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1889 - Correspondance Des Deys D'alger 1579 - 1833 - Plantet Tome 2

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CORRESPONDANCE

DES

DEYS D’ALGER AVEC

LA COUR DE FRANCE
1579 — 1833
RECUEILLIE

DANS LES DÉPÔTS D’ARCHIVES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,


DE LA MARINE, DES COLONIES
ET DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE MARSEILLE

ET PUBLIÉE
AVEC UNE INTRODUCTION, DES ÉCLAIRCISSEMENTS ET DES NOTES

PAR

EUGÈNE PLANTET
ATTACHÉ AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

TOME SECOND
(1700-1833)

PARIS
1889
Livre numérisé en mode texte par :
Alain Spenatto.
1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC.
alainspenatto@orange.fr
ou
spenatto@algerie-ancienne.com

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CORRESPONDANCE

DES DEYS D’ALGER

AVEC

LA COUR DE FRANCE

BABA HASSAN, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 26 janvier 1700.

Dieu, veuille que cette lettre arrive à bon port à Son Excel-
lence le très illustre Grand Vizir de l’Empereur de France !
Très illustre, très magnifique, prudent et éclairé Seigneur,
Grand Vizir du plus glorieux des grands Princes chrétiens, choisi
entre les plus majestueux Potentats de la religion de Jésus, l’Em-
pereur de France, notre très parfait ami. — Dieu veuille conduire
Votre Excellence dans les voies du salut et de la direction spiri-
tuelle et temporelle !
Nous présentons à Votre Excellence un nombre infini de
vœux et de prières provenant d’une véritable et sincère amitié ; nous
vous demandons l’état de votre santé, et nous prions le Seigneur
____________________
1. La plupart des lettres originales publiées dans ce second volume se trouvant
aux Archives des Affaires étrangères, on suivra la méthode employée jusqu’ici, en n’in-
diquant les sources que pour les correspondances conservées hors de ce dépôt.
2 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de vous perpétuer en honneur et gloire. Et si vous nous faites


l’honneur de prendre quelque part à l’état de la nôtre, nous vous
assurons que, Dieu merci ! sous l’heureux règne de notre Empe-
reur, nous jouissons aussi d’une parfaite santé.
Ensuite nous dirons à Votre Excellence, comme à notre vé-
ritable ami, qu’ayant appris par la bouche du Consul de France
qui réside ici(1) cite le puissant et formidable Empereur de France,
notre très cordial ami, vous avait choisi pour son vénérable Grand
Vizir et ministre dépositaire de ses volontés, nous en avons reten-
ti une si grande joie qu’il est impossible de l’exprimer, attendu
l’expérience que nous avons eue ci-devant de la très grande sa-
gesse et de la parfaite clairvoyance qui reluisent en votre person-
ne(2). Dieu veuille que cette grande dignité vous soit Heureuse, et
que vous en jouissiez avec une entière prospérité ! Dieu vous soit
secourable et propice dans toutes les bonnes affaires que vous
entreprendrez, et fasse que vous n’abandonniez jamais l’amitié
dont vous nous honorez.
La grâce que nous demandons à Votre Excellence, c’est
d’insinuer toujours en la mémoire de ce tant renommé Empereur
l’amitié de notre République, et de l’assurer de la reconnaissance
que nous en avons. Et si nous étions assez heureux pour que vous
eussiez ici besoin de nos services, vous ne l’auriez pas plus tôt
fait connaître que nous ne manquerions pas d’employer tous nos
soins à vous satisfaire, et à vous donner des marques de la joie
que nous aurions d’accomplir vos désirs(3). Car l’amitié qui est
____________________
1. Durand. Voy. son Mémoire sur le Consulat d’Alger, le 3 janvier 1700. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain, qui avait exercé les fonctions de
Secrétaire d’État de la Marine après la mort du marquis de Seignelay, de 1690 à 1699,
venait de céder sa charge à son fils, Jérôme Phélypeaux, comte de Pontchartrain, et d’être
élevé par Louiss XIV à la dignité de Chancelier.
3. lettre de Durand du comte de Pontchartrain, le 16 janvier 1700, annonçant au
Ministre que les affaires d’Alger étaient dans la meilleure situation qu’il fût possible de
souhaiter, mais qu’en ce qui le concernait, il se trouvait hors d’état « de subsister avec
honneur », et qu’il était de toute nécessité de lui donner quelque soulagement. Le Dey,
ajoutait-il, était honnête et plein de bonne volonté, mais la Milice était un animal horri-
blement farouche, avec lequel il n’était pas facile de faire ce qu’on désirait, » (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 3

entre nous est- inébranlable; nous sommes ferme et stable dans la


paix que nous avons avec vous. Et le salut.
Écrit à la fin du mois de Redjeb, l’an 1111, c’est-à-dire le
26 janvier 1700, à Alger d’Afrique, théâtre de la guerre.
(Sceau)
HASSAN,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 15 février 1700.

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA HASSAN, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 24 février 1100.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu avec un extrême plaisir la lettre que vous m’avez
écrite le 26 du mois passé, sur la grâce qu’il a plu à l’Empereur,
mon Maître, de me faire, en me chargeant de l’exécution de ses
volontés dans le détail des affaires de la mer(2). Un de mes prin-
cipaux soins sera toujours de maintenir la bonne correspondance
que Sa Majesté veut être entre le Divan d’Alger et ses sujets,
et je n’y aurai pas beaucoup de peine, par la considération par-
ticulière qu’elle a pour votre personne et le cas qu’elle fait de
votre, République. J’aurai aussi beaucoup d’attention pour ce
qui pourra contribuer à votre satisfaction, et je vous assure que
je suis toujours,
Votre sincère et parfait ami.
PONTCHARTRAIN.
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 220.)
2. Voy. la note 2, p. 2.
4 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Alger, le 11 août 1700.

Au plus glorieux des grands Princes chrétiens, choisi en-


tre les plus magnifiques Potentats de la religion de Jésus pour
le médiateur des affaires de la République chrétienne, revêtu du
manteau royal de la grandeur et de la majesté, possesseur des
vraies marques de gloire et de puissance, le très vénérable, très
puissant Empereur de France, notre cordial ami. — Dieu veuille
conduire Votre Majesté Impériale dans les voies de la justice et
de la direction spirituelle et temporelle ! —
Après avoir présenté à Votre Majesté un nombre infini de
vœux et de prières, provenant d’une véritable et sincère amitié,
nous faisons savoir à Votre Majesté Impériale qu’au commence-
ment de la lune de Safer de l’année 1112, c’est-à-dire le 18 juillet
1700, par la grâce de Dieu, les officiers et Janissaires de l’armée
victorieuse et les officiers du Divan, avec les principaux Seigneurs
de la Ville et Royaume d’Alger, s’étant assemblés, m’ont tous
d’un commun accord et d’une résolution unanime installé à la di-
gnité de Dey et Gouverneur de la Ville et Royaume d’Alger, théâ-
tre de la guerre(2). Alors le Consul de France, votre serviteur, s’est
présenté au Divan en présence de toute l’armée, et a désiré renou-
veler le traité de paix qu’il avait entre les mains. Sa proposition
ayant été acceptée et trouvée raisonnable, chacun en général et en
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1639-1731.)
2. Baba Hassan, craignant de devenir la victime d’une de ces révoltes de la Milice
si fréquentes à Alger, déposa le pouvoir et obtint de son successeur l’autorisation de se
retirer à Tripoli. Le nouveau Dey Mustapha lui fit remettre 4 000 piastres, et le fit embar-
quer pour cette destination sur le navire français Notre-Dame de la Garde. Son départ fut
salué par le canon des forts, exemple de modération fort extraordinaire, et que l’on cher-
cherait en vain une seconde fois dans l’histoire de la Régence. Voy. l’Ordonnance rendue
par Durand, le 23 juillet 1700. (Les Archives du Consulat général de France d Alger, par
Devoulx, p. 21.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 5

particulier a donné les mains aux conditions stipulées dans le dit


traité ancien. Nous l’avons renouvelé, espérant que l’amitié et la
bonne intelligence qui sont entre les deux partis iront toujours en
augmentant(1). Nous prions très humblement Votre Majesté Im-
périale de nous faire la grâce de maintenir inviolablement le dit
traité de paix qui vient d’être renouvelé, et de donner des ordres
précis à tous ses sujets et officiers, pour ne rien faire qui puisse,
être cause de rupture ou de contravention aux paroles données de
part et d’autre, et pour châtier sévèrement ceux de l’un ou l’autre
parti qui contreviendront aux articles de la paix. Enfin nous espé-
rons que, dans le temps de notre Gouvernement, l’amitié s’aug-
mentera encore plus qu’elle n’était, si faire se peut, sous celui de
nos prédécesseurs, et que de votre part il ne se passera rien qui
soit contraire au traité. Au reste, ô notre très cher ami, la bonté
avec laquelle vous avez ci-devant fait mettre en liberté 26 escla-
ves de notre République(2) nous a tous tellement touchés et réjouis
qu’il est impossible de le décrire sur le papier ni de l’exprimer de
bouche. Il ne peut pas y avoir une plus grande marque d’amitié,
et dans la suite nous prierons encore Votre Majesté Impériale de
ne pas nous refuser sa protection envers les pauvres esclaves(3).
Écrit le 25e jour de Safer 1112, qui est le 11 août 1700.
(Sceau)
Le pauvre MUSTAPHA,
Dey de la Ville d’Alger d’Afrique.
Traduit, par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 1er septembre 1700.
____________________
1. Lettre de Durand au comte de Pontchartrain, le 15 acte 1700, relative à la rati-
fication du traité de 1694. Le Dey lui a fait mille protestations à ce sujet, l’assurant qu’il
exécutera ce traité avec plus d’exactitude qu’aucun de ses prédécesseurs. Il est un homme
généreux, et notre agent pourra s’entretenir avec lui dans une parfaite communauté de
sentiments. Il a promis d’ailleurs à ce dernier, à l’occasion de ce renouvellement du traité,
la liberté entière du commerce de Tarcut, près de Bône, ce qui donnera plus d’extension
aux opérations de nos comptoirs d’Afrique. Cette ratification est en original aux Archives
coloniales de la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
2. Cette restitution avait été faite par les soins du négociateur Dusault en 1699.
3. Notre Consul réclamait alors des présents pour le nouveau Dey, « très honnête
homme et de beaucoup d’esprit », et se plaignait au Ministre de la fâcheuse parcimonie
avec laquelle la Chambre de Marseille agissait à l’égard de l’Échelle d’Alger. « Par un
6 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 11 août 1700.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port, en mains de


Son Excellence le premier Ministre d’État du plus puissant Prin-
ce des chrétiens, l’Empereur de France !
Très illustre et magnifique, prudent et éclairé Seigneur, pre-
mier Ministre d’État du plus glorieux des grands Princes chré-
tiens, Choisi entre les plus majestueux Potentats de la Religion
de Jésus, l’Empereur de France, notre très parfait ami. — Dieu
veuille conduire Votre Excellence dans les voies du salut et de la
direction spirituelle et temporelle ! —
Nous présentons à Votre Excellence un nombre infini de
vœux et de prières. Ensuite nous vous dirons qu’au commence-
ment de la lune de Safer de cette année 1112, c’est-à-dire le 18
juillet 1700, par la grâce de Dieu, les Musulmans de l’armée et
les principaux Seigneurs du pays m’ayant tous, d’un commun
accord, installé en la dignité de Dey d’Alger, théâtre de la guer-
re(2), le Consul de France, votre serviteur, s’est présenté au Di-
van, désirant renouveler le traité de paix conclu ci-devant entre la
France et Alger. Et sa proposition ayant été trouvée raisonnable,
tous ont donné les mains aux conditions qui y sont stipulées, le
dit traité de paix a été renouvelé(3), et nous ne doutons point que
____________________
absurde aveuglement, ils ne veulent pas comprendre la nécessité de ces sortes de dépen-
ses. Il n’est pas possible de concevoir des gens du commerce si près de ce pays, et qui
soient si peu informés des véritables intérêts du public et des maximes d’Alger. » Lettre
de Durand au comte de Pontchartrain, le 27 juillet 1700. — Voy. Mémoire des présents
qui sont absolument nécessaires, à cause du changement de Gouvernement, et Lettre de
Durand aux Députés du commerce de Marseille, le 26 juillet 1700. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de Marseille. S.
AA, 471 de l’Inventaire.)
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1839-1731.)
2. Voy. la note 2, p. 4.
3. Voy. la note 1, p. 5.
AVEC LA COUR DE FRANCE 7

l’amitié mutuelle des deux partis n’augmente tous les jours de


plus en plus.
Au reste la bonté avec laquelle vous vous êtes-employé
auprès de l’Empereur, pour la liberté de 26 esclaves musulmans
qui nous ont été renvoyés par vos soins, nous a donné une joie
qui passe toutes les expressions du monde. Nous en remercions
tous très humblement Sa Majesté Impériale et particulièrement
Votre Excellence, la priant de faire savoir à Sa Majesté Impériale
le renouvellement du traité de paix. Et s’il y a quelque chose en ce
pays en quoi nous puissions vous rendre nos services, vous n’avez
qu’à le faire Savoir au Consul, et elle sera aussitôt exécutée.
Écrit le 25e jour de Safer 1112, c’est-à-dire le 11 août 1700.
(Sceau)
Le pauvre MUSTAPHA,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS Da LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 1er septembre 1700.

LOUIS XIV
A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 8 septembre 1700.

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous avons appris par votre dépêche du 11 du mois pas-
sé(2), qui nous a été présentée, le choix que le Divan et la Mince
d’Alger ont fait de votre personne pour les gouverner, et par le
Consul que vous avez renouvelé le traite de paix(3). Vous devez
vous assurer, sur notre parole inviolable, qu’il sera de notre part
ponctuellement rempli, ainsi qu’il l’a été jusqu’à présent, et nous
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
(1639-1731.)
2. Voy. p. 6.
3. Voy. la note 1, p. 5.
8 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

en renouvelons si précisément l’ordre aux Capitaines et Com-


mandants de nos vaisseaux et à tous nos sujets qu’il n’y a point à
craindre qu’il y survienne par eux aucune contravention.
Nous attendons de vous la même exactitude, et qu’en répon-
dant à la bonne intelligence qu’ils ont avec les Algériens, nous
n’aurons que des occasions de vous marquer une considération
particulière pour votre personne, et l’estime qu’elle doit attendre
de l’opinion qu’on nous en a donnée.
Écrit en notre château impérial, le 8 septembre 1700.
Louis

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 8 septembre 1700.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai présenté à l’Empereur, mon Maître, la lettre que vous
avez écrite à Sa Majesté(2) pour l’informer de votre installation
dans la dignité de Dey d’Alger. Vous verrez par sa réponse, qui
est ci-jointe(3), la part qu’elle a bien voulu y prendre, et quant à
moi vous devez être bien persuadé qu’ayant appris, par le sieur
Durand, la bonne disposition où vous êtes pour la nation françai-
se et les qualités personnelles qui vous ont élevé à cette place(4),
je ne puis qu’en avoir beaucoup de joie, comptant que la bonne
correspondance de la République d’Alger avec les Français en
sera mieux maintenue, et le traité de paix que vous venez de re-
nouveler plus ponctuellement exécuté.
J’apporterai tous les soins qui dépendront de moi et tiendrai
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1639-1731.)
2. Voy. Lettre du 11 août 1700, p. 4.
3. Voy. p. 7.
4. Lettres de Durand au comte de Pontchartrain, les 27 juillet et 15 août 1700.
AVEC LA COUR DE FRANCE 9

la main pour que les ordres de l’Empereur, mon Maitre, sur ce


sujet soient entièrement remplis.
Je suis bien aise que la liberté que Sa Majesté a accordée à
quelques esclaves turcs vous ait fait plaisir, et vous devez comp-
ter qu’en toute occasion elle vous donnera des témoignages de sa
considération. J’aurai de ma part une attention particulière à vous
les procurer, et à vous marquer que je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 24 novembre 1700.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’apprends, par le sieur Durand, la victoire que vous venez
de remporter sur le Bey de Tunis joint à celui de Tripoli, et l’en-
tière défaite de leurs troupes(2). La considération particulière que
l’Empereur, mon Maître, a pour vous, la grande estime que j’ai
de votre personne et la justice que vous rendez aux sujets de Sa
Majesté ne m’ont pas permis de perdre cette occasion de vous
féliciter d’un événement d’autant plus glorieux qu’il est dû aussi
bien à votre sage conduite qu’à la valeur de la Milice, et de vous
marquer, par la part que je prends à ce qui vous regarde, que j’en
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1639-1131.)
2. Mourad, Bey de Tunis, était venu assiéger Constantine; il avait eu l’avantage
dans l’attaque d’un camp algérien, et il avait envoyé dans sa Régence les oreilles de ses
prisonniers, ce qui avait exaspéré les soldats de Mustapha. Ce dernier vint lui livrer ba-
taille le 3 octobre 1700, et l’obligea à repasser la frontière. A peine revenu dans ses États,
Mourad fut massacré et remplacé par Ibrahim Chérif, qui demanda la paix et se soumit à
payer un tribut. Lettres de Durand aux Députés de Marseille, le 15 août 1700, et au comte
de Pontchartrain, le 14 octobre 1700. Voy. aussi État des affaires d’Alger depuis le départ
du Dey, le 10 septembre 1700. (Archives des. Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et
Mémoires et Documents, Alger, t. XV, f° 301.)
10 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ai ressenti une véritable joie. Il est à désirer que vous n’exposiez


point trop votre personne aux hasarde aux périls de la guerre, et
je vous prie d’être; bien persuadé que je suis toujours,
Votre très parfait et sincère ami
PONTCHARTRAIN.

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE. D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MUSTAPHA DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 25 mars 1701.

Très illustre et magnifique Seigneur


Le Consul d’Alger m’ayant informé de votre sortie de cette
ville et de la victoire que vous avez remporté sur le Roi de Maroc,
qui s’était avancé jusque sur vos frontières avec une forte armée,
j’en ai rendu compte à l’Empereur, mon Maître(2). Sa Majesté,
touchée par le succès d’un événement qu’on ne peut attribuer
qu’a votre fermeté et à votre sage conduite qui, secondées par la
valeur de la Milice, ont suppléé au nombre, m’a commandé de
vous en féliciter de sa part et de vous témoigner que cette nouvel-
le lui a fait plaisir par la considération particulière qu’elle a pour
votre personne et pour la république d’Alger, et parce que vous
avez puni l’audace d’un Prince qui n’a d’autre gloire que celle
qu’il s’est faite, et qui manqué à sa parole et à la bonne foi. Elle
fera ressentir, d’ailleurs, pendant que vous poursuivrez votre vic-
toire, les incommodités d’une guerre qu’il s’est attirée, et il sera
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1639-1731.)
2 Après sa victoire sur le Bey de Tunis, le Dey s’était mis la poursuite de Mouley
Ismaël, qui avait-envahi la province de Tlemcen et qui s’était avancé, avec 50 000 hom-
mes, jusqu’à la distance de trois journées de marche de la ville d’Alger. Mustapha, qui
n’avait avec lui que 6 000 fantassins et 1 000 cavaliers turcs, l’avait entièrement défait
le 28 avril 1701, et son retour avait été fêté par des réjouissances publiques pendant trois
jours et trois nuits ! Lettres de Durand au comte de Pontchartrain, les 10 janvier, 16 et 25
février, 2 mai et 22 juin 1701.
AVEC LA COUR DE FRANCE 11

vivement attaqué d’un côté, pour peu que Dieu le permette, pen-
dant que vous le presserez de l’autre.
Sa Majesté ayant bien voulu renvoyer plusieurs Turcs qui
se trouvaient sur ses galères, j’adresse au sieur Durand(1) ceux qui
se sont dits du Royaume d’Alger pour vous les présenter, et vous
devez compter qu’en toute occasion elle vous donnera des mar-
ques dune distinction singulière. Je l’entretiendrai de mon côté
dans ces dispositions favorables pour vous, étant toujours,
Votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A Louis XIV(2).

Alger, le 4 octobre 1701.

Au plus glorieux des grands Monarques de la religion de


Jésus, choisi entre les plus magnifiques Potentats de la Républi-
que chrétienne, notre très parfait et très excellent ami, l’Empe-
reur de France. — Que Dieu maintienne sa gloire, conserve la
bonne conduite de son Gouvernement, et donne à ses entreprises
un succès glorieux et triomphant ! —
Après avoir présenté à Votre Majesté Impériale les pierreries
de nos saluts pronostiquant le bonheur et conformes à l’amitié,
____________________
1 Notre Consul se louait toujours de ses rapports avec le Dey, dont il célébrait
la valeur et l’intrépidité, mais il se plaignait vivement des chicanes que lui faisaient les
Députés de Marseille, et de la pénurie dans laquelle ils l’abandonnaient. « Il n’y a rien
ici, disait-il, qui ne se puisse faire ou éviter en sachant distribuer à propos. » Il demandait
son congé, a non pas qu’il fût las de servir le Roi et la nation, car il était prêt à servir Sa
Majesté chez les sauvages, mais il ne lui était pas possible de digérer le sensible déplaisir
qu’il avait de voir diminuer le bien de ses services par des discussions sordides ». — Voy.
Très humbles-remontrances à MM. les Maire, Échevins et Députés du commerce de Mar-
seille, par Durand, approuvées par le P. Lorance, Vicaire apostolique, et Lettre de Durand
au comte de Pontchartrain, le 1er août 1701.
2. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1639-1731.)
12 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

et rendu des témoignages sincères et solennels de la parfaite union


et bonne intelligence, par lesquelles l’amitié et la bienveillance
s’augmentent de jour en jour, nous demanderons des nouvelles de
la santé de Votre Majesté Impériale, et nous prierons le Créateur
de la lui conserver toujours parfaite, accompagnée de triomphes
et de gloire, sur son très magnifique trône.
Ensuite nous dirons à Votre Majesté Impériale que la raison
qui nous porte à écrire cette lettre pleine d’amitié est que, ces
jours passés, deux de nos vaisseaux corsaires ayant fait rencontre
sur la mer océane, proche des îles de Madère, d’un vaisseau mar-
chand français, avant que d’avoir pu s’approcher, les gens de son
équipage auraient pris la fuite. Ce que voyant nos officiers, ils
auraient amené le dit vaisseau à Alger, lequel a aussitôt été remis
en la disposition du Consul de France, votre serviteur.
La même chose était déjà arrivée à un autre vaisseau fran-
çais qui a été amené ici par nos officiers, craignant que, s’ils le
laissaient en pleine mer, sans guide et sans équipage, il pérît in-
failliblement. Nous n’avons pas pu recevoir de leurs nouvelles,
ni savoir pour quelle raison ils fuyaient ainsi nos navires. Votre
Majesté sait fort bien qu’il est impossible que les vaisseaux d’Al-
ger leur veuillent faire aucun tort, et elle peut s’informer, auprès
de son Consul qui réside ici, à quel point sont l’amitié et la bonne
correspondance entre Votre Majesté et nous(1).
Il y a autre chose, c’est que toutes les fois que les Capitai-
nes des vaisseaux de guerre de Votre Majesté font rencontre des
nôtres, avant que de demander aucune chose et sans que réponse
leur soit faite, ils commencent par envoyer des canonnades, dont
ils ont tué nos hommes et même estropié nos mâts.
Nous avouons que si quelqu’un de nos reïs, ignorant les lois
____________________
1. Notre agent avait reçu l’ordre de demander aux Puissances l’emploi d’un pa-
villon déterminé pour les navires algériens. Ceux-ci se servaient alors d’un pavillon blanc
et pointu par le bout, ce qui amenait entre eux et nos marins des confusions dangereuses.
Durand n’avait pu obtenir aucune modification A cet usage. Lettre de Durand au comte
de Pontchartrain, le 30 octobre 1701. — Voy. Mémoire de ce qui s’est passé à Alger au
mois d’octobre 1701. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Mémoires et
Documents, Alger, t. XV, f° 305.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 13

de la mer et se trouvant sur le vent d’un vaisseau de guerre de Sa


Majesté, ne se rangeait pas sous le vent pour passer, certes il se-
rait juste de canonner ce reïs pour lui apprendre les maximes qui
se pratiquent sur la mer. Mais quand, suivant la coutume, il passe
sous le vent, il faut aussi que, conformément à l’ancien usage et
à la bonne intelligence qui est entre les deux États, ils se saluent
réciproquement et se témoignent amitié. Cependant à présent les
Capitaines de Votre Majesté, sans s’arrêter à ces circonstances,
envoient des balles de canon à droit ou à faux et causent des af-
fronts et des dommages.
C’est pourquoi nous supplions Votre Majesté Impériale
de faire avertir les Capitaines de ses vaisseaux de guerre, afin
qu’ils ne commettent plus de semblables contraventions, d’autant
plus que Votre Majesté sait que ces sortes d’actions ne sont pas
conformes à l’amitié, et aussi d’ordonner aux navires marchands
de ne pas fuir nos vaisseaux, afin qu’il n’arrive, plus de pareils
incidents. Car nous jurons par le grand Dieu ! oui, par le grand
Dieu ! que notre amitié est très ferme et inviolable, et que nous
ne consentirons jamais que Votre Majesté ait lieu de se plaindre
de nous le moins du monde(1).
Sur quoi nous prions le Créateur de perpétuer les jours et la
sauté de Votre Majesté Impériale.
Écrit à Alger, le dernier jour de la lune de Rebi-el-ewel, l’an
de l’hégire 1113, c’est-à-dire le 4 octobre 1701.
(Sceau)
Le pauvre MUSTAPHA,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 7 novembre 1701.
____________________
1. Les cadeaux demandés si instamment par le Consul étaient arrivés à Alger et
avaient été distribués. Ils se composaient de brocarts blancs, de draps bleus et rouges, de
fusils, de pistolets, de lunettes d’approche, de caisses de pommes, de châtaignes et de
confitures, pour une valeur totale de 1 020 l. État des présents envoyés par MM. du com-
merce de Marseille à l’occasion du changement du Gouvernement d’Alger. — Le Consul
profitait alors des bonnes dispositions des Algériens pour amener « ces gens-là » à se dé-
clarer contre les Anglais. Il venait d’ailleurs de les empêcher de signer un traité avec les
Hollandais. Lettres de Durand au comte de Pontchartrain et aux Députés du commerce de
Marseille, les 16 février et 1er octobre 1701. (Archives des Affaires étrangères, Consulat
d’Alger et Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 471 de l’Inventaire.)
14 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 4 octobre 1701.

Très illustre, magnifique, éclairé et prudent Seigneur, pre-


mier Ministre d’État, Grand Vizir de l’Empire de France, qui êtes
notre très cher, très parfait et très illustre ami,
Après avoir présenté à Votre Excellence, avec les pierreries
de nos vœux et les poinçons de nos diamants, des témoignages
innombrables de notre amitié ; après vous avoir demandé des
nouvelles de votre bonne santé et de l’état de votre cœur, et après
avoir prié Dieu de vous perpétuer à jamais dans la gloire et le
bonheur auprès du trône impérial,
Nous dirons à Votre Excellence que la cause qui nous porte
à vous écrire cette lettre d’amitié est que, ces jours passés, deux
de nos vaisseaux ayant fait rencontre sur la mer océane, près de
Madère, d’un vaisseau marchand français, les gens de l’équipage,
sans attendre que les nôtres eussent atteint leur vaisseau, se sont
mis dans leur chaloupe et ont pris la fuite, ce qui a obligé nos mis
à se saisir du vaisseau et à l’amener à Alger, lequel, à son arrivée,
a été remis en mains du Consul de France. Il en était déjà arrivé
autant à un autre bâtiment marchand de votre nation, lequel a été
aussi remis à votre Consul. Nous ne savons pas quelle raison a
pu les obliger à s’enfuir ainsi de nos vaisseaux, attendu que Votre
Excellence sait bien elle-même que les Français n’ont à craindre
aucun mauvais traitement de la part de nos corsaires, puisque
nous ne cessons d’admonester à ce sujet nos officiers et de leur
réitérer nos ordres, leur donnant à connaître que cela serait cause
de désordre. Et Votre Excellence peut savoir du Consul de France
la vérité de ce que nous avançons.
Nous dirons de plus à Votre Excellence que nos corsaires,
____________________
1. Archives coloniales de Marine. (Compagnie du Bastion de France, 1639-1731.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 15

ayant été rencontrés par des vaisseaux de guerre de Sa Majesté


Impériale de France et s’étant approchés d’eux, ont passé sous
le vent, et que cependant ils en ont été canonnés et maltraités de
balles, qui ont tué de nos hommes et rompu nos mâts.
Ce considéré, nous prions Votre Excellence de donner de si
bons ordres aux dits Capitaines qu’il n’arrive plus de semblables
événements, attendu que nous jurons par le grand Dieu ! oui, par
le grand Dieu ! que la paix et la bonne intelligence sont parfaites
entre vous et nous, et ce Dieu Très-Haut en est témoin.
Votre Excellence peut s’en rendre certaine par le Consul,
qui est honnête homme, fort raisonnable, accommodant et de
bonne Conduite. Nous sommes très content de lui ; c’est un ex-
cellant Officier(1).
Nous dirons de plus à Votre Excellence, comme à notre
parfait ami, que toutes les bontés et honnêtetés qu’elle a pour
nous, et dont elle nous donne des preuves dans les occasions,
ne sont pas perdues en la présence du Seigneur. Et nous jurons,
par le grand Dieu ! que tant que nous posséderons la vie, nous
conserverons chèrement l’amitié dont elle nous honore.
Il y a quelque temps que nous recommandions au Consul de
vous prier pour obtenir la liberté de trois ou quatre esclaves. Je ne
doute pas qu’il ne l’ait fait, c’est pourquoi je renouvelle à Votre
Excellence la même prière, afin que, pour l’amour de nous, elle
veuille bien nous aider de ses bons offices dans cette affaire et
tâcher, par ses soins; de nous procurer leur délivrance. Sur quoi
nous prions Dieu de vous perpétuer en santé et prospérités.
Écrit à Alger, le dernier jour de la lune de Rebi-el-ewel, l’an
de l’hégire 1113, c’est-à-dire le 4 octobre 1701.
(Sceau)

Le pauvre MUSTAPHA,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 8 novembre 1701.
____________________
1. Voy. La note 1, p. 13
16 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 16 novembre 1101.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 4 du mois pas-
sé(2), et présenté à l’Empereur, mon Maître, celle que vous m’avez
adressée pour Sa Majesté(3). Elle a parfaitement entendu le fait
concernant les bâtiments de nos sujets qui se sont rencontrés
abandonnés à la mer, et comme elle avait déjà prévu les suites
d’un désordre aussi préjudiciable au commerce des bons négo-
ciants, auquel donne lieu la friponnerie des matelots qui veulent
profiter de la première occasion qu’ils ont de gagner, en peu de
temps, les avances qu’ils ont reçues, Sa Majesté avait fait une
déclaration qui portait condamnation aux galères contre ceux qui
commettraient cette faute. Elle renouvelle ses ordres précis à tous
les officiers qui peuvent en connaître, pour qu’ils la fassent exé-
cuter ponctuellement, à commencer par les équipages des deux
bâtiments conduits à Alger, aussitôt qu’ils seront revenus, dans le
Royaume. Ils étaient tous deux partis de La Rochelle pour aller à
Cadix, l’un porter des farines au munitionnaire de la flotte qui s’y
trouvait, l’autre pour une île de l’Amérique, nommée Cayenne.
Vous savez que les seuls sujets de Sa Majesté peuvent aborder
dans celles de ces ales qui sont de sa domination, mais, quoiqu’ils
fussent certainement Français, elle n’a pas fait moins d’attention
à la justice que vous avez rendue. Elle est aussi satisfaite de la
conduite des reïs d’Alger, qui n’ont, depuis qu’ils sont gouvernés
par vous, donné aucun juste motif de plainte aux Français qu’ils
ont rencontrés.
Je puis vous assurer que le rapport qui vous a été fait au
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. p. 44.
3. Voy. p. 11.
AVEC LA COUR DE FRANCE 17

sujet des Capitaines de vaisseaux de Sa Majesté qui auraient


tiré sur ceux d’Alger est sans fondement. Ils savent tous ses in-
tentions sur la manière dont ils doivent en user, et ils seraient
sévèrement punis s’ils y avaient contrevenu. Cependant elle m’a
ordonné encore de les répéter à tous, et d’en faire un article de
leurs instructions pour l’avenir. Elle fait aussi expliquer aux
marchands que les premiers contre lesquels vous aurez lieu de
faire la moindre plainte ou qu’on pourra convaincre, sans atten-
dre leur retour, d’avoir eu quelque discussion avec les corsaires
d’Alger, seront châtiés et serviront d’exemple aux autres. Mais,
pour l’éviter, il est nécessaire que vous défendiez aux reïs de
prendre le pavillon de Salé, qui étonne les petits bâtiments sans
force pour résister, et la crainte de l’esclavage, lorsqu’ils aper-
çoivent ce pavillon, peut bien contribuer au parti que prennent
les patrons de les abandonner(1).
Sa Majesté a donné ordre d’adresser au Consul trois des
esclaves dont vous avez demandé la liberté. Le quatrième n’a pu
être joint, étant sur une galère qui se trouve à la mer. Je n’ai pas
eu de peine à la déterminer à faire cette grâce, par l’estime et la
considération particulières qu’elle a pour vous, dont elle vous
donnera des marques en toute occasion(2). Recevez de ma part les
assurances que je la maintiendrai dans cette bonne disposition, et
que je serai toujours,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.
____________________
1. Voy. la note 1, p. 12.
2. La Cour de France avait alors de très puissants motifs pour ménager les Algé-
riens. En effet l’on s’apprêtait, à Versailles, à soutenir la guerre de la succession d’Espa-
gne, causée par le testament de Charles II qui confiait la couronne au duc d’Anjou, testa-
ment qui devait avoir pour conséquence les protestations de l’Autriche, de l’Angleterre et
de la Hollande, puis la coalition de 1701 et enfin la Grande Alliance.
18 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 2 juin 1704.

Très illustre et magnifique Seigneur, Vizir de l’Empereur


de France,
Après avoir demandé des nouvelles de la santé de Votre Ex-
cellence et lui avoir souhaité toutes sortes de prospérités, je lui
représenterai avec beaucoup d’amitié que quelques marchands,
ayant ci-devant nolisé une barque française dans le port d’Alexan-
drie, l’avaient chargée de quelques marchandises pour se rendre
à Alger. Le malheur a voulu qu’ils fussent rencontrés en mer par
un Capitaine de Flessingue, et qu’ils fussent aperçus par lui. Mais
avant que la barque fût capturée, elle avait été rencontrée par un
navire de guerre de Sa Majesté Impériale de France, qui faisait
route dans ces eaux-là, et qui se saisit de la barque et la conduisit
à Malte. Cette nouvelle ayant été répandue, les associés des dits
marchands nous ont informé, par leurs lettres, de toutes les cir-
constances de cette affaire et de la manière dont elle s’est passée.
Nous prions très instamment Votre Excellence, en cas que cette
affaire soit de la manière que nous venons de lui exposer, d’avoir
la bonté, en considération de notre amitié, de ne point jeter les
yeux sur les objets de peu de valeur de ces pauvres gens-là, et
de ne pas nous refuser la grâce que nous vous demandons de les
faire restituer à ceux à qui ils appartenaient. Nous avons encore
une autre grâce à demander à Votre Excellence, en qui nous avons
toute confiance comme en un ami dont nous faisons un cas infini,
c’est à savoir que l’un des serviteurs de l’Empereur de France, ap-
pelé d’Artigues, étant Consul à Chio, ayant été déposé, Sa Majesté
____________________
1. Archives coloniales de Marine. (Compagnie du Bastion de France, 1639-1731.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 19

a établi un autre Consul à sa place(1). Sur quoi je prends la liberté


de représenter à Votre Excellence que les Pacha, Bey, Agha et
autres Seigneurs de ce pays-là, ainsi que tous les habitants de
l’île, grands et petits, étant très contents et pour ainsi dire charmés
des manières de ce Consul, nous ont écrit plusieurs lettres en sa
faveur, nous priant d’intercéder auprès de Sa Majesté et de Votre
Excellence pour son rétablissement dans le Consulat. C’est donc
la grâce que je vous demande avec toutes les instances possibles,
en vous priant de ne pas me faire rougir devant tant de braves
gens pour lesquels j’ai une considération toute particulière, et de
ne pas me refuser la faveur que je vous demande du plus profond
de mon cœur, c’est-à-dire le rétablissement du sieur d’Artigues
dans l’île de Chio, avec les mêmes honneurs qu’il avait aupara-
vant, en lui envoyant des patentes de confirmation(2), ce dont je
vous aurai de nouvelles obligations. Sur quoi je prie le Ciel de
prolonger Sa Majesté et Votre Excellence(3).
(Sceau)
Le pauvre MUSTAPHA,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE Là CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 2 juin 1704.
____________________
1. Les patentes du sieur d’Artigues sont datées du 26 septembre 1699; le sieur de
Rians fut nommé à sa place, le 28 mars 1699, en qualité de Vice-Consul. (Archives des
Affaires étrangères, Consulat de Chio.)
2. Le Kiaya des Janissaires de Chio, nommé Hadji Mustapha, était le frère du
Dey d’Alger. Lettre de Durand au comte de Pontchartrain, le 1er août 1704, au sujet de
la confirmation de Pierre d’Artigues en qualité de Consul à Chio. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger.)
3. Le capitaine anglais Bink, commandant une escadre de cinq vaisseaux, était
venu peu de temps auparavant demander à Mustapha un traité qui mît sa nation sur le
même pied que la France dans ses relations avec la Régence. « Malgré leurs présents,
qui ont été très magnifiques, leurs grosses promesses et leurs sollicitations continuelles,
ils n’ont rien pu obtenir contre nous, ni en leur faveur ni en celle des Hollandais. » Lettre
de Durand aux Députés de Marseille; le 26 décembre 1703. (Archives de la Chambre de
commerce de Marseille, S. AA, 471 de l’Inventaire.)
20 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


AU SI EUR DURAND, CONSUL DE LA NATION FRANÇAISE A ALGER.

Du camp du Kef, le 14 juillet 1704.

Vous saurez ce qui s’est passé avec Ibrahim Chérif, Bey


de Tunis, notre ennemi. Il vint avec son camp au-devant de nous
samedi, le 1er de la lune de Rebi-el-ewel, qui est le 11 juillet(1).
Comme nous eûmes aperçu sa démarche, nous nous remîmes à
la volonté du Seigneur et nous marchâmes à lui avec notre camp,
et Dieu nous a donné victoire complète. Nous l’avons défait et
lui avons tué quantité de ses gens; nous l’avons pris et mis aux
fers(2), et, le lendemain dimanche, nous nous sommes rendu au
Kef. Les principaux en sortirent, sur la parole de bon quartier,
avec la garnison et le frère même du Chérif avec eux, et nous y
avons trouvé toutes leurs familles. Grâces en soient rendues à
Dieu mille et mille fois ! Faites-nous le plaisir d’en donner avis
à nos amis, afin qu’ils y prennent part et s’en réjouissent avec
nous, et à nos ennemis pour leur faire dépit, notre cœur étant net
et rempli de bonne volonté.
A la fin de la dite lune de Rebi-el-ewel, l’année 1116 de
l’hégire de Mahomet, qui est le 14 juillet 1704.
Le pauvre MUSTAPHA,
Dey d’Alger d’Afrique.
____________________
1. Le seul but poursuivi par le Dey en faisant la guerre à ses voisins était de se pro-
curer de l’argent pour imposer silence à sa turbulente Milice. Mustapha fut assez heureux
pour s’emparer de 100 000 p. dans le camp des Tunisiens et pour emmener le Bey Ibrahim
en captivité. Sa campagne est racontée avec détails dans les Voyages de Paul Lucas, t. II,
p. 355 et suiv., et dans les Annales tunisiennes, p. 90. — Voy. l’histoire d’Ibrahim Chérif
dans les Mémoires historiques du Royaume de Tunis, par de Saint-Gervais, p. 62 et suiv.
Voy. aussi Lettre de Durand aux Députés de Marseille, le 26 décembre 1703, au sujet des
« razzias » que le Dey est obligé de faire pour remplir son trésor. (Archives de la Chambre
de commerce de Marseille, S. AA, 471 de l’Inventaire.)
2. Ibrahim Chérif resta sept mois prisonnier des Algériens, et ne recouvra sa li-
berté que moyennant une rançon de 200 000 p. « Nous pouvons compter, écrivit le Consul
d’Alger, être délivrés de ce sauvage et injuste Bey. Il n’y a point de doute qu’après l’avoir
fait chanter, lui et sa famille, pour savoir ses caches, on ne lui fasse passer le pas. » Lettre
de Durand au comte de Pontchartrain, le 25 juillet 1705.
AVEC LA COUR DE FRANCE 21

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Du camp d’Alger sous Tunis, le 19 juillet 1704.

Au plus glorieux des grands Princes chrétiens, choisi entre


les plus magnifiques Potentats de la religion de Jésus pour média-
teur des affaires de toute la République chrétienne, l’Empereur
de France. — Dieu veuille l’assister de ses grâces, le conduire
dans les voies de la droiture et de la vérité, et donner un heureux
succès à toutes ses entreprises ! —

Après avoir rendu à Votre Majesté Impériale les témoigna-


ges de nos profonds respects, et offert des saluts conformes à
l’amitié dont elle nous honore; après lui avoir présenté les pier-
reries de nos vœux les plus purs et les poinçons de diamants de
nos prières, nous lui demandons des nouvelles de sa santé royale,
priant Dieu qu’elle augmente toujours dans la grandeur et dans
la gloire. Qu’il abaisse vos iniques ennemis, qu’il les confonde
et avilisse, et qu’il vous rende à jamais victorieux et triomphant !
Qu’en quelque part que vous portiez vos armes, les chemins
vous soient ouverts et la fortune favorable, que vous fassiez des
conquêtes et remportiez des victoires, et qu’il conserve toujours
Votre Majesté Impériale dans la joie et dans la félicité !
C’est avec la plus sensible joie du monde que nous avons
appris ici, ô notre vénérable et grand ami, que de la lignée royale
du Prince, votre petit-fils, est né à Votre Majesté Impériale un
Prince et rejeton de cet arbre glorieux. Dieu veuille vous donner
de longs et heureux jours sur le trône de ‘l’Empire, immortaliser
votre royale maison et la combler de toutes sortes de grâces !(2)
Je dirai aussi à Votre Majesté Impériale que son Consul, qui
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Ce compliment se rapporte à la naissance du duc de Bourgogne, en date du 25
juin 1704. Voy. Lettre de Durand au comte de Pontchartrain, le 15 décembre 1704.
22 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

était ici, est parti de ce pays avec le consentement de Votre Ma-


jesté-pour aller à sa Cour rendre ses respects, et frotter sa face à
la terre de ses pieds(1). J’espère que, quand il aura l’honneur de
baiser le bas de son manteau royal, elle aura la bonté de s’infor-
mer de lui des soins que nous nous donnons pour entretenir per-
pétuelles l’amitié, l’union et la bonne intelligence qui sont entre
les deux États. Je ne la ferai pas plus longue, pour prier Dieu qu’il
perpétue Votre Majesté Impériale avec toute gloire et prospéri-
tés.
Écrit le 17e jour de la lune de Rebi-el-ewel, l’an de l’hégire
1116, c’est-à-dire le 19 juillet 1704.
(Sceau)
Le pauvre MUSTAPHA,
Dey de la Ville d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 octobre 1704.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Du camp d’Alger sous Tunis, le 19 juillet 1704.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port, en mains de


Son Excellence le Ministre d’État de l’Empereur de France !
Très illustre, très éclairé, très sage et très magnifique Sei-
gneur, Comte de Pontchartrain, qui êtes le digne Ministre d’État
____________________
1. Durand avait demandé à la Cour un congé de quelques mois, et il avait désigné
au choix du Ministère son Chancelier, de Clairambault, « que 19 années d’expérience à
Constantinople, à Smyrne et à Alger rendaient plus capable qu’un autre de remplir avec
honneur la gérance du Consulat ». M. de Châteauneuf, Ambassadeur de France à Constan-
tinople, l’avait occupé autrefois comme enfant de langue, et, reconnaissant sa valeur, il lui
avait confié une mission en Pologne. — Durand profita de son voyage en Provence pour
s’occuper des intérêts de nos Concessions d’Afrique, alors gravement compromis. Voy.
la note 3, p. 34. Voy. aussi Lettres de Durand aux Députes de Marseille, le 12 mai 1704,
et au comte de Pontchartrain, les 30 octobre 1701 et 12 mai :1704. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S.
AA, 471 de l’Inventaire.)
2. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 23

du plus glorieux des grands Princes chrétiens et le plus majes-


tueux des Rois de la religion de Jésus, — Dieu veuille conserver
Votre Excellence et diriger tous ses desseins à un très heureux
succès ! — Après vous avoir rendu les saluts les plus sincères et
offert les vœux les plus purs, nous demanderons des nouvelles de
votre précieuse santé, priant Dieu qu’elle soit toujours parfaite
avec gloire et félicités.
Nous dirons à Votre Excellence que c’est avec une très sen-
sible joie que nous avons appris la bonne nouvelle de la naissance
d’un Prince de la lignée du grand Empereur de France(1). — Dieu
lui donne de longs et heureux jours, qu’il le comble de gloire et
de bonheur, qu’il confonde et extermine ses ennemis, et qu’il le
rende à jamais victorieux et triomphant ! —
Votre Excellence saura que le nommé Lazare Adrian étant
tombé esclave entre nos mains, votre Consul nous a fait connaître
que le susnommé ayant eu l’honneur d’être dans le service de Sa
Majesté, Votre Excellence aurait pour agréable que nous lui pro-
curassions la liberté, sur quoi nous l’avons aussitôt racheté à son
patron et remis entre les mains du Consul.
Nous avons aussi recommandé au Consul de demander la li-
berté d’un certain nombre d’esclaves musulmans, détenus à Mar-
seille, en payant leur rançon, et nous prions très instamment Votre
Excellence de nous faire la grâce d’en parler à Sa Majesté, vous
assurant que, s’il se trouve ici des esclaves français, nous emploie-
rons tout notre crédit et autorité pour accélérer leur délivrance.
Nous avons appris que la barque française qui était partie
ci-devant d’Alexandrie, ayant été prise par un corsaire de Fles-
singue, aurait été rencontrée en mer, quelques jours après, par un
navire de guerre de l’Empereur de France, qui l’aurait reprise des
mains du corsaire. Les marchands de ce pays ont fait en cette oc-
casion une perte considérable, et n’ont point d’autres ressources
que la clémence de Sa Majesté; c’est pourquoi je prie très ins-
tamment Votre Excellence d’accorder sa protection à ces pauvres
affligés, pour obtenir la restitution de leurs effets.
____________________
1. Voy. la note 2, p. 21.
24 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Nous prions aussi Votre Excellence qu’attendu que le


Consul qui va en France est très agréable à toute notre nation, et
qu’elle est parfaitement contente de lui, après qu’il aura accom-
pli les choses pour l’amour desquelles il va à la Cour, elle ait la
bonté de le renvoyer en ce pays. Et à l’égard de votre serviteur
Clairambault, qui est resté ici pour gérer les affaires en son lieu
et place, nous y consentons volontiers, et nous lui rendrons tous
les bons offices qui dépendront de nous(1).
Nous dirons encore à Votre Excellence que vous ayant ci-
devant demandé le Consulat de Chio pour un homme qui nous
était fort recommandé, Votre Excellence a eu la bonté de le lui
accorder, de laquelle grâce nous lui faisons de très grands remer-
ciements ; mais il y a eu en cela du malentendu, parce que celui
pour lequel nous avions l’intention de demander cette grâce se
nommait Antoine Guérin, et l’on nous avait donné un autre nom
que celui sous lequel nous l’avions demandé. Ensuite il est venu
de nouvelles lettres, avec des instances réitérées, où était marqué
le véritable nom, ce qui paraîtra extraordinaire à Votre Excellen-
ce. Quoi qu’il en soit, la chose est telle, et nous lui réitérons nos
prières afin que, s’il est possible, elle ait la bonté d’accorder le
dit Consulat au dit Antoine Guérin(2). Sur quoi nous prions Dieu
de perpétuer les jours de Votre Excellence.
Écrit le 17e jour de la lune de Rebi-el-ewel, l’an de l’hégire
1116, c’est-à-dire le 19 juillet 1704.

(Sceau)

Le pauvre MUSTAPHA,

Dey de la Ville et Royaume d’Alger d’Afrique.


Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 octobre 1704.
____________________
1. Voy. la note 4, p. 22.
2. Lettre de Durand au comte de Pontchartrain, le 15 septembre 1704. C’était le
frère du Dey, Chef des Janissaires de Chio, qui avait confondu le sieur d’Artigues avec
Antoine Guérin, de Cassis, négociant à Smyrne.
AVEC LA COUR DE FRANCE 25

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 3 septembre 1704.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire
le 2 juin dernier(2), au sujet d’une barque française qui a chargé
dans le port d’Alexandrie des marchandises appartenant à des
négociants d’Alger, et j’ai pris, par ordre de l’Empereur, mon
Maitre, tous les éclaircissements nécessaires pour faire ressentir
à ces négociants l’attention singulière qu’elle fait à tout ce que
vous pouvez désirer. Elle aurait même résolu de ne point s’arrê-
ter à l’usage des autres nations, qui déclarent de bonne prise les
bâtiments qui sont repris sur les ennemis, après être restés plus
de vingt-quatre heures entre leurs mains. Mais les marchandises
que vous réclamez n’étaient plus dans la barque, lorsqu’elle a été
reprise par le corsaire de Flessingue ; celui-ci les avait enlevées
avec la meilleure partie du changement et envoyées à Livourne,
où elles ont été vendues, ainsi que vous le saurez par les mémoi-
res et déclarations que j’envoie au Consul. Je suis bien fâché
de n’avoir pu, dans cette occasion, remplir ce que vous m’avez
demandé.
Sa Majesté a accordé le Vice-Consulat de Chio au sieur
d’Artigues, pour lequel vous m’écrivez, et elle m’a permis d’ex-
pédier le brevet qui lui est nécessaire, aussitôt que je saurai que le
sieur de Rians, qui remplit à présent cet emploi, est mort ou hors
d’état de l’exercer(3).
Je suis votre serviteur et parfait ami.
PONTCHARTRAIN.
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. p. 18.
3. Le Secrétaire d’État de la Marine n’avait pas encore reçu la lettre du 19 juillet
1704, expliquant que ce n’était pas d’Artigues, mais bien Antoine Guérin que l’on désirait
à Chio.
26 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Du camp d’Alger sous Tunis, le 7 décembre 1704.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port à Sa Majesté


l’Empereur de France !
Au plus ancien ami du très puissant et très excellent Em-
pereur des Ottomans, notre Maitre, le plus glorieux des grands
Princes chrétiens et le plus redouté des Monarques de la religion
de Jésus, l’Empereur de France. — Dieu préserve Votre Majesté
Impériale de tout accident, lui donne un heureux succès dans tou-
tes ses entreprises, et la dirige dans les voies du salut et de toutes
prospérités et triomphes ! —

Cette lettre est de la part .du très heureux Mustapha, Dey


d’Alger, de celle du Vice-Roi de l’Empereur ottoman, et de celle
de tous les Seigneurs du Divan qui sont tous attachés et zélés
amis de Votre Majesté Impériale, lesquels, après vous avoir salué
très humblement et très respectueusement, vous assurent qu’ils
sont résolus à maintenir cette union dans toute sa perfection, tant
qu’ils jouiront de la vie de ce monde, sans qu’il puisse jamais
s’introduire entre nous aucune épine de froideur par des motifs
d’intérêt, ni aucune contrariété en tout ce que nous croirons pou-
voir lui être agréable, priant Dieu qu’il rende Votre Majesté Im-
périale victorieuse sur tous ses ennemis envieux et sinistres.
Ensuite nous dirons à Votre Majesté Impériale que, l’année
passée, nous donnâmes permission à quelques soldats de notre
Milice et à quelques pauvres gens de nos sujets d’aller faire le
voyage de La Mecque, et qu’étant heureusement arrivés au port
d’Alexandrie, après bien des dépenses et des pertes, ils allias-aè-
rent quelque peu de marchandises. Ils prirent à nolis une barque
____________________
1. Archives coloniales de Marine. (Compagnie du Bastion de France, 1639-1731.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 27

française, sur laquelle ils s’embarquèrent avec leurs effets, et,


en arrivant dans ce pays, leur barque fut prise par des corsaires
de Flessingue. Par une providence de Dieu, cette même barque
ayant fait rencontre d’un de vos navires(1), il la reprit avec les ef-
fets des mains des pirates, et la conduisit à l’île de Malte où il la
vendit, ce qui est- un fait certain.
Comme les familles et amis de ces pauvres gens n’ont point
cessé depuis ce temps-là de nous solliciter, et de nous demander
avec instance une lettre de recommandation pour Votre Majesté
Impériale, ne pouvant avoir l’honneur d’aller eux-mêmes se jeter
aux pieds de son trône, nous n’avons pu nous empêcher d’en faire
une requête particulière. Nous savons fort bien que nous n’avons
aucun droit, suivant les règles et coutumes de la mer, de réclamer
ni revendiquer cette prise, mais nous savons aussi très bien que
nous sommes le plus zélé ami de Votre Majesté, et qu’elle est le
plus généreux et le plus magnifique Empereur, à la porte duquel
la prière des véritables amis n’est point refusée ; que, quelque
considérable que soit la chose demandée, il lui sera agréable de
nous l’accorder, et que nous ne nous en retournerons pas frustré
de nos espérances, mais que, par un effet de bonté et de libéralité,
elle écoutera favorablement notre très humble supplication.
C’est pourquoi nous prions très humblement Votre Majesté
d’avoir la bonté de faire remettre ces effets de sa grâce et de son
amitié entre les mains du porteur de cette lettre, fondé de procu-
ration de notre part pour les recevoir et s’en charger(2).
Votre Majesté, à qui le Dieu éternel a donné la puissance
et la richesse, fait bien connaître par sa grandeur d’âme et sa gé-
nérosité qu’elle a toujours l’intention de faire part de ses grâces
aux autres créatures de Dieu, et à ceux qui requièrent les effets
de sa clémence et de sa libéralité. Aussi prieront-ils toujours et
continuellement la divine Majesté de l’en récompenser au centu-
ple, et de nous mettre en état, par nos services affectionnés, de lui
____________________
1. La frégate La Fortune.
2. Ce messager était un Juif, nommé Tobiano. Voy. Lettres de Durand au comte
de Pontchartrain, les 4 janvier et 3 avril 1705.
28 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

témoigner éternellement notre reconnaissance; c’est la grâce que


nous lui demandons.
Écrit le 9e jour de Chaban 1116, c’est-à-dire le 7 décembre
1704.
(Sceau)
Le pauvre MUSTAPHA,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 15 mars 1705.

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 21 janvier 1705.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire le
19 juillet(2), et présenté à l’Empereur, mon Maître, celle que vous
m’avez adressée pour Sa Majesté(3). Elle m’a commandé de vous
témoigner qu’elle est très sensible à la joie que vous lui marquez
de la naissance de Mgr le duc de Bourgogne.
Elle charge le Consul de vous l’expliquer lorsqu’il se pré-
sentera devant vous, et de vous dire qu’elle a été bien aise d’ap-
prendre, par le détail qu’il lui a exposé, la conduite sage et ferme
que vous tenez dans le Gouvernement, ainsi que l’exactitude avec
laquelle vous faites observer le traité de paix, et tout ce qui peut
servir à maintenir la bonne intelligence entre ses sujets et ceux
du Royaume d’Alger. Cette exactitude ne me laisse point douter
que vous n’ayez reproché à votre Amiral son mauvais procédé en
arrêtant, contre les termes du traité, sur le cap Roux, à la vue des
côtes de France, une tartane génoise qui a été depuis forcée de re-
lâcher à Antibes, d’où on l’a amenée à Toulon avec les Turcs qui
s’y trouvaient. Le Consul a ordre de les mener avec lui à Alger
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. p. 22.
3. Voy. p. 21.
AVEC LA COUR DE FRANCE 29

et de vous les remettre, quoiqu’ils méritassent quelque punition,


et j’espère que vous aurez aussi fait mettre en liberté les Génois
qui formaient l’équipage de cette barque, si votre Amiral a été
informé du fait à son arrivée.
Sa Majesté vous sait beaucoup de gré de la facilité avec
laquelle vous avez bien voulu accorder la liberté de Lazare
Adrian(1). Cependant je puis vous assurer que, si vous aviez été
bien informé de la situation dans laquelle il était, vous ne l’auriez
pas considéré comme esclave.
Si la barque française qui a été reprise sur un corsaire de
Flessingue avait été confisquée au profit de Sa Majesté, elle aurait
bien voulu relâcher le prix des effets qui se seraient trouvés ap-
partenir aux négociants d’Alger, mais ils avaient déjà été adjugés,
lorsque j’ai reçu votre lettre concernant les armateurs de la frégate
La Fortune qui avait fait la reprise. Ils en auraient même fait la
répartition entre eux, et il n’en est rien entré dans les coffres de
Sa Majesté. Il ne serait donc pas juste qu’elle leur ôtât ce qui leur
appartient, ou qu’elle en fît le remboursement de ses deniers.
Sa Majesté a donné l’ordre de remettre au Consul, à son
passage à Marseille, ceux des Turcs dont vous m’avez demandé
la liberté qui se sont nommés, et de vous informer de ce que
sont devenus les autres. Sa Majesté accordera le Vice-Consu-
lat de Chio au sieur Antoine Guérin, auquel vous vous intéres-
sez, et j’en expédierai le brevet sur les premières nouvelles que
j’aurai de la mort du sieur de Rians, ou de son incapacité à rem-
plir ses fonctions(2). Quoique je ne veuille point vous faire valoir
____________________
1. Voy. p. 23.
2. Voy. Lettres de Durand au comte de Pontchartrain, les 20 août, 26 septembre
et 30 novembre 1705. — Voy. aussi Lettre de Hadji Mustapha, Kiaya des Janissaires de
Chio (frère du Dey d’Alger), au comte de Pontchartrain, le 2 juin 1705: « Vous avez-
donné des marques si éclatantes de l’amitié que vous portez à la République, à la Milice
et à l’illustre guerrier, le lion des Capitaines et des soldats, mon frère, le Dey d’Alger,
— que Dieu perpétue ! —que je me trouve porté à faire des vœux pour Votre Excellence,
souhaitant que, par votre parfaite vigilance, cette République et Milice, les marchands et
négociants jouissent pendant tout le temps de votre Ministère d’une parfaite tranquillité.
Soyez à jamais le sujet des vœux et des prières de l’un et de l’autre Royaume !
Nous venons de recevoir une lettre de M. Durand, Consul d’Alger, votre officier,
par laquelle il nous donne avis que Sa Majesté Impériale de France a eu la bonté, à notre
30 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

cette grâce, je dois vous dire que cet emploi était demandé pour
un autre, avec beaucoup d’instance, par M. de Ferriol(1) et par
toute la nation de Smyrne.
Je suis toujours votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

LOUIS XIV
A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(2).

