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Jardin de La Foi 2008

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1

P R É F A C E

N O U V E L L E E D I T I O N

Du Jardin au Jardinier

Quand je parcours les allées de ce “Jardin de la Foi“, je


suis interpellé à tout moment, tant par les images que par les
textes, tant par les fleurs que par le feuillage.
Les images nous apprennent à nous arrêter, à ouvrir les
yeux du corps, et, au-delà, les yeux du cœur, à découvrir la
beauté des choses les plus simples, les plus quotidiennes,
semble-t-il les plus banales, et à y sentir la Présence du Souffle
divin qui vivifie toutes choses.
Les textes les plus variés nous parlent et nous
enseignent, à condition de faire silence pour entendre le
bruissement des feuilles et le murmure des arbres.
Ce livre peut constituer une aide précieuse pour notre
prière quotidienne la plus personnelle. Il en sort un sentiment
de joie et de douceur pour lesquels nous remercions le père
jardinier derrière lequel se profile le Visage du Jardinier divin.

Père Boris Bobrinskoy

2
P R É F A C E

Le Jardin de la Foi de Frère Jean est l’œuvre


humble et forte d’un moine j ardinier que le scientifique que j e
suis rej oint dans une profonde communion de nature.
Comment résister à ces récits courts et prenants,
à la manière des paraboles, nourris tout à la fois du suc de la
terre et de l’esprit ?
Le Skite Sainte Foy, cette noble demeure, s’offre
en effet “comme un phare qui relie l’océan du ciel à la terre
des Cévennes”.
De ce livre, où chaque petit récit est à déguster
et à méditer en silence, émane une paix profonde et une
atmosphère de haute spiritualité et de contemplation.

J’ai profondément aimé ce petit livre et le garde


à proximité pour souffler, pour respirer, pour prier.

J ea n- Marie P E LT
P réside nt de l’ I nstitut E uropée n d ’ Éc ologi e,
P rof esseur É mé ri te de l’ Univ ersité de Metz.

3
A V A N T P R O P O S

ar le moyen des choses naturelles nous pouvons recevoir des


enseignements très clairs sur des choses spirituelles” dit Saint Jean
Climaque dans l’Echelle Sainte (26-15).
L’homme trouve des vérités toujours actuelles dans le
témoignage des Anciens, dans la méditation des Évangiles. Il puise dans la
prière des outils pour progresser sur le chemin spirituel, il élève la création
vers Dieu,“ Créateur du ciel et de la terre, de toutes choses visibles et invi-
sibles” Credo .
La nature est un Livre offert à ceux qui cultivent la terre de
leurs mains, qui découvrent que la création révèle une sagesse universelle
qui relie l’homme au Royaume céleste.
L’acte quotidien, sans tomber dans l’habitude, éduque le
jardinier des profondeurs en aiguisant sa vigilance. Il le dépouille de la
tendance à s’approprier, à fractionner les éléments pour accéder à une
perception innocente, totalement présente, à la contemplation intérieure!
Tout lui parle dans la simplicité de l’instant : le chant d’une source, la
rotation d’une rose amoureuse du soleil, la louange d’un coquelicot qui
embrasse le ciel, l’histoire d’un mur à pierres sèches, d’un chêne ou d’un
châtaignier… Le risque est de prendre à la lettre les modèles que nous offre
la nature, de tomber dans le panthéisme, de confondre le chemin de la
connaissance de soi avec la reliance au divin.
Le cheminement du jardinier passe de la terre des profon-
deurs au fruit, il n’y a pas de progression dans ces paraboles d’aujourd’hui.
4
Il est une promenade consciente dans le paysage de la divino-humanité de
l’homme. Il ne décrit pas des objets, des techniques mais révèle des
analogies, restitue l’esprit des événements dans leur universalité. Il invite le
pèlerin à se laisser saisir par la Grâce et, à travers elle, par le Christ vivant.

“C’est par beaucoup de paraboles que le Christ leur annonçait la Parole,


selon qu’ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur parlait pas sans
parabole; mais en privé, il expliquait tout à ses disciples”. Marc IV- 30-34

Les photographies disent par une écriture de lumière ce que


les mots ne peuvent pas montrer, elles révèlent par un dégradé de gris des
nuances subtiles qui court-circuitent le raisonnement, elles parlent à la
mémoire de l’être. Les images prises avec un appareil automatique
soulignent un désir de sobriété.

Ces petites histoires décrivent l’ouverture du cœur, elles


n’ont pas la prétention d’être un traité de théologie, de philosophie ou
d’agronomie. Elles sont une promenade méditative, un témoignage poétique
de la foi d’un homme qui a choisi de consacrer sa vie à Dieu, qui essaye de
la partager avec ses frères à travers les actes simples du quotidien.

Son désir : " réinventer la splendeur du simple,


sans trahir la sagesse des Anciens".

Fr Jean

5
à Frère Léon
compagnon de fondation.

6
Skite

e Skite Sainte Foy, cette noble demeure, élevée


au-dessus des paysages environnants,
s’offre comme un phare qui relie l’océan du ciel
à la terre des Cévennes.
Cette forteresse ouverte sur une cour intérieure,
mas sobre et puissant,
lieu de concentration et de rayonnement,
sourit au temps qui passe.
De son sein jaillit une source
dont la musique désaltère
le cœur du pèlerin de passage.
Construit avec le roc, sur le roc,
le Skite Sainte Foy
s’enracine par les Anciens
jusqu’à l’Immuable vivant.
De cette citadelle de schiste
s’élève la psalmodie humble et joyeuse
des moines :
les amants du Christ.

Skite signifie petit monastère,


cellules, ermitages des moines,
on peut traduire par “celle”.
7
(Voir glossaire)
Contemplation

N ous n’avons pas à penser la nature,


nous avons à la contempler.
Penser la nature c’est être malade des yeux.
Croire que la vie peut être enfermée dans la forme,
donne le pouvoir à l’illusion.
Une de nos plus grandes richesses
est de communier.
L’homme se découvre sacramentel,
son cœur est assez grand pour unir
dans un seul mouvement le ciel et la terre.
Nous ne sommes pas une parcelle du tout
mais identiques au tout
dans une globalité en germe.
La Sagesse indicible se révèle par analogie
dans nos vérités éphémères.
Durant le pèlerinage
de notre existence
restons émerveillés
par la majesté du simple !

Tout acte peut devenir prière,


action de grâce,
si nous savons redécouvrir
l’émerveillement du quotidien.
8
Graine de moutarde

quoi comparerons-nous le royaume de Dieu,


ou par quelle parabole le représenterons-nous ?
Il est semblable à un grain de moutarde qui,
lorsqu’on le sème en terre,
est la plus petite de toutes les semences de la terre;
mais une fois semé, il monte,
devient plus grand que toutes les plantes potagères
et pousse de grandes branches,
en sorte que les oiseaux du ciel
peuvent habiter sous leur ombre.

C’est par beaucoup de paraboles de ce genre


qu’il leur annonçait la parole,
selon qu’ils étaient capables de l’entendre.
Il ne leur parlait pas sans parabole;
mais en privé, il expliquait tout à ses disciples.

Marc IV- 30-34

Le simple est plus vaste que le multiple.


Dieu ne regarde pas la majesté de nos œuvres,
mais la pureté de notre cœur.

9
Dieu vit que cela était bon

n jour en épluchant une carotte, l’Ancien pleure.


le disciple tente de le consoler le croyant triste.
Le Père lui répond :
- Je ne suis pas triste,
- Alors pourquoi pleurez-vous ?

Le Père, élevant la carotte à deux mains


à la hauteur de son visage, dit :
" Regarde cette carotte, elle est magnifique !
Contemple l’audace de ses couleurs : orange, rose, vert !
Respire son parfum sucré !
Regarde : toute la terre a porté cette carotte,
toute la pluie du ciel l’a arrosée,
toute la lumière du soleil l’a chauffée…
et moi je pense à autre chose !"
Ce qui faisait pleurer l’ancien
ce n’était pas la tristesse
mais son manque d’émerveillement
devant la beauté de la création.

La nature est un Livre offert


à ceux qui cultivent la terre de leurs mains
et qui reconnaissent avec naïveté
les analogies qui relient la création avec le Créateur.

10
Beauté

a beauté n’est pas réduite seulement au sens,


elle est le juste agencement des parties
en harmonie avec le Tout et en union avec le Transcendant.
La beauté est fille du vrai, elle exprime parfaitement ce qu’elle est,
elle se façonne de l’intérieur pour s’épanouir sur l’extérieur.
Elle purifie le cœur en ne conduisant pas au sensible mais au sublime.
La beauté recherche l’unité symphonique de l’être
à travers la multiplicité des éléments.
Elle se fonde sur l’harmonie et non pas sur l’esthétique,
sur l’universalité et non pas sur le phénomène,
sur le simple et non pas sur le merveilleux,
sur l’immuable et non pas sur la facticité de l’éphémère.
La beauté n’est pas belle un temps ou d’un côté,
elle est globale, universelle, immortelle, spirituelle.
Elle n’affirme pas mais elle suscite un état de grâce
dans le cœur de celui qui s’ouvre pour l’accueillir.
Elle jaillit d’une expression libre, car la beauté précède la forme.
Elle n’a pas besoin de preuve, elle est une évidence,
elle recherche l’unité à travers la diversité.
La véritable beauté conduit à l’ascèse
qui suscite un désir de purification, d’humilité, de simplicité
dans celui qui l’engendre.
La beauté se grave dans le cœur en purifiant les gestes, les regards
jusqu’à y laisser l’empreinte personnifiée de la Vie
qui habite alors le mouvement, le rendant radieux.
Dans l’Immensité de l’intime
repose et irradie la Sainte Présence.

11
Livre ouvert Nous découvrons, toutes proportions gardées,
dans les transmutations successives de l’amandier
our que l’amandier naisse le même enseignement que dans l’année liturgique.
il faut que l’amande meure.
A la fin de l’automne, pendant les pluies, avant le grand froid, - A la Noël:
le jardinier enfonce l’amande profondément dans la terre. Au solstice d’hiver, dans la nuit la plus longue,
Après la froidure de l’hiver, dans le cœur de la nuit, à minuit,
après la pluie du printemps, dans le cœur de la terre, dans la grotte,
avant la grande chaleur de l’été, le Verbe de Dieu s’incarne.
la dure écorce du noyau pourrit donnant naissance au germe. Il grandit en sagesse et en intelligence,
L’écorce s’interroge avec inquiétude : dans le secret de la terre de son village de Galilée,
“ Comment moi, dur noyau, je pourris protégé par sa famille nourricière.
et ce tendre germe se dilate ? “ - A Pâques:
C’est la dissolution de l’écorce ! L’absurde ! Après la longue maturation du grand Carême,
La perte des références! La nuit obscure ! il meurt de son humanité
Le jardinier ne dit pas à l’enfant qui l’accompagne : pour ressusciter et affirmer sa divinité.
" Regarde, l’amande est en train de pourrir"
- A l’Ascension, quarante jours plus tard :
mais : " Regarde, l’amandier est en train de naître".
Le Christ quitte la terre
La mort pousse la vie à naître !
pour rejoindre son Père céleste.
Après un certain temps les racines
- A la Pentecôte, cinquante jours après Pâques:
transpercent la croûte de la terre pour s’enfoncer dans le ciel.
Du ciel Il envoie l’Esprit-Saint qui procède du Père
Le tronc quittant les ténèbres,
et qui se pose en langues de feu
sans rompre avec elles,
sur les apôtres en prière.
grandit dans le vide de l’espace
où il contemple la lumière du soleil.
Les branches s’élèvent en forme de coupe
- Noël : incarnation,
donnant, après les feuilles et les fleurs, les fruits.
- Pâques : mort et résurrection,
Une nouvelle amande tombe en automne dans la terre
- Ascension : montée au ciel,
afin que le cycle de la vie se perpétue.
- Pentecôte : descente de l’Esprit.
12
Comment ?

n jeune citadin féru d’écologie spirituelle


rencontre l’Ancien, il lui demande :
“ Comment l’eau pénètre-t-elle la terre ?
Comment le feu pénètre-t-il l’air ? “
L’Ancien lui répond : “ L’Esprit s’incarne par l’eau,
la matière se spiritualise par le feu.
- Comment unir l’eau et le feu ? Par le désir !
- Pas le désir horizontal : puissance, jouissance, possession,
mais le désir d’être !
- Comment unir la terre et l’air ?
- Par l’acte sacré qui dynamise l’œuvre !
- Comment unir la terre, l’air, l’eau et le feu ?
- Par le cœur de la croix !
- Comment transcender la terre, l’air, l’eau et le feu ? Par la foi !
- Pas la foi en des vérités éphémères, mais en la Vérité immuable.
- Comment revenir aux éléments ? Par la compassion !
- Comment vivre les éléments ?
- Par la danse, le chant, le rire !
- Comment être libre des éléments ?
- En renonçant à l’illusion, en s’offrant à l’essentiel,
en communiant avec l’éternel Vivant !
- Comment stabiliser les éléments ?
- Par l’humilité, l’écoute !
- Comment résumer tout ceci ?
- Aime et rends grâce ! “

L’évidence fait taire la réflexion.


13
Deux pommes

n se promenant dans le verger le jardinier découvre


un jeune pommier;
ému par cette nouvelle naissance, il lève les yeux pour rendre grâce
et aperçoit accrochée à une branche,
une pomme pourrie, ratatinée.
Deux pommes, deux destins :
l’une est restée accrochée par le pédoncule à l’amour de sa mère;
l’autre a rompu, en son temps, le cordon ombilical
pour tomber en terre et donner ce jeune pommier.
Il pense que cette pomme était pleine de frayeur
devant la décision de sauter dans le vide
pour venir s’écraser sur le sol,
pour pourrir et donner, longtemps après,
naissance à ce nouvel arbre.
La pomme connaît-elle la filiation
qui la lie au pommier ?
Si la pomme ambitieuse le savait
elle ferait le saut dans le vide,
animée par la volonté de conquête.

