La Guerre Des Gaules - Jules César
La Guerre Des Gaules - Jules César
La Guerre Des Gaules - Jules César
(1964)
La guerre
des Gaules
Traduction, préface et notes
par Maurice RAT [1893-1963]
agrégé de l’université.
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à partir de :
Jules CÉSAR
[100 avant J.-C. - 44 avant J.-C.]
Préface
Livre Premier
Livre Deuxième
Livre Troisième
Livre Quatrième
Livre Cinquième
Livre Sixième
Livre Septième
Livre Huitième
PRÉFACE
_______
blie que le chef arverne avait appris à l’école des Druides, et proba-
blement à celle d’un rhéteur grec, les règles de l’éloquence.
La même nudité, le même ton impersonnel se retrouvent dans le
récit. Point de digressions, point de dissertations. C’est un général qui
écrit, selon le mot juste de Quintilien, « avec le même esprit qu’il fait
la guerre ». De là, ce dédain des préambules, chers à Salluste et à Tite-
Live, et cette entrée brusque en matière. De là, répandus dans son li-
vre au fur et à mesure des événements, ces détails sur l’origine et le
genre de vie des peuples barbares qu’il combat. Delà, dans les des-
criptions cet absolu mépris du pittoresque. César ne tient pas à être
dramatique, sensible, à piquer la curiosité du lecteur ; il expose, avec
une clarté lumineuse et tranquille, la situation des lieux, l’itinéraire
des troupes, les phases d’un combat ou d’un siège. C’est tout.
Les mérites de ce style, sa nudité, sa rapidité, son élégance directe,
ont été justement célébrés par Cicéron, qui écrit dans le Brutus : « Les
Commentaires sont dépouillés, comme on fait d’un vêtement, de tout
ornement oratoire… Au reste, en se proposant de fournir des maté-
riaux où puiseraient ceux qui voudraient écrire matériaux où puise-
raient ceux qui voudraient écrire l’histoire, (César) a fait sans doute
quelque chose d’agréable aux sots, qui seront tentés d’y porter leur fer
à friser ; mais il a enlevé l’envie d’écrire aux hommes de bon sens :
car il n’est rien de plus agréable, en histoire, qu’une concision lumi-
neuse et pure. » On ne saurait mieux dire, et il faut reconnaître que la
main de celui qui les écrit double la valeur de pareils éloges, puisque
les qualités maîtresses du grand écrivain qu’est Cicéron ne sont point,
il convient de l’avouer, la brièveté et l’absence d’ornement oratoire.
La langue de César est pure comme son style. Elle n’emploie que
des mots courants. Elle a uns syntaxe des plus nettes. Aussi bien César
a-t-il écrit les Commentaires de la guerre des Gaules avec l’élégance
naturelle qui le caractérise, mais sans oublier jamais qu’il s’adressait à
un vaste public, et qu’il lui fallait, pour être entendu de tous, user des
mots de tout le monde. De même que le premier mérite de son style
est de faire oublier le style, le premier mérite de sa langue et de sa
syntaxe est de ne point dérouter le lecteur par des termes spéciaux et
par des constructions compliquées.
D’ailleurs, dans cet instrument de propagande personnelle que sont
les Commentaires, et sous cette objectivité apparente, tout concorde à
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 10
MAURICE RAT.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 11
Livre premier
1 Pomponius Méla (III, 12) Strabon (IV, 5, c, 199) commettent la même er-
reur que César : la mauvaise orientation des cartes antiques en est la cause.
2 Soit 266 kilomètres : ce chiffre dépasse la réalité.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 13
IV. — Ce projet fut dénoncé aux Helvètes qui, selon leurs usages,
forcèrent Orgétorix à plaider sa cause chargé de chaînes : condamné,
il devait subir comme peine le châtiment du feu. Mais, au jour fixé
pour son audition, Orgétorix fit comparaître au tribunal tous les siens,
environ dix mille hommes, qu’il avait rassemblés de toutes parts, et il
y fit venir aussi tous ses clients et ses débiteurs, dont le nombre était
grand : grâce à eux, il put se soustraire à l’obligation de se défendre.
Ses concitoyens indignés par cette façon de faire voulaient maintenir
leur droit par les armes, et déjà les magistrats rassemblaient un grand
nombre d’hommes de la campagne, lorsque Orgétorix mourut : et l’on
n’est pas sans soupçonner (c’est l’opinion des Helvètes) qu’il se don-
na lui-même la mort.
sins et leurs villages et de partir avec eux ; et ils associent à leur projet
et s’adjoignent les Boïens, qui avaient habité au delà du Rhin et qui
étaient passés dans le Norique, pour mettre le siège devant Noréia.
11 C’est une façon de parler, car les Santons étaient à 220 kilomètres de Tou-
louse.
12 La onzième et la douzième.
13 La septième, la huitième et la neuvième.
14 Par le col du Mont Genèvre.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 17
Allobroges chez les Ségusiaves 15. Ce sont les premiers habitants hors
de la Province au delà du Rhône.
XI. — Les Helvètes avaient déjà fait passer leurs troupes par les
défilés 16 et le territoire des Séquanais, et étaient arrivés sur le territoi-
re des Éduens, dont ils ravageaient les champs. Les Éduens, ne pou-
vant se défendre, eux et leurs biens, envoient des ambassadeurs de-
mander secours à César ; « ils avaient, disaient-ils, trop bien mérité en
tout temps 17 du peuple romain pour qu’on ne permit pas que presque
sous les yeux de notre armée leurs champs fussent dévastés, leurs en-
fants emmenés en servitude, leurs places prises d’assaut ». En même
temps les Ambarres, amis des Éduens et de même sans queux, infor-
ment César que leurs champs sont ravagés et qu’ils ont du mal à dé-
fendre leurs villes des violences de l’ennemi. De même des Allobro-
ges, qui avaient des villages et des propriétés au delà du Rhône, se
réfugient auprès de César, et lui déclarent qu’il ne leur reste plus que
le sol de leurs champs. Ému par ces plaintes, César décide qu’il ne
faut pas attendre qu’après avoir consommé la ruine de nos alliés les
Helvètes parviennent chez les Santons.
XII. — La Saône est une rivière qui, à travers le pays des Éduens
et des Sénaquais, coule vers le Rhône avec une si incroyable lenteur,
que l’œil ne peut juger la direction de son cours. Les Helvètes la pas-
saient sur des radeaux et sur des barques jointes ensemble. Quand Cé-
sar sur par ses éclaireurs que les Helvètes avaient déjà fait passer cette
rivière aux trois quarts de leurs troupes, et que le quatrième quart res-
tait encore en deçà de la Saône, il partit de son camp 18 à la troisième
veille avec trois légions et atteignit ce quart qui n’avait pas encore
passé la rivière. Les ayant attaqués sans qu’ils s’y attendissent et au
ter l’idée que le peuple romain avait moins mérité son malheur : s’il
avait eu la conscience, en effet, de quelque tort envers eux, il se serait
aisément tenu sur ses gardes, mais il avait été surpris, parce qu’il
voyait qu’il n’avait rien fait qui pût leur inspirer des craintes et qu’il
ne pensait pas qu’il dût craindre sans motif. Et même s’il voulut ou-
blier l’ancien outrage, pouvait-il effacer le souvenir de torts tout ré-
cents : tentatives pour passer, malgré lui, de force par la Province ;
violence contre les Éduens, les Ambarres et les Allobroges ? L’orgueil
plein d’insolence que leur inspirait leur victoire, leur étonnement
d’être restés si longtemps impunis, le conduisaient aux mêmes résolu-
tions : car souvent les dieux immortels, pour faire sentir plus pénible-
ment les revers de fortune aux gens qu’ils veulent châtier pour leurs
crimes, leur accordent parfois des succès et une impunité assez lon-
gue. Quoi qu’il en soit, s’ils lui donnent pourtant des otages comme
garants de leurs promesses, s’ils donnent satisfaction aux Éduens,
pour les torts qu’eux et leurs alliés ont subis, et aux allobroges pareil-
lement, il fera la paix avec eux. » Divicon répondit « que les Helvètes
tenaient de leurs ancêtres l’habitude de recevoir, et non point de don-
ner des otages ; que le peuple romain en avait eu la preuve. » Sur cette
réponse, il se retira.
XVI. — Cependant César pressait chaque jour les Éduens de lui li-
vrer le blé qu’ils lui avaient promis officiellement : car, à cause du
froid (la Gaule, comme on l’a dit précédemment, ayant une situation
septentrionale) non seulement les moissons n’étaient pas mûres dans
les champs, mais le fourrage même n’était pas en quantité suffisante ;
quant au blé qu’il avait fait remonter la Saône sur des navres, il ne
pouvait pas l’utiliser, parce que les Helvètes s’étaient écartés de la
Saône et qu’il ne voulait pas perdre le contact e-avec eux. Les Éduens
laissaient passer les jours ; disaient qu’on rassemblait les grains, qu’on
les transportait, qu’ils arrivaient. Quand il vit que les choses traînaient
trop et que le jour approchait où il fallait distribuer leur ration de blé
aux soldats, il convoque les principaux Éduens, qui étaient en grand
nombre dans son camp, entre autres Divicisc et Lisc ; celui-ci détenait
la magistrature suprême, que les Éduens appellent vergober, charge
annuelle et qui donne le droit de vie et de mort sur ses concitoyens.
César leur reproche vivement de ne point venir à son aide, quand on
ne peut ni acheter des vivres ni en prendre dans les campagnes, et ce-
la, en un moment si critique, quand l’ennemi est si proche ; il se plaint
d’autant plus vivement d’un pareil abandon que c’est en grande partie
poussé par leurs prières qu’il a entrepris la guerre.
XXIV. — Quand il s’en aperçut, César ramena ses troupes sur une
colline voisine 25, et envoya sa cavalerie pour soutenir l’attaque de
l’ennemi. En même temps, il rangea quatre légions de vétérans sur
trois lignes, au milieu de la colline, et, au-dessus de lui au sommet,
deux légions qu’il avait récemment levées dans la Gaule citérieure,
avec toutes les troupes auxiliaires ; ayant ainsi garni d’hommes toute
la montagne, il en fit en même temps rassembler tous les bagages en
un seul endroit et fortifier celui-ci par les troupes établies sur la posi-
tion la plus haute. Les Helvètes, qui le suivaient avec tous leurs cha-
riots, réunirent en un seul endroit leurs bagages ; et quant à eux, après
avoir rejeté notre cavalerie grâce à leurs bataillons serrés, ils formè-
rent la phalange, et s’approchèrent de notre première ligne
26 La colline d’Armecy.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 26
XXVIII. — Quand César le sut, il ordonna aux peuples sur les ter-
res desquels ils étaient passés, de les rechercher et de les ramener, s’ils
voulaient ne pas être regardés par lui comme leurs complices ; une
fois qu’ils furent ramenés, il les traita en ennemis ; quand aux autres,
après avoir livré otages, armes et transfuges, ils virent leur reddition
acceptée. Il ordonna aux Helvètes, aux Turinges, aux Latobriges, de
retourner aux ays d’où ils étaient partis ; comme ils avaient détruit
toutes leurs récoltes et qu’ils n’avaient plus rien chez eux pour se
nourrir, il ordonna aux Allobroges de leur fournir du blé, et il leur en-
joignit à eux-mêmes de relever les villes et les villages qu’ils avaient
incendiés. Il agit ainsi parce qu’avant tout il ne voulait point laisser
désert le pays qu’avaient abandonné les Helvètes, de peur que la qua-
lité du sol n’attirât de leur pays dans celui des Helvètes les Germains
d’outre-Rhin, et qu’ils ne devinssent ainsi voisins de la Province et
des Allobroges. Il satisfit la demande des Éduens, qui, connaissant
leur bravoure remarquable, voulaient installer sur leur territoire les
Boïens : ils leur donnèrent de tout, et, par la suite, les admirent à jouir
des droits et libertés dont ils jouissaient eux-mêmes.
XXX. — Une fois la guerre contre les helvètes terminée, des dépu-
tés de presque toute la Gaule, et les principaux citoyens de chaque cité
vinrent féliciter César. « Ils comprenaient, disaient-ils, que le peuple
romain, en faisant la guerre aux Helvètes, avait vengé de vieilles inju-
res, mais la guerre de la Gaule n’en tirait pas moins de profit que Ro-
me ; car les Helvètes n’avaient quitté leur pays en pleine prospérité
que pour porter la guerre à travers toute la Gaule, s’en rendre maîtres,
choisir parmi les contrées cette qu’ils jugeraient la plus favorable et la
plus facile de toute la Gaule et rendre les autres états tributaires. Ils lui
demandèrent la permission de fixer un jour avec son consentement
pour l’assemblée générale de toute la Gaule, où ils traiteraient de cer-
taines affaires qu’ils voulaient d’un commun accord lui soumettre. »
César y consentit ; ils fixèrent le jour de l’assemblée 27, et
s’engagèrent par serment à n’en rien révéler que sur mandat donné par
le consentement de tous.
28 On voit dans le De Divinatione (I, 41, 90) qu’il avait été l’hôte de Cicéron, à
qui il avait donné des renseignements sur la religion des druides. Un passage
des Panégyriques (8, 3) le montre parlant devant le Sénat, appuyé sur son
bouclier.
29 Le mot est vague. Il est peu probable que les Séquanais se soient joints aux
Éduens.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 29
nir ; le principal était de voir les Éduens, que le Sénat avait souvent
salués du titre de frères et d’alliés, soumis au joug et à la sujétion des
Germains et de savoir de leurs entre les mains d’Arioviste et les Sé-
quanais ce qui lui semblait, étant donné la toute-puissance du peuple
romain, une honte pour lui-même et pour la république. Il voyait qu’il
était périlleux pour le peuple romain d’habituer peu à peu les Ger-
mains à passer le Rhin et à venir en grand nombre dans la Gaule ; et il
estimait que ces hommes sauvages et barbares, une fois maîtres de
toute la gaule, ne manqueraient pas, à l’exemple des Cimbres et des
teutons, de passer dans la Province, et de là à marcher sur l’Italie
d’autant plus que le Rhône seul séparait les Séquanais de notre Pro-
vince : périls auxquels, pensait-il, il fallait parer au plus tôt. De plus,
l’orgueil et l’insolence d’Arioviste s’étaient exaltés au point qu’il ne
le trouvait plus tolérable.
hâter pour ne pas pouvoir résister moins facilement aux Suèves si leur
nouvelle bande 31 se joignait aux vielles troupes d’Arioviste. Aussi,
ayant rassemblé des vivres en toute hâte, il marche à grandes étapes
contre Arioviste.
fuite des Gaulois 33, ils pouvaient en trouver la cause, s’ils voulaient
bien la chercher, dans la lassitude des longueurs de la guerre
qu’éprouvaient les Gaulois, quand Arioviste, après s’être enfermé plu-
sieurs mois dans son camp et ses marais sans faire aucune démonstra-
tion, les avait attaqués tout à coup, déjà dispersés et désespérant de
combattre et les avait vaincus par une habile tactique plus par la va-
leur de ses troupes. Une telle tactique pouvait réussir avec des barba-
res sans expérience, mais il n’espérait sans doute pas lui-même
l’employer sur nos armées. Quant à ceux qui, pour déguiser leur crain-
te, alléguaient leurs inquiétudes au sujet du ravitaillement et des diffi-
cultés des chemins, ils étaient bien insolents avec leurs airs de n’avoir
pas confiance en leur général ou de lui prescrire son devoir. Il avait le
souci de ces difficultés ; les Séquanais, les Leuques, les Lingons leur
fournissaient du blé ; déjà les moissons étaient mûres dans les
champs ; quant à la route, ils en jugeraient bientôt eux-mêmes. On
prétendait que les soldats n’obéiraient pas aux ordres et ne marche-
raient pas ! ces propos ne l’inquiétaient que fort peu ; il savait qu’une
armée ne se révoltait que contre des généraux malheureux par leur
faute ou convaincus, par quelque malversation découverte, de cupidi-
té. Pour lui, sa vie entière témoignait de son intégrité, et la guerre
contre les Helvètes de sa chance. Aussi ferait-il tout de suite ce qu’il
voulait différer, et il lèverait le camp cette nuit, à la quatrième veille,
afin de connaître au plus tôt si c’était l’honneur et le devoir ou si
c’était la crainte qui prévalait chez eux. Au demeurant si personne ne
le suivait, il partirait pourtant avec la seule dixième légion, dont il ne
doutait pas et qui serait sa cohorte prétorienne. » Cette légion était cel-
le à qui César avait témoigné le plus d’affection et dont la valeur lui
inspirait le plus de confiance.
