs discutent de la manière dont


chacun, à sa façon, élabore sa posture éthique et en élucide les fonde-
ed

ments. Ils soulignent combien ce sont les expériences de rencontres


source de plaisir, de souffrances, d’interrogations qui les ont progressive-
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ment amenés à construire et à faire évoluer leurs positionnements


éthiques. C’est dans le déploiement de la pensée autour de situations,
mis à l’épreuve de l’autre – autres collègues, autres patients, autres insti-
tutions –, que cette réflexion éthique révèle tout son intérêt.
Ce livre se propose donc d’aborder la complexité de cette intrication
entre éthique et clinique dans une perspective pluridisciplinaire, ouvrant
sur la diversité des situations et des recherches engagées et à entre-
prendre.
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L’ÉTHIQUE À L’ÉPREUVE DU HANDICAP :
APPROCHES THÉORICO-CLINIQUES
PREMIÈRE PARTIE

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01 Intérieur Scelles

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Régine Scelles

Éthique et idéologie :
clinique du risque et de la prudence

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La prudence comporte plusieurs éléments : la


mémoire des expériences acquises, le sens intérieur
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d'une fin particulière, la docilité à l'égard des sages


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et des aînés, la prompte attention aux conjonctures,


l'investigation rationnelle, progressive, la prévision
ed

des contingences futures, la circonspection des


opportunités, la précaution dans les complexités.
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Thomas d'Aquin, Somme théologique,


seconde partie, II, questions 48, 49, 51

Les questions éthiques qui intéressent les philosophes, les médecins


et les citoyens sont incontournables pour le praticien confronté à des
familles qui comprennent un enfant handicapé.
Dans ce contexte, l’éthique « au quotidien » s’impose par son
exigence et son recours est nécessaire pour ne pas verser dans le désen-
gagement ou, pire, dans la maltraitance. J’utilise l’expression « éthique
au quotidien » pour positionner clairement mon propos au regard des
règles éthiques telles qu’elles sont définies dans les divers « comités
d’éthique » que le praticien ne peut ni ne doit ignorer mais qu’il met

Régine Scelles, professeur de psychopathologie à l’université de Rouen.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 14

14 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

nécessairement en regard et à l’épreuve de la confrontation de sa rela-


tion au sujet.
La réflexion menée ici s’est nourrie des lectures des œuvres d’Em-
manuel Lévinas 1 et de Paul Ricœur 2 qui, à propos de l’« éthique au quoti-
dien », parle d’une « visée d’une vie bonne, avec et pour les autres, dans
des institutions justes ». Les termes de cette définition organisent le
propos de ce chapitre.
Psychologue, j’ai été amenée à m’intéresser aux questions relatives à
l’éthique en travaillant sur les processus de construction des normes
éthiques, sur leurs fondements et sur les arguments qui les soutiennent.
Autrement dit, je m’intéresse davantage à la métaéthique qu’à l’éthique.
Il ne s’agit pas ici de discuter de « l’éthique générale » mais de « l’éthique

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à propos d’un objet précis », en l’occurrence « la confrontation à des
personnes en état d’extrême vulnérabilité », en référence à une théorie
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précise (la psychanalyse) et dans un contexte institutionnel, sociétal et
D
culturel circonscrit.
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Ricœur 3 parle « d’intention éthique », signifiant ainsi qu’il s’agit d’un


objectif impliquant le dynamisme de la pensée. Il souligne que l’éthique
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doit se penser à la première personne (je) et à la seconde personne (tu),


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ces deux positions n’étant pas séparées, puisque le « tu » peut devenir


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dans d’autres circonstances un « je » : « comme moi », tu dis « je ». Il


ajoute que le « je » et le « tu » ne peuvent se concevoir en dehors d’une
ed

référence à un « nous » qui préexiste à la rencontre, la colore, l’infléchit


et contribue à lui donner sens et effets. De fait, tout ce qui va suivre doit
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être étudié comme prenant place dans un cadre, un contexte préexistant


aux rencontres évoquées. Ce « nous » qui dépasse l’espace « je-tu » ne
s’y réduit pas et ne peut être ignoré.
Se construisant et évoluant toujours dans une rencontre, l’éthique au
quotidien suppose intrinsèquement une prise de risques qui se déploie et
s’évalue dans les liens complexes et singuliers noués entre les patients,
leurs proches et les soignants, chacun œuvrant de sa place à la co-
construction d’une posture qui soit la moins maltraitante possible pour
lui-même et pour l’autre.
Au contraire du dogme, le projet éthique suppose l’appréciation de la
situation dans ses diverses alternatives : ainsi, loin de faire taire les

1. E. Lévinas, Éthique comme philosophie première, Paris, Rivages, 1998.


2. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990.
3. P. Ricœur, op. cit., 1990.
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ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE 15

contradictions, cette démarche réflexive aide à les penser et à les expli-


citer. Travailler sur le fondement des positions prises, sur leur sens, ouvre
la voie à une conception de réponses qui sollicitent la créativité, l’inven-
tivité de tous les acteurs, leur permettant de répondre à la question
suivante : « Que faire pour faire “bien” ? » Dans ce contexte, la notion
du « bien » demande à être définie. Pour ma part, je dirais dans une
sorte d’inventaire à la Prévert les choses suivantes : réduire les pratiques
éthiquement inacceptables ; ne pas nuire ; vouloir le « bien » de l’autre
(principe de bienséance) ; être empathique, ce qui suppose, non de se
mettre à la place de l’autre, de prendre sa place, mais de se mettre en
position de réfléchir à ce qu’il pense, à ce qu’il dit, à ce qu’il fait ; penser
les autres tels qu’ils sont, désirent, veulent et non tels que nous les

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voulons et les désirons ; ne pas renoncer à nos propres convictions et
principes mais accepter de les mettre à l’épreuve de la rencontre avec
Z
l’autre, ces convictions devant être mises en regard du principe de
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responsabilité, tel que l’a développé Lévinas 4 ; respecter l’intimité de
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l’autre au sens fort du terme, englobant tout à la fois sa vie intrapsy-


chique, physique et relationnelle.
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Le processus de construction d’un projet éthique est toujours le fruit


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de compromis rendus nécessaires par des dilemmes, voire des para-


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doxes. Caspar 5 à ce propos écrit :


« L’authentique éthique philosophique ne s’est jamais départie de cette réfé-
ed

rence constante à l’homme empêtré dans toutes ses contradictions intimes


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et les aléas de son existence. »

Pour les professionnels, les proches ou les personnes touchées dans


leur propre corps, la réflexion éthique ne sert pas uniquement à conce-
voir de « bonnes pratiques », mais également à analyser celles qui ont
cours.

ÉTHIQUE ET ALTÉRITÉ

En tant que psychologues, nous devons préserver les personnes


vulnérables de toute infantilisation (Fustier 6 parlait de processus de

4. E. Lévinas, Éthique comme philosophie première, op. cit.


5. P. Caspar, « L'exigence éthique, la personne handicapée », dans D. Vaginay, Trisomie 21.
Transmission et intégration : pour quelle éthique ? Chronique sociale, Lyon, 2000, p. 15-95.
6. P. Fustier, Le travail d'équipe en institution. Clinique de l'institution médico-sociale et
psychiatrique, Paris, Dunod, 1999.
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16 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

minoration). Pour cela, elles doivent pouvoir être « vraiment » là avec un


autre qui les aide, prend soin d’elles, tout en leur garantissant que leur
vulnérabilité ne leur fera pas perdre leur humanité, qui est indivisible. La
garantie du maintien de leur dignité est une œuvre de co-construction à
faire dans l’entre-deux de la rencontre.
L’autre n’est pas qu’une apparence, il est animé de sentiments et
d’émotions qui nous lient à lui. Se soucier de lui, c’est parfois avoir la
capacité d’imaginer quelque chose là où on pourrait croire qu’il n’y a rien,
c’est donner sens à ce qui est en attente et implique la mise en œuvre
d’un processus de création.
Stern 7 parle « d’harmonisation des affects » ou « d’accordage affec-
tif » qui permettent aux partenaires de faire l’expérience d’une commu-

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nication intersubjective. C’est dans la dynamique de la répétition de ces
interactions avec les figures d’attachement que l’enfant construit des
Z
images mentales de lui-même et des autres. Bowlby 8 parle de « modèle
D
interne dynamique d’attachement » qui s’intègre à la personnalité du
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sujet et oriente ses appréciations de l’autre et ses réponses, ce qui est à


l’origine de ses attentes et de son positionnement dans les systèmes de
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liens familiaux et sociaux. Ce processus d’attachement favorise la


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construction des « mécanismes d’interprétations interpersonnelles » ou


Bo

« capacités réflexives » grâce auxquels l’enfant parvient à se « penser


pensant 9 », ce qui n’est pas sans rappeler les propos d’Anzieu 10 selon
ed

lequel celui qui touche se sent, en même temps, touchant.


Certains enfants polyhandicapés crient et pleurent beaucoup, la nuit
M

comme le jour, sans que leurs proches comprennent le sens de ces


pleurs. Impuissants à les aider, leurs proches peuvent ne plus entendre
leurs appels, faute de savoir quel sens leur donner. Aucun mot n’étant
apte à qualifier ce qui est ressenti de part et d'autre, la famille risque
alors d’arrêter de le penser 11. Selon les cas, l’enfant sera imaginé, conçu
comme « un robot » ou « une plante ». Le processus de déshumanisa-
tion peut être envisagé comme une défense visant à gérer l’impossibilité

7. D.N. Stern, Le monde interpersonnel du nourrisson, Paris, PUF, 1989.


8. J. Bowlby, Attachement et perte : vol. 1, L’attachement (1978) ; vol. 2, La séparation
(1978) ; vol. 3, La perte (1984), Paris, PUF.
9. J. Bowlby, ibid. ; B. Golse, « Savoir ou ne pas savoir », Contraste, 9, 1998, p. 5-12.
10. D. Anzieu, « Le moi-peau », Nouvelle revue de psychanalyse, 9, 1974, p. 195-208.
11. F. André, L'enfant insuffisamment bon, Lyon, PUL, 1986.
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ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE 17

de penser l’autre et de le soutenir comme sujet. André 12 parle d’un


enfant qui n’est alors ni mort, ni existant comme sujet, rendant, de ce
fait, la relation d’altérité impossible.
Ontologiquement, tout sujet est fondamentalement dépendant des
autres ; c’est particulièrement vrai chez le bébé, mais quasiment toutes
les situations traumatiques rappellent la fragilité ontologique et la dépen-
dance à l’autre qui caractérisent l’être humain.
Dans la confrontation à un sujet traumatisé ou vulnérable, le plus
difficile n’est pas de considérer ce qu’il a de différent mais bel et bien
d’appréhender ce qu’il a de semblable à soi, c’est ce que plusieurs
auteurs de ce livre rappellent. Sachant que cette asymétrie apparente
renvoie toutefois à une humanité commune et partagée, la « pâte

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commune dont nous sommes faits », dirait Racamier 13, avant tout, il
s’agit pour « prendre soin de la personne handicapée » de garder contact
Z
avec elle, en la plaçant dans un lien de proximité. Si nous ne pouvons
D
accepter de vivre avec cette figure de fragilité humaine, il se peut que
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nous soyons conduits à rêver qu’elle pourrait ne plus exister, à la maltrai-


ter, à agir pour qu’elle n’existe plus. C’est précisément parce que cette
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vulnérabilité est consubstantielle de notre humanité que, pour nous


ok

protéger, nous pourrions faire en sorte de ne voir que ce qui la différen-


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cie radicalement de nous. C’est d’ailleurs ce qu’évoque le frère d’une


jeune femme handicapée 14 :
ed

« J’ai souffert par elle, car elle a mis le doigt sur ma vulnérabilité, mon
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égoïsme et mon égocentrisme, ma peur de la différence. Celle-ci n’est plus


chez elle, exclusivement. »

Toutefois, faire subir aux personnes handicapées un sort peu


enviable, c’est risquer d’avoir à subir un jour le même destin qu’elles :
rester « dehors » ou encore « sur le seuil 15 ». Par ailleurs, les éliminer
n’offre aucune garantie que ce qu’elles incarnent n’existera pas chez un
autre, voire en nous-mêmes, un jour.
Pour accéder à ce que la personne handicapée et ses proches perçoi-
vent et pensent, rien ne remplace la prise en compte de ce qu’ils mani-

12. Ibid.
13. P.-C. Racamier, Le génie des origines. Psychanalyse et psychoses, Paris, Payot, 1992.
14. J.-L. Louis, La nuit apprivoisée, Presse de la Renaissance, 2000, p. 169.
15. A. Van Gennep, 1909, Les rites de passage. Études systématiques des rites, Paris, Éd.
A. et J. Picard (1981).
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 18

18 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

festent et disent eux-mêmes. Or, il est symptomatique de constater


l’écart entre le nombre de personnes « normales » qui discourent sur le
thème : « éthique et handicap », et le peu de personnes, touchées
personnellement par cette atteinte, qui s’expriment sur le sujet. C’est ce
que Korff-Sausse évoque dans ce livre.
Si l’autre ne peut être qu’un « alter » suscitant une telle horreur qu’il
ne peut être pensé dans sa qualité d’« ego » alors l’éthique du moindre
mal s’impose, et il devient alors « un moindre mal » de l’éliminer pour
que toutes souffrances soient épargnées. Toutefois, le traçage de la ligne
de démarcation entre l’« alter ego » et l’« alter » que je peux éliminer
sans porter atteinte à ma propre humanité est pour le moins probléma-
tique et incertain ; cette délimitation pourrait bien dangereusement se

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fonder sur une évaluation concernant l’utilité, les fonctions de la souf-
france pour soi et pour l’autre et, ce faisant, au prétexte de prévenir
Z
toutes souffrances, répondre à des impératifs utilitaristes, à court terme.
D
oc

CAS DE CONFLIT ÉTHIQUE


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D

Le cas d’une mère africaine primipare porteuse d’un enfant atteint


ok

d’une microcéphalie sévère montre la complexité de la construction d’une


Bo

position éthique qui soit aidante et bientraitante pour tous les acteurs de
la situation, enfants, parents et professionnels.
ed

Lors d’une échographie, en présence du père, le médecin détecta une


anomalie cérébrale gravissime. Il informa les parents du pronostic sévère
M

et proposa une interruption médicale de grossesse. La mère refusa d’em-


blée cette perspective mais le père, sensible aux arguments du médecin,
engagea sa femme à consulter sa famille avant de prendre une décision.
Cette dernière émit des avis divergents : la mère soutint sa fille dans sa
position, ses sœurs, elles-mêmes mères, l’engagèrent à ne pas garder le
bébé et son père affirma qu’en France, il fallait suivre les conseils des
médecins.
La mère persista dans son désir de garder l’enfant et le père ne l’ac-
compagna que de très loin dans sa grossesse.
Rapidement, le bébé présenta des crises d’épilepsie sévères imposant
un traitement lourd. L’enfant dormait beaucoup et la mère remarqua que
lorsqu’elle ne lui donnait pas ses médicaments, la petite somnolait moins
et s’éveillait davantage et surtout qu’il était possible d’avoir de petits
échanges avec elle. Elle commença alors à doser elle-même les médica-
ments. Au début, elle expliqua clairement les raisons pour lesquelles elle
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 19

ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE 19

ne donnait pas les posologies prescrites, ce que le médecin et les inter-


venants traduisirent par : « elle ne comprend pas le sens du traitement ».
En fait, elle comprenait à quoi servaient les médicaments mais avait
décidé qu’il valait mieux que sa fille fasse quelques crises et s’éveille un
peu plutôt qu’elle ne fasse aucune crise et dorme continuellement. Ne
pas donner les médicaments permettait à la fille et à la mère de vivre des
moments d’échanges gratifiants pour toutes les deux.
L’équipe médicale et éducative supportait de moins en moins cette
non-observance qui, compte tenu de la pathologie, mettait la vie de l’en-
fant en danger et, en tout cas, pouvait créer des dommages cérébraux
irréversibles.
De son côté, la mère se souvenait que les médecins et son mari

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avaient voulu la mort de son bébé et qu’elle seule, soutenue par sa
propre mère, l’avait, dit-elle lors d’un entretien, « sauvée ». Elle n’était
Z
alors pas loin de penser que les médicaments qui endormaient sa fille
D
étaient en fait, pour les médecins, une manière de la tuer tout douce-
oc

ment. De leur côté, comme en miroir, l’équipe émettait l’hypothèse


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D

qu’ainsi, inconsciemment, cette femme mettait en acte un désir de mort


visant son enfant.
ok

Face à l’hostilité de l’équipe, la maman commença à mentir


Bo

maladroitement aux professionnels pour justifier la persistance des


crises malgré le traitement qu’elle affirmait maintenant « bien » donner
ed

pour, me dit-elle un jour, « avoir la paix ». Elle semblait de plus en plus


M

hermétique aux explications médicales concernant les bienfaits des


médicaments.
Excédée, douloureusement impuissante, l’équipe fut de plus en plus
disqualifiante pour cette mère. Cette dernière percevait cette hostilité ;
les antagonismes entre l’équipe et elle-même augmentèrent et le méde-
cin commença à envisager un signalement pour mauvais traitements.
Cette situation s’atténua quand, après une forte crise d’épilepsie, la
petite fille fut conduite dans le coma, en urgence, à l’hôpital. La mère
crut que sa fille était morte et tout à coup, tout ce qui lui avait été dit sur
les risques des crises fit sens pour elle. Rétrospectivement, elle prit peur
et se sentit très coupable à l’idée d’avoir fait du mal à sa fille. Sa détresse
toucha l’équipe et permit des mouvements d’empathie ouvrant sur une
modification de la manière dont les uns et les autres se percevaient
mutuellement ; les jugements que chacun portait sur l’autre s’assoupli-
rent, ce qui permit un meilleur travail de collaboration.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 20

20 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Dans cette situation, il était plus facile pour les professionnels de


s’identifier à l’enfant, qui suscitait un désir de protection, que de s’iden-
tifier à la mère qui était hostile et refusait l’aide proposée. Sans doute
était-il légitime de considérer que le bébé était en danger s’il ne bénéfi-
ciait pas du traitement médicamenteux prescrit. Toutefois, qui peut affir-
mer que, confiée à une institution donnant correctement le traitement,
cette petite fille aurait survécu à la séparation et à la condamnation de
sa mère comme mauvaise protectrice de sa fragile existence ?
De fait, pendant un long temps, la position adoptée par la mère n’a
pas été reconnue dans sa légitimité et sa valeur et jusqu’à l’épisode du
coma, les rencontres avec les professionnels ont été source de disquali-
fication mutuelle. La mère vivait les professionnels comme voulant la

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mort de sa fille, et l’équipe, de son côté, imaginait que cette mère avait
inconsciemment des vœux de mort à l’égard de son enfant. « Elle ne peut
Z
que désirer que son cauchemar cesse », dit une éducatrice ; « Elle est
D
un peu limitée sur le plan intellectuel », jugea un jour le médecin, esti-
oc

mant que les crises et ses effets ne pouvaient pas vraiment être compris
par cette mère. Chacun était alors renvoyé à une douloureuse solitude
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D

dans laquelle il cherchait davantage à prouver le bien-fondé de sa posi-


ok

tion plutôt que de la mettre à l’épreuve de celle de l’autre afin de la faire


Bo

évoluer à ce contact.
Ce n’était pas seulement d’explications scientifiques dont cette mère
ed

avait besoin mais bien qu’on l’aide à expliciter la façon dont elle perce-
vait son enfant, dont elle parvenait à être sa mère et qu’elle espérait la
M

faire grandir.
À travers cet exemple, on voit combien la construction d’une position
éthique est complexe et concerne toujours un sujet singulier et une
équipe singulière, mais sans jamais oublier le « nous » qui dépasse le
colloque singulier « je-tu » évoqué par Ricœur.
Dans un tel cas de figure, le psychologue doit composer avec la légi-
timité des différentes postures adoptées par chacun, tout en faisant
travailler sa propre position. En l’espèce, je pensais qu’on ne pouvait bien
soigner ce bébé sans prendre également soin de sa mère et qu’il était
impératif de composer avec cette femme.
La mère et les professionnels qui l’entouraient percevaient certes la
même chose – à savoir les convulsions – mais ne l’interprétaient pas de
la même manière. C’est la souffrance exprimée par la mère – peur de
perdre son enfant et culpabilité de n’avoir pas écouté les professionnels –
qui l’a rapprochée des soignants. En retour, ceux-ci ont été touchés par
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 21

ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE 21

cette femme qui maintenant leur demandait de l’aide et acceptait celle


qu’ils lui proposaient.
Les professionnels ne peuvent se soustraire à la violence de la
confrontation à la vulnérabilité humaine, ils ne peuvent qu’être touchés
par ce que vivent les patients et leurs proches et ils doivent pouvoir
penser, accepter de ressentir les émotions que cela soulève chez eux
pour prendre de la distance et faire avec elles. Dans ce processus le
travail de penser en groupe est fondamental.
Lors d’un groupe de parole, une AMP raconte la chose suivante : alors
qu’elle se promenait dans les couloirs, elle vit une jeune fille polyhandi-
capée les yeux grands ouverts qui la regardait intensément. Elle en fut
bouleversée. Ce regard l’avait interpellée car il opérait un rapprochement

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difficilement soutenable entre elle et cette jeune fille ; rétrospectivement,
ce langage œil à œil l’avait conduite à prendre conscience que pour
Z
supporter cette rencontre, elle s’était persuadée qu’elle ne s’occupait pas
D
d’une personne humaine, comme elle, mais d’une « chose malade ». Par
oc

surprise, ce regard l’avait en fait obligée à ressentir une « mêmeté »


d’humanité qui, tout en provoquant chez elle un malaise, en même temps
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D

l’humanisait. En effet, prendre soin d’un être « humain-chose » chosifie


ok

le soignant.
Bo

Une mère raconte dans un film 16 que depuis la naissance de son fils
IMC, elle ne peut être sereine que lorsqu’il dort parce que, dit-elle,
ed

« quand il dort, il n’est plus handicapé ».


Travailler auprès des personnes lourdement handicapées interpelle
M

notre psyché, leur étrangeté fait écho à la nôtre, en nous rendant étran-
gers à nous-mêmes. Il y a parfois un douloureux écart entre ce que le
professionnel « sait qu’il faut penser » pour être en accord avec ses
missions et sa déontologie professionnelle, ce qu’il « voudrait penser »
pour être en accord avec ses propres idéaux d’origine familiale, culturelle,
sociale et ce qu’il « pense vraiment » face aux situations auxquelles il est
confronté, dans sa pratique. Pour que ces écarts ne génèrent pas trop de
souffrance, y compris pour les patients, parfois rendus responsables du
malaise, les professionnels doivent pouvoir parler sans redouter un juge-
ment, un blâme ou une disqualification. Ce « penser en groupe 17 » offre

16. Sois sage ô ma douleur, film documentaire, Saladin et Casanova, 1993.


17. P. Fustier, Le travail d'équipe en institution, op. cit., 1999 ; D. Mellier et coll., Vie émotio-
nelle et souffrance du bébé, Paris, Dunod, 2002.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 22

22 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

l’opportunité de rencontrer chez des collègues des questionnements, des


révoltes, des souffrances, qui, partagées, deviennent plus familières et
donc moins persécutantes. Ces échanges ouvrent souvent sur une évolu-
tion du sentiment de défaillance vers un sentiment de compétence à
expliciter ses difficultés pour apprendre à faire avec, sans se faire du mal
et sans faire de mal aux patients. Si le cadre est contenant et bienveillant,
le professionnel peut alors se risquer à évoquer ses faiblesses, sa vulné-
rabilité, ce qui, en miroir, peut aider ses collègues à parler à leur tour.
Cette aide apportée aux pairs gratifie et soulage celui qui est à l’origine
de ce mouvement réflexif sur les pratiques. Ces échanges évitent parfois
que le patient paie pour les souffrances que sa pathologie fait subir aux
soignants.

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RISQUE DU PARTAGE DE LA MÊME HUMANITÉ AVEC LES PLUS VULNÉRABLES
Z
D
Molénat 18 montre que les émotions des parents et celles du soignant,
oc

autour de la situation de handicap, peuvent se répondre, pour peu que


ce dernier accepte de se laisser toucher. Pour cela, il est nécessaire que
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D

le sujet vulnérable et faillible qu’il craint de réveiller chez lui parvienne à


ok

composer avec le professionnel, protégé par un savoir et un cadre profes-


Bo

sionnel. C’est à ce prix qu’il peut accepter de se sentir touché par l’en-
fant handicapé et par ses proches, sans risque pour lui ni pour l’autre.
ed

Se montrer attentif aux moments où il se sent « étrangement »


affecté par une situation, où son attention se focalise « bizarrement » sur
M

certains détails d’une scène ou, encore, lorsqu’il ne comprend pas pour-
quoi il agit comme il le fait aide le soignant à prendre conscience de ses
mouvements de projection et d’identification et le soutient dans ses
capacités à saisir ce qui le lie et le sépare de ceux dont il prend soin ;
vécus comme étranges, ces moments sont des indicateurs de la manière
dont la subjectivité et l’implication produisent des effets dans la relation.
S’appuyant sur cette réflexion, il peut alors prendre une distance, sans
pour cela se couper de ses émotions 19.

18. F. Molénat, Mères vulnérables, Paris, Stock, 1992.


19. R. Scelles, « Les frères et sœurs des enfants handicapés : une souffrance à prendre en
compte », dans G. Zribi (sous la direction de), Construction de soi et handicap mental : l'en-
fant et l'adulte dans leur environnement familial, social et institutionnel, Paris, ENSP, 2000,
p. 75-99.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 23

ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE 23

Le professionnel est conduit à s’interroger sur la personne dont il doit


prendre soin dans un cadre donné et sur la manière dont cette rencontre
l’interpelle comme sujet sexué, appartenant à un certain milieu social, avec
la distance que permettent le savoir-être et le savoir-faire du professionnel.
Dans ce contexte, les formes « préfabriquées » de rencontres sont à
proscrire car aucun schéma, aucune procédure n’épargne l’incertitude du
rapport à l’autre. Se dépêtrer de ces situations implique la mise en œuvre
de processus de créativité à même de transformer la sidération, l’effroi,
la déqualification en autre chose. Pour cela, il est indispensable de
prendre le risque, en toute sécurité, de se laisser aller à sentir ce que l’on
sent et à penser ce que l’on pense. En effet, aucun projet éthique n’est
concevable sans une prise de risque raisonnée et discutée entre soi et soi

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et entre soi et l’autre.
Ce projet doit aider à tolérer les contradictions, les imperfections pour
Z
les mettre en représentations et à l’épreuve de la mise en récit pour soi
D
et pour l’autre. C’est ainsi que, au quotidien, il s’agit de créer un cadre
oc

qui permette d’expliciter des postures éthiques et leurs fondements et les


positions professionnelles qui en découlent. C’est de cette manière que
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D

l’ensemble des acteurs peut être et rester créatif.


ok
Bo

CRÉATIVITÉ ET CROYANCES
ed

La créativité s’étaie sur une certaine sécurité qui prend sa source


dans un terreau familial, social et culturel générateur d’idéologies, de
M

mythes, de croyances, tous concepts qui devraient être explicités et pour-


raient faire l’objet d’un chapitre à part entière. Mais tel n’est pas mon
objectif ici. Je vais donc employer le mot « croyances » pour parler de
tout ce que le sujet construit comme certitudes dans et avec son groupe,
en se nourrissant de son histoire personnelle, familiale, sociale et profes-
sionnelle. Ces croyances partagées et intégrées comme siennes lui four-
nissent des manières de penser, d’agir face aux réalités auxquelles il est
confronté.
Pour constituer un groupe familial ou institutionnel, le partage des
croyances est indispensable. Le tout est qu’elles ne soient pas prises pour
des vérités devant s’imposer à tous, hors de toute contextualité. Elles
deviendraient alors des convictions sur lesquelles le sujet perdrait tout
regard critique, lequel est garant de la possibilité de prendre en compte
la valeur et la fonction des croyances de l’autre sans se sentir soi-même
mis en danger.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 24

24 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Compte tenu du thème de ce chapitre, il s’agit de se demander ce qui


se passe lors de la rencontre entre les « croyances familiales » et les
« croyances des professionnels ». En effet, dans le cas de la jeune mère
évoqué plus haut, il est évident que les croyances de la mère, celles du
père et celles de l’équipe se nourrissent d’une histoire et d’une culture
différentes.
Les croyances groupales de tous ceux qui interviennent dans le
champ du handicap répondent à des logiques différentes et ont été
créées dans des contextes différents. Plutôt que de les opposer, il
convient qu’elles soient reconnues dans leur utilité et leur valeur respec-
tives, par chacune des parties en présence ; c’est à cette condition
qu’elles pourront s’influencer les unes les autres, sans disqualification

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mutuelle.
Dans le cas contraire, celui qui voit sa croyance disqualifiée peut le
Z
vivre sur le mode persécutif (il m’attaque, il m’en veut) ou dépressif (il a
D
raison, je suis mauvais). Les professionnels réagissent parfois de manière
oc

défensive à la première réaction, ils cherchent à « convaincre » l’autre du


bien-fondé de leur attitude et supportent mal d’être vécus comme le
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D

« mauvais objet ». C’est ce qui s’est passé dans le cas de la mère ne


ok

donnant pas le traitement à son enfant. La seconde position déclenche


Bo

des mouvements d’empathie, des désirs de soutien, d’aide, toutes


postures en accord avec la vocation professionnelle des soignants. Toute-
ed

fois, cette relation asymétrique – parents en difficultés/professionnels les


secourant – peut contribuer à installer durablement la famille dans une
M

situation de « malade » et de « faible ». Fustier 20 a largement parlé de


ces relations et de leurs effets.
Si les croyances du professionnel et celles de son institution sont vali-
dées par le savoir « scientifique », par les pouvoirs publics qui financent,
celles de la famille sont en quelque sorte autovalidées et courent donc
davantage le risque d’être disqualifiées.
Si les parents acceptent passivement cette disqualification, cela
entrave leurs possibilités de développer leurs propres ressources. Par
ailleurs, cela fait courir le risque à l’enfant de devenir persécuteur de sa
propre famille puisqu’il actualise l’incapacité de ses parents et le fait que
seuls des professionnels savent « faire bien avec lui ».

20. P. Fustier, Le travail d'équipe en institution, op. cit.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 25

ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE 25

Face à cela, Gaillard 21 propose l’idée d’une « danse mythique », au


cours de laquelle les mythes des professionnels et ceux de la famille
pourraient s’influencer mutuellement. Dans cette danse, familles et
professionnels ont les compétences pour influencer le rythme, la forme,
la tonalité et l’évolution d’un nouveau mythe co-produit.
De fait, les croyances familiales remplissent une fonction défensive
face à la réalité mouvante. L’importance est d’évaluer leur plasticité au
changement et de les considérer dans leurs dimensions intergénéra-
tionnelles (transmission des croyances des parents aux enfants) et
intragénérationnelles (création par le groupe-parents ou le groupe-
enfants). Considérées ainsi, loin de gêner l’évolution de la famille, elles
sont des créations qui permettent de vivre avec la réalité à affronter 22.

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FONCTION DÉFENSIVE DES PACTES DÉNÉGATIFS
Z
D
Kaës 23 montre qu’en cas de traumatisme, et le handicap d’un enfant
oc

est un traumatisme pour l’enfant lui-même et pour sa famille, il y a un


repli sur des modalités relationnelles indifférenciées et groupales pour
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D

faire face aux risques de blessure narcissique individuelle et groupale et,


ok

pire, au risque d’effondrement. Ce repli permet, sans se questionner dans


Bo

un premier temps, l’utilisation d’une sorte de « prêt-à-penser groupal »


qui donne sens à ce que, individuellement, le sujet ne peut penser et ne
ed

peut transformer. Ce repli sur le groupe permet de mettre en place un


système de défense commun pour parer aux failles des appareils
M

psychiques individuels. Kaës parle du passage par l’idéologie groupale


comme d’une modalité de type transitionnel. Toute la question est de
savoir si ce passage permettra, par la suite, la construction d’une posi-
tion plus individuée ou si le sujet restera figé dans une loyauté groupale
aliénante.
Pour que cette identité groupale joue son rôle de dépositaire des
parties les plus archaïques de chacun et ainsi les contienne et les trans-
forme, il arrive qu’il soit nécessaire que certains éléments ne puissent

21. J.-P. Gaillard, L’éducateur spécialisé, l’enfant handicapé et sa famille, Paris, ESF, 1999.
22. R. Scelles, « Les frères et les sœurs et la non-annonce du handicap », Pratiques psycho-
logiques, 2, 1998, p. 83-91 ; L. Onnis, « Quand le temps est suspendu : individu et famille
dans l’anorexie mentale », Thérapie familiale, Genève, 21, 3, 2000, p. 289-303.
23. R. Kaës, Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod, 1993.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 26

26 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

être évoqués, pensés et ressentis en famille, ce que Kaës appelle les


négativités qui ne peuvent être mises en représentation par la psyché
familiale. Il différencie la négativité relative, qui est en attente, la néga-
tivité d’obligation, fruit d’un corefoulement, et enfin la négativité radicale
qui est non liée, non pensée et non pensable.
Mécanisme de défense de la psyché familiale, le pacte dénégatif a
pour fonction de nier la négativité radicale et de lier les négativités d’obli-
gation, l’adhésion à ce pacte dépend de ce que chacun, sur le plan imagi-
naire et fantasmatique, imagine qu’il se passerait pour lui-même et pour
ses groupes d’appartenance s’il était totalement ou partiellement rompu.
Aubertel 24 écrit :
« La censure familiale opère sélection et transformation, organise et préserve

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les zones interdites d’accès parce que potentiellement dangereuses, définit
les modes et vecteurs de transmissions pour maintenir l’homéostasie du
Z
groupe dans l’actuel, mais aussi son rattachement à l’histoire et aux généra-
D
tions précédentes. Les moteurs de cette sélection sont en lien avec des
oc

instances groupales idéologiques : maintien d’une image familiale idéalisée,


permanence des valeurs et des interdits familiaux, soit des références à un
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D

moi idéal familial ou à un surmoi familial, et non à des instances indivi-


ok

duelles. »
Bo

Ces théories aident à saisir les fonctions que remplissent certaines


manières de « dire » et de « penser » le handicap et surtout de ne pas
ed

dire et de ne pas le penser ensemble. Lorsque ce filtrage familial devient


M

davantage aliénant que protecteur, alors le sujet doit pouvoir le faire


évoluer, sans mettre le groupe et lui-même en trop grand danger.

NARRATIVE

Pour l’individu confronté à une situation traumatique, de « bonnes


expériences » répétées avec un autre bienveillant font éprouver au sujet
le bénéfice d’un « penser ensemble » dans une co-construction d’un
récit. C’est dans ce « penser ensemble » que la souffrance parvient le
mieux à s’inscrire dans le temps : temps du sujet ; temps de l’autre ;
temps de ses groupes d’appartenance. Compte tenu de ce qui a été dit

24. F. Aubertel, « Censure, idéologie, transmissions des liens familiaux », dans


J.-G. Lemaire et coll. (sous la direction de), L’inconscient dans la famille, Paris, Dunod,
2007, p. 167.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 27

ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE 27

précédemment, il convient pour le professionnel de rester sensible à la


manière dont cette expérience s’inscrit dans la psyché familiale.
À propos du témoignage, Waintrater 25 souligne que le « processus
testimonial » peut devenir un lieu d’élaboration du traumatisme, car il est
lieu de rencontre entre deux psychés. Ce qui est alors dit l’est pour soi,
mais il s’agit aussi d’une adresse à l’autre qui vise à retrouver un lien avec
une groupalité psychique interne et externe, là où il y a eu rupture. Selon
cet auteur, ce temps du dire à l’autre fonctionnerait comme espace inter-
médiaire qui faciliterait l’ouverture d’un espace de reprise de pensée et
de représentations souvent figées par le traumatisme. Ainsi, la mise en
récit est le fruit d’une tension entre soi et l’autre, dans un processus de
co-construction. Laplanche 26 la considère comme ayant une fonction

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défensive à l’instar de l’élaboration secondaire pour le rêve. De fait, la
possibilité de raconter un événement traumatique est capitale dans l’at-
Z
ténuation de l’impact des souffrances. Pour Golse et Missonnier 27, si la
D
narrativité s’avère en partie défensive, elle n’exclut pas pour autant la
oc

créativité, la pensée étant à la fois réparatrice et inventive.


Ricœur 28 compare le moi à l’identité d’un personnage de roman,
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D

soutenant que cette identité se construit à travers le récit et se structure


ok

par une continuelle réappropriation de soi, à travers les expériences


Bo

vécues. En racontant, en se racontant, en se mettant en intrigue, le sujet


devient acteur et articule ainsi les différents moments de son existence,
ed

met en lien les personnages externes et internes qui l’animent et orga-


nise, rétrospectivement, le sens de ce qu’il a vécu.
M

Dans le cas présent, construisant un récit du « vivre avec le handi-


cap », chacun des membres de la famille remanie et transforme la réalité
traumatique et fait une narration différente de ce qui est et a été vécu en
commun. Perron 29 rappelle que dire quelque chose, c’est aussi ne pas
dire autre chose, et le dire autrement que cela aurait pu être dit. En effet,

25. R. Waintrater, « Le pacte testimonial », dans F. Chiantaretto et coll., Témoignage et


trauma, Paris, Dunod, 2004, p. 65-99.
26. J. Laplanche, « Narrativité et herméneutique », Revue française de la psychanalyse, 3,
1998, p. 889-894.
27. B. Golse, S. Missonnier, Récit, attachement et psychanalyse. Pour une clinique de la
narrativité, Toulouse, érès, 2005.
28. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit.
29. R. Perron, « Dire, ne pas dire, dire autrement », dans B. Golse, S. Missonnier (sous la
direction de), Récit, attachement et psychanalyse. Pour une clinique de la narrativité,
Toulouse, érès, 2005, p. 67-87.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 28

28 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

faire un récit se présente toujours comme un mouvement qui, progressi-


vement, ordonnera dans un immédiat après-coup des événements sépa-
rés. Dans cette transformation de la réalité pour soi et pour l’autre
interviennent des mécanismes inconscients et préconscients, véritable
structure de transformation.
C’est en soutenant la famille dans la construction de son propre récit
que le professionnel coconstruira des positions qui soient éthiques. Ce
processus de narration est également indispensable aux professionnels
parfois douloureusement attaqués dans leurs compétences par la souf-
france des familles et leurs dysfonctionnements.

CONCLUSION

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Pour élaborer son projet éthique, le professionnel doit se laisser inter-
Z
peller par la « mêmeté » de l’autre afin d’écarter le risque de désujecti-
D
vation et de déshumanisation de chacun des acteurs de cette rencontre.
oc

Pour cela, il doit se voir proposer des conditions de travail qui lui offrent
la possibilité d’expliciter les fondements de ses propres positions. Le
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D

travail d’équipe peut l’aider à avoir une pensée réflexive sur ses
ok

pratiques, ce qui, en retour, aide la famille à élaborer le plus librement


Bo

possible ses propres positions éthiques.


ed
M
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 29

Pierre Ancet

L’ombre du corps

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Z
D
oc
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D

MONSTRUOSITÉ COMME REPRÉSENTATION


ok

La réflexion éthique est porteuse d’idéaux qui orientent notre


Bo

pratique, sans avoir vocation à être réalisés (dans sa nature même, l’idéal
a une fonction régulatrice 1 : il permet de s’orienter, mais reste inattei-
ed

gnable). Le respect d’autrui appartient à ces idéaux : simple à formuler,


M

éminemment difficile à réaliser, mais nécessaire pour éviter le rejet d’un


corps, d’un comportement ou d’une pensée qui désorientent nos habi-
tudes de reconnaissance d’autrui. À ce titre, la réflexion sur l’expérience
du corps jugé monstrueux est riche d’enseignements, puisqu’elle
confronte aux limites de la tolérance individuelle. Nous appelons en effet
« monstrueux » le corps dont le statut perceptif est instable et inaccep-
table : celui qui reste entre l’humain et l’inhumain, entre la forme fami-
lière et l’informe. Sans être dite, l’idée de monstruosité peut être suscitée
par le grand handicap physique ou le polyhandicap 2.

Pierre Ancet, maître de conférences en philosophie à l’université de Bourgogne, 1er asses-


seur et référent handicap de l’UFR Lettres-philosophie, directeur de l’université pour tous de
Bourgogne (UTB).
1. E. Kant, 1790, Critique de la faculté de juger, Vrin, 1989.
2. C. Assouly-Piquet, F. Berthier-Vittoz, Regards sur le handicap, Paris, Desclée de Brouwer,
1994.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 30

30 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Dans un tel cadre, il apparaît important de faire durer le temps de


l’équivoque perceptive, celui de l’hésitation et du rejet dont on aime peu
se souvenir. La réflexion sur l’échec, sur le trouble, compte autant sinon
plus que de profiter du plaisir de la réussite d’une rencontre.
Or il arrive que le respect d’autrui se heurte à des différences telles
que la rencontre paraît d’abord impossible. L’absence de certitude quant
à l’humanité de l’autre n’a pas sa place dans le réel quotidien : il nous
faut savoir, en moins d’une seconde, à qui ou à quoi nous avons affaire.
Ce statut imparfait issu de la perception et de ses stéréotypes est large-
ment dissocié de la connaissance de l’humanité du « monstre » : savoir
qu’il est une personne humaine n’entre pas dans ces premiers moments
d’identification perceptive, et il nous apparaît essentiel de ne pas laisser

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cette hésitation s’échapper trop vite de notre mémoire.
Face à un corps viable à deux têtes, à un homme à trois jambes ou
Z
à un visage difforme, la monstruosité s’impose à l’esprit. L’extrême rareté
D
de tels cas ne doit pas nous égarer : comprendre nos réactions face à un
oc

corps radicalement différent permet de mieux les identifier dans des cas
moins rares (qui ne sont pas toujours des cas plus simples à accepter).
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D

Il existe bien un concept de monstre en tératologie scientifique (un


ok

être affecté de malformations anténatales rares et graves, à la fois inté-


Bo

rieures et extérieures, retentissant sur l'ensemble du corps) défini par


Isidore Geoffroy Saint-Hilaire 3, mais celui-ci ne nous renseigne pas sur la
ed

nature de nos représentations spontanées. Nous n’emploierons ce terme


éthiquement inacceptable de monstre pour désigner autrui que dans la
M

mesure où il informe plus sur l’attitude de l’observateur que sur son


objet. L’analyse porte sur ce qui apparaît comme monstrueux pour une
conscience, en raison de représentations qui, elles, ne sont pas toujours
clairement conscientes. Est monstrueux par conséquent non seulement
le monstre au sens de la tératologie, mais aussi le corps handicapé dont
l’aspect ou le comportement n’est pas interprétable (nous ne parlerons
ici que de corps monstrueux et non de « monstruosité morale »). Les
exemples authentiquement tératologiques que nous utiliserons ne sont
qu’un moyen de comprendre certaines de nos réactions face au handi-
cap, réactions que nous préférons généralement occulter et oublier le
plus rapidement possible. La monstruosité tératologique n’a d’intérêt que

3. I. Geoffroy Saint-Hilaire,1832-1836, Histoire générale et particulière des anomalies de


l'organisation chez l’homme et les animaux ou Traité de tératologie, t. 1, p. 33, Paris,
Baillière.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 31

L’OMBRE DU CORPS 31

de mettre chacun face aux limites de sa propre tolérance face aux varia-
tions du corps humain.
La monstruosité n’appartient donc pas en soi à un individu, mais
renvoie aux réactions de l’observateur. Dire ou penser « c’est un
monstre » est un jugement de type réfléchissant, qui nous renseigne plus
sur l’observateur que sur l’objet désigné 4. « Monstre » est un terme
utilisé faute de mieux, lié au manque de catégorie disponible pour
nommer ce qui apparaît et ce qui est ressenti. Il faudra nous confronter
à ce qui, en nous-mêmes, peut nous conduire à employer ce terme, en
exacerbant la gêne ressentie qu’une forme de mauvaise foi essaye de
masquer. L’intérêt est alors de rentrer en soi-même pour y découvrir les
traces d’altérité qui empêchent la reconnaissance de l’autre.

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Dans le discours commun, le monstre n’existe pas : il n’y a que des
personnes. Nous sommes tous égaux 5. N’en parlons plus. Et le silence se
Z
substitue à l’effort de verbalisation. La bonne conscience peut elle aussi
D
être redoutable. Elle peut condamner par avance tout effort pour
oc

comprendre l’origine des représentations associées au corps monstrueux.


Il ne s’agit pas tant de considérer l’autre que de s’atteler à dévoiler ses
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D

propres craintes, ses propres tendances au recul, masquées sous le


ok

rappel forcé des principes moraux. Or la conscience du ressenti individuel


Bo

joue un rôle déterminant dans l’attitude éthique de réciprocité à l’égard


de l’autre.
ed

L’attitude strictement spéculative (voir le corps dans sa dimension


anatomique, comprendre la genèse embryonnaire de la malformation…)
M

est un moyen de repli face au contact possible de l’autre, de même que


la déréalisation par l’esthétisation 6. Aucune de ces deux attitudes n’est
pleinement satisfaisante, même si elles peuvent secondairement contri-
buer à l’acceptation d’autrui. Elles fonctionnent comme des défenses. La
fascination esthétique nie autant l’autre que le refus de la laideur. L’ob-
jectivation du corps inscrite dans le regard nie autant l’autre que le plai-
sir subjectif de sa contemplation.
Le questionnement éthique portant sur la reconnaissance de l’autre
ne peut se faire en l’absence d’interrogation sur ces défenses que sont la

4. E. Kant, op. cit.


5. Ce disant, on rabat la différence de fait entre les individus sous l’égalité de droit, comme
si la seconde pouvait dissoudre a priori la première alors qu’elle devrait en compenser les
effets sans la nier.
6. H.-P. Jeudy, Le corps comme objet d'art, Paris, Armand Colin, 1998.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 32

32 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

bonne conscience, l’objectivation et l’esthétisation du corps. Arriver à


tenir compte de la singularité d’autrui n’est possible qu’en se confrontant
soi-même à ses propres peurs et réticences. Il n’existe pas de méthode
ou de « technique éthique » permettant de se dispenser de l’irruption des
affects pour se construire une attitude éthique. Postuler l’égalité de droit
en gommant la différence de fait est une manière de privilégier la géné-
ralité des principes au détriment de la spécificité des personnes, alors
que la démarche éthique consiste au contraire en un va-et-vient perma-
nent entre principes généraux et tentatives pour cerner la singularité
d’une relation.
Ainsi en va-t-il du respect dont nous parlions plus haut : le respect
comme principe implique la réciprocité. Mais la réciprocité ne consiste

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pas en la position formelle d’une égalité (elle peut exister dans une rela-
tion asymétrique du point de vue des compétences, parfois susceptible
Z
de s’inverser). Elle passe en pratique par un réajustement progressif
D
d’une relation pour cerner le vécu individuel d’autrui, la reconnaissance
oc

de ce vécu étant à entendre d’un point de vue final comme partie inté-
grante du respect qu’on lui porte.
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D
ok

SPÉCIFICITÉ DE L'IMPRESSION MONSTRUEUSE : L’OMBRE DU CORPS


Bo

Essayons de faire préciser la nature du sentiment d’incertitude qui


ed

caractérise la « monstruosité » physique. Comment exprimer l'angoisse


propre à cette perception instable du corps qui occulte la présence d’une
M

autre personne et ne laisse voir qu’un être éminemment dérangeant ?


Il ne s'agit pas d'une peur de l’autre mais bien d'une angoisse, car
son objet reste obscur. Mais cette obscurité n'est pas liée au manque de
lumière. Au contraire, elle se manifeste au moment où le corps est le plus
visible : tout se passe comme si d’une surabondance de détails se déga-
geait une sorte d'invisibilité, d'opacité dans le visible. De même que l'ex-
cès de lumière peut créer une tache noire au centre du champ visuel, de
même l'excès caractérisant la monstruosité peut sécréter de l'invisibilité,
présente comme derrière le visible, comme si se creusait une dépression
dans le perçu.
Plus qu'un excès dans la déformation qui conduirait à l'informe, il
s'agit de quelque perversion sourde de la forme. Un être mort-né sans
bras, ni jambes, ni tête (un monstre anidien en tératologie) n'est
d'ailleurs plus perceptivement un monstre, mais une bourse de peau
contenant quelques organes. Le passage à la limite qui fait basculer du
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 33

L’OMBRE DU CORPS 33

difforme dans l'informe annihile la monstruosité. « Le difforme suppose


une structure qu'il modifie ; l'informe, lui, renvoie à une structure qu'il fait
disparaître 7 ». Le difforme, dont le paroxysme est le monstrueux, intro-
duit toujours une forme en perdition. Il tend vers une sorte d'informe
relatif, relatif à une forme connue qui se perd. Le monstrueux est un
processus jamais abouti de déformation perceptive. L’expectative nous
confronte à une forme en formation-déformation, à une expérience de la
difformité dans l’instabilité.
Entrons progressivement dans cette ombre monstrueuse qui n'est
pas seulement une obscurité conceptuelle, ni une obscurité du visible,
mais une interrogation sourde sur la présence problématique d'autrui,
une présence qui, du fait de sa proximité partielle, retentit lourdement

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sur le vécu du corps de l’observateur lui-même 8.
Nous avons tous fait l’expérience dérangeante de sentir notre regard
Z
absorbé par une apparence. Pensons aux moments où le rapport à l’autre
D
s’est perdu au profit de la contemplation des détails de sa chair.
oc

D'abord le regard est happé par la difformité, qui apparaît comme en


relief sur le reste du corps, comme trop lumineuse, trop visible. Sans le
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D

vouloir, en laissant reposer sa main sans doigt sur la table, l'autre a


ok

condamné la spontanéité de l’échange. Il semble qu'une barrière infran-


Bo

chissable empêche toute relation avec cette main qui n'est qu'une pince
de chair ou un moignon.
ed

Il faut dire les choses ainsi : ce n'est pas avec l'autre que la relation
semble devoir avoir lieu, mais uniquement avec la partie dérangeante qui
M

se tient sous le regard comme un animal prêt à mordre. L'autre est


derrière cette main ou ce pied, il en est la dépendance comme d'ordinaire
la main que l'on tend est la dépendance de la personne que l’on voit. À
ce stade, c'est avec un handicapé et non avec une autre personne que
se fait l'interaction 9.
Mais cette impression dérangeante, pour peu qu’on ne s’y arrête pas,
laisse vite la place à un assouplissement de la relation : au lieu de
demeurer un stigmate, le corps incarné se retire du devant de la scène

7. B. Saint-Girons, Fiat Lux. Une philosophie du sublime, Quai Voltaire, 1993, p. 116.
8. P. Ancet, Phénoménologie des corps monstrueux, Paris, Presses universitaires de France,
2006 ; J.-J. Courtine, « Le corps anormal. Monstruosités, handicaps, différences », dans
A. Corbin, J.-J. Courtine, G. Vigarello (sous la direction de), Histoire du corps, vol. 3, Paris,
Le Seuil, 2006.
9. S. Sausse, « La peur de la différence », dans Naître différent, Toulouse, érès, 1997,
p. 12-13.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 34

34 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

et l'on peut voir dès lors à travers le corps. Celui-ci devient le support ou
la base de la relation, il agit comme la base neutre d'un parfum. Les indi-
cations ne sont plus lues sur le corps, il n'est plus un signe, mais elles
sont lues à travers lui. Le corps handicapé s'absente alors comme les
lettres et les mots d'un texte s'absentent au profit du sens pendant la
lecture. L'illisibilité de surface a disparu par la grâce du contact humain,
par la découverte d’une culture et d'un langage communs (phénomène
qui est évidemment rendu plus délicat par les troubles du comportement,
l’absence de langage parlé, ou le polyhandicap).
Cette disparition du stigmate physique n'est jamais définitive. Au
détour d'un silence ou d'un moment d'inattention, il peut repasser brus-
quement au premier plan, à nouveau trop visible et dérangeant. Avec ce

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changement involontaire d'intentionnalité 10 du regard, il y a disparition
du sens, comme si le corps se refermait sur cette signification dont il était
Z
l'instant d'avant le simple vecteur. Le corps servait d'écran blanc, il était
D
le fond sur lequel se détachait la figure ; à présent il fait écran, comme
oc

une carapace qui se referme. Il redevient le corps handicapé avec sa


zone d'ombre difficilement supportable. Mais il n'en reste pas moins
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D

visible. Au contraire, l'ombre se développe au sein de sa visibilité, l'excès


ok

de visible conduisant à l'oblitération de la relation.


Bo

Afin de préciser notre propos, soulignons que cette analyse du corps


monstrueux comme négation de l'interaction possible est exactement l'in-
ed

verse de celle qui fonde l'éthique d'Emmanuel Lévinas, où le visage est


un point de passage vers l'autre. On y découvre l'autre en passant au
M

travers de son visage, lieu où le corps apparaît dans son dénuement, et


non plus dans son aspect visible, au-delà de ses rides et autres affections
visibles.
Selon cet auteur, tout visage est par essence déjà vieux, puisqu'on le
rencontre au-delà des altérations de surface, comme on apprend à le
faire, face à un vieux visage, en traversant peu à peu l'écran du
brouillage des traits. C'est pourquoi on ne rencontre aucune description
de visage dans Totalité et infini : « La manière dont se présente l'Autre,
dépassant l'idée de l'Autre en moi, nous l'appelons, en effet, visage. Cette
façon ne consiste pas à figurer comme thème sous mon regard, à s'éta-

10. Le concept d’intentionnalité ne désigne pas nécessairement une modification volontaire


du regard, mais ce qui constitue l’acte de percevoir et par là la nature de l’objet considéré.
Ainsi on peut passer très rapidement et involontairement d’une intentionnalité spéculative
à une intentionnalité esthétique dans la contemplation d’un corps.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 35

L’OMBRE DU CORPS 35

ler comme un ensemble de qualités formant une image. Le visage d'Au-


trui détruit à tout moment, et déborde l'image plastique qu'il me
laisse 11 ».
Tout se passe non pas sur le visage, mais au-delà de celui-ci : « Je
ne sais si l'on peut parler de “ phénoménologie ” du visage, puisque la
phénoménologie décrit ce qui apparaît. [...] Je pense plutôt que l'accès
au visage est d'emblée éthique. C'est lorsque vous voyez un nez, des
yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous
tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de
rencontrer autrui, c'est de ne pas même remarquer la couleur de ses
yeux 12 ».
Conceptuellement, le visage selon Lévinas est toute partie du corps

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qui s'offre dans son dénuement, qui ouvre sur l'infinité de la reconnais-
sance de l'autre, sur son caractère inépuisable. Le corps y devient une
Z
membrane poreuse, ouverte sur une dimension individuelle infinie, où
D
l'autre dans l’irréductible singularité de sa présence hérite du caractère
oc

ordinairement réservé à Dieu (l’infinité). À ce corps devenant transparent


dans une perspective éthique, nous opposons ici un corps vécu comme
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D

obstacle à la reconnaissance de l'autre dans la saisie perceptive, car la


ok

perception n’est pas un acte isolable d’une culture ou d’une expérience.


Bo

La perception est le reflet de l’ensemble d’une subjectivité et à ce titre


n’est pas toujours d’emblée éthique. Le corps handicapé ou monstrueux
ed

confronte à l'impossibilité subjective et culturelle d'aller au-delà de l’ap-


parence, et surtout de trouver des moyens de communiquer différem-
M

ment quand la communication standard se trouve enrayée.


Tout se passe donc comme si la partie handicapée voilait l'humanité
de l'autre. En captivant le regard de l'observateur, elle sécrète un engobe
noir et visqueux qui masque le corps dans son pouvoir d'expression. Mais
l'obscurité du corps n'est pas comparable à une barrière. Une barrière se
voit, se sent, s'éprouve matériellement. L'obscurité sécrétée par le corps
n'a rien de tangible. Elle est seulement répulsive comme la vue du sang.
Cette ombre est en permanence présente dans l’expérience de la
monstruosité. Ce n'est pas alternativement un autre ou de l'informe qui
apparaît, mais constamment un autre et de l'informe, sans qu'aucune
dissociation se mettre en place. Un perpétuel balancement du regard

11. E. Lévinas, Totalité et infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1971, p. 21.


12. E. Lévinas, Éthique et infini, dialogues avec Philippe Nemo, Paris, Fayard, 1982, p. 79.
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36 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

accompagne ce sentiment d'hésitation entre deux composantes incom-


patibles mais indubitablement présentes, fondant l’expérience visuelle de
la monstruosité comme processus instable et non comme état.
L'ombre du corps monstrueux est à l'opposé de la transparence de ce
corps au moment de l’échange de personne à personne. De ce fait elle
occulte la présence de l’autre, et le dépossède de son identité pendant
tout le temps de l’hésitation perceptive.
La monstruosité, comme la mort, détruit le sujet qui en est porteur.
Il n'y a pas plus de sens à dire « il est monstrueux » qu'à dire « il est
mort », car dans les deux cas il n'y a plus de « il ». L'ombre du corps
signifie donc l'oblitération de la présence d'autrui, à travers l'interrogation
constamment renouvelée car sans réponse : est-il bien une personne ?

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Est-ce bien là un corps humain ? Comment puis-je m’adresser à lui ?

ILLUSION D’ARTIFICE ET INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ Z


D
oc

L'impression monstrueuse doit donc être toujours rapportée à la


recherche sourde de la présence d'autrui. Pourtant, un aspect très remar-
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D

quable de la perception de la monstruosité est l'impression d’irréalité par


ok

laquelle passe temporairement le regard. Comme si l’on ne pouvait s'em-


Bo

pêcher d'y voir un jeu sur la forme ou une simple illusion.


Le sentiment d'un réel inassignable est précédé de plusieurs tenta-
ed

tives défensives pour ramener ce qui est vu à un schème courant (« j’ai


dû mal voir ») ou à un procédé artificiel (« il y a un truc, c’est une illu-
M

sion »). Le trouble ne s'installe pas toujours d’emblée, mais peut venir de
l'échec d'une représentation antérieure beaucoup plus rassurante, voire
ludique, qui n'apparaît à terme que comme une réaction de défense.
C'est précisément quand tombe cette illusion d'artifice que reparaît
avec force l'ombre du corps. Victor Hugo excelle dans la description de
cette disparition de l'attitude irréalisante. Il en est ainsi dans Notre-Dame
de Paris, lorsque le vainqueur du concours de grimaces se montre hors
de la fenêtre de bois, et que la foule hébétée s'aperçoit que « la grimace
était son visage ». Le visage de Quasimodo fait d'abord rire, il se donne
comme un effort de déformation. Mais les sourires se figent en un instant
lorsqu'il apparaît que cette grimace n'en est pas une. Car le masque
tombe. Et il n’y avait pas de masque.
Tous les visages difformes héritent malgré eux d’une expression invo-
lontaire, figée comme un masque, exagérée comme une caricature. Le
visage n’y est plus la marque d’une autre personne, mais un objet que
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 37

L’OMBRE DU CORPS 37

l’on regarde pour lui-même (comme le masque est un objet ressem-


blant à un visage). Comme Gwymplaine dans L’homme qui rit, la
personne dont le visage est masqué par la difformité suscite une réac-
tion involontaire.
La représentation du visage monstrueux comme masque ou artifice
le rend presque familier. L'esprit s'est approprié ce visage au titre d'un
faux-semblant. Or voici qu'il n'y a pas de masque : le rire se brise sur le
tragique d'une réalité implacable, et l'ombre reparaît, insoutenablement
visible, terriblement proche, comme devient soudain trop proche la
branche sur laquelle on allait s’asseoir qui se révèle être un serpent.
Bien que la confusion ait lieu sur le plan de la réalité de l'objet, nous
voyons que l'opposition entre réalité et fiction (ou réalité et artifice) n'est

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pas la seule en jeu. La spécificité de l'impression monstrueuse tient à la
crainte d'être brutalement trop proche de l'objet perçu, d'être soi-même
Z
physiquement enveloppé dans l'ombre. L’effet monstrueux peut en cela
D
se rapprocher de l’étrangement inquiétant au sens de la psychanalyse
oc

freudienne. Cette expression redondante mais désormais entrée dans


l'usage d’« inquiétante étrangeté » traduit le mot allemand unheimlich,
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D

négatif de heimlich, signifiant intime, familier, propre au foyer. « L'inquié-


ok

tant familier » ou « l'intime étrangeté » rendraient donc mieux compte de


ce qu'exprime unheimlich : un malaise lié à ce qui est le plus proche et
Bo

le plus intime, comme notre expérience du corps vécu. L’étrangement


ed

inquiétant se produit sur le plan de la perception, où il vient brouiller les


limites : limites entre une illusion et la réalité d’un corps, limites entre
M

mon corps et celui de l’autre, entre le proche et le lointain.


Ainsi, les frères siamois très fusionnés nous confronteraient à un type
spécifique d'angoisse rapporté au corps non pas comme organisme, ni
comme objet appartenant à l'espace ordinaire, mais comme lieu origi-
naire d'expérience de l'espace. La continuité entre l'intérieur et l'exté-
rieur, le dédoublement des corps sont des perturbations de l'espace vécu
caractéristiques d'un contexte étrangement inquiétant, où « des parties
du corps propre peuvent au même moment occuper deux endroits diffé-
rents de l'espace 13 ». C'est à cette impression que conduisent les siamois
« en Y », doubles dans la partie haute (deux têtes), unitaires dans la
partie basse (un bassin, deux jambes), comme les fameux frères Tocci au

13. M. Sami-Ali, « Corps et espace. L'espace de l'inquiétante étrangeté », dans Corps réel.
Corps imaginaire. Pour une épistémologie du somatique, Paris, Dunod, 1998, p. 31-32.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 38

38 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

XIXe siècle ou les sœurs Hensel aujourd’hui. La fusion est telle que la
notion familière et rassurante d’individualité corporelle se perd. La
perception du corps double prolongerait une expérience angoissante d'in-
distinction entre soi et autrui qui remonte à la prime enfance, la consti-
tution du corps propre se faisant contre cette indistinction où se mêlent
l'intérieur et l'extérieur, où les frontières entre mon corps et celui de
l'autre n'existent pas encore 14 . Lorsqu'il n'y a plus de repère net d'orga-
nisation corporelle, plus de séparation entre l'intérieur et l'extérieur, entre
son corps et le corps de l'autre, l’observateur retrouve un état d'indis-
tinction appartenant aux premiers moments de l'élaboration perceptive
qui le confronte à sa négation 15. Avec le monstre double profondément
fusionné, quelque chose dans le monde réel fait écho au sentiment de

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duplication de soi dans un seul espace où l'un et l'autre sont fondus,
comme si les parties du corps propre étaient au-delà d'elles-mêmes, et
Z
les espaces corporels solubles l'un dans l'autre. Ainsi le monstre semble
D
être renvoyé vers une autre dimension d'existence, dans un espace para-
oc

doxal où le corps propre serait susceptible d'absorption et de fusion.


Même la plus grande étrangeté en apparence nous renvoie à notre
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D

propre expérience du corps.


ok

L’étrangement inquiétant freudien scelle donc le retour d’une expé-


Bo

rience familière, souvent infantile mais inacceptable dans le réel quoti-


dien de l’adulte. « L'inquiétante étrangeté est cette variété particulière de
ed

l'effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps


familier 16. » Par exemple, le sentiment d’être soi-même un être régressé
M

ou difforme, infantile et incapable d’autonomie, est réactivé par la vue de


personnes en dépendance, qui survivent malgré leur difformité, comme
une tache au sein de l’humanité dans laquelle l’observateur s’inclut lui-
même.
Quant à l’effet produit par le renversement d’une image familière
devenant proche-lointaine par la présence du monstre, il est bien connu
de ceux qui pratiquent et pratiquaient l’exhibition des corps extraordi-

14. Ibid..
15. « Sont aux prises, ici, l'expérience primordiale de l'espace en tant que structure imagi-
naire où le corps propre est l'origine tant de la forme que du contenu de la représentation,
et sa transposition partielle en ce cadre de référence qui coïncide avec la réalité du
monde », ibid., p. 34.
16. S. Freud, 1919, « L’inquiétante étrangeté », dans L'inquiétante étrangeté et autres
essais, Paris, Gallimard, (rééd.) 1985, p. 215.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 39

L’OMBRE DU CORPS 39

naires. Une image peut être en apparence valorisante pour l'individu


monstrueux, et jouer sur la familiarité pour renforcer l’effet produit par le
corps difforme. Un bref rappel historique va ici nous permettre de juger
de la manière contemporaine dont est présenté le corps handicapé, et de
la difficulté à valoriser la différence sans risquer de tomber dans son
exploitation voyeuriste.

MISES EN SCÈNES

Lorsque les photographes américains de la fin du XIXe siècle choisis-


saient de photographier ces phénomènes humains que les Anglo-Saxons
nomment freaks, ils n'avaient pas toujours recours à une présentation

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exotique ou médicale (même si celles-ci étaient très répandues). En
réutilisant le style convenu de la photographie victorienne, ils parvenaient
Z
à produire un effet au moins aussi frappant, où le phénomène humain
D
n'était pas mis en valeur directement par l'étrangeté du contexte, mais
oc

indirectement par contraste avec le cadre dans lequel il prenait place 17.
Un instant inaperçue, la monstruosité sautait ensuite aux yeux, semblant
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D

se répandre sur l'ensemble de la scène en devenant l'élément central. Le


ok

malaise provenait d'un élément incongru intervenant dans une scène


Bo

bien connue de l'observateur.


Nombreuses sont les photographies d'époque à jouer sur l'image
ed

convenue de la famille pour mettre en scène des phénomènes humains.


Il ne faudrait pas commettre l'erreur de croire ces clichés plus innocents
M

ou plus valorisants pour ceux que l'on nommait freaks. Ils ne servaient
pas à les montrer comme tout le monde en famille. Quels que soient le
décor, la pose, les vêtements, un monstre ne peut vivre comme tout le
monde. Le monstre fait réapparaître dans l'espace bien connu du foyer
une angoisse mettant en doute son rôle protecteur. L’intimité de la famille
cède ici à une extimité forcée. Le foyer n'est plus ce qui éloigne les étran-
gers ou l'étrangeté en général. Cette apparition vient révéler quelque
chose de dérangeant en son sein même.
Le portrait de famille où apparaissaient avec le phénomène humain
un conjoint attentionné et des enfants posait indirectement la question
de la sexualité des monstres, de leur descendance et du désir possible

17. R. Bogdan, Freak Show. Presenting Human Oddities for Amusement and Profit, The
University of Chicago Press, 1988.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 40

40 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

qu'ils pouvaient inspirer à une personne dite normale. Apparaissait de


manière détournée le problème de la relation apparemment ordinaire
(mais en vérité impossible à concevoir comme ordinaire) qui les liait à
leur conjoint.
Les photographies familiales suggèrent toujours des interrogations au
sujet de la sexualité sous couvert de respect du monstre 18. L'une des
fonctions sociales du mariage étant de légaliser et de banaliser la sexua-
lité, le mariage d'un monstre renvoie apparemment à la réussite de son
intégration sociale. Mais le corps étrange déborde toujours l'apparence
policée requise par le rôle social, si bien que la sexualité, ordinairement
banalisée par le mariage, repasse au premier plan.
L'idée de procréer avec cet être est génératrice d'une angoisse que

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ces images remettent au jour. Le désir qu'il pourrait avoir pour moi, ou
pire, que je pourrais éprouver pour lui, est l'une des grandes peurs asso-
Z
ciées à la figure du monstre viable 19. La sexualité est en effet un lieu où
D
l'étrangeté peut être attirante (ne serait-ce que par l'étrangeté des
oc

organes de l’autre sexe dont la société permet peu la visibilité). Mais


cette attirance pour l’étrange doit rester cachée. Qu'elle appartienne à
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D

notre sexualité, qu’elle soit partie prenante de notre désir, voilà qui est
ok

aussi inavouable qu'inacceptable.


Bo

Il s'agit là d'un détournement de la photographie de genre comme


vecteur d'appartenance à un groupe. Poser dans un groupe, poser à la
ed

manière des bourgeois de bonne famille, marque le désir d'une appar-


tenance. La scène de genre a une fonction fédératrice 20. Ici, elle
M

rapproche du monstre puis par contrecoup renforce l'effet de choc lié à


l'image. Ce procédé n'était pas, loin de là, le seul moyen de mettre en
valeur l'étrangeté. Mais ces exemples montrent bien comment la varia-
tion d'un seul élément dans une scène bien connue peut suffire à en
retourner le sens 21, comment l'image peut assurer une double fonction

18. R. Bogdan, op. cit. ; P. Ancet, op. cit.


19. S. Sausse, Le miroir brisé. L'enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Paris,
Calmann-Lévy, 1996.
20. S. Tisseron, Le mystère de la chambre claire. Photographie et inconscient, Paris, Flam-
marion, 1998, p. 130.
21. Ainsi en allait-il des retables du Moyen Âge représentant le diable. On y retrouvait les
mêmes décors, les mêmes personnages dans les mêmes attitudes de recueillement que
dans les représentations de l'agneau mystique. Seul le personnage central changeait,
comme sous l'effet d'une substitution de dernière minute.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 41

L’OMBRE DU CORPS 41

de valorisation et de stigmatisation par le détournement d'un procédé


d'intégration.
L'apparition de monstres au sein d'un contexte habituel en pervertit
la nature. Les images apparemment valorisantes des portraits de famille
deviennent grâce aux monstres l'envers exact de ce qu'elles sont censées
être : une exhibition de la différence. L'image permet de regarder à loisir,
avec l'excuse de valoriser l'individu et son intégration sociale réussie. Ces
remarques historiques nous permettent de réfléchir aux formes contem-
poraines d’exhibition du handicap sur nos écrans de télévision. La fron-
tière est ténue entre le voyeurisme et le fait de montrer la différence dans
le but conscient de la rendre acceptable.

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CONCLUSION

Z
Nous avons tenté de faire sentir la spécificité du rapport au corps
D
jugé monstrueux à travers la notion d’ombre du corps. Notre but était
oc

d’éclairer la naissance de certaines représentations que nous refusons


généralement d’affronter, au premier chef cette impression de voir un
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D

être monstrueux là où il devrait y avoir une personne. L’impression


ok

subjective d’avoir affaire à un monstre est liée au refus de voir s’effacer


Bo

les repères ordinaires de reconnaissance du corps. Elle provient de notre


réticence à laisser se distendre notre conception courante de l’humanité,
ed

de l’individualité, de l’espace corporel. Elle nous renvoie à une perturba-


tion intime, étrangement familière, au sein de notre propre corps, provo-
M

quée par la perception de la monstruosité. La notion d’ombre du corps


nous a permis de désigner ce sentiment de malaise face au corps grave-
ment handicapé qui n’a ordinairement pas de nom. Au-delà du handicap
et des craintes qu’il suscite, c’est à cette ombre venue de notre propre
regard que nous nous devons de faire face lorsque nous sommes
confrontés à la grande difformité, à la présence problématique de l’autre.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 43

Albert Ciccone

Violence dans le soin au handicap

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Z
D
oc
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D

Les impératifs éthiques nous poussent à penser la violence dans le


soin. Le soin dispensé auprès du handicap – comme tout soin d’ailleurs –
ok

est porteur de violence. Certains des aspects de cette violence sont


Bo

inévitables, incontournables, ils sont intrinsèques à l’aide apportée et


aux exigences de croissance, de développement, d’adaptation, de répa-
ed

ration, de mieux-être qui la constituent. Mais d’autres aspects sont


M

évitables. Je vais tenter de cerner différents niveaux de violence


évitable 1. J’explorerai tour à tour la violence inhérente à la conflictualité
des modèles, la violence issue de la technicité du soin, la violence due
à la conception du sujet comme sujet, la violence qui consiste en la
distribution sociale d’illusions, la violence qui est l’effet de l’organisation
institutionnelle, et enfin la violence qui résulte d’une élaboration insuffi-
sante du contre-transfert et qui peut se comprendre comme un symp-
tôme contre-transférentiel.

Albert Ciccone, psychologue, psychanalyste, professeur de psychopathologie et psycholo-


gie clinique à l’université, Lyon 2.
1. Voir aussi A. Ciccone, « Violence du soin psychique », dans M. Sassolas (sous la direc-
tion de), Conflits et conflictualité dans le soin psychique, Toulouse, érès, 2008, p. 125-139.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 44

44 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

CONFLICTUALITÉ DES MODÈLES

Une première source de violence réside dans la diversité des modèles


et de l’utilisation conflictuelle qui en est faite. La conflictualité créée par
les différents modèles disponibles sur le marché des savoirs peut être une
source de créativité, de stimulation, et la violence qu’elle génère être ainsi
atténuée par ses effets d’engagement, d’implication chez les soignants, de
débats passionnés et fructueux. Mais bien souvent cette conflictualité
créée par des écarts et des antagonismes irréductibles est déposée chez
les patients tiraillés par des discours idéologiques contradictoires et
sommés de contenir un conflit qu’ils n’ont pas les moyens de traiter.
Cette violence est évitable, et évitée, lorsque les soignants, les prati-

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ciens et les experts acceptent de se mettre à plusieurs pour penser. Car
il faut bien être plusieurs pour penser. Mais penser à plusieurs ne se
Z
réduit pas à mettre bout à bout des points de vue différents. Là n’est pas
D
la pensée.
oc

Beaucoup d’équipes soignantes se réjouissent de leur pluridisciplina-


rité et se félicitent de leur travail pluridisciplinaire. Mais la pluridisciplina-
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D

rité ne garantit pas la pensée. Le point de vue pluridisciplinaire recherche


ok

souvent la maîtrise toute-puissante. Il laisse penser que mettre bout à


Bo

bout des points de vue différents donnera une vision totale, omnisciente
de la situation. La toute-puissance démentie de chacun s’est réfugiée
ed

dans la groupalité de l’ensemble, dans la pluridisciplinarité. Nombre de


synthèses d’équipes, de décisions d’intervention, de conclusions quant à
M

l’étiologie d’une pathologie ou quant à la démarche à suivre face à elle


résultent d’une telle position pluridisciplinaire.
À la notion de « pluridisciplinarité », je préfère celles d’« interdisci-
plinarité » ou de « transdisciplinarité ».
L’interdisciplinarité rend compte de ce qui différencie deux disciplines,
deux points de vue, de ce qui les conflictualise, mais elle rend compte
aussi de ce qui les réunit, de ce qui les rassemble, de ce qui les fait tenir
ensemble. La transdisciplinarité, quant à elle, rend compte de ce qui
passe à travers les différences des disciplines, les particularités de
chaque discipline, de ce qui les dépasse et les transcende. La transdisci-
plinarité concerne ce qui est essentiel dans la relation soignante, voire
dans la relation humaine, et qui dépasse la spécificité de chaque disci-
pline. Seules les positions inter ou transdisciplinaires sont compatibles
avec un véritable travail de pensée. Seul un point de vue inter ou trans-
disciplinaire peut contenir une conflictualité créatrice, protéger du risque
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 45

VIOLENCE DANS LE SOIN AU HANDICAP 45

de fourvoiement dans l’omnipotence idéologique, tentation légitime du


fait de l’impuissance à laquelle confrontent nombre de situations
cliniques. Le travail inter ou transdisciplinaire suppose une humilité de
chacun, reconnue, tolérée, partagée, et s’appuie sur une conception
résolument humaniste de la pratique soignante.

TECHNICITÉ DU SOIN

La technicité est source de violence. Non pas la technicité relative à


tel ou tel handicap qui requiert une approche praxique particulière, mais
la technicité comme modèle idéologique ou politique du soin en général.
Un tel modèle est porteur de violence, dans la mesure où il est porteur

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de conceptions désubjectivantes, désignifiantes, où le symptôme n’est
considéré que comme une excroissance toxique qu’il faut éliminer, le plus
Z
précocement possible. Ces conceptions qui délogent le sujet, ne lui atta-
D
chent que peu de considération, envahissent le paysage soignant, si l’on
oc

peut dire, depuis déjà longtemps, mais prolifèrent d’une manière tout à
fait redoutable actuellement. Le monde soignant est menacé par les
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D

logiques économiques et gestionnaires, qui produisent des pensées prag-


ok

matiques, rationnelles, normatives, c’est-à-dire toujours simplificatrices.


Bo

Ces logiques émanent du positivisme ambiant qui recherche la tech-


nicité, la scientificité afin que tout soit mesurable, évaluable, projetable,
ed

mais aussi bien sûr des contraintes économiques, productives : l’hôpital,


par exemple, devient un lieu de production du soin (et non plus de
M

dispense du soin).
Ces logiques correspondent également à une demande sociale, où le
penseur est convoqué pour donner des réponses et non pas pour poser
des questions. Donner des réponses, c’est-à-dire empêcher de penser.
On empêche de penser, on n’interdit pas, comme le souligne bien
Christophe Dejours 2. La différence est essentielle : entre interdire et
empêcher, il y a la même différence que celle qui sépare la dictature du
néolibéralisme, précise Dejours. Et, comme chacun en fait quotidienne-
ment l’expérience, le système néolibéral de conduite des entreprises,
avec ses objectifs de gestion et de rentabilité, a jeté son dévolu sur les
hôpitaux, les centres de soin et les universités. Ce système n’interdit pas
de penser, il empêche de penser.

2. C. Dejours, « Le travail entre banalisation du mal et émancipation », dans Collectif, D’un


siècle à l’autre, la violence en héritage, Paris, In Press, 2001, p. 19-34.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 46

46 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Et cette violence, cet empêchement de penser, redouble la difficulté


de penser dans laquelle nous plonge le handicap, notamment le handi-
cap lourd.