Dieu peut tout


sauf nous contraindre à l’aimer.
Le lâcher-prise affirme notre engagement,
notre liberté.

14
Pomme

a pomme a aussi son histoire :


elle a une mère, le pommier, une tribu.
Jamais la nature ne féconde une reinette avec une starking,
une clocharde avec une golden…
Nous ne parlons pas d’unir un pommier avec un poirier,
c’est l’abîme d’une race qui les sépare.
Chaque pomme a une maman,
une tribu, une famille, une terre.
Les reinettes des Cévennes, de Bretagne ou des Pyrénées
sont cousines germaines,
mais la terre leur donne un sucré, une couleur,
qui pourraient s’apparenter à l’accent de nos campagnes.

L’amour qui nous relie à Dieu


est un amour filial.

15
Homme-pomme

a pomme porte une fine peau


dont la douceur et la délicatesse
des nuances ont fasciné les plus grands peintres.
Nous apercevons une palette de couleurs où se mêlent :
rouges vifs, jaunes pâles, bruns profonds, verts pastel…
La partie bronzée par le soleil
porte de multiples taches de rousseur,
la partie à l’ombre montre les pâleurs d’une légère mélancolie.
Sous la peau parfumée resplendit la chair ferme, juteuse, croquante.
Dans le cœur de la chair,
caparaçonnés dans une écorce épaisse,
reposent cinq pépins qui forment une étoile.
Dans chaque pépin un arbre en germe.
Ils doivent accomplir bien des ruptures, des morts successives
pour arriver à devenir un pommier,
porteur à son tour de nombreux fruits,
qui engendreront la pommeraie.

Il est intéressant de noter que :


sous la peau de l’homme, la chair.
Dans la chair, l’os, la pierre des profondeurs,
et dans la carapace, la moelle d’où jaillit le noyau du sang.

16
Pourquoi ? Comment ?

e jeune citadin féru d’écologie spirituelle


rencontre l’Ancien,
il lui demande dans une explosion de questions :
“Comment tenir le feu avec des doigts de terre ?
Comment recevoir la Présence avec un cœur de pierre ?
Comment s’élever en s’enfonçant dans l’abîme ?
Comment communier avec le Souffle ?
Comment évoluer quand toutes nos passions nous font tomber ?”
L’Ancien semble se recueillir dans une prière secrète,
puis dans un murmure amusé lui répond :
“Le silence nourrit, la parole rassure !”

La réponse n’est pas dans la réponse, celle-ci n’engage en rien.


La réponse est dans la question, la question souligne
que celui qui la pose est déjà interpellé par le sujet.
La réponse rebondit en lui, organise ses doutes
dont les éléments disséminés, mais déjà vivants,
trouvent leur juste place dans le puzzle de ses réflexions.
La question porte potentiellement la réponse.
Dans la question il y a déjà l’étonnement, le désir,
la prédisposition à recevoir une remise en question.
Remise en question qui bouscule nos opinions
pour les organiser dans une simplicité où coule l’évidence.
17
à la vie, sans jamais prétendre les posséder.
Le vent souffle, la feuille bouge Elle est un témoin, un canal qui rend visible l’invisible.
Nous pourrions lire aussi, dans la feuille et le vent,
l’union du corps avec l’âme.
“ e vent souffle, la feuille bouge”.
Le corps devenant le lieu de la révélation
Cette courte histoire illustre assez bien où dans une proximité intime
tout le paradoxe de la spiritualité. se produit l’émergence de l’éternité.
D’abord elle est simple, la sagesse n’appartient pas aux érudits,
Nous pourrions lire encore :
mais elle se laisse percevoir par le cœur innocent
la Présence divine révèle Sa majesté dans toute Sa création,
qui s’ouvre à la Présence divine
mais aucune forme ne saurait cristalliser
dans tout ce qui vit ;
le mystère du Souffle de l’Esprit Saint.
ensuite elle est universelle
Le Souffle irradie du cœur de l’œuvre !
chacun peut l’interpréter à son niveau.
Quand l’arbre se sera éteint,
"Le vent souffle, la feuille bouge". la brise continuera de souffler.
S’il n’y a pas de feuille, nous ne voyons pas le vent.
Si nous étudions la feuille,
nous ne comprendrons jamais le vent. Si nous nous limitons à la forme,
Il y a un saut à faire au-delà de l’apparence de la feuille nous ne comprendrons jamais l’acte créateur.
pour ressentir le vent ; Si nous nions la forme, nous refusons la révélation du subtil.
mais c’est la feuille qui rend visible le vent. C’est la proximité du créé et de l’incréé

Il y a un saut à faire au-delà du visible qui nous ouvre à la plénitude.

pour pressentir l’invisible, Jamais la matière ne pénétrera le subtil,

mais c’est l’œuvre qui rend perceptible l’esprit. mais la matière peut devenir matrice du subtil
par résonance, synergie, dans une connaissance par l’intérieur.
Le vent, on ne sait d’où il vient, On ne part pas à la conquête du Tout Autre avec acharnement
on ne sait où il va. mais en s’ouvrant à sa douceur
La feuille manifeste sa réalité dans une communion totale et réciproque.
sans pouvoir cependant le retenir.
La feuille docile, suit la danse du vent,
se laisse initier au mouvement, à la puissance, 18
Eau vive

orsqu’un arbre vient d’être coupé,


comment peut-on le sécher pour le conserver ?
Au soleil ? Non !
La chaleur trop forte du soleil fait éclater les fibres,
le bois se fend.
Il faut le placer à l’ombre et l’arroser souvent
afin que les canaux restent ouverts
et qu’ils se vident de leur sève.
C’est l’eau qui draine le mieux la sève.

Le chant des larmes


réactualise le baptême de feu.
19
Innocence

e premier habit de l’homme est un jardin,

vêtu de roses et de jasmins,


de lions et de colombes,
de vallées et de rosée.
Il imprime aux choses sa mesure,
construit sa propre demeure.
Dans son nouvel habit de peau,
il se dérobe aux regards.
Dieu le cherche : “Où es-tu ?”
Prisonnier de lui-même,
l’homme ouvre de nouvelles portes,
réintègre des foules
dans leurs intimes démesures,
réanime le temple de son corps
afin de restaurer l’Alliance.
Dans une nudité innocence,
dans un effacement créateur,
il se laisse revêtir
de la Lumière incréée du premier jour.
Il redevient fils de l’Homme.

La liberté mise en acte purifie le regard,


elle ouvre l’œil du cœur à une nouvelle contemplation.

20
Connais-toi

e gland est une potentialité,


le chêne une réalité accomplie.
Le germe est une image en puissance,
tandis que l’arbre, un déploiement en acte.
Il n’y a pas ici de représentation abstraite
mais le passage de l’inerte à la vie.

Le passage de l’inaccompli à la réalité accomplie


s’effectue par le creuset d’une mort transitoire.
L’événement obéit à sa destinée
sans discordance entre le passé et le futur.
Nous ne devons pas observer le monde
comme une représentation d’objet impersonnel à étudier
mais comme une réalité vivante.
L’homme demeure prisonnier de sa fascination pour le phénomène,
il se croit créateur, alors qu’il est une créature créante.
C’est par l’écoute attentive qu’il ouvrira les portes de la Sagesse.
Cette connaissance échappe à la raison,
elle jaillit de l’intuition spontanée qui établit des ponts
entre les extrêmes qu’elle relie par des analogies.
La communion sereine avec la création suscite la contemplation.
L’homme, le regard pur de toute image abstraite,
redécouvre le ravissement innocent de l’enfant
qui réconcilie la nature avec la réalité.
L’homme n’est plus tenté par l’illusion de posséder l’univers
mais participe à sa transfiguration
par des actes d’une évidente authenticité.
21
Beau ou beau

e fruit de la connaissance est beau à voir, bon à manger,


seul un être pervers peut être tenté par le laid et le mauvais.
D’où la malice du démon de séduire l’homme
en lui permettant de justifier ses propres faiblesses
et en lui offrant le choix entre le Beau et une beauté éphémère,
entre l’harmonie et l’esthétique.
Ce qui distingue le choix ce n’est pas la beauté
mais le regard que l’on porte sur celle-ci.
Satan, dans le cœur de l’Eden, serait-il le gardien du fruit ?
Met-il à l’épreuve celui qui veut s’en emparer ?
L’homme a voulu conquérir de l’extérieur le fruit,
animé par la vanité.
Aurait-il pu manger le fruit s’il l’était devenu ?
Personne ne peut intégrer le fruit de la connaissance
sans avoir acquis au préalable les fruits de l’expérience.
L’Esprit donne le fruit à celui qui s’en montre digne.
Il le donne à celui qui se prédispose à le recevoir,
car le semblable suscite le semblable.

Ne cherchons pas à détruire le laid


par un mal plus terrible
mais suscitons sa transmutation
afin qu’il soit transfiguré par le feu de la Grâce.
22
Amour

’amour n’existe que par l’autre,


l’égoïsme l’enferme, la jalousie le détruit,
l’avarice le nie, l’habitude l’assèche.
L’amour se nourrit du don de soi,
celui qui veut l’acheter ne récolte que du mépris.
L’amour pressent la demande de l’aimé, il devance son désir,
il est une réponse réciproque.
L’amour se vit dans l’alcôve secrète du cœur
où chacun s’offre à l’étreinte de l’autre,
aucun étranger, aucun curieux n’est invité aux noces.
L’amour s’exprime à travers la complicité d’un regard, d’un geste,
il se formule dans le silence d'
un baiser.
L’amour s’unit à son opposé de même espèce
pour devenir son complémentaire,
dans une chair de feu, d’eau, de souffle et de tendresse.
Fort comme la mort il survole des abîmes, réconcilie les extrêmes.
L’amour révèle le secret du bonheur
permettant la rencontre globale de tout l’être
dans une union où le présent communie avec l’éternité.
L’amour ne pose pas de question, il est sa réponse,
il ne s’explique pas, il se vit dans l’ivresse de l’instant.
L’amour n’a jamais fini d’être vécu.
Dieu dans sa miséricorde répond à mon amour
par son Amour infini et sans cesse renouvelé.
L’amour est un tressaillement subtil
qui dans son désir d’absolu soulève les corps
pour en susciter la vie.
23
Le Rien et l’un

. n jeune citadin féru d’écologie spirituelle


demande au moine jardinier :
- “ Qu’est-ce que la vie ?
- Va plutôt me chercher une figue sur le figuier.
Quelques minutes plus tard le disciple revient
avec un panier rempli de figues sauvages,
l’Ancien lui en offre une :
- Que vois-tu ?
- Une figue, dont la forme me rappelle les bulbes de nos églises,
- Mais encore ?
- Une peau ratatinée, à la forme d’une goutte d’eau,
violette avec des nuances jaunes, bleuâtres,
s’approchant du blanc cassé.
- Coupe ce fruit en deux, que vois-tu ?
- Une chair grasse, charnue, rouge sang,
parsemée d’une infinité de petits pépins gris,
- Prends un pépin, que vois-tu ?
- Une graine minuscule, pointue d’un côté,
arrondie de l’autre comme une fleur,
- Coupe ce pépin en deux, que vois-tu ?
- Rien,
- Si tu franchis ce Rien, tu commenceras à percevoir
le mystère de la création ininterrompue de la vie”.

Le silence du cœur laisse à Dieu un espace vierge


pour souffler une haleine de vie.
24
. La première graine

ne graine est un embryon

qui porte l’image de son devenir.


Déposée dans l’humus humide
elle donne en son temps un plant,
qui offre des fruits
contenant chacun une infinité de graines,
qui, une fois plantées,
peuvent nourrir l’humanité.

Humeur, humour
humus, humilité,
humidité, humanité,
ont la même racine:
la terre profonde du ciel.

Les graines sont semées avec profusion sur la terre


comme les étoiles dans le ciel.
25
Promenade au Jardin

u Paradis c’est aujourd’hui le printemps,

Adam nomme la famille des fleurs.


L’aînée, rebelle, audacieuse, se présente :
elle veut une robe rouge, surmontée d’un chemisier noir d’ébène,
une cape et des bas verts - "Tu es coquelicot !"
La jeune sœur plus timide demande
pour rester dans la famille des bas verts une robe blanche
surmontée d’un chemisier or - "Tu es pâquerette !"
La mère, dans une séduisante pudeur, demande
pour rester dans le ton des bas verts, une robe blanche bien fermée
et un chemisier or, d’où se dégage un parfum subtil
- "Tu es lys !"
L’autre sœur comme sa mère veut embaumer
mais avec des couleurs plus jeunes - "Tu es lilas !"
Le fils veut tout : le vert, le blanc, l’or, le parfum enivrant
- "Tu es narcisse !"
Le père plus raisonnable s’habille d’une grosse et haute tige,
d’une belle chemise aux couleurs variées
suivant les affaires à traiter - "Tu es tulipe!"
Le grand frère, élancé, vieux routard, souhaite une chemise
pour toute circonstance, élégante mais sobre,
des feuilles en forme de sabre - "Tu es iris !"
Le petit dernier, le fils, désire ressembler à son père, à sa mère,
tout en restant en bande, il choisit
des tiges groupées, avec une chemise jaune, un habit violet sombre
et un parfum délicat qui attire le regard des jeunes filles
- "Tu es violette !" 26
Prière du cœur

a prière ne s’apprend pas, elle se vit simplement.


Il n’y a pas de technique, pas de formule devant Dieu.
Ceux qui prétendent enfermer l’Esprit-Saint dans des mots secrets
ou des postures compliquées tombent dans la superstition.
La prière est l’état de celui qui se trouve devant Dieu,
elle est un face-à-face intime, un amour fou,
un cœur qui résonne à l’unisson avec le cœur du Bien-aimé.
État signifie la participation totale de l’être : corps, âme, esprit.
Cette union plénière ne se répète jamais, elle est unique, spontanée,
elle engendre la Joie, la Paix…
Chaque geste se place spontanément
dans l’Amour qu’engendre la prière :
La Présence imprègne le souffle,
le regard se colore d’innocence,
le geste juste répond à l’instant.
La prière est une goutte de lumière vivante
qui féconde les sens et transfigure toute l’existence.
Les pensées, les désirs, le corps
s’ouvrent à la Réalité immuable.
La position sobre dans une tension sans effort,
la manducation de paroles simples
expriment l’état de celui qui prie dans le secret de son cœur
le Christ vivant.

