Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Histoire de La Pédaggie

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 67

HISTOIRE DE LA PÉDAGOGIE

DU MÊME A U T E U R

CHEZ LE MÊME LIBRAIRE

Conseils sur le travail intellectuel. Préface de Mgr LAVALLÉE, rec-


t e u r des Facultés catholiques de Lyon. 2e édition ( 8 mille). Vol.
in-8° de près de 300 pages.

Manuel de pédagogie générale à l'usage des Écoles normales, des


candidats du Brevet supérieur et de tous les éducateurs. 2e édition.
Vol. grand in-16 de 265 pages, relié.

La discipline préventive et ses éléments essentiels. Vol. in-8° cou-


ronne de 200 pages.

Directions méthodologiques. Vol. grand in-16 de 342 pages, relié.

Manuel de psychologie appliquée à l'éducation, à l'usage des Écoles


normales et des candidats au Brevet supérieur, 8e édition. Vol.
grand in-16 de 312 pages, relié.

Pour tous renseignements complémentaires, consulter le catalogue


des ÉDITIONS EMMANUEL VITTE envoyé gratuîtement sur demande
adressée à Lyon, 3, place Bellecour.
L. R I B O U L E T
Diplômé d'Études supérieures de Philosophie et d'Histoire de l'éducation
Professeur à l'Institution N.-D. de Valbenoîte, à Saint-Étienne.

HISTOIRE
DE LA PÉDAGOGIE
PRÉFACE DE M. ANDRÉ BAUDRILLART
AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ

OUVRAGE COURONNÉ PAR L'ACADÉMIE FRANÇAISE

ONZIÈME MILLE

LIBRAIRIE CATHOLIQUE EMMANUEL VITTE


LYON ( I I P A R I S (VIe)
3, place Bellecour, 3 10, rue Jean-Bart, 10
19 4 1
N I L OBSTAT :
Auguste DESLOIRE
Canonicus censor.

IMPRIMATUR :
S Stephani, die 2a maii 1924.
STEPHANUS-I REN US
E p . Abyd., auxil.

D R O I T S D E T R A D U C T I O N E T D E R E P R O D U C T I O N R É S E R V É S P O U R TOUS L E S P A Y S

C O P Y R I G H T BY E M M A N U E L V I T T E
PREFACE

Le livre que l'on va lire est avant tout une histoire de la pédagogie, nom
un peu rerêche d'une science et d'un art. Science, puisqu'elle implique,
à tout le moins, la connaissance de la psychologie et même d'une partie
de la physiologie; art pour ce qu'elle comporte d'adaptation, de souplesse,
de savoir faire, et aussi de dons naturels. Les principaux systèmes,
et ils sont légion, qui se sont fait jour presque depuis les origines histo-
riques, sont donc ici analysés et appréciés successivement, leurs appli-
cations exposées et jugées. Mais c'est aussi un livre de principes et
l'auteur n ' a pas hésité à soutenir les siens ayec une genéreuse fermeté,
a les affirmer avec une loyauté à laquelle les adversaires mêmes de sa
pensée rendront certainement hommage. C'est que la pédagogie n'est
pas une science abstraite. Elle opère sur la matière vivante et sur ce qu'il
y a de plus essentiel et de plus precieux dans la nature humaine, l'âme,
dont elle assure la formation.

Croyez-vous en Dieu? E n l'âme immortelle? Admettez-vous la Révé-


lation et que Jésus-Christ est venu sur la terre pour le salut des hommes?
Il est clair que suivant les réponses affirmatives ou négatives que vous
apporterez à ces questions, le but suprême de l'éducation, tout son fond,
en sera modifié. Dans le premier cas, puisque la vie actuelle n'est qu' une
préparation, une épreure d'où dépend le sort de l'homme dans la vie
éternelle, le premier souci de l'éducateur sera d'asseoir sur des bases
solides les rapports de l'homme avec le Divin, de donner a la vie morale
le pas sur la vie intellectuelle, de faire de celle-ci la servante et l'appui
de la vie spirituelle. On ne procedera pas de même si l'on croit que l'en-
fant fait son entrée dans le monde avec la tare du péché originel ou si,
avec Rousseau, on estime que la nature l'a fait naître bon. On se mefiera
de l'ingérence de l' État qui peut être impartiale ou même favorable à la
formation religieuse de l'enfance, mais aussi tout le contraire, diverse
suivant les temps et les lieux, en tout cas sujette à de redoutables varia-
tions. Qu'on aille a u fond des choses, on constatera que les plus essen-
tielles divergences que présentent les systèmes d'éducation procèdent
de cette conception première, et non seulement des antagonismes décisifs,
mais des nuances mêmes qui distinguent les familles religieuses et les
écoles philosophiques. I l faut donc prendre parti.
L'auteur s'en tient nettement aux principes catholiques. On le louera
toutefois d'avoir su demeurer un juge impartial et de n'avoir pas hésité
à donner sa pleine approbation à ce qu'il a rencontré de sage et d'utile
dans les écrits des rationalistes, des protestants et même des ennemis
declares des verités dont il s'est fait le ferme champion.
Pleinement d'accord avec lui quant aux principes, peut-être ferais-je
quelques réserves dans l'application. I l y a trop de contingences dont il
faut bien tenir compte. C'est malheureusement un fait que dans les
sociétés modernes l'unité de pensée dont a joui presque unanimement
le Moyen Age, par exemple, a été rompue. La division des opinions,
l'opposition des croyances, creent une situation extraordinairement
difficile. D'autre part, les nations, beaucoup plus nombreuses, beaucoup
plus actives que jadis, sont devenues de formidables machines dont tous
les rouages sont solidaires, dont les organes doivent être reglés, surveillés,
entretenus, assurés dans leur fonctionnement, sous peine des plus dange-
reuses perturbations. Dans ces conditions, et surtout dans notre vieille
Europe et particulièrement chez les peuples latins, il semble difficile de
nier que l'instruction publique ne soit un des premiers devoirs de l' État.
Pour les études supérieures la question ne paraît pas douteuse. Certes,
nous ne méconnaissons ni le vaillant effort de nos Universités catho-
liques, ni les résultats obtenus. Une foule de travaux utiles, quelques
découvertes mémorables sorties de leurs laboratoires, sont des titres assez
honorables à l'estime publique pour que leurs adversaires eux-mêmes
n'osent plus guère contester la valeur de leur action scientifique. Elles
assurent un certain nombre d'enseignements qui ne trouvent pas leur
place dans les Facultés de l'État. Ainsi fortifiées a leur base, elles four-
nissent aux jeunes clercs désireux de s'initier aux études superieures un
cadre approprié à leur vocation et procurent à l'enseignement secondaire
libre un recrutement solide et régulier. Ces considérations entre plusieurs
autres, démontrent assez leur rôle bienfaisant et nécessaire. Mais enfin
les ressources comme la clientèle des Unirersités catholiques sont forcé-
ment limitées. Chez nous, de notre temps, en tenant compte de notre
économie et de nos mœurs, les progrès de la science et sa diffusion ne
sauraient être livrés au hasard de l'initiative privée. Seul l' État peut
répartir cet enseignement suivant les besoins sur toutes les parties du
territoire, seul il est assez riche pour le subventionner. L'expérience le
démontre. Les mêmes motifs, à notre sens et à des degrés divers, valent
pour l'enseignement secondaire et pour l'enseignement primaire. La
contre-partie, ce devrait être, d'une part, la largeur d'esprit dans cet
enseignement officiel qui doit respecter toute forme respectable et serieuse
de la pensée et, par conséquent, reconnaître les droits de la pensée reli-
gieuse, d'autre part la bienveillance la plus large accordée a l'enseigne-
ment libre a tous ses degrés. Cette largeur d'esprit n'a pas, je crois, subi
trop d'atteintes dans les deux premiers ordres d'enseignement. Les
Unirersités de l ' É t a t ont compté et comptent encore d'éminents repre-
sentants de la doctrine catholique, et l'on sait que plusieurs parmi les
plus éminents defenseurs de l' Eglise et de la liberté d'enseignement
ont reçu la formation universitaire. C'est qu' ici le morceau était trop
dur pour être enlevé par les politiciens. L'individualisme est irréductible
dans l'Université. Cette disposition ne va pas sans inconvenients,
je le reconnais. Il est certain que l'enseignement gagnerait en cohésion si
l'entente était plus étroite entre les professeurs d'une même classe. On
éviterait notamment la surcharge et on obtiendrait tout au moins une
meilleure répartition du travail hors de la classe. Les tentatives faites
en ce sens jusqu'à ce jour n'ont été malheureusement ni suivies ni per-
sévérantes, bien que conformes aux Instructions. La faute en est au
peu de bonne volonté des professeurs a cet égard et au manque de fermeté
des chefs d'établissements. Pourquoi le dévouement si reel des maîtres
de l' Université, leur sentiment généralement si scrupuleux du devoir
professionnel, est-il incapable de leur imposer ce leger sacrifice ? Quoi
qu'il en soit, l'individualisme a du moins cet avantage qu'il a jusqu'à
présent sauvegardé l' indépendance de la pensée. E n outre, habitués au
maniement et à la lutte des idées, la plupart des maîtres savent garder
le respect de l'opinion d'autrui et ont assez de tact pour n'en offenser
aucune. Quant a l'enseignement primaire, nul n'ignore ce qu'il en est,
et le motif n'est pas a l'honneur des dirigeants sectaires : c'est qu'ils
ont affaire à une clientèle sans défense et à un personnel mal préparé
à la critique des idées que leur impose une formation autoritaire et
dogmatique. Ici plus que partout ailleurs, c'est pour la liberté que nous
devons lutter, et il n y aura ni liberté complète, ni égalité vraie, tant que
le père de famille qui à l'enseignement officiel prefère l'enseignement libre
devra payer deux fois, une fois comme contribuable pour l'école officielle,
une autre fois pour soutenir l'école libre. Nous sommes absolument
d'accord avec l'auteur de ce livre, celle-ci doit recevoir sa part propor-
tionnelle des deniers publics.
Les questions pédagogiques sont plus que jamais à l'ordre du jour.
Celle de l'école unique, surgie tout récemment, est une des plus graves.
Il y aurait tant a dire que nous ne saurions en traiter ici avec le déve-
loppement qu'elle comporte. Certes, et tout le monde est d'accord sur ce
point, il est désirable que les sujets d'avenir soient le plus assurés possible
de passer, si leurs parents le désirent, de l'enseignement primaire au
secondaire, puis au supérieur. Mais les moyens leur font-ils tant défaut
dans l'état actuel ? Ils seraient plus efficaces si l'attribution des bourses
échappait au favoritisme. Les garanties actuelles sont insuffisantes
et nos classes comptent des boursiers venus de l'enseignement primaire
incapables ou indignes qui occupent une place qui devrait appartenir
à de plus méritants. Les boursiers, il est vrai, peuvent être rayés sur
l'avis des assemblées de professeurs, mais on comprend aisément que
celles-ci ne recourent à une mesure si grave et si compromettante pour
celui qui en est l'objet, qu'à la dernière extrémité. Encore le dernier mot
appartient-il à l'administration centrale vers laquelle des influences
extérieures concentrent leur effort.
Si large et si liberal que l'on suppose le régime de l'école unique, lequel
a d'ailleurs beaucoup de chances de se tourner en brimade et en tyrannie,
serait-il sage et démocratique de découronner la culture et l'artisanat
de la fleur des intelligences à l'école primaire ? Pour quelques réussites
que de dėclassements ! Que de candidatures au petit fonctionnarisme,
que de forces perdues contre quelques gains ! Quelle armée de ratés et de
mecontents on préparerait ! Sans parler des jalousies et discussions de
familles entraînées par l'inégalité de traitement de ses membres. Donc
le sort de tous les jeunes Français, quelle que soit leur origine, se décidera
vers l'âge de douze ou treize ans. Est-ce à cet âge que l'on peut discerner .
à coup sûr l'avenir d'un enfant? Un développement tardif est loin de
préjuger une irrémédiable inaptitude. Tel entre à Polytechnique qui, à
quatorze ans, ne comprenait rien aux mathématiques ; et que de fois
nous avons vu des élèves un peu lents ou retardés par leur santé, prendre
leur essor en troisième ou en seconde, tandis que des enfants précoces
après d'étonnants débuts trouvaient leur limite vers ces mêmes classes
et même plus tôt. Ce dernier cas sera inévitablement celui de nombre
d'enfants précoces venus des écoles primaires. C'est que les qualitês
nécessaires pour y réussir ou pour briller dans les classes élémentaires
ne sont pas du tout les mêmes que pour faire de bonnes humanités ou
des études scientifiques poussées un peu loin. Pourquoi donner le même
enseignement à des enfants qui attendent tout de l'école et a ceux que leur
vie de famille imprègne chaque jour d'une formation morale et intellec-
tuelle autrement pénétrante que celle de l'école ? Les besoins ne sont pas
les memes. C'est là une manifestation de cet esprit de fausse égalité,
toute d'apparence et de surface, à base de jalousie, qui empoisonne nos
mœurs et passe dans nos institutions. Il y aurait bien autre chose a dire,
passons.
On se plaint de l'abaissement des études. Plus d'une cause y contribue,
en particulier deux défauts du plan d'études actuel. Il embrasse trop et
manque de souplesse. La surcharge, tout le monde en tombe d'accord.
On prétend trop faire apprendre à l'élève pour qu'il apprenne bien.
L'enfant consciencieux, vraiment laborieux, à moins d'être doué d'une
mémoire et d'une facilité exceptionnelles, se tue a la tâche. Nous l'écra-
sons pour le plus grand dommage de son équilibre intellectuel et physio-
logique. Quant aux autres, ils savent se garer eux-mêmes contre le sur-
menage, mais alors que vaut pour eux le plan d'études ? Le manque de
souplesse! Ici je n'ignore pas que je risque d'offusquer les esprits
amis d'une belle ordonnance. Et pourtant! L'auteur rappelle fort a
propos le mot si juste d'un Oratorien : « On ne saurait réussir dans les
sciences pour lesquelles on ne sent aucun attrait. » Ce qu'un enfant ne
fait qu'avec un dégoût marqué et persistant ne saurait lui être profitable.
Si décidément on constate ces deux conditions pourquoi exiger de l'èlève
un effort qui ne peut lui être profitable et qui même lui est nuisible
puisqu'il le fatigue et l'empêche de se consacrer à des études qui, elles,
lui sont profitables ? Pourquoi persévérer à faire apprendre le latin
ou le grec a un élève qui, au bout de deux ou trois ans, ne comprend rien
aux versions et a qui le thème ne procure que des habitudes déplorables
de négligence et d' incorrection ? Et les sacro-saintes mathématiques?
II est avéré que dans les petites classes la tyrannie des problèmes est un
abominable fléau. Sur dix enfants, huit s'y abrutissent et s'ils remettent
des copies présentables, c'est que toute la famille s'y est attelée, grande
sœur qui prepare son brevet, père qui rentre fatigué au foyer pour se
voir aussitôt convoqué a cet attrayant travail supplémentaire et ne réussit
pas toujours à le mener à bonne fin, fut-il polytechnicien. Ceci rfest
pas une invention. Plus tard c'est autre chose..Je ne voudrais contrister
personne, mais il faut bien le dire, un défaut assez répandu parmi les
professeurs de mathématiques est de ne pas comprendre qu'on ne com-
prenne pas. Comme ils ont naturellement l'esprit de géometrie et que,
p a r suite, la démonstration géometrique leur apparaît avec la clarte de
l'évidence, ils ne conçoivent pas que cette clarté puisse être pour d'autres
clair obscur ou nuit profonde. Au fond on s'explique assez bien cette
illusion. Pourtant si forts soient-ils, eux-mêmes ont leur limite que
d'autres dépassent. Pour beaucoup d'esprits littéraires ou simplement
un peu courts, cette limite est tout près du point de départ. Cela ils
devraient s'en apercevoir. E t Pascal enfin n'a-t-il pas oppose l'esprit
de finesse a l'esprit de géométrie? E n tout état de cause, les programmes
sont prématurés. Bien des jeunes gens ne s'ouvrent aux mathématiques
que vers quinze ou seize ans.
Mais il y a les Écoles ! Maintes fois d' expérimentės professeurs de
mathématiques speciales nous ont dit : « Envoyez-nous de bons esprits
formes par de solides études littéraires, ils feront en deux ans ce qu'ils
auraient fait en trois et peut-être quatre. ». Quelle réponse plus autorisée !
Jusque-là donc que l'on rédige des programmes plus accessibles à la
majorité, que ces études si particulières soient divisėes non par classes.
mais par cours de force inégale. Quant à l'enfant tout à fait réfractaire
aux mathématiques, et il y en a, qu'on lui laisse la paix et qu'on lui
permette de se développer selon ses aptitudes. C'est tout le contraire que
nous faisons. Cet enfant est doue uniquement pour les lettres, pour les
arts, vite, qu'on lui donne d e s leçons de mathématiques ; et inversement
s'il s'annonce bon géomètre et déplorable latiniste, vite, qu'il prenne des
répétitions de latin. E t je ne dis pas que l'aventure ne vaille jamais la
peine d'être tentée, mais si l'on n'obtient rien, perseverare diabolicum.
Mais c'est qu'il y a l e baccalauréat ? Mon Dieu, on dit beaucoup de mal
du baccaiaureat, et certes il prête a la critique. Il a du moins un avantage
qui est d'etre un stimulant. Mais il ne devrait pas être un obstacle au
juste développement de l'élève dans le sens de ses facultés. I l suffirait
pour cela de pratiquer largement le système des notes compensatoires.
Or, c'est l'élimination qui l'emporte et le dernier Congrès de l'Ensei-
gnement secondaire, chacun plaidant pro domo, demandait à le ren-
forcer encore. Je vois bien ce que l'on peut objecter à ce qui précède,
mais quoi, rien n'est parfait en ce monde, et il semble bien, de par les
résultats actuels, que de tous les inconvénients nous ayons choisi les pires.
D'ailleurs beaucoup d'élèves de l'enseignement secondaire, surtout dans
les classes sans latin, seraient bien mieux à leur place dans le primaire
supérieur. Ils y trouveraient des programmes, des méthodes, et je le dis
par expérience personnelle, bien que ce ne soit pas à ma gloire, des
maîtres bien mieux adaptés à leur tournure d'esprit et à leurs besoins.
A l'école primaire, trop d'ambition dans les programmes et trop d'uni-
formité. Les études primaires ne doivent pas être un médiocre raccourci
des secondaires. Si tant de conscrits prouvent aux examens régimentaires
qu'ils ont tout oublié ou n'ont jamais rien compris, c'est qu'on a bourré
leurs cerveaux d'une foule de notions mal digérées, au-dessus de leur
portée d'enfants incultes. Et est-il d'une saine pedagogie que les mêmes
programmes s'appliquent aux enfants de la grande ville et a ceux de la
campagne, à celui qui garde les vaches dans l'intervalle des classes
et au fils de l'artisan ou de l'ouvrier urbain qui voit et entend chaque
jour une foule de choses, bonnes ou mauvaises, mais dont l'esprit est
souvent singulièrement éveillé? N i les besoins ne sont les mêmes, ni les
capacités.
Un mot pour finir sur une question délicate mais fort importante, les
relations entre les familles et les maîtres. « Que du maître de son fils,
écrivait le sage Quintilien, le père se fasse un ami. » Quelle vérité en
peu de mots, et combien méconnue! Certes, la chose existe, et pour l'un
et l'autre, c'est une grande aide, un grand réconfort, pour l'enfant un
grand bienfait. Mais la plupart du temps ! Les familles confient l'enfant
a l'école ou au collège, puis se retirent, la conscience satisfaite, persuadées
qu'elles ont accompli tout leur devoir. E n fait elles s'en sont débarrassées.
Cependant il n'est de complète éducation que par la collaboration de la
famille et des maîtres, truisme que l'on ne devrait pas avoir besoin de
répéter. Il est difficile au maître charge d'une classe nombreuse de con-
naître bien tous ses élèves, surtout de les connaître vite. Les apparences
peuvent l'égarer. Certains lui échappent toujours. Quelques minutes de
conversation peuvent l'éclairer mieux que des mois d une observation
sans cesse distraite par d' autres soins. De son côté le maître peut attirer
discrètement l'attention des parents sur les inconvénients de certaines
manières d'être vis-à-vis de leurs enfants, trop d'exigence et de rudesse,
et bien plus ordinairement une complaisance aveugle. Certains enfants
ont besoin d'être ménagés, d'autres stimulés sans scrupule. Si le devoir
des parents est d'établir des relations avec le maître, le devoir de celui-ci
est de les leur faciliter. Il y a des parents qui n'osent pas, soit par une
sorte de timidité vis-à-vis du maître, héritée de leur enfance, soit par
méfiance d'eux-mêmes, soit par une discrétion mal comprise. Qu'ils
sachent bien qu'entre l'abstention et l'abus possible, le bon éducateur
préférera toujours le second inconvénient.
Au lieu de ces utiles et cordiales relations quelle chose singulière que
l'attitude de certains parents vis-à-vis des maîtres ! On leur confie ses
enfants et l'on se méfie d'eux. On est toujours prêt à soupçonner leur
conscience, leur impartialité, leur zèle. Entre la parole du maître et
les dires intéressés d'un enfant paresseux ou dissipé, ou que l'on sait
menteur, on n'hésite pas. C'est toujours l'enfant qui a raison. Et la
table de famille? Avec quel malin plaisir, père, mère, frères et sœurs,
ne regardent-ils pas l'écolier singer le maître, ne l'écoutent-ils pas
raconter avec verve et abondance les bons tours de ses camarades et les
siens? Heureux quand le père, tout ragaillardi par le récit de prouesses
qui lui rappellent les beaux jours de son enfance, ne se met pas de la
partie en racontant les siennes. Encore les pères ont-ils souvent la sagesse
d'être assez réservés sur ce chapitre, mais les oncles! Et la mère et la
grande sœur sourient complaisamment, bien qu'elles sentent que ce
n'est peut-être pas très orthodoxe. On est un peu fière au fond d'avoir
un fils, un petit frère, si vif, si spirituel, et il s'en aperçoit bien, le
coquin! Et puis quel Français ne rit à voir battre le commissaire? Et
tout cela ne vaut rien. E n revanche, malheur au professeur qui aura
laisse échapper quelque parole trop vive, et surtout si pour son dam il est
tombe à côté. Une lettre pointue, si elle n'est pas franchement désobli-
geante, aura tôt fait de le rappeler à l'ordre. Et bien entendu, l'indigna-
tion se sera manifestée d'abord en présence de l'enfant. I l y a pire parfois.
Un recteur d' Académie nous disait un j o u r : « Sachez, Messieurs,
qu'il n'y a pas u n seul d'entre vous, vous entendez, pas un seul, contre
lequel je n'aie reçu des lettres anonymes. » Naïfs éducateurs, fiez-vous
donc à la parole préliminaire et fallacieuse: « Chez nous, Monsieur,
devant l'enfant, c'est toujours le professeur qui a raison! » De la recon-
naissance, les maîtres n'en demandent pas. Peut-être serait-il juste que
les mêmes plumes si promptes à les reprendre s'employassent parfois
a les remercier. Telle n'est pas la coutume. « Le jour de la rentrée, disait
un vieux professeur, je ne sais où donner de la tête. Les parents m'en-
tourent, me flattent, m'accablent de recommandations. Le jour de la
sortie, il n'y a pas encombrement pour me remercier. Je puis m'en aller
bien tranquillement! » Bien exceptionnel est le propos d'une mère de
famille qui vint un jour me trouver pour me dire: « Monsieur, vous ne
passez rien a mon fils, vous le suivez et le serrez de près. Je viens vous en
remercier, car je sais combien il vous serait plus facile de tout laisser
aller et de ne pas vous occuper d'un élève qui vous donne si peu de satis-
faction. » Rara avis. E h bien, tout cela est déplorable, et au fond les
parents le savent bien, mais quoi, la faiblesse l'emporte. « Mes petits
sont mignons. » Heureusement pour lui le professeur est soutenu par son
idéal supérieur. Mais combien la tâche serait plus aisée, combien il lui
serait plus facile de se faire respecter et par suite aimer si les parents
collaboraient avec lui pour le plus grand bien de leurs enfants. « Com-
ment leur ferais-je du bien, disait tristement a Rollin un régent de
collège, ils ne m'aiment pas ! » L'affection, c'est la moitié de toute péda-
gogie; l'auteur de ce livre excellent et qui n'avait pas besoin de préface
pour se faire apprécier, ne me contredira pas, j'en suis sûr. Père de
famille, du maître de ton fils, fais-toi un ami.
Andrė BAUDRILLART.
INTRODUCTION