34 Pour éviter les forêts et les défilés du Doubs, en gagnant, par un pays plus
découvert, c’est-à-dire par Voray et la vallée de l’Ognon, la région de Vil-
lersexel.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 36
XLIII. — Dans une grande plaine 35, à une distance à peu près éga-
le des deux camps, s’élevait un tertre assez étendu. C’est là que,
comme convenu, les deux chefs vinrent à une entrevue. César fit arrê-
ter sa légion montée à deux cents pas de ce tertre ; les cavaliers
d’Arioviste s’arrêtèrent à la même distance. Arioviste demanda qu’on
s’entretînt à cheval et que chacun amenât dix hommes avec lui. Lors-
qu’on fut arrivé, César pris la parole pour lui rappeler d’abord ses
bienfaits et ceux du Sénat ; « il avait été salué par le Sénat du titre de
roi, du titre d’ami, comblé des plus riches présents ; c’était là, lui en-
seignait-il, un privilège que le Sénat accordait à peu de personnes, et,
d’habitude, pour de grands services ; il avait obtenu ces faveurs sans
titre, sans juste motif de les solliciter, grâce à la bienveillance et à la
libéralité du Séant et de lui-même. Il lui apprenait encore combien
étaient vieilles et combien justifiées les raisons de l’amitié qui liaient
les Romains aux Éduens ; quels sénatus-consultes, et combien hono-
rables, avaient été souvent rendus en leur faveur ; comment, de tout
temps, avant même qu’ils n’eussent recherché notre amitié, les
Éduens avaient exercé leur principat sur la Gaule entière. C’était une
habitude du peuple romain de vouloir que leurs alliés et leurs amis,
non seulement ne perdissent rien de leur puissance, mais vissent aug-
menter leur crédit, leur dignité, leur considération : en vérité, qui
pourrait souffrir qu’on leur arrachât ce qu’ils avaient apporté à
l’amitié du peuple romain ? » Il présenta ensuite les mêmes demandes
dont il avait confié le mandant à ses envoyés ; « ne faire la guerre ni
aux Éduens ni à leurs alliés ; rendre les otages ; et, s’il ne pouvait ren-
voyer chez eux aucune fraction de ses Germains, ne pas souffrir au
moins que d’autres franchissent le Rhin. »
les otages lui avaient été livrés par eux volontairement ; le tribut perçu
selon les droits de la guerre, en vertu de l’habitude qui veut que les
vainqueurs l’imposent aux vaincus ; ce n’était point lui qui avait prit
l’offensive contre les Gaulois, mais les Galois qui l’avaient prise
contre lui ; tous les états de la Gaule étaient venus l’attaquer, et
avaient opposé leurs armées à la sienne ; il avait, dans un seul combat,
dispersé et vaincu toutes leurs force. S’ils voulaient tenter une se-
conde expérience, il était prêt à une seconde lutte ; s’ils voulaient pra-
tiquer la paix, il était injuste de lui refuser le tribut, qu’ils avaient vo-
lontairement payé jusqu’à ce jour. Il pensait que l’amitié du peuple
romain devait lui procurer honneur et appui, et non un détriment ; et
c’est dans cet espoir qu’il l’avait recherchée. Mais si, grâce au peuple
romain, son tribut lui est enlevé, et ses sujets soustraits à ses lois, il
renoncerait à l’amitié du peuple romain aussi volontiers qu’il l’avait
recherchée. S’il faisait passer en gaule un grand nombre de Germains,
c’était pour sa sûreté, non pour attaquer la Gaule : la preuve en était
qu’il n’était venu en gaule que sur leur prière, et qu’il n’avait point
fait une guerre offensive, mais défensive. Il était venu en Gaule avant
le peuple romain. Jamais jusqu’à ce jour une armée du peuple romain
n’avait passé les frontières de la province de Gaule. Que lui voulait-
on ? Pourquoi venait-on sur ses possessions ? Cette partie de la gaule
était sa province, comme l’autre était la nôtre. De même qu’on ne de-
vait point lui permettre de pousser une pointe sur nos frontières, de
même nous étions injustes en le troublant dans l’exercice de ses droits.
Quant au titre de frères que le Sénat, disait César, avait donné aux
Éduens, il n’était point assez barbare ni assez dénué d’expérience pour
imaginer que, dans la dernière guerre des Allobroges, les Éduens
n’avaient pas porté secours aux Romains, et n’avaient oint reçu non
plus d’aide du peuple romain dans leurs démêlés avec lui et avec les
Séquanais. Il avait leur de soupçonner que César, tout en se disant son
ami, n’avait une armée en Gaule que pour le perdre. S’il ne s’éloignait
et ne retirait ses troupes de cette région, il le traiterait non point en
ami, mais en ennemi ; s’il le tuait, il ferait une chose agréable à beau-
coup de nobles et de chefs politiques de Rome, ainsi qu’il l’avait ap-
pris par les messages de ceux dont sa mort lui vaudrait la faveur et
l’amitié. Mais s’ils se retirait et lui laissait la libre possession de la
Gaule, il lui témoignerait sa grande reconnaissance en se chargeant
des guerres qu’il voudrait entreprendre sans que César encourût ni
fatigue ni danger. »
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 38
LI. — Le lendemain, César laissa, pour garder les deux camps, les
forces qui lui parurent suffisantes ; il plaça toutes ses troupes auxiliai-
res à la vue de l’ennemi devant le petit camp, voulant, comme le
nombre de ses légionnaires était inférieur à celui de ses ennemis, faire
illusion sur leur nombre en employant ainsi les auxiliaires. Lui-même,
ayant rangé l’armée sur une triple ligne de bataille, s’avança jusqu’au
camp des ennemis. Alors seulement les Germains, ne pouvant plus
éviter le combat, firent sortir leurs troupes de leur camp, et les placè-
rent, peuplade par peuplade, à intervalles égaux, Harudes, Marco-
mans, Tribocques, Vangions, Némètes, Sédusiens, Suèves et, pour
s’interdire tout espoir de fuite, formèrent autour d’eux une barrière
avec les chariots et les voitures : ils y firent monter leurs femmes, qui,
tout en pleurs et les mains ouvertes, suppliaient les soldats partant
pour le combat de ne les point livrer en esclavage aux Romains.
tout petit nombre d’entre eux, ou bien, se fiant à leur force, essayèrent
de passe le fleuve à la nage, ou bien durent leur salut à des barques
qu’ils avaient trouvées. De ce nombre fut Arioviste, qui trouva une
embarcation attachée au rivage et s’échappa ainsi 41 ; tous les autres 42
furent taillés en pièces par nos cavaliers qui les poursuivaient. Ario-
viste avait deux femmes : l’une de race suève qu’il avait emmenée de
sa patrie avec lui ; l’autre, du Norique, et sœur du roi Vocion, qui la
lui avait envoyée en Gaule où il l’épousa ; toutes deux périrent dans la
déroute. Il avait deux filles : l’une fut tuée, l’autre prise. Caïus Valé-
rius Procillus était entraîné par ses gardiens dans leur fuite, chargé
d’une triple chaîne, lorsqu’il tomba aux mains de César lui-même qui
poursuivait l’ennemi avec ses cavaliers. Ce fut pour César un plaisir
égal à celui de la victoire même, que d’arracher aux mains de
l’ennemi et de se voir rendu l’homme le plus honoré de la province de
Gaule, son ami et son hôte, et la fortune qui l’avait épargné avait vou-
lu que rien n’altérât sa joie et son triomphe. Procillus lui dit qu’il avait
vu trois fois consulter le sort pour décider s’il serait brûlé sur-le-
champ ou réservé pour un autre temps, et qu’il était indemne de par la
grâce du sort. Marcus Mettius fut également retrouvé et ramené à Cé-
sar.
Livre deuxième
43 La treizième et la quatorzième.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 44
44 César venait en effet, non point de Besançon, comme l’ont cru certains, mais
de la région sud du pays des Séquanais.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 45
de l’Aisne 47, qui est à l’extrême frontière des Rèmes, et y plaça son
camp 48. De cette façon, la rivière défendait un des côtés du camp ;
ses derrières étaient protégés de l’ennemi, et il pouvait sans péril faire
venir des convois de chez les Rèmes et les autres états. Il y avait un
pont sur cette rivière : il y établit un poste et laisse sur l’autre rive son
lieutenant Quintus Titurius Sabinus avec six cohortes ; il fortifie son
camp par un retranchement de douze pieds de haut et par un fossé de
dix-huit pieds.
VI. — A huit milles de ce camp était une ville des Rèmes nommée
Bibrax : les Belges lui livrèrent, en passant, un grand assaut ? On n’y
résista ce jour-là qu’à grand-peine. Gaulois et Belges ont la même
manière de donner l’assaut. Ils commencent par se répandre en foule
autour des remparts, lancent de tous côtés des pierres sur le mur,
quand le mur est dégarni de ses défenseurs, Ils s’approchent des portes
en formant la torture et sapent le mur. Cette tactique était alors facile,
car devant une telle foule criblant les remparts de pierres et de traits,
personne ne pouvait rester sur le mur. La nuit mit fin à l’assaut. Le
Rème Iccius, homme d’une haute naissance et d’un grand crédit au-
près des siens, qui commandait alors la place, l’un de ceux qui avaient
été députés vers César pour demander la paix, lui envoya dire « qu’il
ne pouvait tenir plus longtemps, s’il n’était secouru ».
49 Le marais de la Miette.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 48
XIII. — César, après avoir reçu comme otages les premiers per-
sonnages de l’état ainsi que deux fils du roi Galba lui-même, et après
s’être fait livrer toutes les armes de la place, reçut la soumission des
Suessions et marcha contre les Bellovaques. Ceux-ci s’étaient renfer-
més avec tous leurs biens dans la place de Bratuspantium ; César et
son armée étaient à environ cinq mille pas de cette place, lorsque tous
les anciens, sortant de la ville, tendirent leurs mains vers lui et prirent
la parole pour lui dire qu’ils se rendaient à sa discrétion et
n’entreprenaient pas de lutter contre le peuple romain. Comme il
s’était approché de la place et établissait son camp, les enfants et les
femmes, du haut des murs, les mains tendues dans le geste qui leur est
habituel, demandèrent la paix aux Romains
XVI. — Après trois jours de marche à travers leur pays, César ap-
prit de ses prisonniers « que la Sambre n’était plus qu’à dix mille pas
de son camp et que tous les Nerviens s’étaient établis de l’autre côté
de la rivière pour y attendre l’arrivés des Romains. Ils étaient réunis
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 51
aux Atrébates et aux Viromanduens, leurs voisins (car ils avaient per-
suadé ces deux peuples de tenter avec eux la fortune de la guerre). Ils
attendaient aussi les forces des Atuaques, qui étaient en route ; les
femmes, et ceux que leur jeune âge semblait rendre inutiles au com-
bat, avaient été entassés en un lieu dont les marais défendaient l’accès
à une armée. »
XXI. — César, après avoir donné les ordres nécessaires, courut ha-
ranguer les soldats du côté que le hasard lui offrit, et tomba sur la
dixième légion. Pour toute harangue, il se borna à recommander aux
soldats de se souvenir de leur antique valeur, de ne point se troubler,
et de supporter avec courage le choc des ennemis. Comme ceux-ci
n’étaient plus qu’à une portée de javelot, il donna le signal du combat.
Puis, parti vers l’autre aile pour y faire les mêmes exhortations, il
trouva l’action engagée. L’attaque avait été si rapide et l’ennemi si
ardent à combattre qu’on n’eut le temps ni de revêtir les insignes ni
même de mettre les casques et d’enlever les housses des boucliers.
Chacun, en revenant des travaux, se plaça au hasard sous les premiè-
res enseignes qu’il aperçut, pour ne point perdre le temps de la bataille
à rechercher les siennes.
XXIX. — Les Atuatuques, dont nous avons parlé plus haut, ve-
naient au secours des Nerviens avec toutes leurs forces ; à la nouvelle
de ce combat, il rebroussèrent chemin et rentrèrent chez eux ; aban-
donnant toutes leurs places et tous leurs forts, ils réunirent tous leurs
biens dans une seule place que la nature avait remarquablement forti-
fiée. Environnée sur tous les points de son enceinte par des rochers à
51 À l’embouchure de l’Escaut.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 57
pic d’où la vue d’étendait, elle n’avait pour unique accès qu’une pente
douce, de deux cents pieds de large, tout au plus. Ils avaient défendu
cet accès par une double muraille très haute, couronnée de blocs de
pierre d’un grand poids et de poutres aiguisées. Eux-mêmes descen-
daient des Cimbres et des teutons, qui, dans leur marche sur notre
Province et l’Italie, avaient laissé sur la rive gauche du Rhin les
convois qu’ils ne pouvaient emmener avec eux, avec six mille hom-
mes d’entre eux pour les garder et les surveiller. Ceux-ci, après
l’avertissement de leur peuple, furent longtemps en guerre avec leurs
voisins, tout à tour attaquant ou attaqués. Ils avaient enfin fait la paix,
et d’un communs accord élu domicile en ces lieux.
XXXIII. — Sur le soir, César fit fermer les portes et sortir ses sol-
dats de la ville, pour prévenir les violences qu’ils auraient pu commet-
tre la nuit contre les habitants. Mais ceux-ci, comme on s’en rendit
compte, avaient concerté une surprise : ils aveint cru qu’après leur
reddition nos portes seraient dégarnies, ou au moins gardées négli-
gemment ; les uns prirent donc les armer qu’ils avaient gardées et ca-
chées, les autres, des boucliers d’écorce ou d’osier tressé, qu’ils
avaient subitement, car le temps pressait, garnis de peaux ; puis, à la
troisième veille, ils firent soudain une sortie avec toutes leurs forces
du côté où la montée vers nos retranchements était la moins rude. Vi-
te, suivant les prescriptions données d’avance par César, l’alarme fut
donnée par des feux ; on accourut de tous les forts voisins ; les enne-
mis, luttant dans un lieu désavantageux contre nos soldats qui lan-
çaient sur eux des traits, du haut du retranchement et des tours, se bat-
tirent avec l’acharnement d’hommes désespérés, qui mettent dans leur
courage leur suprême espoir de salut. On en tua environ quatre mille ;
le reste fut rejeté dans la place Le lendemain, on enfonça les portes,
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 59
52 La septième, qui avait pris part à la bataille de la Sambre (cf. chap. XXIII et
XXV).
53 César désigne surtout les Ubiens.
54 C’est-à-dire d’actions de grâces solennelles, décrétées par le Sénat : Pompée
n’en avait eu que douze, après sa victoire que Mithridate.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 60
Livre troisième
lots. Les nôtres, qui avaient au début toutes leurs forces, firent une
courageuses résistance, et de leur position dominante ne lançaient au-
cun trait qui ne portât : chaque fois qu’un point du camp, dégarnie de
défenseurs, semblait vivement pressé, ils couraient y porter secours ;
mais l’ennemi avait l’avantage de remplacer par des troupes fraîches
celles qu’avait épuisées la durée du combat ; leur petit nombre empê-
chait les nôtres d’en faire autant : non seulement, ils ne pouvaient,
quand ils étaient épuisés, se retirer de l’action, mais les blessés même
ne pouvaient quitter la porte où ils étaient placés pour se ressaisir.