CONCEPTION DU SUJET COMME SUJET

La violence provient aussi du fait que l’autre n’est pas toujours consi-
déré comme un sujet. Et cela non seulement du fait des pressions
sociales et politiques que je viens d’évoquer, mais du fait des aléas du
rapport intime que tout soignant entretient avec la pathologie ou le
handicap.
Tout le monde s’accorde à dire, par exemple, qu’il convient de parler

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non pas d’un enfant ou d’un sujet « handicapé », mais d’un enfant
« porteur de handicap », ou d’un sujet « en situation de handicap ». L’ex-
Z
pression « enfant handicapé » réduit l’enfant à son symptôme, rabat
D
l’identité sur le handicap. Les expressions « porteur de handicap » et « en
oc

situation de handicap » respectent davantage le sujet, son humanité, sa


dignité.
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D

Mais on peut toutefois se demander si considérer l’autre comme un


ok

sujet ne peut pas aussi parfois, paradoxalement, lui faire violence. L’im-
Bo

pératif éthique consistant à mettre le patient en position de sujet repré-


sente parfois un obstacle au soin, en particulier au soin psychique. Il en
ed

est ainsi, par exemple, de l’exigence louable qu’on peut avoir de n’ap-
porter une aide que si l’autre a une demande. On pourrait évoquer aussi
M

la question du consentement. Jusqu’où peut-on soutenir une telle


exigence lorsqu’on a affaire à un sujet dont le travail de subjectivation est
en panne, comme chez un enfant autiste, par exemple ? Jusqu’où rend-
on service à l’autre en le considérant comme un sujet, lorsqu’il s’agit d’un
sujet habité, hanté par des expériences qu’il n’arrive pas à subjectiver,
lorsqu’il s’agit d’un sujet non seulement dans l’incapacité d’adresser une
demande, mais dans l’impossibilité tout simplement de communiquer, de
s’éprouver, de se sentir être ? Et pourtant tout sujet, quel que soit son
état mental, quelles que soient ses capacités de communiquer, ses capa-
cités d’élaborer une quelconque demande, a droit à une prise en compte
de sa subjectivité, à une attention quant à sa souffrance psychique, à une
écoute de son monde interne.
Dans le même ordre d’idée, la culture de la différence, de la tolérance
quant à la différence dont chaque sujet peut être porteur, n’échappe pas
à un tel paradoxe consistant à produire de la violence, de la discrimina-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 47

VIOLENCE DANS LE SOIN AU HANDICAP 47

tion là où l’enjeu est de l’éviter. Une association de personnes handica-


pées, par exemple, avait pour slogan : « Le droit à l’indifférence ». On
parle toujours du droit à la différence, mais eux réclamaient le droit à l’in-
différence, le droit d’être traités comme tout un chacun.
Le sujet handicapé doit aussi être traité comme un sujet citoyen,
entend-on fréquemment. Et c’est aussi le destin de tout citoyen que
d’être traité indifféremment de tout un chacun. Et s’il est louable de
considérer un sujet handicapé comme un sujet citoyen, il est aussi
évident qu’un citoyen est un sujet ou un objet du marché, un consom-
mateur soumis aux logiques économiques du moment, et donc soumis
inévitablement à diverses formes de violence sociale. On peut d’ailleurs
s’étonner que ne soient pas encore apparus des spots publicitaires ciblant

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spécifiquement le public handicapé, pour qu’il consomme je ne sais quel
produit, comme cela est le cas pour toutes les catégories de citoyens,
Z
pour les adolescents, pour les enfants voire pour les bébés.
D
oc

DISTRIBUTION SOCIALE D’ILLUSIONS


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D

Une autre forme de violence provient de la représentation sociale du


ok

handicap et du soin au handicap. L’attente sociale de réparation du


Bo

handicap, du dommage, place les praticiens et les institutions en position


de distributeurs d’illusions, d’une certaine manière, dans la mesure où ils
ed

ne peuvent pas réaliser ce qui est attendu – ce qui ne signifie pas qu’ils
ne peuvent rien réaliser. Mais les institutions et les praticiens ont d’abord
M

une fonction mythique, comme le souligne très bien Alain-Noël Henri 3 :


ce qui intéresse le social, en effet, c’est qu’il y ait quelque part des gens
qui sachent, qui s’occupent du handicap (ou de l’exclusion, de la maladie
mentale…), ou plutôt qui discourent à son sujet. C’est ce que le social
demande et veut savoir. Ce qui se passe réellement dans les institutions
intéresse peu de monde, à quelques exceptions près, sauf si quelqu’un
détourne des fonds ou abuse des enfants… Ce qui compte c’est qu’il y ait
des experts qui s’occupent du problème, et dont certains viendront éven-
tuellement de temps en temps discourir à la télévision pour bien montrer
qu’ils sont experts.
Tous les experts du handicap, comme tous les experts en général,
distribuent de l’illusion – en partie – dès lors qu’ils répondent à une

3. A.-N. Henri, P. Mercader et coll., La formation en psychologie : filiation bâtarde, trans-


mission troublée, Lyon, PUL, 2004.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 48

48 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

requête sociale. Bien sûr le savoir fait évoluer l’attente et la demande


sociales. Mais le savoir lui aussi est mythique, ou a une fonction
mythique. Il en est ainsi, par exemple, du savoir psychologique ou
psychanalytique, qui a fortement imprégné les pratiques de la « mésins-
cription », selon la formule d’Alain-Noël Henri, c’est-à-dire les pratiques
qui s’adressent à l’anormalité, l’anomalie, la marginalité, l’inadaptation.
En effet, comme le démontre Alain-Noël Henri, on a pu assister,
depuis les années 1960-1970, en tout cas en France, à une migration de
la psychanalyse d’un statut de pensée marginale, sulfureuse, inquiétante
autant qu’attirante et donc confinée à la marge, vers le statut noble de
pilier (parmi d’autres) de la pensée savante, et en particulier dans les
sciences dites humaines, comme la psychologie, qui s’intéressait à ces

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catégories de sujets inadaptés, « mésinscrits ». On a ainsi vu émerger
dans les pratiques soignantes et dans les pratiques sociales la psycholo-
Z
gie et la psychanalyse comme corpus de discours experts servant d’ap-
D
pui doctrinal et de caution savante. Et cela a été d’une importance
oc

majeure quant aux théories des pratiques, quant à la place des


« déviants », mais aussi quant à la fabrication d’illusions.
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D

On peut dire, avec Alain-Noël Henri, que ce corpus, ce savoir psy,


ok

possède une double face : il est d’une part un savoir ésotérique (fermé,
Bo

confidentiel, privé), formulé dans une langue sacrée, connue seulement


d’une caste qui en est instituée gardienne, mis à l’abri dans un tabernacle
ed

(par exemple l’Université, ou les instituts de psychanalyse), ne devant


être su dans l’ensemble de l’espace social que par bribes traduites en
M

langue vulgaire ; mais il est d’autre part garant de pratiques exotériques


(non psy ou non seulement psy), pratiques chargées des réparations (du
dommage, du handicap, de la maladie, de l’exclusion…), et qui s’appuient
sur un savoir partiel, représentant partiel du savoir absolu, ce lien suffi-
sant souvent à étayer la croyance en son efficacité.
La fonction secondaire de ce savoir, de ces compétences en appui sur
ce savoir, consiste bien sûr à œuvrer pour le bien des sujets stigmatisés
(de la même manière que les mises au bûcher ou les envois en pèleri-
nage avaient pour fin le salut des âmes, et l’enfermement la remise en
droit chemin des égarés). Mais sa fonction essentielle consiste, comme le
dit Alain-Noël Henri, à conjurer le trouble dans l’ordre symbolique induit
par l’écart, le pathos, la déviance, la folie…, non plus par la simple dispa-
rition physique du déviant (qui était auparavant exilé, brûlé, enfermé...),
mais par la seule garantie magique du savoir mythique. Ce savoir est
mythique non pas en ce qu’il est faux ou irréel, précise Alain-Noël Henri,
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 49

VIOLENCE DANS LE SOIN AU HANDICAP 49

car ce savoir est bien réel, mais « il est mythique en ce que ce qui fait sa
vertu sociale est la croyance dont il est l’objet » (p. 204). C’est ce savoir
mythique qui autorise le maintien du déviant dans l’espace social. « Il y
a quelque part quelqu’un qui sait », c’est cela qui est essentiel. Et cela
traduit, encore une fois, la fonction symbolique de toutes les institutions :
il y a quelque part des experts qui savent.
Ces pratiques exotériques sont adossées à un discours savant, et
produisent du discours savant, qui bien sûr doit être paré des stigmates
de la scientificité pour remplir sa fonction symbolique – ce qui est le cas
du discours psychologique et psychanalytique ainsi utilisé. On voit bien à
l’Université, par exemple, comment un tel discours tente de se parer des
stigmates de la scientificité.

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Donc nous tous – praticiens, experts du handicap – participons à la
distribution sociale d’illusions, parce que c’est ce qui est attendu de nous,
Z
c’est pour cela que nos professions ont été instituées. Cela ne signifie
D
pas, encore une fois, que nous ne faisons rien, ou rien d’autres que de
oc

distribuer de l’illusion. Mais pour le social, nous le faisons.


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D

ORGANISATION INSTITUTIONNELLE
ok
Bo

Une autre source de violence dans le soin au handicap est inhérente


à l’organisation institutionnelle qui garantit elle-même les pratiques
ed

soignantes.
Je me référerai d’abord, pour préciser cette idée, à Donald Meltzer 4
M

qui décrit très bien comment les institutions, lorsqu’elles sont organisées
par la hiérarchie (ce qui est quasiment toujours le cas), fonctionnent
toujours selon un système de tyrannie-et-soumission (il parlait des insti-
tutions qu’il connaissait le mieux : les institutions psychanalytiques –
mais on peut dire cela de toutes les institutions). Les groupes, les insti-
tutions, chaque fois qu’ils sont structurés par la hiérarchie, tendent à s’or-
ganiser selon les « mentalités de groupe » au sens que donnait Bion 5 à
ce terme, ou selon les logiques du « claustrum » tel que le décrit Melt-
zer 6. Le claustrum définit une zone de la réalité psychique dans laquelle
se déploient en particulier le sadomasochisme et la tyrannie-et-soumis-

4. D. Meltzer, 1992, Le claustrum, Larmor-Plage, Le Hublot, 1999.


5. W.R. Bion, 1961, Recherches sur les petits groupes, Paris, PUF (rééd.) 1982.
6. Voir aussi A. Ciccone et coll., Psychanalyse du lien tyrannique, Paris, Dunod, 2003.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 50

50 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

sion. La « mentalité » du claustrum est marquée par l’omnipotence ou


l’omniscience et ses différentes figures, par l’excitation qui remplace l’in-
timité émotionnelle, et par l’imposture – l’identité développée étant une
identité pseudo. Ce qui manque dans cet univers du claustrum, c’est l’at-
mosphère d’une vie familiale, dit Meltzer, c’est-à-dire en particulier une
différenciation nette entre adultes et enfants quant aux capacités, aux
responsabilités, aux prérogatives, une distinction claire des expériences
infantiles et des expériences adultes. Á cette organisation intrinsèque se
substitue entièrement la hiérarchie.
Une des formes de la hiérarchie, voire de la tyrannie institutionnelle,
transparaît par exemple dans la prescription ou l’indication du soin. Il y a
là une forme de violence, et de violence évitable, non nécessaire.

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En effet, concernant tout soin qui repose sur un engagement
authentique du soignant, avec la responsabilité que suppose un tel
Z
engagement, je défends l’idée que personne d’autre que le soignant lui-
D
même ne peut dire si celui-ci est prêt ou pas à s’engager avec tel
oc

patient, telle famille, tel groupe. Autrement dit, il n’y a pas de prescrip-
tion ou d’indication de soin en soi indépendante du soignant censé
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D

dispenser ce soin. Il ne peut par ailleurs y avoir d’indication de soin en


ok

soi indépendamment du dispositif dans lequel évolue le praticien, le


Bo

soignant prêt à s’engager dans le soin.


Cela est particulièrement vrai pour le soin psychique, mais cela est
ed

vrai aussi, même si à des degrés divers, pour tout type de soin soma-
tique, rééducatif, fonctionnel, instrumental, tel que peut l’exiger le handi-
M

cap. Un enfant n’est jamais, par exemple, une indication de thérapie


individuelle, de thérapie de groupe, de thérapie familiale. Il est une indi-
cation pour tel thérapeute qui est à son aise par exemple dans un
contexte de thérapie familiale, et qui rendra bien plus service à l’enfant
dans ce cadre-là que dans un dispositif de psychothérapie individuelle. Et
l’enfant pourra par contre être bien plus aidé dans un cadre de thérapie
individuelle si le soignant prêt à s’engager ne supporte pas d’être face à
un groupe d’enfants ou à un groupe familial, mais est au mieux de ses
performances dans un travail individuel. Et on peut dire la même chose
pour un soin rééducatif ou fonctionnel, tel qu’il peut être dispensé par
des psychomotriciens, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des
orthophonistes, etc.
L’indication, la prescription, ne peut donc être au bout du compte
véritablement faite que par celui qui réalisera le soin, et pas par un
autre.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 51

VIOLENCE DANS LE SOIN AU HANDICAP 51

ÉLABORATION INSUFFISANTE DU CONTRE-TRANSFERT

Une dernière source de violence, enfin, est inhérente à l’élaboration


insuffisante du contre-transfert par les soignants. La violence apparaît
alors comme un symptôme contre-transférentiel.
Les éprouvés contre-transférentiels insuffisamment élaborés produi-
sant des effets de violence concernent en particulier les affects de haine,
que mobilise fréquemment le soin au handicap. Winnicott 7, par exemple,
avait signalé l’importance de reconnaître les affects de haine, lors du trai-
tement psychanalytique de patients psychotiques en particulier – mais on
peut dire la même chose de tout type de soin. Il faut que l’analyste
examine et reconnaisse la manière dont se produisent l’angoisse et la

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haine, souligne Winnicott : « Il n’y a que de cette façon qu’on peut espé-
rer éviter que la thérapie soit adaptée aux besoins du thérapeute plutôt
Z
qu’aux besoins du patient » (p. 58). Et le patient, tant qu’il ne peut avoir
D
accès à ce qu’il provoque chez l’autre, ne peut pas comprendre ce qu’il
oc

doit à l’analyste. Et l’analyste, dans sa disponibilité, dans son attention,


dans son implication, doit « paraître désirer donner ce qui n’est donné en
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D

réalité qu’en raison des besoins du patient » (p. 57).


ok

On peut dire la même chose de toute relation soignante qui mobilise


Bo

des affects de haine. Et cela est le cas dans le soin au handicap, qui
confronte à l’impuissance, au désespoir, ce qui peut conduire les
ed

soignants à des positions hostiles à l’égard du patient, à l’égard du handi-


cap qui met à l’épreuve l’idéal du moi des soignants. Si la haine n’est pas
M

élaborée, n’est pas reconnue, elle sera à l’origine de nombre de réponses,


décisions, interprétations, protocoles de soin, qui consciemment seront
bien sûr justifiés par toutes les bonnes intentions louables à l’égard des
patients, mais qui dans la réalité inconsciente répondront en fait à la
haine. Seule l’élaboration suffisante de la haine permettra que la réponse
du soignant soit une réponse aux besoins du patient, et non une réponse
aux besoins narcissiques du soignant. L’élaboration de la haine conduit à
une liaison de cet affect, à une intégration au sein de l’ambivalence, inté-
gration qui seule, lorsqu’elle est suffisante, permet au soignant de
« paraître désirer donner ce qui en réalité n’est donné qu’en raison du
besoin du patient », comme le disait Winnicott.

7. D.W. Winnicott, 1947, « La haine dans le contre-transfert », dans De la pédiatrie à la


psychanalyse, Paris, Payot, 1976, p. 48-58.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 52

52 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Les impasses dans le soin, comme le disait aussi Rosenfeld 8 à propos


du travail thérapeutique avec des patients psychotiques et borderline,
proviennent toujours de la réponse du thérapeute aux communications
des patients, réponse dans laquelle est agi un élément contre-transfé-
rentiel. Rosenfeld parlait des impasses dans le travail psychanalytique,
mais on peut dire la même chose dans le champ du soin psychique en
général, et dans les pratiques soignantes du handicap.
L’une des formes de l’agi contre-transférentiel concerne les idéolo-
gies, qui vont se déployer à travers la fétichisation des postures
soignantes. La violence sera alors théorisée, rationalisée, justifiée non
pas par le modèle du soin mais par l’idéologie du soin. Le modèle est
alors fétichisé. La pensée elle-même peut être fétichisée. Dans un tel

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contexte, la prise en compte du patient est secondaire, ce qui compte
est la soumission du patient, de la pathologie, au modèle, à la théorie,
Z
à l’idéologie. La position soignante est alors une position en « faux
D
self », une position d’imposture, une position d’expert dans laquelle la
oc

clinique n’a aucune chance de démentir la théorie – ce qui définit la posi-


tion idéologique.
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D

Éviter les impasses de la fétichisation, du faux self, de l’imposture,


ok

suppose de développer son propre style, comme le dit Salomon Resnik 9,


Bo

être soi-même sans chercher à imiter un autre. Bion 10 insistait sur la


nécessité qu’il y a pour l’analyste – mais on peut dire cela de tout
ed

soignant – d’oser penser et sentir ce qu’il pense et ce qu’il sent, quel que
soit l’avis de sa société, de ses collègues, et quel que soit son propre avis
M

à lui sur ce que lui-même pense. Et il faut pouvoir garder ces pensées un
temps suffisamment long pour pouvoir ensuite être en mesure d’énoncer
ce qu’elles sont.
Toujours dans cette idée de la fétichisation de la pensée, Bion disait
aussi que lorsque nous formulons une idée ou que nous élaborons une
théorie nous produisons simultanément de la matière calcaire, nous nous
calcifions. On peut dire que lorsque les pensées sont systématisées, elles
deviennent une prison plus qu’une force libératrice.
C’est pourquoi Bion prônait une attitude qu’il définissait comme
« sans désir et sans mémoire ». Il faut pouvoir rencontrer chaque fois le

8. H. Rosenfeld, 1987, Impasse et interprétation, Paris, PUF, 1990.


9. S. Resnik, Temps des glaciations. Voyage dans le monde de la folie, Toulouse, érès,
1999.
10. W.R. Bion, 1977, Séminaires italiens. Bion à Rome, Paris, In Press, 2005.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 53

VIOLENCE DANS LE SOIN AU HANDICAP 53

patient comme si c’était la première fois qu’on le voyait, et oublier nos


théories, faire taire nos attentes. Les hypothèses, les théories sur les
maladies mentales – mais on peut dire cela du handicap en général –
peuvent faire tellement de bruit qu’on ne peut plus entendre ce que
disent le corps et le psychisme du patient.
On peut ainsi dire que toutes les formes de violence plus ou moins
déguisée que j’ai évoquées sont toujours des aménagements d’un
contre-transfert non élaboré – au niveau individuel, institutionnel ou
social – face à la violence que fait vivre le handicap. L’agrippement à des
postures théoriques, idéologiques, organisationnelles ou sociales éloigne
de la subjectivité et du corps du patient, empêchent d’entendre ce que
son psychisme et son corps disent. Tout comme l’application d’une règle

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ou d’un règlement éloigne de la véritable loi « humaine » et de la véri-
table relation : s’arrête-t-on à un feu rouge ou attache-t-on sa ceinture
Z
de sécurité parce que le code de la route nous l’impose, ou bien pour
D
éviter d’écraser celui qui vient en face et pour protéger notre propre vie ?
oc

Dans le premier cas la règle est intégrée, mais pas la loi humaine du
respect de la vie, contrairement au deuxième cas. Mais pour intégrer
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D

cette loi, et ne pas masquer ce manque d’intégration par des agis qui ne
ok

respectent que la règle, et qui tout en respectant la règle et le règlement


Bo

sont porteurs de violence et agissent la violence, encore faut-il que le


contre-transfert « de la vie quotidienne » soit suffisamment élaboré, afin
ed

de pouvoir repérer et transformer la violence qui pourrait nous donner


parfois envie d’écraser notre concitoyen au carrefour.
M

Seule l’élaboration suffisante du contre-transfert peut améliorer le


contact avec nous-mêmes et avec nos patients, et nous permettre d’en-
tendre ce que disent notre corps et notre psychisme, tout comme le
corps et le psychisme de nos patients.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 55

Sylvain Missonnier

Consentement éclairé en périnatalité :


l’avant-scène éthique du handicap ?

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Z
D
oc
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D

« Dire la vérité, ici comme ailleurs, ce n’est pas transmettre


sauvagement une information exacte ou probable dont on
ok

serait quitte une fois pour toutes, dire la vérité, c’est aussi
Bo

évaluer les effets que son dire produit dans une situation
donnée pour des sujets nécessairement singuliers.
ed

Faute de quoi le praticien se destituerait de sa fonction


thérapeutique et de la dimension éthique de son acte. »
M

Roland Gori et Marie-José Del Volgo, 2002 1

Ces dernières années, l’évocation de cette thématique du consente-


ment éclairé a pris une place progressivement croissante en tant que
pièce capitale dans le large débat bioéthique. La singularité sociologique
actuelle de cette thématique est de résonner, simultanément, sur la
scène corporatiste des acteurs de santé et dans l’agora publique. Les

Sylvain Missonnier, professeur de psychopathologie clinique de la périnatalité et de la


première enfance à Paris 5.
1. « L’éthique : un renouveau de la clinique dans les pratiques de santé », dans D. Brun
(sous la direction de), La guérison aujourd’hui : réalités et fantasmes, 5e Colloque de pédia-
trie et psychanalyse, Paris, Éditions Études freudiennes.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 56

56 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

traces douloureuses de l’affaire du sang contaminé, la menace de l’encé-


phalopathie spongiforme bovine et, plus récemment, les polémiques
autour de l’arrêt Perruche ont positionné la bioéthique au centre de l’ac-
tualité quotidienne. La bioéthique est désormais une « star » médiatique.
Au-delà de cet ici-et-maintenant et à l’échelle de l’histoire du
XXe siècle, la longue liste de textes officiels 2 qui jalonnent l’après-guerre
est surtout indissociable d’un « après-coup » des crimes nazis contre l’hu-
manité et, notamment, des expériences des médecins des camps de la
mort et des enfants des Lebensborn.
La cristallisation juridique et politique de ces questionnements est
source du meilleur comme du pire. D’un côté, elle offre la promesse d’une
interface constructive entre usagers (sujets singuliers et non objets) et

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soignants (humanistes et non tyrans) et, plus largement, d’un laboratoire
citoyen. De l’autre, elle évoque des incantations idéologiques creuses et
Z
aliénantes laissant de côté l’essentiel : les effets de rencontre dans un
D
colloque singulier de la demande (explicite et implicite) d’un malade, de
oc

son entourage, et de l’empathie d’un soignant et de son institution.


Tour à tour, ces débats ont provoqué chez moi des mouvements
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D

d’élation mais aussi souvent de fortes irritations. Dans cet imbroglio, une
ok

petite lueur s’imposait toutefois : l’intuition brute que la part émergée de


Bo

l’iceberg – l’aspect médico-légal – n’était qu’un aspect parcellaire d’un


plus vaste questionnement à la croisée des chemins, juridique certes,
ed

mais aussi clinique et éthique. Cette vitrine corporatiste et médiatique du


médico-légal, propice au sensationnalisme, capte sans partage l’atten-
M

tion, manifestement avec tous les risques de l’arbre qui cache la forêt.
Comme la lettre volée de la nouvelle d’Edgar Poe, sa constante exposi-
tion est finalement la meilleure garantie de mise au secret de son
précieux contenu.

2. On peut évoquer les successives versions du Code de déontologie médicale (1947 [...]
1995), la création du Comité consultatif national d’éthique en 1983, la Charte du patient
hospitalisé (1995), les lois n° 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect du corps
humain, n° 88-1138 du 20 décembre 1988 sur la protection des personnes qui se prêtent
à des recherches biomédicales, dite loi Huriet (révisée, 25 juillet 1994), et n°2002-303 du
4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. À l’échelle
internationale : les successives Déclarations d’Helsinki (1964 [...] 2000), la Convention
européenne sur les droits de l'homme et la biomédecine (1997), le Pacte international pour
les droits civils et politiques adopté par les Nations unies en 1966 et ratifié par la France en
1981, la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine signée à Oviédo en 1997,
la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme en 1997…
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 57

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 57

En accordant pleinement mon attention au consentement éclairé, en


me méfiant de cette illusion d’optique, j’ai pris conscience de sa valeur
centrale dans tout projet de soin et de son omniprésence singulière dans
l’ensemble de mes activités cliniques. J’ai travaillé en pédiatrie néonatale
et je suis actuellement à la maternité ; j’anime également un groupe de
paroles de parents d’enfants handicapés d’un CAMSP. Après coup, rien
dans ce champ clinique de la périnatalité et de l’enfance ne me paraît
étranger à la question du consentement éclairé. Plus encore, en consta-
tant mon côtoiement permanent avec l’ombre potentiellement trauma-
tique de la malformation, du handicap, de la maladie, de la mort chez le
fœtus, l’enfant, l’adolescent et sa famille, je réalise que cette menace a
aussi probablement joué un rôle de puissant leurre, me détournant des

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aspects cliniques et éthiques du consentement éclairé. Le rôle « d’ur-
gentiste psychique », confronté aux ondes de choc du trauma en temps
réel, peut justifier bien des raccourcis. Z
D
« Est-ce qu’un pompier du haut de son échelle, devant l’immeuble
oc

embrasé, demande à l’enfant à la fenêtre un consentement éclairé pour


son sauvetage ? » s’inquiète, suffisante et cynique, cette voix intérieure
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D

qui parle au nom du clinicien héroïque.


ok

Si je suis soulagé d’élaborer cette position épique initiale, vestige


Bo

insistant d’une motivation soignante empreinte de toute-puissance infan-


tile, c’est bien justement parce qu’elle est source de mirages. Telle une
ed

formation réactionnelle, elle cache mal son négatif agressif : la non-assis-


tance à personne en danger, le malheur des uns faisant, c’est bien connu,
M

le bonheur des autres. De fait, la confrontation à l’humain en risque de


rupture biopsychique peut facilement conduire à l’instrumentalisation
urgente de la victime par le sauveteur. Le secouriste y jouit d’une enflure
narcissique, mais l’objet de sa pitié y perd son statut d’humain, que seuls
la protection et le respect réciproques garantissent, au prix de fragiles
efforts.
Les discussions autour de la légitimité de l’absence de consentement
éclairé dans les « situations d’urgence » au Comité consultatif national
d’éthique en 1998 3, puis la loi du 4 mars 2002 4 illustrent bien cet équi-
libre instable.

3. « Consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin
ou de recherche », n° 58, 12 juin 1998.
4. Code de la santé publique, loi n° 2002-303 du 4 mars 2002.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 58

58 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Aussi, les quelques réflexions que je vais esquisser ici sont d’abord à
envisager comme un voyage intérieur où le sujet éthiquement correct
n’est qu’un soi en jachère et l’autre, respecté, un projet vulnérable.
Pour cheminer, je vais suivre le plan suivant. Je vais d’abord poser un
postulat méthodologique. J’aborderai ensuite le paternalisme médical
puis l’évolution de la rencontre de la déontologie et de la législation. Vien-
dra ensuite l’abord psychologique proprement dit du consentement
éclairé à partir d’une notion que je crois prometteuse, l’anticipation. Sur
cette base, quelques hypothèses psychanalytiques seront envisagées
avant de conclure.

LE POSTULAT DE L’UNITÉ SYSTÉMIQUE DU CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ

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Je crois a priori que l’humain peut être éclairé, ébloui ou assombri par
Z
l’information qu’il trouve lui-même dans son environnement ou qu’on lui
D
transmet. Si l’organisation somato-psychique est perçue comme régulée
oc

par une homéostasie interne et externe maintenant un équilibre variable


et évolutif, le système sera en crise quand cette régulation sera prise en
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D

défaut par des informations induisant une rupture.


ok

Il s’agit là de la théorie générale des systèmes 5 (Von Bertalanffy,


Bo

1968) décrivant « les organismes vivants comme des systèmes à la fois


fermés et ouverts, dans une unité dialectique ». Cette théorie des
ed

systèmes fait appel à trois principes essentiels :


– le système est un tout ; ses éléments ne peuvent être décrits qu’en
M

fonction de sa totalité ;
– le système est homéostatique : les informations extérieures déclen-
chent par rétroaction des modifications du système qui ont pour but le
retour à l’équilibre antérieur ;
– la causalité interne et externe du système n’est pas linéaire mais circu-
laire, inter et rétroactive.
La théorie générale des systèmes de Von Bertalanffy a ouvert vérita-
blement la problématique systémique en omettant, toutefois, d’appro-
fondir ses propres fondements. C’est E. Morin qui, finalement, a dégagé
le concept de « système complexe » en prenant en compte la récursivité
de l’organisation, à la fois organisée et organisante, intégrant ainsi la

5. L. Von Bertalanffy, 1968, Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1993.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 59

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 59

thèse d’ H. Atlan sur la notion d’autoorganisation pour évoquer les


« systèmes vivants 6 ».
La situation du consentement éclairé met bien en scène ces varia-
tions interactives chez l’individu et dans le groupe. L’équilibre y sera
métaphorisé par un éclairage « suffisamment bon » ; la crise sera repré-
sentée par l’ombre et l’éblouissement. Le système sera en crise quand
cette régulation sera prise en défaut par des informations induisant une
rupture.
Et l’on sait bien de nos jours, tant en sciences physiques qu’en
sciences humaines, combien l’affrontement de la crise, intrinsèque au
devenir du système, en authentifie son efficience adaptative : schémati-
quement, soit la rupture persiste et le système est en danger de mort,

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soit un processus de suture s’opère et un nouvel équilibre 7 s’instaure,
enrichi de la mémoire anticipative de la mise à l’épreuve.
Z
Pour le clinicien, la rupture renvoie aux mille visages du traumatique
D
et à ses voies de résolution, des plus dynamiques, avec la résilience, aux
oc

plus sombres, avec la paralysie du système et sa compulsion de répéti-


tion morbide. Ici, le traumatique se conjugue aisément en termes soma-
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D

tiques ou psychiques, mais mieux encore en termes biopsychiques dans


ok

une conceptualisation à l’abri du clivage psyché-soma.


Bo

Le détour par ce fécond paradigme me permet maintenant de poser


un postulat méthodologique à mon sens essentiel : il existe une unité de
ed

temps, de lieu et d’action dans la scénographie interactive du consente-


ment éclairé. Ce serait de l’aveuglement que d’analyser les mouvements
M

d’homéostase et de crise de cette situation en se focalisant sur ses seuls


prétendus émetteurs ou récepteurs.
Autrement dit, immerger le consentement éclairé et ses multiples
effets de rencontre dans cette unité systémique interactive, c’est d’em-
blée affirmer le caractère « stéréophonique » de la partition qui va se
jouer entre tous les différents acteurs en présence, simultanément et

6. Depuis les premiers travaux des grands pionniers, la théorie des systèmes a donné lieu
à de multiples développements. Les débats entre R. Thom, E. Morin, H. Atlan, I. Prigogine
et J.-L. Le Moigne illustrent la vivacité de la mouvance francophone.
7. Depuis cette proposition inaugurale, une critique salvatrice du postulat du « retour à
l’équilibre » a été formulée grâce à l’étude de Prigogine de systèmes « loin de l’équilibre ».
En rompant avec la réversibilité constante des processus structurés par des lois sources de
prévisibilité, la dimension temporelle est réintroduite et le non-équibre pourvoyeur de bifur-
cations irréversibles. La discontinuité événementielle y est reconnue à sa juste place ; elle
n’est plus un accident de l’homéostase mais une composante intrinsèque essentielle.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 60

60 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

immanquablement émetteurs et récepteurs. Fœtus, bébés, enfants,


parents, soignants, juristes, politiques sont unanimement impliqués par
cette diagonale du consentement et son éclairage intrinsèquement réci-
proque, et ce bien au-delà du caractère démonstratif de certains des
messages les plus bruyants émis par tel ou tel. Quels que soient les
rapports de force en présence, l’interactivité comportementale, affective
et fantasmatique est constante. Ce que modifie la distribution du pouvoir,
c’est seulement la vitrine explicite des échanges.
Or, cette mutualité ne semble pas étrangère à l’histoire du soin. Un
des sens premiers du verbe latin soignier renvoie au fait de « pourvoir au
besoin matériel de quelqu’un », et, plus trivialement, à la fréquentation
des marchés pour se procurer des marchandises… contre paiement. La

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réciprocité de l’échange marchand est bien ici la matrice sémantique du
soin.
Z
De son côté, l’étymologie primitive de consentir, cum (co) sentire
D
(sentir), pris au sens « d’être d’un même sentiment », de co-sentir,
oc

illustre très bien la composante incontournable de l’accordage affectif de


cet échange.
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D

Ce n’est que tardivement 8 que les modernes que nous sommes vont
ok

employer le verbe à la voix passive en mettant l’accent sur le destinataire.


Bo

Dans ce glissement progressif, on voit bien la conséquence de cet éloi-


gnement de l’origine : l’émetteur conquiert un monopole informatif qui
ed

condamne le récepteur à la passivité.


M

PATERNALISME ET « PATERNALISTHME 9 »

Il s’agit là de l’empreinte langagière du « paternalisme » médical.


Pour comprendre le sens de cette expression, il faut distinguer deux posi-
tions éthiques : « l’une (dite “téléologique”) fondée sur le principe de
bienfaisance (ou de non-malfaisance), l’autre (dite “déontologique”)
fondée sur le principe du respect des personnes dans leur autonomie. En
situation de soin ou de recherche biomédicale, on doit toujours s’efforcer
de faire le plus de bien (et le moins de mal) possible, tout en respectant
la liberté de décision des personnes qu’on cherche à aider. Autrement dit,

8. A. Rey (sous la direction de), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert,


1992.
9. Isthme : « Langue de terre resserrée entre deux mers ou deux golfes et réunissant deux
terres ». Le nouveau petit Robert, Paris, Le Robert, 1995.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 61

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 61

on doit toujours tendre à concilier les deux principes. Il y a cependant


des cas où les deux principes entrent en conflit. Par exemple, des
patients qui pour des raisons morales ou religieuses refusent les transfu-
sions sanguines ou les greffes peuvent se trouver dans un état de santé
tel que leurs médecins veuillent les transfuser, et jugent que leur refus de
cette thérapeutique leur est nuisible. Si la négociation échoue, il faut
alors choisir entre transfuser le patient contre sa volonté (c’est-à-dire
faire passer le principe de bienfaisance avant le principe du respect de
l’autonomie) et respecter la volonté exprimée par le patient (au risque
d’une dégradation de son état). Il y a cinquante ans, les médecins n’hé-
sitaient pas à imposer aux malades, parfois sans explication, ce qu’ils
jugeaient être bon pour eux, et cette attitude était socialement acceptée.

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Aujourd’hui, le souci d’informer les patients, et d’obtenir leur adhésion
aux actes de soin ou de recherche qu’on leur propose, est devenu la
Z
norme. L’évolution décrite est une évolution (encore incertaine) d’un état
D
de la société où l’on mettait l’accent sur le principe de bienfaisance (les
oc

médecins détenant la connaissance de ce qui est le “bien” dans le


domaine de la santé), à un état de la société où l’on respecte davantage
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D

le droit des individus à choisir leur propre “bien” et à participer aux déci-
ok

sions les concernant. Cette évolution n’est en soi ni bonne ni mauvaise :


Bo

elle est un “choix de société”, elle va avec le choix de vivre dans une
société plus démocratique 10. »
ed

Bien loin de l’empirisme prudent de cette citation (« cette évolution


n’est en soi ni bonne ni mauvaise… »), le paternalisme médical est
M

aujourd’hui évoqué la plupart du temps comme un arbitraire d’autrefois,


systématiquement et a priori condamnable.
Le vocable apparaît fin XIXe en anglais, au sujet du chef d’entreprise
qui a une conception patriarcale de son rôle. Le terme est repris en poli-
tique où il s’applique à une « tendance à imposer un contrôle, une domi-
nation sous couvert de protection 11 ». Le paternalisme dénonce alors la
défense d’une emprise personnelle sous couvert d’assistance.
En médecine, le praticien est jugé paternaliste s’il assume et appré-
cie sans partage les modalités de transmission et d’application de son
savoir médical au nom d’une autorité supérieure, à l’instar de celle d’un

10. Comité consultatif national d’éthique, « Consentement éclairé et information des


personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche », n° 58, 12 juin 1998.
11. Le nouveau petit Robert, Paris, Le Robert, 1995.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 62

62 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

père face à ses enfants ou d’un chef d’entreprise face à ses employés.
Est-il pour autant un médecin littéralement despote à l’égard du patient,
comme le père grec qui disposait d’un pouvoir absolu envers femme,
enfant et esclave ?
Assurément, ces excès ont existé et persistent encore quotidienne-
ment 12. Aujourd’hui, le scientisme technologique et l’impérialisme du
paradigme probabiliste sont des alliés potentiels de cette infantilisation
du patient condamné à la culpabilité et à la faute face à une maîtrise
médicale parentale prompte à relayer la directivité d’une instance
surmoïque.
Toutefois, sans remettre en cause les mutations historiques de la
corporation médicale, je crois qu’il y a autant de naïveté dans la descrip-

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tion schématique d’un passé totalement paternaliste que dans celle d’un
futur libéré de ses méfaits. De plus, le paternalisme n’est pas un, mais
Z
pluriel : il y a autant de styles d’autorité paternelle que de pères, de
D
soignants. Une casuistique du paternalisme d’hier et d’aujourd’hui devrait
oc

bien sûr tenir compte des grandes orientations sociologiques de l’idéolo-


gie médicale et de la relation soigné-soignant, mais aussi envisager la
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D

singularité individuelle de l’histoire familiale et professionnelle. La filière


ok

psychanalytique des identifications à l’autorité parentale de l’enfant, puis


Bo

de l’étudiant à ses maîtres (éventuellement, mais pas nécessairement,


mandarin dans une maîtrise sans partage), reste à mon sens la piste la
ed

plus fructueuse pour appréhender le paternalisme propre d’un soignant.


Enfin, l’expression de ce paternalisme n’est jamais univoque mais
M

toujours intriquée dans le maillage d’un échange intersubjectif où le


paternalisme (il serait plus exact de parler alors de « parentalisme »)
résonne dans la mutualité de la rencontre avec un patient qui lui-même
a un rapport intergénérationnel issu de sa propre filière identificatoire.
Pour ces raisons, je crois aujourd’hui important de rester prudent
devant les affirmations d’une résistance accrue des patients face aux
excès paternalistes, car ils disposent a priori d’une plus grande autono-
mie dans le cadre d’une communication entre des individus considérés
comme égaux en droit et de même niveau de maturité. De fait, le
psycho(patho)logue sait combien ce postulat, « la capacité de droit 13 »

12. Notamment avec la possibilité juridiquement « exceptionnelle » de limiter l’information


pour des motifs inappropriés.
13. Comité consultatif national d’éthique, « Consentement éclairé et information des
personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche », n° 58, 12 juin 1998.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 63

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 63

au consentement juridiquement nécessaire, conduit à mettre clinique-


ment l’accent sur une variable complexe : « la capacité de fait
(mentale) » à s’investir dans le travail de négociation de ce consente-
ment. Comme le montrent bien les situations limites des juridiquement
« incapables » (mineurs, majeurs protégés, majeurs en situation médi-
cale d’urgence), cette « compétence » au consentement implique la
double « capacité » d’entendement et de libre arbitre. Avec ces deux
marqueurs individuels, on rentre de plain-pied dans la complexité cogni-
tive, affective et fantasmatique de la rencontre. Une complexité singuliè-
rement amplifiée par le contexte de la relation soigné-soignant dont la
gravité du tableau en jeu est variable, mais le rapport tragique à la mort
constant.

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Finalement, le père médecin, parfois négociateur averti, ne pourrait-
il pas être aussi un père juste, comme on l’évoque dans l’intendance des
Z
biens en parlant de « gestion d’un bon père de famille » ? Il s’agit là d’un
D
père-soignant, conscient de la dissymétrie de fait indépassable entre
oc

parents-soignants et enfants-soignés, mais qu’une égalité a priori en


droit motive inlassablement à civiliser.
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D

Ainsi, la juste condamnation de la maîtrise aliénante d’un pouvoir


ok

tyrannique paternaliste laisse le champ libre à la richesse métaphorique


Bo

d’un soignant paternel. Il paraissait essentiel de le souligner tant l’amal-


game est aujourd’hui fréquent.
ed

DÉONTOLOGIE MÉDICALE ET LÉGISLATION


M

À la lecture de nombreux textes qui explorent à rebours la genèse de


l’état actuel du consentement éclairé, on découvre qu’il est le fruit de la
rencontre de deux courants : la déontologie médicale et la législation.
Globalement, les réglementations et la législation – nettement exacerbée
par les lois relatives à la protection des personnes qui se prêtent à des
recherches biomédicales (1988) – se substituent progressivement à cette
médiation interindividuelle qui impose une négociation médecin-patient
indissociable d’une confiance partagée.
Dans ce contexte historique, j’ai été justement frappé de la façon
dont la déontologie médicale, de son côté, est finalement porteuse de
réciprocité dans les fondements mêmes de sa tradition et dénonce les
dérives despotiques. Face à l’incertitude du diagnostic, du traitement et
du pronostic, une information médicale « simple, loyale et intelligible »
est recommandée pour dynamiser la contractualisation thérapeutique et
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 64

64 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

son efficacité. L’ancienne primauté du primum non nocere (d’abord, ne


pas nuire), la bienveillance du praticien sous-entendent une information
parfois retenue pour rester digne. La nécessité d’adapter le discours à la
singularité du patient respecte la liberté du médecin pour approprier son
discours informatif en se tenant, dans le meilleur des cas, à l’abri des
excès du « tout dire » et de la manipulation par dissimulation ou défor-
mation.
A contrario, sous la pression légale grandissante, la nouvelle donne
du consentement éclairé constitue bel et bien une menace paradoxale
pour la confiance médecin-malade dans la contractualisation du soin. Les
arrêts de la Cour de cassation engagent avant tout le praticien à prouver
qu’une information s’attache prioritairement à caractériser les risques

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possibles du soin proposé. « L’inversion de la charge de la preuve ainsi
consacrée pourrait être comprise comme la réhabilitation de la personne
Z
malade dans le droit de ne plus être dépendante d’attitudes d’un autre
D
temps qui du fait de dissimulations, voire de tromperie, ou simplement
oc

d’indifférence, peuvent faire perdre des chances dans la prise d’une déci-
sion relative à des choix de traitements 14. » Mais cette inversion a sur le
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D

terrain pour conséquence de « transformer radicalement la relation


ok

médecin-malade, du point de vue des valeurs de respect, de dignité et


Bo

de retenue que défendait une certaine conception de la déontologie


médicale à laquelle on ne saurait renoncer trop hâtivement ».
ed

Cette pression médico-légale peut conduire en effet le praticien à


s’affranchir des responsabilités mêmes de sa fonction de contenance du
M

patient car l’impératif informatif l’invite implicitement à la neutralité,


sinon à la froideur. Puisqu’il appartient au malade de consentir, l’informa-
tion apportée doit être livrée sans retenue et exhaustivement. Les formu-
laires de consentement éclairé poussent cette logique de l’absurde à
l’extrême 15.
De nombreuses questions se posent alors : « Une information ainsi
réduite à la transmission routinière de données souvent sensibles ou déli-
cates, incertaines ou évolutives, toujours dépendantes d’un contexte très

14. E. Hirsch, « Exigences éthiques de l’information médicale », dans E. Hirsch (sous la


direction de), Espace éthique. La relation médecin-malade face aux exigences de l’infor-
mation, Paris, Doin Éditeurs, 1999.
15. La jurisprudence a bien souligné récemment combien le consentement éclairé corres-
pondait beaucoup plus à un état d’esprit relationnel du soin dans la durée qu’à la signature
isolée d’un document visant une couverture médico-légale unilatérale.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 65

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 65

spécifique, constitue-t-elle la promotion la plus évidente des droits du


patient ? Renforce-t-elle ou altère-t-elle les conditions d’un rapport à la
fois à la maladie, à l’état du malade, à l’environnement du soin, aux
conditions d’expression d’une décision et d’acceptation d’un traitement, à
la qualité de vie ? N’aurait-il pas été préférable de résister face aux fasci-
nations et aux mythes du tout savoir, de la transparence, afin de mieux
découvrir, en cette période de saturation de l’information et de proliféra-
tion des réseaux d’échanges de savoirs, ce en quoi la relation et la
communication médicales pouvaient demeurer garantes des valeurs de
liberté, de dignité et de vérité auxquelles semble attachée notre démo-
cratie 16 […]. »

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SPÉCIFICITÉS DE LA PÉRINATALITÉ ET DE LA PÉDIATRIE

Z
Les réflexions théorico-cliniques sur le deuil périnatal, le diagnostic
D
anténatal et l’annonce d’une anomalie, d’un handicap 17, la prématurité
oc

ainsi que les débats sur l’arrêt Perruche 18 concourent chacun à leur façon
à une contextualisation spécifique de ce débat sur le consentement
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D

éclairé.
ok

Pour ma part, je voudrais simplement souligner ici une singularité


Bo

psychologique de ce questionnement en périnatalité et en pédiatrie : il


émerge sur la scène conceptionnelle qui se caractérise par la commémo-
ed

ration d’une relation d’objet matricielle singulière.


La conception, en accord avec l’étymologie du mot conceptere, c’est
M

« l’action de contenir », et concevoir, de concipere, c’est proprement


« contenir entièrement ». Or, au XIIe siècle, concipere apparaît « simul-
tanément » avec la double signification de former un enfant en soi et de
se représenter soi par la pensée 19. Cette simultanéité sémantique de la
formation d’un enfant en soi et de sa propre représentation humaine
gouverne notre réflexion psychologique et éthique et en justifie les

16. E. Hirsch, « Exigences éthiques de l’information médicale », art. cité.


17. M. Soulé, L. Gourand, S. Missonnier, M.-J. Soubieux, Écoute voir… L’échographie de la
grossesse. Les enjeux de la relation, Toulouse, érès, 1999.
18. L. Gourand, « L’arrêt du mirage ? L’échographie prénatale avant et après l’arrêt
Perruche », dans S. Missonnier, B. Golse, M. Soulé, La grossesse, l’enfant virtuel et la paren-
talité, Paris, PUF, 2003.
19. A. Rey, Dictionnaire historique de la langue français, Paris, Le Robert, 1995.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 66

66 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

vertiges et les passions. La frontière commune entre constitution de


notre propre humanité et celle, en devenir, du fœtus et du nouveau-né
complexifie les enjeux éthiques du consentement éclairé en périnatalité
car elle réédite ce que je nomme la relation d’objet virtuelle 20.
Cette relation d’objet virtuelle (ROV) concerne le lien biopsychique qui
s’établit en prénatal entre les devenant parents et « l’enfant du
dedans » (l’embryon-fœtus des professionnels) qui se situe pour les
parents à l’entrecroisement du bébé virtuel prénatal et du bébé actualisé
en postnatal. C’est la confrontation dialectique permanente des deux qui
constitue la réalité biopsychique de l’anticipation parentale périnatale.
C’est une branche de l’arbre de vie de la parentalité prénatale. Pour la
mère et, mutatis mutandis, pour le père, elle concerne l’ensemble des

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comportements, des affects et des représentations (conscientes,
préconscientes et inconscientes) à l’égard de l’embryon puis du fœtus.
Z
Comme l’on parle en psychanalyse d’objet « typique » de la relation
D
orale, anale, génitale, la ROV est utérine et, plus globalement, inscrite
oc

fantasmatiquement dans le processus de parentalité chez la femme, mais


aussi chez l’homme. Elle représente la matrice de toute la filière ulté-
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D

rieure de la relation d’objet. Sa caractéristique essentielle est de contenir


ok

cette genèse et d’en rendre possible le dynamisme évolutif à l’œuvre. La


Bo

ROV se réfère à un processus qui va – schématiquement – de l’investis-


sement narcissique extrême (qui tend vers un degré zéro de l’objectal) à
ed

l’émergence progressive d’un investissement (pré)objectal.


Lors de cette gestation biopsychique, les jeunes impétrants, construi-
M

sant le nid, traversent une intense réviviscence de leurs conflits de sépa-


ration, des plus archaïques aux plus élaborés. Dans une transparence
enrichissante et dynamique ou subie et déstabilisante, se réactualise le
« complexe problématique » de leur lignée, de leur biographie et de leur
couple.
Non sans cynisme, cette réactualisation met en exergue la créativité
et la vulnérabilité des métamorphoses du segment périnatal de la paren-
talité. Si des grains de sable traumatiques ou des fantômes sont ravivés
à cette occasion, la conception biopsychique sera en péril et la cohésion
du virtuel parental et de l’enfant actuel en danger. Les identifications

20. S. Missonnier, « Le premier chapitre de la vie. Nidification parentale. Nidation fœtale »,


La psychiatrie de l’enfant, L, 1, 2007, p. 61-80.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 67

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 67

projectives parentales prénatales « normales » et pathologiques sont très


représentatives de la tonalité contenante ou déstructurante du virtuel
parental qui s’actualisera en postnatal. En psycho(patho)logie prénatale,
ces identifications projectives sont de fidèles marqueurs de la ROV. Bien
sûr, tous les incidents ponctuant la grossesse (événements de vie drama-
tiques, pathologies materno-fœtales, anomalies fœtales suspectées ou
avérées, prématurité advenue ou redoutée…) surdétermineront simulta-
nément la ROV parentale et l’émergence identitaire anténatale propre de
l’enfant du dedans.
La question du consentement éclairé en périnatalité et en pédiatrie
est donc en étroite corrélation avec la nature parentale et soignante de
cette conception, dont la colonne vertébrale psychique est cette ROV.

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Quand M. Grassin 21 souligne combien dans le consentement éclairé « Soi
est en l’autre, l’autre est en soi », on comprend aisément combien en
Z
périnatalité la formule s’inscrit simultanément dans la chair et dans la
D
psyché.
oc

ANTICIPATION ET CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ


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D
ok

Je voudrais maintenant vous soumettre quelques rudiments sur l’an-


Bo

ticipation. C’est à mon sens un concept prometteur pour notre question-


nement. Pourquoi ? Car l’anticipation s’impose comme la stratégie
ed

défensive élective que l’humain semble avoir à sa disposition pour affron-


ter l’incertitude 22 qui contextualise éminemment le consentement éclairé
M

en périnatalité et en pédiatrie.
Une anticipation tempérée adaptative ne correspond pas à l’illusion
d’une prévision exacte du futur mais bien à une inscription dans un
processus de symbolisation de la complexité des scénarios possibles. Une
des grandes vertus de l’approche systémique contemporaine est de
mettre en exergue la récursivité des processus humains : un moyen pour
atteindre une fin transforme cette fin – et, ce faisant, suggère déjà, irré-
versiblement, quelque nouveau moyen. Tout acte engageant engendrera
toujours des effets non anticipés. « C’est à pouvoir rencontrer l’imprévu

21. M. Grassin, Le nouveau-né entre la vie et la mort. Éthique et réanimation, Paris, Desclée
de Brouwer, 2001.
22. P. Gonod, 2000, « Penser l’incertitude », document d'atelier du site de l’Association pour
la pensée complexe, <http://www.mcxapc.org>.
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68 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

qu’il faut être préparé et non à tout prévoir », écrit G. Favez 23. La santé
de l’anticipation, c’est son ouverture à l’imprévisible.
Prenons l’exemple concret de l’incertitude parentale face à un nour-
risson malade. Cette incertitude comporte au moins cinq facettes reliées
entre elles :
– l’incertitude face au tempérament et au style interactif du bébé telle
qu’elle existe dans toute naissance ;
– l’incertitude face à l’environnement médical, à son langage et à ses
coutumes complexes ;
– l’incertitude à l’égard de la maladie ;
– l’incertitude face aux soignants et à la qualité de leurs soins ;
– l’incertitude sociale, c’est-à-dire celle du couple, de la fratrie, de la

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famille, des proches, du milieu professionnel, des groupes d’apparte-
nance face à la crise de la maladie.
Z
Une recherche-action conduite dans un service de maternité et de
D
pédiatrie 24 a attiré mon attention sur la fonction protectrice de l’anticipa-
oc

tion parentale. Face à une hospitalisation médicalement impromptue du


nouveau-né à terme, il est apparu que les parents ayant envisagé en
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D

prénatal cette éventualité comme un scénario possible affrontent cette


ok

épreuve dans de meilleures conditions que les parents privés de cette


Bo

« connaissance anticipative 25 ». Les interactions comportementales


mère-bébé, père-bébé sont meilleures, le récit parental de la séparation
ed

est plus structuré et la dépressivité maternelle moindre. Dans ce


contexte, « anticiper consiste, lors d’une situation de crise, à imaginer
M

l’avenir : en expérimentant d’avance ses propres réactions comporte-


mentales ; en prévoyant les conséquences de ce qui pourrait arriver ; en
envisageant différentes réponses ou solutions possibles 26 ».
Motivé par ces résultats inédits, je me suis depuis centré sur cette
anticipation, définie par J. Sutter 27 comme le « mouvement par lequel
l’homme se porte de tout son être au-delà du présent dans un avenir,
proche ou lointain, qui est essentiellement son avenir ». Elle correspon-

23. « De la contestation », cité par B. Golse en exergue de son ouvrage Du corps à la


pensée, Paris, PUF, 1999.
24. S. Missonnier, La consultation thérapeutique périnatale, Toulouse, érès, 2003.
25. D.N. Stern, Mère-enfant. Les premières relations, Bruxelles, P. Mardaga, 1977.
26. S. Ionescu, M.-M. Jacquet, C. Lhote, Les mécanismes de défense. Théorie et clinique,
Paris, Nathan, 1997.
27 J. Sutter, L'anticipation, Paris, PUF, 1983.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 69

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 69

drait à la maturation d’un mécanisme de défense adaptatif 28 visant à


prévenir les effets désorganisants des dangers réels ou imaginaires. Son
efficience individuelle s’imposerait comme indissociable de sa genèse
interactive. Face aux crises, l’histoire comportementale, émotionnelle et
fantasmatique de l’anticipation serait mise à l’épreuve.
Son rôle dans le développement du nourrisson et dans le processus
de la parentalité m’est apparu princeps, car l’anticipation naissante du
nourrisson et les schèmes d’anticipation maternel et paternel se rencon-
trent dans une spirale interactive sous des formes psychologiques et
psychopathologiques de scénarios relationnels.
Je crois volontiers qu’en matière de consentement éclairé en mater-
nité et en néonatalogie la qualité anticipatrice des parents et du bébé est

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prépondérante. Mais, en accord avec le postulat méthodologique envi-
sagé, je pense que la qualité de l’anticipation soignante est tout aussi
Z
influente et enchevêtrée à celle du couple, de la famille et, plus large-
D
ment, de l’institution.
oc

Il est vrai qu’entre raison scientifique et irrationnel sacré, la vision


dynamique de l’avenir anticipé nourrit constamment nos craintes, notre
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D

curiosité et la tonalité négociée ou despotique des consentements éclai-


ok

rés mis en œuvre.


En prenant d’avant (étymologiquement ante capere), l’anticipation
Bo

s’enracine d’emblée dans le passé. Indissociable de l’histoire, elle l’accom-


ed

pagne donc en véhiculant la mémoire individuelle, familiale et culturelle de


chacun d’entre nous, soignés et soignants. Face à l’adversité et à l’ambi-
M

guïté de l’imprévisibilité, selon les cas, elle nous guide ou nous perd.
L’anticipation est une variable individuelle, familiale, institutionnelle et
sociétale.
Secrétée par l’angoissante vulnérabilité du sujet, l’anticipation tempé-
rée se démarque de la toute-puissante prédiction de l’augure. L’oracle
légitime son pouvoir de prae dicere (dire à l’avance), par une ésotérique
connivence avec le divin au prix d’une expatriation de son terroir humain.
La prédiction, horizon tentateur de l’anticipation, en exprime la virtualité
aliénante. Ici l’anticipation et son discours informatif du « tout dire »
éblouissent et condamnent à l’action urgente et décousue.

28. G.E. Vaillant, Ego Mechanisms of Defense. A Guide for Clinicians and Researchers,
Washington, American Psychiatric Press Inc., 1992.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 70

70 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

À l’inverse, la tentation du refus de toute anticipation, l’anticipation


déprimée, plonge dans l’ombre et paralyse à l’instar d’un principe de
précaution poussé à l’extrême.
La prédiction, comme l’information imposée sans retenue ou absente,
colonise l’avenir. L’anticipation et l’information mesurées le négocient.
Mais l’anticipation est source d’angoisse. L’angoissante anticipation
de notre fin constitue le substrat de notre créativité. « […] L’angoisse est
la réalité de la liberté parce qu’elle en est le possible », affirme Kierke-
gaard 29. L’angoisse signal, paradigme de l’anticipation tempérée en
terres psychanalytiques, en souligne la potentialité défensive adaptative :
« [...] Il y a dans l’angoisse quelque chose qui protège contre l’effroi 30 »,
nous livre Freud. L’angoisse automatique ou traumatique en est la

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version pathologique qui a contrario muselle l’adaptation.
Aussi, face à la rencontre matricielle du devenir parent et du naître
Z
humain, l’anticipation se révèle être un fil conducteur très prometteur
D
pour la compréhension des variations tempérées et pathologiques du
oc

développement de la parentalité et de l’enfant. L’analyse de « l’œuvre 31 »


anticipatrice inhérente à la parentalité, celle de la maturation de l’antici-
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D

pation chez l’enfant et de leurs interactions sont des fenêtres ouvertes


ok

sur le jardin secret de la filiation. L’anticipation est dans ce contexte une


Bo

voie d’accès incontournable à la symbolisation car, comme nous l’a fort


bien transmis Aulagnier 32, c’est dans la violence de l’interprétation anti-
ed

cipatrice parentale que les représentations primaires de l’infans émer-


gent.
M

Quand le projet parental est attaqué par l’effraction d’un handicap,


d’un trouble psychique chez l’enfant, l’analyse approfondie de l’anticipa-
tion de chacun des acteurs en présence se révèle cliniquement perti-
nente. Dans le domaine de l’anticipation familiale blessée, la qualité de
l’anticipation du soignant et de son institution s’affirme comme un
marqueur fidèle de la contenance cicatrisante du cadre. Anticipation
meurtrie et anticipation soignante sont deux versants indissociables de la
rencontre thérapeutique.

29. S. Kierkegaard, 1844, Le concept de l'angoisse, Paris, Gallimard, 1976.


30. S. Freud, 1920, « Au-delà du principe de plaisir », dans Essais de psychanalyse, Paris,
Payot, 1982.
31. D. Cupa, H. Deschamps-Riazuelo, F. Michel, « Anticipation et création : l’anticipation
parentale prénatale comme œuvre », Pratiques psychologiques, 1, 2001, p. 31-42.
32. P. Aulagnier, La violence de l’interprétation. Du Pictogramme à l’énoncé, Paris, PUF,
1975.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 71

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 71

Par conséquent, pour aborder la complexe interaction du consente-


ment éclairé en périnatalité, il me semble utile de concevoir cet échange
comme une négociation entre les schèmes d’anticipation des parents et
des soignants à l’égard du fœtus-bébé. Dans ce creuset, la proposition
de Sutter 33 de conjuguer psychologiquement et psychopathologiquement
l’anticipation me paraît cliniquement éclairante.
Dans le premier registre, la forte amplitude des variations de la
normale est redoublée par la singularité du fonctionnement psychique
parental périnatal. Plus encore, toute situation de crise induite par la suspi-
cion ou la révélation d’une anomalie (fœtale, materno-fœtale ou postna-
tale) est potentiellement traumatique et met à l’épreuve les limites de
l’équilibre biopsychique individuel, conjugal et familial. Dans le second

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registre psychopathologique, la description paradigmatique selon Sutter
des tableaux de l’anticipation névrotique (anxieux-phobique ; hystérique ;
Z
obsessionnelle), dépressive et délirante, représente une base de départ qui
D
ne prend tout son sens qu’immergée dans une discussion casuistique
oc

psychanalytique approfondie.
Dans le meilleur des cas, en périnatalité et en pédiatrie, l’anticipation
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D

soignante sera donc « sur mesure », jamais systématisée, et elle


ok

suppléera l’anticipation parentale sans empiétement ni emprise qui induit


Bo

la dépendance. La formalisation évolutive de ce consentement par les


soignants mériterait d’être éclairée par l’évaluation transdisciplinaire de
ed

cette anticipation parentale.


M

LE DESPOTE, LA CONCUBINE ET LE CONSENTEMENT

À l’orée de cette anticipation du consentement éclairé en périnatalité


et en pédiatrie, j’aimerais compléter maintenant mon propos en amor-
çant un débat psychanalytique sur la spirale interactive, affective et
fantasmatique inhérente au consentement éclairé. Dans le colloque
singulier qui s’instaure entre les parents, l’enfant et les soignants,
plusieurs regards se posent sur la maladie. Pour ne parler que de l’étio-
logie, celle des médecins est charpentée le plus souvent par une vision
statistique « ésotérique », alors que celle des parents et de l’enfant se
réfère à d’autres paradigmes « profanes ». Le récit étiologique désaffec-

33. J. Sutter, L'anticipation, op. cit.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 72

72 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

tivé et généraliste des premiers entretient des rapports souvent peu


hospitaliers à l’égard du précieux « roman de la maladie 34 » des parents
et de l’enfant. Le « savoir » n’a pas la même signification chez les
soignants et chez les usagers. Tous ont un inconscient à fleur de clinique,
propice aux actes manqués, lapsus et interprétations sauvages. Face au
tragique des situations, les mécanismes de défense entremêlés des uns
et des autres fusent de part et d’autre dans un véritable feu d’artifice.
En étudier les mille et un avatars ferait l’objet d’un chapitre à part
entière. Je me bornerai ici à souligner combien, derrière les enjeux épis-
témiques de l’information émise et reçue à l’occasion du consentement,
se cache à mots couverts la pulsion d’emprise (plus ou moins) sublimée.
Cette dernière est classiquement considérée en psychanalyse comme le

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port d’attache de la pulsion de savoir et, au-delà, comme la matrice de
toute pulsion, dirait aujourd’hui P. Denis, qui décrit un « formant d’em-
prise 35 » à la source de chacune d’elle. Z
D
À travers ce prisme, les informations s’originent dans cette dyna-
oc

mique pulsionnelle et s’inscrivent dans la passion de la relation comme


un fragment du discours amoureux. L’histoire des mots 36 est généreuse
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D

pour lever le coin du voile de certains non-dits à ce sujet. Ainsi, le parti-


ok

cipe présent du verbe consentir, « consentant, consentante », a été


Bo

adjectivé au XIIe siècle avec le sens général et la valeur de « qui accepte


une relation amoureuse sexuelle ». De son côté, la « soignante » peut
ed

être tendre, méticuleuse et attentive comme une mère avec son bébé,
mais aussi « concubine » (concubina, qui couche avec) : c’est ce que
M

signifiait « soignante » en ancien français. Les scénarios du consente-


ment au soin, à l’aune de notre imaginaire sexuel œdipien, expriment
toute leur vivacité conflictuelle dans l’espace dialectique d’Éros et de
Thanatos.
Toutefois, c’est à ce moment qu’il est important de se souvenir que
chez Freud la conception de l’emprise fluctue. Elle passe d’un statut de
pôle « non sexuel » d’opposition au sexuel à un rôle de « concept inter-
médiaire 37 ».

34. M.-J. Del Volgo, L’instant de dire. Le mythe individuel du malade dans la médecine
moderne, Toulouse, érès, 1997.
35. P. Denis, Emprise et satisfaction. Les deux formants de la pulsion, Paris, PUF, 1997.
36. A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, op. cit.
37. P. Denis, article « Emprise », dans A. Mijolla (sous la direction de), Dictionnaire inter-
national de la psychanalyse, Paris, Calmann-Lévy, 2002.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 73

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 73

L’appareil musculaire est le principal agent de l’emprise, mais la main


s’impose justement comme un maillon « intermédiaire » essentiel via la
masturbation puis l’activité sexuelle adulte. Cette dialectique peut aussi
conduire à une césure par autonomisation de la cruauté du sadisme :
« La sexualité de la plupart des hommes comporte une adjonction
d’agression, de penchant à forcer les choses, dont la signification biolo-
gique pourrait résider dans la nécessité de surmonter la résistance à l’ob-
jet sexuel autrement encore qu’en lui faisant la cour. Le sadisme
correspondrait alors à une composante agressive de la pulsion sexuelle
devenue autonome, hypertrophiée et propulsée par déplacement en
position principale 38. »
Si l’on conçoit l’information médicale du consentement sous la

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gouverne de la pulsion d’emprise, la question sera alors de savoir ce qui
s’apparentera métaphoriquement à son imposition, au viol agressif, et à
Z
sa négociation, à l’art courtois. Dans ce contexte, la variable qui en carac-
D
térisera la teneur éthique sera le degré de sublimation de l’emprise, qui
oc

oscille entre tyrannie de l’étreinte aveugle, violente, et attention singu-


lière dans la mutualité créatrice.
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D

À ce moment de la réflexion, la dénonciation du paternalisme (paren-


ok

talisme) prend toute sa saveur surmoïque : comment ne pas y entendre


Bo

un rappel de l’interdit de l’inceste, une condamnation de la cruauté du


despote ? Quand le rappel est formulé avec une insistance démesurée,
ed

comment ne pas y déceler une formation réactionnelle traduisant bien la


culpabilité du magnétisme exercé par la nostalgie de l’emprise originaire
M

de l’infans tyran domestique ?

VERS UN CONSENTEMENT MUTUELLEMENT 39 ÉCLAIRÉ

Pour ramasser mon propos, j’aimerais schématiquement opposer les


polarités du consentement imposé et du consentement mutuellement
éclairé, étant entendu qu’il existe une infinité de pastels – toujours
uniques et évolutifs – entre les deux. Sur le versant de l’imposition, le
consentement est l’issue d’un coup de force aveuglant du soignant qui au
mieux infantilise le patient et sa famille, au pire les chosifie. Sur le

38. S. Freud, 1905, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, coll. « Folio
Essais », 1985.
39. L’expression est de Luc Gourand.
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74 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

versant de la mutualité, la conquête du consentement inaugure un


processus symboligène où le tissage des narrations croisées éclaire réci-
proquement les interlocuteurs. D’un côté, le passage à l’acte prolongeant
la répétition traumatique, de l’autre, l’accordage mutuel, source d’une
conflictualité maturante.
Quelle que soit la position entre ces deux extrêmes, le postulat systé-
mique souligné en ouverture se confirme et l’influence réciproque reste
vraie. Avec l’imposition, elle est source de malentendus démobilisateurs ;
avec la mutualité, elle est moteur de synergie.
Mais au-delà de toute tentation manichéenne simplificatrice et mora-
liste, la variable qualitative la plus efficiente pour envisager les ombres,
les lumières et éblouissements du consentement d’un point de vue

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psychanalytique, c’est sa prise en compte de « l’autre du discours tech-
noscientifique, son négatif, le reste hétérologique que les technosciences
Z
produisent nécessairement en accomplissant leur légitime progression au
D
sein de la médecine 40 ». Le paradigme psycho(patho)logique de l’antici-
oc

pation est à mon sens une boussole efficiente pour accueillir et penser ce
« reste » chez le soignant et chez l’usager. Cela se confirme dans la rela-
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D

tion transféro/contre-transférentielle psychanalytique, mais aussi pour


ok

partager une sémiologie transdisciplinaire dans la clinique du quotidien


Bo

institutionnel.
In fine, à ce jour, les procédures dites de consentement éclairé
ed

constituent un étendard qui ne présage de fait d’aucune garantie éthique


du soin et de la recherche médicale. Cette vertu ne se décrète pas, ne
M

s’obtient pas une fois pour toutes, mais se conquiert, se négocie dans le
colloque entre soignés et soignants, entre sauvagerie et courtoisie. Les
principes de contextualité, de non-systématicité et de collégialité en sont
les fondations 41.
C’est ce que tentent de montrer nos travaux sur le diagnostic anté-
natal42 où le travail soignants-soignés de négociation du consentement

40. R. Gori, M.-J. Del Volgo, « L’éthique : un renouveau de la clinique dans les pratiques de
la santé », art. cité, 2002.
41. M. Grassin, Le nouveau-né entre la vie et la mort, éthique et réanimation, op. cit.
42. S. Missonnier, La consultation thérapeutique périnatale, op. cit. ; « Le diagnostic anté-
natal », dans A. Ciccone, S. Korff-Sausse, S. Missonnier, R. Scelles (sous la direction de),
Cliniques du sujet handicapé. Actualité des pratiques et des recherches, Toulouse, érès,
2007.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 75

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ 75

éclairé est particulièrement déterminant dans le devenir individuel et


familial des situations à fort potentiel traumatique de suspicion et de
révélation d’anomalie fœtale.
Mais quoi qu’il en soit, sur ce chemin difficile, les multiples obstacles
potentiels n’assombrissent pas la promesse de ce débat sur le consente-
ment éclairé. Il représente pour la communauté des acteurs de santé et
pour l’ensemble des citoyens une opportunité sociologique, politique et
éthique pour civiliser la relation soignant-soigné.
Plus spécifiquement, en périnatalité, la clinique interroge en perma-
nence le statut de l’humain. La casuistique y est quotidiennement intri-
quée à ce questionnement. Laboratoire pionnier, les conditions y sont
réunies pour que ces deux termes – clinique et éthique – soient redon-

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dants : un paradigme heuristique pour l’accueil du fœtus-bébé porteur de
handicap !
Z
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ok
Bo
ed
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Simone Korff-Sausse

Responsabilité éthique du point de vue


de la personne handicapée elle-même

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Z
D
oc
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D

On pose toujours la question de l’éthique du côté des soignants ou


de la société, c’est-à-dire qu’on définit des attitudes basées sur un certain
ok

nombre de valeurs à l’égard de la personne en situation de handicap du


Bo

point de vue des autres, mais pas du point de vue de la personne handi-
capée elle-même. Souvent, trop souvent, on développe les positions
ed

éthiques de l’extérieur et non de l’intérieur, d’en haut et non d’en bas.


M

Elles sont énoncées par des experts et non pas issues du terrain où les
cliniciens se confrontent, au quotidien, à des situations complexes, qui
posent plus de questions qu’ils n’offrent de réponses. Or, comme le dit
Emmanuel Hirsch, « l’éthique, ça se discute ». En effet. Par exemple, le
droit à la sexualité et à la procréation pose dans les institutions pour
personnes atteintes d’un handicap mental des problèmes concrets qui
méritent réflexion et discussion. Les équipes s’interrogent sur les impé-
ratifs éthiques qui se dégagent de ces situations cliniques fort complexes
et qui véhiculent, souvent à notre insu, des positions idéologiques bien
intentionnées et politiquement correctes. Cependant, notre orientation
psychanalytique ne nous permet pas d’ignorer que derrière les discours
manifestes se camouflent des fantasmes beaucoup moins bienveillants,

Simone Korff-Sausse, psychanalyste, maître de conférences à l’UFR sciences humaines


cliniques, université Paris 7, membre de la Société psychanalytique de Paris.
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78 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

liés aux représentations inconscientes aussi bien individuelles que collec-


tives, que suscite la figure inquiétante du handicap et qui correspondent
à ce que la psychanalyse définit comme des formations réactionnelles.

QU’EN PENSE LA PERSONNE HANDICAPÉE ELLE-MÊME ?

La question que j’aimerais mettre en avant est celle de savoir ce


qu’en pense la personne handicapée elle-même. Sur ces questions
d'éthique, on entend rarement la voix des handicapés. La position subjec-
tive de la personne handicapée est généralement occultée dans ces
réflexions. Les associations de parents ne manquent pas de souligner à
quel point la politique de dépistage risque d’être un désaveu pour les

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familles élevant un enfant trisomique. Les comités d’éthique ont
tendance à se faire l'écho des positions parentales, mais s’intéressent
Z
peu au fait de savoir comment une telle décision peut être ressentie par
D
le trisomique lui-même. Comme si le trisomique ne pouvait être considéré
oc

que comme un enfant. Il n'est pas un sujet adulte.


Cette attitude est générale et courante, et il n'y a que peu de tenta-
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D

tives de chercheurs pour faire place à la parole des personnes handica-


ok

pées elles-mêmes, comme si elles n'avaient rien à dire. Nicole Diederich 1


Bo

fait exception, elle qui a réalisé des entretiens avec des adultes handica-
pés mentaux, vivant dans des institutions qui ne leur donnent guère la
ed

parole. Sa démarche, rare et nouvelle, fait parler ces femmes d'elles-


mêmes et de leurs aspirations, afin de « dégager leur parole de la
M

gangue des interprétations invalidantes ». Elle rapporte ainsi plusieurs


exemples de femmes handicapées ayant subi une stérilisation, non seule-
ment sans avoir été consultées, mais sans même avoir été informées de
la nature de l'opération.
Force est de constater qu’on ne donne pas souvent la parole aux
personnes en situation de handicap ou que leur parole n’est pas réelle-
ment écoutée 2. Certaines néanmoins arrivent à se faire entendre et
expriment leur point de vue dans les entretiens, dans la presse, à travers
la voix des associations. Ce sont alors plutôt des prises de position qui
visent la défense de leur existence. Leurs propos constituent un appel

1. N. Diederich, Stériliser le handicap mental ?, Toulouse, érès, 1998 ; N. Diederich,


D. Moyse, Les personnes handicapées face au diagnostic prénatal, Toulouse, érès, 2001.
2. V. Leroux, R. Scelles, « Ce que disent les personnes déficientes intellectuelles de leur
parentalité », Revue Reliance, n° 26, Toulouse, érès, 2007.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 79

RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE DU POINT DE VUE DE LA PERSONNE HANDICAPÉE 79

aux positions éthiques qui défendent les valeurs fondamentales de l’être


humain. Les droits de l’homme prennent ici tout leur sens.
Mais j’aimerais avancer une hypothèse qui permet d’aller plus loin,
afin de sortir justement des impératifs idéologiques et d’une bien-
pensance utilitariste, fonctionnaliste et moralisante qui caractérise
souvent les réflexions sur l’éthique 3. Je postulerai que la personne
atteinte d’un handicap porte, bien malgré elle, une sorte de responsabi-
lité éthique à l’égard de l’humanité, celle de n’être pas conforme au déve-
loppement humain, à l’écart de la norme, porteuse d’une anormalité
inquiétante. Sans le vouloir, son existence même fait violence aux autres.
Sa vulnérabilité blesse, son anormalité choque, tout son être suscite un
trouble profond.

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Paradoxalement, la faiblesse et la vulnérabilité du sujet handicapé
sont une provocation, une incitation à l'agression. La passivité et la fragi-
Z
lité réveillent chez l'autre des tendances sadiques. Cette observation, qui
D
est difficile à admettre sur le plan de la morale, s’éclaire par cette
oc

remarque si forte et pertinente de Winnicott 4 : « Être faible est une


notion aussi agressive que l'attaque du fort à l’égard du faible. Fonda-
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D

mentalement, meurtre et suicide sont identiques. » Le handicap inflige à


ok

l’autre un choc émotionnel qui peut être ressenti comme une forme de
Bo

violence, provoquant une véritable blessure narcissique qui atteint de


manière intolérable l’image que nous avons de l’intégrité humaine. C’est
ed

de cela que le sujet handicapé, sans le vouloir et bien malgré lui, est
responsable.
M

Dans la clinique, on voit cette responsabilité éthique apparaître,


d’abord dans les familles, sous forme de culpabilité. Celle des parents,
honteux d’avoir mis au monde cet enfant qui n’aurait pas dû être 5. La
culpabilité n’est pas qu’individuelle, elle n’est pas qu’une affaire person-
nelle, pour reprendre le titre du magnifique ouvrage de Kenzaburô Ôé 6
relatant la naissance de son fils handicapé. Cette culpabilité comporte
toujours une dimension anthropologique.

3. S. Korff-Sausse, « L’éthique, un mot dangereux », Cliniques méditerranéennes, n° 76,


Toulouse, érès, 2007, .
4. D.W. Winnicott, 1950-1955, « L'agressivité et ses rapports avec le développement affec-
tif », De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1971, p.150-169.
5. A. Ciccone, « La transmission psychique à l’épreuve du handicap », dans A. Ciccone,
S. Korff-Sausse, A. Missonnier, R. Scelles (sous la direction de), Cliniques du sujet handi-
capé, Toulouse, érès, 2007.
6. Kenzaburô Ôe, 1964, Une affaire personnelle, Paris, Stock, 1968.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 80

80 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

À mon avis, c’est à partir de cette problématique que l’on peut


comprendre l’importance qu’a pris l’arrêt Perruche pour les parents.
Plutôt que de les stigmatiser en les accusant de vouloir faire disparaître
les enfants atteints d’un handicap, il faut être attentif au sens de leur
démarche, qui consiste à vouloir sortir d’une culpabilité trop personnelle,
trop intense et trop proche de la honte, pour engager une responsabilité
collective, de type anthropologique, partageable et partagée avec toute
la communauté du groupe social. Les indemnités demandées ne sont pas
seulement une revendication financière mais la compensation – et par
conséquent la reconnaissance – du préjudice subi par la famille. Ici c’est
le mot reconnaissance qui importe : reconnaissance collective d’une
culpabilité individuelle.