L'etude des doctrines pedagogiques est un element indispensable de la


formation des educateurs. Elle leur donne des idees generales sur les ques-
tions essentielles de l'éducation, leur fait connaître le developpement des
institutions scolaires, l'évolution des methodes et la valeur des ouvrages
qu'ils a u r o n t a consulter plus t a r d . .
L a science de l'éducation n'est pas une science a priori. La génération
spontanee n'existe pas plus dans le monde intellectuel que dans le monde
physique. T o u t progrès suppose une tradition, car il a u n point de depart,
et ce point de d e p a r t est necessairement dans le passe. La pedagogie actuelle
s'est constituee l e n t e m e n t des idees, des experiences, des systèmes, qui
ont paru, a travers les siècles et chez les differentes nations civilisees, les
plus propres a a t t e i n d r e le b u t que l'on se proposait en elevant la jeunesse.
Elle est donc i n t i m e m e n t liee a l'histoire de l'education. Toutes deux ont le
même domaine ; elles se complètent et se contrôlent mutuellement. « L'etude
historique ne nous dispense pas d'avoir une doctrine, dit M. Rousselot ;
mais agissant comme un s t i m u l a n t et comme un guide, elle nous aide a nous
en faire une, et nous fournit des termes de comparaison pour éprouver celle
que nous nous sommes faite. »
L'histoire de la pedagogie, outre l'intérêt qu'elle presente a t o u t esprit
cultive, nous révèle l'origine, l'evolution, le perfectionnement incessant des
methodes ; elle fait connaître l ' a p p o r t de chaque siècle dans les progrès de
l'enseignement, l'influence des evenements historiques sur la fondation des
ecoles ; elle juge au nom de la morale et d'une saine psychologie les idees
des classiques de la pedagogie ; enfin elle recueille les verites durables dont
l'ensemble constitue les elements d'une theorie sinon definitive de l'educa-
tion, du moins arrêtée dans ses grandes lignes.
La connaissance des doctrines pedagogiques a pour effet de maintenir
plus eleve l'ideal des maitres, de leur ouvrir des horizons plus vastes, de les
preserver de la routine et de les tenir en garde contre une presomption et
une suffisance qui leur seraient funestes. S'il a fallu de longs siècles pour
formuler u n principe, en saisir toute l ' i m p o r t a n c e , en faire de judicieuses
applications, combien téméraire serait l'éducateur qui voudrait se contenter
de ses propres lumières et de son expérience personnelle ! II est facile de
le constater : les progrès dans l ' a r t d'enseigner ne se realisent que par l'in-
troduction dans l'ecole des principes et des lois qui decoulent de l'étude
a t t e n t i v e des grands écrivains pédagogiques. L a pratique, il est vrai, a pre-
cédé la theorie ; mais la theorie reagit sur la routine et contrôle les donnees
de l'expérience.
L'histoire de la pédagogie nous fait connaître les plus belles pages des
grands éducateurs. Quel profit ne retirons-nous pas de cette etude lorsqu'elle
nous met en relation avec d'immortels genies, comme Platon, saint Augus-
tin, Descartes, Fenelon, avec d'illustres bienfaiteurs de la jeunesse, tels que
Gerson, saint Pierre Fourier, saint J.-B. de la Salle, Pestalozzi, le P. Girard,
le Vén. Champagnat, Mgr Dupanloup, Don Bosco ! Est-il rien d ' a t t a c h a n t
comme le recit de leurs t r a v a u x , de leurs peines, des epreuves sans nombre
qui les assaillirent sans jamais ebranler leur constance ? Leurs nobles
exemples sont bien de n a t u r e a fortifier les cœurs et les volontes qui se sen-
tiraient faiblir dans un labeur toujours penible et souvent ingrat. Leur vie
est « excitatrice au bien » et la plus belle page qu'ils aient laissee est celle
de leur sublime d e v o u e m e n t a l'apostolat de l'enfance.
L a connaissance des chimères et des erreurs pédagogiques n'est pas non
plus sans profit. Ce sont, comme on l ' a dit, des experiences manquées qui
c o n t r i b u e n t au progrès des methodes en nous premunissant contre des
ecueils qu'il convient d'eviter. Ainsi cette etude avive l'esprit critique en
h a b i t u a n t les maîtres a n'accepter les theories q u ' a u t a n t qu'elles ont reçu
la sanction d u temps et de l'experience.
Dans cet ouvrage, nous étudions successivement l'antiquité, les premiers
siècles du christianisme, le moyen age, la Renaissance et les temps modernes,
en s u i v a n t le developpement des institutions scolaires et en d e m a n d a n t a u x
maîtres eminents de chaque epoque c o m m e n t ils ont conçu le problème de
l'éducation. Ainsi, nous unissons c o n s t a m m e n t l'histoire des institutions a
l'analyse des doctrines ; agir a u t r e m e n t , ce serait isoler des idees et des faits
qui, d a n s la réalité, ne furent jamais separes.
Les doctrines et les systèmes ne valent q u ' a u t a n t qu'ils se preoccupent de
la formation integrale de l'enfant. L'éducation change de caractère, elle
est incomplete et superficielle lorsqu'elle n'est pas basee sur des croyances.
L a religion est, dans la famille et dans l'ecole, un element indispensable
On le p r o u v e r a i t en c o n s t a t a n t les tristes resultats de l'école pretendue
neutre, en écoutant les plaintes déchirantes des victimes du doute, des
ames angoissees par « le t o u r m e n t de l'infini». Elle seule révèle a l'enfant sa
grandeur et ses immortelles destinées ; elle seule peut lui donner la victoire
sur ses instincts mauvais ; elle seule peut le consoler dans les epreuves et
les souffrances de la vie.
L ' e x a m e n des idees philosophiques n'est pas moins i m p o r t a n t : dans
chaque siècle, l'education est l'écho de la philosophie dominante. Derrière
le Ratio studiorum et la Compagnie de Jesus, a-t-on dit, derrière l'Émile de
J . - J . Rousseau, a p p a r a î t toute une philosophie. II existe donc des relations
très etroites entre la philosophie et la pédagogie : d'une doctrine mate-
rialiste, par exemple, il est difficile de deduire des principes d'education reli-
gieuse. Voilà pourquoi il est necessaire de connaître les bases sur lesquelles
certains educateurs ont édifié leurs systèmes, afin de ne pas se laisser éblouir
par les aspects brillants que presentent leurs conceptions.
L'influence de la famille est un facteur qu'il ne faut pas negliger non plus.
La famille est la cellule de la societe. Elle est, pour l'enfant, l'école par
excellence. Son intelligence, son cœur, sa volonte, y reçoivent des empreintes
qui ne s'effacent jamais. C'est au foyer qu'il puise des principes religieux,
qu'il commence a l u t t e r contre ses mauvais instincts et a pratiquer les vertus
qui sont a la racine de toute organisation domestique et sociale, sympathie,
affection, gratitude, respect, obeissance, esprit de sacrifice, devouement au
bien commun. L'education, dans la famille, varie suivant les convictions des
parents et l ' a u t o r i t é qui leur est donnee par la coutume et les lois. Le rôle
de la mère s u r t o u t est d'une i m p o r t a n c e extrême : t o u t ce qui t e n d r a i t a le
rendre moins efficace nuirait a l'education de l'enfant.
Le milieu social complète l'éducation familiale. Les conversations, les
lectures, les evenements de la vie materielle, intellectuelle, morale et reli-
gieuse, modifient les idees, les sentiments, le caractère de l'enfant. II n'est
pas j u s q u ' a u sol et au climat qui ne contribuent, dans une mesure variable,
a la formation de son individualite.
Est-il necessaire d ' a j o u t e r que ce volume est une œuvre de bonne foi et
d'impartialité? II n'est plus permis de negliger de parti pris certaines
periodes de l'histoire de l'éducation et certaines categories d'educateurs.
Nous croyons a bon escient, par exemple, que les premiers siècles du chris-
tianisme p r e s e n t e n t quelque intérêt au point de vue des ecoles, et que le
moyen age n'est point « une epoque veritablement pauvre au point de vue
pedagogique ». Tous les devouements, quelles que soient les croyances qui
les inspirent, m e r i t e n t notre admiration, et nous cherchons loyalement dans
tous les systèmes la p a r t de verite qu'ils renferment. On ne sera donc pas
surpris de nous voir glorifier les siècles de foi, donner de justes eloges a u x
bienfaiteurs chretiens de l'enfance et rendre justice a l'Église catholique,
« lumière des nations », et «institutrice des peuples » depuis vingt siècles.
On laisse ignorer parfois le merite qui lui revient dans la fondation des
ecoles et les progrès de l'enseignement. Cependant les t r a v a u x des histo-
riens les plus éminents d e m o n t r c n t clairement qu'elle a été depuis les pre-
miers siècles, la principalc, et à certaines époques, la seule gardienne et
dispensatrice des connaissances humaines.
Nous dedions specialement ce livre a u x p a r e n t s et a u x maîtres. Puisse-t-il
leur donner une idee plus h a u t e de leur tâche noble entre toutes ! C'est notre
plus cher désir. E t si les exemples de d e v o u e m e n t a l'enfance qu'ils y trou-
veront les p o r t e n t à u n accomplissement plus parfait de leurs devoirs d ' e t a t ,
ce sera notre plus douce recompense.
HISTOIRE DE LA PÉDAGOGIE

L'Antiquité

CHAPITRE PREMIER

ÉDUCATION DES P E U P L E S NON CIVILISES

L'éducation se presente, chez les peuples non civilisés, sous sa


forme la plus simple : pas d'écoles proprement dites, aucun programme
d'etudes ; la seule méthode employée est une imitation servile. La
formation de la jeunesse est instinctive, routinière et circonscrite
aux seules choses qui ont pour objet la satisfaction des necessités
matérielles : nourriture, vêtement, abri. Sons la direction des parents,
l'enfant s'initie peu a peu aux différentes occupations de la t r i b u
soins du menage, fabrication d'ustensiles, tissage de diverses étoffes,
pêche, chasse, maniement des armes, garde des troupeaux, travaux
agricoles. Toutefois cette manière de procéder implique une sorte
d'éducation intellectuelle et même la culture de certaines qualités
morales. II est donc possible de dėgager de cette formation rudimen-
taire quelques traits de l'éducation telle que nous la concevons, c'est-à-
dire, s'occupant a la fois du corps, de l'intelligence et de l'âme.
Éducation physique. — Les sauvages laissent a leurs enfants
une grande liberté ; ceux-ci en profitent pour se livrer sans contrainte
a de joyeux ébats. Un de leurs jeux favoris consiste a mimer les
occupations de la vie adulte. Chez les tribus guerrières, ils fabriquent
des épées, des boucliers, des arcs et des flèches, simulent des embus-
cades et des combats ; chez les tribus plus pacifiques, ils imitent les
travaux qu'ils ont sous les yeux : tissage, construction de cabanes,
fabrication de poteries, t r a v a u x champêtres, pêche, chasse, cano-
tage. Ces amusements les preparent a la vie réelle ; ils contribuent
a leur formation intellectuelle en affinant leurs facultés d'observation
d'imagination et d'invention.
Éducation intellectuelle. — L'éducation intellectuelle est surtout
pratique ; elle a pour but de rendre l'enfant capable de pourvoir a
ses besoins et, plus tard, a ceux de sa famille.
Cette formation commence de bonne heure et varie selon le sexe
de l'enfant et la maniėre de vivre de la tribu. Si le jeune garçon doit
vivre de chasse et de pêche, on l'habitue d'abord a découvrir des
racines, des larves de fourmi et des vers : puis il s'exerce a tuer des
lézards ou autres petits animaux dont s'alimente la tribu. En même
temps qu'il se rend habile au maniement des armes, il apprend a
grimper avec agilité, a préparer et a placer les engins de pêche. II
suit a la trace les animaux sauvages et reconnaît aux indices les plus
légers la présence du gibier qu'il cherche.
S'il est destine aux t r a v a u x agricoles, il garde les troupeaux, aiguise
et polit les outils ; au m o m e n t de la maturité des grains il se rend dans
les champs pour effrayer les oiseaux. II devient très vite habile a toute
espèce de t r a v a u x manuels.
Les occupations de la jeune fille sont a peu près les mêmes partout :
elle apprend a dresser la hutte, a ramasser du bois ou des coquil-
lages comestibles, a tresser des nattes et des corbeilles, a préparer
de l'argile pour les poteries. Elle aide a faire les récoltes, vanne le
grain, l'écrase et le fait cuire.
L'école proprement dite n'existe pas chez ces peuples. Cependant
quelques grands villages possèdent une construction speciale où les
enfants se rendent en groupes. Chez les Borroros du Bresil, par
exemple, cette construction prend le nom de bahito, et les enfants
s'y réunissent pour apprendre a filer, tisser, fabriquer des armes et
chanter leurs melodies n a t i o n a l e s .
Cette éducation ne donne pas aux facultes une formation systé-
matique et rationnelle ; mais elle affine celles qui leur sont le plus
necessaires pour leur genre de vie. Les parents, obliges de lutter
contre toute espėce de dangers, comprennent instinctivement qu'ils
doivent exercer les sens de leurs enfants et leur donner une extrême
acuité. E t en effet, ce qui frappe au premier abord chez les sauvages,
c'est la finesse merveilleuse des perceptions sensorielles. Ils ont l'ouïe
d'une grande delicatesse ; leur vue est si exercee que certaines tribus
errantes peuvent reconnaître a l'aspect le nombre, l'âge et meme la
nation des personnes qui ont passé. Leur odorat peut rivaliser avec '
celui de leurs chiens.
Leur mémoire est prodigieuse. Le proprietaire d'un troupeau, en
voyant défiler ses animaux, très nombreux parfois, constate si le
troupeau est complet, indique et dépeint les têtes qui manquent.
Leur imagination est egalement très vive, ainsi que l'attestent leurs
discours, leurs chants de guerre, leurs paraboles et leurs contes. Leurs
facultés de reflexion atteignent parfois une puissance etonnante.