Versailles, le 4 février 1705.

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous avons lu avec plaisir la lettre que le Comte de Pont-
chartrain nous a présentée de votre part(3) sur la naissance de notre
arrière-petit-fils, le duc de Bourgogne. La part que vous prenez à
la joie que nous en avons eue est un témoignage d’affection pour
notre personne auquel nous sommés très sensible.
Vous ne devez pas aussi douter de la considération particu-
lière que nous avons pour vous, et que nous continuerons dans la
____________________
sollicitation, d’accorder le Consulat de Chio en faveur du sieur Antoine Guérin, selon
la prière que le Seigneur Dey d’Alger, mon frère, a faite à Votre Excellence. Je suis si
pénétré de cette grâce qu’il me semble que je suis le maître de l’univers. Dieu veuille
augmenter tous les jours de plus en plus la vie et le règne de votre grand Empereur, et
accroître jusqu’au plus haut degré la gloire, la puissance et l’autorité de Votre Excellence
! Je vous dirai à présent que le sieur de Rians, qui était ici Consul de France, est mort le
1er jour de la lune de Zilhidjé, c’est-à-dire le quatrième avril dernier, et a passé de cette
vie à l’autre. Dieu veuille vous conserver en parfaite santé ! C’est ce qui me donne lieu,
dès à présent, de prier Votre Excellence d’avoir la bonté d’envoyer au sieur Antoine
Guérin, marchand à Smyrne, les patentes du Consulat de Chio, vous assurant que je
vous en aurai toutes sortes d’obligations. Et s’il y a ici quelque occasion de rendre mes
très humbles services à Votre Excellence, j’en attendrai toute ma vie l’occasion, sur le
premier ordre dont elle voudra bien m’honorer. Ayez donc, Seigneur, la bonté d’expédier
incessamment vos ordres à ce sujet. Je prie Dieu qu’il vous conduise toujours dans les
voies de la Direction. » (Archives coloniales de la Marine, Compagnies du Bastion de
France, 1639-1731.)
1. Charles de Ferriol, baron d’Argental, Ambassadeur de France à Constantinople
de 1699 à 1711.
2. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
3. Voy. p. 21.
AVEC LA COUR DE FRANCE 31

sincère disposition où nous avons toujours été en toute occasion.


Nous donnerons tous les ordres nécessaires pour faire exécuter
ponctuellement par nos officiers et nos sujets les articles du traité
de paix, comptant que vous aurez de votre part la même inten-
tion.
Donné en notre château impérial de Versailles, le 4 février
1705.
Louis.

LE COMTE DE TOULOUSE, AMIRAL DE FRANCE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Toulon, le 25 mars 1705.

Illustre et magnifique Seigneur,


Envoyant en votre pays un homme de ma maison pour ache-
ter des chevaux dont j’ai besoin pour mon service, j’ai cru devoir
vous écrire pour vous prier de le favoriser en tout ce qui dépendra
de vous pour faire cette emplette, et je me flatte que vous ne lui
refuserez pas ce que je vous demande, connaissant, comme je
sais, l’amitié que l’Empereur de France a pour vous, et l’empres-
sement que vous avez de lui donner des marques de votre respect
en toutes sortes d’occasions. Si, dans ce lieu-ci ou dans tous les
autres du Royaume où ma charge me donne quelque autorité, il se
trouve occasion de vous rendre service ou aux gens qui me seront
recommandés de votre part, vous pouvez vous assurer, illustre et
magnifique Seigneur, que je m’y emploierai avec beaucoup de
plaisir, et que je serai fort aise de vous témoigner que je suis,
Votre bien affectionné ami.
LOUIS ALEXANDRE DE BOURBON.
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1839-
1731)Le comte de Toulouse, que Saint-Simon désigne comme étant « l’honneur, la vertu,
la droiture et l’équité même », prenait alors une grande part à la guerre de la succession
d’Espagne. Il adressa à la même date et sur le même sujet une lettre au Bey de Constan-
tine, conservée avec le document que nous reproduisons.
32 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 25 mars 1705.

Très illustre et magnifique Seigneur,

J’ai présenté et lu à l’Empereur, mon Maître, la lettre du


mois de décembre dernier, dont vous aviez chargé le Juif To-
biano(2). Les nouvelles assurances de la sincère disposition dans
laquelle vous êtes de maintenir une bonne correspondance avec
ses sujets font toujours plaisir à Sa Majesté. Elle m’a commandé
de vous le marquer bien précisément, et de vous dire que vous
devez compter que, de sa part, elle donnera toujours de si bons
ordres qu’il n’arrivera aucun accident qui puisse la troubler. Vous
en auriez reçu un témoignage nouveau dans l’affaire pour laquel-
le vous lui écrivez, et qui a donné lieu au voyage de Tobiano, S’il
avait été praticable d’y donner suite. Elle aurait même passé vo-
lontiers sur l’Usage de la mer et sur les lois les plus anciennes du
Royaume, si les choses avaient été entières, mais elles ne le sont
plus, il y a longtemps. La barque française, sur laquelle quelques
Algériens avaient chargé à Alexandrie les marchandises qu’ils
réclament, a été prise par un corsaire de Flessingue, lequel en
a enlevé une partie pendant le temps qu’elle a été en ses mains.
Elle a été ensuite reprise par une frégate nommée La Fortune, ar-
mée par les Échevins et quelques particuliers de Marseille, pour
servir de convoi à leurs bâtiments. Aussitôt son arrivée dans le
port, les effets qu’on y a trouvés, qui étaient de peu de valeur,
ont été vendus, et le prix distribué pour un tiers à l’équipage et
le reste aux armateurs, ainsi qu’il était juste, aucun ami ou allié
n’y paraissant intéressé, parce que le corsaire avait jeté tous les
papiers à la mer.
____________________
1. Archives coloniales de Marine. (Compagnie du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. P. 26.
AVEC LA COUR DE FRANCE 33

Voilà la situation où on était lorsque vous m’en avez écrit


la première fois, et je vous en ai informé. Comment reprendre de
2 à 300 personnes les petites portions que chacun en a eues, et
comment reconnaître ce qui pouvait appartenir aux Algériens ?
Sa Majesté a même, sur votre lettre, donné ordre de le recher-
cher, et on lui a rendu compte que c’était inutilement, puisqu’on
n’a trouvé à bord aucun papier. Si cas marchandises avaient été
confisquées entre les mains de Sa Majesté, elle en aurait fait ren-
dre le prix sur son trésor royal, l’argent étant auprès d’elle de
peu de considération, lorsqu’il s’agit de marquer celle qu’elle a
pour votre personne et son attention pour votre recommandation.
Vous ne devez pas douter de la mienne pour tout ce qui peut vous
plaire, et vous devez vous persuader que je suis toujours,
Votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

LOUIS XIV
A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Fontainebleau, le 7 octobre 1705.

Illustre et magnifique Seigneur,

Nous avons appris avec joie l’heureux succès de votre ex-


pédition contre le Bey de Tunis, et l’avantage que vous avez rem-
porté sur lui presque aussitôt que vous êtes entré sur les terres de
ce Royaume(2). La considération singulière que nous avons pour
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Mustapha, ayant besoin d’argent pour payer sa Milice, entra de nouveau en
campagne contre le Bey de Tunis, Hassan ben Ali, qui avait été nommé après la défaite
d’Ibrahim. II envahit son territoire, et le menaça de venir assiéger sa capitale. « Que ne
retournez-vous à Alger ? vinrent lui dire les Envoyés du Divan de Tunis. Le but de votre
expédition n’est-il pas atteint ? En marchant sur Tunis, votre intention était de châtier Ibra-
him, et le sort des armes, en vous donnant la victoire, vous a rendu maitre de sa vie. N’êtes-
vous pas amplement satisfait ? Quant à nous, représentants de la population tunisienne,
34 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

votre personne et pour la République d’Alger nous a engagé aus-


sitôt à donner l’ordre au Consul de se rendre auprès de vous pour
vous en féliciter, et vous témoigner toute la part que nous, pre-
nons à un événement si glorieux pour vous(1).
Nous le chargeons aussi de vous expliquer les justes motifs
que nos sujets ont de se plaindre de la conduite des deux derniers
Beys, et des injustices qu’ils ont commises contre ceux qui rési-
dent à Tunis et contre la Compagnie du Cap-Nègre(2), et de vous
demander les ordres nécessaires pour y remédier à l’avenir et pour
le maintien de cette Compagnie, dont le commerce est très utile
à une partie du Royaume de Tunis(3). Nous espérons que vous fe-
rez toute l’attention qui sera praticable sur ces représentations, et
que vous nous donnerez, en cette occasion, de nouvelles marques
du désir que vous avez de conserver notre bienveillance et de
____________________
nous devons être en dehors des conséquences de cette lutte aujourd’hui terminée. » Le
Dey d’Alger n’en continua pas moins l’investissement de Tunis, en refusant d’entamer les
négociations proposées. Lettre de Durand au comte de Pontchartrain, le 25 juillet 1705.
— Voy. les Voyages de Paul Lucas, t. II, p. 354, et les Annales tunisiennes, p. 93.
1. Lettres de Durand au comte de Pontchartrain, les 23 mai, 26 septembre et 15
décembre 1705, relatives au voyage que fit Durand au camp du Dey d’Alger, pour s’en-
tendre avec lui sur le choix d’un Bey de Tunis favorable aux intérêts de notre colonie
du Cap-Nègre. Son congé expiré, il était revenu à Alger le 5 mai 1705 ; les Puissances
l’avaient fort bien accueilli, et l’avaient vivement complimenté sur la conduite du sieur de
Clairambault, « qui avait gouverné les affaires avec toute la prudence et la dextérité que
l’on pouvait attendre d’un homme aussi expérimenté que lui ».
2. Le dernier Bey Ibrahim avait retenu prisonnier dans son camp le gouverneur
des Concessions françaises, Demarle, lorsque celui-ci était venu se plaindre d’une sai-
sie de caisses de corail pratiquée contrairement aux usages établis. Lettre de Durand au
comte de Pontchartrain, le 26 août 1703 ; — Mémoire pour servir d’Instruction au sieur
Durand, Consul à Alger, le 7 octobre 1705. Voy. pour notre colonie du Cap-Nègre l’His-
toire de La Calte, par Féraud, p. 294 et suiv.
3. Les principaux administrateurs de la Compagnie du Cap-Nègre, Charles, Si-
mon et Milhau, s’étaient enfuis en Espagne en 1701, après avoir fait faillite, et toutes les
autorités de Provence, Arnoul, Lebret, Dusault et de Vauvré, travaillaient à sauvegarder
tout au moins l’intérêt public. La Compagnie du Bastion avait été compromise dans
cette affaire, et elle avait vu s’engloutir dans ce désastre une partie de ses capitaux. Il
fallait désintéresser les anciens associés, de façon que la Compagnie Hély pût exploiter
désormais le Cap-Nègre comme tous ses autres comptoirs. Voy. Mémoire contenant les
circonstances de ce qui s’est pratiqué dans la banqueroute du Cap-Nègre ; — État des
effets et dettes de la Compagnie du Bastion, le 1er janvier 1704. Voy. aussi la corres-
pondance de Dusault et d’Arnoul, de 1701 à 1705. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 35

maintenir la bonne correspondance entre nos sujets. Le Consul


vous expliquera les ordres que nous avons donnés sur ce qui nous
a été demandé de votre part.
Écrit en notre château impérial de Fontainebleau, le 7e jour
d’octobre 1705.
Louis.

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER(1).

Fontainebleau, le 7 octobre 1705.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’ordre que l’Empereur, mon Maître, m’a donné de vous
adresser la dépêche qui est ci-jointe est une occasion favorable
pour moi de vous féliciter sur l’heureux succès de votre expédi-
tion contre le Bey de Tunis, que vous avez vaincu au moment où
il a paru devant vous, et presque au seul bruit de votre approche(2).
Cet événement ne laisse plus, à ceux qui y prennent part comme
moi, qu’à désirer que vous jouissiez longtemps de la gloire qu’il
vous a acquise. Sa Majesté l’a appris avec plaisir, et elle mande
au Consul de se rendre auprès de vos pour vous le témoigner, et
pour vous renouveler les assurances de la considération particu-
lière qu’elle a pour votre personne.
Le sieur Durand a aussi ordre de vous informer des procédés
violents de Janissaires que les deux derniers Beys de Tunis ont
employés à l’égard des Français résidant à Tunis(3), et à l’égard
de la Compagnie du Cap-Nègre que leurs injustices ont en partie
jetée dans un très grand discrédit(4). On aurait peine à la relever,
si on n’avait fait espérer aux intéressés qui restent qu’ils peuvent
compter sur votre affection, et que celle que vous avez jusqu’à
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. la note 2, p. 33.
3. Voy. la note 1, p. 34.
4. Voy. les notes 2 et 3, p. 34.
36 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

présent marquée aux Français nous engagerait sans doute à entrer


dans les tempéraments nécessaires pour leur rétablissement, et
pour les mettre en état de faire à l’avenir leur commerce, qui est
très avantageux pour le Royaume de Tunis, avec plus d’utilité et
d’agrément. Sa Majesté a cette affaire à cœur, et je crois que vous
chercherez à lui donner en cela des preuves de votre attention sur
ce qu’elle peut désirer(1).
Je dois aussi vous demander votre protection et votre secours
pour le sieur Duchesne, qui succède au sieur Lorance(2), afin qu’il
puisse remplir ses fonctions sans inquiétude et avec sécurité.
Vous aurez sans doute été informé par le Consul des ordres
que Sa Majesté a donnés pour la restitution des effets, apparte-
nant aux sujets algériens, qui ont été chargés dans le bâtiment
anglais pris par le Capitaine Marin, quoique ce soit contre les
lois du Royaume et l’usage de la mer(3). Elle a aussi commandé
de faire la recherche de quelques autres effets réclamés en votre
nom, pour les faire rendre s’ils peuvent se rendre(4). Je souhaiterais
____________________
1. Voy. la correspondance de Dusault, alors occupé au dépouillement des bilans de
la Compagnie du Cap-Nègre. Sorhainde, notre ancien Consul à Tunis, alors directeur de
ce comptoir, avait fait tous ses efforts pour contrebalancer la fâcheuse impression qu’avait
produite dans la contrée la faillite de cette Compagnie. Il avait écrit, le 8 décembre 1701,
aux associés marseillais qu’un de ses agents, La Pérouse, venait de se marier avec la fille
du Gouverneur de Tabarque, et qu’en établissant de bons rapports entre les Commandants
des deux postes rivaux, cette alliance ne pouvait que nous être avantageuse.
2. En qualité de Vicaire apostolique. Lettre de Durand au comte de Pontchartrain,
le 30 novembre 1705, faisant l’éloge du P. Duchesne.
3. Cette affaire avait vivement préoccupé notre Consul. La prise du capitaine
Pierre Marin, de La Ciotat, avait lésé un grand nombre de marchands d’Alger, et Du-
rand avait insisté auprès des Députés de la Chambre de Marseille pour qu’elle fût res-
tituée avec son chargement. « La somme est considérable, leur avait-il écrit ; l’affaire
est criante ; grands et petits se révoltent contre un pareil procédé et une telle perte, et
il n’y a point d’extrémités que l’on ne puisse attendre à moins d’un prompt remède. Je
ne vous en dis pas davantage; vous comprendrez facilement le reste et quels sont vos
intérêts. Il faut aller au-devant des malheurs. » Lettre de Durand aux Députés de Mar-
seille, le 17 juin 1704. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 471
de l’Inventaire.)
4. On était alors à la Cour extrêmement bien disposé en faveur du Dey Mustapha.
Lettres de Durand au comte de Pontchartrain, les 22 janvier et 17 juin 1705. « Les An-
glais donnent beaucoup et pourraient bien pousser loin les affaires. Ils soufflent vivement
le feu et l’entretiennent autant qu’il leur est possible. Quelque gracieuseté au Dey de la
part du Roi aurait bien son mérite et pourrait attirer quelque attention. »
AVEC LA COUR DE FRANCE 37

avoir de meilleures occasions de vous convaincre de la sincérité


avec laquelle je serai toujours,
Votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Alger, le 18 novembre 1705.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port et en mains


de Sa Majesté l’Empereur de France, qui est le plus grand des
Rois de la religion de Jésus et le plus puissant des Monarques
et des Potentats chrétiens, notre parfait ami ! — Dieu veuille
conduire Votre Majesté Impériale en toutes vos affaires et entre-
prises ! —
Après avoir rendu à Votre Majesté les devoirs du salut, et
nous être acquitté des témoignages de respect conformes à l’ami-
tié dont elle nous honore, nous lui donnons avis que, par les grâ-
ces infinies et universelles de Dieu Très-Haut, qui coulent à la
façon des grands fleuves de la source de ses miséricordes, et par
les effets de la puissance et de la protection impériale, ce servi-
teur, qui est produit d’un rejeton de l’illustre tige de la maison
de Haschem, planté dans le sacré bosquet de Mahomet, ayant été
jugé capable et en même temps élu pour gouverner la troupe de
guerriers de la très illustre République d’Alger d’Afrique en qua-
lité de Dey, dont je dois rendre d’infinies actions de grâces à la
divine Majesté, j’ai résolu de maintenir inviolablement les traités
de paix qui ont été ci-devant contractés sous les Gouvernements
précédents, du consentement de toute la, Milice musulmane, des
peuples et des grands du pays(2).
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Mustapha n’avait pu parvenir à pénétrer dans Tunis, après avoir fièrement refusé
38 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

C’est ce qui me donne aujourd’hui l’occasion d’avoir l’hon-


neur d’écrire cette lettre de respect et d’amitié à Votre Majesté
Impériale, de concert avec son Consul qui réside ici, pour la prier
qu’après sa réception, elle ait la bonté de donner son agrément et
approbation royale à notre bonne intention, et de nous honorer de
la continuation de son affection et de sa bonne intelligence, sui-
vant l’ancien usage et la droiture accoutumés, afin que les peu-
ples des deux États puissent continuer à jouir du repos et de la
tranquillité ordinaires(1).
Nous supplions donc Votre Majesté Impériale d’y donner
une sérieuse attention, afin que les traités de paix et les assu-
rances d’amitié réciproques soient par ce moyen renouvelés et
confirmés, et qu’en conséquence, s’il plaît à Dieu Très-Haut, il
ne soit fait à aucun des sujets de l’un et l’autre parti ni injustice
ni violence. Et le salut.
Écrit au commencement de la lune de Chahan, l’an de l’hé-
gire 1117, c’est-à-dire le 18 novembre 1705, par le sincère ami,
(Sceau)
HUSSEIN,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 29 décembre 1705.
____________________
une indemnité de 150 000 p., offerte par les habitants pour obtenir la paix. Une vigoureu-
se sortie des assiégés l’avait même obligé à lever le siège et à reprendre précipitamment
le chemin de sa Régence, en abandonnant sur les lieux un matériel considérable. Mais les
principaux Janissaires, mécontents de ne pas recevoir une augmentation de paye à la fin
de la campagne, avaient aussitôt fomenté une sédition de la Milice et avaient proclamé
Hussein. Mustapha s’était enfui vers Le Collo, mais il était tombé entre les Mains de
quelques officiers qui lui avaient fait subir mille outrages, et l’avaient promené dans les
rues, sur un âne, avant de l’étrangler. Voy. la Relation de la révolution d’Alger, 1705, et
le Mémoire de Durand sur la situation d’Alger, 1704. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
1. Quelques jours après l’avènement du nouveau Dey, Durand lui présenta le traité
de 1694 afin qu’il procédât à sa ratification, comme l’avait fait Mustapha. L’original de
cette confirmation est aux Archives coloniales de la Marine (Compagnies du Bastion de
France, 1639-1731). — Le Dey est heureusement un très honnête homme, très raison-
nable et dont tout le inonde dit du bien ; il promet d’exécuter le traité plus exactement
encore que ses prédécesseurs. C’est peut-être un des Turcs qui ait le plus d’étude et de sa-
voir, et on a tout lieu de bien espérer de son Gouvernement. » Lettre de Durand au comte
de Pontchartrain, le 25 novembre 1705.
AVEC LA COUR DE FRANCE 39
HUSSEIN, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 18 novembre 1705.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port, en mains de


Son Excellence le Seigneur Ministre d’État de l’Empereur de
France !
Au très illustre et magnifique Seigneur, premier Ministre
d’État de l’Empereur de France, le principal des Potentats de la
chrétienté, Pontchartrain, notre illustre et parfait ami. — Que
Dieu veuille vous diriger dans vos entreprises ! —

Après avoir rendu à Votre Excellence tous les témoigna-


ges d’amitié et fait toutes sortes de vœux pour sa prospérité, et
lui avoir demandé des nouvelles de sa santé précieuse, nous lui
dirons, comme à notre parfait ami, que, par les grâces infinies
de Dieu qui coulent comme des fleuves de la source de sa misé-
ricorde, et par un effet de sa providence qui s’étend comme la
mer sur toutes ses créatures, ce serviteur a été élu Commandant
et Dey de tous les guerriers de la République d’Alger, — dont
mille actions de grâces en soient rendues ! — Tous nos amis
en ont ressenti une joie extrême, et chacun, selon son état et
son rang, nous en a fait des compliments de congratulation. Et
comme Votre Excellence nous fait l’honneur d’être de nos amis,
nous lui écrivons cette lettre pour lui en donner avis, et pour
renouveler l’amitié et confirmer la bonne intelligence qui ont
été contractées avec les Deys qui nous ont précédé, suivant les
conditions portées dans les traités de paix. Nous espérons que,
conformément à ces mêmes traités, les deux partis se rendront
des marques réciproques d’amitié et de bonne correspondance,
et que, s’il plaît à Dieu, vous serez ferme et stable dans l’union
que vous nous avez promise(2).
____________________
1. Archives coloniales de Marine. (Compagnie du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. Les notes 2, p. 37, et 1, p. 38.
40 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Si vous nous demandez des nouvelles de ce pays, nous di-


rons à Votre Excellence que le nommé Capitaine Jacomo, ayant
un passeport de la République d’Alger, faisait son commerce dans
tous les pays, sans que ni chrétien ni Musulman de nos amis lui
donnât jamais aucun empêchement ni inquiétude, cela en consi-
dération du passeport de notre République. Ce qui l’ayant rendu
célèbre et lui ayant acquis du crédit et de la confiance, chacun
lui donnait des marchandises, et les officiers de la Milice, aussi
bien que les bourgeois d’Alger, lui mettaient entre les mains avec
assurance celles qu’ils voulaient employer au trafic.
Les choses étaient en cet état lorsqu’il entreprit le voyage
de Livourne, et, une douzaine de Musulmans ayant chargé son
vaisseau conjointement avec lui, il partit pour revenir à Alger ;
mais, étant arrivé à un lieu proche de ce pays, il y fut attaqué par
vos vaisseaux, quoiqu’il se fût échoué à terre, et il en fut enlevé
par force et violence et emmené en France. Votre Excellence peut
croire qu’étant ami comme nous le sommes, nous ne pouvons pas
donner les mains à de pareils événements, et il est plus clair que
le soleil que vous, étant autant de nos amis, n’approuverez pas
cette action.
C’est pourquoi nous prions Votre Excellence de rapporter
l’histoire de cet incident à Sa Majesté Impériale avec tant d’éner-
gie et d’exactitude que, l’ayant parfaitement comprise et entendue,
elle donne ses puissants ordres afin que le dit bâtiment nous soit
incessamment renvoyé avec tous ses agrès et équipages, espérant
que vous y apporterez vos soins et y emploierez votre crédit avec
une parfaite vigilance. Nous pouvons assurer Votre Excellence
que ses peines ne seront pas perdues, et que nous regarderons ce
bienfait comme le tenant d’elle-même(1).
____________________
1. La prise du capitaine Jacomo Suriano causa les premiers déboires du Vice
Consul de Clairambault, qui la réclama vainement à la Cour pendant six mois. Ce marin
n’avait aucun passeport quand il avait été capturé ; on avait saisi sur lui des lettres adres-
sées au Conseil d’Angleterre par le prince de Darmstadt, et le Ministère de la Marine le
considérait, pour ce fait, comme un complice des ennemis de l’État. En effet l’archiduc
Charles et le prince de Darmstadt étaient alors occupés à opérer une descente en Cata-
logne, et à déjouer avec leurs alliés, les Anglais, les projets de Louis XIV sur le trône
AVEC LA COUR DE FRANCE 41

Nous espérons d’autant plus cette grâce que la plus grande


partie des effets chargés sur ce bâtiment appartient à notre Milice
et spécialement à Hadji Mehemed, gendre du feu Dey Mustapha,
et, comme les biens de sa succession sont dévolus à la Républi-
que, il est vrai de dire qu’ils appartiennent à la Milice. Ayez donc
la bonté de prendre un soin particulier de cette affaire et de ne la
négliger en aucune manière. C’est en cette occasion que l’on aura
des assurances de votre amitié, par les témoignages certains que
nous en recevrons et par le succès de la peine que vous vous y
donnerez.
Outre cela, nous avons remis en mains du Consul une liste
de quelques esclaves de ce pays qui se trouvent sur vos galères,
afin qu’il ait soin de vous la faire tenir. Nous prions Votre Excel-
lence de les faire mettre en liberté, soit en exigeant leur rançon,
soit en les échangeant avec quelques esclaves français qui pour-
raient être ici. Tout ce que vous jugerez à propos, nous y donne-
rons les mains, s’il plaît au Seigneur.
Et d’autant que le sieur Durand, votre Consul qui est ici, a
résolu de retourner en France, où il est appelé par quelques af-
faires indispensables(1), nous serions fort satisfait si Sa Majesté
voulait gratifier de ce Consulat l’un de ses fidèles serviteurs qui
est ici, appelé Clairambault, dont la probité, la suffisance et la ca-
pacité vous sont connues aussi bien qu’à nous(2). Cela nous ferait
un singulier plaisir. Cependant, qui que ce soit que vous y vou-
liez envoyer sera toujours fort bien reçu comme venant de votre
part, et, s’il plaît à Dieu, nous ne manquerons jamais en rien aux
honneurs et aux déférences que nous avons toujours eus et qui
____________________
vacant d’Espagne. Lettres de de Clairambault au comte de Pontchartrain, les 30 avril, 6
juillet et 3 août 1706.
1. Voy. la Requête très humble de Durand à Sa Majesté, dans laquelle il manifeste
son désir de quitter Alger, pour s’occuper exclusivement de sa charge de Trésorier général
des Ligues suisses. Il partit en effet le 30 novembre 1705.
2. Il avait été recommandé également par son frère, premier commis du Ministère
de la Marine, pour le cas où Durand résignerait ses fonctions. On le nomma Consul intéri-
maire, et il ne devint titulaire que dans l’année 1707. Lettre de de Clairambault au comte
de Pontchartrain, le 29 août 1705.
42 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

sont dus à vos Consuls, et ce en votre considération. C’est de


quoi je prie Votre Excellence d’être persuadée: Et le salut.
Écrit au commencement de la lune de Chaban, l’an de l’hé-
gire 1117, c’est-à-dire le 18 novembre 1705, par le sincère ami,
(Sceau)
HUSSEIN,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 29 décembre 1705.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


A Louis XIV(1).

Alger, le 7 décembre 1705.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port en mains de


Sa Majesté l’Empereur de France, qui est le plus grand des Rois
chrétiens et le plus puissant des Monarques et Potentats de la re-
ligion de Jésus, notre parfait ami ! — Dieu veuille diriger Votre
Majesté Impériale en toutes ses entreprises ! —

Après avoir rendu à Votre Majesté Impériale les devoirs du


salut, et nous être acquitté des témoignages de respect conformes
à l’affection dont elle nous honore, nous lui dirons qu’ayant ci-
devant informé Votre Majesté Impériale, par le moyen de son
Consul qui est ici, que Dieu Très-Haut avait élevé ce serviteur
à la dignité de Dey d’Alger d’Afrique et de Commandant de ses
Milices et armées, nous avons en même temps prié Votre Majes-
té de renvoyer en ce pays le navire du nommé Capitaine Jacomo
avec tous ses effets et équipages(2). Nous réitérons par celle-ci à
Votre Majesté nos instances, pour la supplier très humblement de
____________________
1. Archives coloniales de Marine. (Compagnie du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. La note 1, p. 40.
AVEC LA COUR DE FRANCE 43

nous accorder cette grâce, et de nous donner en cette occasion


des marques de sa bonté et de son amitié.
Outre que le dit Capitaine est de nos anciens officiers, c’est
qu’il était au service des guerriers de notre République et qu’il
les a toujours servis avec une extrême droiture, et c’est en recon-
naissance de ses services qu’il avait obtenu un passeport de la
République afin qu’aucun de nos amis, soit chrétien, soit Musul-
man, qu’il pût rencontrer en mer ne s’opposât à son passage et ne
lui fît aucun tort.
En conséquence de ce passeport et de la sûreté que l’on
estimait être en son navire, les gens de notre pays, tant Milices
que bourgeois, se servaient de lui à l’envi. Et 10 à 12 Musulmans
s’étaient associés avec lui et avaient amassé de gros deniers des
principaux du pays, en sorte que la plus grande partie des mar-
chandises appartenait à la Milice d’Alger.
Les choses étant en cet état, il fit voile pour Livourne où,
ayant chargé son vaisseau, il partit pour revenir à Alger, et étant
arrivé aux environs de ce pays, il échoua sur une côte avec son
équipage, et il fut rencontré par quelques-uns des navires de Vo-
tre Majesté. Ils le firent retirer de terre par force et violence, s’en
emparèrent et l’emmenèrent en France.
Nous espérons que Votre Majesté, qui est de nos amis, ne
donnera pas les mains à une semblable action ; c’est pourquoi,
lorsque cette lettre d’amitié sera parvenue en ses mains augustes,
nous la prions de donner ses ordres afin que le dit navire, avec
tous ses agrès et effets, soit rendu et renvoyé en ce pays. D’autant
plus que la plus grande partie des effets dont il est chargé ap-
partiennent à Hadji Mehemed, gendre du défunt Dey Mustapha,
notre prédécesseur. Et les biens de la succession du dit Hadji
Mehemed étant dévolus à la République, il s’ensuit qu’ils appar-
tiennent à la Milice.
Joignons à cela que ces effets sont bien peu de chose, devant
les yeux de Votre Majesté qui nous honore de son amitié. Nous
la prions donc d’avoir la bonté de donner en cette occasion des
marques de l’amitié et de la considération qu’elle a pour nous, et
44 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de ne pas permettre que cette grâce nous soit refusée. Et le salut.


Écrit à la fin de la lune du grand Chaban, l’an de l’hégire
1117, c’est-à-dire le 7 décembre 1705, par le sincère ami.
(Sceau)
HUSSEIN,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 29 novembre 1705.

LOUIS XIV
A HUSSEIN, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 13 janvier 1106.


Illustre et magnifique Seigneur,
Nous avons reçu avec joie la lettre qui nous a été présentée
de votre part(2), pour nous apprendre que vous avez été nommé
par la Milice d’Alger pour gouverner la République. Nous étions
déjà assez informé de votre mérite particulier pour juger qu’elle
ne pouvait faire un meilleur choix. Vous devez attendre de nous,
en toute occasion, des marques d’une considération singulière
pour votre personne, et tous les égards qui pourront vous faire
connaître la sincérité de nos intentions. Nous avons jusqu’à pré-
sent fait exécuter avec la plus exacte ponctualité les traités de
paix faits entre nos sujets et ceux de la République d’Alger. Nous
vous assurons de continuer d’en user de même à l’avenir, et nous
renouvelons nos ordres à nos officiers et Commandants de nos
vaisseaux, pour les obliger à en observer tout le contenu avec
plus d’exactitude encore, s’il est possible. Nous donnons ordre
au Comte de Pontchartrain de vous informer de ce qui regarde la
prise du Capitaine Jacomo(3).
Écrit en notre château impérial de Versailles, le 13 janvier1706.
Louis.
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. p. 37.
3. Voy. la note 1, p. 40.
AVEC LA COUR DE FRANCE 45
LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A HUSSEIN, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 13 janvier 1706.

Très illustre et magnifique Seigneur,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 18 novembre


dernier(2), et présenté à l’Empereur, mon Maître, celle que vous
m’avez adressée pour Sa Majesté(3). Elle répond par la dépêche
ci-jointe à ce qui regarde le renouvellement du traité, qui sera
exécuté avec la même exactitude qu’il a été jusqu’à présent(4).
Et pour l’article du Capitaine Jacomo, elle m’a commandé
de vous expliquer les circonstances dans lesquelles il est, pour
vous faire connaître qu’on l’a confisqué avec justice(5). Mais je
dois auparavant vous féliciter sur votre élévation au Gouver-
nement de la République d’Alger, qui me fait d’autant plus de
plaisir que le choix de la Milice est soutenu par votre mérite
personnel. Je souhaite qu’il s’étende pendant une longue suite
d’années.
Le Capitaine Jacomo a été pris par un armateur français
dans la traversée de Livourne à Alger ; il n’a représenté aucun
passeport, mais seulement une patente de gardien du Saint-Sé-
pulcre de Jérusalem, d’une date très ancienne puisqu’elle est de
1696, et donnée pour, un autre bâtiment que celui qu’il montait.
Le premier mouvement de l’armateur, en y trouvant des Turcs,
a été de leur demander quels effets leur appartenaient ; ils les lui
ont indiqués, et il les leur a remis en les débarquant près d’Alger.
Le bâtiment a été ensuite conduit à Toulon, où il a été confisqué
et vendu, et le prix distribué aux armateurs sur plusieurs motifs,
dont les principaux sont que le Capitaine n’était muni d’aucun
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. p. 39.
3. Voy. p. 37.
4. Voy. la note 1, p. 38.
5. Voy. la note 1, p. 40.
46 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

passeport, et qu’il s’est trouvé, au contraire, chargé de plusieurs


lettres adressées au Conseil d’Angleterre par le Prince de Darms-
tadt et autres, qui ont donné lieu de juger qu’il servait à entretenir
une correspondance entre les ennemis de l’État. Voilà l’histoire
de la prise, telle qu’elle paraît par les pièces du bord, des circons-
tances desquelles vous n’étiez apparemment point informé, ne
laissant douter aucunement que vous n’en abandonniez la récla-
mation(1).
Vous serez convaincu des égards de Sa Majesté pour les
Algériens, et de la faveur avec laquelle elle les traite dans ces sor-
tes d’occasions, quand vous saurez, par le retour de ceux qui sont
venus à Toulon depuis quelque temps, qu’il leur a été rendu pour
142 000 livres de marchandises et d’effets chargés sur un bâti-
ment anglais, quoique les lois du Royaume, fondées sur, l’Usage
de la mer, déclarassent sujets à confiscation tous les effets qui
s’échouent sur un bâtiment ennemi. Le Dey qui vous a précédé
a été informé des circonstances particulières de cette prise, et
comme il savait peut-être que ses neveux prêtaient leur nom pour
la réclamer, il n’y a point insisté, et s’est seulement contenté de
la relation sincère que je lui en ai faite de même qu’à vous(2).
Lorsque le sieur Durand sera arrivé ici, j’enverrai avec lui la
liste des esclaves dont vous demandez la liberté(3), et j’en rendrai
compte à Sa Majesté. Je saurai aussi de lui si ses affaires l’obli-
gent à rester en France, ce que j’ai de la peine à croire, ne les
connaissant pas lorsqu’il est sorti d’Alger, et, en cas qu’il y reste,
je ferai souvenir Sa Majesté du bon témoignage que vous ren-
dez du sieur de Clairambault(4). D’ailleurs, sur quelque personne
que son choix tombe, vous pouvez compter que le premier ordre
____________________
1. Lettre de de Clairambault au comte de Pontchartrain, le 30 avril 1706.
2. Il s’agit de la prise du capitaine Pierre Marin, si énergiquement réclamée par
Durand, et dont on a parlé dans la note 3, p. 36.
3. Voy. Mémoire des esclaves demandés par le Dey d’Alger. 13 esclaves furent
envoyés à Alger par M. de Montmort, au mois d’avril 1706, et furent présentés aussitôt à
Hussein par de Clairambault.
4. Lettre de de Clairambault au comte de Pontchartrain, le 30 avril 1706, remer-
ciant le Ministre de la grâce que le Roi lui a faite en lui accordant le Consulat d’Alger.
AVEC LA COUR DE FRANCE 47

qu’elle aura sera de ne rien oublier pour vous être agréable par sa
conduite et par son attachement pour votre personne.
Je suis toujours votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV.

Alger, juin 1706.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port, en l’augus-


te présence de Sa Majesté l’Empereur de France, notre parfait
ami !
Au plus glorieux des grands Princes chrétiens, choisi parmi
les plus puissants Monarques de la religion chrétienne, l’Empe-
reur de France, par la grâce de Dieu ami et en paix avec nous.
— Salut à ceux qui suivent les inspirations de la grâce ! Dieu
dirige Votre Majesté au droit chemin ! —
De la part d’Hussein, Chérif de la race d’Hussein, par la vo-
lonté de Dieu Dey de la Ville et Royaume d’Alger, qui est de la
juridiction de l’Empereur ottoman, ancien ami de Votre Majesté.
En renouvelant les marques de notre amitié et pour resserrer
les nœuds de notre union, nous avons l’honneur de vous écrire
cette lettre pour demander l’état de votre santé et de votre cœur,
priant Dieu qu’il vous accorde tout ce qui est bon pour vous. Nous
dirons à Votre Majesté qu’en conséquence de la paix et bonne in-
telligence qui ont été établies et cimentées par des articles passés
avec vos illustres frères et aïeux, de glorieuse mémoire, renom-
més pour leur justice et équité, nous avons entretenu une parfaite
amitié et une sincère correspondance avec votre nation. Vous
avez envoyé des Consuls et des Envoyés(1) pour restreindre cette
amitié, et ils ont été bien reçus et bien favorablement traités tant
par effet que par parole. Vos vaisseaux qui sont venus ici ont été
____________________
1. Durand et de Clairambault.
48 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

prouyés et les nôtres qui sont allés chez vous ont été secourus,
tellement qu’en conséquence de la majesté de la paix, vous avez
acquis un grand renom entre nous. Mais il s’est trouvé que l’un
de vos vaisseaux, étant venu l’an passé et ayant mouillé l’ancre,
après s’être ravitaillé, rafraîchi et avoir fait les autres choses qui
lui étaient nécessaires, a mis à la voile pour s’en aller, et, ayant
trouvé aux pieds de notre môle un vaisseau chargé, il s’en est
emparé injustement et l’a emmené par force et par trahison ma-
nifeste. Nous n’avions pas manqué de charger de nos lettres ceux
à qui appartenait ce vaisseau. Ils allaient à votre pays ; on a rendu
à quelques-uns la moitié de leurs effets, et les autres sont encore
en ce pays-là à branler la tête et à se promener.
Un autre de vos vaisseaux corsaires, qui savait cette affaire
et qui faisait la course en ces quartiers-ci, a bien osé prendre, à nos
yeux et à la vue des voiles, le vaisseau d’un de nos officiers qui
était continuellement employé à porter des esclaves européens et
à rapporter des esclaves musulmans, et qui apportait quelquefois
des deniers de la Rédemption des captifs, faisant cet office depuis
trente-six ans, homme de bien et ayant en mains des passeports de
toutes les nations chrétiennes, même du Consul de France et de
nous-même. Nous l’avions envoyé à Livourne pour nos propres
affaires, et, à cause qu’il était muni de nos passeports, les mar-
chands ne craignaient point d’y charger des marchandises. Il était
arrivé heureusement à bon port à Alger, et nous l’avions renvoyé
pour nos propres affaires du côté du Ponant, pour du blé ; mais,
étant en chemin, votre dit vaisseau le prit à, nos yeux, et, salis faire
de cas des passeports qu’il avait en mains, il l’emmena à Oran, et
le dit corsaire lui rendit une partie de nos effets. Le Capitaine lui-
même enleva l’argent de l’officier envoyé par nous pour le blé,
consistant en 750 piastres sévillanes, contenues en une ceinture
qu’il lui délia de sa main, puis il conduisit le vaisseau à Toulon et
le remit entre les mains de L’Intendant du port. Celui-ci en fit un
état sur registre, avec toute sa charge, et déclara qu’il ne le restitue-
rait pas avant qu’il arrivât d’Alger des lettres pour le réclamer.
Nous avons envoyé plusieurs lettres en diverses fois, mais
AVEC LA COUR DE FRANCE 49

alors on a répondu qu’on ne le restituerait pas sans un ordre ex-


près de l’Empereur de France. C’est ce que nous faisons savoir
amicalement par cette lettre à Votre Majesté. Il y a un an et demi
que ce vaisseau pourrit en ce pays-là. Il n’est pas de l’équité des
Rois et principalement de l’Empereur de France, si célèbre par
sa haute noblesse et son extraction royale, de permettre que les
effets périssent ainsi. Votre Grandeur ne permettant pas que nos
vaisseaux fassent la course sur les côtes de France, nous n’avons
pas voulu non plus la permettre à vos corsaires, de peur que cela
ne causât du trouble entre nous. En considérant l’amitié qui exis-
te entre nous, nous dirons que ce vaisseau appartenant à notre
République, Votre Majesté aura la bonté de le renvoyer, le faire
arriver et livrer au plus tôt et incessamment, après avoir fait faire
un état exact des autres marchandises, effets et hardes qui étaient
dedans, et sans permettre qu’il s’en égare aucune chose. Il n’y a
qu’un seul mot à dire, et sachez que nous attendons l’arrivée de
votre réponse. Il est vrai que le bruit a couru que les effets ap-
partenaient à Hadji Mehemed, mais Hadji Mehemed était le sang
et l’âme, c’est-à-dire l’intime ami du défunt Dey Mustapha, no-
tre prédécesseur. L’un et l’autre sont dans l’autre monde, et tous
leurs biens ont été confisqués au profit de la République. En un
mot, nous nous attendons à voir arriver le dit vaisseau avec tous
ses effets et marchandises(1).
S’il y a quelque chose ici pour votre service, nous nous fe-
rons une gloire de l’exécuter ; sachez que cela ne dépend que
d’un simple signe de votre part.
(Sceau)
HUSSEIN,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 12 juillet 1706.
____________________
1. C’est toujours l’affaire du patron Jacomo Suriano, qui menaçait d’altérer gra-
vement nos rapports avec la Régence. De Clairambault s’était plaint, dans ses correspon-
dances des 29 mai et 19 juin 1706, « de l’emportement de ces gens-ci », et le Dey lui avait
déclaré que son intention était d’envoyer à Versailles un officier du Divan pour réclamer
la prise dont il s’agit.
50 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


A M. DE VAUVRÉ, INTENDANT DE LA MARINE A TOULON(1).

Alger, août 1706.

Au plus glorieux des Seigneurs chrétiens, le plus illustre


des Conseillers du grand Empereur de France, M. de Vauvré, In-
tendant de la Marine à Toulon, notre bon et ancien ami. — Salut
à ceux qui suivent la voie de la vérité ! — C’est de la part du Dey
de la Ville d’Alger, le Chérif Hussein Effendi, et de celle de tout
le Divan et de la Milice de cet État, qui vous saluent avec une
amitié cordiale. Nous demandons des nouvelles de votre santé,
priant Dieu qu’il ne vous éloigne jamais du chemin de la justice
et de la doctrine.
Votre Excellence saura que notre République avait donné, il
y a trente-six ans, au Capitaine Jacomo un petit vaisseau du nom-
bre de ceux qu’elle possède. Il avait pris des passeports de toutes
les nations chrétiennes, et spécialement du Consul de France et
de nous. Tantôt il apportait ici de l’argent pour la rédemption des
captifs, tantôt nous l’employions pour nos affaires en Espagne,
en Portugal, en France, à Gênes, à Livourne et à Malte, pour me-
ner et ramener des esclaves de part et d’autre. Un jour il revint de
Livourne en ce port, et, pendant que la cherté était dans ce pays-
ci, nous l’avons envoyé vers les côtes du Chérif de Maroc pour
y acheter du blé, et à nos propres yeux, lorsque nous voyions
encore ses voiles, il fut poursuivi par un vaisseau français monté
par le Capitaine de Monts, qui, nonobstant la paix qui est entre
nous et sans s’arrêter aux passeports, le prit, l’emmena à Oran,
et, lui ayant rendu quelques-uns de ses effets, le conduisit au port
de Toulon et le remit entre vos mains avec un mémoire sur son
chargement(2).
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 224.) Une autre lettre, sembla-
ble à la présente, porte l’adresse du comte de Toulouse, Amiral de France.
2. Lettre de de Clairambault au comte de Pontchartrain, le 6 juillet 1706.
AVEC LA COUR DE FRANCE 51

Au sujet de quoi des lettres ayant été écrites d’Alger pour


réclamer la dite prise, il a été fait réponse qu’elle ne serait point
rendue ni restituée sans un ordre exprès de l’Empereur de France.
Nous avons écrit plusieurs fois à ce sujet au Grand Vizir conjoin-
tement avec votre Consul, sans que depuis cinq ou six mois nous
n’ayons pu obtenir de réponse. Pendant ce long espace de temps,
le navire est resté sans rien faire et ses marchandises se sont peut-
être pourries et gâtées, ce qui n’est pas assurément une chose
agréable à l’Empereur de France ni à Votre Excellence ni aux
juges. Enfin aujourd’hui nous recevons de votre part une lettre,
par laquelle vous nous marquez d’envoyer le Capitaine Jacomo à
Toulon, afin que vous lui rendiez le vaisseau avec tous ses effets,
ainsi que les deniers et les hardes des passagers. Sur cette parole
nous l’envoyons avec grand plaisir, et comme il est obligé d’aller
pour quelques affaires à Livourne et à Malte, nous vous prions de
lui accorder un passeport particulier de votre part, afin qu’il puis-
se faire ce voyage en sûreté. Tous les effets qui ont été chargés
sur ce vaisseau ne l’ont été qu’en conséquence de vos passeports
et des nôtres, et ‘il n’est pas de la justice d’en rendre une partie et
d’en garder l’autre. C’est pourquoi, pour ne pas donner lieu à de
nouvelles lettres de notre part, ayez la bonté de faire rendre selon
toute justice, par le Capitaine qui a fait cette prise, tous les ef-
fets consignés dans le mémoire, et d’apporter vos soins à ce que
tout arrive aux mains de notre cher fils Osman-reïs, porteur de
la présente, qui est chargé de nos pouvoirs avec une procuration
générale(1). C’est la grâce que je vous demande, et s’il y a quelque
chose ici en quoi je puisse vous rendre service, je m’en ferai un
honneur et un plaisir. Nous n’aurez qu’à me le faire savoir par le
moindre indice, et Dieu vous favorisera de sa grâce.
Écrit par votre parfait ami,
(Sceau)
HUSSEIN,
Dey de la Ville, et Royaume d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 6 septembre 1706.
____________________
1. Osman-reïs partit pour Toulon le 4 août 1706. Lettre de de Clairambault au
comte de Ponchartrain, le 17 septembre 1706.
52 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, septembre 1106.

A la gloire de tous les Commandants du christianisme et


de tous les Commis des Ministres de France, nos intimes amis.
— Salut à ceux qui sont dans le droit chemin ! —
C’est pour vous faire savoir que j’ai envoyé précédemment
une lettre à Votre Grandeur(2), au sujet d’un vaisseau de notre
pays qui a été pris par un de vos corsaires français ; nous n’avons
pas pu avoir de vos réponses à ce sujet(3). C’est un vaisseau qui
appartenait au défunt Commandant d’Alger, qui l’avait remis à un
Capitaine nommé Mehemed. Après la mort de ce Capitaine, nous
avons saisi ce même vaisseau comme étant à nous(4), et l’avons
fait monter par un Grec, nommé Jacomo, qui est un homme fort
ancien à notre service, et qui a toujours été fort exact à aller ache-
ter les esclaves de tous pays, tant de Livourne, Gênes, Portugal,
Espagne que d’autres endroits, tant turcs que chrétiens. Voyant
qu’il était accoutumé à faire nos commissions, nous l’avions
envoyé à Livourne, et comme il avait des marchandises à ven-
dre, nous lui avions remis 750 piastres pour aller charger du blé.
Malheureusement il a été pris par un de vos vaisseaux corsaires,
quoiqu’il eût un bon passeport de nous et du Consul français ; il
a été emmené à Oran, où l’on a vendu une bonne partie des mar-
chandises qu’il avait, et on l’a mené avec le vaisseau à Toulon.
Et comme il y a déjà près de quatorze mois que les cordages de
ce navire se pourrissent sans que vous nous les renvoyiez, je suis
persuadé que ce n’est point votre intention qu’il y périsse entière-
ment. Et si vous ne voulez point le rendre, il faut, s’il vous plaît,
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 224.)
2. Voy. p. 39.
3. Voy. p. 45.
4. C’est ainsi que les Deys s’adjugeaient presque toujours les biens de leurs pré-
décesseurs.
AVEC LA COUR DE FRANCE 53

nous faire réponse, car nous croyons fermement que vous êtes
de nos amis plus que tout le monde. Comme il nous est arrivé
un vaisseau français qui, passant la mer, a été chassé et ruiné par
un vaisseau anglais, il a été obligé d’entrer dans un port de notre
domination pour se réparer, et nos peuples l’ont voulu retenir, ce
que nous avons empêché. Ainsi tous les vaisseaux français peu-
vent aller et venir dans nos ports, attendu l’amitié que nous avons
pour vous, auxquels nous rendons tous les services possibles. Si
nous en retenions quelques-uns, ce serait rompre cette amitié,
mais nous espérons le contraire, et que vous nous renverrez le
vaisseau que vous avez à nous. Et nous serons toujours votre ami
jusqu’au jour du jugement.
(Sceau)
HUSSEIN,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger.
Traduit par Jean-Baptiste ROGIER, Secrétaire-interprète du Roi.

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A HUSSEIN, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 15 septembre 1706.

Très illustre et magnifique Seigneur,

M. de Vauvré m’ayant adressé la lettre que vous lui avez


écrite(2) par Osman-reïs, que vous avez envoyé à Toulon pour ré-
clamer le vaisseau du Capitaine Jacomo, je l’ai lue à l’Empereur,
mon Maître. Sa Majesté, pressée par la considération particulière
qu’elle a pour vous, en a ordonné la restitution, et j’envoie ses
ordres pour le remettre à Osman-reïs ou au Capitaine Jacomo.
Elle a même bien voulu, pour rendre la grâce entière, y ajouter
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. p. 50.
54 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

un passeport pour le retour de ce bâtiment à Alger, en passant par


Livourne et par Malte. Mais comme il sera toujours très libre,
dès qu’il ne sera employé qu’au commerce des Algériens, vous
estimerez sans doute juste d’ordonner au Capitaine de ne point
se charger d’effets ennemis ni de leurs correspondances à Gibral-
tar ou ailleurs(1), et de se tenir dans une véritable neutralité, afin
d’éviter tout prétexte de trouble en sa navigation. Vous connaî-
trez mieux le prix de l’attention que Sa Majesté a eue pour vos
instances, si vous observez que ce bâtiment avait des effets enne-
mis, et que, suivant les ordonnances du Royaume et l’usage des
nations qui sont en guerre, ils sont sujets à confiscation partout et
y compris le bâtiment(2).
J’ai de la peine à vous écrire sur ce qui s’est passé de votre
part, au sujet des trois religieux que vous avez condamnés au feu,
et des menaces que vous avez faites au Vicaire apostolique(3) et
à l’administrateur de l’hôpital d’Espagne(4). Le Consul m’a écrit
que vous aviez vous-même reconnu qu’un fondement aussi léger
que les avis de quelques Turcs, esclaves à Gênes ou à Livour-
ne, ne suffisait pas pour autoriser des suites aussi fâcheuses, qui
auraient pu en avoir encore d’autres. Vous le reconnaîtrez vous
même, par les certificats ci-joints des plus anciens des esclaves
qui sont à Livourne, d’où l’on m’écrit qu’à la liberté près, il n’est
pas possible d’être traité avec plus de douceur. J’espère en avoir
bientôt de pareils de Gènes, que je vous enverrai aussi. Je ne
vous parle pas de Marseille ; vous avez été sans doute informé,
____________________
1. Voy. la note 1, p. 40. — Les Espagnols s’efforçaient alors d’expulser les An-
glais de Gibraltar et de repousser les alliés qui venaient d’envahir la Catalogne, pendant
que le duc de Savoie se disposait à assiéger Toulon.
2. Dans sa dépêche du 16 juin 1706, le Secrétaire d’État de la Marine avait in-
formé notre Consul de la décision prise dans l’affaire du capitaine Jacomo Suriano. De
Clairambault se félicitait vivement de la restitution du navire, de l’équipage et des effets
réclamés par les Puissances, et ne manquait pas de faire ressortir auprès d’elles l’acte de
générosité de la Cour. Il savait qu’il fallait toujours « ménager les affaires et les laisser
en termes d’accommodement », et, pour mieux réussir, il s’efforçait de se faire des amis.
Il venait de distribuer au Dey et à plusieurs personnes « quelques cadeaux proportionnés
à ce qu’exigeait la conjoncture présente ». Lettre de de Clairambault au comte de Pont-
chartrain, le 3 août 1706. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
3. Le P. Duchesne.
4. Voy. t. I, note 5, p. 407.
AVEC LA COUR DE FRANCE 55

par ceux qui sont revenus à Alger, qu’on leur laisse la liberté
d’exercer leur religion et qu’ils y sont traités avec humanité(1).
Je suis très véritablement votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

LE COMTE DE TOULOUSE, AMIRAL DE FRANCE,


A HUSSEIN, DEY D’ALGER(2).

Versailles, le 6 octobre 1706.

Illustre et magnifique Seigneur,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite de la ville d’Al-


ger(3), par laquelle vous me demandez d’interposer mes offices
auprès de l’Empereur de France, pour obtenir la mainlevée du
vaisseau commandé par le Capitaine Jacomo, à qui vous aviez
donné votre passeport, et qui naviguait pour le compte de la vil-
le d’Alger. J’ai fait avec grand plaisir ce que vous souhaitiez,
ne désirant rien davantage que de trouver des occasions de vous
donner des marques de mon amitié. Le Secrétaire d’État ayant
le Département de la Marine en France a eu l’ordre d’expédier
un passeport au Capitaine Jacomo, et toutes les lettres nécessai-
res pour lui faire rendre son bâtiment(4), qui devait être de bonne
prise, suivant toutes les règles établies en France sur le sujet de
la course. Mais comme le dixième de cette prise m’appartenait(5),
j’ai donné aussi des ordres à ceux qui sont chargés de la recette
de mes droits pour le remettre au Capitaine Jacomo, étant fort
aise de pouvoir lui faire plaisir en votre considération.
____________________
1. Le Ministre avait donné des ordres quelque temps auparavant à la municipalité
de Marseille, pour faire respecter le cimetière-réservé aux Turcs des galères, qu’on avait
en partie détruit dans un intérêt vicinal. Lettre de Durand au comte de Pontchartrain, le
12 janvier 1699.
2. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
3. Voy. la note 1, p. 50.
4. Voy. p. 53.
5. Droit connu sous le nom de dixième de l’Amiral.
56 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Vous devez être persuadé, illustre et magnifique Seigneur,


que je ne perdrai aucune occasion de protéger, en tout ce qui dé-
pendra de moi, tous ceux qui me seront recommandés de votre
part ou auxquels je saurai que vous portez intérêt, quand même
vous n’auriez pas eu l’occasion de m’en avertir.
Je suis votre bien affectionné ami.
Louis ALEXANDRE DE BOURBON.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Alger, le 7 janvier 1707.

Dieu veuille que cette lettre arrive heureusement au plus


puissant des Rois, au plus sage des Monarques, l’Empereur de
France, notre parfait ami !