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Cette culpabilité parentale trouve son écho, en miroir, chez l’enfant.
Car il y a aussi la responsabilité de l’enfant qui, très précocement et
Z
même s’il est très démuni du fait de son handicap, sait le malheur qu’il
D
apporte dans sa famille. Il est en quelque sorte atteint d’une double bles-
oc

sure : celle du handicap dont il subit les conséquences dans son corps et
dans son esprit, mais également la blessure qu’il a infligée à ses
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D

parents 7. Qu’ai-je fait à mes parents ? À cette double blessure narcis-


ok

sique s’ajoute une troisième blessure : une blessure anthropologique. Car


Bo

au-delà de sa famille, il en va de son être au monde : Qu’ai-je fait à l’hu-


manité ?
ed

Cette question se pose très concrètement aux adultes handicapés qui


désirent procréer 8, lorsque l’enfant qu’ils vont mettre au monde risque
M

d’être atteint du même handicap qu’eux. Certains reculent, refusant cette


transmission, évoquant la souffrance, la leur, et celle de l’enfant qu’ils
engendreraient. D’autres assument et passent outre, comme le montre
l’exemple du pianiste Michel Petrucciani, atteint d’une maladie osseuse
grave, l’ostéogenèse imparfaite, et qui n’a pas hésité à mettre au monde
un fils, au risque de lui transmettre sa maladie. À travers la procréation,
ceux-là assument leur propre être au monde. « Cette vie vaut la peine
d’être vécue », semblent-ils nous dire. Cette conviction les amène à
soutenir des positions éthiques qui s’opposent à toute forme de préven-

7. S. Sausse, Le miroir brisé. L'enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Paris,


Calmann-Lévy, 1996.
8. S. Korff-Sausse, « La sexualité à l'épreuve du handicap », Contraste enfance et handi-
cap, n° 6-7, 1997, p. 195-117 ; « Un exclu pas comme les autres. Handicap et exclusion »,
Cliniques méditerranéennes, n° 72, Toulouse, érès, 2005.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 81

RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE DU POINT DE VUE DE LA PERSONNE HANDICAPÉE 81

tion du handicap. « Si le diagnostic natal avait existé il y a trente ans, je


ne serais pas de ce monde », dit une jeune femme atteinte d’une IMOCC.
Un homme atteint de la maladie d’Huntington et qui subit des tests pour
évaluer les risques quant à son futur enfant dit : « Si ça avait été moi, on
ne m’aurait pas mis au monde. »

LORSQUE LE MONSTRE DEVIENT HOMME …

Dans un remarquable récit intitulé Le Minotaure, Friedrich Dürren-


matt, écrivain suisse de langue allemande, donne une version moderne
du Minotaure, ce personnage mythique, représentant la monstruosité, et
tellement emblématique de la personne atteinte d’un handicap 9. Je

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voudrais reprendre un passage admirable, le moment saisissant où le
Minotaure prend conscience de sa singularité monstrueuse 10. L’idée de
Z
génie de Dürrenmatt est d’imager un labyrinthe tapissé de miroirs. Au
D
début du récit, le Minotaure prend les multiples reflets que lui renvoient
oc

les miroirs pour d’autres créatures, d’autres minotaures. Inconscient de


l’existence de son image, il prend, tel Narcisse, son reflet pour un autre.
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D

Il ne sait pas, il ne voit pas, il ne se connaît pas.


ok

Puis survient une jeune fille, l’une de celles qui doivent être livrées au
Bo

monstre afin d’être dévorées par lui, que le Minotaure accueille avec joie.
« … Il comprit – pour autant qu’on puisse parler de comprendre dans le
ed

cas du Minotaure – qu’il avait vécu jusqu’alors dans un monde dans


lequel il n’y avait que des minotaures, chacun d’eux enfermé à l’intérieur
M

d’une prison de verre, et il sentait maintenant le contact d’un autre corps,


d’une autre chair. » Le monstre, tout à sa joie, se lance dans une danse

9. Pour une étude plus approfondie de cette figure du Minotaure en rapport avec le handi-
cap, je renvoie le lecteur au chapitre « Qui a tué le Minotaure », dans S. Korff-Sausse
(2000), D’Œdipe à Frankenstein. Figures du handicap, Paris, Desclée de Brouwer.
10. Il faut lire la première phrase de ce texte admirable : « La créature que mit au monde
la fille du dieu du soleil, Pasiphaé, après que, enfermée selon son désir dans un simulacre
de vache, elle eut été saillie par un taureau blanc consacré à Poséidon, se retrouva, traînée
de main en main le long des files que dans leur peur de se perdre avaient formées les servi-
teurs de Minos, après de longues années d’un sommeil confus pendant lesquelles elle gran-
dit dans une étable parmi les vaches, à même le sol du labyrinthe construit par Dédale pour
protéger les hommes de la créature et la créature des hommes, un ouvrage dont personne
ne pouvait ressortir une fois qu’il avait pénétré dans l’enchevêtrement de ses innombrables
parois de verre, en sorte que la créature ne voyait pas devant elle que sa seule image, mais
encore les images de ses images. » Une seule phrase, mais toute la problématique est là :
la créature monstrueuse, le dédale, la peur, les images, le miroir.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 82

82 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

frénétique avec la jeune fille. Mais « dans son ignorance de la vie et de


la mort », il la tue. Alors, l’homme-taureau, face aux miroirs, réalise que
toutes ces images, c’est lui et qu’il est seul. « Il recula, son image aussi,
et peu à peu il comprit qu’il faisait face à lui-même. » Ce moment-clé où
il prend conscience d’être différent et unique est inévitablement suivi par
des réflexions douloureuses sur sa condition d’être à part. « Il essaya de
fuir, mais où qu’il se tournât, il était constamment face à lui-même, sans
fin lui-même, reflété à l’infini par le labyrinthe. » Son identité s’impose à
lui. « Il sentit qu’il n’y avait pas beaucoup de minotaures, mais un seul
minotaure, qu’il n’existait qu’une créature pareille à lui, qu’il n’y en avait
pas avant lui, ni après lui, qu’il était condamné à la solitude, exclu et
enfermé en même temps, que le labyrinthe lui était destiné, et cela seule-

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ment parce qu’il était venu au monde, parce qu’une créature comme lui
ne devait pas exister, au nom des limites tracées entre l’animal et
Z
l’homme et entre l’homme et les dieux. Après l’illumination traumatisante
D
de la prise de conscience de soi, le Minotaure s’écroule, et « gisant sur
oc

le sol roulé sur lui-même comme il l’avait été dans le ventre de Pasiphaé,
le Minotaure rêva qu’il était un homme ».
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D

Le Minotaure de Dürrenmatt prend progressivement et douloureu-


ok

sement conscience de sa situation, c’est-à-dire de n'avoir pas de


Bo

semblable. De monstre innocent il devient monstre responsable et dès


lors, porte toute la responsabilité du monde. Avec cet épisode décrit par
ed

Dürrenmatt, on passe du Minotaure de la mythologie grecque, qu’il faut


tuer parce qu’il représente la part animale de l’homme, au Minotaure
M

de la modernité auquel on s’identifie11. Même s’il reste des traces de


cette animalité excluante dans nos représentations modernes, la réin-
terprétation du mythe atteste de la modification des attitudes à l’égard
de l’altérité et de l’anormalité, même monstrueuse. Changement
d’image et de représentations : on passe du monstre ignorant de lui-
même, animé de pulsions partielles, prégénitales, meurtrières et canni-
balesques, au monstre responsable, conscient de soi et de son altérité.
Si pour le Minotaure de l’Antiquité la seule issue est la mort 12, pour la

11. Que l’on songe à la série des dessins de Picasso sur le Minotaure, où l’artiste s’identi-
fie à cette figure hybride, monstrueuse, mi-homme mi-bête.
12. À la fin du récit de Dürrenmatt, Thésée se déguise en Minotaure pour le tuer (tout
comme sa mère Pasiphaé s'était fait passer pour une génisse afin de séduire son père).
Voyant venir à sa rencontre un autre, le Minotaure, loin de se défendre, se jette dans ses
bras. Heureux, parce qu’il « n’était plus condamné à la solitude, exclu et enfermé à la fois,
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 83

RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE DU POINT DE VUE DE LA PERSONNE HANDICAPÉE 83

personne handicapée dans le contexte de notre société contemporaine,


il y a des possibilités d’humanisation et de subjectivation. La prise de
conscience de sa position singulière, la subjectivation de sa différence
ainsi que la reconnaissance par autrui de son altérité lui donnent le statut
d’une personne citoyenne. Par conséquent, du fait de son handicap, elle
est sans le vouloir à une place qui implique un positionnement éthique.
Elle est au cœur du problème. Je dirais qu’elle est porteuse d’une respon-
sabilité éthique ontologique.

RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE POTENTIELLE ET RÉCIPROQUE

Il faut donc opérer un renversement de perspective. Dans un premier

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temps, au début de mes recherches sur l’enfant handicapé, j’avais
proposé que l’on se démarque des discours produits sur l’enfant, afin de
Z
laisser place à sa parole issue de sa position subjective. « Et l’enfant lui-
D
même qu’a-t-il à dire de sa situation et de son handicap ? » Avec la
oc

conviction toute ferenczienne qu’il a quelque chose à en dire, même s’il


n’a pas accès au langage. Et l’idée aussi que si on n’écoute pas sa parole,
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D

c’est parce qu’elle met à mal les adultes. Maintenant je propose de faire
ok

un renversement analogue : « Qu’est-ce que la personne handicapée a à


Bo

dire sur les positions éthiques ? » Avec, là encore, la conviction qu’elle a


quelque chose à en dire, mais ici aussi, quelque chose qui pourrait être
ed

gênant pour les autres parce que ses dires dérangent les présupposés
habituels et les attentes, toujours contradictoires, ambivalentes, à son
M

égard.
La réflexion éthique propre au sujet handicapé implique qu’il puisse
opérer une distanciation avec lui-même, porter un regard sur soi et
l’autre, avoir un point de vue en articulation avec le point de vue de
l’autre. L’échange va s’inscrire dans le modèle de la réflexivité issu de
W. R. Bion (1965) et développé par René Roussillon. Le soi et l’autre se

qu’il y avait un second minotaure, non seulement un je, mais un tu. […] Le Minotaure
commença de danser. […] Il dansa son bonheur, il dansa le partage de son être, il dansa
sa délivrance, il dansa la fin du labyrinthe, l’engloutissement retentissant de ses parois et
de ses miroirs, il dansa l’amitié entre les minotaures, les animaux, les hommes et les
dieux… ». Mais voici que Thésée tire de son déguisement de taureau un poignard « et
lorsque le Minotaure se précipita dans les bras ouverts de l’autre, assuré d’avoir trouvé un
ami, une créature pareille à lui, et que ses images se précipitèrent dans les bras des images
de l’autre, l’autre frappa… [Alors] Thésée retira le masque de taureau qui recouvrait son
visage » et les miroirs ne reflétèrent plus que « le sombre cadavre du Minotaure ».
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 84

84 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

reflètent et se constituent mutuellement, chacun étant le double consti-


tutif de l’autre. Ce modèle implique une réciprocité qui pose problème
dans le domaine du handicap mental. C’est pourquoi probablement on
dénie au sujet handicapé un point de vue éthique. J’avais énoncé jadis
que tout être humain aussi démuni soit-il a quelque chose à dire de sa
position subjective. Je prolongerai aujourd’hui en disant que tout sujet
humain, aussi démuni soit-il, porte une responsabilité éthique ontolo-
gique. Il faut réintroduire dans les problématiques éthiques la réciprocité,
ne serait-elle que potentielle. On pourrait donc préciser en disant que
tout sujet handicapé (mais on pourrait dire tout sujet en général) porte
une responsabilité éthique ontologique potentielle.
Les mêmes questions alors se posent sur les deux versants, selon les

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points de vue des uns et des autres.
Quelles sont les positions éthiques des valides à l’égard des
personnes handicapées ? Z
D
Quelles sont les positions éthiques des personnes handicapées à
oc

l’égard des valides ? Interroger les positions éthiques de la personne


handicapée elle-même et envisager sa culpabilité, n’est-ce pas la condi-
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D

tion pour la reconnaître réellement en tant que sujet avec un statut de


ok

citoyen ? La honte et la culpabilité sont des dimensions fondatrices de


Bo

l’humanité, comme le montre le récit de la Genèse.


Avec la Chute, l'homme (via la femme) accède à la connaissance au
ed

détriment de l'innocence. Plutôt connaissant et malheureux qu'innocent


et heureux, comme Orphée, héros inaugural de la civilisation et de la
M

culture, qui, transgressant l’interdit de se retourner vers Eurydice qu’il


ramène du royaume des morts, choisit de la voir, au risque de la perdre.
Le désir de connaissance l'emporte sur la peur de la perte et la douleur
qui s'y attache.
Je ferai ici le rapprochement avec le modèle que donne Bion de l’ap-
pareil psychique, régi non seulement par le principe de plaisir-déplaisir,
mais aussi par le désir de connaissance. C’est pourquoi Bion ajoute aux
liens habituels A (amour) et H (haine) un troisième lien, le lien
C (connaissance). Bion prolonge l’idée de Melanie Klein d’une pulsion
épistémophilique, présente dès le début de la vie, qui prend source dans
les tendances primitives sadiques-orales et anales dirigées contre le
corps de la mère. Le sein n’est pas seulement nourricier, mais c’est un
sein pensant. Le sujet n’est pas seulement à la recherche d’un objet de
satisfaction, mais aussi d’un objet pensant ou à penser. L’objet n’est pas
seulement cause de plaisir ou de déplaisir, mais aussi source de connais-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 85

RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE DU POINT DE VUE DE LA PERSONNE HANDICAPÉE 85

sance. Pour rendre compte de la connaissance, en tant que source du


conflit entre religion et science, Bion, à la différence de Freud, soulignera
dans le mythe d’Œdipe la relation avec le Sphinx plutôt que le parricide
et l’inceste et se tournera vers d’autres mythes, en particulier ceux
d’Éden et de Babel, qui illustrent l’idée d’un dieu qui punit l’homme qui
se veut connaissant.
La première honte, liée à la prise de conscience de la nudité, appa-
raît alors comme ce qui marque la sortie de l'état de non-connaissance.
La honte est liée à la découverte d'appartenir à une espèce sexuée et
mortelle, comme on l’a vu avec le Minotaure de Dürrenmatt. Pour garder
quelqu'un sous sa domination, il faudrait non seulement qu'il reste nu,
mais surtout éviter qu'il ne sache qu'il est nu. Prendre conscience de sa

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nudité, éprouver la honte qui y est liée, puis élaborer la culpabilité qui en
découle, c’est accéder à l’identité et à l’altérité. Le serpent qui représente
Z
le diable est le seul qui ose affronter Dieu, et engager Ève sur le chemin
D
de la transgression, condition indispensable pour la connaissance. Car
oc

toute connaissance est de nature transgressive. Le chemin de la liberté


passe par la connaissance du bien et du mal, qui s'assortit des peines
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D

imposées par Dieu : enfanter dans la douleur, gagner son pain à la sueur
ok

de son front, risquer la rivalité et la mort. Accepter le temps et l'histoire,


Bo

c'est consentir à la finitude et à la mort. La création du monde consiste à


substituer au chaos, à l'inconnaissable, une réalité, en y introduisant un
ed

ordre et une hiérarchie, réalité qui sera désormais connaissable pour


l'homme. Constitution du temps, de l'espace, du dedans et du dehors, de
M

l'animé et de l'inanimé, de l'humain et de l'animal, enfin du masculin et du


féminin. Tel Ève et Adam, chaque être doit sortir du jardin d’Éden pour
accéder au statut d’humain, en assumant sa responsabilité ontologique.
C’est ce passage qui est dénié à la personne atteinte d’un handicap.
Pour illustrer les conséquences néfastes, réductrices, infantilisantes
de cette butée et souligner la nécessité de la responsabilité ontologique
comme condition au plein accès au statut d’humain et de citoyen, je
propose en conclusion une autre version de cet épisode de la Genèse.
« Elle ne prit pas de son fruit et n'en mangea point. Elle n'en donna pas à
son mari, qui d'ailleurs n'était pas avec elle, et lui non plus n'en mangea
point. Leurs yeux restèrent donc fermés et ils ne connurent pas qu'ils étaient
nus ; ils ne cousirent pas des feuilles de figuier pour en faire des pagnes. Ils
restèrent nus. Dieu les vit, nus et innocents, obéissants et identiques au jour
précédent. Il était satisfait de constater que rien n'avait changé. Tout pouvait
donc continuer. Pas d'hostilité entre l'homme et la femme, pas de conflits. »
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 86

86 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Ève n'enfantera pas. Elle restera stérile. Tous deux resteront pareils
l'un à l'autre : par conséquent, pas de différence, pas de domination. Et
l'homme ne travaillera pas. Ni labeur, ni peine, ni sueur, ni fruits de son
travail. Il restera éternellement dépendant. Ils ne sauront pas d'où ils
viennent, ni où ils retourneront. Ignorants de leurs origines et de leur
destin mortel. Leurrés par l'illusion de leur immortalité ; vivant une
temporalité sans début ni fin, s'étirant éternellement, empêchant tout
projet, car dénué de toute échéance. Ainsi restèrent-ils au jardin d'Éden
dans la soumission de Dieu, dans l'ignorance de leur condition, dans l'im-
mobilité du temps. Sans passé, ni devenir. On les appela les bienheureux,
les demeurés, les simples d'esprit, les débiles, ou, selon une dénomina-
tion plus récente, les personnes atteintes d'un déficit mental. Quant au

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jardin d'Éden, dans la terminologie actuelle, il est aussi appelé EMP,
IMPRO, CAT ou MAS.
Z
D
oc
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D
ok
Bo
ed
M
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 87

Georges Saulus

Situations de handicaps extrêmes


et phénomène de diffraction éthique

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Z
D
oc
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D

Sous réserve que la situation de handicap soit extrême, certaines


cliniques du handicap peuvent révéler ce qui constitue l’essence de la
ok

démarche éthique : cette révélation est le résultat d’un phénomène que


Bo

nous appelons diffraction éthique. L’intérêt de la mise au jour de ce


phénomène, relativement à nos pratiques auprès de personnes en situa-
ed

tion de handicap extrême, est à la fois, comme nous le verrons, pratique


M

et théorique.
La problématique rencontre, qui va être brièvement rappelée, d’Éli-
sabeth Smerdiachtchaïa avec Fiodor Pavlovitch servira d’illustration de ce
phénomène et de base à notre tentative d’élucidation.
« Élisabeth était une fille de très petite taille [...]. Sa face de 20 ans, […],
était parfaitement idiote ; son regard était fixe et désagréable. Hiver comme
été, elle allait toujours nu-pieds et vêtue seulement d’une chemise de
chanvre. […] Elle ne savait même pas articuler un mot ; par moments seule-
ment elle remuait la langue et mugissait. Nombre de gens compatissants
avaient plus d’une fois tenté d’habiller Élisabeth plus décemment que d’une
simple chemise, et à l’approche de l’hiver, on la revêtait toujours d’une

Georges Saulus, psychiatre, diplômé d’études approfondies de philosophie, médecin


conseiller technique, association Le clos du nid, Marvejols.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 88

88 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

pelisse de mouton et la chaussait de bottes […]. Elle ne vivait que de pain


noir et d’eau. Elle dormait sous les porches ou dans quelque potager […]. Il
advint une fois que, par une claire et tiède nuit de pleine lune, à une heure
fort tardive, une bande de cinq ou six fêtards en état d’ivresse rentraient chez
eux par les raccourcis. […] Notre compagnie aperçut Élisabeth endormie. Ces
messieurs s’arrêtèrent auprès d’elle, éclatèrent de rire et plaisantèrent de la
façon la plus cynique. Un fils de famille posa soudain une question : “Peut-
on, demanda-t-il, tenir un tel monstre pour une femme ?” Tous décidèrent
avec un noble dégoût qu’on ne le pouvait pas. Mais Fiodor Pavlovitch, qui
faisait partie du groupe, déclara qu’on le pouvait, fort bien même, qu’il y avait
même là quelque chose de piquant dans un genre spécial… Cinq ou six mois
plus tard, la grossesse d’Élisabeth excitait l’indignation de toute la ville 1. »

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QUI SONT LES DEUX PROTAGONISTES DE CE RÉCIT ?
Z
D
Élisabeth Smerdiachtchaïa et Fiodor Pavlovitch sont deux person-
nages d’une des plus grandes œuvres romanesques de tous les temps
oc

qui est à la fois un roman policier, un traité de psychologie et un ouvrage


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D

de métaphysique. C’est en parlant de l’auteur de ce roman, qui a été son


contemporain, que Friedrich Nietzsche a dit qu’il était le seul à lui avoir
ok

« appris quelque chose en psychologie ». Il s’agit de Fiodor Mikhaïlovitch


Bo

Dostoïevski et de son roman : Les frères Karamazov.


Ce récit illustre, comme on l’a dit, la manière particulière dont le
ed

handicap, lorsqu’il est extrême, éprouve la démarche éthique jusqu’à la


M

contraindre à la révélation, ici en négatif, de ce qui lui est essentiel.


D’éthique il est question avec le viol d’Élisabeth. L’éthique, comme on
le sait, a essentiellement pour objet notre rapport à autrui référé à
certaines valeurs dites altruistes. Chacun d’entre nous trace à sa manière
propre et dans les circonstances habituelles de sa vie une voie moyenne
entre la pleine affirmation et la pleine négation de ces valeurs : c’est à
cette voie moyenne que nous donnons le nom générique de mouvement
éthique habituel relatif à autrui.
De handicap extrême il est question à travers l’image qu’en donne
Élisabeth, qui se trouve être précisément dans une situation qu’on
appelle situation extrême. Ce terme est employé, on s’en souvient, dans

1. Citation d’après F.M. Dostoïevski, Les frères Karamazov, première partie, livre III,
chap. 2, Paris, Gallimard, coll. « Folio », trad. H. Mongault.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 89

SITUATIONS DE HANDICAPS EXTRÊMES ET PHÉNOMÈNE DE DIFFRACTION ÉTHIQUE 89

l’ouvrage de Bruno Bettelheim, Le cœur conscient 2 ; ouvrage qui relate


l’expérience des camps de concentration. Le concept de situation
extrême a fait, directement ou indirectement, l’objet de nombreuses
publications 3 ; nous retiendrons seulement, dans le cadre de ce propos,
qu’il désigne une situation qui a la particularité d’être faite tout à la fois
de dénuement et de vulnérabilité 4 extrêmes.
Élisabeth est en situation extrême, dans la mesure où elle est en
situation de dénuement et de vulnérabilité extrêmes. L’extrême dénue-
ment d’Élisabeth est fait de pauvreté et de dépendance extrêmes. Élisa-
beth était d’une pauvreté extrême : « elle allait toujours nu-pieds et
vêtue seulement d’une chemise de chanvre » ; « elle ne vivait que de
pain noir et d’eau » ; « elle dormait sous les porches ou dans quelque

Plus de Livres sur La page Psychologie-Psychiatrie DZ


potager… » ; et l’on devine que cette pauvreté est aussi psychologique.
Élisabeth présente par ailleurs une dépendance extrême : « nombre de
Z
gens compatissants avaient plus d’une fois tenté d’habiller Élisabeth plus
D
décemment que d’une simple chemise, et à l’approche de l’hiver, on la
oc

revêtait toujours d’une pelisse de mouton et la chaussait de bottes » ;


Élisabeth est dépendante d’autrui jusque dans sa survie… ; et l’on devine
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D

que cette dépendance est aussi psychologique, jusque, probablement,


ok

dans son accès à une pleine subjectivité.


Bo

Quant à l’extrême vulnérabilité d’Élisabeth, elle est physique et


psychologique. Extrême vulnérabilité physique qu’on imagine aisément :
ed

Élisabeth a été tout au long de sa vie exposée à toutes sortes de priva-


tions et de carences, privée des soins d’hygiène élémentaires, etc. ; de
M

même qu’on imagine aisément l’extrême vulnérabilité psychologique


d’Élisabeth : « sa face de 20 ans était parfaitement idiote » ; « son regard
était fixe et désagréable » ; « elle ne savait même pas articuler un mot ;
par moments [...] elle remuait la langue et mugissait ».
Élisabeth est en situation extrême, et elle est violée …

2. B. Bettelheim, 1960, The Informed Heart, New York, The Free Press, traduction fran-
çaise : Le cœur conscient, Paris, Robert Laffont, 1972.
3. Parmi lesquelles : R. Antelme, L’espèce humaine, Paris, La cité nouvelle, 1947 ; M. Blan-
chot, L’entretien infini, Paris, Gallimard, NRF, 1969 ; J. Rolland, Dostoïevski. La question de
l’autre, Lagrasse, Verdier, coll. « La nuit surveillée », 1983 ; L. Allain, Dostoïevski et l’autre,
Paris, Presses universitaires de Lille-Institut d’études slaves, 1984 ; S. Leclaire, Le pays de
l’autre, Paris, Le Seuil, 1991.
4. Dénuement et vulnérabilité subis, et non pas volontaires.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 90

90 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Le commentaire qui sera fait de cet événement, autour du thème


« Éthique et situations de handicaps extrêmes », pour expliciter le
phénomène de diffraction éthique, tiendra en quatre propositions :
– le viol d’Élisabeth est la manifestation d’un phénomène qui mérite,
analogiquement, le nom de diffraction éthique ;
– c’est la situation extrême d’Élisabeth qui a favorisé chez Fiodor Pavlo-
vitch la déviation du mouvement éthique habituel relatif à autrui ;
– dans une relation interindividuelle, la situation extrême de l’un des
acteurs tend toujours à induire un phénomène de diffraction éthique ;
– le phénomène de diffraction éthique ne se limite pas à la déviation d’un
mouvement ; comme son homologue optique il révèle la nature de ce
dont le mouvement est dévié, c’est-à-dire la nature de l’éthique.

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Mais il faut, préalablement à ce commentaire, présenter brièvement
le phénomène de diffraction éthique.
Z
D
POURQUOI EMPRUNTER À LA PHYSIQUE LE TERME DE DIFFRACTION
oc

POUR L’APPLIQUER À L’ÉTHIQUE ?


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D

En raison de la valeur heuristique 5 de l’expression « diffraction


ok

éthique » , valeur qui tient :


Bo

– d’une part, au fait que le mot « diffraction » renvoie à un phénomène


physique parfaitement identifié par chacun ;
ed

– et d’autre part, au fait que, comme on va le voir, l’expression « diffrac-


tion éthique » désigne de manière parfaitement imagée ce qui est une
M

caractéristique dynamique de nos pratiques, envisagées sous l’angle


éthique, auprès de personnes en situation de handicap extrême ;
je propose d’entendre par « phénomène de diffraction éthique » la dévia-
tion du mouvement éthique relatif à autrui, depuis sa voie moyenne habi-
tuelle vers une voie extrême. L’intérêt de ce phénomène, pour ceux qui
travaillent auprès de personnes en situation de handicap extrême, tient
à sa fréquence et à sa prégnance dans nos pratiques : il constitue en
effet une singularité dynamique particulièrement fréquente, vivace et
efficiente que tendent 6 à présenter les situations auxquelles nous parti-
cipons dans notre exercice professionnel. Plus précisément, le phéno-

5. En pédagogie, méthode heuristique (du grec heuriskein, trouver), désigne une méthode
consistant à faire découvrir à l’élève ce que l’on veut lui enseigner.
6. Il s’agit d’une tendance et non d’une stricte nécessité. Voir plus loin.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 91

SITUATIONS DE HANDICAPS EXTRÊMES ET PHÉNOMÈNE DE DIFFRACTION ÉTHIQUE 91

mène de diffraction éthique joue un rôle, qui peut être central, dans une
certaine dynamique contre-transférentielle propre à notre activité auprès
de personnes en situation de handicap extrême.

Première proposition : le viol d’Élisabeth est la manifestation d’un phéno-


mène qui mérite, analogiquement, le nom de diffraction éthique.

On sait qu’en physique, on appelle diffraction ce qui se passe lorsque,


du fait de la rencontre de certains obstacles, la propagation de la lumière
est déviée, et non pas réfléchie ou purement et simplement arrêtée.
Dans le cas qui nous occupe, la situation extrême d’Élisabeth tient lieu
analogiquement d’obstacle diffractant : c’est du fait de cette situation

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extrême que le mouvement éthique habituel relatif à autrui de l’autre
acteur se trouve dévié ; tandis que la déviation du mouvement éthique
Z
de Fiodor Pavlovitch depuis une voie moyenne vers une voie extrême
D
(déviation manifestée par le viol d’Élisabeth) tient lieu analogiquement de
oc

diffraction ; et puisque cette déviation relève du rapport à autrui référé


au monde des valeurs, ce phénomène mérite le nom de diffraction
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D

éthique.
ok

Deuxième proposition : la situation extrême d’Élisabeth a favorisé chez


Bo

Fiodor Pavlovitch la déviation du mouvement éthique habituel relatif à


ed

autrui, en favorisant l’établissement d’un rapport d’asymétrie extrême.


M

En effet :
1. On voit d’abord que sa situation extrême place Élisabeth dans un
rapport d’asymétrie extrême avec Fiodor Pavlovitch.
Ce rapport d’asymétrie extrême est évident et il est évidemment lié
à ce qui fait la situation extrême d’Élisabeth : sa pauvreté, sa dépendance
et sa vulnérabilité extrêmes. À la pauvreté d’Élisabeth répondent très
asymétriquement les privilèges de tous ordres que l’on devine chez
Fiodor Pavlovitch : privilèges physiques et psychologiques (il a, sur ces
deux plans-là, une santé suffisamment bonne pour être parfaitement
autonome), privilèges économiques, privilèges sociaux, etc… À la dépen-
dance d’Élisabeth vis-à-vis de Fiodor Pavlovitch répond aussi très asymé-
triquement la pleine indépendance et la toute-puissance de celui-ci à son
égard : elle est à sa merci… Enfin, à la vulnérabilité d’Élisabeth répond
très asymétriquement la force, physique et psychologique, d’affirmation
de soi de Fiodor Pavlovitch.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 92

92 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

2. On voit ensuite que ce rapport d’asymétrie extrême, en levant


certains obstacles, favorise, chez Fiodor Pavlovitch et relativement à
Élisabeth, une déviation du mouvement éthique habituel : alors que ce
mouvement relatif à autrui emprunte habituellement, comme on l’a dit,
une voie moyenne entre la pleine négation et la pleine affirmation de
valeurs altruistes, le mouvement dévié emprunte ici une voie extrême qui
tend exclusivement à l’épanouissement égoïste de soi.
L’extrême pauvreté, l’extrême dépendance et l’extrême vulnérabilité
physiques et psychologiques d’Élisabeth, constitutives du rapport d’asy-
métrie extrême, libèrent chez Fiodor Pavlovitch une spontanéité égoïste
que rien n’arrête : « J’étais lancé dans une vie de plaisirs et je voguais
sans retenue, toutes voiles dehors. » Ces paroles d’un autre héros du

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même roman pourraient être celles de Fiodor Pavlovitch au moment de
sa rencontre avec Élisabeth. Il s’agit de la spontanéité d’une « force qui
Z
va », exclusivement tendue vers son propre épanouissement. On se
D
souvient des paroles d’Hernani dans le drame de Victor Hugo, auquel est
oc

empruntée l’expression « force qui va » : « Détrompe-toi. Je suis une


force qui va ! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ! Une âme
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D

de malheur faite avec des ténèbres ! »


ok

C’est cette « force qui va » qui va, de toute son énergie, à la


Bo

rencontre d’Élisabeth, avec le résultat qu’on sait.


ed

Troisième proposition : dans une relation interindividuelle, la situation


extrême de l’un des acteurs tend toujours à induire un phénomène de
M

diffraction éthique.

Le viol d’Élisabeth n’est en effet le symbole que d’une seule des deux
déviations possibles vers une voie extrême du mouvement éthique habi-
tuel d’un acteur relatif à un autre acteur en situation extrême.
Dans le cas qui nous occupe, la déviation consiste, contrairement à
l’habitude, à détourner complètement son regard du visage (au sens lévi-
nassien) de l’autre ; dans d’autres cas, il peut s’agir d’une déviation qui
consiste, contrairement aussi à l’habitude, à reconnaître dans le visage
du plus faible un commandement à le servir. Mais, dans un cas comme
dans l’autre, il s’agit toujours de la déviation du mouvement relatif à
autrui depuis sa voie moyenne habituelle vers une voie extrême, dévia-
tion caractéristique du phénomène de diffraction éthique.
On sait aussi qu’il arrive que, malgré l’induction active de la situation
extrême par l’un des acteurs, le mouvement habituel de l’autre acteur
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 93

SITUATIONS DE HANDICAPS EXTRÊMES ET PHÉNOMÈNE DE DIFFRACTION ÉTHIQUE 93

relativement à autrui ne soit pas dévié vers une de ses deux bornes
extrêmes. C’est qu’il y a eu travail de résistance à ce qui n’est habituel-
lement qu’une tendance à la déviation, et non une stricte contrainte.
Cette résistance, qui doit être accompagnée, s’impose à tout profession-
nel travaillant en situation extrême.

Quatrième proposition : l’analogie entre diffraction éthique et diffraction


optique ne se limite pas à la déviation d’un mouvement ; elle tient aussi
à la révélation de la nature de ce dont le mouvement est dévié.

On sait que l’intérêt du phénomène de diffraction mis au jour par


les physiciens ne se résume pas à la simple observation d’une dévia-

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tion du mouvement de la lumière : en physique, l’étude des effets de
certains obstacles diffractants s’est révélée particulièrement fruc-
Z
tueuse et a fait de la diffraction optique un objet d’étude d’intérêt
D
majeur. La déviation qu’entraînent certains obstacles possède en effet
oc

la propriété étonnante de révéler la nature de la lumière déviée ; par


exemple, la nature polychromatique d’une lumière complexe donnée.
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D

Plus banalement, chacun connaît l’effet de la diffraction de la lumière


ok

naturelle dans des gouttelettes d’eau en suspension dans l’air : c’est


Bo

« l’effet arc-en ciel », qui révèle la nature polychromatique de la


lumière blanche.
ed

Il se trouve que la diffraction éthique que nous venons de décrire


possède une propriété strictement analogue : elle révèle la nature de ce
M

dont le mouvement est dévié ; en l’occurrence elle révèle la nature de


l’éthique.
Dans le cas du viol d’Élisabeth, la révélation de la nature de
l’éthique se fait en négatif à travers l’instauration d’un rapport d’em-
prise : la situation extrême d’Élisabeth et l’asymétrie extrême induite
par cette situation engendrent en effet, à l’initiative de Fiodor Pavlo-
vitch, un rapport où la jeune fille n’est plus traitée que comme l’ins-
trument d’un projet qui n’est pas le sien : la satisfaction exclusive de
Fiodor Pavlovitch.
Il y a, dans un tel rapport d’emprise, annulation de la pleine actualité
de l’altérité de l’autre. De ce fait ce rapport d’emprise révèle, en négatif,
la nature du mouvement habituel de l’éthique :
– l’annulation de la pleine actualité de l’altérité de l’autre est exactement
l’inverse de l’abord, proprement éthique, de l’altérité d’autrui comme ce
dont je dois impérativement prendre acte ;
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 94

94 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

– tandis que la négation de la valeur propre et éminente d’autrui est


exactement l’inverse de l’affirmation, proprement éthique, de la valeur
propre et éminente de sa présence.
Ainsi est révélée la nature de l’éthique : contrairement au rapport
d’emprise, l’abord éthique de la personne est souci et valorisation de sa
présence ; et son illustration tient en deux mots : le « Bonjour ! » et le
sourire.
Le « bonjour ! » signifie : « Je prends acte de votre présence ; j’y
porte l’attention que l’on doit à la présence d’une valeur, en l’occurrence
votre valeur propre. » Le bonjour est le premier degré de l’éthique, en
deçà duquel il n’y a pas d’éthique. Le sourire signifie : « Votre valeur est
pour moi un bien dont je me réjouis. » Le sourire est le second degré de

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l’éthique.
Le « bonjour ! » et le sourire constituent le mouvement proprement
Z
éthique relatif à autrui, c’est-à-dire le mouvement proprement altruiste,
D
qui est l’essence de l’éthique.
oc

Dans le récit de Dostoïevski, la nature de l’éthique se révèle en néga-


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D

tif dans le récit de la rencontre de deux humains, dont l’un est en situa-
tion extrême et sur lequel l’autre à un rapport d’emprise ; mais cette
ok

même essence peut se révéler en positif, dans d’autres situations


Bo

extrêmes ; lorsque, par exemple, en ces situations, la pauvreté, la dépen-


dance et la vulnérabilité d’autrui sont reconnues comme un commande-
ed

ment à le servir.
M

CONCLUSION : DE L’UTILITÉ DU CONCEPT DE DIFFRACTION ÉTHIQUE

Pour les différents acteurs travaillant auprès de personnes en situa-


tion de handicap extrême, l’intérêt du phénomène de diffraction éthique
tient à sa fréquence et à sa prégnance dans nos pratiques ; plus préci-
sément, au fait qu’il joue un rôle, qui peut être central, dans une certaine
dynamique contre-transférentielle propre à notre activité auprès de
personnes en situation de handicap extrême. En cela, il méritait proba-
blement d’être identifié.
Mais fallait-il pour autant baptiser d’un nom nouveau ce qui
ressemble tant au bon vieux contre-transfert ? Qu’est-ce, en effet, que ce
phénomène, dont le rôle peut être central dans une certaine dynamique
propre à notre activité auprès de personnes en situation de handicap
extrême, si ce n’est un aspect du contre-transfert lui-même ? Nous
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 95

SITUATIONS DE HANDICAPS EXTRÊMES ET PHÉNOMÈNE DE DIFFRACTION ÉTHIQUE 95

n’avons pas attendu le concept de diffraction éthique pour faire acte de


vigilance, en situation de clinique de l’extrême, relativement à nos
mouvements contre-transférentiels « particulièrement intenses et
archaïques », pour reprendre l’expression de Simone Korff-Sausse ! Bref,
était-il utile d’ajouter un nouveau concept à un appareil conceptuel déjà
très complexe ?
Il faut, pour conclure, tenter de répondre à cette ultime, et quelque
peu embarrassante, question.
Une première réponse est possible, d’ordre pratique.
Il peut être utile d’ajouter un nouveau concept à un appareil concep-
tuel déjà très complexe si ce nouveau concept facilite l’appréhension et
la compréhension des phénomènes par des néophytes ; et ce même au

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prix d’une simplification, sous réserve d’approfondissement ultérieur. Le
concept de diffraction éthique pourrait être utile à des débutants ; plus
Z
précisément à des personnes chevronnées chargées d’enseigner à des
D
débutants. C’est porter au crédit du concept de diffraction éthique la
oc

valeur heuristique attribuée en commençant à l’expression diffraction


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D

éthique. Il s’agit là d’une raison pratique d’ajouter le concept de diffrac-


tion éthique à un appareil conceptuel déjà très complexe, s’agissant des
ok

phénomènes contre-transférentiels.
Bo

Mais il est une autre raison, plus impérative, de prendre en considé-


ration ce concept analogique ; celle-là est d’ordre théorique.
ed

Elle tient aux rapports qu’entretiennent, ou n’entretiennent pas, dans


M

nos pratiques, la technique et l’éthique ; l’une appartenant, comme on le


sait, au domaine de la science, l’autre à celui des valeurs. Plus précisé-
ment, il s’agit des rapports qu’entretiennent le contre-transfert et
l’éthique ; plus précisément encore : des rapports qu’entretiennent
exigences techniques autour du contre-transfert et impératifs éthiques
autour d’une situation extrême.
Sur ce point, des questions complexes apparaissent : jusqu’où ces
exigences peuvent-elles prévaloir sur ces impératifs ? Tous les conflits
entre les unes et les autres peuvent-ils être résolus de manières satisfai-
santes ? Toutes les contradictions éventuelles entre les unes et les autres
sont-elles dépassables ? S’il n’est pas permis, en situation de clinique de
l’extrême comme ailleurs, de « faire la bête », de violer, y est-il pour
autant permis de « faire l’ange » ? Comment relier, dans ces conditions,
impératif éthique et exigences techniques ? Comment penser le lien entre
les deux ?
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 96

96 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Relativement à nos pratiques en situation de handicap extrême, s’il


est facile de tenir un discours technique ou de tenir un discours éthique,
on sait par contre combien il est parfois difficile de tenir un discours qui
assume à la fois l’exigence technique et l’impératif éthique! Et pourtant
la technique ne nous dédouane pas plus des impératifs éthiques que
l’éthique des exigences techniques !
Si l’hétérogénéité des deux domaines, technique et éthique, ne pose
généralement pas de problème en régime de cliniques habituelles, il n’en
est donc souvent pas de même en régime de cliniques de l’extrême.
À propos de celles-ci on a pu dire 7, qu’« elles peuvent être qualifiées de
centrées sur le clinicien, à la différence des autres cliniques, classique-
ment centrées, elles, sur le patient » ; que « par centrées sur le clinicien

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il faut entendre que dans le travail auquel donne lieu toute clinique de
l’extrême, entre de manière prévalente un travail du clinicien sur lui-
Z
même » ; et que ce travail « porte sur le positionnement éthique du
D
praticien [...] aux prises avec ses propres déterminants sociologiques et
oc

psychologiques ».
Peut-être le concept de diffraction éthique est-il à même d’accueillir
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D

ce qui, dans nos pratiques en situation de handicap extrême, fait char-


ok

nière ou fait rupture entre l’éthique et la technique, entre le monde des


Bo

valeurs et celui de la science.


Il semble, en tout cas, qu’il en soit ainsi ; c’est ce nous avons tenté
ed

d’illustrer par le récit emprunté à Dostoïevski : on y a vu en effet


comment, en raison précisément du phénomène de diffraction éthique,
M

la vulnérabilité physique et psychologique d’Élisabeth, qui appartient au


monde de la science, se transforme en précarité ontologique, qui appar-
tient au monde des valeurs, et qui est stigmatisée par son viol.
La précarité ontologique de l’être humain tient à ce que son appar-
tenance au monde des valeurs, c’est-à-dire sa dignité ontologique, est à
tout moment révocable. Dignité ontologique, appartenance au monde
des valeurs, auxquelles renvoie la formule de Kant : « Agis de telle sorte
que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans celle de
tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simple-
ment comme un moyen 8. » C’est en cela que, dans le récit de
Dostoïevski, Élisabeth offre une image de précarité ontologique : son viol

7. G. Saulus, « La clinique du polyhandicap comme paradigme des cliniques de l’extrême »,


Champ psychosomatique, n° 45, Les cliniques de l’extrême, juin 2007.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 97

SITUATIONS DE HANDICAPS EXTRÊMES ET PHÉNOMÈNE DE DIFFRACTION ÉTHIQUE 97

marque, en effet, la révocation de sa dignité en la réduisant à n’être,


contrairement à la maxime kantienne, seulement qu’un moyen : le
moyen de la satisfaction d’un autre.
Du fait de la diffraction éthique, s’est donc opérée la mutation de la
référence prévalente de la situation d’Élisabeth au monde de la science,
en termes de vulnérabilité physique et psychologique, en une référence
prévalente au monde des valeurs, en terme de précarité ontologique.
Peut-être y a-t-il là, dans la liaison opérée entre ces deux mondes, et
sur laquelle achoppent souvent les tentatives de théorisation de nos
pratiques en situation de handicap extrême, une justification du concept
de diffraction éthique.

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ed
M

8. E. Kant (1785), Fondements de la métaphysique des mœurs, édit. Delagrave, traduction


V. Delbos, 1943.
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ÉTHIQUE ET PRATIQUES CLINIQUES
DEUXIÈME PARTIE

Z
D
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Bo
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Roger Salbreux

Intervention précoce
chez les très jeunes enfants
à risque de handicap :
perspectives historiques et éthiques

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D

Parler d’éthique dans l’action médico-sociale précoce suppose au


préalable une définition de ce dernier mode d’intervention. En effet, la
ok

nécessité d’agir tôt n’est pas une nouveauté en médecine. Mais dans le
Bo

contexte qui est le nôtre, il s’agit d’enfants et même de très jeunes


enfants. Nous sommes donc dans une phase d’édification, de développe-
ed

ment, et même de développement rapide, et cela aussi bien sur le plan


M

physique que sur celui de la construction de la personnalité, de l’établis-


sement des liens familiaux et des relations sociales.
De plus, cette intervention se situe dans le cadre d’une pathologie
chronique, laquelle va justement entraver ce développement, au point
d’avoir pour conséquence sociale un handicap 1, que l’on souhaite éviter
ou tout au moins réduire. Il est dès lors clair que l’on se trouve à la croi-
sée des chemins, dans une interaction, entre la pathologie et le dévelop-
pement, entre la maladie et ses conséquences familiales et sociales,
entre le risque et le devenir.

Roger Salbreux, pédopsychiatre, secrétaire général du Conseil national handicap, secrétaire


de rédaction de la revue Contraste, enfance et handicap.
1. Le handicap est le désavantage social qui se produit à l’interface dynamique entre la défi-
cience ou l’incapacité du sujet et l’inadaptation de son environnement, constituant la situa-
tion invalidante.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 102

102 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Vouloir infléchir les facteurs de risque liés à une pathologie de la


mère, de l’enfant ou aux particularités de son environnement en vue
d’assurer son meilleur développement nous décale du schéma classique
« diagnostic-pronostic-traitement », pour nous engager dans un effort de
promotion de la personne, au moment de l’émergence de celle-ci, c’est-
à-dire le plus tôt possible et sur la seule indication de facteurs de risque
qui ne constituent nullement des certitudes. C’est pourquoi, dans ce
cadre précis, le contexte sociopolitique et la dimension éthique sont si
importants à considérer. C’est également l’ensemble des raisons qui font
que l’appréhension du problème ne peut être que globale. À l’évidence,
il s’agit-là, déjà, d’une éthique de l’intervention.
Quel était donc ce contexte à l’origine de la création des CAMSP entre

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1967 et 1976 ? Après la fin de la dernière guerre mondiale et à la faveur
de réformes impliquant une solidarité accrue, telle l’ordonnance de 1945
Z
portant création de la Sécurité sociale, le lent mouvement, initié dès la
D
fin du XIXe et au début du XXe siècles, pour fournir une éducation adap-
oc

tée aux enfants en difficulté scolaire ou sociale, s’est brusquement accé-


léré. Ce changement s’est également appuyé sur un consensus croissant
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D

autour de l’idée que les enfants dont les progrès de la médecine permet-
ok

taient la survie devaient être assumés par le progrès social. À la faveur


Bo

des Trente Glorieuses, des établissements où l’on pouvait bénéficier à la


fois de l’éducation et des soins (le secteur médico-social) connaissaient
ed

un essor prodigieux. Cela dit, dans les années 1960, le dispositif d’ac-
cueil, de diagnostic et d’orientation était peu développé, surtout basé sur
M

des consultations hospitalières, et les parents erraient, jusqu’à ce que


leur enfant atteigne 4, 5 et même 6 ans, à la recherche d’une solution de
vie qui lui soit adaptée.
De plus, des tentatives malheureuses pour essayer d’améliorer l’état
de santé de jeunes enfants en les envoyant « au grand air » pour des
raisons sanitaires (rachitisme) ou sociales avaient entraîné des patholo-
gies de la séparation, obérant lourdement leur développement, notam-
ment dans les classes défavorisées de la population. C’est ainsi que l’idée
de services de proximité, qui éviteraient la séparation et l’éloignement, a
fait son chemin, ainsi que le souhait d’une approche globale, évitant le
renvoi d’une spécialité à l’autre, de sorte que la création des CAMSP et
celle du secteur psychiatrique, à certains égards éloignés, ont procédé
avec quelques nuances du même courant de pensée, tendant à combler
le manque de services ambulatoires, de proximité, et permettant une
approche holistique, non détachée des facteurs humains, familiaux et
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 103

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 103

sociaux. On pourrait nommer cette démarche « éthique de base » ou


« de terrain ».
C'est en 1967 que fut employé pour la première fois en France, dans
un rapport de F. Bloch-Lainé resté célèbre, le mot de « handicap », dans
un sens voisin de son étymologie hippique 2. On notera au passage que
ce mot est très polysémique, ayant une signification scientifique déjà
évoquée ci-dessus et par ailleurs un sens commun, populaire, tout
connoté d’idées d’amoindrissement et de valeurs d’exclusion. Or, dans
l’acception utilisée par F. Bloch-Lainé, le sens est évidemment de nature
éthique. Ce rappel étymologique constitue à mon avis un tournant dans
la pensée de l’époque, nous faisant passer de la notion ancienne d'assis-
tance à celle, plus moderne, d'égalisation des chances.

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Presque simultanément, en 1965, un groupe de personnes 3 intéres-
sées par l'infirmité motrice cérébrale se rendait à Berne à la consultation
Z
du docteur E. Köng, instaurée peu de temps auparavant pour le dépis-
D
tage et le traitement précoces des bébés à risque, avec même un camion
oc

« médical » qui se rendait dans les villages éloignés au fond des vallées.
Cette expédition bernoise a permis de prendre conscience d’une autre
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D

mutation de l'approche conceptuelle de la médecine, incluant désormais


ok

les notions de risque et de prévention dans la gestion du développement


Bo

de l'être humain, avant même les premiers signes précis de la maladie.


Tenter de réduire la pesée des facteurs invalidants et le surcroît de désa-
ed

vantage social, qui résultaient alors du caractère trop tardif du diagnos-


tic et de la prise en charge des maladies ou séquelles génératrices de
M

retard ou de déviation de ce développement, constituait à l'époque une


urgence pragmatique qui a fait l’objet de théorisations ultérieures 4.
C'est donc au point de rencontre de ce double mouvement d'idées qui
a traversé le champ du handicap et de la psychiatrie ces quarante
dernières années, que s'est située la naissance des centres d'action
médico-sociale précoce (CAMSP), comme une tentative de « réduire le
handicap », donc d'égaliser les chances, par une intervention résolument
en amont des pathologies constituées, par la mise en œuvre des niveaux

2. Sur les champs de courses, handicaper un cheval signifie l’alléger ou l'alourdir, ou encore
lui donner une distance plus ou moins grande à parcourir, afin que tous les concurrents
aient des chances égales d'arriver en tête au poteau, comme si l'on avait tiré leur numéro
d'un chapeau (hand in cap).
3. Mmes M. Hyon-Jomier † et J. Lévy †, MM. P. Le Cœur † et R. Salbreux.
4. R. Salbreux, « Action préventive et développement », dans S. Lebovici, F. Weil-Halpern
(sous la direction de), Psychopathologie du bébé, Paris, PUF, 1989a. p. 771-781.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 104

104 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

de prévention primaire, secondaire et tertiaire, au besoin sur des indica-


teurs de risque et sans attendre les certitudes diagnostiques.
Par bien des points similaire à la démarche qui a permis la création
des secteurs de psychiatrie, puis de psychiatrie infanto-juvénile, celle des
CAMSP est cependant restée relativement moins connue, alors qu’ils sont
devenus un des instruments privilégiés de la prévention, du dépistage
précoce et de l'intégration familiale, puis scolaire, des jeunes enfants
dont le développement est perturbé pour des raisons très diverses.

QUELQUES REPÈRES HISTORIQUES

Dans les années 1960, le seul statut possible pour les « chroniques »

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était celui de l'invalidité. Conceptuellement, on était à l'époque fortement
influencé par l'effort de réhabilitation et par la nécessité, pour la « nation
Z
reconnaissante », d'indemniser les blessés de deux conflits mondiaux,
D
tout comme par celle de verser une pension aux veuves de guerre. Ces
oc

notions s'avérèrent totalement inapplicables aux enfants que l'on dési-


gnait alors comme des « encéphalopathes » incurables 5 et que l’on
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D

considérait comme des erreurs de la nature, destinées aux pavillons de


ok

« défectologie » des asiles, ou comme d'innocentes victimes de la misère


Bo

et des « fléaux sociaux » (alcoolisme, tuberculose, syphilis), voués à la


compassion des œuvres charitables.
ed

C'est dans ce contexte – et aussi, il faut bien le dire, pour « désen-


combrer » les lits de pédiatrie des hôpitaux de Paris – que fut créé en
M

1963 le CESAP 6, à l'initiative des professeurs C. Launay, A. Minkowski et


S. Thieffry et avec le concours de Mme le docteur É. Zucman. Pour pouvoir
leur apporter un peu d'humanité, d'accueil, de prise en charge, les
éduquer dans la mesure du possible, il a fallu alors utiliser la notion de
réadaptation (ils étaient pourtant nés comme ça !) et en faire des
« malades » auxquels on apporterait des soins, au double sens français
du mot, que les Anglais résument en une formule lapidaire : cure and
care soigner et prendre soin. En effet, il fallait obtenir la prise en charge
financière de la Sécurité sociale pour permettre l'ouverture et le fonc-
tionnement d'établissements médicaux ou médico-éducatifs, de cure et

5. Le mot administratif employé en ce temps-là était : « irrécupérable ».


6. CESAP : Comité d'études et de soins aux arriérés profonds (à l'époque). Aujourd'hui :
Comité d'études et de soins aux polyhandicapés.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 105

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 105

de prévention, où l'instruction, évidemment obligatoire, l'était « en fonc-


tion des possibilités des patients ».
À la même époque, le mouvement d'antipsychiatrie et de désinstitu-
tionalisation commençait à se répandre : c'est ainsi qu'en 1972, aux
États-Unis, W. Wolfensberger publiait son livre sur la normalisation et
qu'en France les premières circulaires sur la sectorisation psychiatrique
voyaient le jour. Bien que réclamée depuis 1965, l'action des pouvoirs
publics pour favoriser le dépistage et la prise en charge précoces des
bébés à risque et pour prévenir l'aggravation secondaire et la chronicisa-
tion puis le rejet de ces enfants a été très lente à se concrétiser, malgré
une compréhension évidente de nos interlocuteurs. J’ai raconté ailleurs 7
comment cette réalisation a pu enfin voir le jour. Finalement, c'est à l'oc-

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casion de la préparation de la loi « d'orientation en faveur des personnes
handicapées » du 30 juin 1975 qu'a pu être soumis à la représentation
Z
nationale un article 3 engageant l'État à créer des structures vouées à la
D
prévention, au dépistage et à l'accompagnement précoces des situations
oc

à risque de handicap.
Beaucoup d'entre nous se souviennent de la levée de boucliers provo-
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D

quée par la promulgation de cette loi, non pas en raison de son article 1,
ok

qui rappelle que les personnes handicapées bénéficient des droits de


Bo

l'homme (était-il bien nécessaire de rappeler une telle évidence ?), ni de


l'article 3 portant création des CAMSP, lequel est passé presque totale-
ed

ment inaperçu. Ces oppositions provenaient en fait de l'absence de toute


définition du statut de la personne handicapée, instaurant par là même
M

une confusion regrettable entre maladie, niveaux d'expérience 8 de


Wood 9, chronicisation, voire aliénation, dont plus personne ne voulait
entendre parler depuis le Livre blanc de la psychiatrie française 10. Plus

7. R. Salbreux, « La naissance des CAMSP », Psychiatrie française, 26, 1, 1995, p. 59-70.


8. Ces niveaux d’expérience sont au nombre de trois : déficience, incapacité et handicap,
lequel n’est que l’aspect « désavantage social », des deux premiers.
9. P.H.N. WOOD, « Classification of impairments and handicaps », Genève, WHO/ICD, 9,
Revue Conf., 1975, p. 75-15. – « Comment mesurer les conséquences de la maladie : la
classification internationale des infirmités, incapacités et handicaps », Chronique OMS, 34,
1980, p. 400-405.
10. Ouvrage collectif (1965-1967), Livre blanc de la psychiatrie française. 1965 : Rapports
présentés aux 1res Journées psychiat., Paris, 19-20 juin 1965, t. 1, L'évolution psychia-
trique, 30, suppl. n° 2, fasc. 2/1. – 1966 : Discussion des rapports présentés aux 1res Jour-
nées psychiat., 2es Journées psychiat., Paris, 5-6 mars 1966, t. 2, L'évolution
psychiatrique, 31, suppl. n° 3, fasc. 3/2. – 1967 : Conclusions, 3es Journées psychiat., Paris,
3-4 juin 1967, Toulouse, Privat.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 106

106 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

profondément, elles résultaient du fait que, malgré les déclarations géné-


reuses de l'article 1, l'ensemble de la loi et de ses décrets d'application
tendaient à résoudre uniquement des incohérences administratives, inhé-
rentes à « l’origine » du handicap 11. Ils restaient donc assez éloignés des
préoccupations de terrain, tels le désir du sujet ou la souffrance indivi-
duelle, et privilégiaient des solutions plutôt collectives, et en tout cas insti-
tutionnelles, tendant à opposer plutôt qu’à rendre complémentaires le
traitement médical des malades et le traitement social de leur inadaptation.
Une analyse de contenu de la loi et de ses travaux préparatoires 12 a
bien montré, en effet, par quels glissements sémantiques cette loi était
devenue un instrument du contrôle social des personnes handicapées, un
moyen d'uniformiser les régimes de compensation et de réparation du

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dommage, notions chères au droit romain et au Code Napoléon, seul
moyen de déculpabiliser la société, reléguant au second plan le concept
Z
d'égalisation des chances, sans doute plus utopique, mais plus fécond,
D
plus moderne et plus humain.
oc

VIGNETTE CLINIQUE
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D
ok

Pour illustrer cette nécessité de globaliser l’approche, singulièrement


Bo

au tout début de la vie, remémorons-nous une histoire assez ancienne.


Nous sommes en 1967, il y a quarante ans de cela, et je travaille à l’As-
ed

sociation nationale des IMC 13. Un couple effondré se présente pour obte-
nir des renseignements, en fait en quête d’orientation. La naissance a été
M

difficile et surtout Christophe a présenté très rapidement une jaunisse


intense et persistante. Des examens, pratiqués à l’hôpital où on a finale-
ment dû le transférer, ont montré l’existence d’une incompatibilité
sanguine fœto-maternelle dans le système Rhésus. Les globules rouges
ont apparemment été détruits en grand nombre et le foie débordé n’a
pas pu métaboliser cet excès de bilirubine, dont le taux sanguin a dû

11. Dans ce cadre, « origine » ne signifie pas cause ou étiologie, mais se réfère au régime
d’indemnisation : blessés de guerre, infirmes civils, etc.
12. F. Chapireau, « Le handicap impossible : analyse de la notion de handicap dans la loi
d'orientation du 30 juin 1975 », 1re et 2e parties, Annales médico-psychologiques, 146,
nos sp. 7 et 8, 1988, p. 609-631 et p. 691-706.
13. Infirmes moteurs cérébraux : association récemment créée pour faire écho aux efforts
de prise en charge initiés par le Pr Guy Tardieu (voir références 1954-1966).
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 107

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 107

augmenter dangereusement, de sorte qu’une exsanguino-transfusion 14 a


été décidée.
Après une longue hospitalisation et la guérison apparente de Chris-
tophe, les parents ont remarqué des raideurs, puis à l’âge d’apparition de
la préhension, des mouvements maladroits, manquant leur but. Le
pédiatre consulté a paru embarrassé, mais a fait remarquer que les
mouvements de préhension ne sont pas d’emblée très précis chez le bébé
et qu’il faut attendre quelques mois pour se prononcer.
Autre source d’inquiétude : Christophe ne paraissait nullement réagir
au bruit. Que faire dans semblable situation ? Consulter un oto-rhino-
laryngologiste, sans doute. Ce qui fut fait, mais, après un solennel
claquement de ses mains, l’homme de l’art décida que l’angoisse mater-

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nelle était bien compréhensible, mais n’avait pas de fondement dans le
cas présent.
Z
Des semaines, des mois passèrent et rien cependant ne s’arrangeait
D
vraiment : l’inquiétude des parents grandissait devant cet enfant qui, à
oc

trois ans, ne marchait, ni ne parlait. Conseillé par des membres de sa


famille et des amis compatissants, le couple commença une tournée des
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D

hôpitaux d’enfants : il y en avait un certain nombre à l’époque dans la


ok

région parisienne, pourvus de services fort réputés. Le hasard mena la


Bo

famille dans une de ces unités de neuropsychiatrie infantile qui se déve-


loppaient dans ces années-là. Après examen par un externe, puis par une
ed

psychologue, l’enfant fut présenté au patron. Le verdict tomba comme un


couperet : Christophe était arriéré mental ! Ses mouvements anormaux
M

étaient des stéréotypies, et son indifférence aux bruits et son isolement


provenaient à coup sûr de son très faible niveau mental (quelques mois
à peine).
Au fil des ans, d’autres rencontres eurent lieu, tout aussi décevantes,
avec même, dans les tout derniers temps, à 5 ans, l’évocation d’un
diagnostic d’autisme, dont les parents ne comprirent ni le sens, ni l’en-
jeu, chez cet enfant manifestant un certain éveil, mais toujours couché
et amené à la consultation dans une poussette. De prise en charge, d’ins-
titutions spécialisées ou de scolarité, il ne fut jamais question pour Chris-
tophe, dont l’intelligence, très difficile à évaluer, n’en était pas moins
réelle, ce que les parents avaient bien perçu !

14. Remplacement partiel du sang de l’enfant par du sang compatible.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 108

108 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Or, à cette époque on savait que la survenue d'une jaunisse chez un


bébé pose un double problème : celui de sa gravité immédiate et aussi
le fait qu’à partir d'un certain taux de bilirubine libre dans le sang, sa toxi-
cité pour le cerveau est susceptible de provoquer une grave maladie
neurologique, l'ictère nucléaire. Le premier avait été résolu, mais non le
second, car le pronostic de cette atteinte neurotoxique des noyaux gris
centraux est péjoratif, l'enfant risquant de garder des séquelles majeures
(troubles du tonus, dystonie-athétose, surdité profonde, retard mental
non obligatoire, etc.).
Des histoires de ce genre – et il y en eut bien d’autres – ne pouvaient
qu’inciter à la création des CAMSP. Quelles furent donc leurs missions ?

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MISSIONS DES CAMSP

Z
Le décret 76-389 du 15 avril 1976 et la circulaire du 29 novembre
D
1985 confient aux CAMSP des missions très particulières de dépistage et
oc

de « guidance parentale », particulièrement autour de l'annonce ou de la


découverte des anomalies du développement de l'enfant, c'est-à-dire de
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D

son handicap potentiel, lequel peut tout aussi bien concerner l'aspect
ok

physique que relationnel, tant sont intriquées, lors de leur émergence, les
Bo

diverses compétences du bébé. Le plus simple pour éclairer ces diffé-


rentes et importantes missions est sans doute de relire attentivement
ed

l'article 1 du décret de 1976, référencé annexe XXXII bis au décret du


9 mars 1956 modifié 15.
M

« Les centres d'action médico-sociale précoce ont pour objet le dépistage,


la cure ambulatoire et la rééducation des enfants des premier et deuxième
âges qui présentent des déficits sensoriels, moteurs ou mentaux, en vue
d'une adaptation sociale et éducative dans leur milieu naturel et avec la parti-
cipation de celui-ci. Ils exercent des actions préventives spécialisées.
Ces centres exercent aussi, soit au cours des consultations, soit à domicile,
une guidance des familles dans les soins et l'éducation spécialisée requis par
l'âge de l'enfant.
Le dépistage et les traitements sont effectués et la rééducation mise en
œuvre, sans hospitalisation, par une équipe composée de médecins spécia-
lisés, de rééducateurs, d'auxiliaires médicaux, de psychologues, de person-

15. Décret n° 56-284 du 9 mars 1956 complétant le décret n° 46-1834 du 20 août 1946
modifié, fixant les conditions d'autorisation des établissements privés de cure et de préven-
tion pour les soins aux assurés sociaux.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 109

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 109

nels d'éducation précoce, d'assistants sociaux et, en tant que de besoin,


d'autres techniciens.
Les actions préventives spécialisées sont assurées par des équipes itiné-
rantes, uni ou pluridisciplinaires, dans les consultations spécialisées et les
établissements de protection infantile ainsi que, le cas échéant, dans les
établissements d'éducation préscolaire.
Les centres d'action médico-sociale précoce peuvent fonctionner dans les
locaux d'une consultation hospitalière, d'une consultation de protection
maternelle et infantile, d'un dispensaire d'hygiène mentale, d'un CMPP 16 ou
d'un établissement habilité à recevoir des enfants d'âge préscolaire atteints
de handicaps sensoriels, moteurs ou mentaux.
Ces centres peuvent être spécialisés ou polyvalents avec des sections spécia-
lisées.

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Le bilan et les examens complémentaires éventuellement nécessaires à l'éta-
blissement du diagnostic, à la surveillance ou à la mise à jour des traitements
Z
peuvent être effectués par les services hospitaliers généraux ou spécialisés
D
avec lesquels des conventions devront être passées. »
oc

Le décret du 15 avril 1976 précise donc qu'il s'agit d'enfants de moins


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de 6 ans, pouvant présenter des déficits sensoriels, moteurs ou mentaux
D

(le handicap psychique n’a été introduit dans les usages, puis dans la
ok

législation, qu’après 2000). Trois autres particularités apparaissent : la


Bo

pluridisciplinarité de l'équipe, le caractère itinérant de l'action préventive


spécialisée et la diversité possible des locaux d'accueil.
ed

Plusieurs circulaires sont venues préciser certaines particularités


essentielles de la mission des CAMSP, dans le domaine de la prévention,
M

du travail à domicile et de leur rôle dans l’annonce du handicap. La circu-


laire du 9 juin 1976 contient essentiellement des indications sur les
procédures de création et de financement des CAMSP, original pour
l'époque, puisqu'il s'agit d'un budget global, financé à 80 % par l'assu-
rance maladie et 20 % par la PMI, au titre de la prévention 17. Elle
confirme, en introduction, la possibilité pour les équipes pluridisciplinaires
de procéder aux rééducations tant dans les locaux de l'établissement
qu'au domicile des patients.
La circulaire du 29 novembre 1985, relative à la « sensibilisation des
personnels de maternité à l'accueil des enfants nés avec un handicap et

16. Centre médico-psycho-pédagogique.


17. Cette partie du financement a été transférée par la suite aux conseils généraux par la
loi de décentralisation.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 110

110 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

de leurs familles » 18, aujourd’hui remplacée par la circulaire 2002/239 du


18 avril 2002, relative à l’accompagnement des parents et à l’accueil de
l’enfant lors de l’annonce pré et postnatale d’une maladie ou d’une
malformation 19, beaucoup plus complète à propos de la période anténa-
tale, s'intéresse à l'annonce du handicap, au soutien et à l'accompagne-
ment nécessaire des parents dès cet instant. Pour rendre cette démarche
possible, ce texte conseille vivement la formation du personnel de mater-
nité, de pédiatrie et de néonatalogie, et son information exacte sur les
relais susceptibles de poursuivre (et le plus souvent d'effectuer) la
guidance familiale après la sortie. Parmi les structures citées, figurent
notamment les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP), les
services de protection maternelle et infantile (PMI), les services de soins

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et d'éducation spécialisée à domicile (SESSAD), les commissions départe-
mentales d'éducation spéciale (CDES), devenues CDAPH 20, les intersec-
Z
teurs d'hygiène mentale infanto-juvénile et les associations de parents
D
d'enfants handicapés.
oc

Cet ensemble réglementaire, dont on voudra bien excuser la densité,


mais qu’il est néanmoins nécessaire d’exposer pour saisir l’importance
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D

éthique des remaniements en jeu, me semble faire écho aux éléments


ok

ayant présidé à la demande de création des CAMSP et qui ont été rappe-
Bo

lés ci-dessus : tenter de réduire la pesée des facteurs invalidants, par la


prise en compte des notions de risque et de prévention dans la gestion
ed

du développement de l'enfant, pallier le manque de services ambulatoires


de proximité et promouvoir une approche globale, à la fois familiale,
M

médicale et psychosociale, non détachée des facteurs humains. En effet,


la réponse des pouvoirs publics s’est faite par le biais de l’introduction
d’une innovation à fort contenu éthique : l’organisation du travail, non
seulement en équipe multidisciplinaire, mais encore en réseau. Autre-
ment dit, la segmentation par spécialités doit céder le pas, au moins pour
une meilleure compréhension du développement de l’enfant en difficulté,
à une vision à la fois diversifiée et holistique des nombreux facteurs qui
interfèrent dans l’édification de tout être humain.

18. Circulaire du 27 novembre 1985, relative à la sensibilisation des personnels de mater-


nité à l'accueil des enfants nés avec un handicap et de leur famille, Paris, Journaux officiels.
19. Circulaire du 18 avril 2002, relative à l’accompagnement des parents et à l'accueil de
l’enfant lors de l’annonce pré et postnatale d’une maladie ou d’une malformation, Paris,
Journaux officiels.
20. Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, depuis la loi du
11 février 2005.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 111

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 111

Plusieurs groupes de travail ont donc réfléchi sur les caractéristiques


de l’action médico-sociale précoce, notamment au Centre international
de l’enfance 21 et à la direction générale de la Santé 22. Une enquête a été
diligentée par la direction générale de la Santé et l’ANECAMSP sur le fonc-
tionnement des CAMSP 23. Ces travaux ont tous fait ressortir que cette
démarche d’action médico-sociale précoce procédait d’un état d’esprit qui
incluait, autour des CAMSP, tout un réseau constitué des équipes de la
petite enfance. Nous voudrions à ce point illustrer quelques-unes des
valeurs isolées par ces groupes de travail et qui fondent l’action des
CAMSP dans la pratique.
Car, en fin de compte, quelles pratiques, quelle éthique, essaie d’in-
troduire l’annexe XXXII bis, vieille de plus de trente ans et toujours

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actuelle ? Tout simplement la nécessité de répondre à des besoins non
satisfaits par les structures existantes, en 1970 et, dans une certaine
Z
mesure, encore maintenant. La naissance d'un enfant handicapé ou à
D
risque de handicap représente toujours pour ses parents une atteinte à
oc

leur propre identité, à leur narcissisme, et provoque des sentiments à la


fois de révolte, de désespoir et de culpabilité. Confrontés à ce douloureux
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D

problème, souvent dès la sortie de la maternité, du service de pédiatrie


ok

ou de néonatalogie où l'enfant a séjourné plus ou moins longtemps, ils


Bo

sont dans la plupart des cas à la recherche d'une aide adaptée.


Celle-ci ne pourra l'être que dans la mesure où elle permettra à ces
ed

parents en crise « d'investir » leur enfant, d'avoir un projet pour lui, de


se sentir compétents à son égard. Il s'agit essentiellement d'un accom-
M

pagnement de l'enfant et de sa famille afin que le premier développe au


mieux ses potentialités en évitant le surhandicap 24 et que la seconde
élabore et peut-être accepte, ou plutôt se résigne à la différence de son

21. R. Salbreux, « Introduction à une réflexion sur les CAMSP ». « Enquête sur le fonction-
nement des CAMSP » ; Discussion : « Les centres d'action médico-sociale précoce », séance
du Club international de pédiatrie sociale, Paris-CIE, Guigoz, 1982, 90 p.
22. M. Butlen, Y. Chautard, M. Davigo, A.-M. Lafay de Micheaux, J. Lévy, S. Mille,
R. Salbreux, M. Titran, Rapport du groupe de travail sur les centres d'action médico-sociale
précoce (septembre 1985-décembre 1986), reprographie, Direction générale de la Santé,
bureau 2b, 1987, 40 p.
23. R. Salbreux, « Enquête sur le fonctionnement des CAMSP », Réadaptation, 435, 1996,
p. 12-18.
24. Surhandicap : terme actuellement peu usité, employé il y a quelques années pour dési-
gner l'effet aggravant des réactions familiales à l'existence d'un handicap, réactions habi-
tuellement inévitables, dont le degré peut en effet faire largement varier le pronostic
(Circulaire n° 86-13 du 6 mars 1986).
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 112

112 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

enfant. « Transformer ce qui n'est au fond qu'un projet de mort en un


projet de vie » et reconquérir une liberté d’initiative parentale perdue ou
que l’on a le sentiment d’avoir perdue, telle est l'ambition de l'action
médico-sociale précoce.
De cette ambition découlent les principes d’action suivants qui
doivent toujours guider ce mode d’intervention :
a) la globalité : l'enfant est un dans toutes ses dimensions, physique,
mentale, affective, familiale et sociale. Il importe qu'elles soient toutes
prises en compte dans le projet de soins et d’accompagnement offert à
la famille.
b) la transdisciplinarité : il va de soi que seul un travail authentique-
ment pluridisciplinaire permettra de répondre à la nécessité de cette

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approche globale. Pédiatres, neuropédiatres, pédopsychiatres, kinésithé-
rapeutes, orthophonistes, éducateurs, puéricultrices, assistants de
Z
service social doivent pouvoir se relayer auprès de l'enfant et de la
D
famille, qu'ils fassent partie de la structure d'action médico-sociale
oc

précoce ou qu'ils interviennent sur la base d'une convention. Cette multi-


disciplinarité s'impose d'autant plus qu'il s'agit de très jeunes enfants
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D

chez lesquels des symptomatologies analogues peuvent traduire des


ok

atteintes diverses correspondant à des étiologies différentes 25.


Bo

C’est bien ce qu’avait compris Janine Lévy 26, initiatrice de l’un des deux
premiers CAMSP qui ont vu le jour dans les années 1970, bien avant la
ed

réglementation de 1976 : « L’assistance éducative du tout-petit », de l’En-


traide universitaire (173 bis, rue de Charenton). Il est intéressant de noter
M

que J. Lévy, outre ses indéniables qualités d’organisatrice, était kinésithé-


rapeute de formation, tout comme les deux premiers collaborateurs du
CAMSP de l’Institut de puériculture de Paris (26, boulevard Brune), Gene-
viève Waights-Blanc et Michel Le Métayer. Ce clin d’œil à l’histoire que l’on
retrouvera en détail dans l’article sur « La naissance des CAMSP 27 » montre
que, dans ce type très particulier d’intervention, l’accent a été d’emblée mis
par les fondateurs sur l’équipe, la transdisciplinarité et la famille.
c) la coordination : la principale lacune du système de prise en charge
médicale des tout jeunes enfants handicapés ou à risque de handicap

25. A. Thomas, S. Saint-Anne Dargassies, Études neurologiques sur le nouveau-né et le


jeune nourrisson, Paris, Masson, 1952.
26. J. Lévy, Le bébé avec un handicap. De l'accueil à l'intégration, Paris, Le Seuil, 1991,
190 p.
27. R. Salbreux, « La naissance des CAMSP », Psychiatrie française, 26, 1, 1995, p. 59-70.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 113

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 113

résidait en 1975 – et réside encore souvent – dans son éclatement


parfois caricatural : des interventions multiples, en des lieux divers, par
des professionnels isolés, détenteurs d'une compétence spécifique. Cela,
dans le meilleur des cas, c'est-à-dire dans l'hypothèse où le diagnostic a
été précocement posé, à la maternité ou dans l'unité de néonatalogie.
Dans le cas contraire, si le « trouble » constaté ou pressenti n'est pas
identifié clairement, aucune aide n'est bien souvent apportée à la famille
qui, au mieux, chemine de consultation spécialisée en consultation
spécialisée et, au pire, n'effectue aucune démarche, ne présente aucune
demande.
La réponse réside donc dans l'existence d'une équipe composée de
professionnels différents, qui travaillent de manière étroitement coordon-

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née autour de chaque enfant, au moyen par exemple des classiques
réunions de synthèse périodiques sur chaque cas, mais aussi de séances
Z
de travail communes (consultations et/ou traitements) de certains
D
spécialistes 28, ou encore par la mise en place d’un réseau de soins entre
oc

les différents services appelés à intervenir auprès de l’enfant et de sa


famille.
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D

d) la place des parents : elle est à ce point essentielle que l’on ne


ok

peut rien faire sans eux. Il importe en effet que l'enfant et sa famille
Bo

sentent qu'une communication efficace existe entre les soignants. Il


s’agit en somme que la famille, quelle que soit la diversité des interve-
ed

nants, prenne conscience qu'un projet cohérent est élaboré, qu'une


direction est tracée et que toute une équipe chemine avec elle, autour
M

d'elle, pour l'aider à conserver son rôle d'acteur principal auprès de son
enfant.

IMPLICATIONS ÉTHIQUES

L’éthique de l’action médico-sociale précoce découle de ces prin-


cipes ; celle-ci est résumée dans la charte de l’ANECAMSP que nous
pouvons aussi relire ensemble :
« L’Association nationale des équipes contribuant à l’action médico-sociale
précoce rassemble des professionnels et des grandes associations nationales
de professionnels, de parents et de personnes handicapées ayant pour objec-

28. Voir à ce propos le numéro 20 de la revue Contraste, sur « Les consultations


conjointes ».
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114 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

tif commun fondamental le droit de l’enfant en difficulté à recevoir précoce-


ment les soins, l’éducation et l’accompagnement de qualité qu’il requiert, au
cœur de sa famille et avec la participation de celle-ci.
Que le jeune enfant présente un développement perturbé ou qu’il soit en
situation de handicap, il doit pouvoir grandir et évoluer dans les meilleures
conditions possibles, dans son milieu et avec l’aide et le soutien des équipes.
L’ANECAMSP, conformément au mouvement général des idées et aux textes
législatifs et réglementaires, dans la continuité de ses valeurs fondatrices,
adhère sans exclusive aux droits fondamentaux actuels :
– la non-discrimination de la personne affectée dans l’accès aux soins et à
l’éducation, du fait de sa maladie ou de son handicap ;
– l’enfant, sujet en développement, est situé au centre du dispositif de soins
et de prise en charge ;

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– la primauté des parents et leur liberté de choix dans les décisions qui s’im-
posent (projets de soins, projets éducatifs, mode d’insertion, etc.) ;
Z
– le libre accès aux informations concernant la personne malade ou handi-
D
capée.
oc

Du fait des objectifs particuliers de l’action médico-sociale précoce,


l’ANECAMSP soutient également les valeurs fondatrices :
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D

– l’importance de la prévention ;
ok

– la précocité d’intervention, sans attendre le diagnostic pour agir ;


– l’approche globale de l’enfant et de sa famille, dans sa singularité, dans ses
Bo

multiples composantes, somatique, psychologique et sociale ;


– la valorisation des compétences, tout en identifiant les déficits ;
ed

– la prise en charge ambulatoire et de proximité pour permettre le maintien


M

de l’enfant dans son milieu naturel aussi longtemps que ses besoins et ceux
de sa famille le requièrent et la mise en place de relais à l’issue de la prise
en charge ;
– la transdisciplinarité déclinée en interne par un travail d’équipe coordonné,
comme en externe avec le travail en réseau ;
– la promotion de pratiques de qualité régulièrement réévaluées.
L’ANECAMSP a le souci de garantir une éthique dans les pratiques des profes-
sionnels qui :
– favorise l’échange d’expériences dans l’exercice de leur travail ;
– fournisse l’ancrage indispensable à leur engagement ;
– encourage l’initiative, l’interrogation constante sur leurs pratiques et la
formation ;
– permette la confrontation des différentes approches dans le respect des
idées de chacun dans tous les champs du handicap et de l’humain. »

Ces valeurs se sont tout naturellement dégagées de la pratique des


équipes : personnellement j’ai toujours été très impressionné de voir,
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 115

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 115

d’année en année et même de génération en génération, ces éléments


s’imposer de façon constante et unanime dans les différents exposés
présentés aux Journées de l’ANECAMSP et dans les discussions initiées à
cette occasion. Une telle convergence est à mon sens induite par l’action
médico-psycho-sociale précoce elle-même. Il n’y a sans doute pas d’autre
façon d’aborder le bébé en difficulté de développement dans sa famille.

NOUVELLES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES : LEUR INFLUENCE SUR L’ÉTHIQUE


DE L’ACTION MÉDICO-SOCIALE PRÉCOCE

Malgré les circulaires d’intégration de janvier 1982 et de janvier 1983,


et la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, la situation restait

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bloquée, l’intégration scolaire ne progressait pas et même avait tendance
à reculer. 25 000 enfants et adolescents, pris en charge dans le secteur
Z
médico-social ou laissés faute de places dans leurs familles, n’étaient pas
D
scolarisés. Il devenait urgent de réformer les deux lois du 30 juin 1975,
oc

celle en faveur des personnes handicapées et celle sur les institutions


sociales et médico-sociales.
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D

Déjà préparée par la réforme des annexes XXIV du 27 octobre 1989


ok

introduisant le projet individualisé, une nouvelle mutation importante


s’est trouvée inscrite dans la loi du 2 janvier 2002 29, qui révolutionne le
Bo

fonctionnement des établissements et services, en mettant la personne


ed

« au centre du dispositif » et en introduisant la démarche qualité, une


procédure d’évaluation et tout un mécanisme d’allocation de ressources
M

en fonction d’indicateurs d’activité.


Les craintes suscitées par ces mesures d’encadrement budgétaire ont
en partie occulté les aspects mutatifs de ce texte, lequel constitue un
véritable renversement de situation : l’enfant en difficulté n’a plus à
s’adapter à son environnement et à l’école, mais l’environnement ou
l’école doit s’adapter à lui. Corrélativement, la prise en charge s’efface au
profit de l’accompagnement, plus respectueux des désirs de la
personne 30. Il est de moins en moins question de soins et l’enfant a
désormais droit à l’éducation, quel que soient sa situation et son état, le
plus possible en milieu ordinaire, en tenant compte de ses besoins.