Au fond de l’être ne sont pas inscrites des lois,


au fond de l’être repose la Présence.
27
Dormir sa vie

e rêveur ne voit rien,


il contemple mais ne communie pas.
Il affirme des idées mais n’engendre rien.
Il évoque l’apparence d’objets possibles
qu’il croit entrevoir mais ne les montre pas.
L’image se dessine dans son imaginaire
sans s’incarner dans la réalité tangible.
Il martèle des formules pour aplatir les choses
jusqu’à les faire entrer dans l’étroitesse de ses mots.
Le rêveur fait croire à un monde sublime,
à la nostalgie du passé, aux buts merveilleux du futur,
à la croyance en une transcendance toute puissante,
fictions d’un monde mythique dont il est le héros.

Le mouvement naturel d’une personne qui aspire à être


est de faire ce qu’elle dit,
vivre ce qu’elle est.
Elle donne une réalité à ses intuitions.
L’œuvre devient l’expression authentique de la foi,
l’incarnation visible de l’éternelle Beauté.

La création n’est pas imparfaite, elle est inachevée,


à nous de coopérer à l’acte créateur
en parachevant sa fluidité vivante. 28
Etre ou paraître

I l faut désapprendre l’illusion


qui considère le langage comme la traduction juste de la pensée.
Le son exprime souvent mieux l’authenticité que le sens du mot.
Le sens n’apparaît qu’à la fin des mots.
Il se laisse porter et animer par le son
qui lui-même est imprégné dans ses interstices par : des émotions,
désirs, opacités, allusions, rythmes, vibrations, puissances…
qui eux-mêmes s’impriment dans la mouvance du souffle.
Le bavardage nous donne l’illusion de la clarté
alors qu’il n’est que l’expression d’une signification convenue.
L’expression véritable s’appuie sur l’expérience
globalement vécue et vérifiée par l’incarnation.
Lorsque les exigences de la langue se dégradent
la connaissance se métamorphose en idée.
Le public éclairé règne en maître,
il dissocie le sens du mot de son origine spirituelle
pour le réduire à une pensée froide.
Il impose la marque de son nom sans engendrer d’œuvre.
Celui, qui ouvre un espace de silence
dans la profondeur de son cri,
se laisse féconder par la puissance vivifiante du Verbe.

A force de mentir,
l’homme devient le personnage
qu’il joue.
29
Lève-toi et marche

e jardinier découvre plusieurs sachets de graines de radis

oubliés dans le cabanon.


Les graines attendent dans l’ombre du papier jauni
en dormance depuis cinq ans, peut-être plus !
Le jardinier avec confiance retourne la terre,
arrache les mauvaises herbes,
enlève les cailloux qui déforment la racine,
mélange les minuscules graines avec du sable
puis les sème dans un mouvement de foi.
Il arrose abondamment,
revient chaque soir, au soleil couchant, pour arroser encore…
Trois jours plus tard, les premières feuilles fragiles mais bien vivantes
commencent à percer la terre.
Que s’est-il passé ?
Cinq années enfermées dans le sachet et d’un seul coup la vie jaillit !
Quand tous les éléments : terre, eau, soleil concordent, la vie paraît !
Enraciné dans sa matrice terrestre,
aspiré par le soleil, le radis s’élève dans le vide du ciel.
Quinze jours après le radis décore la table de ses rondeurs écarlates.
Ce radis n’est plus un légume anonyme, mais un témoignage de foi.

Nos talents, nous pouvons les enfouir


dans la cave de notre imaginaire
ou bien les laisser éclore
dans la terre de nos œuvres.
30
Moine

e moine n’est pas un parfait.


C’est, au contraire celui qui se reconnaît pécheur,
qui mesure dans les larmes la distance intérieure
qui le sépare de Dieu.
Le moine ne fuit pas le monde,
sinon il se fuirait lui-même.
Un jour de grande liberté,
il entrouvre le voile du temple de son âme,
où il entrevoit l’éclat de la Lumière thaborique.
Cette brûlure qui n’a rien d’imaginaire lui laisse une empreinte,
une nostalgie qu’aucun plaisir du monde ne saurait combler.
Dans l’enceinte de son monastère
le moine n’est pas en dehors du monde, mais dans le cœur du monde,
hors du temps horizontal,
il s’enracine dans un éternel présent.
Libre de partir, il choisit de demeurer,
libre de dormir, il veille par amour,
il voit sans yeux, écoute le silence.
Ivre de Dieu, il n’a qu’un seul désir :
que son corps devienne le réceptacle vivant de l’Esprit Saint.
L’ascèse, la louange, la révélation des pensées
sont les moyens qu’il utilise pour purifier son être.
L’obéissance, la pauvreté, la chasteté dans l’esprit
sont les trois vœux qu’il prononce à sa prise d’habit.
Le moine est un homme debout
entre la contemplation et l’action
entre le ciel et la terre.
31
Traditions et coutumes

ans l’oasis de Pharan la majesté des palmiers


nous rappelle les colonnes et les voûtes de nos églises romanes.
Si le jardinier plante des palmiers en Cévennes
ils meurent de froid dès le premier hiver.
Le jardinier aime les châtaigniers
qui gravissent les terrasses en escalier,
ils lui rappellent l’histoire des anciens, rudes et généreux.
S’il essaye d’en planter dans la vallée du Gardon,
ils meurent d’étouffement dès le premier été.
Chaque arbre a sa place, sa latitude, son altitude,
vouloir forcer la nature, c’est violer les spécificités d’une espèce.
Cependant le principe pour planter un arbre demeure le même
au Sinaï ou dans les Cévennes : creuser un trou de 80 sur 80 cm,
déposer une couche de sable, de compost, de terre, arroser beaucoup…

Nous retrouvons les mêmes règles dans la Tradition :


il existe des Principes universels et des traditions locales,
les hommes obéissent aux Lois et à des coutumes.
Les coutumes sont dictées par l’époque,
l’histoire, la latitude, le climat, le relief…
Il existe des Lois universelles et éternelles.
Les Anciens les transmettent au cours des siècles
par leurs exemples auprès des générations futures.

32
Mort

a mort peut briser le dard de la destruction et renaître,


ou arracher le germe de la semence.
Pour affronter le passage de la mort sans s’y dissoudre
l’amande, mandorle d’une conscience primitive,
doit assumer : l’angoisse,
la tristesse de la solitude,
la désolation de l’agonie…
non pas en l’affrontant comme un héros
ou un stoïcien impassible, mais en la vivant de l’intérieur.
En allant au devant d’elle dans une continuité naturelle
pour la chevaucher dans un amour plus fort que la mort.
La vie absorbe la putréfaction,
la mort destructrice est jetée dehors.
Un espace de non-mort troue l’écorce de l’amande
qui entre dans la résurrection pour y inscrire la vie.

"Le Christ a vaincu la mort par la mort,


à ceux qui sont dans les tombeaux, il a donné la vie".
La mort pousse la vie à naître.
La mort peut aussi tuer le germe,
là se situe notre liberté !
Le contraire de la mort n’est pas la vie,
le contraire de la mort est la naissance.
L’homme entre sa naissance et sa mort,
durant son existence,
peut accoucher de sa vie
qui est appelée à l’immortalité.
33
Vie

a coque du coquelicot

ouvre ses deux ailes


pour laisser éclore
dans une robe écarlate,
un cœur d’ébène.
“Je suis noire et belle”
Cant des cant I, 5
dit la fleur du coquelicot au soleil.
Suspendue sur sa frêle tige
il embrasse le ciel
d’un baiser vermeil.

Le jardinier demande à l'


amandier
de lui parler de Dieu ,
l’arbre lui offre un fruit.
34
Jour d’orage

vant la récolte l’arbre doit affronter bien des dangers :


une sécheresse excessive, un coup de gel, de grêle, un vent violent
ou une pluie incessante… peuvent détruire les fleurs.
Un hiver trop doux développe une infinité de parasites sous l’écorce,
un hiver trop rigoureux gèle les racines sous la terre durcie.
Dès que les fruits deviennent mûrs
les renards, les vers, les fourmis, les limaces, les oiseaux voraces…
surgissent, rongent les fruits mûrs.
D’abord les éléments se déchaînent
ensuite, avec les fruits, arrivent les prédateurs.

L’arbre et l’homme d’action semblent livrer le même combat


dans l’engendrement du fruit
face aux prédateurs et aux saisons de la vie.
Lorsqu’une personne monte un projet
elle prévoit les difficultés : des décisions sont à prendre, d’autres à rejeter,
des circonstances nouvelles surgissent auxquelles elle doit répondre.
Lorsque l’assemblée arrive, s’il fait beau,
les membres actifs affluent en grappe d’oiseaux.
Ceux qui dorment en paix, après la nuit qui porte conseil :
les " à mon humble avis", les " y a qu’à", les "faut qu’on",
les " je ne veux surtout pas juger" ou les "ce n’est pas mon problème"
sortent leurs crocs émoussées par l’ennui
et sucent les fruits qui leur sont offerts sur un plateau.

Mais l’arbre peut tirer parti des prédateurs


en laissant manger ses fruits pour disséminer ses graines…
35
Se greffer à la Sagesse
Si par méconnaissance
omment greffer un arbre ? nous coupons le greffon à la lune montante
Lorsque le jardinier plante le greffon étant gorgé de sève,
un nombre important d’arbres fruitiers la greffe ne prend pas !
ceux-ci (d’après nos critères économiques) sont stériles. Si nous coupons l’arbre mère à la lune descendante
Les fruits qu’ils produisent sont peu nombreux, la sève demeurant accrochée aux racines
petits, peu goûteux (bien que fort nourrissants). la greffe ne prend pas !
Un arbre sur mille porte de nombreux fruits, gorgés de sève. Pour qu’un arbre stérile donne du fruit
Ce n’est pas le sol, ni l’émondage qui le distingue il faut que le greffon assoiffé
mais… le hasard. s’allaite à la sève montante d’un arbre mère.
Pourquoi lui et pas les autres ? Lui-même ne le sait pas ! L’arbre, après quelques années,
Est-il le prophète élu par la providence divine donne de nombreux fruits savoureux.
pour guider son peuple ?
Quelle joie de participer par la greffe, bouturage, marcotage
Lorsque la sève repose dans les racines,
au miracle de l’engendrement du fruit sur un arbre sauvage !
et que les premiers bourgeons paraissent
le jardinier coupe des rameaux de cet arbre
aux fruits abondants : des greffons.
Il les conserve au frais dans le sable.
Quand le printemps arrive, à la lune montante,
le jardinier coupe les troncs de quatre ou cinq ans
des autres arbres stériles,
un peu au-dessus de la hauteur des hanches d’un homme.
Les troncs de ces arbres mères sont incisés de quatre entailles savantes Pourquoi un bon disciple sur mille âmes ?
dans lesquelles le jardinier incruste profondément les greffons, Un génie pour mille artistes ?
laissant apparaître un œil. Ceci appartient à la Sagesse divine
Il cicatrise les plaies avec un goudron odorant, qui répand son Esprit sur l’un,
puis pose un pansement de raphia sans se laisser séduire
afin que l’air n’apporte pas de moisissures aux greffes. par les performances humaines de l’autre.
L’arbre mère devient : arbre porteur !
36
Jardinier

I l neige sur les Cévennes, trente centimètres de flocons gras.


Devant une telle féerie meurtrière
les arbres s’inclinent jusqu’à terre.
Certaines branches des chênes verts, couvertes de feuilles, craquent;
des pommiers sans feuilles se laissent enfermer
dans un carcan de glace durant la nuit.
Un pin parasol chapeauté, ganté,
s’incline avec majesté jusqu’à terre
où il se couche dans un murmure étouffé.
L’ancien couvert d’une cape
et d’un chapeau à larges bords
s’enfonce dans la forêt.
Il secoue les arbres pour faire tomber la neige
pas trop fort pour ne pas déranger, ne pas blesser,
pas trop doucement pour ne pas laisser de poudreuse sur les feuilles.
L’arbre le reconnaît, il se redresse, lui sourit,
le remercie de l’avoir libéré d’un poids qui ne lui appartenait pas.
Certains de ceux qui n’auront pas la chance d’être libérés avant la nuit
resteront courbés et porteront les stigmates de cette épreuve
durant toute leur existence d’arbre.

Dieu, nous ne pouvons pas le voir,


mais nous pouvons le montrer
par les gestes simples de notre quotidien.

37
Fruit du mur

our construire un mur à pierres sèches


il est nécessaire que les fondations
s’enracinent profondément dans la terre,
ou qu’elles s’appuient sur le roc.
Les pierres doivent être posées horizontalement,
même sur un sol sinueux,
afin de permettre aux eaux de pluie de s’écouler.
Ce n’est pas la terre qui colmate les espaces vides
mais de petites pierres bien calées,
sinon en cas d’orage l’eau dévalant la pente arracherait le mur du sol.
Dans le mur, chaque pierre a sa place, chaque place a sa pierre,
chaque pierre a un sens, une face, un dos, une arête.
Elle se marie, en étant autonome et solidaire avec ses voisines :
dessous, dessus, gauche, droite, derrière.
Si, dans ce mètre de profondeur, un seul décalage apparaît,
si les pierres ne sont pas emboîtées à la perfection,
un jour il y aura un divorce et le mur s’écroulera.
Si chacune trouve un point d’appui sur toutes celles qui l’entourent
le mur résistera aux outrages du temps.
Les pierres doivent être aussi posées à plat suivant un axe vertical,
avec une légère inclinaison vers le haut, de cinq centimètres par mètre,
cette inclinaison s’appelle le fruit du mur.

Nous pouvons découvrir dans la construction du mur à pierres sèches


les mêmes exigences que celles de l’éducation d’un enfant :
trouver sa place, enracinement, verticalité, partage, écoute.