VI. — Ils exécutent les ordres qu’ils ont reçus, et, sortant tout à
coup par toutes les portes, ne laissent aux ennemis le moyen de com-
prendre ce qui se passe ni de se reformer. Ainsi, le combat change de
face : ceux qui s’étaient flattés de s’emparer du camp sont enveloppés
de toutes parts et massacrés ; de trente mille hommes et plus qu’on
savait s’être portés à l’attaque du camp, plus du tiers fut tué ; les au-
tres, effrayés, prennent la fuite et ne peuvent même pas rester sur les
hauteurs. Ayant ainsi mis en déroute et forcé à abandonner leurs ar-
mes toutes les forces des ennemis, nos soldats se replient dans leur
camp et dans leurs retranchements. Après cet engagement, Galba ne
voulut pas tenter davantage la fortune, et se rappela qu’il avait pris ses
quartiers d’hiver dans un tout autre dessein ; voyant où des circons-
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 63
56 Soit que la récolte eût été mauvaise, soit qu’on y fît alors peu de blé.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 64
aperçue par l’ennemi, deux cent vingt de leurs vaisseaux environ tout
prêts et parfaitement équipés, sortirent de leur port 58 et vinrent se pla-
cer face aux nôtres. Brutus, qui commandait la flore, et les tribun mili-
taires et centurions qui avaient chacun un vaisseau, étaient indécis sur
ce qu’ils avaient à faire et sur la tactique du combat à adopter. Ils sa-
vaient, en effet, que l’éperon était impuissant ; et, si l’on élevait des
tours, les vaisseaux barbares les dominaient encore de par la hauteur
de leurs poupes, si bien que nos traits lancés d’en bas portaient mal,
tandis que ceux des gaulois tombaient sur nous d’autant plus vive-
ment. Une seule invention préparée par les nôtres fut d’un grand se-
cours : c’étaient des faux extrêmement tranchantes, emmanchées de
longues perches, assez semblables à nos faux murales. Avec ces faux
on accrochait et l’on tirait à soi les cordages qui attachaient les ver-
gues aux mâts ; on les rompait en faisant force de rames ; une fois
rompues, les vergues tombaient forcément, et les vaisseaux gaulois, en
perdant leurs voiles et les agrès sur lesquels ils fondaient tout leur es-
poir, étaient du même coup réduits à l’impuissance. Le reste du com-
bat n’était plus qu’affaire de courage, et en cela nos soldats avaient
facilement l’avantage, surtout dans une bataille livrée sous les yeux de
César et de toute l’armée : aucune action un peu belle ne pouvait res-
ter inconnue ; l’armée, en effet, occupait toutes les collines et toutes
les hauteurs d’où la vue d’étendait sur la mer toute proche.
58 Sans doute la rivière d’Auray. La bataille eut lieu probablement dans la baie
de Saint-Gildas.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 68
XVI. — Cette bataille mit fin à la guerre des Vénètes et de tous les
États maritimes de cette côte : car tous les hommes jeunes et même
tous les hommes d’un âge mûr, distingués par leur rang ou leur sages-
se, étaient réunis là, et ils avaient rassemblé en outre sur ce seul point
tout ce qu’ils avaient de vaisseaux, et cette perte ne laissait aux autres
nul moyen de se replier ou de défendre leurs places. Aussi se rendi-
rent-ils corps et biens à César. César décida de faire n exemple sévère,
qui apprît aux Barbares à mieux respecter à l’avenir le droit des am-
bassadeurs. Il fit donc mourir tout le Sénat et vendit le reste à l’encan.
tes ; que, sans tarder davantage, Sabinus, la nuit suivante, lèvera son
camp en secret pour aller le secourir. Plusieurs motifs poussaient les
Gaulois à cette décision : l’hésitation de Sabinus les jours précédents ;
les affirmations du transfuge ; le manque de vivres, auxquels ils
avaient peu pourvu ; l’espoir que suscitait la guerre des Vénètes ; en-
fin cette facilité des hommes à croire presque toujours ce qu’ils ce
qu’ils désirent. Entraînés par ces raisons, ils ne laissent pas sortir du
conseil Viridorix et les autres chefs qu’ils n’aient donné l’ordre de
prendre les armes et d’attaquer le camp. Joyeux de ce consentement,
et comme assurés de la victoire, ils amassent des fascines et des bran-
chages pour en combler les fossés des Romains, et ils marchent au
camp.
XIX. — Le camp était sur une hauteur 59 où l’on accédait par une
douce montée d’environ mille pas. Ils s’y portèrent d’une course rapi-
de, afin de laisser aux Romains le moins de temps possible pour se
ressaisir et prendre les armes, et ils arrivèrent hors d’haleine. Sabinus
exhorte les siens et leur donne le signal qu’ils désirent. Il ordonne de
sortir brusquement par deux portes et de tomber sur l’ennemi embar-
rassé des fardeaux qu’il porte. L’avantage du terrain, l’inexpérience et
l’épuisement de l’ennemi, le courage de nos soldats, l’entraînement
qu’ils avaient acquis dans des combats précédents, tout assura le suc-
cès ; les ennemis ne soutinrent même pas le premier choc et prirent
aussitôt la fuite. Gênés par leurs fardeaux, poursuivis par nos soldats
aux forces intactes, ils périrent en grand nombre ; la cavalerie harcela
le reste et n’en laissa échapper que peu. Ainsi d’un seul coup, Sabinus
fut instruit du combat naval, et César de la victoire de Sabinus ; tous
les états se rendaient aussitôt à Titurius. Car, autant le Gaulois est ar-
dent et prompt à prendre les armes, autant il manque, pour supporter
les désastres, d’énergie et de ressort.
XXII. — Tandis que tous les nôtres étaient attentifs à cette suprê-
me Adiatuanus 60 avec six cents hommes dévoués à sa personne, de
ceux qu’ils appellent Solduriens. (La condition de ces hommes est la
suivante : ils jouissent de tous les biens de la vie avec ceux auxquels
ils se sont unis par les biens de la vie avec ceux auxquels ils se sont
unis par les liens de l’amitié ; si leur chef périt de mort violente, ils
partagent le même sort en même temps que lui, ou bien se tuent eux-
mêmes ; et, de mémoire d’home, il ne s’est encore trouvé personne
qui refusât de mourir quand l’ami auquel il s’était dévoué était mort.)
C’est avec cette escorte qu’Adiatuanus tentait une sortie : une clameur
s’éleva de ce côté de nos défenses ; nos soldats coururent aux armes ;
après un violent combat, Adriatuanus fut refoulé dans la place ; il n’en
obtint pas moins de Crassus les mêmes conditions que les autres.
XXIII. — Après avoir reçu les armes et les otages, Crassus partit
pour le pays des Vocates et des Tarusates. Alors les Barbares, boule-
versés d’apprendre qu’en peu de jours une place également défendue
par la nature et par l’art était tombée entre nos mains, envoient de tou-
tes parts des députés, échangent des serments, des otages et apprêtent
leurs forces. Ils envoient aussi des députés aux états qui appartiennent
à l’Espagne citérieure, voisine de l’Aquitaine : ils en obtiennent des
secours et des chefs. Leur arrivée leur permet de se mettre en campa-
gne avec une grande initiative et une multitude d’hommes considéra-
ble. Ils choisissent pour chefs ceux qui avaient longtemps servi sous
Quintus Serorius et qui passaient pour très habiles dans l’art militaire.
Ils ont la manière romaine de prendre leurs positions, de fortifier leurs
camps, de nous couper les vivres. Crassus s’en aperçut ; il sentit que
ses troupes étaient trop peu nombreuses pour être facilement divisées,
tandis que l’ennemi pouvait aller loin, tenir les routes tout en laissant
au camp une garde suffisante ; que c’était la raison pur laquelle son
ravitaillement était peu facile, et que le nombre des ennemis augmen-
tait de jour en jour. Crassus pensa qu’il ne devait pas hésiter à livrer
XXV. — Là, tandis que les uns comblaient les fossés ; que les au-
tres, lançant une grêle de traits, chassaient les défenseurs du retran-
chement de nos lignes de défense ; et que les auxiliaires, sur qui Cras-
sus ne comptait pas beaucoup pour le combat, fournissaient des pier-
res et des traits, apportaient des mottes de gazon pour le terrassement
et faisaient croire ainsi qu’ils combattaient ; l’ennemi, lui, combattait
ave fermeté et sans peur aucune, lançait d’en haut des traits qui
n’étaient pas perdus. Cependant des cavaliers, ayant fait le tour du
camp ennemi, rapportèrent à Crassus que, du côté de la porte décuma-
ne, le camp était moins bien gardé, et offrait un accès facile.
marche au camp des ennemis, pendant que tous les regards étaient
fixés sur le champ de bataille, ils parvinrent rapidement à la partie du
retranchement que nous avons dite : ils parvinrent rapidement à la par-
tie du retranchement que nous avons dite : ils le forcèrent, et
s’établirent dans le camp des ennemis, avant que ceux-ci pussent bien
voir ou savoir ce qui se passait. Alors, avertis par les cris qui se font
entendre de ce côté, les nôtres, sentant leurs forces renaître, comme il
arrive d’ordinaire quand on a l’espoir de la victoire, pressèrent
l’attaque avec plus d’ardeur. Les ennemis, enveloppés de toutes parts,
et perdant complètement courage, s’efforcèrent de franchir les lignes
de défense et de chercher leur salut dans la fuite. La cavalerie les
poursuivit en rase campagne, et, des cinquante mille Aquitains et Can-
tabres qui formaient cette armée, un quart à peine lui avait échappé,
quand elle revint au camp fort avant dans la nuit.
XXVIII. — Environ le même temps, bien que l’été fût déjà près de
sa fin, César cependant, voyant que seuls, dans toute la gaule pacifiée,
les Morins et les Ménapes restaient en armes et ne lui avaient jamais
envoyé demander la paix, pensa que c’était là une guerre qui pouvait
être achevée promptement et y conduisit son armée. Ces peuples sui-
virent une tactique guerrière toute différente de celle des autres Gau-
lois. Voyant en effet que les plus grandes nations qui avaient lutté
contre César, avaient été repoussées et battues, et possédant un pays
où se succèdent forêts et marais, ils s’y transportèrent corps et biens.
César, parvenu à l’orée de ces forêts, avait commencé à s’y retrancher,
sans qu’un seul ennemi eût paru, quand tout à coup, au moment où les
nôtres étaient dispersés pour les travaux, les Barbares sortirent de tous
les coins de la forêt et fondirent sur les nôtres. Nos soldats, saisissant
vite leurs armes, les repoussèrent dans les forêts, et en tuèrent un
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 74
Livre quatrième
II. — Ils laissent venir chez eux les marchands, plutôt pour vendre
le butin de guerre qu’ils ont fait que par désir d’importer. Ils
n’utilisent même pas ces chevaux étrangers qui plaisent tant dans la
Gaule, et qu’on y paie si cher ; mais à force d’exercer chaque jour
ceux de leur pays, qui sont petits et mal fats, ils les rendent très endu-
rants. Dans les combats de cavalerie, il leur arrive souvent de sauter à
bas de leurs chevaux et de se battre à pied : ils ont dressé les chevaux
à rester sur place, et ils les rejoignent vite, si besoin est ; rien, à leur
idée, n’est plus honteux et ne proue plus que mollesse que de faire
usage de selles. Aussi, quel que soit leur petit nombre, attaquent-ils
sans hésiter une troupe nombreuse dont les chevaux sont sellés.
L’importation du vin est complètement interdite chez eux, parce qu’ils
croient que cette bosson énerve les hommes et affaiblit leur résistance.
III. — Ils tiennent que la plus grande gloire d’un état est de faire à
ses frontières le plus vaste désert ; cela signifie qu’un grand nombre
de nations est incapable de résister à sa puissance. Aussi dit-on d’un
côté de leurs frontières les campagnes sont désertes sur un espace
d’environ six cents milles 64. De l’autre, ils ont pour voisins les
Ubiens, peuple autrefois nombreux et aussi florissant que peut l’être
un état germain : ils sont un peu plus civilisés que les autres peuples
de même race, parce qu’ils touchent au Rhin et que les marchands
vont beaucoup chez eux, et aussi parce que le voisinage des gaulois
les a façonnés à leurs mœurs. Les Suèves les attaquèrent souvent, au
cours de nombreuses guerres, mais ne purent, à cause de leur puissan-
ce et de leur nombre, les chasser de leur territoire ; ils en firent pour-
tant leurs tributaires et les réduisirent à un grand état d’abaissement et
d’affaiblissement.
X. –La Meuse prend sa source dans les montagnes des Vosges 66,
qui sont sur le territoire des Lingons, et, après avoir reçu un bras du
Rhin, que l’on nomme le Wahal, elle forme l’île des Bataves, et, à
quatre-vingt mille pas au plus, se jette dans l’Océan. Quant au Rhin, il
prend naissance chez les Lépontes, habitants des Alpes, et traverse
avec rapidité, dans son cours étendu, les contrées des Natuates, des
Helvètes, des Séquanais, des Médiomatrices, des Tribocques, des Tré-
vires ; en approchant de la mer, il se divise en plusieurs bras, et forme
beaucoup d’îles très grandes, la plupart habitées par des nations farou-
ches et barbares, au nombre desquelles il y a des hommes qui vivent,
croit-on, de poissons et d’œufs d’oiseaux ; enfin, il se jette par beau-
coup d’embouchures dans l’Océan.
XI. — César n’était plus qu’à douze mille pas de l’ennemi, quand
les députés revinrent, au jour fixé ; ils le rencontrèrent en marche et le
supplièrent encore de ne point aller plus avant. N’ayant pu l’obtenir,
ils le priaient au moins de faire donner à la cavalerie, qui formait
l’avant-garde, l’ordre de ne pas engager le combat, et de leur laisser le
temps d’envoyer des députés aux Ubiens, protestant que, si les princi-
paux et le Sénat de cette nation s’y engageaient par serment, ils accep-
teraient les conditions proposées par César ; ils ne demandaient pour
cela que trois jours. César pensait que tout cela tendait au même but :
obtenir un délai de trois jours, pour donner à leurs cavaliers absents le
temps de revenir ; que de quatre milles, pour trouver de l’eau ; ils les
invita à venir ici le lendemain, aussi nombreux que possible, afin qu’il
pût se prononcer sur leurs demandes. En attendant, il fait dire aux pré-
fets, qui marchaient en avant avec toute la cavalerie, de ne pas atta-
quer l’ennemi, et, s’ils étaient eux-mêmes attaqués, de tenir ferme
jusqu’à ce qu’il arrivât lui-même avec l’armée.
XII. — Mais, dès que les ennemis aperçurent nos cavaliers, qui
étaient en nombre de cinq mille, tandis qu’eux-mêmes étaient huit
cents à peine (car ceux qui étaient allés chercher du blé au delà de la
Meuse n’étaient pas encore de retour), ils tombèrent sur eux et eurent
tôt fait de mettre le désordre en nos rangs ; les nôtres étaient sans dé-
fiance, parce que les députés ennemis venaient à peine de quitter Cé-
sar et avaient demandé une trêve pour cette journée. Bientôt les nôtres
se reformant, ils mirent pied à terre, selon leur coutume, éventrèrent
leurs chevaux, jetèrent à bas un grand nombre des nôtres, mirent les
autres en fuite, et les frappèrent tous d’une telle épouvante qu’ils ne
s’arrêtèrent qu’à la vue de notre armée. Dans ce combat soixante-
quatorze de nos cavaliers trouvèrent la mort ; de ce nombre fut un
homme d’un grand courage, l’Aquitain Pison, né d’une famille consi-
dérable, dont l’aïeul avait obtenu la royauté dans son état et reçu de
notre Sénat le titre d’ami. En portant secours à son frère que les en-
nemis enveloppaient et en l’arrachant au danger, il fut renversé lui-
même de son cheval qui avait été blessé, et se défendit avec courage
aussi longtemps qu’il put ; et lorsque, entouré de toutes parts, il tomba
percé de coups, son frère, déjà hors de la mêlée, l’aperçut de loin, lan-
ça son cheval contre les ennemis et se fit tuer.
laisser le temps de prendre un parti. Aussi, après avoir bien arrêté ses
dispositions et communiqué son dessein à ses lieutenants et à son
questeur, il résolut de ne plus différer la bataille. Il arriva fort à propos
que le lendemain matin les Germains, conduits par le même esprit de
perfidie et de dissimulation, après avoir groupé un grand nombre de
leurs chefs et de leurs anciens, vinrent trouver César dans son camp.