29. Loi rénovant l’action sociale et médico-sociale.


30. R. Salbreux, Éditorial Contraste : L'accompagnement, Paris, ANECAMSP, 2006, p. 5-10.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 116

116 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Encore plus longue à élaborer et difficile à appliquer, la loi du


11 février 2005 opère une véritable révolution culturelle 31. Basée sur le
principe de non-discrimination voulu par les Nations unies et l’Europe,
appuyée par les travaux de Patrick Fougeyrollas et coll. 32, de P. Fougey-
rollas lui-même 33, sur la composante situationnelle du handicap et sur la
CIF 34, la nouvelle loi sur « l’égalité des droits et des chances, le partena-
riat et la citoyenneté des personnes handicapées » établit l’accessibilité à
tout pour tous et le droit à compensation du handicap (dont les établis-
sements et services font partie), laquelle sera mise en œuvre par la
MDPH 35, accentuant la décentralisation du système, géré désormais entiè-
rement par les conseils généraux.
La mutation est effectivement profonde. Non seulement, la personne

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handicapée est au centre du dispositif, mais elle exprime ses désirs sous
la forme d’un « projet de vie », autour duquel s’organiseront sa compen-
Z
sation et les prestations qu’il sera possible de lui proposer. L’évaluation
D
nécessaire est confiée à la CDAPH, qui regroupe les anciennes CDES, COTO-
oc

REP et sites de la vie autonome, fonctions auxquelles s’ajoute une dispo-


nibilité d’écoute et de conseil. La mise en place des MDPH s’avère difficile
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D

et très inégale suivant les départements, mais pourrait aboutir à un chan-


ok

gement assez radical des pratiques dans un sens infiniment plus respec-
Bo

tueux des personnes et dont la dimension éthique est de nouveau


évidente.
ed

Cependant, malgré le déferlement de textes que nous avons connu,


le décret de 1976 n’a pas été modifié et il ne semble pas exister de projet
M

31. H.-J. STIKER, « L’évolution et l’évaluation des idées sur le handicap en France depuis
1945 », dans IXe Congrès de l'Association internationale de recherche scientifique en faveur
des personnes handicapées mentales (AIRHM), Rimouski (Québec), 17-20 août 2004. Défi-
cience intellectuelle : savoirs et perspectives d’action. T. 2, Formation, interventions, adap-
tation et soutien social, Presses universitaires du Québec, 2006.
32. P. Fougeyrollas, G. Saint-Michel, H. Bergeron, R. Cloutier, « Le processus de production
des handicaps : analyse de la documentation », Réseau international CIDIH/icidh, 4, 1991,
p. 1-20.
33. P. Fougeyrollas, « Les applications du concept de handicap, désavantage de la CIH et
de sa nomenclature », Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1993. – « Les déterminants envi-
ronnementaux de la participation sociale des personnes ayant des incapacités : le défi
socio-politique de la révision de la CIDIH », Canadian Journal of Rehabilitation, 10,1, 1997,
p. 147-160. – « La classification québécoise du processus de production du handicap et la
révision de la CIDIH », Les cahiers du CTNERHI, 1998, p. 79-80, 85-90.
34. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (OMS, 2004).
35. Maison départementale des personnes handicapées.
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INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP 117

de cette nature. Cela n’est guère étonnant, si l’on considère la


« congruence » entre l’esprit des lois sus-citées et le décret de 1976. Les
nouvelles lois ne paraissent pas imposer de changements à ce niveau :
elles viennent simplement infléchir les pratiques dans un sens un peu
plus respectueux des choix de la famille pour son enfant, ce que le décret
de 1976 avait déjà intégré tant il était en avance sur son temps !

CONCLUSION

Au sein des pratiques concernant la petite enfance handicapée, l’ac-


tion médico-sociale précoce s’est dégagée de la pédiatrie, de la médecine
de réadaptation fonctionnelle et de la pédopsychiatrie des années 1970,

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dans le cadre d’une nécessaire précocité d’action, d’une globalité d’ap-
proche et d’une proximité des services rendus, donc d’une plus grande
Z
humanité. L’éthique de terrain qui s’est construite autour de cette
D
manière assez novatrice de voir la prévention et le dépistage, dans un
oc

accompagnement coconstruit avec les familles, a résisté au temps et ne


semble pas devoir être radicalement remise en cause par les nouvelles
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D

dispositions législatives et réglementaires, donnant une place plus large


ok

à la participation des personnes handicapées et à leur projet de vie.


Bo
ed
M
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Silvia Pagani
Elio Tesio

De la culpabilité à la responsabilité,
pour une éthique de la relation

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Z
D
oc
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D

L’enfer des vivants n’est pas quelque chose qui


sera ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’en-
ok

fer que nous habitons tous les jours, que nous


Bo

formons en étant ensemble. Il y a deux façons pour


ne pas en souffrir. La première est assez facile pour
ed

de nombreuses personnes : accepter l’enfer et finir


par en faire partie au point de ne plus le voir. La
M

seconde est risquée et exige une attention et un


apprentissage continus : chercher et savoir recon-
naître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’en-
fer, et le faire durer, et lui donner de la place.
Italo Calvino, Les villes invisibles

Nous proposons dans cet article certaines réflexions sur deux thèmes
intimement et éthiquement liés entre eux : la culpabilité et la responsa-
bilité dans le domaine du handicap.
Le handicap, en effet, peut devenir le « lieu de la culpabilité 1 » et de
l’indifférence, un lieu où peuvent dominer la non-différence, entendue

Silvia Pagani et Elio Tesio, psychothérapeutes.


1. E. Tesio (sous la direction de), L'uovo fuori dal cesto, Torino, Utet, 2000.
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120 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

comme non démarcation de limites précises entre soi et l’autre, et l’ex-


tranéité, c’est-à-dire l’inattention pour le visage de l’autre 2 et pour le sien
propre.

CULPABILITÉ SANS VISAGE

Pour mieux comprendre la question de la culpabilité, nous voudrions


avant tout préciser que nous nous occuperons de l’impression de culpa-
bilité (senso di colpa) ou du sentiment d’être fautif (colpevolezza) et pas
du sentiment de culpabilité (sentimento di colpa) qui se manifeste
comme réaction à un événement réel et implique l’acceptation de la
responsabilité pour le dommage et la douleur réellement procurés aux

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autres ou à nous-mêmes 3.
L’impression de culpabilité, contrairement au sentiment de culpabi-
Z
lité, est indescriptible, dans la mesure où elle est toujours indéterminée,
D
vague, tendant à la généralisation 4, et elle est souvent perçue comme
oc

informe, diffuse, englobante, brouillée et résistante. La sensation d’être


en faute, en somme, est indéfinie, on pourrait la décrire comme une
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D

« culpabilité sans visage ». Ce caractère insaisissable la rend en outre


ok

difficile à réfuter et donc à éradiquer et provoque chez qui la ressent un


Bo

malaise presque permanent.


Ce sont justement les caractéristiques de l’impression de culpabilité –
ed

imprécision, absence de contours fermes et permanence – qui nous ont


frappés et qui ont alimenté certaines interrogations. Pourquoi le senti-
M

ment d’être en faute est-il, quasiment par essence, indescriptible et en


même temps aussi profondément enraciné ? À quoi sert cette sensation
pénible, pénétrante et fuyante, dont il est difficile de se libérer ? Quel
sens donner au sentiment de faute ressenti par les parents d’enfants
souffrant d’un handicap grave ?

2. E. Lévinas, Le temps et l'autre, Paris, Presses universitaires de France, 1983. – Hors


sujet, Paris, Fata Morgana, 1987.
3. N.d.T. : Toutefois, le français ne connaissant pas l'équivalent de la distinction entre colpe-
volezza (culpabilité purement subjective) et sentimento di colpa (sentiment de culpabilité
objectivement justifié), et dans la mesure où seul le premier concept est pertinent pour le
reste du texte, l'expression « sentiment de culpabilité » est à entendre exclusivement, dans
ce qui suit, comme l'équivalent de culpabilité ressentie, impression de culpabilité, en
d'autres termes la colpevolezza dont parlent les auteurs.
4. J. Goldberg, La culpabilité axiome de la psychanalyse, Paris, PUF, 1985, tr. it. La colpa.
Un assioma della psicoanalisi, Milano, Feltrinelli, 1988.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 121

DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 121

Notre hypothèse est que le sentiment de faute est une construction


psychique subjective, une représentation dirigée vers une fin précise qui
n’a pas de rapport direct avec la réalité, mais est élaborée par le
psychisme, dans certaines conditions particulières, pour se protéger,
contenir, suspendre ou éviter une situation, un rapport ou une sensation
douloureuse et qui est source d’instabilité et d’insécurité.
Nous avons distingué deux formes du sentiment de faute sur la base
de la dimension temporelle.
Dans sa version initiale, temporaire et plus fluide, la « culpabilité sans
visage » a un objectif d’adaptation et de survie psychique à un événe-
ment traumatisant comme la naissance d’un enfant handicapé par suite
d’une déficience ou d’une infirmité. Elle peut créer un moment de pause

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pour la réactivation d’aspects de soi enfouis ou oubliés après un épisode
traumatique. Elle peut favoriser le passage d’une phase de réorientation
Z
à une autre phase de l’évolution posttraumatique plus centrée sur des
D
projets. La configuration particulière de la culpabilité peut, en effet, aider
oc

temporairement les parents, tout d’abord à survivre à un événement


traumatisant, puis à rétablir un équilibre et une stabilité provisoires, mais
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D

indispensables pour la survie psychique d’une personne. Les caractéris-


ok

tiques citées : impression d’envahissement, enracinement, confusion,


Bo

aident à préserver la psyché aussi bien de sentiments et d’émotions


vécus comme inacceptables et dangereux, que d’une lecture de la réalité
ed

insupportable pour le moment.


Les parents placent en quelque sorte un couvercle au-dessus de leur
M

tête pour éviter de se brûler au contact de leurs conflits, de leurs pensées


et de leurs sentiments bouillants. Le sentiment de culpabilité aide provi-
soirement à anesthésier, à ne pas sentir et à ne pas penser et, dans
certains cas, à ne pas devenir fou, à ne pas s’enfoncer dans une dépres-
sion plus grave, qui amputerait encore davantage leur capacité à s’occu-
per de leurs enfants handicapés, d’eux-mêmes et du reste de la famille.
Initialement, après l’annonce du handicap d’un enfant, on remarque
chez les parents une invasion de sentiments, d’émotions, de perceptions,
de pensées et de désirs, souvent ambivalents et considérés comme inac-
ceptables, tels la colère engendrée par ce qui s’est passé, le désir de mort
de l’enfant, le désir de fuir et de laisser derrière soi, non seulement la
responsabilité, mais aussi la souffrance de l’enfant, le refus, l’incompré-
hension vis-à-vis de sa différence, la perception de sa monstruosité... Au-
delà d’un certain seuil tout cela devient impossible à assimiler et
intolérable. Admettons alors que la psyché déclenche des tendances frei-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 122

122 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

nantes 5, fondamentales pour le contrôle et la régulation des processus


internes et par conséquent pour parvenir à une stabilisation psychique,
au moins temporaire. Dans notre hypothèse le sentiment de faute repré-
sente un mécanisme de limitation et d’inhibition face à l’apparition de ces
sentiments, émotions, pensées et désirs. Il permet de repousser momen-
tanément la rencontre intime des parents avec eux-mêmes, de façon à
ce qu’ils ne soient pas brûlés au contact de l’enfer, trop atteints en
somme par ce qu’ils sont en train de vivre. Les parents ont ainsi le temps
indispensable de la pause, le temps de reprendre haleine pour ensuite se
plonger dans la douleur, dans la traduction des sentiments, des émotions
et des pensées ambivalentes ou indifférentes vis-à-vis de l’enfant. Ils ont
le temps de récupérer le courage de lire la réalité sans illusions, mais pas

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sans espoir.
Le sentiment de culpabilité peut donc être une forme d’adaptation du
Z
point de vue de la sauvegarde du psychisme. Nous pensons par ailleurs
D
que « la culpabilité sans visage » non seulement crée le temps du sursis,
oc

mais qu’elle le remplit, en ne laissant pas la pensée au contact du pire,


ou bien du vide et – peut-être encore plus angoissant – de l’absurde. Elle
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D

permet à celui qui a subi un traumatisme de ne pas se perdre complète-


ok

ment, de ne pas renoncer complètement à sa psyché, de préserver un


Bo

contact même ténu avec les aspects les plus profonds de lui-même, au
prix toutefois de la régression ou de l’inhibition plus ou moins grave de
ed

la « fonction réflexive », décrite par Fonagy et Target 6. En effet, l’indis-


M

5. Une « tendance freinante », dans la théorie des systèmes complexes, est représentée
par la rétroaction négative. Elle est un processus de ralentissement du taux de flux d’un
élément a.
6. P. Fonagy, M. Target, Attaccamento e funzione riflessiva, Milano, Cortina, 2001. Les expé-
riences traumatiques, en particulier de type prolongé, peuvent marquer une régression ou
une détérioration, non seulement de certaines fonctions mentales, par exemple de l’atten-
tion, de la mémoire, de l’imagination, des associations, de la capacité à résoudre les
problèmes ou d’échafauder des plans… mais aussi d’une fonction mentale comme la « fonc-
tion réflexive ». Fonagy et Target, dans une série d’études recueillies dans Attaccamento e
funzione riflessiva (2001), définissent cette aptitude comme la « conscience du sujet rela-
tive aux états mentaux de ses objets d’attachement et à la clarté de ses représentations
relatives à ses propres états mentaux dans le passé et dans le présent. Celle-ci évolue en
fonction de l’apport de différentes influences qui interagissent entre elles de manière dyna-
mique : les émotions de la personne, les interactions sociales, les relations familiales et avec
l’entourage, les réactions du monde social au sens large ». Or, la fonction réflexive est une
procédure « qui donne forme et cohérence à l’organisation du soi qui est au-delà de la
conscience ». Les expériences traumatiques vécues par les parents peuvent donc produire
une régression, si ce n’est une détérioration ou un appauvrissement de certaines capacités
cognitives et affectives, en particulier de la possibilité de comprendre leur propre esprit,
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 123

DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 123

tinction est plus contrôlable que la clarté, elle peut être remplie de conte-
nus ad hoc, utiles du point de vue des besoins du moment.
Le sentiment de culpabilité maintient de force le sujet dans une
logique réductrice, adaptative et rassurante quoique temporaire, mais
inadéquate quand il s’agit d’aborder une réalité interne et externe aussi
complexe. De fait les parents, de même que les personnes qui ont subi
un traumatisme répété et continu, utilisent souvent des schémas cogni-
tifs-émotifs simplifiés, rigides, répétitifs et contrôlables. Par exemple, la
concrétisation de la pensée, l’éternisation du temps dans la dimension du
présent-existant, la bidimensionnalité de la pensée et l’annulation de
l’ambivalence des sentiments, l’anesthésie émotive et créative, la
recherche de la cause unique – le coupable – qui donne un sens univoque

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et illusoirement intelligible à une situation en soi incompréhensible, inter-
rompent ainsi, de façon justifiée, la recherche d’autres raisons et l’explo-
Z
ration de sphères plus profondes du monde interne, ressenties comme
D
dangereuses. Ils ont « l’horreur de penser et la terreur d’imaginer 7 »,
oc

d’imaginer pour eux-mêmes et pour les autres.


Être coupable (ou attribuer la faute) signifie qu’on peut sortir de l’im-
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D

puissance de ne pas savoir comment faire, de ne pas savoir que penser,


ok

de ne pas savoir comment répondre aux questions « pourquoi cela est-il


Bo

arrivé ? », « pourquoi à moi ? », de ne pas savoir comment éprouver de


la colère, de la haine, un refus, le sens de quelque chose d’insupportable,
ed

de la peur. C’est une sortie de l’incertitude.


Le caratère flou de la faute crée les conditions pour que tout parent
M

puisse donner une forme et un sens provisoires à une réalité saturée


d’une absurdité incontrôlable et indéfinissable.
Nous avons jusqu’ici sous-entendu une caractéristique fondamentale
de la culpabilité : sa dimension relationnelle. Le rapport fondé sur la faute

leurs propres comportements et sentiments et ceux des autres, d’attribuer une signification
à leur propre réalité interne comme à la réalité extérieure ; mais l’absence d’une significa-
tion entraîne l'impossibilité de consoler l’enfant et soi-même. Il faut souligner que la perte
ou la suspension de la capacité réflexive chez les parents d’enfants handicapés, afin de
prévenir la douleur de leur propre horreur, est temporairement adaptative, si elle est limi-
tée dans le temps, mais elle peut produire de grandes difficultés dans le contexte extra-
familial ou intrafamilial, si elle est adoptée de manière stable ou qu’elle se maintient pour
une période relativement longue.
7. P.C. Racamier, « Una comunità di cura psicoterapeutica. Riflessioni a partire da un’espe-
rienza di vent’anni », Psychomedia, 12 gennaio 2001.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 124

124 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

est souvent un rapport simplifié, réduit à la symbiose et à l’indistinction


entre les parties ou bien parcouru de mécanismes de domination-subor-
dination, ou bien encore fondé sur l’équilibre du donner et de l’avoir, de
la dette. Comme le souligne Goldberg 8 : « la culpabilité rentre dans
l’ordre de la dette, [...] c’est-à-dire qu’elle annonce l’impératif d’un
rapport, mais d’un rapport qui ne peut être que formel, comme la loi
formelle de Kant. Un rapport qui oblige absolument, mais dont les termes
restent indéterminés. »
Au début d’un processus d’orientation et d’adaptation à une rupture
catastrophique, ces relations « formelles » peuvent être utiles pour
remplacer le manque de désir par « l’impératif d’une relation », afin de
commencer une rencontre avec cet enfant difficile à imaginer, inhabituel,

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diminué. Les formes de relation fondées sur « la culpabilité sans visage »,
plus simples et immobiles, dans la mesure où elles sont définies une-fois-
Z
pour-toutes par des « lois formelles », sont rassurantes et stabilisantes,
D
elles détournent de l’abysse du vide de lien naturel ou du trop-plein des
oc

sentiments, des émotions et des pensées inacceptables. La stabilité qui


est obtenue en est simplifiée et peut correspondre à l’équilibre comptable
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D

entre le crédit et le débit. Le fait de donner plus, jusqu’au masochisme


ok

et au sacrifice, peut ralentir l’instabilité et donner l’illusion qu’en payant


Bo

la dette les choses s’arrangeront, que le désordre sera annulé et que


l’ordre précédent, ou l’ordre imaginé et désiré, reviendra comme par
ed

magie. Mais c’est une dette inépuisable parce qu’imaginaire et indéter-


minée. L’obligation qui dérive de la faute, toutefois, peut laisser du temps
M

au désir et au choix responsable de se former, en comblant un vide d’un


plein autrement insupportable.

CULPABILITÉ ÉTERNELLE

Cependant, si le sentiment de faute se cristallise, il peut engendrer


des dégâts très graves. D’une part, la pensée se désertifie et devient
rigide, simplifiée, répétitive, banalisante et aplatie sur un concret stérile,
perdant ainsi sa vitalité et sa créativité. D’autre part, les aspects créatifs-
protensifs du soi se dessèchent dans l’inertie mortifère de l’éternel

8. J. Goldberg, La culpabilité axiome de la psychanalyse, op. cit., 1985.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 125

DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 125

présent 9, du sacrifice, fait de soins physiques et d’assistance permanente


aux enfants (surtout de la part des mères), et d’un agir concret répétitif
et immobile. Enfin, le sentiment de faute affecte la relation entre parent
et enfant et plus généralement les relations familiales et interperson-
nelles. Un enfant handicapé, en effet, met en branle des sentiments
impensables, mais la prison de l’impensabilité, si elle n’est pas ouverte,
peut le transformer en un persécuteur à vie.
Le lien fondé sur la faute, et par conséquent le rapport débit-crédit,
s’il se cristallise, peut devenir l’unique modalité de relation et il envahit
tout. Le « tu dois » devient une obligation inséparable du lien avec l’en-
fant, une tyrannie, une façon de contrarier les impulsions de rejet et
d’abandon, le contenu qui remplit les vides d’un choix non effectué ou

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d’un désir non né, une forme préfabriquée de rencontre à opposer à l’in-
certitude de la construction d’une relation humaine. Alors les enfants
Z
« sont pensés, vus et perçus non comme des sujets de désir mais comme
D
des “objets de soins”, qui ont besoin d’une aide permanente 10 », non
oc

scandée par le temps.


Dans cette version stabilisée et durable, que nous nommons « culpa-
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D

bilité éternelle », le sentiment de culpabilité est, d’après notre hypothèse,


ok

un mécanisme de défense puissant, fondé sur l’absence de précision sur


Bo

la réalité de la situation, à opposer tant à l’angoisse de la souffrance et


de l’horreur, qu’à l’angoisse face à ce qui est perçu comme absurde ou
ed

incompréhensible. C’est une défense et elle représente, comme l’affirme


Mitchell 11, un « arrangement privé, statique, que nous concluons avec
M

nous-mêmes pour enfermer les nouvelles expériences » et pour nier et


camoufler la réalité. De fait, ne pas préciser les faits, mais au contraire
banaliser, confondre, rester prisonnier d’une répétitivité obsessionnelle

9. A.H. Modell, Other Times, Other Realities. Toward a Theory of Psychoanalytic Treatment,
1990, tr. it. Per una teoria del trattamento psicoanalitico, Milano, Cortina, 1994. Comme a
montré Modell (1965, p. 89), souvent dans le cas d'événements hautement traumatisants,
« le passé domine et tronque le temps présent », en annulant l’écoulement du temps, ou
la négation de souvenirs douloureux, en particulier de la perte, exclut l’individu « des
souvenirs du passé et des centres d’intérêt du futur ». Il est ainsi enfermé dans le monde
« de l’éternel présent ». Ou bien s’impose une forme encore plus radicale de négation, celle
du temps lui-même. « La suspension du temps, le fait de se placer hors du temps, est
évidemment un moyen pour nier les dangers du monde réel : l’inévitabilité du vieillisse-
ment, de la maladie et de la mort. »
10. E. Tesio (sous la direction de), L'uovo fuori dal cesto, Torino, Utet, 2000, p. 37.
11. S.A. Mitchell, « Devi soffrire se vuoi cantare il blues », Gli Argonauti, 89, 2001, p. 114.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 126

126 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

sert à couvrir, éviter, nier la réalité et la souffrance qui naît de la


conscience de sentiments et de pensées authentiques, mais considérés
comme dangereux, inquiétants, humiliants ou indicibles. Rester dans la
confusion protège aussi des sentiments d’infériorité, d’insuffisance, d’im-
puissance face aux carences de l’enfant et à une réalité souvent bien peu
susceptible de modifications sur le plan concret. Ne pas pointer la réalité
préserve de la souffrance et quelquefois de l’horreur qui naissent du
profond conflit interne entre la tendance naturelle des parents à s’occu-
per de leurs enfants et à les aimer, et l’impulsion individuelle qui pousse
à fuir une situation souvent intolérable parce que sans perspective de
dénouement. En effet, comme l’a dit un père, « ce n’est pas une situa-
tion qui va cesser d’un jour à l’autre, tu ne sais pas quand viendra un

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lendemain ». Le seul avenir possible, c’est la répétition.
La culpabilité, et plus encore la culpabilité rendue éternelle, est
Z
également une défense à l’égard de l’impuissance, du désespoir dû à un
D
« châtiment » immérité. Déjà Fairbain 12 avait parlé de « défense
oc

morale ». « Il vaut mieux être un pécheur dans un monde gouverné par


Dieu que de vivre dans un monde gouverné par le Démon. »
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D

L’impression de faute devient ainsi une barrière qui défend les


ok

parents du contact intime, aussi bien avec eux-mêmes, par peur de leur
Bo

propre monde intérieur, de la douleur « intolérable » que sa découverte


peut provoquer, qu’avec l’enfant par peur de son regard, de ses questions
ed

explicites et implicites. Mais en même temps qu’ils suppriment leur apti-


tude à entrer en intimité avec eux-mêmes, ils se privent de leur capacité
M

de s’occuper affectivement et efficacement d’eux-mêmes et de leurs


proches (l’enfant pas comme les autres, les autres enfants, le mari, la
femme...) et de s’autoconsoler et de consoler les autres 13. La culpabilité
les condamne à une paralysie des activités saines et normales, au sacri-
fice de soi, mais aussi des autres. La culpabilité éternelle, en effet, exige
la solitude. On ne peut pas partager le sentiment d’être fautif ; non seule-
ment ce sentiment requiert la solitude, mais il la crée tout autour. Qui se
sent coupable est tellement absorbé et vidé de ses forces par son senti-
ment de faute qu’il en oublie ceux qui sont à ses côtés. Quelquefois, la
culpabilité demande une punition qui cependant ne se limite pas au sujet,

12. W.R.D. Fairbain (1952), « Psychological Study of the Personality », dans Studi psicoa-
nalitici sulla personalità, Torino, Boringhieri, 1970, p. 93.
13. S.A. Mitchell, « Devi soffire se vuoi cantare il blues », art. cit.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 127

DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 127

mais implique tout le monde 14, elle appelle et crée une injustice encore
plus importante : le sacrifice des autres. Qui s’autopunit punit aussi ses
proches, lesquels le méritent encore moins.
En bloquant l’émergence des pensées et des sentiments non accep-
tés, l’immersion et même la submersion dans le sentiment de culpabilité
empêchent également qu’il soit perçu intuitivement, compris, pensé et
pour finir digéré. Ainsi les parents risquent-ils, d’une part de perdre la
possibilité de donner une signification à ce qu’intimement ils sentent et
pensent, et, d’autre part, de ne pas pouvoir créer un facteur de protec-
tion indispensable afin de préserver leur existence, et celle des enfants
valides ou déficients du couple. Outre ce qui est arrivé et arrive en
dehors, ils risquent de rendre également absurde ce qui se passe au-

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dedans d’eux-mêmes. La peur de ne pas pouvoir soulager la souffrance
de l’incompréhension paralyse et tarit la créativité, élément fondamental
Z
pour effectuer le passage du stade initial de la survie à un traumatisme,
D
à un mouvement dynamique de « vivre à nouveau », pour paraphraser
oc

Buber 15 « toujours-à-nouveau ». Être créatif, en effet, implique la liberté


de laisser exister ce que l’on sent et ce que l’on pense. Donc d’instrument
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D

d’adaptation et de survie temporaire à un traumatisme, la « culpabilité


ok

sans visage », peut se transformer à la longue en un obstacle à vivre,


Bo

parfois insurmontable. Le fait de rester emprisonnés dans une culpabilité


éternelle est selon nous une des conditions dramatiques dans lesquelles
ed

vivent beaucoup de parents d’enfants souffrant de graves handicaps.


Nous voudrions maintenant nous attarder sur un autre aspect de la
M

faute à cause de ses répercussions sociales. La « culpabilité sans visage »


peut en effet être produite par une agressivité destructrice, ressentie et
inhibée. Beaucoup de parents d’enfants handicapés souffrent de colère
chronique, souvent sans en être conscients et même avec la nécessité de

14. Ibid.
15. M. Buber, 1929, Ich und Du, tr. fr. Je et tu, Paris, Auber, 1969. – 1936, « La domanda
rivolta al singolo », dans Il principio dialogico, Cinisello Balsamo, Edizioni San Paolo, 1993,
p. 229-278. L'expression « toujours-à-nouveau » est utilisée par Buber à propos de la
responsabilité et elle s’oppose à « une-fois-pour-toutes ». Pour Buber, l’individu, c’est-à-dire
celui qui vit de manière responsable, a la liberté de la décision autonome et du choix, mais
aussi la préoccupation de devoir répondre, chaque fois et à nouveau, de chaque choix. Celui
qui se désengage moralement, au contraire, « s’efforce par tous les moyens d’échapper à
l’exigeant “toujours-à-nouveau” qu’un tel devoir de responsabilité impose par la fuite dans
un rassurant “une-fois-pour-toutes” » (Buber, 1936, p. 262).
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128 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

rester inconscients. La « culpabilité sans visage » peut servir aussi à


rééquilibrer un système psychique fortement compromis par la colère, en
devenant la seule expression d’agressivité considérée comme acceptable.
Le sentiment de la faute, en bloquant toute la vie intérieure autour de
l’expiation, remplace et rend acceptables des sentiments et des pensées
que l’environnement social aurait tendance à refuser ou à bannir de son
horizon parce qu’ils sont irregardables.

HISTOIRE DE CULPABILITÉ QUOTIDIENNE

Nous voudrions maintenant présenter une histoire, celle de Giuliano


et de Lucia, qui décrit la culpabilité éternelle. Ces deux parents, victimes

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sacrificielles de la tyrannie de leur fils Michele, handicapé trentenaire,
sont en même temps la mère et le père héroïques, qui expieront jusqu’à
Z
leur mort pour se protéger des sentiments d’impuissance et de colère
D
envers Michele, lequel les « fait devenir fous ». Giuliano et Lucia, au
oc

cours des séances de groupe avec des parents d’enfants et d’adultes


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D

gravement atteints, racontent une existence dominée par la culpabilité,


mais ils ne l’expriment jamais de manière explicite ; au contraire ils la
ok

nient et la dirigent vers Dieu. Otages de l’enfer de la culpabilité, ils nient


Bo

leurs propres émotions, authentiques, et congèlent ainsi leur monde inté-


rieur. Leur parentalité est pétrifiée dans le sacrifice. De fait, pour eux,
ed

être parent équivaut à se sacrifier, à « s’user » et à user « leurs pieds »


M

dans une marche circulaire, et la vie en une répétition qui fait d’eux des
esclaves.
Giuliano raconte une vie quotidienne infernale, dont nous citons
seulement un bref extrait :
« Si vous saviez le sacrifice que nous faisons, bon maintenant ce soir ils le
gardent au centre [d’accueil], le sacrifice que nous faisons pour garder notre
enfant... pour venir ici [au groupe], c’est grave.
Bien sûr, puisque je travaille aux champs, le matin je me lève, je fais une
heure et demie, deux heures selon les saisons, puis je vais à la maison, je
me change et je viens au centre, il faut deux heures. Elle n’a pas le permis,
il y a seulement sept kilomètres, mais il faut deux heures pour tout régler,
puis je vais à la maison, je travaille encore deux heures, si j’ai le temps, puis
il faut aussi préparer le repas, une heure et demie, puis je recommence
jusqu’à quatre heures et je me change une autre fois, je viens le chercher et
après je m’occupe de lui. Si je peux l’attirer dans le champ pour qu’il fasse
quelque chose, de temps en temps il va cueillir les pommes, après on les
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DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 129

jette parce qu’il les abîme toutes. D’autres fois, il fait quelque chose d’autre
et puis quoi qu’il fasse de toute façon tu dois te changer une autre fois, je
me change trois fois. Elle [sa femme], elle a dit un jour à sa mère : “Il use
ses pieds rien qu’à les laver.” Le soir je dois encore me laver, à la campagne
on se salit. Et puis avant d’aller dormir, à nouveau, j’use mes pieds. La vie
que nous menons, si vous voyiez, il n’y a personne qui se l’imagine, mais moi
non plus, je ne me serais jamais imaginé devoir vivre ce que nous vivons
aujourd’hui. Quand il a été à Cuneo, qu’il n’avait que deux jours, il est resté
là-haut quarante jours, le docteur l’a dit : “Mesdames et Messieurs le calvaire
a commencé aujourd’hui”, le calvaire, mais il n’a pas dit que nous aurions dû
mener la vie que nous menons [...]. Une torture ! [...] On ne vit pas dans
notre maison, à cause de ça. Quand il est à la maison, le samedi ou le
dimanche... des radios il en a déjà fait disparaître beaucoup parce qu’il les

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utilise mal et qu’il les casse, si elles ne jouent pas fort ça ne lui plaît pas et
dans notre maison il nous rend fous... [...] On est habitués, mais quand
Z
même, après quatre-cinq heures ou sept-huit heures que la radio joue fort...
D
[...] on n’en peut plus, on a la tête qui éclate. Comment est-ce qu’on peut
oc

garder sa tête après ça et s’il n’a pas sa radio c’est encore pire, il te fait deve-
nir fou [...]. »
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D

Et encore, en parlant des efforts quotidiens avec Michele :


ok

« C’est dur, comme c’est tous les soirs avec Michele, parce que quand il
Bo

rentre du centre à la maison, c’est encore un travail, ces heures qu’il faut
attendre pour que la nuit arrive. C’est dur le soir de dire : “Aujourd’hui c’est
ed

fait, demain qui sait.” C’est dur pour une personne de dire toujours comme
M

ça, parce que c’est un tunnel sans issue, il n’y a pas de lumière dehors, c’est
la nuit... Et pourtant c’est comme ça [...]. Le dimanche quand il y a congé on
va sur la place, on est habitués au village à aller au bar, bavarder un peu, on
reste un moment et puis on rentre à la maison. Je vais à la maison et je sais
déjà ce que je trouve. Elle est en colère : “Je ne sais plus quoi en faire.” J’ar-
rive, lui il descend, puis il commence à tourner une demi-heure, une heure
ou peut-être une heure et demie. Puis, peu à peu, il remonte et alors à ce
moment-là ce n’est plus la peine de penser aller à R... Je vais dans les
champs, je me défoule. C’est une pauvre vie. »

Comme Giuliano et Lucia d’autres parents disent aussi : « Tu t’uses »,


« Tu n’en vois pas la fin ».
Giuliano et Lucia, surtout au début des discussions de groupe,
montraient de l’attachement à leur « situation folle », et de la résistance à
accepter les solutions alternatives possibles ou à reconnaître l’impossibilité
de vivre leur « pauvre vie », aplatie sur la nécessité de satisfaire les besoins
et les caprices de Michele, même les plus superficiels. Le « non » avait été
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130 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

banni de leur vocabulaire, comme pour souligner l’impossible continuité de


leur présence en tant que parents qui ne se limitent pas à assister et
prendre soin de l’enfant, mais donnent aussi des limites, des règles.

DE LA FAUTE À LA RESPONSABILITÉ

Comment sortir de la logique de la culpabilité ? Comment rompre


l’immobilité de l’éternel présent dans lequel sont plongés les parents ?
Comment les aider à sortir d’une vie, si ce n’est inhumaine, du moins non
humaine, et à redécouvrir le sens de l’humain pour eux-mêmes et pour
leurs enfants ?
Souvent les parents, laissés seuls, s’enfoncent toujours davantage

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dans la culpabilité éternelle, avec toutes les conséquences dramatiques
que nous avons vues. Mais que veut dire « laissés seuls » ? En Italie,
Z
comme en France, il y a des institutions, des organismes privés et publics
D
qui s’occupent d’aider concrètement les parents, en offrant une assis-
oc

tance à domicile, des lieux où laisser les enfants quelques heures par jour
ou pour des périodes plus longues, il existe des subventions aux familles,
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D

des enseignants chargés du soutien scolaire à l’école... On pourrait donc


ok

penser que les parents ne sont pas laissés seuls. Il est vrai qu’ils ne sont
Bo

pas abandonnés à eux-mêmes sur le plan concret et que cela les soulage
de leur charge quotidienne et de la responsabilité de s’occuper seuls des
ed

enfants handicapés. Mais si la réponse à leurs demandes d’aide reste,


comme il advient souvent en Italie, seulement sur le plan des interven-
M

tions concrètes, en soi utiles et indispensables, elle ne les aide pas à


penser. « Aidez-nous à penser », a demandé un père durant une
rencontre au cours de laquelle étaient illustrées toutes les opérations
concrètes qu’une association avait l’intention de réaliser.
Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir une aide concrète, mais
qu’il ne doit pas y avoir que cela. La réponse sociale semble quelquefois
prendre la forme de la manipulation du besoin, afin d’éliminer le senti-
ment de culpabilité qui touche tous ceux qui s’occupent de handicap,
parents, intervenants, médecins, psychologues, thérapeutes... Dans le
domaine du handicap en effet la prégnance de la culpabilité est telle
qu’elle nous touche tous directement. Nous aussi, professionnels, avons
du mal à établir des relations avec les personnes handicapées ou les
membres de leur famille sans être affectés par un sentiment de culpabi-
lité, plus ou moins intense et conscient. Le malaise se manifeste de
diverses façons : des tentatives immédiates pour remédier aux insuffi-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 131

DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 131

sances apparues durant les séances avec les parents, les frères et sœurs,
les enfants handicapés, aux questions que nous nous posons du type :
« comment est-il possible de vivre dans une telle condition de souf-
france ? » et aux pensées telles que : « s’il était mort, cela aurait certai-
nement été mieux pour lui et pour ses proches », ou bien :
« heureusement que ça ne m’est pas arrivé à moi ». Le fait d’apporter
une aide immédiate, pour une part le produit de nos aspects omnipo-
tents, peut donc de manière illusoire constituer un moyen de se mettre
à l’abri de la culpabilité de celui qui sent avoir échappé à un danger ou
au risque d’un dommage très grave. En outre, cela nous fait nous sentir
« bons » et cela nous protège de sentiments et de pensées peu tolé-
rables et difficiles à reconnaître, comme le désir d’éloigner de sa vue des

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personnes aussi atteintes ou les pensées de mort qui les concernent.
L’évitement, implicite dans l’aide immédiate et exclusivement concrète,
Z
peut alors représenter un bon compromis pour s’accommoder de senti-
D
ments aussi inacceptables, pour nous aussi.
oc

L’origine de beaucoup de méprises et d’aspects pathologiques dans


les relations avec les personnes handicapées se trouve dans la tentative,
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D

de la part de parents, mais aussi de beaucoup de soignants et de profes-


ok

sionnels, d’oblitérer ou de banaliser ces sentiments, par exemple à


Bo

travers la création de la « mystique de l’aide » et/ou de la « mystique de


la souffrance », considérées comme expiation et acquisition de récom-
ed

penses futures, le paradis entre autres. Ou bien, dans un autre registre,


à travers l’idéalisation de la personne handicapée (« mon fils est
M

merveilleux », « mon fils est très beau ») et de la vie à ses côtés (« vivre
avec lui m’a appris beaucoup de choses »), idéalisation qui inévitable-
ment comporte une énorme charge de négations, négation de l’enfant
imaginé (« aujourd’hui je ne voudrais pas un autre enfant que lui »),
négation des désirs, confondus avec le besoin, expiatoire ou non, de se
dédier constamment à lui. Cette façon de fonctionner, cependant, a
souvent comme résultat des folies à deux ou de toute la famille, si ce
n’est des infanticides réels ou imaginaires, dans lesquels la vie est annu-
lée et détruite, en soi et chez l’autre.
Nous croyons donc que non seulement les parents, mais avant eux
encore les intervenants et quiconque s’occupe de handicap, doivent être
aidés à sortir de la logique de la culpabilité éternelle.
Mais comment ? Pour sortir de la culpabilité, un passage éthique
fondamental est nécessaire, celui d’assumer notre responsabilité. Mais de
quel type de responsabilité parle-t-on ? Au fond, les parents, de même
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 132

132 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

que le personnel et les institutions, prennent en charge les personnes


handicapées, ils assument les responsabilités déterminées par la situa-
tion. Nous pensons toutefois que ce type de responsabilité est l’expres-
sion d’une « responsabilité envers l’Autre » et non d’une « responsabilité
pour l’Autre », pour reprendre la distinction faite par Bauman 16 sur les
traces des réflexions de Lévinas. C’est une responsabilité qui présuppose
qu’on pense à la place de l’Autre, et non qu’on pense l’Autre, lui-même,
avec ses qualités, ses différences, sa singularité.
La première est la responsabilité envers « les règles, les partisans des
règles, les gardiens des règles », la seconde est la responsabilité du
« bien-être et de la dignité de l’Autre 17 » et elle naît de la rencontre
transgressive, amoureuse et inconditionnée avec le Visage de l’Autre. La

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responsabilité envers s’adresse au gardien des normes sociales et a pour
but l’adhésion rassurante à un ordre préexistant, la responsabilité pour,
Z
par contre, s’oriente vers la rencontre avec la personne pour préserver sa
D
dignité et sa liberté. La responsabilité envers l’Autre engendre garde et
oc

assistanat, la responsabilité pour l’Autre présuppose et engendre le


respect pour la subjectivité, elle favorise l’expansion et la liberté. Dans le
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D

premier cas, on est responsable pour ne pas percevoir le regard de


ok

désapprobation du voisin ou de la société, dans le second, on est respon-


Bo

sable après avoir perçu le regard de souffrance ou de malaise, de


demande d’aide ou de soin et de protection de l’Autre rendu individu, le
ed

regard de cet Autre qui n’est semblable au regard de personne d’autre.


La responsabilité pour naît de la perception de l’unicité de l’Autre – dans
M

la responsabilité envers, comme dans la faute « sans visage », le visage


de l’autre reste indistinct derrière l’effort pour se conformer aux règles
sociales, « morales », internes...
La responsabilité pour implique la capacité de transgresser, d’aller au-
delà et parfois contre les normes établies, et elle a pour horizon le futur
porteur de possibilités. En effet, elle présuppose la conscience que « les
choses ne doivent pas être nécessairement comme elles sont actuelle-
ment, qu’elles peuvent être modifiées, et peut-être même amélio-
rées 18 ». Mais penser que le monde puisse être différent de ce qu’il est,
qu’il est possible d’agir de manière différente, signifie d’une part faire des

16. Z. Bauman, « Conversations with Zygmunt Bauman », 2001, tr. it. Società, etica, poli-
tica. Conversazioni con Zygmunt Bauman, Milano, Cortina, 2002.
17. Ibid.
18. Ibid.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 133

DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 133

choix et d’autre part dire « non », désobéir à la souffrance et à l’inévita-


bilité de la condition existante. Pour les parents cela signifie désobéir à
l’éternité de leur souffrance et de leur culpabilité et à l’inévitabilité de leur
malheur.
Désobéir au malheur sert à transformer l’attachement obéissant à
l’évidence rassurante et à l’éternité d’une situation, représenté par la
phrase : « C’est comme ça et ça ne changera pas », en la possibilité créa-
tive, transgressive, mais aussi douloureusement incertaine de la ques-
tion : « Qui sait comment ça sera ? ». Mais pouvoir penser cette question
signifie avoir porté à terme un cheminement de récupération de la dignité
et de la créativité, que Bauman appelle de manière significative la
« beauté de l’homme ». Pouvoir penser la possibilité signifie alors, d’un

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côté, préserver l’intégrité de sa dignité, c’est-à-dire la capacité de
« protester » contre les aspects douloureux et désagréables de la vie 19 ;
Z
de l’autre cela signifie re-chercher toujours et de nouveau la beauté
D
entendue comme « expression de la capacité humaine de créer et de
oc

penser un monde différent 20 », d’aller au-delà du malheur.


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D

RESPONSABILITÉ DE NOTRE RESPONSABILITÉ


ok
Bo

Mais comment est-il possible d’aider les parents à sortir de la logique


de la culpabilité et à assumer leurs responsabilités envers eux-mêmes,
ed

leur enfant handicapé, les autres enfants ? Et quelle est à la lumière de


ces considérations la tâche du thérapeute d’un point de vue éthique ?
M

Comment se caractérise son « agir éthique » face au handicap ?


Une des réponses possibles est « en ne les laissant pas seuls » dans
l’enfer de leur quotidien, mais aussi avec celui de leurs pensées et de
leurs sentiments. Les laisser seuls signifie laisser les parents, mais aussi
les frères et sœurs en bonne santé accepter cette situation, et finir par
en faire partie au point de ne plus la voir. Ne pas les laisser seuls veut
dire, pour paraphraser la citation initiale de Calvino, les aider à chercher,
à savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et
le faire durer – et lui donner de la place. Pouvoir écouter et penser l’ap-
paremment inécoutable et impensable, pouvoir se dire les non-dits,
pouvoir jouer avec son enfant handicapé, pouvoir se séparer de lui

19. Ibid.
20. K. Tester, « Introduzione », dans Z. Bauman, Società, etica, politica, op. cit., 2001.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 134

134 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

comme de n’importe quel autre enfant, pouvoir penser à un avenir pour


lui et pour soi-même, ce n’est pas l’enfer. Ne pas les laisser seuls afin qu’à
leur tour les parents ne laissent pas seuls les enfants valides ou handi-
capés, qu’ils ne les laissent pas seuls dans la faute d’être des frères ou
des sœurs valides ou d’être des enfants déficients parce que, comme le
souligne Simone Korff-Sausse 21, « aux enfants la vérité, quelle qu’elle
soit, est préférable aux non-dits et aux faux-semblants ».
L’agir éthique réside alors dans le respect de l’Autre et de la tâche qui
nous a été assignée par notre rôle et par nos connaissances, à savoir :
permettre que ces sentiments et ces pensées viennent au jour pour
éviter de les agir et qu’ils soient agis ; rendre aux parents le droit de
« prendre soin d’eux », considéré comme un fait vital et salutaire, même

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pour l’Autre, et de vivre de la meilleure façon possible, avec les limites
que chaque existence doit affronter ; libérer par conséquent de la culpa-
Z
bilité et favoriser le passage au choix responsable, en permettant par
D
exemple aux parents d’exprimer et/ou d’accepter même la possibilité de
oc

confier l’enfant aux soins d’autres personnes, et en permettant aux


opérateurs d’écouter de manière responsable la demande de séparation
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D

de ces derniers. En d’autres termes, redonner le courage, avant tout aux


ok

parents, mais aussi à qui s’occupe de handicap, d’éprouver ce qu’ils


Bo

éprouvent. La conscience de leurs propres sentiments, pensés et non


agis, peut aider, tant les opérateurs que les parents, à créer et à mainte-
ed

nir un rapport et un dialogue authentique avec l’enfant et la personne


handicapée, fondés sur le respect de l’Autre et sur sa reconnaissance.
M

Ne pas les laisser seuls signifie parfois prendre des responsabilités


pour eux et pour leurs proches avant même qu’ils puissent les prendre
eux-mêmes, par exemple en les « obligeant » de manière transgressive
à chercher et à faire durer un espace pour eux-mêmes, un espace distinct
de l’éternelle circularité de l’assistance quotidienne, où tout n’est pas
perdu, un espace de jeu et de pensée, un espace de vérité et donc de
créativité, où chacun peut penser ses propres pensées, comme dit
Bion 22, et sentir ses propres sentiments, qu’ils soient bons ou mauvais.

21. S. Korff-Sausse, D’Œdipe à Frankenstein. Figures du handicap, Paris, Desclée de Brou-


wer, 2001, p. 32.
22. W.R. Bion, 1967, Second Thoughts. Selected Papers of Psychoanalysis, tr. it. Analisi degli
schizofrenici e metodo psicoanalitico, Roma, Editore Armando Armando, 1994.
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DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION 135

Où chacun peut éprouver ce qu’il éprouve 23, sans se sentir un monstre.


Nous devons utiliser notre autorité professionnelle pour autoriser les
parents à chercher et à faire durer cet espace, pour justifier qu’ils
donnent droit de cité aux sentiments et aux pensées extrêmes, de façon
à éviter que ceux-ci, d’autant plus présents qu’ils sont refoulés, n’enva-
hissent le quotidien et qu’ils ne fassent irruption dans les relations, en les
entachant de destructivité.
L’obligation peut sonner comme un mot scandaleux dans un contexte
psychanalytique, mais il peut y avoir une obligation éthique à aider les
parents à « désobéir » à la circularité des négations, de la banalisation,
du concret obsessionnel, de l’expiation, pour pouvoir regarder le Visage
des enfants déficients et valides et répondre avec responsabilité à leur

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besoin de savoir, de pensée et de sentiments authentiques. En effet,
d’une part, « l’enfant atteint d’une anomalie rencontre le plus souvent
Z
des dénégations ou des banalisations évasives, lorsqu’il cherche à savoir
D
ce qu’il a ou ce qu’il est. Non-dits sur ses origines ou la réalité de son
oc

handicap ; faux-semblants au sujet des sentiments et des attitudes des


adultes à son égard 24 » ; d’autre part la peur des pensées et des senti-
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D

ments ambivalents vis-à-vis de l’enfant handicapé est transmise implici-


ok

tement aux frères et sœurs. Comme le souligne Simone Korff-Sausse 25,


Bo

l’enfant handicapé, comme tout enfant, « veut savoir, même la haine, la


mutilation, le désir de meurtre », et son frère ou sa sœur a besoin de
ed

savoir que sa colère, son désir de mort à son égard ne sont pas une
monstruosité anormale, mais l’expression normale, même si elle est
M

extrême, de la souffrance et de la conflictualité humaines.


Comme il y a un devoir éthique social envers les plus faibles, il y a un
devoir pour nous à assumer la responsabilité de notre implication envers
les parents et les enfants 26, les faibles et les humiliés de cette situation,

23. G. Pellizzari, L'apprendista terapeuta. Riflessioni sul « mestiere » della psicoterapia,


Torino, Bollati Boringhieri, 2002, p. 34.
24. S. Korff-Sausse, D’Œdipe à Frankenstein, op. cit.
25. S. Korff-Sausse, D’Œdipe à Frankenstein, op. cit.
26. Être responsable, en effet, signifie aussi écouter et répondre à une demande, souvent
implicite, de soin et de respect. La responsabilité « présuppose quelqu'un qui m'adresse un
appel primordial, d'un lieu indépendant de moi, à qui je dois rendre des comptes. Il me
parle de quelque chose qu'il m'a confié et me demande d'en prendre soin » (Buber, 1936,
p. 234). La responsabilité, donc, est une des conditions fondamentales pour qu'une relation
humaine soit empreinte d'amour et authentique.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 136

136 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

en ne devenant pas complice du besoin de non-pensée et de non-vérité,


que ce soit le leur ou celui de la collectivité, afin que les parents puissent
récupérer le sens de leur devoir éthique de rompre la chaîne transgéné-
rationnelle de « la culpabilité sans visage », pour donner dignité et créa-
tivité aux enfants, pour leur donner de la beauté.
Enfin, pour paraphraser Bauman 27, nous ne pensons pas que celui ou
celle qui s’occupe des aspects les plus profonds de la « réalité humaine
puisse être neutre sur le plan éthique ». Notre choix est entre « la fidé-
lité aux humiliés et à la beauté, d’une part, et l’indifférence aux deux, de
l’autre », entre assumer et refuser d’assumer la responsabilité de notre
responsabilité.

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D
ok
Bo
ed
M

27. Z. Bauman, Società, etica, politica, op. cit.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 137

Anne Brun

Questions éthiques
et autisme en pratiques institutionnelles

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D

L’autisme confronte les soignants, sans doute davantage que bien


d’autres pathologies, à des questions éthiques, inscrites au cœur même
ok

du quotidien, dans toute prise en charge institutionnelle. Cette majora-


Bo

tion des problèmes éthiques soulevés par le soin aux autistes s’enracine
dans la question du sujet, que ne cesse de poser « l’énigme » de l’au-
ed

tiste 1, lui-même objet de nombreuses controverses : s’agit-il d’un handi-


M

cap, au sens d’une atteinte organique, ou d’une maladie mentale ? Les


autistes relèvent-ils d’un apprentissage à visée rééducative ou d’une prise
en charge psychothérapique ? Ces questions fondamentales s’intriquent
étroitement aux problématiques d’ordre éthique, d’autant plus que l’au-
tisme ne cesse de confronter les soignants à des formes de désubjecti-
vation, voire de déshumanisation : il est extrêmement difficile, en effet,
de nous sentir souvent inexistants, non reconnus dans notre humanité
même, par ces patients auxquels nous prodiguons nos soins.
C’est à partir de ma pratique de psychologue en pédopsychiatrie,
dans le cadre d’un hôpital de jour ou de centres médico-psychologiques,
que je propose une interrogation autour d’une possible éthique du sujet,

Anne Brun, psychologue clinicienne, maître de conférences en psychopathologie, institut de


psychologie, université de Lyon 2.
1. D. Ribas, L’énigme des enfants autistes, Paris, Hachette Littératures, 1992.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 138

138 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

dans l’autisme : il s’agira, ici, bien moins de proposer des réponses que
de tenter de dégager les questions éthiques soulevées par toute tenta-
tive de psychothérapie institutionnelle de l’autisme. J’envisagerai d’abord,
à partir d’une situation concrète, les problèmes éthiques liés à une éven-
tuelle indication de psychothérapie, pour des enfants présentant des
comportements autistiques corrélés à une atteinte organique clairement
identifiée. À partir des vécus contre-transférentiels des soignants, il
s’agira de s’interroger sur les modalités d’une prise en charge, qui
confronte souvent les thérapeutes à des situations extrêmes, où se pose
la question des limites entre humain et non humain. Ce sont alors les
conceptions mêmes de l’éthique du soin qui sont engagées, et je traite-
rai alors plus particulièrement la question difficile de l’implication du corps

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des thérapeutes, sollicités par les enfants autistes, dans les cadres théra-
peutiques. Enfin, loin de conclure, en toute bonne conscience, sur un
Z
rappel lénifiant de positions éthiques qui apparaîtraient indispensables
D
dans la prise en charge des enfants autistes, nous verrons comment les
oc

positions éthiques les mieux intentionnées des thérapeutes peuvent


paradoxalement constituer des obstacles au soin, tant des enfants
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D

autistes que de leurs parents.


ok
Bo

ATTEINTE ORGANIQUE ET INDICATION DE PSYCHOTHÉRAPIE


PSYCHANALYTIQUE ?
ed

Les querelles à propos de l’étiologie de l’autisme, opposant les


M

tenants d’une approche cognitive, neurodéveloppementale, soit les


points de vue de la génétique et des neurosciences, aux défenseurs
d’une approche psychodynamique, voire psychanalytique, sont désormais
bien connues. D’un côté, l’approche cognitive et neurodéveloppementale
s’appuie sur la représentation d’un handicap, qui renvoie à un déficit
d’ordre organique nécessitant une rééducation fonctionnelle, de l’autre,
l’approche psychanalytique met l’accent sur les facteurs environnemen-
taux, en particulier sur une « dysrégulation émotionnelle plurifacto-
rielle 2 ». Autrement dit, l’approche organogénétique, centrée autour de
troubles d’ordre neurophysiologique, s’opposerait à une approche

2. G. Haag, « Comment les psychanalystes peuvent aider les enfants avec autisme et leur
famille », dans B. Golse, P. Délion (sous la direction de), Autisme, états des lieux et hori-
zons, Toulouse, érès, 2005, p. 121, nouv. éd. 2006.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 139

QUESTIONS ÉTHIQUES ET AUTISME EN PRATIQUES INSTITUTIONNELLES 139

psychogénétique, qui souligne au contraire l’origine psychique de l’au-


tisme, conçu généralement comme une défense contre des angoisses
primitives catastrophiques. Or, des psychanalystes, comme Geneviève
Haag, insistent sur l’urgence à « lutter contre le clivage qui continue à
sévir entre les points de vue des sciences cognitives, de la génétique et
des neurosciences, d’une part, et les points de vue psychodynamiques,
d’autre part 3 ». Une vision plurifactorielle de l’autisme se développe
actuellement, qui intrique les facteurs génétiques et les facteurs environ-
nementaux, et peut, dans certaines institutions, aboutir à la proposition
de différents types de prise en charge, dans des cadres-dispositifs diffé-
renciés, qui relèvent tantôt d’une visée rééducative, tantôt d’une visée
psychothérapique, référée au champ psychanalytique. Comme le souli-

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gnent G. Haag 4 et A. Ciccone 5, qui proposent un état des lieux de ces
questions, ces modèles divergents, entre les thérapies cognitivistes,
Z
neurodéveloppementales et les thérapies psychanalytiques, tendent
D
actuellement à se rapprocher car les psychanalystes s’intéressent aux
oc

études développementales – comme celles d’A. Bullinger 6 sur les senso-


rialités et les plateformes tonico-émotionnelles – ou encore aux
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D

recherches cognitivistes sur les modes de traitement de l’information et


ok

des émotions chez l’enfant et le sujet autiste 7, tandis que les cognitivistes
Bo

prennent de plus en plus en compte les dimensions émotionnelles dans


l’expérience subjective et dans le lien intersubjectif 8.
ed

Il paraît donc abusif d’opposer, de façon simpliste, approche


psychanalytique et prise en compte d’atteintes organiques, d’autant plus
M

que, même avant les développements des recherches actuelles, les


grands théoriciens de l’autisme, comme F. Tustin ou D. Meltzer, ont
évoqué la possibilité de troubles organiques : F. Tustin 9 avance l’idée

3. Ibid., p. 119.
4. Ibid.
5. A. Ciccone, « Psychopathologie du bébé, de l’enfant et de l’adolescent », dans R. Rous-
sillon (sous la direction de), Manuel de psychologie et de psychopathologie. Clinique géné-
rale, Paris, Masson, 2007, p. 277-399.
6. A. Bullinger, Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars, Toulouse, érès,
2004.
7. J. Hochmann, P. Ferrari et coll., Imitation, identification chez l’enfant autiste, Paris,
Bayard, 1992, p. 79-104.
8. R.P. Hobson, Autism and the Development of Mind, Hove, Lawrence Erlbaum, Associates
Publishers, 1993.
9. F. Tustin, 1981, Les états autistiques chez l’enfant, Paris, Le Seuil, 1986 ; 1990, Autisme
et protection, Paris, Le Seuil, 1992.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 140

140 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

d’une constitution particulièrement fragile du bébé, liée à une prédispo-


sition génétique ou au vécu intra-utérin, et Meltzer 10 désigne par le
terme d’« équipement inadéquat » la possibilité d’une origine biologique,
à la source d’une symptomatologie d’ordre autistique. Ils ont souligné
que de tels cas relèvent aussi d’une approche psychothérapique, qui
pourra les aider à progresser.
Il n’en reste pas moins que, sur les terrains d’accueil des autistes, la
connaissance de maladies d’ordre génétique – ayant affecté l’enfant et
provoqué des troubles d’ordre autistique – entrave fondamentalement les
perspectives d’approche psychothérapique, comme si le destin de l’enfant
était scellé par le biologique. C’est ici, précisément, qu’intervient la perti-
nence d’un questionnement d’ordre éthique, que je préciserai à l’aide

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d’un exemple clinique.
Sybille est âgée de 8 ans au moment de l’engagement d’une psychothérapie
Z
hebdomadaire, dans un cadre hospitalier. Elle est accueillie la journée et
D
certains soirs dans un internat séquentiel. J’ai la fonction de « psychothéra-
oc

peute » de secteur, dans un local de l’hôpital, et j’accueille en psychothéra-


pie deux enfants par service : dans ce cadre, l’indication de thérapie est
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D

formulée par le lieu d’accueil de l’enfant, qui m’adresse généralement les


ok

parents et l’enfant pour une première rencontre. En ce qui concerne Sybille,


je reçois d’abord deux soignants de l’équipe de l’internat, la référente de
Bo

cette petite fille et la psychologue du service. J’apprends que cette indication


ed

était une décision groupale de l’ensemble de l’équipe consultée sur le choix


des enfants qui pourraient bénéficier d’une thérapie. La psychologue, en
M

laquelle j’ai une entière confiance, précise qu’elle était, pour sa part, oppo-
sée au choix de cette enfant, car Sybille a eu, à la naissance, une maladie
génétique invalidante ; elle lui semble donc moins autiste que handicapée.
Dans cette perspective, il lui semble dommage de réserver une possibilité de
thérapie, si difficile à obtenir dans le cadre hospitalier, à une enfant qui n’a
guère les moyens d’en profiter, alors que d’autres indications lui auraient
semblé plus pertinentes. L’équipe a maintenu son option d’une psychothéra-
pie pour Sybille, car elle se sent particulièrement en difficulté avec cette
petite fille énigmatique, d’apparence souvent impassible, mais qui peut
parfois se mettre dans des états extrêmes, avec un débordement de pleurs ;
elle est alors inconsolable et on ne parvient à repérer aucune cause à ces
crises. La psychologue pondère alors ses propos en disant qu’elle peut se

10. D. Meltzer et coll., 1975, Explorations dans le monde de l’autisme, Paris, Payot,
nouv. éd. 2002.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 141

QUESTIONS ÉTHIQUES ET AUTISME EN PRATIQUES INSTITUTIONNELLES 141

tromper ; il a été convenu avec l’équipe que j’évaluerai, après un an de


psychothérapie, l’opportunité de continuer cette prise en charge !
Lors du premier rendez-vous avec Sybille et ses parents, je découvre une
enfant qui présente des symptômes autistiques typiques, avec des difficultés
majeures de communication, peu de langage, quelques mots toutefois tels
que « cassé », « maman », « papa », et une impossibilité de dessiner sur
une feuille sans la déchirer… La famille dans son ensemble paraît très mobi-
lisée par cette enfant, que tous « adorent », selon les mots de la mère. Après
avoir appris le diagnostic de maladie génétique, peu après son accouche-
ment, cette mère dit s’être effondrée durant au moins un an, persuadée que
son enfant, comme l’avait annoncé le médecin, vivrait en fauteuil roulant,
sans parler ni marcher. Le père, pour sa part, affirme qu’il a dit aussitôt que
sa fille marcherait et il a passé, comme toute la famille, des heures à la

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stimuler. Aujourd’hui, elle marche normalement et les parents espèrent que
la psychothérapie l’aidera à parler et à exprimer ses sentiments, car ils ont
Z
du mal à saisir ce qu’elle peut avoir dans la tête.
D
La thérapie s’engage, j’essaie différentes médiations avec cette enfant,
oc

dessin, pâte à modeler, jeux… Quelques mois s’écoulent : le graphisme


n’évolue guère, elle lance des traits sans possibilité de retour et troue
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D

souvent la feuille ; elle se contente de coller la pâte à modeler contre diffé-


ok

rents objets ; elle reste très statique pendant la séance ; elle touche les
jouets sans les utiliser et ne s’engage guère dans les jeux, tout en me suivant
Bo

du regard. Je capte désormais son attention, mais je ne me sens pas recon-


nue par elle comme une personne différenciée ; elle me paraît collée à moi
ed

de façon adhésive et elle utilise ma main ou mon bras comme une partie
M

d’elle-même. Pendant les séances, j’ai tendance à avoir envie de dormir et à


me sentir dévitalisée.
Je me sens inefficace, d’autant plus impuissante que l’équipe et les parents
attendent des résultats rapides de la psychothérapie, très investie de part et
d’autre. Je ne cesse de penser que cette enfant a une maladie génétique, aux
conséquences bien connues, et j’éprouve aussi de la colère contre cette équipe
qui m’assigne une tâche qui me paraît impossible et vouée à l’échec. Face au
sentiment d’impuissance qui m’assaille, j’évoque, dans le cadre d’une supervi-
sion consacrée à un autre enfant autiste, mon travail avec Sybille, une seule
fois. Je comprends alors que je suis en train de revivre la dépression de la mère
à la naissance de sa fille : tout se passe comme s’il m’était impossible d’espé-
rer un progrès, comme si j’adhérais aux propos de ma collègue psychologue et
à ceux du médecin annonceur du handicap. D’ailleurs, quoique davantage en
difficulté avec Sybille, je ne l’ai pas choisie comme cas de supervision, pensant
qu’elle était moins intéressante que les autres enfants en thérapie !
Je retrouve espoir et il me semble a posteriori que Sybille s’est peu à peu
animée dans les séances, en même temps que moi. Durant cette psychothé-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 142

142 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

rapie, j’ai souvent théâtralisé – avec mes mimiques, mes gestes et mes into-
nations – ses ébauches de mouvements ou de langage, fonctionnant en
miroir en double 11 avec elle, et éprouvant de plus en plus un plaisir partagé
avec cette enfant, qui a investi progressivement l’espace de la thérapie, le
dessin, la pâte à modeler et aussi les marionnettes ! Je me souviens avoir été
très impressionnée, un an environ après le début de la thérapie, un jour où
je l’ai sans doute lâchée trop vite du regard pour ouvrir la porte à la fin de
la séance et où elle est soudain tombée raide à terre, d’un coup, derrière moi.
Je ne pouvais évidemment plus l’abandonner et cette thérapie a duré cinq
ans, prolongée d’un an encore après le départ de cette enfant dans une insti-
tution (IMP) extérieure à l’hôpital.
Mon propos n’est pas d’évoquer le déroulement de cette psychothérapie : je
préciserai simplement qu’à treize ans, elle parlait en utilisant le « je » et les

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autres pronoms, et prononçait des phrases, certes sommaires, mais avec
sujet, verbe et complément ; elle pouvait aussi exprimer une large gamme
Z
d’émotions. Elle ne paraissait plus énigmatique ni au personnel de l’internat
D
ni à ses parents ; on pouvait aisément entrer en lien avec elle ; elle jouait
beaucoup, en sollicitant les autres ; elle avait des élans de tendresse, tout
oc

comme des moments de tristesse ou de colère, mais son entourage à l’una-


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D

nimité remarquait qu’elle paraissait souvent gaie. Par ailleurs, elle était deve-
nue une adolescente très coquette comme sa mère et ses sœurs, avec un
ok

éveil évident de sa sexualité.


Bo

Ce processus montre que cette enfant, dans les différents moments de sa


vie, a toujours été considérée par l’un ou l’autre comme un sujet à part
ed

entière, capable de progrès : d’abord le père, qui a peu à peu redonné espoir
à la mère, ensuite l’équipe de l’internat qui, d’abord découragée, s’est forte-
M

ment remobilisée, comme je l’ai appris ensuite, autour de l’idée de la théra-


pie, et moi-même, qui ai ressenti à un moment la nécessité d’en référer à
une personne tierce pour sortir de mon sentiment d’impuissance et de mes
vécus de dévitalisation.

Pour ma part, j’ai retiré de cette expérience, survenue au début de


ma pratique avec des pathologies autistiques, la conviction de la néces-
sité d’un positionnement éthique fondamental de la part des soignants :
en deçà de toute atteinte organique, de tout dysfonctionnement neuro-
cérébral, d’ordre génétique, n’importe-t-il pas de considérer a priori qu’il
n’y aurait pas d’indication de psychothérapie « meilleure » qu’une autre ?

11. R. Roussillon, « L’homosexualité primaire et le partage de l’affect », dans D. Mellier


(sous la direction de), Vie émotionnelle et souffrance du bébé, Paris, Dunod, 2002,
p. 73-89.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 143

QUESTIONS ÉTHIQUES ET AUTISME EN PRATIQUES INSTITUTIONNELLES 143

La vocation d’une psychothérapie n’est-elle pas d’œuvrer à la construc-


tion de la psyché, quel que soit le handicap neurophysiologique ? Au
demeurant, comme le rappelle G. Haag 12, l’influence des facteurs rela-
tionnels sur l’expression du génome (épigenèse) et sur le développement
cérébral précoce s’avère de plus en plus reconnue et conforte l’espoir des
psychanalystes d’avoir un impact, tant sur le plan éducatif que sur le plan
thérapeutique. Enfin, quelle que soit l’ampleur de l’atteinte organique, ne
s’impose-t-il pas comme une évidence que chaque sujet mérite considé-
ration et prise en compte de sa souffrance psychique ?
Or, justement, l’autisme pose de façon centrale la question de l’ap-
partenance à l’humain, car cette pathologie attaque souvent les racines
mêmes du sentiment d’humanité. Les enfants autistes donnent en effet

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souvent le sentiment aux soignants d’être inanimés, robotisés, voire
inexistants, vécus typiques du registre de l’identification adhésive. J’ai
Z
souvent entendu, au cours de supervisions dans le cadre institutionnel,
D
des soignants évoquer avec gêne leur sentiment d’être pour ces enfants
oc

des « plantes » ou un « meuble » de la pièce, ce qui se corrèle généra-


lement à un profond sentiment d’incompétence. Autrement dit, la
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D

confrontation à la pathologie autistique met radicalement en cause le


ok

sentiment communément partagé d’appartenir au genre humain ! Il


Bo

semble important d’être conscient de ces vécus contre-transférentiels car


ils peuvent induire des représentations de robotisation, au sein de la prise
ed

en charge. Ainsi certaines techniques d’apprentissage spécifiques pour


les enfants autistes comportent-elles une part de robotisation de l’enfant,
M

qui doit acquérir des automatismes de comportement, destinés à lui


permettre un minimum de vie sociale. Ce « dressage » n’est pas sans
convoquer aussi des images de dressage animal. Dans cette mesure, le
questionnement éthique relatif aux différentes méthodes éducatives ne
doit-il pas aussi concerner la place faite à l’humain et au sens des
comportements lors des apprentissages ?
C’est dans cette perspective que j’assurais une supervision hebdomadaire de
l’instituteur de l’hôpital de jour, où j’exerçais en tant que psychologue. Loin
de confondre l’espace thérapeutique et l’espace du scolaire, il s’agissait
notamment, dans cette supervision, de comprendre et de donner sens aux
comportements des enfants autistes confrontés à l’apprentissage ; la visée
éducative était en effet souvent court-circuitée par le déclenchement d’an-

12. G. Haag, op. cit., 2005, p. 121.


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144 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

goisses catastrophiques pour l’enfant. La supervision permettait à l’institu-


teur de décrypter le sens des comportements des enfants et de ses propres
réactions, et ensuite, ce qui ne relevait pas de ma compétence, d’adapter les
exercices qu’il leur proposait.

Ainsi, le choix des méthodes éducatives repose-t-il souvent, implici-


tement, sur des positions d’ordre éthique dans la prise en charge de l’au-
tisme ; de même, le positionnement nécessairement spécifique des
soignants engage nombre de questions éthiques.

ÉTHIQUE DU SOIN : ENGAGEMENT DU CORPS DU THÉRAPEUTE DANS LA PRISE


EN CHARGE DES ENFANTS AUTISTES

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On pourrait ainsi exprimer de la façon suivante un présupposé
éthique, sur lequel s’accordent l’ensemble des thérapeutes : « Ne me
Z
touche pas. » Cette formulation rappelle une injonction du Christ à Marie-
D
Madeleine, après la résurrection, qui a souvent été représentée par les
oc

peintres, dans des tableaux intitulés « Noli me tangere ». Dans la tradi-


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tion chrétienne, cet interdit christique renvoie à l’idée d’une désincarna-
D

tion, où le seul toucher possible devient celui des mots. Or, Freud place
ok

au fondement de tout dispositif psychanalytique cet interdit du toucher,


Bo

et à ce propos, D. Anzieu 13 rappelle, dans Le Moi-peau, que l’interdit


primaire du toucher représente, pour tout un chacun, la condition
ed

première de l’accès à la symbolisation et correspond à la nécessité pour


l’enfant de décoller son corps de celui de ses parents. Tel est bien le sens
M

de l’interdit du toucher, mais cet interdit fondateur n’a pu se mettre en


place dans l’autisme, qui se caractérise par l’absence de constitution du
premier contenant, de nature rythmique, comme l’a indiqué G. Haag 14.
L’expérience clinique de l’autisme montre qu’il serait prématuré d’inviter
d’emblée à la séparation corporelle un enfant autiste, qui a souvent
tendance à aller se coller à l’adulte, et qu’une mise à distance physique
risque d’être vécue par l’enfant comme un arrachement, qui provoquera
des agrippements sensoriels aux objets. Cependant, il serait aussi
dommageable pour l’enfant de laisser perdurer ces contacts adhésifs
sans tenter de les faire évoluer. Il s’agit, paradoxalement, de travailler à

13. D. Anzieu, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1985.


14. G. Haag, « De l’autisme à la schizophrénie chez l’enfant », Topique, n° 35-36, Paris,
Épi, 1985, p. 47-66.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 145

QUESTIONS ÉTHIQUES ET AUTISME EN PRATIQUES INSTITUTIONNELLES 145

partir du corps, en particulier dans des cadres de médiations thérapeu-


tiques 15, pour pouvoir envisager la fin du corps-à-corps et les prémices
d’un processus de séparation.
Cette implication corporelle du thérapeute dans le soin pose plusieurs
questions éthiques. D’abord la question du choix personnel de chaque
soignant, qui peut répugner à ce type de contact, d’autant plus que les
explorations des autistes peuvent être très intrusives, concerner par
exemple la bouche, ou consister en attaques corporelles, notamment du
visage. Ainsi, au sein de l’hôpital de jour où je travaillais, il était convenu
en équipe qu’aucun soignant n’était forcé à supporter un contact
physique vécu comme désagréable ou excessivement intrusif et que
chacun restait libre de poser ses propres limites corporelles.

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Une seconde question éthique concerne le danger d’imposer à l’en-
fant un contact corporel inadéquat, ou potentiellement incestuel. Sur ce
Z
point, l’analyse clinique soutient la démarche éthique : il s’avère parfois
D
difficile à certains soignants de renoncer aux rapprochés corporels, deve-
oc

nus inadéquats au fil de l’évolution de l’enfant autiste.


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D

En témoigne l’exemple suivant d’une infirmière, qui évoque, dans le cadre de


sa supervision, sa stupéfaction devant les attaques d’un enfant autiste, Loïc,
ok

qu’elle connaît de longue date et qui était habituellement calmé par des
Bo

gestes contenants et un contact corps à corps. Ainsi, le rapproché corporel,


indispensable à une époque pour un enfant confronté à des angoisses
ed

massives de liquéfaction ou au sentiment d’être amputé d’une partie de son


corps – et dont l’objectif était de donner à cet enfant qui se collait à l’adulte
M

le sentiment d’avoir en quelque sorte un corps complet qui ne s’écoule pas –,


s’avère nocif lors de l’évolution du même enfant. Loïc était ainsi progressive-
ment passé de l’état autistique sévère, décrit par G. Haag et ses collabora-
trices 16, à une étape symbiotique, ce qui se manifeste par sa façon de
ressentir désormais les rapprochés corporels comme une tentative « d’être
violemment pénétré dedans ». Il me fut particulièrement difficile de faire en
sorte que cette soignante renonce aux contacts corporels avec cet enfant, qui

15. J’ai en particulier montré comment le travail thérapeutique effectué dans le cadre des
jeux d’eau vise à procéder à une intégration sensorielle, défaillante dans la pathologie autis-
tique, que D. Meltzer (1975) caractérise par le démantèlement, et comment cette intégra-
tion sensorielle s’effectue principalement à partir de l’engagement du corps des thérapeutes
dans la relation à l’enfant, qui va se déployer dans tous les registres sensoriels (A. Brun,
2007, p. 243-255).
16. G. Haag, S. Tordjman et coll., « Grille de repérage clinique des étapes de l’autisme
infantile traité », La psychiatrie de l’enfant, vol. XXXVIII, fasc. 2, 1995, p. 495-527.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 146

146 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

lui apportait des satisfactions, dont elle était parfaitement inconsciente : elle
justifiait son attitude par son expérience positive passée, sans vouloir accep-
ter l’évolution de cet enfant, qui se détachait d’elle.

De façon générale, le respect de l’éthique sur cette question des


rapprochés corporels nécessite des espaces de réflexion en équipe et
dans le cadre d’une analyse de la pratique.
Sur le plan clinique, la meilleure façon de faire évoluer cette quête
d’un corps-à-corps chez certains enfants autistes consiste à proposer une
théâtralisation à ces enfants. La mise en jeu du corps des thérapeutes,
associée toujours aux paroles, peut en effet permettre d’intervenir à
certains moments sur le mode de ce que G. Haag 17 dénomme « un
mimodrame interprétatif ». Cet auteur rappelle que, dans le développe-

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ment normal de l’enfant, autour de six mois, la théâtralisation joyeuse de
la mère, le faire-semblant, permet la transformation et l’intégration de la
Z
violence pulsionnelle érotique du bébé ; elle transforme ainsi la griffe en
D
caresse, la morsure en baiser, et permet la mise en fantasme de la partie
oc

destructrice, comme dans le fameux jeu du lion, qui théâtralise dans le


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D

plaisir réciproque le fantasme d’incorporation. Ces théâtralisations de la


première année face à la violence pulsionnelle permettent la régulation
ok

de l’excitation. Cette théâtralisation du plaisir érotique de la violence


Bo

pulsionnelle, dont l’agir serait destructeur mais dont le fantasme est


permis, est fondamentale à la fois pour le processus d’individuation et
ed

pour la possible discrimination entre les mouvements d’amour et de


M

haine. G. Haag indique que « ce tri n’est pas fait dans les psychoses
symbiotiques, et encore moins dans l’autisme, où le gel pulsionnel n’a
même pas permis de l’aborder 18 ». Dans un autre texte, plus récent, elle
précise que, lorsque le processus thérapeutique provoque chez un enfant
autiste un dégel pulsionnel et que surviennent de nouveaux troubles du
comportement comme les « agressions joyeuses du visage », griffures,
tirages de cheveux, voire morsures, autant de témoignages d’un amour
oral, il convient alors de « faire ou reprendre ce que l’on fait normale-
ment dans le deuxième semestre de la vie : faire respecter la limite de la
peau, aider à transformer en caresse, mais surtout théâtraliser la dévo-

17. G. Haag, « Propositions pour la compréhension des différentes formes de violence chez
le jeune enfant », dans B. Lacroix, M. Monmayrant (sous la direction de), Enfants terribles,
enfants féroces, Toulouse, érès, 2000, p. 177-190.
18. Ibid..
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 147

QUESTIONS ÉTHIQUES ET AUTISME EN PRATIQUES INSTITUTIONNELLES 147

ration (jeu du lion), qui est l’un des paliers importants d’instauration du
faire-semblant qui manque tellement aux enfants avec autisme 20 ».
Dans cette perspective, la restauration de ces jeux théâtralisés de la
première enfance me semble une des spécificités de la fonction des
thérapeutes, dans le cadre notamment des thérapies à médiation 20, qui
engagent une possible implication corporelle des intervenants qui n’est
pas sans rappeler certaines modalités du psychodrame. Ces jeux théâ-
tralisés n’ont pas seulement une valeur interprétative en eux-mêmes,
mais surtout ils engagent l’enfant ou le groupe d’enfants dans l’instaura-
tion ou la restauration de modalités de symbolisation de leur violence
pulsionnelle. Ils permettent ainsi de respecter une visée éthique fonda-
mentale, la perspective nécessaire de la séparation corporelle, à ne pas

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imposer, certes, d’emblée aux enfants autistes, mais à ne jamais perdre
de vue.
Z
D
LES POSITIONS ÉTHIQUES COMME ÉVENTUELS OBSTACLES AU SOIN
oc

Paradoxalement, les positions éthiques classiques de respect du sujet


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D

dit autiste, de bienveillance et d’aide à son égard, de dévouement et de


ok

sacralisation de la position soignante, bref, l’ensemble des sentiments


Bo

connotés positivement à l’égard des autistes peuvent constituer un


obstacle puissant au soin. De façon générale, au-delà de la clinique de
ed

l’autisme, S. Sausse 21 relève que « Dans les institutions, les équipes sont
prisonnières de leurs positions éthiques plus ou moins claires, et de leur
M

propre difficulté à admettre des sentiments négatifs face au handicap. »


En ce qui concerne spécifiquement les enfants autistes, il est beau-
coup plus facile d’éprouver de l’empathie que de reconnaître de la haine
à leur égard, qui apparaît pourtant immanquablement dans le vécu
contre-transférentiel des thérapeutes. Winnicott 22 a montré l’importance
de la prise en compte de « la haine dans le contre-transfert », selon le
titre d’un article de 1947, notamment dans l’analyse de psychotiques, qui
nécessite que la propre haine de l’analyste soit si complètement

19. G. Haag, op. cit., 2005, p. 133.


20. Pour des exemples de cette théâtralisation, voir A. Brun (2007).
21. S. Sausse, Le miroir brisé. L’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Paris,
Calmann-Lévy, 1996, p. 177.
22. D.W. Winnicott, 1947, « La haine dans le contre-transfert », dans De la pédiatrie à la
psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 48-58.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 148

148 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

consciente qu’il puisse distinguer et examiner ses réactions objectives à


l’égard du patient. Plus l’analyste en effet identifie sa haine à l’égard des
malades, moins elle pourra influer sur son comportement à l’égard du
patient : « Avant tout, il ne faut pas qu’il [l’analyste] nie la haine qui
existe réellement en lui. »
Winnicott, comme Searles 23, insiste sur l’importance de pouvoir haïr
et de reconnaître sa haine à l’égard d’un psychotique, pour que celui-ci
puisse tolérer sa propre haine de l’analyste et ses propres attaques
destructrices.
Dans le cadre de supervisions, on constate souvent l’effet mutatif de
la reconnaissance de la haine à l’égard de l’enfant, notamment dans des
situations caractérisées par la répétition du même, qui donnent au

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soignant l’impression d’une radicale inefficacité du cadre thérapeutique.
Ainsi, après une longue période, au cours de laquelle un enfant autiste de
Z
8 ans, dans le cadre d’une médiation eau, imposait à son référent infirmier
D
de ne pas bouger, ni parler, ni intervenir, de rester assis au bord de la petite
oc

piscine pendant qu’il se trouvait seul dans l’eau, une interrelation a pu s’en-
clencher, préalable à une notable évolution dans ce cadre thérapeutique, à
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D

partir du moment où l’infirmier, invité dans le cadre d’une supervision indivi-


ok

duelle à évoquer ses pensées, réussit à exprimer à quel point il était envahi
par l’idée obsédante de noyer cet enfant et d’en finir avec lui. Il était porteur,
Bo

du fait de l’identification projective, de la haine de cet enfant à son égard et


ed

de sa crainte d’être noyé par l’adulte ; cette prise de conscience au cours de


la supervision a permis de rendre la relation potentielle beaucoup moins
M

menaçante et mortifère, et l’enfant parvint à accepter la présence de l’infir-


mier dans l’eau, tout en engageant progressivement des jeux avec lui.