38
Aime ce que tu fais

n Compagnon nous rend visite - Enfin accomplir un chef-d’œuvre.


il affirme : " Il n’y a qu’une seule façon d’apprendre". L’enseignement se vérifie par l’incarnation
Vivement intéressés nous lui demandons qui révèle la maîtrise de la technique de l’apprenti.
de nous révéler cette unique façon Si l’œuvre n’est pas harmonieuse
afin de la mettre en pratique. c’est son manque de vigilance qu’il faut condamner
et non les événements, la matière ou l’Ancien.
Le compagnon témoigne :
On reconnaît un artiste à son œuvre!
- D’abord savoir ce que l’on veut.
Si le postulant ne sait pas ce qu’il veut Le maître compagnon sourit avec douceur il répète :
on ne peut pas l’aider. - savoir ce que l’on veut,
S’il souhaite travailler : la pierre, le bois, le fer… - chercher l’Ancien qui a acquis l’expérience,
nous allons tout faire pour l’initier à cet art. - écouter l’Ancien et le regarder faire,
Mais si le postulant hésite, se cherche ou veut régler des comptes - accomplir un chef d’œuvre.
nous ne pouvons rien faire pour lui, - Il n’y a qu’une seule façon d’apprendre :
nous attendons qu’il choisisse, qu’il se décide, qu’il s’engage. c’est d’aimer ce que l’on fait,
- Ensuite chercher l’Ancien qui a acquis l’expérience car la lumière que nous cherchons
de ce qu’il souhaite acquérir. nous la portons dans le creux de nos mains.
Apprendre seul est une perte de temps inutile et d’énergie.
On ne s’initie pas à la taille de la pierre avec un philosophe,
ni à la peinture avec un grand musicien mais avec un peintre.

- Puis écouter l’Ancien et le regarder faire.


Souvent des artisans disent au compagnon:
Il n’y a pas d’évolution sans écoute.
" Il n'
y a peu de bons maîtres",
A travers l’enseignement
inlassablement il repond:
ce n’est pas l’humain qui s’exprime
"Il n'
y a peu de bons disciples".
mais la tradition, la sagesse du geste, le respect de l’objet,
Un artiste véritable est serviteur de son art,
l’amour du travail bien fait.
il n'
en est ni le maître, ni le valet.

39
Sois le fils de mon cœur

’est le sarment et non le pied


qui définit le cépage du vin.
C’est le pied et non le sarment
qui donne un bon millésime.
La vigne a besoin des mains du vigneron
pour émonder les sarments,
elle ne peut les couper seule.
Le pied, qui ne donne pas de fruits,
est jeté au feu.

Nous avons besoin des mains de l’Ancien


pour émonder notre cœur.
C’est le père qui crée le fils,
c’est le fils qui fait le père.
Un père spirituel sans œuvres spirituelles
ressemble à une vigne stérile.

40
Œuf végétal

e vigneron émonde les sarments


en laissant un œil.
Cet œuf végétal donne naissance à une tige
qui donne en son temps des grappes.
Si le sarment est taillé, dans une juste proportion,
la sève monte jusqu’au bout de la tige
donnant de belles grappes de feu entre les feuilles.
Lorsque le vigneron taille la vigne
nous trouvons que cela est beau,
mais lorsque l’épreuve vient émonder nos ambitions,
contrarier nos projets ou solliciter notre corps,
nous accusons dans les larmes
le ciel et la terre de tous nos maux.

Si le disciple perce le cœur


d’une seule de ses larmes,
il en jailit un pur océan.

41
’entre dans mon jardin, ma sœur, ô ma fiancée, œuvre des mains d’un artiste.
je récolte ma myrrhe et mes aromates, Ton nombril est une coupe arrondie,
je mange mon miel et mon rayon, où le vin parfumé ne manque pas !
je bois mon vin et mon lait. Ton ventre, un monceau de froment, environné de lis.
Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d’amour ! Tes deux seins ressemblent à deux faons,
Je dors, mais mon cœur veille. comme les jumeaux d’une gazelle.
J’entends mon bien-aimé qui frappe. Cant V, 1 Ton cou, une tour d’ivoire.
Mon bien-aimé est blanc et vermeil, Tes yeux, les piscines de Heshbôn,
il se distingue entre dix mille. près de la porte de Bat-Rabbim.
Sa tête est de l’or pur, Ton nez comme une tour du Liban,
ses boucles sont flottantes, noires comme le corbeau. sentinelle qui regarde vers Damas.
Ses yeux sont comme des colombes au bord du ruisseau Ta tête, élevée comme le Carmel
se baignant dans du lait, et les cheveux de la tête comme le pourpre ;
posées au bord d’une vasque. un roi est enchaîné par tes boucles.
Ses joues sont comme des parterres d’aromates, Que tu es belle, que tu es agréable,
des massifs parfumés. ô mon amour au milieu de tes délices. Cant VII, 1-7

Ses lèvres sont des lis ; elles distillent la myrrhe vierge. Allons aux champs, demeurons dans les villages.
Ses mains sont des globes d’or, garnis des chrysolithes. Dès le matin nous irons aux vignes,
Son ventre est d’ivoire poli, couvert de saphirs. nous verrons si la vigne bourgeonne,
Ses jambes sont des colonnes de marbre blanc si ses pampres s’ouvrent,
posées sur des bases d’or pur. si les grenadiers fleurissent.
Son aspect est celui du Liban, Là je te donnerai mon amour.
distingué comme les cèdres. Les mandragores répandent leur parfum,
Sa parole n’est que douceur nous avons à nos portes tous les meilleurs fruits.
et tout en lui n’est que charme. Les nouveaux comme les anciens.
Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami, Mon bien-aimé je les ai gardés pour toi. Cant VII, 12-14
filles de Jérusalem. Cant V, 10-16 Toi qui habites les jardins…
Reviens, reviens Sulamite, Fuis mon bien-aimé ! Sois semblable à la gazelle ou au faon,
que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince ! sur la montagne des aromates. Cant VIII, 13-14
La courbe de tes hanches est comme un collier,
42
Entre l’Unique et le premier

ace à l’immensité d’une nuit étoilée


la peur de l’infini nous envahit.
Qu’y-a-t-il après la fin ?
Nos yeux s’abaissent vers la prairie,
se posent sur un pommier chargé de fruits :
d’une première pomme est née une multitude de pommes
sans pour autant que nous soyons envahis
par une infinité de pommes.
L’infinité ne résout pas l’infini!
Nous devons chercher l’infini
non pas dans la profusion
non pas dans un au-delà lointain,
mais dans la profondeur du cœur.
Jamais le multiple n’étreindra l’un,
alors que l’unique irradie dans l’infini sans s’épuiser.
Nous pressentons une unité plus vaste que toute les multiplicités!
L’éternité ne se mesure pas dans un temps élastique :
passé, présent, futur… mais dans une profondeur sans fond.
Dieu est infiniment au-delà de l’infini.

Suis-je le fils d’un Père céleste


et d’une Mère terrestre ?
Suis-je d’une nature divine en devenir
et d’une nature humaine en germe ?

43
Je suis

elui qui nie son corps comme outil de transfiguration


ressemble à un pilote
qui saute de l’avion sans parachute
pour rejoindre la terre.
Quand l’hésychaste ferme les portes
de la cellule de son corps,
il ouvre les sens de l’âme.
Il se concentre
non dans la méditation de ses pensées,
non dans l’appréciation du beau, du bien,
non dans un désir de perfection
mais dans une prière ardente
qui l’unit au silence indicible
qui repose en lui.
Quand l’esprit du sage
nage dans la quiétude,
son cœur veille.
Dans ce cœur à cœur
le souffle anime la rencontre,
l’offrande qu’il offre à Dieu
c’est lui-même.

Le but crée le sens.


Le but de l’homme n’est pas l’humain,
le But de l’homme est Dieu !

44
Désir de la terre

a rosée pendant la saison sèche

éclaire de ses mille feux humides la nature.


Chaque matin, chaque brin d’herbe
reçoit la goutte utile pour sa journée.
Cette parcelle d’eau lumineuse
désaltère, réconforte, vivifie.
La rosée bénit d’une caresse baptismale
le brin d’herbe
qui s’incline sous l’effleurement de sa fraîcheur.
L’humidité de la goutte de rosée
ne tombe pas du ciel
elle est un don qui s’élève
de l’humidité de la terre
et qui ruisselle jusqu’au cœur des pétales
qui la recueillent dans un écrin parfumé.

Le sage presse la lettre de la Loi


pour en boire la rosée.

45
Émonder n’est pas castrer

monder un arbre

peut se transformer en danse juvénile.


Sur les plus hautes branches du chêne
le jeune bûcheron chante, lustré de transpiration.
Il danse en levant un bras, repliant l’autre sur la scie,
ouvrant une jambe, appuyant l’autre sur le tronc.
Sa scie avance, recule, avance, dans un souffle rythmé.
Comme un amant caresse sa bien-aimée,
le jeune bûcheron émonde l’arbre en l’enlaçant avec virilité.
Après l’émondage certains arbres semblent revenir de chez le coiffeur.

L’émondage est une circoncision qui intensifie,


embellit la création,
il n’est pas une castration qui paralyse,
fractionne la nature.
L’émondage permet de renouveler
la jeunesse.
46
Je suis le cep

rès de la chapelle un majestueux marronnier


accueille les pèlerins.
Les marrons en tombant cassent les tuiles.
L’Ancien décide de couper les grosses branches donnant sur le toit,
elles restent par terre tout l’hiver.
Au printemps, à sa grande surprise, l’apprenti jardinier découvre
que des bourgeons apparaissent sur les branches coupées
en même temps que sur l’arbre.
Chaque jour il observe la croissance des feuilles.
Les bouquets de fleurs arrivent en même temps
sur les branches coupées et sur l’arbre.
Intrigué, se demandant jusqu’où ira cette vivacité sans racine,
il observe attentivement chaque étape de l’évolution.
Quelques temps après,
au moment où les marrons grossissent,
les branches coupées sèchent en deux jours,
alors que les marronniers enracinés dans la terre
donnent de beaux fruits.

Il en est de même pour celui qui veut croître seul;


Il revendique l’indépendance de ses pensées nouvelles,
la liberté de ses actes,
mais dès qu’une épreuve maligne paraît
il s’assèche, ne donnant pas de fruits.

47
Eau de vie Jamais la même eau ne s’écoule sous le pont de notre existence.
Le bercement de la mer obéit à l’harmonie d’or,
six petites vagues, suivies d’une grande.
’eau incarne l’esprit,
Les vagues ressemblent par le flux et le reflux
elle est le véhicule nécessaire de la vie ! à l’inspir et à l’expir de la respiration.
L’eau s’écrit, comme le “oui”, avec trois voyelles, La vague n’existe pas en elle-même,
trois germes de feu, elle est le comportement de l’eau face à un phénomène cosmique.
trois atomes : deux d’hydrogène, un d’oxygène. Un simple rocher crée instantanément un remous.
Trois natures : fluide, solide, vapeur. Lorsque deux volumes d’eau d’origine différente
Elle s’écoule naturellement vers le bas, n’arrivent pas à s’unir, surgit un tourbillon.
chaste et humble elle purifie tout corps qui la touche. Le vent excite l’eau élastique jusqu’à provoquer des tempêtes.
L’eau dilue ce qui est concentré, Les vagues, qui s’échappent de l’océan,
concentre par évaporation ce qui est dilué. retournent à lui sans mémoire, sans troubler ses profondeurs.
L’eau est par nature claire et transparente, Le cycle des marées la relie à la lune montante, descendante.
mais elle peut se durcir et devenir neige, glace. Eau de source, de mer, de pluie, du corps, de rose, eau bénite,
Elle est capable de s’élever dans le ciel en goutte de vapeur, agitée, dormante, calme, plate, gazeuse…
amoureuse du soleil l’eau gobe l’air, L’homme s’habille de soixante-quinze pour cent d’eau : sang,
comme l’air aspire la lumière du soleil. larme, transpiration, salive, urine, lait, sperme, bile, liquides…
Elle peut se réconcilier avec le feu dans un désir ardent Le Christ change l’eau en vin, le vin en eau,
qui transfigure la matière pour l’offrir à Dieu. calme la tempête, marche sur le chemin de l’eau.
Toujours horizontale dans un bocal incliné elle occupe tout l’espace. L’océan sans rivage de la Genèse,
Archimède nous apprend dans son principe : où l’Esprit de Dieu se meut sur les eaux,
“Que l’eau a tendance à soulever au dessus de sa surface n’a pas fini de faire éclore les fleurs
tout corps immergé”. du Jardin de la foi.
C’est grâce à cette poussée verticale
que le vivant a pu sortir de l’océan et coloniser la terre.
La rivière ondule naturellement en formant des méandres, Si tout évolue, qu’y a-t-il de vrai ?
lorsqu’elle déborde de colère, elle bondit en ligne droite, Derrière l’immensité des phénomènes d’en-bas
plus rien ne l’arrête. repose l’immuable Océan d’en-haut.
48
Ici et maintenant

i l’homme progresse dans son avenir


animé par ses mémoires
qu’il réactualise dans l’infini des moments,
s’il s’accroche obstinément à ses émotions passées,
il trébuche à chacun de ses pas.
Si l’homme s’enferme dans son histoire sans cesse ressassée,
son regard perçoit la rencontre à travers le voile des fantômes
qui s’accrochent à lui.
Mais si un jour la porte au fond de son humanité s’ouvre
une lumière nouvelle illumine ses ténèbres.
Le regard perçoit la virginité de l’instant,
libérant la réalité de tout enchaînement.
L’homme découvre l’événement dans une contemplation innocente.
Le ravissement inonde la profondeur de son âme,
l’instant se révèle dans d’éternels recommencements.
Le Christ, comme un mendiant d’amour,
frappe inlassablement à la porte du cœur de l’homme,
si celui-ci lui ouvre
ils partagent le repas des noces.

Celui qui a trouvé Dieu, qu’a-t-il perdu ?