Éducation morale et religieuse. — Le sens moral des peuples


non civilisés est très émoussé, mais leur âme garde encore des em-
preintes de la loi naturelle. Leur conscience leur parle et impose a
leurs pensées et a leurs actes une certaine sanction. Ils comprennent
l'obligation qu'ils ont de transmettre a leurs descendants quelques
preceptes de savoir-vivre et de bonne conduite. Leurs recomman-
dations portent sur le culte des ancêtres, le respect des vieillards
et des parents, le sentiment d'honneur, la fidélité a la parole donnée,
l'obéissance aux autorités légitimes. Toutefois cette formation se
fait sans nulle contrainte : le sauvage croit que t o u t châtiment
corporel est dégradant et que l'âme de l'enfant trop grondé ou trop
b a t t u est mal a l'aise dans son corps et cherche a s'en séparer.
Les tribus guerrières ont toujours cultive avec soin le courage,
l'endurance, le mépris de la douleur et de la mort. Le P. Bressani
en cite des traits étonnants qu'il a constatés chez les Indiens de
l'Amérique du Nord : des enfants endurent la faim pendant huit ou
dix jours sans se plaindre ; de petits garçons s'attachent les bras
ensemble, placent u n charbon ardent sur leurs bras liés et luttent a
qui le supportera le plus longtemps ; ils se percent ou se font percer
la peau avec une aiguille, une alène affilée ou une pointe aiguё, et
tracent ainsi sur leur corps, d'une manière indélébile, un aigle, un
serpent, un dragon ou t o u t autre animal favori.
Chez de nombreuses peuplades, le passage de l'enfance a l'ado-
lescence est marqué par des rites particuliers qui ont le caractère
d'une formation morale. Les jeunes gens sont separes de la commu-
nauté et envoyés pour quelque temps, sous la conduite des vieillards
les plus respectables de la tribu, dans une residence speciale éloignée
du village. Au début ils accomplissent certaines ceremonies d'un
caractère purificatoire : jeunes, privations d'un certain genre de
nourriture, par exemple, de ce qu'ils regardent comme des friandises.
Puis viennent les rites de l'initiation. Ils comprennent invariablement
une représentation mimée de la mort et de la résurrection : desormais
ils sont morts a la vie irresponsable de leur enfance et doivent vivre
pour les devoirs plus graves qui vont leur incomber. On leur donne
un nom nouveau et on leur fait apprendre un discours ésotérique
connu seulement des initiés. Les jeunes gens sont soumis parfois, au
. cours de l'initiation, a des épreuves brutales et degoutantes : extrac-
tion de dents, tatouage, scarification, circoncision. Ces épreuves
p e r m e t t e n t de juger du courage des candidats. On estime beaucoup
ceux qui peuvent supporter les plus grandes souffrances avec la force
d'âme des Spartiates.
Les instructions qui leur sont donnees en même temps portent sur
les lois du mariage, les traditions sacrées de la tribu, les limites du
territoire, les précautions a prendre contre certains vices dégradants,
la fidélité au chef de la nation. Les « instructeurs » n'oublient pas
le côté matériel et pratique de la vie. Ils donnent a leurs auditeurs
des directions judicieuses sur la guerre, la chasse, la pêche, les arts
manuels ; ils les exhortent a se battre courageusement, à protéger
les faibles et a défendre les opprimés.
Les notions religieuses que les populations de civilisation inférieure
t r a n s m e t t e n t a leurs enfants sont presque toujours mêlées de croyances
superstitieuses, de pratiques bizarres, souvent immorales et cruelles.
Néanmoins, on y distingue, d'une manière plus ou moins nette, un
ensemble de préceptes, de pratiques, d'institutions, que l'on peut
raisonnablement considerer comme les éléments primaires de la reli-
gion. Mgr Le Roy résume ainsi ces données fondamentales :
« Distinction entre le monde visible et le monde invisible; senti-
m e n t de dépendance de l'homme par rapport a ce monde supérieur ;
croyance en un pouvoir suprême, organisateur et maître du monde,
en même temps que père des hommes ; croyance en des esprits indé-
pendants, les uns tutelaires, les autres hostiles ; croyance en l'âme
humaine distincte du corps et s'en separant a la mort ; croyance
en un monde de l'Au-delà, le monde des ames et des esprits ; sens
moral basé sur la distinction du bien et du mal ; sentiment de la
pudeur, de la justice, de la responsabilite, de la liberté, du devoir ;
reconnaissance explicite ou implicite de la conscience ; notion du
péché, avec sanction appliquee par l'autorité du monde invisible
ou de ses représentants ; organisation cultuelle : prière, offrande,
sacrifice, rites, cérémonies, symboles ; sacerdoce, d'abord repré-
senté par le chef de famille, puis par des anciens ou des prêtres ;
distinction entre le sacré et le profane, et affectant les personnes et
les lieux, les objets, les paroles ; établissement et organisation de la
famille comme centre social et religieux, cherchant a conserver la
pureté du sang, s'imposant des lois, se distinguant par des marques
spéciales, se fortifiant par des alliances (totems) et transmettant ses
traditions, n o t a m m e n t a l'occasion des principales phases de la vie :
naissance, adolescence, mariage, mort (1). »

Bibliographie (2). — A BROS, La Religion des peuples non civilisés (Paris, 1907). —
CHRISTUS, Manuel d'histoire des Religions, ch. I et II (Paris, 1912) — Cyclopedia of
education, art. Primitive peoples (New-York, 1911). — Dictionnaire apologétique, art.
Animisme, Fétichisme, Naturisme. — EASTMAN, Indian boyhood (New-York, 1902). —
Mgr LE ROY, La Religion des primitifs (Paris, 1909). — P. MONROE, A text-book in
the history of education, ch. I (New-York, 1906).

CHAPITRE II

L 'ÉDUCATION EN C H I N E

Aperçu historique. — Les Chinois se donnent des origines fabuleuses,


mais l'existence régulière de leur nation p a r a î t remonter vers l'an trois
mille a v a n t l'ère chrétienne. Les faits authentiques de leur histoire ne d a t e n t
que de trois siècles a v a n t notre ère. Le premier empereur célèbre fut Che-
wang-te (246-210) qui fit construire la « grande muraille ».
Depuis les t e m p s les plus reculés j u s q u ' a l'aurore du XX siècle, la forme
du gouvernement a été l'absolutisme. L'empereur, Fils du Ciel, était censé

(1) A l a r e c h e r c h e de l ' o r i g i n e des r e l i g i o n s , p. 2 1 - 2 2 . P a r i s , 1 9 2 2 .


(2) A l a s u i t e d e c h a q u e é t u d e i m p o r t a n t e , n o u s i n d i q u o n s q u e l q u e s o u v r a g e s o u l' o n
t r o u v e r a des d é v e l o p p e m e n t s i n t é r e s s a n t s . I n u t i l e d e dire q u e nous n e p r é t e n d o n s p a s
d o n n e r — ce q u i s e r a i t d ' a i l l e u r s i m p o s s i b l e — u n e b i b l i o g r a p h i e c o m p l è t e d u s u j e t . L e
D i c t i o n n a i r e e t le N o u v . D i c t i o n n a i r e de P é d a g o g i e s o n t c e u x d e M. B u i s s o n ; — l a Cyclo-
p e d i a e s t c e l l e q u i a p a r u e n c i n q v o l . s o u s l a d i r e c t i o n d e M. M o n r o ë , c h e z M a c m i l l a n ,
N e w - Y o r k (1911-1913).
p a r t i c i p e r d e la force d ' e n h a u t . N u l n ' a u r a i t osé examiner ou contredire ses
ordres consideres comme divins. A u j o u r d ' h u i la Chine est une republique
constitutionnelle.
Sous l'influence des idees occidentales, le peuple chinois, engourdi p e n d a n t
de longs siècles dans une demi-civilisation, semble a u j o u r d ' h u i entrer dans
la voie du progrès ; mais il ne se débarrasse qu'avec peine de son etroit for-
malisme.

CHINE. — Organisation d ' u n e classe dans l'ancienne education.

Religion. — Les Chinois professent s u r t o u t le confucianisme, le boud-


dhisme et le taoïsme.
Le confucianisme est la doctrine de Confucius (551-478). Ce philosophe
s ' a t t a c h a surtout, dans ses enseignements et dans ses écrits, a r e m e t t r e en
h o n n e u r la t r a d i t i o n . L a doctrine qui se degagerait le mieux de ses ouvrages,
dit Mgr E. Blanc, serait un vaste naturalisme panthéistique (1). Ses livres
f o r m e n t le code moral et politique de la Chine.
Le B o u d d h a (622-543), philosophe indou, est l ' a u t e u r du bouddhisme. Sa
doctrine c o m p r e n d l'éternité de la matière, la transmigration des ames, et
le nirvana ou anéantissement. II enseigne aussi que tous les hommes sont
frères et qu'on doit les t r a i t e r avec bonté, pitié, amour. Renoncement, vie
vertueuse, suppression de t o u t amour-propre, charité envers le prochain,
telles sont, d'aprės Bouddha, les vertus cardinales qui a t t i r e n t les béné-
dictions a l ' h u m a n i t é .

(1) D i c t i o n n a i r e de p h i l o s o p h i e a r t , C o n f u c i u s ,
Le taoïsme est la doctrine du Tao, livre capital de Lao-tseu, philosophe
contemporain de Confucius. Son enseignement se résume en une espèce de
panthéisme, et sa morale en la doctrine du non-agir. II veut que le peuple
vive dans le bien-être et la tranquillite, mais sans recevoir d'instruction,
afin d'echapper a u x désirs inquiets, inassouvis, qui en sont la suite.

CHINE. — École superieure de filles, a Canton.

L'education traditionnelle. — L'ancien système d'education exis-


t a i t plusieurs siècles avant notre ère et il n'a pas encore complètement
disparu. Cela nous permet de le décrire comme actuel.
La première éducation se fait dans la famille. Confucius dit au père :
« Eduque ton fils dès le bas age, apprends-lui a se mouvoir, à se tenir,
a parler, à se conduire en visite, à distinguer ce qu'il doit aux vieil-
lards et aux jeunes gens. A sept ans, enseigne-lui les caractères. T a n t
qu'il est petit, ne l'habitue pas a bien manger et a être bien vêtu ;
qu'il n'ait ni faim ni froid, cela suffit. »
On regarde l'éducation familiale comme très importante. La famille
est le noyau de l'organisation sociale ; si les parents donnent a l'en-
fant de bons principes, l ' É t a t t o u t entier en bénéficiera :« Si les affaires
de la maison sont bien réglées, celles de l ' É t a t le seront aussi, car
celles-ci reposent sur celles-là ; celui qui vénère ses parents vénérera
aussi le roi. »

Éducation scolaire. — L'enfant se rend a l'école vers l'âge de sept


ans. Les écoles sont nombreuses en Chine. Dans les grandes villes,
chaque quartier en possède une ou deux. Les élèves sont tenus
d'avoir pour le maître une grande veneration. Une maxime dit qu'on
doit révérer toute sa vie comme un père l'instituteur que l'on a
adopté : « Quand un élève accompagne son maître sur la route, il
ne doit pas le quitter pour parler avec une autre personne, il ne
doit pas non plus marcher sur ses pas, mais se tenir un peu a droite.
Quand son maître s'appuie sur ses epaules pour lui dire quelque chose
a l'oreille, il doit mettre sa main sur sa bouche pour ne pas l'incom-
moder de son haleine ; jamais il ne doit l'interrompre quand il lui
parle. »
La pièce principale du mobilier de la classe est la tablette de Confu-
cius ; l'élève la salue en entrant, se prosterne, offre le riz, l'encens,
des cierges pour les fêtes. Un siège et une table pour le maître com-
plètent l'ameublement. Les élèves fournissent t o u t ce qui leur est
nécessaire : table, chaise, livres, papier.
Cours d'études. — On peut distinguer, en Chine, les études élémen-
taires et les études supėrieures. Les etudes élémentaires ont lieu de
sept a douze ans. Elles ont pour b u t principal de conserver l'unité
de la nation, de maintenir les traditions ancestrales et de preparer
l'enfant aux devoirs de la vie. Pour arriver a ce résultat on emploie :
comme moyen, l'education religieuse qui fait connaitre le bien ; comme
application, les bonnes manières, qui expriment la rectitude du cæur
et le ceremonial, qui rend a chacun les honneurs qui lui sont dus.
L a science religieuse se puise dans les livres sacrés qui sont au
nombre de neuf : les quatre livres classiques et les cinq livres canoniques,
écrits ou collectionnes par Confucius et ses disciples, et dont l'en-
semble forme un code politique et moral universellement respecté
que tous les étudiants doivent apprendre par cœur.
Les Chinois attachent une grande importance a ce qu'ils appellent
les cinq corrélations communes a tous les hommes : rapports entre
souverain et sujets, parents et enfants, époux et epouse, frère et frère,
compagnon et compagnon. Ils s'imaginent, dit le P. Ricci, que dans
les pays étrangers on ne s'occupe pas de ces relations.
L ' e n f a r t est formé avec le plus grand soin a la politesse et aux bonnes
manières. Un des premiers livres qu'on lui met entre les mains est un
traite sur la Piété filiale, écrit sous forme de dialogue et contenant
les devoirs d'un enfant envers ses parents.
Le cours d'études élémentaires comprend, en outre, la lecture,
l'écriture et les éléments du calcul. On y ajoute la musique comme
un moyen d'introduire l'harmonie dans les ames. Les éléments de
lecture et d'ecriture sont appris en regard des objets dont on étudie
les signes ; on a ainsi la chose, le nom et le signe ecrit. Pour le calcul
on se sert du souan-pon, espèce de boulier-compteur. L'enfant est
soumis a trois sortes de t r a v a u x : exercices de mémoire, explication
de sentences, compositions élémentaires.
Les études supérieures ont pour b u t de former des lettrés ou des
aspirants aux fonctions de l'État. Le cours d'études est surtout litté-
raire : l'élève étudie les neuf livres sacres qui renferment toute la
philosophie orthodoxe et presque toute l'histoire ancienne de la Chine,
puis la litterature de certaines époques, surtout les poesies de la dynas-
tie des Tang, les odes de Li-Tai- Ko, dont la richesse équivaut, paraît-
il, a celles d'Horace ou d'Anacréon. Après cela il entreprend l'étude
des essais des maîtres anciens, puis l'histoire détaillée de la Chine,
et enfin la philosophie d a n s les commentateurs de Confucius et les
œuvres des philosophes qui occupent le premier rang parmi les pen-
seurs de l'empire. II doit acquerir aussi des notions sur les astres,
les mineraux, les fleurs, les animaux, et connaître les grandes lois
de la nature. A dix-huit ou dix-neuf ans, il est mur pour les examens.
Appréciation. — Ce genre d'éducation prête beaucoup a la critique.
On s'attache trop a la culture de la mémoire et l'on néglige les autres
facultés. Le travail est difficile, rebutant, sans agrément ; il est
obtenu par la crainte plutôt que par l'intérêt. La culture morale est éga-
lement insuffisante : rien ou à peu près pour la formation du caractère
et de la conscience. L'enfant est soumis a une passivité presque absolue
qui étouffe sa personnalité. L'etude exclusive de la litterature nationale
developpe un chauvinisme qui porte a mepriser ce qui est étranger.
Nouvelle éducation. — Depuis quelques annees les methodes euro-
péennes d'education se sont introduites en Chine, a l'imitation des

CHINE. — Une école missionnaire.

ecoles fondees par les missionnaires catholiques (Lazaristes, Société


des Missions étrangères, Jésuites, Frères Maristes, etc.) et les mis-
sionnaires protestants. E n 1898, l'empereur décréta la fondation
d'écoles moyennes et supérieures et organisa une universite sur le
modèles des universites d'Occident. Mais cette mesure déplut et le
novateur fut détrôné. L'université subsista cependant. E n 1902 elle
fut réunie au collège des Interprètes qui existait a Pékin depuis
quaraute ans. Elle s'ouvrit de nouveau en 1903. Un decret de 1904
la réorganisa en quatre sections : morale et philosophie, langues
etrangères, droit et sciences politiques, histoire et belles-lettres. Une
large p a r t est laissée aux chassiques chinois. Aujourd'hui chaque
province a son universite. L'enseignement se donne a l'européenne
dans un grand nombre d'ecoles secondaires et primaires. Les natio-
n a u x étrangers se soumettent au contrôle officiel.
Cette éducation nouvelle se preoccupe très peu de la formation
morale. La famille elle-même laisse a l'enfant une liberte trop grande.
Les professeurs sont convaincus, pour la plupart, de l'inanité des
religions, de la valeur exclusive des sciences empiriques, et imprégnés
des doctrines materialistes de Buchner et d'Haeckel ; ils avouent
que, pour eux, le b u t moral et religieux est secondaire et que le but
humanitaire et social l'emporte. Les Chinois qui ont fait leurs etudes
en Europe et en Amérique reviennent chez eux persuadés que la
religion a fait son temps et répètent dans les revues et les livres les
vieilles formules du positivisme : « La science remplace la religion !
L'humanité se substitue definitivement a Dieu ! »
Les élèves, au lieu de suivre leurs cours, font des conferences, orga-
nisent des manifestations ; les manuels sont imbus d'idees révolu-
tionnaires ; les livres de morale n'enseignent qu'un grossier mate-
rialisme (1). Une telle formation fait des déclassés, des viveurs ou
des révoltés. Seul le christianisme serait capable de réagir contre la
corruption des mœurs et de former des cœurs et des volontés ; mais il
n'a pas encore pénétré les masses.