C’était, disaient-ils, pour s’excuser d’avoir engagé la veille le combat
malgré leurs conventions et leur propre demande, mais en même
temps pour obtenir, si possible, en nous trompant, quelque prolonge-
ment à la trêve. César, se réjouissant de les voir ainsi s’offrir, ordonna
de les retenir 67 ; puis il fit sortir du camp toutes ses troupes et mit à
l’arrière-garde la cavalerie, qu’il croyait encore dans l’épouvante de
son dernier combat.
XIV. — Ayant rangé son armée sur trois lignes, et accompli rapi-
dement une traite de huit milles, il arriva au camp des ennemis avant
qu’ils pussent savoir ce qui se passait. Épouvantés soudain par toutes
les circonstances : rapidité de notre arrivée, absence de leurs chefs,
manque de temps pour délibérer ou prendre les armes, ils ne savaient,
dans leur trouble, s’ils devaient marcher contre nous, défendre le
camp ou chercher leur salut dans la fuite. Comme leur rumeur, leur
tumulte annonçaient leur frayeur, nos soldats, animés par la perfidie
de la veille, firent irruption dans le camp. Là, ceux qui furent assez
prompts pour prendre les armes, firent aux nôtre quelque résistance et
engagèrent le combat entre les chars et les bagages. Mais le reste le
combat entre les chars et les bagages. Mais le reste, la multitude des
enfants et des femmes (car tous ensemble avaient quitté leur pays et
passé le Rhin), se mit à fuir de tous les côtés ; César envoya sa cavale-
rie à leur poursuite.
te, et ayant perdu un grand nombre des leurs, ceux qui restaient se je-
tèrent dans le fleuve et y périrent vaincus par la peur, la fatigue, la
force du courant. Les nôtres, sans avoir perdu un seul homme et
n’ayant qu’un tout petit nombre de blessés, délivrés d’une guerre si
redoutable, où ils avaient affaire à quatre cent trente mille hommes, se
replièrent sur leur camp. César donna à ceux qu’il avait retenus au
camp la permission de partir ; mais ceux-ci, craignaient les supplices
et les tortures des Gaulois, dont ils avaient ravagé les champs, lui di-
rent qu’ils voulaient rester auprès de lui. César leur concéda la liberté.
XVII. — César, pour des raisons que j’ai dites, avait décidé de
passer le Rhin 68 ; mais la traversée sur des bateaux lui semblait un
moyen peu sûr et peu convenable à sa dignité et à celle du peuple et
peu convenable à sa dignité et à celle du peuple romains. Aussi, mal-
gré l’extrême difficulté de construire un pont à cause de la largeur, de
la rapidité et de la profondeur du fleuve, il estimait cependant qu’il lui
fallait tenter l’entreprise ou, sinon, renoncer à faire passer l’armée.
Voici le système de pont qu’il institua il joignit ensemble, à deux
pieds l’une de l’autre, deux poutres d’un pied et demi d’épaisseur, un
eu aiguisés par le bas, et d’une hauteur proportionnée à celle du fleu-
ve ; il les descendait dans le fleuve avec des machines et les enfonçait
à coups de mouton, non dans une direction verticale, come des pilots
ordinaires, mais suivant une ligne oblique et inclinée selon le jet de
l’eau ; en face, et à quarante pieds de distance en aval, il en plaçait
deux autres, assemblées de la même manière, mais tournées contre la
force et la violence du courant ; sur ces paires, on posait des poutres
de deux pieds, qui s’enclavaient exactement entre les pieux accouplés,
et on plaçait de part et d’autre deux chevilles qui empêchaient les
couples de se rapprocher par le haut ; ces pieux, ainsi écartés et rete-
nus chacun en sens contraire, donnaient tant de solidité à l’ouvrage, et
cela en vertu de la nature même des choses, que, plus la violence du
courant était grande, plus le système était lié étroitement. On posait
sur les traverses des fascines longitudinales et, par-dessus, des lattes et
des claies ; en outre, on enfonçait vers la partie inférieure du fleuve,
des pieux obliques, qui, faisant contrefort, et appuyant l’ensemble de
l’ouvrage, brisaient la force du courant ; d’autres encore étaient placés
à une petite distance en avant du pont, afin d’atténuer le choc des
troncs d’arbres et des bateaux que les barbares pourraient lancer en
vue de jeter bas l’ouvrage, et d’en préserver le pont.
68 A la grande indignation de Caton, qui lui reprocha d’avoir violé le droit des
gens. Mais Caton était un orateur qu’aveuglait la haine politique, tandis que
César, commandant en Gaule, se rendait compte qu’il fallait passer Rhin
pour assurer la sécurité gauloise.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 84
XIX. — César, après s’être arrêté quelques jours sur leur territoire,
et y avoir brûlé tous les bourgs et tous les bâtiments et coupé le blé, se
retira dans le pays des Ubiens. Il leur promit son aide contre les Suè-
ves, s’ils étaient attaqués par eux, et fut par eux informés que les Suè-
ves, ayant appris par des éclaireurs la construction du pont, avaient,
selon leur coutume, tenu conseil, et envoyé de tous côtés l’ordre de
quitter les villes, de déposer dans les bois leurs femme, leurs enfants
et tous leurs biens, et de rassembler ceux qui étaient en état de porter
les armes dans un même lieu, qui avait été choisi à peu près au centre
des régions occupées par les Suèves, et d’y attendre l’arrivée des Ro-
mains pour livrer une bataille décisive. Ainsi informé, César, ayant
atteint tous les buts qu’il s’était proposés quand il avait décidé de faire
passer le Rhin à son armée, comme de faire peur aux Germains, châ-
tier les Sugambres, délivrer les Ubiens de la pression qu’ils subis-
saient, eau bout de dix-huit jours passés au delà du Rhin, crut avoir
assez fait pour la gloire et l’intérêt de Rome, revint en Gaule et coupa
le pont derrière lui.
XX. — L’été étant fort avancé, César, bien que les hivers soient
précoces dans ces régions (parce que toute la Gaule est orientée vers
le nord), résolut cependant de partir pour la Bretagne, comprenant
69 On ignore où elle passa le Rhin, mais c’est probablement soit entre Coblen-
ce et Cologne, soit à Cologne même (cf. Jullian II, p. 331, note 9).
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 85
que, dans presque toutes les guerres contre les gaulois, nos ennemis en
avaient reçu des secours 70 ; Il pensait du reste que, si la saison ne lui
laissait pas le temps de faire la guerre, il lui serait cependant très utile
d’avoir seulement abordé dans l’île, vu le genre d’habitants, reconnu
les lieux, les ports, les accès, toutes choses qui étaient presque igno-
rées des Gaulois ; car nul autre que les marchands ne se hasarde à y
aborder, et ceux-ci mêmes n’en connaissent que la côte et les régions
qui font face à la Gaule. Aussi, ayant fait venir de partout des mar-
chands, n’en pût-il rien apprendre, ni sur l’étendue de l’île, ni sur la
nature et le nombre des nations qui l’habitent, si sur leur manière de
faire la guerre ou leurs institutions, ni sur les ports qui étaient capables
de recevoir une grande quantité de gros vaisseaux.
XXII. — Tandis que césar s’attardait dans ces lieux pour apprêter
ses vaisseaux, une grande partie des Morins lui envoya des députés
pour s’excuser de leur conduite passée et de la guerre qu’en hommes
barbares et ignorants de notre caractère ils avaient faite au peuple ro-
main ; ils promettaient de faire ce qu’ordonnerait César. Celui-ci,
trouvant cette occasion assez favorable, car il ne voulait pas laisser
d’ennemis derrière lui, la saison était trop avancée 73 pour faire la
guerre, et l’expédition de Bretagne passait à son avis bien avant
d’aussi minces soucis, exige un grand nombre d’otages. Ils lui sont
amenés, et il reçoit leur soumission. Ayant rassemblé et fait ponter
environ quatre-vingt vaisseaux de transport, nombre qu’il jugeait suf-
fire pour transporter deux légions, il distribua ce qu’il avait en outre
de vaisseaux de guerre à son questeur, à ses lieutenants et à ses pré-
fets. À cette flotte s’ajoutaient dix-huit vaisseaux de transport qui
étaient à huit milles de là 74, empêchés par le vent de parvenir au mê-
me port ; il les attribua à ses cavaliers, et il fit partir le reste de
l’armée, sous les ordres de Quintus Titurius Sabinus et de Lucius Au-
runculéis Cotta, ses lieutenants, chez les Ménapes et dans les pays des
Morins, qui ne lui avaient pas envoyé de députés ; il donna l’ordre à
Publius Sulpicius Rufus, son lieutenant, de garde le porte avec la gar-
nison qu’il croyait suffisante.
XXV. — Dès que César le vit, il fit un peu éloigner des vaisseaux
de transport des vaisseaux de guerre, dont l’aspect était nouveau pour
les barbares et la manœuvre plus souple ; il leur ordonna de faire force
XXVII. — Les ennemis, après leur défaite, dès qu’ils eurent cessé
de fuir, se hâtèrent d’envoyer à César des députés pour lui demander
la paix, promettant de donner des otages et d’exécuter ses ordres. En
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 89
même temps que ces députés vint Commius l’Atrébate, que César,
comme je l’ai dit plus haut, avait envoyé avant lui en Bretagne. A son
débarquement, et comme il leur signifiait, en qualité de porte-parole,
le message du général en chef, ils l’avaient saisi et jeté dans les fers ;
puis, après le combat, ils le renvoyèrent, et, en demandant la paix, re-
jetèrent la responsabilité de cet attentat sur la multitude, en le priant
d’excuser une faute due à leur ignorance. César, après s’être plaint
qu’ils lui eussent fait la guerre sans motif, alors qu’ils lui avaient
d’eux-mêmes envoyé demander la paix sur le continent, déclara qu’il
excusait leur imprudence et exigea des otages ; ils en livrèrent une
partie aussitôt, le reste devait venir d’assez loin et être livré, promi-
rent-ils, sous peu de jours. Cependant, ils renvoyèrent leurs soldats
aux champs, et de tous côtés les principaux habitants commencèrent
de venir, pour recommander à César leurs intérêts et ceux de leurs
états.
XXIX. — Le sort voulut que cette même nuit ce fut la pleine lu-
ne 81,
jour où les marées de l’Océan ont accoutumé d’être les plus
hautes. Nos soldats l’ignoraient. Aussi en un instant les vaisseaux
longs, dont César s’était servi pour le transport de l’armée, et qu’il
avait fait mettre à sec sur la grève, se trouvèrent ils pleins d’eau, tan-
dis que les vaisseaux de transport, qu’on avait mis à l’ancre, étaient
79 Embleteuse.
80 Le camp était sans doute établi sur le plateau de Walmer.
81 30-31 août 55.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 90
battus par la tempête, sans que les nôtres eussent aucun moyen de les
manœuvrer ou de les secourir. Un grand nombre de navires furent bri-
sés ; les autres, ayant perdu câbles, ancres et autres agrès, étaient hors
d’état de naviguer : cette situation, comme il est inévitable, répandit
grande consternation dans toute l’armée 82. Il n’y avait point, en effet,
d’autres vaisseaux pour nous retransporter, on manquait de tout ce
qu’il eut fallu pour réparer ceux-ci, et, comme chacun pensait qu’on
devait hiverner en Gaule, on n’avait fait aucune provision de blé pour
passer l’hiver dans ces lieux.
Livre cinquième
n’est pour rien dans tout cela, et se déclarant prêts à fournir toutes les
satisfactions exigées pour les actes de violence. Après avoir accepté
leurs excuses, César leur ordonne de lui amener des otages et fixe le
jour de la remise ; il leur déclare qu’autrement il fera la guerre à leur
état. On amène les otages le jour fixé, conformément à ses ordres ; il
nomme des arbitres pour estimer les dommages subis par chaque état
et en fixer la réparation.
II. — Après avoir réglé ces affaires et clos ces assises, il retourne
dans la gaule citérieure, et, de là, il part pour l’armée 84. Dès son arri-
vée, il visite tous les quartiers d’hiver, et trouve que, malgré la pénurie
de toutes choses, l’activité régulière des soldats avait suffi pour cons-
truire environ six cents navires du modèle que nous avons décrit plus
haut, et vingt-huit vaisseaux longs tout armées 85 et prêts, ou peu s’en
faut, à être mis en mer sous peu de jours. Après avoir vivement félici-
té les soldats et ceux qui avaient dirigé l’ouvrage, ile leur explique ce
qu’il attend d’eux et leur donne l’ordre de se rassembler tous au port
Itius, d’où il savait que le trajet en Bretagne est très commode, et qui
est à environ trente mille du continent ; il laisse le nombre de troupes
qui lui parut nécessaire à cette opération. Pour lui, il se rend avec qua-
tre légions sans bagages et huit cents cavaliers chez les Trévires, parce
qu’il ne venaient point aux assemblées, et n’obéissaient pas à ses or-
dres, et essayaient, dit-on, d’attirer les Germains Transrhénans.
hors d’état de porter les armes dans la forêt des Ardennes, qui s’étend
sur une immense étendue, au milieu du territoire des trévires, depuis
le Rhin jusqu’aux frontières des Rèmes. Mais quand il vit plusieurs
des principaux de l’état, entraînés par leur amitié pour Cingétorix et
effrayés de l’arrivée de nos troupes, se rendre auprès de César, et, ne
pouvant rien pour leur état, se mettre à solliciter pour eux-mêmes, il
craignit d’être abandonné de tous et envoya des députés à César :
« S’il n’avait pas voulu quitter les siens et venir le trouver, c’était pour
retenir plus facilement l’état dans le devoir, dans la crainte que, si tou-
te la noblesse s’en allait, le peuple imprévoyant ne se laissât entraîner.
Il avait donc tout pouvoir sur l’état, et si César le permettait, il vien-
drait dans son camp pour remettre à sa foi sa propre fortune et celle de
son état. »
IV. — César comprenait fort bien ce qui lui dictait ces paroles et ce
qui le détournait de son premier dessein ; pourtant, pour n’être pas
contraint à passer l’été chez les Trévires, tandis que tout était prêt
pour la guerre de Bretagne, il ordonna à Indutiomare de venir le trou-
ver avec deux cents otages. Quand il les eut amenés, et, entre autres,
son fils et tous ses proches, qu’il avait réclamés nommément 87, il
consola Indutiomare et l’exhorta à rester dans le devoir : il n’en fit pas
moins comparaître devant lui les principaux des Trévires et les rallia
un à un à Cingétorix, dont il était juste de récompenser les services ; et
il voyait aussi un grand intérêt à fortifier autant que possible le crédit
d’un homme dont il avait pu voir l’exceptionnel dévouement à sa cau-
se. Ce fut pour Indutiomare un coup dur à supporter que cette atteinte
à son influence auprès des siens, et la haine qu’il avait déjà contre
nous s’exaspéra encore par le ressentiment.