Celui qui a conquis le monde qu’a-t-il gagné ?
49
Levain de la terre

e compost utilise des déchets naturels, qui en se décomposant,


réactualisent la terre.
Cette fermentation vivante
reproduit le processus de transmutation de la nature
dans une alchimie où participent les quatre éléments :
terre, chaleur, humidité, air
et les principes de création :
combustion, fermentation,
opposition, conjonction, transmutation.
Le compost réunit tous les contrastes en harmonie,
il anoblit, fertilise un sol fatigué
par une culture intensive
qui ne respecte plus la jachère.
Les micro-éléments nourrissent le sol de leur vitalité
dans une dynamique qui peut devenir théo-dynamique
si elle redécouvre le lien qui relie Dieu à l’univers.

Nos ténèbres peuvent être converties par le feu de la Grâce


dans l’athanor du cœur en lumière.
Le chaos de nos passions devient un potentiel d’énergie,
un engrais pour nos terres intérieures,
un combustible pour nos transfigurations successives
jusqu’à l’éclosion de l’Etre.
50
Chant du silence

haque arbre s’inscrit dans une colonie végétale :


le chêne se montre royal,
l’acacia envahisseur archaïque,
le tilleul offre une ombre sociale,
le noyer une ombre froide,
le châtaignier s’arrondit comme une mère généreuse .
Une infinité de verts participent à la peinture du paysage :
vert foncé, pâle, moyen, doux, presque gris, presque bleu,
argenté, ocré, rougeâtre, jaunâtre…
Si de chaque couleur émanait une onde sonore
quelle belle symphonie nous offrirait la création!
Mais peut-être que les arbres louent le Seigneur
et que nous sommes sourds ?

Avons-nous assez de musique en nous


pour faire danser la vie ?
51
Châtaignier

ans le châtaignier tout est bon !


C’est l’or du pauvre, l’arbre à pain, l’ami de l’homme “
dit au XI ème siècle le moine qui introduisit
des greffons dans la terre des Cévennes.
Le bois est utilisé pour la charpente, la menuiserie et l’ébénisterie,
la feuille pour la nourriture des animaux,
le branchage pour chauffer le four à pain,
la bousquasse pour les piquets imputrescibles,
la sève, au tanin âcre, pour teindre la soie, tanner les peaux,
le pelous pour entretenir un feu de trente jours
qui sèche les badjanes dans la clède,
le marron pour la nourriture, la farine.
La châtaigneraie impose un paysage rural avec :
les faïsses, la clède, le moulin.
Le grand-père plante pour son petit fils un châtaignier
qui lui donnera une bonne récolte après une génération.
Sous l’oursin du pelous reposent deux châtaignes jumelles.

En Cévenol :
- badjane : châtaigne séchée, blanchie,
- bousquasse : rejet du châtaignier,
- clède : séchoir à deux étages,
faïsse : terrasse en escalier,
- pelous : bogue à poils.
52
Passage

’apprenti souhaite planter six nouveaux arbres fruitiers rustiques.

Le jardinier lui demande de faire attention


de ne pas trop les enfoncer dans la terre,
sinon le bois risque de pourrir.
Surpris l’apprenti demande :
" Le bois du tronc et des racines n’est-il pas le même ?"
Le jardinier répond :
"La racine et le tronc d’un arbre ne sont pas de la même nature de bois!
Si l’arbre est trop enfoncé dans la terre, l’écorce pourrit,
risquant de contaminer le tronc ;
s’il n’est pas assez enfoncé, les racines s’assèchent,
ou si l’air est trop humide, elles sont dévorées par le chancre.
- Comment voit-on le passage des racines au tronc ?
- Par ce bourrelet.
- Le passage des racines au tronc est-il progressif :
racine puis peu à peu tronc, ou est-il soudain ?
- Il est soudain.
- Comment se fait le saut de la terre au ciel ?
- Par le vide du bourrelet”.

Le passage d’un monde à un autre monde,


celui des ténèbres de la terre à l’infinie clarté du ciel,
s’accomplit, lui aussi, par le vide d’une porte intérieure
que seul le subtil peut franchir.
53
Rentabiliser le brin d’herbe

‘apprenti jardinier achète un désherbant biologique.

Le vendeur lui demande :


" Total ou uniquement pour les mauvaises herbes ?"
surpris il lui demande :
" Le désherbant peut-il reconnaître une bonne,
d’une mauvaise herbe ?
- Bien sûr !
- Comment cela est-il possible ?
- Une bonne herbe se reproduit par les graines,
alors que la mauvaise herbe se reproduit par les racines,
envahissant le sol,
le désherbant neutralise son acidité".

Il n’y a pas de mauvaises herbes,


il y a de bonnes herbes
à de mauvaises places.

54
Obéissance filiale

n jour le jardinier demande à un visiteur


d’arracher les ronces du champ.
En une seule journée il nettoie la surface d’un terrain de tennis
en cisaillant les tiges.
Le lendemain il demande à un pèlerin
de continuer d’arracher les ronces du champ.
En une journée il nettoie la surface d’un demi terrain de tennis
en cisaillant les tiges
et en arrachant consciencieusement chaque racine.
Dix jours plus tard, dans la partie qu’avait nettoyée le plus rapide,
les ronces avaient repoussé de plusieurs mètres ;
dans l’autre partie, celle du pèlerin,
le sol était recouvert d’un gazon vert tendre.

Rentabilité, efficacité, succès sont les valeurs du monde,


obéissance, vigilance, persévérance, authenticité, simplicité
sont les racines des vertus.
55
Vol du temps

I l y a un temps pour chaque chose sous le soleil " Écclésiaste III, 11


La graine doit mourir et croître,
avant de donner le fruit mûr.
Ne cherchons pas en hiver le fruit
qui arrive naturellement à maturité en été.
Les fruits n’apparaissent jamais avant les fleurs,
sachons les cueillir le moment venu.
Tout se transforme, tout passe,
l’arbre de Vie attend la fin des temps
au milieu du Jardin.

A chaque moment convient son temps,


autrement, même au temps venu
nous ne recevrons pas ce qui est propre à son temps.
Ne nous laissons pas abuser par un zèle orgueilleux
qui nous pousse à conquérir ce qui doit venir en son temps.
“Il y a un temps pour obéir et un pour commander,
un temps pour écouter, un pour enseigner,
un pour le combat, un pour la paix…”Écclésiaste III.
Cherchons à chaque moment ce qui convient à son temps.
Sans le temps nécessaire, qui structure la destinée,
l’œuvre n’est que l’illusion de l’ambition humaine.
L’homme, qui court après le temps, devrait se souvenir
que ce n’est pas le temps qui passe, mais nous qui passons.
56
Que veux-tu ?

’aveugle poursuit le Seigneur de ses cris à Jéricho :


“Jésus , Fils de David, aie pitité de moi”, Luc 18, 35-43.

- “Que veux-tu que je fasse pour toi ? “ demande le Christ,


- " Que je puisse voir à nouveau” répond l’aveugle,
- “Vois à nouveau , ta foi t’a sauvé".
- " Que veux-tu ?"
Phrase de passage que l’on entend formuler
par le gardien à chaque porte.
Si le désir est exprimé clairement, tout est possible,
s’il est ignoré, indécis, le doute nous dévore.
- " Voir ! "
Il est possible de donner la vue à celui qui a conscience de ne pas voir,
et qui exprime son désir sincère de voir.
- "Vois à nouveau , ta foi t’a sauvé".
Le miracle n’est pas une preuve,
mais la conséquence d’une libre adhésion à la foi.
- “Ce n’est pas moi qui te sauve contre ta volonté,
mais toi, par ta foi en ma compassion.
Ce que tu possèdes, je te le donne si tu le reçois.
Ce que tu n’as pas, tu peux l’acquérir par l’humble dignité”.
Tout est dit en ces quelques mots :
- " Que veux-tu ? - Voir ! - Vois à nouveau ta foi t’a sauvé".

Découvrir en soi l’aveugle qui masque la nature de l’être,


le sourd qui refuse d’écouter la voix intérieure,
le paralytique qui se sclérose dans le chemin de ses certitudes.
57
Avant le temps, Je suis

e corps est l’habit de peau qui s’use.


Si le corps s’attache à la boulimie de la matière
il demeure accroché dans l’abîme de l’illusion.
S’il s’ouvre à l’innocence de l’âme
il flotte dans l’infini coloré des anges
qui dansent, chantent dans d’éternels recommencements.
S’il se donne à l’Esprit,
il redécouvre l’émerveillement
de l’unité simple de l’instant
qui restaure l’homme
dans l’immuable pureté de l’absolu.
Le corps tout entier devient regard.

Le corps n’est pas une prison


pour celui qui l’accomplit de l’intérieur,
il est le lieu de passage de la nature à la personne.
Je n’ai pas un corps, je suis mon corps.
58
Solitaire mais non isolé

and l’arbre est seul dans son pot, il s’imagine grand,


mais quand on le plante dans la forêt, il découvre sa petitesse.

Quand le fidèle progresse seul sur le chemin de l’intériorité,


il s’imagine puissant, parfait,
mais quand il prie avec d’autres frères,
il découvre sa lenteur, son orgueil.
Les passions se dissimulent souvent
derrière le masque sournois des vertus :
la gourmandise se justifie par l’hospitalité,
l’instabilité par la visite aux malades,
la ruse manipule sous le couvert du discernement,
la malice se confond avec la prudence,
la lenteur cache la paresse,
le libre arbitre voile la désobéissance,
le mépris se traduit par le silence,
le jugement se colore de charité chrétienne,
l’orgueil porte le masque sournois de la joie,
l’ennui s’habille de l’humble impassibilité.
L’arme traditionnelle pour lutter
contre l’illusion spirituelle est :
- la révélation des pensées au Père spirituel,
qui par une épreuve adaptée vérifie la conversion du cœur;
et contre la vaine gloire:
- l’accomplissement de l’acte désintéressé.
59
Fruit des entrailles

ourquoi l’arbre donne-t-il des fruits ?


Si l’arbre est trop arrosé,
il pousse en bois sans donner de fruits.
L’exigence de survie se fait sentir quand l’arbre lutte.
Il accumule sous la densité de sa peau, dans sa chair juteuse
une humidité qui lui permet d’affronter l’épreuve du désert.
L’émondage pousse la sève à monter avec plus de vigueur,
à conserver sa puissance dans ce lieu de vie : le fruit.
Le fruit est une réserve de sève
qui engendre dans son sein des graines,
prémices d’une nouvelle vie.
Le fruit se développe pour donner
protection et nourriture aux graines en gestation.
Il faut les poumons d’au moins quatre feuilles
pour que l’arbre donne un beau fruit.

L’ascèse est un émondage, un art de connaissance de soi.


Le jeûne, la veille, la stabilité, le silence, l’obéissance…
sont des outils traditionnels pour engendrer
un fruit dans la terre de nos entrailles, matrice de la Vie.

60
Sang de la terre

es racines, comme des travailleurs de l’ombre, fouillent le sol,


elles cherchent l’humidité avec persévérance.
Les feuilles brassent le ciel,
par un procédé vertigineux de photosynthèse
elles aspirent l’eau vive de la terre mère
que les radicelles absorbent.
La sève brute, ascendante
transporte les sels minéraux sous l’aubier,
imprime des veines de croissance dans le bois nouveau.
La sève élaborée, descendante épaissit le cœur du tronc.
La sève, mûrie au soleil,
nourrit, désaltère la grande maisonnée :

L’estomac des racines,


le système cardiaque des canaux,
le poumon des feuilles,
le squelette du tronc,
l’androgynie des coupelles des fleurs,
l’embryon du fruit.

L’homme est le chef d’orchestre de la création


qui chante la gloire de Dieu:
“ Que le Christ soit notre nourriture
et que la foi nous désaltère”.
Matines

61
La source est en toi

onnais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et Dieu".


Il n’est pas écrit “connais-toi et tu te connaîtras”,
il n’est pas écrit “connais ton prochain et tu te connaîtras”,
il n’est pas écrit “connais l’univers et tu te connaîtras”,
il n’est pas écrit “connais Dieu et tu te connaîtras”,
il est bien écrit sur le fronton du temple:
" Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et Dieu".
C’est par l’écoute attentive de soi-même
que nous percevons la résonance de l’univers.
Nous ne sommes pas une partie de la création,
mais l’univers dans sa globalité en germe.
C’est par l’écoute vigilante de soi-même
que nous communions à la Présence divine.
Dieu révèle à l’homme qu’il est à Son image,
nous pouvons parvenir à Sa ressemblance
durant le pèlerinage de notre existence
en devenant la matière de notre transfiguration,
la matrice de l’Esprit Saint.
Le but de la connaissance n’est pas le surhumain
sinon l’homme tourne en rond autour de lui-même.
Le But de l’homme c’est Dieu!
“ Dieu s’est fait homme
pour que l’homme devienne Dieu.
La gloire de Dieu c’est l’homme vivant” Saint Irénée de Lyon.

La première icône que l’homme doit accomplir


c’est lui-même.
62
Du jardin au fourneau

ous une vitre de verre


orientée plein sud,
telles des nouveaux nés dans leur couveuse,
les graines reposent sur un coussin d’humus.
Le jardinier émerveillé assiste à la métamorphose :
l’inerte devient vivant !
Quand les premières feuilles transpercent le terreau
les jeunes plants sont repiqués dans la terre,
ils découvrent alors l’immensité du potager.
Après un long entretien attentionné
où se côtoient : émondage, arrosage, binage,
protection contre les parasites, amour et prière,
les plantes offrent des fleurs puis des légumes savoureux.
D’une marmite en fonte s’élève un parfum de fête.
La tomate sucrée, l’oignon doux, la courgette tendre,
l’aubergine et le poivron aux couleurs audacieuses et poivrées
mijotent sur le fourneau.
A midi, à l’ombre de la pergola
les invités savourent une ratatouille
aromatisée aux herbes de Provence,
arrosée d’une lampée d’huile d’olive vierge.