Cet exemple témoigne bien du fait que les soignants doivent viser à
l’identification de leurs contre-attitudes et de l’ensemble de leurs senti-
ments et pensées à l’égard des enfants autistes. Le positionnement
éthique correspondant pourrait se formuler de la façon suivante :
l’éthique du soin nécessite paradoxalement de renoncer aux positions
éthiques communément admises, pour laisser place en soi, sans restric-
tion, à tous les types de vécus émotionnels provoqués par la confronta-
tion aux états autistiques. Ce positionnement clinique du thérapeute ne
concerne pas seulement son implication dans le soin aux enfants, mais
aussi son positionnement par rapport aux parents de l’enfant autiste. Il

23. H.F. Searles, 1979, Le contre-transfert, Paris, Gallimard, 1981.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 149

QUESTIONS ÉTHIQUES ET AUTISME EN PRATIQUES INSTITUTIONNELLES 149

suppose particulièrement de ne pas dénier leur éventuelle part de haine


à l’égard de leur enfant, ni de les culpabiliser, mais de les accompagner
dans l’expression de leurs vécus émotionnels négatifs, liés à une
profonde souffrance.
Pour conclure sur ce point, voici un dernier exemple, en dehors du
cadre du soin.
Lors d’une formation destinée à des animateurs de centres de vacances
accueillant des autistes, avec d’autres enfants présentant divers types de
handicaps, j’ai été frappée par le fait que les convictions éthiques particuliè-
rement fortes des animateurs, défendant l’idée de permettre aux enfants
autistes de profiter d’activités de loisirs comme les enfants dits « normaux »,
pouvaient aboutir à des situations extrêmes. Ainsi, l’un des animateurs de

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l’activité voile m’a demandé pourquoi tel enfant restait agrippé au sol, au
fond du bateau, sans même voir la mer, et pourquoi tel autre filait seul vers
Z
le large sur son bateau, droit devant lui, sans écouter ses appels ; il allait
D
alors chercher cet adolescent qu’il retrouvait « tétanisé » sur son embarca-
tion… Ces animateurs, jeunes gens courageux et sympathiques, manquaient
oc

tout simplement d’informations sur la clinique de l’autisme.


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D

De fort louables positions éthiques peuvent ainsi contribuer à placer


ok

les enfants dans des contextes mobilisant pour eux des angoisses primi-
tives catastrophiques, du registre des agonies primitives, décrites par
Bo

Winnicott 24.
ed

En définitive, dans le champ de l’autisme, les questions éthiques


recoupent celles posées par la clinique et elles ne sauraient se traiter
M

indépendamment de leur mise en perspective dans la pratique clinique.


Pour paraphraser Bion 25, ne s’agirait-il pas pour les soignants d’être
« sans mémoire et sans désir », au niveau des choix éthiques, avec,
comme seul impératif éthique, l’ouverture à l’écoute de la clinique et de
leurs vécus contre-transférentiels ?

24. D.W. Winnicott, 1974, « La crainte de l’effondrement », Nouvelle revue de psychana-


lyse, n° 11, 1975, p. 35-45.
25. W.R. Bion, 1970, L’attention et l’interprétation, Paris, PUF, 1979, p. 83-101.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 151

Chantal Lheureux-Davidse

Autisme et handicap :
le choix des thérapeutiques

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Z
D
oc
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D

Dans cet article, j'aimerais faire part de quelques réflexions concer-


nant le choix des thérapeutiques pour des enfants présentant des symp-
ok

tômes massifs de handicap, d'autisme ou d'absence de langage verbal.


Bo

Lorsque les troubles psychiques occupent le devant de la scène, nous


pouvons passer à côté d'un problème physiologique. Au contraire un
ed

handicap moteur peut occulter les troubles psychiques associés. Par


M

exemple, un handicap moteur avec une lésion neurologique non réver-


sible peut faire oublier qu'une partie des troubles psychiques et
physiques pourraient être atténués et même dépassés par le bénéfice
d'un travail psychologique. Je pense aux troubles de l'image du corps qui
peuvent découler en partie d'un handicap moteur ou neurologique mais
qui, par ailleurs, peuvent être majorés, tant qu'un travail thérapeutique
dans la relation n'est pas mis en place. L'amélioration de la construction
de l'image inconsciente du corps a des effets autant psychiques que
physiques puisqu'elle va permettre de diminuer ou d'éviter des angoisses
d'effondrement contre lesquelles les enfants luttent par des tensions
musculaires douloureuses extrêmes. Il serait regrettable de priver un
enfant d'une approche pluridisciplinaire de soins qui pourrait pourtant
limiter des thérapeutiques effractantes voire douloureuses, la pluridisci-

Chantal Lheureux-Davidse, psychanalyste, maître de conférences à l’université de Paris 7.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 152

152 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

plinarité ne prenant du sens que si elle s'inscrit dans une inter et une
transdisciplinarité, comme le souligne Albert Ciccone.

SIDÉRATION ET CLIVAGE

Parfois, certaines situations difficiles à penser sidèrent les processus


de pensée, autant chez le patient que dans les équipes soignantes, parti-
culièrement lorsque les symptômes sont lourds et que des pathologies
diverses s'accumulent. Cela peut provoquer une focalisation sur l'un des
symptômes au détriment des autres troubles. La massivité de l'accumu-
lation de symptômes rend difficile une identification spontanée et suscite
des émotions si fortes qu'elles sont parfois écartées de façon défensive.

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Une installation en clivage entre les ressentis corporels et les pensées
permet d'éviter une confrontation émotionnelle insoutenable. Ces effets
Z
de clivage peuvent aussi se manifester dans notre difficulté à mettre en
D
réseau de liens les origines multiples et complexes des troubles (géné-
oc

tiques, neurologiques, psychiques, etc.).


Un effort d'échange dans les équipes devient nécessaire pour lutter
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D

contre ces effets de clivage et contre une précipitation dans des


ok

recherches de réponses exclusivement médicales afin que les questions


Bo

psychologiques et la considération du patient en tant que sujet ne


passent pas au second plan.
ed

PLACE DE LA CONSTRUCTION DE L’IMAGE DU CORPS


M

Tout ce qui touche au corporel est souvent envisagé dans la dimen-


sion exclusivement médicale, qui se voudrait objective, écartant ainsi le
point de vue psychique, mis hors jeu parce que subjectif.
Or, la construction dans l'intersubjectivité de l'image inconsciente du
corps participe pourtant à l'installation du moi corporel et du sentiment
d'exister. Le fait de travailler cette dimension dans un cadre psychanaly-
tique peut avoir des bénéfices autant psychiques que corporels et peut
même faciliter des soins médicaux quand ils s'avèrent nécessaires.
Lorsque l'image du corps reste précaire, des tensions musculaires
externes (en carapace) ou internes (blocage de la respiration ou de la
digestion) tentent de lutter contre des angoisses d'effondrement tant
psychiques que physiques. Ces tensions provoquent des douleurs corpo-
relles importantes qui prennent la fonction de réanimer le sentiment
d'exister dans son corps.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 153

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES 153

Nous ne négligeons pas la question du handicap neurologique ou


d'origine génétique qui est irréversible. Mais ce sont les troubles associés
d'origine psychique qui sont souvent mis de côté. Ceux-ci peuvent être
mobilisables et parfois réversibles lorsqu'ils touchent à la construction
inconsciente de l'image du corps. Face à des troubles corporels, il n'est
pas toujours évident d'évaluer la part neurologique irréversible et la part
psychique qui pourrait être mobilisée.
Par ailleurs, des blocages relationnels ou des troubles de l'image du
corps gagneraient à être éclairés par les recherches sur le développement
relationnel du bébé et même du fœtus. Cette méconnaissance du travail
psychanalytique sur l'image du corps dans la relation et sur la mise en
place de la relation entraîne l'a priori qu'un suivi psychologique d'orien-

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tation psychanalytique serait inutile quant à la question du corps, comme
s'il n'y avait rien à proposer sur un plan relationnel tant que l'enfant
Z
présente un handicap lourd ou bien encore une maladie dégénérative,
D
une absence de langage verbal ou des retraits autistiques sévères.
oc

POLITIQUE DE SOINS FACE À DES SYMPTÔMES MASSIFS


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D
ok

Nos propres représentations psychiques du handicap, de l'autisme et


Bo

de l'absence de langage verbal sont parfois mises en suspens par la


gravité des symptômes.
ed

Cependant, dans la clinique de l'autisme ou du handicap, chaque


membre de l'équipe soignante est, la plupart du temps, impliqué et
M

concerné par l'enfant. Des fantasmes de sauver ou de guérir l'enfant


peuvent même être activés, dans une illusion de toute-puisssance infan-
tile d'y arriver seul, comme un enfant pourrait être persuadé de pouvoir
résoudre secrètement une situation familiale difficile. Mais cela exclut la
place d'un tiers, comme celle de la prise en compte d'une approche
thérapeutique complémentaire.
Les effets de clivage dans les équipes sont autant induits par les
conséquences d'une sidération face à des situations impensables que par
des effets transférentiels sur les équipes des fonctionnements en clivage
des enfants en grande difficulté.
Si les liens dans les équipes ont du mal à s'établir pour ces raisons,
il devient difficile d'adopter une politique de soins satisfaisante. Nous
devons être vigilants autant pour favoriser le dialogue de points de vue
différents qui ne s'excluent pas toujours que pour analyser le transfert
individuel et institutionnel, afin d'offrir à l'enfant une complémentarité
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 154

154 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

d'approches qui semble la plus bénéfique pour lui et la plus sage pour
dépasser nos propres clivages. De même dans le domaine des appren-
tissages, nous avons à œuvrer pour éviter que s'installent des clivages
entre des approches qui se voudraient exclusivement comportementales
et des approches psychodynamiques.

HANDICAP MOTEUR, AUTISME ET ABSENCE DE LANGAGE VERBAL

Pour illustrer ces propos, j'évoquerai le cas de Dorian, garçon d'une


dizaine d'années, cumulant un handicap moteur, une installation dans l'au-
tisme et une absence de langage verbal. Il se déplace en fauteuil dans une
coquille moulant tout son corps, ne pouvant bouger que la tête et les bras.

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Son retrait autistique et son installation en clivage entraînent un désinves-
tissement de son image du corps, le laissant dans un sentiment d'exister
Z
extrêmement précaire. Il lutte toute la journée contre des angoisses d'ef-
D
fondrement et raidit tous ses muscles en carapace jusqu'à éprouver des
oc

crampes douloureuses permanentes. Il ne supporte pas la vie en groupe,


ne tolère aucun bruit imprévisible, ni même la musique. Toute agitation et
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D

tout changement dans son environnement lui sont particulièrement


ok

pénibles. Il décharge son angoisse en criant de façon stridente. Le moindre


Bo

moment de détente l'angoisse et se solde par des coups de poings qu'il


s'administre sur les mâchoires et sur ses dents, comme pour vérifier sa soli-
ed

dité par les vibrations provoquées sur les parties dures du corps et pour
réveiller son visage comme amputé de l'image du corps, tout en déchar-
M

geant son angoisse. Il prolonge cette attaque corporelle par des auto-
morsures du dessus de ses mains. Il ne peut donc jamais se détendre.

ORIENTATIONS THÉRAPEUTIQUES FACE À LA DOULEUR

Le médecin qui le suivait pour son handicap moteur, en concertation


avec une équipe médicale spécialisée, cherchait à apaiser ses douleurs et
à supprimer son raidissement musculaire pendant le temps de sa crois-
sance, pour éviter l'augmentation des déformations osseuses qui pour-
raient devenir directement douloureuses par la suite et pour limiter son
raidissement corporel qui l'empêchait, en grandissant et en prenant du
poids, de participer à son installation dans son fauteuil et aux soins
corporels. Un projet d'opération fut alors envisagé pour lui implanter une
boîte, à l'intérieur de son ventre, diffusant un myorelaxant vers une
pompe qui écoulerait le produit directement dans le canal rachidien. Je
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 155

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES 155

fus surprise de ne pas être consultée dans ce projet, alors que je le


suivais en psychothérapie, pour discuter du bien-fondé d'une telle opéra-
tion dans ses conséquences psychiques.
Ce problème de douleur, dû à des tensions musculaires extrêmes en
raison de problèmes spastiques liés au handicap, majoré par des consé-
quences de troubles de l'image du corps, ne pouvait-il donc se résoudre
que par une intervention chirugicale aussi lourde ? Je craignais que l'en-
fant ne s'autistise encore plus si un myorelaxant l'empêchait d'accéder à
une défense qu'il avait installée en se raidissant au prix de la douleur
pour lutter contre des risques d'effondrement psychique et physique.
J'aurais pu souhaiter, si l'on m'avait demandé mon avis plus tôt, qu'on me
laisse un peu de temps pour continuer à travailler sur la construction de

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son image corporelle qui était à peine ébauchée, le temps nécessaire
pour lui de faire l'expérience, dans le cadre des séances, qu'une détente
Z
corporelle n'entraînait pas un effondrement et n'était pas incompatible
D
avec le sentiment d'avoir une image du corps solide. Mais le temps est
oc

compté lorsque les corps se déforment dans les quelques années de


croissance qu'il reste.
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D

Le dialogue en équipe paraissait alors clivé dans un premier temps.


ok

L'approche psychologique était inconsciemment écartée des discussions.


Bo

Les décisions de soins liés au corps restaient purement médicales. L'opé-


ration fut programmée. Dès que je l'appris, je préparai malgré tout au
ed

mieux l'enfant à l'intervention.


J'appris quelques jours après l'opération que l'implant s'était détaché
M

par rejet de l'organisme et commençait à migrer, ce qui précipita une


deuxième opération pour extraire le matériel. Une troisième intervention
chirurgicale fut programmée pour poser un nouvel implant, qui échoua
également. Une quatrième opération d'urgence permit d'extraire le
nouveau matériel. Ces échecs médicaux permirent enfin de ne plus envi-
sager de l'opérer de nouveau pour lui imposer des myorelaxants.
Les quatre opérations chirurgicales n'ont pu être évitées en raison,
me semble-t-il, de la méconnaissance des effets de détente corporelle
qu'un travail psychanalytique sur la construction de l'image du corps
aurait pourtant pu permettre. Ainsi, la notion de sujet a été inconsciem-
ment occultée comme pour asseoir un pouvoir médical tout-puissant qui
pourrait résoudre les problèmes corporels en exclusivité et parfois dans
l'urgence par des réponses purement chimiques et mécaniques.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 156

156 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

EFFETS D’UN TRAVAIL PSYCHIQUE SUR LE CORPOREL

Je pensais dans ces circonstances que les défenses psychiques et


physiques de Dorian pour lutter contre des risques d'effondrement et que
ses forces de survie psychiques étaient bien installées au point d'avoir
provoqué un rejet de ces implants. Cela me laissait paradoxalement
pleine d'espoir qu'un travail psychique pourrait être porteur dans une
rencontre psychothérapeutique. J'en parlais à Dorian qui semblait très
attentif. Parviendrait-il à se détendre à la faveur d'un travail pris dans la
relation sans plus s'automutiler, ni se donner des coups de poings sur les
mâchoires, ni crier ? Ce fut le cas par la suite.
Le cadre des séances individuelles était plus sécurisant et davantage

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prévisible que celui de son groupe malgré la grande bienveillance de
l'équipe éducative. Dans un premier temps, en lui proposant mes
Z
commentaires interprétatifs, je tentai de reconnaître les bénéfices immé-
D
diats de ses stéréotypies et de ses automutilations afin qu'il trouve du
oc

sens dans ces mécanismes de survie jusque-là inconscients. Cette recon-


naissance lui permit de retrouver son sentiment d'exister dans la relation
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D

à l'autre et constitua la condition pour qu'il tienne compte des interdits


ok

de se taper, de se faire mal ou de crier, que je lui posais dans un


Bo

deuxième temps. Puis je valorisai d'autres moyens qu'il utilisait sans en


avoir conscience, qui avaient la même fonction de l'aider à se sentir exis-
ed

ter dans son corps, mais qui étaient moins coûteux psychiquement. De
plus, ils avaient un effet bénéfique à long terme, autant dans la mise en
M

place d'un sentiment d'exister dans la relation à l'autre que dans la


construction de l'image de son corps, condition nécessaire pour qu'il se
détende naturellement et qu'il ne craigne plus l'effondrement. Je vais
décrire brièvement quelques étapes d'un an de travail psychanalytique
avec lui qui se situent dans la même période que ces interventions chri-
rurgicales.

PLACE DU LANGAGE DANS LA SENSORIALITÉ

Je remarquai que les temps de trajets pendant lesquels je poussais


Dorian dans son fauteuil étaient les seuls moments propices à des instants
de détente sans craindre de s'effondrer : il voyait défiler le paysage tout
en sentant les vibrations dans tout son corps. Cela devait probablement
lui procurer un sentiment de continuité d'existence. J'en profitais pour
commenter les plaisirs esthétiques et sensoriels auxquels il était sensible
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 157

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES 157

au cours des trajets. Nous partagions ainsi un certain plaisir de l'imprévi-


sibilité sur un fond d'assurance de continuité d'existence tout en nous
sentant bien tranquilles. Il poussait parfois de profonds soupirs que je
reprenais par imitation et par quelques commentaires interprétatifs.
L'arrêt du mouvement dès l'arrivée dans le bureau laissait vite la
place aux angoisses d'effondrement et Dorian réagissait en s'administrant
un coup de poing sur sa mâchoire et ses dents. Afin qu'il se sente
concerné par ce qu'il faisait, je lui vantai dans un premier temps la
méthode qu'il avait trouvée pour vérifier la solidité de ses os, des
mâchoires et de ses dents, garantissant ainsi qu'il ne s'effondrerait pas,
pour lui dire ensuite, au plus vite, qu'il serait bon qu'il trouve une autre
méthode sans se faire mal, afin de sentir la solidité du dedans tout en

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préservant son corps. Dorian était alors très attentif, comme pour cher-
cher une nouvelle façon de sentir sa solidité interne. Il claqua ses dents
Z
les unes contre les autres en entendant le « dedans » dans un sens litté-
D
ral de « deux-dents ». Je le félicitai pour son inventivité. Dorian était
oc

alors très présent dans la relation, ce qui me laissait présager d'autres


progrès. Une mobilisation psychique dans la relation transférentielle
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D

pouvait l'aider à vivre différemment dans son corps. Dans le cadre des
ok

séances, la tentation de se donner des coups de poings cessa assez rapi-


Bo

dement. Et il commençait à claquer ses dents entre elles dès qu'il avait
peur de s'effondrer, comme parfois à la fin d'une séance.
ed

Mais de retour dans son groupe, au moindre bruit extérieur, il était


immédiatement prêt à crier, à se raidir en carapace musculaire, à se frap-
M

per les mâchoires et à se mordre le dessus de la main. Voyant Dorian prêt


à se désorganiser à la moindre effraction sonore, je prolongeai alors légè-
rement les séances dans le cadre de son groupe, en me mettant en face
de lui dans son axe. Je lui demandai s'il pouvait lui aussi faire des bruits
du dedans comme les bruits extérieurs, ce qui lui permettrait de repous-
ser les bruits gênants. Il saisit cette opportunité pour se concentrer,
rassembla ses mains dans son axe en me regardant pour prononcer un
premier son, qui imitait un bruit extérieur vibrant de moteur qu'il enten-
dait. J'étais émerveillée de sa capacité naissante à faire face aux bruits
envahissants tout en commençant à prononcer quelques sons volontai-
rement. Je théâtralisai que ses bruits à lui du dedans chassaient les bruits
gênants du dehors afin qu'ils partent loin de lui et ne le dérangent pas,
comme j'aurais pu le faire avec un tout petit enfant. Dorian put ainsi ce
jour-là supporter les bruits sans crier ni s'automutiler dans le cadre de
son groupe. Un pare-excitation commença ainsi à se mettre en place.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 158

158 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Quelques jours plus tard, son éducatrice me signala que Dorian allait
très mal. Je m'en étonnai. Elle m'expliqua que depuis peu, Dorian faisait
des bruits en continu pendant qu'il déjeunait au réfectoire. Je m'émer-
veillai qu’il ait pu s'approprier, dans un autre contexte tellement effrac-
tant, une expérience qu'il avait vécue dans son groupe, pour se protéger
de bruits dérangeants sans se désorganiser, tout en entrant dans le
langage. Les enfants autistes ont pourtant souvent du mal à transposer
un vécu dans un autre contexte, par leur tendance à une hypercatégori-
sation due à une focalisation sur chaque détail au détriment d'une vue
d'ensemble 1.
Dans un cadre individuel, mes commentaires par le langage verbal
que je lui proposais à propos de ce qu'il ressentait l'ont aidé à se sentir

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l'auteur de ses sensations dans une conscience naissante d'un plaisir de
se sentir exister. Son accès au monde des perceptions dans le lien à
Z
l'autre favorisa l'émergence d'un dialogue et d’une différenciation entre
D
lui et son environnement.
oc

Dorian commençait ainsi à tenir compte et à se protéger d'un envi-


ronnement vécu jusqu'à présent comme effractant. Une sécurité retrou-
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D

vée allait lui permettre de se détendre de plus en plus souvent, tout en


ok

sortant peu à peu d'un retrait autistique profond.


Bo

ÉMERGENCE DU LANGAGE ET DU SENTIMENT D’EXISTER DANS LE LIEN À L’AUTRE


ed

Par la suite, Dorian semble rechercher le dialogue et commence à


M

scander le prénom de la stagiaire qui travaille avec moi en en faisant


varier la prononciation et la scansion, ce que je ne manque pas d'ac-
compagner, dans un plaisir ludique partagé. Puis il étend l'exploration
verbale des prénoms au mien puis à ceux de jeunes et d'adultes de l'ins-
titution. Les prénoms choisis qu'il prononce avec plaisir comportent des
sons communs avec ceux de son prénom et de son nom. Dorian semble
ainsi s'amuser avec les variations de ces sons 2.
Il est joyeux quand je vais le chercher. Au cours des séances
suivantes, Dorian a plaisir à dialoguer avec nous dans une liberté asso-

1. L. Mottron, L'autisme : une autre intelligence. Diagnostic, cognition et support des


personnes autistes sans déficience intellectuelle, Belgique, Pierre Mardaga éditeur, 2004.
2. C. Lheureux-Davidse, « Jouer avec les mouvements, les vibrations et les rythmes dans
l'émergence de la voix », Champ psychosomatique, La voix, n° 48, 2007, p. 158-203.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 159

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES 159

ciative qui nous surprend et nous émerveille autant que lui. Ces explora-
tions sonores s'étendent à de nouveaux registres de consonnes et de
voyelles qu'il expérimente spontanément autant dans des mots identi-
fiables que dans un pur plaisir de sons vibrants dans sa bouche, sans signi-
fication apparente. Les émotions suscitées par cette émergence dans le
langage partagé deviennent intenses chez nous trois. Dorian en semble un
peu submergé au point qu'il se bouche les oreilles, ferme les yeux et se
concentre intérieurement en prononçant pour lui-même des sons qui
ressemblent davantage à des babillages qu'à des mots. Je ne ressens pas
ces moments d'isolement comme une manifestation d'un isolement autis-
tique pathologique, mais comme une occasion d'intérioriser l'intensité des
vécus précédents. Il semble au contraire s'approprier de nouvelles expé-

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riences relationnelles et langagières dans une réelle présence à lui-même
sans plus se disperser, ni risquer de s'effacer ou de s'effondrer.
Z
Dans les quelques séances suivantes, Dorian s'exerce de lui-même à
D
prononcer autant de nouveaux mots que de sons sans signification appa-
oc

rente, dans une liberté associative qui relève autant du sens des mots
que de leur sensorialité.
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D

L'émergence du langage verbal témoigne de la naissance d'un lien à


ok

l'autre qui le fait se sentir exister et tenir psychiquement dans le conte-


Bo

nant que représente l'autre, et a un effet direct sur son investissement


corporel. Le fait de tenir au lien dans le cadre transférentiel par le
ed

langage communicatif naissant lui donne l'expérience qu'un autoagrippe-


ment musculaire en carapace n'est plus nécessaire. La possibilité de se
M

détendre s'installe de plus en plus souvent naturellement.

JEUX AVEC LES VIBRATIONS ET LES CHANGEMENTS

Après des moments de dialogue verbal pendant lesquels il prononce


de nouveaux mots, Dorian manifeste la nécessité de prononcer pour
lui-même, en s'isolant, des sons sans signification apparente, mais qui
ont un effet vibratoire dans les différentes parties de son corps, comme
pour intérioriser les expériences partagées qui précédent. Il provoque
ainsi des vibrations dans ses cavités buccales et nasales qui se prolon-
gent de façon subtile dans tout son corps. Ces mouvements d'intériori-
sation lui donnent la possibilité par la suite de prononcer d'autres mots.
La construction d'une différence entre le dedans et le dehors participe
à l'installation d'une limite corporelle capable de le protéger et de filtrer
des risques d'effraction. Sa détente musculaire se confirme naturelle-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 160

160 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

ment. Une seconde peau en carapace musculaire est de moins en


moins nécessaire.
Je fais part à Dorian de mon émerveillement face à sa présence et à
son ouverture au langage, tant dans la clarté de son expression que dans
ses qualités d'intériorisation et de concentration. Je ne manque pas de
faire l'expérience par imitation des sons et des mots qu'il prononce en
décrivant les plaisirs sensoriels éprouvés et en favorisant des variations
ludiques à partir de ce qu'il dit. Il poursuit le dialogue dans une grande
présence, accompagné d'un regard tranquille, avec des mots, des
prénoms et des sons dont les lettres sont communes à son prénom et à
son nom. Par la suite il commence à se prénommer au moment des
retrouvailles, dans la conscience nouvelle d'une certaine individuation.

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Il réclame l'exploration de nouveaux sons au piano en explorant de
nouveaux sons dans sa bouche et de nouveaux mots alors qu'il ne
Z
supporte encore aucune musique dans son groupe : « son, le son, chan-
D
ger le son ». À partir de ce qu'il vient de dire, j'improvise en chantant
oc

joyeusement des petites chansons tout en faisant varier très légèrement


ses propositions, afin de permettre que ses expériences puissent se
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D

transposer dans d'autres contextes. Le langage ne doit pas se réduire à


ok

des listes de vocabulaire, mais doit au contraire être utilisé comme un jeu
Bo

de signifiants qui varient légèrement de sens en fonction des contextes,


si l'on souhaite que le dialogue reste vivant et communicatif.
ed

Le plaisir partagé entre le thérapeute et l'enfant à jouer avec le


langage dans des registres archaïques avec des vibrations et des varia-
M

tions de sons favorise l'émergence spontanée d'un langage communica-


tif. Les microvariations prises dans le langage partagé contribuent à
explorer de nouvelles expériences sonores facilement transposables
d'une situation à une autre, et assouplissent les risques d'hypercatégori-
sation que l'on trouve souvent associés aux troubles autistiques. Son
vocabulaire a pu s'enrichir naturellement, petit à petit, avec souplesse et
de façon de plus en plus adaptée au contexte dans lequel il se trouvait.

CHACUN SON CORPS, CHACUN SON NOM, CHACUN SA GÉNÉRATION

Par la suite Dorian enrichit ses expériences langagières en pronon-


çant de nouveaux sons et de nouveaux mots autant dans le cadre des
séances que dans son groupe, puis à la maison. Très vite, il cesse en
séances ses coups de poings sur les mâchoires, ses cris et les auto-
morsures de ses mains. Actuellement il ne le fait pratiquement plus dans
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 161

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES 161

le cadre de son groupe. Il est plus présent à lui-même et aux autres, arrive
à se détendre sans angoisse, même dans son groupe, sans avoir l'impres-
sion qu'il va s'effondrer. Son corps est plus tonique sans plus se raidir en
permanence comme il le faisait. Il prend des initiatives de dire bonjour, de
prononcer les prénoms de ceux qu'il rencontre et le sien. Il interpelle les
autres avec des sons ou des mots qu'il lance avec force et plaisir. Son
regard s'installe de plus en plus souvent, prenant le relais des expériences
tactiles et vibratoires. Il acquiert des limites qui lui permettent de filtrer et
de trier ce qui lui convient et ce qui le dérange, sans plus se focaliser sur
tout ce qui pourrait faire effraction. Son regard croise le nôtre de plus en
plus souvent. Il peut se détendre sans craindre l'effondrement, et ne cesse
de nous surprendre dans l'exploration de nouveaux mots.

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La crainte d'effondrement se transforme peu à peu par des jeux qu'il
instaure en laissant tomber des jouets, que je vais récupérer dans un
Z
premier temps. Puis il devient capable de faire tomber quelques objets
D
volontairement dans un plaisir ludique sans que je me précipite pour les
oc

ramasser. Je sais qu'il peut désormais se différencier de son environne-


ment et qu'il ne s'effondre pas psychiquement en même temps que les
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D

objets qui tombent, comme il a pu le faire auparavant. Il met en place un


ok

jeu de laisser-tomber des jouets en me réclamant de les ramasser grâce


Bo

à son émergence dans le langage verbal, comme pourrait le faire un tout-


petit. La permanence de l'objet commence à se mettre en place en même
ed

temps que son désir de parler.


Après un grand moment d'interruption – des vacances –, il manifeste
M

beaucoup d'émotions dans les retrouvailles tout en prononçant mon


prénom spontanément alors que je viens de prononcer le sien et il joue
un bon moment à s'envelopper et à se caresser la tête avec un mouchoir
en papier. L'installation de premiers contenants (le contenant-tête selon
l'expression de Donald Meltzer 3) accueille l'inscription de premiers
mouvements d'intériorisation, source de sécurité intérieure qu'il expéri-
mente de plus en plus fréquemment. Son image du corps se construit
dans la relation à l'autre et lui permet une détente corporelle qui s'ac-
compagne d'une bonne tonicité qui a pour effet de diminuer ses tensions
musculaires extrêmes.
Nous jouons un autre jour avec des instruments de musique en
marquant les différences générationnelles que j'attribue à chaque musi-

3. D. Meltzer, 1975, Explorations in Autism, Rolland Harris Trust, Clunie Press, trad. fr.,
Explorations dans le monde de l'autisme, Paris, Payot, 1980, p. 259.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 162

162 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

cien, en disant à Dorian qu'il a les clochettes d'un jeune garçon. Cette
différenciation fait qu'il se sent très concerné, rassuré et différencié dans
le jeu en commun avec nous. Ce qu'il manifeste en plongeant longue-
ment son regard dans les nôtres avec tranquilité dans une grande
présence en disant : « jeune garçon, tranquille ».
L'assurance d'une bonne différenciation quand la relation se met en
place favorise une détente musculaire car elle évite la nécessité de rester
vigilant contre des risques de confusion qui auraient pour conséquence
des risques d'effraction.

ÉLOGE DU TRANSFERT NÉGATIF ET DES MOMENTS DÉPRESSIFS

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Le travail psychothérapeutique dans l'analyse du transfert positif
comme du transfert négatif a été bénéfique pour Dorian, afin de le déga-
Z
ger d'une responsabilité trop lourde qu'il semblait s'être donnée dans sa
D
difficulté à se mettre en lien avec les autres. J'occupais dans le transfert
oc

à plusieurs reprises le rôle de l'environnement effractant et j'en assumais


la responsabilité. Il en était très soulagé et nous mettions alors en scène
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D

la nécessité que chacun trouve son espace dans le cadre des séances
ok

sans que nous soyons obligés de nous mettre systématiquement en lien.


Bo

Dorian pousse de longs soupirs et se plonge tranquillement et longue-


ment dans nos regards dans une confiance retrouvée, ce qui participe à
ed

sa détente corporelle. Il commence à jouer. Nous jouons alors de façon


indépendante avec des jouets en caoutchouc souple mais ferme. Il est
M

très intéressé lorsque je théâtralise des jeux partagés entre la stagiaire


et moi-même, pour marquer la différence générationnelle et pour recons-
truire des fantasmes originaires qui ne cessent de s'effacer.
Il éprouve l'élasticité et la solidité des jouets en caoutchouc, par imita-
tion spontanée de mes gestes, en accompagnant lui-même ses gestes de
commentaires. La souplesse et la solidité du jouet semblent faire réso-
nance avec ses propres qualités qui s'installent, tant psychiques,
physiques que relationnelles. Nous jouons ainsi en alternance, seuls ou
dans de brefs contacts, à travers l'échange et la rencontre des jouets.
Au cours de ce travail Dorian traversa pendant quelques mois une
dépression primaire de bébé qu'il semblait enfin pouvoir élaborer, éprou-
ver et dépasser dans le cadre de son groupe. Cette traversée, bien qu'elle
eût été éprouvante, favorisa une reprise développementale et relation-
nelle. Dorian s'arrêta rapidement de crier, de se frapper les mâchoires et
de se mordre dans le cadre individuel des séances. Ces effets purent
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 163

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES 163

s'étendre assez rapidement, dans la même année, au sein de son groupe


et chez lui. L'émergence du langage verbal ne fit que se confirmer. Son
vocabulaire s'étend peu à peu et sa présence aux autres dans une commu-
nication spontanée passe maintenant par l'expression du langage verbal,
par des sons ou des mots et par des échanges de regards plus installés.
Le travail sur l'image du corps dans la relation thérapeutique est
possible avec des personnes autistes, sans langage verbal et handica-
pées. Il construit une « solidité » psychique, qui a été chez Dorian direc-
tement bénéfique sur le sentiment qu'il se sente solide dans un corps qui
tient, malgré son handicap moteur irréversible. En effet Dorian a de
moins en moins besoin de s'autoagripper dans une tension musculaire en
carapace, dans la mesure où ses angoisses d'effondrement se sont apai-

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sées. Lorsqu'un enfant est en lien psychique avec lui-même et en
communication avec l'autre, les troubles psychiques associés à son
Z
handicap, c'est-à-dire la perte du sentiment d'exister dans son corps,
D
s'estompent.
oc

Le dialogue retrouvé en équipe à son propos a favorisé les retrou-


vailles pour ce jeune avec un statut de sujet. Les progrès quant à la
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D

construction de son image du corps et quant au fait de se sentir concerné


ok

par lui-même et par les autres ont eu un effet visible sur sa détente
Bo

musculaire alliée à une meilleure tonocité. Sa présence aux autres faci-


lite les échanges et l'émergence d'un dialogue verbal.
ed

Il me semble nécessaire de mesurer combien des enfants qui ne


répondent pas immédiatement, dans la relation, à leur nom ni à ce qu'on
M

leur propose suscitent inconsciemment une tendance à les faire réagir


pour que nous-mêmes puissions nous sentir exister dans le lien avec eux.
Les stimulations à outrance, les soins intrusifs, voire effractants, ne pour-
raient-ils pas être compris dans cette perspective ? En effet, des enfants
sans réaction immédiate à la relation provoquent parfois des réactions
extrêmes dans le transfert qui peuvent aller du désintérêt, dans un a
priori d'irréversibilité, à une surstimulation effractante, leur faisant perdre
leur statut de sujet. Nous devons rester vigilants pour que les méthodes
proposées ne s'instaurent pas dans ces excès, en maintenant et en favo-
risant les échanges nuancés et complémentaires dans les équipes. En
analysant ces réactions, choisir une approche plus nuancée limite les
effractions et laisse la possibilité d'un espace transitionnel et d'une place
à la subjectivité dans la rencontre.
Lorsque les équipes médicales sont inquiètes quant à la croissance
corporelle, la part psychique et relationnelle dans l'investissement du
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 164

164 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

corps ne doit pas être négligée. Le travail sur l'image du corps et la


confiance dans la relation a directement des effets corporels, vers une
meilleure tonicité alliée à une détente corporelle.

*
Il me semble important de ne pas négliger en équipe la confrontation
des hypothèses de soins pour des enfants handicapés, autistes ou sans
langage verbal, afin de leur donner la meilleure chance que les soins médi-
caux souvent intrusifs soient limités, bien que certains d'entre eux restent
indispensables. La focalisation médicale sur les problèmes corporels occulte
souvent la part psychique liée à la construction de l'image du corps.
De même la concentration exclusive sur un travail psychique présente

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les risques de passer à côté d'une cause physiologique. Une prudence
face à ces écueils peut également nous permettre de rester attentif aux
Z
troubles associés qui sont souvent occultés par des symptômes massifs
D
qui nous sidèrent. Avec ce recul, le travail sur la construction de la rela-
oc

tion dans un cadre psychanalytique ne peut être que bénéfique. Il semble


profitable que les psychanalystes s'informent des travaux des autres
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D

disciplines tout en gardant la spécificité de leur approche. Les membres


ok

des équipes qui travaillent auprès d'enfants handicapés, autistes ou sans


Bo

langage verbal gagneraient à être informés de l'existence des travaux


d'Esther Bick sur l'observation des bébés et sur les fonctions contenantes
ed

de la peau avec Anzieu 4, de ceux de Colwyn Trevarthen 5 sur l'impact des


émotions partagées dans les relations précoces, des recherches de
M

Suzanne Maiello 6 sur le sonore prénatal et des écrits de Frances Tustin 7,


de Donald Meltzer 8 et de Geneviève Haag 9 en psychanalyse sur l'impor-
tance de la reconstruction de l'image du corps dans la mise en place du
moi corporel et sur la réversibilité du démantèlement sensoriel.

4. D. Anzieu, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1985, 254 p.


5. C. Trevarthen, « Racines du langage avant la parole », Devenir, vol. 9, n° 3, 1997, p. 73-
93.
6. S. Maiello, « L'objet sonore. Hypothèse d'une mémoire auditive prénatale », Journal de
psychanalyse de l'enfant, n° 20, Le corps, Paris, Bayard, 1997, p. 40-66.
7. F. Tustin, 1990, The Protective Shell in Children and Adults, London, Karnac Books, trad.
fr. Anne-Lise Hacker, Autisme et protection, Paris, Le Seuil, 1992, p. 280.
8. D. Meltzer, Explorations in Autism, op. cit., 1975.
9. HAAG, G. « Contribution à la compréhension des identifications en jeu dans le moi corpo-
rel », Journal de psychanalyse de l'enfant, n° 20, Le corps, Bayard éditions, 1997, p. 104-
125.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:09 Page 165

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES 165

Le travail psychanalytique avec Dorian lui a permis de construire son


image du corps dans la relation à l'autre, ce qui lui a procuré une détente
corporelle sans avoir recours à des tensions musculaires extrêmes qui
tentaient auparavant de lutter contre des angoisses d'effondrement. Ce
travail, pris dans la relation intersubjective, a amélioré la situation pour
Dorian là où des interventions médicales effractantes avaient échoué. Un
traitement médicamenteux qui aurait pu être lourd a été également
remplacé par une détente naturelle dès qu'un sentiment d'exister est
devenu plus solide par la mise en place d'un plaisir relationnel, par le
bénéfice d'un travail psychanalytique. Cela a participé de surcroît à
l'émergence d'un langage verbal communicatif.
L'analyse des mouvements de clivage, tant chez l'enfant que dans les

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équipes de soins, et leurs interprétations dans le transfert participent à
une meilleure concertation dans le choix des soins. La concevabilité de
Z
l'impensable de situations extrêmes comme celles du handicap, de l'au-
D
tisme, de troubles associés ou de l'absence de langage verbal pourraient
oc

ainsi laisser davantage la place au sujet en lui donnant accès à une


rencontre thérapeutique structurante inspirée d'émotions partageables
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D

qui touchent à de véritables expériences esthétiques et qui ont directe-


ok

ment des effets sur l'investissement corporel.


Bo

L'éthique médicale moderne est fondée sur l'idée de choix libre et


informé, selon Jean-Claude Ameisen 10. La mise à disposition d'informa-
ed

tions sur les facteurs psychiques dans les troubles corporels chez des
personnes handicapées, autistes et sans langage verbal pourrait-elle
M

participer à une approche polyfactorielle, qui pourrait entraîner dans le


meilleur des cas une approche multidimensionnelle dans laquelle le
travail relationnel pris dans l'intersubjectivité aurait sa place et limiterait
des soins médicaux effractants ?

10. Ameisen, J.-C., Rapporteur du dernier avis « sur la situation en France des personnes,
enfants et adultes, atteintes d’autisme » du Comité consultatif national d’éthique, 2007.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 167

Jean-Pierre Durif-Varembont

Les mots et la chose : réflexions éthiques


à propos des interruptions médicales
de grossesse

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Z
D
oc
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D

Le dépistage du handicap, et notamment lors d’un diagnostic préna-


tal, aboutit le plus souvent à une proposition d’interruption de grossesse
ok

pour motif thérapeutique. L’interruption médicale de grossesse (IMG)


Bo

pour raison fœtale ou maternelle est en effet prévue par la loi lorsqu’il
existe une forte probabilité d’affection grave reconnue comme incurable
ed

au moment du diagnostic. La mort surgit à l’aube même de la vie en un


M

moment inattendu et précipité, créant une situation douloureuse toujours


complexe et souvent traumatique.
Ce cas de figure extrême montre bien l’irréductibilité de cette « dit-
mension du réel 1 » qui habite l’humain et qui l’oblige à cheminer entre
une éthique du choix impossible et une éthique du conflit insoluble :
habituellement l’éthique est guidée par un principe de bienfaisance ou au
minimum de non-nuisance, mais dans le cas de l’IMG la question ne se
pose pas comme cela. Pour soulager la souffrance, la solution proposée
(faire disparaître le problème en faisant disparaître le bébé ou attendre
sa mort naturelle) n’est jamais satisfaisante ni sur le plan personnel ni sur
celui de nos fondements anthropologiques : que la grossesse se pour-
suive ou non, la mort est au bout à brève échéance et vient à la place de

Jean-Pierre Durif-Varembont, psychanalyste, maître de conférences en psychologie et


éthique, HDR, université de Lyon 2 (laboratoire GREPS).
1. J. Lacan, 1962-1963, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Le Seuil, 2004.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 168

168 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

la vie attendue, rêvée, imaginée, et déjà présente. Le supposé choix ne


porte d’une certaine manière que sur le moment de la mort mais il
entraîne, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non, des consé-
quences différentes car les modalités opératoires ne sont pas les mêmes
et n’impliquent pas la même position subjective pour la femme concer-
née et pour les praticiens : l’IMG nécessite une décision d’intervention qui
sera endossée par quelqu’un, son refus est une décision d’abstention
aboutissant à « laisser faire la nature ».
Les parents sont mis à l’épreuve affectivement dans la résonance
avec leur histoire personnelle et familiale de ce qui peut être vécu comme
un échec, comme l’effet d’une imprudence ou la punition d’une faute,
même s’ils savent rationnellement qu’ils doivent ce malheur aux lois du

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hasard ou à celles de la combinaison génétique ; leurs assises narcis-
siques sont ébranlées, leurs convictions morales ou religieuses mobili-
Z
sées, leur culpabilité réveillée. Les professionnels, sollicités dans leurs
D
identifications et eux aussi confrontés à l’angoisse et à l’impuissance,
oc

doivent cheminer entre sentiment de culpabilité plus ou moins conscient


et prise de responsabilité médico-légale mais aussi éthique 2.
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D

En effet, dans tous les cas, la souffrance de la perte, l’angoisse et la


ok

culpabilité sont éprouvées plus ou moins intensément et appellent un


Bo

accompagnement fondé sur une réflexion éthique et clinique portant sur


l’annonce du diagnostic et ses modalités, l’accueil humain et pas seule-
ed

ment technique de l’enfant et de ses parents, les moyens de dialectisa-


tion de la vie et de la mort, le soutien par une présence disponible de
M

cette épreuve de vérité qui passe d’abord par une interrogation sur les
mots qui s’échangent alors même que la langue médicale a tendance à
renforcer les processus de déni et d’évitement.

LANGUE MÉDICALISÉE ET DISPARITION DU SUJET

Cette langue évite de dire les mots justes par l’emploi de formules de
substitution, de périphrases, et par la réduction au biologique objectif.
L’évitement de l’angoisse et du subjectif se trouve renforcé par une non-
écoute de la souffrance et de la culpabilité engendrées par un choix
impossible. Dans mon expérience en périnatalité, j’ai toujours constaté
que le discours médical se recentre sur la technique dès lors que les
soignants sont confrontés au stress de l’impuissance, à l’augmentation du

2. M. Vacquin et coll., La responsabilité, Autrement, coll. « Morales », 1994, p. 14.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 169

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES 169

risque médico-légal, à l’angoisse de mort et à la culpabilité. Ce discours


protecteur pour eux finit par constituer une sorte de langue « révision-
niste » qui remplace par exemple « euthanasie fœtale » par « interrup-
tion médicale de grossesse » (IMG), « bébé » et « enfant » par « fœtus »
et « grossesse », « accouchement » par « déclenchement ». Mais cette
langue médicale ne correspond pas au dire des parents quand ils parlent
de leur vécu de grossesse car ils attendent « un enfant » ou « un bébé ».
« Le mot fœtus est difficile à accepter pour les parents car il a une conno-
tation médicale et négative, alors qu’ils vivent eux avec l’image d’un bébé
dès le début de la grossesse, et bien avant », remarque justement
S. Korff-Sausse 3. Au-delà de la contradiction avec l’image de ce bébé
vivant, c’est le rapport de présence à leur enfant in utero qui se trouve

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affecté par une langue « objectivante » évacuant toute subjectivité : est-
il déjà mort par l’interruption du lien qu’elle risque de provoquer entre les
Z
parents et l’enfant ? Cette langue décalée, rabattue sur la nomenclature
D
technique, peut entraîner, si l’on n’y prend garde, une mort psychique
oc

avant la mort physique : le bébé n’existe plus comme une personne mais
comme un objet à évacuer et la femme n’est plus une mère mais une
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D

mammifère porteuse à qui il faut extraire le contenu utérin dans les


ok

meilleurs délais. L’absence de mots et de silence justes (il peut y avoir


Bo

inflation du dire) ne peut qu’affecter la symbolisation d’une telle expé-


rience, ce qui suppose qu’elle soit partagée, c’est-à-dire que soit reconnu
ed

qu’elle ait eu lieu et qu’un enfant, même ayant eu une vie avortée, ait pu
être inscrit dans sa place généalogique et dans son rang dans la fratrie 4.
M

La loi encadre cette interruption de grossesse pour « motif théra-


peutique », mais que soigne-t-on ? Rien. Il ne s’agit pas de guérir mais
de prévenir les effets certains de maladies précisément dites « incu-
rables » aboutissant pour le bébé à une mort à la naissance, ou peu de
temps après, ou à un handicap gravissime. Pour la mère (IMG pour raison
maternelle), il s’agit de prévenir la dégradation de sa santé physique ou
psychique, dégradation qui serait provoquée par la poursuite de la gros-
sesse. Nous pouvons nous interroger sur les effets de ce signifiant
« médical » tout comme sur celui de « thérapeutique ». « Médical »
indique bien que le geste relève de la technique médicale, qu’il est justi-

3. S. Korff-Sausse, « Malaise dans la procréation », Recherches en psychanalyse, 6, Paris,


L’esprit du temps, 2006, p. 57-70.
4. J’ai reçu quelques enfants nés après une ou plusieurs fausses couches, IVG ou IMG et qui
avaient du mal à apprendre à compter jusqu’à ce que soit rétabli l’ordre ordinal de la fratrie.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 170

170 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

fié par la médecine, qu’il se déroule en milieu médical. Il pourrait signi-


fier que sa responsabilité en est assumée pleinement par les médecins,
et certains la prennent en charge dans l’espoir de soulager en partie le
poids de son transfert sur les parents. Mais comme ceux-ci participent à
la décision au moins sous la forme du consentement à ce qu’on leur
propose, même résignés, ils sont rarement exonérés de leur part de
responsabilité et, à plus forte raison, de culpabilité, car la « caution »
médico-légale ne supprime pas totalement l’aspect transgressif d’un tel
acte et ses effets.
L’ambiguïté demeure donc sur la signification de l’aspect « théra-
peutique ». L’interruption de grossesse ne soigne pas la maladie du bébé
et ne modifie pas ni ne supprime son handicap. Elle arrête ses consé-

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quences probables ou certaines pour l’enfant, et pour la mère dans une
visée de protection de sa santé future. À moins de médicaliser l’exis-
Z
tence 5, ce n’est pas une maladie pour des parents d’attendre un enfant
D
gravement handicapé ou atteint d’une maladie mortelle, même s’ils
oc

peuvent en faire une maladie de souffrance non symbolisée.


Derrière les mots, il s’agit de la réalité de la mort provoquée puisque,
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D

pour toutes les raisons évoquées précédemment, l’objectif est que l’en-
ok

fant ne naisse pas vivant, et donc pour les femmes d’accoucher d’un
enfant mort, ce qui suppose une intervention médicale in utero. L’inter-
Bo

ruption médicale de grossesse implique une médication fatale pour une


ed

euthanasie fœtale, car sans l’injection d’une substance létale au fœtus,


celui-ci pourrait survivre dans bien des cas aux contractions utérines de
M

l’accouchement qui est déclenché dans un second temps. « Le mot fœtus


a des résonances terribles : le fœtus mort, la vie du fœtus en danger, les
maladies du fœtus. C’est bien parce que pour les parents le fœtus est un
enfant que l’IMG est un infanticide. Malheureusement, il n’y a pas d’autre
mot : on ne peut revenir à embryon ni parler tout de suite de bébé »,
remarque à ce sujet J.-M. Delassus 6. Tout se passe comme si la langue
de la loi sociale essayait d’évacuer le vécu de meurtre et de la trans-
gression de son interdit : la légalité de l’acte n’empêche pas les parents
d’être travaillés dans bien des cas par la question de l’infanticide pour peu
que nous les aidions à l’aborder si elle se pose pour eux. La violence du
non-dit ou du dit de substitution se voulant protecteur est souvent

5. R. Gori, M.-J. Del Volgo, La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence,
Paris, Denoël, coll. « L’espace analytique », 2005.
6. J.-M. Delassus, Le génie du fœtus, Paris, Dunod, 2001.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 171

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES 171

renforcée par la précipitation du temps médico-légal par rapport à la


particularité de la temporalité psychique : il faut décider vite, agir dans
des délais courts, alors que les parents sont encore le plus souvent en
état de sidération.

IMPORTANCE DU DISCOURS DU TIERS SOCIAL QUI NOMME ET INSCRIT

La portée symbolique du droit comme discours de l’autre social est


fondamentale pour tout processus subjectif. Dans sa dimension institu-
tionnelle en effet, le discours juridique construit des catégories langa-
gières, notamment celles de la parenté et de la filiation, mais aussi celles
de la vie et de la mort. Selon son évolution, le droit peut ainsi reconnaître

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ou abolir un statut permettant d’inscrire un sujet dans une place et pour
ce sujet d’y étayer ses processus psychiques. Jusqu’à une période
Z
récente, la législation française, issue du code Napoléon, ne prenait en
D
considération la mort d’un enfant qu’à partir de vingt-huit semaines
oc

d’aménorrhée. Le bébé était défini comme un « avorton », c’est-à-dire


littéralement comme « produit de l’avortement ». La modification de la
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D

loi 7, abaissant à vingt-deux semaines d’aménorrhée le seuil de déclara-


ok

tion de l’enfant comme tel, a interdit sa disparition pure et simple et a


Bo

créé les conditions institutionnelles d’un possible travail de deuil. Ce seuil


juridique s’aligne approximativement sur le seuil de survie habituellement
ed

constaté grâce aux progrès de la médecine néonatale (30 % à vingt-


quatre semaines d’aménorrhée). Plus cette capacité de survie augmente
M

et plus elle rend réel le bébé, et plus sa perte est difficile à vivre, mais
elle lui donne une place subjective dans la mémoire affective des parents.
Contrairement à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) qui est
limitée dans le temps, l’interruption médicale de grossesse (IMG) peut
être pratiquée légalement durant toute la grossesse, mais elle est
marquée par la comptabilité des semaines d’aménorrhée et du poids du
bébé qui deviennent les critères d’attribution du statut de la mère et de
l’enfant au regard du tiers social :
– avant vingt-deux semaines d’aménorrhée ou en cas de poids inférieur
à cinq cents grammes, il n’y a pas d’acte juridique. L’absence d’inscrip-
tion légale et de dation d’un prénom renforce le déni qui souvent s’ensuit
pour les parents : il ne s’est rien passé puisqu’il n’y a pas de corps et pas

7. Loi de 1999, circulaire du 30 novembre 2001. Voir aussi l’avis n° 89 du CCNE, 2005.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 172

172 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

de traces. Le bébé reste un produit innommé qui pourtant garde sa place


dans l’inconscient de la mère et de la famille, place refoulée ou déniée
qui se révèle par exemple dans l’après-coup de notre écoute à la surve-
nue d’une infécondité inexpliquée chez la femme qui n’arrive pas à avoir
un autre enfant, ou aux confusions dans le décompte de l’ordre et des
rangs dans une fratrie au point parfois d’affecter un enfant suivant dans
son apprentissage des additions et des soustractions. La mère a droit
seulement à un congé maladie : pour le social, elle a été malade et non
pas enceinte dans l’attente d’un enfant. Le statut de mère ne lui est donc
pas reconnu. Ce type de congé (dont je ne discute pas ici la légitimité)
contribue souvent au déni en assimilant la grossesse à une maladie (j’en
ai maints exemples cliniques) : le déni de grossesse et la disparition de

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l’enfant comme sujet entraînent des effets qui se font sentir la plupart du
temps au retour à la maison où s’éprouve un vide sans objet, à la reprise
Z
du travail face au silence gêné des collègues, et lors de la grossesse
D
suivante où la crainte de la répétition entraîne un accroissement de
oc

surveillance anxieuse, y compris de la part du monde médical ;


– à partir de vingt-deux semaines d’aménorrhée et en cas de poids infé-
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D

rieur à cinq cents grammes, les enfants nés morts et les enfants nés
ok

vivants mais déclarés « non viables » entrent dans la même catégorie des
Bo

« enfants nés sans vie » (à la place « d’enfant mort »), l’inscription légale
devient obligatoire avec dation d’un prénom, mais les funérailles restent
ed

facultatives. La vie et la mort restent mélangées puisqu’il n’y a qu’un seul


acte juridique, mais cet acte a le mérite de reconnaître la femme dans un
M

statut de mère. Le droit au congé dit « maternité » vient inscrire dans


l’espace du tiers social qu’elle a porté et attendu un enfant ;
– à partir de vingt-deux semaines d’aménorrhée et avec un poids de nais-
sance égal ou supérieur à cinq cents grammes, la naissance et la mort
sont signifiées par l’établissement obligatoire de deux actes juridiques
indiquant qu’un enfant a vécu : l’acte de naissance pour les enfants nés
vivants et déclarés viables et l’acte de décès même si l’enfant meurt
avant la déclaration de naissance par les parents. L’écriture des deux
temps du commencement et de la fin scandent une histoire dans une
réalité signifiée à tous comme faisant partie de l’histoire de cette famille,
et au-delà.
Le rapport à la vie et à la mort ne relève donc pas que de la seule
sphère privée mais concerne le collectif à travers ses interprétations juri-
diques et anthropologiques. Ainsi, il est fondamental que notre société, à
travers l’évolution de son droit, construise les opérateurs symboliques
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 173

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES 173

permettant les inscriptions nécessaires au travail psychique, particulière-


ment pour les personnes confrontées à ces situations extrêmes. À la
demande de plusieurs associations de parents, la Cour de cassation vient
de décider récemment 8 de permettre de nommer un enfant mort-né et
la possibilité de funérailles dès seize semaines d’aménorrhée. Reste la
question des pères d’enfants nés sans vie, à qui l’acte juridique ne
permet pas d’établir une filiation sur le plan civil puisque cet établisse-
ment de la filiation suppose jusqu’à présent la production d’un acte de
naissance. Des projets de décret visant à aligner la situation des pères
sur celle des mères sont à l’étude au ministère de la Famille, conscient
que les congés maternité et paternité ne servent pas seulement à s’oc-
cuper d’un enfant dans l’immédiat postnatal mais aussi à la reconnais-

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sance du statut de père et de mère et donc à l’inscription de l’enfant dans
l’histoire familiale. Il faut également permettre aux couples non mariés
Z
de donner eux aussi un nom à l’enfant né sans vie et de l’inscrire sur leur
D
livret de famille 9.
oc

La langue médico-sociale peut ainsi accompagner et soutenir le


travail psychique, mais elle peut aussi, sous couvert de protection, faire
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D

violence de non-dit et parfois de mensonge inconscient. Elle peut contri-


ok

buer à construire un secret de famille dont les professionnels sont en


Bo

partie responsables s’ils n’invitent pas à sa traduction en langage du sujet


dans une rencontre qui l’autorise. Pour peu qu’ils trouvent une présence
ed

disponible, un clinicien qui n’a pas peur de partager la souffrance et d’ac-


cueillir le poids des mots justes, la plupart des parents se posent et nous
M

posent des questions sur le dire et le taire : comment, à qui, notamment


à leurs autres enfants et aux proches. Comment parler de l’absence de
quelqu’un qui n’a pas eu le temps d’être quelqu’un, de la mort de quel-
qu’un qui n’est pas vraiment mort faute d’avoir été vivant ? Il y a là aussi
un enjeu de prévention dans la transmission transgénérationnelle des
deuils impossibles ou pathologiques, des problématiques de « fantôme »
et de crypte.

8. Arrêt du 6 février 2008.


9. Les couples mariés disposent d’un livret de famille au moment de leur union alors que
les parents non mariés ne le reçoivent qu’après la naissance de leur premier enfant vivant,
ce qui rend impossible l’inscription de ce premier quand il est mort-né.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 174

174 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

DEUIL SPÉCIFIQUE, CELUI D’UN REPRÉSENTANT NARCISSIQUE PRIMAIRE

Par rapport à celle d’un adulte ou d’une personne âgée, la perte d’un
bébé confronte à un travail de deuil spécifique : l’inversion de la logique
de la vie entraîne un sentiment d’injustice, voire de révolte, la coïnci-
dence de la naissance et de la mort s’avère source de confusions des
sentiments, la culpabilité de n’avoir pas su faire un bébé normal ou de
n’avoir pas pu le garder est renforcée par le poids de la décision de
provoquer la mort, la brièveté du lien laisse peu de souvenirs communs
et rend incertaine la constitution des traces psychiques. Il est difficile
aussi pour les femmes et les hommes concernés de se sentir psychique-
ment parents de l’enfant décédé dans une société marquée encore par le

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tabou de la mort, et encore plus de la mort d’un enfant.
Mais dans le cas de l’IMG, la disparition par la langue de l’enfant à
Z
naître comme être vivant pendant tout le temps opératoire de l’acte
D
médical transforme radicalement la problématique du deuil et de son
oc

objet. Selon le stade, apprécié avec des critères comptables (poids,


semaines d’aménorrhée), il est question en effet de « contenu utérin »,
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D

de « débris humains » ou de produit innommé, voire de fœtus innom-


ok

mable. Cette métamorphose de l’enfant en chose informe, voire mons-


Bo

trueuse, fait sauter d’une certaine manière le statut anthropologique de


cet organisme vivant anticipé jusqu’à ce stade de grossesse comme un
ed

être humain, et c’est ce qui complique le deuil dont l’objet n’est plus le
même : faire le deuil d’un enfant qui n’a pas encore été mis au monde et
M

qui ne se représente plus comme enfant, c’est aussi faire le deuil d’un
représentant psychique dont les parents ont à se séparer. Cette perte
dans le réel constitue une amputation d’une partie de soi-même : « Avec
la perte de l’être cher, je perds aussi une image chérie de lui. Et ce chéris-
sement me permettait moi-même de le chérir. Je perds mon moi idéal,
c’est-à-dire l’image de moi aimée que son amour rendait possible. Je
perds l’autre comme support réel de ce moi idéal qui s’effondre avec sa
disparition 10 . » La perte d’un enfant est donc d’une autre nature que les
autres pertes car il ne s’agit pas seulement de la perte d’un être cher
auquel on s’identifie mais de celle du don de la vie, de la prolongation de
soi à travers la transmission. Il est d’autant plus difficile de se détacher

10. J. Clerget, « Un bébé meurt, des parents pleurent, douleur de deuil », dans Mort d’un
bébé, deuil périnatal. Témoignages et réflexions, Toulouse, érès, Spirale, 2004.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 175

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES 175

de ce représentant du narcissisme primaire en soi qu’il est surinvesti à


cause de la mort réelle de ce bébé. « Pareil surinvestissement le tient
présent en moi alors que mort dehors. Il s’impose d’autant plus vivement
en moi que je suis à l’élaboration psychique de son détachement 11. »
L’insistance en soi de cette représentation fait souffrir mais sa disparition
trop rapide, ce à quoi pousse souvent l’entourage par ses stratégies d’ou-
bli, ne peut que réveiller la culpabilité d’abandonner une seconde fois le
bébé à travers la question du traitement psychique de ce qu’il représente.
On perçoit ici la difficulté d’un accompagnement qui tienne compte de ce
double registre du deuil : celui lié au réel de la disparition du bébé et celui
concernant le représentant inconscient de ce que nous avons été fantas-
matiquement pour l’autre, ce bébé 12.

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La mort d’un bébé in utero, au moment de la naissance ou après, est
toujours une épreuve terrible et douloureuse qui met en jeu spécifique-
Z
ment une dimension ontologique avec son lot de solitude radicale. Elle
D
interroge pour la mère le sens de l’existence, pour le père sa capacité de
oc

souffrir avec sa compagne. Elle met à l’épreuve l’ensemble de la famille


dans ses capacités de partage et de symbolisation. « La mort de qui elle
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D

aime met toujours la femme en question ; mais la mort d’un enfant, fille
ok

ou garçon, c’est plus, c’est la disparition, peut-être la ruine du sens


Bo

symbolique qu’elle avait donné à sa vie, en même temps qu’elle avait


donné à cet enfant la vie. C’est aussi le deuil de son narcissisme excen-
ed

tré sur l’enfant qui rencontre dans cette épreuve l’expression de la


douleur de son conjoint. Il réagit souvent complètement différemment
M

d’elle à sa souffrance. Elle rencontre la douleur des autres membres de


la famille, parfois leur indifférence, quelquefois chez les frères et sœurs
l’absence de peine, sinon la réjouissance (un rival en moins). Que
d’épreuves, d’impuissance et de solitude ! » écrit F. Dolto 13, traçant ici
tout ce à quoi est confronté le clinicien qui se risque à en être le témoin
discret et attentif.

11. Ibid., p. 93.


12. Ce que formule Lacan à sa manière dans son séminaire sur l’angoisse : « Nous ne
sommes en deuil que de quelqu’un dont nous pouvons dire j’étais son manque. Nous
sommes en deuil de personnes que nous avons ou bien ou mal traitées, et vis-à-vis de qui
nous ne savions pas que nous remplissions la fonction d’être à la place de leur manque »
(Lacan, op. cit., p. 166).
13. F. Dolto, Sexualité féminine, Paris, Gallimard, 1996.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 176

176 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

DIALECTISATION VIE-MORT : IL N’ Y A DE MORT QUE DE VIVANT

La question de la souffrance du fœtus est peu abordée, ce qui le fait


encore moins exister concrètement. Le monde médical essaie de la
supprimer en optimisant en quelque sorte le moment du décès. Le bébé
disparaît comme tel dès lors que se profile une pathologie grave ou
létale : l’annonce du diagnostic aux parents est alors souvent assortie
d’un pronostic sur la « qualité de vie » future ou sur l’évaluation du temps
précédant la mort. Ce pronostic fonctionne la plupart du temps dans le
discours médical comme mécanisme de défense contre l’angoisse et
comme moyen de renforcement cognitif destiné à faire prendre
conscience aux parents en état de sidération psychique de la réalité et de

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la gravité du handicap et, disons-le clairement, à plus ou moins influen-
cer la décision.
Z
Et justement, une fois la décision de l’IMG prise, l’enfant disparaît du
D
discours au profit du vocabulaire technique désignant les différentes
oc

opérations à venir et leurs effets : « injection sous contrôle échogra-


phique », « pousser la seringue », « interruption de grossesse », hospi-
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D

talisation pour « la maturation du col de l’utérus », « déclenchement ».


ok

Ce n’est qu’une fois « sorti » ou « expulsé » (et toujours non né) que
Bo

l’enfant réapparaît de façon brutale dans le langage et dans la pratique


davantage sous la forme du cadavre que du mort, voire d’une chose
ed

qu’on transporte cachée sous le matelas d’un berceau vide de bébé pour
traverser le service jusqu’au lieu faisant office de morgue. C’est un objet
M

inanimé, pas un enfant décédé. Toute une réflexion d’équipe est néces-
saire pour éviter de figer un signifiant de cadavre et pour accompagner
la dialectisation vivant-mort. La réintroduction du statut anthropologique
de l’enfant peut s’appuyer déjà, nous l’avons vu, sur les possibilités de
nomination et des rituels funéraires, mais elle passe aussi par des gestes
et des mots de la vie quotidienne nécessitant de la part du personnel un
discernement au cas par cas dans une juste distance relevant d’une
éthique de l’intime 14 : comment répondre à des parents qui ne veulent
rien voir et rien sentir, comment les accompagner quand ils souhaitent
prendre le bébé mort dans les bras, à quelles conditions la sage-femme
peut-elle le poser froid et inerte sur le giron maternel en évitant les

14. J.-P. Durif-Varembont, « La proximité : une éthique de l’intime », Le divan familial, 11,
2003, p. 191-201.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 177

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES 177

conséquences éventuellement traumatiques ? Dans ces moments d’émo-


tions intenses et de vécu catastrophique, il faut pouvoir se dégager des
identifications massives tout en étant capable de compassion. Il est
nécessaire aussi de repérer nos projections pour prendre notre respon-
sabilité dans la complexité des situations et la particularité de chaque
histoire.
Le sort de la photographie de l’enfant mort est un exemple typique
du genre de réflexion qui peut se mener dans une équipe. À quel moment
faut-il donner cette photo, systématiquement juste après l’accouchement
ou plus tard, quand les parents en feront la demande, sachant qu’elle est
à leur disposition auprès du médecin ? Cette photo peut aider à rendre
le bébé réel et présent dans le souvenir ; mais dans le cas d’un enfant

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mort-né elle ne renvoie pas aux images du vivant qu’il a été ou qu’il
aurait pu être, contrairement à un enfant qui a vécu en dehors du giron
Z
maternel. Que pouvons-nous apprendre des traditions anthropologiques
D
entourant la mort d’un enfant, même si culturellement notre rapport à
oc

l’enfant et à la mort a changé 15 ? Les représentations picturales des


enfants morts aux XVe et XVIe siècles dans les grandes familles étaient
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D

sans doute la manière d’inscrire l’enfant dans la lignée à une époque où


ok

n’existait pas le livret de famille, mais surtout un moyen de maintenir un


Bo

lien entre les vivants et les morts, la peinture métaphorisant en quelque


sorte les prières circulant entre les parents et les enfants montés au ciel.
ed

Contrairement à beaucoup de photos actuelles de bébés morts, ces


représentations faisaient toujours l’objet d’une mise en scène en termes
M

de posture et de décoration (fleurs, feuillages, accessoires) pour signifier


le côté symbolique (par le religieux) d’une présence dans l’absence, mais
aussi de la pureté et de l’immortalité des enfants ayant pour les plus
petits statut d’anges. À partir des années 1840, la photographie d’enfants
morts a perpétué cette fonction rituelle en reprenant à son compte la
mise en scène de l’habillement et de l’accessoire.
Les possibilités modernes de représentation par l’image (échogra-
phie, photographie) peuvent faire trace et assurer une fonction de ritua-
lisation à condition qu’elles soient maniées avec discernement et
accompagnées de paroles les interprétant. Car l’image peut aussi être
traumatique quand elle prétend être adéquate au réel au point d’en deve-

15. Voir le commentaire de l’historienne M.-F. Morel (2004).


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178 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

nir monstrueuse ou obscène. L’image est un moyen parmi d’autres, dans


l’après-coup, de faire exister l’enfant et de faire trace, mais la constitu-
tion du souvenir et l’inscription de sa place dans son histoire passe bien
plus par le fait que quelqu’un d’autre (le père, les amis, les profession-
nels) témoigne du lien qui a eu lieu entre eux et le bébé que par le
recours à tout prix au visuel. La véritable trace se marque dans la corpo-
ralité affective de la mère, le souvenir prend sa source dans le contact
physique et auditif qui a déjà été établi depuis la conception par les
parents en devenir. La vie a été donnée malgré tout, ce que traduisait la
manière de la mère de le porter comme un être humain vivant et non
comme un objet animé. Aussi, il est de notre responsabilité éthique,
quand un handicap grave s’annonce avec éventuellement la mort au

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bout, de proposer au couple pendant qu’il est encore temps d’entrer en
relation avec le bébé in utero, de le ressentir concrètement dans la
tendresse partagée comme une présence déjà là, notamment en déve-Z
D
loppant le contact psychotactile affectif haptonomique 16 accompagné par
oc

un praticien formé. Le détachement entraîné par la mort annoncée ne


peut s’opérer que sur fond d’un attachement, même dans la souffrance,
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D

sous peine de laisser la mère au seul vécu du vide et de l’abandon,


ok

encore faut-il quelqu’un pour assumer cet accompagnement. La dialecti-


Bo

sation vivant-mort passe donc par celle de l’attachement et du détache-


ment. Un tel positionnement éthique assure aussi une fonction de
ed

prévention des conséquences dans une famille à plus ou moins long


terme de la confrontation à ce réel catastrophique, effets dont les clini-
M

ciens constatent les répercussions dans l’après-coup d’un travail de deuil


impossible, d’une infécondité inexpliquée ou de l’apparition de symp-
tômes chez un enfant de la fratrie.

HISTOIRE CLINIQUE TYPIQUE : DANS L’APRÈS-COUP D’UNE IMG

Madame X m’est adressée par son gynécologue-obstétricien parce


qu’elle n’arrive pas à être enceinte. Elle vient aussi pour sa fille aînée
âgée de trois ans qui souffre de troubles du sommeil depuis toute petite.
Très vite, le lien est fait avec des deuils impossibles et particulièrement
celui lié à la perte d’un bébé handicapé : il n’y a pas de place pour un
vivant puisqu’il n’y a pas de place pour un mort. À quelques semaines du

16. F. Veldman,L’haptonomie science de l’affectivité. Redécouvrir l’humain, Paris, PUF, 2001.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 179

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES 179

terme, le diagnostic de trisomie 18 est tombé, d’abord suggéré au télé-


phone par une secrétaire maladroite, puis confirmé par le médecin avec
un sombre pronostic rapporté par cette femme : ce bébé ne pourrait pas
vivre plus de quelques semaines, c’était un légume. Le diagnostic était
assorti d’une proposition précipitée d’avortement thérapeutique : « il a
fallu se décider en une demi-heure. Les cachets étaient prêts… J’ai pris
des comprimés pendant trois jours pour l’empêcher de vivre… Il est mort
dans mon ventre. Le bébé n’a plus bougé dès que j’ai pris les médica-
ments. » C’est bien elle qui a été active alors qu’elle mentionne dans le
même temps que la décision a été prise « à trois » (son mari, le méde-
cin et elle).
L’ambivalence est patente entre la volonté « d’avoir le moins de

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souvenirs possible », « de le sortir de [son] ventre le plus vite possible »
sans le voir ni le toucher après l’accouchement, et la description détaillée
Z
qu’elle me fait de son image corporelle quand elle a vu ce bébé le lende-
D
main. « J’ai peur de l’oublier », me confie-t-elle ensuite. Puis « on n’a pas
oc

fait de funérailles, on a fait don de son corps à la science 17. Je ne sais


pas si j’ai bien fait ». Nous pouvons entendre le passage du « on » qui
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D

indique le flou sur la prise en charge de la décision au « je » qui l’en-


ok

dosse. Mais pour elle et son mari, le don du corps à la science est
Bo

emprunt de la culpabilité de l’avoir abandonné, même mort, d’autant plus


qu’elle ne l’avait pas désiré consciemment. Les « reproches » de sa fille
ed

aînée en forme de questions – « Pourquoi tu m’as pas gardé un petit


frère ? » – alimentent cette culpabilité « d’avoir empêché de vivre plus
M

longtemps ce bébé ». La colère est aussi de la partie, mélangée à la


culpabilité : « Mon mari en veut au bon Dieu. S’il nous arrive ça, c’est
qu’il n’y a pas de Dieu. Il le prend comme une punition. »
Comme souvent dans ce genre de situation, dans un non-dit familial
installé, chacun croit ménager l’autre. Elle a gardé en elle tout ce qu’elle
me confie pour ne pas souffrir et ne pas faire souffrir, intériorisant l’im-
possibilité d’en parler à son mari ou à sa propre mère. Le couple est mis
à rude épreuve. Son propre père ne dit rien et sa belle-famille, jusque-là
assez indifférente à son sort avant la mort de cet enfant, fait preuve
d’une pitié insupportable pour elle. Le bébé mort a disparu doublement :
dans la réalité et symboliquement puisque même son nom n’est jamais

17. À l’époque, c’était possible légalement, et le prénom de cet enfant a été inscrit sur le
livret de la famille, mais il n’était jamais prononcé.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 180

180 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

prononcé. Or la nomination ne va pas sans lieu d’inscription et de dépôt


du souvenir et des traces. Cette inscription nécessaire commence par
s’opérer dans la parole de l’autre que je représente, mais elle doit aussi
trouver une procédure institutionnelle au lieu du tiers social, dans la
dimension publique, ce qui est habituellement une des fonctions du
rituel, ce qu’elle traduit par cette demande : « Je ne sais pas où aller, où
elle est. J’ai besoin d’avoir un endroit où il sera, où me recueillir. » Nous
évoquons les possibilités d’inscription sur une pierre tombale même s’il
n’y a pas de corps, en s’appuyant sur celle du livret de famille, manière
de réintroduire cet enfant dans une place généalogique réparant en
quelque sorte le vécu d’abandon par l’oubli. Elle évoque la tombe où est
enterré l’un des grands-pères et va se renseigner. Quelques jours après,

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l’inscription est faite : passant « par hasard » devant une église ouverte,
elle y entre et tombe sur un panneau écrit par le curé : « Si vous désirez
Z
que je dise une messe pour quelqu’un, écrivez son nom sur ce registre
D
et payez dans le tronc. » Ce qu’elle a fait, soutenue par le travail
oc

psychique commencé avec moi. Elle peut alors faire graver le prénom de
l’enfant sur la pierre tombale du caveau familial. Inscription et paiement
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D

de la dette généalogique y apparaissent bien comme des opérations


ok

nécessaires pour une assomption subjective d’une pareille histoire. Un an


Bo

après, j’apprendrai la naissance d’une autre fille. Constituer la place du


mort a permis que vienne un vivant dans une autre place mais aussi
ed

d’aborder les autres deuils avec lesquels celui-ci entrait en résonance.


Ainsi dialectiser le rapport vivant-mort n’est possible pour les parents
M

que dans la mesure où ils rencontrent la mort d’un enfant au titre de


vivant, c’est-à-dire eux vivant avec lui et lui ayant vécu même très peu
de temps, ce qui suppose la rencontre avec un témoin qui écoute et qui
parle dans une position juste.

CHOIX IMPOSSIBLE « ENTRE LE PIRE ET LE MOINS PIRE »

Il aboutit à une soumission librement consentie des parents, c’est-à-


dire à une résignation coupable induite le plus souvent à leur insu par les
médecins eux-mêmes quand culpabilité et impuissance les amènent à
prétendre n’être que de simples exécutants d’une décision qui serait « de
couple ». Comment faire autrement quand un consentement ne peut être
que contraint par le poids d’une conflictualité irréductible, dans un
contexte où ne pas décider est aussi un choix par défaut aboutissant
dans les cas les plus graves au même résultat inéluctable : le handicap
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 181

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES 181

incurable et la mort ? Que les professionnels prennent en charge la


responsabilité subjective de la décision ne décharge par les parents mais
permet la traversée de certains fantasmes, notamment de l’infanticide.
Question éthique majeure : qui endosse la responsabilité de la décision ?
L’éthique est ici une éthique du conflit qui pose toujours la question du
prix à payer pour le soutien de sa position. Dans ces situations où donner
la vie et donner la mort sont si intriqués, chacun et avec d’autres, selon
sa place, est appelé à payer le prix de son impuissance, de sa culpabilité,
de sa responsabilité, de sa souffrance et de celle de l’autre.
Une décision peut-elle se partager, la responsabilité se fractionner avec
une proportionnalité ? « C’est une décision de couple », leur a dit le méde-
cin qui me les a envoyés pour qu’ils décident de garder ou non leur troi-

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sième enfant porteur d’une trisomie 21. Comme si le médecin n’était qu’un
simple technicien exécutant les ordres d’un autre ? Comme si un couple ne
Z
faisait qu’un ? « C’est à toi à décider », dit le père. « Et si on demandait
D
l’avis des enfants ? » propose la mère. L’équipe médicale peut suggérer
oc

dans un sens ou dans un autre selon son éthique ou son idéologie, avec
ici, dans une maternité ordinaire ordonnée à la joie de la naissance, l’hon-
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D

nêteté de les faire accompagner par quelqu’un de moins impliqué ou en


ok

tout cas capable d’un certain détachement par rapport aux idéaux institu-
Bo

tionnels d’une naissance sans violence et d’un accompagnement du lien


parents-enfant, mais surtout capable de supporter l’angoisse, la culpabilité
ed

et l’impuissance. Dans ces situations extrêmes, le clinicien est appelé à


partager la douleur d’une décision terrible et d’un choix impossible entre le
M

pire et le moins pire, en soutenant non seulement une éthique du choix


mais surtout une éthique du conflit dans une situation irréductible.