Au plus glorieux des grands Princes chrétiens et au plus


magnifique des Potentats de la religion du Messie, plein de sa-
gesse, d’intelligence et de justice, la gloire de tous les anciens
Empereurs et Rois, notre très véritable et très sincère ami, l’Em-
pereur de France. — Salut à ceux qui suivent les chemins du
salut ! —
De la part de l’heureux Hussein Effendi, Chérif de la bran-
che d’Hussein, petit-fils de Mahomet, par la grâce divine Dey et
Gouverneur de la forte Ville et du Royaume d’Alger d’Afrique,
dépendant de l’Empire musulman et soumis à l’Empereur otto-
man, et aussi de la part du très illustre Pacha de ces mêmes Ville
et Royaume, ainsi que de la part du Divan et de la victorieuse
Milice, salut parfait avec toute amitié et toute sincérité. Nous de-
mandons à Votre Majesté Impériale des nouvelles de sa santé, et
nous prions Dieu de la faire triompher de tous ses ennemis et de
____________________
1. Archives coloniales de Marine. (Compagnie du Bastion de France, 1639-1731.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 57

la combler de biens et de bénédictions.


Depuis les anciens temps, l’amitié et la bonne intelligence
étant établies et maintenues avec sincérité et pureté de cœur,
nos navires sont allés dans vos ports et les vôtres dans les nô-
tres. Ils ont, en conséquence de cette amitié, reçu toutes sortes
de caresses, d’honneurs et de bons traitements. Les conditions
arrêtées entre nos deux nations ont été sincèrement exécutées, le
traité conclu et la parole donnée ont été et sont demeurés fermes,
stables et inviolables. Pour que l’amitié et la liaison des cœurs
soient encore plus étroites, nous avons envoyé vers vous, avec
une lettre de notre part, au sujet d’un de nos vaisseaux séquestré
chez vous(1), notre officier Osman-reïs, auquel vous avez fait res-
tituer non seulement le vaisseau susdit avec son équipage, mais
encore tous les biens et effets qui avaient été déposés sous sé-
questre(2). Osman-reïs est heureusement revenu dans notre port,
nous a remis le navire entre les mains, et nous a en même temps
rendu compte de tous les bons traitements, de la protection, des
marques de bonté et d’affection qu’il a reçus(3), et de l’état de
la santé, de la grandeur et de la magnificence de Votre Majesté
Impériale, ce qui a allumé ici dans les cœurs le feu du respect
et de la reconnaissance. Il n’y a pas un de nous qui ne désire
avec empressement et ardeur trouver l’occasion de rendre ses
services à Votre Majesté Impériale. — « Ce sont là, se sont-ils
tous écriés, les véritables marques de générosité des Princes et
des Potentats dont la renommée publie les grandeurs. Que Dieu
Très-Haut veuille lui accorder son aide et sa protection spécia-
les, en lui donnant abondamment toutes sortes de biens et de
prospérités ! » —
____________________
1. La prise du capitaine Jacomo Suriano. Voy. la note 1, p. 51.
2. Lettres de de Clairambault au comte de Pontchartrain, les 22 janvier et 8
avril 1707, faisant connaître au Ministre que le Dey s’est montré satisfait de la géné-
rosité du Roi.
3. Notre agent se plaignit, au contraire, de la conduite de cet officier, qui avait
monté des cabales contre lui et qui avait prétendu qu’on ne lui avait pas même donné sa
subsistance pendant qu’il était à Toulon. Lettres de de Clairambault au comte de Pont-
chartrain, les 22 janvier et 25 mai 1707.
58 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

A présent nous avons une autre grâce à demander à Votre


Majesté Impériale, tant de la part du très illustre Pacha d’Alger
que des Seigneurs du Divan et de toute la Milice. Ils ont tous
unanimement envoyé cette lettre claire, intelligible et éloquente,
qui vous supplie instamment de leur faire la faveur d’envoyer
et d’établir ici, en qualité de Consul de la nation française, un
homme très capable d’exercer cette charge et l’un des plus fidèles
officiers de Votre Majesté, un gentilhomme qui lui a déjà rendu
des services considérables, Antoine Vidal(1), qui réside présente-
ment dans la Ville de Toulon. C’est un homme qui nous convien-
drait fort, très capable et très digne officier, qui maintiendra les
affaires des deux partis et leur bonne intelligence dans un juste
équilibre, enfin l’un de vos plus entendus et intelligents servi-
teurs. Nous attendons les ordres de Votre Majesté en sa faveur,
avec l’expédition de ses lettres.
Outre cela il y a 9 Musulmans, dont les noms et les numéros
vous sont désignés et que nous réclamons comme nous apparte-
nant, qui sont à présent dans les galères de Votre Majesté, et ce au
prix de rachat dont nous avons ci-devant convenu(2), et qui est spé-
cifié dans les registres de notre ami M. Buon, facteur du Bastion
de France(3), actuellement résidant à Marseille. Après que vous
lui aurez fait représenter ses registres et que vous en aurez recon-
nu la vérité, ayez donc la bonté de donner vos ordres pour que les
____________________
1. De Clairambault faisait toujours l’intérim. Il ne fut Consul titulaire qu’à partir
du 25 mars 1707. Les Archives communales de Toulon conservent la trace de cet Antoine
Vidal, Conseiller de cette ville. Voy. S. BB, 70 de l’Inventaire.
2. Voy. Mémoire des Turcs dont le Dey demande la liberté en payant leur rachat,
le 20 novembre 1707.
3. Un arrêt du Conseil, du 8 octobre 1701, avait désigné quatre des principaux
intéressés de la Compagnie du Bastion pour régler ses affaires, et sauvegarder ses intérêts
dans la liquidation de la Société du Cap-Nègre. Ces commissaires étaient Bégon, Grand-
Maître des eaux et forêts du Berry et du Blésois ; Sorhainde, Consul à Tunis ; Michel,
négociant à Marseille, et enfin Denis Dusault. « La Compagnie du Bastion, écrivait ce
dernier, est sur un assez bon pied. Il faut se consoler de la perte qu’elle a subie du fait de
la Compagnie du Cap-Nègre, en pensant que le Bastion paye ce qu’il, doit avec honneur,
que personne ne crie après nous, que rétablissement va son courant, qu’il y a du fonds à
Alger pour payer les tributs et même de l’avance. » Lettre de Dusault au comte de Pont-
chartrain, le 24 juillet 1702. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 59

dits esclaves soient mis en liberté. Nous attendons de votre par-


faite amitié que vous nous les ferez renvoyer de votre part.
Et s’il y a ici quelque chose en quoi nous puissions vous
rendre nos services, s’il plaît à Dieu, nous ne manquerons pas
de l’exécuter de point en point, et nous nous en ferons grand
honneur et plaisir. Nous prions Dieu qu’il comble Votre Majesté
Impériale de tout bonheur.
Écrit à Alger, le 7 janvier 1707, c’est-à-dire le 2e de Choual
1118, par le très parfait ami de Votre Majesté.
(Sceau)
HUSSEIN,
Dey de la Ville et du Royaume d’Alger d’Afrique.
Suivent les noms des esclaves réclamés par le Dey d’Alger.
En marge est écrit :

Nous prions aussi Votre Majesté Impériale pour un mousse


esclave que nous réclamons et dont le numéro est 6 505.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 13 mars 1707.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 7 janvier 1707.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port à Son Excel-
lence le très illustre et magnifique Seigneur Comte de Pont-char-
train, Ministre d’État du très puissant Empereur de France, notre
très parfait ami!
Au plus glorieux des Grands de la religion chrétienne, l’éli-
te des plus illustres de la loi du. Messie, possesseur de sagesse, de
science, d’intelligence et de justice, le Ministre d’État de l’Em-
pereur de France, notre très véritable, parfait et ancien ami, la
gloire des Vizirs, le très illustre et magnifique Seigneur Comte
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 224.)
60 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de Pontchartrain. — Salut à ceux qui suivent la voie de la vé-


rité ! —
De la part du très heureux et puissant Hussein Effendi, Ché-
rif de la branche d’Hussein, par le secours de la grâce divine Dey
et Commandant général de la forte Ville d’Alger d’Afrique, su-
jette au très grand Empereur des Ottomans, ainsi que de la part
du très illustre Pacha, de celle des Seigneurs du Divan et de toute
la victorieuse Milice.
Nous présentons à Votre Excellence, des saluts parfaits,
pleins de sincérité et d’amitié, et nous demandons des nouvelles
de votre santé qui nous est très chère, priant Dieu qu’il vous com-
ble de grâces et de bénédictions.
Depuis les anciens temps, l’amitié et la bonne intelligence
étant établies et maintenues avec sincérité entre nous, lorsque
nos navires sont allés dans vos ports et que les nôtres sont venus
dans les vôtres, ils y ont reçu réciproquement toutes sortes de
bons traitements, les conditions des traités ont été exactement et
ponctuellement observées et exécutées et sont demeurées inviola-
bles. Tellement que pour resserrer plus étroitement les nœuds de
cette même amitié, nous avions envoyé vers vous avec une lettre
de notre part, au sujet d’un vaisseau qui nous appartenait et qui
était chez vous en séquestre, notre officier Osman-reïs, auquel,
à cause de cette bonne intelligence, vous avez fait restituer le
dit vaisseau avec tous ses agrès, équipages et effets séquestrés(1).
Lequel Osmanreïs, étant parti de chez vous et revenu en ce port,
nous a remis le tout entre les mains et rendu compte de toutes les
honnêtetés qu’il a reçues de vous, conformément à la générosité
qui vous est naturelle et à la magnificence de l’Empereur, vo-
tre Maître, dont la renommée publie partout les grandeurs. Cette
bonté a allumé ici, dans le cœur de nous tous, une reconnaissance
et une vénération parfaites pour ce grand Monarque et pour Vo-
tre Excellence, à laquelle nous offrons tous nos services com-
me ayant été le médiateur d’un si grand bienfait. Vous avez fait
voir en cette occasion que vous êtes le très digne Ministre d’un
____________________
1. Voy. la note 2, p. 57.
AVEC LA COUR DE FRANCE 61

si auguste et si généreux Empereur; nous en remercions Votre


Excellence, et prions le Seigneur qu’il vous protège et qu’il vous
comble de grâces.
Nous avons encore une autre grâce à demander à Sa Ma-
jesté impériale de la part du Pacha, du Divan, de la Milice, de la
nôtre et de tous en général, et dont nous avons fait requête dans
celle que nous avons eu l’honneur d’écrire à Sa Majesté, par la-
quelle nous la supplions très instamment d’accorder la charge de
Consul de la nation française en ce port au sieur Antoine Vidal,
homme très capable de faire les fonctions de cette charge, qui
est présentement à Toulon et l’un des plus fidèles officiers de Sa
Majesté, qui a déjà rendu de longs et importants services, homme
de capacité, intelligence et expérience, qui maintiendra parfai-
tement l’amitié et l’union des deux partis(1). Nous attendons les
ordres de Sa Majesté en sa faveur et l’expédition de ses lettres.
Nous réclamons aussi 9 esclaves Turcs, dont les noms et
numéros sont marqués dans notre lettre à Sa Majesté et qui sont
dans ses galères, en payant leur rançon au prix ci-devant convenu
entre les deux partis, ce qui est spécifié et enregistré dans les re-
gistres de notre ami M. Buon, facteur du Bastion résidant à Mar-
seille, laquelle somme nous lui avons passée en compte(2). Après
que vous aurez vu cette vérité dans ses registres, ayez la bonté
de faire mettre en liberté les dits esclaves et de nous les ren-
voyer en ce pays. Nous vous regardons comme notre médiateur
et intercesseur en cette affaire. En revanche, nous offrons à Votre
Excellence tous les services qui dépendront de nous, au premier
ordre que vous nous en donnerez, s’il plaît à Dieu, en nous fai-
sant gloire de vous rendre service.
Outre les 9 esclaves dont nous avons envoyé la liste dans
la lettre à Sa Majesté, nous réclamons aussi un mousse qui est
aux galères du Roi, numéro 6 505. Nous l’avons aussi marqué
dans notre lettre à Sa Majesté. De plus, nous désirons les nom-
més Mehemet Seghir, Salehk ben Casem, Ali ben Abderrahman,
____________________
1. Voy. la note 1, p. 58.
2. Voy. la note 3, p. 58.
62 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Massaoud ben Massaoud, Mehemed ben Mehemed et Youssouf


ben Abdallah. Ces 6 derniers sont de nos sujets qui, étant à Salé
sur la prise de Cara Ali-reïs, et s’étant embarqués sur un vaisseau
marchand pour revenir à Alger, ont été pris par un corsaire fran-
çais et menés à Marseille. Nous redemandons ces 6 hommes, nos
sujets, dont les noms sont ci-dessus. Nous espérons cette justice
de Votre Excellence.
Écrit à Alger, le 7 janvier 1707, c’est-à-dire le 2e de Choual
1118, par votre sincère ami.
(Sceau)
HUSSIEN,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger d’Afrique(1).
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 10 avril 1707.

ALI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(2).

Alger, 1710.

Vive Sa Majesté le Roi très grand, très puissant et très glo-


rieux comme Alexandre ! Nous qui sommes des amis de Votre
____________________
1. Quelques jours plus tard, le 4 mars 1707, quatre Turcs, que le Dey avait chassés
de la Régence et qui y étaient rentrés secrètement, se mirent à la tête d’une conspiration,
et parvinrent à faire prononcer sa déchéance et son bannissement à Bougie.
2. Ali succéda le 14 août 1710 à deux Deys qui vraisemblablement ne songèrent
pu à faire part à la Cour de leur avènement. Mohammed ben Ali, l’un des conjurés qui
renversèrent Hussein, signala son court passage au Gouvernement de la Régence par la
reprise d’Oran sur les Espagnols, alors occupée et affaiblis par la guerre de la Succession
(septembre 1708). Il fut assassiné par Deli Ibrahim, surnommé Ibrahim le Fou, qui fut
proclamé Dey le 22 mars 1710 et mis à mort cinq mois après. Ces deux Seigneurs avaient
ratifié le traité de nos Concessions le 8 mars 1707 et le 30 mars 1710.
Au début de son règne, Ali fit un coup de maître. Depuis longtemps les Pachas
envoyés par le Grand Seigneur étaient privés de toute participation aux affaires, mais ils
étaient presque toujours une cause de trouble dans le Gouvernement de la Régence, ils fo-
mentaient dans la Milice des séditions qui renversaient les Deys ou les rendaient impopu-
laires. Ali résolut de les supprimer, et refusa de laisser entrer à Alger. Ibrahim Charkan, qui
AVEC LA COUR DE FRANCE 63

Majesté Impériale, nous avons l’honneur de vous adresser la pré-


sente supplique, pleine de cordialité et d’affection.
Par le nouveau don inestimable que Dieu Très-Haut, Maître
de l’univers, daigne vous accorder, et qui est un gage du bonheur
des peuples, de la prospérité et de la consolidation de votre Royau-
me, la nation française se couvre de gloire et d’éclat. Dans notre
amitié sincère pour la France, de même qu’au moment de l’union
royale du Duc de Bourgogne et de Marie- Adélaïde de Savoie(1),
nous n’avons pas manqué de prier et d’adresser nos vœux et nos
félicitations, de même, aujourd’hui, nous nous unissons à tous
les Français pour rendre à Dieu nos actions de grâces, à l’occa-
sion de la naissance du Prince royal, Duc de Bourgogne(2). Nous
continuerons à prier également pour l’avenir, afin que cet enfant
glorieux reste et demeure longtemps en vie dans son Royaume,
jouisse des bénédictions continuelles du Très-Haut, et participe
à la gloire éclatante de son illustre ancêtre, Louis XIV, pour de-
venir comme lui un Roi-Soleil par ses vertus incomparables, son
prestige et ses victoires. Ainsi soit-il !
(Sceau)
Ali,
Dey de la Ville d’Alger d’Afrique.
Traduit par SAGHIRLAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.
____________________
venait prendre possession de son poste, le menaçant de mort s’il insistait pour débarquer.
Il envoya une ambassade au Sultan Ahmed III, pour lui représenter les inconvénients de la
multiplicité des pouvoirs, il distribua des présents considérables, et il obtint que les deux
dignités de Dey et de Pacha d’Alger seraient réunies sur sa tête. C’est ainsi qu’à partir
de 1710, la Porte consentit à la nomination d’un Chef unique, abandonnée au choix de la
Milice, et ne conserva plus que le droit de lui décerner une investiture de forme, qu’elle
eût été d’ailleurs incapable de refuser en cas de conflit. Voy. la correspondance de de
Clairambault avec le Ministère de la Marine, de 1707 à 1710, et l’Histoire d’Alger, par
Rotalier, L II, p. 571.
1. Le 7 septembre 1697.
2. Le Dey parait avoir été peu renseigné sur les événements de ce genre. Le duc
de Bourgogne était né en 1704 et le duc de Bretagne en 1707. Le compliment doit par
conséquent s’adresser au duc d’Anjou, e fils de la duchesse de Bourgogne, qui naquit à
Versailles le 15 février 1710, survécut seul à ses frères, à son père et à sa mère, emportés
par une épidémie de rougeole, et devint alors le Dauphin, puis Louis XV. Journal des
règnes de Louis XIV et Louis XV de 1701 à 1744, par Pierre Narbonne, p. 18 et suiv.
64 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
ALI, DEY D’ALGER,
A LOUIS XIV(1).

Alger, le 10 janvier 1711.

Au plus glorieux des grands Princes chrétiens, le plus ma-


gnifique des Monarques de la religion de Jésus, le plus parfait et
sincère ami du plus illustre des guerriers, le Sultan Ahmed, plein
des bénédictions du plus grand des Prophètes, Empereur des Ot-
tomans, Chef des Turcs et des Tartares, Roi d’Arabie, de Grèce,
d’Asie Mineure et d’Égypte, de Syrie, de Babylone, de La Mec-
que et de Médine, de Perse et du pays des Mèdes, et aussi notre
plus ancien ami en vertu des traités et promesses. —Salut à ceux
qui suivent la voie de l’inspiration divine et de la Direction ! —
Après avoir présenté à Votre Majesté Impériale une infinité
de saluts de la part d’Ali Chaoux, Dey, et de tous les Seigneurs
du Divan, de tous les reïs et Capitaines de la mer, nous dirons
que personne n’ignore, en tous les pays d’Orient et d’Occident,
la conduite régulière des Empereurs ottomans qui sont venus an-
ciennement et qui ont passé à l’autre vie. — Dieu illumine leurs
tombeaux et éternise leur monarchie ! — Tout le monde connaît la
paix et concorde qui a été jurée solennellement de part et d’autre
avec Vos Majestés, ainsi que la bonne amitié et alliance qu’elles
ont toujours observées à notre égard. Il en est de même entre
nous. Les articles de nos traités sont également observés dans
tous leurs points, et l’on peut dire que notre amitié est fomentée
par une suite continuelle de bonne intelligence et de parfaite cor-
respondance(2).
____________________
1. Archives de la Marine (Levant et Barbarie, B 224), et Archives coloniales de la
Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
2. Ce n’était pas sans peine que le Consul entretenait ainsi des relations cordiales
avec les Puissances d’Alger. Peu de temps auparavant, il avait dû arranger une affaire «
qui avait failli le mettre hors de toute mesure ». Son Chancelier Durand avait été insulté
par des Mores devant la porte du Consulte, et il s’était rassemblé autour de lui plus de
150 personnes, « qui l’auraient assommé s’il n’avait eu assez de force et de vigueur pour
s’échapper de leurs mains ». Voy. Lettres de de Clairambault au comte de Pontchartrain,
les 26 octobre et 16 novembre 1709.
AVEC LA COUR DE FRANCE 65

Vos navires de guerre et marchands qui viennent en nos


ports obtiennent, par l’entremise du Consul, l’accomplissement
de leurs désirs, et nous avons toujours employé nos soins à leur
donner des marques d’amitié. Nos navires qui vont et viennent
dans votre pays ont toujours fait rapport des bons accueils et des
favorables traitements qu’ils y ont reçus(1).
A présent nous avons besoin, pour l’équipement de nos na-
vires, de mâts et d’antennes, et comme nous avons appris de vo-
tre Consul que les blés de ce pays sont estimés excellents dans
le vôtre(2), c’est pourquoi, en considération de la bonne amitié,
nous envoyons Bekir-reïs, l’un de nos Capitaines, avec son na-
vire chargé de blés pour vous être de quelque secours, lequel
étant, s’il plaît à Dieu, arrivé à bon port, nous espérons que Vo-
tre Majesté lui fera délivrer les mâts et antennes nécessaires à
nos vaisseaux, et que Votre Majesté voudra bien nous rendre ce
bon office dans notre besoin, et nous nous ferons une gloire de
lui rendre ici les services qu’elle nous demandera. Nous n’avons
pas voulu nous adresser à d’autres qu’à Votre Majesté pour cette
affaire, car, en conséquence de l’amitié, c’est à elle que nous de-
vons faire cette prière.
____________________
1. Les protestations d’Ali n’étaient cependant pas conformes à sa conduite. Celui-
ci avait prétendu que le privilège du commerce de Tarcut n’avait été accordé à notre Com-
pagnie du Bastion que par surprise, et il avait déclaré au Consul que, pour tout chargement
que voudraient faire nos vaisseaux dans ce port, il faudrait tout d’abord « composer avec
lui ». De Clairambault n’avait pu parvenir à affermer la place d’Oran pour la Compagnie
marseillaise ; le Dey lui avait déclaré qu’il se réservait d’exploiter son commerce par
lui-même, et les Anglais avaient seuls obtenu la permission d’y envoyer un Vice-Consul.
Lettres de de Clairambault au Comte de Pontchartrain, les 28 juin, 28 novembre 1708 et
29 avril 1709. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Pendant la disette que le midi de la France eut à souffrir de 1701 à 1710, la
Compagnie Hely expédia à Marseille et- au Havre jusqu’à 200 000 hectolitres de blés par
an. Le prix de la charge locale (158 kil.) variait de 7 à 15 l. ; soit à peu près 5 fr. 50 par
hectolitre. Mals le Consul d’Angleterre traitait les blés bien plus avantageusement que
notre agent ; car il avait donné au Divan 1 400 barils de poudre pour avoir, un monopole
auprès de certaines tribus, et de Clairambault disait avec raison que, si la Cour insistait
pour qu’il travaillât à brouiller les Anglais avec la Régence, il fallait faire de grands ca-
deaux; ce qui amènerait ces derniers à en faire de plus grands encore, et qu’en définitive
le Dey seul en proflterait, Lettres de de Clairambault au comte de Pontchartrain, les 29
avril 1709 et 5 août 1710.
66 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Il nous faudrait aussi cent rames pour nos galères.


Écrit le 22e jour de Zilcadé, l’an 1122, c’est-à-dire le 10
janvier 1711.
(Sceau)
ALI,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 30 janvier 1711.

ALI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 10 janvier 1711.

Au très illustre et magnifique Seigneur, notre parfait ami,


de Pontchartrain, — dont la gloire soit augmentée ! — qui est
à bon droit le sage et éclairé Ministre d’État de l’Empereur de
France, par le secours et la grâce de Dieu le plus ancien ami de
notre Empereur des Ottomans. — Que Dieu vous donne ses se-
cours dans toutes vos affaires ! — Salut à ceux qui suivent la voie
de la Direction !
Vous qui êtes le dépositaire des intentions de l’Empereur de
France, qui avez l’administration des affaires, et qui êtes notre très
haut et très généreux ami, ce dont nous sommes persuadé par le
rapport de ceux qui sont venus de votre pays et qui ont publié votre
probité et votre générosité, nous vous présentons une infinité de
saluts de la part d’Ali Chaoux, à présent Dey de la Ville d’Alger,
et des Puissances du Divan qui y ont le principal commandement.
Nous assurons d’abord Vôtre Excellence que notre imité
de paix avec toutes ses conditions, ainsi que notre amitié et no-
tre bonne intelligence, sont fermes et inébranlables. Lorsque vos
vaisseaux, tant de guerre que marchands, viendront mouiller dans
nos ports, qu’ils reçoivent de nous l’accomplissement de leurs
____________________
1. Archives de la Marine (Levant et Barbarie, B7 224), et Archives coloniales de
la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
AVEC LA COUR DE FRANCE 67

désirs par l’entremise de votre Consul, et que nous ne pensions


qu’à entretenir notre amitié en tout temps et en toute occasion !(1)
A présent nous avons besoin de vos bons offices. Il s’agit de nous
fournir des mâts et des cordages nécessaires à nos navires, et de
plus, comme, dans notre pays, notre blé est estimé excellent(2),
suivant la parole de vôtre Consul qui est ici, nous envoyons en
votre pays Bekir-reïs, porteur de la présente, dont le navire est
chargé de blés pour vous être de quelque secours. Nous espérons
qu’il arrivera, s’il plaît à Dieu, à bon port, que vous lui ferez déli-
vrer les mâts et antennes que nous souhaitons, et que, vous faisant
un plaisir de nous rendre un bon office, notre désir sera accompli.
Nous ne nous sommes pas adressé à d’autres pour cette affaire,
mais nous nous en rapportons à notre ami, et, s’il y a quelque oc-
casion de vous rendre service ici, nous nous ferons gloire de nous
acquitter, s’il plaît à Dieu, à votre égard.
Écrit le 22° jour de Zilcadé, l’an 1122, c’est-à-dire le 10
janvier 1711.
(Sceau)
ALI,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 30 janvier 1711.

BEKIR-REÏS, AMBASSADEUR D’ALGER,


LOUIS XIV(3).

Marseille, le 15 février 1711.

Que cette lettre arrive à bon port à l’Empereur de France !


Après avoir rendu les saluts dus à Sa Majesté l’Empereur de
____________________
1. Ali avait confirmé, le 14 août 1710, le traité relatif à nos Concessions d’Afri-
que, à la prière du Consul de Clairambault et du sieur Napollon, agent de la Compagnie
du Bastion à Alger.
2. Voy. la note 2, p. 65.
3. Archives de la Marine (Levant et Barbarie, B7 224), et Archives coloniale de la
Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
68 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

France, qui est le plus glorieux des Rois de la chrétienté et le plus


grand des Monarques et Souverains de la religion de Jésus, doué
de puissance et de gloire, de bonté et d’intégrité, — Dieu veuille
donner un heureux succès à ses entreprises, par sa grâce et mi-
séricorde !— Ce que fait savoir à Votre Majesté ce serviteur de
Dieu est que le Dey d’Alger, mon Maitre, m’a envoyé vers Votre
Majesté pour les affaires de la République, avec des lettres de sa
part(1). Je les ai déjà envoyées à votre haute présence, et jour et
nuit j’en attends la réponse. Et afin d’accompagner ce papier de
quelques marques de mon respect, j’envoie à Votre Majesté une
haïque(2) de coton rouge cramoisi. Ayez la bonté de me pardonner
la petitesse du présent. Et j’attends ici les ordres de Votre Ma-
jesté Impériale.
Écrit par son sincère ami, au mois de Zilhidjé de l’an de
l’hégire 1122, c’est-à-dire au mois de février 1711.
BEKIR-REIS,
Capitaine de navire d’Alger.
Traduit par PÉTIS DI LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, au mois de février 1711.

BEKIR-REÏS, AMBASSADEUR D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE Là MARINE(3).

Marseille, le 1s février 1711.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port au Vizir de


l’Empereur de France !
Au plus glorieux Seigneur de la religion chrétienne, Minis-
tre d’État de l’Empire de France, orné de tout honneur et puissan-
ce. — Que la fin de vos affaires se termine en bien ! — Je rends
____________________
1. Voy. p. 64 et 66.
2. Sorte de manteau à la moresque. Il apportait en outre deux chevaux pour le Roi.
Lettre de de Clairambault au comte de Pontchartrain, le 6 janvier 1711.
3. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de, France, 1639-1731.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 69

à Votre Excellence les saluts dus à son amitié, et je lui donne avis
que le Dey d’Alger, mon Maitre, m’a chargé de lettres et m’a
envoyé en ce pays pour les affaires de la République. J’ai envoyé
ci-devant celles qui étaient adressées à Sa Majesté et à Votre Ex-
cellence(1), et j’en attends jour et nuit la réponse.
De plus, afin d’accompagner ce papier de quelque marque
de mon respect, j’envoie à Votre Excellence une haïque de co-
ton cramoisi(2). Excusez, s’il vous plaît, la petitesse du présent et
agréez nos saluts. — Dieu perpétue Votre Excellence ! —
Écrit au mois de Zilhidjé, l’an de l’hégire 1122, c’est-à-dire
au mois de février 1711, par son sincère ami.
BEKIR-REÏS,
Capitaine de navire d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 20 février 1711

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.


A BEKIR-REÏS, AMBASSADEUR D’ALGER(3).

Versailles, le 4 mars 1711.

Illustre Seigneur,
J’ai reçu votre lettre du mois de février dernier, et celle
que vous avez écrite à l’Empereur, mon Maitre, que j’ai lue à Sa
Majesté(4). J’ai donné ses ordres aux Intendants et Ordonnateurs
de Marseille et de Toulon pour vous faire trouver, par tous les
moyens possibles, à des prix raisonnables, les mâts, les antennes
et les rames dont le Dey d’Alger a marqué avoir besoin. Elle veut
lui donner en effet des marques de la considération qu’elle a pour
lui et pour la République, et vous accommoder, de tout ce qui peut
____________________
1. Voy. p. 64 et 66.
2. Voy. la note 2, p. 68.
3. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France. 1639-1731.)
4. Voy. p. 67 et 68.
70 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

vous convenir Je ne doute pas en conséquence que, de concert


avec vous, les Intendants de Marseille aient déjà rempli ou qu’ils
remplissent incessamment le but de votre voyage. J’attends
qu’ils me le fassent savoir, afin que sur-le-champ je demande à
l’Empereur, mon Maitre, ses intentions sur ce qui peut au surplus
concerner votre commission, et la remise de ses dépêches pour
le Dey. J’ai informé Sa Majesté de la bonne conduite que M. le
marquis de Montaulieu(1) a mandé que vous avez tenue depuis
votre arrivée à Marseille. Elle en a été satisfaite, et j’aurai le soin
de le mander particulièrement au Dey.
Je suis votre parfait ami.
PONTCHARTRAIN.

BEKIR-REÏS, AMBASSADEUR D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Marseille, mars 1711.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port à Son Excel-
lence le Vizir de l’Empereur de France !

Très illustre et magnifique Seigneur, Ministre d’État du plus


glorieux des Rois chrétiens, l’élite du plus majestueux Monarque
de la religion de Jésus, l’Empereur de France. — Que Dieu donne
à Votre Excellence le bon succès dans ses affaires ! —
Après vous avoir présenté les saluts les plus respectueux et
les plus conformes à l’amitié et à. la bonté dont vous m’honorez,
je dirai à Votre Excellence que, la veille de la date de ces pré-
sentes, j’ai reçu la lettre qu’elle, m’a fait l’honneur de m’écrire(3)
____________________
1. Capitaine de galère et -du port de Marseille.
2. Archives coloniales de la. Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
3. Voy. p. 69.
AVEC LA COUR DE FRANCE 71

et que les marques d’amitié et de bonté dont elle est remplie


m’ont sensiblement touché le cœur de joie et de plaisir, à tel
point qu’il m’est impossible de l’exprimer. De plus, les ordres
que Votre Excellence a envoyés pour faire donner à la Républi-
que d’Alger les mâts, les antennes et les rames sont aussi arri-
vés, et m’ont fait tout le plaisir du monde. Tous ces Messieurs
d’ici, à savoir le marquis de Montaulieu(1), Messieurs Blondel(2),
Chauvin(3) et Magis(4) ne les ont pas plus tôt connus qu’ils se sont
assemblés, et, après avoir tenu conseil, ont fait amasser tous les
mâts, antennes et ramés destinés à Alger, et se sont donné tous
les soins possibles pour tâcher de me renvoyer, s’il plaît à Dieu,
dans la quinzaine. De plus, les Consuls et tous les principaux
de ce pays me rendent, par vos ordres, tous les bons offices qui
peuvent dépendre d’eux et plus que je ne mérite, tellement que
l’on ne peut pas être plus content que je le suis de leurs bons
accueils, et qu’il ne se peut dire davantage. La paye et le pain
de l’Empereur de France leur sont bien et justement gagnés.
En un mot les marques d’amitié que la République d’Alger re-
çoit en ma personne, en cette occasion, sous votre heureux Mi-
nistère, ne seront jamais oubliées. J’en ferai un fidèle rapport
au Seigneur Dey, mon Maitre, et je ne manquerai pas de lui
rendre un compte exact des grâces dont Votre Excellence m’a
comblé, ainsi que de la générosité dont vous avez usé à mon
égard. Donc, lorsque Votre Excellence aura reçu cette lettre, je
la supplie d’avoir la bonté d’expédier ici de nouvelles lettres
pour le Seigneur Dey, mon Maître, parce qu’elles sont toujours
un puissant motif pour augmenter l’amitié. C’est de quoi Votre
Excellence doit être persuadée.
J’ai, outre cela, une grâce à demander à Votre Excellence,
c’est de vouloir bien m’accorder la liberté de deux esclaves turcs
en payant leur rançon. L’un d’eux est mon frère de lait et se nomme
____________________
1. Voy. la note 1, p. 70.
2. Commissaire de la Marine. Voy. sa correspondance aux Archives de la Chambre
de commerce de Marseille, S. BB, 163 de l’Inventaire.
3. Député de la Chambre de commerce de Marseille.
4. Id.
72 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Hussein Omar ; sa marque est le numéro 4 612 ; l’autre a nom


Veli Sefer, numéro 3 341. Le premier est sur La Patronne et le
dernier sur La Mezèle. Il a une marque à la tête, à ce qu’il dit.
Écrit à Marseille, au mois de Moharrem, l’an de l’hégire
1123, c’est-à-dire au mois de mars 1711, par votre serviteur.
BIKER-REÏS,
Capitaine de navire d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.

LOUIS XIV
A ALI, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 1er avril 1711.

Illustre et magnifique Seigneur,

Nous avons vu avec plaisir, par la lettre que vous nous avez
écrite le 10 du mois de janvier(2), les sentiments que vous marquez
pour maintenir la paix et la bonne correspondance entre nos sujets
et ceux de la République d’Alger. Vous devez être persuadé que,
de notre part, nous ne souhaitons rien de plus que la continuation
de cette disposition, et que nous profiterons des occasions que
nous pourrons avoir de vous marquer notre bonne volonté pour
la rendre solide et durable. Celle qui vous a obligé d’envoyer à
Marseille le reïs Bekir a été remplie avec toute la promptitude
que vous avez pu désirer. Les circonstances extraordinaires dans
lesquelles on s’est trouvé, dans ce port et dans celui de Toulon,
par les contretemps des saisons, nous ont empêché de rouvrir
nos magasins de la mâture, qui ont toujours été garnis jusqu’ici
de provisions, mais nous avons donné des ordres très pressants
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
2. Voy. p, 64.
AVEC LA COUR DE FRANCE 73

à nos Intendants pour vous fournir ce dont vous avez besoin(1), et


nous avons été informé qu’on avait mis votre Envoyé en état de
remplir entièrement sa commission et de s’en retourner satisfait.
Nous espérons que, par ces bons offices, vous serez mieux en-
gagé à continuer de donner aux Commandants de nos vaisseaux
et à ceux de nos sujets qui pourront relâcher ou commercer dans
les ports de la République d’Alger tous les secours nécessaires.
Et pour vous donner des marques.de la considération que nous
avons pour votre personne, nous avons ordonné de faire mettre
en liberté 20 des Algériens ou Turcs qui sont sur les galères, et
que nous chargeons notre Consul de vous présenter(2), avec un
diamant que nous lui adressons pour vous, et que nous espérons
que vous voudrez bien recevoir comme un témoignage de notre
bienveillance. Nous vous souhaitons au surplus un Gouverne-
ment tranquille et plein de prospérités.
Écrit en notre château impérial de Versailles, le 1er avril 1711.
Louis.
____________________
1. Voy. Lettre du comte de Pontchartrain aux Députés de Marseille, le 4 mars
1711, leur donnant avis qu’il a autorisé le Dey à faire acheter des mâts à Marseille, mais
qu’il a été bien entendu que ce dernier en fournirait le prix, et que cette permission n’était
qu’une faveur exceptionnelle. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S.
AA, 16 de l’Inventaire.)
2. De Clairambault les avait demandés depuis longtemps déjà sans que la Cour
s’en occupât, et plusieurs fois il n’avait pas caché que le peu de succès de ses réclamations
rendait ses relations officielles de plus en plus difficiles. « Il est impossible, avait-il écrit
dans un moment de découragement, que les affaires ne périclitent pas entre mes mains, le
Dey étant persuadé que mon discrédit auprès de Votre Grandeur est le seul obstacle à la li-
berté des quelques esclaves qu’il demande. Si vous estimez que leur liberté soit une chose
trop Importante pour en accorder aucun, le seul moyen de prévenir de nouveaux embarras
est de nommer un autre Consul. Lettres de de Clairambault au comte de Pontchartrain,
les 1er et 12 juin 1708, 28 juin et 24 septembre 1709.
74 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 1er avril 1711.

Très illustre et magnifique Seigneur,

J’ai reçu votre lettre du 10 du mois de janvier dernier(2),


et lu à l’Empereur, mon Maitre, celle que vous avez écrite à Sa
Majesté Impériale(3). Elle s’est déterminée aussitôt à faire don-
ner au reïs Bekir les secours de mâts et de rames que vous avez
demandés, soit de ses magasins de Marseille et de Toulon, soit
des négociants de ses ports, et j’ai en même temps expliqué aux
Intendants que son intention était que les dits mâts et rames lui
fussent fournis le plus diligemment qu’il serait possible, au prix
le plus avantageux pour vous. J’apprends avec plaisir que tout
a été rempli à la satisfaction du reïs Bekir, qui se dispose à s’en
retourner, et comme l’Empereur, mon Maitre, vous informe de
ses dispositions par rapport à votre personne, pour laquelle Sa
Majesté a beaucoup d’estime, je me contenterai de vous assurer
qu’elle recevra bien volontiers les deux chevaux que vous lui
envoyez, et qu’on n’a pu faire partir encore de Marseille parce
que les chemins sont trop mauvais. Elle vous envoie de sa part
20 des Algériens ou Turcs qui étaient sur ses galères et qu’elle
a fait mettre en liberté(4), et un diamant qu’elle charge le sieur
de Clairambault de vous présenter comme un témoignage sin-
cère de son amitié, sur laquelle vous pouvez solidement compter
tant. que les sujets de la République se maintiendront en bonne
intelligence avec les Français, et que les traités de paix s’exécute-
ront exactement de la part des premiers. Je puis vous en répondre
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion. de France, 1639-1731.)
2. Voy. p. 66.
3. Voy. p. 64.
4. Voy. la note 2, p. 73.
AVEC LA COUR DE FRANCE 75

de la part de la France, par les soins que j’aurai de faite exécuter


les ordres de l’Empereur, mon Maître.
Je ne dois pas finir sans vous informer que j’ai mandé, par
ordre de Sa Majesté, qu’on ait pour le reïs Bekir tous les égards
dus à l’un de vos officiers, et je sais qu’on s’en est acquitté autant
par ce motif que par son mérite personnel et la bonne conduite
qu’il a tenue. Je vous prie d’être persuadé que je serai bien aise
d’avoir d’autres occasions de vous assurer que je suis votre par-
fait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

ALI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Alger, le 1er avril 1711.


Au Roi des Rois de toutes les nations chrétiennes et à tous
les Commandants et Ministres, Commis, Intendants et Gouver-
neurs des dominations du Roi de France, Salut.
Nous vous faisons savoir que Bekir-reïs, que nous vous
avons envoyé, est encore dans votre domination(2), grâce à Dieu
Tout-Puissant et à votre protection. J’espère que vous lui conti-
nuerez vos secours, car nous avons beaucoup d’ennemis sur la
mer, et je vous prie de ne pas le laisser partir sans lui accorder
une escorte d’un ou deux vaisseaux pour l’escorter jusqu’à nos
porta. Et si vous avez cette bonté, j’espère qu’il arrivera à bon
port, sans être attaqué par aucun corsaire de nos ennemis, et que
par ce moyen nous pourrons conserver l’étroite amitié que nous
avons toujours eue ensemble.
Écrit le 1er avril 1711, en cette Ville et Royaume d’Alger.
(Sceau)
ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 224.)
2. A Marseille.
76 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ALI, DEY D’ALGER,


AUX OFFICIERS DE LA MARINE DE TOULON(1).

Alger, le 11 mai 1711.

De la part de Son Excellence le très heureux Ali, présente-


ment Gouverneur et Commandant de la Ville d’Alger en Barba-
rie et des frontières les plus éloignées de la dépendance et domi-
nation du grand Empereur des Musulmans, de la haute Maison
ottomane, — dont Dieu perpétue l’Empire jusqu’à la fin des siè-
cles ! —
A Leurs Excellences les Gouverneurs et Commandants de
Toulon, les sages Ministres et Officiers dans les affaires du plus
glorieux des grands Monarques chrétiens, l’Empereur de France,
nos parfaits amis. Salut et témoignages d’amitié !
Nous vous faisons savoir que la paix et les conventions que
nous avons avec vous étant très véritables et sérieuses, confir-
mées par des serments solennels et authentiques et accompagnées
d’une très bonne et sincère intelligence, nous vous avons, par
préférence à tout autre, envoyé Bekir-reïs avec un vaisseau char-
gé de présents, de blés et de marchandises(2). Grâce au Seigneur
Dieu, il est allé et arrivé à bon port en toute sûreté, si bien que le
voilà présentement sous votre tutelle, et il est de votre honneur et
de votre zèle de le conserver(3).
Nous désirons qu’attendu que nous avons sur la mer un grand
____________________
1. Archives de la Marine (Levant et Barbarie, B7 224), et Archives coloniales de
la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
2. Ces présents se bornaient uniquement à deux chevaux et deux « haïques » ou
manteaux moresques pour le Roi et le Secrétaire d’État de la Marine. Quant aux marchan-
dises consistant en blés, sucres et bois de teinture, elles étaient destinées à fournir le prix
des mâts et cordages demandés pour la Régence. Lettre de de Clairambault au comte de
Pontchartrain, le 6 janvier 1711.
3. « Les nouvelles qu’a eues le Dey de Marseille, Bekir-reïs lui ayant écrit de
quelle manière il avait été reçu, ont produit tout le bon effet que j’en pouvais attendre et
un contentement entier dans toute la ville. » Lettre de de Clairambault au comte de Pont-
chartrain, le 24 mars 17I1.
AVEC LA COUR DE FRANCE 77

nombre d’ennemis, vous ne le laissiez pas revenir seul, mais que


vous le fassiez escorter par tel vaisseau de guerre que vous ju-
gerez à propos. Qu’il ne se sépare jamais de lui, et, naviguant à
ses côtés, qu’il puisse l’amener à Alger et le faire entrer dans le
port ! Ce bienfait ne sera pas perdu, car si notre navire revenait
seul, comme sa charge sera fort pesante, il ne se trouverait peut-
être pas en état de pouvoir résister à l’ennemi, et s’il lui arrivait
quelque malheur, ce qu’à Dieu ne plaise ! ce serait un affront à la
gloire de l’Empereur de France. Et le salut.
Écrit en la Ville d’Alger, théâtre de la guerre.
(Sceau)
ALI
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 11 mars 1711.

BEKIR-REÏS, AMBASSADEUR D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Marseille, le 23 mai 1711.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port à Sa Majesté


l’Empereur de France, le plus glorieux des grands Monarques
chrétiens, choisi entre les plus magnifiques Potentats de la reli-
gion de Jésus. — Que Dieu donne un heureux succès à ses entre-
prises ! —
Après avoir rendu à Votre Majesté Impériale les saluts les
plus respectueux et les plus conformes à la vénération qui lui
est due, ce serviteur de Dieu lui fait savoir que les magistrats de
Marseille et tous les officiers expérimentés aux affaires ont, sui-
vant l’ordre de Sa Majesté, employé leurs soins pour faire trou-
ver et fournir à notre République toutes les choses qu’elle désirait
____________________
1. Archives coloniales de la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
78 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

avoir(1), sans qu’il y manque rien, en sorte que nos désirs sont tout
à fait accomplis. Ils m’ont aussi fait un accueil très favorable et
traité avec toute l’amitié possible, de telle sorte que le jour de la
date de cette lettre, qui est le 23 mai, je pars de Marseille pour
aller mouiller aux îles et me rendre au plus tôt à Alger. J’ai cru
qu’il était de mon devoir de remercier Votre Majesté par ce petit
mot de lettre, et de lui donner avis de mon départ.
Écrit au mois de Rebi-el-aker, l’an 1123, c’est-à-dire le 23
mai 1711.
BEKIR-REÏS,
Capitaine de navire d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.

BEKIR-REÏS, AMBASSADEUR D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Marseille, le 23 mai 1711.

Dieu veuille que cette lettre arrive à bon port à Son Excel-
lence le Seigneur Ministre d’État de l’Empereur de France !

Après avoir salué très respectueusement et avec les plus


grands témoignages d’amitié le très illustre et magnifique Sei-
gneur, notre parfait ami, le Vizir du plus glorieux des Monarques
chrétiens, l’Empereur de France, je lui fais savoir que, suivant les
ordres de Sa Majesté en faveur de la République d’Alger et ceux
de Votre Excellence, non seulement les mâts, les rames et toutes
les autres choses nous ont été livrés, mais encore les Consuls, les
magistrats, l’Intendant(3) et les bourgeois de Marseille m’ont fait
____________________
1. Les antennes, les mâts, les cordages et les rames demandés par le Dey le 10
janvier 1711. Voy. p. 65.
2. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
3. M. Arnoul, Intendant de la Marine, Inspecteur du commerce de Marseille.
AVEC LA COUR DE FRANCE 79

le meilleur accueil du monde, rendu tous les services et fait toutes


les honnêtetés imaginables. C’est au point qu’au jour de la date
des présentes, qui est le 23 mai, je pars pour aller mouiller aux
îles et me rendre au plus tôt à Alger. C’est pourquoi j’ai l’honneur
d’écrire cette lettre à Votre Excellence pour lui en donner avis et
la remercier de ses bontés, l’assurant que je ne manquerai pas de
rendre compte en détail et de bouche au Seigneur Dey, mon Maî-
tre, des grâces et des bontés particulières dont vous avez honoré
la République et moi-même, et d’en faire l’éloge de la manière
la plus avantageuse, comme c’est mon devoir. J’ai aussi reçu les
présents que Sa Majesté envoie à l’illustre Dey(1), et je prie Dieu
qu’il conserve Votre Excellence.
Écrit au mois de Rebi-el-aker, l’an 1123, c’est-à-dire le 23
mai 1711.
BEKIR-REÏS,
Capitaine de navire d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.

ALI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(2).

Alger, juin 1711.

Que cette lettre arrive à bon port à notre sincère ami, l’Em-
pereur de France !
De la part du Seigneur Ali, par la grâce de Dieu Tout-Puis-
sant et la protection de notre Empereur le grand Sultan des Otto-
mans Dey d’Alger, et de la part de tous les Seigneurs du Divan.
Salut à notre sincère et parfait ami, l’Empereur de France, Roi
____________________
1. Les 20 esclaves et le diamant dont il est parlé dans la dépêche du comte de
Pontchartrain, le 1er avril 1711, p. 74.
2. Archives de la Marine (Levant et Barbarie, B7 224), et Archives coloniales de
la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
80 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

des Rois de toute l’Europe, et à ceux qui suivent la voie de la


Direction !
Je dirai à Votre Majesté Impériale que, par un effet d’aug-
mentation d’amitié pour nous, toutes les choses que Votre Ma-
jesté nous a envoyées sont arrivées à bon port(1). Tous les gens
du Divan et de la République, grands et petits, ont été remplis de
joie de ce que vous n’avez pas permis que nous eussions besoin
d’aucun autre. L’amitié et l’entière union en ont été fomentées,
et les pactes et promesses de la paix et de la bonne intelligence
en ont été fortifiés et confirmés. Votre Consul qui réside ici est
fort prudent et zélé pour votre service, aussi sommes-nous fort
content de sa conduite et fort satisfait de lui. Nous espérons que,
tant que Dieu nous donnera la vie, notre amitié et notre sincère
tendresse iront toujours en augmentant. S’il y a quelque chose
ici en quoi nous puissions rendre service à Votre, Majesté Im-
périale, elle doit être persuadée qu’il suffit d’un simple ordre de
sa part pour être aussitôt exécuté, s’il plaît à Dieu. La réception
de la lettre de Votre Majesté(2) a augmenté notre amitié et nous a
comblé de joie.
Écrit par votre sincère ami.
(Sceau)
ALI,
Dey de la Ville d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.
____________________
1. Voy. Lettre de de Clairambault au comte de Pontchartrain, le 16 juin 1711. Be-
kir-reïs fut de retour à Alger le 31 mai, sur le vaisseau du Roi Le Fleuron commandé par
M. de La Garde. Non seulement le Dey, mais tous les Algériens se montrèrent satisfaits
de voir débarquer les agrès fournis à Marseille. « Comme Bekir-reïs est des plus honnêtes
qu’il y ait ici et qu’il ne manque pas d’esprit, Il publie avantageusement tous les bons
traitements qu’il a reçus en France. J’ai présenté à Ali le diamant et les esclaves, mais le
Consul anglais lui ayant dit que c’était un saphir blanc et non un diamant, il l’a cru. Enfin
un joaillier l’a assuré que c’était un diamant. Je crois que ce qui faisait soupçonner le
Dey était qu’il ne s’attendait pas à un présent pareil. » (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
2. Voy. p. 72.
AVEC LA COUR DE FRANCE 81

ALI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, juin 1711.

Que cette lettre arrive à bon port au Seigneur Ministre d’État


de l’Empereur de France !
De la part du Seigneur Mi, par la grâce de Dieu Tout-Puis-
sant et la protection de notre Empereur le grand Sultan des Otto-
mans Dey d’Alger, et de la part de tous les Seigneurs du Divan,
Salut.
Au très sage Vizir, notre ami, Ministre d’État de notre sin-
cère et parfait ami l’Empereur de France, — que Dieu conduise
dans la voie de la Direction !
Je dirai à Votre Excellence que, par un effet d’augmentation
d’amitié pour nous, les mâts, antennes et avirons, ainsi que les
esclaves et autres choses, sont arrivés à bon port(2). Tous les gens
du Divan et de la République, grands et petits, ont été remplis de
joie, et ils ont fait des vœux pour l’Empereur de France, notre
ami, et pour Votre Excellence en particulier, parce que vous avez
appuyé et protégé l’obtention de notre désir. En sorte que vous
l’avez fait exécuter et avez procuré le prompt envoi et Heureuse
arrivée de toutes ces choses, tellement que vous n’avez pas per-
mis que nous eussions besoin de nous adresser à aucun autre. Ils
ont prié le Ciel de vous rendre victorieux sur toutes les Puissan-
ces de l’Europe ; l’amitié et la cordialité en ont été fomentées, et
les pactes et conventions de la paix et de la bonne intelligence en
ont été fortifiés et, confirmés. Tant que nous jouirons de la vie,
nous conserverons tendrement notre reconnaissance, notre union,
amitié et bonne correspondance, car nous avions un très grand
besoin d’avirons, nous en avons fait préparer chez vous, et l’on
nous a fourni sous votre permission 50 rames. Vos officiers nous
____________________
1. Archives de la Marine (Levant et Barbarie, B7 224), et Archives coloniales de
la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
2. Voy. la note 1, p. 80.
82 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ont fourni cela sans avoir d’ordre exprès de Votre Excellence.


Ils n’ont pas fait de réflexion aux réprimandes que vous leur en
pourriez faire, et présentement nous avons appris qu’ils se don-
nent des mouvements de précaution et qu’ils sont dans une grande
crainte. Ils se repentent d’avoir fait cela, ils en demandent pardon
et requièrent protection auprès de vous(1). C’est encore principa-
lement pour cela que nous écrivons cette lettre à Votre Excel-
lence en leur faveur. Je vous supplie très humblement, puisque
cela leur est arrivé pour l’amour de nous, de recevoir notre prière
pour eux et de leur pardonner leur faute. Ayez encore la bonté de
faire cela pour nous être agréable, et nous ferons des vœux pour
votre prospérité et pour l’accroissement de votre crédit et faveur
auprès de votre Empereur. Et s’il y a quelque chose ici en quoi
nous puissions vous rendre service, nous en ferons notre gloire.
Votre Consul qui est ici est fort prudent et zélé pour votre
service, aussi sommes-nous fort content de sa conduite et fort sa-
tisfait de lui. A la réception de la lettre que Votre Excellence nous
a écrite(2), notre amitié a été fort augmentée. Nous vous prions
aussi d’avoir la bonté et équité de nous envoyer la part et portion
qui nous revient de la prise du navire hollandais que vous avez
ci-devant capturé, comme il est marqué en détail dans la lettre de
votre Consul(3).
Écrit dans le mois de Djemazi-el-ewel, l’an 1123, c’est-à-
dire au mois de juin 1711, par votre sincère ami.
(Sceau)
ALI,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.
____________________
1. Le Ministre avait envoyé l’autorisation formelle de livrer les agrès contre rem-
boursement. Lettre du comte de Pontchartrain aux Députés de Marseille, le 4 mars 1711.
— Pour expliquer les craintes auxquelles le Dey fait allusion, nous devons ajouter qu’on
avait cru devoir livrer gratis, indépendamment des fournitures régulièrement soldées par
Bekir-reïs, 6 mâts et 100 rames de galères. Les ordres de la Cour n’avaient donc pas été
rigoureusement exécutés. Lettre de de Clairambault au comte de Pontchartrain, le 16
juin 1711. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 16 de l’Inventaire,
et Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. p. 72.
3. Lettre de de Clairambault au comte de Pontchartrain, le 18 juillet 1709.
AVEC LA COUR DE FRANCE 83

ALI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Alger, décembre 1711.

De la part de Son Excellence le très illustre et très heureux


Ali, Dey, Commandant et Gouverneur de la Ville et Royaume
d’Alger, l’un des Royaumes de la juridiction du très majestueux
Empereur et Sultan Ahmed, issu de la très noble et très auguste
Maison impériale des Ottomans, par la grâce toute-puissante de
Dieu et les miracles de son saint Prophète, dominatrice de tous
les Musulmans et maîtresse de Médine, d’Égypte, de Chaldée,
de Syrie et impératrice des sept climats, — dont Dieu éternise le
Kalifat et perpétue l’Empire jusqu’au jour du jugement ! —
Au plus glorieux des Princes de la religion chrétienne, l’éli-
te, des Monarques de la nation de Jésus, notre très cher et parfais
ami l’Empereur de France, Roi des Rois d’un grand nombre de
pays, de villes et de nations chrétiennes, et le plus renommé de
tous les Princes chrétiens. Salut.

La paix et la bonne intelligence entretenues par nos prédé-


cesseurs et jurées de part et d’autre sont stables et sans difficul-
tés, de sorte que nos vaisseaux, tant de guerre que marchands,
sont allés dans les ports et se sont rencontrés sur mer, et ont pris
l’habitude de se faire toutes sortes de plaisirs les uns aux autres,
en arborant chacun leur pavillon. Cependant il est arrivé depuis
peu que l’un de nos vaisseaux de guerre, étant à l’impourvu et
n’étant pas sur ses gardes, dans la pensée d’une bonne paix, a été
attaqué par l’un des vôtres en fraude ou par exprès, et, ayant tiré
sur lui, son artilleur a fait plusieurs décharges de mousqueterie ;
il y a eu plusieurs Musulmans tués et un grand nombre d’esclaves
chrétiens tant tués que blessés(2). Le navire a même été fortement
____________________
1. Archives de la Marine (Levant et Barbarie, B7 224), et Archives coloniales de
la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731).
2. Il s’agit d’une infraction commise par le patron Pierre Cons, d’Oléron. Les
84 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

endommagé. Nous avons pensé que peut-être l’Empereur de


France n’était pas informé de ce désordre, et c’est pourquoi nous
n’avons pas permis à nos Capitaines d’user de représailles. Et
attendu que vous nous avez aidé et fait plaisir en plusieurs occa-
sions(1), nous n’avons pas pris de revanche.
Nous avons seulement prié le Consul qui est ici pour votre
service de vous informer de cette pernicieuse affaire. Que ce qui
est passé soit passé ! Si notre paix et notre parole subsistent enco-
re effectivement dans toute leur force comme autrefois, vous ne
donnerez pas les mains à de semblables infractions, et vous don-
nerez des ordres si précis à vos Capitaines et officiers qu’ils ne
retomberont pas dans de telles mauvaises actions. C’est la cause
qui nous a porté à vous écrire cette lettre d’amitié. Ayez donc
la bonté de faire savoir en ce pays quelle est là-dessus votre ré-
ponse. Que Dieu vous soit en aide dans toutes vos affaires ! Ainsi
soit-il par sa grâce et sa bonté!
(Sceau)
ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER(2).