Devenant participant à la création


l’homme coopère humblement à la Parousie.
63
notre vigilance, notre endurance.
Où est ma place ? Un grain tombe parmi les épines
mais les ronces l’empêchent de pousser.
ans la parabole du semeur - dans Mathieu 13, 3-23 Ceux qui sont encombrés par les soucis, voulant comprendre la guerre,
Jésus parle d’un paysan qui sème du blé. la famine ou l’infini, sont écrasés par la démesure de leur vanité.
Des grains tombent sur le chemin, Un grain de blé tombe enfin dans la bonne terre
ils sont mangés par les oiseaux ; il donne cent, soixante, trente grains par épi.
d’autres tombent sur le rocher, Une bonne terre est une terre dont la mauvaise herbe a été arrachée,
dès que le soleil paraît, ils sèchent ; dont les cailloux ont été enlevés, qui est labourée, arrosée.
d’autres tombent parmi les épines, Le grain doit mourir dans cette terre mère pour naître et croître.
les ronces les étouffent ; Quelle est cette mort qui donne la vie ?
d’autres enfin tombent dans la bonne terre, Si le grain refuse de pourrir, il s’assèche dans l’écorce.
meurent et donnent beaucoup de fruits. Quel est ce refus de mourir qui tue ?
Le Christ ne commente pas,
Quatre grains de blé, quatre destins !
car la foule a des yeux et ne regarde pas, des oreilles et n’écoute pas.
Qu’est-ce qui distingue un grain de blé d’un autre grain de blé ?
Elle a peur de comprendre car elle ne veut pas se convertir.
Nous avons chaque fois un grain sortant de la même besace.
Il interprète la parabole à ses disciples,
Ce qui distingue un grain de blé d’un autre grain de blé
qui l’écoutent et qui mettent en pratique son enseignement.
c’est la terre qui l’accueille !
Dans cette parabole toujours actuelle,
La terre, c’est qui ? C’est où ?
nous voyons un grain de blé qui tombe sur le chemin
La terre, c’est chacun de nous,
et qui est dévoré par les corbeaux, le malin, les faux prophètes.
la terre de nos entrailles, de notre cœur.
Si vous ne savez pas ce que vous voulez,
Le grain est la parole de Dieu mise en acte.
d’autres vont s’en charger et abuser de votre innocence.
Un grain tombe sur le roc, il pousse vite car le sol n’est pas profond,
mais dès qu’un rayon de soleil surgit, il s’assèche.
Nous connaissons ces êtres sincères mais sans persévérance
Le soleil brille sur les justes et les injustes,
qui s’engagent dans une voie avec enthousiasme
ce qui distingue son éclat
mais dès qu’une tribulation paraît
c’est la pureté du cœur de celui qui l’accueille.
ils fuient dans une autre tradition au nom de la liberté.
La pureté de la coupe détermine la qualité du souffle.
C’est l’épreuve qui vérifie notre fidélité,
64
Jusqu’où aller ?

n pèlerin, spatule à la main,


enlève avec délicatesse la peinture écaillée
sur une vieille porte en châtaignier.
L’Ancien lui demande :
“Qui te dirige dans ce service ?”
Il ne répond rien, mais on sent que, derrière sa surprise,
ses pensées laissent défiler une infinité de réponses.
Il se dit dans le secret :
Si je réponds : “l’Ancien !”
il me dira qu’il n’est pas le chef de la porte.
Si je dis : “le Christ !”
Il me répondra que :
“Notre Seigneur habite nos actes
sans décider de nos actions”.
Si je dis : “moi-même ”, il sourira.
Alors avec un grand soulagement
le pèlerin répond au regard interrogateur de l’Ancien :
“ La porte ! ! !”
C’est elle qui dit jusqu’où aller pour enlever la peinture,
jusqu’où ne pas aller pour ne pas abîmer le bois.
Celui qui dirige ce service : c’est l’écoute consciente de l’acte.

L’écoute vigilante de l’acte


prédispose à pénétrer en conscience
dans la connaissance.
65
Sois le Jardinier de mon cœur

es ronces, sur le bord du chemin, servent de barrières naturelles.


Leurs épines, l’acidité de leur venin
empêchent les prédateurs de les traverser.
Limaces, escargot, lapins, taupes…
arrivent difficilement à franchir ce barbelé végétal.
S’il n’y a pas de jardinier les ronces
envahissent les champs, stérilisant le sol.
" Seigneur comme je suis le jardinier de Ta création,
sois le Jardinier de mon cœur "
demande l’Ancien au Christ.

Le sage ne lutte pas


contre le mal en le combattant,
mais en favorisant sa métamorphose.
66
Sculpteur du paysage

orsque nous sommes arrivés au skite


le domaine était envahi par les ronces,
les genêts, les fougères,
les anneaux des lierres étouffaient les chênes verts,
les acacias chassaient systématiquement les châtaigniers,
leur faisant une guerre d’ombre.
Nous avons commencé par redessiner les chemins, les sentiers,
puis partant du mas nous avons peu à peu reconquis les bonnes terres.
Ce long et humble travail de défrichage
nous a encouragé à restaurer nos terres intérieures.

Mettons-nous autant de zèle à conquérir les vertus


que nous en mettons à conquérir les bonnes terres ?

67
Gloire à Dieu

n Ancien demande à son disciple d' aller chercher de l’eau.


Le disciple part, puis revient de la source .
Le Père lui demande : " Qu’y a-t-il dans la cruche ?"
" L’eau de la source " lui répond le novice.
L’Ancien dit : " C’est vrai et c’est faux !" Puis il se tait.
Imaginons une simple goutte d’eau dans la cruche
et suivons la à partir de la source :
Elle coule du bassin jusqu’à la rivière,
arrosant les collines, les vallées, les jardins pour arriver à la mer,
où amoureuse du soleil elle s’élève dans le ciel
pour devenir nuage, pluie.
Elle tombe sur la terre sèche apportant la vie.
Les racines de l’arbre l’aspirent,
la transformant en sève, en fruit que nous mangeons.
Devenue notre chair et notre sang nous la libérons
pour la laisser se poser en flocon de neige au sommet d’une montagne.
Cette simple goutte d’eau obéit aux métamorphoses de sa destinée.
La science la fige dans une forme : suc du fruit, eau de mer, sang…
L’homme analyse des phénomènes éphémères
dont il fait une vérité scientifiquement prouvée.
Alors que le mystère se situe dans les transmutations successives
de cette simple goutte d’eau qui évolue,
libérée du poids de ses mémoires.
Le Sage laisse l’eau, la brise, le temps
glisser entre ses doigts ouverts.
Il perçoit dans la transparence du phénomène
l’Esprit qui anime de son souffle toute la création.
68
Cathédrale végétale

Dieu crée un jardin.


De l’arbre de la connaissance dans le jardin d’Eden (Genèse),
en passant par le baton fleuri d’Aaron, par le genêt d’Élie,
l’arbre de Jessé, le chêne de Mambré, l' acacia d'
Hiram,
par le bois de la vivifiante croix au sommet du crâne (Golgotha),
pour arriver à l’arbre de vie de la Jérusalem céleste (Apocalypse)
qui produit douze récoltes par an,
toute la Bible s’inspire de l’obéissance généreuse de la nature
pour inviter l’homme à revenir dans le Royaume.
Adam nomme les animaux,
Dieu parle à travers le silence des arbres et des buissons :
Cèdre majestueux, chêne puissant, olivier de la paix,
acacia imputrescible, amandier à l’image de la mandorle,
figuier généreux, saule des pleurs, genêt à la fleur d’or,
vigne de la sobre ivresse, lierre exubérant,
narcisse à l’arome enivrant, lis, lotus images de la pureté,
blé révélateur du travail de l’homme…
Des noms d’ici : froment, épautre, lin, orge, fève, lentille.
Des noms de toujours : mandragore, hysope, cumin, coriandre,
absinthe, coloquinte, myrrhe, sycomore, palmier, buisson ardent…

C’est à l’homme d’écouter


et de conserver vivante la Parole de Dieu
que la création exprime avec obéissance
dans un silence noble et profond .
69
Cellule du cœur

e moine qui construit sa cellule,


se construit une maison au ciel" dit notre vénéré Père Saint Sabba.
La construction commence par l’enracinement des fondations,
ce qui est une évidence pour le maçon ne l’est pas toujours
pour le théoricien qui évolue en partant du toit de ses rêves.
Le roc, dont le Christ est la manifestation vivante,
demeure le meilleur appui contre la tempête.
Les murs s’élèvent verticalement pierre par pierre,
la moindre inclinaison provoque la chute de l’édifice.
Les pressions renforcent la clef de voûte,
la fissure de nos doutes l’affaiblit.
Tout passage s’effectue par le vide des ouvertures.
La vitre du fenestron, comme un bouclier d’argent, laisse traverser
la lumière mais pas le vent , la chaleur mais pas la pluie,
l’image de l’objet mais pas la matière de celui-ci.
Si la porte a une serrure, ceux qui possèdent la clef
peuvent entrer ou sortir; la croix devient la clef de vie.
Si la porte a un loquet, ceux qui entre ne peuvent plus sortir,
le Gardien du seuil devient le maître du passage.
La charpente prend la forme d’une arche
pour voguer dans l’océan du ciel,
elle s’habille d’écailles de lauzes.
La cheminée encense le ciel de la prière du moine.

Lorsque l’orant arrive à un sommet,


il continue son ascension.
70
Écriture de lumière

a photographie est un art


qu’il ne faut pas limiter à l’apparence,
elle peut saisir le treissaillement invisible
qui jaillit des profondeurs de la création.
Par une écriture de lumière
elle surprend des mouvements éternels,
immortalise des gestes quotidiens.
Elle témoigne de l’harmonie de la beauté,
révèle la noblesse d’un visage derrière le portrait,
la transparence délicate d’une feuille…
L’image montre objectivement la réalité dépouillée.
La photographie sait capter l’énergie du souffle,
avant son jaillissement dans le mouvement,
la puissance du regard derrière les yeux,
en le surprenant à son origine dans le cœur.

Non pas voyeur, mais voyant,


non pas prendre des photographie
mais recevoir des photographies
dans une complicité à trois :
lui, moi et l’Esprit.

Le souffle de l’Esprit est proportionnel


à notre récéptivité,
à notre engagement. 71
Dis-moi une parole

e jeune citadin féru d’écologie spirituelle


écoute l’Ancien,
lui raconter d’antiques rencontres :
- "Il n’y a qu’une façon de lutter contre la laideur,
ce n’est pas en la détruisant, en la dénonçant, en la critiquant
mais en témoignant de la beauté, en exaltant la beauté.
- Si tu n’aimes pas un poème, écris-en un plus beau
alors tu découvriras que ce n’est pas parler qui est difficile
mais comment dire.
- Si tu n’aimes pas une icône, fais-en une plus belle,
alors tu rencontreras l’humilité.
- Si tu n’aimes pas quelqu’un, tais-toi,
garde le silence jusqu’à ce qu’on t’interroge ;
Si tu l’aimes, dis-le !
- Le démon ne combat pas l’homme
aussi longtemps que celui-ci fait sa propre volonté
car ses volontés deviennent ses démons.
- Le sage ne combat pas le démon avec un démon plus terrible
mais il le chasse par son amour.
- Le sage ne jeûne pas pour conquérir des pouvoirs
mais pour que Dieu vienne en lui.
- Si tu veux acquérir l’humilité
ne sois attentif qu’à tes propres fautes".

Père quel est ton secret ?


Savoir vénérer !
Rester émerveillé !
72
Temple de chair, temple de pierre

e Skite Sainte Foy est construit en schiste.


Les fondations s’appuient sur le roc,
les pierres extraites de la base,
donnent aux murs l’aspect abrupt et austère d’une forteresse.
Les lauzes, taillées à la main,
recouvrent le toit de leurs écailles dorées.
Les portes, les fenêtres, les poutres
sont issues des châtaigniers des Cévennes.
La crypte se blottit à l’intérieur du rocher des fondations
comme le ventre de l’étable qui accueille le Verbe de Dieu.
Avant le christianisme des Celtes creusèrent des cupules,
où les druides offraient des sacrifices d’animaux au soleil.
A l’époque mérovingienne Sainte Foy et Saint Julien l’hospitalier
illuminèrent la Vallée Longue de leur présence et de leurs prières.
Au Moyen-âge des bénédictins rognèrent le rocher
pour élever un prieuré sur un promontoire comme une tour de guet.
A la Révolution le mas devint une prospère bergerie.
Aujourd’hui des moines orthodoxes
montrent par des actes de louanges
que la Tradition n'
a ni passé, ni futur
mais qu'elle s'
enracine dans un éternel présent,
et qu'
elle s'
exprime dans de perpétuels recommencements.

L’œuvre véritable se fonde sur sa propre substance.


Il n’y a rien à rajouter dans le cœur de l’homme
tout est déjà inscrit en lui.
73
Désir

ne goutte d’eau goûtant une autre goutte d’eau


donne une nouvelle goutte d’eau. .
Une goutte d’eau s’unissant à une goutte de vin
donne le rosé de la communion.
Une goutte d’huile nageant sur une goutte d’eau
flotte sans se mélanger.
Une mèche suçant l’huile
éclate de lumière !
Une goutte d’eau amoureuse du soleil,
s’envolant dans une danse de feu,
fusionne au rayon.
Le désir s’unit au feu.

Comment laisser jaillir la vitalité d’un jeune talent ?


En lui offrant l’espace favorable
de terre, d’air, d’eau et de feu.
En lui permettant d’offrir sa chair
dans l’offrande non sanglante de son œuvre.

74
Bambou

e bambou se dresse dans une pureté haute et droite.


Sa force vient de sa flexibilité,
de la consistance filandreuse de sa canne
et du vide duveteux de son cœur.
Il grandit en pointillé, sans grossir,
les nœuds lui permettent de sauter,
comme sur les marches d’une échelle
vers la lumière humide.
Par ses feuilles lisses en forme de sabre
il ressemble à la jeunesse vigoureuse,
mais par la noblesse de son tronc,
qui s’incline sans rompre,
au sage vieillard.
Utilisé pour la construction,
la cuisine, la médecine, le combat,
l’écriture, la musique, la méditation…
le bambou témoigne des qualités
que la vie exige de l’homme :
simplicité, souplesse, sérénité, constance.
Il demeure flexible sous l’épreuve, sans casser,
pour se redresser avec modestie
comme un oriflamme de paix.