Bibliographie. — BIOT, Essai sur l'instr. publ. en Chine (Paris, 1847). — M. COU-
RANT, Etudes sur l'éducation et la colonisation (Paris, 1904). — Cyclopedia of educa-
tion, art. China. — S. S. LAURIE, Historical survey of Pre-Christian education (Lon-
dres, 1907). — MARTIN, The Chinese, their education, philosophy and letters (New-
York, 1881). — Nouv. Diction. de pédagogie, art. Chine. — R. P. WIEGER, La Chine
moderne, 3 vol. (Paris, 1922).

(1) L . COIFFARD Notes s u r l ' e n s e i g n , n C h i n e . E n s e i g n e m e n t chrétien ( j u i n 1922).


CHAPITRE III

L' É D U C A T I O N A U J A P O N

Aperçu historique. — Le J a p o n se compose des cinq grandes îles de


H o n t o ou Nippon, de Sikoku, de Kiusa, de Yezo, de Formose et de quelques
autres îles moins étendues.
L a fondation de l'empire remonte, d'après les annales japonaises, au
septième siècle a v a n t notre ère. L ' e m p e r e u r exerça directement l'autorité
militaire j u s q u ' a u VII siècle où il la remit a un généralissime nommé sho-
gun. Au XVII siècle, la dignite de Shogun devint hereditaire, et l'empereur
n'exerça plus q u ' u n e autorite nominale ; les nobles furent réduits a l'état
de v a s s a u x sous le nom de daimios. Cette période de féodalité militaire a
dure j u s q u ' e n 1868. A cette époque l'empereur redevint souverain effectif.
Depuis lors le J a p o n a realise un progrès intellectuel et matériel « sans
exemple dans les annales de l ' h u m a n i t é ».
Religion. — Trois religions se p a r t a g e n t les croyances du peuple japonais :
le shintoïsme, le bouddhisme et le christianisme.
Le shintoïsme (shinto, voix des dieux) est la religion primitive des Japo-
nais. II consiste dans la vénération pour les dieux, c'est-à-dire, pour les
ancêtres de la maison imperiale, et dans certaines prières a u x dieux du
vent et d u feu, a la déesse de la nourriture et de la cuisine. II prescrit aussi
certaines purifications qui ont en vue les souillures corporelles plus que les
taches morales.
Le bouddhisme fut introduit au J a p o n au v i siècle de notre ère et adopté
peu a peu par la grande masse de la nation. Dès lors la ciyilisation japo-
naise suivit, u n développement t o u t a la fois parallèle et subordonné a celui
de la Chine. Toutes les obligations morales imposées par le bouddhisme se
r é s u m e n t dans les Gokai et les Gorin. Les Gokai sont les principaux com-
m a n d e m e n t s : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas s ' a b a n d o n n e r a la luxure,
ne pas mentir, ne prendre aucune boisson spiritueuse. Les Gorin sont les
cinq relations humaines des Chinois.
Le christianisme, longtemps persécuté, est a u j o u r d ' h u i toléré en vertu de
la liberté des cultes. Le judaïsme et le mahométisme ont très peu d'adhérents
au J a p o n .
A n c i e n n e é d u c a t i o n . — V e r s l ' a n 270 de n o t r e ère, u n l e t t r e chinois
v e n a n t de Corée a p p o r t a a u J a p o n l ' é c r i t u r e chinoise. J u s q u ' a c e t t e
époque la plupart des Japonais ignoraient l'art d'ecrire. Le roi
Mommu établit, en 701, une université a Tokio, ordonna la creation
d'écoles dans chaque province et promulgua des règlements relatifs
a l'éducation.
Le personnel de l'universite de Tokio se composait d'un surin-
tendant, d'un adjoint et des professeurs. A l'université se rattachaient
les écoles speciales de médecine, d'astrologie et de musique.
Les études commençaient entre treize et seize ans. Deux livres
etaient mis d'abord entre les mains des étudiants ; le Kokio, ou
Livre du devoir filial, et le Rongo, ou philosophie de Confucius. Ils
étudiaient ensuite les spécialités auxquelles ils se consacraient. Les
examens de fin d'études étaient présidés par le ministre des cérémo-
nies. Les candidats étaient groupés en categories d'après les specia-
lites qu'ils avaient étudiées : classiques chinois, sciences politiques,
jurisprudence, mathématiques, médecine, astronomie.
Chaque école de province avait un professeur choisi par les notables ;
si personne n'était capable de remplir cet office, on s'adressait au
ministre des cérémonies qui désignait le titulaire. On apprenait
d'abord a lire, puis a comprendre les caractères chinois, enfin on
lisait le Kokio et le Rongo. Les élèves qui desiraient lire plus de deux
livres classiques étaient transférés a l'université.
Pendant le shogunat, l'universite de Kioto qui avait disparu, fut
remplacée par le Collège de Confucius, a Yedo. Cet établissement
compta jusqu'a trois mille élèves. Les daïmios créèrent aussi des écoles
dans leurs provinces. Les marchands, les agriculteurs, les artisans quf
voulaient faire instruire leurs enfants les confiaient a des instituteurs
privés. Le nombre des Japonais qui recevaient une éducation élé-
mentaire etait considerable. On ne donnait aux femmes qu'une
instruction limitee ; quelques-unes cependant se distinguèrent par
leur érudition et leurs talents poetiques.

Nouvelle éducation. — Depuis 1868, l'éducation est organisée


au Japon selon les methodes occidentales. Elle est dirigee par un
ministre de l'instruction publique, d e s inspecteurs spéciaux pour
chaque genre d'enseignement et un conseil de l'instruction publique.
Les écoles de tous les degrés sont très nombreuses : écoles primaires
et primaires superieures, ecoles normales, écoles secondaires, uni-
versités (Tokio, Kioto, Sapporo) ; ecoles professionelles pour le
commerce, l'agriculture, le génie forestier, le génie civil ; écoles spé-
ciales de musique, d e langues étrangères, de medecine, de droit, de
lettres, etc.
Le Japon exerce une influence intellectuelle considérable sur tous
les peuples de l'Asie : Chinois, Indous, Coréens frequentent ses écoles
et ses universitês.

JAPON. — Cours de politesse : la cérémonie du thé.

Appréciation de la nouvelle éducation. — On fait a l'education


actuelle des Japonais quelques reproches. Le premier est d'avoir
detruit, sans les remplacer, les fondements des religions d'origine
chinoise. La legislation impose la neutralité absolue aux ecoles pri-
maires et secondaires. L'enseignement moral est basé uniquement
sur le culte de l'empereur et l'amour de la patrie. On remplit la tête
des enfants du recit des merveilleuses prouesses des ancêtres, mais on
neglige de leur parler des vertus ordinaires. Le resultat pratique, c'est
une jeunesse precoce et pretentieuse, affectant des airs pessimistes
et désenchantés. Le problème serait de trouver une morale qui put
satisfaire les ames : les systèmes proposes pèchent par la base. Le
christianisme seul donnerait satisfaction. De plus, les Japonais
acceptent difficilement le surnaturel ; ils a v o u e r t eux-mêmes avoir
l'âme « foncièrement agnostique ». Les conversions au protestantisme
n'ont pas plus d'importance « qu'un changement de vêtement ».
On reproche a la pédagogie japonaise d'être trop calquee sur celle
des peuples occidentaux ; il en est résulté des defauts considérables :
les livres sont souvent au-dessus de la portée des élèves, et les profes-
seurs s'attachent de préference aux passages les plus abstrus ; les
maitres emploient trop uniquement la forme expositive. Le contrôle
de l ' É t a t paraît excessif. Tout est si minutieusement prévu qu'il
n ' y a place pour aucune initiative personnelle. Les enfants ne rêvent
qu'a devenir fonctionnaires, et les educateurs cherchent trop a sauver
les apparences.
Le baron Aruske caractérise ainsi la nouvelle éducation : « La peda-
gogie japonaise est toute de façade, admirable sur le papier, en fait
« purement décorative ». Les étudiants sortent des universités vers
vingt-cinq ou vingt-huit ans, emportant une formation inutilisable.
Toutes leurs énergies se sont portees sur ce qui est moyen; mais la
fin, la vie réelle a été complètement négligée. En revanche, cette
jeunesse a la tête farcie de théories revolutionnaires qu'elle va propa-
geant dans le pays, « ce qui n'est pas sans causer de justes alarmes
aux bons esprits ».
Bibliographie. — CHRISTUS, Manuel des religions, ch. IV. — Cyclopedia of educa-
tion, art. Japan. — Etudes, n° du 20 mai 1914. — Aperçu général de l'éducation au
Japon (Tokio. 1905). — Nouv. Diction. de pédagogie, art. Japon. — Revue hebdoma-
daire, n° du 31 déc. 1910.

CHAPITRE IV

L'ÉDUCATION D E S INDOUS

Aperçu historique. — L'histoire ancienne de l ' I n d e est peu connue. Le


livre de Job fait allusion a u x richesses de cette contree, et l'on prend quel-
quefois pour l'Inde le pays d'Ophir, ou Salomon, de concert avec les Phé-
niciens, envoyait des flottes. Ce pays n'entre définitivement dans l'histoire
que p a r l'invasion d'Alexandre (327 av. J.-C.). Les Arabes y firent des
incursions au vme siècle. Tamerlan y fonda, quelques siècles plus tard,
un vaste empire dont quelques puissances européennes, l'Angleterre sur-
tout, se p a r t a g è r e n t les débris. Malgré des oppositions et des révoltes, les
Anglais n ' o n t cessé d ' é t e n d r e les limites de leurs possessions et ils sont
restés les maîtres de l'Inde.
Religion. — Le brahmanisme, religion primitive, fut u n i n s t a n t détrôné
par le b o u d d h i s m e qui poursuivit la destruction des écoles existantes ; mais
ce n o u v e a u culte ne t a r d a pas a perdre ses partisans. II n'existe guère plus
q u ' a Ceylan et dans le voisinage de la Chine.
Les livres sacrés des Indous sont les Védas auxquels on ajoute les Pou-
ranas (livres de prières), le Mahabharata, le R a m a y a n a (livres épiques), et
les lois de M a n o u , recueil de préceptes moraux, de lois, de traditions et
d'usages.
Les Védas sont les plus i m p o r t a n t s de ces recueils. Ils contiennent les idées
religieuses de la race aryenne et le récit des principaux événements de ces
peuples depuis le c o m m e n c e m e n t de leurs invasions j u s q u ' a leur établis-
sement définitif dans l'Inde. De ce livre se dégage une sorte de panthéisme
d o n t voici les principaux t r a i t s : au commencement aurait existé une sorte
de Dieu endormi, B r a h m . Son réveil a u r a i t été le signal de la création et de
la production des phénomènes. De son sein seraient sortis Brahma, Vishnou
et Siva, qui composent la t r i m o u r t i indienne.
Castes. — A u x Indes, le peuple a été longtemps divisé en castes : au pre-
mier r a n g étaient les brahmes, c o m p r e n a n t les prêtres et les s a v a n t s : juris-
consultes, médecins, professeurs ; puis venaient les guerriers, officiers et
soldats, les marchands, les artisans, les agriculteurs : enfin les serviteurs, qui
n ' a v a i e n t droit a aucune éducation. Au-dessous de ces castes étaient les
parias, réputés infâmes et indignes d'avoir des communications avec les
a u t r e s membres de la société.
P e n d a n t de longs siècles, les brahmes exercèrent la haute influence.
Ils furent a la fois prêtres, maîtres d'école, législateurs, gardiens de la litté-
r a t u r e védique et de toutes les connaissances. Ce furent eux qui détermi-
nèrent la science que doit posséder chacune des autres castes.

É d u c a t i o n d a n s l a famille. — Les I n d o u s a i m e n t b e a u c o u p leurs


e n f a n t s e t les é l è v e n t p o u r la vie f u t u r e . Ils l e u r i n s p i r e n t u n g r a n d
r e s p e c t p o u r l e u r s p a r e n t s e t p o u r l e u r s m a î t r e s . L ' i n s t r u c t i o n fami-
liale se b o r n e a q u e l q u e s p r a t i q u e s de p i é t é e t a l ' a p p r e n t i s s a g e d ' u n
m é t i e r . T o u t s ' a p p r e n d p a r i m i t a t i o n e t la n a i s s a n c e fixe la d e s t i n e e
de c h a q u e e n f a n t . II en r é s u l t e u n e r o u t i n e qui e t o u f f e t o u t e i n d i v i -
dualité, t o u t talent personnel et ne laisse aucune possibilité de s'élever
par l'effort au-dessus de sa condition.

Éducation élémentaire. — Les enfants des castes supérieures ont


droit a l'éducation et les livres sacrés (Shastras) ordonnent la fon-
dation d'une école dans chaque village. Mais les jeunes filles ne
reçoivent pas d'éducation ; elles sont regardées comme des êtres
inférieurs, et les Indous croient que la femme lettrée n'obéit pas et
ne veut pas travailler.
Le maître appartient a la classe des brahmes. II est l'objet d'une
profonde vénération. Les Védas recommandent de porter un siège
derrière lui lorsqu'il gravit une montagne, afin qu'il puisse se reposer,
de lui tenir ses sandales pendant qu'il s'habille. Et le livre sacre
ajoute : « Celui qui blâme son maître lors même que celui-ci se serait
trompé, entrera après sa mort dans le corps d'un âne ; s'il le blâme
faussement, il deviendra un chien ; s'il se sert de ce qui lui appartient
sans le demander, il passera dans le corps d'un ver ; enfin s'il envie
ses mérites, il sera transforme en une grande vermine. »
Le maître est censé faire une œuvre toute spirituelle, et ce serait
une insulte de lui offrir une rétribution. Mais ses élèves peuvent lui
faire des cadeaux, et lui donner, selon leurs moyens, « un champ,
de l'or, des pierres précieuses, une vache ou un cheval, un parasol,
une paire de pantoufles, un marche-pied, du grain, des h a b i t s ou un
mets délicat ».
Le cours d'études est, pour ainsi dire, exclusivement religieux.
L'enfant est instruit d'abord oralement, puis il étudie les livres
sacrés : catéchisme bouddhiste et Védas. La morale s'enseigne sur-
tout par le moyen de proverbes et de fables. Le catéchisme boud-
dhiste est divisé en deux parties. La première renferme six comman-
dements se rapportant : a) aux trois péchés du corps : meurtre, vol,
impureté ; b) aux quatre péchés de la langue: mensonge, calomnie,
injures, conversations oiseuses ; c) aux trois péchés de l'esprit : convoi-
tise, malice, scepticisme. La seconde signale cinq dangers qu'il faut
éviter : l'abus des liqueurs enivrantes, le jeu, la paresse, la société
des méchants, les lieux d'amusements publics.
Les autres matières du programme sont la lecture, l'écriture et
l'arithmétique.
Méthodes. — Le maître donne l'enseignement individuel, et chaque
élève forme une division. Parfois les plus grands et les plus avancés
font travailler les plus jeunes. De la est venu le système mutuel.
Pour apprendre les caractères, l'enfant les trace d'abord sur le
sable avec les doigts ou un bâton, puis les grave avec une pointe de
fer sur des feuilles de palmier ; enfin on lui permet de les reproduire
à l'encre sur des feuilles de platane. E n arithmétique, la connaissance
des tables précède l'etude des quatre operations.
La discipline est généralement douce et paternelle. Les lois de
Manou prescrivent de n'employer la verge que lorsque tous les autres
moyens ont été épuisés : « Si un élève se rend coupable d'une faute,
son instituteur le reprendra sévèrement et l'avertira qu'a la prochaine
offense il le corrigera avec la verge. Et si la faute est commise dans
un temps froid, il pourra lui jeter de l'eau froide. »

Éducation supérieure. — L'éducation supérieure est organisee


dans l ' I n d e depuis des milliers d'annees. Des collèges, sous le nom de
parishades, existaient longtemps a v a n t Jésus-Christ. Au début la
parishade avait trois professeurs ; elle en compta plus tard vingt
et un, et devint une véritable université.
Pendant longtemps les hautes études furent uniquement réservées
aux brahmes. Mais a mesure que se développèrent les villes, on y
fonda des écoles de littérature, de droit, d'astrologie, d'astronomie
et de médecine.
Le programme comprend l'ensemble des connaissances humaines :
religion, grammaire, mathématiques, astronomie, littérature, philo-
sophie, droit, médecine. C'est dans les lois de Manou qu'il faut cher-
cher l'idéal a atteindre : « Apprendre et comprendre les Védas, pra-
tiquer de pieuses mortifications, acquerir la divine connaissance de
la foi et de la philosophie, traiter avec venération son père naturel
et son père spirituel. »
Les livres sacrés forment la base et le couronnement de la culture
intellectuelle des Indous. De l'étude attentive des Vedas, ils ont fait
dériver la plupart de. leurs sciences : la phonétique, prononciation
vraie et naturelle des sons ; la grammaire, art de la construction des
phrases ; la metrique, la liturgie et ses rites, l'exégèse pour en expliquer
la signification ; l'astronomie pour la determination chronologique des
sacrifices. A ces sciences primitives s'en ajoutèrent d'autres a y a n t
la même origine : la jurisprudence, les légendes, la logique et la dogma-
tique. Ainsi se forma le système des dix sciences auxquelles vinrent
s'ajouter la musique et la medecine.
Les Indous ont poussé très loin les études grammaticales : leur
méthode a servi de modèle aux grammairiens modernes. Ils ont de
tout temps cultivé avec soin les mathématiques. On leur attribue
l'invention du système decimal.
Appréciation générale. — Grâce a son système d'éducation supé-
rieure et a l'esprit de spiritualité qui l'anime, l'Inde a toujours été
un pays d'ascètes, de lettrés, de philosophes et de mathématiciens.
Mais l'éducation élémentaire est compromise par de graves défauts :
routine excessive des maîtres, culture trop exclusive de la mémoire,
negligence systematique de l'éducation des femmes, des enfants
des serviteurs et des parias. Elle s'occupe trop peu de la formation
du caractère et de la culture de la volonté. Le regime des castes
entretient chez les Indous un esprit d'égoïsme, de suffisance et d'or-
gueil, qui les empêche d'adopter les idées et les méthodes des Occi-
dentaux.
L'ancienne éducation tend a disparaître. Des collèges et des uni-
versites, fondés surtout par l'Angleterre, s'élèvent en diverses villes.
La diffusion du christianisme affaiblit peu a peu l'esprit de caste et
prépare le règne d'une fraternité conforme a l'esprit de l'Évangile.