V. — Ces affaires réglées ; César se rend au port Itius avec des lé-
gions 88. Là, il apprend que soixante navires qui avaient été construits
chez les Meldes, n’avaient pu, rejetés par la tempête, tenir leur route,
et étaient revenus à leur point de départ ; il trouve les autres prêts à
naviguer et pourvus de tout le nécessaire. La cavalerie de toute la
XV. — Les cavaliers et les chars ennemis eurent un vif combat ave
notre cavalerie 98 ; cependant les nôtres eurent partout l’avantage et
les repoussèrent dans les bois et sur les collines ; mais, après en avoir
fait un grand carnage, ils les poursuivirent avec trop d’ardeur et perdi-
rent quelques-uns des leurs. Quelque temps après, pendant que les nô-
tres ne se défiaient de rien et s’occupaient aux travaux du camp, tout à
coup ils s’élancèrent de leurs forêts, fondirent sue ceux qui étaient de
garde en avant du camp, et leur livrèrent un violent combat ; deux co-
hortes, les deux première légions, furent envoyées à leur secours par
César : elles prirent position en ne laissant entre elles qu’un très petit
intervalle ; l’ennemi, les voyant étonnées de ce nouveau genre de
combat, se précipita avec une extrême audace entre les deux cohortes
et s’en tira sans dommage. Ce jour-là, Quintus Labérius Durus, tribun
militaire, périt. On lance dans la bataille un plus grand nombre de co-
hortes ; l’ennemi est repoussé.
que le combat offrait aussi de grands dangers pour nos cavaliers, parce
que le plus souvent les bretons feignaient de fuir, et, quand ils avaient
un peu attiré les nôtres loin des légions, ils sautaient à bas de leurs
chars et engageaient à pied un combat inégal. Ce système de combat
de cavalerie offrait exactement le même danger pour le poursuivant et
pour le poursuivi. Ajoutez à cela qu’ils ne combattaient jamais en
masse, mais par troupes isolées, et à de grandes distances ; et qu’ils
avaient des postes de réserve échelonnés, permettant de se replier suc-
cessivement de l’un à l’autre et de remplacer les hommes fatigués par
des réserves fraîches.
100 Le nom des Ségontiaques se retrouve sur les monnaies. Les autres sont in-
connus par ailleurs.
101 Sans doute Vérulamium.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 106
XXIII. — Après avoir reçu les otages, il ramène son armée au bord
de la mer, et trouve les vaisseaux réparés. Il les fait mettre à l’eau, et,
comme il avait un grand nombre de prisonniers et que plusieurs vais-
seaux avaient péri dans la tempêtes, il décide de ramener son armée en
deux traversées 102. Et la chance voulut que de tant de navires et sur
tant de traversées, ni cette année, ni la précédente, aucun des vais-
seaux qui portaient des soldats ne périt ; mais de ceux qui lui étaient
renvoyés à vide du continent, après avoir déposé à terre les soldats de
la première traversée, ou des soixante navires que Labiénus avait fait
construire après le départ de l’expédition, très peu arrivèrent à destina-
tion ; presque tous furent rejetés à la côte. Après les avoir attendus en
vain pendant un bon moment, César, craignant d’être empêché de na-
viguer par la saison, car on approchait de l’équinoxe, fut contraint
d’entasser ses soldats plus à l’étroit, et profitant d’un grand calme qui
suivit, il leva l’ancre au début de la seconde veille et atteignit la terre
au point du jour, sans avoir perdu un seul vaisseau.
avait été chargé de conduire dans une région très pacifiée et très tran-
quille, étaient contenus dans un espace de cent mille pas. César résolut
de rester en Gaule jusqu’à ce qu’il sût les légions bien établies et leurs
quartiers d’hiver fortifiés.
XXVI. — Il y avait quinze jours environ qu’on était arrivé dans les
quartiers d’hiver, quand commença une révolte soudaine et une défec-
tion provoquées par Ambiorix et Vatuvolcus ; ces rois, qui d’abord
étaient venus aux frontières de leur pays se mettre à la disposition de
Sabinus et de Cotta et qui leur avaient fait porter du blé à leurs quar-
tiers d’hiver, sollicités depuis par des envoyés du Trévire Inutiomare,
soulevèrent leurs sujets, tombèrent tout d’un coup sur nos ravitailleurs
en bois et vinrent en grand nombre attaquer le camp. Les nôtres pri-
rent rapidement leurs armes et montèrent au t-retranchement, tandis
que les cavaliers espagnols, sortant par une porte, livraient avec suc-
cès un combat de cavalerie ; les ennemis, désespérant de vaincre, reti-
rèrent leurs troupes ; puis, poussant de grands cris, selon leur coutu-
me, ils demandèrent que quelqu’un des nôtres s’avançât pour les
pourparlers ; ils avaient à nous faire certaines communications qui
nous intéressaient en commun et qu’ils croyaient de nature à apaiser le
conflit.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 108
104 Le camp de Sabinus était à Atuatuca, près de Tongres, celui de Cicéron sans
doute à Binche, sur la Sambre, bien qu’il y ait non pas cinquante milles,
mais plus de soixante milles, entre Tongres et Binche.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 109
XXIX. — Mais Titurius se récriait « qu’il serait trop tard pour agit,
lorsque les renforts des Germains auraient accru les troupes de
l’ennemi, ou qu’il serait arrivé quelque malheur dans les quartiers voi-
sins. On n’avait qu’une brève occasion de se décider. César était sans
doute parti pour l’Italie : autrement les Carnutes n’auraient pas pris le
parti d’assassiner Tasgétius, et les Éburons, s’il était en Gaule, ne se-
raient pas venus attaquer notre camp avec un tel mépris. Il considérait
l’avis en lui-même, et non l’ennemi qui le donnait : le Rhin était tout
proche ; les Germains éprouvaient un vif ressentiment de la mort
d’Arioviste et de nos précédentes victoires ; la Gaule était en feu, de
s’être vue après tant d’humiliation réduite à supporter le joug du peu-
ple romain, et dépouillée de sa gloire militaire d’autrefois. Enfin, qui
pourrait croire qu’Ambiorix en fût à craindre, on rejoindrait sans ris-
que la plus proche légion ; si la Gaule entière était d’accord avec les
Germains, il n’y avait de salut que dans la promptitude. À quoi abouti-
rait l’avis de Cotta et de ceux qui pensaient comme lui ? Sinon à un
danger immédiat, du moins à un long siège avec la menace de la fa-
mine. »
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 110
XXX. — Après qu’on eut ainsi disputé dans les deux sens, comme
Cotta et les centurions de la première cohorte résistaient énergique-
ment : « Eh bien ! soit, dit Sabinus, puisque vous le voulez ! » et éle-
vant la voix pour être entendu des soldats : « Je ne suis pas celui de
vous, dit-il, qui craint le plus la mort ; ceux-là jugeront sainement, et
s’il arrive quelque malheur, ils t’en demanderont raison ; tandis que, si
tu le voulais, réunis dans deux jours aux quartiers voisins, ils soutien-
draient en commun avec les autres les chances de la guerre, au lieu de
rester abandonnés, relégués loin des autres, pour périr par le fer ou la
faim. »
Ce fut une rude journée, car les ennemis plaçaient tout leur espoir
dans leur vitesse, et se flattaient, après cette victoire, d’être perpétuel-
lement vainqueurs à l’avenir.
XLI. — Alors les chefs des Nerviens et les principaux de cet état,
qui avaient quelque accès auprès de Cicéron et quelque prétexte à son
amitié, lui disent qu’ils désirent une entrevue avec lui. L’ayant obte-
nue, ils font les mêmes déclarations qu’Ambiorix avait faites à Titrius,
disant que toute la Gaule était en armes, que les Germains avaient
passé le Rhin, que les quartier d’hiver de César et de ses lieutenants
étaient assiégés. Ils font même allusion à la mort de Sabinus, et font
parade d’Ambiorix pour faire de leurs paroles. « Ce serait, disent-ils,
une allusion que de compter sur le secours de légions qui désespèrent
de leur propre salut. Au reste, loin d’avoir aucune intention fâcheuse à
l’égard de Cicéron et du peuple romain, ils ne leur demande autre
chose que de quitter leurs quartiers d’hiver et de ne pas voir sen im-
planter l’habitude : ils pouvaient sortir du camp en toute sûreté et par-
tir sans crainte du côté qu’ils voudraient. Cicéron ne répondit que ces
seuls mots : « Ce n’était point l’usage du peuple romain d’accepter
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 115
aucune condition d’un ennemi armée ; s’ils voulaient mettre bas les
armes, ils pourraient, avec son aide, envoyer des députés à César ; il
espéraient qu’ils obtiendraient de sa justice ce qu’ils demandaient. »
XLII. — Déçus dans leur espoir, les Nerviens entourent les quar-
tiers d’hiver d’un rempart de dix pieds de haut et d’un fossé large de
quinze. Ils avaient appris ces travaux aux contacts de nos troupes dans
les années précédentes et profitaient des leçons que leur donnaient
quelques prisonniers de notre armée. Mais, ne disposant pas des outils
nécessaires, ils étaient réduits à couper les mottes de gazon avec leurs
épées, à porter la terre dans leurs mains ou dans les pans de leurs
saies. On put, par cet ouvrage, voir qu’el était leur nombre, puisqu’en
moins de trois heures, ils achèvent une ligne de retranchement qui
avait quinze mille pas de tour. Les jours suivants, ils entreprirent
d’élever des tours à la hauteur du rempart et de faire des faux et des
tortues, d’après les leçons des mêmes prisonniers.
XLVIII. — César approuva ses vues, et, quoique réduit des trois
légions qu’il avait espérées à deux, il n’en mettait pas moins sa seule
chance de salut dans une action rapide. Il gagne donc à grandes jour-
nées 108 le pays des Nerviens. Là il apprend par des prisonniers ce qui
se passe chez Cicéron et combien sa situation est périlleuse. Il décide
alors un cavalier gaulois, par de grandes récompenses, à porter une
lettre à Cicéron. Cette lettre qu’il envoie est écrite en caractères grecs,
afin que l’ennemi, s’il l’intercepte, ne connaisse pas nos projets. Dans
le cas où il ne pourrait arriver jusqu’à Cicéron, ce cavalier a l’ordre
d’attacher la lettre à la courroie de sa tragule et de la lancer à
l’intérieur des fortifications. Dans sa lettre, il écrit qu’il est parti avec
ses légions et qu’il sera bientôt là ; il exhorte Cicéron à conserver tout
son courage. Le Gaulois, craignant le péril, lance sa tragule, selon les
instructions qu’il avait reçues. Le trait se fixa par hasard dans une
tour, où il resta deux jours sans être remarqué ; le troisième jour, un
soldat l’aperçoit, l’enlève, le porte à Cicéron, qui lit la lettre et en
donne lecture devant ses troupes, chez lui elle excite la joie la plus
vive. On aperçoit alors au loin des fumées d’incendies : on n’eut plus
aucun doute sur l’approche des légions.
ennemis au delà d’une vallée traversée d’un cours d’eau 109. C’était
s’exposer à un grand danger que de livrer bataille, sur une position
défavorable, à des forces si nombreuses. D’ailleurs, puisqu’il savait
Cicéron délivré de son siège, il pouvait en toute tranquillité ralentir
son action : il s’arrêta donc et choisit, pour y fortifier son camp, la
meilleure position possible. Au reste, quoique ce camp par lui-même
fût de peu d’étendue, puisqu’il était pour sept mille hommes à peine,
et encore sans bagages, néanmoins il le resserre le plus possible, en y
faisant des rues très étroites, afin d’inspirer aux ennemis un absolu
mépris. En même temps il envoie de tous côtés des éclaireurs afin de
reconnaître le chemin le plus commode pour franchir la vallée.
109 Sans doute, sil le camp était à Binche, la petite vallée d’Estine.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 120
Livre sixième
II. — Après la mort d’Indutiomare, dont nous avons parlé, les Tré-
vires défèrent le pouvoir à ses proches. Ceux-ci ne cessent de solliciter
les Germains de leur voisinage et de leur promettre des subsides ; ne
pouvant rien obtenir des plus proches, ils s’adressent à de plus éloi-
gnés. Ils réunissent auprès de certains états, se liant par serment, ga-
rantissant les subsides par des otages ; ils engagent Ambiorix dans
leur ligue et leur pacte. Informé de ces menées, César, voyant que de
toutes parts on préparait la guerre ; que les Nerviens, les Atuatuques,
les Ménapes, ainsi que tous les germains cisrhénans étaient en armes ;
que les Sénones ne se rendaient pas à ses ordres et se Trévires sollici-
taient les Germains par de fréquentes ambassades, César pensa qu’il
lui fallait précipiter la guerre.
III. — Aussi, sans attendre la fin de l’hiver, il réunit les quatre lé-
gions les plus proches 112, et se porte à l’improviste sur le pays des
Nerviens ; avant qu’ils pussent se rassembler ou fuir, il leur prit un
grand nombre d’hommes et de bestiaux, abandonna ce butin aux sol-
dats, dévasta leur terres et les força à faire leur soumission et à lui
donner des otages. Après cette expédition rapide, il ramena les légions
dans leurs quartiers d’hiver. Dès le commencement du printemps, il
convoque, selon l’usage qu’il avait institué, l’assemblée de la Gaule ;
tous y vinrent, à l’exception des Sénones, des Carnutes et des Trévi-
res ; il regarda cette abstention comme le début de la guette et de la
révolte, et, pour faire voir que tout le reste est secondaire, il transporte
l’assemblée à Lutèce, ville des Parisiens. Ceux-ci confinaient avec les
Sénones et avaient anciennement formé un seul état avec eux ; mais
ils lui paraissaient être étrangers au complot. César, du haut de son
tertre, annonce sa décision, part le même jour avec les légions chez les
Sénones où il arrive à grandes journées.
112 Les trois légions dont il a été question dans la note 110, plus celle de Fabius,
qui hivernait chez les Morins.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 126
cer à leur projet, ils envoient des députés à César pour l’implorer ; ils
ont recours à la médiation des Éduens, qui depuis très longtemps pro-
tégeaient leur état. César, à la prière des Éduens, leur pardonne volon-
tiers et reçoit leurs excuses, ne voulant pas perdre à une enquête la
saison d’état propre à la guerre imminente. Il exige cent otages, dont il
confie la garde aux Éduens. Les Carnutes lui envoient aussi chez les
Sénones 113 des députés et des otages, font implorer leur pardon pat
les Rèmes dont ils étaient les clients et obtiennent la même réponse.
César en finit avec l’assemblée et ordonne aux états de lui fournir des
cavaliers.
VI. — César partage ses troupes avec son lieutenant Caïus Fabius
et avec son questeur Marcus Crassus, et, après avoir rapidement fait
des ponts, entre dans le pays par trois endroits, incendie bâtisses et
villages, enlève une grande quantité de bestiaux et d’hommes. Ainsi
IX. — César, après son arrivé des Ménapes chez les Trévires, réso-
lut, pour deux raisons, de passe le Rhin ; l’une de ces raisons était que
les Germains avaient envoyé des secours aux Trévires contre lui ;
l’autre, la crainte qu’Ambiorix n’eût un refuge chez eux. Ce parti une
fois pris, il décide de faire un pont un peu au-dessus de l’endroit où il
avait fait passer autrefois son armée. Le mode de construction en était
114 Non pas si petite que César veut bien le dire, puisque Labiénus avait 25 co-
hortes et une nombreuse cavalerie.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 129
XV. — L’autre classe est celle des chevaliers. Quand besoin est et
que quelque guerre survient (et, avant l’arrivée de César, il ne se pas-
sait presque pas d’année sans qu’il y eût quelque guerre offensive ou
défensive), ils prennent tous part à la guerre ; et chacun d’eux, selon
sa naissance ou l’ampleur de ses ressources, a autour de lui un plus ou
moins grand nombre d’ambacts et de clients. C’est le seul signe de
crédit et de puissance qu’ils connaissent.
XVI. — La nation des Gaulois est, dans son ensemble, très aban-
donnée aux pratiques religieuses ; et c’est pourquoi ceux qui sont at-
teints de maladies graves, ceux qui vivent dans les combats et leurs
périls, immolent ou font vœu d’immoler des êtres humains en guise de
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 133
une honte pour eux qu’un fils en bas âge prenne place dans un lieu
public sous les yeux de son père.