LES SITUATIONS EXTRÊMES EXIGENT UNE ÉTHIQUE CLINIQUE CRÉATIVE

Mes questions conclusives restent ouvertes comme le mouvement


perpétuel de l’éthique.
Peut-on penser et pratiquer un accompagnement qui soit fondé sur
l’exigence éthique de notre temps et appuyé sur les traditions anthropo-
logiques de la vie et de la mort ? Comment le clinicien soutient-il, dans
l’écoute discrète des écarts de la langue, la vérité du désir de chacun, et
des parents en particulier ? Il s’agit de restaurer en équipe l’existence de
l’enfant comme sujet et non comme produit utérin ou déchet anatomique
pris dans un circuit d’élimination et d’aseptisation qui ne permet aucune
symbolisation.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 182

182 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Comment œuvrer à ne pas participer au déni du vivant pour qu’un


bébé prenne statut de mort et qu’un travail de deuil soit possible pour
que la vie continue ? Dans toutes ces situations extrêmes, le refus de
l’étouffement dans l’inacceptable et l’indicible sollicite la créativité et l’en-
gagement d’une équipe autour de questions et de décisions difficiles :
voir le bébé mort ou non mais en parler, en garder des traces mais
lesquelles, proposer des rituels mais comment ? Nous pouvons faire
alliance avec les parents pour utiliser les opérateurs symboliques dispo-
nibles dans leur culture afin de symboliser l’absence et la présence, de
mettre en mouvement la dialectisation de la vie et de la mort, de trouver
les moyens de donner un nom à l’enfant et de l’inscrire dans une place
symbolique.

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Dans tous les cas est requise, me semble-t-il, une position éthique de
non-savoir et de présence discrète et disponible qui n’a pas peur des
mots ni de la chose. Z
D
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D
ok
Bo
ed
M
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 183

Hélène Romano

Efficacité symbolique
des consultations anténatales :
temps de l’annonce en diagnostic anténatal
et consultation génétique

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Z
D
oc
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D

Le diagnostic anténatal figure les ambivalences entre volonté de


savoir et désir de conserver ses propres certitudes face à l’impensable. Il
ok

met au jour toute la complexité des croyances et des multiples attentes


Bo

parentales face à la réalité médicale. Le diagnostic ne se réduit pas au


temps de l’annonce de la maladie ou du handicap à venir mais s’inscrit
ed

dans un processus qui s’initie bien loin du cabinet médical au plus


M

profond des cryptes individuelles et familiales et qui se prolonge bien au-


delà sur une scène qui sera marquée de façon plus ou moins prégnante
par la trace traumatique de cette confrontation au diagnostic médical.
Notre propos, issu de notre expérience auprès de couples sollicitant
une consultation génétique, vise à dégager les enjeux liés à ce temps si
spécifique qu’est celui de l’annonce d’un diagnostic grave dans un
contexte de consultation anténatale. Quelles sont les répercussions d’une
telle démarche pour la mère, le père et leur bébé en devenir ? Quels
processus réactive-t-elle et quelles conséquences peut-elle avoir, une fois
passée l’insoutenable confrontation au savoir médical ? Autrement dit
quel sens symbolique le diagnostic anténatal porte-t-il, à savoir quelle en
est l’efficacité et quelles en sont les limites ?

Hélène Romano, psychologue clinicienne, docteur en psychologie clinique, coordonnatrice


de la CUMP 94, SAMU 94, hôpital Henri-Mondor.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 184

184 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

CONTEXTE ACTUEL DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES

Au cours des vingt-cinq dernières années les progrès dans le diagnos-


tic anténatal ont été multiples et fascinants et ont profondément boule-
versé le rapport au savoir sur le fœtus. Auparavant l’embryon, puis le
fœtus représentait un enfant imaginaire, un inconnu qui ne devenait réel
qu’après être né. Si les premières échographies montraient des taches
informes où les parents apercevaient vaguement les contours du fœtus
et s’émerveillaient du moindre mouvement de la « tache », celles d’au-
jourd’hui sont de plus en plus performantes et offrent aux parents une
représentation très précise de leur bébé en trois dimensions, conduisant
à ce que S. Missonnier 1 décrit comme une relation d’objet virtuel (ROV) :

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« La ROV c’est la constitution du lien réciproque biopsychique qui s’éta-
blit en prénatal entre les (re)devenants parents opérant une “nidification”
Z
biopsychique et le fœtus qui s’inscrit dans un processus de “nidation”
D
biopsychique. » Désormais les progrès considérables des techniques
oc

médicales anténatales permettent d’avoir bien avant la naissance une


représentation réelle de l’existence de ce petit d’homme à naître : le bébé
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D

virtuel prénatal prend vie avant même d’être né. Objet de toutes les
ok

attentions, il est désormais examiné dans les moindres détails, peut subir
Bo

des prélèvements, des examens de toutes sortes et des tests génétiques


permettant de dire s’il est réellement exposé à développer une maladie
ed

alors qu’il n’en présente souvent aucun signe et de prédire son avenir des
mois avant sa naissance. Ces examens peuvent conduire au diagnostic
M

d’une maladie génétique (plus de huit cents connues aujourd’hui) mais


détectent aussi la moindre trace de virus, de germe ou de parasite dans
le liquide amniotique pour aboutir en quelques heures ou en quelques
jours à la certitude d’une fœtopathie. Chaque fœtus, chaque bébé en
devenir, est dorénavant suspect jusqu’à preuve du contraire.
La médecine fœtale est ainsi devenue une spécialité, une médecine
de l’anticipation, une médecine des probabilités 2, qui pronostique avant
la maladie et avant même la naissance de l’enfant. Placé sous la
surveillance de ces multiples technologies d’exploration, le bébé en deve-
nir est désormais un patient tout à fait réel, avec pour spécificité que les

1. S. Missonnier, « Parentalité prénatale, incertitude et anticipation », Adolescence, n° 55,


2006, p. 207-224.
2. J. Milliez, L’euthanasie du fœtus. Médecine ou eugénisme ?, Paris, Odile Jacob, 1999.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 185

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 185

examens réalisés chez lui ne peuvent l’être qu’à travers sa mère sans que
son consentement (celui du bébé) puisse être sollicité. Mais si le champ
du diagnostic s’étend, le doute pronostique perdure, comme si plus on
détectait, moins il était facile de prévoir. Désormais « ce sont justement
à partir d’incertitudes qu’un couple doit décider de la poursuite d’une
grossesse ou de son interruption. Les parents sont placés face à la
responsabilité du choix de la vie en poursuivant cette grossesse ou du
choix de la mort pour un enfant qui n’est pas encore né. C’est à partir de
l’incertain qu’il faut décider en toute “inconnaissance de cause” 3 ». Le
diagnostic anténatal opère ainsi un déplacement en subvertissant la place
du hasard et de la fatalité qui touche une famille lors de la naissance d’un
enfant différent, en responsabilité parentale pour l’enfant à naître :

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accepter la malformation du bébé à naître et poursuivre la grossesse
revient à choisir à la place de l’enfant et conduit les parents à décider
Z
pour lui de son handicap, de sa différence, pour sa vie à venir. Mais la
D
décision parentale n’est valable que dans un cadre temporel très précis
oc

puisque passé le délai légal d’avortement, le devenir du bébé à naître


quitte la sphère privée pour devenir un enjeu collectif cadré par la loi (loi
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D

de bioéthique, 2004) : ce sont alors des staffs anténataux pluridiscipli-


ok

naires qui statuent sur le devenir du bébé pour lequel une fœtopathie est
Bo

suspectée ou constatée, et ce n’est plus le choix parental qui prévaut sur


la décision de maintenir ou non la grossesse. Lorsque le staff anténatal
ed

prend une décision qui correspond aux attentes d’interruption médicale


de grossesse du couple, il assure une contenance où la conflictualité
M

intrapsychique et intersubjective peut être élaborée. Quand l’équipe


pluridisciplinaire va à l’encontre des souhaits parentaux et s’oppose à l’in-
terruption médicale de grossesse, sa fonction de contenance est mise à
mal et les liens intrasubjectifs et intersubjectifs sont en souffrance, avec
des incidences souvent dommageables pour le couple.

IMPACT TRAUMATIQUE DU TEMPS DE L’ANNONCE

Le diagnostic anténatal dans un contexte de maladie génétique peut


être réalisé dans trois situations distinctes, dont les enjeux psychiques
nous paraissent différents car le niveau d’atteinte des capacités d’élabo-

3. J.-P. Legros, « Quand la vie avant la vie est compromise : diagnostic anténatal et décou-
verte d’une anomalie anténatale », Spirale, IV, n° 36, 2005, p. 79-86.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 186

186 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

ration n’est pas le même : la première découle du conseil génétique


permettant d’évaluer la probabilité de voir survenir chez l’enfant une
maladie qui s’est déjà manifestée dans la famille (par exemple du fait de
la naissance d’un premier enfant atteint d’une maladie génétique grave).
La seconde relève de données épidémiologiques ou de connaissances
médicales acquises par des premiers résultats permettant de penser qu’il
existe un risque élevé d’anomalie fœtale chez un couple sans antécédent
connu (par exemple en raison de l’âge de la mère). La troisième résulte
d’une découverte fortuite, au cours d’un des examens échographiques,
d’une anomalie du fœtus. Cette distinction nous paraît essentielle car les
parents ne sont pas au même niveau dans leurs capacités d’anticipation
face au diagnostic : ils peuvent être actifs dans une demande et une

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démarche volontaire pour « savoir » ou peuvent subir un premier avis
médical les incitant fortement à solliciter une consultation spécialisée
Z
pour établir un diagnostic précis. Nous le verrons, les répercussions de
D
l’annonce et le sens que le couple y donnera ne sont pas sans lien avec
oc

le niveau d’élaboration des parents au moment de la consultation et avec


la qualité de résistance de leurs mécanismes de défense face à l’inintel-
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D

ligible.
ok

Au-delà de ce contexte il existe également une profonde diversité des


Bo

annonces selon que l’anomalie présentée est curable ou qu’elle présente


des facteurs de gravité et/ou d’autres troubles associés. Dans le choix de
ed

maintenir ou non la grossesse, nous constatons que si la gravité médi-


cale du pronostic est un élément important, d’autres facteurs influencent
M

les décisions parentales, en particulier le sens que le couple donne à


cette anomalie, la représentation que les parents ont de cette pathologie,
les projections qu’ils se font des conséquences familiales et sociales de
l’enfant à naître.
L’annonce d’une grave anomalie du bébé en devenir est un événe-
ment traumatique au sens où elle confronte à la mort : la mort possible
du bébé à naître, la mort du bébé des rêves, la mort possible d’un deve-
nir parent, la mort possible des projets envisagés. La dimension trauma-
tique se caractérise par la violence de l’annonce au sens où le couple est
confronté à une incapacité à traduire dans l’immédiat ce qui lui est dit,
pour donner sens à ce qui lui apparaît comme un non-sens 4. Le temps

4. H. Romano, « La souffrance psychique de l’enfant handicapé », Médecine thérapeutique


pédiatrique, vol. 10, n° 4, 2007, p. 222-230.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 187

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 187

de l’annonce est un temps suspendu, un temps hors temps 5, où les


repères habituels sont invalidés, où les défenses ordinaires sont inopé-
rantes. La confrontation à l’événement traumatique conduit à une anes-
thésie psychique plus ou moins durable, plus ou moins intense pour les
personnes directement concernées, et à un effet de contamination pour
les personnes impliquées auprès de ces parents (équipes médicales,
entourage familial). Si l’annonce, par la confrontation à la dimension
mortifère du diagnostic qu’elle impose, est un temps traumatique, toute
annonce n’a pas une dimension traumatogène, à savoir que la blessure
psychique n’est ni systématique, ni d’intensité équivalente à chaque
couple, et qu’il faudrait se prémunir de tout déterminisme et de toute
stigmatisation des parents confrontés à l’annonce d’une malformation de

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leur bébé à naître. Le temps de l’annonce confirmant que le bébé à naître
est porteur d’une maladie génétique est potentiellement un temps d’ef-
Z
fondrement psychique, et dans ce type de consultation, la place du
D
psychologue est particulièrement précieuse pour repérer l’intensité de la
oc

blessure psychique pour chacun des parents 6 et l’étendue de l’atteinte


des processus de parentalité et des mécanismes de défense du père et
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D

de la mère.
ok

L’impact traumatique s’origine à deux niveaux et s’inscrit sur une


Bo

scène marquée par une conflictualité simultanément intrapsychique et


intersubjective :
ed

– un traumatisme primaire direct qui correspond à la confrontation à la


réalité du diagnostic médical et qui s’explique en particulier par la crainte
M

de la douleur et de la souffrance pour la mère et pour ce bébé à naître,


mais aussi par la représentation qu’ont les parents de cette anomalie et
par la confrontation à la mort possible de ce bébé en devenir et de tout
ce qu’il représentait pour le couple ;
– un traumatisme secondaire qui intervient dans l’après-coup en réso-
nance avec le traumatisme primaire et qui est lié à l’histoire individuelle

5. F. Marty, Figures et traitements du traumatisme, Paris, Dunod, 2001.


6. D. David, « Les aspects psychologiques de l’interruption médicale de grossesse », Intro-
duction à la psychiatrie fœtale, Paris, ESF, 1992. – D. David, M. Tournaire et coll., 1869-
1880, « Le diagnostic prénatal et ses conséquences psychologiques », dans S. Lebovici,
R. Diatkine et M. Soulé (sous la direction de), Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et
de l’adolescent, Paris, PUF, III, 1997. – F. Gillot-de Vriès, J.-J. Detraux et coll., « Approche
du vécu maternel suite à l’annonce d’une anomalie fœtale », dans P. Mazet and S. Lebovici
(sous la direction de), Psychiatrie périnatale, Paris, PUF, monographie, 1998. p. 157-167.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 188

188 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

et familiale, en particulier à la réactivation d’événements douloureux


passés : fausse couche, membre de la famille décédé ou gravement
handicapé de cette même anomalie, histoire parentale marquée par la
souffrance de maladie ou de handicap, deuil enkysté, conflits, etc.
Le travail auprès de ces parents et l’attention que nous avons portée
à leurs réactions au moment même de l’annonce du diagnostic nous
amènent à dégager trois principales modalités d’expression de souffrance
psychique qui témoignent de l’atteinte de la capacité transformation-
nelle de l’appareil psychique face à l’indicible.
L’altération du sentiment d’appartenance se manifeste en particulier
par l’effondrement des croyances, en particulier de celles concernant le
savoir médical souvent idéalisé dans une toute-puissance susceptible de

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guérir tous les maux et de réparer toutes les « erreurs » de la nature.
Les parents sont souvent incrédules, demandent au médecin s’il est
Z
« sûr », si « aucune erreur n’est possible », « s’il n’y a vraiment rien à
D
faire ». Ils peuvent réagir avec violence, agressivité, remettre en cause
oc

la compétence de l’équipe médicale, se sentir abandonnés, incompris,


avoir l’impression qu’on ne leur dit pas tout, envisager de quêter d’autres
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D

avis supplémentaires avec en trame de fond la cassure entre le temps


ok

d’avant l’annonce et le temps d’après. L’altération du sentiment d’appar-


Bo

tenance est liée à la suspension de leur devenir parent qu’entraîne ce


diagnostic : attendre ce bébé ne va plus de soi, tous les projets autour
ed

de cet enfant à naître sont suspendus. La représentation du bébé des


rêves est morte, l’enfant fantasmatique, cet enfant enfoui dans l’incons-
M

cient des parents, héritier direct de leur complexe d’Œdipe, est tué au
moment même où l’éventualité de la suppression de l’enfant réel est
envisagée. L’unité de chaque parent en tant que sujet, leur sentiment
d’identité sont brisés : en un instant leur vie bascule, ils sont expulsés du
monde idéalisé de la grossesse parfaite et projetés dans une réalité qui
les dépasse bien souvent. Ce dont témoigne ce couple lorsqu’il nous dit :
« Nous sommes passés du monde merveilleux rose bonbon où tout était
facile, heureux, au cauchemar et à l’enfer. » La déshumanisation extrême
ressentie par certains parents lors de ces consultations peut conduire à
une désorganisation psychique persistante qui se traduit par un profond
sentiment d’étrangeté à l’égard de soi-même comme à l’égard des
proches. La mère, le père ne se reconnaissent plus et leur entourage ne
les reconnaît pas davantage : « Je ne suis plus comme avant, je ne suis
plus le même, je ne me reconnais pas » ; « J’ai l’impression d’être devenu
pour moi-même un étranger » ; « On a l’impression d’être seuls au
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 189

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 189

monde » ; « On ne me regarde plus comme avant » ; « Dès que je vois


une femme enceinte, je pense à mon bébé, à ces malformations » ; « Je
ne sais plus où j’en suis » ; « Je ne sais plus ce que je veux et ce que je
ne veux pas. »
Événement mortifère, le diagnostic anténatal d’une anomalie grave
fait effraction dans l’organisation pulsionnelle des futurs parents,
provoque une désorganisation des processus élaboratifs en constitution
et bouleverse définitivement les repères qu’ils avaient élaborés à partir
de leurs théories. Ils sont psychiquement à nu et tous les repères
psychiques (source et objet, altérité interne et altérité externe, présent
et passé) sont anesthésiés. L’altération du sentiment d’appartenance se
comprend par le fait qu’être traumatisé c’est instaurer en soi une part de

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l’autre non reconnue comme telle, c’est intégrer la figuration de la néan-
tisation de l’autre et de soi-même, c’est instaurer une altérité au sein de
Z
soi en réparation de son propre sentiment d’étrangeté 7.
D
L’expression d’un sentiment d’arbitraire : le couple, dès l’immédiat de
oc

l’annonce, témoigne très souvent de l’insoutenable sentiment d’impuis-


sance que représente la confrontation à quelque chose qu’il ne contrôle
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D

pas et qu’il subit sans en comprendre les raisons : « Pourquoi


ok

nous ? » ; « Qu’est-ce qu’on a fait pour que ça nous arrive à


Bo

nous ? » ; « Pourquoi ça nous tombe dessus ? » ; « Je n’ai jamais eu de


problème pour mes autres grossesses, il n’y a rien dans ma famille, pour-
ed

quoi ça m’arrive à moi ? » ; « Pourquoi maintenant ? » Tous ces « pour-


quoi » sont autant de tentatives pour retrouver au plus vite un sens à
M

cette annonce et au désastre qu’elle peut représenter pour chacun d’eux.


Cette confrontation à l’arbitraire est une expérience de perte absolue de
protection interne et externe, un véritable désastre psychique qui anni-
hile tous les repères antérieurs, met à mal l’homéostasie parentale et
abandonne les parents sur une scène inconnue du registre du vide, de
l’agonie représentationnelle, de la « terreur sans nom 8 ».
La culpabilité est très fréquemment évoquée par les parents au
moment même de la consultation d’annonce quand leur capacité de
verbalisation est préservée mais également lors des entretiens qui
suivent. Ce mécanisme de défense traduit la tentative pour les parents

7. H. Romano, « Intervention médico-psychologique immédiate », Stress et trauma, 7 (1),


2006, p. 45-50.
8. W.R. Bion, 1962, Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1991.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 190

190 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

de lutter contre ce sentiment d’arbitraire en se réappropriant une respon-


sabilité face à ce qui vient d’arriver, ce dont témoignent tout particulière-
ment les mères qui peuvent s’accuser d’avoir « fabriqué un bébé
anormal » : « Si j’avais fait/Si je n’avais pas fait ça, ça ne serait pas
arrivé » ; « C’est ma faute c’est moi qui… » ; « Je n’aurai pas dû, ce ne
serait jamais arrivé » ; « j’aurai dû… »

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES

La grossesse est un temps bien particulier dans l’histoire individuelle


de chacun des parents comme dans l’histoire du couple. C’est selon l’ex-
pression de Bydlowski 9 un temps de « transparence psychique », c’est-

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à-dire un temps de levée des défenses psychiques qui s’accompagne
habituellement d’un travail de réaménagement pulsionnel dans lequel le
Z
surinvestissement narcissique et le processus de l’idéalisation ont
D
tendance à censurer l’expression de l’agressivité et donc à limiter l’ex-
oc

pression et l’élaboration du sentiment de haine pour le bébé en devenir.


Lorsqu’un diagnostic anténatal grave est posé en pleine période de
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D

conflits d’ambivalence, c’est l’organisation psychique des parents qui se


ok

trouve sollicitée à tous les niveaux, et les assises narcissiques parentales


Bo

attaquées révèlent leurs failles d’ordinaire invisibles. Le risque psychique


pour chacun des parents est alors d’être submergé par la vague trauma-
ed

tique que représente l’annonce de ce diagnostic, d’être profondément


blessé dans son narcissisme et débordé dans sa capacité à contenir
M

toutes les pulsions hostiles et déstructurantes. L’attaque des différents


niveaux de la conflictualité psychique peut conduire à des manifestations
d’agressivité, de rejet, de honte, de dégoût, d’effroi, de désinvestisse-
ment de la grossesse et de fantasme de mort à l’égard du bébé en deve-
nir, comme en attestent ces réflexions : « J’en veux à mon bébé » ; « Je
me dégoûte, je voudrais pouvoir ouvrir mon ventre et me débarrasser de
“ça” » ; « Il [le bébé en devenir] m’a trahie alors que j’ai tout fait pour
lui » ; « Je me sens monstrueuse ; hier j’admirais mon ventre, aujour-
d’hui je ne le supporte plus, je voudrais n’avoir jamais eu ce bébé. »
L’annonce d’un diagnostic grave confronte à deux logiques : celle du
rationnel scientifique et celle du monde psychique des impliqués
(parents, professionnels, entourage), chargé de ses convictions, de ses

9. M. Bydlowski, « Le regard intérieur de la femme enceinte, transparence psychique et


représentation de l’objet interne », Devenir, 2, vol. 13, 2001, p. 41-52.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 191

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 191

croyances, de ses traumatismes passés et de ses représentations fantas-


matiques sur la filiation, le handicap, la maladie, la mort. La place de l’an-
nonce de la fœtopathie dans l’économie psychique de chacun va rendre
compte de la dimension de la bipolarité psychique et de la capacité trans-
formationnelle de l’activité psychique puisque s’intriquent la part de réel
qui relève de l’événement et la part de subjectivité dans laquelle chacun
d’entre eux est engagé. L’intrication de ces deux « possibles » explique
la valeur d’intrusion aliénante du diagnostic dans l’organisation psychique
du sujet impliqué, qu’il soit parent ou professionnel, et l’importance de
son impact traumatique dès lors que la capacité transformationnelle est
invalidée.
Dès lors, penser l’efficacité symbolique des consultations anténatales

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nous amène à reconnaître les liens existant entre scène traumatique et
scénarios fantasmatiques et à concevoir ce temps d’entretien comme un
Z
temps de coconstruction entre le savoir parental et le savoir médical. De
D
nombreux cliniciens travaillant auprès de couples sollicitant des consulta-
oc

tions anténatales se sont préoccupés des modalités d’annonce suscep-


tibles de limiter les répercussions de l’annonce 10. Il nous semble que c’est
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D

par la mise en place d’un cadre humanisant que nous pouvons apporter
ok

aux parents la contenance suffisante pour permettre la restauration des


Bo

mécanismes et des capacités de liaison et une résistance suffisante face


à l’effondrement de sens et de valeurs partagées que représente cette
ed

annonce de fœtopathie. Cela passe en particulier par les mots, les atti-
tudes qui limitent la culpabilité, le sentiment de désappartenance et la
M

détresse d’être soumis à l’arbitraire. Avec un tel cadre, l’espace de la


consultation devient au sens de Winnicott 11 un espace transitionnel :
« Dans la vie de tout être humain il existe une troisième partie que nous
ne pouvons pas ignorer, c’est l’aire intermédiaire d’expérience à laquelle
contribuent simultanément la réalité intérieure et la vie extérieure. » Les
bouleversements consécutifs à l’annonce d’un diagnostic grave s’inscri-
vent dans cet espace, dans cette rencontre entre deux espaces : celui du
couple et celui qui devient dépositaire de la souffrance exprimée. Lorsque
chacun des professionnels présents est en capacité d’être pour ce couple

10. S. Missonnier, La consultation thérapeutique périnatale. Un psychologue à la maternité,


Toulouse, érès, 2003. – S. Sausse, Le miroir brisé, Paris, Calmann-Lévy, 1996. –
P. Bensoussan, « L’annonce faite aux parents », Neuropsychiatrie de l’enfant, 37 (8-9),
1989, p. 429-440.
11. D.W. Winnicott, 1971, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002, p. 30.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 192

192 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

un « adulte transitionnel 12 », c’est-à-dire lorsque ses propres capacités


réflexives ne sont pas invalidées par l’impact traumatique, la consultation
anténatale peut alors être un véritable temps de « suturation
psychique 13 » puisqu’elle permet de rendre intelligible l’innommable, de
mettre en sens l’indicible et de traduire par des mots la douleur, les
peurs, les incertitudes, les questionnements. Elle est en ce sens un
opérateur symbolique entre deux mondes : celui du savoir médical, de la
réalité diagnostique et celui du savoir parental, de la représentation
fantasmatique du bébé en devenir. Quelles seraient les conditions
susceptibles de permettre aux parents de se dégager de la violence
traumatique de cette annonce ?
Un certains nombre de facteurs « matériels » participent au-delà des

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qualités humaines des professionnels à la constitution d’un cadre de
consultation respectueux de l’humanité de chacun des parents :
Z
– bureau fermé, calme, confortable avec un siège pour chaque personne
D
présente ;
oc

– bureau dédié à cette consultation où aucune personne non concernée


n’est présente (par exemple, un collègue travaillant sur un ordinateur
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D

dans un coin du bureau) ;


ok

– présence maximum de deux professionnels ;


Bo

– disponibilité des professionnels durant cette consultation d’annonce :


pas de bip, pas d’interruption téléphonique ;
ed

– temps consacré à cette consultation suffisant : pas moins de quan-


rante-cinq minutes.
M

Si ces éléments peuvent apparaître comme des « détails » peu impor-


tant face au drame que représente l’annonce d’une fœtopathie, ils parti-
cipent néanmoins au respect de ces parents qui ne sont pas objectifiés
par les professionnels mais entendus avec disponibilité et attention.
« Quand on nous a appris la malformation de notre bébé c’était l’hor-
reur ; mais ce dont je me souviens c’est qu’on avait en face de nous quel-
qu’un d’extrêmement disponible, de très patient. Le généticien a pris le
temps de nous parler, de nous expliquer et de nous expliquer encore. On
n’était pas seuls, on était avec lui et son attention, sa disponibilité, ça a

12. H. Romano, Enjeux psychiques de la révélation d’abus sexuel en milieu scolaire, thèse
de doctorat de psychopathologie, université de Rouen (sous la direction de A. Aubert, jury :
F. Marty, R. Scelles, C. de Tichey, J.-L. Viaux, J. Fortin), 2003.
13. H. Romano, « Intervention médico-psychologique immédiate », art. cit., 2006.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 193

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 193

été un soutien incroyable. On n’était pas qu’un numéro de malade mais


vraiment des parents à part entière. »
Face au ressenti d’étrangeté vécu par le couple lors de la confronta-
tion à la fœtopathie, il nous semble important que le médecin puisse
s’ajuster à chaque parent en évaluant son état psychologique et le
contexte familial et social (s’assurer en particulier que le français est bien
compris et si ce n’est pas le cas, solliciter un traducteur). Il s’agit aussi
de prendre en considération l’état des connaissances du couple en repé-
rant le décalage entre ce qu’il pense déjà, ce qu’il se représente, ce qu’il
imagine et la réalité. De simples questions permettraient au médecin
d’avoir un minimum de connaissance de l’état d’élaboration des parents :
« Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » ; « Qu’est-ce qui vous

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amène ? » ; « Est-ce que votre médecin vous a expliqué ce qu’était cette
consultation ? » Certains parents savent pour quelles raisons ils vien-
Z
nent : il y a un doute sur la transmission possible d’une maladie géné-
D
tique et ils veulent savoir si leur bébé en est porteur. Dans certaines
oc

situations la période qui précède l’annonce est une période de doutes,


d’inquiétudes, marquée par de multiples examens, des avis médicaux
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D

contradictoires. Le couple voit son bébé en devenir transformé en objet


ok

de savoir médical sans obtenir les réponses à toutes ses questions. Pour
Bo

d’autres la consultation de diagnostic anténatal suit une échographie


« douteuse » et il peut arriver que des parents viennent en consultation
ed

sans savoir, soit parce que leur médecin n’a pas pu leur dire, ne leur a
pas fait part de ses incertitudes et a préféré « pour ne pas les inquiéter »
M

rester dans un certain flou, soit parce que le médecin leur a bien expli-
qué pour quelles raisons il leur recommandait le diagnostic anténatal,
mais les parents étaient alors dans un tel état de sidération qu’ils n’ont
pas enregistré les informations données. Si les parents sont dans un vide
élaboratif et que le diagnostic est donné alors que le médecin pense que
l’information initiale a déjà été faite, l’annonce a le caractère d’une
violence intrusive insoutenable pour le psychisme du couple. Si le méde-
cin prend la précaution de s’ajuster aux connaissances des parents il peut
faire l’annonce de façon plus progressive de telle sorte que la dimension
d’effraction n’est pas aussi violente car les parents ne sont pas précipités
dans une temporalité qui les dépasse.
Le respect du rythme d’élaboration des parents est aussi très
précieux. Au début de la consultation il y a un décalage et une relation
asymétrique puisque les médecins savent le diagnostic, ils ont souvent
déjà réfléchi aux suites éventuelles alors que les parents en ignorent
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 194

194 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

encore tout. Pour ce couple il s’agit de son « bébé », pour les médecins
d’un « fœtus » : « Quand le médecin nous parlait de notre bébé, il disait
toujours “votre fœtus” comme s’il l’avait déjà condamné, comme s’il
savait qu’il ne vivrait pas ; mais pour nous ce jour-là, on ne savait pas ce
que l’on ferait et pour nous c’était notre bébé, pas un vulgaire fœtus. »
Ce décalage entre la représentation des parents et celle des profession-
nels peut conduire à une véritable confusion de sens entre ce qui est dit
et ce qui est compris : les médecins parlent sur un registre mais les
parents sont sur un autre registre et ne peuvent donc rien comprendre
de ce qui leur est dit ; leur capacité réflexive est invalidée par cette
traduction impossible entre langage médical et langage parental.
Le diagnostic donné il nous semble important que le médecin puisse

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repérer ce que les parents ont compris de cette information et quelles en
sont les répercussions pour chacun en donnant à la mère et au père un
Z
temps pour s’exprimer : « De quoi pensez-vous qu’il s’agit ? » ; « Quelle
D
idée vous faites-vous de cette maladie ? » ; « En avez-vous déjà entendu
oc

parler ? », etc. Dans certains cas les parents se sont renseignés sur inter-
net, sur des serveurs d’associations, dans des revues, et la réalité médi-
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D

cale de leur bébé n’est pas toujours celle qu’ils ont trouvée lors de leurs
ok

recherches. Ils n’osent pas forcément le dire au médecin et peuvent


Bo

rester avec leurs croyances et leurs certitudes. Il est important de leur


laisser la possibilité d’en parler, de faire part de leurs questions, de leurs
ed

incertitudes pour limiter les malentendus.


Il nous semble essentiel de ne pas chercher à uniformiser un temps
M

aussi important et d’offrir à chaque couple reçu un cadre toujours spéci-


fique. L’efficacité symbolique de cette consultation de diagnostic anténa-
tal se construit dans cet ajustement permanent aux parents : s’adapter à
chacun, les accompagner autour de leurs incertitudes, de leurs interro-
gations, de leurs croyances, de leur espoir, respecter leur mode de fonc-
tionnement, leur niveau de développement et de compréhension
(vocabulaire), les informer de façon progressive en respectant les étapes
de leurs émotions. Ne pas le précéder, ne pas le précipiter nécessite, au-
delà des connaissances et des compétences professionnelles, des quali-
tés essentielles d’humanité, d’attention, de disponibilité.

LIMITES

Il est des situations où le dégagement de l’impact traumatique


s’avère impossible : l’inintelligible continue de contaminer tout l’espace
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 195

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 195

individuel et familial et les conflits psychiques réactivés par cette annonce


ne peuvent être pansés. Dans ces consultations nous constatons que la
circulation psychique ne peut pas se faire tant au niveau des parents
qu’au niveau des professionnels.
Ce que nous repérons comme obstacles à la restauration de la conti-
nuité psychique ce sont principalement des attitudes, des discours, des
propos ou des silences du médical qui viennent renforcer les ressentis de
désappartenance, de culpabilité et d’arbitraire. Le diagnostic anténatal
présente alors une réelle menace d’encryptage traumatique.
Le renforcement du sentiment de culpabilité est souvent lié à l’inter-
rogatoire génétique devant permettre au médecin d’élaborer l’arbre
généalogique familial. Cette interrogation sur l’ensemble du groupe fami-

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lial met en jeu les relations affectives, les conflits passés et présents,
révèle même parfois des secrets tus jusqu’alors et est susceptible d’en-
Z
traîner de réels bouleversements des relations interpersonnelles. Le
D
statut biologique de l’individu vient s’imposer, voire s’opposer à celui qu’il
oc

occupe dans la famille. Les questions posées par la confidentialité intra-


familiale, le droit au secret de chacun entrent alors en conflit avec le droit
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D

à connaître un risque et à s’informer et peut renforcer le sentiment de


ok

culpabilité.
Bo

Ce savoir sur le plus intime du sujet, son destin et la transmission à


sa lignée de gènes de prédisposition à une maladie ou de transmission
ed

directe d’une maladie, contraint les parents à un important travail d’éla-


boration psychique et d’appropriation de l’information reçue qu’ils ne sont
M

pas toujours en mesure de réaliser. Si le temps d’élaboration des parents


n’est pas respecté par le médical, l’information génétique devient une
intrusion du biologique dans la dynamique familiale et face aux décisions
thérapeutiques à prendre, les avis médicaux sont alors ressentis comme
des injonctions aliénantes.
Être confronté à l’annonce d’un diagnostic grave peut bloquer les
émotions et renforcer le sentiment de désappartenance. Le temps où cela
est annoncé n’est pas le temps où cela fait sens, ce qui permet de
comprendre que beaucoup de futurs parents reçoivent l’information mais
ne l’enregistrent pas, comme si elle restait irréelle, ils ne peuvent pas l’in-
tégrer, la comprendre car elle les confronte à l’innommable, à l’indicible.
Au-delà de l’annonce factuelle des résultats, les parents vont devoir
comprendre tous les termes médicaux, assimiler toutes les informations
transmises, s’approprier ce savoir dans un contexte où l’incertitude est
toujours présente. Le temps traumatique est un temps hors temps, un
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 196

196 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

temps d’agonie psychique qui n’est pas le temps du médical. Celui-ci est
pressé, marqué par des examens qui s’enchaînent rapidement, voire
précipitamment en raison des délais légaux d’interruption médicale de
grossesse. Les décisions à prendre sur le devenir du fœtus sont compri-
mées par le temps médical, lui-même soumis au carcan juridique qui ne
laisse pas le temps à l’élaboration et à la restauration de l’identité narra-
tive des parents.
Le temps de l’annonce nécessite de pouvoir offrir un espace aux
parents qui permette d’intégrer des informations complexes, souvent
douloureuses, et de prendre des décisions toujours difficiles. Il s’agit pour
les parents et pour les médecins de supporter ce temps irréductible du «
ne pas savoir » ensemble et de respecter cet indispensable instant de

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non-élaboration, d’inconnaissance à préserver avant tout de toute déci-
sion. Si un temps minimal entre l’annonce d’une anomalie fœtale et la
Z
consultation où il sera décidé de poursuivre ou non la grossesse n’est pas
D
respecté, le décalage entre information et compréhension ne peut être
oc

comblé et cette agonie de représentations présente le risque de précipi-


ter des passages à l’acte visant à supprimer le fœtus.
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D

Le sentiment de désappartenance est susceptible d’être aggravé par


ok

les attitudes, les propos déshumanisants qui réduisent le fœtus à un


Bo

objet de savoirs et qui dépossèdent les parents de leurs compétences à


se penser parents. Le non-respect des émotions des parents, la mécon-
ed

naissance des répercussions traumatiques de l’annonce, un non-ajuste-


ment à leur niveau de connaissance avant l’annonce, l’absence d’intimité
M

lors de l’annonce (dans le couloir), la multiplication des professionnels


présents (inconnus des parents et qui ne se présentent pas), le non-
respect du droit à l’information, le peu de disponibilité de médecins inter-
rompus par des bips, des appels téléphoniques ou pressés par d’autres
consultations, sont autant d’éléments participant à la déshumanisation de
la relation avec les parents. Lorsque les parents reviennent après cette
première consultation, ce sont souvent ces « petits éléments » qui vont
servir d’assise à leurs plaintes car ils symbolisent pour les parents leur
ressentis d’étrangeté. Par exemple ce témoignage de Monsieur et
Madame N. qui viennent d’apprendre que leur bébé a une amyotrophie
spinale : « Ça commençait mal, le médecin avait plus d’une heure de
retard et on nous a fait attendre sans nous prévenir, sans s’excuser
comme si on était des pions. On n’a pas osé partir parce qu'on attendait
les résultats, on n’était pas en droit de protester... Et puis quand on est
entrés dans le bureau il y avait plein de blouses blanches, cinq, six ou
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 197

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 197

sept, impossible de se souvenir c’était une armée de blouses blanches.


Certains avaient le visage fermé, d’autres des rictus avec un sourire
gêné ; et là on a compris que ça devait être grave. Et pourtant personne
ne nous avait encore rien dit. Et puis après c’était l’horreur, on était à
peine assis qu’on nous a dit que c’était grave, on nous a donné le nom
sans qu’on y comprenne rien et le médecin était sans cesse interrompu
par le téléphone, son bip, c’était insupportable. On a eu l’impression
qu’on était rien, juste un dossier parmi d’autres, ils n’étaient pas là pour
nous mais juste pour faire leur boulot. »
Il n’y a plus d’espace pour rendre intelligible l’information transmise :
lorsque les médecins se tiennent à distance des affects et se protègent
derrière des discours scientistes, il n’existe plus d’espace pour restaurer

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les capacités d’élaboration des parents et s’ajuster à ce qu’ils peuvent
entendre, à ce qu’ils peuvent comprendre, à ce qu’ils peuvent vouloir.
Z
Dans de tels contextes nous observons un court-circuitage qui se traduit
D
par des annonces qui prétendent tout contenir et qui réduisent le temps
oc

de la consultation anténatale à la décision à prendre, sans que cette déci-


sion parentale soit toujours suivie par les staffs anténataux.
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D

Le dégagement de la dimension traumatique de l’annonce de la fœto-


ok

pathie peut aussi être empêché par l’incertitude de certaines explications


Bo

médicales qui ne font que renforcer le sentiment d’arbitraire. L’analyse


des résultats reste en effet soumise à une frange d’incertitudes :
ed

– même dans une situation à risque connu avant la grossesse, des diffi-
cultés d’interprétations persistent et le diagnostic n’est pas toujours
M

possible, en particulier si le mécanisme moléculaire de la maladie est mal


connu ;
– un prélèvement fœtal de mauvaise qualité ou insuffisant peut aussi être
à l’origine d’une erreur ;
– la variabilité d’expression d’une maladie génétique peut conduire à des
difficultés quand les médecins savent reconnaître la présence d’un gène
anormal sans être capables de prédire la gravité de la maladie chez l’en-
fant à naître ;
– la peur que ce qui est perçu masque au fond bien d’autres anomalies
peut conduire à une véritable quête de la malformation conjointe pour
pouvoir étayer avec certitude la décision d’interruption médicale de gros-
sesse ;
– les outils de diagnostics anténataux sont devenus si performants qu’ils
décèlent dès la vie fœtale des maladies qui ne se seraient peut-être
jamais manifestées cliniquement ou qui risquent de ne se révéler
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 198

198 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

qu’après plusieurs mois voire plusieurs années de vie de l’enfant (mala-


die de Huntington) sans que le médecin puisse précisément évaluer ces
délais ;
– les investigations anténatales révèlent aussi de plus en plus d’anoma-
lies inattendues dont pour certaines les médecins ignorent actuellement
la traduction morbide éventuelle.
La médecine anténatale est confrontée à un paradoxe : plus on
détecte, plus il est difficile de proposer des perspectives pronostiques
pour tout ce qui est découvert. C’est en fait une médecine de l’incertitude
qui exprime un taux de risque et qui génère des questions auxquelles elle
se trouve certaines fois incapable de répondre autrement que par une
proposition d’interruption de grossesse dès que le doute est trop fort. Le

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diagnostic anténatal offre donc le risque d’être quasiment un diagnostic
sans thérapie mais pas sans solution puisque l’interruption médicale de
Z
grossesse reste pour certains cas envisageable. À l’incertitude médicale
D
se surajoute l’incertitude parentale de pouvoir prendre en charge cet
oc

enfant malade ou possiblement handicapé.


C’est à partir d’incertitudes que le couple doit décider ou non de la
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D

poursuite de la grossesse dans un contexte où la pulsion de mort à


ok

l’œuvre dans l’annonce d’un handicap ou d’une maladie grave est ici léga-
Bo

lisée par la législation relative aux interruptions médicales de grossesse


mais ne sera possible qu’avec l’accord des commissions pluridisciplinaires
ed

de diagnostic anténatal. L’incertitude du diagnostic renforce l’indicible et


le sentiment d’étrangeté des parents et peut conduire les médecins à
M

opérer un raccourci psychique parfais inquiétant puisqu’il autorise la


suppression de celui qui échappe à toute ressource thérapeutique.
Pour certains parents ne pas tout savoir permet de préserver un
espace d’anticipation concernant le futur bébé ; pour d’autres l’incerti-
tude est vécue comme insupportable et renforce le sentiment de désap-
partenance et d’insécurité. Ce n’est que dans l’échange avec les parents
que les professionnels pourront s’ajuster à ce que peut représenter pour
eux cette « incertitude diagnostique » et limiter les effets traumatiques
de cette annonce.

QUELLE PLACE POSSIBLE POUR LE PSYCHOLOGUE DANS LA CONSULTATION


DE DIAGNOSTIC ANTÉNATAL ?

L’impact émotionnel des consultations anténatales a conduit de


nombreux services à solliciter la participation de psychologues au sein de
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 199

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 199

ces équipes médicales. La place du psychologue au temps de la consul-


tation d’annonce est variable et souvent liée au contexte dans lequel s’est
créée cette consultation en binôme : dans certains services les psycho-
logues ont participé au projet, ont défini leurs objectifs, ce qu’ils
pouvaient apporter et leurs limites ; dans d’autres services un poste a été
créé parce que les équipes médicales ressentaient bien l’importance de
cette présence à ce moment si particulier, mais sans que le cadre et la
place de ce psychologue aient été au préalable pensés avec des psycho-
logues. Dans cette dernière situation, il peut y avoir un certain malen-
tendu lorsque le médecin a une représentation bien particulière de ce
qu’est un psychologue et quand celui-ci n’a pas la même façon de conce-
voir son travail au sein de cette consultation. Il peut alors être nécessaire

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de s’ajuster pour éviter que la place du psychologue en tant que profes-
sionnel « transitionnel » ne soit invalidée et ne se résume à une place de
« caution psy» ou de faire-valoir. Z
D
Le psychologue clinicien offre une écoute sans engagement médical
oc

et porte une attention qui lui permet d’être disponible aux réactions
psychologiques du couple qui est accueilli et aux interactions avec le(s)
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D

médecin(s) présent(s). Par rapport à cette place toute singulière du


ok

psychologue nous pensons à ce que Ferenczi décrivait dans son analyse


Bo

du mythe d’Œdipe, à savoir que chacun porte en soi Œdipe et


Jocaste. Cette ambivalence dans la volonté de savoir nous semble tout
ed

particulièrement à l’œuvre chez les parents confrontés à un diagnostic de


fœtopathie : pour chacun d’entre eux, une part d’eux veut savoir et cher-
M

cher à poursuivre infatigablement sa quête, l’autre supplie d’interrompre


la recherche pour éviter l’horreur de la connaissance. La place du psycho-
logue nous semble être dans cette compréhension de la conflictualité
psychique manifestée à ce moment si précis de l'annonce pour permettre
à chacun de se dégager de la violence de la vérité et de ne pas en être
psychiquement détruit.
Être là au plus près du temps de l’annonce nous permet de repérer
les modalités de l’expression de la souffrance psychique de chacun des
parents et celles du couple, mais également d’être attentifs et disponibles
pour les soignants chargés de l’annonce. Le psychologue permet de resi-
tuer chaque parent et le bébé en devenir dans leur singularité et de ne
pas les limiter à l’anomalie décelée. Cette démarche passe par l’attention
portée à la singularité de chaque personne impliquée dans cette
rencontre entre réalité fantasmatique parentale et réalité médicale,
l’écoute des résonances inconscientes enfouies au plus profond de
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 200

200 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

chacun d’entre eux, l’évaluation des processus psychiques exprimés et


l’aide et la prise en charge de la souffrance psychique repérée. L’objectif
est de rétablir un continuum d’existence pour permettre de se dégager
de cette zone de turbulence et faire en sorte que l’espace de conflictua-
lité intersubjectif et intrasubjectif ne soit plus invalidé par l’impact trau-
matique du diagnostic grave.
Pour que la fonction du psychologue soit opérante, il est nécessaire
que celui-ci ait réellement une existence au sein de la consultation,
même si celle-ci est peu verbale et souvent davantage une observation,
silencieuse. Lors de cette consultation la demande du couple s’annonce
au médecin et non au psychologue ; la présence du psychologue n’est
pas le choix de ces parents qui peuvent réagir avec inquiétude (« c’est

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vraiment grave ? »), gêne, rejet (« on n’est pas fous »). La rencontre
avec un « psy » est susceptible de réactiver des craintes et des posi-
Z
tions infantiles pouvant renforcer les sentiments de culpabilité et la
D
crainte d’être jugés. Il nous semble pour cela essentiel qu’un temps de
oc

présentation puisse être fait pour que le psychologue se nomme et


explique au moins en quelques mots que sa présence est habituelle
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D

dans cette consultation. Prendre le temps d’expliquer que nous sommes


ok

présents lors des consultations participe au processus d’humanisation :


Bo

les parents comprennent alors qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres
couples ont vécu le même parcours ; cela permet aussi de démystifier
ed

le recours éventuel au « psy » et facilite un suivi en différé. Lorsque


nous sommes amenés à revoir ces parents quelques jours, plusieurs
M

semaines ou plusieurs mois après cette consultation d’annonce, ils nous


disent à quel point ce second rendez-vous a été rendu possible grâce à
ce temps d’expérience commune : « J’ai beaucoup hésité avant de
reprendre rendez-vous mais on s’était déjà vus » ; « C’était plus facile
de vous rappeler car je vous connaissais et puis vous saviez, je n’avais
pas besoin de tout vous réexpliquer. »
À l’issue de la consultation d’annonce, un temps d’échange nous
semble indispensable entre professionnels présents afin de permettre
une mise en perspective des représentations de chacun et de limiter tout
encryptage traumatique.
Comme nous l’avons expliqué en introduction, la consultation d’an-
nonce n’est pas un temps figé mais est à entendre comme un véritable
processus qui s’inscrit bien avant ce jour fatidique et qui se prolonge
dans le temps sur des scènes multiples où le médical envahit bien
souvent l’espace. Pour cette raison nous proposons systématiquement
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 201

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 201

aux parents une possibilité en différé d’entretien psychologique. Lors


de ce second entretien, qui se situe dans l’idéal dans la semaine qui
suit l’annonce, nous pouvons évaluer les répercussions traumatiques
du diagnostic et repérer si une réorganisation psychique a pu s’élabo-
rer. Le fait d’avoir pu être présent au moment de l’annonce est pour le
psychologue important car cela limite la difficulté de repérage et le
risque de confusion entre une déstructuration psychique des parents
(ou de l’un d’entre eux) du fait de l’annonce du diagnostic et une
désorganisation qui serait préalable à l’annonce. La distinction entre
l’organisation psychique antérieure de chacun des parents et les
défenses psychiques déployées suite à l’annonce et à la confrontation
à la réalité du diagnostic est essentielle : elle nous permet de repérer

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les failles mais aussi les ressources qui permettront de servir de levier
psychique pour résister à l’effondrement. La confusion entre la bles-
Z
sure psychique liée à l’annonce et les réactivations de plaies
D
psychiques cicatricielles présente le risque de ne pas penser justement
oc

les réactions des parents et de ce fait de ne pas leur apporter l’étayage


adapté pour qu’ils puissent être restaurés suffisamment dans leur
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D

parentalité et se rendre à nouveau disponibles pour leurs enfants déjà


ok

nés et leur bébé en devenir.


Bo

Au cours de cet entretien notre évaluation est plurielle et nous


essayons de repérer pour chacun des parents sa capacité à évoquer son
ed

histoire, les conflits infantiles passés, la réactivation d’événements trau-


matiques éventuels ; le niveau de retrait narcissique face à l’anomalie
M

annoncée ; les manifestations de symptômes posttraumatiques ; les


mouvements de désorganisation et de réorganisation induits par le
diagnostic ; ses capacités de représentations ; sa possibilité de verba-
liser et de mettre en mots sa souffrance et ses ressentis ; sa facilité ou
résistance à évoquer ses propres peurs, ses désirs, ses croyances, ses
fantasmes imaginaires ; le niveau de restauration du processus de
parentalité ; son niveau de reconnaissance de la réalité médicale de la
malformation ; sa capacité à s’identifier au bébé en devenir et à antici-
per ses besoins ; sa capacité d’adaptation à élaborer un travail de deuil
de l’enfant de rêve (projets de traitements, d’opérations, de rééduca-
tions, réorganisation de ses projets de vie, réaménagement maté-
riel) ou de l’enfant à naître ; la qualité de la collaboration avec l’équipe
médicale.
Tous ces éléments ne sont pas toujours repérables et dépendent en
partie de la capacité à la triangulation psychique des parents, ce qui n’est
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 202

202 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

pas toujours le cas 14. Lorsqu’il est possible d’accéder à cette lecture de
la conflictualité psychique de chacun des parents nous pouvons travailler
la restauration de ses capacités psychiques et permettre au travail d’in-
tégration psychique du traumatisme de faire son œuvre. L’accompagne-
ment des parents autour du sens de cette annonce pourrait se traduire
par ces questions : Que faire de cette annonce ? Comment traduire ces
sentiments multiples ? Que faire de toute la souffrance et la détresse
ressentie ? Comment vivre ce diagnostic ? Comme continuer à vivre au-
delà ?
L’écoute du psychologue n’est pas qu’une simple écoute événemen-
tielle : il lui faut devenir en quelque sorte le « passeur de maux », « l’ai-
guilleur de sens » de la trace traumatique, celui par qui « ça peut parler »

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pour que la dimension traumatisme de cette annonce ne s’enkyste pas
comme un temps mort de la vie mais s’inscrive comme un temps qui
participe à la vie. Z
D
oc

POUR CONCLURE
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D

L’annonce d’un diagnostic anténatal grave est un événement trauma-


ok

tique qui potentiellement est susceptible d’avoir des répercussions


Bo

intenses et durables dans le fonctionnement psychique des parents. L’an-


nonce d’une fœtopathie n’est pas qu’une information objective sur les
ed

anomalies constatées du fœtus mais doit prendre en considération la


dimension subjective c’est-à-dire le sens de cette annonce pour les
M

parents : quel que soit le diagnostic, le médecin a toujours en face de lui


non un ventre avec un fœtus malade mais un bébé en devenir, une mère,
un père, des sujets à part entière, avec toute leur complexité. Il s’agit de
proposer un maillage interprofessionnel, interinstitutionnel permettant aux
logiques médicales et aux logiques du monde psychique de s’articuler.
Il s’agit donc de se situer dans une optique de prévention, en dépas-
sant la croyance naïve que des conditions d’excellence permettraient de
minimiser, au point de l'annuler, tout retentissement psychologique, et en
écartant l’idée répandue selon laquelle nous ne pouvons pas éviter la
violence pour les parents d’être confrontés à l’inacceptable.

14. A.-M. Rajon, I. Abadie, H. Grandjean, « Répercussions du diagnostic périnatal de


malformation sur l’enfant et ses parents : approche métapsychologique à partir de l’étude
longitudinale de trente familles », Psychiatrie de l’enfant, XLIX, 2, 2006, p. 349-404.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 203

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES 203

Si le temps effectif de l’annonce est un choc, pouvant conduire à un


encryptage traumatique qui reste gravé dans la mémoire avec une inten-
sité d’autant plus forte que les parents n’imaginaient pas une anomalie,
c’est aussi un temps susceptible de réinscrire l’histoire de ce couple dans
une temporalité : le temps de l’annonce permet de mettre un nom sur
des symptômes, de poser un diagnostic après une période de doute, d’in-
quiétudes, où les examens se multiplient avec certaines fois des errances
médicales, des bilans et investigations de toutes sortes, et de ne plus
rester dans le vide et dans l’incertitude passée.
Le médecin qui annonce est l’acteur d’une rencontre dont il ignore
tout. S’il appréhende la situation exclusivement dans le réel sur le champ
médical et s’il n’appréhende pas la situation à des niveaux différents,

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complémentaires et intriqués, notamment en termes fantasmatiques, il
désubjective l’enfant à naître et ses parents et déshumanise la prise en
Z
charge. L’enjeu est d’importance puisque de la capacité des parents à
D
faire face à cette annonce dramatique dépendra en partie la décision
oc

quant au devenir de ce bébé en développement. Pour cela l’efficacité


symbolique des consultations anténatales ne peut être opérante que par
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D

une prise en charge humanisante du couple afin que chacun puisse être
ok

entendu, soutenu, étayé dans la réalité de sa souffrance, notamment


Bo

celle que la décision à prendre induit. Il s’agit également d’offrir à chacun


– aux parents mais aussi aux autres enfants de la fratrie 15 – un espace
ed

où pourront être élaborées la violence subie par la perte et les répercus-


sions du travail de deuil, qu’il s’agisse du deuil de l’enfant imaginaire
M

rêvé, nécessaire à l’accueil de l’enfant réel qui naîtra avec sa pathologie,


ou de celui du bébé à naître quand une décision d’interruption thérapeu-
tique de grossesse est prise. Lorsque la consultation d’annonce offre un
espace et un temps où la mère, le père, le bébé à naître, l’environnement
familial sont considérés dans leur singularité, dans l’infini respect de ce
qu’ils peuvent entendre, de ce qu’ils peuvent comprendre et dans l’at-
tention permanente à leurs représentations, alors cette consultation est
un temps qui participe à la vie.

15. R. Scelles, Fratrie et handicap, Paris, L’Harmattan, 2000.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 205

Denis Vaginay

Sexualité et handicap mental :


sous quel regard éthique ?

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Z
D
oc

RECONNAISSANCE D’UN DROIT ET NÉCESSITÉ D’UN POSITIONNEMENT ÉTHIQUE


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D

Nos sociétés actuelles se considèrent comme particulièrement


ok

accueillantes ou tolérantes à l’égard de la différence. Ainsi, la France se dote


Bo

régulièrement de lois qui développent l’esprit inauguré par celle du 30 juin


1975, dite d’orientation en faveur des personnes handicapées. L’élan donné
ed

à ce moment-là se confirme, même si c’est au prix d’une grande ambiguïté


M

qui s’exprime notamment dans la coexistence de politiques d’éradication


préventive (diagnostic anténatal) et d’intégration, et laisse apparaître des
difficultés nouvelles et inattendues. C’est le cas, par exemple, dans le
domaine de la sexualité, dont la dimension devrait pourtant faire partie inté-
grante du processus d’affirmation identitaire qui concerne chacun.
Pendant longtemps les personnes handicapées ont été tenues assez
naturellement à l’écart du commun, que ce soit au nom de leur évidente
différence ou de leur vulnérabilité. Nous disons « naturellement », car
l’étrangeté dérange toujours l’homme dans le temps de sa rencontre. Elle
effraie l’individu, qui a tendance à la rejeter. Le groupe organise à partir
de ce mouvement spontané une réponse sociale stabilisée qui, souvent,
repose sur l’exclusion, ce qui permet une anticipation du phénomène et
une réduction de l’inquiétude ou même de l’angoisse individuelle. Chan-

Denis Vaginay, docteur en psychologie, travaille en institution (IME), en cabinet et comme


formateur.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 206

206 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

ger d’attitude au point de vouloir l’intégration, c'est-à-dire la réduction


majeure des effets provoqués par la différence, changer de mentalité
comme on l’entend souvent dire de nos jours par les personnes impa-
tientes de voir un résultat concret, ne va pas de soi, loin de là. Une telle
option relève d’un véritable choix culturel assez précis pour s’exprimer
comme une intentionnalité, comme un projet qui nécessite la mise en
place d’une véritable stratégie.
C’est pourquoi il faut des éthiciens pour encadrer la démarche. S’ap-
puyant sur des arguments philosophiques, ils tentent de faire concorder
les intentions des institutions sociales concernées par les personnes
handicapées avec les droits de l’homme qui devraient leur être appliqués
au même titre qu’à tout autre.

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De leur côté, les gens de terrain traquent les contradictions qui exis-
tent entre les énoncés sociaux, très généralement généreux, et la réalité
Z
des actes ou des faits telle qu’elle apparaît au quotidien dans la relation.
D
Cette « éthique d’en bas » leur impose d’inventer des solutions dans l’ins-
oc

tant, là même où les problèmes réels sont censés ne pas exister,


masqués par les affirmations idéales trop souvent dénégatrices. Ils adop-
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D

tent ainsi cette définition de l’éthique que propose J.-F. Malherbe qui voit
ok

en elle : « le travail que je consens à faire avec d’autres dans le monde


Bo

pour réduire, autant que faire ce peut, l’inévitable écart entre nos valeurs
affichées et nos pratiques effectives 1 ».
ed

À l’égard de la personne handicapée elle-même, il conviendra notam-


ment de se garder de tout sentiment de condescendance ou, pis encore,
M

de pitié et, surtout, de ne pas oublier que, si elle a souvent besoin d’un
porte-parole pour se faire entendre, elle s’exprime malgré tout et ne
demande qu’une chose : être écoutée. Elle ne peut être accueillie que
dans sa singularité, là où sa vie vaut la nôtre.
Il faudra aussi penser aux parents ou aux proches. Pour eux, la
confrontation brutale avec le handicap entraîne tout un enchaînement de
désillusions habituellement regroupées sous la notion de blessure narcis-
sique. La rencontre avec ce que nous avons appelé ailleurs l’« altérité
altérée 2 », dénature le jeu habituel d’échanges entre les générations du

1. J.-F. Malherbe, « La problématique de l’accompagnement érotique des personnes vivant


avec un handicap », dans C. Agthe-Diserens, F. Vatre, Accompagnement érotique et handi-
caps. Au désir des corps, réponses sensuelles et sexuelles avec cœur, Éd. La chronique
sociale, 2006, p. 111.
2. D. Vaginay, Accompagner l’enfant trisomique, Éd. La chronique sociale, 1997, p. 33, 34
et 87.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 207

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 207

fait d’une identification à l’autre rendue difficile ; comment, en effet, se


sentir semblable à celui qui n’apparaît pas tel ? Blessés, perplexes, les
parents habitent désormais un monde chaotique, ou dénaturé, dans
lequel les repères les plus habituels ne fonctionnent plus. Parce que rien
pour eux n’est plus tout à fait à sa place, que rien ne fonctionne comme
avant, on peut dire que c’est leur système symbolique lui-même qui est
déstructuré. Certains d’entre eux vivent cela comme une véritable déshu-
manisation. Ils traversent des périodes d’une solitude qui peut être
effrayante ou pour le moins de découragement intense. À tous, il est
alors nécessaire de retrouver un sens au fonctionnement de leur monde
et de construire pour cela une nouvelle réalité, de nouveaux liens avec
les autres, de nouveaux projets. Ils y parviennent avec plus ou moins de

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réussite, et quelques-uns n’y arrivent pas du tout. Le jugement hâtif des
autres, notamment des professionnels, face à ce qui apparaît parfois de
Z
leur part comme une maladresse, de l’agressivité ou une erreur ajoute à
D
leur douleur. Ils ont plutôt besoin de compréhension, même si celle-ci doit
oc

rester critique à l’occasion, d’attention soutenue et de solidarité humaine


justement pour que leurs sentiments et leurs émotions soient re-humani-
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D

sés et qu’ils retrouvent une place cohérente dans le tissu social.


ok

Les professionnels peuvent imaginer que toutes les questions


Bo

éthiques qui pourraient se présenter à eux sont traitées en amont de leur


intervention par la commande sociale dans laquelle leur pratique s’inscrit.
ed

Ils peuvent croire que cette commande, qui se traduit très objectivement
dans le choix de structures adaptées comme dans les textes qui leur
M

permettent de fonctionner, évolue en fonction des commentaires et des


propositions des éthiciens. Cela est vrai en ce qui concerne les options
générales.
En revanche, si ces considérations donnent de grandes directions,
elles n’apportent en rien des solutions en ce qui concerne les réalités
vécues au quotidien et qui nécessitent des prises de responsabilité incon-
tournables, y compris dans les circonstances les plus banales (autono-
mie, rapport au corps dans l’acte de soin ou dans l’accompagnement
éducatif ou même entre personnes handicapées, manifestation compor-
tementale incomprise ou inadaptée…).
Parce que nous avons admis la subjectivité de la personne handica-
pée que nous ne nous contentons plus de contraindre, nous devons assu-
mer en permanence des choix faits pour elle et qui respectent cette
dimension-là. Or, cette subjectivité, bien que reconnue, s’avère difficile à
respecter, comme on peut le voir notamment dans le domaine de la
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 208

208 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

sexualité. En effet, les personnes non handicapées ont facilement


tendance à maintenir la sexualité des personnes handicapées dans un
registre infantile, un registre qui ne peut pas ou qui ne devrait pas être
le même que le leur. Ce qui n’est pas sans conséquence, comme nous
nous proposons de le voir.

HISTOIRE, HANDICAPS ET SEXUALITÉ

La sexualité des personnes handicapées, notamment mentales,


personne ne s’en inquiétait il y a une trentaine d’années. Il aura fallu la
conjonction de deux événements, l’un brutal et l’autre insidieux, pour
qu’elle occupe le centre des préoccupations :

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– le premier est l’extension du sida sous la forme d’une épidémie
possible, qui fit prendre conscience du rôle que pouvaient jouer les
Z
personnes handicapées mentales dans sa diffusion. Brusquement, on
D
considéra comme dangereuses les personnes handicapées en négligeant
oc

totalement le fait que, en famille ou en institution, les personnes défi-


cientes restaient nombreuses à ne pas avoir de pratique sexuelle ;
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D

– le second s’est installé progressivement. Il est le résultat positif de la


ok

politique d’intégration. La généralisation de l’éducation précoce des


Bo

jeunes handicapés ainsi que leur intégration dans les divers secteurs de
la société ont favorisé leur développement. Parallèlement, ils ont bénéfi-
ed

cié d’une éducation plus exigeante et normative. Plus proches du


commun, mieux structurés, ils ont très bien répondu au projet social les
M

concernant et en ont simplement poussé la logique en revendiquant d’in-


tégrer à leur vie, comme une normalité, leur sexualité, y compris sous sa
forme d’expression génitalisée.
Cela ne fut pourtant pas simple d’intégrer la sexualité comme une
donnée évidente et incontournable de la vie des personnes handicapées.
Elle était là, quelquefois dérangeante, mais les structures sociales conti-
nuaient à fonctionner comme auparavant, dans un déni presque total de
son existence. C’est bien sous la pression des personnes handicapées
elles-mêmes, de moins en moins d’accord pour se sacrifier dans le
silence, que les discours sociaux évoluèrent encore et qu’ils commencè-
rent à se concrétiser, par exemple dans l’élaboration de nouveaux projets
d’établissement.
Comme pour confirmer la validité universelle de ce droit, l’Église
catholique elle-même s’est exprimée dans ce sens. Le 8 juin 2004 en
effet, le pape Jean-Paul II a plaidé pour le droit de la personne handica-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 209

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 209

pée à une vie sexuelle et affective : (elle) « a un besoin d’affection aussi


important que toute autre personne », soulignant que « la dimension
affective et sexuelle de la personne handicapée mérite une attention
particulière » et regrettant que cet aspect soit « trop souvent négligé ou
traité de façon superficielle et réductrice, voire idéologique ». Il ajoutait
que « peut-être plus que d’autres malades, les personnes retardées
mentalement ont besoin d’attention, d’affection, de compréhension,
d’amour 3 ».
Cette prise de position peut paraître relativement anecdotique, pour-
tant elle nous semble importante. En effet, l’Église catholique se présente
explicitement comme une instance morale. Elle apporte donc la caution
d’une institution autorisée dans ce domaine et nourrit le débat dans sa

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dimension éthique, définissant la personne handicapée comme essentiel-
lement humaine, même au fond de sa fragilité.
Z
Notre société trouve normal de faire bénéficier les personnes handi-
D
capées de sa récente tolérance à l’égard du sexuel. Elle le fait pourtant
oc

au moment où cette permissivité entraîne de plus en plus de surveillance


et d’encadrement législatifs. Alors même qu’elle a réduit à presque rien
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D

la notion de perversion, elle développe une suspicion grandissante à


ok

l’égard des conditions dans lesquelles se déroule l’acte sexuel, imposant


Bo

de plus en plus explicitement un droit de regard du juge (ou de ses repré-


sentants) dans l’espace privé, débouchant sur de nouveaux interdits ou
ed

sur des condamnations. On peut légitimement se demander, avec Michel


Schneider, ce que l’on sanctionne « quand on va au-delà des seuls tabous
M

qui justifient les restrictions à la liberté sexuelle : âge du partenaire et


consentement [en un temps historique où] la révolution sexuelle a
imposé le principe selon lequel le caractère licite d’un rapport sexuel ne
dépend que du respect du consentement des partenaires 4 ».

CONSENTEMENT

Avec la question du consentement, c’est toute celle de l’autonomie


réelle qui se pose. C'est-à-dire de ce qui me permet de penser que l’autre
dont je suis ou, mieux, dont je me sens responsable peut prendre une
décision dans un temps et un espace où je n’interviendrai pas.

3. Dépêche de l’AFP du 8 janvier 2004.


4. M. Schneider, La confusion des sexes, Paris, Flammarion, 2007, p. 103.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 210

210 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Pour penser cela, il faut bien que je sois concerné par cet autre au
point de me préoccuper de lui, mais aussi que j’accepte qu’il soit séparé
de moi pour vivre dans une indépendance aussi grande que ses capaci-
tés le lui permettent. S’il doit souffrir, ses souffrances ne seront pas les
miennes, même si je continue à me sentir humainement concerné par
elles. Ainsi, les décisions que je pourrais être amené à prendre pour lui
ne seront, en aucun cas, choisies pour me protéger, devant la loi par
exemple, mais bien pour réduire au mieux les excès de dépendance entre
lui et moi.
Imaginer, comme c’est trop souvent le cas, qu’une personne handi-
capée ne peut pas consentir du fait de son état ou de son statut (les deux
étant trop souvent confondus), c’est simplement la priver de sa subjecti-

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vité. C’est la réduire à l’état d’objet de mon désir ou de ma crainte. Et
c’est lui interdire tout accès à un degré quelconque de responsabilité.
Z
Dans tout choix que nous avons à faire pour une personne handica-
D
pée, nous devrions nous interroger sur les raisons qui nous guident et
oc

traquer systématiquement tout ce qui relève de notre envie de nous


protéger nous.
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D

Le consentement se satisfait mal de la notion d’inconscient et va


ok

même jusqu’à la remettre en cause quand il se veut systématiquement


Bo

éclairé.
Malgré de réels progrès dans la prise en compte de la sexualité chez
ed

les personnes déficientes intellectuelles, la question de leur consente-


ment reste une pierre d’achoppement et va jusqu’à remettre en question
M

sa pratique, ou à l’encadrer par une surveillance sévère. Un doute


subsiste toujours sur leur capacité à consentir, notamment de manière
éclairée.
Actuellement, il n’est même pas sûr que les premiers bénéficiaires de
cette ouverture, les déficients légers, y aient véritablement gagné. Pour
eux naguère, dans un contexte d’interdits très forts, un aménagement
restait possible. C'est-à-dire la possibilité « d’utiliser sans heurts les inter-
stices laissés par les lois implicites et explicites du groupe en respectant
la Loi. Ce qui permettait l’expression personnelle sans risque pour la
cohésion sociale 5 ». Des personnes handicapées vivaient au milieu des
communautés, souvent en rendant des services suffisants pour y être

5. D. Vaginay, Comprendre la sexualité de la personne handicapée mentale, Éd. La chro-


nique sociale, 2002, p. 71.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 211

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 211

acceptées. Il est vraisemblable qu’une partie d’entre elles aient eu une


activité sexuelle discrète et pas seulement « entre handicapés ». Parmi
les moins désavantagées, certaines vivaient même en couple et fondaient
une famille, malgré la désapprobation probable du réseau familial. Nous
connaissons encore de telles situations, chez des couples un peu âgés,
que nous imaginons difficilement possibles de nos jours.
Qu’en est-il pour les plus handicapés ?
En ce qui les concerne, nous pouvions croire que nous avions
dépassé les représentations repérées par A. Giami 6 et maintenant deve-
nues classiques de l’ange et de la bête. Dans celles-ci, les personnes
handicapées n’avaient pas de sexualité et étaient définitivement inscrites
dans une innocence absolue, ou, au contraire, étaient le jouet de pulsions

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irrépressibles les conduisant à se conduire sans aucun sens de l’huma-
nité, à la seule recherche de l’assouvissement de leurs besoins, sans tenir
Z
compte de l’autre, simplement utilisé comme moyen pour parvenir à la
D
satisfaction. Une telle croyance se fonde sur la conviction que nous avons
oc

définitivement abandonné ces représentations et que nous tenons pour


acquise la reconnaissance d’une identité et d’un destin communs qui
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D

imposent le respect de la dignité des personnes handicapées mentales et


ok

la réalité de leur vie sexuelle, y compris dans sa forme génitalisée. Tout


Bo

en étant déclarée « normale », comme celle de tout le monde, la sexua-


lité des personnes handicapées entraîne des réactions contradictoires ou
ed

paradoxales qui se justifient tantôt par une observation fine, tantôt par
une affirmation « gratuite » qui relève du déni.
M

Par exemple, nous savons parfaitement que chez de nombreuses


personnes handicapées mentales subsiste « une grande méconnaissance
du corps, qui est mal repéré, mal investi, ce qui conduit à une ignorance
véritablement stupéfiante des organes sexuels et de leur fonctionnement
physiologique », et qu’à « des âges déjà avancés, les théories sexuelles
infantiles les plus ébouriffantes ont toujours cours 7 ». Ce qui n’empêche
pas certains d’avoir une activité sexuelle, parfois conséquente et pouvant
aller jusqu’au coït. Pourtant, nous favorisons systématiquement l’ap-

6. A. Giami, C. Humbert-Viveret, D. Laval, L'ange et la bête. Représentations de la sexua-


lité des handicapés mentaux par les parents et les éducateurs, Paris, Publication du CTNE-
RHI, 1983.
7. Salbreux, « Affectivité et sexualité en institution », dans M. Mercier, H. Gascon, G. Bazier
(sous la direction de), Vie affective, relationnelle et sexuelle des personnes déficientes
mentales, Presses universitaires de Namur, 2006, p. 105.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 212

212 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

proche pédagogique que prend le plus souvent l’éducation sexuelle,


même si nous en vérifions régulièrement le peu d’efficacité, au détriment
d’une expérience possible et nécessaire jugée dangereuse, néfaste et
traumatisante. Nous avons beaucoup de mal à admettre que toutes nos
connaissances ne passent pas par des représentations intellectualisées,
construites sur un mode relationnel qui permette l’échange précis et
exhaustif (ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, répète-t-on après
Boileau). Or, le corps emmagasine une somme importante d’expériences
relationnelles qui débouche sur de véritables savoirs tout à fait utilisables
sur un plan pratique. Et il existe toujours une différence importante entre
ce qui est connu effectivement et ce qui est exprimable. Un exemple
caractéristique dans ce domaine est l’écart qui demeure entre le vocabu-

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laire passif (celui qu’on comprend) et le vocabulaire actif (celui qu’on
peut utiliser spontanément dès qu’on en a besoin et qu’on peut expli-
Z
quer), et qui est d’autant plus grand qu’on a des difficultés intellectuelles
D
importantes.
oc

Les personnes handicapées ont toutes des connaissances en ce qui


concerne la sexualité et elles les expriment (ou pas) toutes en fonction
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D

d’une éducation particulière. Nous aurions toujours intérêt à partir de ces


ok

connaissances et de ces expériences pour mieux les comprendre et


Bo

mieux les accompagner.


De plus, dans ce domaine particulièrement sensible, les présupposés
ed

les plus naïfs subsistent, insensibles à la réalité des faits. C’est ce que
nous permettent d’illustrer les propos de S. de Kermadec 8 que nous rete-
M

nons parce qu’ils sont très proches de ce que nous entendons et obser-
vons régulièrement. Ce qui est dit ici à propos des personnes trisomiques
peut aisément s’appliquer à de nombreuses personnes handicapées.
« Pour les jeunes déficients mentaux trisomiques 21, la sexualité est
surtout exprimée par une recherche affective de l’autre. […] Ces patients
[…] sont certes des surdoués de l’amour […].
Pour les jeunes filles et femmes, l’acte sexuel proprement dit n’est
pas essentiel, ni même souvent recherché. Le comble du bonheur, pour
beaucoup, c’est de se tenir par la main, de s’embrasser. […] Lorsqu’un
rapport sexuel a lieu, c’est souvent, pour la jeune fille, une surprise, car
ce qui est évoqué dans les conversations ou montré dans les films […]

8. S. de Kermadec, « Affectivité et sexualité des adolescents trisomiques 21 », dans


D. Rotten, H. Decroix, J.-M. Levaillant (coordonné par), Trisomie 21. Prise en charge, du
diagnostic anténatal à l’adolescence, Éd. EDK, 2005, p. 226-227.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 213

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 213

est le plus souvent mal compris. Et lorsque le jeune homme […] tente
d’avoir un rapport, cela est souvent très mal vécu par la jeune fille,
parfois comme un violent traumatisme. »
Nous voyons à quel point il est difficile de se débarrasser de nos plus
vieux démons. Revoilà poindre sous une forme modernisée les qualités
exceptionnelles des trisomiques promus (par compensation ?) surdoués
de l’amour. De se savoir champions de l’affectivité semble malheureuse-
ment les priver d’entendement, de désir sexuel et de corps. Capables
d’atteindre le comble du bonheur, ce qui n’est pas donné à tout le monde,
ils le feraient en se tenant chastement la main (dans la réalité, il existe
bien des personnes trisomiques qui ont une vie sexuelle partagée, même
si ce n’est pas le cas pour toutes), loin des horreurs traumatisantes d’un

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sexe insoupçonné ou incompréhensible et forcément violent. Figures
d’ange.
Z
Mais les citations ci-dessus ainsi que leur suite laissent apparaître un
D
glissement. Ce ne sont plus les trisomiques qui sont innocents, mais les
oc

jeunes filles seules. Les garçons trisomiques, eux, pourtant pareillement


déficients du côté de l’intellect, auraient bien compris de quoi il retourne,
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D

tentant d’avoir un rapport, nécessitant qu’on se mette à l’abri de leurs


ok

tentatives. La difficulté étant de leur faire comprendre qu’ils doivent


Bo

respecter les limites souhaitées par les filles, même si c’est douloureux,
quoi qu’il leur en coûte. Et là, il rejoignent sans autre forme de procès les
ed

autres garçons déficients mentaux. Gent masculine, bousculée par ses


pulsions, peu accessible aux limites et à la parole. Poussant leur acte
M

compulsif sans en cerner les conséquences, sans en ressentir aucune


culpabilité. « Or la culpabilité inconsciente fait partie de la réalité mysté-
rieuse du sexuel, non pas comme un accident passager, mais comme sa
substance même. Répétons-le : la culpabilité s’exprime dans ce que le
vocabulaire psychanalytique nomme la division du sujet 9. » Alors,
l’homme handicapé serait un sujet errant, non divisé, voué à se satis-
faire ? Figure de bête.
Nous qui pensions révolues les descriptions de Giami, les revoilà en
poupe, déguisées à neuf, les sexes biologiques servant de frontière entre
ange et bête. De consentement, point, mais de la naïveté abusée ou de
l’impulsion corporelle désordonnée.

9. P.-P. Lacas, « Libéralisation des mœurs, culpabilités nouvelles. Les interdits structu-
rants », Dialogue, n° 121, L’énigme du sexuel, 3e trimestre 1993.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 214

214 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

VICTIME OU COUPABLE : UNE ALTERNATIVE IMPOSÉE QUI EXCLUT


TOUTE RÉALITÉ SUBJECTIVE

En l’absence d’espace privé, indigentes en expériences, les personnes


handicapées vivent comme elles le peuvent, souvent maladroitement,
leurs rencontres amoureuses. Elles seront d’autant plus facilement
surprises qu’elles sont protégées et surveillées par un entourage qui les
croit des êtres fragiles ou d’opportunistes manipulateurs. Suspicieux, cet
entourage aura tendance à chercher une victime et un coupable, indui-
sant une telle répartition, sous couvert de vérifier qu’il y a bien consen-
tement et qu’il n’y a pas de risque de traumatisme. Une telle réaction
provoque de la culpabilité, écarte la possibilité d’un désir et connote la

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sexualité comme une chose dangereuse.
La sexualité des personnes handicapées, comme celle des enfants 10,
Z
est difficile à accepter dans sa réalité, autrement dit dès qu’elle s’ex-
D
prime, parce qu’elle apparaît nue, non masquée par sa mise en forme
oc

romantique qui la civilise. Elle révèle son ambiguïté fondamentale, le fait


qu’elle est une rencontre énigmatique entre violence et consentement,
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D

de proposition active pour celui qui désire et d’acceptation passive pour


ok

celui qui désire être désiré. Malgré les sentiments, elle reste l’héritière
Bo

des pulsions partielles qui font que le corps érotique est un corps
morcelé, dont les zones érogènes sont différemment investies par
ed

chacun.
La sexualité des personnes handicapées nous renvoie simplement
M

mais brutalement à la structure de la nôtre (que nous aimerions de nos


jours non violente), ce qui est insupportable. Alors, nous cherchons à
différencier l’une de l’autre. L’un des moyens pour y arriver est d’ensau-
vager la pulsion. Totalement absente ou invasive, elle ne serait plus chez
les personnes handicapées que l’expression d’un corps tyrannique,
contrairement à ce que nous savons depuis Freud qui nous en a montré
la nature double, biologique et psychique, chez l’homme. Nous refuse-
rions aux personnes handicapées la faculté d’associer à l’élan du corps
des représentations issues de la relation, des sensations et des senti-
ments, faculté qui amène justement à n’exprimer notre sexualité qu’en
fonction de notre éducation. Craindre la sexualité d’une personne handi-
capée revient à la croire inéducable. C’est peut-être de cela qu’elle sera

10. J.-Y. Hayez, La sexualité des enfants, Paris, Odile Jacob, 2004.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 215

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 215

victime, de notre violence qui refuse de la voir comme nous, relevant de


la même loi.
Alors nous nous acharnons à inculquer aux personnes handicapées
des connaissances objectives dont toutes ne sont pas utiles au lieu de
nous pencher vers les conditions d’une éducation qui permettrait la mise
en place d’une meilleure identification, notamment au cours de la petite
enfance. Nous leur imposons une démarche intellectuelle là où elles sont
le plus en difficulté en ignorant leur effort de subjectivation et l’affirma-
tion de leur désir.
Nous devrions être plus attentifs à leur évolution personnelle et plus
à même d’aider leurs parents, qui restent souvent bien seuls et bien
démunis, n’ayant comme seule ressource que leur intuition et comme

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seul guide que leur souffrance ou leur affection.