Bibliographic. — CHRISTUS, Histoire des religions, ch. VI. — Cyclopedia of educa-


tion, art. I n d i a . — DUTT, C. R. History of civilization in Ancient I n d i a . 3 vol. (Londres
et Calcutta, 1900). — LAURIE, Pre-christian education. — PAROZ, Histoire universelle
de la pédagogie (Paris, 1881). — WARREN, J. Schools in British I n d i a (Washing-
ton, 1873).

CHAPITRE V

ÉDUCATION DES ASSYRIENS ET DES BABYLONIENS

Aperçu historique. — L'Assyrie occupait la partie supérieure du bassin


du Tigre et de l'Euphrate, et la Babylonie, la partie inférieure. La Chaldée,
plaine très riche et très fertile, était une province de la Babylonie. Les
peuples qui habitaient ces pays étaient originaires des hauts plateaux de
l'Asie. Les Chaldéens, premiers possesseurs du sol, avaient une civilisation
très avancée ; ils furent subjugués et absorbés par les Babyloniens.
Religion. — D'après les textes connus jusqu'à ce jour, la plus ancienne
forme de la religion des Assyriens et des Babyloniens fut le polythéisme.
Chaque cité avait son dieu qui possédait son temple, recevait les hommages
du peuple et le protégeait. Ce dieu était assisté d'un nombre considérable de
divinités secondaires. Le roi de la cité n'était que son représentant ou son
prêtre. Au cours des siècles le nombre des divinités diminua et une hiérar-
chie se forma à la tête de laquelle se trouva réunie une espèce de triade
composée d'Anon, dieu du ciel, d'En-Lil, dieu de la terre et d'Ea, dieu de
la mer.
Les Assyriens et les Babyloniens avaient l'âme religieuse. Les textes des
hymnes et des prières qu'ils adressaient à la divinité expriment des senti-
ments très élevés. Ils accompagnaient leurs supplications de présents, de
libations et de sacrifices. Ils avaient la notion du bien et du mal et regar-
daient la maladie- et les épreuves comme des châtiments. Le culte qu'ils
rendaient aux morts prouve qu'ils avaient l'idée de la vie future. Mais aucun
texte connu n'atteste leur croyance en la résurrection générale ou en la
transmigration des âmes.

Éducation. — Les Chaldéens eurent des écoles, et les mages furent


leurs premiers instituteurs. Les temples étaient les principaux centres
de l'activité intellectuelle. Les Chaldéens disparurent comme race,
mais ils léguèrent à leurs vainqueurs une civilisation très avancée.
Leur idiome, étudié comme langue morte, était seul employé dans les
cérémonies religieuses.
On ne sait rien de précis sur l'organisation scolaire des Assyriens
et des Babyloniens, mais l'état de leur civilisation fait supposer qu'ils
avaient de nombreuses écoles. Le savoir leur était nécessaire pour
assurer au peuple le bien-être et maintenir au dehors la bonne renom-
mée de la nation.
La haute éducation était réservée aux mages et aux castes supé-
rieures. Mais un enfant intelligent pouvait arriver à une culture élevée
qui lui donnait accès aux emplois de l'État . L'instruction était sur-
t o u t technique et pratique : il s'agissait de former des commerçants
et des scribes. Cependant, à une certaine époque, les études dites
libérales furent en grana honneur : il y eut des spécialistes en litté-
rature religieuse, en astronomie, en astrologie, en histoire. On appro-
fondit surtout la science du commerce et l'on adopta un ingénieux
système de comptabilité.
Les grandes villes possédaient des bibliothèques dont les livres
étaient des tablettes ou des cylindres sur lesquels étaient gravés les
caractères cunéiformes. La découverte de quelques-uns de ces « ma-
nuels » destinés aux écoliers a permis de connaître d'une manière
plus précise la civilisation de ces peuples. Le programme d'études
comprenait la religion, la grammaire, l'arithmétique, l'histoire, la
géographie. Les manuels d'histoire sont très méthodiques. La table
de multiplication était en usage dans les écoles, et l'on connaissait
le système décimal. Les éléments de la lecture s'enseignaient par
syllabes que l'on combinait pour former des mots ; c'était un achemi-
nement vers l'alphabet.
Les fouilles ont mis à jour d'innombrables ouvrages sur toutes les
connaissances humaines. Nous savons d'ailleurs que les mages étaient
versés dans toutes les sciences. On les regarde comme les fondateurs
d e s mathématiques et de l'astronomie. On a retrouvé les rapports
qu'ils adressaient au roi sur les résultats de leurs observations : ils
étudiaient les astres surtout dans le but d'en tirer des augures pour
le bien ou le mal de l'humanité. Ils établirent la semaine de sept
jours, inventèrent les signes du zodiaque et déterminèrent la lon-
gueur de l'année. Leur littérature épistolaire était considérable ; les
fragments qui nous en restent sont précieux pour l'histoire.
Le code des Chaldéens et de leurs successeurs contenait des lois
très sages basées sur la justice et la probité naturelle. Les ordon-
nances du roi Hammourabi (2342-2288) sont célèbres. La médecine
fut moins florissante, car ils regardaient les maladies comme des
effets de l'influen ce des mauvais esprits ; pour guérir les malades ils
employaient surtout les incantations. D'après M. Lenormant et
d'autres orientalistes, les Assyriens avaient fait d'ingénieuses classi-
fications du règne animal et du règne végétal. De récentes découvertes
font supposer que les savants de ce pays avaient à leur disposition
certains instruments d'optique et qu'ils s'en servaient pour graver
les caractères sur les tablettes et sur les cylindres.

Université de Babylone. — Babylone fut le centre d'une grande


activité intellectuelle. Le roi lui-même entretenait dans son palais
une école supérieure où l'on étudiait les langues, les sciences natu-
relles, l'astronomie, les mathématiques. Le cours d'études durait
trois ans. Les étudiants étaient entretenus par l'État. A la fin de leurs
études le roi les examinait avec soin afin de connaître leur sagesse
et leur intelligence. C'est à cette école que le prophète Daniel et ses
compagnons s'instruisirent de toutes les sciences de leur temps.
Culture morale. — Malheureusement la formation morale des
enfants fut trop négligée dans les écoles de l'Assyrie. Ces peuples se
livrèrent à toutes sortes de désordres. Dieu en fut tellement offensé
qu'il prononça contre Ninive et Babylone de terribles menaces dont
les effets ne tardèrent pas à se faire sentir. Ces villes furent détruites,
et quelques siècles plus tard, on se souvenait à peine de leur empla-
cement.
Bibliographie. — CHRISTUS, Histoire des religions, ch. XII. — Cyclopedia of educa-
tion, art. Assyro-Babylonians. —LAURIE, Pre-christian education. —MASPÉRO, Hist.
ancienne des peuples de l'Orient (Paris, 1909). — Nouv. Dict. de pédagogie, art. Chal-
dée, Chaldéens. — DELAPORTE, La Mésopotamie (Paris, 1923).

CHAPITRE VI

ÉDUCATION DES PERSES

Aperçu historique. — Les Perses descendaient des Aryas qui s'étaient


établis, au VIII siècle avant notre ère, à l'est du Tigre, entre la mer Cas-
pienne et le golfe Persique. La Perse fut, pendant plusieurs siècles, un grand
et puissant empire dont Alexandre fit la conquête. Après la mort du grand
conquérant ce pays fut livré successivement aux Séleucides, aux Parthes et
aux Sassanides. Les Arabes s'en emparèrent au VII siècle.
Religion. — Les Perses adorèrent d'abord les astres, les éléments et les
phénomènes naturels. Zoroastre fut le fondateur de la religion dualiste dont
les principes sont contenus dans le Zend- Avesta. La base de cette croyance
est la doctrine de l'existence de deux principes hostiles et opposés : Ormuzd,
l'esprit du bien et Ahriman, l'esprit du mal. Les vertus qu'il faut pratiquer
pour être agréable à Ormuzd sont : la droiture, la charité pour les pauvres,
l'hospitalité envers les étrangers. Les Perses croyaient encore au jugement
des âmes après la mort, aux peines et aux récompenses de l'autre vie.
Éducation. — Le système scolaire des Perses eut le mérite d'attirer
l'attention des grands penseurs de l'antiquité, surtout des Grecs.
Il fut en vigueur jusqu'à la conquête arabe.
L'éducation commençait dans la famille. Le père possédait un pou-
voir souverain ; il était obéi et respecté. Former ses enfants à la vertu,
veiller à leur santé, en faire d'utiles serviteurs de l'État, tel était son
idéal. Hérodote nous dit que les Perses apprenaient à leurs enfants
trois choses : monter à cheval, tirer de l'arc, dire la vérité. Ils culti-
vaient en eux de solides qualités morales : l'obéissance, l'amour des
parents, la justice, le courage, la tempérance, le sentiment d'honneur
et e désir d'être agréable à Ormuzd. A sept ans, l'enfant était censé
appartenir à l'État.
L'éducation était-elle donnée à tous également ? On incline à croire
qu'elle était surtout réservée à la classe élevée. L' Avesta contient
quelques préceptes à ce sujet : « L'éducation est la vie de l'humanité...
Les hommes s'élèvent aux emplois les plus illustres par l'éducation
qui les rend capables de lire et d'écrire. » Une section aujourd'hui
perdue du livre sacré était consacrée uniquement à l'art d'élever
la jeunesse. Les enfants des pauvres ne recevaient probablement
qu'une éducation très sommaire. Strabon et d'autres écrivains assurent
que les fils des nobles et des riches étaient élevés à la cour du roi par
des hommes graves et d'une conduite irréprochable.
Périodes d'éducation. — L'instruction formelle commençait à
sept ans. Au point de vue physique, elle comprenait la course, l'équi-
tation, le tir de l'arc et du javelot. L'alimentation était des plus
frugales : du pain, du cresson et de l'eau. La formation intellectuelle
comprenait la lecture de l'Avesta et l'écriture. La religion était consi-
dérée comme « la base nécessaire de la formation du citoyen.» (Avesta.)
De quinze à vingt-cinq ans avait lieu la formation militaire. Le
jeune homme recevait d'abord la ceinture de la virilité, puis faisait
serment de suivre la loi de Zoroastre et de servir l'État avec fidélité.
Il s'exerçait à l'équitation et au maniement des armes.
De vingt-cinq à cinquante ans, les Perses étaient soldats : ils
prenaient part aux guerres et aux expéditions. A cinquante ans, les
citoyens les plus instruits et les plus vertueux devenaient éducateurs.
En Perse, comme en Chaldée, les mages furent les maîtres par excellence.
L'Avesta leur recommandait d'établir entre eux et leurs élèves un lien
comparable à celui d'un frère avec son frère ou d'un père avec son
fils. Les Perses témoignaient à leurs maîtres, une grande vénération
et, après leur mort, ils les plaçaient souvent au nombre des saints.
La classe commençait de bonne heure, car il était prescrit aux jeunes
gens de se lever avant le chant du coq. Strabon nous apprend qu'ils
se réunissaient dès l'aurore sur la place publique comme s'ils étaient
disposés à prendre les armes ou à se rendre à la chasse. Ils se divi-
saient en compagnies de quinze, et sous la direction de leurs maîtres
ou des satrapes, ils faisaient une marche assez longue. Les exercices
intellectuels alternaient avec les exercices d'entraînement militaire.
Les instructeurs exigeaient un compte rendu de leurs leçons.
Le cours d'études n'était pas uniforme. Celui des soldats comprenait
la religion, la lecture, l'écriture et surtout l'éducation physique.
Celui des mages était beaucoup plus étendu. Il comprenait la religion,
l'histoire, les mathématiques, l'astronomie, l'astrologie, l'alchimie, etc.
Appréciation. — Ce système d'éducation, s'il a réellement existé
tel que nous le décrivent quelques écrivains de l'antiquité, mérite
de graves reproches. Il favorisait l'étatisme et détruisait les droits
de la famille sur l'enfant. Une partie de la population recevait une
éducation insuffisante. La culture physique avait une importance
exagérée au détriment de la formation intellectuelle. Malgré ses
défauts, cette éducation a donné des résultats appréciables. La Perse
a eu des poètes illustres : Ferdouci, Saadi, Hafiz, et les Contes des
Mille et une Nuits sont traduits dans toutes les langues.
Bibliographie. — CHRISTUS, Manuel d'histoire des religions, ch. v. — Cyclopedia of
education, art. P e r s i a n education. — LAURIE, Pre-christian education. — MASPERO,
Hist. ancienne des peuples de l'Orient. — Nouv. Diction. de pédag., art. Perse. — XÉNO-
PHON, La Cyropédie.