Le jardinier vit au milieu de la nature


comme s’il était lui-même un arbre qui marche.

75
Échelle Sainte Chacun est unique

as plus vite, urant le grand Carême je demande


pas plus haut, à mon Père spirituel de me retirer dans la solitude
pas plus loin, en essayant de faire le moins de choses possible :
lentement. ne pas manger, ne pas boire, ne pas parler,
Fais-toi ne pas dormir, ne pas bouger…
léger, fragile, Je peux : manger, boire, parler, dormir, bouger,
humble, doux. mais je dois nommer en moi ce qui a faim, soif…
Pas audacieux, je découvre que c’est l’habitude !
pas astucieux, Pour vivre cette retraite je m’installe sur un rocher,
pas ambitieux, à l’ombre d’un chêne.
plus simple. La principale nourriture pour mon corps, mes pensées, mon âme
Pour monter une échelle est la prière du cœur.
il faut escalader un échelon à la fois, Afin de ne pas me laisser distraire je concentre mes regards
une main sur chaque colonne, sur une feuille de chêne, à la hauteur de mon visage.
un pied après l’autre sur chaque barreau. Après quelques jours de contemplation
L’échelle ne fait pas l’escalade à notre place. je me laisse distraire par la feuille d’à côté,
Il faut la poser sur un sol stable, je m’aperçois qu’elle est différente de la première.
l’appuyer sur une branche solide, J’en regarde une deuxième, une dixième, une centième…
avec la pente la plus douce. elles sont toutes différentes entre elles !
La chute est si rapide ! Je peux l’affirmer car j’en connais une !
Je pense : sur cet arbre il y a des milliers de feuilles,
dans le monde des millions de chênes
Le ciel ne peut se conquérir avec des milliards de feuilles.
que par l’échelle des vertus. Chacune est unique !
L’échelle s’appuie sur le sein de Dieu. Le haut, le bas, la droite, la gauche, le dos, le dessous
Elle permet à l’homme d’escalader ses profondeurs, chaque partie de la feuille est différente.
pour remonter vers son origine adamique. Les feuilles de chêne, de peuplier, de châtaignier, d’acacia…
sont toutes différentes entre elles,
76
pourtant elles sont toutes du même genre végétal.
Chaque brin d’herbe, chaque caillou, chaque visage est unique.
Si vous me connaissez, vous me reconnaîtrez où que je sois
car je suis le seul au monde à avoir ce visage.
Sans attendre je vais raconter ma découverte à l’Ancien :
- " Père, je suis unique au monde !"
Sans lever les yeux de son livre le Iéronda Séraphim me répond :
- " Mon pauvre enfant, tu es bien en dessous de la vérité.
- Comment ça, je suis unique au monde et vous me répondez
que je suis en dessous de la vérité !
- Il faut que tu ajoutes : je suis unique au monde depuis le début
et jusqu’à la fin des temps".
J’ai eu cinq, dix, vingt, cinquante ans…
à aucun moment je n’ai eu le même visage.
Déconcerté par cette découverte je vais dans ma cellule un instant
pour regarder dans le dictionnaire la feuille de chêne.
Il y a la photographie d’une feuille
mais ce n’est pas "la mienne".
Ce jour-là j’ai vécu un bouleversement en découvrant que :
l’homme uniformise, là où Dieu individualise.
Pour Dieu chacun est une personne unique !

Pour Dieu chacun est unique


depuis le début et jusqu’à la fin des temps.

77
Le Royaume de Dieu est en nous

ous voyons dans notre cœur .


l’image de la Beauté divine.
Il y a en nous la capacité à contempler Dieu.
Dieu en se retirant a déposé dans notre chair
l’image de Sa plénitude
comme l’empreinte d’un sceau dans la cire chaude.
Mais notre déviance a noirci la splendeur de l’image.
Comme l’eau purifie l’icône
de la vapeur de l’encens et de la fumée des lampes à huile,
les larmes d’eau et de feu du repentir
restaurent la transparence
de la beauté adamique.
L’Image divine brille en nous
embellissant chacun de nos regards,
nous n’éclairons plus la nuit avec une lampe
mais par la lumière de nos yeux.

Seul ce qui est éclairé de l’extérieur


porte une ombre.

78
Écoute la rosée

n pèlerin se présente à l’Ancien


avec une gerbe de questions.
L’Ancien lui suggère d’expérimenter le silence.
Chaque jour le pèlerin attend un mot de réconfort,
espère une parole de sagesse.
Le sourire, le regard complice, le geste discret
sont les seules leçons qu’il reçoit.
Un matin, au soleil levant, l’Ancien le conduit au potager
pour ramasser des légumes.
Le pèlerin contemple en silence
la féerie des gouttes de rosée sur les feuilles.
Une goutte de lumière tombe sur le sol.
Le pèlerin dit : “ J’ai entendu la goutte d’eau glisser,
puis éclater sur le sol, j’ai entendu aussi mon cœur”.
L’Ancien sourit, il lui parle enfin :
“ Maintenant que tu sais écouter,
tu peux poser tes questions”;
mais le pèlerin demeure silencieux.

Le Sage à l’esprit apaisé est capable


de percevoir le bruissement
de la rotation d’une rose
amoureuse du soleil.

79
De l’image à la ressemblance

a création est bonne,

elle préexiste en silence


dans la pensée de Dieu.
L’unité divine se multiplie dans l’abîme sans fond
par procession,
sans perdre sa relation avec son Principe.
Mais le visible de Dieu
se déracine de sa filiation par la chute.
Il crée un fossé.
La multiplication devient division.
La créature, découvrant la liberté
de ses propres mouvements,
se retourne en rebelle
contre son origine divine.
Là où règne l’éternité est apparu le temps
avec les cycles, la mort.
Le Tentateur
se glisse dans les fissures de l’âme
pour y placer la confusion
d’un deuxième centre :
" Tu seras comme Dieu"
et non plus " comme toi-même".

L’homme
peut-il restaurer l’unité des deux natures
et revenir, par Grâce, à la ressemblance divine ?

80
En avril ne te découvre pas

n mars un beau soleil

invite les fleurs des arbres fruitiers


à éclairer la campagne de leur sourire.
Mais le froid de l’hiver rôde,
il peut à chaque instant brûler de sa froidure
les tendres pétales.
En mars il peut faire chaud,
les arbres se couvrent de fleurs,
mais les jours ne sont pas assez longs
pour que l’arbre fleurisse en totalité,
d’autres fleurs apparaîtront en avril
après les saintes glaces.

L’intensité ne suffit pas


il faut inscrire aussi la durée.
Prier dix heures par jour pendant un mois
peut donner l’illusion d’un engagement sincère,
mais la froidure de l’habitude
peut brûler notre enthousiasme.
Une prière courte et régulière
donnera un fruit en son temps.

81
Silence

u-delà des mots,


au-delà des sens
est le silence.
Vient un moment
où la contemplation n’est plus que silence.
Silence que la Grâce dépose dans l’âme
en l’inondant de la Présence.
L’âme ne peut plus qu’écouter ce silence.
Silence de la plénitude de l’instant présent.
Dans le silence d’un cœur léger
Dieu souffle :
“Je t’attendais ! ”

Dieu parle dans le silence


d’un cœur à cœur.

82
L’homme retrouve son image en Dieu

’homme créé à l’image de Dieu,

doit parvenir durant le temps de son existence


à Sa ressemblance.
Un désir d’eau et de feu
s’élève des entrailles de l’homme
et s’incarne dans la matrice de ses œuvres
pour revenir habiter son cœur,
l’inondant d’une joie qui irrigue
toutes ses veines.
L’homme recommence avec fidélité
cette danse nuptiale,
jusqu’au jour où Dieu,
pénétrant l’alcôve de son cœur,
féconde son désir d’un Souffle de vie.
L’homme devient un être vivant !
Il découvre en Dieu
sa propre image,
celle de l’homme restauré
dans son intégrité.

Ce que nous connaissons de Dieu,


nous le contemplons en nous-mêmes.

83
Femme voici ton fils

arie, mère de Dieu,


- quelle phrase enivrante -
enfante virginalement son propre Créateur.
Son “oui” a bouleversé le monde
en donnant naissance au Verbe de Dieu.
Le Fils de Dieu
devient aussi le Fils de l’homme.
La virginité est une matrice toute pure
où le Verbe prend chair,
où la chair reçoit l’Esprit.
Marie, immaculée, Reine du ciel,
“par l’Incarné de toi
l’enfer est capturé,
Adam rappelé,
la malédiction anéantie,
Ève libérée, la mort tuée,
et notre race vivifiée”. Laudes de dimanche.
Marie, Femme, Vierge et Mère,
archétype de toute l’humanité,
dans un geste d’orante
accueille et répand la vie
qu’immuablement elle porte.

Si le Christ ne naît pas en nous,


nous sommes des serviteurs inutiles.

84
Artiste

’artiste féconde l’œuvre en parachevant


ce qui est potentiellement inscrit en elle.
Il n’impose pas une forme extérieure
mais obéit humblement à la révélation.
L’artiste unit dans un seul mouvement
le ciel et la terre,
le Créateur et Sa création,
le temps et l’éternité…
Il obéit aux même lois
que celles qui régissent l’univers,
il en réduit le temps.
L’art devient sacré, action de grâce, liturgique,
il relie l’artiste à l’Esprit-Saint de Dieu.
L’artiste n’est pas rassasié par l’œuvre
mais par la Présence qui se révèle à travers elle.
La première icône
que l’homme doit accomplir devant Dieu,
c’est lui-même.

L’artiste réinvente la splendeur du simple


sans trahir la sagesse des Anciens.