Versailles, le 13 janvier 1712.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai lu à l’Empereur, mon Maître, la lettre que vous avez
écrite à Sa Majesté Impériale pour vous plaindre qu’un de ses
____________________
Algériens avaient capturé son navire, et l’avaient amené à Alger pour en partager les dé-
pouilles. Notre Consul avait dû payer 1 000 p. pour la rançon de ce marin. Lettre de de
Clairambault au comte de Pontchartrain, le 17 août 1710.
1. Allusion à la fourniture de mâts, rames et cordages faite à Bekir-reïs. Voy. la
note 1, p. 80.
2. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 85

vaisseaux en ayant rencontré un de ceux de la République, il l’a


attaqué, et que, dans le combat, plusieurs Algériens de l’équi-
page ont été tués et blessés et le navire endommagé. Elle m’a
paru très surprise d’un fait aussi extraordinaire, dont elle n’a
eu jusqu’à présent aucune connaissance(1) et elle est d’autant
moins disposée à l’approuver, et à tolérer les moindres procédés
qui pourraient causer quelque altération à la bonne intelligence
qu’elle désire maintenir avec la République, qu’elle m’a ordon-
né de vous marquer que, si vous pouvez donner des preuves que
l’un de ses officiers ou de ses sujets, commandant des vaisseaux
armés pour son service ou pour la course, a commis cette contra-
vention pour insulter l’un des vôtres, ainsi que vous le préten-
dez, elle en fera une si sévère justice que vous aurez lieu d’en
être satisfait. Je doute beaucoup de la vérité du rapport qui velus
a été fait à ce sujet, et je croirais volontiers que, s’il y a eu en
effet une rencontre pareille à celle dont vous m’informez, elle a
eu lieu de la part de quelque vaisseau anglais ou hollandais qui
aura masqué son pavillon et arboré celui de France, pour mieux
tromper le mis d’Alger.
Soyez, au surplus, bien persuadé que l’Empereur, mon Mai-
tre, est si éloigné de causer du trouble à la navigation des sujets
de la République que, par ses ordres, je répète aux Commandants
de ses ports que son intention est qu’ils avertissent tous les offi-
ciers et armateurs français qui en sortiront de se tenir dans une
exacte observation des traités de paix, et de témoigner amitié et
bonne volonté aux Algériens qu’ils trouveront en mer(2).
Je suis toujours votre très parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.
____________________
1. Voy. la note 2, p. 83.
2. Le Congrès d’Utrecht allait s’ouvrir, et la Cour comprenait la nécessité de mé-
nager plus que jamais les Algériens, en raison de l’influence que les Anglais n’allaient
pas manquer d’acquérir dans la Méditerranée, par suite de leurs nouvelles possessions de
Port-Mahon et de Gibraltar.
86 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
ALI, DEY D’ALGER(1).

Versailles, le 13 janvier 1712.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Le sieur Duchesne, Vicaire apostolique(2), employé depuis


plusieurs années à Alger, pour donner au Consul et aux autres
Français et esclaves chrétiens qui sont dans cette ville les secours
de la religion dont ils ont besoin, se trouve âgé et incommodé, et
l’Empereur, mon Maître, lui envoie pour le soulager et partager
ses fonctions le sieur Batault dans la même qualité. C’est un prê-
tre dont on est certain de la bonne conduite. Je demande au sieur
de Clairambault de vous le présenter, et je crois devoir en même
temps vous prier de lui accorder les égards, et la protection dont
il aura besoin pour remplir sa mission avec les succès que Sa
Majesté en attend(3). J’espère que vous voudrez bien ne les -lui
point refuser, et que vous êtes toujours bien persuadé que je suis
toujours
Votre très sincère et parfait ami.
PONTCHARTRAIN.
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1839-1731.)
2. Voy. le Voyage pour la rédemption des captifs en 1720, par les P. P. Comelin, de
La Motte et Bernard, p. 132. On y fait l’éloge du P. Duchesne, de sa piété, de sa douceur,
de sa charité pour les esclaves, et de son application à entretenir une parfaite intelligence
avec le Consul ».
3. On a mentionné plus haut le rôle que jouaient à Alger les Vicaires apostoliques,
et les services qu’ils rendaient à nos Consuls et à nos nationaux (t. I, note 2, p. 406). Le P.
Comelin en parle longuement dans sa relation de voyage, et fait bien ressortir tout ce que
cette charge importante exigeait de zèle, de dévouement et d’abnégation de la part de nos
missionnaires.
AVEC LA COUR DE FRANCE 87

ALI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Alger, le 23 janvier 1712.

Sous les auspices du très excellent, très haut, très heureux et


très puissant Prince, par la grâce et le secours infini de Dieu Em-
pereur des Musulmans et de toute la terre habitable des Empires
et des climats de ce monde, Kalife du Prophète de Dieu,
De la part du très illustre et vénérable Général, puissant et
heureux Commandant Ali, Dey, de l’Agha des Janissaires, du
Lieutenant général de la Milice, du Colonel d’infanterie et de
cavalerie, des Capitaines des armées de terre, de l’Amiral d’Al-
ger, des Capitaines des navires et des officiers expérimentés qui
assistent au Conseil, enfin de tous les Sénateurs du Divan des
Musulmans et des victorieuses Milices.
Au plus glorieux des grands Princes de la religion chrétien-
ne, l’élite des plus magnifiques Potentats de la nation de Jésus,
notre parfait ami l’Empereur de France et le souverain Monarque
des Royaumes qui en dépendent. — Que Dieu donne un heureux
succès à. ses entreprises, et conduise Sa Majesté dans les voies de
la Direction et du salut ! —
Après avoir présenté à Votre Majesté Impériale nos vœux et
nos saluts conformes à la grandeur de notre amitié, selon le bon
voisinage, la bonne intelligence, la bonne correspondance et la
parfaite union qui existent entre nous, nous faisons savoir à Votre
Majesté Impériale, en qualité de ses sincères amis, qu’ayant été
jusqu’à présent dans une parfaite intelligence avec elle, confor-
mément aux conditions du traité de paix, cette sincère union a
été s’augmentant de jour en jour, tant de la part du Pacha d’Al-
ger que de celle du Gouverneur, des Sénateurs et des principaux
____________________
1 Archives coloniales de la Marine (Compagnies du Bastion de France, 1639-
1731).
88 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

officiers, de l’Amiral et des reïs, des Capitaines de mer et de tout


le Divan et des Milices du Royaume. La dite intelligence a été
maintenue et ses conditions observées exactement, de sorte que
vos vaisseaux, tant de guerre que marchands, sont allés et venus
en suivant l’ancienne coutume, nous avons donné à tous ceux
qui sont venus ici tout ce qui leur a été nécessaire, et nous leur
avons rendu tous les services qui dépendaient de nous.
Les choses étant dans cet état, vos navires de guerre, au
mépris des traités, attaquent souvent les nôtres sur mer, les mal-
traitent à coups de canon et de mousqueterie, et commettent
contre eux toutes sortes d’hostilités. Cependant nous fermons
les yeux sur tout cela, disant qu’assurément l’Empereur de
France n’est point informé de ces contraventions. C’est ce qui
nous porte à écrire cette lettre à Votre Majesté Impériale, pour
lui donner avis que ses Capitaines de navires se mettent sur un
pied de hauteur extravagant, ne faisant que ce qui leur plaît et
selon leur fantaisie, comme s’ils ne dépendaient de personne.
C’est pourquoi nous la prions de vouloir bien réprimander les
dits Capitaines de vaisseaux, afin qu’ils s’amendent et se corri-
gent dans la suite.
Et s’il y a ici quelque chose concernant le service de Votre
Majesté Impériale, nous nous ferons toujours gloire de l’exécu-
ter et nous n’attendrons pour cela que ses indices. Dieu veuille
augmenter toujours la bonne paix, inspirer l’équité aux ennemis;
et demeurer notre secours et notre protection en tout état par sa
grâce !
Écrit le 23 de Zilhidjé, l’an de l’hégire 1123, c’est-à-dire le
23 janvier 1712.

(Sceau)
ALI,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.
AVEC LA COUR DE FRANCE 89

LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER(1).

Fontainebleau, le 12 septembre 1714.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Je vous écris par ordre de l’Empereur, mon Maître, pour


vous faire savoir que Sa Majesté envoie aux rades d’Alger M.
Duquesne(2), l’un des anciens et expérimentés Capitaines de sa
Marine, sur un vaisseau de guerre armé exprès dans son port de
Toulon, pour savoir si vous avez quelque juste sujet de mécon-
tentement contre le Consul de France ou quelqu’un de nos na-
tionaux résidant sous sa protection. Il a ordre, en même temps,
de s’informer exactement s’il n’a été fait aucun tort à ces mêmes
nationaux et protégés, au préjudice des Capitulations et traités,
par les sujets de votre République, et, en ce cas, de vous exposer
des plaintes en présence du sieur dé Clairambault(3).
Comme Vous ne devez pas douter que Sa Majesté ne désa-
voue tout ce qui pourrait avoir été commis par ses sujets, contre
la bonne correspondance qu’elle veut entretenir avec le Gouver-
____________________
1. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du Bastion de France,
1839-1731.)
2. Duquesne-Monnier, qu’il faut distinguer avec son frère Duquesne-Guiton, tous
deux neveux d’Abraham Duquesne. Duquesne-Monnier était alors capitaine de vaisseau.
Il s’était distingué depuis longtemps déjà dans le service de la Marine, et avait eu un bras
emporté dans un combat contre les Hollandais. En 1707, Il avait commandé 16 bâtiments
de guerre, et capturé un convoi de 15 navires-transports appartenant aux Anglais. Voy.
Abraham Duquesne et la Marine de son temps, par Jal, t. II, p. 567 et suiv.
3. Notre agent ne pouvait alors obtenir satisfaction dans plusieurs affaires impor-
tantes. Des chevaliers de Malte avaient été capturés, et jouissaient d’une certaine liberté
sous la caution du Consul, mais le capitaine Janselme, de Toulon, ayant tenté de les faire
évader, avait gravement indisposé le Dey. Celui-ci s’était encore fâché de ce qu’on avait
envoyé un coadjuteur au Vicaire apostolique, et de Clairambault se donnait toutes les
peines du monde pour que l’un d’eux ne fût pas expulsé. Lettres de de Clairambault au
comte de Pontchartrain, les 17 août 1710, 4 février, 13 septembre et 2 novembre 1713,
28 juin 1714. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
90 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nement d’Alger, elle espère aussi que vous ferez sur-le-champ


réparer les injustices que les vôtres auront exercées contre les
Français, soit particuliers soit intéressés en la Compagnie du
Bastion(1), et châtier sévèrement les auteurs, entre autres le cor-
saire algérien qui a blessé trois hommes de l’équipage du patron
Gazan, de Martigues, et enlevé avec toute sorte de violence ses
poudres, armes et vivres en l’île de Sardaigne.
Je suis persuadé que vous aurez tous les égards possibles
pour la personne de M. Duquesne et pour ses représentations. Je
suis toujours votre parfait et sincère ami.
PONTCHARTRAIN.

ALI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE PONTCHARTRAIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Alger, le 11 octobre 1714.

Très illustre et magnifique Seigneur, comte de Pontchar-


train, Ministre de l’Empereur de France, notre parfait ami. —
Dieu vous donne prospérité !
Nous vous écrivons cette lettre en réponse à celle du 12 sep-
tembre dernier(3), par laquelle vous nous mandez que vous envoyez
le sieur Duquesne, un des plus anciens et expérimentés Capitaines
____________________
1. Des barques génoises étaient venues pêcher du corail dans les eaux de nos
Concessions, et le Consul n’avait pu s’y opposer, malgré toutes les réclamations qu’il
avait présentées de concert avec Lazare Loup, agent de la Compagnie. Lettre de de Clai-
rambault au comte de Pontchartrain, le 13 septembre 1713. — Une nouvelle Compagnie
du Bastion de France, dite Compagnie d’Afrique, s’était fondée, en 1707, sur les ruines de
la Société Hély et de la Compagnie du Cap-Nègre. Jean-Baptiste Fénix était son principal
agent. Le privilège de l’exploitation de nos Concessions, qui ne lui avait été accordé que
pour 6 ans, avait été prorogé pour 6 autres années, par arrêt du 15 août 1712, et Demarle,
gouverneur du comptoir de La Calle, venait de passer, le 15 juillet 1714, une convention
avantageuse avec Hassan, Bey de Constantine. Voy. la correspondance de Dusault avec le
Secrétaire d’État de la Marine, de 1700 à. 1714. (Archives des Affaires étrangères, Consu-
lat d’Alger.)
2. Archives coloniales de la Marine. (Compagnies du. Bastion de France,
1639-1731.)
3. Voy. p. 89.
AVEC LA COUR DE FRANCE 91

de votre Marine(1), pour nous demander réparation de certains


troubles arrivés entre les deux États qui devraient vivre comme
des frères, et entre autres par un Capitaine de navire qui, ayant
rencontré une de vos barques, près de Sardaigne, l’a attaquée et
prise et en a enlevé les poudres, les armes et les provisions, après
avoir blessé deux ou trois hommes de l’équipage de votre dite
barque. Au sujet de ce Capitaine algérien, je vous supplie de vou-
loir bien par votre bonté prendre patience, parce que le dit Ca-
pitaine est éloigné d’Alger, mais, comme il y doit revenir dans
peu, je jure, par le grand Dieu ! que, dès qu’il y sera revenu, je le
châtierai d’une manière si exemplaire que qui que ce soit ne sera
jamais assez hardi pour s’attaquer à l’étendard de l’Empereur
de France. De la manière dont je châtierai ce Capitaine, votre
Consul vous en rendra un témoignage assuré, et non seulement le
Consul, mais encore la Compagnie du Bastion.
Il est juste à. présent que je vous porte aussi mes plaintes sur
deux injustices criantes qui nous ont été faites. La première est
que 4 esclaves algériens, s’étant rachetés et ayant payé leur ran-
çon, ont été repris et remis en esclavage comme s’ils ne l’eussent
jamais payée. La seconde est qu’un esclave s’étant enfui, au lieu
de faire les recherches nécessaires pour le reprendre, vous avez
fait couper les moustaches à tous les autres et fait mille autres in-
sultes et outrages. Assurément il n’est pas juste que, pour un qui
a pris la fuite, on en maltraite un si grand nombre qui n’en sont
pas coupables, mais il est bien surprenant que le Ministre d’un
aussi grand Empereur fasse une pareille chose ! Je voudrais, au
surplus, trouver l’occasion de me revancher des bontés que vous
avez eues pour moi en particulier, dont je vous aurai une éternelle
____________________
1. Duquesne-Monnier, commandant le vaisseau du Roi Le Diamant, arriva dans
la rade d’Alger le 10 octobre 1714, et fut salué de 21 coups de canon, selon l’usage. Il
se rendit chez le Dey, avec le Consul, et fut fort bien accueilli. Il insista sur la nécessité
de protéger la Compagnie d’Afrique contre la violation de ses privilèges de pêche, et en
particulier contre les incursions des coralines génoises dans les eaux de ses dépendances.
Ali lui répondit qu’elles ne venaient pas de son aveu, et qu’il avait donné à ses corsaires
l’ordre de les capturer. L’Envoyé du Roi repartit le lendemain, emportant deux chevaux
que le Dey le pria de présenter à Louis XIV. Lettres de de Clairambault au comte de Pont-
chartrain, les 11 et 15 octobre 1714.
92 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

obligation. Si je puis quelque chose pour votre service, je vous


prie de me le faire savoir, et d’être bien persuadé que je le ferai
avec bien du plaisir et de l’empressement, étant votre parfait et
sincère ami.
(Sceau)
ALI,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger d’Afrique.

MEHEMET, TRÉSORIER DU DIVAN D’ALGER,


A LOUIS XIV(1).

Alger, le 1er novembre 1714.

Au plus glorieux des Monarques chrétiens, le plus magnifi-


que des Potentats de la religion de Jésus, l’Empereur de France,
de la part de Mehemet, Trésorier du Divan d’Alger.

Après avoir souhaité toutes sortes de prospérités à Votre


Majesté Impériale, nous lui dirons, avec bien du respect, que
nous prenons la liberté de lui écrire pour lui demander très hum-
blement la rédemption d’un pauvre homme, nommé Mustapha
ben Hussein, esclave sur la galère nommée Cardis, n° 5 812. Ce
pauvre malheureux n’a assurément point d’argent pour se rache-
ter. Votre Majesté Impériale fera en cela une grande charité, qui
lui assurera de l’honneur et de la reconnaissance.
Et le salut pour ceux qui suivent la voie droite.
Je suis de Votre Majesté Impériale,
Le très humble serviteur.
MEHEMET,
Trésorier de la Ville d’Alger.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1714.
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 224.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 93

ALI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV.

Alger, le 15 mai 1717.

Au plus glorieux Monarque entre tous ceux de la croyance


de Jésus, choisi parmi les Princes de la religion du Messie, notre
très grand ami le Roi de France.

De la part d’Ali, par le secours de la volonté de Dieu Dey de


la forte place d’Alger, et aussi de la part de l’Agha, de l’Intendant
des Janissaires et de tous les Conseillers du Divan d’Alger, les-
quels vous assurent de leurs respects et vous souhaitent un règne
comblé de gloire, de félicité et de victoires.
Nous informons Votre Majesté que, l’année passée, un
vaisseau étant entré dans le port de cette Ville avec passeport de
France et le pavillon français, a été nolisé par l’entremise de quel-
ques marchands et de votre Consul pour conduire plusieurs per-
sonnes à La Mecque, lesquelles s’étant mises sur le dit vaisseau
avec leurs effets, le Capitaine a voulu aller à Tunis, où plusieurs
marchands ou autres particuliers se sont embarqués avec leur fa-
mille, avec dessein d’aller aussi en pèlerinage, et votre Consul à
Tunis(1) a eu connaissance de leur embarquement. Le dit vaisseau
étant parti de Tunis, le malheureux Capitaine, tenté d’une ambi-
tion diabolique, a conduit ces personnages d’Alger et de Tunis
sur les terres de Sicile, où il les a livrés avec une partie de leurs
effets, et, s’étant réservé la meilleure partie pour lui, est retourné
en France(2). Ce fait n’est point tolérable par rapport à l’ancienne
amitié qui est entre la France et Alger, laquelle est aujourd’hui
____________________
1. M. Michel, nommé par ordonnance du 8 juillet 1711.
2. Lettre de Baume au Conseil de Marine, le 9 novembre 1717. Le Dey lui a té-
moigné son mécontentement au sujet des 180 Turcs esclaves à Syracuse depuis le mois
de septembre 1718, et l’a prié de demander leur délivrance avec toutes les instances pos-
sibles. Cette affaire a mis les Algériens de si mauvaise humeur qu’ils lui ont amené, le 11
avril dernier, 118 officiers et soldats espagnols capturés sur un de nos vaisseaux, et que
depuis cette époque il a cette charge sur les bras. Voy. la note 3, p. 94.
94 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

plus forte que ci-devant. Ainsi, pour conserver cette amitié, nous
vous prions d’ordonner que cette affaire soit examinée par Vo-
tre Majesté, laquelle est trop judicieuse pour souffrir pareille
chose. Nous avons communiqué ici cette affaire à votre ancien
Consul(1) et aussi au nouveau(2), lesquels nous ont dit qu’ils en in-
formeraient Votre Majesté et que nos gens seraient mis en liber-
té. Néanmoins nous sommes fort surpris de ce que, depuis huit
mois, nous n’avons eu aucune nouvelle de cette affaire. Deux
de nos vaisseaux ont rencontré en mer une barque française sur
laquelle étaient 118 Espagnols, lesquels ont été amenés à Alger ;
nous les avons tous mis en dépôt avec leurs effets au Beylik, et il
ne leur sera fait aucun mal. Cependant nous les garderons jusqu’à
ce, que nos gens soient revenus à Alger avec tous leurs effets(3).
Ainsi nous vous prions d’ordonner qu’on apporte tous les soins
____________________
1 De Clairambault s’était depuis plusieurs mois décidé à demander un poste «
dans lequel il pût trouver quelques douceurs », et il avait supplié le Ministre de le déli-
vrer d’une charge beaucoup trop onéreuse pour lui. Sans M. Magis, son correspondant
de Marseille, qui lui avait fait des avances considérables, « il aurait eu de la peine à
subsister ». Il n’avait pas voulu importuner la Cour pendant la dernière guerre, mais il
lui était impossible aujourd’hui de patienter davantage, et il recommandait pour lui suc-
céder le Chancelier Durand, frère de son prédécesseur au Consulat, « qui avait l’expé-
rience d’une douzaine d’années passées en Barbarie, estimé du Dey et des capitaines de
navires ». Le Conseil de Marine avait fait droit à ses requêtes, et l’avait nommé Consul à
Livourne en remplacement de M. de Maillet. Voy. Lettres de de Clairambault au Conseil
de Marine, les 13 mai et 8 novembre 1715, 4 juillet 1716, 20 et 29 janvier 1717, et aux
Députés de Marseille, les 15 novembre 1715 et 5 février 1716. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S.
AA, 472 de l’Inventaire.)
2, Jean Baume, ancien Chancelier à Candie, ancien Consul à La Canée, vint pren-
dre possession du Consulat d’Alger le 27 janvier 1717. Il fut assez mal reçu par Ali, qui
avait demandé qu’on nommât à sa place le Chancelier Durand, aussi ne tarda-t-il pas à
se lamenter, dans ses lettres, sur toutes les infortunes auxquelles il se vit condamné. La
Chambre de Marseille lui avait remis 300 l. pour son voyage et pour ses frais de première
installation, et il avait dû en dépenser 5 000, « ce que les Algériens avaient eu l’insolence
de trouver insuffisant ». Les Anglais venaient en effet de leur donner 10 000 écus. Lettres
de Baume au Conseil de Marine, les 8 janvier, 1er avril et 6 juillet 170, et aux Députes
de Marseille, le 10 avril 1717. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et
Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 473 de l’inventaire.)
3. Le patron Gueidon, d’Agde, avait acheté une barque à Barcelone pour transpor-
ter à Valence ces 118 Espagnols, et avait été capturé avec eux par Mamoud-reïs. Il n’avait
pas de passeport régulier de l’Amiral de France, mais des expéditions délivrées pour en
AVEC LA COUR DE FRANCE 95

et attentions nécessaires pour terminer cette affaire en quelque


manière que ce soit, et pour procurer la liberté à nos gens.
Écrit à Alger, le 5 de Redjeb 1129, c’est-à-dire le 15 mai 1717.
(Sceau)
ALI,
Dey et Gouverneur de la Ville et Royaume d’Alger.

MUSTAPHA, INTENDANT DU DEY D’ALGER(1).


A LOUIS XV.

Alger, le 19 janvier 1718.

Au très puissant, très fidèle et très sincère ami le Roi des


pays de France.
Après avoir offert à Votre Majesté l’expression de notre
sincère et affectueuse amitié, avec nos salutations respectueuses
et très distinguées, nous ferons des vœux pour que Votre Majesté
puisse jouir d’une longue vie et obtenir l’accomplissement de
tous ses désirs, à l’abri de toute vicissitude et des malheurs du
siècle, et qu’elle vive en tranquillité avec ses sujets réfugiés sous
l’ombre de sa protection. Ainsi soit-il !
Une de nos frégates, dans le cours de ses expéditions, ayant
rencontré un navire français, lui a demandé suivant les règle-
____________________
tenir lieu par le chevalier de Moy, Consul à Barcelone. Baume avait dû loger chez lui tous
ces captifs, « mais bientôt ces pauvres gens, joints aux 20 personnes de sa maison, avaient
causé un tel encombrement et une telle saleté qu’il avait dû louer pour eux une habita-
tion spéciale ». — « Les manières de ces gens-ci, ajoutait-il, sont si extraordinaires qu’il
faudrait être en même temps diable et saint pour les supporter. » Pour aider ces esclaves
à subsister, il se voyait contraint d’emprunter à des Juifs au taux de 6 pour cent par mois.
Lettres de de Clairambault et de Baume au Conseil de Marine, les 27 juin 1716, 11, 18 et
28 avril, 7 et 21 mai, 6 juillet et 9 octobre 1717, et aux Députés de Marseille, les 18 avril
et 27 août 1717.
1. Le Dey était fort piqué, nous dit le Consul, de n’avoir pas encore reçu de let-
tres du nouveau Roi ni aucun présent de sa part, à l’exemple du Roi d’Angleterre. C’est
probablement la raison pour laquelle il faisait écrire à la Cour par son Intendant. Baume
s’était efforcé de le faire patienter, en lui annonçant le prochain passage à Alger du comte
des Alleurs, Ambassadeur de France à Constantinople. Lettre de Baume au Conseil de
Marine, le 6 juillet 1717.
96 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ments maritimes d’exhiber son passeport, mais le navire français


n’était pas porteur du papier qui est le seul valable entre nous ;
notre Capitaine de frégate a capturé le susdit navire et l’a envoyé
à Alger, où nous avons vérifié l’exactitude du fait. Mais votre
lettre d’amitié étant arrivée sur ces entrefaites, et par égard et
considération pour Votre Majesté, nous avons rendu la liberté au
susdit navire(1).
Le Consul, votre serviteur, qui a été envoyé dernièrement
dans la Régence, n’a pas été agréé par nous à cause de sa condui-
te peu digne des deux nations, et nous informons Votre Majesté
de cet état de choses insupportable(2). Son Altesse le Dey désire
qu’on envoie le plus tôt possible en ce pays le nouveau Consul
que vous avez nommé pour s’occuper de la solution de nos af-
faires pendantes(3) ; nous espérons qu’à l’arrivée de cette lettre
____________________
1. L’affaire n’a pas été si facile à traiter, et Baume a dû subir plus d’une boutade
avant d’obtenir du Dey cette restitution. Il a dû dire à Ali « qu’il n’y avait plus de fond
à faire sur le traité de paix, que le Roi lui enverrait un Ambassadeur pour lui demander
raison, et qu’il n’avait qu’a l’envoyer lui-même vendre au Badistan comme esclave avec
les marchandises françaises ». Le Dey lui a répondu qu’il ne fallait pas tant de raisons
pour une bagatelle, qu’il n’avait qu’à se conformer à ses désirs et à s’en retourner chez
lui. Lettres de Baume au Conseil de Marine, les 6 juillet et 9 octobre 1717.
2. Voy. Lettres de Baume au Conseil de Marine, les 17 juillet et 23 septembre
1717. Il y manifestait son désespoir de se voir chargé d’une grosse maison, de 120
étrangers, et de tous les reproches que le Dey, les Puissances et le peuple lui faisaient
continuellement sur les Turcs détenus en Sicile, sur quoi il ne recevait aucune nouvelle
de la. Cour, pas plus que de M. Lespinard, Consul à Messine Je ne comprends pas, di-
sait-il encore, comment on peut abandonner ainsi un homme du Roi dans une affaire où
la France peut souffrir de fâcheux revers. Les affaires se brouillent, ces gens-ci ont du
mépris pour le pavillon et le nouveau règne, ne voyant personne pour renouveler le traité
de paix ni aucune marque d’amitié. » — Voy. aussi Lettre de Baume d M. Arnoul, Inten-
dant à Marseille, le 17 juillet 1717. « Je fais sur toutes choses ce que je dois, mais je suis
nu, et je n’ai pour toute arme qu’une langue et qu’une plume. » (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger.)
3. A la fin de l’année 1717, le Conseil de Marine avait chargé M. de Maillet, an-
cien Consul à Livourne, de visiter les Régences de Barbarie, « pour aller reconnaître les
véritables causes pour lesquelles le commerce des Français n’y était pas aussi amplement
rétabli qu’il était à désirer depuis la cessation de la guerre ». Cet Envoyé s’embarqua à
Toulon, au mois de janvier 1710, sur le vaisseau de M. Duquesne-Monnier, chargé de son
côté « de renouveler les traitée avec les Barbaresques et de commencer par le Gouver-
nement d’Alger ». La mission de M. de Maillet était simplement commerciale, celle de
Duquesne-Monnier était toute politique. Ce dernier paraît avoir été moins bien reçu qu’en
1714 ; il eut de nombreuses conférences avec le Dey et le Consul, mais, il ne parvint pas
AVEC LA COUR DE FRANCE 97

d’amitié, Votre Majesté voudra bien l’envoyer sans le moindre


délai. Nous le demandons et l’attendons de votre bienveillance
royale.
Écrit le 10e jour de Safer, l’an de l’hégire 1130, c’est-à-dire
le 19 janvier 1718.
MUSTAPHA,
Intendant de la République d’Alger.

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 4 juillet 1718.

De la part du haut et magnifique Mohammed, Dey d’Al-


ger(2), théâtre de la guerre, du nombre des Villes qui, par la pro-
tection du Très-Haut, appartiennent à l’Empereur Ahmed, ser-
viteur des deux nobles Villes de La Mecque et Médine. — Dieu
veuille conserver son Empire jusqu’à la fin du monde !
Au Roi de France, notre ancien ami, qui est le Prince des
Princes de la religion du Messie, le choisi et le plus éminent entre
____________________
à régler d’une façon satisfaisante l’affaire des Espagnols et des Algériens captifs. — Voy.
Mémoire pour servir d’instruction au sieur de Maillet, destiné par Sa Majesté pour la
visite des Échelles d’Alger et Tunis, le 20 septembre 1717. (Archives des Affaires étran-
gères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi Mémoire d’observations du sieur de Maillet sur
la visite qu’il a faite en 1718 dans les Échelles du Levant et de Barbarie. (Archives de la
Marine, Levant et Barbarie, B7 289.)
1. Archives de la Marine. (États barbaresques, 1718.)
2. Ali mourut dans son lit, le 5 avril 1718, ce qui parut tellement extraordinaire
qu’il fut regardé comme un saint, et que le peuple orna de fleurs son tombeau pendant
quarante jours. Il s’était montré en effet d’une férocité extrême, et n’avait pas craint de
faire massacrer ou noyer 1700 personnes, qu’il avait soupçonnées de vouloir venger le
meurtre de son prédécesseur. — Mohammed, proclamé à sa place, était alors Kasnadji
ou Trésorier de la Régence. Il ne savait ni lire ni écrire; dans sa jeunesse il avait gardé les
bœufs en Égypte, et il avait conservé les manières brutales de l’emploi. Il avait consenti,
peu après son avènement, à ratifier le traité de 1694 relatif aux Concessions d’Afrique.
Lettre de Baume au Conseil de Marine, le 6 avril 1718.
98 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

les Grands des peuples chrétiens. — Dieu le conduise dans le bon


chemin et le conserve longtemps sur son trône ! Ainsi soit-il ! —
Vous serez informé que depuis l’ancienne alliance et
l’heureuse intelligence continuées entre nous, les marchands qui
négocient dans notre port d’Alger ont coutume de payer, à ce-
lui de vos sujets qui est ici Consul, 50 écus d’entrée et 30 de
sortie des bâtiments, sans qu’il puisse exiger aucun droit des
effets qui sont chargés sur les dits bâtiments, et que le nom-
mé Baume, votre sujet qui est Consul ici, demande deux pour
cent des effets que les dits marchands font venir sur les mê-
mes bâtiments, ce qu’ils ont refusé, d’autant que cela est contre
l’usage ordinaire(1). Ces mêmes marchands ont été tous ensem-
ble chez le dit Consul, et lui ont montré les anciens tarifs des
droits qui ont été perçus depuis plusieurs années par les Consuls
précédents. Il n’a point voulu les écouter, il a rebuté les pre-
miers qui ont voulu les lui faire voir, et leur a dit : — « Le Roi
a retranché mes appointements ; avec quoi donc pourrai-je vi-
vre ? » — Et s’étant mis en colère, il leur a dit des injures et les
a chassés de sa maison(2). Ils sont venus nous trouver pour nous
____________________
1. Dans les premiers temps de l’établissement des Consulats français dans les
Échelles du Levant et de Barbarie, il n’était affecté aucun traitement annuel à nos agents.
Ceux-ci prélevaient tantôt sur les navires, tantôt sur les marchandises, des droits dits de
Consulat, déterminés par la Chambre de commerce de Marseille. Ces droits, qui variaient
selon les Échelles et les circonstances, furent supprimés par arrêt du Conseil du 31 juillet
1691, et remplacés par un droit de tonnelage, perçu au nom de la Chambre, qui demeura
chargée du payement des dépenses dans les Échelles, appointements des Consuls, pré-
sents, etc. Cet état de choses fut modifié par l’arrêt du 10 janvier 1718 qui supprima
ce droit de tonnelage, déchargea la Chambre du payement des appointements fixes des
Consuls, et ordonna que ceux-ci percevraient à l’avenir les droits de chancellerie dont ils
jouissaient, avant l’arrêt du 31 juillet 1691, sur les vaisseaux français et les marchandises
de leurs cargaisons. — Voy. Lettre de Baume au Conseil de Marine, le 1er juillet 1718.
— Dans le cas présent le Dey avait raison, et le Consul ne devait pas exiger à la fois les
anciens et les nouveaux droits.
2. La correspondance de Baume montre qu’il n’était pas à la hauteur des cir-
constances, et que les humiliations qu’il subissait alors lui faisaient perdre la tête. « Le
Dey, écrivait-il, est un brutal qui n’a ni sens ni oreille ni parole pour entendre raison.
Ses infractions augmenteront tant que la France gardera le silence, mais sans permission
de parler et sans appui de la Cour, il est impossible de travailler avec honneur et dis-
tinction. Il est temps que le Régent ait agréable d’écrire d’une manière ferme et capable
AVEC LA COUR DE FRANCE 99

représenter ce qui s’était passé, et nous avons tâché de les consoler.


Et ayant fait venir le dit Consul et le Consul anglais, les anciens
traités ont été examinés, et n’ayant point trouvé d’autres droits
écrits que ceux qui ont été perçus ci-devant, le dit Consul s’est
fâché et a insulté les dits marchands en notre présence. Et l’ayant
vu, outre cela, faire des choses qui ne conviennent point aux deux
États, il m’a été impossible de tolérer ces choses et de patienter
davantage. C’est ce qui m’a engagé à écrire cette lettre à Votre
Majesté, espérant que vous voudrez bien ordonner que le nommé
Monsieur Durand, qui était ici Chancelier du Consul, présente-
ment à Livourne(1), soit envoyé en cette Ville pour y être Consul,
d’autant qu’il a beaucoup d’expérience, qu’il sait les coutumes
de ce pays et qu’il s’est bien comporté avec les habitants, ayant
toujours ménagé avec droiture la conservation de la bonne intelli-
gence qui est entre nos deux partis. Ainsi nous espérons que Votre
Majesté voudra ordonner que le Consulat d’Alger lui soit donné.
Nous avons parlé cependant à Monsieur Duquesne(2), au sujet des
Algériens qui ont été pris avec leurs effets sous votre pavillon et qui
ont été faits esclaves en Sicile(3) ; néanmoins on n’en a eu aucune
____________________
d’arrêter le cours de ses insolences. » Il écrivait encore, dans un moment de désespoir,
que, sans argent comme sans crédit, il songeait sérieusement à abandonner la maison
consulaire et à se réfugier chez le Vicaire apostolique. Lettres de Baume du Conseil
de Marine, les 6 mai, 1er juillet, 10 et 25 août 1718. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
1. Baume avait remplacé le Chancelier Durand, qu’il accusait d’intriguer pour
avoir sa place, par Laugier, qui était tombé malade, puis par Thomas Natoire, ancien no-
taire à Marseille, « homme de bien, disait-il, et très propre dans ce pays », et qui plus tard
fut pris en flagrant délit de vol. Lettres de Baume au Conseil de Marine, les 28 février et
2 juillet 1718. Durand se rendait alors à Candie, où il venait d’être nommé en qualité de
Vice-Consul.
2. Voy. Lettres de Baume au Conseil de Marine, les 27 janvier et 1er juillet 1718,
dans lesquelles il rend compte de la mission de Duquesne-Monnier à Alger. Ce dernier,
nous dit le Consul, a promis aux Puissances tout ce qu’elles ont voulu. Il a fait renouveler
par l’ancien Dey Ali, le 26 janvier 1718, le traité de paix de 1689, et ses compagnons de
voyage, MM. Germain et d’Héricourt, n’ont eu comme lui qu’à se louer de l’accueil qui
leur a été fait.
3. « Le retardement de ces esclaves en Sicile fait le plus mauvais effet du inonde; les
Algériens disent qu’on les néglige et qu’on se moque d’eux. » Baume n’a pu répondre aux
reproches de Mohammed « que par ce que le Conseil lui a écrit tant de fois, que la France
faisait son possible pour les avoir ». On l’a menacé d’être rasé et mis à la chaîne, si les
100 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nouvelle. Il est surprenant et même fort déshonorant que ces per-


sonnes soient faites esclaves sous votre pavillon, et de plus nous
avons ouï dire qu’une partie de ces Algériens avaient été vendus
et que les autres avaient été mis aux galères. Nous attendons sur
cela une réponse décisive, n’ayant pas voulu même faire droit
sur les Espagnols qui sont entre les mains du Consul, votre sujet,
quoiqu’ils soient en notre puissance(1). Nous avons donné à Mon-
sieur Duquesne le nom de 7 esclaves dont il nous a promis la liber-
té avec les ordres de Votre Majesté(2), et quoique nous n’ayons eu
aucune réponse depuis son départ, nous espérons néanmoins que
Votre Majesté ordonnera leur liberté. Que Dieu Très-Haut nous
accorde à tous ce qui nous est le plus avantageux ! Ainsi soit-il !
Écrit le 7 de la lune de Chaban, l’an 1130, c’est-à-dire le 4
juillet 1718.
(Sceau)
MOHAMMED,
Dey de la Ville et Royaume d’Alger.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi.

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(3).

Alger, le 18 décembre 1719.

Au plus glorieux des grands Rois chrétiens, le plus majes-


tueux Monarque de la religion de Jésus, notre grand ami l’Em-
____________________
esclaves n’étaient pas restitués dans le délai de deux mois. Lettres de Baume au Conseil
de Marine, les 25 août, 23 septembre et 20 novembre 1717, 6 mai et 18 juillet 1718.
1. Lettres de Baume au Conseil de Marine, les 9 juin, 6 juillet et 9 octobre 1717,
et aux Députés de Marseille, le 15 août 1718. (Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 473 de l’Inventaire.)
2. Baume parle de la restitution de ces 7 esclaves, dont il donne les noms, capturés
sur un bâtiment appartenant aux Hollandais, avec lesquels la Régence était en guerre è
cette époque. Lettres de Baume au Conseil de Marine, le 27 janvier 1718, et du Conseil
de Marine à de Clairambault, le 14 mars 1716.
3. Archives de la Marine. (États barbaresques, 1719.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 101

pereur de France Louis, — dont Dieu conduise les pas à une heu-
reuse fin ! —
De la part du haut et puissant Prince Mohammed, Dey et
Pacha de la Ville et Royaume d’Alger en Afrique, appartenant
au Sultan Ahmed, lequel par la grâce du Très-Haut est notre Em-
pereur, serviteur des deux nobles Villes de La Mecque et Mé-
dine, Empereur des deux terres et des deux mers, Empereur, fils
d’Empereur, — dont Dieu conserve l’Empire jusqu’à la fin des
siècles ! —
Après vous avoir rendu les témoignages d’amitié qui nous
engagent à vous souhaiter un glorieux règne, nous vous dirons
avec toute sorte d’affection que, pendant celui du défunt Ali Pa-
cha, notre prédécesseur, vous avez envoyé un de vos sujets qui
est un de vos officiers généraux, nominé Duquesne(1), pour nous
donner des marques de l’estime que vous avez pour nous, en vous
conformant à vos prédécesseurs qui nous ont donné des preuves
de leur amitié pendant plusieurs années, et pour nous souhaiter
de conserver la bonne correspondance entre vos sujets et les nô-
tres. Il nous a marqué aussi que vous souhaitiez renouveler les
anciens traités pour affermir la paix qui est entre nous, contre
laquelle il vous a paru se former quelques difficultés, et que
vous aviez envoyé, de l’avis de Monsieur le duc d’Orléans, votre
oncle, Régent du Royaume de France, le sieur Dusault, auquel
vous aviez ordonné de nous entretenir au sujet de plusieurs affai-
res(2). Nous avons conféré avec lui, et avons reconnu qu’il était
____________________
1. Voy. p. 89.
2. La situation était devenue dangereuse pour nos intérêts. Baume exaspérait les
Puissances par ses emportements et par sa maladresse ; nos Concessions n’étaient plus
protégées ; les Anglais redoublaient d’efforts pour acquérir nos privilèges ; les infractions
aux traités se renouvelaient sans cesse, et la négligence apportée par le Conseil de Marine
dans l’envoi de présents de la part du nouveau Roi avait gravement compromis notre in-
fluence et le respect de notre pavillon. Dans ces dernières années, les corsaires avaient à
ce point ravagé la Méditerranée que les assurances maritimes étaient passées de 1 et demi
à 45 pour cent. La Cour n’avait donc pas de meilleur parti à prendre que de renvoyer à
Alger le vieux négociateur du traité de 1689. Voy. Instructions an sieur Dusault pour
passer à Alger, le 8 août 1719, — Mémoire de la Chambre de commerce de Marseille
remis à M. Dusault, Envoyé extraordinaire en Afrique, pour le renouvellement des traités
de paix arec les Deys, Deys et Milices d’Alger, Tunis et Tripoli, le 28 septembre 1719,
102 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

rempli de prudence, de capacité et de beaucoup de droiture. L’ef-


fet a surpassé même ce que l’on nous a marqué à son sujet, et
c’est ce qui nous a engagé à lui donner des marques particuliè-
res de notre estime et de la distinction que nous nous sommes
senti obligé de faire de lui avec les Ambassadeurs qui sont venus
ci-devant(1). Nous sommes très content de ses belles manières,
auxquelles nous avons répondu par les honneurs qui lui ont été
rendus. Il a réclamé plusieurs fois avec instance les Espagnols
qui sont ici(2), et nous lui avons toujours répondu que les dits Es-
pagnols ne seraient rendus que lorsque les Musulmans, qui ont
échoué en Sicile avec le pavillon de France, seraient ramenés
en ce pays(3), et que nous ne pouvions décider cette affaire que
lorsque les dits Musulmans seraient en liberté. Il a pris le terme
____________________
— Mémoire pour le Conseil de Marineconcernant les affaires du Consulat d’Alger, par
M. Laugier, le 9 septembre 1718, — Mémoire contenant les sujets de plaintes de la Com-
pag nie d’Afrique contre le Dey d’Alger, le 29 septembre 1717. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger.)
Dusault s’embarqua à Marseille, le 24 octobre 1719, avec 6 religieux empor-
tant des aumônes s’élevant à 150 000 l. pour le rachat des esclaves, son neveu, le sieur
Delane, 30 Turcs esclaves, 100 hommes d’équipage et de nombreux cadeaux. Il avait
prié M. de Riancé, Lieutenant général des galères, de lui donner le plus beau et le plus
grand vaisseau du port, avec un détachement de 28 soldats commandés par 2 sergents,
« pour fortifier son armement et faire sa négociation avec décoration ». Il arriva le 2
novembre; le Dey l’accueillit fort bien, et fit porter à son bord, pendant 3 jours, « 1
bœuf, 9 moutons, 2 sacs de pains et des herbages ». Après deux ou trois audiences, il
écrivit à la Cour qu’il avait renouvelé les traités de paix « avec toutes les conditions
nécessaires pour la tranquillité du commerce des sujets de Sa Majesté ». — Voy. Arti-
cles et conditions de paix accordés par Dusault, Envoyé extraordinaire et plénipoten-
tiaire, aux très illustres Pacha, Dey, Divan et Milice d’Alger, les 7 décembre 1719 et
20 février 1720. Les originaux de ces traités sont aux Archives des Affaires étrangères,
salle des Traités.
Le P. Comelin, qui accompagna Dusault en Barbarie, a raconté, dans son Voyage
pour la rédemption des captifs en 1720, le départ de notre Ambassadeur et son séjour à
Alger ; il nous a donné la description de l’hôtel où il descendit et le récit complet de ses
négociations. Celles-ci nécessitèrent une dépense de 364 500 l. (Ordonnance du 29 juillet
1719.) — Voy. Lettres de Baume et de Dusault au Conseil de Marine et à l’abbé Dubois,
de 1719 à 1721. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives colonia-
les de la Marine, Compagnies du Bastion de France, 1639-1731.)
1. MM. Duquesne-Monnier et de Maillet.
2. Voy. la note 3, p. 94.
3. Lettre de Baume aux Députés du commerce de Marseille, le 22 mai 1719. (Ar-
chives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 473 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 103

d’une année pour s’appliquer avec soin et travailler en faveur de


la liberté des Turcs, aux conditions qu’au cas qu’il ne puisse faire
rendre les dits Turcs dans l’espace d’une année, cela ne donnera
aucune atteinte au traité de paix qui est entre nous, et qu’on ne
pourra de part et d’autre rien répéter sur ce sujet. Et en consi-
dération de l’amitié qui est entre Votre Majesté et nous, la dite
condition a été insérée par addition aux traités de paix qui ont été
renouvelés. Nous espérons néanmoins que Votre Majesté voudra
bien confirmer la promesse qui nous a été faite par son Ambas-
sadeur, en interposant son autorité pour faire mettre les dits Mu-
sulmans en liberté.
Un de vos sujets, nommé Baume, a manqué en plusieurs oc-
casions, et a omis les soins qu’il devait apporter pour conserver et
affermir la paix et la bonne correspondance qui est entre vos sujets
et les nôtres(1). Il n’a point imité les Consuls qui ont été ses prédé-
cesseurs, particulièrement Monsieur de Clairambault, lequel s’est
comporté ici avec prudence, et qui, instruit des manières du pays,
s’est attiré l’estime de toute la République, et même Monsieur
Durand, qui était son Chancelier(2), et qui s’est acquis la même
estime de tous en général pendant plusieurs années. Le dit Baume
s’est écarté de leur sentier ; c’est ce qui a engagé votre Envoyé
extraordinaire et plénipotentiaire à le renvoyer(3). Le dit Monsieur
____________________
1. Baume avait peu d’expérience, un caractère inquiet et ombrageux, et de plus il
ne cherchait pas, comme la plupart de ses prédécesseurs, à dissimuler aux yeux des Algé-
riens la pénurie d’argent dans laquelle les Députés et les Échevins de Marseille abandon-
naient leurs préposés. Ce malheureux Consul s’était vu traiter de « chien » publiquement,
et n’avait plus aucun moyen de se défendre « contre cette vile canaille ». Lettres de Baume
au Conseil de Marine, les 18 juillet, 5 août, 21 décembre 1718 et 14 septembre 1719. Voy.
État de la dépense faite par le sieur Baume pour la nourriture, logement, hardes, usten-
siles et autres secours nécessaires, fournis à 118 Espagnols du 11 avril 1717 au 1er juin
1718, jour auquel Duquesne-Monnier lui a ordonné de les remettre à l’administrateur de
l’hôpital d’Espagne. La somme avancée par Baume s’élevait de ce chef à 16 466 l. Voy.
aussi État des présents du sieur Baume, Consul de la nation française d Alger, de mars
1717 à juin 1718. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. la note 1, p. 99.
3. Baume avait demandé le Consulat de Gènes « pour adoucir ses chagrins ». On
le nomma Consul à Candie, puis à Alexandrie. Lettre de Baume au Conseil de Marine, le
8 novembre 1718.
104 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Durand, à notre considération et à notre prière, nous a été accordé


pour Consul(1) et l’agent du Bastion(2) a été chargé des fonctions
du Consulat par Monsieur Dusault jusqu’à l’arrivée du sieur Du-
rand, lequel nous vous prions d’envoyer ici au plus tôt. Nous
envoyons à Votre Majesté un état ci-inclus, en faveur de 11 es-
claves turcs dont les noms sont marqués dans le dit état, et nous
espérons que vous ordonnerez qu’ils soient mis en liberté. Votre
Envoyé extraordinaire nous a remis vos riches et magnifiques
présents et les esclaves turcs que vous avez envoyés(3), et nous
avons reçu le tout avec l’agrément dû à ce qui est émané de votre
part. Nous vous envoyons 3 chevaux, lesquels nous vous prions
d’agréer, et, pour donner à Votre Majesté des marques de no-
tre estime particulière, nous lui envoyons 4 esclaves chrétiens
lesquels sont Français. Nous souhaitons que la paix et la bonne
correspondance renouvelées soient affermies et toujours solides
entre vos sujets et ceux de la République, et qu’elles ne souffrent
jamais d’altération.
A Alger la bien gardée, le 7 de la lune nommée Safer, l’an
de l’hégire 1132, qui est le 18 décembre 1719.
(Sceau)
MOHAMMED,
Dey de la Ville d’Alger d’Afrique la bien gardée.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 20
décembre 1719.
____________________
1. Il ne fut officiellement nommé que le 19 mars 1720, et n’entra en fonctions que
le 20 novembre suivant. Lettre de Durand au Conseil de Marine, le 21. novembre 1720,
contenant les détails de son installation.
2. Lazare Loup, qui exerçait depuis dix ans la charge d’agent général de la Com-
pagnie d’Afrique à Alger. Lettre de Loup au Conseil de Marine, le 21 décembre 1719.
3. Dusault avait offert au Dey et aux principaux officiers du Divan, indépendam-
ment des 30 Turcs de Marseille, une bague ornée d’une topaze, un sabre garni d’émerau-
des, 3 câbles, 27 fers de lance, 30 canons de fusil, de nombreuses pièces de drap rouge,
2 vestes de drap d’or, des montres, des lunettes d’approche, en échange desquels il avait
reçu quelques couvertures de laine, des peaux de tigre et de lion, des ceintures et des
mouchoirs brodés.
AVEC LA COUR DE FRANCE 105

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 9 mai 1720.

De la part du pauvre Mohammed, fils d’Hassan, présente-


ment Dey d’Alger, Ville militaire pour le service de Dieu et qui
fait partie des États du Grand Seigneur, notre Empereur, par la
grâce et protection de Dieu Ministre des deux nobles temples de
Jérusalem et La Mecque, Souverain des deux termes de la Tur-
quie asiatique et européenne et des deux mers, la Méditerranée et
la mer Noire, Empereur, fils d’Empereur, Ahmed, — que Dieu
conserve jusqu’au jour du jugement ! —
Après avoir fait en ami des prières pour l’Empereur de
France Louis, la gloire des Souverains et le plus distingué d’en-
tre les Princes chrétiens, notre très grand ami, je souhaite de
savoir premièrement l’état de la santé de Votre Majesté, et je
fais des vœux pour qu’elle se maintienne dans l’état de grandeur
où elle est, sans cesser jamais d’être sur le trône de la Royauté.
Amen !
Le sieur Dusault, ci-devant Envoyé extraordinaire vers
nous de la part de Votre Majesté, étant arrivé ici, a renouvelé,
conformément aux ordres qu’il avait, les traités de paix et les
a confirmés beaucoup plus solidement qu’ils n’étaient aupara-
vant(2). Il s’est conduit aussi bien que nous avec droiture et régu-
larité. Le dit Envoyé voulant passer à Tunis(3), on lui a remis en-
tre les mains les esclaves que nous avons délivrés pour l’amour
de Votre Majesté, aussi bien que d’autres présents que nous lui
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 291.)
2. Voy. la note 2, p. 101.
3. Lettres du Conseil de Marine à Dusault, les 24 mars et 22 avril 1720, approu-
vant sa conduite à Alger, et lui donnant l’ordre de s’entendre avec M. Hocquart, Intendant
de la Marine à Toulon, pour son voyage à Tunis et à Tripoli. « Le Régent espère que vous
finirez vos négociations avec le même succès avec les Puissances de ces Régences. »
106 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

envoyons(1), le tout en bon état, et nous espérons qu’à son arrivée


Votre Majesté les acceptera. Il a demeuré ici jusqu’à présent par
rapport à certaines affaires particulières, et, à son départ, nous
avons délivré 40 esclaves français et nous les lui avons remis
entre les mains; nous souhaitons qu’elle en soit satisfaite. Nous
avons donné au dit sieur Dusault un mémoire des noms des 40
esclaves musulmans que nous avons demandés ci-devant à Votre
Majesté pour en obtenir la délivrance, que nous souhaiteras fort.
Tous les services que Votre Majesté demandera de nous dans
ces côtes ne dépendent que de ses ordres. Notre amitié avec vous
et avec vos ancêtres dure depuis longtemps, et à présent elle est
bien plus étroite qu’elle ne l’a jamais été.
Votre Majesté aura la bonté de s’informer auprès du susdit
Envoyé si nous avons fait la moindre chose contre les traités qui
sont entre nous. Que Dieu nous en préserve !
Écrit dans le mois de Redjeb, l’an de l’hégire 1132, c’est-à-
dire le 9 mai 1720.
(Sceau)
MOHAMNED,
Dey de la Ville d’Alger d’Afrique.

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE TOULOUSE, AMIRAL DE FRANCE(2).

Alger, le 9 mai 1720.

Son Excellence très fortunée Mohammed, Pacha et Gouver-


neur d’Alger, Ville militante pour le service de Dieu et qui fait
____________________
1. Ces présents consistaient uniquement en 3 chevaux barbes de fort belle qualité.
Lettre de Dusault au Conseil de Marine, le 27 décembre 1719.
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, BT 291.) Après la mort de Louis
XIV (1er septembre 1715), la Régence constitua divers Conseils, destinés à remplacer les
Secrétaires d’État et à administrer les affaires jusqu’à la majorité de Louis XV, en 1723.
Le Conseil de Marine, institué par ordonnance royale du 3 novembre 1715, était composé
du maréchal d’Estrées, Président, du maréchal de Tessé, du marquis de Coëtlogon, de
MM. de Bonrepos, Ferrand, de Vauvré, de Clairambault et La Chapelle. Aux termes de
AVEC LA COUR DE FRANCE 107

partie des États du Grand Seigneur, notre Empereur, et par la


grâce et protection de Dieu Ministre des deux nobles temples,
Souverain des deux terres et des deux mers, Empereur, fils
d’Empereur, Ahmed, — que Dieu conserve jusqu’à la fin des
siècles ! —
Après avoir fait en ami des prières pour Louis-Alexandre de
Bourbon, Amiral de France, notre ami, je souhaite de connaître
l’état de sa santé et je fais des vœux pour qu’elle se maintienne
pour le haut service de Sa Majesté. Ainsi soit-il !
Le sieur Dusault, ci-devant Envoyé extraordinaire et plé-
nipotentiaire vers nous de la part du Roi de France, étant arri-
vé ici, a renouvelé les traités de paix conformément aux ordres
qu’il avait et les a confirmés plus solidement, ne laissant rien qui
soit entre les deux partis l’objet d’un litige(1). En cette affaire on
s’est conduit de part et d’autre avec droiture et loyauté. Le susdit
Envoyé nous a entretenu de vos bonnes dispositions et de votre
affection cordiale pour nous; en l’écoutant nous avons éprouvé
les mêmes sentiments pour vous. Nous aurons recours à vous,
par l’intermédiaire de l’Envoyé susdit, pour les choses dont nous
aurons besoin ici; pour tous les services que vous demanderez
dans la Régence, vous n’aurez qu’à nous les indiquer.
Lorsque le susdit Envoyé est parti pour Tunis, nous lui avons
remis un cheval pour vôtre Seigneurie ; veuillez l’accepter. Il est
resté ici jusqu’à présent pour régler certaines affaires particuliè-
res, et, à son départ, nous avons délivré 10 esclaves français et
nous les lui avons remis entre les mains, par amour pour Sa Ma-
jesté. Veuillez demander au Roi de vouloir bien nous envoyer 100
pièces de toile à voile. Nous vous en remercierons et nous vous
en tiendrons compte. Nous espérons également que vous vou-
drez bien faire agréer au Roi l’élargissement des 10 prisonniers
____________________
cette ordonnance, le comte de Toulouse (Louis-Alexandre de Bourbon), Amiral de Fran-
ce, était membre de droit du Conseil de Marine, et le présidait quand il jugeait à propos
d’y assister. La correspondance était presque toujours revêtue de sa signature, en même
temps que de celle du maréchal d’Estrées.
1. Voy. la note 2, p. 101.
108 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

musulmans dont nous avons remis la liste à M. Dusault ; ce sera


une nouvelle preuve de votre amitié et une confirmation de la
bonne opinion que nous avons de vous.
Écrit le 1er de Redjeb, l’an 1132, c’est-à-dire le 9 mai 1720.
(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger la bien gardée.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV.

Alger, le 3 août 1721.