CHAPITRE VII

ÉDUCATION DES ÉGYPTIENS


Aperçu historique. — L'Égypte fut peuplée dès la plus haute antiquité.
De nombreuses dynasties de pharaons la gouvernèrent dans les temps les
plus reculés. Les Hycsos s'étant emparés d'une partie du territoire, suc-
cédèrent aux rois ; mais ils furent chassés vers 1700 avant Jésus-Christ, et
la dynastie nationale régna de nouveau sur toute l'Égypte. En 525, Cam-
byse s'empara de ce pays et en fit une province de la Perse. Alexandre
l'ayant conquis à son tour y fonda la ville d'Alexandrie qui devint un foyer
de science et de civilisation. L'Égypte fut très prospère sous le gouver-
nement des Ptolémées ; elle devint province romaine quelques années avant
l'ère chrétienne et fut conquise par les Sarrasins au VII siècle.
Religion. — Les Égyptiens avaient une doctrine religieuse qu'ils regar-
daient comme révélée. Elle était contenue dans les livres hermétiques, dont
l'auteur, d'après la tradition, n'était autre que le dieu Toth, le Mercure des
Grecs. Ces livres contenaient des hymnes et des cantiques sacrés et trai-
taient de toutes les connaissances humaines. Chaque temple d'Égypte
devait en posséder un exemplaire.
Ce peuple adora d'abord un seul Dieu ; mais il tomba bientôt dans la
plus grossière idolâtrie. Il rendit un culte aux plus vils animaux et même
aux légumes des jardins. « En Égypte, dit Bossuet, tout était dieu excepté
Dieu lui-même. » Les Égyptiens croyaient à l'immortalité de l'âme, aux
récompenses et aux châtiments de l'autre vie. Ils étaient persuadés que les
âmes reviendraient de nouveau habiter les corps. Dans cette idée ils embau-
maient les cadavres et les conservaient précieusement.
Castes. — Les Égyptiens étaient divisés en trois castes. La plus élevée,
la plus influente était celle des prêtres. Ils exerçaient la plus grande autorité
sur le peuple et même sur les pharaons. Ils avaient le monopole de la science
et de l'art du gouvernement. Ils faisaient usage d'une écriture spéciale, les
hiéroglyphes. Au-dessous d'eux on distinguait quatre ordres de prophètes ;
la même caste comprenait encore des prophétesses, des scribes et les hommes
d'art ou de science; médecins, embaumeurs, architectes, ingénieurs. La
deuxième caste comprenait les guerriers, considérés comme nobles. La troi-
sième, celle du peuple, était divisée en plusieurs corporations : laboureurs,
artisans, bateliers, marchands, pasteurs.
Éducation. — Il est reconnu aujourd'hui que la civilisation égyp-
tienne a précédé celle des Chaldéens. Les Égyptiens apprécièrent
toujours l'instruction. Un sage disait à son fils : « Donne ton cœur
à la science et aime-la comme une mère, car il n'y a rien de plus pré-
cieux que l'instruction. » E t il ajoute : « Remarque-le bien : il n ' y a
aucune profession qui ne soit gouvernée. Seul l'homme instruit, se
gouverne lui-même. » Ils envisageaient surtout le savoir comme un
moyen de parvenir à la fortune et aux honneurs. L'illettré était
regardé comme une bête de somme. Ces idées les portèrent à multi-
plier les écoles. « De tous les pays de l'antiquité, dit Maspéro, l'Égypte
a été peut-être celui où l'instruction fut le plus généralement répan-
due. » Les maîtres appartenaient presque tous à la première caste,
et se proposaient surtout de maintenir la suprématie des prêtres,
l'autorité des castes supérieures et la soumission des castes inférieures.
Éducation dans la famille. — Jusqu'à l'âge de quatre ans l'enfant
était tout entier à ses jouets : poupées, crocodiles à mâchoires mo-
biles, etc. Il était élevé sans mollesse ; dès la première année, il allait
pieds nus et la tête rasée. Sa nourriture principale était la galette
de dourah ou la moelle de papyrus rôtie. « Un enfant, disait Diodore
de Sicile, ne coûte pas vingt francs pour l'élever jusqu'à vingt ans. »
La mère lui donnait peu à peu des notions élémentaires de religion
et de morale.
Écoles élémentaires. — Nous manquons de détails précis sur l'or-
ganisation scolaire de l'ancienne Égypte. L'école se nommait la
maison d'instruction. Le programme d'études comprenait la religion
et les bienséances, la lecture, l'écriture, le calcul, la natation et la
gymnastique. Il existait, dans les grandes villes, ce que nous appelle-
rions aujourd'hui des écoles primaires supérieures. On y enseignait
l'écriture des caractères hiératiques et démotiques, le dessin, la
comptabilité, la composition littéraire et la géométrie pratique. Le
passage de l'école élémentaire à l'école supérieure était déterminé
par un examen.
Enseignement supérieur. — Les études supérieures avaient surtout
un caractère technique et professionnel. La littérature elle-même
était étudiée dans un but pratique': acquérir les formules du langage
et la facilité d'élocution afin de parvenir à rédiger convenablement
les actes légaux et commerciaux.
Il semble qu'en Égypte il y ait eu un commencement de spéciali-
sation : scribes, architectes, ingénieurs, médecins, prêtres, recevaient
une formation en rapport avec leur future profession.
Les scribes étudiaient les trois sortes d'écriture : démotique,
hiératique, hiéroglyphique, la comptabilité, le dessin, la religion.
La position de scribe était très enviée : « Fais-toi scribe, disait une
maxime, fais-toi scribe et tu parviendras aux honneurs et à la fortune ;
le métier de scribe prime tous les autres métiers. » Les scribes parve-
naient aux emplois les plus élevés, aux situations les plus considé-
rables de la cour. Leurs occupations consistaient à enregistrer les
transactions commerciales, à écrire les comptes rendus des cérémo-
nies, à faire des copies du « Rituel des Morts », etc.
Les ingénieurs et les architectes étudiaient plus spécialement la
géométrie, la mécanique, l'hydraulique et l'astronomie. Les connais-
sances mathématiques des Égyptiens étaient très imparfaites, ils
n'avaient que les signes 1, 10, 100, 1000, pour exprimer tous les
nombres, ce qui rendait leur système de numération extrêmement
compliqué. Ils ne savaient pas résoudre les fractions qui avaient 1
pour numérateur. Pour obtenir la surface d'un cercle, ils élevaient
au carré la moitié du diamètre. La nécessité leur fit trouver des
formules pour mesurer les champs et déterminer le volume des gre-
niers. Leurs astronomes avaient tracé les cartes des constellations
et calculé, avant les Chaldéens, l'année de 365 jours. Les ingénieurs
exécutèrent d'admirables travaux. Les architectes imaginèrent des
constructions à la fois simples et grandioses, et certains monuments
qu'ils élevèrent firent l'admiration du monde entier.
Les médecins faisaient aussi des études approfondies. Les traités de
thérapeutique étaient nombreux et les étudiants devaient donner
des preuves sérieuses de leur savoir avant d'être autorisés à exercer
la profession médicale. Quelques-uns se consacraient plus exclusi-
vement à l'art d'embaumer, et le secret de préparer les momies fit
longtemps la gloire des embaumeurs égyptiens.
Les soldats ne possédaient qu'une, instruction élémentaire à laquelle
s'ajoutaient les connaissances spéciales de leur profession. On croit
que chaque régiment avait un corps de musiciens. Platon dit que la
musique égyptienne était grave et sérieuse.
Les prêtres étudiaient toutes les sciences : religion, littérature,
sciences naturelles, astronomie, médecine, philosophie, génie, mu-
sique. La science religieuse avait surtout leurs prédilections. Leurs
connaissances étaient très vastes : Platon, qui avait étudié sous leur
direction, disait à ses compatriotes : « Grecs, vous n'êtes que des
enfants ! » De toutes parts on venait les consulter, et les hommes
les plus illustres de la Grèce se faisaient gloire d'avoir été leurs dis-
ciples. Leurs trois écoles les plus célèbres furent celles de Memphis,
de Thèbes et d'Héliopolis.

Méthodes et discipline. — La manière d'enseigner était toute rou-


tinière. « On mettait sous les yeux de l'écolier des syllabaires qui leur
montraient classés, selon leur nature matérielle, les signes en usage,
avec leur prononciation en caractères alphabétiques et l'indication
de leurs sens principaux. Il les apprenait par cœur, il les copiait,
et quand il les connaissait, il savait à peu près lire et écrire. On lui
remettait en même temps des extraits d'auteurs classiques ou des
formules de lettres qu'il copiait au calame sur des tablettes en bois
mince recouvertes d'une légère couche de stuc blanc ou rouge. Plus
tard on confiait aux écoliers du papyrus sur lequel ils copiaient et
écrivaient à la dictée d'autres morceaux choisis des auteurs classiques ;
le maître revoyait le travail et traçait à la marge les signes mal des-
sinés ou les mots mal orthographiés. Une bonne partie de la littéra-
ture égyptienne n'est arrivée jusqu'à nous que sur des cahiers
d'écolier (1).»
L'écriture demandait de longues années de pratique. L'hiéro-
glyphique était composée de 650 signes ; la hiératique était une sim-
plification de la précédente ; la démotique comprenait au moins
350 signes. Les élèves qui savaient écrire copiaient des maximes
de morale ou de civilité.
La discipline était sévère. Une maxime courante disait : « Les
élèves ont une échine, et ils comprennent mieux quand on les frappe. »
Un professeur irrité dit à son élève : « On apprend à voler au faucon ;
je t'apprendrai bien tes lettres, vilain paresseux ! » Un ancien étu-
diant écrit à son maître qu'à l'école « ses os ont été brisés comme
ceux d'un âne ».

Contributions à l'art d'enseigner. — Les Égyptiens se servirent les pre-


miers de la feuille de papyrus pour les exercices d'écriture. Ils employaient
des méthodes concrètes pour l'enseignement de la numération et des opé-
rations fondamentales. Ils se servaient de figures pour l'enseignement de
la géométrie.
Nous leur devons la fondation des premières bibliothèques. Dès l'époque la

(1) MASPÉ RO, a r t . É g y p t e a n c i e n n e d a n s le N o u v . D i c t i o n . de p é d a g o g i e .


plus reculée, ils possédaient une grande quantité de livres sur tous les sujets.
La littérature s'enrichit surtout pendant le Moyen Empire. Certains auteurs
disent que le nombre de livres publiés atteignit le nombre symbolique de
36.525, nombre de jours d'un siècle. Un fonctionnaire spécial, chargé des
bibliothèques, portait le titre de gouverneur de la maison des livres.
Appréciation générale. — Il faut louer, dans le système d'éducation
des Égyptiens, une préoccupation constante de formation religieuse
et morale. L'usage des méthodes concrètes ne pouvait donner que
d'excellents résultats. La haute éducation, plus accessible dans ce
pays que dans les autres, produisit des hommes éminents dans tous
les domaines de la science ; elle attira beaucoup de voyageurs et
d'étudiants étrangers. L'influence de la culture égyptienne se fit
sentir principalement chez les Hébreux, les Phéniciens et les Grecs.

Bibliographie. — BREASTED, A history of ancient Egyptians (New-York, 1905). —


Cyclopedia of education, art. Egypt. — ERMAN, Life in ancient Egypt. — LAURIE,
Pre-christian education. — MASPÉRO, Hist, ancienne des peuples de l'Orient (Paris.
1909). — RAWLINSON, History of Ancient Egypt., I. (Londres ,1881).

CHAPITRE VIII

L'ÉDUCATION DES HÉBREUX

But de l'éducation. — « Chez toutes les nations, dit M. Joseph


Simon, la direction imprimée à l'éducation dépend de l'idée qu'elles
se forment de l'homme parfait. Chez les Romains, c'est le soldat
vaillant, dur à la fatigue, docile à la discipline ; chez les Athéniens,
c'est l'homme qui réunit en lui l'heureuse harmonie de la perfection
morale et de la perfection physique ; chez les Hébreux, l'homme
parfait, c'est l'homme pieux, vertueux, capable d'atteindre l'idéal
du peuple hébreu, tracé par Dieu lui-même en ces termes : « Soyez
« saints comme moi, votre Dieu, je suis saint. » (Lévit., xix, 2.) Lorsque
le peuple juif passe sous le joug étranger, l'éducation a surtout pour
but de réhabiliter la race, de conserver les traditions et de sauvegarder
l'unité nationale.
Éducation dans la famille. — La famille juive est la plus pure de
l'antiquité. Les enfants sont consacrés à Dieu dès leur naissance. La
mère a le sentiment de sa responsabilité comme éducatrice ; elle donne
à ses enfants les premières notions religieuses, leur raconte les faveurs
singulières dont Dieu a comblé son peuple et leur fait épeler les pré-
ceptes divins dans l'Écriture sainte. Le père est également tenu
par les saints Livres de transmettre à ses fils, les traditions natio-
nales et de leur expliquer les limites des terres. L'enfant grandit ainsi
dans une atmosphère de religion, de piété, de reconnaissance envers
Dieu.
Les parents lui enseignent également la lecture, l'écriture et les
éléments du calcul. Le père s'occupe surtout des garçons ; il doit leur
apprendre un métier selon la recommandation de l'Écriture sainte :
« Celui qui n'apprend pas un métier à son fils lui apprend à être
voleur. » La mère est spécialement chargée des filles ; elle les initie
aux travaux domestiques : préparation des aliments, filage, tissage,
travaux de couture ; elle leur fait connaître les grands faits de l'his-
toire du peuple de Dieu. La littérature profane n'est pas interdite
aux jeunes filles et lorsque l'influence hellénique pénètre en Judée,
beaucoup d'entre elles apprennent le grec.
La discipline dans la famille, est d'une assez grande sévérité.
L'enfant qui se montre rebelle aux leçons de ses parents est rudement
châtié. Ceux-ci estiment qu'il vaut mieux se servir de la verge que de
laisser l'enfant grandir avec un caractère vicieux et prendre le chemin
de la perdition. Le livre des Proverbes, que l'on peut regarder comme
l'expression de l'idéal de l'éducation chez les Juifs au moment où
il parut (1000 av. J.-C.) insiste sur la nécessité de la correction :
« La folie est liée au cœur de l'enfant ; mais la verge du châtiment
la fera éloigner de lui. » (XXII, 15.) « N'écarte point du jeune enfant
la correction ; quand tu l'auras frappé de la verge, il n'en mourra
point. Tu le frapperas avec la verge, mais tu délivreras son âme du
sépulcre. » (XXIII, 13, 14.) « La verge et la réprimande donnent la
sagesse ; mais l'enfant abandonné à soi-même fait honte à sa mère. »
(XXIX, 15.) Les autres Livres exhortent également les parents à ne
pas négliger le devoir de la correction : « Fais plier sa tête pendant
qu'il est jeune, de peur qu'il ne devienne opiniâtre, ne t'obéisse pas
et fasse la douleur de ton âme. » (Ecclésiastique, xxx, 12.)
Éducation morale et religieuse. — Former l'enfant à la vertu, telle
était la principale préoccupation des Juifs : « Un esclave vertueux
domine sur le fils dépravé », dit le livre des Proverbes (XVII, 2). De
là l'importance qu'ils donnent à l'éducation morale et religieuse. Ils
inclinent les enfants à la vertu, les corrigent de leurs défauts, répri-
ment leurs mauvais penchants ; ils leur inspirent l'amour du travail,
l'horreur de la paresse et des plaisirs malsains, la charité pour les
pauvres et les affligés. Afin de prévenir le mal, ils les surveillent avec
soin, les tiennent constamment occupés, les accompagnent à l'école
et vont les attendre à la sortie.
Ils les instruisent des préceptes divins, les conduisent à la synagogue
pour y entendre, l'explication des Livres saints. Dans le même but,
toute la famille se rend à Jérusalem à certaines époques de l'année.