XX. — Les états qui passent pour les mieux administrés ont des
lois prescrivant que quiconque a reçu d’un pays voisin quelque nou-
velle intéressant les affaires publiques doit la faire connaître au magis-
trat sans en faire part à aucun autre, parce que l’expérience leur a ap-
pris que souvent des hommes imprudents et ignorants s’effraient de
fausses rumeurs, se portent à des excès et prennent les plus graves ré-
solutions. Les magistrats cachent ce qu’il leur semble bon, et ne li-
vrent à la multitude que ce qu’ils croient utile de lui dire. Il n’est per-
mis de parler des affaires publiques que dans l’assemblée.
XXI. — Les mœurs des Germains sont très différentes. En effet, ils
n’ont ni druides qui président au culte des dieux ni aucun goût pour
les sacrifices. Ils ne rangent au nombre des dieux que ceux qu’ils
voient 117 et dont ils ressentent manifestement les bienfaits, le Soleil,
Vulcain, la lune ; ils n’ont même pas entendu parler des autres. Toute
117 César contredit Tacite (Germ. IX, I), qui déclare que les Germains adoraient
aussi Mars, Mercure et Hercule.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 135
XXIII. — Le plus beau titre de gloire pour les états c’est d’avoir
fait le vide autour de soi, de façon à n’être entourés que des déserts les
plus vastes possible. Ils tiennent pour la marque même de la vertu
guerrière de faire partir leurs voisins en les chassant de leurs champs
et d’empêcher quiconque d’avoir l’audace de s’établir près d’eux. Ils
y voient en même temps une garantie de sécurité, puisqu’ils n’ont plus
à craindre une incursion soudaine. Quand un état fait la guerre, soit
défensive, soit offensive, il choisit pour la diriger des magistrats qui
ont le droit de vue et de mort. En temps de paix, il n’y a point de ma-
gistrat commun, mais les chefs des régions et des petits pays rendent
la justice et arrangent les procès chacun parmi les siens. Les vols
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 136
n’ont rien de déshonorant, quand ils sont commis hors des frontières
de chaque état ; ils prétendent que c’est un moyen d’exercer la jeunes-
se et de combattre l’oisiveté. Lorsqu’un chef, dans une assemblée,
propose de diriger une entreprise et demande qui veut le suivre, ceux à
qui plaisent et à l’expédition et l’homme se lèvent, et lui promettent
leur concours, applaudis par la multitude. Ceux qui, par la suite, se
dérobent sont mis au nombre des déserteurs et des traîtres, et toute
confiance leur est tenue leur est désormais refusée. La violation
d’hospitalité est tenue pour sacrilège ; ceux qui, pour une raison quel-
conque, viennent chez eux, sont protégés contre toute violence et
considérés comme sacrés ; toutes les maisons leur sont ouvertes ; on
partage les vivres avec eux.
118 Ainsi celle de Ségovèse, neveu du roi des Bituriges Ambigate, qui remonte,
selon Tite-Live (V. 34, 4), à l’époque de Tarquin l’Ancien.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 137
Danube jusqu’au pays des Daces et des Anartes ; de là, elle tourne à
gauche en s’éloignant du fleuve, et, par suite de sa vaste étendue, bor-
ne le territoire de beaucoup de peuples. Il n’est aucun Germain de cet-
te contrée qui, après soixante jours de marche, puisse dire qu’il est
arrivé au bout, ni savoir en quel lieu elle commence. On assure qu’elle
renferme beaucoup d’espèces de bêtes sauvages qu’on ne voit pas ail-
leurs. Celles qui diffèrent le plus des autres et semblent le plus dignes
d’être notées sont les suivantes.
la fatigue. Ceux qui ont tué le plus de ces animaux en rapportent les
cornes au public, pour prouver leur exploit, et reçoivent de grands
éloges. On ne peut d’ailleurs ni habituer l’urus à l’homme ni
l’apprivoiser, même en le prenant tout petit. Ses cornes diffèrent
beaucoup par la grandeur, la forme, l’aspect de celles de nos bœufs.
Elles sont soigneusement recherchées : on encercle les bords d’argent
et l’on s’en sert comme des coupes dans les très grands festins.
XXIX. — César, quand il apprit par les éclaireurs ubiens que les
Suèves s’étaient retirés dans les forêts, craignit de manquer de blé,
car, ainsi qu’on l’a vu, l’agriculture est fort négligée chez tous les
Germains, et il décida de ne pas aller plus loin. Mais, pour ne pas en-
lever aux Barbares tout sujet de craindre son retour et pour retarder
leurs secours, après avoir ramené ses troupes, il fait couper derrière lui
sur une longueur de deux cents pieds la partie du pont qui touchait aux
bords des Ubiens, et construits à l’extrémité du pont une tour de qua-
tre étages, en laissant pour le défendre une garde de douze cohortes et
en fortifiant cette position par de grands retranchements. Il donne le
commandement de la position et de la garnison au jeune Caïus Volca-
tius Tullus. Lui-même, comme les blés commençaient à mûrir, part
pour faire la guerre à Ambiorix, à tracer la forêt des Ardennes, la plus
grande de toute la Gaule, et qui s’tend depuis les rives du Rhin et le
pays des Trévires jusqu’aux Nerviens sur une longueur de plus de
cinq cents milles. Il envoie en avant Lucius Minucius Basilus avec
toute la cavalerie, pour voir s’il pourrait tirer profit d’une marche ra-
pide ou de quelque occasion favorable ; il lui recommande d’interdire
les feux dans le camp, pour ne pas signaler au loin son approche ; et il
lui déclare qu’il le suit de près.
XXX. — Basilus exécute ses ordres, et, par une marche aussi
prompte qu’inattendue, ramasse un grand nombre d’ennemis qui tra-
vaillaient sans méfiance dans la campagne ; sur leur indications, il va
droit où l’on disait qu’était Ambiorix 121 avec quelques cavaliers. La
fortune peut beaucoup en toutes choses, et particulièrement à la guer-
re. Car si ce fut un grand hasard de tomber sur Ambiorix sans qu’il fût
sur ses gardes et même sans défense, et de lui apparaître avant qu’il
eût rien appris par la rumeur publique ou par des courriers, ce fut aussi
un grand bonheur pour lui de pouvoir, en perdant tout l’attirail militai-
re qui l’entourait, chars et chevaux, échapper lui-même à la mort.
Voici comment la chose se fit : sa maison étant entourée de bois
(comme le sont presque toutes les demeures des Gaulois, qui, pour
éviter la chaleur, cherchent d’ordinaire le voisinage des forêts et des
fleuves), ses compagnons et ses amis purent soutenir quelque temps,
dans un chemin étroit, le choc de nos cavaliers. Pendant qu’ils se bat-
taient, l’un des siens le mit à cheval : les bois protégèrent sa fuite.
Ainsi la fortune prévalut pour le mettre en péril et pour l’y soustraire.
donna de lui ramener les Éburons qui se seraient réfugiés chez eux,
leur promettant, s’ils le faisaient, de ne pas violer leur pays. Puis, il
distribua ses troupes en trois corps et rassembla les bagages de toutes
les légions en Atuatuca. C’est le nom d’une forteresse, située presque
au milieu du pays des Éburons, où Titurius et Aurunculéius avaient eu
leurs quartiers d’hiver. Cette position plaisait d’autant plus à César
que les retranchements de l’année précédente étaient encore intacts, ce
qui allégea la peine des soldats. Il laissa, pour la garde des bagages, la
quatorzième légion, une des trois qu’il avait levées depuis peu en Ita-
lie et emmenées en Gaule. Il met à la tête de cette légion et du camp
Quintus Tulius Cicéron et lui donne deux cents cavaliers.
XXXIV. — Il n’y avait là, comme nous l’avons dit plus haut, nulle
troupe régulière, ni place forte, ni garnison en état de se défendre ;
mais c’était de toutes arts une multitude éparse. Partout où une vallée
couverte, un lieu boisé, un marais inextricable offrait quelque espoir
de protection ou de salut, on s’était tapi. Ces retraites étaient connues
des habitants du voisinage, et une grande diligence était nécessaire,
non pour protéger l’ensemble de l’armée (car, réunie, elle ne pouvait
rien craindre de gans terrifiés et dispersés), mais pour défendre chaque
soldat isolément, ce qui, pour une part, importait au salut de l’armée.
En effet, l’appât du butin en entraînant beaucoup assez loin, et les fo-
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 141
124 Publius Sextius Baculus s’était signalé à la bataille de la Sambre, cf. livre II,
chap. XXV et dans celle du valais, cf. livre III, chap. V.
125 Vraisemblablement, à la porte décumane.
126 Depuis cinq mois.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 144
l’armée avait été intacte, les Germains n’auraient pas attaqué le camp.
L’arrivée de César dissipa cette frayeur.
127 César fait preuve d’indulgence à l’égard de Quintus Cicéron. Dans une lettre
adressée à Cicéron lui-même, il se montre plus sévère et accuse Quintus
d’avoir manqué de prudence et de diligence : neque pro cauto ae diligente
se castris continuit.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 146
128 Dans les cavernes et abris sous roche ou dans les bois épais qui bordent la
rive droite de la Meuse, de Liège à Namur.
129 C’est-à-dire attaché à un poteau, battu de verges, puis décapité.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 147
Livre septième
II. — Après un vif débat sur ces questions, les Carutes déclarent
« qu’il n’est pas de danger qu’ils n’acceptent pour le salut commun et
promettent de prendre les armes les premiers ; et, puisque pour le
moment on ne peut, par un échange d’otages, empêcher la divulgation
du secret, ils demandent qu’on jure solennellement sur les étendards
militaires réunis en faisceau (cérémonie usitée chez eus pour nouer les
liens les plus sacrés) de ne point les abandonner après qu’ils auront
commencé la guerre ». Alors on félicite à la ronde les Carnutes ; tous
ceux qui étaient présents prêtent le serment, et, après avoir fixé le jour
du soulèvement, l’assemblée se sépare.
gne des gens dénués de tout et perdus de crimes. Après avoir réuni
cette bande, il rallie à sa cause tous ceux de ses compatriotes qu’il
rencontre, les exhortes à prendre les armes pour la liberté commune,
et, ayant rassemblé de grandes forces, il chassa de l’état ses adversai-
res qui peu de temps auparavant l’avaient chassé lui-même. Il est pro-
clamé roi par ses partisans, envie des ambassades de tous côtés, sup-
plie qu’on reste dans la foi jurée. Rapidement, il s’attache les Sénones,
les Parisiens, les Pictons, les Cadurques, les Turons, les Aulerques, les
Lamovices, les Andes et tous les autres peuples qui touchent à
l’Océan ; d’un consentement unanime, le commandement suprême lui
est déféré. Revêtu de ce pouvoir, il exige de tous ces états des otages,
ordonne qu’un nombre déterminé de soldats lui soit rapidement ame-
né, fixe la quantité d’armes que chaque état doit fabriquer dans un dé-
lai marqué, donne un soin particulier à la cavalerie, joint à une extrê-
me diligence une extrême sévérité dans le commandement, contraint
par la rigueur du supplice les hésitants. C’est ainsi qu’une faute grave
est punie par le feu et toutes sortes de supplices ; que pour une faute
légère, il renvoie le coupable chez lui après lui avoir fait couper les
oreilles ou crever un œil, afin qu’il serve d’exemple et que la gradeur
du châtiment frappe les autres de terreur.
blir. Les Bituriges, après leur départ, se joignirent aussitôt aux Arver-
nes.
VIII. — Les disposition prises ayant arrêté déjà et fait même recu-
ler Luctérius, qui trouvait périlleux de s’enfermer entre nos garnisons,
César part chez les Helviens. Quoique les montagnes des Cévennes,
qui forment une barrière entre les Arvernes et les Helviens, fussent en
cette saison, qui était la plus rude de l’année, couvertes d’une neige
épaisse qui empêchait de passer, néanmoins les soldats écartent la
neige sur une profondeur de six pieds et, après s’être frayé ainsi des
chemins à force de peine, ils débouchent dans le pays des Arvernes.
Leur arrivée inattendue les frappe de stupeur, car ils se croyaient dé-
fendus par les Cévennes comme par un mur, et jamais, en cette saison,
même un voyageur isolé n’avait pu passer par les sentiers ; César or-
donne alors à ses cavaliers de s’étendre le plus loin possible, et de je-
ter chez l’ennemi le plus de frayeur qu’ils pourraient. Rapidement, par
la rueur et par les courriers, Vercingétorix est informé de ces événe-
ments ; tous les Arvernes, au comble de la Frayeur, l’entourent, le
conjurent de songer à leurs biens, et de ne pas les laisser piller par
l’ennemi, d’autant qu’il voit bien que tout le poids de la guerre était
rejeté sur eux. Touché de leurs prières, il lève son camp et passe des
Bituriges chez les Arvernes.
IX. — Mais César ne reste que deux jours en ces lieux, car il avait
prévu que Vercingétorix prendrait ce parti-là, et, sous couvert de ras-
sembler du renfort et de la cavalerie, il quitte l’armée ; il laisse à la
tête des troupes le jeune Brutus, il lui recommande de faire des incur-
sions de cavalerie de tous côtés ; lui-même aura soin de ne pas être
absent du camp plus de trois jours 133. Les choses ainsi réglées,
contrairement à l’attente des siens 134, Il se rend à grandes journées 135
à Vienne. Là, trouvant la cavalerie fraîche qu’il y avait envoyée plu-
sieurs jours auparavant, il n’interrompt sa marche ni jour ni nuit, se
dirige, en passant par le pays des Éduens, chez les Lingons, où deux
légions hivernaient 136 ; Il voulait, au cas où les Éduens iraient jusqu’à
comploter contre sa vie, prévenir par sa rapidité leurs desseins. Arrivé
là, il envoie des ordres aux autres légions et les concentre toutes en un
seul point, avant que les Arvernes puissent avoir des novelles de son
arrivée. Dès que Vercingétorix en a avis, il ramène de nouveau son
armée chez les Bituriges, puis, quittant leurs pays pour Gorgobina,
ville des Boïens, que César y avait établis après les avoir vaincus dans
la bataille contre les Helvètes, et qu’il avait placés sous l’autorité des
Éduens, il décide de l’assiéger
133 En réalité, il ne revint pas. Il dut plus tard donner l’ordre à Brutus de rame-
ner ses troupes dans la Province.
134 De son escorte.
135 Sans doute par Yssingeux et Annonay.
136 Sans doute à Dijon.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 152
XVII. — César, ayant posé son camp vers cette partie de la ville,
qui, dégagée de la rivière et du marais, avait, comme nous l’avons dit
plus haut, un accès très étroit, entreprit d’élever une terrasse, de faire
avancer des mantelets et de construire deux tours, car la nature du lieu
rendait une circonvallation impossible. Pour le blé, il ne cessa de har-
celer les Boïens et les Éduens ; les uns n’y mettant aucun zèle, ne
l’aidaient pas beaucoup ; les autres, sans grandes ressources (car leur
état était petit et faible), eurent promptement épuisé ce qu’ils avaient.