Mohammed, très haut, très puissant et très magnifique Vice-


Roi de la part de notre Empereur, qui, par le secours des miséricor-
des infinies de Dieu, est le rejeton de la Maison ottomane, le suc-
cesseur des grands Empereurs, le serviteur des deux nobles Villes
de La Mecque et Médine, l’Empereur des deux mers et des deux
terres, le Sultan, fils de Sultan, Ahmed toujours victorieux, — dont
Dieu veuille perpétuer l’Empire jusqu’à la fin des siècles ! —
Ayant rendu les devoirs d’amitié convenables à la Majesté
de l’Empereur de France, qui est la gloire des Princes de la nation
chrétienne, choisi pour être le Chef des Grands de la religion de Jé-
sus et notre parfait ami, nous nous informons de l’état de sa santé, et
lui souhaitons toute sorte de bonheur, de gloire, de prospérité et un
très long règne. S’il s’informe de l’état de la nôtre, nous lui dirons
qu’elle est, grâce à Dieu, parfaitement bonne, et que nous sommes
toujours disposé à garder inviolablement les articles des traités qui
ont été faits entre nous depuis si longtemps, et à persévérer dans
l’étroite union nécessaire pour le repos des sujets des deux partis(1).
____________________
1. Le marquis de La Varenne avait passé à Alger, avec son escadre, quelque temps
auparavant, et il avait été saluer le Dey qui l’avait gracieusement accueilli. Lettres de
Durand au Conseil de Marine, les 11 et 21 novembre 1720.
AVEC LA COUR DE FRANCE 109

Nous dirons aussi à Votre Majesté que l’un de ses sujets,


nommé M. Dusault, envoyé de sa part en ces quartiers, y est arrivé
chargé de vos ordres et a renouvelé et augmenté les Capitulations
ci-devant faites avec vous(1), afin qu’à l’avenir elles fussent régu-
lièrement observées envers vous et vos sujets marchands ou autres;
il a aussi renouvelé les passeports, et il a convenu avec nous d’un
terme en faveur des bâtiments français éloigné des terres de votre
dépendance(2). Après quoi le dit sieur Dusault est parti d’ici, le
terme dont nous étions convenu avec lui étant expiré. Quelques-
uns de nos corsaires, ayant rencontré un de vos bâtiments et ne
lui ayant point trouvé de passeport, se sont emparés des marchan-
dises et effets qui étaient dans le dit bâtiment, et, l’ayant amené à
Alger, nous ont remis le bâtiment avec son nolis et son équipage.
Or, suivant ce dont nous étions convenu avec le sieur Dusault,
le bâtiment et l’équipage nous appartiennent. Néanmoins, pour
affermir l’amitié qui est entre vous et nous, nous vous avons fait
rendre le bâtiment et l’équipage, comptant que vous nous en aurez
une très grande obligation. Cependant le sieur Durand, Consul de
Votre Majesté en cette Ville, s’étant présenté devant nous, nous
a fait voir un papier entre les mains du Capitaine du dit bâtiment,
disant que ce papier est de la part de Votre Majesté, et préten-
dant même nous chercher querelle et nous intenter un procès,
et, dans un Conseil qu’il a tenu avec nous, il nous a demandé
permission de mettre au papier en question la marque des pas-
seports. Cette affaire nous a paru très difficile, d’autant qu’après
le renouvellement des passeports et la fin du terme accordé aux
bâtiments qui étaient éloignés, nous avons cru qu’il ne restait
plus de cause de refroidissement ni d’altération à l’amitié qui est
entre nous. Cependant nous voyons que si l’on accorde la de-
mande de votre Consul, ce sera un sujet de nouvelles brouilleries.
____________________
1. Voy. p. 102.
2. Duquesne-Monnier avait proposé au Dey, qui l’avait accepté, de faire délivrer
de nouveaux congés aux armateurs français naviguant dans la Méditerranée. Le Conseil
de Marine avait décidé, de son côté, que les anciens passeports délivrés par l’Amiral de
France seraient renouvelés à partir du 1er juin 1719. Lettres de Baume au Conseil de Ma-
rine, les 25 septembre et 10 octobre 1718, 22 mai et 14 septembre 1719.
110 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Afin de couper court à toutes les difficultés, nous avons pris le


parti d’écrire à Votre Majesté, dans l’espérance qu’à l’arrivée
de notre lettre elle connaîtra que nous ne consentons nullement
à la proposition qui nous a été faite par son Consul, et que nous
sommes très disposé à observer avec la dernière régularité les
traités et Capitulations que nous avons faits avec Votre Majesté.
Elle doit même être informée que, du temps de ses prédécesseurs
comme à présent, ni nous ni nos sujets n’avons jamais rien fait de
contraire aux dites Capitulations.
Les sujets de Votre Majesté n’en agissent pas de même avec
nous, car ci-devant quelques-uns de nos pèlerins ayant été pris sous
votre bannière et menés en Sicile(1), votre Consul en cette île(2) de-
manda les effets qu’ils avaient entre les mains, sous prétexte de
les leur sauver, mais il les trompa et s’empara des dits effets. C’en
était déjà trop cependant que nos pèlerins tombassent en esclavage
sous votre bannière. Il n’appartenait pas à votre Consul de s’em-
parer de leurs effets dans le temps que nous sommes en paix avec
vous. Nous ne doutons pas même que Votre Majesté ne soit très
mal satisfaite d’un semblable procédé. Cependant, bien que nous
ayons attendu jusqu’ici à l’en informer, il n’est pas douteux qu’elle
n’ait appris le tout par quelque autre voie, et c’est ce qui fait que
nous sommes demeuré jusqu’ici dans l’attente que Votre Majesté
fasse rendre aux pèlerins musulmans les effets qui leur ont été pris.
Voyant néanmoins qu’il n’en était fait aucune mention, après avoir
plusieurs fois sollicité vainement votre Consul en cette Ville pour
cette affaire, nous avons été contraint de vous le faire savoir.
Outre cela, une caravelle algérienne ayant été rencontrée, il
y a déjà quelque temps, en mer par un bâtiment français, le dit bâ-
timent a canonné et a même tué plusieurs hommes(3). Or comme
nous ne doutons nullement que Votre Majesté ne soit très bien
informée, par d’autres endroits, que quand de ses bâtiments en
rencontrent des nôtres, bien loin d’observer envers eux comme
____________________
1. Voy. la note 2, p. 93.
2. M. Lespinard.
3. Voy. Procès-verbal de chancellerie dressé à Alger par Durand, le 11 février
1718. (Les Archives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 27.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 111

de coutume les règles de l’union et de l’amitié; ils les canonnent


sans même les prévenir de paroles, leur tuent du monde de leurs
équipages et leur endommagent leurs manœuvres, nous avons
attendu jusqu’à présent à l’en informer par nous-même. Présen-
tement que nous l’avons fait, comme nous savons que Votre Ma-
jesté ne consent nullement à tout cela, les affaires sont en bon
chemin, car nous espérons qu’elle aura égard à l’ancienne amitié
qui est entre elle et nous, et qu’elle défendra à ses sujets de com-
mettre à l’avenir de semblables actions.
De plus, un bâtiment français ayant ci-devant été trouvé
sans passeport par nos vaisseaux, il a été amené à Alger, où, sui-
vant les accords passés entre nous, les effets et marchandises du
dit bâtiment ont été saisis. Nous aurions voulu payer le nolis au
Capitaine, suivant le marché que nous avions trouvé fait et passé
avec lui, mais le dit Capitaine ayant fait difficulté de le recevoir,
nous en avons encore jouté autant par-dessus, et, malgré cela, il
est parti sans vouloir toucher un sol. Ce que voyant, nous avons
pris 800 piastres entières pour le nolis et les avons mises en dépôt
dans un endroit, en attendant que nous puissions savoir vos inten-
tions là-dessus. Si le dit Capitaine eût demandé davantage dans
ce temps-là, nous aurions augmenté la somme jusqu’à ce qu’il
eût été satisfait, mais à présent les partages sont faits et chacun a
pris sa part des marchandises ; ainsi nous sommes prêt à remettre
800 piastres entières à la personne qui nous sera indiquée par un
ordre de Votre Majesté, mais il nous est absolument impossible
de donner plus que cette somme(1).
Écrit le 9e jour de Choual, l’an de l’hégire 1133, c’est-à-
dire un des premiers jours d’août 1721.
(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 31 mars 1711.
____________________
1. Voy. Procès-verbal de la chancellerie dressé à Alger par Baume, le 2 mars
1718. (Les Archives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 28.)
112 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

LOUIS XV
A MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 27 décembre 1721.

Illustre et magnifique Seigneur,

Nous avons reçu la lettre que vous nous avez écrite(1) et


nous avons vu avec plaisir la justice que vous avez rendue sur
les instances qui vous ont été faites par notre Consul, en lui fai-
sant remettre les 33 Français amenés à Alger par les corsaires qui
avaient enlevé le vaisseau La Ville de Cette(2), dont ils faisaient
partie de l’équipage, et qui a été repris sur eux par le Comman-
dant d’une escadre hollandaise, puisque vous avez reconnu qu’il
n’y avait eu nulle raison de la part des corsaires d’arrêter ce bâ-
timent, et que le Capitaine était muni d’un passeport en bonne
forme. Nous espérons que vous renouvellerez vos ordres pour
empêcher qu’aucun retombe dans une pareille erreur, puisque ces
sortes d’incidents, contraires à la bonne intelligence que nous
voulons maintenir avec la République d’Alger, ne pourraient ser-
vir qu’à la troubler et à causer de la perte tant au commerce de
nos sujets qu’aux armateurs algériens, par les restitutions qu’ils
seraient obligés de faire en arrêtant les bâtiments français contre
la disposition des traités. A l’égard des Algériens qui se sont trou-
vés sur la prise, lorsqu’elle a été enlevée par les Hollandais, nous
en faisons demander la liberté avec instance, de même que la
restitution du vaisseau et de son chargement. Nous n’oublierons
rien pour y parvenir, quoique ce soit par la faute de vos corsaires
que cette disgrâce leur est arrivée, et le Consul aura soin de vous
informer du succès de vos diligences, mais nous estimons que ce
qui vous a été rapporté, que les Français ont donné lieu aux Hol-
landais de prendre le vaisseau, n’est ni vrai ni possible ; peut-être
____________________
1. Voy. p. 108.
2. Lettre de Loup au Conseil de Marine, le 29 janvier 1720. (Archives de la Cham-
bre de commerce de Marseille, S. AA, 474 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 113

qu’il leur était plus avantageux d’aller à Alger, où ils auraient


été relâchés, que de s’exposer, en tombant entre les mains des
Hollandais, aux difficultés qu’on en peut essuyer. Ces Français
n’étant que 5 en nombre, avec 27 Algériens, n’auraient pu rien
tenter contre la volonté de ces derniers.
Notre Consul nous a fait savoir que vous aviez agréé que
son Chancelier(1) passât à Oran, pour y exercer l’emploi de Vice-
Consul de la nation française, suivant le brevet que nous lui en
avons accordé(2). Nous vous prions de lui donner une lettre de
votre part pour le Bey de cette ville, et de lui recommander de le
protéger dans l’exercice de ses fonctions, de même que les Fran-
çais qui pourront s’y établir. Nous vous souhaitons au surplus
toute la prospérité que mérite votre personne, pour laquelle nous
aurons toujours toute l’estime et l’affection qu’elle peut attendre
de notre sincère et parfaite amitié.
Écrit en notre château impérial, à Paris, le 27 décembre 1721.
Louis.

LE COMTE DE TOULOUSE, AMIRAL DE FRANCE,


A MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 27 décembre 1721.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Le Conseil de Marine s’est fait beaucoup de peine de ren-


dre compte à M. le Régent de la nouvelle contravention qui a été
commise par deux de vos reïs, en arrêtant, contre la bonne foi des
____________________
1. Thomas Natoire.
2. Dusault avait obtenu cette autorisation au moment où il était venu renouveler
les traités de paix, mais le Dey n’avait pas tardé à se déjuger, et à refuser obstinément à
Natoire la permission de se rendre à son nouveau-poste. Lettres du Conseil de Marine aux
Députes de Marseille, le 21 décembre 1721, et de Natoire au Conseil de Marine, le 1er
mars 1722. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 21 de l’Inven-
taire, et Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
114 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

traités, un navire français nommé La Ville de Cette, qui a été re-


pris sur eux par deux vaisseaux d’une escadre hollandaise, mais
il a eu du plaisir de voir ensuite que vous aviez désapprouvé leur
procédé, et que vos intentions sont de maintenir la bonne intelli-
gence qu’il y a entre les deux nations(1). Vous verrez par la lettre
de l’Empereur de France, qu’il vous envoie(2), que les sentiments
de Sa Majesté sont les mêmes. Elle a cru, en vous l’adressant,
devoir vous assurer qu’elle ne manquera en rien à tout ce qui
pourra entretenir la bonne correspondance des Français avec les
Algériens, et qu’elle conservera pour votre personne et pour la
République toute la considération qui leur est due, vous priant,
très illustre et magnifique Seigneur, d’en être bien persuadé.

LOUIS-ALEXANDRE DE BOURBON.

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV.

Alger, le 5 mars 1722.

Dieu Tout-Puissant, par la grâce et le secours duquel no-


tre Empereur, le rejeton de la magnifique famille ottomane et le
successeur des grands et illustres Empereurs, le Sultan Ahmed,
gouverne de si vastes pays, veuille perpétuer son kalifat jusqu’au
jour du jugement !
Le très haut, très puissant Mohammed, Pacha, Gouverneur
de la place de guerre d’Alger la bien gardée, au plus grand des
Princes de la nation chrétienne, l’élite des Potentats de la religion
de Jésus, notre très cher ami l’Empereur de France.
Après avoir présenté à Votre Majesté les vœux et les res-
pects auxquels nous engage l’amitié qui est entre nous, nous nous
____________________
1. Lettres de Durand au Conseil de Marine et au comte de Maurepas, les 3 juillet
1722 et 13 septembre 1723.
2. Voy. p. 112.
AVEC LA COUR DE FRANCE 115

informons, avant toute chose, de l’état de votre santé, et nous


faisons des vœux continuels pour la continuation de votre gran-
deur et de votre prospérité et pour votre affermissement sur votre
trône impérial.
Si vous vous informez de l’état de nos affaires, nous vous
dirons, comme à notre parfait ami, que, grâce au Seigneur, nous
sommes en parfaite santé, et que notre principale occupation est
le souvenir agréable de nos amis, particulièrement le vôtre.
Votre Majesté doit avoir été informée que lorsque les sieurs
Duquesne et Dusault sont venus ici de sa part(1), pour renouve-
ler les traités qui sont le maintien et l’affermissement de la paix
et de la bonne intelligence qui règne entre nous depuis si long-
temps, non seulement nous avons observé de garder en toutes
choses avec eux une conduite qui puisse être agréable à Votre
Majesté, et nous avons réglé à sa satisfaction toutes les affai-
res qu’ils ont traitées avec nous, mais nous étant tombé entre les
mains 12 Français qui avaient été pris par un bâtiment corsaire
du Roi de Maroc, nous les avons retirés des mains des Marocains
et nous vous les avons envoyés, ne doutant pas que cette action
ne vous soit très agréable(2). Dans le même temps, nous traitâmes
avec vos susdits Envoyés pour 12 ou 13 esclaves turcs qu’ils
s’engagèrent à obtenir de Votre Majesté et à nous envoyer(3), sur
quoi nous vous avons écrit pour vous informer de la parole qu’ils
nous ont donnée au sujet des dits esclaves, et nous avons chargé
de nos lettres les dits Envoyés. Mais nous voyons avec surprise
que nous n’avons, jusqu’à présent, reçu aucune réponse à cet ar-
ticle et que nous n’en avons même pas entendu parler. C’est ce
qui nous engage aujourd’hui à vous écrire cette lettre d’amitié,
à laquelle nous joignons un mémoire contenant le rôle des noms
des susdits esclaves, espérant qu’à notre considération, aussitôt
la présente reçue, vous les ferez mettre en liberté et nous les ferez
envoyer. Ce qui nous confirme dans l’espérance que Votre Ma-
jesté ne nous refusera pas cette grâce, c’est qu’il est important,
____________________
1. En 1718 et 1719. Voy. les notes 3, p. 96 et 101.
2. Lettre de Durand au comte de Maurepas, le 13 septembre 1723.
3. Lettre de Durand au Conseil de Marine, le 3 juillet 1722.
116 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pour le maintien de sa réputation parmi les étrangers, qu’elle


s’acquitte des paroles qui ont été données par ses Envoyés(1). Au
reste si Votre Majesté veut bien nous faire ce plaisir, nous lui en
serons très obligé, et nous ne manquerons pas de lui en témoigner
notre reconnaissance en des choses plus considérables. Nous la
prions d’être persuadée qu’elle n’aura qu’à nous en fournir les
occasions, que nous saisirons avec un véritable plaisir.
Écrit à la place de guerre d’Alger de Barbarie la bien gar-
dée, à la fin du mois de Djemazi-el-ewel, l’an de l’hégire 1134,
c’est-à-dire au commencement de mars 1722.
(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger d’Afrique.

Nous avions donné, il y a quelque temps, commission à un


marchand de vos sujets pour nous faire venir certaines choses
qui nous sont nécessaires(2). Le dit marchand, étant arrivé ici,
nous en a remis quelques-unes et nous a dit qu’il n’avait pas pu
apporter les autres, parce qu’il aurait eu besoin pour cela d’une
permission de votre part. C’est pourquoi nous vous prions ins-
tamment d’accorder au dit marchand toute permission de pren-
dre et de nous transporter toutes les commissions que nous lui
avons données, sans que personne lui puisse donner ni trouble ni
empêchement.
Traduit par PÉTIS De LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 1er avril 1722.
____________________
1. Nous avions les premiers à nous plaindre de la violation des derniers traités.
Voy. Mémoire des prises faites par les corsaires d’Alger sur les Français depuis le traité
renouvelé par Dusault, le 23 décembre 1721. (Archives de la Marine. Levant et Barbarie,
B7 291.)
2. Ce marchand se nommait Bernard Maichens, originaire du Languedoc. La ré-
colte des céréales ayant manqué cette année-là dans la Régence, il s’était entendu avec
MM. Bernage et Mithon, Intendants, pour faire passer à Alger, suivant le désir du Dey, 8
000 setiers de blé, et il avait obtenu, par l’entremise du Consul Durand, l’exemption des
droits de sortie pour ces fournitures. Lettres de Durand au Conseil de Marine, les 20 mai
1721, 28 février et 24 août 1722, et du Conseil de Marine au cardinal Dubois, premier
Ministre, le 14 octobre 1722.
AVEC LA COUR DE FRANCE 117

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 25 février 1723.

La gloire des Princes qui professent la loi du Messie, le


choisi entre les Grands qui observent la loi de Jésus, l’arbitre des
nations chrétiennes, Seigneur de majesté et d’honneur, patron de
louange et de gloire, l’exemple et le soutien des plus grands Em-
pereurs, notre puissant, très aimable et sincère ami l’Empereur
de France, — auquel nous souhaitons un heureux succès dans ses
entreprises et que le Grand Dieu dirige, suivant ses intentions,
dans le chemin du salut ! —
Après avoir assuré Votre Majesté de nos sincères sentiments
et de nos vœux pour la continuation de la bonne intelligence et
droite correspondance, en faveur de laquelle nous adressons jour
et nuit nos prières, nous pouvons vous marquer que jouissant d’une
santé parfaite, par la grâce du Roi qui est adoré, nous continuons
nos exactes attentions pour que les heureux traités qui sont entre
nous, soient régulièrement observés. Au reste, notre puissant Sei-
gneur et ami, le porteur de la présente lettre d’amitié, nommé Ber-
nard Maichens(2), qui est négociant français, nous ayant toujours
donné des preuves de sa probité, nous l’avons fait notre commis-
sionnaire par l’entremise de votre Consul qui est ici, et l’avons en-
voyé en France pour y faire certaines emplettes dont nous avons
besoin, si vous voulez le permettre. Nous espérons que, lorsque le
dit Bernard Maichens sera arrivé en France, vous ordonnerez qu’il
lui soit permis d’acheter les choses que nous lui avons recomman-
dées, lesquelles consistent en 10 000 mesures de blé, 600 quintaux
de poudre et 150 pièces de toile pour faire des voiles, et que per-
sonne ne s’opposera à la cargaison qu’il fera des dits effets pour
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 291.)
2. Voy. la note 2, p. 116.
118 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

les conduire à notre secours(1). Nous avons ci-devant demandé à


Votre Majesté 13 esclaves turcs, dont 10 qui ont été envoyés sont
arrivés ici heureusement ; Cela nous a fait beaucoup de plaisir et
nous en remercions Votre Majesté. S’il y a quelque chose en quoi
nous puissions vous faire plaisir, au moindre signal de votre part,
vos intentions seront exécutées. Nous désirons que votre prospé-
rité et votre magnificence soient éternelles.
Écrit à la fin de la lune de Djemazi-el-ewel, l’an 1135, c’est-
à-dire le 25 du mois de février 1723.
(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 17 avril 1723.

MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE TOULOUSE, AMIRAL DE FRANCE(2).

Alger, le 25 février 1723.

Notre grand ami, depuis longtemps Amiral de l’Empereur


de France, Après vous avoir assuré d’une amitié convenable et
vous avoir souhaité toutes sortes de prospérités et d’honneurs,
par rapport à la part que vous prenez à ce qui nous regarde, nous
pouvons vous assurer que, par la grâce du Très-Haut, nous jouis-
sons d’une santé parfaite, que nous nous intéressons toujours à ce
qui regarde nos amis et particulièrement votre personne. L’Em-
____________________
1. la seconde commission de ce genre que le Dey confiait à Maichens. Le Conseil
de Marine avait appelé l’attention du cardinal Dubois sur les désirs de Mohammed, en le
priant de « considérer que les Puissances de Barbarie, avec lesquelles on avait des mé-
nagements à garder, étaient sujettes à prendre en aussi mauvaise part les retardements à
leur répondre que les refus qu’on pouvait faire de leurs demandes ». Lettres du Conseil de
Marine au cardinal Dubois, le 14 octobre 1722, et de Maichens au comte de Maurepas,
le 21 avril 1723. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 291)
AVEC LA COUR DE FRANCE 119

pereur de France a envoyé 10 esclaves turcs du nombre des 13


qui avaient été demandés, à quoi vous n’avez pas peu contribué.
Leur arrivée nous a fait un très grand plaisir, et nous en sommes
très obligé à l’Empereur de France et à vous aussi. Que le Très-
Haut soit votre récompense ! Les trois autres que nous avions de-
mandés sont arrivés quelque temps après que nous avons su que
vous aviez bien voulu nous les donner; nous vous en remercions
bien. Nous avons désigné le nommé Bernard Maichens pour no-
tre commissionnaire, lequel est un négociant français, et cela s’est
fait par la médiation de votre Consul qui est ici(1). Ayant besoin
d’un peu de blé, poudre et toile pour faire des voiles, le dit Ber-
nard Maichens a été envoyé en France pour en faire les achats,
et nous espérons que vous ne lui refuserez pas vos suffrages, tant
pour l’achat que pour l’envoi des dites choses(2). Vous pouvez
nous marquer ce que vous souhaitez en tout ce qui concerne les
affaires de ce pays qui peuvent nous regarder, et soyez persuadé
que ce que vous désirez vous sera accordé.
Écrit à la fin de la lune de Djemazi-el-ewel, l’an 1135, c’est-
à-dire le 25 du mois février 1723.
(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger d’Afrique.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 20 décembre 1719.
____________________
1. Durand n’avait pas tardé à regagner, grâces son expérience et à ses bonnes
manières, tout le terrain que Baume avait perdu précédemment en faisant le jeu des An-
glais. Ses plus graves difficultés lui venaient de la Chambre de commerce de Marseille,
qui ne lui faisait pas tenir régulièrement ses appointements, et qui lui disputait la pro-
priété de certains droits, perçus dans sa chancellerie. « Vous savez fort bien, Messieurs,
écrivait-il aux Échevins après avoir démontré l’insuffisance de ses ressources, que la
lésine avec laquelle M. Baume s’est conduit dans ce Consulat lui a attiré mille déboires
et mortifications, qui non seulement lui ont fait un tort considérable, mais encore ont été
très onéreux à la nation. » Lettres de Durand au Conseil de Marine, les 7 août 1721 et
28 février 1722, du Conseil de Marine à Durand, les 12 mai et 23 novembre 1722, et de
Durand aux peules de Marseille, le 28 février 1722. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 475 de
l’Inventaire.)
2. Voy. la note 1, p. 118.
120 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ABDI, DEY D’ALGER(1),


A LOUIS XV.

Alger, mai 1724.

(Sceau)

Abdi, Dey d’Alger de Barbarie la bien gardée, à l’Empereur


des grands Empereurs de toute la nation des chrétiens, le très haut,
très puissant, très glorieux et très magnifique Empereur de France
Louis, — dont Dieu veuille perpétuer la magnificence ! —
Après avoir rendu nos respects très humbles à Votre Ma-
jesté, comme une marque de la sincérité de notre amitié, nous
prions le Seigneur qu’il lui plaise de la conserver en continuelle
prospérité.
L’illustre et magnifique Seigneur vicomte d’Andrezel(2),
que Votre Majesté a envoyé en qualité d’Ambassadeur à l’Em-
pereur de la Porte ottomane, est passé par ici(3). Nous ne pouvons
____________________
1. Mohammed, ayant fait châtier quelques corsaires coupables de brigandage,
provoqua une révolte des Janissaires et fut assassiné le 18 mars 1724. Il fut remplacé par
l’Agha des spahis, Cur-Abdi, son ami intime. Voy. Détail de ce qui s’est passé à Alger
lorsqu’on a tué l’ancien Dey, mai 1724, — Mémoire sur les événements d’Alger en 1724.
(Archives des Affaires étrangères, Mémoires et Documents, Alger, t. XV et XVI.)
2. Picon, vicomte d’Andrezel, ancien Intendant à Perpignan, Ambassadeur à
Constantinople de 1724 à 1727.
3. Une escadre de quatre vaisseaux du Roi, sous les ordres de M. de Grandpré,
avait été chargée de visiter les Échelles du Levant et de Barbarie; elle parut dans la rade
d’Alger le 3 mai 1724. M. d’Andrezel, qui se rendait à Constantinople et qui avait pris
place sur Le Solide, commandé par M. de Beaucaire, descendit à terre le 8, et se pré-
senta au Divan avec un grand cérémonial. Le Dey fit servir le café, et l’Ambassadeur
lui offrit une belle montre en or qui fut reçue avec les plus vives protestations d’amitié.
Cur-Abdi témoigna même du plus ardent désir d’avoir de bons rapports avec la France,
et s’engagea formellement à faire respecter les traités. — Le même jour, une escadre
hollandaise de cinq vaisseaux, commandée par l’amiral Godin, vint faire la paix avec les
Algériens. Ceux-ci répondirent aux offres qui leur étaient présentées par des demandes
de tribut tellement exorbitantes que l’escadre se retira sans avoir pu tenter de négocier
plus longuement. Voy. Détail de ce qui s’est passé à Alger à l’arrivée de l’escadre du Roi
AVEC LA COUR DE FRANCE 121

exprimer à Votre Majesté combien nous avons été satisfait de la


manière obligeante et gracieuse avec laquelle il nous a parlé, et
des présents qu’il nous a remis de la part de Votre Majesté(1).
Nous supplions très humblement Votre Majesté d’être bien
persuadée que nous demeurerons très ferme dans l’observation
des traités qui sont depuis si longtemps établis entre nous, et
que, par la grâce de Dieu, il n’y a aucune apparence de change-
ment ni d’instabilité ni de notre part ni de celle du Divan et de la
Milice(2).
Après le départ de l’Ambassadeur de Votre Majesté, nous
lui avons écrit cette lettre pleine d’amitié. Nous espérons que
Votre Majesté voudra bien aussi donner ses ordres pour que les
traités soient observés de sa part avec la même exactitude, et que,
si quelques corsaires ont, même par le passé, commis quelques
contraventions aux traités, sur l’avis que nous en avons donné à
son Consul en cette Ville, elle fera punir les coupables.
Nous prions le Seigneur de nous procurer à tous les moyens
de faire le bien et de nous donner une fin heureuse(3).
Écrit au mois de Chaban, l’an 1136, c’est-à-dire en mai 1724.
____________________
commandée par M. de Grandpré, à l’audience de M. d’Andrezel, etc., — Mémoire sur
la mission de M. d’Andrezel auprès du Dey d’Alger, — Mémoire sur les négociations
d’Alger avec les Hollandais, — Lettre de Durand au comte de Maurepas, le 18 mai 1724.
(Archives des Affaires divan-géras, Consulat d’Alger, et Mémoires et Documents, Alger,
t. XV et XVI.)
1. Voy. la note 3, p. 120.
2. Durand était allé saluer le nouveau Dey « avec toute la nation », et lui avait
présenté 1 fusil, 2 pistolets, 6 pièces de drap écarlate, 8 pieds de drap vert, un cafetan
de brocart, des pommes, des confitures, des anchois et du Rossolis. De son côté le sieur
Huegla, agent des intéressés du Bastion de France à Alger, avait fait ratifier le traité relatif
aux Concessions d’Afrique.
3. Les correspondances de Cur-Abdi ne portent aucune signature. Son nom se
trouve dans le sceau que nous voyons en tête de quelques originaux, à l’exemple de plu-
sieurs de ses prédécesseurs. Les sceaux contenaient d’ordinaire une maxime du Coran
ou une invocation à Dieu. Quant à la place qu’ils occupaient, les Secrétaires-interprètes
avaient en vain, fait observer qu’il était plus respectueux de les apposer à la fin.
122 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ABDI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, mai 1724.

(Sceau)

Abdi, Dey d’Alger de Barbarie la bien gardée, au très haut,


très illustre et très puissant Seigneur comte de Maurepas, Minis-
tre très éclairé de l’Empereur de France.
Après avoir présenté à Votre Grandeur les marques de notre
sincère et véritable amitié, nous lui faisons savoir que l’illustre et
magnifique Seigneur vicomte d’Andrezel, envoyé en ambassade
à la Porte ottomane, ayant passé par ce pays et s’étant présenté
à notre audience, il nous a fait de votre part toutes les politesses
et les gracieusetés possibles(2). Après quoi ayant pris congé de
nous, il est parti pour se rendre où les ordres de l’Empereur, son
Maitre, l’appelaient, mais, avant son départ, nous l’avons chargé
de vous faire tenir cette lettre d’amitié.
Soyez persuadé que nous sommes dans une sincère inten-
tion de demeurer ferme dans l’exécution des traités que nous
avons depuis si longtemps avec vous, et que, tant de notre part
que de celle du Divan et de la Milice, il n’y sera, s’il plaît au Sei-
gneur, pas contrevenu en la moindre chose. Nous espérons que,
de votre côté ; vous voudrez bien observer la même exactitude
pour ce sujet.
Nous prions le Seigneur de nous procurer à tous les moyens
de faire le bien et de nous donner une fin heureuse.
Écrit au mois de Chaban, l’an 1136, c’est-à-dire en mai 1724.
____________________
1. A la majorité de Louis XV, le Conseil de Marine avait été supprimé au mois de
mars 1723, et le Département de la Marine avait été confié d’abord au comte de Morville,
jusqu’au 12 novembre 1723, puis au comte de Maurepas, fils de Jérôme Phélypeaux,
comte de Pontchartrain, qui l’avait dirigé jusqu’en 1715. Maurepas n’avait alors que 23
ans.
2. Voy. la note 3, p. 120
AVEC LA COUR DE FRANCE 123

ABDI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 9 mai 1724.

(Sceau)

Abdi, Dey d’Alger de Barbarie la bien gardée, au plus glo-


rieux Monarque de ceux qui observent la religion de Jésus, le
choisi entre les plus grands Princes qui professent les comman-
dements du Messie, l’arbitre de toutes les nations chrétiennes,
Seigneur et possesseur de majesté et d’honneur, rempli de louan-
ges et de gloire, notre puissant, aimable et sincère ami l’Empe-
reur de France, — auquel nous souhaitons une fin comblée de
bonheurs!
Après vous avoir assuré des sentiments qui nous engagent
à vous marquer les désirs que nous avons d’entretenir la bonne et
sincère correspondance, vous serez informé que votre Ambassa-
deur, destiné pour aller à la Porte ottomane remplie de prospéri-
tés, nous a fait connaître votre mécontentement de ce qu’il s’est
commis des contraventions aux traités de paix. Ce qui est passé
est passé; nous n’avions alors aucun pouvoir ni Commandement.
Et cependant le sieur Durand, qui est ici votre Consul, est témoin
qu’en plusieurs occasions nous l’avons aidé dans des affaires qui
regardaient vos sujets.
Mais à présent que le Dieu Très-Haut nous a confié le Gou-
vernement des affaires de ce pays, nous ordonnerons et règlerons
toutes choses nous-même avec attention, et, s’il plaît à Dieu su-
prême, notre intention sera toujours de maintenir la paix, en sorte
qu’il ne se fera rien qui ne soit convenable à la bonne et sincère
correspondance qui est entre nous. Que le Seigneur Tout-Puissant
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 448.) Les deux lettres précé-
dentes furent remises au vicomte d’Andrezel ; celle-ci et la suivante furent adressées
directement à la Cour aussitôt après le départ de cet Ambassadeur.
124 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

vous accorde ce qui vous est nécessaire en ce monde et dans


l’autre ! Au reste nous souhaitons que la bonne intelligence et
l’amitié qui est entre nous soient très durables.
Écrit le 15 de la lune nommée Chaban, l’an 1136, c’est-à-
dire le 9 mai 1724.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 13 juin 1724.

ABDI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAURERAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 9 mai 1724.

(Sceau)

Abdi, Dey d’Alger de Barbarie la bien gardée, au prudent


Ministre du plus glorieux Monarque entre ceux qui professent la
religion de Jésus.
Après vous avoir assuré de notre estime et parfaite considé-
ration, et de nos vœux sincères pour le maintien de la paix et de
la bonne correspondance, vous saurez que nous avons eu le plai-
sir d’apprendre de vos nouvelles par votre Ambassadeur destiné
pour aller à la Porte ottomane remplie de prospérités(2). Il nous a
dit que quelques personnes, qui sont sur nos vaisseaux, ont fait
des actions blâmables, envers vos navires et vos sujets. Si cela
est arrivé, ce n’a point été depuis que nous sommes en place, et
vous pouvez être assuré que pareille chose n’arrivera plus dans la
suite, s’il plaît au Dieu de miséricorde, tant à votre égard qu’en-
vers nos autres amis.
Votre Consul qui est ici peut rendre témoignage des secours
que nous lui avons procurés pour terminer et modérer les affaires
qui vous intéressent. Présentement, le Seigneur de l’univers nous
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 448.)
2. Voy. la note 3, p. 120.
AVEC LA COUR DE FRANCE 125

ayant confié la régie de tout ce qui concerne le Gouvernement


de ce pays, nous espérons que la bonne intelligence sera mieux
entretenue que ci-devant ; lorsqu’il s’agira de quelque affaire qui
vous regardera, ne manquez pas de m’en informer. Au reste, nous
désirons que le Seigneur Tout-Puissant fortifie de plus en plus la
bonne correspondance et la rende stable et solide, et qu’il vous
préserve de tout dommage en ce monde et dans l’autre. Soyez
bien persuadé de nos désirs sincères pour le maintien de la paix,
laquelle nous souhaitons voir durer toujours.
Écrit le 15 de la lune nommée Chaban, l’an 1136, c’est-à-
dire le 9 mai 1724.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 13 juin 1724.

ABDI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 21 juillet 1725.

(Sceau)

Abdi, Dey d’Alger de Barbarie la bien gardée, à celui qui


est la gloire des Princes qui suivent la loi de Jésus, le choisi entre
les Grands qui observent la religion du Messie, l’Empereur de
France, notre ancien ami, — dont la fin soit comblée de bon-
heurs ! —
Nous assurons Votre Majesté de nos sentiments sincères et
de nos vœux pour la continuation de la paix et de la bonne intelli-
gence. Nous ne pourrons assez exprimer la joie que nous a causée
l’arrivée des effets dont nous avions donné commission de fai-
re emplette au sieur Bernard Maichens, qui consistent en toiles,
boulets et mèches, Votre Majesté en ayant bien voulu permet-
tre l’achat. Nous souhaitons que Dieu augmente de jour en jour
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 291.)
126 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

la bonne intelligence qui est entre nous, et qu’il vous accorde ce


qui vous est avantageux en ce monde et en l’autre.
Il nous serait difficile vous marquer aussi combien nous
avons été sensible aux considérations particulières dont Votre
Majesté a donné des preuves, à l’occasion des cafés qui ont été
envoyés par le dit sieur Bernard Maichens, dont on n’a pris ni
douane ni aucun autre droit. Nous avions dit à M. Durand, votre
sujet, de faire venir 20 mâts de vaisseaux et 200 rames de galères,
au sujet desquelles il a fait ses représentations ; nous en avons
aussi écrit à Votre Majesté. Nous apprenons que vous avez bien
voulu permettre l’achat de ces effets(1) ; c’est une faveur et une
marque de sincérité que nous ne pouvions espérer que d’un grand
Monarque comme vous. Nous y sommes d’autant plus sensible
que nous sommes persuadé que c’est en considération de l’affec-
tion particulière que vous avez pour nous. Nous souhaitons avoir
occasion de vous prouver combien nous serons toujours disposé
à exécuter ce que vous désirez de nous. Nous entendons dire ici
que certains Génois et autres nations ennemies de notre Gouver-
nement, ayant obtenu des passeports à l’insu de Votre Majesté,
font le commerce dans nos ports et que d’autres se sont érigés en
corsaires. Nous demandons que ces sortes de nations étrangères
ne soient pas protégées, et que vous donniez vos ordres pour em-
pêcher que cela ne subsiste. Au reste, nous désirons que la bonne
intelligence qui est entre nous soit de longue durée.
Écrit dans la belliqueuse Ville d’Alger, le 11 de la noble lune
de Zilhidjé, l’an 1137, c’est-à-dire le 21 du mois de juillet 1725.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 30 septembre 1725.
____________________
1. Durand avait fortement insisté sur la nécessité d’être agréable aux Puissances
algériennes. « Le Dey, avait-il écrit à la Cour, serait bien mortifié si cette grâce lui était
refusée. Il mérite que l’on ait quelque attention pour lui, et il s’est exposé à faire cette
demande sur ce que M. d’Andrezel lui a promis que, pourvu qu’il correspondit à l’ami-
tié que le Roi voulait conserver avec la République, Sa Majesté lui accorderait tous les
secours dont il pourrait avoir besoin. » Lettres de Durand au comte de Maurepas et aux
Députés de Marseille, les 25, 28 mars et 10 mai 1724, 11 et 24 juillet 1725. (Archives des
Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de Mar-
seille, S. AA, 475 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 127

ABDI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 17 novembre 1726.

(Sceau)

Abdi, Pacha et Dey d’Alger de Barbarie la bien gardée, —


qui Dieu donne l’accomplissement de ses désirs ! — et le Chef
de tout le pays qui en dépend, qui est l’un des Royaumes de notre
Empereur Ahmed, — dont Dieu veuille perpétuer le Vicariat et
la prospérité jusqu’au jour du jugement !
Au plus glorieux des Princes de la nation chrétienne, l’élite
des Seigneurs de la religion de Jésus, Sa Majesté Louis, Empe-
reur de France, — dont Dieu augmente la gloire et donne une
heureuse issue à toutes ses entreprises ! —
Après avoir fait pour Votre Majesté les vœux et les sou-
haits auxquels l’amitié nous oblige, et prié le Seigneur de vous
ouvrir toutes les voies du bien et de vous les rendre faciles, nous
vous dirons, comme à notre parfait ami, qu’un bâtiment corsaire
s’étant brisé à Tanger, Ville de la dépendance du Roi du Ma-
roc, quelques Janissaires de notre Milice et quelques marchands
mahométans, qui étaient dans le dit bâtiment, partirent pour Al-
ger sur une barque française qu’ils nolisèrent. Mais, à la sortie
de Tanger, ils rencontrèrent deux galères d’Espagne, qui, sans
respect pour le pavillon et le passeport de France que portait la
dite barque, la saisirent, et, l’ayant conduite à Carthagène, firent
esclaves tous les Mahométans qui y étaient embarqués(2). Nous
ignorons les causes qui ont porté les Espagnols à commettre cette
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 303.)
2. Il s’agit d’une tartane appartenant au capitaine Augier, d’Agde. 56 Turcs, qui
s’y trouvaient, furent conduits à Malaga et non pas à Carthagène, selon la version du Dey.
Celui-ci fit mettre à la chaîne le Père administrateur de l’hôpital d’Espagne, le menaça
d’abattre les murailles de cet établissement, s’il n’intervenait pas pour obtenir la resti-
tution de ces Turcs, et contraignit notre Consul à réclamer ces derniers à l’Espagne, en
128 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

action, attendu que nous avons toujours gardé un respect invio-


lable pour votre pavillon et votre passeport, et qu’en toutes les
occasions où vous avez fait instance sur quelque affaire, nous y
avons eu tous les égards possibles et nous ne vous avons jamais
fait aucune difficulté mal fondée. C’est pourquoi, connaissant
parfaitement la probité de votre Consul en cette Ville, et avec
combien d’application et de zèle il travaille, en toute occasion, à
entretenir la paix et la bonne correspondance qui est entre vous
et nous(1), nous avons été sur le point de l’envoyer auprès de vous
pour vous bien informer des circonstances de l’affaire en ques-
tion. Mais nous en avons ensuite été retenu par la réflexion que
nous avons faite qu’il n’était pas à propos qu’étant parfaitement
satisfait de sa bonne conduite, nous l’obligeassions à quitter son
poste pour retourner auprès de vous sans votre permission. Au
surplus c’est à vous, notre sincère ami, à prendre le fait et cause
de votre pavillon et à en soutenir les droits, qui doivent être res-
pectés par toute la terre, et si, en cette occasion, vous paraissiez
tolérer et dissimuler, et si vous ne faisiez pas rendre les Maho-
métans qui nous ont été enlevés et ne les renvoyiez pas en notre
pays, vous détruiriez vous-même les privilèges de votre pavillon
et le respect qui lui est dû. Et comme nous espérons que vous ré-
tablirez l’honneur du dit pavillon, nous finissons en priant la di-
vine Majesté de faire que la paix et la bonne intelligence qui sont
entre nous soient toujours fortifiées et augmentées. Et le salut.
Écrit le 27 du mois de Rebi-el-ewel de l’année 1139, c’est-
à-dire le 17 novembre 1726, dans la Ville d’Alger en Barbarie la
bien gardée(2).
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 28 janvier 1727.
____________________
invoquant l’immunité dont le pavillon du Roi devait couvrir ses sujets. Lettres de Durand
au comte de Maurepas, les 5 et 29 août 1726.
1. Il se plaignait fréquemment à la Cour, malgré cette « application », du pressant
besoin d’argent dans lequel on l’abandonnait, et demandait « d’aller remplir quelque
autre Consulat plus tranquille dans le Levant ou dans la chrétienté », comparant les frais
et dépenses de son poste avec celui de Tunis, « où le Consul n’avait que sa maison à en-
tretenir, étant même logé gratis ». Lettres de Durand au comte de Maurepas, les 1er, mai
1724 et 11 juillet 1725.
2. Peu de temps auparavant, le comte de Somerdick, Vice-Amiral de Hollande,
AVEC LA COUR DE FRANCE 129

LE COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ABDI, DEY D’ALGER.

Marly, le 19 février 1727.

Très illustre et magnifique Seigneur,

J’ai lu à l’Empereur, mon Maître, la lettre que vous avez


écrite à Sa Majesté Impériale le 17 novembre dernier(1), au sujet
de la barque française nolisée de Tanger par des Turcs de la Ré-
publique et de celle de Tunis, pour les repasser avec leurs effets à
Alger, laquelle, ayant été rencontrée par deux galères espagnoles,
a été conduite et retenue pendant quelque temps à Carthagène(2).
Sa Majesté Impériale a senti comme elle le devait l’injustice de
ce procédé, contraire aux droits et aux privilèges de son pavillon,
mais, sur les plaintes qu’elle en a fait porter au Roi d’Espagne, ce
bâtiment, tous les Turcs et leurs effets ont été remis en liberté et
renvoyés à Alger(3). Elle aurait, au surplus, fort souhaité qu’un pa-
reil incident ne fût pas arrivé. Il lui a causé de la peine, et elle n’a
rien omis de ce qui pouvait dépendre d’elle pour le faire cesser, non
seulement parce qu’il n’était fondé sur aucune raison, mais encore
____________________
était venu à Alger avec huit vaisseaux de guerre, et avait offert la paix aux Puissances
moyennant un tribut annuel de 25 mâts de navires, 14 pièces de canon, 24 livres de bal-
les, 4 câbles, 400 quintaux de poudre, 400 lames de sabre et 400 paires de pistolets. Ces
conditions avaient été acceptées, et notre Consul Durand, rappelant en cette occasion que
les Algériens n’aimaient pas à avoir en môme temps la paix avec tous les pays, avait pro-
fité de la circonstance pour demander à la Chambre de Marseille « un envoi très opportun
de fruits, châtaignes, confitures et prunes de Brignoles », pour les officiers du Divan.
Lettres de Durand au comte de Maurepas et aux Députés de Marseille, les 29 août et 26
septembre 1726. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la
Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 475 de l’Inventaire.)
1. Voy. p. 127.
2. Voy. la note 2, p. 127.
3. Les Turcs et leurs marchandises, écrivit le Consul, sont arrivés le 8 janvier
1727. « Je ne saurais exprimer à Votre Grandeur la joie que le Dey et tous les Algériens
ont fait paraître en les voyant. » Durand n’a pas manqué de reprocher doucement à Abdi
les rigueurs exercées contre les religieux de l’hôpital d’Espagne, et il a fait remettre ces
derniers en liberté. Lettre de Durand au comte de Maurepas, le 8 janvier
130 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

parce qu’il intéressait les sujets de la République, Sa Majesté


Impériale entendant les faire jouir des privilèges et de la sûreté
de son pavillon toutes les fois qu’ils y auront recours. Le sieur
Durand, Consul, m’a prévenu du dessein que vous aviez eu de
le faire repasser en France, à l’effet de presser Sa Majesté Impé-
riale pour se faire rendre raison de l’injustice de la prise dont il
s’agit ; un pareil mouvement n’aurait pu manquer de faire croire
qu’il y aurait eu quelque altération à la paix et à la bonne corres-
pondance que Sa Majesté Impériale a dessein d’entretenir avec
la République d’Alger. J’y concourrai toujours de ma part, autant
qu’il pourra dépendre de ma bonne volonté, par les sentiments
d’estime et de considération que je conserve pour votre personne,
à laquelle je souhaite beaucoup de santé et un règne heureux et
tranquille. Je vous prie d’en être bien persuadé, et de croire que
je suis toujours,
Votre parfait et sincère ami.
MAUREPAS.

ABDI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV.

Alger, le 22 mars 1727.

(Sceau)

Abdi, Dey d’Alger de Barbarie la bien gardée, Comman-


dant et Gouverneur de la Ville et province d’Alger, l’un des pays
qui composent l’Empire du Sultan Ahmed, le conquérant qui est,
par le secours de la protection divine, l’Empereur des Musul-
mans et le soutien du monde. — Que Dieu Très-Haut perpétue sa
postérité jusqu’au jour du jugement ! —
A Louis, Empereur de France, notre parfait ami, — dont
Dieu augmente la gloire en le conduisant à la voie de la droiture, et
auquel il donne une fin heureuse dans toutes ses entreprises ! —
AVEC LA COUR DE FRANCE 131

Après avoir présenté à Votre Majesté les vœux les plus sin-
cères qui conviennent à notre amitié, nous être informé de l’état
de votre santé, et avoir prié le Seigneur de nous ouvrir à tous le
chemin du bien et de nous le faciliter, nous vous représentons,
comme à notre parfait ami, que nous avons reçu 41 mâts, 200 ra-
mes, 100 pièces de toile à voiles et 3 câbles, que vous nous avez
envoyés par le nommé Bernard Maichens(1), négociant, lesquel-
les choses M. Durand, votre Consul en cette Ville, nous a assuré
de votre part qu’elles étaient très nécessaires dans vos arsenaux,
et dont vous ne les avez fait tirer qu’à notre considération ; c’est
pourquoi nous informons Votre Majesté que nous en avons payé
sur-le-champ le prix au dit magasin. Nous aurions bien souhaité
marquer au dit négociant notre gratitude pour les bons offices
qu’il nous a rendus, en lui faisant quelque présent ou en lui don-
nant quelque poste qui lui soit avantageux, mais cela ne s’est
pas trouvé en notre pouvoir(2). Nous supplions Votre Majesté de
lui accorder deux grâces : la première est la croix de Saint-La-
zare, et la seconde une place ou un office qui soit à sa portée ;
vous nous obligerez d’autant plus, en le faisant, que ce négociant
nous a rendu un très grand service par le besoin extrême que
nous avions de ce qu’il nous a remis de votre part. C’est aussi ce
____________________
1. Maichens avait longtemps tardé à rapporter au Dey ses commissions. Dans son
désir d’être servi plus promptement, Abdi avait passé avec un Juif de Livourne, Abraham
Busnach, un contrat relatif à de nouvelles fournitures de mâts pour la Régence. « Le retar-
dement du sieur Maichens a engagé le Dey, écrivit le Consul, à passer cette convention. »
Durand paraissait inquiet de la tournure qu’allaient prendre les affaires de ce négociant,
dont les comptes avec le Dey pouvaient causer des embarras. Lettres de Durand au comte
de Maurepas, les 24 février et 25 mars 1724, 6 janvier et 11 juillet 1725, 9 mai 1726.
2. Maichens avait su profiter de la faveur du Dey, en obtenant la permission d’éta-
blir une maison de commerce à Oran. Jusqu’alors les Anglais seuls avaient joui du privi-
lège d’exploitation de cette place, et payé fort cher l’avantage de pouvoir approvisionner à
bon prix, sans concurrence, Port-Mahon et Gibraltar. Mais les manœuvres de leur Consul
avaient bientôt modifié les dispositions d’Abdi, qui avait fini par retirer à Maichens, sa
première autorisation. Voy. Lettre du comte de Maurepas aux Députés de Marseille, le 10
novembre 1728, contenant des instructions au sujet d’un projet d’établissement commer-
cial à Oran, —Mémoire sur le privilège excluait d’Oran en Barbarie, — Lettre de Durand
au comte de Maurepas, le 13 septembre 1723. (Archives des Affaires étrangères, Mémoi-
res et Documents, Alger, t. XV, f° 72, et Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de
commerce de Marseille, S. AA, 24, 30, et BB, 7 de l’Inventaire.)
132 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

qui nous porte à vous faire pour lui cette prière, que nous espé-
rons que vous ne nous refuserez pas, étant persuadé que vous
nous ferez un très sensible plaisir et que nous vous en serons
infiniment obligé. Au surplus nous prierons le Seigneur de main-
tenir et d’affermir l’amitié et la bonne intelligence, la paix et la
correspondance qui sont entre nous. Amen !
A Alger la bien gardée, l’an de l’hégire 1139, c’est-à-dire le
22 mars 1727.

ABDI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 1er août 1728.

(Sceau)

Abdi, Vice-Roi et Pacha de la Ville d’Alger d’Afrique, à la


gloire des Princes qui suivent la loi du Messie, le plus distingué
entre les Grands qui observent la religion de Jésus, notre grand
ami l’Empereur de France. — Que Dieu vous comble de gloire et
de félicité jusqu’à la fin de vos jours ! —
Nous vous présentons nos vœux pour votre conservation et
la continuation de la bonne intelligence. Que le Très-Haut nous
accorde ce qui nous est le plus avantageux !
Mon très heureux et très grand ami, nous avons appris qu’en
considération de la bonne intelligente qui est entre nous, vous
avez accordé, à notre prière, la grâce que nous avons demandée
en faveur du sieur Bernard Maichens, négociant, pour son voyage
à Hambourg, au sujet de quelques munitions de guerre dont notre
Régence a besoin(2). Il est vrai que les marques de l’estime singu-
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 303.)
2. Le neveu de Maichens, Dominique Peyrade, avait pu charger du blé à Oran
malgré le privilège exclusif des Anglais. Le Bey l’avait fort bien reçu, l’avait logé et
nourri dans son palais. Ce Seigneur avait d’ailleurs été très favorable aux projets du né-
gociant dont nous parlons, et avait écrit au Consul, qui lui avait recommandé les inté-
rêts français : « … Votre projet est fort louable, et tous ceux qui viendront ici de votre
part peuvent être assurés d’une entière liberté ; leurs bâtiments peuvent y venir avec
AVEC LA COUR DE FRANCE 133

lière dont vous nous comblez n’ont jamais été accordées aux
autres Régences de Barbarie ; c’est ce qui m’engage à désirer
que Dieu Très-Haut augmente de jour en jour l’union et la paix
qui sont entre les deux États, et que les traités soient observés
avec équité, ainsi qu’il convient, afin que la bonne correspon-
dance puisse parvenir au degré que nous devons souhaiter. Ainsi
soit-il !
Le 26 de la lune de Zilhidjé, l’an 1140, c’est-à-dire le 1er
août 1728.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 26 août 1728.

ABDI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 1er août 1728.

(Sceau)

Abdi, Dey d’Alger la bien gardée, au soutien des Grands,


la confiance des personnes les plus élevées, notre grand ami le
Seigneur de Maurepas, Ministre de l’Empereur de France.
Après vous avoir présenté nos vœux pour votre conserva-
tion et témoigné que nous jouissons heureusement d’une santé
parfaite, vous serez informé que nous avons reçu votre charman-
te lettre(2), et que nous avons vu et compris sa teneur. Les rames
de galères, les câbles et les boulets sont arrivés à bon port, et on
en a escompté le prix avec le Commandant du Bastion(3).
____________________
confiance et ils y seront en toute sûreté. Vous n’avez rien qui puisse vous inquiéter en
aucune manière; celui qui est l’ami du Pacha, notre Maitre, est aussi notre ami… » Lettre
de Mustapha, Bey d’Oran, à Durand, le 24 février 1724. — Dans la circonstance présen-
te, Peyrade devait aller acheter à Hambourg, pour le compte de la Régence, 60 pièces de
canon, 800 quintaux de filasse, 1 000 boulets et 300 barils de poudre. Lettres de Maichens
et de Durand au comte de Maurepas, les 18 et 23 mars, 25 avril et 4 août 1728.
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 303.)
2. Voy. p. 129.
3. Le privilège de la Compagnie d’Afrique ayant expiré le 31 décembre 1718, la
134 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Ce même Commandant vous a écrit qu’on lui avait deman-


dé des réaux au poids au lieu de pièces de quarante pour le paye-
ment de la lisme. La paye qui se distribue ici aux troupes se fait
avec des pièces de quarante(1) et ce sont les espèces que nous lui
avons demandées, d’autant que la paye ne se fait point avec des
réaux(2). Des personnes de mauvaise foi, ayant rogné les deniers
et les quarts, les ont rendus si petits que l’argent qui a cours dans
notre pays est devenu défectueux ; c’est ce qui nous a engagé à
donner de bon argent à tous ceux qui auraient des pièces rognées
pour les ramasser toutes et les mettre dans le Trésor ; présente-
ment les pièces rognées ne passent plus dans nos États(3). Lorsque
le Commandant du Bastion vient payer la lisme, il apporte des
espèces qui sont nouvellement rognées. Nous ne les avons point
reçues, et nous avons demandé des pièces de quarante qui ont
cours dans nos États. Si cela se peut faire, qu’il en apporte, et si
cela ne se peut pas faire, du moins que les piastres de poids qu’il
apportera ne soient point rognées ! Nous les recevrons sur le pied
de leur valeur et elles passeront dans le pays, pourvu qu’elles ne
soient point rognées ; c’est ce dont vous devez être informé.
Nous vous avons prié, notre bon ami, de laisser M. Durand
à Alger pour y continuer sa fonction de Consul, mais puisque
____________________
Compagnie des Indes, qui s’efforçait alors d’accaparer tous les monopoles commerciaux,
s’était fait attribuer nos Concessions de Barbarie. L’arrêt du 4 juin 1719 mentionnait l’im-
portance qu’il y avait non seulement à soutenir, mais encore à augmenter le commerce de
ces anciens établissements, estimant « les convenances, les relations et les connexités »
que ce commerce devait avoir avec celui du Sénégal et des Indes. Les agents de la Com-
pagnie des Indes étaient Huegla à Alger, Esprit de Salve au Bastion, Joseph de Salve à
Bône, Fort à La Calle, La Pérouze au Cap-Nègre, Galicy au Collo et Taxil à Marseille.
— Ajoutons que tous ces comptoirs venaient d’être visités par le docteur Peysonnel, qui
avait demandé en 1724 une mission dans ces contrées, à ses frais et dépens. Voy. Lettre de
Peysonnel au comte de Maurepas, le 25 avril 1725.
1. La saïme, monnaie dont la valeur variait de 40 à 50 aspres. La pataque valait
232 aspres, soit le tiers d’une piastre courante.
2. Un réal était la 8e partie d’une pataque, soit 29 aspres.
3. Abdi ne demandait pas « d’introduire une nouveauté », mais il se plaignait de la
confusion qu’avait causée dans la Régence le grand nombre d’espèces rognées et de faux
poids. Les représentations du Consul à ce sujet avaient été mal accueillies. Voy. Mémoire
concernant les colonies du Cap-Nègre et du Bastion de France appartenant à la Compa-
gnie des Indes, 1730. (Archives de la Marine, Levant et Barbarie, B7 303.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 135

l’Empereur de France en a ordonné autrement et que ses ordres ne


doivent point être changés, et d’autant que c’est pour l’avantage du
sieur Durand, qu’il en soit pour le mieux, si c’est sa destinée(1) !
Mais, mon grand ami, je vous prie de m’accorder que le
sieur Natoire, qui est son Chancelier, soit nommé par l’Empereur
de France Consul à Alger, d’autant qu’il est au fait de toutes nos
affaires et sachant les devoirs de Consul. Il est propre à cultiver
la bonne intelligence pour l’avantage des deux nations, et ce sera
un bien, pour vous et pour nous, plus avantageux que d’envoyer
une personne dont les mœurs nous seraient inconnues. Nous vous
demandons cette grâce, et, si vous nous l’accordez, cela nous
fera un plaisir sensible. M. Durand ne cesse point de nous parler
d’un bateau génois pris sur la côte de Provence(2). Nous avons
tenu Conseil avec les Officiers du Divan pour terminer cette af-
faire. Vous devez savoir, mon aimable ami, que l’autorité de la
Régence d’Alger est entre les mains du Divan et des troupes. Le
dit navire, l’équipage et les effets ont été vendus publiquement,
et cela ne dépend pas, de moi seul; néanmoins on est convenu
qu’il se pourrait faire échange des Génois qui étaient sur le dit
navire avec les Turcs qui sont à Gênes, homme pour homme. Si
cela convient aux Génois, vous pouvez nous le faire savoir, et
nous enverrons les noms des esclaves que nous demanderons.
L’affaire se pourra terminer de cette manière et non autrement,
d’autant que tout dépend des troupes.
____________________
1. Durand avait sollicité le Consulat du Caire, alors vacant, et le marquis de Bon-
nac, ancien Ambassadeur près la Porte ottomane, avait appuyé sa demande. Lettres de
Durand au comte de Maurepas, les 18 mars et 28 juillet 1728.
2. Suivant les anciens traités, il était défendu aux corsaires algériens de faire des
prises à une distance moindre de 30 milles de la côte française ; or les Génois avaient été
capturés près de Bandol, lorsqu’ils étaient pour ainsi dire à terre. Ce qui rendait difficile la
restitution de cette prise, c’est que le Dey avait refusé peu de temps auparavant à l’un des
Capidjis du Grand Seigneur de rendre un vaisseau d’Ostende. Il avait dit à Durand qu’il
ne pouvait le satisfaire sans exposer sa tête au caprice des soldats, a bien ennuyés déjà de
ne plus pouvoir faire de prises ». Lettres du comte de Maurepas et de Durand aux Députés
de Marseille, les 13 octobre et 22 novembre 1727, du comte de Maurepas à Durand, le
2 juin 1728, de Durand au comte de Maurepas, les 23 mars et 31 juillet 1728. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 475 de l’Inventaire.)
136 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

J’ai encore une prière à vous faire, qui est de nous envoyer
600 barils de poudre, dont notre Régence a besoin, et 1 000 plan-
ches pour radouber, 500 quintaux de filasse nouvelle et 500 quin-
taux de petits boulets, le tout par le canal du sieur de Lestrade(1),
auquel vous enverrez la permission de nous les faire tenir ; on
en escomptera le prix avec le Commandant du Bastion ou on
prendra les mesures que vous jugerez convenables; au reste cela
dépend de votre bonté et de votre faveur. Salut.
Écrit le 26 de la lune de Zilhidjé, l’an 1140, c’est-à-dire le
1er août 1728.
On a défendu aux patrons de nos barques corsaires d’aller
en course, à cause des fautes qu’ils ont commises proche des cô-
tes des États de la France(2).
Mon aimable ami, je vous prie d’ordonner que le reste des
300 quintaux de clous qui ont été demandés ci-devant nous soit
envoyé; cela nous fera beaucoup de plaisir.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 25 août 1728.