Périodes d'éducation juive. — On peut diviser l'éducation juive


en trois périodes :
1. Avant la captivité de Babylone. — Pendant cette période, les
écoles n'existaient pas. La famille donnait l'enseignement élémentaire
et la formation religieuse que complétaient les instructions reçues
à la synagogue.
Les Livres Saints mentionnent les écoles de prophètes. C'étaient
probablement des écoles supérieures d'Écriture sainte. Les élèves
vivaient en commun. Ils étudiaient, outre les sciences sacrées, la
musique, d'un usage constant dans les cérémories du culte, et la
poésie lyrique, dont les Psaumes sont la plus sublime expression.
2. De la captivité à l'ère chrétienne. — La captivité de Babylone
donna aux Hébreux un sentiment plus vif de leur nationalité et leur
fit chercher les moyens de la conserver. Le peuple manifesta son désir
de s'instruire en disant à Esdras : « Lisez-nous le livre de la doctrine
de Moïse. » Esdras fit des lectures publiques le lundi et le jeudi. Ses
successeurs dotèrent les principales villes d'écoles où l'on enseignait
les doctrines religieuses, la littérature, les lois nationales. Les scribes
et les rabbins s'adonnèrent à l'étude des langues étrangères. Ils firent
une traduction araméenre des Écritures, et expliquèrent la loi.
L'ensemble de leurs interprétations forma plus t a r d le Talmud.
Des écoles élémentaires s'ouvrirent partout à côté des synagogues.
Le programme des études rabbiniques était déterminé par Dieu
lui-même. Le livre de la Sagesse énumère les connaissances que doit
posséder l'homme sage : il doit connaître la position du globe de la
terre (géographie) et les vertus des éléments ; le commencement, le
milieu et la fin des temps (chronologie) ; les changements des saisons
(cosmographie); les révolutions des années et les dispositions des
étoiles (astronomie) ; les natures des animaux et les colères des bêtes
(histoire naturelle) ; la force des vents et les vertus des hommes ;
les différences des plantes et les vertus des racines. (Sagesse, VII, 17.)
A la fin des cours, le maître imposait les mains à ses disciples, leur
remettait une clef et une tablette, symboles du droit d'expliquer les
Ecritures. Les plus célèbres écoles rabbiniques furent celles e Jéru-
salem, d'Alexandrie et de Babylone.
Malgré leur nombre, les écoles élémentaires devinrent insuffisantes.
Vers l'an 104 a v a n t Jésus-Christ, Siméon-ben-Shatash, attira sur
ce point l'attention de ses compatriotes. Il fonda lui-même, à Jéru-
salem, des écoles auxquelles il donna le nom de « maisons du livre».
Mais son exemple eut peu d'imitateurs. Il fallut la menace d'une ruine
complète pour engager les Juifs à confier, comme moyen suprême,
la sainte doctiine à la mémoire de leurs enfants.
3. De l'ère chrétienne à l'an 200. — Vers l'an 64 de notre ère, le
rabbin José-ben-Gamala compléta l'œuvre de Siméon-ben-Shatash,
en ordonnant, sous peine d'excommunication, à chaque ville d'avoir
ses écoles. A côté des écoles publiques, il autorisa l'ouverture d'écoles
privées, comme un moyen d'exciter l'émulation des maîtres : « L'ému-
lation, disaient les rabbins, augmente la science. » Ces écoles furent
organisées avec beaucoup de soin. Tout d'abord on attacha la plus
grande importance au choix des maîtres. Ils devaient posséder une
grande science, être patients, dévoués aux intérêts de leurs élèves,
pleins de douceur et d'affabilité. On les préférait d'un certain âge :
« Celui qui apprend quelque chose d'un maître jeune, disait une ,
maxime, ressemble à u r homme qui mange des raisins verts et boit
du vin sortant du pressoir ; mais celui qui a un maître d'un âge mûr
ressemble à un homme qui mange des raisins exquis et boit du vin
vieux. » Ils étaient l'objet d'un grand respect ; on les appelait lumières
d'Israël, princes du peuple, soutiens de la société. Le Talmud dit : « Si
votre père et votre maître ont besoin de votre a ssistance, secourez
votre maître a v a n t de secourir votre père. » Le nombre des maîtres
d'une école était déterminé par le nombre des élèves : « Si le nombre
des enfants ne dépasse pas vingt-cinq, l'école sera dirigée par un seul
maître ; à partir de vingt-cinq, la ville paiera un adjoint ; au-dessus
de quarante, il faudra deux directeurs.» (Talmud.)
Organisation des études. — La Bible est, dans toutes les écoles,
la base du cours d'études ; tout ce qu'on enseigne s'y rapporte de
quelque façon : histoire, géographie, arithmétique, sciences natu-
relles. Toutes les leçons sont imprégnées d'enseignement moral.
La « maison d'études » est divisée en trois classes : la Mikrah, la
Mishnah, la Guémara. La Mikrah, division inférieure, comprend les
enfants de six à dix ans. Ils étudient la lecture, l'écriture, les éléments
de l'hébreu et du chaldéen. La classe dure toute la journée, et même
d'après Maïmonide, une partie de la nuit. Dans la Mishnah, les élèves
sont âgés de dix à quin e ans. Le maître explique la loi orale, qui
comprend les lois civiles, commerciales et pénales. La Guémara
renferme des jeunes gens de quinze à dix-huit ans. Ils font une étude
plus approfondie des lois orales et acquièrent des notions élémentaires
d'histoire naturelle, d'anatomie, de médecine, de géométrie et d'as-
tronomie. Dans toutes les classes on exige des élèves un travail sérieux
qui se continue le soir dans la famille.
Méthodes. — Les Hébreux faisaient usage des méthodes attrayantes.
Ils savaient enseigner l'alphabet par le moyen de jeux ou d'histoires
se rapportant à chaque lettre. Ils se servaient même de gâteaux ou de
lettres en sucre. L'enseignement était surtout oral. La répétition et la
révision étaient les deux principes capitaux de la pédagogie juive.
Le Talmud engage le maître à répéter quatre cents fois ce qui n'a pas
été compris, et les pédagogues ne se faisaient pas faute de mettre ce
conseil en pratique. Le jour du sabbat et les jours de fête étaient
consacrés aux récapitulations. Pour donner plus de vie aux récitations
on employait la forme dialogique. Par des procédés adroits, on enga-
geait des discussions entre maîtres et élèves ou entre élèves. C'était
« le fer aiguisant le fer ». Divers moyens mnémotechniques étaient
employés. Il existait même un commencement d'enseignement mutuel,
et le maître employait parfois des moniteurs.
Discipline. — La discipline était relativement douce. « L'enfant,
dit le Talmud, doit être puni d'une main et caressé des deux. » Les
rabbins n'admettaient les punitions corporelles qu'à titre exception-
nel. Ils recommandaient une grande douceur surtout envers les plus
jeunes. Dans le cas de révolte ou de paresse invétérée, on privait le
coupable de pain et on pouvait le frapper avec une courroie.
Appréciation générale. — L'organisation scolaire des Hébreux
produisit de bons résultats. Les enfants acquéraient en peu de temps
des connaissances assez étendues. L'historien Josèphe déclare qu'il
pouvait, à l'âge de quatorze ans, expliquer les questions les plus diffi-
ciles de la loi. Au point de vue de l'éducation proprement dite, ce
système est le plus parfait de l'antiquité. Les Hébreux comprenaient
l'importance supérieure de la formation religieuse et morale. Ils
n'épargnèrent rien pour avoir des écoles en nombre suffisant, et ils
donnèrent une solution convenable à quelques problèmes qui embar-
rassent les éducateurs modernes : assiduité, libeité d'enseignement,
cours d'études, etc. Leur idéal de former des hommes pieux et de bons
citoyens trouvait dans cette organisation tous les éléments de sa
réalisation.
L'histoire témoigne que le peuple juif fut laborieux, intelligent,
actif, entreprenant, extrêmement attaché à ses traditions religieuses
et nationales. On lui reproche, avec quelque raison peut-être, d'être
resté étroit, borné et malveillant envers les autres peuples. Les doc-
teurs de la loi craignaient, non sans motifs, les infiltrations mytho-
logiques des nations étrangères ; mais leurs invectives n'étaient plus
raisonnables lorsqu'elles enveloppaient du même mépris « celui qui
élève les porcs et celui qui apprend à son fils la science grecque ».
Les Juifs et la culture occidentale. — Après leur dispersion les
Juifs ouvrirent des écoles dans toutes les localités où ils pouvaient
les soutenir. Leurs académies jetèrent un vif éclat au moyen âge,
notamment à certaines époques troublées où la culture des lettres
et des sciences était presque impossible en différents pays. En Espagne,
au XI siècle, ils se distinguaient en toutes sortes de sciences : sciences
naturelles, astronomie, philosophie, musique, poésie. Ils eurent des
écoles célèbres à Tolède, Grenade, Cordoue, Lunel, Béziers, Narbonne,
Padoue, Modène, Gênes, Rome. Ces écoles disparurent au x i v siècle,
mais les Juifs restèrent des amis de la science. Ils ont produit, dans
les trois derniers siècles, des savants, des artistes et des lettrés en
nombre considérable : Spinoza, Mendelssohn, lord Beaconsfield, etc.
B i b l i o g r a p h i e . — C y c l o p e d i a of e d u c a t i o n , a r t . J e w i s h e d u c a t i o n , — LAURIE, P r e -
c h r i s t i a n e d u c a t i o n . — L E I P Z I G E R , E d u c a t i o n of the J e w s ( N e w - Y o r k , 1 8 9 0 ) . — N o w .
D i c t i o n . de p e d a g o g i e , a r t . J u i f s . — SIMON, L ' é d u c a t i o n et l ' i n s t r u c t i o n des e n f a n t s chez
les a n c i e n s J u i f s ( L e i p z i g , 1 8 7 9 ) . — SANTE G I U F F R I D A , S t o r i a d e l l a p e d a g o g i a , p . 2 4 - 3 0
( T u r i n , 1 9 1 2 ) . — S P I E R S , T h e s c h o o l s y s t e m o f the T a l m u d ( L o n d r e s , 1 8 9 8 )

CHAPITRE IX

- L'ÉDUCATION EN GRÈCE

But de l'éducation. — Le but de l'éducation grecque, à la fois


idéaliste et utilitaire, peut se résumer dans cette formule : « culture
du moi moral, intellectuel et physique en vue d'un perfectionnement
continu dont la cité pourrait profiter». Tous les moyens qu'ils
employaient tendaient à augmenter la force, la souplesse, la beauté
du corps, en même temps que le respect, la modération, le sens de la
justice et le goût esthétique. Cet idéal est aussi ancien qu'Homère
et Hésiode ; pour le réaliser ils employèrent quatre moyens princi-
paux : la religion, la littérature, la musique, la gymnastique.
Religion. — L'éducation hellénique fut essentiellement morale et
religieuse. Ce point était l'objet des plus vives préoccupations des
parents : « La mère et la nourrice, le père et le tuteur, se querellent
pour assurer le progrès de l'enfant à mesure qu'il commence à le
comprendre. Il ne peut rien dire ni rien faire sans les entendre lui
assurer que ceci est juste, que cela est injuste ; ceci est honnête, cela
est déshonnête ; ceci est saint, cela n'est pas saint ; fais ceci, ne fais
pas cela (1). »
L'enseignement religieux n'avait rien de dogmatique et de formel ;
il agissait sur l'enfant d'une manière indirecte. Celui-ci avait sous les
yeux les exemples de ses parents invoquant chaque jour les divinités,
honorant par des fêtes périodiques les ancêtres et les morts les plus

(1 PLATON, P r o t a g o r a s .
récents de la famille. Les statues des dieux, par la beauté de leurs
formes, lui donnaient l'idée de la perfection. Enfin, les fêtes publiques,
éclatantes, d'un remarquable caractère esthétique, où il n'était pas
simplement spectateur, mais le plus souvent acteur, étaient très
propres à développer en lui des sentiments de piété. En outre, pour
s'offrir aux regards des dieux les jeunes gens devaient déployer tous
les dons de l'âme et du corps ; ils regardaient comme un très grand
honneur de porter la couronne sacrée et d'approcher tout particu-
lièrement des autels.
Littérature. — L'enseignement littéraire avait pour but de former
le goût et faire aimer la vertu. La littérature fut l'élément habituel
de la jeunesse grecque. On ne concevait pas même d'autre école que
celle des poètes. Au foyer paternel, l'enfant entendait de merveilleux
récits, et lorsque, vers sept ans, il se présentait à l'école, son imagi-
nation était remplie de fictions poétiques. A l'école, c'était dans les
ouvrages des grands poètes qu'il faisait ses lectures. Il apprenait
des extraits d'Homère, de l' Iliade surtout, parce que Achille était le
héros préféré du peuple grec ; à côté d'Homère on plaçait Hésiode et
Euripide ; on faisait une part très large aux gnomiques : Solon,
Minmerne, Theognis, etc. Les autres exercices scolaires: écriture,
grammaire, essais de composition, étaient faits au moyen d'extraits
d'auteurs. Enfin, le milieu où vivait l'enfant était éminemment poé-
tique. Les orateurs citaient les grands écrivains pour se donner l'appui
de leur autorité ; dans les théâtres on représentait les œuvres d'Es-
chyle, de Sophocle, d'Euripide ; dans les panathénées on lisait d e s
extraits d'Homère. La poésie avait sa place dans toutes les fêtes.
Enfin, la statuaire et la céramique reproduisaient les plus belles
inspirations des poètes épiques et dramatiques.
Musique. — Les Grecs regardaient la musique comme un des meil-
leurs moyens d'éducation. Les philosophes répandaient cette idée
parmi le peuple en disant que le rythme et l'harmonie agissent sur
l'âme, la dépouillent de sa rudesse, lui communiquent le tact et la
modération, la rendent acessible aux idées du beau et du juste.
L'éducation musicale eut donc toujours un but moral : assouplir
l'âme, régler ses mouvements désordonnés, inspirer des sentiments
de vertu et de patriotisme, donner de l'élégance au maintien. Elle
servait de correctif à une culture physique excessive. « Il faut regarder
les Grecs, dit Montesquieu, comme une société d'athlètes et de combat-
tants ; or ces exercices si propres à former des gens durs et sauvages,
avaient besoin d'être tempérés par d'autres qui pussent adoucir les
mœurs. La musique, qui tient à l'esprit par les organes du corps,
était très propre à cela. »
Les instruments en usage étaient la lyre et la cithare, l'aulos, sorte
de flûte à bec, et la syringe, sorte de flûte de Pan. Les anciens prohi-
baient la flûte comme propre à exciter les passions mauvaises. Après
les guerres médiques, elle fut quelque temps en usage, mais on l'aban-
donna parce que les contractions des lèvres qu'elle occasionne rendent
le visage difforme et le chant impossible.
Gymnastique. — La gymnastique, nécessaire au développement
harmonieux du corps, fut enseignée avec un soin particulier. L'État
s'en préoccupait et attachait à cet enseignement la plus grande
importance.
Les exercices physiques contribuaient à la formation morale de
l'enfant ; ils l'accoutumaient à la soumission aux autorités, à la disci-
pline, l'endurcissaient à la fatigue, donnaient à ses mouvements l'élé-
gance et la grâce et contribuaient à l'harmonie du corps et de l'âme.
La danse était regardée comme le complément de la musique et de
la gymnastique. « Elle parlait à l'âme, par le geste, les attitudes nobles
ou gracieuses et le sens des paroles chantées ; elle favorisait la santé,
la beauté des mouvements, l'agilité (1). » Chez les Athéniens, la danse
était une institution nationale. Elle figurait au programme de toutes
les fêtes religieuses et civiles.
Éducation des anciens Grecs.
Platon a raison de dire qu'Homère fut le véritable éducateur des
Grecs. Bien avant l'apparition de l'Iliade, ils avaient reçu de l'Orient
certaines doctrines qu'ils conservaient précieusement ; mais aucun
livre ne nous renseigne sur cette culture traditionnelle. Dès que les
chefs-d'œuvre d'Homère eurent reçu leur forme définitive, la Grèce
y reconnut ses traditions. L'Iliade devint le poème national par
excellence, l'épopée de la patrie hellénique. Les Grecs y trouvèrent,
(1) DAMSEAUX, H i s t o i r e de a p é d a g o g i e , 4 é d . , p. 35.
avec l'histoire de la race, leur théologie et leurs sciences sacrées. Les
bardes, les peintres, les sculpteurs y cherchèrent l'inspiration de leurs
œuvres les plus célèbres.
L'Odyssée fut le poème des traditions et des coutumes domestiques.
Les Hellènes en tirèrent leur philosophie morale, leur éloquence, leur
généalogie et des connaissances géographiques. Plus tard, ils en firent
même le fondement de leur philologie, de leur critique des textes et
de leur grammaire.
Ils trouvèrent également dans les
œuvres d'Homère leur idéal d'édu-
cation : faire de chaque citoyen un
homme d'action et un sage. Ulysse, par
sa bravoure, son respect pour les dieux
et cette maîtrise de soi-même qui l'em-
pêche d'aller aux extrêmes, devint le
type de l'homme d'action. Achille, dont
la pensée est toujours soumise à la
raison et à la réflexion, fut le type de
l'homme sage. Au point de vue reli-
gieux, l'idéal des Grecs, calqué sur ce-
lui de ces deux héros, fut de s'élever à
la divinité par la culture formelle des
facultés corporelles et spirituelles. Cette
tendance de l'éducation développa
HOMÈRE. (1 ) chez eux l'individualisme et le senti-
ment de la liberté civile.
Telle fut, dans son ensemble, l'éducation grecque. Mais chacune des
grandes races dorienne et ionienne appliqua ces principes selon son
idéal particulier. Il est donc nécessaire d'étudier séparément les
Spartiates et les Athéniens.
L'éducation à Sparte.
L'organisation de l'éducation spartiate remonte à Lycurgue (880av. J.-C.).
Cet illustre législateur avait emprunté quelques-unes de ses idées à Minos,
roi de Crète, qui, dès la plus haute antiquité, avait amené cette île à un
(1) La plupart des clichés représentant les grands éducateurs nous ont été gracieuse
m e n t communiqués par la direction de l'Editorial Luis Vives, Barcelone.
remarquable état de civilisation. Lycurgue visa surtout à former des sol-
dats parce que Sparte était sans cesse menacée par les autres peuples de la
Laconie, et que lui-même, pour se maintenir au pouvoir, avait besoin d'une
force militaire imposante.

Éducation dans la famille. — Les lois de Lycurgue autorisent


l'odieuse pratique de la destruction ou de l'exposition des enfants. Un
nouveau-né faible ou difforme est fatalement voué à la mort. S'il
est bien constitué, et si la famille n'est pas trop nombreuse, le père
peut le laisser vivre, mais sa décision doit être approuvée par le
conseil de la tribu.
Les parents donnent au jeune Spartiate sa première éducation. Ils
savent que «le jeune âge est apte à recevoir toutes sortes d'impres-
sion » ; aussi éloignent-ils de leurs enfants leurs compagnons vicieux
et les mettent-ils en contact avec des camarades qui ont une bonne
prononciation. Endurcissement physique et moral, tel est leur idéal ;
ils arrivent à ce résultat en accoutumant le corps à la sobriété, à la
fatigue et à l'endurance, et en jetant dans l'âme des germes de vertu :
obéissance aux autorités, respect des vieillards, courage, patriotisme.
Éducation par l'État. — A sept ans, l'enfant devient la propriété
de l'État qui se charge de son éducation. La fin suprême de l'individu
étant le service militaire, cet idéal sert de base à l'éducation. Il s'agit
de former des hommes robustes, courageux, adroits et capables d'en-
durer les plus grandes fatigues. Les jeunes Lacédémoniens sont divisés
en trois classes comprenant les âges de sept à douze, de douze à quinze,
de quinze à dix-huit ans. Ils reçoivent leurs leçons en groupes de
soixante-quatre, sous la direction de moniteurs choisis parmi les plus
intelligents et les plus distingués. Ils doivent accepter sans murmure
les ordres, les corvées et même les châtiments. La haute direction
des groupes est confiée à un surveillant général (pédonome), assisté de
correcteurs (mastigophores, porte-fouet). On fait un usage courant du
fouet. Chaque année, les maîtres administrent la correction publi-
quement dans le b u t de développer l'esprit de soumission. Le point
d'honneur exige que l'enfant ne crie point et supporte les coups
sans demander grâce.
Éducation physique. — Tout, dans l'éducation physique, est dis-
posé en vue d'arriver à l'endurcissement et à la vigueur. Les enfants
revêtent la même tunique en toute saison ; ils portent les cheveux
ras et couchent sur un lit de paille ou de roseaux.
Les exercices en plein air sont variés : lutte, course, saut, jet du
disque et du javelot, natation, équitation, danse. La plupart sont
exécutés en danse rythmée. Mais à tous les exercices de la palestre
les Spartiates préfèrent la chasse où ils excellent. Ils pratiquent
aussi différents sports , un de leurs jeux favoris, l'episkyros, a de la
ressemblance avec notre moderne foot-ball.

Éducation intellectuelle. — Les Spartiates n'attachaient qu'une


médiocre importance au savoir. Ils ne cultivaient les sciences et les
arts que par exception. Cependant les enfants apprenaient la lecture
et l'écriture. Ils chantaient les lois de Lycurgue et des extraits d'Ho-
mère, des hymnes religieux et patriotiques. On leur donnait des leçons
de musique et de cithare dans le but d'adoucir leur caractère.

Éducation morale. — On peut dire que l'éducation morale était


la base du système d'éducation de Lycurgue. Il fallait former le carac-
tère de l'enfant pour l'accoutumer aux privations, à la douleur,
à la souffrance, au détachement des parents ; une grande force de
volonté était nécessaire aux jeunes gens pour réprimer leurs mauvais
instincts et se conduire avec honneur.
On saisissait toutes les occasions pour frapper les jeunes imagina-
tions, leur donner l'amour du bien et l'horreur du mal : fêtes en l'hon-
neur des dieux, cérémonies commémoratives des grands événements.
Les repas publics servaient aussi à cette formation : la jeunesse y
entendait les hommes faits discuter sur les affaires de l'État. Il faut
ajouter que la société spartiate ne manque ni de gaîté ni d'esprit ;
elle entend à merveille la plaisanterie, la raillerie à fleur de peau , elle
excelle dans les reparties spirituelles. A ce contact les jeunes gens
développent leur jugement, forment leur caractère, prennent des
habitudes d'urbanité et ae sociabilité.
La table spartiate est frugale et l'enfant doit chercher le complé-
ment nécessaire pour se rassasier. « Singulière éducation que d'encou-
rager l'enfant à voler, de l'exercer à la ruse et à la dissimulation !
Cette pratique n'a rien toutefois d'immoral, puisque les Lacédémo-
niens considéraient la propriété individuelle comme une sorte d'usu-
fruit. Rien n'empêchait donc l'État propriétaire de la grever de ser-
vitude. Le vol des enfants en était une (1). »

Périodes de l'éducation spartiate. — A douze ans, l'enfant revêtait


le manteau de la virilité. De dix-huit à vingt ans les jeunes gens
formaient des kruptoï ou groupes chargés de la police du territoire.
Ils vivaient en dehors de la ville et faisaient exécuter par les hilotes
des travaux d'utilité publique. C'était la période de formation mili-
taire. De vingt à trente ans ils passaient dans la classe des irens ; ils
logeaient dans les casernes et étaient soumis à des exercices gym-
nastiques et militaires. A trente ans, ils acquéraient leurs droits de
citoyens ; ils pouvaient fonder une famille, mais ils restaient soldats.