L’extrême difficulté du ravitaillement en blé, causée par la pauvreté
des Boïens, par le mauvais vouloir des Éduens et par les incendies des
granges, affecta l’armée à tel point que pendant un grand nombre de
jours les soldats furent sans blé et n’eurent pour échapper aux rigueurs
de la famine que du bétail amené de villages fort lointains : cependant
il ne leur échappa aucune parole indigne de la majesté du peuple ro-
main et de leur précédentes victoires. Bien plus, come César, visitant
les travaux, s’adressait tour à tour à chaque légion et offrait de lever le
siège, si la disette leur était trop pénible, tous lui demandèrent de ne
pas le faire, disant qu’ils avaient depuis nombre d’années servi sous
ses ordres sans essuyer aucun affront, sans partir el laissant leur travail
inachevé ; qu’ils se tiendraient pour déshonorés, s’ils abandonnaient le
siège commencé ; qu’ils aimaient mieux souffrir les pires cruautés que
140 Il l’avait sans doute établi sur la colline située entre les Aix et Rians.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 157
XXIII. — Voici quelle est à peu près la forme de tous les murs
gaulois : des poutres perpendiculaires, se suivent sans interruption sur
toute la longueur du mur, sont posées sur le sol à un intervalle unifor-
me de deux pieds l’une de l’autre. Elles sont reliées les unes aux au-
tres au dedans et recouvertes d’une grande quantité de terre ; les inter-
valles dont nous venons de parler sont, sur le devant, garnis de grosses
pierres. Ce premier rang ainsi formé et consolidé, on en ajoute un se-
cond par-dessus, en gardant toujours le même intervalle, de manière
que les poutres ne se touchent point et que chacune repose sur la pier-
re exactement intercalée entre chaque rang. Et ainsi de suite : tout
l’ouvrage est continuée jusqu’à ce que le mur ait atteint la hauteur
voulue. Ce genre d’ouvrage, avec l’alternance de ses poutres et de ses
pierres, offre un aspect dont la variété n’est pas désagréable à l’œil ; il
a surtout de grands avantages pratiques pour la défense des villes car
la pierre le défend du feu, et le bois, des ravages du bélier, qui ne peut
ni briser ni disjoindre une charpente dont les poutres, attachées en de-
dans l’une à l’autre, ont d’ordinaire quarante pieds d’un seul tenant.
XXVI. — Après avoir tout essayé sans aucun succès, les Gaulois
résolurent le lendemain, sur les instances et d’après les ordres de Ver-
cingétorix, d’abandonner la place. En tâchant d’effectuer ce départ
dans le silence de la nuit, ils espéraient réussir sans grandes pertes,
parce que le camp de Vercingétorix n’état pas éloigné de la place, et
que le marais qui formait une barrière continuelle entre et les Romains
retarderait ceux-ci dans leur poursuite. Déjà ils e préparaient en pleine
nuit à partir, quand tout à coup les mères de famille accoururent sur
les places et se jetèrent, éplorées, à leurs pieds, les suppliant de mille
façons de ne point les livrer à la cruauté de l’ennemi, elles et leurs
communs enfants, à qui la faiblesse du sexe ou de l’âge interdisait la
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 161
fuite. Quand elles les virent persister dans leur décision — car, dans
les cas d’extrême danger l’âme en proie à la peur n’a pas de place
pour la miséricorde — elles se mirent alors à jeter des cris et à signa-
ler ainsi la fuite aux Romains. Les Gaulois, épouvantés, craignent que
la cavalerie des Romains ne leur coupât les routes, renoncèrent à leur
dessein.
XXX. — Ce discours ne fut pas sans plaire aux Gaulois : ils lui su-
rent gré de n’avoir pas été découragé par un coup si rude et de s’être
ni caché ni dérobé aux regards. Sa prévoyance et sa prévision n’en
étaient que mieux reconnues, puisqu’il avait émis l’avis, quand la si-
tuation était entière, d’abord, qu’on brûlât Avaricum, ensuite qu’on
l’abandonnât. Aussi, tandis que les revers diminuent l’autorité des au-
tres chefs, celui-ci au contraire ne faisait qu’accroître de jour en jour
son crédit. E, même temps ses affirmations faisaient naître l’espoir
que els autres états entreraient dans l’alliance. Les Gaulois se mirent
alors, pour la première fois, à fortifier leur camp ; et tel fut sur leur
esprit l’effet de l’adversité que ces hommes, peu accoutumés au tra-
vail, jugèrent qu’il leur fallait subir et supporter tout ce qu’on leur
commanderait.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 163
146 Il avait fait frapper des statère d’or, portant : à l’envers, sa figure idéalisée
et, en exergue, VERCINGETORIXS ; au revers, un cheval au galop et une am-
phore.
147 Sans doute jusqu’à la mi-avril.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 164
149 César avait sans doute été induit en erreur par les Éduens, car c’est pendant
l’été que l’Allier est guéable.
150 Celui de Moulins sans doute.
151 La hauteur de Risolles (723 m.), le puy de Jussat (661 m.), la roche-Blanche
(561 m.).
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 166
d’États, qu’il avait choisis pour former son conseil, étaient convoqués
par lui chaque jour à la première heure, soit pour les communications
à faire, soit pour les mesures à prendre ; et il ne se lassait presque
point qu’il n’éprouvât, par un combat de cavalerie entre mêlé
d’archers, l’ardeur et la valeur des siens. En face de la place, au pied
même de la montagne, était une colline très bien fortifiée et escarpée
de toutes parts 152 : en l’occupant, nous priverions l’ennemi d’une
grande partie de son eau et d’un libre ravitaillement en foin ; mais cet-
te position était tenue par une garnison qui n’était point méprisable.
Cependant, César sortit du camp dans le silence de la nuit, et, chassant
la garnison avant qu’on ait pu la secourir de la place, il s’empara de la
position, y plaça deux légions, et ouvrit du grand camp au petit camp
un double fossé de douze pieds de large, afin que même isolément on
pût aller de l’un à l’autre à l’abri de toute attaque soudaine de
l’ennemi.
153 Vers Gannat, après avoir franchi l’Allier à Moulins sur le pont refait par
César.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 168
XLI. — César envoya à l’état des Éduens des messagers pour leur
apprendre qu’il avait fait grâce de la vie à des hommes que le droit de
la guerre lui eût permis de tuer, et, après avoir donné à son armée trois
heures de nuit pour se reposer, il leva le camp pour Gergovie. A mi-
chemin environ, des cavaliers dépêchés par Fabius lui font connaître à
quel danger le camp s’est trouvé exposé ; ils lui expliquaient qu’il a
été attaqué par des forces considérables, alors que des troupes fraîches
succédaient sans cesse aux troupes fatiguées, et que les nôtres
s’puisaient dans une lutte sans relâche, à cause de l’étendue du camp
qui obligeait les mêmes hommes à rester continuellement sur le rem-
part ; un grand nombre avaient été blessés par une grêle de flèches et
de traits de toute sorte ; nos machines avaient été fort utiles pour sou-
tenir cette attaque. Après leur départ Fabius faisait boucher toutes les
portes, à l’exception de deux, garnissait la palissade de mantelets et
s’attendait pour le lendemain à un assaut semblable. A ces nouvelles,
César hâta sa marche, et, secondé par l’extrême ardeur de ses soldats,
parvint au camp avant le lever du soleil.
combat, ils ne pouvaient pas tenir tête facilement à des troupes fraî-
ches et intactes.
LI. — Les nôtres, pressés de toutes parts, furent chasés de leur po-
sition, après avoir perdu quarante-six centurions. Mais la dixième lé-
gion retarda les Gaulois trop ardents à les poursuivre elle s’était pla-
cée sur un terrain un moins désavantageux afin d’être prête à porte
secours. Elle fut à son tour soutenue par les cohortes de la treizième
légion, que le lieutenant Titus Sextius avait fait sortir du petit camp et
qui avaient occupé une position plus élevée. Les légions, dès qu’elles
eurent gagné la plaine 160, s’arrêtèrent et firent face à l’ennemi. Ver-
cingétorix ramena ses troupes à pied de la colline à l’intérieur des re-
tranchements. Cette journée nous coûta un peu moins de sept cents
hommes.
LV. — Noviodunum était une place des Éduens, située sur les
bords de la Loire, dans une position avantageuse. César y avant ras-
semblé tous les otages de la Gaule, du blé, de l’argent des caisses pu-
bliques, une grande partie de ses bagages et de ceux de l’armée ; il y
avait a-envoyé un grand nombre de chevaux achetés en Italie et en
Espagne en vue de la guerre actuelle. Arrivés dans cette place Époré-
dorix et Vidiromare prirent connaissance de l’état du pays. Ils surent
que Litaviccus avait été reçu par les Éduens à Bibracte, ville très im-
portante de chez eux ; que Convictolitave, leur magistrat, et une gran-
168 La Seine.
169 Vers 22 heures (fin mai).
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 179
170 A Grenelle-Vaugirard.
171 Peut-être Montparnasse.
172 Celles de Vanves et de Clamart.
173 Sans doute vers Joigny.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 180
LXIV. — Celui-ci exige des otages des autres états, et fixe le jour
de leur remise. Il donne l’ordre à tous les cavaliers, au nombre de
quinze mille, de se réunir rapidement 174. Il déclare qu’il se contentera
de l’infanterie qu’il avait jusque-là 175, qu’il n’essaiera pas de tenter la
fortune ni de livrer une bataille rangée ; « mais, puisqu’il dispose
d’une cavalerie nombreuse, rien n’est plus facile que d’empêcher les
Romains de se ravitailler en blé et en fourrage : que seulement les
Gaulois consentent à détruire leur blé et à incendier leurs granges, et
ne voient dans ces pertes domestiques qu’un moyen d’obtenir à jamais
la souveraineté et la liberté. » Ces mesures prises, il exige des Éduens
et des Ségusiaves, qui sont à la frontière de la Province, dix mille ca-
174 A Bibracte.
175 Elle comptait 80 000 hommes.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 181
LXV. — Pour faire face à tous ces dangers, on avait préparé une
armée de vingt-deux cohortes levées dans la Province même par le
lieutenant Lucius César et qui de tous côtés s’opposaient aux envahis-
seurs. Les Helviens livrent spontanément bataille à leurs voisins 176 et
sont repoussés ; ils perdent Caïus Valérius Domnotaurus, fils de Ca-
burus, chef de leur état, et beaucoup d’autres, et ils sont rejetés dans
leurs places fortes, à l’abri de leurs remparts. Les Allobroges, en éta-
blissant le long du Rhône des postes nombreux, défendent avec beau-
coup de soin et de diligence leurs frontières. César, voyant l’ennemi
supérieur en cavalerie, tous les chemins fermés, et par suite nul moyen
de tirer les secours de la Province et de l’Italie, envoie au delà du Rhin
en Germanie vers les État qu’il avait soumis les années précéden-
tes 177 et en obtient des cavaliers et des soldats d’infanterie légère ha-
bitués à combattre pari les cavaliers. À leur arrivée, ne trouvant pas
leurs chevaux suffisants, il prend ceux des tribuns militaires, des au-
tres chevaliers romains et des écovats, et il les distribue aux Germains.
vince un plus facile secours, vint asseoir trois camps 179 à dix mille
pas environ des Romains ; il convoque en conseil les chefs de ces ca-
valiers et leur montre que le moment de la victoire est venu : « Les
romains, leur dit-il, s’enfuient dans leur Province et abandonnent la
Gaule : c’est assez pour assurer la liberté du moment, mais trop peu
pour la paix et le repos de l’avenir ; ils reviendront en effet avec de
plus grandes forces et la guerre sera sans fin. Il faut donc les attaquer
dans l’embarras de leur marche : si les fantassins portent secours à
leurs camarades et s’y attardent, ils ne peuvent achever leur route ; si,
comme il le croit plus probable, ils abandonnent les bagages pour ne
songer qu’à leur sûreté, ils perdront à la fois leurs ressources et
l’honneur. Quant aux cavaliers ennemis, point de doute qu’aucun
d’entre eux n’ose s’avancer seulement hors de la colonne. Afin
d’augmenter leur courage, il tiendra toutes ses forces en avant du
camp et intimidera l’ennemi. »
183 Non point très élevé (418 m.), mais très abrupte ou escarpée. Les fouilles
entreprises sur l’ordre de Napoléon III il y a près d’un siècle ne laissaient
aucun doute sur l’identification d’Alésia avec une ville gauloise du mont
Auxois, près d’Alise, aujourd’hui Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or). Certains
Franc-Comtois, appuyés par Quicherat, l’historien de Jeanne d’Arc, puis, au
début de notre siècle par Colomb, professeur de sciences naturelles à la Sor-
bonne, le même qui, sous e nom de Christophe, écrivit les aventures du Sa-
vant Cosinus, tentèrent d’accréditer l’identification d’Alésia avec Alaise.
Nul historien sérieux ne conteste aujourd’hui l’identification d’Alésia et
d’Alise. Camille Jullian et Jérôme Carcopino, qui a littéralement pulvérisé
les arguments de Colomb, s’accordent sur ce point. On trouvera dans un ré-
cent ouvrage de Joël Le Gall, professeur à la Faculté des Lettres de Dijon et
directeur actuel des fouilles d’Alésia, une excellente évocation du siège fa-
meux où la reddition de Vercingétorix marque la fin de l’indépendance gau-
loise (Le Gall, Alésia, 1964, éd. Fayard).
184 L’Ose et l’Oserain.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 184
ne 185 d’environ trois mille pas de longueur ; sur tous les autres points,
la place était entourée par des collines 186, peu distantes entre elles et
d’une égale hauteur. Au pied du mur, toute la partie de la colline qui
regardait l’orient était couverte de troupes gauloises, et en avant elles
avaient ouvert un fossé et élevé une muraille sèche de six pieds de
hauteur. Les fortifications qu’entreprenaient les Romains s’étendaient
sur un circuit de onze mille pas. Les camps avaient été placés sur des
positions avantageuses, et on y voyait construit vingt-trois portes forti-
fiées. Dans ces portes, on détachait pendant le jour des corps de garde,
pour empêcher tout attaque subite ; pendant la nuit, ces mêmes portes
étaient occupées par des veilleurs et de fortes garnisons.
187 Ce chiffre, bien que contesté par Napoléon Ier, est sans doute exact.
188 L’Oserain.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 186
LXXVII. Mais ceux qi étaient assiégés dans Alésia, une fois passé
le jour pour lequel ils s’étaient attendus à l’arrivée des secours, une
fois consommé tout leur blé, ignorant ce qui se passait chez les
Éduens, avaient convoqué un conseil et délibéraient sur l’issue de leur
sort. Les avis furent partagés : les uns parlaient de se rendre, les au-
tres, de faire une sortie, tandis qu’ils en avaient encore la force. Le
discours de Critognat me paraît ne pas devoir être passé sous silence,
à cause de sa cruauté singulière et impie. C’était un personnage, sorti
d’une grande famille arverne et doué d’un grand prestige : « Je n’ai
pas l’intention de parler, dit-il, de l’opinion de ceux qui donnent le no
de reddition au plus honteux esclavage ; j’estime qu’ils ne méritent
point d’être comptés parmi les citoyens ni admis au conseil. Je veux
m’adresser à ceux qui proposent une sortir, et dont l’avis, comme
vous le reconnaissez tous, conserve la trace de notre ancienne valeur.
Mais c’est faiblesse, et non pas courage, que de ne pouvoir supporter
quelques instants de disette. On trouve plus facilement des gens pour
affronter la mort que pour supporter patiemment la douleur. Et pour-
tant, je me rendrais à cet avis, tant je respecte l’autorité de ceux qui le
donnent, si’ je n’y voyais que le sacrifice de nous-mêmes ; mais, en
prenant une décision, nous devons envisager la Gaule tout entière, que
nous avons appelée à notre secours. Lorsque quatre-vingt mille hom-
mes auront péri en un même lieu, quel sera, croyez-vous, le courage
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 189
LXXX. — César dispose toute son armée sur les deux parties de
ses retranchements afin que, s’il en est besoin, chacun occupe sa place
et la connaisse ; puis il fait sortir du camp sa cavalerie et ordonne
d’engager le combat. De tous les camps, qui de toutes parts oc-
cupaient le sommet des montagnes, la vue s’étendait sur la plaine, et
tous les soldats, attentifs, attendaient l’issue du combat. Les Gaulois
avaient mêlé à leurs cavaliers de petits paquets d’archers et de fantas-
sins armés à la légère, pour secourir les leurs s’ils pliaient et arrêter le
choc de nos cavaliers. Plusieurs des nôtres, blessés par eux à
l’improviste, se retiraient du combat. Forts de la supériorité de leurs
troupes et voyant les nôtres accablés par le nombre, les Gaulois, de
toutes parts, tant ceux qui étaient enfermés dans nos lignes que ceux
qui étaient venus à leur secours, encourageaient leurs combattants par
des clameurs et de hurlements. Comme l’action avait lieu sous les re-
gards de tous et que nul trait de courage ou de lâcheté ne pouvait pas-
ser inaperçu, de part et d’autre l’amour de la gloire et la crainte du
déshonneur incitaient les combattants à la bravoure. On avait combat-
tu depuis midi presque jusqu’au coucher du soleil, sans que la victoire
fût encore décidée, quand les Germains, massés sur un seul point en
escadrons serrés chargèrent l’ennemi et le refoulèrent ; dans la dérou-
te, les archers furent enveloppés et massacrés. De tous les autres côtés,
les nôtres, à leur tour, poursuivant les fuyards jusqu’au camp, ne leur
donnèrent pas le temps de se rallier. Alors ceux qui étaient sortis
d’Alésia, accablés et désespérant presque de la victoire, rentrèrent
dans la place.
les premiers fossés ; ce travail les ayant retenus trop longtemps, ils
apprirent la retraite des leurs avant d’avoir pu s’approcher du retran-
chement. Ayant ainsi échoué dans leur entreprise, ils rentrèrent dans la
place.