ABDI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(3).

Alger, le 23 juin 1729.


(Sceau)

Sous le règne du Sultan Ahmed, qui est, par la miséricorde


infinie de Dieu, Empereur et soutien du monde, — Dieu veuille
perpétuer son pouvoir jusqu’à la fin des siècles ! — et de la part
d’Abdi Pacha, qui est Souverain et Gouverneur de la place de
guerre d’Alger de Barbarie la bien gardée, et des Provinces qui
font partie des vastes États de ce grand Empereur,
____________________
1. Correspondant du Dey d’Alger à Marseille. Lettre de Durand au comte de Mau-
repas, le 23 mars 1728.
2. Voy. Mémoire des prises faites par Redjeb-reïs, le 15 juin 1728, — Lettres de
Durand au comte de Maurepas, les 9 juin 1727, 23 mars et 15juin 1728.
3. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 303.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 137

A notre grand ami Louis, Empereur de France. — Dieu


Tout-Puissant augmente sa gloire et donne une fin heureuse à
toutes ses entreprises ! —

Après avoir présenté à Votre Majesté les vœux et les louan-


ges qui conviennent à notre amitié, et supplié le Seigneur de nous
faciliter à tous les moyens de faire le bien, nous lui faisons sa-
voir, comme à notre grand ami rempli de splendeur et de félicité,
que le sujet qui nous porte à lui écrire cette lettre d’amitié est
qu’Ahmed, Pacha de Tripoli, ayant envoyé à notre République
13 esclaves français appartenant à cette Régence, les dits escla-
ves furent envoyés à Tunis pour de là être conduits à Alger(1).
Nous en fûmes informé par des lettres qui nous furent écrites à
ce sujet. Aussitôt nous fîmes réponse et nous filmes écrire à vo-
tre Consul à Tunis(2) par M. Durand, votre Consul en cette Ville.
En conformité de cette réponse, qui portait qu’on dit à remettre
les dits 13 esclaves français entre les mains de votre dit Consul,
ceux-ci sont demeurés en dépôt entre ses mains, pour vous être
envoyés au plus tôt comme un présent d’amitié de notre part.
Nous supplions donc Votre Majesté remplie de félicité de vouloir
bien l’accepter comme tel. Nous avons aussi remis à. M. Durand
un autre Français qui est tombé esclave dans notre République,
pour qu’il le renvoie à Votre Majesté. Tout ce que nous désirons,
c’est que le Très-Haut rende la paix et la bonne intelligence qui
sont entre nous fermes et durables, afin que nous demeurions
toujours dans les termes de la meilleure correspondance et de la
plus parfaite amitié. Au surplus nous finissons en priant Dieu de
vous maintenir toujours dans les splendeurs de la félicité.
Écrit le 28 du mois de Zilcadé, l’an 1141 de l’hégire, c’est-
à-dire le 25 juin 1729.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 9 août 1729.
____________________
1. Voy. Lettres du comte de Maurepas à Durand, le 24 août 1729, et de Durand au
comte de Maurepas, le 14 juillet 1729.
2. Pierre-Jean Pignon.
138 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
ABDI, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 25 juin 1729.

(Sceau)

Sous le règne du Sultan Ahmed, qui est, par la miséricorde


infinie de Dieu, Empereur et soutien du monde, — Dieu veuille
perpétuer son pouvoir jusqu’à la fin des siècles ! — de la part
d’Abdi Pacha, qui est Souverain et Gouverneur de la place de
guerre d’Alger de Barbarie la bien gardée, et des Provinces qui
composent l’Empire de ce grand Monarque.

Notre grand ami, après avoir présenté à Votre Grandeur les


vœux et les louanges qui conviennent à notre amitié et nous être
informé de l’état de votre santé, nous supplions le Seigneur de
nous faciliter à tous les moyens de faire le bien. Ce que nous
vous faisons savoir, comme à notre grand et magnifique ami,
c’est qu’Ahmed, Pacha de Tripoli, ayant envoyé par considéra-
tion pour nous 14 infidèles français à notre République, l’un des
dits infidèles s’étant sauvé en chemin, les 13 autres arrivèrent à
Tunis, et nous en fûmes informé par des lettres que les Puissances
de Tunis nous écrivirent, et sur-le-champ nous leur mandâmes en
réponse de remettre les dits infidèles au Consul de France qui est
à Tunis(2), auquel nous fîmes écrire par M. Durand, votre Consul
près de notre République, en conformité de notre réponse.
Et comme nous sommes vos anciens amis et que notre ami-
tié est sincère et véritable, nous vous renverrons tous ceux de
vôtre nation qui pourront par la suite tomber entre nos mains.
Nous avons aussi remis à M. Durand, pour vous le renvoyer, un
Français qui s’est trouvé parmi 4 Génois qu’une de vos galiotes
avait enlevés, et toutes les fois qu’il s’en trouvera dans le même
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 303.)
2. Voy. la note 2, p. 137.
AVEC LA COUR DE FRANCE 139

cas nous vous les renverrons, n’ayant rien si à cœur que de ren-
dre, s’il plaît à Dieu, la paix et l’union qui sont entre nous fermes
et durables, afin que nous demeurions toujours dans les termes de
la meilleure correspondance et de la plus parfaite amitié.
De plus, notre grand et magnifique ami, nous avons une
prière à vous faire. Un des vaisseaux de notre République, nom-
mé La Gazelle, étant tombé entre les mains des Maltais, nous
avons appris que les infidèles de Malte(1) ont fait présent à notre
grand ami l’Empereur de France de 32 esclaves musulmans de
son équipage(2). Nous vous supplions, par l’amitié qui est entre
nous, d’employer votre crédit auprès de Sa Majesté pour nous
faire rendre ces 32 esclaves. Ce sera une grâce singulière, un
bienfait signalé et une marque de protection que vous donnerez à
notre République, qui nous fera un très grand plaisir et dont nous
vous serons sensiblement obligé. Au surplus, c’est à Votre Gran-
deur que nous nous adressons pour obtenir cette grâce; elle est la
maîtresse d’en disposer comme il lui plaira. Et le salut.
Écrit le 28 du mois de Zilcadé, l’an 1141, c’est-à-dire le 25
juin 1729.
Nous vous dirons de plus, nôtre parfait ami, qu’une galiote
du Bey d’Oran, Mustapha Bey, étant sortie d’Oran pour faire la
course, rencontra trois jours après cinq vaisseaux, dont le premier
était un vaisseau français auquel notre reïs demanda qui étaient
les quatre autres. Le Capitaine français lui a répondu qu’il n’avait
rien à craindre, que ces vaisseaux n’étaient point ennemis, qu’ils
étaient français comme lui, et, en même temps, il fut leur donner
avis de l’approche de la galiote. Aussitôt ces quatre vaisseaux,
qui étaient maltais, armèrent chacun leur chaloupe et leur canot
et les envoyèrent contre notre galiote qu’ils enlevèrent de force,
____________________
1. Les chevaliers de Malte, avec lesquels les Algériens étaient toujours en guerre.
2. Voy. Lettres de Durand au comte de Maurepas, les 6 juin et 14 juillet 1729, et
du comte de Maurepas à Durand, le 24 août 1729. Il y avait 19 esclaves et non pas 32.
140 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

et la conduisirent à Lisbonne où le vaisseau français les suivit. Et


le Capitaine français étant allé à bord du Maltais sur lequel était
notre reïs, ce dernier fit querelle au dit Français de ce qu’étant en
paix avec la France, il l’avait livré aux Maltais et fait tomber es-
clave entre leurs mains, et tous les esclaves pris sur cette galiote
furent attachés sur des canons et maltraités. Ils avaient néanmoins
raison de se plaindre, puisqu’ils disaient : — « Sans la tromperie
que vous nous avez faite en faisant passer ces vaisseaux pour
français comme vous, nous aurions tâché de nous sauver ou par
la fuite ou comme nous aurions pu, et si, après nous être défen-
dus de notre mieux, nous avions été pris, nous n’y aurions pas eu
regret. » — Quelques jours après, ils furent conduits à Malte, où,
après avoir été détenus un mois, ils vous ont tous été renvoyés et
ils sont présentement en France, d’où ils nous ont écrit plusieurs
fois. N. Durand, votre Consul, vous en informe actuellement et
vous envoie le rôle de leurs noms. De semblables tromperies ne
sont pas convenables, et l’amitié ne permet pas de faire enlever
des gens par les Maltais, pour les reprendre et les faire esclaves.
Ayez agréable d’interroger ces esclaves ; vous apprendrez la vé-
rité de l’affaire et prendrez la peine d’en faire une exacte perqui-
sition, ce nous vous redemandons ces esclaves qui ont été pris
par une trahison(1). Et le salut.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 9 août 1729.

LOUIS XV
A ABDI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 24 août 1729.

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous nous sommes fait lire votre lettre du 25 juin(2), et nous
avons vu avec plaisir les assurances que vous nous donnez du
____________________
1. Voy. Lettres de Durand au comte de Maurepas, le 14 juillet 1729, et du comte
de Maurepas à Durand, le 24 août 1729.
2. Voy. p. 136.
AVEC LA COUR DE FRANCE 141

désir que vous avez d’entretenir la paix et la bonne correspondan-


ce entre vous et nos sujets. Nous regardons comme une marque
de la sincérité de vos sentiments l’ordre que vous avez donné de
remettre à notre Consul à Tunis les 13 Français qu’un marchand
d’Alger avait amenés de Tripoli ; quoiqu’on nous ait rapporté que
la chose s’est passée autrement que vous nous le mandez, nous
en sommes satisfait, et, pour vous en marquer notre contentement
et l’estime particulière que nous avons pour vous, nous donnons
nos ordres afin que l’on vous renvoie 19 de vos sujets qui sont
esclaves sur nos galères. Nous nous remettons, au surplus, à ce
que le sieur comte de Maurepas vous mandera de notre part sur
les autres esclaves que vous demandez, et sur diverses infractions
faites aux traités par quelques-uns de vos corsaires(1), et comme
nous ne doutons point que vous ne nous en fassiez faire de justes
réparations, nous vous assurons aussi de nos dispositions sincè-
res à maintenir la paix et la bonne intelligence entre nos sujets et
les vôtres. Sur ce nous prions Dieu qu’il vous ait, illustre et ma-
gnifique Seigneur, en sa sainte garde.
Écrit en notre château impérial de Versailles, le 24 août 1729.
Louis.

LE COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ABDI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 24 août 1729.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu, avec la lettre que vous m’avez écrite le 25 du mois
de juin dernier(2), celle que vous m’avez adressée pour l’Empe-
reur, mon Maître(3). Je l’ai lue à Sa Majesté Impériale et je vous
____________________
1. Voy. État des sujets de plaintes que nous avons contre le Dey d’Alger, 1730.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. p. 138.
3. Voy. p. 136.
142 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

envoie sa réponse, par laquelle vous verrez qu’elle a bien voulu


vous accorder 19 esclaves algériens de ses galères. Ce n’est pas
sans peine que j’ai obtenu cette grâce de Sa Majesté Impériale,
qui est mécontente des infractions faites aux traités par vos cor-
saires, et elle ne s’est déterminée à l’accorder que sur ce que je lui
ai fait valoir l’ordre que vous avez envoyé à Tunis, concernant les
13 forçats qui y avaient été amenés de Tripoli par un marchand
d’Alger, et sur les assurances que.je lui ai données que vous lui
feriez faire incessamment les réparations que le sieur Durand est
chargé de vous demander, au sujet des insultes et pillages faits
par plusieurs corsaires de votre République(1). Je ne doute point
qu’étant disposé, comme vous me le marquez, à entretenir la paix
et la bonne intelligence, vous ne fassiez restituer incessamment
les bâtiments, effets et équipages qu’ils ont pris en contravention
des traités, et que vous ne les obligiez absolument à n’en plus
commettre à l’avenir ; ce sera le moyen d’affermir la bonne cor-
respondance, au maintien de laquelle je continuerai à contribuer
avec plaisir par tout ce qui dépendra de moi. Je ne puis vous en
donner une meilleure preuve qu’en m’employant, comme j’ai fait,
pour porter Sa Majesté Impériale à vous accorder 19 esclaves de
ses galères, et j’espère que cela vous engagera aussi à lui donner
les satisfactions que le sieur Durand a ordre de vous demander,
d’autant plus que ces 19 esclaves ne sauraient entrer en compen-
sation des 13 Français qui étaient à Tunis, et dont le renvoi peut
être moins regardé comme un présent .de votre part que comme
une suite nécessaire du traité de paix que Sa Majesté Impériale
a bien voulu accorder au Pacha de Tripoli(2), qui s’est obligé à
____________________
1. Voy. État des sujets de plaintes que nous avons contre le Dey d’Alger, 1730.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Une escadre de huit vaisseaux de guerre, commandée par M. de Grandpré, était
venue devant Tripoli au mois de juillet 1728, avec la mission d’imposer à cette Régence le
châtiment de ses corsaires, dont nous avions alors gravement à nous plaindre. Nos navires
avaient dû bombarder la ville, et un nouveau traité de paix avait été conclu le 9 juin 1729,
par les soins de M. de L’Aubespine et du chevalier de Goyon, capitaines de vaisseau, et de
M. Pignon, Consul de la nation française. (Recueil de traités, par d’Hauterive et de Cussy,
t. III, p. 207.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 143

faire rendre ces Français et qui vous a écrit pour cela, vous pro-
mettant de vous en dédommager.
Les 19 esclaves algériens qui vous seront renvoyés seront
ceux qui faisaient partie de l’équipage du vaisseau La Gazelle,
et qui ont été achetés à Malte pour le service des galères de Sa
Majesté Impériale(1). Il n’y en a pas un plus grand nombre en
France ; ils seront libérés par préférence, ainsi que vous le de-
mandez. Quant aux esclaves pris l’année dernière sur une galiote
d’Oran à la côte d’Espagne, et dont Sa Majesté Impériale a fait
aussi acheter une partie à Malte, je dois vous dire que tout ce que
le reïs de cette galiote vous a mandé sur les circonstances de sa
prise est absolument faux ; aucun vaisseau de l’Empereur, mon
Maître, n’a navigué aux eaux de Malte ni ne les a rencontrés sur
la côte d’Espagne(2). Ce que ce reïs a dit du mauvais traitement
que le Capitaine du vaisseau de Sa Majesté lui a fait à son bord
n’a pas plus de fondement que tout le reste, et le récit qu’il vous
en a fait n’est qu’une invention de sa part pour vous engager à
le réclamer. Il est d’autant plus blâmable d’avoir voulu vous en
imposer, que ses suppositions tendaient à altérer la bonne intel-
ligence qui règne entre les deux nations, et l’intention de Sa Ma-
jesté n’est point de faire libérer cet esclave, ni les autres qui ont
été achetés avec lui pour le service de ses galères.
Le sieur Durand m’a rendu compte que vous désirez faire
venir de France des crics et autres ustensiles et ouvrages de fer
dont vous avez besoin. Je donne ordre à l’Intendant de la Marine
à Toulon(3) d’accorder au négociant chargé de cette commission
la permission et toutes les facilités nécessaires pour qu’il puisse
l’exécuter promptement et à votre satisfaction.
L’attention pour tout ce que vous me recommandez m’a
fait profiter d’une occasion que j’ai eue de proposer à Sa Majesté
____________________
1. Voy. la note 1 p. 145.
2. Lettre du comte de Maurepas à Durand, le 24 août 1729.
3. M. Mithon. Voy. sa correspondance aux Archives de la Chambre de commerce
de Marseille, S. BB, 183 de l’Inventaire, et aux Archives communales de la ville de Tou-
lon, S. EE, 55 de l’Inventaire.
144 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Impériale de laisser le sieur Durand à Alger, ainsi que vous m’en


avez témoigné le désir, et j’ai obtenu qu’il y demeurerait en votre
considération(1). Je vous souhaite une parfaite santé et vous prie
de me croire toujours,
Votre très parfait et sincère ami.
MAUREPAS.

ABDI, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(2).

Alger, le 14 août 1730.

(Sceau)

De la part d’Abdi, par les secours du Seigneur Pacha et


Commandant de la Ville d’Alger en Afrique, qui est une des Vil-
les de guerre et frontière des États de notre Empereur, Sultan
Ahmed, — dont Dieu fasse subsister la haute dignité jusqu’au
jour du jugement ! —
A l’Empereur de France, notre sincère ami. — Dieu veuille
____________________
1. Durand avait eu le patriotisme de solliciter lui-même l’ajournement de son
rappel, en raison des dangers que pouvaient courir alors nos intérêts dans la Régence. Un
marchand anglais, Logier, s’était interposé entre le Divan et la Suède pour obtenir la paix
en faveur de cette nation, et venait de proposer au Dey de prendre pour son compte et ce-
lui des Anglais toutes les places de la côte dépendant de nos Concessions. De leur côté les
hollandais avaient renouvelé leur traité et distribué de somptueux présents. Les corsaires
algériens ne cherchaient plus qu’un prétexte quelconque pour inquiéter nos marchands,
et « criant hautement qu’ils ne voulaient plus aller sur la mer et risquer d’être pris par les
chevaliers maltais sans espérance de faire des prises ». Voy. Liste des présents offerts par
les Suédois et par les Hollandais aux officiers de la Régence. On y trouve, entre autres
choses, des pendules à carillon sonnant 12 airs différents, 31 montres d’or ou d’argent
avec leur chaîne, des cafetans d’or, des tabatières, une émeraude garnie de 4 diamants, 60
pièces de martre zibeline, 40 fusils, 4 pistolets ciselés, des glaces de cristal, etc. Voy. aus-
si. Lettres de Durand au comte de Maurepas et aux Échevins de Marseille, les 31 juillet,
13 septembre et 7 décembre 1728, 20 avril et 28 octobre 1729, 22 juillet 1730. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 475 de l’Inventaire.)
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 303.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 145

le combler de gloire et de félicité, et nous accorder à tous ce qui


nous est le plus avantageux ! —
Après avoir assuré Votre Majesté de la sincérité de nos
vœux pour sa conservation, nous vous informerons que les 19
esclaves turcs qui ont été envoyés par vos ordres nous ont été
remis(1). Nous désirons que Dieu suprême vous accorde tous vos
désirs, que la bonne correspondance qui est entre les deux États
soit forte, stable et durable, et que le même Dieu suprême ne per-
mette pas qu’il arrive aucun incident qui puisse l’altérer ou dimi-
nuer. Nous avons reconnu par la parfaite intelligence qui subsiste
entre les deux États la sincérité de vos sentiments, et c’est ce
qui nous persuade que nous n’aurons pas un plus grand ami que
Votre Majesté. Nous vous le déclarons en vous assurant de nos
désirs sincères pour la conservation de la bonne intelligence.
Écrit à la fin de la lune de Zilhidjé, l’an 1142, c’est-à-dire le
14 août 1730(2).
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 3 septembre 1730.

ABDI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(3).

Alger, le 14 août 1730.


(Sceau)

De la part d’Abdi, Pacha par les grâces du Seigneur, Com-


mandant de la Ville d’Alger en Afrique, laquelle est une des places
____________________
1. Ces esclaves arrivèrent à Alger le 15 janvier 1730. Voy. Lettre de Durand au
comte de Maurepas, le 16 janvier 1730.
2. L’année précédente, la Porte, harcelée par les réclamations des Puissances
européennes, avait résolu de replacer les Deys d’Alger sous l’obéissance d’un Pacha.
Elle avait envoyé Azlan-Mohammed, escorté d’un Capidji et de 45 personnes auxquelles
étaient destinés les principaux emplois. L’Ambassadeur du Grand Seigneur était arrivé en
rade le 29 juin, mais il avait été aussitôt menacé d’être bombardé, à la moindre tentative
de débarquement sur le sol de la Régence, et il avait dû remettre à la voile en toute hâte.
Lettre de Durand au comte de Maurepas, le 14 juillet 1729.
3. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 303.)
146 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de guerre et une des frontières des États du Sultan Ahmed, notre


Empereur, combattant pour la foi, — duquel Dieu fasse subsister
la haute dignité jusqu’au jour du jugement ! —Au Ministre de
l’Empereur de France, notre grand ami, — que Dieu suprême
maintienne dans sa dignité ! — notre sincère ami.
Que Dieu Très-Haut vous accorde les prospérités convena-
bles à votre État distingué ! Nous souhaitons que vous jouissiez
longtemps d’une parfaite santé. Les 19 Turcs qui ont été mis en
liberté avec les secours de vos bons officiers sont arrivés. Vous
êtes le motif du sensible plaisir que nous avons ressenti, en re-
marquant les égards que vous avez pour nous et la preuve de votre
parfaite considération. Cela nous engage à vous prier de procurer
la liberté aux esclaves qui ont été pris par les Maltais, il y a deux
ans, sur un brigantin qui appartenait au Bey d’Oran, en faveur
desquels nous avons recours à votre attention. Le Bey qui de-
mande ces esclaves a eu l’intention d’arrêter quelques bâtiments
français qui ont passé à Oran(1). Nous lui avons bien défendu de
commettre cette action, en considération du bienfait que vous ve-
nez de nous procurer. Nous avons écrit qu’il ne devait point s’in-
quiéter, que l’Empereur de France aurait des considérations pour
nous et qu’il serait content. Et en reconnaissance de cette même
considération, M. Dedaux(2) a été destiné par M. Durand, votre
Consul, pour le Consulat d’Oran(3). Nous lui avons remis une lettre
____________________
1. L’établissement que Maichens avait fondé à Oran et qu’il faisait régir par un
commis, le sieur François Bonnaffous, était violemment combattu par Natoire, auquel on
avait promis un Vice-Consulat dans cette place, et qui, pour se venger d’avoir été évincé,
s’était lié avec les négociants anglais Logier et Holden pour favoriser, à notre détriment,
les chargements de leurs navires. « Les Anglais, écrivait Durand, nous traversent toujours,
et font passer les Français à Oran pour les espions des Espagnols. » Lettres de Maichens
au comte de Maurepas, les 18 et 20 juillet 1729, et du comte de Maurepas à Durand, le
24 août 1729.
2. Le sieur Dedaux avait auparavant habité Gênes, et s’y était marié avec la filleu-
le de M. Jacques Lomellini, concessionnaire de l’île de Tabarque. Voy. sa correspondance
aux Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Oran.
3. La nomination de Dedaux à la place de Natoire fut surtout décidée par M. de
Gencien. Voy. la note 1, p. 148. — Voy. aussi Lettres de Natoire au comte de Maurepas,
les 11 juillet et 29 novembre 1730, accusant le Consul de l’avoir diffamé.
AVEC LA COUR DE FRANCE 147

par laquelle nous avons fortement recommandé au dit Bey, notre


fils, de rendre à M. Dedaux tous les honneurs qui lui sont dus en
toute occasion, et nous espérons que l’Empereur de France, pour
lequel nous avons beaucoup de respect, enverra de bons ordres au
dit Consul, par lesquels il lui sera recommandé de se bien com-
porter. Nous avons envoyé l’année dernière, dans le mois d’août,
à Toulon, une flûte chargée de laine adressée à un marchand
nommé Minotty(1). La dite flûte portait le nom du Grand Saint-
Paul(2). Nous avons appris qu’à son arrivée certaines personnes
l’auraient saisie avec sa cargaison, croyant qu’elle appartenait à
Maichens, qui est négociant à Alger(3). La dite flûte nous appar-
tient et la laine dont elle est chargée pareillement; les créanciers
du dit Maichens ont cru pouvoir s’emparer de cette cargaison
pour ce qui leur est dû. Notre grand ami reconnaîtra évidemment,
par la facture des dites laines, qu’elles nous appartiennent. Le dit
Maichens a informé M. Durand qui est ici de ce fait pour vous en
rendre compte. Le nombre de ces laines se monte en tout à 250
balles ; elles sont destinées à être vendues, pour acheter de leur
produit des canons, avec l’agrément de l’Empereur de France,
pour armer le gros vaisseau que nous avons fait construire depuis
peu, et, en cas que cela soit permis, ils seront conduits à Alger. Et
d’autant que le dit Maichens nous doit 7 000 piastres sévillanes, il
nous a remis la flûte pour gage de sa dette(4). La laine nous appar-
tenant, nous l’avons envoyée pour être vendue. M. de Gencien,
____________________
1. Maichens avait été chargé directement de la commission du Dey, et il avait
envoyé à Toulon le sieur Dominique Peyrade pour agir de concert avec Joseph Mi-
notty. Ce dernier, dans la crainte de n’être pas payé, avait refusé de traiter l’affaire,
et le Ministre avait dû lui donner des ordres formels à cet égard. Lettres de Maichens
au comte de Maurepas, le 20 juillet 1729, et du comte de Maurepas à Durand, le 14
juin 1730.
2. Cette flûte était commandée par le capitaine Callas, de Marseille. Lettres de
Maichens et de Durand au comte de Maurepas, les 14 et 18 juillet 1729.
3. Le créancier de Maichens se nommait Périer, négociant à Montpellier, et il avait
obtenu un jugement l’autorisant à faire vendre la cargaison du bâtiment saisi. Lettres de
Durand et de Natoire au comte de Maurepas, les 16 janvier et 29 novembre 1730.
4. Voy. Lettre du comte de Maurepas à Durand, le 14 juin 1730, relative à la saisie
du navire de Maichens et aux efforts à tenter pour en obtenir la main levée.
148 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

commandant deux vaisseaux, s’étant trouvé ici, a été pleinement


informé de cette affaire par M. Durand(1). Le vaisseau auquel sont
destinés les canons est nouvellement construit et prêt à être lancé
à la mer ; nous attendons donc ces canons incessamment. Nous
espérions même qu’ils auraient moins différé. Nous aurions sou-
haité nous aboucher avec M. de Gencien, commandant les deux
vaisseaux qui sont venus ici, mais il n’a pas cru devoir sortir de
son vaisseau. Un de ses officiers étant venu nous trouver(2), nous
lui avons détaillé cette affaire, de laquelle il a été rendre compte
au dit Commandant. Nous avons expressément défendu à nos
corsaires de courir auprès des côtes de France, ainsi cela ne leur
arrivera plus, hors qu’ils y soient contraints par le gros temps ou
par la poursuite de quelque ennemi. En ce cas ils ne seront pas
répréhensibles.
Nous vous prions de recommander à M. Minotty qu’il em-
ploie avec attention tous ses soins à l’égard des cercles de fer
pour les tonneaux et les canons, suivant ce qui lui a été recom-
mandé. Si l’envoi des esclaves pour lesquels je vous prie nous
est à charge, au moins que nous les ayons pour ce qu’ils pourront
valoir ! Nous espérons beaucoup de vos généreuses façons d’agir
et de vos attentions ; nous souhaitons que la bonne correspon-
dance soit toujours stable, solide et permanente, et que la bonne
intelligence soit réciproquement parfaite.
Écrit à la fin de la lune de Zilhidjé, l’an 1142, c’est-à-dire le
14 août 1730.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 14
septembre 1730.
____________________
1. M. de Gencien, accompagné de M. de Langerie, Commissaire de la Marine,
avait ordre de conférer avec notre Consul sur l’état de nos affaires, et « de demander
au Dey certaines satisfactions relativement aux infractions commises par ses corsaires,
particulièrement au sujet de la prise de 4 bâtiments de Collioure enlevés sur la côte de
Roussillon ». — « L’intention du Roi est que vous l’informiez aussi des instances que
vous avez faites pour porter le Dey à en donner raison, et des motifs qu’il vous a allégués
pour se dispenser de nous satisfaire.» Le Commandant des vaisseaux de Sa Majesté ne
devait pas toutefois « se compromettre en demandant des réparations sans espérance de
les obtenir ». Lettre du comte de Maurepas à Durand, le 22 mai 1730.
2. M. de Langerie.
AVEC LA COUR DE FRANCE 149
ABDI, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 2 avril 1731.


(Sceau)

Abdi, — que Dieu veuille exaucer ! — par le secours et la


grâce du Seigneur Gouverneur et Commandant de la forte place
d’Alger en Afrique, qui est la dernière Ville frontière des États de
notre Empereur, Sultan Ahmed, — dont Dieu suprême conserve
la dignité jusqu’au jour du jugement dans lequel les actions se-
ront pesées ! — Au Ministre de l’Empereur de France que nous
considérons comme notre grand ami.
Après vous avoir assuré de notre amitié et de nos vœux sin-
cères pour votre conservation, vous serez informé, notre grand
ami, par cette lettre d’amitié, que nous avons appris que vous
avez révoqué Linabéri, Commandant du Bastion, et que vous
avez établi en sa place le nommé Masder. Le dit Linabéri étant
homme de probité, dont tout le monde dit ici du bien, cela nous
engage à vous prier de lui remettre son poste de Commandant du
Bastion(2), et, quoiqu’il ne le demande pas, sa droiture, que nous
avons reconnue en plusieurs occasions, nous a engagé à vous
faire cette prière. Nous espérons que cette lettre d’amitié vous
portera à ordonner que le dit Linabéri soit remis dans son poste,
d’autant plus que le nouveau Commandant Masder est un hom-
me duquel personne ne dit du bien en ce pays. Nous vous prions
de nous accorder ce qui peut être avantageux pour vous et pour
nous. Au reste nous vous souhaitons une parfaite santé.
Écrit le 26 de la lune nommée Chaban, l’an 1142, qui est le
2 avril 1731.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 22 d’avril 1131.
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 321)
2. Les Algériens entendaient toujours par l’expression du Bastion l’établissement
primitivement fondé par nos compatriotes en 1561, et que nous avions transporté à La
Calle en 1679. Le directeur de ce comptoir était J. B. Fénix en 1731. Il s’agit évidemment
ici d’employés subalternes, dont les Archives des Consulats et de la Chambre de Mar-
seille n’ont pas conservé les traces.
150 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

DUGUAY-TROUIN, LIEUTENANT GÉNÉRAL DES ARMÉES NAVALES DU ROI,


A ABDI, DEY D’ALGER.

En rade d’Alger, le 12 juin 1731.

Très illustre et magnifique Seigneur,

L’Empereur, mon Maître, m’ayant ordonné de me rendre


devant Alger, pour y maintenir la bonne intelligence que Sa Ma-
jesté Impériale veut bien garder avec votre République et pour
protéger le commerce de ses sujets, elle m’a commandé de vous
envoyer à mon arrivée M. de Beaucaire, Capitaine de pavillon
et Inspecteur général de ses troupes de la Marine, lequel elle a
chargé de faire reconnaître par vous et par les autres Puissances
de votre République le sieur Delane pour Consul de la nation
française(1). Je dois en même temps, conjointement avec le dit
sieur Delane, Consul, vous porter plainte de diverses infractions
aux traités commises par les corsaires de votre République, sur
lesquelles Sa Majesté Impériale ne doute pas que vous ne fassiez
faire des réparations convenables. Elle m’a même commandé de
ne pas partir de la rade d’Alger que cela ne soit exécuté(2). Sur quoi,
____________________
1. Durand était mort à son poste, le 8 octobre 1730, ne laissant que des dettes,
et le Chancelier Natoire avait géré le Consulat jusqu’à l’arrivée du nouveau titulaire.
Delane était venu autrefois à Alger avec Dusault, son oncle, mort depuis à Toulon le 2
mai 1721; il avait été autrefois Consul à Tripoli et à La Canée, et il avait reçu les pro-
visions de sa nouvelle charge le 13 décembre 1730. — L’escadre de quatre vaisseaux
commandée par Duguay-Trouin mouilla dans les eaux d’Alger le 11 juin 1731, et fut
saluée par les 21 coups de canon d’usage. M. de Beaucaire se rendit à terre, accompa-
gné des principaux officiers de la marine royale, le chevalier de Canilly, MM. de Voisin,
de Cresnoy, de La Mothe, de La Valette, et alla présenter au Dey, à son Divan, la lettre
du Lieutenant général. Abdi la reçut avec indifférence, mais fit envoyer aussitôt à bord
de L’Espérance « un présent de 12 bœufs, 50 moutons, 250 poules, 4 000 pains, des
oignons et citrouilles ». Sur nos vaisseaux se trouvait également le voyageur Tollot,
qui accompagnait M. de La Condamine, membre de l’Académie des sciences, et qui a
retracé les détails à de cette négociation dans son Nouveau voyage au Levant en 1731
et 1732, p. 5 et suiv. (Paris, 1742.)
2. M. de Beaucaire était chargé d’exposer au Divan nos différents griefs. Il s’agis-
sait surtout de la réclamation de 15 Français et de 7 Génois enlevés sur la côte de Cette, et
de la situation financière de Maichens, à qui le Dey avait fait des avances. Voy. Relation
AVEC LA COUR DE FRANCE 151

très illustre et magnifique Seigneur, je vous souhaite une parfaite


santé, vous priant de me croire,
Votre très parfait et sincère ami.
DUGUAY-TROUIN

DUGUAY-TROUIN, LIEUTENANT GÉNÉRAL DES ARMÉES NAVALES DU ROI,


A ABDI, DEY D’ALGER.

En rade d’Alger, le 16 juin 1731.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Je puis assurer Votre Excellence que si l’Empereur, mon
Maître, a choisi un Lieutenant général des années navales dont
la réputation est connue pour venir vous demander votre amitié,
et en même temps l’exécution des traités passés entre Sa Majesté
Impériale et la République dont vous êtes le Chef, ç’a été unique-
ment dans la vue de vous faire plus d’honneur et de plaisir, comp-
tant par là vous engager davantage à remplir toutes les conditions
auxquelles vous vous êtes engagé. Ainsi, très illustre et magnifi-
que Seigneur, ne faites nulle attention aux soupçons mal fondés
que nos ennemis et nos envieux veulent vous inspirer, en donnant
une mauvaise interprétation à nos meilleures intentions. Votre
prudence doit vous engager à donner à Sa Majesté Impériale une
juste et entière satisfaction sur tous les griefs qu’elle m’a ordonné
de vous représenter par la bouche de M. de Beaucaire, Inspecteur
général de ses troupes, et dont le Consul de France doit encore vous
faire envisager les conséquences(1). Il est certain que, si vous vous
____________________
de ce qui s’est passé à Alger en juin 1731, par Duguay-Trouin, — Mémoire sur l’expédi-
tion de Duguay-Trouin, par Delane, — Lettres de Natoire au comte de Maurepas, les 11
octobre et 29 novembre 1730. (Archives des Affaires étrangères, Mémoires et Documents,
Alger, t. XV, fos 98 et 109, et Consulat d’Alger.)
1. Dans les audiences accordées à M. de Beaucaire, Abdi se refusa obstinément
à rendre les captifs avant d’avoir été remboursé. Il s’étonna qu’on ait vendu au profit
d’autres créanciers des effets et marchandises appartenant à lui seul, et confiés à Mai-
chens dans l’unique but de compenser le prix d’achat de fournitures diverses ; il réclama
11 940 p., soit environ 40 000 l., et menaça le Commissaire du Roi de se payer lui-
même, en s’emparant des bâtiments français qui viendraient dans le port d’Alger. « Quant
152 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

déterminez à satisfaire en cela l’Empereur, mon Maître, Sa Ma-


jesté Impériale se portera à vous dédommager de la perte que
vous avez faite en vous confiant à ce fripon de Maichens(1). Du
moins puis-je vous assurer que j’y apporterai tous mes soins, et
qu’il ne tiendra point à mes sollicitations que Votre Excellence
ne soit satisfaite. Mais si, au contraire, vous différez davantage
à remplir régulièrement toutes les conditions de votre traité, je
vous déclare que je mets dans deux jours à la voile pour aller
rendre compte à l’Empereur, mon Maitre, que vos intentions ne
sont pas bonnes. Je finis en vous souhaitant santé et prospérité et
en vous suppliant de me croire,
Votre très parfait et sincère ami.
DUGUAY-TROUIN.
ABDI, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 21 juin 1731.


(Sceau)

A vous qui êtes la gloire des Grands qui suivent la religion


de Jésus, la confiance des Rois qui observent la loi du Messie,
notre sincère et grand ami, Ministre de l’Empereur de France,
— auquel nous, désirons une fin heureuse ! —
Notre aimable, illustre et véritable ami, nous souhaitons
que vous jouissiez longtemps en parfaite santé de votre dignité
éminente, et que Dieu vous y maintienne !
Étant, par la grâce de Dieu, en parfaite intelligence avec Sa
____________________
aux corsaires et à leurs prises, insister là-dessus, dit-il, serait battre le fer froid. » — La
seconde lettre de Duguay-Trouin fut remise par le nouveau Consul Delane, auquel Abdi
déclara qu’il n’était pas le maitre, et qu’il ne pouvait accorder les satisfactions deman-
dées. Notre agent parvint toutefois « à trouver le bon quart d’heure », et à obtenir la res-
titution partielle de nos esclaves. Il fit connaître au Chef d’escadre, dans une lettre du 17
juin, « qu’il avait exposé les raisons pour lesquelles nous différions de rembourser la dette
de Maichens », et Duguay-Trouin dut remettre à la voile, sans avoir pu parvenir à vaincre
entièrement l’obstination du Dey.
1. Voy. Nouveau voyage au Levant en 1731 et 1732, par Tollot, p. 15.
AVEC LA COUR DE FRANCE 153

Majesté l’Empereur de France, nous en avons donné des preuves


par la réception que nous avons faite à votre Consul(1), qui est
arrivé ici avec quatre de vos vaisseaux(2). Nous avons témoigné
à ce Consul la joie que nous causait son arrivée par des marques
d’amitié et de distinction, en lui faisant plus d’honneur qu’aux
autres Consuls, et nous lui avons ordonné un logement suivant
l’ancien usage.
Il nous a représenté que nos corsaires- avaient ci-devant
conduit par imprudence à Alger 15 Français comme esclaves, que
7 autres Français avaient été faits esclaves d’une autre manière,
et que les dits esclaves avaient été vendus et dispersés(3). Voulant
donner des preuves de notre estime pour l’ancienne correspon-
dance et forte alliance qui est entre l’Empereur de France et nos
États, nous avons racheté les dits Français avec notre argent et les
avons renvoyés à Sa Majesté.
Nous avons donné des preuves de notre estime à votre
Consul, lorsque nous l’avons invité à notre Divan pour affaire
ou à notre appartement pour converser ensemble; il est toujours
venu avec l’épée et avec hauteur(4).
Un Consul ayant eu autrefois de mauvais desseins contre
le Commandant de cette Ville, le dit Consul fut tué, et depuis les
Consuls ne portent plus d’épée, l’usage en ayant été aboli. La
considération que nous avons pour votre Consul nous a engagé à
lui représenter nous-même ce qu’il devait faire; il ne nous a point
écouté, et, lorsque quelques officiers lui ont parlé, il leur a répondu
avec colère et dit des choses qu’il ne nous convient point de répé-
ter. Il s’en est fallu peu qu’il n’ait causé du bruit. Vous savez que
ce, pays est entre les mains des troupes. Les Consuls précédents
____________________
1. Delane.
2. Voy. les notes 1, p. 150 et 151.
3. Voy. Relations de ce qui s’est passe à Alger en juin 1731, par Duguay-Trouin et
Delane.
4. Personne n’avait pu pénétrer armé, de temps immémorial, en la présence du Dey.
Mais Delane était loin d’avoir les qualités nécessaires pour remplir les fonctions qui lui
étaient confiées ; il ne s’était soumis qu’avec peine au baisemains du Divan, et s’était obs-
tiné à refuser de déposer l’épée, en revendiquant avec une fierté excessive « les droits que
lui conféraient ses qualités de Consul, de chevalier de Saint-Lazare et d’officier du Roi ».
154 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

n’ont fait aucune instance pour pareille chose et ils entendaient


raison, mais celui-ci ne veut rien écouter et il est impossible de
raisonner avec lui.
Vous n’ignorez pas que nous dépendons de la soldatesque
et que nous avons des mesures à garder avec lui. Nous avons fait
parler à vos religieux(1) pour qu’ils induisent le Consul à ne point
porter l’épée ; il n’a point écouté leurs avis, et enfin nous sommes
obligé de vous en informer. Nous espérons qu’en considération
de l’ancienne correspondance qui est entre nous, vous lui enver-
rez vos ordres ou vous nous ferez le plaisir de nous marquer vos
intentions ; il ne convient pas que nous soyons en discorde pour
si peu de chose, pendant que la grande correspondance qui est
entre l’Empereur de France et nous fait parler les autres nations.
Dieu veuille qu’elle dure longtemps !
Nous avons remis au marchand nommé Maichens, qui est
ici, pour 11 940 piastres effectives d’effets Pour faire venir des
munitions de guerre, et nous espérons Sue, par considération et
conformément aux offres d’amitié qui nous ont été marquées, ces
munitions arriveront avec les vaisseaux. Des négociants créan-
ciers ayant pris les effets de la République, nous espérons que
vous voudrez bien faire restituer la dite somme par ceux qui s’en
sont emparés, et nous vous en serons fort obligé(2).
Nous ne permettons pas qu’aucun Musulman fasse tort aux
marchands français qui viennent ici, et on peut s’informer des
négociants qui viennent si je permets qu’il ne leur soit fait aucu-
ne peine. Au reste nous souhaitons que vous jouissiez d’une vie
remplie de prospérités.
Écrit le 28 de la lune de Zilhidjé, l’an 1143, c’est-à-dire le
21 juin 1731.
En marge est écrit :
Notre sincère et aimable ami,
Nous espérons que la bonne intelligence sera renouvelée et
bien entretenue, que vous nous ferez savoir l’état de votre santé
____________________
1. Les Pères Lambert Duchesne et Jean Batault, de la congrégation de la Mission.
2. Voy. les notes 3 et 4, p. 147.
AVEC LA COUR DE FRANCE 155

par ceux qui viendront ici, et que vous enverrez des réprimandes
et aussi des ordres à votre Consul ; cela nous fera plaisir, car il
est insupportable. Il a été autrefois Consul en Candie et il a causé
beaucoup de désordres ; il se croit autant qu’un Roi et le porte
fort haut(1). Nous l’avons reconnu Consul et lui avons fait plus
d’honneurs qu’aux autres ; c’est peut-être ce qui l’a engagé à dire
des choses qui ne se doivent pas écrire à une personne de notre
rang. Les avis qui lui ont été donnés n’ont fait aucun effet sur lui.
Vous qui êtes un grand Ministre, vous saurez mieux qu’un autre
ce qu’il convient de faire.
Vous serez informé qu’un chrétien, étant sorti d’une tar-
tane, dit qu’il voulait se faire Musulman ; qu’il est resté pendant
trois jours devant la porte du palais, les gardes ne l’ayant pas
laissé entrer; que le quatrième jour, profitant de la négligence
des portiers, il trouva le moyen d’entrer, et que, s’étant présenté
dans la salle de notre Conseil, il se fit Musulman. Le Consul,
en ayant été averti, dit qu’il le ferait retourner à sa religion, et
que le chrétien n’aurait pas dû être reçu au Mahométisme avant
qu’il fût averti. Après qu’il eût dit ses raisons, nous lui avons
représenté que nous n’avions pas pris le chrétien par force, qu’il
avait été chassé plusieurs fois de devant notre porte, que nous ne
redemandions point les Turcs qui se faisaient chrétiens de leur
gré dans le pays des chrétiens en pareil cas, et que notre loi ne
permettait pas de le rendre(2). Pareils événements ne doivent pas
être ignorés dans, votre Cour, suivant les récits qui en ont été
faits. Le dit chrétien n’a point été forcé en aucune manière ; nous
ne l’avons reçu qu’en suivant son intention. Si ce chrétien, après
avoir commis quelque faute, se fût fait Musulman par crainte d’en
____________________
1. Il était assurément intelligent et zélé, mais il s’appliquait à simuler les grandes
manières de son oncle Dusault, sans avoir ni la souplesse ni le sens profond du caractère
des Turcs que possédait à merveille l’ancien Commissaire du Roi.
2. L’article 19 du traité qui nous liait avec la Régence portait que si un Français
voulait se faire Turc, il ne pouvait être reconnu comme tel que s’il avait persisté trois fois
24 heures dans cette résolution, et, pendant ce temps-là, il devait demeurer dans la mai-
son du Consul. Il s’agissait, dans le cas présent, d’un matelot de Saint-Tropez. Lettre de
Delane au comte de Maurepas, le 2 juillet 1731.
156 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

être châtié, en ce cas nous eussions été obligé de faire avertir le


Consul, auquel tous les religieux qui sont ici ont dit de se désister
de cette affaire, et il a toujours persisté. Nous ne comprenons rien
au procédé de cet homme. Dieu l’amende ! Nous désirons que
ceux qui agissent malicieusement contre la bonne intelligence qui
est entre nous soient punis comme ils le méritent. Ainsi soit-il !
Dieu sait que notre République considère l’Empereur de
France comme un grand ami, et que nous ne voulons point qu’il
ne soit fait aucun tort à ses sujets. Nous espérons qu’un grand
Ministre comme vous, étant notre ami, regardera ceux qui sont
dans notre République comme de vrais amis, et qu’il n’écoutera
pas les paroles trompeuses des personnes de mauvaise foi.

ABDI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 23 octobre 1731.

(Sceau)

A Sa Grandeur le Seigneur Vizir magnifique et de haute


réputation, le Ministre de notre très sincère, très parfait et grand
ami l’Empereur de France.
Après avoir présenté nos saluts les plus parfaits, conformé-
ment à l’amitié, et nos vœux les plus sincères, fondés sur l’atta-
chement et la cordialité, à notre grand et sincère ami le Vizir plein
de magnificence et de la plus haute réputation, — aux entreprises
duquel Dieu veuille accorder une fin très heureuse en le conduisant
dans les sentiers de la droiture et de la perfection ! — lui qui est le
Ministre et la gloire des grands Princes chrétiens, l’élite des Sou-
verains, le soutien des Rois de la religion du Messie, l’éclat et la
splendeur de la Majesté royale des nations européennes et de notre
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 321.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 157

très puissant, très parfait, et au delà de toute expression très sin-


cère et grand ami, Sa Majesté l’Empereur de France ; nous nous
informons d’abord de l’état de votre santé, et nous prions le Tout-
Puissant Créateur de conserver Votre Grandeur magnifique, un
grand nombre d’années, dans la glorieuse proximité du trône à
laquelle il vous a élevé. Ainsi soit-il ! par les mérites de Jésus.
Nous vous, dirons ensuite, notre très sincère et grand ami,
Ministre de haute réputation, que le sujet qui nous porte à écrire
cette lettre d’amitié à Votre Grandeur, c’est que celui de vos na-
vires qui a été destiné à porter M. Delane, votre Consul auprès
de nous, au Bastion pour régler les affaires de cette place étant
arrivé(1), nous en avons ressenti de la joie; nous l’avons salué
suivant l’usage, nous lui avons envoyé le présent de provisions
accoutumé, et nous avons fait au chevalier de Caylus, Capitaine
du navire, votre serviteur, toutes les civilités, les caresses et la
bonne réception possible(2). Ils étaient sur le point de partir pour
____________________
1. Après avoir aussi mal administré ses comptoirs en Barbarie qu’en Asie, la Com-
pagnie des Indes avait cédé ses privilèges d’exploitation des Concessions d’Afrique à une
société fondée par un Marseillais, Jacques Auriol, au capital de 600 000 l. et privilégiée
pour 10 ans à partir du 1er janvier 1731 (Arrêt du 21 novembre 1130). Fénix, maintenu
par elle en qualité de directeur à La Calle, avait obtenu le 6 juillet 1731 le renouvellement
des traités de 1694, et la ratification de la convention passée entre l’ancienne Compa-
gnie et le Bey de Constantine le 15 juillet 1714. Il avait su revendiquer habilement nos
droits exclusifs de pêche et d’exportation, tant dans les mers de Tabarque que dans les
dépendances de nos comptoirs, et le Dey venait de lui donner de précieux témoignages de
protection à ce sujet. Voy. Ordre que le Seigneur Dey a donné le 5 juillet 1731 au sieur
Fénix pour qu’il le fasse signifier aux gens de Tabarque, — Ordre que le Seigneur Dey a
donné le 5 juillet 1731 au sieur Fénix pour empêcher les habitants du Collo de falsifier
leurs cires et de couper leurs cuirs, — Ordre du Seigneur Dey aux Aghas de Bougie et
de Gigery pour les empêcher de faire transporter leurs marchandises à Tabarque au lieu
de les vendre à la Compagnie d’Afrique, le 17 juillet 1731. — Voy. aussi Mémoire sur le
commerce de la Compagnie des Indes en Barbarie, par Laugier de Tassy, 1730. (Archi-
ves coloniales de la Marine, Compagnies d’Afrique, 1681-1731, et Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Le chevalier de Caylus avait reçu l’ordre d’aller avec la frégate Le Zéphir à
Tabarque, « pour y faire des représentations au Gouverneur sur la violation de nos pri-
vilèges par les coralines génoises », et de se rendre ensuite à La Calle et à Bône, avec le
Consul Delane, pour engager les autorités algériennes à respecter les traités relatifs à nos
Concessions. Ce dernier s’embarqua sur Le Zéphir le 7 septembre, et revint à Alger le 4
octobre suivant. Lettres de Delane et du chevalier de Caylus au comte de Maurepas, les
28 août, 7 et 25 septembre, 5, 8 et 19 octobre 1731, — Lettre du chevalier de Caylus au
158 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

aller remplir les ordres dont vous les aviez chargés, lorsqu’un bâ-
timent anglais, sur lequel nous avons intérêt(1), étant venu prendre
la permission de charger du blé dans l’un de nos ports, nous lui
avons donné un passeport au su de tous les Consuls, et il est allé
dans notre dit port où il a fait son chargement de blé. Pendant ce
temps-là, M. Delane, votre Consul, ayant insinué mille mauvais
desseins au chevalier de Caylus, l’a porté à prendre et piller ce
bâtiment et à l’envoyer en France(2), après quoi votre navire étant
revenu, nous avons reçu le Consul avec toute sorte de considé-
ration ; il est rentré dans les fonctions de son emploi, et nous
avons fait pourvoir votre navire, au désir du Capitaine, de toutes
les provisions dont il a pu avoir besoin. Il est parti ensuite pour
retourner auprès de Votre Grandeur(3), sans que nous ayons rien
su de ce qui s’était passé, mais des lettres de Marseille, que nous
avons reçues aujourd’hui, nous ayant informé de tout le fait de
l’enlèvement frauduleux du bâtiment anglais : — « Quel procédé
est celui-ci ? avons-nous dit ; quelle raison peut-on avoir eu de
prendre et de piller un bâtiment muni de nos lettres et passeports ?
Comment, lorsque nous demandons à l’Empereur de France, no-
tre ancien grand ami, un Consul prudent et consommé dans les
négociations, comment, dis-je, nous envoie-t-il un homme qui
n’a d’autre occupation que d’inventer des faussetés et des trahi-
sons ? » —
En effet ses mauvais desseins ne sont que trop prouvés dans
____________________
Gouverneur de Tabarque, — Mémoire que le sieur Fenix à laissé à l’agent de la Compa-
gnie d’Afrique au sujet de l’ordre qu’il a obtenu le 5 juillet 1731 du Seigneur Dey, tou-
chant les frégates de Tabarque qui viennent pêcher le corail dans les mers du Bastion de
France. (Archives coloniales de la Marine. Compagnies d’Afrique, 1681-1731.)
1. Du nombre des navires interlopes auxquels les Puissances vendaient secrète-
ment des permissions de chargement, au mépris de leurs promesses et de nos traités.
2. Le Consul, après avoir fait saisir le bâtiment interlope, écrivit au Ministre et
qu’il s’attendait bien à ce que le Dey lui en ferait de vifs reproches, oubliant qu’il avait
consenti qu’on prit tous ces navires Lettres de Delane au comte de Maurepas, les 30 sep-
tembre, 20 octobre 1731 et 16 février 1732. (Archives des Affaires étrangères, Consulat
d’Alger.)
3. Selon les ordres de la Cour, notre Consul, de retour à Alger, fit embarquer Mai-
chens pour être ramené en France sur Le Zéphir. Lettres de Delane au comte de Maurepas,
les 28 août et 4 octobre 1731.
AVEC LA COUR DE FRANCE 159

cette affaire, à laquelle ni les religieux ni les Capitaines français


ni aucun des marchands chrétiens qui sont dans nos ports n’ont eu
la moindre part, ainsi que nous l’ont représenté tous les Français,
vos sujets, qui se trouvent dans nos ports, et comme nous n’avons
pu comprendre quel était le but et quelles pouvaient être les suites
d’une semblable affaire, la suspicion qu’elle nous a donnée nous
a porté à faire arrêter tous vos sujets(1), en attendant que vous
ayez donné vos ordres pour que le bâtiment anglais qui est détenu
dans vos ports soit relâché, parce qu’un bâtiment muni de nos
passeports, enlevé dans l’un de nos ports, nous fait soupçonner
d’autres desseins. Au reste, Dieu nous est témoin que, regardant
l’Empereur de France comme notre très grand ami, lorsque les
bâtiments français ont eu ici quelques affaires, nous leur avons
rendu toute la justice possible et nous leur avons fait tous les bons
traitements et donné toutes les satisfactions qu’ils ont pu désirer,
sans qu’il leur ait jamais été fait aucune violence ni aucune peine.
Combien de Français esclaves au Royaume de Barbarie, s’étant
sauvés dans nos terres, avons-nous rachetés de nos deniers et mis
en liberté pour l’amour de Dieu ? A présent même. deux Français,
s’étant sauvés de Barbarie, sont tombés entre les mains de l’illus-
tre Mustapha, Bey d’Oran, d’où nous les avons retirés, et nous
étions sur le point de vous les renvoyer quand nous avons reçu les
nouvelles de cette affaire. Nous sommes très persuadé que notre
très puissant et grand ami l’Empereur de France et son excellent
Ministre, Vizir de haute et glorieuse réputation, ne l’approuve-
ront jamais; c’est pourquoi nous informons Votre Grandeur de
la manière dont tout s’est passé, nous remettant à sa prudence
d’ordonner ce qu’elle trouvera convenable en cette occasion. De
notre part, il n’a été commis aucune contravention à nos traités
comme celle-là ; et ce qui contribuerait à l’amitié réciproque serait
de relâcher le bâtiment anglais et de changer le Consul(2) qui est
____________________
1. Cette détention des bâtiments français ne dura que 24 heures.
2. Delane se plaignait fort de l’attitude du Dey à son égard. Le Ministre lui avait
donné l’ordre de n’agir qu’avec prudence, et de quitter l’épée pour se présenter au Di-
van. On lui avait levé les basques de son justaucorps, pour voir s’il s’était décidé à se
160 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

actuellement auprès de nous. Dieu veuille nous donner aux uns et


aux autres ce qui est bien !
Écrit le 21 de la lune de Rebi-el-aker, l’an de l’hégire 1144,
c’est-à-dire le 23 octobre 1731.

En marge est écrit :

Notre très parfait ami, Vizir de haute réputation, lorsque


nous vous avons écrit cette lettre, nous venions d’apprendre la
nouvelle de ce qu’avait fait M. Delane, Consul auprès de nous.
D’abord que nous l’avons su, nous avons fait appeler précipitam-
ment les Capitaines de plusieurs bâtiments français qui se trou-
vaient ici, qui ont rejeté toute la faute sur le dit Consul, mais, dans
le premier mouvement, nous leur avons dit que nous avions écrit
à notre grand ami de haute réputation, le Ministre de l’Empereur
de France, pour l’informer du fait, et, qu’en attendant la réponse
de Votre Grandeur, ils demeureraient à Alger. Mais ayant ensuite
fait réflexion qu’il n’était ni convenable ni juste de faire le tort à
ces pauvres gens de les retenir prisonniers dans nos ports à cause
du Consul, encore moins que l’un des deux États fût offensé pour
un si petit objet, nous avons licencié, par considération pour le très
puissant Empereur de France et pour notre grand ami, son Minis-
tre de haute réputation, tous les bâtiments français qui se trouvent
dans nos ports, en sorte que chacun d’eux est maintenant sur le
point de partir pour le lieu de sa destination, et nous renvoyons à
Votre Grandeur les deux Français qui se sont sauvés de Barbarie et
qui étaient entre les mains de Mustapha, Bey d’Oran. Lorsque vous
recevrez cette lettre, faites-nous la grâce de nous excuser ; nous
____________________
conformer aux usages, mais sa soumission n’avait pas ramené dans l’esprit d’Abdi des
dispositions bienveillantes. « C’est à peine s’il daigne m’écouter, disait Delane en rendant
compte de l’une de ses audiences; il crie comme une harengère, et ne me donne pas le
temps de déduire mea raisons. Il m’a dit toutes sortes d’infamies en présence de tous les
Consuls, accompagnées de menaces et d’imprécations à la face de tout Israël. » Lettres
de Delane au comte de Maurepas et aux Députés de Marseille, les 2 juillet, 28 août, 7,
30 septembre et 5 octobre 1731. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et
Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 476 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 161

sommes d’anciens amis, et ce n’est que le Consul que vous nous


avez envoyé qui sème la division entre nous. Tous les religieux
qui sont ici nous ont député le Père Vicaire(1) pour nous dire que
toute la faute venait du Consul. Ils l’ont ainsi décidé, suivant
votre loi, et nous espérons que leurs lettres vous feront connaître
qu’il est à craindre qu’il ne cause quelque trouble. Nous avons
écrit ceci le lendemain de la date de notre lettre, c’est-à-dire le
22 de la lune de Rebi-el-aker, l’an de l’hégire 1144, qui est le 24
octobre 1731.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 17 novembre 1731.