Appréciation générale. — L'histoire de Sparte est la critique la


plus sévère de sa pédagogie. Les lois de Lycurgue en avaient banni
le luxe et l'extravagance et donné aux Laoédémoniens certaines
qualités secondaires comme le courage, l'endurance, la discipline,
l'esprit d'entreprise. Mais une éducation trop exclusivement phy-
sique les prédisposait à la cruauté, à l'orgueil, à un égoïsme violent
et brutal ; elle les poussait jusqu'à la destruction des enfants malingres
ou mal conformés. L'étatisme détruisait les liens de la famille et
par là même portait atteinte au vrai patriotisme, car plus le soldat
est attaché à ses foyers, plus il est brave. Lycurgue a fait des Spar-
tiates une armée, rien qu'une armée. L'éducation intellectuelle et
esthétique est nulle ; l'éducation morale est grossière et imparfaite.
La mère de famille est peu préparée à la tâche délicate qui lui incombe,
l'enfant, trop tôt détaché du foyer, manque de vertus domestiques et
ne possède guère que des vertus sociales. Cette formation ne donne
que les qualités spéciales du soldat.
L'éducation spartiate fut. étroite et routinière. Elle resta ce que
Lycurgue l'avait établie. Mettant leur gloire à ne rien modifier, les
Lacédémoniens furent vite dépassés par les Athéniens qui surent
évoluer vers un idéal plus élevé, ayant pour but « de donner au corps
et à l'âme toute la perfection dont ils sont susceptibles ».

(1) A. BAUDRILLART, L ' é d u c a t i o n en Grèce, p. 30.


L'éducation à Athènes.

Athènes fut le véritable centre de la culture hellénique. Les Athé-


niens eurent pour idéal de former des hommes capables de remplir
tous les devoirs de la vie civile et militaire. Ils cherchaient l'harmo-
nieux développement de l'homme par la culture physique, le travail
intellectuel et la formation à la vertu. Thucydide a écrit que ce peuple
sut, dans son système d'éducation, « combiner l'amour du beau avec
la simplicité de la vie et philosopher sans s'amollir ».

Éducation dans la famille. — Comme à Sparte, le père disposait


de ses enfants et pouvait les mettre à mort ou les exposer. A certaines
époques reculées, la misère publique encombrait les marchés d'esclaves
de malheureux enfants mis en vente par leurs pères. Cette pratique
diminua peu à peu, mais ne cessa qu'avec le christianisme.
L'éducation dans la famille laisse beaucoup à désirer. Le père vit
très peu à la maison ; il partage son temps entre le soin de ses affaires,
de longues causeries avec ses amis et l'assistance aux discours et aux
spectacles. La mère, foncièrement honnête, mais ignorante et bornée,
exerce peu d'influence sur ses enfants ; elle les confie souvent à des
mercenaires.
Laissé presque à lui-même, le jeune Athénien se livre aux jeux de
son âge. Ses jouets sont presque les mêmes que ceux de notre époque :
poupée, balle, cerceau, colin-maillard, cerf-volant, toupie, balançoire.
Il connaît également les échasses, les billes, les osselets. Mais la balle
a toutes ses préférences ; il en joue de plusieurs façons ; la plus simple,
le follis consiste, pour chaque joueur, à attraper la balle qu'un autre
lui lance ; dans l'apporaxis, il la lance à terre, la reprend au bond et
la renvoie sur le sol avec la paume de la main. Les jeunes filles se
livrent aussi au jeu de balle pour embellir la grâce de leurs attitudes
et pour accroître l'élasticité de leurs gestes. C'était le sport favori
de Nausicaa et de ses compagnes au temps de l'Odyssée.
L'éducation intellectuelle et morale n'est cependant pas nulle.
L'enfant apprend des poésies et des chants propres à lui inspirer
de bons sentiments et à former son cœur à la vertu. Son attrait pour
les contes et les fables est utilisé pour lui inculquer des vérités morales,
lui faire comprendre la nécessité de la correction des défauts et de
l'acquisition des bonnes habitudes. Si la leçon indirecte ne suffit pas,
on emploie la réprimande et, dans les cas extrêmes, la correction
infligée au moyen de sandales et de pantoufles. Sa piété envers les
dieux se développe par le culte domestique et l'assistance aux céré-
monies publiques.

Éducation élémentaire. — A sept ans le jeune Athénien se rend à


l'école sous la conduite du pédagogue qui est généralement un vieil
esclave, usé, impotent et ignorant. Celui-ci accompagne l'enfant
dans ses allées et venues, lui fait réciter ses leçons à la maison, le
forme aux bonnes manières et le préserve des mauvaises compagnies.
Les pédagogues furent souvent pour leurs élèves des corrupteurs.
Puis comment les enfants auraient-ils été dociles envers des esclaves
dont ils connaissaient trop bien les passions grossières et l'infériorité
sociale ?
L'écolier partage son temps entre la palestre et le didascalée. Il
reste à la palestre (palê, lutte) à peu près la moitié de la journée.
Dans cette institution, les élèves sont classés par groupes, suivant
leur âge. Avant l'exercice, ils sont oints d'huile par les aliptes ou
oigneurs. Le pédotribe préside aux exercices corporels et le sophroniste
exerce la surveillance morale. Sous leur direction, les jeunes Grecs
se livrent aux exercices du pentathle : lutte, course, saut, jet du
disque et du javelot. Les commençants s'assouplissent par des mou-
vements de bras et de jambes, des sauts, etc. Les plus habiles pra-
tiquent la boxe et le pancrace.
Le didascalée est l'école de grammaire. L'élève y apprend la lecture
par la méthode épellative, l'écriture et les éléments du calcul. Il passe
ensuite à l'étude des poètes et apprend des fables d'Esope, des extraits
d'Homère et d'Hésiode, de Theognis, de Phocylide, de Solon, etc.
Les Grecs réservaient une place importante à la récitation. Cet
exercice présentait u n triple avantage : il permettait aux enfants
de se rendre plus habiles au maniement de la langue, il contribuait
au développement du goût ; enfin il familiarisait les élèves avec un
certain nombre de notions utiles à leur culture générale ou profes-
sionnelle. A travers les poètes, le jeune Athénien étudiait la religion,
l'histoire, la géographie et acquérait même quelques aperçus d'éco-
nomie politique, de physique, de sciences naturelles. Cet enseignement
très vivant, très concret, fixait solidement les connaissances dans la
mémoire.
Après cette éducation élémentaire, les enfants pauvres quittaient
l'école, mais ils devaient se préparer à l'exercice de leur métier par
un apprentissage obligatoire. Le fils qui n'avait pas reçu cet ensei-
gnement professionnel était dispensé de soigner son père dans sa
vieillesse, et le père qui l'avait négligé en recevait une juste punition.
Les riches continuaient leurs études en y ajoutant la musique, la
danse et quelques autres sciences qui s'introduisirent peu à peu dans
les écoles athéniennes : arithmétique, géométrie, dessin.

Leçon d'écriture et de musique; fragment de vase grec (450 avant J.-C.).

Le cours de musique commençait vers la treizième année. Sous la


direction du cithariste, les enfants apprenaient à chanter ; on leur
enseignait à la fois le rythme poétique et la théorie musicale. Les
morceaux qu'ils étudiaient étaient choisis de façon à développer le
sentiment religieux, patriotique et moral. Le cithariste apprenait
aussi à ses élèves à jouer de divers instruments. Tout Athénien devait
être à peu près capable de chanter en s'accompagnant de sa lyre.
Éducation morale et religieuse. — La formation morale était, nous
l'avons vu, une des graves préoccupations des Grecs. Ils comptaient
sur les maîtres pour continuer cette œuvre importante, car ils regar-
daient le culte des dieux comme le lien de la famille et de la société.
Les dieux, la patrie, le foyer, voilà trois objets qui n'en faisaient qu'un
pour le Grec. « De même qu'un autel domestique tenait groupes
autour de lui les membres d'une même famille, de même la cité était
la réunion de ceux qui avaient les mêmes dieux protecteurs et qui
accomplissaient l'acte religieux au même autel (1). »
L'éducation morale était surtout donnée indirectement ; elle
pénétrait tout l'enseignement. Les exemples, les conversations, les
fêtes religieuses, le théâtre, l'étude des poètes, gravaient dans le
cœur des futurs citoyens l'ensemble de ces vertus où Montesquieu a
vu le fondement nécessaire d'une démocratie. Les écrivains mytho-
logiques, dont les récits trop libres auraient pu scandaliser la jeunesse,
étaient soigneusement écartés. La musique exerçait une influence
heureuse sur la sensibilité ; la gymnastique n'avait pas d'autre objet
que de réaliser la maxime si souvent répétée : « une âme saine dans
un corps sain ».
Les bonnes manières, expression des sentiments, étaient cultivées
avec un soin tout particulier : la grâce du maintien (eukosmia) ne. se
séparait pas des deux autres fins de l'éducation : sophrosyne (gouver-
nement de soi-même) et arêtê (excellence, perfection de l'âme et du
corps).

Gymnase. — A quinze ans, le jeune Hellène entrait au gymnase


pour la durée de trois ans. Le gymnase s'occupait surtout de for-
mation physique, mais les facultés intellectuelles y trouvaient aussi
un aliment : exécution d'œuvres musicales, déclamation de poèmes,
discours, conférences. C'est dans les gymnases que commença l'en-
seignement philosophique et sophistique. Plus tard les écoles de
philosophie s'appelèrent elles-mêmes gymnases.
L'État intervenait dans l'organisation et la direction de ces éta-
blissements. Le gymnasiarque était élu chaque année par l'assemblée
du peuple. Il avait sous son autorité un surveillant pour la morale
et quelques officiers subalternes. Chaque gymnase se composait de
quatre grands portiques formant un carré. Trois de ces portiques
étaient réservés aux oisifs et aux promeneurs ; le quatrième servait
aux exercices. Peu à peu ces institutions grandirent et possédèrent,
outre le local destiné aux exercices, des jardins, des bibliothèques,

( 1 ) F U S T E L DE COULANGES. L a C i t é a n t i q u e , 2 3 éd. p. 16 6 .
des théâtres, des stades pour les courses. Athènes eut trois gymnases
célèbres : l'Académie, le Lycée, le Cynosarge. Les deux premiers
furent illustrés par l'enseignement de Platon et d'Aristote.

Ephébie. — Le jeune Athénien entrait, à dix-huit ans, dans la


catégorie des éphèbes. C'était le couronnement de son éducation et le
commencement de son service actif qui durait deux ans. Les jeunes
recrues passaient leur première année au Pirée ; la seconde dans les
forteresses de la frontière. Ce service, d'abord obligatoire, devint,
sous le gouvernement des Macédoniens, volontaire et aristocratique.
Philippe le réduisit à un an. Peu à peu la période de l'éphébie devint
une vie d'étude et d'université.

Éducation secondaire. — Du VII au V siècle avant notre ère, il y


eut comme une ébauche d'éducation secondaire. Des philosophes
ouvrirent des écoles dans les principales villes de la Grèce. Comme ils
cherchaient à expliquer l'origine des choses, ils créèrent peu à peu
un courant d'activité scientifique et philosophique. Ils firent pro-
gresser les mathématiques et l'astronomie. L'un d'eux, Thalès, intro-
duisit dans les écoles l'étude de la géométrie.
Vers l'an 350 avant Jésus-Christ l'instruction primaire et l'ins-
truction secondaire furent nettement séparées ; le programme des
études secondaires comprenait la grammaire, la littérature, l'étude
des poètes, le dessin, la géographie, la géométrie et la musique.
Éducation supérieure. — Au V siècle avant notre ère commença
l'organisation de l'éducation supérieure. Les circonstances s 'y prê-
taient : le nombre des jeunes gens de famille aisée devenait considé-
rable ; les citoyens des grandes villes, ayant plus de loisirs, s'inté-
ressaient aux questions scientifiques ; les communications avec les
pays étrangers devenaient plus faciles. En outre, l'étendue, l'impor-
tance des transactions commerciales, le gouvernement de la chose
publique, demandaient, à cette époque, une préparation plus spéciale à
laquelle les écoles de philosophie ne pouvaient suffire. Isocrate fut un
de ceux qui comprirent le mieux le caractère des études supérieures.
D'après lui la haute éducation doit être : pratique, éviter les subtilités ;
rationnelle, viser surtout à la formation des facultés ; étendue, ne prépa-
rant pas seulement à une profession, mais donnant une culture géné-
rale (1).
Le cours d'études s'organisa lentement. Les sophistes élaborèrent
l'art de la rhétorique ; les savants appliquèrent les mathématiques
à la théorie musicale et à l'étude des astres. Aristote perfectionna la
dialectique, l'éthique et la physique ; il étudia les problèmes méta-
physiques et donna à la philosophie son couronnement : la théodicée
ou théosophie, que le christianisme devait utiliser au profit de la vraie
doctrine. Lorsque cette organisation fut définitive, l'enseignement
supérieur comprit : la philosophie, la rhétorique, l'éloquence, la poli-
tique, les mathématiques, l'astronomie, les sciences et la musique.
Les quatre premières étaient considérées comme les études supérieures
par excellence.
La philosophie et la rhétorique devinrent extrêmement populaires.
Quelques-unes des écoles où elles étaient enseignées acquirent une
grande célébrité : telles furent l'école de rhétorique d'Isocrate, les
écoles philosophiques de Platon (Académie), d'Aristote (Lycée), de
Zénon (Portique).
Au moment où florissait l'école d'Alexandrie, les sciences hellé-
niques formaient trois groupes : disciplines philologiques : grammaire,
rhétorique, dialectique : disciplines mathématiques : arithmétique,
géométrie, musique, astronomie ; disciplines philosophiques: philo-
sophie, théologie. On y reconnaîtra facilement les sept arts libéraux
du moyen âge. Ce cours d'études fut maintenu dans toutes les villes
méditerranéennes plusieurs siècles après Jésus-Christ.

(1) Isocrate (436-338) a exercé une influence considérable sur l'éducation des Grecs
et des Romains. Il réagit contre l'enseignement donné par les sophistes et, vers 390, il
ouvrit une école de rhétorique où il se proposa de former les jeunes gens à la vie publique
et à l'action. Il a d m e t t a i t à ses leçons les élèves qui possédaient déjà des connaissances
assez étendues, et leur enseignait la philosophie, la littérature et l'art oratoire. Par
l'heureux choix des sujets à traiter, p a r l'idéal élevé qu'il leur proposait, Isocrate tra-
vaillait à la formation du caractère et à l'éducation morale. Le bon goût, la rectitude
du jugement, la conduite exemplaire, la maîtrise de soi-même, la modestie, tels sont
d'après lui, les caractères auxquels on reconnaît un homme bien élevé.
Son école eut un plein succès ; il en sortit des hommes d ' É t a t , des orateurs, des avo-
cats, des historiens. Elle contribua dans une large mesure à faire d'Athènes le centre
intellectuel du monde. Des écoles du même genre se répandirent en Orient et surtout à
Rome où pendant de longs siècles elles préparèrent la jeunesse aux carrières libérales et
aux emplois publics.
Organisation des écoles athéniennes.

L'école.— Au sujet des écoles, Solon n'avait donné que des préceptes
généraux : « Les garçons doivent, avant toute chose, apprendre à
nager et à lire ; les pauvres seront ensuite exercés à l'agriculture ou
à un métier ; les riches feront de la musique et de l'équitation et
s'adonneront à la fréquentation des gymnases, à la chasse et à la
philosophie. » L'organisation scolaire fut le résultat de l'initiative
privée d'un peuple ami des arts et des sciences. La République n'in-
tervint ni dans les constructions d'écoles, ni dans la nomination des
maîtres ni dans le choix des matières ou l'emploi des méthodes d'en-
seignement.
Dans les temps anciens, l'école se tenait dans un coin de rue,
sur une place publique. Plus t a r d des locaux spéciaux furent bâtis.
Les grandes cités eurent plusieurs écoles.
Le maître et la classe. — Le maître était appelé grammatiste. Son
emploi, regardé comme inférieur, était peu estimé. L'enseignement
était le dernier refuge de celui qui avait tout essayé. On disait commu-
nément d'un disparu : « Il est mort », ou « il enseigna l' alphabet ».
Démosthène, dans son Discours pour la couronne, reproche à son adver-
saire d'avoir aidé son père à balayer son école.
En classe, le maître se plaçait sur un siège élevé ; ses élèves se
groupaient autour de lui, car il n ' y avait ni bancs ni tables. Le long
des murs étaient étalés différents objets nécessaires à l 'enseignement :
tableaux de lecture et d'écriture, boîtes pour les rouleaux manu-
scrits, planchettes pour le calcul, cailloux pour la numération, casiers
pour les instruments de musique. On prétend même qu 'il y avait des
tableaux noirs pour les démonstrations. Certaines classes étaient
ornées d'images et de peintures.

Méthodes d'enseignement. — Les Grecs ignorent le mot et la chose.


Les maîtres prennent pour guide le bon sens et l 'expérience. La
lecture s'enseigne par l'épellation, et l'on procède par synthèse :
lettres, sons, syllabes, mots. L'alphabet est écrit ou peint sur des
plaques en terre cuite. Les exercices d'écriture se font au moyen d un
stylet sur des tablettes enduites de cire. Le calcul élémentaire est

Vous aimerez peut-être aussi