LXXXIII. — Repoussés deux fois avec une grande perte, les Gau-
lois délibérèrent sur ce qu’il doivent faire ; ils consultent des gens qui
connaissent le pays et apprennent ainsi la situation des camps supé-
rieurs 191 et leur genre de défense. Au nord était une colline 192 que les
nôtres n’avaient pu comprendre dans leurs lignes à cause de son éten-
due, ce qui les avait obligés d’établir le camp sur un terrain presque
défavorable et légèrement en pente. Les lieutenants Caius Antistius
Réginus et Caïus Caninius Rébilus y commandaient avec deux lé-
gions. Après avoir fait reconnaître lez lieux par leurs éclaireurs, les
chefs ennemis choisirent soixante mille hommes sur l’effectif total des
états qui avaient la plus haute réputation de vertu militaire ; ils règlent
secrètement entre eux le but et le plan de leur action ; ils fixent l’heure
de l’attaque au moment où l’on verra qu’il est midi. Ils mettent à la
tête de ces troupes l’arverne Vercassillaune, l’un des quatre chefs, pa-
rent de Vercingétorix. Il sortit du camp à la première veille, et, ayant
terminé presque au point du jour et fit reposer ses soldats des fatigues
de la nuit. Quand il vit que midi approchait, il se dirigea vers le camp
en question ; en même temps la cavalerie s’approchait des fortifica-
tions de la plaine et le reste des troupes se déployait en avant du camp.
Livre huitième
[HIRTIUS A BALBUS]
I. — Après avoir vaincu toute la Gaule, César, qui n’avait pas ces-
sé de se battre depuis l’été précédent 198, voulait vois ses soldats se
remettre de tant de fatigues dans el délassement des quartiers d’hiver,
quand on apprit que beaucoup d’états en même temps recommen-
çaient à faire des plans de guerre et à se concerter. Le motif qu’on leur
supposait était vraisemblable : tous les Gaulois avaient reconnu qu’en
réunissant sur un seul Gaulois avaient reconnu qu’en réunissant sur un
seul point n’importe quel nombre d’hommes ils ne pouvaient résister
aux Romains, mais que si plusieurs états entraient en guerre sur divers
points en même temps, l’armée du peuple romain n’aurait point assez
de ressources ni de temps ni de troupes pour faire face à tout ;
qu’aucune cité ne devait refuser de supporter une épreuve pénible, si
par un tel retardement, les autres pouvaient conquérir leur liberté.
II. — Pour ne pas laisser s’affermir cette idée des Gaulois, César
donne au questeur Marc Antoine le commandement de ses quartiers
d’hiver ; lui-même, avec une escorte de cavalerie, part de la place de
Bibracte la veille des calendes de janvier pour rejoindre la treizième
légion, qui avait placée non loin de la frontière des Éduens dans le
pays des Bituriges, et y adjoint la onzième légion, qui était la plus
proche 199. Laissant deux cohortes de chacune à la garde des bagages,
il emmène le reste de l’armée dans les plus plus fertiles compagnes
des Bituriges : ce peuple ayant un vaste territoire et un grand nombre
de places fortes, l’hivernage d’une seule légion n’avait pu suffire à
l’empêcher de préparer la guerre et de former des complots.
VII. — Ces troupes une fois réunies, il marche contre les Bellova-
ques, campe sur leur territoire, et envoie de tous côtés ses escadrons
pour faire quelques prisonniers qui puissent l’instruire des desseins de
l’ennemi. Les cavaliers, s’étant acquittés de leur office, rapportent
qu’ils ont trouvé peu d’habitants dans les maisons, et qui n’étaient
point restés pour cultiver la terre (car on avait procédé avec soin à une
émigration générale), mais qu’on avait renvoyés pour espionner. En
demandant aux captifs où se trouvait la masse des Bellovaques et quel
était leur plan, César apprit que tous les Bellovaques en état de porter
les armes s’étaient rassemblés sur un même point, et qu’avec eux les
Ambiens, les Aulerques, les Calètes, les Véliocasses, les Atrébates
avaient choisi pour y camper un lieu élevé dans un bois entouré d’un
marais ; qu’ils avaient réuni tous leurs bagages en des bois situés en
arrière. Les chefs fauteurs de la guerre étaient fort nombreux, mais la
masse obéissait surtout à Corréus, parce qu’on savait sa haine violente
du nom romain. Peu de jours auparavant Commius l’Atrébate avait
quitté le camp pour aller chercher des renforts chez les Germains, dont
le voisinage était proche et le multitude immense. Les Bellovaques, de
l’avis unanime des chefs et selon le vif désir de la multitude, avaient
résolu, si César, comme on le disait, venait avec trois légions, de lui
offrir le combat, de façon à ne pas être obligés ensuite de lutter avec
l’armée entière dans des conditions plus désavantageuses et plus du-
res ; s’il amenait des forces en plus grand nombre, ils se tiendraient
sur la position qu’ils avaient choisie, et empêcheraient les Romains
par des embuscades de faire du fourrage, que la saison rendait rare et
disséminé, et de se procurer du blé et autres vivres.
VIII. — César, d’après l’accord unanime qui régnait dans ces rap-
ports, trouva le plan qu’on lui exposait plein de prudence et bien éloi-
gné de l’ordinaire témérité des Barbares ; il décida qu’il devait tout
faire pour inspirer aux ennemis le mépris de ses forces et les arriver
plus vite au combat. Il avait, en effet, avec lui ses plus vieilles légions
d’un courage incomparable : la septième, la huitième et la neuvième ;
puis la onzième, composée d’éléments d’élit et de grande espérance,
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 201
XIV. — Après avoir passé plusieurs jours dans leur camp, quand
ils savent que les légions de Caïus Trébonius approchent, les chefs des
Bellovaques, craignant un siège semblable à celui d’Alésia, renvoient
nuitamment ceux qui sont âgés ou faibles ou sans armes, et tous les
bagages avec eux. Cette colonne, pleine de confusion et de trouble
(car les Gaulois, même dans les moindres expéditions, traînent tou-
jours après eux une foule de chariots), s’était à peine mise en mouve-
ment, que le jour la surprend : ils rangent devant le camp des troupes
en armes, pour que les Romains ne se mettent pas à leur poursuite
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 204
avant que la colonne des bagages ne se soit déjà éloignée. César qui
ne jugeait pas devoir attaquer des troupes prêtes à la résistance à cause
de l’escarpement de la colline, n’hésitait pas cependant à faire assez
ses légions pour que les Barbares ne pussent se retirer sans péril sous
leur menace. Voyant donc que le marais qui séparait les deux camps
pouvait le gêner et retarder, par la difficulté de le franchir, la rapidité
de sa poursuite, voyant aussi la hauteur 202 qui était au delà du marais
touchait presque au camp ennemi, dont elle n’était séparée que par un
petit vallon, il jette des ponts de claies sur le marais, fait passer ses
légions, et gagne rapidement le plateau du sommet de la colline,
qu’une pente rapide protégeait sur ses deux flancs. Il y reforme ses
légions, gagne l’extrémité de la colline, et range ses troupes en batail-
le dans une position, d’où les traits des machines pouvaient porter sur
les rangs ennemis.
XXV. — Il dispersa donc soit ses légions soit ses auxiliaires sur
toutes les parties du territoire d’Ambiorix, et y dévasta tout par le
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 209
206 Il semble qu’Hirtius, si Uxellodunum est bien le Puy d’Issolu, a fait une
seule vallée de celles de la tourmente, de la Dordogne, de la Sourdoire et du
petit ruisseau de Fonfrègne.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 216
pas nos soldats de pousser leurs mantelets et de vaincre, par leurs tra-
vaux, les difficultés du terrain. En même temps, ils creusent des gale-
ries couvertes dans la direction des ruisselets et de la source de la fon-
taine, genre de travail qui pouvait se faire sans gêne et sans donner
l’éveil à l’ennemi. On construit une terrasse de soixante pieds de haut,
on y place une tour de dix étages, non point telle sans doute qu’elle
atteignait la hauteur des murs (car aucun ouvrage ne permettait
d’obtenir ces résultats), mais suffisante pour dominer l’endroit de la
fontaine. Du haut de cette tour, les machines lançaient des projectiles
sur les bords de la fontaine, et les assiégés ne pouvant plus se ravitail-
ler en eau sans péril, non seulement les bestiaux et les bêtes de som-
me, mais les hommes mêmes en grand nombre mouraient de soif.
XLV. — Sur ces entrefaites Labiénus, chez les Trévires, livre avec
succès un combat de cavalerie : il tue beaucoup de Trévires, ainsi que
de Germains, qui ne refusaient à personne leurs secours contre les
Romains, qui ne refusaient à personne leur secours contre les Ro-
mains ; il s’empare vivants de leurs chefs, entre autres de l’Éduen Su-
rus, aussi illustre par son courage que par sa naissance, et le seul des
Éduens qui n’eut point encore déposé les armes.
XLVI. — À cette nouvelle, César, voyant que tout avait bien mar-
ché sur tous les points de la gaule, et jugeant que ses campagnes pré-
cédentes avaient vaincu et soumis la Gaule, partir pour l’Aquitaine, où
il n’était jamais allé lui-même ; mais où il avait vaincu partiellement
grâce à Publius Crassus ; il s’y rendit avec deux légions pour y passer
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 218
[AVERTISSEMENT]
LI. — César fut accueilli par tous les municipes et par toutes les
colonies avec des honneurs et une affection incroyables ; c’était, en
effet, la première fois qu’il y venait depuis la guerre générale de la
Gaule. On n’oubliait rien de ce qui pouvait être imaginé pour orner les
portes, les chemins, tous les lieux, où César devait passer. La popula-
tion entière, avec les enfants, se portait à sa rencontre ; partout on
immolait des victimes ; les places publiques et les temples où l’on
avait dressé des tables étaient combles, si bien qu’on pouvait goûter
par avance l’allégresse d’un triomphe vivement attendu 208 209, tant il
y avait de magnificence chez les riches, d’enthousiasme chez les pau-
vres !
208 Il ne fut célébré cependant que quatre ans plus tard, en 46.
209 En 51.
210 En 51.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 222
CHRONOLOGIE SOMMAIRE
DE LA VIE DE CÉSAR
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77-63 av. n. è. — Tandis que Pompée bat Lépide qui voulait ren-
verser la constitution de Sylla (77) et lutte victorieusement tour à tour
contre Sertorius, ancien lieutenant de Marius insurgé en Espagne,
contre les esclaves révoltés conduits par Spartacus (71), contre les pi-
rates (67), et accule Mithridate au suicide (63), l’année même où Ci-
céron consul réprime la conjuration de Catilina, César affirme et af-
fermit prudemment sa puissance.
58-51 av. n. è. — Conquête des Gaules par César résumée ainsi par
Suétone (Vie de César, XXV) : « En neuf ans, il réduisit en provinces
toutes la Gaule renfermée entre les défilés des Pyrénées, les Alpes, les
monts Cévennes et les cours du Rhin et du Rhône, et qui forme un cir-
cuit de trois millions deux cent mille pas environ, sans compter les
villes alliées ou qui avaient bien mérité de Rome. Il lui imposa un tri-
but annuel de quarante millions de sesterces. Le premier des Romains,
après avoir construit un pont sur le Rhin, il attaqua les Germains qui
habitent au-delà du fleuve et leur infligea de grandes défaites. Il atta-
qua aussi les Bretons, inconnus jusqu’alors, les battit et exigea d’eux
de l’argent et des otages. Parmi tant de succès il n’éprouva en tout que
trois échecs : en Bretagne où sa flotte fut presque anéantie par une
violente tempête ; en Gaule, où, devant Gergovie, une de ses légions
fut mise en déroute ; et aux confins de la Germanie, où ses lieutenants
furent massacrés dans une embuscade. »
En 53, le triumvir Crassus ayant été tué dans une expédition contre
les Parthes, ne restaient plus en présence pour la conquête du pouvoir
que Pompée et César.
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 225
INDEX HISTORIQUE
ET GÉOGRAPHIQUE
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Bretagne. — Grande-Bretagne.
C
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 236
sar ; puis, après la défection générale des Éduens, est fait prisonnier au
combat de Dijon.
César (L. Julius). — Lucius Julius César, fils de Lucius Julius Cé-
sar consul en 90, et frère de Julie, mère de Marc Antoine, fut lui-
même consul en 64 avec Lucius Marcius Figulus ; lieutenant de César
en Gaule, en 52 ; et n’échappe aux proscriptions du second Triumvirat
que grâce à la protection de sa sœur Julie. On ignore quelle fut sa fin.
seurs de la place avec les corps de ceux que leur âge rendait inutiles à
la guerre.
Dis Pater. — Pluton. César donne son nom à une grande divinité
gauloise, peut-être Teutatès, dont les Gaulois se disaient issus.
Duratius. — Chef gaulois, roi des Pictons, allié des Romains ; as-
siégé par Dumnacus dans Lemonum, il est délivrer par Caïus Fabius ;
il obtient de César le droit de cité romaine.
F
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 247
191, et qui est appelée encore par César citerior Provincia, par oppo-
sition à la Narbonnaise. Cette Province citérieure comprend deux par-
ties : la Cispadane, dont les habitants sont citoyens romains depuis 89,
et le Transalpadane don les habitants reçurent le droit de cité qu’en
48. D’où le nom de Gallia togata, donné par Hirtius à la gaule cisal-
pine, qui avait adopté les mœurs romaines et dont les habitants por-
taient la toge.
Dans cet ordre d’idées la Gallia togata s’opposait à la Gallia brac-
cata (Province narbonnaise et Aquitaine), dont les habitants portaient
des espèces de pantalons appelés braies (braccatae).
Enfin, par Gallia comata, on entend la Gaule proprement dite, dont
les habitants portaient de longs cheveux.
Gaulois. — Les Gaulois (de la racine gal, brave) sont les habitants
de la Gaule indépendante. Dans deux passages, le mot désigne seule-
ment les habitants de la gaule celtique, opposés aux Aquitains et aux
Belges.
l’Océan, aux frontières des Ménapiens, en 52, marche contre les Sé-
nonces et les Parisiens, défait et tue Camulogène près de Lutèce, re-
joint César, participe aux dernières opérations contre Alésia, hiverne
chez les Séquanais ; en 51, achève la destruction des Éburons, réduits
et fait prisonniers les chefs Trévires. Quand la guerre civile éclata,
bien que comblé des faveurs de César et enrichi par la h-guerre des
Gaules, Labiénus prit le parti de Pompée, passa après Pharsale en
Afrique, puis en Espagne, où il trouva la mort à Munda en 45.
N
Jules César, La guerre des Gaules (1964) 258
Océan. — 1° L’Atlantique.
2° La Mer du Nord
lui pour soumettre toute la Gaule ; ses projets ambitieux sont dénon-
cés aux Helvètes ; il échappe à une condamnation, mais meurt presque
aussitôt ; sa fille, mariée par lui à Dumnorix, tombe au pouvoir des
Romains.
FIN