ABDI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Alger, le 16 février 1752.

(Sceau)

A notre grand, parfait, sincère et ancien ami, le très illus-


tre Ministre de haute réputation de Sa Majesté le très haut, très
magnifique Empereur de France, notre très grand et très parfait
ami.
Après nous être acquitté envers Votre Grandeur des vœux et
des compliments qui conviennent à notre amitié très ancienne ; et
nous être informé de l’état de votre santé, nous vous donnons avis
que le sieur Lemaire(3), l’un de vos serviteurs, qui est un homme
habile et entendu dans les affaires, est arrivé ici pour examiner
à fond, discuter et constater ce qui est dû à notre République
____________________
1. Voy. Lettre du P. Duchesne, Vicaire apostolique, au comte de Maurepas, le 5
octobre 1731. — Delane l’avait accusé de faire sa cour au Dey, et d’être disposé « à sa-
crifier mille fois le bien de la nation pour conserver ses aises et sa tranquillité ». Lettre de
Delane au comte de Maurepas, le 6 juillet 1732.
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 321.)
3. Benoît Lemaire, ancien Vice-Consul au Caire et à Alexandrie, ancien Consul à
La Canée, à Seyde et à Tripoli.
162 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

par le nommé Maichens, marchand français ci-devant établi en


cette Ville(1), et, en conséquence, nos dettes réciproques et nos
comptes ayant été examinés, et le dit sieur Lemaire nous ayant
produit des parties de marchandises fournies par le, dit Maichens
pour notre République, ce dont nos Secrétaires n’avaient pas
été suffisamment informés, les erreurs qui se trouvaient dans le
compte ayant été réformées, le dit compte a été évalué et arrêté
à la somme de 10 484 piastres, à laquelle se réduisent toutes les
prétentions que peut avoir notre République contre le dit Mai-
chens, lesquelles prétentions ont été constatées et avérées par le
dit sieur Lemaire. Et comme celui-ci n’a point reçu d’ordre pour
nous acquitter la dite somme, nous espérons que vous la ferez
absolument acquitter, et nous l’avons transportée à M. Holden,
marchand anglais établi ici, qui a envoyé sa procuration au nom-
mé Vanderous, son associé à Marseille ; à l’effet de recevoir et
prendre toute la dite somme. Nous espérons que cette somme qui
est portée dans la procuration sera promptement acquittée(2).
Au reste, notre parfait ami de haute réputation, nous ne dou-
tons pas que .vous ne soyez bien informé que nous n’exigeons
jamais rien injustement de qui que ce soit, Mahométans ou chré-
tiens, et que, quand il survient des procès, nous rendons autant
____________________
1. Lemaire avait pour mission « de régler quelques affaires qui n’avaient pu être
terminées jusqu’à présent à cause de la mésintelligence survenue entre le Dey et le Consul,
et d’approfondir certains faits sur lesquels il était nécessaire d’avoir des informations exac-
tes ». Il devait solder les comptes de Maichens, et représenter à Abdi « les troubles et les
infractions » dont avait à se plaindre la Compagnie d’Afrique. La Cour lui avait fait remet-
tre la somme de 17 000 l., pour être employée en montres et autres présents « pour ceux
qu’il croirait pouvoir par ce moyen affectionner à la France ». Voy. Mémoire pour servir
d’Instruction au sieur Lemaire, décembre 1731, — Journal de Benoit Lemaire, le 3 mars
1782. (Archives des Affaires étrangères, Mémoires et Documents, Alger, t. XV, f° 158.)
2. Voy. Lettre de Delane au comte de Maurepas, le 16 février 1732. « Le Dey a tout
promis touchant les traités avec la Compagnie d’Afrique. Dieu veuille que ces promesses
soient de plus de durée que celles qu’il avait faites à M. Fénix, et que les privilèges tant de
fois jurés ne s’évanouissent pas à la première donative des Anglais ! » Il a fallu cependant
passer par toutes les exigences d’Abdi, au sujet de sa créance sur le négociant Maichens.
C’est un homme très entêté, ajoutait Delane, qui ne prend conseil de personne, et que le
grand usage de l’opium rend quasi furieux. » Voy. aussi Lettre de Delage aux Députés de
Marseille, le 5 octobre 1731. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA,
476 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 163

que nous pouvons, justice à qui elle appartient. Mais si l’on a


confié ici des effets et même souvent de l’argent à Maichens, ce
n’a été que l’estime et la considération qu’on a ici pour tous ceux
qui viennent de votre part, marchands ou autres, qui l’a fait fai-
re. De plus, notre sincère ami, une barque française étant venue
ci-devant ici, nous lui permîmes de charger dans l’un des ports
de notre dépendance du blé et d’autres denrées, et le Capitaine,
ayant eu besoin d’un bon pilote côtier, prit à gages un esclave
mahométan d’un Lieutenant de Janissaires de notre République.
Et le vent l’ayant contraint de relâcher à Majorque, les gens du
pays enlevèrent le dit esclave, et, sous prétexte qu’il était origi-
nairement chrétien, ils le traînèrent en prison, où ils le tinrent
deux ans à lui faire souffrir toutes sortes de mauvais traitements,
jusqu’à ce qu’ils l’aient enfin obligé à retourner malgré lui à la
religion chrétienne. Outre cela quelques Marchands, embarqués
sur une barque française, étant entrés à Carthagène, tandis que les
esclaves leur portaient quelques rafraîchissements, les chrétiens
prirent un marchand et le firent, esclave.
Nous vous dirons encore, notre très parfait ami, que nous
étant ci-devant servi de la médiation de feu M. Durand, votre
Consul auprès de nous, pour Obtenir de notre très grand Ami
l’Empereur de France la liberté des esclaves qui avaient été pris
sur le brigantin de l’illustre Mustapha, Bey d’Oran, ce Consul
nous avait promis positivement que, si nous voulions permet-
tais l’établissement d’un Consul français à Oran, les esclaves en
question seraient mis en liberté(1). Sur une parole si positive, la
parfaite confiance que nous avons en tout ce qui nous vient de
votre part, et la crainte que nous avions que le Bey d’Oran ne
fit des difficultés sur la proposition du sieur Durand, nous ayant
obligé à nous porter caution auprès de Mustapha-Bey de la liberté
de ces esclaves, nous l’engageâmes à permettre l’établissement
d’un Consul à Oran(2) et nous attendîmes l’arrivée des dits escla-
ves, lorsque, M. Durand étant mort,nous n’avons plus entendu
____________________
1. Voy. Lettre de. Natoire au comte de Maurepas, le 29 novembre 1730.
2. Dominique Dedaux.
164 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

parler depuis de ces pauvres malheureux, en sorte que, la parole


que nous avons donnée au Bey d’Oran ne se trouvant pas effec-
tuée, nous avons vu avec douleur qu’il a pris la résolution de
renvoyer votre Consul.
Écrit le 16 de Chaban, l’an de l’hégire 1144, c’est-à-dire le
16 février 1732.
En marge est écrit :
Au reste, notre très parfait ami, ce petit nombre d’esclaves
est bien peu de chose pour le très puissant Empereur de France, et
nous comptons bien avoir notre revanche de cette grâce. Ni nous
ni nos Beys ne perdrons aucune occasion de vous rendre tous les
services qui pourront vous être agréables, et la délivrance de ces
esclaves sera, pour toute la République, un témoignage de votre
amitié et une marque de votre désir sincère de maintenir la bonne
correspondance.
C’est; au surplus, une chose bien indécente que des étran-
gers enlèvent des Mahométans sous le pavillon de l’Empereur de
France, et que, retenant les uns esclaves, ils forcent les autres à
embrasser la religion chrétienne. Il vient tous les jours ici des bâ-
timents français ; il est à constater qu’on n’a jamais fait à aucun
d’eux un semblable traitement, à moins que quelqu’un n’ait de-
mandé de son propre mouvement à embrasser la loi mahométane,
auquel cas ni Mahométan ni chrétien ne peut y mettre opposition.
Nous avons instruit le sieur Lemaire de toutes ces choses, et nous
ne doutons pas qu’il ne vous en informe verbalement dès qu’il
sera retourné auprès de vous. Vous nous avez fait savoir que le
sieur Delane, votre Consul auprès de nous, n’a pas commis de
fautes, mais il serait fort à plaindre si vous étiez instruit de tous
ses mauvais procédés, car, depuis qu’il est ici, nous ne lui avons
pas vu faire une démarche convenable à l’amitié, et la façon dont
il remplit son emploi ne répond nullement à la bienveillance que
l’Empereur de France a pour nous. Et c’est une très mauvaise mar-
que que depuis si longtemps que nous n’avons point de plus grand
ami que d’Empereur de France, le sieur Delane fasse aujourd’hui
des actions qui ne font que causer du refroidissement. Si vous
AVEC LA COUR DE FRANCE 165

voulez bien prendre la peine de vous en informer, vous saurez


que nous n’avons pas encore dit une parole qui ait pu affliger un
Français mal à propos, et vous verrez au contraire beaucoup de
trahisons dans les actions de votre dit Consul. Plaise à Dieu qu’il
s’attire enfin la colère de l’Empereur de France(1) !
Notre parfait ami, Vizir de haute réputation, l’Empereur de
France est notre grand ami et nous sommes ferme et stable dans
notre amitié. Si nous pouvons vous servir en ces quartiers, faites-
le-nous savoir ; nous n’omettrons rien de ce qui dépendra de nous,
car il convient à notre amitié réciproque de nous en donner les
uns aux autres toutes les marques possibles. Vous nous aviez de-
mandé ci-devant la liberté de sept esclaves chrétiens ; nous vous
en envoyâmes six, et le septième, ne s’étant pas trouvé, ne put
vous être envoyé. Mais le sieur Lemaire nous l’ayant demandé de
nouveau avec instance à son arrivée, et cet esclave s’étant trouvé
parmi ceux d’un de nos Beys de la campagne, nous l’avons fait
venir en poste et remis au dit sieur Lemaire, et, pour que cette let-
tre ne vous soit pas présentée sans accompagnement, nous avons
chargé le sieur Lemaire de vous présenter 3 chevaux de notre part ;
nous vous prions de les accepter et de nous conserver votre ami-
tié. Si vous désirez savoir tout le reste de ce qui nous concerne, le
sieur Lemaire pourra vous en informer, car nous l’avons chargé
de nos affaires auprès de vous, comme vous des vôtres auprès de
nous. C’est un parfaitement habile homme, de beaucoup d’esprit
et de bon sens ; il nous a très bien fait connaître, par la manière
dont il s’est acquitté de sa commission, qu’il est digne que vous
l’employiez à votre service(2). Au reste c’est à votre prudence à en
ordonner ce qui vous plaira.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 6 mars 1732.
____________________
1. Lettres de Delane au comte de Maurepas, les 18, 25 février et 28 mars 1732.
2. Voy. la note 4, p. 169.
166 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ABDI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 15 mai 1732.

(Sceau)

Très excellent et très magnifique Ministre de notre grand


ami le très haut, très puissant et très respectable Empereur de
France, qui est notre très sincère ami,
Après avoir présenté à Votre Grandeur de haute réputation
nos vœux conformes à la plus parfaite amitié, et nos compliments
fondés sur la bonne union et la sincérité, et avoir prié le Seigneur
de vous donner une longue vie remplie de prospérités, nous vous
informons que le sujet qui nous porte à vous écrire cette lettre
d’amitié est que nous venons de recevoir la nouvelle que Mehem-
med-reïs, fils de Hadji Mustapha, qui commandait une de nos bar-
ques armée en course, ayant été jeté par une tempête proche des
côtes d’une de vos provinces, et y ayant rencontré trois galères
espagnoles auxquelles il n’aurait pu échapper, le dit Mehemmed-
reïs se serait embarqué dans la chaloupe avec environ 20 hommes
de son équipage, et se serait sauvé dans les terres de votre dépen-
dance(2). Cette nouvelle nous ayant été réitérée par plusieurs avis
consécutifs, nous avons pris le parti d’en donner avis à Votre
Grandeur de haute réputation, et de vous prier, en qualité de notre
parfait ami, de nous donner en cette occasion une nouvelle mar-
que d’amitié, en nous renvoyant au plus tôt le dit Mehemmed-reïs
et son équipage, s’ils sont effectivement dans les pays de votre
dépendance, et nous vous en aurons une parfaite obligation. Et
s’il est vrai que la barque du dit mis ait été prise sur les côtes de
France, il convient à la gloire et à la bienveillance de notre grand
ami l’Empereur de France de nous la faire rendre, d’autant que
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant el Barbarie, B7 321.)
2. Lettre de Lemaire au comte de Maurepas, le 11 octobre 1732.
AVEC LA COUR DE FRANCE 167

Votre Grandeur est bien informée que dans toutes les occasions,
qui se présentent en ces quartiers, nous ne manquons pas de vous
donner des marques de notre amitié, principalement en faisant
sauver les esclaves français, en payant leurs dépenses, en leur
faisant tous les bons traitements possibles et en les renvoyant aux
lieux où ils désirent aller, parce qu’il est du devoir de notre ami-
tié réciproque de nous entraider en toute occasion. D’ailleurs ce
sent les lois de la mer, et si l’exacte observation de ces lois venait
à être négligée, il n’y aurait plus de règles sur mer, et alors, les
abus et les fraudes se multipliant, il arriverait bien des choses qui
troubleraient la bonne correspondance. L’Empereur de France
est notre plus ancien et plus grand ami, et nous devons chercher
à nous obliger de part et d’autre. Nous serions charmé de trouver
ici quelque occasion de rendre nos services à Sa Majesté ; nous
la saisirions de tout notre esprit et de tout notre cœur.
Ce que nous espérons de Votre Grandeur, c’est la grâce de
ne pas nous effacer de son souvenir et de -nous apprendre, par
une lettre d’amitié, quelle sera la réussite de cette affaire ; nous
vous en serons très parfaitement obligé. Au reste, nous prions
Dieu de vous conserver dans une parfaite santé et prospérité.
Écrit le 20 de la lune de Zilcadé, l’an 1144, qui est le 15 mai
1732.
En marge est écrit :
Notre très parfait ami, Ministre de, haute réputation, Dieu
sait que nous n’avons absolument personne qui soit si avant dans
notre amitié que notre très grand ami l’Empereur de France ; vos
vaisseaux sont, les nôtres et nos vaisseaux sont les vôtres, et Votre
Grandeur sera pleinement instruite de notre sincérité à cet égard,
si vous voulez bien prendre la peine de vous en informer tant des
marchands français qui négocient en ce pays que des Capitaines
de vos vaisseaux de guerre et marchands.
De plus, notre grand ami, il y a deux mois qu’un bateau
où étaient embarqués des chrétiens, qui fuyaient d’un pays de
la chrétienté, fut obligé de relâcher à Bône, où les dits chrétiens
168 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ayant été pris esclaves suivant les lois de la justice, il s’est trouvé
parmi eux 10 Français qui, ayant été pris sans pavillon ni passe-
port, sont légitimement nos esclaves. Mais comme le désir que
nous avons d’entretenir la bonne correspondance qui est entre Sa
Majesté, Votre Grandeur et nous est sans bornes, si l’affaire du
reïs Mehemmed est véritable et que vous ayez la bonté de nous
renvoyer au plus tôt le dit reïs et son équipage, nous prions Votre
Grandeur de se bien persuader que nous délivrerons sans rançon
les dits 10 esclaves français et que nous les lui renverrons(1).
Traduit pair PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 20 juin 1732.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Alger, le 21 janvier 1733.

Lettre d’amitié de Son Excellence Ibrahim, Dey de la Ré-


publique, d’Alger de Barbarie, sous le règne de l’Empereur sem-
blable à Alexandre, successeur des grands Beys, Sultan, fils de
Sultan, le Sultan Mahmoud, — dont Dieu perpétue le règne et la
félicité ! —
Vous qui êtes le Ministre du plus grand des Rois chrétiens,
distingué parmi les plus magnifiques Potentats de la religion du
Messie, rempli de gloire et de majesté royale, l’Empereur de
France, le très excellent et très magnifique Ministre de haute
réputation, notre très parfait, très sincère, grand et ancien ami,
— Que Dieu Très-Haut conduise toutes vos entreprises à une fin
très heureuse, et vous dirige dans les voies de la droiture et de la
perfection ! —
____________________
1. Lettre de Lemaire aux Députés de Marseille, le 23 mai 1732, leur annonçant
qu’il a pu obtenir la restitution de ces esclaves. (Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 476 de l’Inventaire.)
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 321.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 169

Après avoir présenté à Votre Grandeur les marques de notre


amitié et les témoignages de notre sincérité, nous commençons,
comme il convient à notre ancienne amitié, par nous informer
de l’état de votre santé, priant le Seigneur de vous tenir toujours
en sa garde et protection et de vous conserver, pendant le cours
d’une longue vie, la place éminente que vous occupez sur le trône,
par les mérites de Jésus, l’esprit de Dieu ! Notre sincère et grand
ami, Ministre de haute réputation, le sujet qui nous porte à vous
écrire cette lettre d’amitié est que notre prédécesseur sur le trône
de ce Royaume, Abdi Pacha, — à qui Dieu fasse miséricorde !
— étant passé de cette demeure périssable en celle de l’éternité(1),
les membres de ce Divan respectable ayant jugé à propos de nous
confier le Commandement et de nous mettre en sa place(2), nous
avons, comme vous l’avez appris, confirmé et signé, suivant l’an-
cien usage, les traités de renouvellement de paix et d’amitié(3)
qui étaient entre les mains des Consuls des Princes chrétiens qui
sont dans l’amitié et alliance de notre République, et comme le
sieur Lemaire, votre Consul auprès de nous(4), nous l’a deman-
dé, en considération de ce que vous êtes notre ancien grand ami,
nous avons écrit à Votre Grandeur la présente lettre d’amitié.
____________________
1. Abdi mourut de maladie, le 3 septembre 1732, après avoir échappé à trois
conspirations des officiers de la Milice. Voy. Lettre de Lemaire au comte de Maurepas, le
11 octobre 1732.
2. Ibrahim, beau-frère du Dey défunt, avait rempli sous son règne les fonctions de
Kasnadji. Il trouva les finances du pays très obérées, et songea aussitôt, pour se procurer
des ressources, à déclarer la guerre au Bey de Tunis. Il s’empara de cette ville en 1735, et
ne revint à Alger qu’à la condition de recevoir des Tunisiens une redevance annuelle de
50 000 p. Voy. Lettre de Lemaire au comte de Maurepas, le 11 octobre 1732.
3. Cette ratification de nos traités eut lieu le 6 septembre 1732, par les soins du
Consul et du sieur Martin, agent de la Compagnie d’Afrique.
4. Benoît Lemaire, désigné pour remplacer Delane dès le 16 avril 1732, se ren-
dit à son poste sur l’un des vaisseaux de l’escadre de Claude Aubéry de Wattan, Grand
Bailli de Lyon, chargé d’aller visiter les Échelles de Barbarie. Le nouveau Consul arriva
à Alger le 1er juillet, se présenta au Divan avec les officiers de la marine royale, MM. de
Château-Renard, de Marandé, de Saint-Victor, et signifia à Delane l’ordre de s’embarquer
sur L’Espérance, pour retourner au Consulat de La Canée. « J’avais quitté mon épée dans
l’antichambre, écrivit Lemaire, de quoi le Dey s’étant aperçu me témoigna que je lui
avais fait plaisir, en me disant que, puisque j’avais pris cette précaution, il me laissait la
liberté de rester armé devant lui. » Lettres de Lemaire au comte de Maurepas, les 6 juillet
170 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Nous espérons que l’intention sincère de Votre Grandeur étant


de fortifier l’ancienne amitié, elle donnera des ordres à ses ser-
viteurs les Capitaines de ses vaisseaux qui iront sur mer, à l’ef-
fet que, lorsqu’ils rencontreront des navires ou autres bâtiments
algériens, ils les traitent avec amitié et suivant l’ancien usage.
Nous vous en serons obligé. De notre part, notre persévérance
dans l’amitié que nous avons avec l’Empereur de France est plus
claire que le jour.
Écrit le 5 de Chaban, l’an de l’hégire 1145, c’est-à-dire le
21 janvier 1733.
(Sceau)
IBRAHIM,
Dey d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 3 février 1733.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 27 janvier 1733.

Très excellent et très magnifique Ministre du très haut et


très puissant Empereur de France, qui est notre très sincère et
grand ami,
Après avoir présenté à Votre Grandeur de haute réputation
nos vœux et nos saluts, nous vous dirons que le sujet qui nous
porte à vous écrire cette lettre d’amitié est que votre serviteur le
sieur Martin, Consul du Bastion(1), nous ayant porté ses plaintes
____________________
et 20 août 1732. — Lemaire avait reçu l’ordre de faire embarquer Natoire, dont les re-
lations équivoques avec les Anglais et les Juifs étaient signalées à la Cour comme un
véritable scandale, mais qui, depuis quelque temps, s’était réfugié chez nos ennemis.
Voy. Ordre du Roi pour faire embarquer Natoire, le 3 décembre 1731, — Mémoire contre
le sieur Natoire, 1729, — Lettres de Natoire au comte de Maurepas, les 11 juillet et 29
novembre 1730.
1. Jean-François Martin, agent de la Compagnie d’Afrique à Alger. Voy. Sa corres-
pondance aux Archives coloniales de la Marine, (Compagnies d’Afrique, 1732-1739.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 171

de ce que des bâtiments de différentes nations venaient acheter


du blé et d’autres denrées à Oran et aux ports de notre obéissance
dépendant de cette province(1), comme nous n’approuvons point
qu’ils fassent ce commerce, nous avons fait promptement expé-
dier nos ordres aux Caïds et Commandants de ces quartiers, afin
qu’ils aient à interdire ce commerce à toute autre nation qu’à la
Compagnie française, et nous avons fait armer sur-le-champ une
galiote, sur laquelle nous avons envoyé le sieur Martin à Bône,
pour prendre à ce sujet tous les arrangements convenables. Et
c’est une chose assurée que, s’il se présente à l’avenir des bâti-
ments étrangers dans les ports susdits, ils y seront saisis(2). Notre
très illustre et grand ami, il y a très longtemps que nous sommes
dans l’amitié de l’Empereur de France ; en faveur de cette amitié
nous donnerons toujours les mains à ce que les traites de nos den-
rées soient faites par vos agents, parce que cela est en sa place, et
nous regardons votre Compagnie comme nôtre, parce que nous
espérons que Dieu nous fera la grâce de persévérer toujours dans
l’amitié et la bonne correspondance. Nous prions Votre Grandeur
de haute réputation d’augmenter toujours son ancienne amitié tant
pour notre personne que pour notre République, et d’être persua-
dée que nous ne manquerons jamais de lui donner des marques de
____________________
1. Voy. Lettres de MM. les Intéressés de la Compagnie d’Afrique au comte de
Maurepas, relatives aux infractions des Algériens et à la violation de nos privilèges com-
merciaux. (Archives coloniales de la Marine, Compagnies d’Afrique, 1732-1739.)
2. Le Secrétaire d’État de la Marine avait de son côté donné des ordres formels à
Lemaire, pour représenter au Dey sa conduite équivoque à l’égard de nos Concessions : «
Les intéressés en la Compagnie d’Afrique, en m’informant du changement arrivé à Alger,
me marquent que, suivant les différents avis qu’ils ont reçus de leurs agents, le nouveau
Dey, sans faire attention aux traités passés par son prédécesseur pour le privilège exclusif
dans leurs Concessions dépendantes de la République d’Alger, a donné à un Grec, établi à
Bône, la permission d’y charger de blé deux vaisseaux anglais, que le Bey de Constantine
en a accordé une pareille à un autre vaisseau anglais, et que depuis le Dey en a accordé
une générale au même Grec pour lever toutes les quantités de blé qu’il voudrait. Sa Ma-
jesté ne devait point s’attendre à ce que le Dey eût tenu une conduite si préjudiciable à la
Compagnie et si contraire à la bonne intelligence, et elle désire que vous lui fassiez de sa
part de vives représentations à ce sujet, et que vous lui fassiez entendre que, s’il continuait
à donner de pareilles permissions, la Compagnie ne lui payerait plus les lismes.... » ? Let-
tre du comte de Maurepas à Lemaire, le 29 octobre 1732.
172 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

l’accroissement de la nôtre. Et comme le sieur Martin est un


homme sage, intelligent et capable, nous aurons toujours tous les
égards possibles pour ses recommandations, et nous ferons tout
ce qui dépendra de nous pour lui donner toutes les satisfactions
praticables, en lui accordant et à la Compagnie du Bastion tout
ce qu’il nous demandera pour elle, quand ce ne sera pas contraire
aux lois et à l’équité. Au reste nous prions Dieu d’accorder à
Votre Grandeur de haute réputation une vie longue et remplie de
prospérités.
Écrit le 27 janvier de l’hégire 1145, l’an de grâce 1733.
(Sceau)
IBRAHIM,
Dey d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 17 mars 1733.

LE COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A IBRAHIM, DEY D’ALGER.

Versailles, le 27 mai 1733.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu vos lettres des 21 et 27 janvier dernier(1), par l’une
desquelles vous avez bien voulu me faire part de votre élection
pour gouverner le Royaume d’Alger. Je vous en fais mon compli-
ment d’autant plus sincère que je vois avec plaisir que les grandes
qualités qui vous ont fait élever sur ce trône sont accompagnées
de sentiments favorables pour la nation française, et du désir de
maintenir l’exécution des traités que vous avez confirmés par votre
signature(2). Je suis aussi infiniment sensible aux assurances parti-
culières que vous me donnez de votre estime et de votre amitié, et
je vous prie d’être persuadé que mes sentiments répondront par-
faitement aux vôtres, et que je serai toujours également empressé à
____________________
1. Voy. p. 168 et 170.
2. Le 8 septembre 1732.
AVEC LA COUR DE FRANCE 173

vous en donner des preuves dans toutes les occasions, et à faire


tout ce qui dépendra de moi pour entretenir la bonne intelligence.
Mais je ne saurais me dispenser de vous dire qu’il semble que vous
n’avez pas tenu exactement la main de votre part à faire obser-
ver les traités, comme vous m’avez témoigné y être disposé par
vos lettres, puisque vos corsaires ont depuis commis plusieurs in-
fractions en arrêtant des bâtiments français, et que la Compagnie
d’Afrique a encore été troublée nouvellement dans la jouissance
du privilège exclusif qui lui appartient dans ses Concessions. Je me
remets aux représentations que le sieur Lemaire a eu ordre de vous
faire sur ce sujet(1), et à celles qui vous seront faites aussi de la part
de l’Empereur, mon Maître, par le Commandant d’une de ses esca-
dres qui doit passer à Alger(2). Je ne doute point que porté, comme
vous assurez l’être, à persévérer dans la bonne correspondance qui
est établie depuis si longtemps entre les sujets de Sa Majesté Impé-
riale et ceux de votre État, vous n’accordiez les justes satisfactions
qui vous seront demandées. Dans cette confiance, je vous souhaite
un règne long et heureux et vous prie de me croire,
Votre très parfait et sincère ami.
MAUREPAS.
____________________
1. Note des sujets de plaintes de l’Empereur de France contre Baba Ibrahim, Dey
d’Alger, par Lemaire, le 22 avril 1733 : « Le Roi, mon Maitre, m’ordonne de représenter
avec instance à Votre Excellence combien Sa Majesté a été surprise de ce que, contre le
traité, elle ait souffert l’insulte qui a été faite à son pavillon, en arrêtant des bâtiments de
ses sujets munis de leur passeport en forme. Sa Majesté se plaint aussi de ce que les cor-
saires d’Alger ne discontinuent pas, au préjudice des traités, de faire des courses sur les
côtes de Provence. Elle n’est pas moins surprise des infractions qui se commettent au pré-
judice des intérêts de la Compagnie d’Afrique, par les permissions que Votre Excellence
accorde aux étrangers d’aller charger des marchandises dans les lieux de ses Conces-
sions.... » — Ibrahim reçut ces représentations d’assez bonne grâce en apparence, mais
le Consul ayant cru de son devoir de les réitérer le lendemain, « ce brutal lui a répondu,
fort en colère, qu’il n’avait que faire de lui rompre la tête sur ces matières ». Lettres de
Lemaire au comte de Maurepas, les 5 et 24 avril 1733.
2. Une escadre de quatre vaisseau, commandée par le chevalier de Luynes, reçut
l’ordre d’aller mouiller devant Alger, et de soutenir par sa présence les réclamations du
Consul. Cette nouvelle démonstration n’obtint aucun résultat. Voy. Mémoire pour M. le
Commandant de l’escadre des vaisseaux du Roi sur les satisfactions que Sa Majesté a lieu
de prétendre, d l’occasion de plusieurs infractions au traité de paix, le 10 août 1733. —
Voy. aussi Lettre du comte de Maurepas à Lemaire, le 10 juin 1733.
174 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 6 novembre 1733.

Très illustre et très magnifique Seigneur, Ministre de haute


réputation du très haut, très puissant, très auguste et très magni-
fique Empereur de Toulon, de Marseille, de Paris, de Navarre et
des autres Pays, Royaumes et Provinces qui composent l’Em-
pire de France, très grand et ancien ami. — Que Dieu Tout-
Puissant conserve le règne et prolonge les jours de Sa Majesté
Impériale ! —
Notre très parfait, sincère et magnifique ami de haute ré-
putation, après avoir présenté, conformément à l’amitié qui est
entre nous, à Votre Grandeur distinguée parmi les plus grands
Seigneurs les vœux les plus excellents et les plus sincères, et prié
Dieu, par les mérites de Jésus, de conserver votre santé et de per-
pétuer la sublime élévation où vous êtes, nous vous informons
que le sujet que vous avez envoyé comme Consul en ce pays et
chargé de vos ordres magnifiques est un homme étourdi, sans ju-
gement, et que son inclination ne porte qu’à des actions indignes
de son caractère(1). Il a chassé sans aucune raison son trucheman,
qui le servait comme aurait fait un esclave(2), et il ne peut vivre
____________________
1. La flotte espagnole du comte de Montemart était venue, le 15 juin 1732, as-
siéger et reconquérir Oran, que les Turcs occupaient depuis 1708. L’armée de Philippe
V comptait un grand nombre d’officiers français, la plupart chevaliers de Malte, et quel-
ques-uns d’entre eux ayant été faits prisonniers et emmenés comme esclaves à Alger,
Ibrahim s’était vengé sur notre Consul de la présence de nos compatriotes au milieu de
ses ennemis. Les difficultés de Lemaire étaient encore augmentées par les Juifs, amis
du Dey, et sur lesquels la Chambre de Marseille s’obstinait à vouloir percevoir certains
droits. Lettre de Lemaire aux Échevins de Marseille, le 2 mars 1734. (Archives de la
Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 477 de l’Inventaire.)
2. Ce trucheman jouait le rôle d’espion du Consulat de la nation française. Il entre-
tenait des intelligences avec l’ancien Chancelier Natoire, intime ami des Anglais, et surtout
avec Holden, l’homme de paille de nos ennemis. Le Ministre n’avait pas tardé d’ailleurs à
approuver ce renvoi. Lettre du comte de Maurepas à Lemaire, le 10 juin 1733.
AVEC LA COUR DE FRANCE 175

avec personne, ni marchands français ni esclaves. Combien de fois


l’avons-nous averti ! Quelles remontrances ne lui ont pas faites
les religieux français qui sont ici, selon le droit ancien qu’ils ont
de le faire ! Il ne veut rien écouter ni se régler sur les anciens usa-
ges, il ne s’applique uniquement qu’à mettre à exécution les idées
que son génie lui suggère. Si son drogman ou quelque autre de
nos officiers ou de nos sujets l’a trompé en la moindre chose, ou a
manqué le moins du monde au respect dû à son caractère, nous l’en
châtierons, pour l’amour de Votre Grandeur magnifique, mais elle-
même ne fait pas punir ses sujets quand ils ne sont pas coupables.
Il n’y a point de représentations qui ne lui aient été faites par les
religieux et par les marchands ; il paraît n’en faire aucun cas et ne
vouloir se conduire qu’au gré de ses fantaisies. Certes il serait bien
extraordinaire qu’après avoir entretenu soigneusement, depuis tant
d’années, une amitié très sincère avec Sa Majesté Impériale, les
nœuds de l’union vinssent à se relâcher, par la mauvaise conduite
d’un Consul revêtu d’un caractère sacré, chargé des Ordres augus-
tes de Sa Majesté Impériale et illustré par ses bienfaits. Nous as-
surons cependant Votre Grandeur de haute réputation que notre
République et la Milice en particulier sont très sincèrement atta-
chées à Sa Majesté Impériale qui est le soutien du monde, et que
nous soutenons avec soin leurs bonnes dispositions à cet égard.
C’est pourquoi, notre très parfait, très excellent et très puissant
ami de haute réputation, nous prions Dieu que, lorsque cette lettre
d’amitié parviendra en la présence magnifique de Votre Grandeur,
il vous plaise ordonner aux intéressés de la Compagnie d’Afrique
de se rendre dans la poussière des pieds de Votre Grandeur, pour
lui rendre compte de la conduite du sieur Lemaire. Elle sera in-
failliblement instruite, par ce moyen, de toutes les fausses démar-
ches et de tous les mauvais procédés de ce Consul, qui, depuis
son arrivée ici, n’a négligé aucun moyen de brouiller et de mettre
tout sans dessus dessous. La considération extrême que nous avons
pour Votre Grandeur nous a empêché de faire au sieur Lemaire les
reproches qu’il mérite ; nous nous contentons de vous faire un récit
très abrégé de sa mauvaise conduite, persuadé que nous sommes
176 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

que vous la désapprouverez(1). Nous vous prions d’y remédier


en procurant le changement de Consulat du sieur Lemaire, par
quelque voie que ce puisse être. Ce n’est pas seulement pour no-
tre repos que nous vous demandons cette grâce, c’est pour celui
des marchands français et de tout le monde. Au reste, notre par-
fait et sublime ami, nous prions encore Votre Grandeur de haute
réputation de vouloir bien s’informer, auprès des négociants de
la Compagnie, de la sincérité de notre attachement pour Sa Ma-
jesté Impériale qui est l’appui du monde et pour Votre Grandeur.
Nous nous en rapportons très volontiers aux témoignages qu’ils
vous en rendront et nous vous prions d’y ajouter foi. Nous sup-
plions le Créateur Tout-Puissant de conserver votre santé et votre
prospérité, et de détruire et anéantir ceux qui auraient dessein de
troubler la bonne intelligence qui est entre nous. Amen ! O mon
Dieu ! Amen !
Écrit le 29 de la lune de Djemazi-el-ewel, l’an de l’hégire
1146, c’est-à-dire le 6 novembre 1733.
(Sceau)
IBRAHIM,
Dey et Seigneur d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 15 décembre 1733.
____________________
1. Les Anglais faisaient à Ibrahim des propositions séduisantes pour chasser
d’Oran les Espagnols, à condition d’obtenir, pour prix de ce service, nos établissements
commerciaux. Lemaire ne cessait de représenter au Dey que l’Angleterre serait pour la
Régence une voisine infiniment plus dangereuse que l’Espagne, et se trouvait alors obligé
de lutter contre une véritable coalition des. Consuls étrangers, jaloux de nos privilèges. «
Je ne puis, écrivait-il, obtenir aucune réparation ni les satisfactions que le Roi demande
avec juste raison, et que je sollicite avec chaleur auprès d’un Dey féroce, qui ne veut
écouter d’autres raisons que celles que lui suggèrent son sordide intérêt et sa haine impla-
cable contre le nom chrétien qu’il abhorre. » Lettres de Lemaire au comte de Maurepas,
les 5 et 24 avril, 8 juin, 4 et 12 juillet, 10 sont et 9 octobre 1733, et 2 mars 1734. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 177
IBRAHIM, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 6 février 1734.

Très excellent et très magnifique Seigneur de haute réputa-


tion, qui êtes le Ministre du très haut et très puissant Empereur de
France, notre grand ami,
Après avoir présenté à Votre Grandeur les vœux que nous fai-
sons pour elle, conformément à notre amitié, nous vous informons,
notre illustre ami de haute réputation, que nous avons reçu votre
lettre d’amitié de l’année dernière(2), par laquelle vous vous plai-
gnez des mis de nos vaisseaux corsaires qui enlèvent, dites-vous,
injustement les bâtiments marchands français qu’ils rencontrent
et les conduisent à Alger où on les retient, que même le chevalier
d’Aregger a été pris de la sorte, non loin des côtes de France, sur
un bâtiment français(3). Il est vrai que, pendant le siège d’Oran(4),
un de nos corsaires ayant rencontré une tartane française chargée
de chaux et d’autres choses propres à bâtir, sur laquelle était em-
barqué ce chevalier, la prit et la conduisit à Alger ; que les papiers
de la tartane et en particulier de ce chevalier ayant été examinés,
il fut reconnu qu’elle allait à Oran, qu’ensuite ce chevalier, ayant
été interrogé en présence de votre Consul, répondit qu’il allait à
Oran rejoindre sa compagnie, et que, sur sa propre déposition,
il fut déclaré de bonne prise et comme tel retenu, et que la tar-
tane fut déchargée et relâchée ensuite avec son équipage(5). Mais
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 321.)
2. Voy. p. 172.
3. Le chevalier d’Aregger, Suisse au service de l’Espagne, s’était embarqué à
Marseille sur la tartane du patron Gautier pour passer à Alicante, où se trouvait son ré-
giment. Le corsaire qui l’avait amené à Alger avait fait croire au Dey que cet officier se
rendait à Oran pour s’unir aux assiégeants. Sa captivité dura cinq ans. Voy. L’Algérie, par
Gaffarel, p. 42.
4. Voy. Mémoires sur la conquête d’Oran par les Espagnols, Archives des Affaires
étrangères, Mémoires et Documents, Alger, t. XVI, et le récit détaillé de cette expédition
dans l’Aperçu sur l’État d’Alger, à l’usage de l’armée expéditionnaire d’Afrique. (Paris,
1830, p. 46 et suiv.)
5. « Il est de toute conséquence d’obtenir la liberté du chevalier d’Aregger, écrivait
178 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

il est à observer qu’avant cet événement, notre armée étant proche


d’Oran, nous lui envoyâmes journellement des renforts jusqu’à
ce que, le siège de cette place étant entièrement fermé, nous nous
trouvâmes un jour extrêmement pressé d’envoyer en diligence
des munitions à notre armée, et, n’ayant point alors de bâtiments
prêts à les transporter, nous voulûmes noliser tous les bâtiments
qui se trouvaient alors dans le port d’Alger, tant anglais que fran-
çais ou d’autres nations, mais les Consuls, et celui de France avec
les autres, vinrent devant nous et s’opposèrent à notre dessein,
en nous représentant que si les vaisseaux espagnols trouvaient
des effets appartenant aux Algériens sur des bâtiments de leurs
nations respectives, ils saisiraient les dits effets comme contre-
bande. Sur cela nous leur fîmes cette question : — « Mais si
lieus trouvons sur de vos bâtiments des troupes, des munitions
ou d’autres effets appartenant aux Espagnols, il nous sera donc
aussi permis de les prendre ? » — Alors votre Consul et les autres
répondirent que, si nous en trouvions, nous étions les maîtres de
les enlever. Ce fut dans ce même temps que nos corsaires trouvè-
rent la tartane en question. Nous étions bien en droit de la retenir
avec son chargement, selon toutes les règles de l’équité, mais la
considération que nous avons pour l’amitié que l’Empereur de
France porte à notre République nous a engagé à relâcher la dite
tartane et son équipage, et jamais nous n’avons confisqué aucun
des bâtiments français. qui peuvent avoir été arrêtés.
Mais votre Consul est un magasin de méchanceté, qui in-
vente des mensonges accommodés selon la légèreté de son génie
et les débite à Votre Grandeur, ce qui est de mauvais présage.
____________________
le Ministre ; son esclavage est une honte pour le pavillon de France, car ce chevalier,
autant par sa naissance que par ses propres qualités, mérite l’attention de tout le monde. »
Voy. Mémoire pour M. le Commandant de l’escadre des vaisseaux du Roi sur les satisfac-
tions que Sa Majesté a lieu de prétendre. — Lemaire invoqua vainement auprès du Dey
l’article de nos traités qui défendait aux Algériens de capturer des étrangers naviguant
sous pavillon de France : « La violence de sa colère l’empêche de parler, l’impétuosité de
ses reproches me condamne moi-même au silence. Non, lui a dit Ibrahim, je n’accorderai
rien ; l’Anglais plus juste doit être l’objet de mes égards, et j’ai juré de ne rien rendre à
la France ; je lui déclarerai plutôt la guerre que de manquer à mon serment. » Lettres de
Lemaire au comte Maurepas, les 4 février et 5 avril 1734.
AVEC LA COUR DE FRANCE 179

Depuis qu’il est ici, il s’est attiré l’aversion générale de tout le


monde, tant des Musulmans que des chrétiens. Du vivant d’Abdi
Pacha, le drogman qui servait à votre Consul ayant commis plu-
sieurs friponneries, le témoignage de sa propre conscience l’obli-
gea, sans qu’on lui fit la moindre violence, de se sauver dans les
montagnes, où il erra jusqu’à ce que le Gouvernement de l’État
nous fût confié. Il revint alors, mais, ses malversations étant énor-
mes, il fut cassé et sa place donnée à un autre renégat français
qui s’employa d’abord fidèlement et de bonne foi au service du
Consul, puis, s’apercevant ensuite de ses mauvais procédés, il
l’avertit et s’attira sa haine, en sorte que le Consul nous recom-
manda l’ancien drogman, et, comme nous refusâmes de consentir
qu’il le reprit, il le chassa enfin sans aucun sujet(1).
Il est bien vrai que le 15e article du traité porte que le Consul
choisira pour drogman qui bon lui semblera, mais cela signifie
qu’il choisira un homme capable de s’acquitter des fonctions de
cette place, et, s’il choisissait un fripon, un malhonnête homme,
et qu’il voulût en faire son drogman, ce serait une chose impossi-
ble et dont il ne pourrait jamais venir à bout, parce que dès que le
drogman serait convaincu de malversation, le Dey d’Alger le cas-
serait selon l’ancien usage, et en nommerait un autre à sa place.
Cela étant ainsi, il ne faut pas que le Consul s’obstine là-dessus
mal à propos, à moins que ce Consul n’ait été envoyé ici pour
nous maîtriser ; mais personne n’est en droit de nous commander
que l’Empereur ottoman, notre Empereur, qui est le Sultan des
deux terres, l’Empereur des deux mers, le libérateur Mahmoud.
Si vous êtes véritablement notre ami, faites-nous connaître
votre amitié, car il est clair comme le jour que la victoire que les
Espagnols ont remportée sur Oran, qu’ils ont surprise, ne vient
que de vous, par les troupes et les munitions que vous leur avez
données. Une amitié déclarée jointe à une inimitié secrète est
d’un très mauvais augure ; en amitié, l’intérieur doit répondre à
l’extérieur, mais quand les Espagnols ont surpris Oran, vous leur
____________________
1. Vor. la note 2, p. 174.
180 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

avez donné un secours de 4 000 à 5 000 hommes bien armés et


commandés par vos officiers(1). De semblables articles se trouvent-
ils dans vos traités ? Nous avons pris plusieurs esclaves d’Oran
qui tous se sont trouvés Français ; si vous désavouez le fait, nous
vous répondrons qu’il est impossible qu’un si grand nombre de
troupes, avec leurs officiers bien armés, soient passées au service
d’une Puissance étrangère sans la participation de leur Prince ou
au moins de leur Ministre. Outre cela, l’usage établi est que, lors-
qu’il y a un nouveau Dey d’Alger, les Rois amis de la République
envoient des vaisseaux de leur part, avec des personnes chargées
du renouvellement des traités(2) ; tous les autres l’ont fait, vous
seul ne l’avez pas fait. Si donc vous êtes véritablement de nos
amis, faites-le connaître en ne donnant point de secours à nos en-
nemis et en déposant Lemaire, votre Consul, et en nommant à sa
place une autre personne qui soit d’un esprit traitable et entendu
dans les affaires, parce que, si Lemaire reste ici, il ne procurera
pas entre nous la bonne intelligence. Les marchands français et
autres, qui sont ici, vous rendront témoignage de la sincérité de
nos intentions pour le maintien de l’amitié qui est entre vous et
nous. Par là vous connaîtrez la fausseté des mensonges que votre
Consul vous débite. Nous attendons sur cela votre réponse.
Écrit le 3 de Ramadan de l’an de l’hégire du Prophète 1146,
c’est-à-dire le 6 février de l’an de grâce 1734.
(Sceau)
IBRAHIM,
Dey et Gouverneur d’Alger.
En marge est écrit ce qui suit :
Notre ami, Seigneur Ministre de haute réputation, nous sup-
plions Votre Grandeur de ne point prendre en mauvaise part ce
____________________
1. Ce fait n’est relaté dans aucun document officiel. L’armée espagnole avait pu
simplement recueillir un certain nombre de Français renégats, déserteurs ou sans aveu,
qui avaient été chercher là soit un butin soit un asile.
2. On a pu remarquer dans les notes précédentes que les autres nations euro-
péennes venaient d’envoyer au nouveau Dey des présents considérables. L’agent de la
Compagnie d’Afrique, Martin, ayant renouvelé notre traité dès le 6 septembre 1732, l’in-
sinuation d’Ibrahim ne pouvait être inspirée que par la cupidité.
AVEC LA COUR DE FRANCE 181

qui est contenu dans notre lettre, mais de nous continuer toujours
l’honneur de votre amitié, de déposer Lemaire, votre Consul, et
de nous envoyer en sa place un de vos serviteurs qui soit habile
dans les affaires et d’un caractère doux. Nous vous en serons in-
finiment obligé. Mais si Lemaire reste ici Consul, nous n’aurons
avec lui aucune communication, et les affaires d’entre vous et
nous n’en iront pas mieux. Nous espérons que, s’il plaît à Dieu,
nos paroles se vérifieront, et que vous reconnaîtrez les fourberies
et les mensonges de votre Consul(1). Il nous a causé bien de la
peine, mais nous avons tout remis entre les mains de Dieu Tout-
Puissant. Nous vous serons très redevable, si vous voulez bien
nous informer des résolutions que vous prendrez sur toutes ces
choses.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 19 mars 1734.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 4 juin 1734.

Lettre d’amitié du serviteur perpétuel de la Sublime Porte,


du très haut, très puissant et très magnifique Empereur, Sultan
Mahmoud, — dont Dieu perpétue le règne par sa miséricorde !
— de Son Excellence Ibrahim Pacha, Gouverneur et Seigneur
de la République d’Alger de Barbarie, au sublime et magnifique
Ministre de haute réputation de notre très grand ami le Roi de
France, qui est le soutien du monde.
Très excellent, très magnifique et très respectable Seigneur,
____________________
1. Cette animosité contre notre Consul s’explique par l’obstination avec laquelle
cet agent réclamait, de concert avec les Pères de la Mission, la stricte exécution du traité
de paix. Mais le Dey s’était décidé à soumettre tous les esclaves, et en particulier le che-
valier d’Aregger, au supplice de la chaîne et aux travaux les plus pénibles, afin de forcer
l’Espagne ou notre représentant à lui payer de plus fortes rançons. Les officiers prison-
niers de la garnison d’Oran furent ainsi taxés à 800 p. par tête, les colonels à 4 000 p., le
chevalier d’Aregger à 10 000 p., M. de Valdecagne à 22 000 p. (Histoire d’Alger, par de
Grammont, p. 295.)
182 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Ministre de haute réputation de l’élite des grands Princes chré-


tiens, la gloire des plus puissants Potentats de la religion de Jé-
sus, Sa Majesté l’Empereur des royaumes et pays de France, no-
tre ancien grand ami qui êtes le soutien du monde, nous prions
Dieu, notre sincère, parfait et véritable grand ami, de donner une
fin heureuse à toutes vos entreprises.
Après avoir présenté à votre sublime et magnifique Gran-
deur les vœux que nous faisons pour elle, conformément à l’ami-
tié, nous nous informons de l’état de sa santé, suppliant le Sei-
gneur de la préserver de tous les dangers attachés à la vie mortelle,
et de lui accorder une longue vie en parfaite santé, toujours dans
le haut degré d’élévation et sur le trône de gloire où elle est assise.
Nous avons l’honneur de l’informer que, dans le temps que nous
étions dans la plus grande impatience de recevoir des nouvelles de
sa santé, nous les avons reçues par les mains du Commandant des
huit vaisseaux détachés de l’auguste flotte impériale, qui sont heu-
reusement arrivés un jour avant la date de cette lettre d’amitié(1).
Nous ne pouvons exprimer la joie qu’elles nous ont causée.
Que Dieu Très-Haut vous accorde toujours la victoire sur tous
vos ennemis et vous en fasse. Triompher ! Amen ! Il est vrai, no-
tre grand ami de haute réputation, que nous avions cru, comme
nous l’avons mandé, que vous aviez donné aux Espagnols des
____________________
1. L’escadre de M. de Court de la Bruyère, Lieutenant général de la Marine, quitta
Toulon le 30 mai 1734 pour aller appuyer les réclamations de Lemaire, et repartit d’Alger
le 7 juin sans avoir pu obtenir de résultat. Ibrahim se contenta d’opposer grief sur grief,
disant que la France approvisionnait ses ennemis d’Oran d’armes et de munitions, leur
fournissait des ingénieurs et des soldats, que le Consul trompait le Roi, que du reste il était
fou, et qu’il voulait en être avant tout débarrassé. « Les officiers du Roi, écrivit Lemaire,
ont négocié avec toute la douceur et les ménagements possibles avec cette Puissance, qui
n’a même pas voulu écouter les raisons les plus plausibles qu’on ait pu lui représenter. »
— Le marquis de Villeneuve, notre Ambassadeur à Constantinople, ne put même pas ter-
miner, avec l’intervention du Grand Seigneur, les contestations pendantes entre la France
et la Régence. Voy. Mémoire des plaintes qu’on a à faire au Dey à l’occasion de plusieurs
infractions au traité, le 9 juin 1734, — Compliment et représentations au Dey par MM.
les officiers de l’escadre de M. de Court, 1733, — Lettres de Lemaire au comte de Mau-
repas, les 2 mars, 12 mai et 14 juin 1734, — Lettres du comte de Maurepas à Lemaire, les
3 mars et 12 mai 1734, — Lettre du marquis de Villeneuve a Lemaire, le 18 mars 1734.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 183

secours pour s’emparer d’Oran, mais l’abandon que vous faites


des Français qui ont été pris nous prouve suffisamment le contrai-
re. Pour ce qui est du chevalier d’Aregger et du chargement du
bâtiment sur lequel il a été pris, qui consistait en munitions de
guerre destinées à secourir Oran et qui sont tombées entre les
mains de nos corsaires, les ayant prises devant Oran, si nous nous
en étions rapporté à ce qui nous a été dit par votre Consul même,
nous aurions confisqué le bâtiment et l’équipage quoique fran-
çais, mais, par considération pour Votre Grandeur, nous avons
confisqué seulement le chargement avec le chevalier d’Aregger,
et nous avons fait relâcher le bâtiment et l’équipage. Nous avions
ci-devant informé Votre Grandeur de tout ceci, mais elle a mieux
aimé s’en rapporter aux fables que M. Lemaire, son Consul, lui
a mandées sur cette affaire, et Votre Grandeur ayant donné ordre
au Commandant de l’escadre impériale de nous redemander le dit
chevalier, nous lui avons prouvé la façon dont il avait été pris, et
nous avons aussi manifesté et prouvé, en présence de vos Capitai-
nes, plusieurs mensonges de votre Consul. Quelque temps avant
cela, le dit sieur Lemaire était venu devant nous ivre et plein de
vin, et nous avait dit plusieurs inventions et paroles malhonnêtes,
desquelles il avait été convaincu en présence de vos Capitaines,
de même que d’avoir tiré des coups de fusil sur de nos Janissai-
res et d’en avoir voulu faire mourir à coups de couteau, de sorte
que vos susdits Capitaines, blâmant ces actions extraordinaires,
nous ont conseillé d’en informer Votre Grandeur par notre lettre
d’amitié. Mais les extravagances de votre Consul sont inénarra-
bles, et certainement, sans la considération que nous avons pour
Votre Grandeur, nous aurions renvoyé le susdit Consul avec vo-
tre escadre, car malheureusement s’il se fait des affaires avec
notre Milice et qu’il arrive quelque malheur, Votre Grandeur sera
sans doute fâchée contre nous.
Enfin nous supplions Votre Grandeur de haute réputation
de nous faire la grâce de déposer M. Lemaire, votre Consul
auprès de nous, et de nous renvoyer à sa place un homme doux,
sage, entendu dans les affaires et qui se rende à la raison. Nous
184 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

vous en serons sensiblement obligé. Le sieur Lemaire avait, à la


vérité, trouvé le moyen de tromper Abdi, notre prédécesseur, par
un grand nombre de mensonges, et de se faire passer dans son es-
prit pour un homme de bien, mais, quand une fois il a été Consul,
il s’est passé très peu de jours après lesquels le défunt Pacha s’est
bien repenti de la bonne opinion qu’il en avait eue, et, s’il était en
vie, il n’y a point à douter que, n’ayant pas tant de patience que
nous, il l’aurait renvoyé auprès de vous.
Notre très excellent et très parfait ami, Vizir de haute répu-
tation, Dieu nous est témoin que nous regardons le très magni-
fique Empereur de France, qui est le soutien du monde, comme
le plus grand et le plus véritable ami de notre République, et que
nous ne ferons jamais rien qui puisse être contraire aux traités qui
sont entre nous, et que si nos corsaires entreprenaient de com-
mettre quelque contravention aux dits traités et de laisser enle-
ver la moindre chose aux Français, nous les leur ferions rendre.
Mais en cette occasion, selon toutes les règles de l’équité et de
la justice les plus sévères, le droit est de notre côté. Nous espé-
rons, s’il plaît à Dieu, qu’après que Votre Grandeur sera infor-
mée de l’exacte vérité, elle ne nous imputera plus aucune faute,
en quelque manière que ce puisse être. Et si, par les suites, Oran
se trouve encore assiégée, et si quelque nation se fait prendre en
donnant des secours aux Espagnols, nous confisquerons les cou-
pables, parce que les alliés ne doivent point donner de secours
aux ennemis de leurs alliés(1). S’ils leur en donnent, c’est une
contravention aux traités ; tout bâtiment doit être regardé comme
contrebande, et, en justice, la contrebande est confisquée. Et le
salut. Au reste nous souhaitons à Votre Grandeur une vie longue
et remplie de prospérités.
Écrit le 3 de Moharrem, l’an de l’hégire 1147, c’est-à-dire
le 4 juin 1734.
(Sceau)
IBRAHIM,
Gouverneur d’Alger de Barbarie.
____________________
1. Voy. Lettre de Lemaire au comte de Maurepas, le 15 mars 1735.
AVEC LA COUR DE FRANCE 185

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 30 avril 1736.