Z
L’INCESTE INTERDIT, LE CORPS ET LE TIERS : QUAND LE HANDICAP
D
DISSOUT LES CERTITUDES
oc

Très régulièrement, les professionnels s’étonnent en découvrant que


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D

l’interdit de l’inceste n’est pas mentionné dans le code pénal, pas plus
ok

qu’il ne l’est dans aucun texte fondateur du fonctionnement d’une


Bo

société. Ce manque n’a pourtant rien d’une omission ; c’est une néces-
sité. Écrit ou lumineusement explicite, il se banaliserait et, comme les
ed

autres lois, serait sujet à commentaire, voire à réfutation, alors que, par
essence, il fonde la Loi des lois. Parce qu’il existe, qu’il est universel et
M

de toute époque, il inaugure un système symbolique qui plonge tout


homme, dès qu’il est pris par la parole d’un autre, dans une structure
faite de traditions et de contraintes qui restreint l’expression de ses
pulsions tout en libérant son désir, autorisant le passage de l’expression
égocentrique à la relation.
Puisqu’il n’est ni écrit ni explicite, comment cet interdit fondamental
se transmet-il ?
Dans nos sociétés, il est très exceptionnel que les enfants entendent
directement cet interdit, notamment sous sa forme essentielle et
première qui est celle qui exclut toute relation sexuelle entre les parents
et leur progéniture. Tout au plus s’entendent-ils dire, en réponse à leur
souhait, que l’on n’épouse pas son père ou sa mère et que, quand ils
seront grands, ils trouveront des amoureux de leur âge qui leur plairont
beaucoup plus que des vieux et qui répondront mieux à leur attente du
moment. Cet énoncé peut se répéter sous une forme plus générale
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 216

216 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

quand il concerne, par exemple, les cousins. Là encore, la référence


explicite évoquera le mariage interdit et non pas la relation sexuelle,
l’existence de celle-ci devant être déduite par l’enfant, à partir du
moment où il en sera capable. De plus, cet interdit-là est affaibli par la
coutume qui peut aller jusqu’à favoriser les alliances matrimoniales entre
cousins germains. Les idylles si fréquentes entre jeunes cousins sont
donc tendues entre l’attrait de la transgression et la tranquillité qui
émane de la familiarité.
Parallèlement à ces quelques allusions directes, l’interdit de l’inceste
se repère plutôt par des émanations discrètes des changements relation-
nels entre parents et enfant au cours de la petite enfance. Illustrons cela
par un exemple caractéristique et familier.

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Un dimanche matin propice à la quiétude, un père joue avec sa fille
de 5 ans dans le lit où elle est venue, comme d’habitude, rejoindre ses
Z
parents qui profitent d’une grasse matinée. Tous deux chahutent tendre-
D
ment. Le père chatouille sa fille pelotonnée et ravie qui rit et en rede-
oc

mande. Comme il l’a fait de nombreuses fois dans les mêmes occasions,
il lui embrasse le visage et lui mordille l’oreille. La fille, joyeuse, excitée
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D

et frémissante s’écrit alors : « Arrête, papa, ça me chatouille de partout,


ok

on dirait qu’on fait l’amour ! »


Bo

Stupeur effarée du père qui a quand même la ressource de mettre fin


tranquillement au jeu pour rejoindre en famille la table du petit déjeuner
ed

où se poursuivent des discussions conviviales en plaçant chacun à une


distance sécurisante. À partir de cet événement, ce père n’a plus accueilli
M

son enfant dans son lit ni poussé trop loin les démonstrations affec-
tueuses. Cette petite séquence lui a révélé toute l’ambiguïté qui existe
dans les relations entre parents et enfant en en soulignant très nettement
la teneur sexuelle. Son enfant se sexualisant radicalement devenait un
partenaire potentiel et il convenait d’établir avec elle une distance respec-
tueuse. Cet incident a provoqué des réactions en chaîne et entraîné des
modifications relationnelles qui impliquent que l’enfant ne soit plus un
jouet (sexuel) pour les adultes qui, dès lors, vont encourager et respec-
ter le développement de sa pudeur et laisser les grands engagements
corporels (bagarres réelles ou simulées) ou les explorations (jeux du
docteur, du papa et de la maman) se dérouler entre pairs, séparant, de
fait, le corps des adultes de celui des enfants. Ces modifications sont une
actualisation très parlante pour les protagonistes de l’interdit de l’inceste.
Le père n’a aucun besoin de verbaliser cet interdit, ni ce qu’il a perçu lors
de l’échange avec sa fille, ce qui d’ailleurs serait apparu à cette dernière
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 217

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 217

comme un commentaire saugrenu, une manière d’hypersexualiser le


sexuel jusqu’à le rendre provocant et dangereux là où le silence accom-
pagné d’aménagement en reconnaît l’existence, la validité et le besoin de
le canaliser.
De petits événements de ce type jalonnent la relation entre adultes
(les parents mais aussi ceux de l’entourage) et enfants. La plupart d’entre
eux, bien qu’ils influencent considérablement l’évolution de ces relations,
passent inaperçus. Ici, c’est sans doute le commentaire de la fillette, très
cru et très adulte dans sa forme, qui a permis au père de prendre
conscience de ce qui se passait et, sans doute, de se le rappeler.
Ce qui se perçoit spontanément avec n’importe quel enfant et qui
permet un positionnement sexué progressif et dissymétrique des prota-

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gonistes, ouvrant à une mise en œuvre de l’acquisition d’une identité
sexuée 11 pour l’enfant, n’est vraisemblablement plus décodable lorsque
celui-ci est handicapé. Z
D
Il y a plusieurs raisons à l’origine de cette difficulté. Nous pouvons en
oc

avancer quelques-unes, parmi les plus évidentes :


– l’enfant handicapé brise souvent la chaîne générationnelle et ne se
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D

situe plus, pour son entourage familial, comme un maillon articulé entre
ok

passé et avenir, chargé de la transmission du patrimoine (existence fami-


Bo

liale, nom, valeurs, traits, caractéristiques, durée…) ;


– il est souvent indispensable de poursuivre avec lui un nursing dont les
ed

parents voient mal ou pas du tout la fin. Ce nursing existe aussi dans sa
partie réelle, avec le toucher nécessité par les soins et qui ravive les
M

pulsions partielles en morcelant le corps ;


– il est presque impossible de projeter « l’éternel » enfant dans une vie
adulte, de sujet autonome et séparé ;
– les enfants handicapés communiquent peu ou mal et les parents n’ont
guère confiance en leur propre capacité à les comprendre, notamment
lorsqu’ils sont tout petits ;
– l’intrication des pulsions agressives et des composantes surprotectrices
résultant de la blessure narcissique parentale ainsi que leur intensité
masquent le contenu sexuel du lien.

11. Pour une description détaillée de la construction de cette identité et des différentes
hypothèses qui tentent d’en rendre compte, voir V. Rouyer, La construction de l’identité
sexuée, Paris, Armand Colin, 2007.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 218

218 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Ainsi tout signe émanant de l’enfant handicapé risque-t-il de rester


négligé ou d’être pris à contresens.
Il se trouve que le père que nous venons d’évoquer ci-dessus a aussi
un fils handicapé de dix ans. Un jour, alors qu’il est en pleine discussion
avec sa femme, l’un et l’autre debout dans la pièce, distants de quelques
mètres, il voit s’approcher son fils qui tente de lui attraper le sexe au
travers de son pantalon, dans un geste rapide mais net qui ne laisse
aucune ambiguïté sur son intention.
Là encore, ce père est extrêmement gêné et fugitivement assailli
d’idées où pointe l’inceste. Sa femme va-t-elle penser que cette pratique
est courante, voulue et demandée par lui-même ? Tout de suite rassuré
par sa probité et par la confiance qui existe entre eux, il se tourne vers

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d’autres hypothèses dont la seule qui lui paraisse valide est la suivante :
son fils n’a pu avoir ce geste « antinaturel » que parce qu’il lui a été
Z
enseigné par quelqu’un. Il a donc dû subir des attouchements, pour le
D
moins. Et de rechercher dans leur entourage qui aurait bien pu
oc

commettre un tel acte.


Qu’un enfant de 5 à 10 ans touche le sexe d’un adulte, notamment
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D

lorsque celui-ci est en relation avec une personne de l’autre sexe, est un
ok

phénomène relativement commun. Il peut signifier de nombreuses


Bo

choses mais ramène toujours à la curiosité de l’enfant, à son désir de


participer à la teneur sexuée de l’échange et aussi, sans doute, à son
ed

besoin d’être remis à sa place, c'est-à-dire d’être sorti de l’excitation qu’il


a ressentie en s’immisçant dans la discussion. Si l’adulte « victime » se
M

montre gêné, il s’en sort généralement en indiquant simplement à l’en-


fant que sa conduite est inappropriée (mais pas anormale, vicieuse ou
perverse). L’enfant peut conserver ainsi l’émoi sexué, qui n’a pas été
écarté ni vilipendé, sans pour autant être encouragé. Il contribue à nour-
rir valablement son expérience.
Dans la situation qui nous occupe, le père ne trouve pas en lui les
ressources qui lui ont été utiles pour sa fille. Sa réaction, qui induit une
différence entre enfant handicapé et enfant non handicapé, implique
deux choses :
– son fils est forcément une victime ;
– sa sexualité ne s’exprime que par une réaction à un événement extérieur,
elle ne peut pas lui être propre, elle ne peut pas provenir d’un mouvement
interne. Confirmant ainsi un schéma classique de la personne handicapée
forcément victime, forcément innocente, c'est-à-dire asexuée, du moins
tant qu’un autre (pervers) ne lui a pas inoculé ce vice.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 219

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 219

Difficile dans ces conditions pour un enfant dont le père en resterait


là de se repérer et de se construire comme sujet désirant, voué, peut-
être, à rester flottant dans une identité étrange, définie seulement et
toujours partiellement par l’acte et le discours de l’autre.
Une autre situation classique autour du handicap va nous permettre
d’approfondir notre approche.
Des parents, en présence de leur fille handicapée de dix-sept ans,
témoignent de leur perplexité devant le comportement de cette dernière.
Fréquemment, elle traverse ostensiblement l’appartement, nue, pour se
rendre de sa chambre à la salle de bains. Idem pour le retour, après avoir
pris une douche.
Bien qu’ils perçoivent tous deux que cette attitude n’est pas conve-

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nable, ils ne savent pas trop comment intervenir, reconnaissant finale-
ment que cela ne les gêne pas trop, mais conscients que cela pourrait
Z
poser problème dans l’avenir, si leur fille continuait à se comporter ainsi,
D
en foyer par exemple.
oc

La mère n’intervient pas, ne sachant comment elle pourrait le faire.


Le père essaie, de temps à autre, de dire quelque chose qui reste sans
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effet. Il utilise deux types d’arguments :


ok

– le premier consiste à évoquer le côté déplacé de la nudité dans ce


Bo

contexte et devant témoins. « Tu n’as pas honte ?! » lui dit-il. Non, juste-
ment, elle n’a pas honte. Étant restée prisonnière d’une relation surpro-
ed

tectrice n’autorisant pas la mise à distance, pas même celle des corps,
elle n’a pas construit de sentiment de pudeur attaché à celui de sujet
M

sexué et autonome. Elle continue imaginairement à appartenir à une


masse familiale relativement indifférenciée ;
– le second cherche à dédramatiser en utilisant la plaisanterie. Le père
s’écrit : « Ouh, le monstre, j’ai peur ! », désirant que sa fille comprenne
et cache sa nudité sans ressentir pour autant cette attente comme un
rejet. Pourtant, cette option est problématique. En effet, tout père devrait
bien avoir peur de sa fille nue, surtout lorsqu’elle est pubère, de crainte
de céder à une tentation incestueuse. Ici, ce n’est pas le dévoilement du
corps qui effraie mais le monstre évoqué. De quoi réveiller les liens qui
sont régulièrement créés entre handicap et monstruosité. Ce qui contri-
bue à entretenir chez cette jeune fille une identité confuse où vacille son
humanité.
Contrairement au roi nu qui se voit renvoyer sa pathétique vanité, le
handicapé nu rencontre ici une parole de perplexité, une parole qui ne se
partage pas puisqu’elle ne s’échange pas entre deux hommes capables
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220 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

de se reconnaître dans une altérité fondatrice de l’identité. Si le monstre


n’a plus qu’à aller se rhabiller, il ne peut résister à la nécessité de renou-
veler l’expérience et reviendra nu, de plus en plus provocant s’il le faut,
pour vérifier la réalité de sa monstruosité ou pour rechercher un ancrage
à l’humanité partagée.
Ces parents n’ont pas réussi à trouver, solidairement, la parole libé-
ratrice qui, paradoxalement, accueille en disant : non. « Non, ma fille, tu
ne te promènes pas nue ainsi, parce que cela ne se fait pas. »
À chacun de déduire que, sous cette injonction ferme, se cache et se
dévoile l’interdit de l’inceste. « Non, ma fille, cela ne se fait pas de tenter
ainsi tes parents. » Cela ne se fait pas, de la part de tes parents, de jouir
de ta nudité. Pas plus que de l’annuler en faisant comme s’ils ne la remar-

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quaient pas, comme si elle ne révélait ni sexualité ni désir.
Dire non au comportement exhibitionniste de son enfant, c’est libé-
Z
rer son corps, ainsi refusé, de l’emprise parentale et le rendre disponible,
D
dans un devenir alors envisageable, notamment pour un futur partenaire
oc

sexuel. (Tu n’es pas à moi, je me refuse à toi, ce qui te promet à un


autre.)
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La nudité ne s’assimile pas à l’absence de vêtements. Un naturisme


ok

familial assumé, une familiarité entre mère et fille lors de la toilette, si


Bo

propice à certaines transmissions, peuvent la permettre, mais, dans ces


contextes-là pourtant, la notion d’interdit reste entière et doit rencontrer
ed

une frontière, celle du respect de l’identité et de la pudeur. Frontière si


souvent oubliée quand le handicap paraît, ce qu’illustre parfaitement la
M

consultation médicale, notamment gynécologique.


Le praticien oublie bien souvent qu’il accueille dans cette consultation
une personne et il accepte comme une évidence la présence d’un tiers,
parent ou professionnel, auquel il s’adressera plutôt qu’à son patient.
Bien sûr, dans le but conscient d’éviter toute erreur qui résulterait d’une
mauvaise compréhension de part ou d’autre, mais cela maintient la
confusion entre handicapé et petit enfant. Le corps de l’un comme celui
de l’autre peuvent être donnés en spectacle puisqu’ils ne sont pas
sexués, ou qu’ils sont désexualisés. Comment associer alors à ce corps-
objet la parole qui fait de l’être un sujet ?
Ce corps-objet tranquillise tant qu’il est simplement manipulable,
mais il devient inquiétant lorsqu’il commence à révéler qu’il est aussi
source de désir. Justement parce que ce désir est un désir pour l’autre,
un appel adressé à l’autre pour une jouissance partagée dans l’affirma-
tion d’une commune humanité, il dérange. C’est pour retrouver notre
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 221

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ? 221

tranquillité que nous essayons de le transformer en besoin, en simple


tension corporelle qui s’éteindrait dès qu’assouvie.
C’est ce que recherche ce père quand il masturbe son fils polyhandi-
capé. Dans le climat particulier des corps désérotisés par le handicap,
souffrants et tendus, où planent des effluves incestuels 12, il n’a pas
trouvé d’autre solution pour répondre aux érections forcément intempes-
tives de son enfant. D’une part, il est heureux d’avoir découvert que son
fils est un homme, mais, d’autre part, bien que ne ressentant aucune
culpabilité puisque son acte ne lui apparaît que comme un soin, une
espèce d’intervention hygiénique, il n’est pas satisfait et annonce, désa-
busé : « Il faut bien que quelqu’un le fasse. »
Dans cette affirmation douloureuse se perçoit toute la solitude des

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familles qui ont un enfant handicapé. Entre ce père et son fils, personne
n’a pu s’introduire dans une fonction tierce. La plupart du temps, quand
Z
quelqu’un intervient, c’est plutôt comme censeur ou conseilleur, malheu-
D
reusement parfois jusque dans les approches qui devraient être théra-
oc

peutiques : « Faites ceci, ne faites pas cela ; c’est bien, continuez ;


surtout ne poursuivez pas ainsi. » Pourtant, c’est moins d’un mode d’em-
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ploi que les parents ont besoin que de quelqu’un qui pourrait séparer leur
ok

enfant d’eux, le promettre à une vie relativement autonome, dans


Bo

laquelle son corps ne serait plus, ou pas seulement, le boulet physiolo-


gique et sauvage qui les attache à une vie sans horizon. En tant que
ed

professionnels, captés dans la relation dès que nous sommes sollicités,


nous avons à nous rappeler l’engagement éthique qui devrait être le
M

nôtre et qui seul nous autorise à tenir ce rôle.


Un des moyens pour parvenir à cette séparation, véritable castration
symboligène 13, est de réhabiliter la sexualité des personnes handicapées
comme une et entière, multiple et singulière qui, si elle comporte de la
violence et des risques, et c’est inévitable, n’en est pourtant pas systé-
matiquement dangereuse pour autant. Ce serait donc reconnaître un
désir qui implique une plus grande proximité entre « eux » et « nous »
en y intégrant, notamment, toute la question du désir d’enfant. Nous
devrions alors réviser cette tranquille dissymétrie que nous établissons
entre eux et nous, qui dépasse largement leur besoin d’être protégés, et

12. R. Salbreux, « Handicap, climat incestueux et inceste », dans J. Delville, M. Mercier,


Sexualité, vie affective et déficience mentale, Éd. De Boeck université, 1997.
13. F. Dolto, L’image inconsciente du corps, Paris, Le Seuil, 1992.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 222

222 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

qui nous permet de définir pour eux dans quelles conditions exactes ils
peuvent et doivent vivre leur sexualité, bien au-delà de ce que toute
société édicte comme cadre nécessaire à chacun. Les protéger de toute
violence, de toute douleur, rechercher une belle égalité entre conjoints
handicapés (avons-nous si peur de la différence qu’il faille la chasser
même ici ?) ou vouloir leur éviter systématiquement toute parentalité
revient à établir une espèce d’eugénisme mou qui n’ose pas dire son nom
et qui n’en est pas moins discriminatoire.

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Jacques Cabassut

De l’infantile au primitif
dans la clinique de transfert
ou le quotidien de l’institution

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FRAGMENT CLINIQUE
ok

Damien a 47 ans. Il vit depuis six ou sept ans dans ce foyer d’accueil
Bo

médicalisé du sud de la France où je suis psychologue clinicien du


« secteur déficience mentale ». D’aspect débonnaire, sa démarche lourde
ed

et inoffensive est accentuée par son embonpoint conséquent.


M

L’expression verbale de Damien est limitée, centrée sur une demande


perpétuelle de reconnaissance « enfantine », sur l’achat de divers objets
(montres, lunettes de soleil, vêtements, cigarillos…), ou sur la visite de
tel ou tel membre de sa famille qui viendra, réellement ou imaginaire-
ment, le chercher pour le week-end.
Son histoire est cependant marquée par une série d’hospitalisations,
ainsi que par un placement thérapeutique familial, conséquence de diffé-
rents passages à l’acte sur des membres de sa famille et sur ses parents
en particulier. Il arrive dans l’établissement avec son ancien traitement,
lourd, vestige de ce passé agité.
Les nombreuses réunions de synthèse dessinent un projet individua-
lisé mettant en travail sa place dans la famille (le rapport à sa large

Jacques Cabassut, maître de conférences HDR, université de Nice Sophia Antipolis, labora-
toire de psychopathologie clinique et psychanalyse.
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224 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

fratrie, comme à sa mère, est instable et aléatoire, il y est toujours traité


comme un objet) celle d’homme dans le pavillon (« Elle est belle ! Tu es
ma femme ! » dit-il souvent aux éducatrices et en particulier à sa réfé-
rente), un investissement différent dans sa parole (en positionnant des
entretiens réguliers avec cette dernière), ainsi qu’une réappropriation de
son histoire propre qui lui a été dérobée (il ne participera pas – il a 17 ans
alors – aux funérailles de son père, et ne connaît pas l’endroit où il a été
enterré…).
Ce projet confronte le regard que l’équipe appose sur Damien à une
perspective différente de celle du « gros nounours docile et gentil » (sic)
à laquelle il nous convoque. Il passe par une modification de son traite-
ment, témoin d’une histoire qui le désigne comme enfant violent et pré-

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adolescent agité, instable et potentiellement dangereux. Enfin, il implique
une meilleure prise en compte de sa pulsionnalité, de sa libido, en parti-
Z
culier par l’éducatrice référente, jeune femme coquette, qui ne semble
D
pas laisser Damien indifférent.
oc

Ces différentes aperceptions, mobilisatrices d’investissement sur


Damien, ne sont pas sans produire un certain effet sur lui. Ainsi est-il invité
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à sortir d’une position de passivité chronique face à cet appel de profes-


ok

sionnels qui l’invitent à occuper une place de sujet de son désir et de son
Bo

histoire. Il va ainsi se faire couper les cheveux, dans l’optique d’être plus à
la mode, de ressembler aux jeunes gens d’aujourd’hui, comme le lui a
ed

conseillé un éducateur. Il achètera ensuite une énorme paire de lunettes de


soleil, copie d’une grande marque de luxe, qu’il refusera dans un premier
M

temps de quitter à table ou ailleurs (jusqu’à dormir avec, au dire du veilleur


de nuit). Son nouveau look fera sourire l’ensemble de l’équipe : nous
comparons Damien à un mafieux, relevant même sa ressemblance avec Al
Pacino dans un célèbre film du genre…
Pourtant, dans l’après-coup de ce « relooking », ainsi que du compte
rendu de synthèse que lui fait le médécin psychiatre, en compagnie de son
éducatrice référente, Damien passe à l’acte sur elle lors d’un repas du soir.
Il s’emporte verbalement à son encontre, jette un verre au visage d’un
éducateur présent, et ce, dans une opposition caractérielle agressive.
Le traitement en cas de crise, inscrit sur son protocole, est envisagé
trop tardivement et Damien refuse d’ailleurs de le prendre.
Si j’ai introduit mes propos par ce fragment situationnel, c’est parce
que je souhaite aborder la question de l’éthique dans le handicap mental,
par le biais de la clinique et en particulier de la clinique institutionnelle,
de la rencontre de l’autre déficient qui s’y réalise. En effet, au sens freu-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 225

DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT 225

dien, l’éthique se définit comme « limitation des pulsions 1 », civilisation


et pacification pulsionnelle étant les deux maîtres mots de Freud dans la
condition d’humanisation, d’« hominisation » de la vie en société et en
collectivité, telle celle qui échoie au collectif institutionnel. Quant à Lacan,
c’est bien dans le Séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse 2, que sera
abordé, dans le prolongement de Freud, le nécessaire ajustement du sujet
dans son rapport à la jouissance. L’éthique pourrait s’entendre en ce sens,
comme cette volonté de ne pas céder sur son désir au profit du jouir. Celui-
ci, subjectivant, ne peut pas supplanter celui-là, désubjectivant pour celui
qui s’engloutit dans l’informe vide de jouissance de la Chose.
Et justement le déficient mental, et en particulier l’arriéré profond,
engage chacun (individuellement), comme l’institution (collectivement),

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sur la voie d’une nécessaire résolution de la question d’une éthique des
rapports, au sens précédemment défini. Sa radicale « étrangèreté », ce
Z
corps du jouir que la parole semble avoir déserté, tranche avec l’inquié-
D
tante familiarité des liens infantiles que nous avons tendance à tisser à
oc

son endroit.
Au-delà des différentes questions éthiques dans leur sens le plus
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large, je voudrais donc m’intéresser à ce que nous pourrions nommer une


ok

microéthique du quotidien de nos pratiques cliniques et éducatives dans


le champ du handicap mental. Celle-ci me semble en effet, verser spon-
Bo

tanément dans l’évidence de savoirs normatifs aussi multiples que


ed

stériles sur la Chose déficitaire, au détriment de la complexité et de la


richesse de la rencontre à l’autre déficient. Les récents textes de loi et les
M

nouveaux modes de gouvernance, de type managérial, qui régissent


aujourd’hui le médico-social me paraissent accentuer cet évidement de
l’éthique de la rencontre. Mon projet consiste donc à tirer quelques ensei-
gnements de ma rencontre avec Damien, aussi prototypique qu’ordinaire,
tant elle nous offre matière à embrasser l’éthique de manière plus large,
en nous reconnectant à la dimension de la folie, de l’exclusion, de la
faiblesse…, telles que peut le représenter l’arriéré mental.

Enseignement I

« Gros nounours », donc. Je n’irais pas jusqu’à comparer le parcours


de vie de Damien aux aventures de Pimprenelle et Nicolas, mais force est

1. S. Freud, 1929, Le malaise dans la culture, Paris, PUF, « Quadrige », 1995.


2. J. Lacan, 1959-1960, Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Le
Seuil, 1986.
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226 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

de constater que sa représentation institutionnelle emprunte au domaine


de l’enfance, de l’infantile, où immaturité affective et comportementale
se disputent au debilis, soit à la faiblesse de penser et de parler 3.
Ce point m’intéresse tout particulièrement car il nous propulse à ce
qui, à mon sens, caractérise la psychopathologie singulière de l’arriéré
mental, et désigne les fondements de l’éthique de la rencontre clinique à
ce dernier, à savoir un déficit d’expression langagière. Il est vrai que l’in-
fans, selon son étymologie latine, est celui qui ne parle pas encore, celui
qui n’est pas habité par le langage et la parole 4 . L’arriéré profond, qui
n’a pas ou peu accès à la verbalisation langagière, se retrouve ainsi natu-
rellement « infanstilisé », propulsé hors du champ de l’humanité
parlante : il ne lui manque que la parole. Il faudra alors la lui donner :

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l’enfant, le débile comme le sauvage, doit être éduqué, voire rééduqué,
comme le montre le volontarisme du docteur Itard auprès de Victor, qui
Z
n’aura d’autre objectif que de prouver les ressources de sa psychopéda-
D
gogie afin de le faire entrer dans l’univers de la parole 5 .
oc

Cette assimilation du déficient à l‘enfant, nous en retrouvons les


traces dans le passé, et ce dans une double direction : d’abord du côté
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de l’innocence, de la naïveté voire de la pureté, que le culte voué à l’en-


ok

fant Jésus incarne au Moyen Âge. Ainsi le pape Léon le Grand, au


Bo

Ve siècle : « Le Christ aime l’enfance, maîtresse d’humilité, règle d’inno-


cence, modèle de douceur 6 [...] ». De par sa pureté, l’enfant apparaît
ed

comme un être sacré, objet de visions divines 7.


Mais le domaine de l’enfance peut véhiculer des représentations
M

inverses, présentant l’enfant comme un être impur et gêneur. Ainsi, saint


Augustin, dans ses Confessions écrit-il : « [...] ce qu’il y a d’innocent chez
l’enfant, c’est la faiblesse des organes 8, mais son âme non pas. » Nous
voilà confrontés à la « débilité » des organes, que la réduction organi-

3. « Penser n’est rien d’autre que manipuler des signes » en l’occurrence langagiers. « La
langue n’exprime pas la pensée, elle est cette pensée même », Gori, 1998, p. 10.
4. J. Cabassut, Le déficient mental et la psychanalyse, Nîmes, Champ social, 2005.
5. M. Mannoni, L’enfant, sa « maladie » et les autres, Paris, Le Seuil, « Points », 1967.
6. K. Delobbe, Des enfants au Moyen Âge, PEMF éditeur, 1999.
7. « Cette conception qui se prolongera dans la France rurale, offrira sa situation à l’idiot
du village, au “benêt”, au “ravi”, l’innocence même, à mi-chemin entre le sacré et le corps
social propre à sa communauté d’appartenance », Cabassut, op. cit., 2005, p. 27.
8. Souligné par moi.
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DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT 227

ciste reprendra à son compte, via le discours de la science, plusieurs


siècles après 9.
Cette double composante infantile est omniprésente dans l’approche
théorique de la déficience, dans l’histoire de l’arriération, au travers d’une
modélisation simpliste, plutôt « infanstilisante ». Son modèle prégnant,
comme le souligne N. Zemmour 10, est en effet celui de l'anatomo-patho-
logie du système nerveux. Modèle simpliste s'il en est : une déficience
grave, une cause organique, un état d'incurabilité suffisent à rendre
compte de la pathologie déficitaire 11.
Tout comme la dialectique entre le bon et le mauvais, celle de la
pureté et de la perversion se retrouve également dans la rencontre
clinique de Damien, à la fois désignée par son âme d’enfant, docile et

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débonnaire, et dans son potentiel de dangerosité, sa ressemblance avec
le mafieux.
Z
D
Enseignement II
oc

Cette parole qui ne semble plus habiter le corps fait apparaître celui-
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D

ci dans un débridement pulsionnel, libidinal et sexuel où le désir semble


ok

se taire pour que parle le besoin instinctuel.


Bo

Le « corps de signifiants 12 » révélateur de la condition humaine de


« parlêtre », pour reprendre le néologisme lacanien, ne fait plus le poids
ed

face au corps de jouissance qui s’expose au quotidien de la vie institu-


tionnelle. Là encore, le modèle de fonctionnement somato-psychique de
M

l’arriéré profond pourrait se caler sur celui de l’enfant, ce pervers poly-


morphe, au sens freudien.
Il compose le tableau « déficitaire » d’un corps absolument voué à la
recherche partielle de jouissance orale, anale, scopique (objet-regard) et

9. J. Cabassut, Le déficient mental et la psychanalyse, op. cit., p. 25-27.


10. N. ZemmouR, Fondements métapsychologiques du concept d'intelligence. De la théorie
Freudienne à la clinique de l'arriération mentale, thèse de doctorat en psychanalyse et
psychopathologie de l'université Paris XIII-Nord, sous la direction de Jean-Jacques Rassial,
nov. 2000, p. 199-203.
11. D'un point de vue théorique, le travail est alors taxinomique, aboutissant à une classi-
fication en niveaux (crétinisme, imbécillité, idiotie) ou bien en types (crétinisme myxœdé-
mateux, idiotie mongoloïde de Down, idiotie amaurotique de Tays-Sachs...).
12. J. Lacan (1953-1954). Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Le
Seuil, 1975, p. 171.
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228 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

vocale (objet-voix) ; jouissance dont « l’obscénité 13 » dérangeante, qui


vient occuper la rencontre institutionnelle, sociale, va mobiliser, sur un
mode défensif, notre façon de penser les rapports à l’arriéré. Du point de
vue de l’observateur, nous serons enclins à les penser en termes de
comportements archaïques 14.
Et surviennent alors par exemple, le moment des repas, et cette rela-
tion primaire, boulimique de Damien à la nourriture, dont la frustration
peut provoquer un passage à l’acte verbal et physique…
Le jouir est un élément déterminant dans l’élaboration de notre
rapport éthique au déficient, puisqu’il faudra bien alors gérer ce corps de
jouissance, justement en le purgeant de sa dimension pulsionnelle et
sexuelle par trop dangereuse. Cette purge dans la rencontre se trahit

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dans la syntaxe par un gommage d’altérité sémantique : la nomination
du handicapé passe souvent par l’emploi de surnoms, de sobriquets, qui
Z
traduisent notre refus d’accession ou d’adhésion au signifiant symboli-
D
gène princeps, son nom. Combien de « Gégé », de « Lulu », de « Gaby »,
oc

de « Kiki » désignent-ils le sujet sur un mode infantilisant dans nos insti-


tutions ? Combien de tutoiements sauvages se constituent-ils en règle
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D

implicite institutionnelle 15 ?
ok

Purge dont nous retrouvons les traces, d’un point de vue sémantique,
Bo

dans l’histoire nosographique de la déficience, d’abord par cette liaison


hasardeuse entre incapacité intellectuelle et incapacité de traitement
ed

pulsionnel, via un glissement de l’éthique à la morale. Ainsi, en résonance


au parcours de Damien, surgit la conception de l’imbécillité, en usage au
M

XIXe siècle, dans son rapprochement au champ des psychopathies :


« L’étiologie est indéterminée. Sur le plan social l’imbécile voisine avec les
réfractaires au travail, les vagabonds, les prostituées, les récidivistes
d’actes délictueux. Il est moralement faible et facilement entraînable,
indiscipliné et simulateur, menteur et rusé. Ses capacités d’intimidation
sont plus fréquemment dirigées vers les actes que vers les paroles ou les
idées, et elles concernent ce qui est socialement réprouvable, témoignant
d’une faiblesse de volonté, à laquelle s’ajoute une extrême suggestibilité.
Il vit dans l’illusion de ses capacités intellectuelles 16. »

13. L’étymologie d’« obscène » renvoie au fait d’occuper le devant de la scène.


14. J. Cabassut, L’institution parlante… Petite grammaire lacanienne du collectif institution-
nel, Grenoble, PUG, 2008.
15. J. Cabassut, Le déficient mental et la psychanalyse, op. cit., 2005.
16. R. Samacher, Psychologie clinique et psychopathologie, Paris, Bréal, coll. « Grand
amphi », 1998, p. 72.
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DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT 229

Purge enfin, dans cette inflation de la désignation au détriment de la


nomination de l’arriéré mental, qui alimente le cortège de signes syndro-
matiques et/ou symptomatiques. L’on peut prendre pour exemple le plus
célèbre d’entre eux, le fameux triptyque « crétinisme / imbécillité / idio-
tie ». Ces différents termes ont pour point commun le debilis soit cet
« état de faiblesse » auquel nous renvoie son étymologie. Ce debilis
n’aura pas d’autre effet que d’exclure l’arriéré de la logique psychopa-
thologique : le terme de « déficient mental » ne peut être élevé à la
dignité de concept, de catégorie, au sens de Kant ou de Peirce 17, mais il
se résume plutôt à une « idée générale 18 », sorte de fourre-tout empi-
rique qui tente, bon an mal an, de traduire une réalité sensible obser-
vable.

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Cette « réalité sensible observable » est bien ce que je tente de
cerner ici au travers de l’éthique de la rencontre, dans la vérité de ses
Z
effets contre-transférentiels. Elle nous plonge dans le constat suivant : si
D
classiquement on parle d’hystérie au féminin, de paranoïa ou de perver-
oc

sion au masculin, le terme de déficient mental, quant à lui, réserve à son


porteur désigné un statut hors sexe 19. Telle est la particularité du gros
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D

nounours, de la peluche de notre enfance, qui offre au corps de Damien


ok

un état asexué, vidé de sa charge libidinale et pulsionnelle.


Bo

Lors de la décompensation de Damien, les membres de l’équipe


éducative ont attendu la dernière extrémité avant de lui offrir son proto-
ed

cole d’aide médicamenteuse. Peut-être à cause de la conception infantile


projetée, qui s’apparentait plus, à la stricte observance, à un mouvement
M

de caprice qu’à un véritable état de crise.

Enseignement III

Du coup, j’interpréterai l’infantilisation comme une défense à la


surcharge pulsionnelle et libidinale de Damien, défense obéissant au
mécanisme freudien de la transformation en son contraire : c’est bien

17. P. Lekeuche, « Qu'il est justifié de ne plus parler d’“état-limite" ou de "borderline" mais
de "thymoschizie" », Fortuna, n° 19, décembre 1998, p. 5-15.
18. L’idée générale est définie par une classe d'objets donnée ou construite, convenant
d'une manière identique et totale à chacun des individus formant cette classe (A. Lalande,
1983) ; J. Cabassut, Le déficient mental et la psychanalyse , op. cit., 2005, p. 25-26.
19. J. Cabassut, L’institution parlante… Petite grammaire lacanienne du collectif institution-
nel, op. cit., 2008.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 230

230 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

parce que ce dernier est porteur d’une pulsionnalité débridée, susceptible


de s’acter dans le champ sexuel, qu’afin d’en être protégé, nous le rédui-
sons à un être infantile. Acting et acting out s’entremêlent alors, le
premier étant associé à son potentiel violent, le second à la dangerosité
d’un transfert érotique. La trace logique et historique de cette résistance
nous est révélée par un traitement inchangé, venant témoigner de la
persistance d’un passé non dépassé par l’équipe, réactualisé au présent
des rencontres. Dans une perspective identique, il est difficile pour
l’équipe, et en particulier pour sa référente, d’imaginer Damien sur le
versant d’une masculinité, d’une sexualité, de se penser comme une
adresse possible à l’expression d’un désir ou tout au moins d’une mani-
festation libidinale.

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Bref, la rencontre de Damien soulève la question éthique de ce qui
traverse l’équipe, à son insu, dans la prise en charge et dans l’édification
Z
de notre rapport à lui. Elle nous oblige à préciser les modalités singulières
D
de la dynamique de transfert dans le champ de la déficience.
oc

ÉTHIQUE ET TRANSFERT : DU SUBJECTIF AU COLLECTIF


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D
ok

Ce transfert, véritable énigme riche et féconde d’un point de vue


heuristique et praxique, au fondement de la démarche psychanalytique,
Bo

nous instruit d’un primitif indestructible au sens où l’écrit Fédida 20. Le


ed

transfert tend à être scénarisé afin d’atteindre à une possible mise en


scène de l’indicible : il a besoin d’un large décorum (coupe de cheveux,
M

achat de lunettes fashion, etc.), afin que l’abord de ce réel primitif soit
médiatisé. Or, l’arriéré mental présentifie mieux que quiconque ce primi-
tif indestructible. Il confronte le sujet, le professionnel et l’institution à un
primitif quotidiennement réincarné d’un corps de jouissance qui a
tendance à envahir tout le champ du désir. Plusieurs niveaux de ques-
tionnements éthiques surgissent alors, allant du singulier au collectif
institutionnel.
D’abord à propos de la source même de l’éthique, personnelle,
intime, autoréférencée 21. Lacan 22 cite Antigone, dont la parole, qui vise

20. P. Fédida, Humain/déshumain, Paris, PUF, PBP, 2007.


21. L’éthique est ce mouvement interne autoréférencé qui se distingue de la morale dans
la mesure où cette dernière m’impose de ne pas agir pour ne pas apparaître tel ou tel aux
yeux des autres, au contraire de l’éthique qui me révèle tel ou tel à mes propres yeux
(Lerbet-Sereni, 1998).
22. J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 315-333.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 231

DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT 231

l’obtention d’une sépulture décente pour son frère mort, s’instaure en


véritable défense de l’ordre symbolique (propre au rituel funéraire). Elle
ne cède pas sur son désir, ce qui la conduira à la mort, enterrée vivante,
ne reculant pas dans le fait d’affronter Créon, le tyran. Son acte de résis-
tance, intemporel, est toujours riche d’enseignement : son élan éthique
n’est dicté par personne, il s’avère hautement subjectif ; mais si elle parle
en son nom, elle se réfère à une instance autre, transcendantale, celle
du symbolique dont l’ordre régit les rapports interhumains au sein de la
communauté des hommes. Ainsi, sa parole éthique, intime et personnelle
touche au politique c’est-à-dire à la vie de la cité institutionnelle. Le
professionnel, à l’instar de l’homme politique, est celui qui s’occupe des
affaires de l’institution. L’éducateur, comme l’écrit J.-F. Gomez 23, n’est-il

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pas celui qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas au sein de la struc-
ture ? La dimension éthique oblige donc chacun à un niveau de respon-
Z
sabilité et d’engagement élevé, tant à l’égard de soi que de l’autre – son
D
collègue, son directeur, son chef de service ou le patient du pavillon d’à
oc

côté – et de l’histoire d’un service ou d’un établissement que le profes-


sionnel vient d’intégrer 24. Ainsi l’élan éthique, dont la force s’enracine
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D

chez le sujet, trouve-t-il quelques ramifications au sein du collectif insti-


ok

tutionnel. C’est sur cette dialectique incessante entre le subjectif et le


Bo

collectif que je vais à présent insister, la clinique de transfert étant la


passerelle entre ces deux dimensions de l’éthique.
ed

QU’EST-CE QUE JE FOUS LÀ ? OU LE SUJET ÉTHIQUE


M

D’un point de vue subjectif, le primitif indestructible propre au champ


de la déficience renvoie perpétuellement chacun à la question éthique
fondamentale, celle que J. Oury 25 ramasse dans sa magistrale formula-
tion : « Qu’est-ce que je fous là ? » Question qui m’intéresse ici au plus
haut point y compris et surtout dans son expression même : la familia-
rité du terme employé, à savoir le verbe « foutre », nous incite en effet
à mettre en travail la dimension éthique à partir de la polysémie signi-
fiante qui s’y laisse entendre et qui traverse à la fois le champ pulsionnel

23. J.-F. Gomez, Handicap, éthique et institution, Paris, Dunod, 2005, p. 60.
24. J. Cabassut, « L’institution parlante… Petite grammaire lacanienne du collectif institu-
tionnel, op. cit., 2008.
25. J. Oury, M. Depussé, À quelle heure passe le train…, Paris, Calmann-Lévy, 2003.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 232

232 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

sexuel (autrement dit la jouissance)et la dimension de la place ; celle-ci


peut être professionnelle (« qu’est-ce que je fous là ? », en place d’édu-
cateur, de médecin, de psychologue, de chef de service, à travailler dans
ce domaine, dans cet établissement précis, au sein de ce parcours
professionnel, etc.) et/ou transférentielle (« qu’est-ce que je fous là ? »
lorsque je parle à Damien de sa coupe de cheveux, dans le regard que
nous apposons sur lui – infantilisant, maturant, perverti, asexué, etc. –,
quand je fais de l’humour en le comparant à un mafieux légendaire, etc.).

L’INFANTILE ET LE PRIMITIF

C’est dire le rapport de contiguïté entre phénomène transférentiel et

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dimension éthique. D’abord parce que la clinique analytique dans son
heuristique comme dans sa valeur « thérapeutique » se fonde sur la
Z
dimension du transfert. Sans elle, la métapsychologie est reléguée à un
D
savoir philosophique, et la psychanalyse à un psychologisme supplémen-
oc

taire dans sa praxis. Les embarras de Lagache, par exemple, concernant


les fondations de la psychologie clinique sont à ce titre éclairants ; c’est
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D

bien sur la question du transfert, dans ce qui distingue l’action du psycho-


ok

logue de celle du psychanalyste, que la question du lien entre ces deux


Bo

disciplines (psychologie clinique et psychanalyse) arrive à son point de


confusion spécifique et au lien d’inquiétante familiarité qui les relie 26.
ed

C’est sur la psychanalyse de l’enfant, quant aux caractères qui la diffé-


rencient de celle de l’adulte, que Lagache (1948) vient buter, rechignant
M

alors à faire entrer la psychanalyse dans le champ de la psychologie :


« Elle est plus courte, le transfert y est moins vif car les enfants sont encore
attachés par leurs liens primitifs aux parents, l’association libre ne peut se
faire que par le jeu… L’analyste ne peut pas être passif, il est obligé d’inter-
venir, de donner des conseils, de faire des suggestions en même temps qu’il
favorise l’autonomie de l’enfant… Bref son rôle… devient pédagogique : il
faut ramener la psychanalyse au grand principe pédagogique selon lequel il
faut s’adapter à l’enfant, alors que l’on demande à l’adulte de s’adapter 27. »

Vous l’aurez compris, ce qui m’intéresse ici, dans les caractéristiques


de la psychopathologie déficitaire, ce sont les points de convergence

26. R. Gori, C. Miollan, « Psychologie clinique et psychanalyse : d’une inquiétante familia-


rité », Connexions, n° 40, Psychologie clinique et psychanalyse, 1983, p. 20-21.
27. Ibid., p. 21.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 233

DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT 233

entre la psychanalyse de l’enfant et la dynamique de transfert dans le


champ de l’arriération mentale. Tout comme l’infans, l’arriéré mental
reste fixé dans un lien massif aux parents, qui amortit la vigueur du
transfert et oblige à reconsidérer la règle fondamentale en la médiatisant
par le jeu. L’analyste doit ainsi sortir de sa passivité pour investir un pôle
pédagogique favorisant l’autonomie de l’enfant. Du coup les exigences et
les devoirs, au-delà des droits, demandés à l’autre sont rabotés puisqu’il
faut s’adapter à lui et non l’inverse.
Je voudrais reprendre ces différents points en les projetant dans le
champ de la déficience afin de mieux cerner en quoi le déficit structurel
langagier, l’assimilation de l’adulte déficient à l’enfant et induisent forcé-
ment un certain type de posture clinique.

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« Notre travail est réduit à néant par le lien symbiotique d’un tel à ses
parents… » Expression plaintive omniprésente dans le discours des
Z
équipes. Ainsi est-il rapporté cette toute-puissance familiale qui fait jouir
D
oralement Damien, gavé de bonbons et autres sucreries, lors de ses
oc

visites anarchiques et confuses, du point de vue de l’organisation, chez


sa mère.
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D

Le langage infantile de Damien, cette communication pauvre avec


ok

peu, voire sans feed-back, provoque par effet de miroir un évidement du


Bo

poids de la parole dans la rencontre. Il est vrai, comme le note


Mannoni 28, qu’à la stricte observation d’Itard et de Victor de l’Aveyron,
ed

nous contemplons un adulte en désarroi devant un enfant qui n’articule


aucune demande du point de vue désirant, alors qu’il semble se référer
M

sans cesse au besoin. Ce logos sans gravité est illustré par nos propos
sur la coupe de cheveux de Damien, par l’humour sur son look. Paroles
qui se veulent non pas insultantes mais innocemment ludiques. Dès lors,
le jeu langagier, dans son acception winnicottienne, s’apparente plus au
game qu’au play 29. Ce renforcement du premier au détriment du second
nous est révélé de façon générale par la mise à l’écart de la dimension

28. M. Mannoni, L’enfant, sa « maladie » et les autres, op. cit., p. 198.


29. Le play peut s’entendre comme une posture intérieure où le sujet joue intimement,
authentiquement et pleinement. La notion de play ouvre sur la dimension de l’espace tran-
sitionnel de rencontre (narcissisme primaire), que Winnicott réinjectera dans sa clinique
(technique du squiggle par exemple). Le game, quant à lui, renvoie plutôt à une posture
sociale, celle que le joueur prend dans le jeu alors que pour se faire, il doit obéir à un
certain nombre de règles (du jeu), de contraintes qui s’imposent, et où les enjeux narcis-
siques, la rivalité spéculaire (je dois gagner !) ne sont jamais très loin (narcissisme secon-
daire).
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 234

234 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

psychothérapeutique au profit de celle de l’éducatif (maintien des acquis


ou apprentissage du schéma corporel…), voire du rééducatif (actions de
socialisation, d’autonomisation par apprentissages divers et en particulier
celui du langage). Inflation du rôle pédagogique, donc, au sein de nos
pratiques, fait corroboré par la difficulté d’ouvrir des espaces de paroles,
de maintenir dans la durée des temps de rencontre, des entretiens en
face à face avec le déficient 30. Ainsi, les rendez-vous hebdomadaires de
Damien avec sa référente ont-ils tendance à se raréfier.
Enfin subsiste la dernière correspondance, sur laquelle je voudrais
m’attarder, à savoir la notion de transfert moins vif chez l’enfant. Dans le
cas de Damien, elle me semble révéler les véritables enjeux de la
rencontre du déficient, cet étranger radical, en tant que véritable incar-

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nation de la non-maîtrise de la pulsion (ou du jouir), cette force primitive
plus qu’infantile. La rencontre de Damien, j’y reviens, nous instruit du
Z
sens du mécanisme d’« infanstilisation » à son endroit, soit une mesure
D
de protection au lien primitif, à sa sauvagerie potentielle, qui transpire de
oc

son histoire. Plutôt que le manque de vigueur, c’est dans la réactualisa-


tion d’un transfert massif, « jusqu’au-boutiste » tel qu’il apparaît dans le
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D

champ des psychoses, que se situe l’enjeu. Réveiller le lien transférentiel


ok

c’est alors risquer d’attiser, certes, la dimension violente, mais aussi et


Bo

surtout la charge libidinale, le risque de passage à l’acte sexuel. Du coup,


mieux vaut évacuer toute acception pulsionnelle adulte, dans le rapatrie-
ed

ment vers l’enfant, afin de cantonner le sujet du transfert dans sa limite.


Pour le dire autrement, l’infantile chez Damien vient faire écran au primitif.
M

ÉTHIQUE ET DÉSIR DU CLINICIEN

La question éthique se pose alors dans la rencontre intersubjective,


sur un plan tant individuel que collectif.
Ainsi, en contrepoint au primitif, au jouir déficitaire et à l’inquiétante
étrangèreté dans le lien de transfert, ce qui est radicalement mobilisé
chez le clinicien, et qui va constituer l’enjeu clinique même de la
rencontre, n’est autre que ce que Lacan a formulé sous le terme de
« désir de l’analyste 31 ». Ce point énigmatique qui fait que « [...] l’ana-

30. Fût-ce en aménageant nos dispositifs de rencontre inspirés de la cure-type (y incluant


pour ce faire l’éducateur référent, par exemple, qui n’est autre que le porte-parole de l’his-
toire, du parcours institutionnel du déficient).
31. J. Lacan. L’éthique de la psychanalyse, op. cit. (séance du 22 juin 1960).
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 235

DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT 235

lyste ne peut pas savoir ce qu’il fait en psychanalyse [...] qu’une part de
son action lui reste à lui-même voilée 32 », se pose de façon radicale
auprès de l’arriéré : sans une offre initiale de la part du clinicien, pas
d’émergence de demande chez le sujet 33. La clinique analytique du défi-
cient confronte donc fondamentalement le clinicien à son désir, à la
prégnance éthique du « qu’est-ce que je fous là ? ». Le frein aux pulsions
caractéristique de l’éthique freudienne rejoint ici l’incidence du « désir de
l’analyste », dans le sens où ce dernier « doit payer quelque chose pour
tenir sa fonction. Il paie de mots 34. Aussi avancerai-je que le rôle du clini-
cien, dans la rencontre de l’arriéré profond, consiste en cet appel dési-
rant qui présuppose du sujet en devenir, à ce don de signifiants, de
parole qui viendra graviter, en bordure du vide de la Chose 35.

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Cette confrontation à son désir susceptible de s’ériger en résistance
se double d’un point de butée institutionnel structurel. Pour Freud en
Z
effet, l’institution sert deux maîtres à la fois, le sujet et la norme. En radi-
D
calisant avec P.-L. Assoun 36 la pensée freudienne, il y aurait au cœur de
oc

l’institution une défiance envers le vrai transfert, et celle-ci reculera à dire


la vérité du sujet lorsqu’elle viendra battre en brèche la solidité du lien
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D

social. L’institution, coincée entre la norme et le sujet, l’est donc entre


ok

son but thérapeutique et son lien à la vie sociale. La norme pourrait la


Bo

conduire à retenir le patient, en privilégiant la positivité du transfert


(transfert d’amour) ; et le sujet exigera d’elle le recouvrement du trans-
ed

fert lorsque celui-ci apparaîtra dans sa négativité (transfert haineux),


dans un excès pulsionnel ou érotique, à l’instar de la rencontre de
M

Damien.

32. J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 337.


33. J. Cabassut, L’institution parlante… Petite grammaire lacanienne du collectif institu-
tionnel, op. cit.
34. J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 337.
35. L’apport signifiant amène la question princeps, celle du « Che vuoi ? », rétablissant par
là même la dimension de l’altérité. À ce titre, le « Che vuoi ? » s’érige également en modèle
du travail institutionnel : les actions de socialisation, d’autonomisation, d’éducation, les
accompagnements divers, ne seraient, dans cette perspective, que des moyens à partir
desquels cette question subjectivante du « que me veut-il ? » pourrait inlassablement se
poser, animant le quotidien d’un rapport éthique au déficient.
36. F. Ansermet, M.-G. Sorrentino, Malaise dans l’institution, postface de P.-L. Assoun, Paris,
Anthropos-Economica, 1991.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 236

236 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

ACTUALITÉS INSTITUTIONNELLES : ÉTAT DU LIEU ÉTHIQUE

Enfin, cette résistance au transfert se voit renforcée par un effet


contextuel lié aux différentes formes de gouvernance actuelles et aux
nouveaux textes de loi qui régissent 37 aujourd’hui le médico-social. Ainsi,
la loi du 2 janvier 2002, en appuyant sur les notions d’évaluation et de
contractualisation, risque de transformer le sujet en usager de la chose
institutionnelle, dans son libre accès au jouir des services et prestations
fournies, comme elle risque de réduire l’institution et ses différents
acteurs à des prestataires de services, de résumer le rapport à la
personne handicapée à un inventaire entendu de ses besoins, consignés
dans un document contractuel 38.

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Comment, à partir de la loi, instituer certaines dimensions princeps
dans nos pratiques, telle celle de la castration symboligène par exemple ?
Z
Centré sur les droits et les libertés de l’usager, ce texte de loi ne dit
D
rien, en effet, de ses devoirs, qui restent implicites, du côté de l’évidence.
oc

Or, la dimension de sujet (de l’inconscient, du transfert, de l’éthique…) se


nourrit de l’existence de devoirs, de règles, de freins à la jouissance, qui
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D

attribuent ainsi à la personne handicapée une responsabilité pleine et


ok

entière. Ainsi avons-nous pensé un dispositif d’admission du nouveau


Bo

résident qui sollicite l’engagement de ce dernier à participer au moins à


trois activités proposées par l’institution, même si nous restons « non
ed

dupes » sur le fait qu’en cas de crise, le sujet ne puisse tenir son enga-
gement. Le message nous paraît néanmoins porteur de sens, celui de la
M

castration, de ce frein à la toute-puissance, à l’autonomie (être sa propre


loi, désarrimé de l’autre) adressé non à l’individu handicapé, mais au
sujet. L’institution pose ainsi d’emblée, de manière fondatrice, un certain
rapport, du côté du « Nom-du-Père », de l’émergence de la fonction
paternelle, en réduisant la fonction maternelle voire maternante, et en
limitant la volonté de jouissance du sujet 39.
A contrario, ces textes de lois me semblent, sinon exclusivement tout
au moins essentiellement, participer à l’accroissement de savoirs admi-

37. Je fais référence ici à la démarche soins de qualité dans le champ de la santé, ainsi qu’à
la loi du 2 janvier 2002 dans le médico-social.
38. J. Cabassut, L’institution parlante… Petite grammaire lacanienne du collectif institution-
nel, op. cit.
39. J. Cabassut, Le déficient mental et la psychanalyse, op. cit.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 237

DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT 237

nistratifs, susceptibles de faire bouche-trou au primitif de la dynamique


de transfert et à son analyse institutionnelle.
En détrônant le sujet du transfert inconscient, c’est alors la connais-
sance de la personne déficitaire qui apparaît comme première : « C’est
ainsi que le soignant opte le plus souvent pour l’éclectisme des savoirs,
des discours et des techniques, dans une tendance compulsive à l’orga-
nisation. De multiples discours sont à sa disposition, qu’ils soient médi-
cal, psychiatrique, pédagogique, social ou administratif 40. »
C’est dire l’importance de la clinique de transfert dans la tentative de
préservation d’un axe éthique, puisque c’est à partir d’elle qu’émerge la
dimension humanisante du politique institutionnel, pour reprendre la
terminologie de F. Tosquelles, et que peut se penser une action théra-

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peutique collective auprès du sujet. Si nous avons là, nous, psychistes en
tous genres (psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes institu-
Z
tionnels…), une carte importante à jouer dans et dehors les murs de nos
D
établissements, et ce tant cliniquement que politiquement, c’est d’abord
oc

en fondant notre pratique sur l’éthique clinique de la rencontre. Or, une


telle clinique dans le champ de l’arriération n’est pas sans poser quelques
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D

difficultés majeures car elle appuie douloureusement sur l’incidence d’un


ok

réel institutionnel. « Si l’éthique de la psychanalyse pointe les impératifs


Bo

du désir, au-delà du service des biens, au-delà de la culpabilité, cela


suppose de ne pas écarter le primitif sur lequel reste fondée l’institu-
ed

tion 41. » Ce « primitif indestructible 42 », au fondement de l’institution et


du travail qui peut s’y réaliser, est bien ce lieu de résistances aux passions
M

transférentielles, à la vie pulsionnelle et à la sexualité, comme nous l’a


révélé la lecture du fragment clinique de Damien.
Afin de ne pas confondre l’infantile au primitif et de maintenir une
éthique vivante, peut-être devons-nous nous défendre de nous-mêmes,
en supportant la clinique de transfert. Supporter est ici à entendre dans
toute sa polysémie : au sens d’une volonté, d’un effort, qui concerne
chacun, de faire exister en fonction de sa place dans l’institution une
clinique de l’inconscient, du réel et du transfert. Désir d’éthique profes-
sionnelle et politique qui ne peut advenir que si nous acceptons le

40. F. Ansermet, M.-G. Sorrentino, Malaise dans l’institution, op. cit., p. 13.
41. Ibid., p. 38.
42. P. Fédida, Humain/déshumain, op. cit., p. 88.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 238

238 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

deuxième sens du signifiant « supporter », soit celui d’endurer qu’une


histoire traumatique s’ouvre pour le soignant, une équipe, un collectif
institutionnel dans le quotidien de son rapport transférentiel, à Damien
ou à un autre... Telle est la vérité du transfert, qui offre à chacun et à
tous ceux que le désir a amenés là, dans un tel champ, une « rencontre
de l’insoupçonné en lui-même 43 ».

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ok
Bo
ed
M

43. F. Ansermet, M.-G. Sorrentino, Malaise dans l’institution, op. cit.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 239

Véronique Cohier Rahban

Visite à domicile : laisser la clé de la porte


à la personne qui nous reçoit

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D

Dans son essai intitulé De la morale à l’éthique et aux éthiques 1, Paul


Ricœur pose cette question: « Entre quoi et quoi les sentiments moraux
ok

font-ils suture ? Entre le royaume des normes et de l’obligation morale,


Bo

d’un côté, et celui du désir, de l’autre. »


Lorsque nous sommes prêts à travailler au domicile des patients,
ed

nous devons nous interroger sur ce qui nous amène à prendre cette déci-
M

sion (norme sociale, habitude, désir de l’un ou de l’autre…) et si cette


décision ne vient pas entraver la future rencontre. Entendons-nous une
différence entre ces deux énoncés, dans la demande d’une personne
handicapée ?
« Je voudrais voir un “psy” mais je ne peux pas me déplacer parce que je…
(accident, grossesse, maladie, handicap). »
« Pouvez-vous venir à mon domicile, je voudrais voir un “psy” parce que… »

Dans ce chapitre, la question éthique est discutée lorsque le psycho-


logue pratique un déplacement à domicile (DAD) ou une visite à domicile

Véronique Cohier Rahban, psychologue clinicienne.


Remerciements à Fattaneh Maeki, psychologue clinicienne, pour ses réflexions critiques et
constructives.
1. P. Ricœur, De la morale à l’éthique et aux éthiques, conférence prononcée à l’université
de Montréal, www.philo.umontreal.ca/textes/Ricoeur_MORALE.pdf, p. 4.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 240

240 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

(VAD), en particulier avec des personnes ayant un handicap. Cette


réflexion s’appuie sur une expérience clinique de quatre situations
permettant de faire émerger quelques questionnements.
Il s’agit ici de réfléchir à la façon dont le psychologue clinicien inter-
roge et se positionne dans la rencontre avec la personne handicapée
dans le cadre du domicile de cette dernière. Ce qui implique de réfléchir
aux représentations du praticien à l’œuvre dans cette rencontre. Évidem-
ment des phénomènes de l’ordre de l’inconscient sont agissants et
produisent des effets dans cette scène, dimension à laquelle le praticien
devra non seulement être attentif mais aussi réfléchir à la manière de les
prendre en compte, d’en tenir compte… Dans cet article, nous différen-
cierons ce qui relève d’une éthique de soin de ce qui relève d’une éthique

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relationnelle.
Cet article analyse des prises en charge parmi celles qui m’ont le plus
Z
appris, c’est à dire celles qui ont été, à mon avis, des échecs ou des
D
risques d’échec. Ce sont ces situations qui m’ont amenée à me poser de
oc

nombreuses questions pour construire aujourd’hui un cadre et un dispo-


sitif me permettant d’être dans une rencontre potentiellement thérapeu-
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D

tique à domicile.
ok
Bo

ÉTHIQUE DE SOIN : PSYCHOTHÉRAPIE ET DÉPLACEMENT À DOMICILE (DAD)


OU THÉRAPIE DE SOUTIEN ET VISITE À DOMICILE (VAD)
ed

Il existe des points communs et des différences, du point de vue du


M

psychologue, lors d’un déplacement au domicile d’un patient, lorsqu’on


travaille en libéral ou lorsqu’on travaille en institution.
Les psychologues pratiquent régulièrement des VAD dans certaines
institutions. Ils sont un maillon dans une prise en charge globale impli-
quant d’autres professionnels.
Les limites de notre intervention seront d’office à poser autour de
divers questionnements concernant à la fois les raisons qui font que nous
allons à domicile et les limites à cette intervention.
Nous pouvons discuter explicitement avec chaque personne pour
réfléchir ensemble aux raisons qui lui font accepter un ou plusieurs
professionnels à son domicile. Chaque personne doit se sentir libre d’ex-
primer son accord ou son désaccord pour ces visites et le psychologue
doit réfléchir aux missions qui lui sont ainsi proposées. Ce mandat sera
différent si ce sont les personnes visitées, l’institution ou les autres
professionnels qui nous le donnent. Cela aura des conséquences sur
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 241

VISITE À DOMICILE : LAISSER LA CLÉ DE LA PORTE À LA PERSONNE QUI NOUS REÇOIT 241

notre intervention. Une réponse claire à cette question avant tout dépla-
cement ouvrira la possibilité pour la personne chez laquelle nous allons
de construire sa propre demande.
Rester concordant avec notre éthique de travail garantit la position
professionnelle que nous allons adopter ainsi que la place laissée à la
personne. Notre « confort psychique » de travail va de pair avec celui de
la personne qui nous reçoit. Par exemple, nous devrons décider d’accep-
ter, ou non, d’intervenir avec la seule mission de « surveillance ».
Dans un cadre institutionnel, nous devons définir, en cohérence avec
le service dans lequel nous intervenons, notre propre rôle de psycho-
logue. Ce peut être de garantir une écoute qui sera thérapeutique si ces
VAD permettent de mieux repérer les difficultés. Ce peut être un accom-

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pagnement vers une prise en charge psychothérapeutique (avec un autre
psy) ou bien la pratique d’une thérapie de soutien. Lorsque les personnes
Z
ont des liens avec d’autres professionnels avec lesquels nous travaillons,
D
nous devons réfléchir à ce que nous pouvons ou non partager avec eux.
oc

Cette réflexion peut se faire avec la personne qui nous reçoit.


Notre éthique peut être entravée par différentes demandes de
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D

l’équipe. Si nous nous sentons submergés par ces demandes, il peut être
ok

difficile de garantir une écoute du patient. Il est indispensable d’identifier


Bo

ces demandes ainsi que les demandeurs afin d’éviter des conséquences
fâcheuses pour la relation.
ed

En institution, de nombreux partenaires travaillent de concert. Des VAD


peuvent avoir lieu avec un psychologue en position d’assurer des théra-
M

pies de soutien, qu’en est-il du psychologue-psychothérapeute en libéral ?


Je distingue 2 le DAD, déplacement à domicile, en libéral de la VAD
institutionnelle. En libéral, la demande de rencontrer le psychologue, le
plus souvent pour une psychothérapie émane toujours du patient.
En tant que psychologue, nous devons différencier une thérapie de
soutien d’une psychothérapie pour limiter notre prise en charge à ce pour
quoi nous sommes mandaté.
En libéral, nous sommes parfois dans un lien psychothérapeutique qui
a débuté en cabinet. Il arrive qu’un déplacement à domicile temporaire
soit nécessaire. Dans d’autres circonstances, une demande de psycho-
thérapie incluant d’emblée un DAD peut exister (personnes handicapées,
femmes ayant une grossesse à risque qui doivent rester couchées…).

2. V. Cohier-Rahban, « Le psychologue en libéral : périnatalité et déplacement à domicile »,


Dialogue, n° 175, Attachement et cliniques, 1er tr. 2007, p. 129-149.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 242

242 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Dans le cas d’une demande de psychothérapie, le DAD implique que


le psychologue soit capable de construire un cadre induisant une relation
psychothérapeutique. Si l’on accepte de définir la psychothérapie, a
minima, comme un passage ouvrant à des libertés et des changements
pour la personne, de nombreuses difficultés spécifiques au domicile
peuvent devenir des obstacles à cette psychothérapie.
Par exemple : dès le commencement, le seul fait de se rendre dans
le bureau d’un psychologue crée une rupture, un changement dans la vie
du patient. Quand le « psy » se rend à domicile, il élimine d’emblée cette
première métaphore agie du changement et tout ce qui se passe psychi-
quement sur ce chemin.
L’attente dans son univers et l’arrivée du psychologue peuvent ampli-

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fier la sensation de perte de liberté et créer l’impression d’une intrusion.
Pour y faire face, diverses stratégies relationnelles peuvent être mises en
Z
place par le patient. Offrir un café et discuter paisiblement de choses et
D
d’autres peut laisser croire au patient que le psychologue est une relation
oc

comme une autre. Le psychologue doit pouvoir détecter ce qui se joue,


ce qui se met en place ou non, ce qui se passe en lui pour analyser et
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D

travailler cette relation.


ok

Un DAD requiert de la part du psychologue une stabilité dans la posi-


Bo

tion professionnelle en même temps qu’une grande souplesse pour s’adap-


ter sans ses mesures habituelles de protection a minima, son bureau et ce
ed

qu’il y a mis. Il doit pourvoir intégrer un ailleurs qui ne lui appartient pas.
Cet ailleurs est familier pour la personne. Si la surprise et l’inattendu sont
M

propices aux nouvelles pensées et aux nouveaux points de vue, le psycho-


logue qui se déplace au domicile des patients aura à intégrer rapidement
certaines surprises spécifiques au domicile. Cela lui permettra de rester
disponible soit pour les utiliser dans la thérapie, soit pour retrouver la
disponibilité psychique qu’il peut avoir sur son propre « territoire ».
Un psychologue trop déstabilisé par ce que la personne peut oser
vivre, montrer ou dire justement parce qu’elle est chez elle se trouve
envahi émotionnellement, sensoriellement ou/et psychiquement, ce qui
entrave d’emblée l’existence même de la psychothérapie. Le DAD a ceci
de particulier qu’il convoque de manière démultipliée ces trois parties de
l’outil principal du psychologue : lui-même 3.

3. Pour plus de précisions sur les effets potentiels des DAD, se reporter à l’article précé-
demment cité de V. Cohier-Rahban.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 243

VISITE À DOMICILE : LAISSER LA CLÉ DE LA PORTE À LA PERSONNE QUI NOUS REÇOIT 243

Le DAD est un acte, il ne doit pas être un passage à l’acte. Se rendre


au domicile du patient donne une dimension particulière à ce déplace-
ment dans le cadre d’une psychothérapie. Il s’agit de savoir comment
répondre à une personne qui nous sollicite et ce qui nous est demandé
quand la sollicitation porte sur un travail à domicile. Les raisons qui nous
amènent à prendre la décision d’aller au domicile d’un patient doivent
être claires pour le psychologue, partageables et discutées avec la
personne qui nous recevra peut-être. Lorsqu’un lien psychothérapeutique
existe préalablement au DAD, il peut être modifié. La parole doit pouvoir
circuler librement pour laisser le patient libre de continuer ou d’inter-
rompre à tout moment cette pratique de DAD (et de VAD).
Travailler en libéral et se déplacer à domicile nécessite une supervi-

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sion régulière pour ne pas se retrouver seul. Dans les institutions qui
fonctionnent correctement, le travail d’équipe et en équipe est comme
Z
une enveloppe pour le psychologue, garante d’un travail qui restera
D
contenant pour le patient à son domicile. Les psychologues libéraux
oc

doivent fabriquer ou s’insérer dans des lieux groupaux pour assurer cette
fonction d’enveloppe et de contenant.
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D
ok

ÉTHIQUE RELATIONNELLE
Bo

Situations cliniques et questions générales


ed

J’ai travaillé dans un CCAS (Centre communal d’action sociale) dans


M

lequel j’ai fait savoir, dès le début, que je pouvais me rendre à domicile.
Je m’appuierai sur deux situations rencontrées dans ce contexte. Les
réflexions qui ont suivi ont permis un changement dans l’équipe et ont
abouti à des prises en charge différentes et apparemment plus utiles aux
patients.
L’une de ces situations concernait un homme de 44 ans, M. Marc, qui
avait eu un AVC avec des conséquences très graves, à la fois physiques
et verbales, amenant à des questions sur ses capacités mentales et sur
les conséquences psychiques. Beaucoup de professionnels intervenaient
à son domicile. La femme qu’il devait épouser avant l’accident a demandé
mon intervention, ainsi que l’équipe pour des raisons non élaborées avant
les VAD. Je me suis donc retrouvée dans une situation de demandes
multiples qui m’ont mise en grande difficulté. Cette difficulté a émergé le
jour où M. Marc m’a demandé de l’accompagner aux toilettes pour l’aider
à uriner.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 244

244 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

La deuxième situation nous parle d’un homme d’une bonne trentaine


d’années qui a eu un accident de moto à 20 ans. Il est handicapé moteur,
nous le nommerons M. Bip-bip. Je me suis déplacée à son domicile à la
demande de l’équipe, cette fois aussi sans travail en commun préalable.
Ma difficulté a émergé quand, après avoir vu M. Bip-bip de loin, traver-
ser rapidement sur son fauteuil roulant électrique le centre commercial
régional, il m’a reçue avec un de ses copains en me proposant de parta-
ger une bière avec eux.
L’une des situations en libéral concerne une demande qu’une
collègue m’a rapportée. Il s’agissait d’une demande de thérapie d’un
couple dans lequel Monsieur était handicapé moteur. Son fauteuil prenait
tellement de place qu’il craignait de ne pouvoir entrer dans le cabinet de

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consultation. Au départ, les discussions téléphoniques portaient sur les
dimensions du couloir, la largeur de la porte, etc. La collègue répondait,
Z
son mètre à la main. Le résultat étant positif il ne restait qu’à définir le
D
jour. Surprise : la journée c’était impossible, le soir pas pratique et le
oc

samedi non plus. Il se trouve que ces personnes habitaient loin du cabi-
net. En libéral, cette donnée est importante. Cette psychologue était
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D

prête à accepter ce déplacement, mais au fur et à mesure de nos


ok

réflexions communes, nous nous sommes rendu compte que sa culpabi-


Bo

lité motivait cette acceptation. Ces patients étaient prêts dès le départ à
venir puisque toutes les « dimensions » le permettaient en théorie. Nous
ed

pouvons nous demander si le refus de ce déplacement a évité l’échec de


cette mise en place de psychothérapie.
M

L’autre situation en libéral me concerne. Mme Reine, une femme ayant


un handicap moteur, avait pris rendez-vous à mon cabinet. Elle l’a annulé
le jour prévu et je lui ai proposé immédiatement de me déplacer à son
domicile. Elle a accepté. Nous nous sommes entrevues une fois !
J’aborderai donc cette réflexion à partir « d’échecs » qui se construi-
sent quand la réponse du professionnel le met en position de ne pas
entendre la demande du patient.
Il s’agit de réfléchir aux conditions qui vont rendre possible un
processus thérapeutique ou l’entraver. Par exemple, en pensant le domi-
cile comme une réponse « venant de soi », une norme ou une évidence
sous prétexte que la personne est porteuse de handicap (en particulier
moteur). Habituellement, surtout en libéral, les psychologues ne vont pas
au domicile du patient, et en général les personnes qui font appel aux
psychothérapeutes savent qu’elles se déplaceront elles-mêmes à leur
bureau. Aussi devons-nous mesurer les risques pris quand nous allons à
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 245

VISITE À DOMICILE : LAISSER LA CLÉ DE LA PORTE À LA PERSONNE QUI NOUS REÇOIT 245

domicile en le proposant d’emblée. De plus, cette proposition a un impact


sur l’image que la personne se fait d’elle-même qu’il est fondamental de
prendre en compte.
Les VAD chez M. Bip-bip sont absurdes. Il a la capacité de se dépla-
cer, très rapidement ! Le DAD proposé d’emblée à Mme Reine est une
catastrophe relationnelle immédiate. Le simple fait de proposer ce dépla-
cement signe la fin de la relation.
Dans ces deux exemples, je leur fais savoir implicitement que je
pense qu’ils ne sont pas capables de se déplacer par eux-mêmes. Je leur
renvoie une image d’eux dévalorisée et d’êtres diminués.
Une des difficultés à domicile est de construire un lien qui prendra
sens dans la rencontre à la fois pour le patient et pour le psychologue,

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de mettre en place un engagement réciproque à condition d’être dans
une position intérieure de « psy » sans entrer dans un autre rôle (par
Z
exemple celui d’une copine qui vient à la maison). Le travail peut deve-
D
nir thérapeutique si en tant que professionnel, nous n’infantilisons pas la
oc

personne avec une proposition de déplacement à domicile non réfléchie


avec cette personne et systématique.
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D

Aucune réflexion n’a émergé chez les professionnels pour les VAD de
ok

M. Bip-bip. Lorsque j’accepte ces VAD, comme tous les autres profession-
Bo

nels, chez le « petit jeune dans son fauteuil », il me place d’emblée dans
cette position de prendre soin de lui comme les autres le font. Je change
ed

ensuite de statut quand il me propose de partager une bière. Je deviendrai


une bonne copine. S’il n’y a aucune demande de sa part c’est qu’aucune
M

place ne lui a été donnée. Il est comme un grand adolescent encore un peu
en colère (lorsqu’il évoque son accident) entouré de professionnels
« mamans ». Le personnel soignant est sa nouvelle famille, avec laquelle
il a bien l’intention de compenser de nombreuses pertes. Lorsque je vais
prétendre entrer dans un travail psychique, il fermera la porte. Si certains
professionnels de l’équipe avaient demandé mon intervention, M. Bip-bip
n’avait rien demandé. Il a eu la gentillesse de m’accueillir chez lui…
En tant que psychologue, j’aurais dû analyser cette demande de VAD
avant de l’accepter. Un travail avec les professionnels en difficulté qui
demandaient cette VAD eût été certainement plus bénéfique à chaque
protagoniste.
Ces quelques questions de base seront garantes d’une possibilité
relationnelle pouvant devenir thérapeutique : qui demande cette VAD ou
ce DAD ? Pour qui ? Pour quoi ? Ai-je laissé à la personne qui me recevra
la possibilité d’exprimer sa réticence ou même son refus de me recevoir
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 246

246 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

(même si la personne ne peut pas se déplacer) ? Dans ce dernier cas,


comment pourrions-nous faire autrement ?
Répondre à ces questions avant de s’engager dans un DAD ou une
VAD ouvre la possibilité de construire un cadre dans lequel le psychologue
pourra faire son travail. Quand ce questionnement émerge après le
déplacement, il est souvent trop tard, par contre il permet de repérer ses
erreurs… puis de faire autrement. Dans le CCAS où je travaillais, sans
projet commun ni réflexion commune sur le sens d’une VAD, une « aide »
à domicile était donnée d’emblée.
En empêchant une réflexion différenciée selon les personnes et selon
les objectifs de travail, le risque est d’effacer toute possibilité d’émer-
gence d’une demande et, ce faisant, de nier l’existence même du sujet.

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De cette manière, la rencontre thérapeutique est alors sérieusement
compromise. Z
D
Nos représentations de la personne handicapée et du handicap
oc
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D

Le psychologue doit toujours se demander l’impact de ce déplace-


ment à domicile sur ses propres représentations du malade et sur ce que
ok

ce dernier en perçoit.
Bo

Lors de ma première visite chez M. Marc, gravement handicapé, j’ai


été choquée par l’écart entre ma première vision dès l’ouverture de la
ed

porte de son appartement et ma rencontre avec lui quelques secondes


M

plus tard. Pour entrer dans l’immeuble, il fallait sonner et ouvrir une
première porte publique. Puis un couloir, je tourne à droite, au fond une
porte d’appartement entrouverte. Personne ne m’accueille. Je vérifie le
nom et frappe doucement à la porte. J’entends un son de femme au loin :
« Entrez » (j’apprendrai ensuite qu’il s’agissait de l’aide à domicile). Une
grande photo datant d’avant l’accident m’accueille. M. Marc souriant
donnant la main à sa future femme. Je me dirige vers la lumière au fond
du couloir. Et je découvre cet homme maintenu de la tête aux pieds dans
son fauteuil. Il me regarde à peine. Je lui dis bonjour et me présente tout
en pensant à cette photo. Il me répond d’une voix dure et sèche, de la
bave coulant sur son pull. Il présente des difficultés pour articuler mais
je réussirai rapidement à le comprendre.
Ma première rencontre avec M. Bip-bip a été très différente. Je suis
restée étonnée de ne pas le voir ou plus précisément de ne pas le ressen-
tir « si handicapé que ça ».
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 247

VISITE À DOMICILE : LAISSER LA CLÉ DE LA PORTE À LA PERSONNE QUI NOUS REÇOIT 247

Il s’agit alors de se demander s’il convient d’aborder ces sujets et de


savoir quand et comment le faire. Il est important d’avoir un miminum de
réflexion critique sur ce que le praticien vit sur les plans cognitif, émotion-
nel, affectif et sur ce qu’il fait de ce qu’il perçoit ainsi de lui-même en
relation avec son patient dans ce cadre bien particulier.
En ce qui concerne mon travail avec M. Marc, c’est lui qui va m’aider
à aborder ce choc. Qui est aussi le sien. Ce sont sa femme et les autres
professionnels qui m’ont demandé d’intervenir à domicile. M. Marc n’a
rien demandé. Sa première demande va surgir après quelques rendez-
vous lorsqu’il va me demander de l’accompagner aux toilettes. Les autres
professionnels acceptent et en sont très gênés, en ce qui me concerne,
je refuse. À partir de là, nos échanges seront de plus en plus difficiles.