85
86
GLOSSAIRE CRÉATION Elle est bonne. Sa mauvaise utilisation peut la dévier de
sa finalité.
Cet ouvrage n’a pas la prétention d’être un traité de théologie. Ici les CROIX Clef de vie portée au sommet du crâne et non gibet.
mots, héritages vivants de la Tradition, portent en eux une exigence DÉIFICATION " Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne
spirituelle que seul celui qui les incarne dans la profondeur de sa chair et les Dieu " Saint Irénée de Lyon.
manifeste dans son quotidien peut saisir : DIEU Élohim en hébreu : le Tout Autre, Créateur.
Yahvé : Dieu révélé, éternel.
“Le Verbe se fait chair”.
Adonaï : Nom pour invoquer le Seigneur.
DIGNITÉ " Mène une vie digne de l’appel que tu as reçu " Eph IV-1
DÉMON Tentateur, gardien du seuil.
ÉCOUTE Première étape sur le chemin de l’intériorité.
AME Principe de vie, immortel, immatériel, insufflée par Dieu.
EGO Il ne faut pas opposer l’avoir à l’être mais au paraître.
AMOUR N’existe que par l’autre, s’exprime par le don de soi. ÉNERGIE " Son énergie agit en moi avec puissance" Col I-29
ANCIEN Père spirituel qui a atteint le charisme de discernement,
ENTRAILLES " Dieu féconde de sa puissance le fruit de nos entrailles"
(staretz en russe, ieronda en grec). Saint Jean de la Croix.
APOPHTEGME Parole mémorable des Pères dite à un disciple.
ÉPREUVE Teste notre désir,fait évoluer si on dépasse le
ART Art de vivre, art sacré, art religieux… phénomène.
ASCÈSE Pratique des vertus afin de s’élever au-dessus de la
ESPRIT Personne de la Trinité se révèle par grâce, anime, régé-
nature. nère, accorde les dons.
BEAUTÉ Éternelle ou éphémère, cela dépend de notre regard.
ÉTERNITÉ Sans commencement ni fin, ne pas confondre avec l’im-
BUT “Le But de la vie chrétienne est l’acquisition de l’Esprit mortalité de l’âme.
Saint de Dieu” Saint Séraphim de Sarov.
EXISTENCE Soumise à l’espace-temps, ne pas confondre avec la Vie.
CHAOS Tohu-bohu, inaccompli, désorienté.
EXPÉRIENCE Gestes vécus et intégrés.
CŒUR "Lieu mouvant, immuablement au cœur du changement "
FANATIQUE Célibataire de la Sagesse.
Saint Grégoire de Nysse. Ne pas confondre avec l’affectif.
FEU Seul le feu s’unit au feu : Feu de l’Esprit, feu de l’enfer,
CONSUBSTANTIEL Homooussios en grec ; de même nature, de même
feu des vertus, feu des passions.
substance, sans confusion, ni fusion, ni division. FIDÉLITÉ Sans fidélité on ne peut rien entreprendre.
CORPS bâsar en hébreu : chair vivante,
FILS L’amour qui nous unit à Dieu est l’amour filial.
nêphesh : poussière du monde, viande. FOI Confiance absolue en Dieu.
COSMOS Harmonie, accompli, orienté.
GRÂCE Don surnaturel de Dieu, on ne s’élève pas vers elle, on
87
s’ouvre à son étreinte. la maîtrise des passions.
HESYCHIA Silence intérieur, peut arriver à la liberté intérieure. MORT Passage obligé de l’existence à la Vie.
NOM Germe divin inscrit dans chaque homme venant au
HOMME A "l’image de Dieu, créé mâle et femelle" Ge I-27. monde.
Il a pour vocation de collaborer à sa sanctification et de MYSTÈRE Au-delà de la compréhension, de l’explication.
participer à la transfiguration du cosmos. NOCES Union des complémentaires, d’où jaillit un fruit.
ICÔNE Image représentant non pas la nature, mais la personne. ŒIL Œil du cœur, discernement, contemplation.
Art sacré, porte en elle des mouvements de sanctification. PAROUSIE Parfait accomplissement à la fin des temps de toute la
IDOLE "Faite de main d’homme, a des yeux et ne voit pas, des création.
oreilles et n’entend pas". Ps CXV -5, 6 PASSION Puissances qui s’opposent, se convertissent en vertu.
IMAGE "L’homme à l’image de Dieu" peut parvenir à Sa ressem- PÈRE Père spirituel, nous fait entrer dans la dignité de la filia-
blance Ge, I-27 tion spirituelle. Abba “Dieu est considéré comme le
IMMANENT Cause, demeure dans le cœur de la création. Créateur de la race humaine” Act XVII - 28.
IMMORTALITÉ Vie sans fin de l’âme, au-delà de la corruption. PÉRICHORÈSE Interpénétration, réciprocité selon la substance et non
IMMUABLE Impassible, Vérité plénière. action.
INDIVIDU Prosopon en grec, ne pas confondre avec “personne”. PERSONNE Hypostase et non persona : masque. Principe libre et
INSTANT Inscrit dans le temps, s’ouvre à l’éternité. responsable de son action.
INTELLECT Sophia : Sagesse, tournée vers le transcendant, PHILOCALIE Amour du Beau, textes des Pères sur la prière.
Nous : Intelligence, tournée vers l’intérieur, PHOTOGRAPHIE Écriture de la lumière. photos - graphie.
Psyche : Instruction, tournée vers l’extérieur. PRIÈRE État de communion par le souffle et le cœur avec Dieu.
JOIE Relie la cause au but, indépendante de l’objet. Ouverture à la Grâce et non formule ou technique.
LIBERTÉ L’homme demeure libre devant Dieu de ses choix. RELIGION Relie aux origines célestes, le contraire: négligence.
LOIS Régissent l’univers ; on les domine en leur obéissant. RENONCEMENT Détachement, lâcher prise et non fuite ou refoulement.
Au fond de l’être repose la Présence, non des lois. REPOS Dieu repose dans le cœur de Sa création, ne pas confon-
LUMIÈRE Lumière incréée du premier jour(lux), à ne pas confondre dre avec le sommeil.
avec la lumière créée du soleil et de la lune du quatrième RESSEMBLANCE L’homme à l’image de Dieu doit parvenir par Grâce à Sa
jour (lumen). Le corps transfiguré est corps de lumière. ressemblance, c’est-à-dire acquérir des mouvements
MÉDITATION Maximum de l’activité, grand combat intérieur. divins.
MÉTANIE Repentir, conversion, prosternation du corps. RÉVÉLATION “L a création attend avec un ardent désir la révélation
MOINE Homme ayant présenté des vœux, qui tend vers l’unité, vers des fils de Dieu” Rm VIII-19.
88
RIEN “ Dans le cœur du plein, le vide ; dans le cœur du vide, le
Rien” Saint Jean de la Croix.
SAGESSE “La crainte de Dieu, voilà la Sagesse ; s’éloigner du mal TABLE DES PHOTOGRAPHIES
voilà, l’intelligence” Job XXXIII - 4.
SILENCE Dieu parle dans le silence.
SIMPLICITÉ Naturelle, état joyeux de l’âme.
SKITE - masculin en russe, féminin en grec- signifie petit monas- Couverture
7 Skite, vue ouest, mur à pierres séches construit sur le roc.
tère, cellules, ermitages de moines, on peut traduire par 8 Matin d' été.
“celle”, par ex : La-Celle-Saint-Cloud. 9 Sous bois.
10 Fenouil à la toile d'araignée.
TEMPLE Le corps est un temple de chair, matrice de l’Esprit. 12 Coupe de fruits d' automne.
TENTATION Teste notre fidélité. 13 Croix prés de la source.
14 Vue panoramique, aquarellede Pieter Koppel
TOUT-AUTRE Dieu est au de-là de tout, il pénètre tout. 15 Portail d'entrée.
TRANSCENDANT “Un au-delà au plus profond de nous-mêmes”. 16 Cour intérieure.
17 Deux pommes dans l' herbe.
UNIQUE Principe créateur.
18 Reinette.
UNITÉ Multiplicité orientée, unicité. 19 Deux pommes sur la branche.
UNIVERSEL Totalité, diversité. 20 Frère Jean au jardin, photo Dominique Valleur.
22 Coupe de pin maritime.
VISAGE Visible de l’invisible. Ne pas confondre l’icône et le 23 Soleil levant, côté est.
portrait. 24 Croix du sanctuaire, découverte en Terre Sainte.
25 Herbes sauvages.
VERBE Parole vivante de Dieu. 26 Cour intérieure.
VÉRITÉ Personnelle, ne se laisse pas figer. 27 Entrées des ateliers, au fond des cellules.
28 Lys.
VERTU Place l’homme au-dessus de sa nature, mouvement divin 29 Figues.
acquis par Grâce. 30 Broderie pour le lutrin, œuvre d' Emmanuelle Vernoux.
31 Iris.
VIE Immortelle, seul Dieu est éternel. Ne pas confondre avec
32 Oratoire Saint Sabba, dans l' anciennne magnanerie.
l’existence soumise à l’espace et au temps. 33 Châtaignes.
VIDE Vacuité dans le cœur du plein et non pas errance. 34 Cerisier en fleurs.
35 Intérieur du sanctuaire.
36 Iconographe, visage d' un ange.
37 Visage du Christ, vitail d’Alexandre Ruvilly
38 Fleurs sauvages.
39 Ancienn piste muletière.
40 Icône de Saint Sabba par Christina Doulegeris.
41 Toit de l'oratoire Saint Sabba et croix en fer forgé.
42 Mur d' angle à pierres sèches.
89
43 Bourgeons. 89 Skite, deuxième vue ouest, mur à pierres séches construit sur le roc.
44 Monnaie du pape avec plumes de paon blanc. 90 Vigne vierge.
45 Tilleul, entrée sud, vu de l'
ancien apppartement du prieur. 91 Bambous.
47 Premières feuilles de rosier. 92 Treille.
48 Pommier en hiver. 93 Un matin, vue est.
49 Mur à pierres sèches. 94 Récolte des pommes.
50 Vitrail à différentes heures, œuvre d'
Henry Guérin. 96 Étude, main bénissante de Jacqueline Colin.
51 Iéronda Séraphim, 100 ans en 2001 Père spirituel du Frère Jean. 97 Châque jour est une fête des lumières.
98 Rideau brodé à la fenêtre d'une cellule.
99 C'est l'
hiver.
100 Atelier d'un icônographe, Christ dansant devant la croix.
52 Sève d' un sarment de vigne, aprés émondage. 101 Vitrail de Saint Martin, œuvre d'Élisa Parré.
54 Soleil couchant à la Sainte Montagne. 102 Iône russe contemporaine de la Vierge à la tendresse.
55 Tour du portail d'entrée. 103 Basrelief de Saint Martin sculpté par Bernard Buono.
56 Visage du Christ en étain.
57 Vieilles planches de châtaignier.
58 Rosée de printemps.
59 Châtaignier en hiver avant émondage.
60 Skite, vue sud, appartement du prieur, mur à pierres séches.
62 Escalier à pierres séches.
63 Matin de brouillard.
64 Chemin de prière.
65 Bogue de châtaignes.
66 Louis, compagnon de fondation du Skite Sainte Foy.
67 Chant des larmes.
68 Icône de Saint Sabba au Vèpres.
69 Vitrail dans la sacristie de Dominique Valleur.
70 Visage du Christ bénissant, par Christina Doulegeris.
71 Entrées des cellules..
72 Entrée d'une cellule, ancienne clède.
73 Raisin vert.
74 Contre jour.
75 Icône de Sainte Foy, création de Claude-Dominique Béguin.
76 Frère Jean au jardin de Kerassa au Mont Athos en 1990.
78 Cloture monastique.
79 Branche de châtaignier en automne.
80 Vue d' ensemble du skite, du jardin et des vergers.
81 Fontaine, une bénédiction dans les Cévennes.
82 Toutsi, chien berger des pyrénées.
84 Châtaignier en automne;
85 Ancien volet de la magnanerie, actuellement oratoire Saint Sabba.
86 Herbes sauvages.
87 Bambou.
88 Lumière des Matines. 90
TABLE DES MATIERES 42 Mort.
43 Vie.
44 Monnaie du pape.
45 Jour d’orage.
46 Se greffer à la Sagesse.
47 Par les prières de nos Saints Pères.
3 Préface.
4 Avant-propos.

7 Skite.
48 Jardinier.
8 Dieu crée le Jardin d'Eden.
49 Fruit du mur.
9 Contemplation.
50 Aime ce que tu fais.
10 Graine de moutarde.
51 Sois le fils de mon cœur.
11 Corps, âme, esprit.
52 Œuf végétal.
12 Dieu vit que cela était bon.
53 Cantique des Cantiques.
13 Beauté.
54 Entre l’Unique et le premier.
14 Livre ouvert.
55 De l’œuf à la poule.
15 Toi au-delà de tout.
56 Je suis.
16 Comment ?
57 Vie de l’arbre.
17 Deux pommes.
58 Désir de la terre.
18 Pomme.
59 Émonder n’est pas castrer.
19 Homme-pomme.
60 Je suis le cep.
20 Pourquoi ? Comment ?
61 Eau de vie.
21 Le vent souffle, la feuille bouge.
62 Ici et maintenant.
22 Eau vive.
63 Levain de la terre.
23 Un jour.
64 Chant du silence.
24 Bois de la Croix.
65 Châtaigner.
25 Innocence.
66 Passage.
26 Connais-toi.
67 Rentabiliser le brin d’herbe.
27 Beau ou beau.
68 Obéissance filiale.
28 Amour.
69 Vol du temps.
29 Le Rien et l’Un.
70 Que veux-tu ?
30 La première graine.
71 Avant le temps, je suis.
31 Promenade au Jardin.
72 Solitaire mais pas isolé.
32 Prière du cœur.
73 Fruit des entrailles.
33 Fruit.
74 Sang de la terre.
34 Fleur de vie .
75 La source est en toi.
35 Dormir sa vie.
76 Du jardin au fourneau.
36 Présence.
77 Où est ma place ?
37 Être ou paraître.
78 Jusqu’où aller ?
38 Lève-toi et marche.
79 Sois le Jardinier de mon cœur.
39 Quand deux se fait un.
80 Sculpteur du paysage.
40 Moine.
81 Gloire à Dieu.
41 Traditions et coutumes.
82 Psaume 103. 91
84 Cathédrale végétale. R EFERENCES DES CITATIONS
85 Cellule du cœur.
86 Si le grain de blé ne meurt.
87 Écriture de lumière.
88 Dis-moi une parole.
89 Temple de chair, temple de pierre. - Bible de Jérusalem,
90 Désir. pages : 4 - 8 - 10 - 23 - 24 - 53 - 55 - 69 - 70 - 86 - 92.
91 Bambou.
92 Je suis la Vigne véritable. - Traductions de l'
archimandrite Placide Deseille,
93 Baiser matinal au soleil.
94 Échelle sainte. pages : 15 - 47 - 82 - 83.
95 Chacun est unique.
96 Le Royaume de Dieu est en nous. - Offices orthodoxes
97 Écoute la rosée. page : 42 - 74 - 102.
98 De l’image à le ressemblance.
99 En avril ne te découvre pas.
100 Silence.
101 L’homme retrouve son image en Dieu.
102 Femme voici ton fils. BIBLIOGRAPHIE
103 Artiste.

105 Glossaire.
108 Table des photographies. - Les sentences des Pères du désert
109 Table des matières. - une édition complète en plusieurs volumes
110 Références des citations. Éditions de Solesmes
Bibliographie - une édition de poche
Éditions du seuil ( collection Point sagesse).
- La Philocalie
- une édition complète en plusieurs volumes
Éditions de Bellefontaine
- une édition de poche
Éditions du seuil .
- Œuvre spirituelle Saint Isaac le Syrien
Éditions Desclée de Brouwer.
- Œuvre complète Saint Denis l'
Aéropagite
Éditions Aubier.
- Échelle sainte Saint Jean Climaque
Éditions de Bellefontaines.
- La création du monde Saint Grégoire de Nysse
Éditions du Cerf - collection Sources chrétiennes.
- De le déification de l'être humain Saint Grégoire Palamas
Éditions l' Age d'homme. 92
- Écrits spirituels Saint François d'
Assise
Éditions Franciscaine.
DERNIERE DE COUVERTURE
- Saint Séraphim de Sarov I Goraïnoff
Éditions Desclée de Brouwer.
- Théologie Mystique Vladimir Lossky
Éditions Aubier.
- Nous avons vu la vraie Lumière Père Placide Deseille Le Frère Jean, né en 1947, un ancien photographe-journaliste,
Éditions l'Age d'homme.
devint moine orthodoxe en 1980 au monastère de Saint Sabba, dans le désert
- Le mystère de la Trinité Père Boris Bobrinskoy
Éditions du Cerf . de Judée en Terre Sainte.
- Prière, expérience de l’éternité Archimandrite Sophrony Il fonde en 1993 la Fraternité Saint Martin qui regroupe des
Éditions Sel de la Terre. artistes chrétiens et en 1996 le Skite Sainte Foy dans les Cévennes. Le Skite
- La vie sociale des plantes Jean Marie Pelt Sainte Foy dépend canoniquement de l’archevêché russe en Europe
Éditions Fayard.
occidentale, dans l’obédience du patriarcat œcuménique de Constantinople.
- Au fond de mon jardin Jean Marie Pelt
Éditions Fayard. “Le Jardin de la foi” témoigne de son expérience d’ancien dans
- Le Recours à la terre Pierre Rabhi cette fondation, où il s’occupe du jardin et de la cuisine.
Éditions Terre du Ciel.
Il est l’auteur de :
- Hommes de Lumière, Éditions Mame - 1988 ( avec photos )
- Pèlerinage au Mont Athos, Éditions Jacqueline Renard - 1990 (avec photos
)
- Fils de lumière, Éditions Jacqueline Renard - 1991 ( avec photos )
- J’ai soif d’une eau de vie, Éditions Terre du Ciel - 1994
- L’amour en questions, Éditions Le Fennec - 1995
- Insaisissable fraternité, avec Alain Finkielkraut, Albert Jacquard …
- Éditions Dervy - 1998

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