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En sortant de chez lui, mal à l’aise, je réfléchis plusieurs jours à ce qui
s’est passé. C’est la supervision de cette situation qui va me permettre
Z
d’entrer dans une relation authentique avec M. Marc. Choc et gêne si puis-
D
sants seront restitués, abordés et élaborés, permettant à M. Marc de
oc

prendre conscience de la violence de cet AVC qui l’a laissé dans une sidé-
ration psychique et installé dans une violence relationnelle sans avenir.
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D

Pouvoir considérer cet accompagnement aux toilettes comme une


ok

première demande impliquait diverses hypothèses quant aux sens qu’elle


Bo

pouvait avoir. La forme de la demande et son contenu, violence et intimité,


nous ont amenés à élaborer la violence, l’infantilisation et l’intrusion qu’il
ed

avait à supporter au quotidien de la part des professionnels et de ses


proches. Le passé et ses projets tels qu’ils avaient été stoppés par cet acci-
M

dent. Un présent qui imprégnait et avalait tout avenir devenu impensable.


En tant que professionnelle, j’ai à éclaircir les raisons de mes dépla-
cements à domicile et à me demander la place qu’y occupe « le handi-
cap » dans ses multiples dimensions.
Si je me déplace « à cause » du handicap sans en prendre
conscience, cela va influencer, diriger cette rencontre, qui courra alors de
grands risques de ne pas devenir thérapeutique. C’est ce qui s’est passé
avec Mme Reine et avec M. Bip-bip.
Nous devons nous interroger sur nos a priori : par rapport aux handi-
caps, par rapport aux personnes handicapées, par rapport au fait de
travailler à domicile et par rapport au travail que l’on peut penser possible
ou impossible en lien avec l’objectif que nous pourrions construire.
Implicitement, cela veut dire que toute acceptation de domicile doit
nous contraindre à répondre à plusieurs questions, la principale étant :
« Qu’est-ce qui nous a fait accepter ou décider de nous rendre à domi-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 248

248 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

cile ? », puis, après la première séance : « Qu’est-ce que j’ai ressenti


quand je suis entrée chez cette personne et que je lui ai dit bonjour ? »,
c’est-à-dire : « Qu’est-ce que sa situation de handicap m’a fait ? » Nous
avons vu que lorsque enfin je suis contrainte par M. Marc de faire face à
ces questions nous allons pouvoir travailler. Par contre, la manière dont
j’ai pu laisser de côté ces questionnements avec M. Bip-bip et Mme Reine
a conduit à un échec caractérisé empêchant la mise en place d’une rela-
tion potentiellement thérapeutique.
Dans cette équipe du CCAS, les VAD étaient souvent motivées par l’an-
goisse des autres professionnels et non par la demande du patient.
Dans un second temps, cette demande pouvait être coconstruite avec
le patient selon la mobilité de ce que j’avais en tête. C’est ce qui a pu se

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passer avec M. Marc. Sinon, le patient n’avait aucune demande, et je
participais activement à son infantilisation.
Z
Les représentations inconscientes du handicap peuvent susciter du
D
rejet ou de l’indifférence, et la venue de la psychologue peut blesser la
oc

personne handicapée. C’est dans l’analyse de « l’avant rencontre » et


dans celle du premier contact que le psychologue, au cas par cas, pourra
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D

évaluer si le domicile peut être un refuge et si le psychothérapeute peut


ok

« agresser » la personne en entrant chez elle.


Bo

Le domicile active de nombreuses émotions théoriquement bien conte-


nues dans notre bureau. Le psychologue doit suffisamment l’anticiper pour
ed

penser le travail à domicile afin de pouvoir contenir ses propres ressentis


et pour être en état de le faire pour et avec la personne rencontrée.
M

Validité et risque de toute-puissance

Quelles représentations avons-nous de l’autre qui n’est pas comme


nous ? Évidemment, le psychologue devra se confronter aux questions
relatives à l’étiquetage de la maladie, qu’il connaît souvent avant la
rencontre, et se demander si pour lui par exemple la maladie mentale est
un handicap.
Nous avons nos propres fantasmes sur chacune des pathologies,
associés à l’idée que nous pourrions parfois les guérir.
Notre éthique devrait nous contraindre à toujours nous interroger sur
ce qui s’infiltre en nous dès notre rencontre avec une personne handica-
pée. En particulier, il est fondamental de tenter de cerner les consé-
quences dans la relation de l’idée que la personne « normale » serait en
position de supériorité.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 249

VISITE À DOMICILE : LAISSER LA CLÉ DE LA PORTE À LA PERSONNE QUI NOUS REÇOIT 249

Le principe de réalité du handicap pourrait nous amener à réfléchir


plus précisément à nos propres limites (comme dans toute situation
clinique, mais avec une personne handicapée, il me semble que nous
devons commencer par cette réflexion).
Se rendre à domicile dans ce contexte, sans réfléchir, sans sens
partagé et coconstruit en équipe et/ou avec le patient nous met de
manière très efficace et intéressante dans une position de handicapé en
tant que professionnel, c’est-à-dire de psychothérapeute qui se retrouve
très rapidement inapte à penser, qui se cogne dans ses propres limites.
À ce moment-là, le psychologue a peu de chance de devenir thérapeute
de soutien ou psychothérapeute.
Il me semble intéressant d’adopter certaines caractéristiques des

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groupes de personnes avec lesquelles nous travaillons. Si nous travaillons
avec des personnes porteuses de handicap : elles sont confrontées à
Z
D
leurs limites quotidiennement (comme nous !) mais peut-être plus rapi-
dement, plus souvent et différemment de nous. Si nous omettons de
oc

travailler sur nos propres limites de manière spécifique lors d’un travail
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D

qui se voudrait thérapeutique avec elles, alors nous pourrions ne plus


être présent lors de cette rencontre.
ok

Au pire, notre travail sera sanctionné par lui-même, c’est-à-dire limité


Bo

définitivement en raison de notre non-engagement sur ce terrain. Cette


réflexion nous amène ensuite à un positionnement particulier et une
ed

représentation différente de nous-même et de notre travail avec cette


M

personne-là.
Réfléchir à nos propres limites n’est pas synonyme de limiter la prise
en charge psychothérapeutique. Limitons-nous d’emblée une prise en
charge en proposant systématiquement à une personne handicapée de
nous rendre au domicile (exemple avec M. Bip-bip ou avec Mme Reine) ou
en l’acceptant systématiquement (exemple de réflexion pour la thérapie
de couple) ?
Autre difficulté potentielle : si nous nous déplaçons à domicile parce
que nous pensons que c’est bien ou mieux pour la personne, nous
sommes dans une position de toute-puissance qui sera en général réduite
à une impuissance totale par l’impossibilité de travailler. Dans une telle
position, nous ne sommes plus en mesure de construire un cadre de
travail susceptible d’être thérapeutique.
La VAD ou le DAD doivent être pensés de manière à être opérationnels
c’est-à-dire à rendre possible cette rencontre entre êtres humains.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 250

250 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Le pire argument pour motiver une VAD ou un DAD est : « C’est plus
pratique. » Il s’agit alors de se demander pour qui c’est plus pratique et
comment dans sa vie cette personne résout les problèmes pratiques
qu’elle rencontre, cela devant s’accompagner d’une réflexion sur ce que
nous-même nous faisons. Autrement dit, nous devons nous demander :
et nous, comment faisons-nous ?

Domicile et risque d’intrusion psychique

De nombreux professionnels pratiquent les VAD : médecins, kinési-


thérapeutes, infirmiers, aides-ménagères, plombiers… mais pas souvent
les psychothérapeutes. Pour tous ces autres professionnels, un cadre

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clair et préétabli existe : le médecin se déplace parce que la personne est
trop malade, chacun sait à quoi s’attendre (examen, diagnostic puis
Z
ordonnance) ; l’infirmière vient pour certains soins prévus à l’avance
D
(piqûres, pansements…), etc. Chacun sait pourquoi le professionnel se
oc

rend au domicile et ce qu’il vient y faire.


Toutefois, pour les psychologues, le cadre est moins balisé, repéré,
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D

c’est pourquoi nous devons l’anticiper, l’élaborer puis le construire avec la


ok

personne. Dans un second temps, nous aurons à réfléchir avec le patient


Bo

à cette décision de DAD ou de VAD pour construire un cadre dans lequel


nous pourrons travailler ensemble. S’il paraît fondamental que toute
ed

personne ait la possibilité, à tout moment de notre travail commun, de


refuser que nous venions chez elle, il faut veiller à ce que véritablement
M

elle ait le choix et qu’elle le sache.


Selon l’histoire de chaque personne, une peur d’intrusion psychique,
d’un envahissement intérieur lors d’un travail psychothérapique peut exis-
ter. L’acte de nous déplacer à domicile peut être une métaphore de cette
crainte, voire de cette angoisse qui peut être réactivée à cette occasion.
Nous savons que de nombreux professionnels se déplacent à domi-
cile pour les personnes handicapées dépendantes a minima. Cela pose la
question de la préservation de l’intimité. En tant que psychologue et/ou
psychothérapeute, garder cette préoccupation en tête garantira le
respect de cette personne.
Nous pouvons nous interroger sur ce que représente pour chacun
d’entre nous notre maison, notre « intérieur ». Ainsi, nous pouvons
commencer à le penser en terme d’importance pour la personne qui nous
reçoit, en particulier lorsqu’elle a perdu son autonomie qui lui permettait
d’entrer et de sortir librement de chez elle. Aborder ce sujet lui permet-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 251

VISITE À DOMICILE : LAISSER LA CLÉ DE LA PORTE À LA PERSONNE QUI NOUS REÇOIT 251

tra d’ouvrir certaines portes et surtout lui laissera la liberté d’en fermer
d’autres…
Nous sommes ici encore confrontés aux questions de limites, mais
aussi d’enveloppes à la construction desquelles les murs d’une maison
peuvent contribuer ou ont contribué dans certaines histoires indivi-
duelles. Toutefois, lorsqu’il arrive également que cette maison n’ait pas
eu pour le sujet cette fonction de protection, il est fondamental d’en tenir
compte. Penser à une possible violation de l’autre ou d’une violence
envers la personne quand nous allons à son domicile est propice à la
construction d’une relation de confiance. Cela ouvre à diverses possibili-
tés pour la personne qui retrouve ainsi une part de liberté (accepter ou
refuser) et qui se sent respectée (lorsque ses réticences et volontés sont

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entendues). L’alliance thérapeutique et la sécurité dans la relation sont
alors bel et bien en construction.
Z
Enfin, pour reprendre les propos de Simone Korff-Sausse lors de son
D
intervention à la journée de la WAIMH 4 du 21 juin 2007, « le handicap est
oc

marqué par l’idée d’irrémédiable », nous nous demandons si la pratique


trop systématique de travail à domicile ne peut pas parfois renforcer cette
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D

idée « d’irrémédiable ».
ok

Ainsi, la personne peut penser : « Je ne suis même pas capable de


Bo

me rendre chez le “psy”, ni ailleurs. » Si nous n’y prenons pas garde, nous
pouvons alors participer à un assistanat immodéré porté par des pseudos
ed

« bonnes intentions » avec son cortège de conséquences, en particulier


sur le psychisme de la personne et sur l’image qu’elle se fait d’elle-même.
M

Pour éviter cela, chaque praticien doit se demander quelles peurs


peuvent le pousser, lui, psychologue, à proposer trop rapidement de se
rendre à domicile plutôt que de prendre le temps de discuter de cette
possibilité avec le patient. L’éthique rejoint ici la question de la liberté. En
effet, donner le choix à toute personne de nous recevoir à son domicile,
vérifier qu’elle pense bien l’avoir et qu’elle peut exercer ce choix touche
aussi à la possibilité pour la personne de maintenir ou rétablir l’estime
d’elle-même.

4. Colloque de l’association WAIMH francophone, psynem@necker.fr, publication des actes


en cours.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 252

252 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

CONCLUSION

J’ai parlé de « personnes handicapées », de personnes « porteuses


de handicap » ou « qui ont un handicap ». J’aurais pu aussi employer
l’expression : « personne en situation de handicap ».
Si notre langage peut révéler notre manière de penser le ou les
handicaps, nous avons aussi à entendre comment ces personnes parlent
elles-mêmes de leur handicap. Il s’agit de nous demander si nous consi-
dérons que le handicap est une base d’identité solide, une partie de leur
identité ou si c’est une caractéristique qui subjectivement, telle qu’elle est
vécue, va évoluer.
Si nous gardons à l’esprit que se déplacer au domicile du patient est

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une pratique qui présente des risques, nous ne pouvons pas faire l’éco-
nomie de nombreux questionnements (non exhaustifs) tels que ceux
Z
présentés ici. Il est aussi important de rappeler qu’une pratique à domi-
D
cile avec une bonne indication et respectueuse à tout moment du fonc-
oc

tionnement du patient et de sa famille apporte de nombreux bénéfices


aux patients.
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D

E. Hirsch définit l’éthique comme « l’art du questionnement », ajou-


ok

tant « l’éthique n’a jamais de réponse ». Puis il précise que la « psycho-


Bo

logie est l’art de la prudence ». Dans notre profession, le questionnement


serait-il une denrée recyclable ? En effet, ce questionnement ne trouve
ed

des réponses qu’au cas par cas et parfois au jour le jour. Ce questionne-
ment toujours renouvelé et renouvelable est le garant d’une rencontre et
M

d’une pensée vivantes.


Pour conclure, n’oublions pas ces personnes, qui ont un handicap,
pour lesquelles nous pouvons avoir à nous déplacer à domicile et qui font
appel à nous pour élaborer des problématiques autres que celle du handi-
cap. Pour certaines personnes, le handicap n’est plus une souffrance, il
peut ne représenter que des difficultés d’ordre pratique, et nous avons à
rester ouverts à leurs autres préoccupations.
Si nous gardons notre être disponible à cette éventualité, nous main-
tiendrons ouverte la possibilité d’une rencontre simplement humaine.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 253

Véronique Pautrel

Estelle, l’énigme de la douleur


chez l’enfant polyhandicapé

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Z
D
oc
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D

La pratique clinique auprès d’enfants polyhandicapés entraîne une


interrogation sur la clinique du signe qui, comme la clinique du signifiant,
ok

nécessite une interprétation. Le signe prend valeur de signifiant lorsqu’il


Bo

est reçu par un autre qui le distingue et lui donne sens, fût-ce celui de
l’énigme lorsque ce signe ne trouve pas de signification.
ed

Les enfants polyhandicapés ne parlent pas, ou très peu. Certains ne


M

semblent pas avoir accès à la dimension de l’énoncé mais restent très


sensibles à celle de l’énonciation. Certains comprennent des phrases
simples situées dans un contexte. La connaissance de leurs modes d’ex-
pression se développe au jour le jour dans une relation de proximité qui
permet aux parents et aux professionnels du quotidien de saisir les
expressions des enfants avec leurs particularités propres. Il s’agit d’inter-
préter les signes d’expression, parfois loin des codes sociaux.
Lorsqu’un enfant polyhandicapé est douloureux, il ne peut pas le dire,
se plaindre de mots. Au mieux, il l’exprime par des signes qui appellent
interprétation, sans que celle-ci soit évidente et univoque. Certains
constats sont difficiles et ce qui fait signe pour les uns ne le fait pas
nécessairement pour les autres. Lorsqu’il s’agit de douleur, les tensions
montent vite !

Véronique Pautrel, psychologue clinicienne, doctorante à l’université de Poitiers, laboratoire


de recherche en psychopathologie, nouveaux symptômes et lien social.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 254

254 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Estelle, jeune femme que j’ai suivie pendant quatorze ans, aujour-
d’hui décédée, posait d’une façon très aiguë cette question de l’interpré-
tation du signe, renvoyant ses parents comme les professionnels à leur
subjectivité. Son histoire est jalonnée d’interventions médicales sur l’or-
ganisme qui ne furent pas sans répercussions sur la relation d’Estelle à
son corps, mais aussi sur les relations entre Estelle, sa famille et les
professionnels. Ce parcours de vie souligne l’importance d’une réflexion
sur les bénéfices attendus d’une intervention chirurgicale, mais aussi des
risques encourus, réflexion partagée avec la famille, et qui mobilisent
implicitement les valeurs intimes sur les limites de l’acceptable pour une
vie. Les manifestations d’Estelle interrogeaient très vivement le phéno-
mène douloureux dans ses liens avec l’émotion et avec l’angoisse.

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PRÉSENTATION CLINIQUE
Z
D
Relation au monde d’Estelle
oc

Lorsque je rencontre Estelle pour la première fois – elle a 6 ans – je


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D

suis frappée par la raideur de son corps : dans son mouvement de joie,
ok

elle bat des jambes dans une amplitude d’une dizaine de centimètres et
Bo

l’axe subit une légère torsion. Les bras sont au long du corps. Sa respi-
ration est bruyante. Estelle attire l’attention, son corps immobile du fait
ed

de sa tétraplégie, immobilisé du fait de l’appareillage, semble se tendre


vers la personne qui vient vers elle. Elle émet des petits sons avec sa voix
M

et son sourire illumine son visage. Son désir de relation est très fort et
son regard est un appel. Estelle est sensible aux voix, en particulier
masculines. Au cours de rencontres avec sa mère, celle-ci me dit que
sans doute, Estelle reconnaît quelques voix qu’elle associe à des
personnes mais que dans l’ensemble, elle sait seulement si c’est une voix
connue ou nouvelle.
Dans la salle de psychomotricité, ou lors des séances au bassin
hydrothérapique, Estelle est sollicitée au niveau de ses intentions d’agir,
pour le plaisir moteur en lui-même. Elle est invitée au plaisir d’agir sur un
objet, d’agir sur son environnement. Même avec des possibilités motrices
très limitées, Estelle déploie beaucoup d’efforts pour agir, se concentre et
se plaît dans ce mouvement. Elle tente de répondre à la demande de
l’adulte, qu’elle comprend lorsque le geste lui est montré ou est initié par
l’adulte. Si l’effort moteur lui-même ne produit pas ces réactions émotion-
nelles intenses, il suffit d’une information sensorielle inattendue, en parti-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 255

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 255

culier visuelle, pour mettre à mal tous ces efforts et lui faire perdre ses
moyens. Elle parvient alors très difficilement à revenir dans la situation
et à se concentrer de nouveau. Dans ces contextes de psychomotricité,
Estelle ne montre pas de goût particulier pour l’action sur les objets, elle
est plus motivée par les encouragements et les félicitations qui sont pour
elle très stimulants.
Dans la vie quotidienne, il est plus ou moins facile de donner du sens
aux expressions d’Estelle. Le regard est pour elle un mode de relation
privilégié avec son environnement. Ses possibilités motrices sont si limi-
tées qu’elle fait de la pulsion scopique une source d’information fonda-
mentale qui la met dans un besoin et un désir de voir ce qui se passe
autour d’elle. De ce fait, la peur lui vient aussi de ce côté-là : lorsque les

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images sont nouvelles (personnes, environnement…), lorsque les images
vont trop vite (télévision, véhicule…). Les gros objets, trop proches, sont
Z
aussi effrayants. Il a fallu un long temps d’approche avant qu’elle n’ac-
D
cepte de regarder la guitare, alors même qu’elle parvenait à gratter les
oc

cordes si la guitare était placée hors de son champ visuel.


Estelle s’appuie sur son regard pour exprimer des demandes qui ne
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D

sont compréhensibles que dans un contexte habituel et donc assez


ok

permanent. Lorsqu’elle voit une personne avec laquelle elle est habituée
Bo

à un certain contexte de relation, elle peut la regarder de façon ostenta-


toire jusqu’à ce que celle-ci propose. Prenons un exemple : l’une des
ed

secrétaires l’invite régulièrement à l’accompagner sur les différents


groupes de l’établissement pour un relevé des repas. Lorsque cette
M

secrétaire vient sur le groupe d’Estelle le matin, Estelle la regarde avec


insistance jusqu’à ce que la secrétaire lui dise si oui ou non, elle l’invite
à l’accompagner. Ce regard insistant est compréhensible dans les
contextes habituels du quotidien et dans ce cas, il est relativement facile
à interpréter, mais bien souvent, lorsque rien ne vient lui donner sens,
l’insistance de ce regard est énigmatique.
Estelle n’est jamais entrée dans une codification suffisante du
langage pour répondre par oui ou non à des questions simples, même
d’un mouvement du visage ou d’une quelconque réponse motrice. Par
contre, un soulagement est perceptible dans son regard lorsqu’elle aper-
çoit la réponse adaptée. Lorsqu’elle est fatiguée d’être dans son fauteuil,
qu’elle cherche à l’exprimer avec ses yeux et des mouvements de son
corps, elle retrouve le sourire sitôt qu’elle voit un professionnel se saisir
d’une autre installation pour elle. Ainsi, à partir de sa capacité à anticiper
les situations concrètes connues, nous pouvons au mieux lui montrer un
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 256

256 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

objet signifiant et regarder l’expression de son visage, de satisfaction ou


non, la satisfaction étant considérée comme un acquiescement.
Lorsque l’intensité de son regard reste énigmatique, avec une inten-
tionnalité dont nous ne parvenons pas à déchiffrer le message, l’inter-
prétation risque alors de devenir une affaire personnelle, sans moyen de
confirmation ou d’infirmation, sauf à proposer, si cela est possible, des
situations concrètes et à observer les changements chez Estelle.
Dans la salle de stimulations multisensorielles, Estelle ne s’habitue
que progressivement à de nouvelles rencontres sensorielles et les
premières réponses sont d’angoisse. Dans ce contexte, ces réponses sont
compréhensibles et, bien qu’impressionnantes, restent acceptables au
sens où elles n’empiètent pas sur l’émotivité du professionnel. La perma-

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nence du cadre est donc une donnée très importante pour permettre à
Estelle de s’y reconnaître. Cette permanence du cadre fonctionne un peu
Z
comme un miroir au sens où l’enfant s’y reconnaît lorsqu’il rencontre des
D
éléments connus, reconnus, intégrés, faisant partie de lui en quelque
oc

sorte. Dans un contexte connu, les éléments non familiers se distinguent


et sont facilement vécus comme intrusifs pour l’enfant, intrusion qui se
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D

vit corporellement puisque c’est au niveau sensoriel que l’information est


ok

reçue, avec son étrangeté. Ces mêmes éléments non familiers peuvent
Bo

avoir été proposés par l’adulte pour un investissement libidinal plus large
et peut-être mal dosés, mais ils peuvent également faire surprise ou être
ed

inattendus pour lui. Ils seront néanmoins identifiés comme étant à l’ori-
gine de la réactivité d’Estelle qui prend alors tout son sens.
M

Estelle s’exprime par le regard, dont elle peut faire un instrument de


communication, mais elle s’exprime aussi parfois avec l’ensemble du
corps au risque d’une mise en jeu vitale de la respiration qui intensifie
encore le malaise d’un défaut d’interprétation.
Lorsqu’elle est joyeuse, heureuse d’une rencontre, Estelle sourit, bat
des jambes et « se trémousse » dans son fauteuil. Elle peut devenir toute
rouge également et se mettre à transpirer, mais cela reste « sympa-
thique » pour les personnes en sa présence.
Par contre, lorsque Estelle est prise par un affect, une émotion trop
forte ou une douleur intense ou d’inconfort, ses réactions corporelles sont
très intenses ; elle transpire abondamment et sa respiration, déjà diffi-
cile, se bloque. Il lui arrive de cyanoser et ce risque vital autour de la
respiration est très mal vécu par les personnes qui l’entourent. Ce tableau
impressionnant reste supportable lorsqu’il est compréhensible par son
environnement, mais il est beaucoup plus inquiétant lorsque rien, dans le
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 257

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 257

contexte, ne permet de donner du sens à ce surgissement. Les profes-


sionnels, sans devenir insensibles, se familiarisent avec ses réactions et en
cherchent l’origine, mais lorsque rien dans le contexte ne donne sens, c’est
l’hypothèse de la douleur qui devient insistante, comme mal invisible.

Une histoire médicale

Estelle est née en 1985 après une grossesse dont rien de particulier
n’est signalé. Elle arrive cadette d’un frère né trois ans plus tôt, elle aura
ensuite une benjamine trois ans plus tard. À 12 jours de vie, Estelle
déclare une méningo-encéphalite herpétique qui laisse des séquelles
cérébrales visibles au scanner. Elle restera trois semaines hospitalisée.

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Une épilepsie apparaît quelques mois plus tard, les encombrements
bronchiques sont nombreux et tels qu’ils nécessitent une assistance
Z
d’oxygénothérapie la nuit et parfois le jour. Son évolution psychomotrice
D
est très perturbée par une tétraplégie asymétrique avec raideurs plus
oc

fortes à gauche, entraînant, entre autres, une position préférentielle du


visage vers la droite.
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D

La famille est en difficulté face à cet ensemble de complications et


ok

Estelle est accueillie à la pouponnière sanitaire du département à l’âge de


Bo

10 mois. Sa famille vient la voir régulièrement et reste très investie. Elle


la reconnaît, et manifeste sa joie. Nous avons peu de traces de ce qu’Es-
ed

telle a vécu dans cette pouponnière, nous savons néanmoins qu’elle


manifestait déjà des angoisses très fortes face aux bruits forts, aux bruits
M

d’engins motorisés et face aux visages inconnus.


Estelle arrive à l’institut médico-éducatif en novembre 1989, elle a
alors 4 ans. Un sevrage à l’oxygénothérapie de nuit est organisé pour
qu’Estelle puisse passer des week-ends avec sa famille. Sa hanche,
emportée par le mouvement de torsion de la colonne – torsion d’origine
neurologique –, menace d’une luxation et des appareillages sont pres-
crits. L’immobilisation est accentuée. Dans la rencontre, Estelle est une
enfant souriante et demandeuse de relation et rien ne montre qu’elle
souffre d’un reflux œsophagien qui lui fait néanmoins perdre beaucoup
de poids. En vue de la soulager, une intervention pour la pose d’un clapet
anti-reflux et d’une gastrotomie est prévue en décembre 1991. Ce projet
vise également une amélioration des problèmes respiratoires dans la
mesure où il permet une diminution des fausses-routes alimentaires.
Cependant, le button (petit système qui réalise en fait une « bouton-
nière » entre la peau et la paroi gastrique permettant la pose facile d’une
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 258

258 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

sonde alimentaire) n’est pas suffisamment hermétique, il fuit ; du liquide


gastrique s’infiltre entre les parois et l’appareil, son acidité forme une
plaie. Malgré des changements d’appareil, des recherches sur la taille la
plus adaptée, ce problème sera désormais récurrent, avec des périodes
d’intermittentes rémissions. Les raisons de l’alternance ne semblent pas
compréhensibles médicalement.
Les hospitalisations pour surinfections bronchiques se poursuivent.
Estelle a du mal à respirer et cela lui demande un effort qui la fatigue,
elle fait régulièrement des cyanoses et devient alors toute bleue. Les
infections provoquent des états fébriles importants. Cette situation est
angoissante pour Estelle, elle l’est aussi pour son entourage. Au vu de
cette évolution qui n’a guère de chance de s’améliorer puisque d’origine

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neurologique, une trachéotomie est effectuée en avril 1994. Cette inter-
vention se passe bien et les premiers résultats s’avèrent satisfaisants.
Z
Estelle est la première enfant avec trachéotomie dans l’établissement et
D
son retour entraîne un questionnement dans l’organisation des pratiques
oc

professionnelles. Les infirmières viennent désormais deux fois par jour


effectuer les soins d’hygiène nécessaires ; Estelle cyanose, elle se crispe
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D

et transpire immédiatement. Les gestes doivent donc être rapides et


ok

précis. Cette canule deviendra, comme le button, source à la fois de


Bo

soulagement (elle respire nettement plus facilement) et de nouvelles


complications et de douleurs. Elle ne sera confortable que par intermit-
ed

tence. Une proposition de canule parlante, permettant à Estelle d’émettre


ses vocalisations et surtout de faire entendre ses petits rires, n’est pas
M

concluante : la particularité de cette canule irrite la trachée d’Estelle.


Par ailleurs, Estelle est également sujette aux infections urinaires. En
1995, un épisode particulièrement douloureux révèle la présence d’une
lithiase coralliforme dans le rein. Une intervention chirurgicale est contre-
indiquée. Elle sera traitée par lithotripsie extracorporelle.
Sa scoliose s’accentue et les orthopédistes sont en permanence en
recherche d’une installation de fauteuil qui procure à la fois contenance
orthopédique et confort.
Les interventions chirurgicales consécutives ne lui permettent plus de
rentrer à la maison et sa famille a fait le choix de venir la voir le mercredi,
toutes les trois semaines, avec de nombreux échanges téléphoniques
entre ces visites. Estelle réagit avec joie sitôt qu’elle entend sa famille
dans le couloir. Cependant, du fait de son activité professionnelle, le papa
ne peut pas venir et, au fil du temps, la fratrie viendra également de
moins en moins souvent.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 259

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 259

La quête de sens

Après quelques années de relative tranquillité, jalonnées de différents


épisodes liés aux « petits boutons » (gastrotomie, trachéotomie), Estelle
entre dans une période qui restera très énigmatique. Elle traverse des
moments qui semblent de fulgurance douloureuse au cours desquels elle
se tord en vrille du fait d’un schème d’extension dévié par torsion de sa
colonne, elle devient rouge, voire bleue, elle transpire, elle pleure. Ces
manifestations sont celles que nous lui connaissons comme signe de
douleurs, mais aussi comme signe d’angoisse.
Parfois, cela commence sitôt qu’elle entend les éducateurs arriver le
matin. L’hypothèse de la présence nécessaire d’un autre à qui adresser

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son message ne nous informe pas pour autant sur la teneur du
message. La présence même de l’adulte n’est pas toujours apaisante,
Z
et il semble parfois qu’elle est même déclenchante, ce qui n’est pas
D
facile à vivre.
oc

Face à ces manifestations qui ne prennent pas sens dans une expli-
cation, l’équipe se divise en des pôles qui soutiennent différentes hypo-
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D

thèses, entre la douleur, la dépression, l’angoisse… Chacun, face à son


ok

impuissance à trouver une solution, renvoyant assez vite la balle dans le


Bo

camp d’un autre champ professionnel.


Face à cette énigme, je propose un soutien psychologique à Estelle,
ed

dans la salle multisensorielle afin qu’elle puisse être confortablement


installée sur le matelas à eau. Dans cette situation pourtant connue
M

d’elle, il suffit parfois que je me penche vers elle, ou que je lui propose
d’écouter une musique douce pour déclencher ce surgissement. Est-ce
l’émotion ? L’angoisse d’une présence trop proche ?
Il est arrivé une séance au cours de laquelle sa mère est venue avec
nous grâce au hasard d’une organisation inattendue. Estelle regardait
intensément sa mère et j’ai proposé à celle-ci de se rapprocher d’Estelle,
de prendre la place de proximité, et je me suis mise à distance. Estelle
semblait ravie de la situation, elle manifestait une joie communicative
vers sa mère qui s’est trouvée très émue. Elle m’a dit ensuite avoir eu la
sensation de retrouver sa petite fille.
Parfois, les professionnels du quotidien lui proposaient une sortie
dans le parc, ce qu’elle adorait auparavant. Cette promenade en fauteuil
pouvait bien ou mal se passer, mais il arrivait aussi que la crise démarre
précisément au retour dans le château, ce qui ouvrait l’espace pour des
interprétations psychologiques qui ne trouvaient pas pour autant leur
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 260

260 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

raison d’être : que signifierait un tel changement ? Que représenterait


alors le château qu’il n’aurait pas représenté auparavant ?
Face à l’hypothèse de la douleur, la réponse restait tout aussi incer-
taine. Les origines éventuelles de douleur ne manquaient pas : orthopé-
dique, neurologique, rénale, respiratoire, gastrique… Comment savoir ?
Estelle ne pouvait pas nous dire si elle avait mal, ni où. Dans le raison-
nement médical, l’hypothèse de la douleur est assez vite évincée s’il n’y
a pas de cause identifiable, vérifiable. Certains médicaments sont d’abord
apparus comme efficaces, redonnant espoir d’une amélioration, puis le
temps ne confirmait pas cet espoir et il fallait chercher de nouvelles hypo-
thèses. Les causes de ce nouvel épisode restent sans réponse malgré les
hypothèses et les explorations conséquentes. Le traitement antalgique,

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bien que morphinique, ne produit pas d’effet satisfaisant. Les traitements
propres aux douleurs d’origine neurologique ne sont pas plus efficaces.
Z
Dans l’hypothèse de migraines, des packs de froid lui sont proposés, sans
D
résultat. L’hypothèse de l’angoisse amène aussi une tentative de réponse
oc

médicamenteuse sans plus de résultats. Au fil du temps, il semble de plus


en plus évident qu’Estelle est très douloureuse, mais l’origine, dans la
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D

logique médicale, de cette douleur pourrait être à la fois multiple, cepen-


ok

dant elle reste non identifiable comme telle, ce qui laisse la place à des
Bo

interprétations psychologiques tout aussi hypothétiques…


Les membres de l’équipe éducative observaient qu’Estelle s’intéres-
ed

sait de moins en moins à son environnement, qu’elle les « lâchait »,


qu’elle « n’était plus là comme avant ». Que déduire de ces observa-
M

tions ? Une position dépressive, sans doute, mais à penser comme cause
première des « crises » d’Estelle ou comme conséquence d’une douleur
non contrôlée ?
Puisqu’elle était depuis le début de son séjour dans l’établissement
accueillie dans le même service, nous lui avons proposé des séjours dans
un autre groupe où travaillait une éducatrice d’elle connue afin de
comprendre si elle s’ennuyait, si elle avait le désir d’une nouvelle étape,
d’une ponctuation, si elle avait le désir de rencontrer d’autres personnes,
dans une problématique adolescente… Le premier séjour s’est bien
passé. Espoirs. Les suivants ne furent pas confirmatifs…
Qu’y a-t-il à comprendre ?
Dans ce même groupe, plusieurs jeunes polyhandicapés, devenus
adultes, sont partis en 2003 dans une maison d’accueil spécialisée (MAS)
ouverte par l’association gestionnaire de l’établissement. Dans la vie d’Es-
telle, plusieurs de ses camarades sont partis du jour au lendemain. Même
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 261

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 261

si cet événement avait été auparavant parlé, ritualisé par une petite fête,
le départ en lui-même a créé un vide, une absence. Nous ne savons pas
comment elle s’est signifiée pour Estelle : abandon ? disparition ? Il y
avait un trou dans son environnement habituel. Estelle arrivait à l’âge où
elle-même aurait dû changer d’établissement…
Ces événements l’emmènent-ils dans une position dépressive en lien
avec la perte ?
Estelle a-t-elle la sensation qu’autour d’elle, son environnement affec-
tif, auquel elle est suspendue à la fois psychologiquement et dans une
réalité de dépendance réelle, décroche ?
Depuis qu’Estelle ne rentre plus chez elle comme auparavant, l’équipe
éducative se donne les moyens de l’accompagner pour un après-midi à

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son domicile deux ou trois fois par an. Estelle est attendue, c’est jour de
fête pour la famille. Même ces moments deviennent difficiles et les deux
Z
dernières visites sont pénibles pour tout le monde : Estelle pleure et se
D
plaint pendant le trajet (trois quarts d’heure environ). Arrivée à la
oc

maison, accueillie par sa maman, Estelle regarde autour d’elle et s’ef-


fondre à nouveau. Lorsque elle parvient à s’apaiser, il suffit que sa maman
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D

la regarde pour qu’elle pleure de nouveau, se torde et arrête de respirer,


ok

devienne rouge, transpirante... Nous ne parvenons pas à savoir si c’est


Bo

l’émotion, l’adresse d’une plainte à sa mère… Celle-ci, impuissante à


soulager sa fille, vit difficilement la situation. Nous cherchons ensemble
ed

des hypothèses pour tenter de donner du sens à ce qui reste énigmatique.


La maman est convaincue qu’Estelle est douloureuse, elle demande
M

que sa fille soit apaisée. Elle demande également qu’il n’y ait plus d’exa-
mens exploratoires de réalisés, pensant que cela n’apportera rien de plus,
qu’Estelle en a déjà suffisamment subi. Elle dit également à quel point
elle trouve Estelle déformée. Elle vient moins souvent voir Estelle, elle
semble même ne plus oser prendre des nouvelles tant l’insupportable
s’impose.
Au printemps 2005, Estelle décède une nuit.
Au cours d’un temps de rencontre avec la mère, après être venue voir
le corps, elle nous rapporte le souvenir qu’elle a des dires d’un médecin
qui, lorsque Estelle était encore petite, avait justifié son retard par de la
fainéantise. Et la maman d’Estelle met en regard ces paroles et ce qu’a
été la vie d’Estelle.
Dans ce témoignage, elle nous dit sa douleur à elle, sa douleur de
maman, sa douleur d’Estelle, cette vie à l’intérieur de sa vie qui reste hors
temps, qui ne s’inscrit pas de langage et qui reste d’énigme. Une hypo-
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 262

262 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

thèse serait encore que la douleur d’Estelle, celle si énigmatique de la fin


de sa vie, à la fois somatique et psychique, soit le reflet de la douleur
maternelle, ce qui reste en deçà de la souffrance.

RÉFLEXIONS ÉTHIQUES

Comment ne pas réduire la douleur au modèle médical


de la nociception ?

La connaissance des mécanismes physiologiques de la douleur ne


cesse de progresser, de même la compréhension des mécanismes qui
construisent ce phénomène comme une expérience qui s’inscrit dans

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l’histoire d’un individu (liens avec le système émotionnel, avec la
mémoire…). Sont désormais beaucoup mieux connus les voies ascen-
Z
dantes empruntées par les messages nociceptifs, les projections
D
thalomo-corticales et le système de régulation de la nociception. Il ne
oc

s’agit pas pour nous de rendre compte ici de ces avancées qui concer-
nent la neurophysiologie et qui étudient le phénomène nociceptif. Un pas
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D

reste à franchir, que Jean Bruxelle 1, responsable de l’unité d’évaluation


ok

et de traitement de la douleur à l’hôpital Cochin, décrit fort bien :


Bo

« Force est de reconnaître qu’à l’heure actuelle, nous ne comprenons pas


encore comment un message sensitif, nociceptif ou non, est décodé sous
ed

forme de perception douloureuse. Il est manifeste que la douleur implique


M

une intégration complexe du message sensitif avec d’autres informations


émotionnelles et cognitives issues des aires corticales (frontale, temporale,
cingulaire) ou des structures sous-corticales (amygdales, hippocampe…) acti-
vées par la diffusion du message nociceptif. Il sera de toute manière difficile
pour la neurophysiologie d’explorer simultanément ces différentes structures
interactives dont les registres et les codes d’analyse constituent les caracté-
ristiques acquises par le sujet au cours de son histoire. »

La douleur reste une expérience subjective singulière, elle n’est pas


mesurable objectivement, elle est à peine comparable même pour un
sujet dans différents moments de sa vie.
Le développement des connaissances anatomiques et physiologiques
ne parvient pas à rendre compte des variations dont témoignent « les

1. J. Bruxelle, « La douleur : aspects neurophysiologiques et neuropsychologiques », dans


Souffrances, revue Autrement, série Mutations, n° 142, 1996, p. 32.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 263

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 263

douloureux ». La relation intime de chacun à la douleur dépend de la


signification que celle-ci prend au moment où elle atteint le sujet.
La science ne pourra jamais répondre de la façon dont un sujet pris
dans son histoire consciente et inconsciente va signifier pour lui-même et
pour les autres cette expérience singulière de la douleur.
De l’expérience subjective que constitue la douleur des autres, nous
ne connaissons rien d’autre que ce qu’ils en expriment, verbalement ou
non. Cette expression, à la fois spontanée et codifiée par la langue et le
social, inscrit le moment douloureux dans une histoire à la fois singulière
et relationnelle.
Elle nécessite la présence intérieure d’un autre à qui s’adresser, quelle
que soit la figure de cet autre, c'est-à-dire sa représentation (un parent,

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l’infirmière, Dieu…).
René Leriche 2, célèbre chirurgien pour s’être intéressé à la douleur
dans sa dimension humaine, écrit : Z
D
« La douleur est de tous les jours dans le corps de l’homme et nous ne
oc

savons d’elle que peu de choses. Cela tient, évidemment, à ce qu’elle n’est,
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D

en soi, qu’un phénomène subjectif, insaisissable pour l’observateur, mais


aussi, peut-être, à ce que la médecine l’a trop exclusivement étudiée, comme
ok

elle fait des choses mortes, par autopsies et coupes microscopiques […]. Par
Bo

suite, entre l’idée que nous nous faisons de la douleur et sa réalité, il reste
encore, inexplorée, toute la marge des apports de l’individuel. »
ed

De ce que fut l’expérience d’Estelle, douleur sans cause objectivable


M

par les moyens de la médecine moderne alors même que les médecins
reconnaissaient qu’elle avait de multiples raisons d’avoir mal, nous ne
savons rien… À ceci près que les médicaments antalgiques s’avéraient
peu voire pas efficaces, ce qui, dans la logique médicale, entraîne
souvent une remise en cause de la dimension de la douleur elle-
même… « Si les médicaments ne l’apaisent pas, c’est qu’elle n’a pas
mal. » Raisonnement déductif qui exclut toutes les dimensions de la
douleur autres que la nociception.
Face à l’impasse à trouver une causalité objective, la causalité est
renvoyée du côté du psychique, comme si une causalité psychologique
pouvait effacer cette dimension de la douleur. Pourtant, ce n’est pas
parce que la plainte porte en elle-même plus qu’elle n’en dit que la
douleur n’est pas éprouvée. Et c’est renforcer la solitude de la personne

2. R. Leriche, La chirurgie de la douleur, Paris, Masson, 1937, p. 10.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 264

264 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

douloureuse que de la renvoyer vers une origine psychique qui équivaut


à une négation de son expression sur sa douleur. Qu’une écoute de la
plainte soit nécessaire et justifiée ne réduit pas la violence qui consiste à
renvoyer vers « les professionnels de l’écoute » un patient douloureux.
Plus encore que n’importe quel patient, l’enfant polyhandicapé qui se
plaint, sans pour autant verbaliser qu’il a mal, sera soumis au bon vouloir
de l’équipe médicale pour la reconnaissance de la douleur. Or, s’il n’y a
pas de causalité visible ou déductible, il entendra dire tout autant qu’ « il
n’a pas de raison d’avoir mal » ou bien que « c’est sans doute une souf-
france psychique ». Au-delà de l’énoncé de cette sanction, dont il ne
comprendra pas nécessairement le texte, l’enfant polyhandicapé recevra
tout autant, au niveau émotionnel, l’effet d’isolement, de coupure que

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produit une telle position.
Pour autant, il n’y a évidemment pas moins dans la plainte des enfants
Z
polyhandicapés que dans la plainte de chacun. M.-J. Del Volgo 3 écrit :
D
« Toute plainte, authentique demande d’amour, se trouve sous-tendue par
oc

l’inconnu du désir ; dans toute demande où la souffrance s’exprime, il s’agit


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D

bien de cette insatisfaction, en conséquence la réponse technique, instru-


mentalisée, peut difficilement traiter le patient comme ordonnateur de son
ok

désir, elle l’hypostasie comme support obligé d’une maladie. »


Bo

Comment soutenir une réflexion éthique dans la prise en charge de


la douleur qui permette de ne pas la réduire à la nociception ? Comment
ed

revenir de la douleur objectivée vers l’être humain douloureux ? La


M

réflexion de Canguilhem 4 sur la définition de la maladie fournit un repé-


rage susceptible d’apporter des outils pour une pensée sur la douleur.
Canguilhem, dans Le normal et le pathologique, redonne à la subjectivité
sa place essentielle, celle de point de référence par lequelle le sujet défi-
nit ses propres normes. Il n’y a pas de normes pour le vivant qui vaudrait
pour tous les êtres humains, et l’anomalie est ignorée tant que le sujet
n’en ressent pas les conséquences. La maladie commence avec le senti-
ment « que quelque chose ne va pas » pour un sujet, qui le vit alors
comme une perte, une diminution, une aspiration à l’antérieur, l’avant ce
« quelque chose ». Dès lors, il éprouve un pathos dans son expérience
quotidienne.

3. M.-J. Del Volgo, La douleur du malade, Toulouse, éres, 2003, p. 18.


4. G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1966, p. 131.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 265

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 265

« La vie d’un vivant ne reconnaît les catégories de la santé que sur le plan
de l’expérience, qui est d’abord son épreuve au sens affectif du terme, et non
sur le plan de la science. »

La maladie est d’abord vécue comme un écart par rapport à son état
normal, elle est donc initialement un éprouvé subjectif pour lequel le
sujet trouvera un sens pour lui-même, mais auquel le discours médical
scientifique donnera une tout autre explication, qui visera l’objectivité.
La douleur répond au même mode de prise de conscience, la douleur
est un phénomène vécu et éprouvé dont le sujet fait récit, ou tout au
moins qu’il adresse, à moins qu’il y renonce, qu’il n’en ait pas les moyens,
qu’il n’imagine pas un soulagement possible. Dans la lignée de la pensée
de Canguilhem ajustée au phénomène de la douleur, il s’agirait de réflé-

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chir comment le sujet modifie ou non ses propres normes en fonction de
cette expérience douloureuse et comment les soignants peuvent eux-
Z
mêmes prendre en compte les normes exprimées par le patient, ou par
D
sa famille.
oc

Le fait que l’enfant soit polyhandicapé, en difficulté d’expression,


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D

redouble la nécessité éthique de se tenir au plus près de son expérience


douloureuse, dans une vigilance à ces moindres manifestations. Cela
ok

implique d’accepter de faire face à son éventuelle impuissance au soula-


Bo

gement attendu, et donc une réflexion personnelle sur ce que signifient,


pour chacun comme sujet en situation professionnelle, la douleur et la
ed

souffrance.
M

À qui appartient le corps des enfants polyhandicapés ?

Le danger est grand, au regard des maux du corps, de ne considérer


les personnes polyhandicapées que comme des supports de malforma-
tions, de pathologies, de ne plus voir en elles que l’écart à la norme, écart
propice au fantasme de sa réduction, ou au contraire de son exacerba-
tion spectaculaire dans un fantasme de monstration monstrueuse au
profit de l’art ou encore de la science…
Les appareils orthopédiques n’ont-ils vraiment qu’une visée de
prévention des déformations ultérieures ? Qu’en est-il du fantasme de
redressement du corps ? Du fantasme de rectification d’une erreur de la
nature ? Dans la cité, lorsque des parents refusent une intervention
chirurgicale pour, par exemple, la scoliose de leur enfant, ils doivent
affronter le fait d’être considérés comme de « mauvais parents » par des
médecins convaincus de savoir ce qui est bien pour autrui. Il est bien
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 266

266 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

difficile, pour des parents d’un enfant polyhandicapé, déjà fragilisés dans
leur parentalité, de soutenir une autre version de ce qui pourrait être
« bien » pour leur enfant, et ils doivent plus encore affronter le regard
au mieux compréhensif mais néanmoins désapprobateur de « ceux qui
savent… ». Mais qui pose la norme ? Canguilhem 5 rappelle : « L’homme
normal, c’est l’homme normatif, l’être capable d’instituer de nouvelles
normes, même organiques. » La logique argumentée pour des appa-
reillages soutient qu’il s’agit d’un mal pour éviter un pire, mais qui peut
définir pour un autre ce qu’est le mal et ce qu’est le pire ? Et le pire est-
il toujours à prévoir ? Le plus souvent, les décisions sont prises en l’ab-
sence du sujet, de l’enfant concerné.
Parfois, une question insidieuse transparaît malgré les bonnes inten-

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tions de soins : à qui appartient le corps de l’enfant ? Et bien souvent, il
nous semble qu’il appartient aux soignants. Comment l’enfant peut-il
Z
encore investir les potentialités motrices et sensorielles de son corps,
D
fussent-elles limitées, s’il ressent qu’elles ne lui appartiennent pas ? La
oc

mère d’Estelle trouve en elle la conviction pour décider d’elle-même


qu’Estelle a subi suffisamment d’examens médicaux, d’autres ne se
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D

seraient pas dégagés ainsi de l’autorité médicale qui souligne toujours


ok

ses bonnes intentions. L’argumentation médicale semble parfois viser la


Bo

modification des normes parentales, au risque de creuser l’écart dans la


proximité relationnelle entre l’enfant et ses parents. Lorsqu’un parent
ed

refuse une intervention, il sera de nouveau sollicité, invité à réfléchir…


L’avis des enfants ayant des capacités relationnelles susceptibles de leur
M

permettre d’exprimer un choix pour eux-mêmes n’est jamais demandé,


sous prétexte qu’ils n’ont pas les moyens d’un choix « éclairé ». Pourtant,
qui peut prétendre à un choix si éclairé qu’il fasse fi des valeurs propres
quant à ce qui constitue, pour chacun, une qualité de vie ?
Comment construire une démarche de soins qui tiendrait compte de
ce que l’enfant et sa famille expriment d’écart à leurs propres normes
comme supportable ou non ?

« Mais est-ce qu’elle a vraiment mal ? »

Pour les enfants sans difficultés surajoutées, l’accès à la dimension de


la plainte et à sa prise en compte par l’adulte n’est pas un chemin sans
embûches. Se plaindre nécessite au préalable la prise de conscience de

5. G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, op. cit., p. 87.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 267

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 267

l’anormalité de l’expérience de la douleur, ce qui est déjà une construc-


tion psychique inscrite dans un contexte relationnel. Comme le précisent
A. Gauvain-Piquard et M. Meignier 6 :
« En l’absence de cette perception de l’anormalité de la sensation doulou-
reuse, la plainte du petit ne reflète pas ce qu’il éprouve en fait […]. Les plus
jeunes, à sensations égales, se plaignent moins de ce qu’ils ressentent,
comme si le jugement sur le caractère pénible de la douleur n’était pas
encore pleinement acquis. Ce n’est pas que la douleur soit chez eux perçue
moins intensément, mais leur capacité à lui attribuer une valeur négative
d’anormalité et à s’en plaindre n’est pas encore pleinement mature. »

Pour les enfants polyhandicapés, la prise de conscience de la négati-


vité de la douleur, surtout lorsqu’elle est un fond constant, c'est-à-dire

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qu’elle ne vient pas comme une rupture dans le continuum de la vie, est
plus compliquée du fait de leurs difficultés d’accès aux normes sociales.
Z
Ce chemin est, entre autres, tributaire de leur différenciation d’avec leur
D
environnement. La plainte porte en elle la dimension de l’appel qui néces-
oc

site la différenciation d’un autre secourable, d’un autre déjà venu apaiser
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D

les tensions de besoins… En réalité, rares sont les enfants qui ne diffé-
rencient pas les personnes connues des personnes non connues. La diffé-
ok

rence entre le familier et le non-familier s’installe très tôt chez le


Bo

tout-petit. Progressivement, des caractéristiques du « familier » vont se


regrouper en une totalité qui va constituer « un autre », une personne
ed

différenciée avec ses caractéristiques propres. Pour autant, cette diffé-


M

renciation « des autres », chacun avec son entité, n’est pas nécessaire
pour qu’un autre secourable soit reconnu et qu’un cri fasse appel puis se
transforme en plainte.
Encore faut-il que l’appel soit entendu. Puis que cet appel soit inter-
prété comme plainte douloureuse, puis que la douleur soit validée par
l’équipe médicale par un effet efficace du médicament. La proposition
d’une vérification de la « validité » de la plainte par la proposition d’un
placebo ne vient jamais à n’importe quel moment d’un parcours théra-
peutique : elle surgit lorsque l’équipe soignante se vit en échec dans sa
capacité à soulager rapidement et durablement, c'est-à-dire dans sa
capacité à effacer la plainte. En miroir de la violence de ce sentiment
d’échec pour les soignants se pose la violence du doute sur l’authenticité

6. A. Gauvain-Piquard, M. Meignier, La douleur de l’enfant, Paris, Calman-Lévy, 1983,


p. 154.
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 268

268 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

de l’expression de l’enfant pour les professionnels du quotidien. Pourtant,


ce n’est pas parce qu’un placebo soulage que la douleur n’était pas
« vraie ».
L’efficacité du placebo ne cesse d’interroger la médecine… Or comme
le soulignent Patrice Queneau et Gérard Ostermann 7 : « le placebo est
un remède vide mais chargé de sens […]. L’effet placebo doit beaucoup
à la puissance symbolique de la relation malade-médecin et à l’imaginaire
qu’elle véhicule, mettant en jeu la pensée magique (pensée prélogique
ou archaïque) avec ce qu’elle comporte de remontée vers l’inconscient,
vers ce qui est enfoui et secret. »
Lorsqu’un soignant se trouve dans l’impuissance à soulager, un évite-
ment possible de cette expérience désagréable est la négation portée sur

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la douleur de l’enfant. Une fois encore, ce sont les normes propres de
l’enfant qui peuvent nous orienter afin de ne pas tomber dans cette néga-
Z
tion. Cela implique une sorte de consentement à son impuissance lorsque
D
les soins apportés ne produisent pas le soulagement attendu, mais aussi
oc

un refus du renoncement, autre forme d’évitement de l’impuissance en


la rangeant sous le registre de l’impossible. Et la douleur de l’enfant est
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renvoyée aux professionnels de la relation. Faire face aux normes propres


ok

de l’enfant quant à sa douleur relève donc d’un exercice éthique d’équi-


Bo

libriste !
ed

Quels effets d’une mémoire de la douleur ?


M

Au-delà de la plainte, la prise de conscience de l’anormalité de la


douleur et l’espoir qu’elle puisse disparaître sollicitent l’une et l’autre une
construction psychique plus difficile pour les enfants qui font très tôt l’ex-
périence de la douleur dans des assistances médicales précoces, certes
nécessaires, mais néanmoins intrusives. Estelle n’avait que quelques
semaines de vie lorsqu’elle s’est retrouvée intubée, perfusée, etc. Il est
maintenant connu que le sevrage de l’oxygénothérapie des tout-petits est
difficile, pour des raisons non pas tant physiologiques que psycholo-
giques : les bébés s’accrochent à des effets sensoriels, visuels (par
exemple, un reflet sur l’appareil) ou auditifs (le bruit de l’appareil) comme
permanence d’existence lorsque la présence parentale n’est pas suffi-
sante du fait des effets traumatiques d’hospitalisations lourdes et

7. P. Queneau, G. Ostermann, Soulager la douleur, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 188.


01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 269

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ 269

précoces. La crainte panique d’Estelle au bruit des moteurs, même peu


important comme celui des appareils ménagers, n’était-elle pas une rémi-
niscence des bruits des machines lors de son expérience d’hospitalisation
précoce et intense ? Plus encore, quelles connaissances avons-nous des
effets à court terme et à long terme d’expériences douloureuses précoces
chez les nourrissons ? Comme le précise Marc Feldmann 8 :
« Le nouveau-né, qui ne demande rien, n’obtient rien […]. Percevoir la
douleur du nouveau-né implique donc obligatoirement d’être à l’affût des
moindres de ses réactions comportementales et physiologiques. Ceci n’est
pas aisé car ces modifications ne sont pas spécifiques de la douleur, tradui-
sent parfois seulement le stress de l’enfant, sans composante douloureuse,
l’anxiété ou un problème médical. »

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Les études sur les conséquences de ces expériences sont très peu
nombreuses, toutes en langue anglaise, elles montrent une hypo ou une
Z
D
hypersensibilité à la douleur à court terme, mais à plus long terme, les
recherches montrent qu’un cerveau immature soumis à la douleur et au
oc

stress pourrait subir des destructions neuronales par toxicité due au


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stress répété, ayant des effets sur le comportement et l’attention. Notre


propos n’est pas de nous en tenir à une explication biologique des diffi-
ok

cultés des enfants polyhandicapés mais de souligner la nécessité de tenir


Bo

compte d’un ensemble de facteurs, y compris ceux tenant au réel de l’or-


ganisme biologique, avec lequel les enfants auront à se construire
ed

comme sujet.
M

Les enfants polyhandicapés n’ont pas tous une expérience précoce de


la douleur et du stress car chacun est pris dans une histoire médicale
différente, mais un certain nombre d’entre eux démarrent dès la nais-
sance leur histoire avec la douleur. Nous ne mesurons sans doute pas
suffisamment, par défaut d’évaluation, les effets psychiques de telles
expériences pour ces enfants. Comment se départage le moi du non-moi
dans cette expérience de la douleur ? L’enfant ne risque-t-il pas d’avoir
encore plus de difficulté à considérer la douleur comme « non normale »
quand il en est traversé dès le plus jeune âge ? Nous pouvons supposer
que l’enfant polyhandicapé risque, plus encore, de subir l’état douloureux
sans s’en plaindre. Ce qui nécessite de notre part une vigilance accrue.

8. M. Feldmann, « La prévention et la prise en charge de la douleur et du stress du


nouveau-né », Intervention au cours de la 8e journée de l’UNESCO « La douleur de l’enfant,
quelle réponse ? », 2000.
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Emmanuel Hirsch

Postface
L’exigence éthique d’une connaissance
de la personne handicapée

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UN REGARD AUTRE
ok

L’attention portée à la personne plus vulnérable que d’autres – car


Bo

souvent entravée du fait d’un handicap – dans sa faculté d’affirmer son


identité et d’exprimer explicitement ses préférences, relève d’un souci
ed

éthique évoqué avec justesse, sensibilité et intelligence, dans cet


M

ouvrage. Les observations et analyses que proposent ses auteurs nous


permettent de découvrir les territoires insoupçonnés d’une démarche
clinique attentive à servir des valeurs dont la signification et la portée
apparaissent trop habituellement méconnues. Y compris par ceux qui ont
mission d’en honorer concrètement les principes.
Des pratiques professionnelles parfois reléguées aux marges des
préoccupations ou des urgences sociales trouvent une valeur d’humanité,
une légitimité et une signification dès lors qu’elles expriment l’intensité et
les nécessités d’une relation d’autant plus essentielle qu’elle paraît
fragile, incertaine, fugace. Assumer la part éthique de ces approches
cliniques de la personne atteinte de handicaps, c’est s’engager dans la
profondeur d’un engagement dont il n’est pas évident de cerner a priori

Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud XI, directeur de l’Es-
pace éthique Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
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272 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

les limites, tant les enjeux s’avèrent complexes et multiples, tant égale-
ment les besoins et les attentes sont infinis.
Le champ de responsabilités ainsi imparti aux intervenants est ouvert
à des approches qui doivent concilier des considérations de tous ordres,
mobilisées pour servir la cause de personnes parfois ignorées dans leurs
droits propres ou contestées dans la réalité de leurs requêtes vitales. Il
s’agit donc là d’un acte éminemment politique puisqu’il détermine une
mission sociale à bien des égards inattendue, novatrice, soucieuse de
favoriser des ruptures, des mutations et des évolutions indispensables
dans un système de représentations du handicap qu’il conviendrait
désormais de considérer comme périmé.
Ne plus se satisfaire de mentalités ou de procédures jugées hostiles

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à une conception juste de la dignité incite à adopter des postures et à
soutenir des projets rarement compatibles avec les idéologies et les iner-
Z
ties de nombre de décideurs institutionnels. Il faut donc un véritable
D
courage et beaucoup de résolution pour parvenir à porter un regard
oc

autre, une parole différente, là où les habitudes sclérosantes et les accep-


tations compatissantes privilégient, dans l’indifférence générale, la
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persistance de dispositifs arbitraires, voire dans trop de circonstances


ok

délétères.
Bo

Les notions d’étrangeté – à la fois dérangeantes et inquiétantes –


liées aux figures traditionnelles de la personne « affligée » d’un handi-
ed

cap, l’ont en quelque sorte déportée dans des espaces exilés aux confins
de notre attention et des solidarités sociales. Cette mise à l’écart, à
M

distance – éloignement à tous égards – exonérait du devoir de sollicitude


qui fonde une certaine conception de l’idée d’humanité. Comme si, hors
de notre monde, certains parmi nous étaient destitués de ce qui carac-
térise leur humanité, du fait d’une dissemblance susceptible d’affecter
nos pauvres modèles et nos quelques certitudes. Au-delà de l’effroi, des
peurs archaïques, l’intuition du risque évident d’une exposition au regard
et à l’attente énigmatique de la personne handicapée expliquerait des
postures et des dispositifs pour beaucoup marqués par l’indignité, le
mépris, la malveillance et l’injustice.
Cette illusoire tentative d’affirmation d’un idéal de normalité, en
accentuant la stigmatisation et l’exclusion de nos proximités humaine et
sociales des personnes ramenées à la condition d’un handicap, d’une
distinction, d’une différenciation qui altèreraient et contesteraient leur
humanité même, n’est plus recevable. Elle a forgé les théories, les
discours et les politiques d’anéantissement de l’individu considéré « hors
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POSTFACE 273

humanité » ou « sous-humain » dont nous pensions avoir saisi l’impres-


sionnant enseignement.
Rien ne nous permet pour autant aujourd’hui d’être convaincu que
l’idéologie d’une euthanasie quiescente insinuée dans certaines concep-
tions radicalement biomédicales, ne risque de nous confronter bien vite
à des dilemmes d’autant plus pernicieux et graves qu’on en néglige la
menace. Le handicap à prévenir, à éviter, à éradiquer comme ce qui
semble scientifiquement discriminable et inassimilable à une conception
maîtrisée du vivant, sollicite plus l’attention des experts en médecine
prédictive que celle, par trop indifférente, des responsables politiques
trop souvent équivoques dans la détermination des choix indispensables
à une vie en société digne d’être vécue. Il paraît dès lors peu surprenant

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que certaines conditions de vie des personnes atteintes de handicaps
constituent une épreuve à ce point redoutable et insupportable qu’elles
Z
aspirent parfois à ce qu’on y mette un terme en dépénalisant le droit à
D
bénéficier de l’acte d’euthanasie…
oc

CAUSES MÉCONNUES
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ok

Dans sa perspective éthique, la clinique du handicap consacre à la


Bo

personne au sein de son environnement familial et social la préoccupation,


les considérations indispensables à la confirmation de son existence parmi
ed

nous, de son appartenance à notre commune humanité. C’est caractériser


son éminente valeur, l’intérêt de cette démarche de recherche, de
M

connaissance et de compréhension, susceptible de conférer un autre


visage, une autre position sociale à la personne reconnue dans une iden-
tité et une liberté d’être au-delà de ce qui entrave son quotidien.
Il n’est toutefois rien d’évident a priori dans cette investigation dont
certains discutent encore l’intérêt, la pertinence, l’efficience, pour ne pas
dire les justifications scientifiques. Ce domaine de recherche n’est pas
valorisé comme il devrait l’être, alors qu’il concerne les fibres mêmes du
lien social, de la sollicitude témoignée à l’autre dans sa singularité et sa
position en société. Par nature, il constitue l’expression manifeste d’une
conscience exigeante des missions de la recherche en sciences humaines
et sociales qui trouve là une fonction évidente comme composante du
débat relatif aux valeurs que porte notre démocratie.
On ne peut se satisfaire plus longtemps de l’approche chaotique de
ces causes ainsi méconnues qui font irruption au gré d’une actualité
souvent dramatique, par défaut d’une vigilance témoignée par la cité à
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274 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

ceux qui ne peuvent que difficilement solliciter sa prévenance. La clinique


du handicap a également cette fonction de médiation sociale, de nature
à atténuer l’incompréhension quand il ne s’agit pas plus gravement de
tenter de s’opposer aux expressions radicales du mépris.
Le savoir consacré aux personnes dans leur existence singulière –
trop souvent séparées ou rejetées de nos évidentes préoccupations – est
tissé d’expériences humaines qui sollicitent et amplifient l’attention que
l’on porte à la condition humaine. C’est dire la richesse et l’impact de
cette attention portée à la personne habituellement destituée de rôle
pour ne pas dire de présence sociale, délaissée dans le dédale de consi-
dérations relevant davantage de la compassion que du désir de recon-
naissance, d’acceptation, d’intégration en société.

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Pour les professionnels investis dans cette dynamique de rencontre
et d’approfondissement, la réciprocité d’un échange d’autant plus
Z
précieux qu’il s’avère rare interroge sur la juste position à adopter dans
D
un contexte où s’entremêlent parfois les vulnérabilités et les sentiments
oc

d’injustice, de violences diffuses, voire d’impuissance, face au cumul des


défis. De quelle manière envisager une posture qui soit tenable, s’y main-
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tenir à la fois soucieux d’une suffisante proximité et d’une préservation


ok

de la distance indispensable au respect de l’autre et à l’exercice d’une


Bo

réflexion critique ? Comment s’impliquer sans susciter des espérances


qu’il serait difficile d’assumer, la neutralité pouvant apparaître comme de
ed

l’indifférence alors qu’elle impose ses règles strictes au professionnel ?


Une conception éthique du moindre mal, du préférable, pourrait être
M

privilégiée en des circonstances dont la gravité et la chronicité semblent


limiter à l’extrême les possibilités d’ouverture, de résolution. Les parcours
de vie dans le handicap confondent de manière parfois inextricable diffé-
rents partenaires liés entre eux par des rapports complexes. De quelle
manière circonscrire l’espace d’intervention et d’analyse sans hiérarchiser
les intérêts et les causes de manière insatisfaisante ? Quels dispositifs
intangibles mettre en œuvre afin de préserver une confidentialité d’au-
tant plus contestée que la personne atteinte de handicap est habituelle-
ment disqualifiée et amoindrie dans une situation de dépendance
souvent irrévérencieuse à l’égard de ce qui lui est intime ?
Que faire, en fait, des connaissances ainsi recueillies, voire déposées,
par ceux qui attendent de notre part une capacité de mobilisation, de
sensibilisation du corps social à cette dimension de responsabilité si
complexe et délicate qu’on préfère l’éviter, s’en détourner par sentiment
d’impuissance ?
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POSTFACE 275

Il nous fait apprendre et comprendre ce que signifie pour la


personne, ses proches, également les professionnels à ses côtés, la
condition d’une existence qui doit pouvoir se concevoir et se vivre dans
les libertés qu’elle recèle et la créativité qui l’anime. Il convient, en
pratique, de combler l’écart, d’atténuer les distances, de dissiper les équi-
voques qui altèrent la perception, la reconnaissance de la personne pour
ce qu’elle est, dans sa dignité et ses droits. Il s’avère urgent d’affirmer,
en d’autres termes, une position éthique opposée aux renoncements qui
spolient la personne handicapée et contestent son humanité.
En résistance à des attitudes trop souvent inhumaines et contes-
tables, la préoccupation éthique s’érige en force de résistance, en
mouvement engagé dans la reconnaissance de la personne au-delà de ce

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qui la handicape, dans son humanité et ses droits. Elle fonde sa capacité
de dissidence dans l’analyse rigoureuse et constructive à laquelle contri-
Z
bue la clinique du handicap, cet engagement de professionnels qui
D
servent la cité en l’éveillant au sens de quelques obligations dont elle ne
oc

peut s’exonérer.
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Bibliographie

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Table des matières

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Z
D
oc
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D

INTRODUCTION
Régine Scelles 7
ok

.................................................................
Bo

PREMIÈRE PARTIE
ed

L’ÉTHIQUE À L’ÉPREUVE DU HANDICAP :


APPROCHES THÉORICO-CLINIQUES
M

ÉTHIQUE ET IDÉOLOGIE : CLINIQUE DU RISQUE ET DE LA PRUDENCE


Régine Scelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Éthique et altérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Cas de conflit éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Risque du partage de la même humanité avec les plus vulnérables . . . . 22
Créativité et croyances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Fonction défensive des pactes dénégatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Narrative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

L’OMBRE DU CORPS
Pierre Ancet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Monstruosité comme représentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Spécificité de l'impression monstrueuse : l’ombre du corps . . . . . . . . . . . . . 32
Illusion d’artifice et inquiétante étrangeté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 290

290 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

Mises en scènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

VIOLENCE DANS LE SOIN AU HANDICAP


Albert Ciccone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Conflictualité des modèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Technicité du soin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Conception du sujet comme sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Distribution sociale d’illusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Organisation institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Élaboration insuffisante du contre-transfert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ EN PÉRINATALITÉ :

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L’AVANT-SCÈNE ÉTHIQUE DU HANDICAP ?
Sylvain Missonnier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Le postulat de l’unité systémique du consentement éclairé . . . . . . . . . . . . . Z 58
D
Paternalisme et « paternalisthme » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
Déontologie médicale et législation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
oc

Spécificités de la périnatalité et de la pédiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65


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D

Anticipation et consentement éclairé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67


Le despote, la concubine et le consentement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
ok

Vers un consentement mutuellement éclairé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73


Bo

RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE DU POINT DE VUE DE LA PERSONNE HANDICAPÉE


ed

ELLE-MÊME
Simone Korff-Sausse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
M

Qu’en pense la personne handicapée elle-même ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78


Lorsque le monstre devient homme … . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Responsabilité éthique potentielle et réciproque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

SITUATIONS DE HANDICAPS EXTRÊMES ET PHÉNOMÈNE


DE DIFFRACTION ÉTHIQUE
George Saulus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Qui sont les deux protagonistes de ce récit ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Pourquoi emprunter à la physique le terme de diffraction
pour l’appliquer à l’éthique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
Conclusion : de l’utilité du concept de diffraction éthique . . . . . . . . . . . . . . . 94
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 291

TABLE DES MATIÈRES 291

DEUXIÈME PARTIE
ÉTHIQUE ET PRATIQUES CLINIQUES

INTERVENTION PRÉCOCE CHEZ LES TRÈS JEUNES ENFANTS À RISQUE DE HANDICAP :


PERSPECTIVES HISTORIQUES ET ÉTHIQUES
Roger Salbreux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Quelques repères historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Vignette clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Missions des CAMSP. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
Implications éthiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Nouvelles dispositions législatives : leur influence sur l’éthique
de l’action médico-sociale précoce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

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DE LA CULPABILITÉ À LA RESPONSABILITÉ, POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RELATION
Z
Silvia Pagani et Elio Tesio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
D
Culpabilité sans visage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
oc

Culpabilité éternelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124


Histoire de culpabilité quotidienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
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D

De la faute à la responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130


ok

Responsabilité de notre responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133


Bo

QUESTIONS ÉTHIQUES ET AUTISME EN PRATIQUES INSTITUTIONNELLES


Anne Brun. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
ed

Atteinte organique et indication de psychothérapie psychanalytique ? . . 139


M

Éthique du soin : engagement du corps du thérapeute dans la prise


en charge des enfants autistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Les positions éthiques comme éventuels obstacles au soin . . . . . . . . . . . . . 147

AUTISME ET HANDICAP : LE CHOIX DES THÉRAPEUTIQUES


Chantal Lheureux-Davidse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Sidération et clivage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
Place de la construction de l’image du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
Politique de soins face à des symptômes massifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Handicap moteur, autisme et absence de langage verbal . . . . . . . . . . . . . . . 154
Orientations thérapeutiques face à la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Effets d’un travail psychique sur le corporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Place du langage dans la sensorialité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Émergence du langage et du sentiment d’exister dans le lien à l’autre . 158
Jeux avec les vibrations et les changements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Chacun son corps, chacun son nom, chacun sa génération . . . . . . . . . . . . . 160
Éloge du transfert négatif et des moments dépressifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
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292 HANDICAP : L’ÉTHIQUE DANS LES PRATIQUES CLINIQUES

LES MOTS ET LA CHOSE : RÉFLEXIONS ÉTHIQUES À PROPOS DES INTERRUPTIONS


MÉDICALES DE GROSSESSE
Jean-Pierre Durif-Varembont . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Langue médicalisée et disparition du sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
Importance du discours du tiers social qui nomme et inscrit . . . . . . . . . . . . 171
Deuil spécifique, celui d’un représentant narcissique primaire. . . . . . . . . . . 174
Dialectisation vie-mort : il n’y a de mort que de vivant . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Histoire clinique typique : dans l’après-coup d’une IMG . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
Choix impossible « entre le pire et le moins pire » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
Les situations extrêmes exigent une éthique clinique créative . . . . . . . . . . 181

EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CONSULTATIONS ANTÉNATALES :


TEMPS DE L’ANNONCE EN DIAGNOSTIC ANTÉNATAL

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ET CONSULTATION GÉNÉTIQUE
Hélène Romano . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Contexte actuel des consultations anténatales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Z 184
D
Impact traumatique du temps de l’annonce. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
oc

Efficacité symbolique des consultations anténatales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190


Limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
© Érès | Téléchargé le 26/04/2021 sur www.cairn.info via Université de Tlemcen (IP: 193.194.76.5)

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D

Quelle place possible pour le psychologue dans la consultation


ok

de diagnostic anténatal ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198


Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Bo

SEXUALITÉ ET HANDICAP MENTAL : SOUS QUEL REGARD ÉTHIQUE ?


ed

Denis Vaginay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205


M

Reconnaissance d’un droit et nécessité d’un positionnement éthique . . . 205


Histoire, handicaps et sexualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Consentement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Victime ou coupable : une alternative imposée qui exclut toute réalité
subjective. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
L’inceste interdit, le corps et le tiers : quand le handicap dissout
les certitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

DE L’INFANTILE AU PRIMITIF DANS LA CLINIQUE DE TRANSFERT


OU LE QUOTIDIEN DE L’INSTITUTION
Jacques Cabassut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Fragment clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Éthique et transfert : du subjectif au collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
Qu’est-ce que je fous là ? Ou le sujet éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
L’infantile et le primitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
Éthique et désir du clinicien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
Actualités institutionnelles : état du lieu éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 293

TABLE DES MATIÈRES 293

VISITE À DOMICILE: LAISSER LA CLÉ DE LA PORTE À LA PERSONNE


QUI NOUS REÇOIT
Véronique Cohier Rahban . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
Éthique de soin : psychothérapie et déplacement à domicile (DAD)
ou thérapie de soutien et visite à domicile (VAD) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
Éthique relationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252

ESTELLE, L’ÉNIGME DE LA DOULEUR CHEZ L’ENFANT POLYHANDICAPÉ


Véronique Pautrel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
Présentation clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
Réflexions éthiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262

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POSTFACE.
L’EXIGENCE ÉTHIQUE D’UNE CONNAISSANCE DE LA PERSONNE HANDICAPÉE
Z
Emmanuel Hirsch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
D
Un regard autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
Causes méconnues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
oc
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D

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
ok
Bo
ed
M
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 294

Déjà parus dans la collection


« Connaissances de la diversité »
(Anciennement Connaissances de l’éducation)

Sous la direction de Régine Scelles Sous la direction de Claudie Bert


avec Albert Ciccone, Simone Korff-Sausse, La fratrie à l’épreuve du handicap
Sylvain Missonnier et Roger Salbreux Paulo Freire
Handicap : l’éthique dans les pratiques Pédagogie de l’autonomie
cliniques Savoirs nécessaires à la pratique éducative
Sous la direction de Pierre Bonjour et Traduit et commenté par Jean-Claude Régnier

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Françoise Corvazier Charles Gardou, Emmanuelle
Repères déontologiques pour les acteurs Saucourt
sociaux Z
La création à fleur de peau
D
Le livre des avis du Comité national des avis Art, culture, handicap
déontologiques
oc

Félix Gentili
Sous la direction de Charles Gardon et La rééducation contre l’école, tout contre
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D

Denis Poizat L’identité professionnelle des rééducateurs


Désinsulariser le handicap en question
ok

Quelles ruptures pour quelles mutations


Charles Gardou
culturelles ?
Bo

Fragments sur le handicap


Jean-Bernard Paturet et la vulnérabilité
ed

De la responsabilité en éducation Pour une révolution de la pensée et de l’action


Jean-Marie Gillig Sous la direction de Laurent Talbot
M

Mon enfant aussi va à l’école Pratiques d’enseignement et difficultés


La scolarisation des enfants et adolescents d’apprentissage
handicapés en 20 questions
Sous la direction de Denis Poizat
Sous la direction de Albert Ciccone, Éducation et handicap
Simone Korff-Sausse, Sylvain D’une pensée territoire à une pensée monde
Missonnier et Regine Scelles Thérèse-Adèle Husson
Cliniques du sujet handicapé Une jeune aveugle dans la France
Jean-Jacques Guillarmé du XIXe iècle
Écouter l’enfant, aider l’élève Commentaires de Zina Weygand et Catherine
Les outils de la réussite J. Kudlick
Cécile Hérrou, Simone Korff-Sausse Pierre Bonjour, Michèle Lapeyre
L’intégration collective de jeunes enfants Le projet individualisé, clé de voûte
handicapés de l’école inclusive ?
Semblables et différents Du discours à la méthode, le sémaphore
Serge Ebersold David Goode
Parents et professionnels face Le monde sans les mots
au dévoilement du handicap Comment l’identité sociale des enfants sourds-
Dires et regards muets et aveugles est-elle construite ?
01 Intérieur Scelles 25/07/08 10:10 Page 295

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Alain Blanc et Henri-Jacques Stiker Connaître le handicap,
Le handicap en images reconnaître la personne
Les représentations de la déficience
Pierre Bonjour, Michèle Lapeyre
dans les œuvres d’art
L’intégration scolaire des enfants
Nicole Diederich, Tim Greacen
à besoins spécifiques
Sexualité et sida en milieu spécialisé
Des intentions aux actes
Du tabou aux stratégies éducatives
Textes réunis par Philippe Gaberan
Suzanne Saisse, Marie de Vals De l’engagement en éducation
Roger Cousinet : Gloria Laxer
la promotion d’une autre école De l’éducation des autistes déficitaires
Jean-François Gomez Barbara Walter
Déficiences mentales : le devenir adulte La famille peur-elle encore éduquer ?
La personne en quête de sens

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Marc Brzustowski
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Pour une éthique de responsabilité partagée Z
handicapées
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Le handicap en visages - 4
Danielle Moyse, Nicole Diederich
Les personnes handicapées Charles Gardou et collaborateurs
oc

face au diagnostic prénatal Frères et sœurs de personnes handicapées


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D

Éliminer avant la naissance ou accompagner ? Le handicap en visages - 3


Jacques Marpeau Charles Gardou et collaborateurs
ok

Le processus éducatif Parents d’enfant handicapé


La construction de la personne
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Le handicap en visages - 2
comme sujet responsable de ses actes
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Marie-Agnès Simon
ed

Naître ou devenir handicapé


Enseigner aux élèves à la pensée trouble
Le handicap en visages - 1
Analyse clinique de la relation
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La position enseignante des instituteurs La gestion mentale en questions
spécialisés en institut médico-professionnel À propos des travaux d’Antoine de La Garanderie

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