Écrit sous l’empire de celui qui, par le secours des grâces


divines et la protection des faveurs célestes, est Empereur du siè-
cle, Sultan des deux terres et des deux mers, Sultan, fils de Sul-
tan, le Sultan triomphant Mahmoud, — dont Dieu perpétue la
magnificence et éternise le Kalifat ! — par celui des esclaves de
Sa Majesté Impériale qui est actuellement en possession de la
République d’Alger de Barbarie, le Prince des vénérables Prin-
ces et Seigneurs, possesseur de la puissance et de la grandeur,
Son Excellence Ibrahim,
A Son Excellence le sublime et magnifique Ministre de Sa
Majesté Impériale l’Empereur de France, qui est l’appui et le
soutien du monde.
(Sceau)
Vous qui êtes la gloire des Princes chrétiens, l’élite des
Grands et la colonne des Rois de la religion du Messie, revêtu de
splendeur et de magnificence dans le Gouvernement des nations,
notre puissant, parfait, très véritable et très sincère grand ami,
Ministre de haute réputation, — Dieu donne une fin heureuse à
vos entreprises, et vous conduise dans les voies de la droiture et
de la félicité ! —
Après avoir présenté à Votre Excellence pleine de magnifi-
cence les vœux les plus parfaits qui conviennent à la très sincère
amitié, nous commençons avant toutes choses, comme nous y som-
mes engagé par cette ancienne amitié, par nous informer de l’état
de votre santé, priant le Seigneur Tout-Puissant de vous préserver
de toute adversité, de vous affermir dans le degré de grandeur et
de magnificence dans lequel vous êtes élevé, et de vous accorder
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 340.)
186 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

une longue vie remplie de bonheur et d’une parfaite santé. Amen !


par les mérites de Jésus, l’esprit de sainteté.
Après cela nous faisons savoir à Votre Excellence de haute
réputation qu’une de nos galiotes, commandée par Mehemmed-
reïs, étant allée en course sur les côtes d’Espagne, au commen-
cement de l’été dernier, enleva au cap Rose huit Catalans et que,
s’en revenant à Alger, elle fut surprise par une violente tempête
qui l’a jetée sur les côtes de France, où, tandis que l’équipage
était tranquille comme en pays ami, vos peuples l’ont saisie en
disant à nos gens que leurs esclaves étaient des Français, sans
leur demander où ils les avaient pris, ont mis aux fers le reïs et
tout l’équipage, et les ont conduits à Marseille où les uns ont
été mis en prison et les autres aux galères, chargés de chaînes et
accablés de mauvais traitements. Cette nouvelle nous étant par-
venue, nous en avons averti votre Consul(1) et lui avons fait voir
combien ces procédés sont peu convenables à la bonne intelli-
gence, et sur cela, votre Consul ayant écrit à Marseille et fait ses
représentations sur ce qui s’était passé(2), Votre Excellence a bien
voulu, sur les remontrances du dit Consul, nous renvoyer le reïs
____________________
1. Lemaire avait offert au Roi, dès le 4 février 1734, d’abandonner son emploi,
quelque excessives qu’aient été ses dépenses d’établissement, et d’en faire le sacrifice en
n’attribuant leur inutilité qu’à sa mauvaise fortune Le Ministre lui avait répondu, le 4 sep-
tembre suivant, que, prenant en considération les préventions du Dey contre sa personne, il
avait nommé pour lui succéder à Alger Alexis-Jean-Eustache Taitbout de Marigny, ancien
Vice-Consul à Scio. Celui-ci arriva à son poste le 5 avril 1735, et fut assez bien accueilli
par Ibrahim, « bien qu’il l’eût trouvé occupé à faire sa paye, chose, du monde qui lui faisait
le plus rider le front ». Il est vrai d’ajouter qu’il lui apporta des présents pour une valeur
de 4 773 livres. Installé, suivant l’usage, par Lemaire et le nouveau Chancelier de Jonville,
il crut devoir apporter dans ses rapports avec le Dey l’esprit le plus conciliant, et proposa
à la Cour de transiger sur les anciens griefs, « la plupart ayant cessé et les réparations de
beaucoup d’autres étant très difficiles à négocier et la plupart impraticables ». Voy. État des
présents que M. Taitbout a faits à son arrivée au Dey, à ses Écrivains, à l’Amiral, au Cuisi-
nier du Dey, à l’Agha, aux Ministres, aux Truchemans, Capitaines du port : 4 cafetans d’or
et d’argent, 160 pièces de draps, 41 flacons de liqueurs, 283 bouteilles de Rossolis, 180
bouteilles de sirop de capillaire, 92 boites d’anchois, etc., — Lettre du comte de Maurepas
à Lemaire, le 4 septembre 1734, — Lettres de Lemaire au comte de Maurepas, les 4 février
1734 et 6 juillet 1735, — Lettres de Taitbout au comte de Maurepas, les 29 avril, 4 mai, 22
et 30 juin 1735. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. la correspondance de Lemaire et de Taitbout avec les Échevins de Marseille.
(Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 477-491 de d’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 187

de la galiote et son équipage, ce dont nous la remercions très hum-


blement. Mais la dite galiote et ses agrès et ustensiles, ayant été
retenus en France, ne nous ont point été renvoyés. C’est pourquoi
nous envoyons auprès de Votre Excellence magnifique le reïs de la
dite galiote, nommé Mehemmed-reïs, ainsi que Yassoub-reïs, char-
gés de cette lettre d’amitié. Nous espérons que, lorsque ces Capi-
taines seront arrivés en votre haute présence, vous voudrez bien
ordonner que leur galiote, qui est de neuf bancs, soit rendue à ses
propriétaires avec ses agrès et ustensiles, et qu’elle soit renvoyée
ici sans retardement, en compagnie de quelque bâtiment français
destiné pour ce pays-ci. Nous vous le demandons avec d’autant
plus de confiance que le tort qui a été fait aux dits propriétaires, par
l’enlèvement injuste des esclaves qu’ils avaient pris en Espagne
sous prétexte qu’ils étaient Français, est très grand, et que le reïs et
l’équipage ont été fort maltraités.
Ces procédés sont bien contraires à l’ancienne amitié qui est
entre nous et aux traités qui en sont les garants, mais que faire à,
présent ? Les esclaves catalans sont échappés ; c’est une chose faite.
Dieu conserve la santé de Votre Excellence ! Cependant nous som-
mes bien persuadé que si cette affaire était venue à la connaissance
de Sa Majesté Impériale, elle ne l’aurait pas permise ; il faut la re-
garder comme un accident de la mer. Le vent est sans miséricorde,
et une galiote n’a pas la force de lui résister. Il est vrai qu’autre-
fois il venait souvent des corsaires français avec leurs prises dans
le port d’Alger, sans que jamais elles y aient été convoitées, et il
n’y a point d’exemple que les Algériens aient arraché des mains
des Français les esclaves ou prisonniers qu’ils y ont trouvés, quoi-
qu’ils fussent de nation ennemie de la République. Nous envoyons
ci-joint à Votre Excellence un état des effets appartenant à la ga-
liote en question qui ont été retenus en France, et nous finissons en
priant Dieu pour la santé et la prospérité de Votre Excellence.
Écrit le 19 de Zilhidjé, l’an 1148, c’est-à-dire le 30 avril 1736.
IBRAHIM,
Dey et Gouverneur d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 17 mai 1737.
188 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV(1).

Alger, le 12 avril 1740.

(Sceau)

Lettre d’amitié écrite sous le règne glorieux de l’Empereur


de ce siècle, l’Empereur de la Maison ottomane, le Sultan, fils de
Sultan, le triomphant Empereur et Sultan Mahmoud, qui est, par
les infinies miséricordes et les grâces toutes-puissantes de Dieu,
Sultan des deux mers et des deux terres. — Que Dieu perpétue le
règne et le Kalifat de Sa Hautesse ! —
Écrit, dis-je, par celui qui a l’honneur de servir Sa Hautesse
en qualité de Pacha des belliqueux pays et forteresses d’Alger de
Barbarie la bien gardée, Son Excellence l’illustre et magnifique
Dey Ibrahim, — que Dieu conserve ! — au puissant et glorieux
Sultan de France, notre grand ami, qui est la colonne et le soutien
des Rois chrétiens et la gloire des Sultans de la religion du Mes-
sie. — Que Dieu donne une fin heureuse aux entreprises de Votre
Majesté, la conduise dans la voie du salut et augmente sa gloire
et sa réputation(2) !
Après avoir présenté à Votre Majesté les devoirs de notre
parfaite amitié et les assurances de notre attachement sans bor-
nes, nous nous informons, avant toute chose, de l’état de votre
santé, et nous prions Dieu d’accorder à Votre Majesté une longue
vie et un règne aussi long qu’heureux et permanent.
Et après cela, lorsque ce signe magnifique et vénérable, ap-
posé ici par notre parfaite amitié, arrivera en la haute présence de
Votre Majesté, elle sera informée que M. Taitbout de Marigny, ser-
viteur de Votre Majesté et son Consul auprès de nous, étant obligé
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 340.)
2. Il est à remarquer que le Dey commençait presque toujours par parler du Grand
Seigneur, puis de lui-même, et en dernier lieu de Louis XV, ce qui scandalisait fort les
Secrétaires-interprètes de la Cour.
AVEC LA COUR DE FRANCE 189

de retourner en France pour vaquer à ses Affaires(1) et nous ayant


demandé une lettre pour Votre Majesté, nous lui écrivons cette
lettre d’amitié, conformément aux sentiments que nous avons
pour notre grand ami, et nous l’envoyons à Votre Majesté par le
dit sieur Taitbout de Marigny. Nous espérons que Dieu lui fera
la grâce de se rendre promptement et à bon port auprès d’elle, et
que Votre Majesté trouvera bon de le renvoyer vers nous, parce
qu’ayant séjourné en ce pays plusieurs années, il s’y est formé
dans nos manières, et qu’il est stylé aux coutumes et aux usa-
ges de notre République(2). Cependant Votre Majesté sait par-
faitement ce qui convient le mieux là-dessus ; elle en disposera
comme il lui plaira. Et le salut.
Écrit à Alger de Barbarie la bien gardée, le 8 de Moharrem
1153, c’est-à-dire le 12 avril 1740.

IBRAHIM,
Dey d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 17 juillet 1740.
____________________
1. Notre agent ne tarda pas à se décourager comme ses prédécesseurs, et partit en
congé sans esprit de retour, au mois d’avril 1740, laissant les sceaux entre les mains du
Chancelier de Jonville. Taitbout avait dû s’appliquer à déjouer les nouvelles intrigues de
Natoire, toujours réfugié au Consulat d’Angleterre, et d’un Juif, Nephtali Busnach, dont
le petit-fils devait jouer un si grand rôle soixante années plus tard. — Il avait eu d’autre
part des difficultés sérieuses avec le P. Faroux, Vicaire apostolique, qui avait succédé en
1736 au P. Duchesne, avec Bruno Dengallière, négociant français établi à Alger, enfin
avec le P. Pillot, prêtre de la Mission, à qui le Dey avait fait donner 80 coups de bâton pour
avoir passé par inadvertance cinq fois de suite devant la Casbah, où se trouvait le trésor
public. Lettres de de Jonville et de Taitbout au comte de Maurepas, les 7 août, 24 et 25
novembre 1737 et 18 juin 1739.
2. Ces usages consistaient surtout à combler les Puissances de gratifications et de
cadeaux, en échange de la neutralité des corsaires. Mais Taitbout ne pouvait plus long-
temps bitter de générosité avec les Consuls étrangers. Voy. Conditions ou présents pour
la paix de Hollande avec Alger, le 13 août 1737, — Présents faits au Dey par les États-
Généraux, 1739, — Présents faits à Alger de la part du Roi d’Angleterre par M. Clinton,
commandant deux frégates anglaises arrivées dans la rade le 29 mai 1739, — Présents
faits par les Rédempteurs portugais, arrivés à Alger le 27 octobre 1739. (Archives des
Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
190 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A IBRAHIM, DEY D’ALGER.

Versailles, le 16 janvier 1742.

A notre très respectable et très cher, très grand et très sin-


cère ami, Son Excellence le Gouverneur et Dey dé la Régence
d’Alger, Ibrahim Pacha.
Nous nous informons de l’état de santé de Votre. Excel-
lence, et nous formons des veux pour la longue et heureuse durée
de sa charge. Nous faisons savoir à notre très fidèle et très grand
ami que dernièrement deux vaisseaux algériens, contrairement au
traité royal, se livrèrent au pillage dans le voisinage de nos côtes,
capturèrent un bâtiment génois et le firent entrer au port de Tou-
lon(1). L’Intendant de la Marine en cette ville(2) ayant pris connais-
sance de ce fait, et étant dans son droit de refuser toute aide et
protection, leur fit cependant, par égard pour Votre Excellence,
donner tout ce dont ils avaient besoin, et, après les avoir rete-
nus quelques jours de peur qu’ils ne rencontrassent la flotte espa-
gnole, composée de galions et de trirèmes, et qui mouillait en ce
moment dans le voisinage de la ville de Toulon, on leur a permis
de partir en compagnie du navire de guerre nommé Le Zéphir(3),
qui partait pour Tunis, et on a recommandé à vos Capitaines de
se mettre étroitement sous la protection de notre dit navire et de
ne jamais s’en séparer, de peur d’être capturés par les Espagnols.
Mais aussitôt qu’il eut quitté le port, un de vos corsaires aban-
donna notre navire, poussé par l’appât du butin, et notre Capitaine
eut beaucoup de mal à le faire rentrer, à force de cris et de coups
de canon. Quelque temps après, il reprit la fuite et se jeta sur un
____________________
1. Les deux chebeks algériens croisaient devant les côtes de Provence, dans l’es-
poir de s’emparer de quelques-uns des navires qu’y attirait la foire de Beaucaire.
2. M. de Villebranche.
3. Commandé par M. de Massiac.
AVEC LA COUR DE FRANCE 191

bateau espagnol, et, pendant qu’il allait le capturer, une trirème


espagnole arriva, s’empara de vos bateaux et les emmena(1). L’In-
tendant de la Marine à Toulon ne pouvant vous donner avis di-
rectement de cet état de choses, j’ai écrit à M. de Jonville, notre
Consul dans la Régence(2), et je l’ai chargé de donner à Votre
Excellence tous les renseignements que comporte cette affaire.
Nous ne doutons pas que notre susdit Consul ait exactement ex-
posé la situation et renseigné Votre Excellence.
Mon cher ami, votre susdit Capitaine, qui se livrait de la sorte
au pillage dans le voisinage de nos côtes, après avoir abandonné
le vaisseau protecteur, et qui allait ainsi s’attaquer au bateau es-
pagnol, est sans excuse ; c’est de sa faute, et il est cause lui-même
du malheur qui l’a atteint. Malgré cela et par égard pour vous, et
dans le but de montrer à Votre Excellence notre sincère amitié et
nos bonnes intentions, sachant que cet acte de piraterie est tout à
fait contraire au traité royal qui stipule une distance de 30 milles
pour la capture des bâtiments sur les côtes de France, et pour que
Votre Excellence ne soit pas atteinte injustement dans ses inté-
rêts, j’ai exposé l’affaire au Conseil de Sa Majesté le Roi, qui a
consenti à envoyer à notre agent résidant en Espagne un rescrit,
adressé, au puissant Roi d’Espagne, demandant avec instance la
restitution de votre bateau avec son équipage. La susdite galère
espagnole, ayant évacué votre bateau, avait fait l’équipage prison-
nier et laissé le bateau au bord de la mer. Nous avons donné l’or-
dre à M. l’Intendant de Toulon de le garder au port jusqu’à nou-
vel ordre. Les nouvelles qui nous arrivent d’Espagne annoncent
____________________
1. L’un des chebeks commandé par Mahmet-reïs, resta seul entre les mains des
Espagnols ; l’autre, sous les ordres de Soliman-reïs, se sauva à toute voile et rentra à Al-
ger, où l’équipage accusa les Français d’avoir voulu le livrer à l’ennemi. Voy. Réflexions
sur le cas de la prise d’un chebek algérien par une galère d’Espagne, décembre 1741,
— Lettres de de Jonville au comte de Maurepas, les 2 et 19 janvier, 28 mars, 17juillet, 20
octobre, 22 décembre 1741, 2 et 18 janvier 1742.
2. Le Consul intérimaire, préoccupé surtout de la défense de nos Concessions me-
nacées, subissait alors les boutades et les avanies d’Ibrahim, qui se plaignait des retards
apportés dans le payement des redevances. Voy. la correspondance de de Jonville avec
les Échevins de Marseille. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA,
477-506 de l’Inventaire.)
192 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

que Sa Majesté le Roi a ordonné, sur l’instance de l’Ambassadeur


de France, de mettre les prisonniers en liberté, et cette nouvelle
nous a comblé de joie. La susdite galère se trouvant actuellement
en Italie, l’exécution de l’ordre royal se trouve retardée pour le
moment, mais nous espérons que la restitution, comme je l’ai
écrit à Votre Excellence, sera accomplie prochainement(1).
Mon cher ami, une fausse nouvelle s’est répandue ces jours
derniers à Marseille, à savoir que, par représailles, vous auriez
retenu les vaisseaux français qui se trouvaient dans vos ports et
dans les ports de la Compagnie française(2), mais nous n’avons
pas ajouté foi à ce bruit. Évidemment c’est un mensonge, et nous
ne savons d’où et comment il a pu prendre naissance. Jusqu’à ce
jour la paix et la bonne harmonie règnent entre nous, et l’amitié de
Sa Majesté le Roi pour vous se prouve à chaque occasion ; même
dans le cas où les paroles hypocrites et mensongères auraient tra-
vesti la vérité, votre amour pour la justice et vos sages pensées
bien connues ne sauraient autoriser un acte de cette nature, avant
d’avoir bien examiné les circonstances de l’événement qui s’est
produit. En supposant même que Votre Excellence ait donné son
consentement à une mesure de représailles, est-ce que les biens et
l’approvisionnement de nos commerçants en Algérie ne seraient
pas suffisants pour toutes sortes de garanties ? Et partant, pour-
quoi retenir leurs vaisseaux, empêcher le trafic et gêner les tran-
sactions de la Compagnie française, qui n’est absolument pour
rien dans l’affaire(3) ?
____________________
1. Voy. Lettre du comte de Maurepas à de Jonville, le 20 janvier 1742.
2. Le Vice-Consul de Jonville et le Vicaire apostolique, le P. Poissant, furent
arrêtés et mis aux fers, on enleva le gouvernail à 7 de nos bâtiments qui se trouvaient
alors dans le port, et l’on envoya au bagne, enchaînés deux par deux, les 54 matelots des
équipages. Ibrahim envoya au Bey de Constantine l’ordre d’incarcérer les Français du
Bastion, et exigea non seulement la restitution du chebek, mais encore une indemnité de
500 p., pour chacun des 11 esclaves génois que contenait son navire. — Il s’agissait alors
de la nouvelle Compagnie royale d’Afrique, fondée par un édit de février 1741 au capital
dei 1 200 000 livres, dont 300 000 souscrites par la Chambre de Marseille. Présidée par
M. Pignon, inspecteur du commerce du Levant, elle subsista jusqu’à la Révolution, et
rendit au Gouvernement les plus importants services commerciaux et politiques.
3. « Il importe, écrivait le Ministre, d’accorder la plus grande protection à la Com-
pagnie d’Afrique, car les Anglais ne manqueraient pas de s’emparer des Concessions
AVEC LA COUR DE FRANCE 193

Voilà les raisons qui m’ont empêché de prêter la moindre


croyance à ce bruit, et pour les mêmes raisons je me suis abstenu
de le porter devant le Conseil du Roi.
J’ai l’honneur d’informer en outre Votre Excellence que M.
d’Évant(1) vient d’être nommé Consul en la Régence en rempla-
cement de M. Taitbout(2), et qu’il partira prochainement pour son
poste. Le nouveau Consul, honoré de la confiance de Sa Majesté
dans divers services qu’il a rendus, est un homme intègre et in-
telligent ; nous espérons qu’il sera de la part de Votre Excellence
l’objet de bienveillantes attentions. Nous vous souhaitons, avec
une bonne santé, le bonheur constant dans le poste élevé que vous
occupez.
Écrit au château de Versailles, le 16 janvier 1742.
Votre sincère et fidèle ami.
MAUREPAS.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


A LOUIS XV.

Alger; le 31 mai 1742.


(Sceau)

Lettre écrite sous le règne du très haut et très puissant Empe-


reur des Ottomans, Sultan Mahmoud, par l’illustre et magnifique
____________________
au préjudice du commerce français, si l’on venait à abandonner les places du Bastion et
du Cap-Nègre. « Lettre du comte de Maurepas aux Députés de Marseille, le 30 décembre
1740. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 42 et 43 de l’Inven-
taire.) — De Jonville signalait en effet les agissements du Consul anglais Stanifford,
beau-frère du Consul de Suède Logier, qui profitait de nos difficultés, suivant son habi-
tude, « pour faire tomber les Concessions entre les mains des gens de sa nation ». Lettre
de de Jonville au comte de Maurepas, le 2 janvier 1742. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
1. François d’Évent, chevalier de Saint-Lazare et Conseiller du Roi, ancien Consul
à Naples, fut nommé à Alger le 14 juin 1741. Son brevet a été publié dans Les Archives du
Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 45.
2. Envoyé à Naples en remplacement de M. d’Évant.
194 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Ibrahim Pacha, Commandant d’Alger de Barbarie, au puissant


Empereur de France.
Très haut et très puissant Empereur de France, notre grand
ami, après avoir fait les vœux les plus sincères pour la santé et la
prospérité de Votre Majesté, nous vous donnons avis par cette let-
tre d’amitié que M. d’Évant, destiné par Votre Majesté pour rem-
plir les fonctions de Consul auprès de nous, et en même temps le
bâtiment algérien qui nous avait été enlevé étant arrivés ici à bon
port(1), nous avons reçu votre dit Consul avec toutes les marques
d’amitié convenables. Nous prions Votre Majesté de défendre très
expressément aux Commandants et officiers de ses ports de mal-
traiter à l’avenir les reïs et équipages de ceux de nos bâtiments
que leurs besoins ou la tempête obligeront de s’y réfugier. Nous
sommes bien persuadé que Votre Majesté ignore entièrement les
mauvais procédés de ses officiers à cet égard, et qu’elle y mettra
ordre sitôt qu’ils viendront à sa connaissance. Ils font plus encore;
ils reçoivent dans leurs vaisseaux ou dans les ports de votre obéis-
sance ceux.de nos esclaves espagnols qui se sauvent, et les ven-
dent aux premiers bâtiments espagnols qu’ils rencontrent. Cette
conduite, qui répugne à l’amitié, ne pourrait que causer du refroi-
dissement. Cependant nous souhaitons que l’union et la bonne
intelligence soient toujours de plus en plus augmentées!
Nous ne pouvons nous empêcher de rendre ici la justice que
mérite la bonne conduite du sieur de Jonville, Chancelier de ce
Consulat(2), et le zèle qu’il marque en toute occasion pour le bien
du service de Votre Majesté, non plus que de le recommander
____________________
1. Le 18 mai 1742, M. de Massiac arriva à Alger sur L’Aquilon, escortant la prise
espagnole et amenant à son poste le nouveau Consul. Celui-ci, par suite d’une condescen-
dance exagérée de a Cour, était chargé de rembourser à Ibrahim la valeur de la cargaison
capturée devant Toulon. Il apportait en outre des cadeaux pour une valeur de 6 341 livres.
Voy. État des présents ou donatives à faire par M. le Consul de France en prenant pos-
session du Consulat, le 17 juin 1742. — La Chambre de Marseille avait pensé que dans la
conjoncture présente, « vu la façon excessivement généreuse dont les Consuls étrangers
agissaient à l’égard de ces gens-ci », il y avait lieu d’augmenter le chiffre et le nombre
des officiers à favoriser de ses cadeaux. Voy. Extrait des registres des délibérations de la
chancellerie du Consulat de France à Alger, le 13 septembre 1742. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. Lettre de de Jonville au comte de Maurepas, le 16 mai 1742.
AVEC LA COUR DE FRANCE 195

à sa haute bienveillance, le connaissant pour un de ses plus fidè-


les serviteurs.
Écrit à Alger de Barbarie la bien gardée, le 27 de la lune de
Rebi-el-ewel de l’an de l’hégire 1155, c’est-à-dire le 31 mai 1742.
IBRAHIM,
Dey d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 4 juillet 1742.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE- LA MARINE(1).

Alger, le 31 mai 1742.


(Sceau)

Lettre d’amitié adressée à l’illustre Grand Vizir du Roi de


France par Sa Hautesse Ibrahim Pacha, — Que Dieu lui accorde
des jours nombreux ! — illustre et magnifique Commandant et
Dey de la Régence d’Alger la bien gardée, foyer de la guerre
sainte, celui qui est honoré et anobli par le haut service de Sa
Majesté, par la grâce de Dieu puissant Empereur des Ottomans,
le Padischah du siècle, Souverain des deux terres et des deux
mers, Sultan, fils de Sultan, Mahmoud le victorieux, — Daigne
le Très-Haut perpétuer sa dynastie et éterniser son Kalifat ! — au
très honorable et très affectionné Ministre de France, notre grand
ami. Puissiez-vous avoir une fin heureuse, et être conduit dans le
chemin de la justice et de la droiture !
Après avoir offert à Votre Excellence l’expression de notre
amitié la plus sincère et la plus cordiale, nous nous informons de
l’état de votre santé et nous faisons des vœux pour les jours de
Votre Seigneurie. Nous vous donnons avis par la présente que M.
d’Évant, nommé et envoyé pour remplir les fonctions de Consul
auprès de nous, est heureusement arrivé(2). Notre amitié a reçu par
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 340.)
2. Voy. la note 1, p. 194.
196 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

là une nouvelle force et une solidité au-dessus de toute expres-


sion. En même temps est arrivé à bon port un brigantin capturé et
retenu chez vous, avec ses équipages et tout ce qui s’y trouvait(1).
Que Dieu vous donne, notre ami, des jours nombreux, et pro-
longe l’amitié et l’affection qui nous attachent !
Nous prions, Votre Excellence de réitérer les défenses fai-
tes aux Commandants et aux officiers de ne point maltraiter nos
Capitaines, qui, par la violence de la mer, seraient amenés dans
vos ports; cela pourrait donner naissance à des conflits et à des
désordres.
Mon cher et illustre ami, j’ai à vous recommander la bonne
conduite de votre Chancelier, M. de Jonville, qui met ici tout son
zèle et sa capacité au service de l’amitié qui règne entre nous.
Que Dieu vous conserve longtemps la vie !
Écrit le 27 de Rebi-el-ewel, l’an de l’hégire 1155, c’est-à-
dire le 31 mai 1742.
IBRAHIM,
Dey d’Alger la bien gardée.
Traduit par SIGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 27 janvier 1743.


(Sceau)

Très excellent et magnifique Seigneur, Ministre du très


puissant Empereur de France, notre grand ami,
Après avoir présenté à Votre Excellence les vœux que nous
faisons pour vous et nous être informé de l’état de votre santé,
nous vous donnons avis, par cette lettre d’amitié, que plusieurs
de nos marchands s’étant embarqués l’an passé sur une barque
____________________
1. Voy. la note 1, p. 194.
AVEC LA COUR DE FRANCE 197

française, commandée par le patron Boyer, de Martigues, pour


aller en Turquie, et cette barque ayant fait naufrage sur les cô-
tes de France, près de la ville d’Agde, nos marchands susdits se
sont tous noyés, et, les effets et marchandises qui leur apparte-
naient ayant été sauvés, le sieur de Jonville, votre Chancelier,
nous remit le 27 juillet dernier 100 sequins d’Alger, de l’argent
du nommé Ali Tchoucha Serkedji, et quelque temps après, savoir
le 23 janvier dernier, le dit sieur de Jonville nous a remis aussi
299 sequins d’Alger, provenant du tiers de la valeur des dits ef-
fets sauvés qui appartenaient de droit à l’Empereur de France, et
d’un autre tiers qui devait revenir à l’Amiral, selon les coutumes
de votre État, lesquelles deux remises font ensemble la somme de
399 sequins d’Alger, dont nous remercions Votre Excellence.
Nous prions Dieu de maintenir la paix entre nous, et de
conserver Votre Excellence en parfaite santé.
A Alger de Barbarie la bien gardée, le 27 janvier 1743.
IBRAHIM,
Dey d’Alger d’Afrique(1).
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 6 mai 1743.

LE COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A IBRAHIM, DEY D’ALGER.

Versailles, le 15 mai 1743.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Après avoir offert à Votre Excellence nos vœux et nos priè-
res, nous nous empressons de nous informer de l’état de votre
____________________
1. Nos relations avec la Régence avaient été particulièrement difficiles, pendant
les deux années 1741 et 1742, en raison de la guerre de la France avec Tunis, de l’attaque
malheureuse de Tabarque par M. de Saurins, lieutenant de vaisseau, et de la destruction
de, notre comptoir du Cap-Nègre. MM. de Salve, directeur de la Compagnie d’Afrique
à Bône, et Fougasse, gouverneur de La Calle, avaient été détenus avec leurs employés,
et leurs magasins avaient été complètement dévalisés, à la suite de la capture du chebek
algérien dans les eaux voisines de Toulon.
198 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

santé, et nous formons des vœux pour le bien-être de Votre Ex-


cellence, ainsi que pour la durée de ses hautes fonctions.
Nous avons reçu la lettre que vous nous avez adressée(1),
par laquelle vous nous parlez de la remise complète, qui vous a
été faite de l’argent trouvé dans le bâtiment du capitaine français
Boyer, qui a fait dernièrement naufrage, et vous nous adressez
des paroles bienveillantes et pleines de sollicitude; nous vous
en remercions et nous vous exprimons notre contentement et
notre sensible plaisir. Mon cher ami, le tiers de l’argent sus-
mentionné revenait au Trésor royal et un autre tiers au Ministre
de la Marine, mais sur ma proposition, et vu votre protection et
secours soit pour les vaisseaux français soit pour leur commer-
ce, et en considération des autres services que j’ai signalés, Sa
Majesté le Roi a bien voulu ordonner de vous offrir en présent
les parts qui revenaient à son Ministre et au Trésor. Nous es-
pérons que cette munificence royale sera un motif de plus pour
vous appliquer à l’observation attentive des traités de paix et
des conventions qui existent depuis longtemps entre la France
et la Régence d’Alger.
Nous informons Votre Excellence que M. Thomas, qui a été
Consul dans d’autres Échelles et qui a mérité l’éloge et l’estime
de tous, est nommé Consul dans la Régence par une ordonnance
royale(2). C’est un homme actif, doué de sagacité et d’intelligence.
____________________
1. Voy. p. 196.
2. La faiblesse que nous venions de montrer en restituant un navire capturé par les
Espagnols n’avait pu qu’augmenter les prétentions d’Ibrahim. Celui-ci ne voulut donner
audience à notre représentant qu’a la condition expresse qu’il se soumit à la formalité du
baisemains, comme le faisaient les Capidjis du Grand Seigneur et les officiers du Divan.
D’Évant se refusa à subir un cérémonial auquel ses prédécesseurs n’avaient jamais été
astreints, demanda son rappel et s’embarqua pour retourner en France, laissant les sceaux
à de Jonville, qui, pour la seconde fois, devint Consul intérimaire. — Les provisions du
nouveau titulaire, Pierre Thomas, ancien Chancelier à Salonique, datent du 13 août 1742.
Ce dernier arriva à Alger le 29 juin 1743, et se soumit sans difficulté au baisemains du
Dey, selon les instructions du. Secrétaire d’État. Voy. Lettres de d’Évant et de de Jon-
ville au comte de Maurepas, les 3 septembre 1742,17 janvier, 14 mai et 2 août 1743,
— du comte de Maurepas à de Jonville et à d’Évant, les 21, 28 novembre, 26 décembre
1742 et 23 janvier 1743, —Extrait des minutes de la chancellerie du Consulat d’Alger,
le 10 septembre 1742, — Procès-verbal de l’As semblée de la nation française à Alger,
AVEC LA COUR DE FRANCE 199

Nous espérons qu’à son arrivée votre amitié l’accueillera favo-


rablement, et qu’il sera de Votre part l’objet d’une bienveillance
spéciale. Nous vous souhaitons, avec une bonne santé, une lon-
gue durée dans vos hautes fonctions.
Votre très fidèle et sincère ami.
MAUREPAS.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE

Alger, le 20 mai 1743.

Très excellent et très magnifique Seigneur, Ministre du très


haut et très puissant Empereur de France, notre grand ami,

Après avoir présenté à Vôtre Excellence les vœux et les


prières que nous faisons pour vous, conformément à l’amitié qui
est entre nous, et nous être informé de l’état de votre santé, nous
vous donnons avis, par cette lettre d’amitié, qu’un des bâtiments
corsaires de notre République s’étant mis en mer avec intention
de combattre pour la foi, et ayant rencontré un bâtiment marchand
français, il lui aurait demandé son passeport. Celui-ci, étant sans
passeport, se serait préparé au combat et aurait tiré du canon sur les
nôtres, dont trois ou quatre de nos compagnons auraient été blessés
et quelques-uns même tués, ce que voyant leurs camarades auraient
fait un, effort et se seraient saisis du Capitaine, l’auraient lié, mis
en prison dans une chambre et auraient pris le bâtiment, confor-
mément à nos traités. Nous croyons devoir vous rendre compte
____________________
le 27 mars 1743, publié dans Les Archives du Consulat général de France à Alger, par
Devoulx, p. 48, — enfin la correspondance de Thomas avec les Députés de la Chambre de
Marseille. (Archives des Affaire: étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre
de commerce de Marseille, S. AA, 477-491 de l’Inventaire.)
200 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de la manière dont le tout s’est passé, pour que vous n’ajoutiez


pas foi aux faux rapports qui pourraient vous être faits sur Bette
affaire. Et la preuve incontestable que nous avons que le bâtiment
pris était sans passeport, c’est que, lorsque le corsaire d’Alger lui
donnait la chasse, son pilote ayant reconnu l’Algérien et en ayant
averti le Capitaine, celui-ci lui répondit : — « Je n’ai point de
passeport », — et en même temps il lui tira un coup de pistolet et
le tua. Pour nous, lorsque ce bâtiment est arrivé en ce port, nous
avons pris tout ce qui nous appartenait de droit et conformément
aux traités, et, selon l’ancienne coutume, nous avons relâché le
bâtiment et l’équipage et payé le nolis du dit bâtiment(1). Et le
salut.
Écrit le 26 de la lune de Rebi-el-ewel, l’an de l’hégire 1156,
c’est-à-dire le 20 mai 1743.
(Sceau)
IBRAHIM,
Dey et Gouverneur d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 12 juillet 1743.

IBRAHIM, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Alger, le 7 mars 1745.

Lettre d’amitié écrite au premier Ministre du très haut et


très puissant Empereur de France, de la part d’Ibrahim, Dey et
Bey d’Alger et de ses dépendances, sous le règne du victorieux
Sultan Mahmoud, Empereur des Ottomans, l’Empereur des deux
terres et des deux mers, Empereur et fils d’Empereur, — dont
Dieu créateur de tout l’univers et le seul éternel conserve l’Em-
pire jusqu’à la fin des siècles ! —
____________________
1. Ces affaires faisaient le désespoir de nos Consuls, qui ne pouvaient qu’excuser
l’antipathie de nos marins, pour la visite et le contrôle de leurs passeports.
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 358.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 201

Après nous être informé de l’état de la santé de celui qui


est la forte colonne des Rois chrétiens, la crème des plus majes-
tueux Monarques de la croyance de Jésus, l’Empereur de France,
notre très cher et très intime ami, — dont la fin des jours soit
comblée d’honneurs et de félicité, et auquel nous souhaitons de
longs jours et un règne aussi stable qu’on le peut désirer ! — et
après vous avoir donné en particulier des assurances de l’amitié
la plus sincère et la plus vive, nous recommandons à vos bontés
le porteur de la présente, qui est un de nos plus chéris serviteurs
et des plus utiles à l’État de notre République. Nous espérons que
vous aurez égard à notre recommandation, et que vous le ferez
repasser dans notre pays aussitôt qu’il sera guéri.
D’Alger la renommée, le 5 de la lune de Moharrem, l’an de
l’hégire 1158, c’est-à-dire le 7 mars 1745.
(Sceau)
IBRAHIM,
Dey d’Alger de Barbarie(1).
Traduit par DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 27 avril 1745.
____________________
1. C’est la dernière correspondance d’Ibrahim avec la Cour. Bien qu’il eût ratifié,
les 13 octobre 1743 et 2 novembre 1745, le traité des Concessions avec les Chanceliers
du Consulat Duteil et Dengallière, il avait fait ravager tous nos comptoirs, en 1744, sous
prétexte que nous y avions élevé des fortifications, et que nos agents commerciaux entre-
tenaient des intelligences secrètes avec les chevaliers de Malte. — En vain notre Consul
lui avait représenté « les divers chargements que les Anglais faisaient impunément à Bône
» au détriment de notre Compagnie; il avait découvert que les permissions dont nos en-
nemis faisaient usage leur étaient vendues par le Dey lui-même. « Les affaires, écrivait-
il, sont ici d’une telle difficulté que tout le zèle et toute la bonne volonté ne peuvent la
surmonter. Il n’y a pas de pays au monde où la patience et la prudence soient plus néces-
saires, et où elles soient en même temps plus inutiles qu’ici. » Lettres de de Jonville et de
Thomas au comte de Maurepas, les 2 août, 6 septembre et 12 décembre 1743, 20 octobre,
6 et 25 novembre 1744, 3 février 1745.
202 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
MEHEMMED, DEY D’ALGER(1),
AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 4 novembre 1748.


(Sceau)

Très excellent et très magnifique Seigneur, Ministre du très


haut et très puissant Empereur de France, notre grand ami,
Après avoir présenté à Votre Excellence les vœux et les
prières que nous faisons pour elle, conformément à l’amitié qui
est entre nous, et nous être informé de l’état de votre santé, nous
vous donnons avis, comme notre parfait ami, que deux brigantins
de notre République étant allés en course cette année, et ayant ren-
contré un bâtiment français chargé de merluches, ils lui auraient
demandé son passeport(2), ce qui lui ayant été crié par trois fois
sans qu’il ait été fait aucune réponse, nos mis ont mis une cha-
loupe à la mer et y ont fait embarquer quelques personnes sages
et sans armes, mais le Capitaine ayant fait tirer sur la chaloupe du
canon et de la mousqueterie, ceux-ci n’ont pas pu y aborder. Alors
les brigantins se sont approchés du Français et lui ont crié qu’ils
____________________
1. Ibrahim s’était montré cruel autant qu’injuste à notre égard; son neveu Ibrahim-
el-Seghir, en faveur duquel il céda le pouvoir le 20 octobre 1745, parut au contraire animé
de bienveillantes dispositions pour nous, et son règne de trois années fut pour les Consuls
chrétiens un véritable soulagement. Il ne s’occupa d’ailleurs que de châtier le Bey de
Tunis, et n’écrivit pas à la Cour. Voy. Lettres de Thomas au comte de Maurepas, les 20
février, 16 mai, 27 décembre 1746, 21 et 24 avril, 14 septembre 1747, — Procès-verbaux
de la chancellerie du Consulat d’Alger, les 22 octobre 1745 et 27 mars 1747, relatifs aux
présents offerts au Dey par la nation française, et publiés dans Les Archives du Consulat
général de France à Alger, par Devoulx, p. 52.
Mehemmed, Écrivain des chevaux, succéda le 3 février 1748 à Ibrahim-el-Seghir.
Il ratifia le 18 février suivant le traité des Concessions, et se montra, selon le dire de notre
agent, « respectueux de la justice, fort charitable et d’une étendue d’esprit supérieure Voy.
Lettres de Thomas au comte de Maurepas, les 12, 13 février et 14 novembre 1748, —
Procès-verbal de la chancellerie du Consulat d’Alger, le 6 février 1748, publié dans Les
Archives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 53.
2. Voy. Lettre de Thomas au comte de Maurepas le 15 novembre 1748.
AVEC LA COUR DE FRANCE 203

étaient Algériens et qu’il ne devait rien craindre, mais celui-ci a


fait une seconde décharge qui leur a tué 4 hommes, en a blessé et
estropié bon nombre, et a brisé le mât et les antennes d’un brigan-
tin dont l’équipage était composé de nos braves enfants de la Ré-
publique. Ils ont crié au reïs : — « Qu’attendez-vous ? Ce bâtiment
est certainement vénitien ! » — En même temps ils l’ont abordé,
pris et conduit à Alger(1). Aussitôt l’arrivée de ce bâtiment, nous
avons fait assembler Ahmed, Amiral d’Alger, et tous les anciens
et expérimentés Capitaines de la République avec votre Consul,
et, l’affaire ayant été mise en délibération, tous les anciens et les
experts ayant décidé que le tort était toujours du côté du Capitaine
qui avait tiré le premier, le chargement du Français a été vendu,
et on l’a renvoyé avec seulement 550 sequins pour son nolis. Les
mêmes reïs qui ont pris ce bâtiment avaient rencontré trois jours
devant, à la hauteur de la Morée, deux autres bâtiments français,
l’un chargé de sucre et l’autre sans chargement, qui, leur ayant
montré leurs passeports, avaient continué leur route sans avoir
reçu de nos mis le moindre mauvais traitement. Mais, la campa-
gne précédente, l’un d’eux rencontra une barque avec pavillon et
passeport de France, sur laquelle ayant eu quelque soupçon, il la
conduisit ici, où elle fut examinée par les anciens en présence de
votre Consul; elle fut reconnue génoise et son passeport faux, ce
qui la fit confisquer, et le faux passeport fut mis entre les mains
de votre Consul pour vous l’envoyer et vous informer de ce qui
s’était passé(2).
Nous vous prions, notre parfait ami, qu’à l’avenir ces procé-
dés, qui ne sont propres qu’à jeter de la froideur dans notre ancienne
amitié et qui n’arrivent ni avec votre participation ni avec la nôtre,
soient absolument prévenus, et, pour cet effet, que vous ordonniez
très précisément à tous vos Capitaines de ne point mépriser nos
corsaires, quels qu’ils soient, mais de leur exhiber leurs passeports
sans difficulté, comme font les Anglais, les Hollandais et toutes
____________________
1. Voy. Lettre de Thomas au comte de Maurepas, le 19 janvier 1747.
2. Voy. Lettre de Thomas au comte de Maurepas, le 21 août 1747.
204 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

les autres nations, nos alliées(1), et suivant les plus anciens usages
du commerce maritime. Et si quelqu’un de nos reïs ou des gens
des équipages commet quelque action capable de troubler la paix
et la bonne intelligence, comme nous sommes le maître, il n’est
pas douteux que nous le ferons châtier avec la dernière exacti-
tude, attendu que nous voulons que les passeports soient scrupu-
leusement respectés comme étant le nœud de la paix, de l’union
et de la confiance qui règnent et doivent régner entre nous.
Écrit à Alger, le 13 de la lune de Zilcadé, l’an de l’hégire
1161, c’est-à-dire le 4 novembre 1748.
MEHEMMED,
Dey d’Alger d’Afrique.

LE COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MEHEMMED, DEY D’ALGER(2).

Versailles, le 22 décembre 1748.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu-la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écri-
re le 4 du mois passé(3), pour justifier la conduite qu’ont tenue les
capitaines des chebeks algériens qui ont pris et conduit à Alger
le vaisseau français L’Avignon, commandé par le capitaine de la
Mothe, de Saint-Malo(4). Ce capitaine m’ayant paru coupable et
____________________
1. Les Algériens venaient de recevoir des présents considérables de la part de ces
Puissances. Voy. Liste des présents apportés par les vaisseaux suédois arrivés à Alger, le
4 avril 1747, — Liste des présents offers par les Danois, le 15 octobre 1747, — Liste des
présents faits par les Hollandais, le 29 décembre 1746. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 358.)
3. Voy. p. 202.
4. Le capitaine Ricault de la Mothe, venant de Terre-Neuve, avait rencontré les
deux corsaires d’Alger, le 27 octobre 1748, à la hauteur de Malaga. Il avait obstinément
refusé de montrer son passeport, et le combat avait duré quatre heures. L’Avignon avait
perdu 9 hommes et avait eu 12 blessés. « Si le Dey, écrivait le Consul, n’avait pas craint
la fureur des soldats, il aurait remis le chargement du vaisseau, car il paraît très disposé
à entretenir la paix avec la France, et il l’a répété plus de dix fois. » Lettre de Thomas au
comte de Maurepas, le 15 novembre 1748.
AVEC LA COUR DE FRANCE 205

mériter punition, pour n’avoir pas voulu montrer son passeport et


avoir tiré sur le canot des chebeks, j’en ai rendu compte à l’Empe-
reur, mon Maître, qui m’a ordonné de le faire mettre en prison à
son arrivée à Marseille. Cette punition, en servant d’exemple aux
autres capitaines des bâtiments français, doit vous prouver l’atten-
tion de Sa Majesté Impériale pour l’exacte observation des traités.
Cependant vous avez tenu une conduite contraire dans cette
occasion, et je connais trop votre droiture et votre équité pour
n’être pas surpris que vous ayez fait payer le nolis au capitaine
de la Mothe, qui est coupable, pour confisquer le chargement du
vaisseau qui appartient à des Maréchaux n’ayant aucune part à la
faute du capitaine, et qui réclament avec raison la justice qu’on
leur a refusée. En effet l’on ne saurait disconvenir que, par le
jugement qu’on a rendu à Alger sur cette affaire, l’on ait puni
l’innocent et récompensé le coupable, ce qui paraît bien éloigné
de la justice de votre Gouvernement. Elle est si bien reconnue
que les propriétaires du chargement espèrent que vous voudrez
bien avoir égard à leur situation, et leur procurer l’indemnité qui
vous paraîtra la plus convenable, sur les représentations qui vous
en seront faites par le Consul de Sa Majesté Impériale.
Les soins que l’on a eus ici de ceux de vos sujets qui sont
venus d’Angleterre, l’attention que le Consul a eue de vous rendre
de bonne foi une barque génoise qui passait pour être française(1),
et les égards qu’on a eus pour les Algériens dans toutes les occa-
sions me font prétendre que les sujets de Sa Majesté Impériale
trouveront toujours auprès de vous la justice qui leur sera due.
Sa Majesté Impériale a appris avec satisfaction par M. du
Revest(2), qui commandait le vaisseau de guerre Le Content, les
____________________
1. « J’ai été très sensible, dit notre Consul au Ministre, à l’approbation que vous
avez bien voulu donner à la conduite que j’ai tenue, à l’occasion du pinque génois mas-
qué sous pavillon de France, et dont le capitaine était porteur d’un faux congé de M.
l’Amiral et d’un faux rôle d’équipage. » Lettre de Thomas au comte de Maurepas, le 15
décembre 1748.
2. Capitaine de frégate faisant partie de l’escadre de M. de Massiac. Voy. sa cor-
respondance avec les Échevins de Marseille. (Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. BB, 46, et EE, 23 de l’Inventaire.)
206 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nouveaux ordres que vous avez donnés pour assurer à la Compa-


gnie d’Afrique l’exécution de son privilège(1). Cette Compagnie a
été fort maltraitée dans ses établissements et dans son commerce,
et elle a besoin d’une protection particulière de votre part(2).
Je profite de cette occasion pour vous recommander le sieur
Lemaire, qui doit bientôt se rendre à Alger pour succéder au sieur
Thomas(3). C’est un sujet rempli de mérite, qui sert depuis long-
temps avec distinction, et je suis persuadé que vous aurez lieu
d’être content de lui. Je vous souhaite un long et heureux Gou-
vernement et je vous prie de me croire,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait et sincère ami.
MAUREPAS.
____________________
1. Le Content arriva à Alger le 19 octobre 1748, fut salué des 21 coups de canon
réglementaires pour le pavillon royal et de 7 volées pour le Commandant. M. du Revest
se rendit aussitôt à l’audience du Dey, accompagné des officiers du bord. Mehemmed le
reçut, avec affabilité, et lui promit d’avoir « la plus grande attention pour le maintien des
privilèges de la Compagnie d’Afrique », mais il lui refusa la liberté de quelques esclaves
génois et tabarquins pris à La Calle en 1744, sous prétexte que cette affaire avait eu lieu
avant son avènement. Le Content repartit, le 21 octobre. On apprit, quelques jours après,
qu’en conséquence des ordres donnés par Mehemmed au Bey de Constantine, ce dernier
avait fait saisir dans le port de Stora 4 bâtiments anglais chargés de 1 200 000 mesures de
blé. Lettres de Thomas au comte de Maurepas, les 19 octobre et 14 novembre 1748.
2. Voy. les notes 1, p. 197 et 201.
3. Thomas, ayant demandé son rappel, fut nommé au Consulat d’Alep. Lettres
de Thomas au comte de Maurepas, les 15 décembre 1748 et 15 mars 1749. — André-
Alexandre Lemaire, ancien Chancelier à Alexandrie et à Chypre, ancien Consul à Seyde,
reçut ses nouvelles provisions le 17 novembre 1748. Lettres de Lemaire au comte de
Maurepas, le 27 novembre 1748, et du comte de Maurepas à Lemaire, le 17 novembre
1748. Voy. aussi la correspondance de Lemaire avec les Échevins de Marseille. (Archives
de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 477-491 et 48 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 207
MEHEMMED, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE MAUREPAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 29 mai 1749.


(Sceau)

Très excellent et très magnifique Seigneur, notre sincère et


parfait ami, Ministre du très haut et très puissant Empereur de
France,
Après avoir présenté à Votre Excellence les vœux et les
prières que nous faisons pour elle et nous être informé de l’état
de votre santé, nous vous donnons avis que nous avons reçu avec
tout l’empressement possible la lettre que le sieur Thomas nous a
remise de votre part, en date du 22 décembre 1748(1), concernant
certaines affaires survenues en ce temps-là. Grâce à Dieu, notre
République est depuis très longtemps en paix avec la France ;
nous avons un nombre considérable de traités avec elle, tant pour
les affaires de la marine que Pour le commerce, et il n’est nulle-
ment besoin de les renouveler. Dieu nous fasse la grâce que, de
part et d’autre, on tienne invariablement une conduite conforme
à l’amitié et à la bonne intelligence !
Le sieur Lemaire, qui a été envoyé ici de votre part pour rem-
placer le sieur Thomas, est arrivé à Alger et a pris possession du
Consulat(2). Soyez persuadé que nous approuverons toujours avec
plaisir toutes les dispositions que vous ferez, mais nous devons au
sieur Thomas la justice d’assurer Votre Excellence que personne
ici n’a eu l’occasion de formuler contre lui aucune plainte.
____________________
1. Voy. p. 204.
2. Lemaire était arrivé à Alger le 21 mai 1749, et avait trouvé la ville « dans une
fermentation étonnante ». On y avait appris que l’Espagne faisait des armements consi-
dérables en vue d’un bombardement. « Les esprits, écrivait-il, n’étaient guère disposés en
faveur des Européens, d’autant plus qu’ils nous englobaient tous sous le nom de Francs,
et qu’ils regardaient comme ennemis secrets ceux qui n’étaient pas déjà leurs ennemis
déclarés. Ils étaient devenus extrêmement insolents et ne ménageaient aucune Puissance.
Ils venaient de confisquer le chargement d’un vaisseau anglais évalué à plus d’un million,
uniquement parce que le passeport de ce navire n’était pas conforme au modèle. » Voy.
Lettres de Lemaire au comte de Maurepas, les 23 février, 10 et 26 mars, 14 avril, 28 et 30
mai 1749. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
208 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Nous n’oublierons rien pour donner à Votre Excellence de


haute réputation des preuves de la constance avec laquelle nous
sommes résolu à demeurer ferme dans l’amitié et la bonne corres-
pondance, comme nous l’avons été par le passé, étant également
de l’intérêt des deux nations de ne rien faire de contraire aux trai-
tés ni qui puisse altérer le moins du monde la concorde et la paix.
Et notre intention est de la rendre, s’il plaît à Dieu, inaltérable à
jamais(1). Nous prions Votre Excellence de nous donner de temps
en temps de ses nouvelles, lui souhaitant une longue continuation
de prospérités et de santé.
Écrit à Alger, le 12 de la lune de Djemazi-el-aker, l’an de
l’hégire 1162, c’est-à-dire le 29 mai 1749.
MEHEMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger de Barbarie.
Traduit par PETIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 24 juin 1749.

M. ROUILLÉ, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2),


A MEHEMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 29 juin 1749.


Très illustre et magnifique Seigneur,
J’ai l’honneur d’informer Votre Excellence qu’à la suite
de la retraite de mon prédécesseur, le comte de Maurepas(3), très
____________________
1. Mehemmed ne cessait alors de manifester à notre agent ses inquiétudes au sujet
de l’alliance de la France et de l’Espagne, dont il craignait de voir les forces se réunir contre
Alger. Sa bienveillance intéressée n’était pas moins efficace : Voy. Extrait des Instructions
données par le Dey à tous les Capitaines qui vont en course avec ses commissions, réglant
le droit de visite et la question des passeports, le 30 juillet 1749, — Passeport de Mehem-
med aux R. P. Trinitaires de la province de Castille, à cette fin qu’ils puissent venir libre-
ment à Alger pour vaquer à la rédemption des captifs, le 19 janvier 1749. Il y avait alors,
dans les bagnes de la Régence, environ 7 000 esclaves. — Voy. aussi la correspondance de
Duteil, Dengallière et Bérenger, de 1742 à 1749, avec les Échevins de Marseille. (Archives
de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 492-506 de l’Inventaire.)
2. Louis-Antoine Rouillé, comte de Jouy, ancien Intendant du commerce, Conseiller
au Parlement de Paris. Voy. Lettre de M. Rouillé aux Échevins et Députés de Marseille,
le 30 avril 1749, leur annonçant sa nomination. (Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 61 de l’Inventaire.)
3. Il fut contraint d’abandonner son poste, pour avoir publié une épigramme inju-
rieuse contre Mme de Pompadour.
AVEC LA COUR DE FRANCE 209

honorable et très illustre premier Ministre, votre vieil ami, Sa


Majesté le très puissant, très grand et très miséricordieux Roi de
France, mon Maître, le plus grand des Rois et le plus illustre des
Monarques, a daigné m’honorer de sa confiance, et m’a chargé
des fonctions de premier Ministre avec le Ministère de la Marine.
Mon cher et honorable ami, la lettre que vous avez écrite et adres-
sée à mon prédécesseur, le 29 mai dernier(1), nous est parvenue,
et nous l’avons immédiatement présentée à Sa Majesté le Roi.
A sa lecture, Sa Majesté a manifesté son contentement et son
plaisir pour vos bonnes intentions, et, en apprenant votre sollici-
tude à observer scrupuleusement et avec fidélité les traités et les
conventions qui nous lient depuis les temps les plus anciens, Sa
Majesté m’a chargé de déclarer à Votre Excellence que, tant que
les articles et les stipulations de nos traités seraient respectés par
vous fidèlement, vous seriez constamment l’objet de sa faveur et
de sa bienveillance.
Dernièrement quelques corsaires algériens, s’étant appro-
chés des côtes de France, ont visité, molesté et capturé quelques
vaisseaux marchands, contrairement au traité royal(2). Nous espé-
rons que dorénavant Votre Excellence, bien loin de consentir à
ces actes de violence et à ces infractions, s’efforcera de les em-
pêcher et de les faire disparaître. Nous avons appris également
que deux autres bâtiments, l’un de Saintes, l’autre de Saint-Malo,
ont été capturés contrairement aux règlements, que l’on a mis en
liberté l’un et que l’on a retenu l’autre(3). Sa Majesté ne doute pas
que Votre Excellence n’ordonne la restitution des susdits bâti-
ments et de leur cargaison à leurs propriétaires, et ne donne en
même temps des ordres sévères et efficaces pour empêcher le
retour de pareilles illégalités.
Je prie Votre Excellence de croire que je m’emploierai sé-
rieusement et du fond du cœur à cultiver et à consolider de plus
____________________
1. Voy. p. 207.
2. Voy. Lettre de Lemaire d M. Rouillé, le 2 août 1749.
3. Voy. Lettre de Lemaire à M. Rouillé, le 16 juillet 1749.
210 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

en plus l’amitié et l’attachement que j’ai pour votre personne et


votre Régence(1). Je souhaite à Votre Excellence le bonheur le
plus constant.
Votre sincère ami.
ROUILLÉ.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

MEHEMMED, DEY D’ALGER,


A M. ROUILLÉ, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 1er décembre 1749.

Très excellent et très magnifique Seigneur, notre très sin-


cère et parfait ami, Ministre de notre grand ami le très haut et très
puissant Empereur de France,
Après avoir présenté à Votre Excellence les vœux et les
prières que nous faisons pour elle, en conséquence de la très an-
cienne amitié qui est entre nous, et après nous être informé de
l’état de votre santé, nous vous donnons avis que nous avons
reçu avec une satisfaction très vive la lettre d’amitié que vous
avez écrite(2), par laquelle vous nous informez du choix que notre
grand ami l’Empereur de France a fait de Votre Excellence pour
son Ministre, ce qui nous a causé une joie inexprimable. Nous
vous en félicitons, et nous prions le Seigneur de vous bénir et
de vous conserver en parfaite santé dans le poste honorable où il
vous a placé.
____________________
1. Les nations étrangères s’efforçaient autant que nous de consolider cette amitié.
Le Grand-Duc de Toscane venait de signer avec les Algériens un traité dont la ratification
avait été apportée à Mehemmed dans une cassette garnie de diamants ; 4 vaisseaux hol-
landais avaient tout récemment débarqué les présents des États-Généraux, et les Suédois
n’avaient pas manqué de renouveler le tribut de fournitures de guerre auquel ils s’étaient
soumis. Liste des présents que les Hollandais et les Suédois ont apportés à Alger, les 20
janvier et 15 mai 1749. Voy. aussi Procès-verbal de la chancellerie du Consulat d’Alger,
le 30 juin 1749, publié dans Les Archives du Consulat général de France à Alger, par
Devoulx, p. 53.
2. Voy. p. 208.
AVEC LA COUR DE FRANCE 211

Notre parfait ami, il est arrivé depuis quelque temps qu’un


brigantin d’Alger, armé en course, a rencontré un vaisseau fran-
çais de dehors, auquel ayant demandé son passeport, ce vaisseau
ne lui a répondu que par une décharge générale de son artillerie et
de sa mousqueterie, avec laquelle il a tué et blessé plusieurs des
soldats, nos enfants, et brisé le mât du brigantin qui cependant l’a
pris et amené à Alger. Aussitôt nous avons assemblé M. Lemaire,
votre Consul, avec les anciens et expérimentés Capitaines de no-
tre République, et, après avoir écouté attentivement les raisons
pour et contre, le Capitaine français a été reconnu coupable de
la violation des règles ; nous avons fait vendre la charge du vais-
seau et remettre 300 sequins de nolis au Consul, qui a fait passer
cette somme aux propriétaires(1). Car de tout temps ç’a été la règle
parmi nos Capitaines qu’il est impossible de laisser aller un bâti-
ment marchand rencontré sans avoir examiné son passeport, par
la crainte de nos soldats qui ne manqueraient pas d’accabler au
retour le Capitaine de maux et de tourments, de lui reprocher que
le bâtiment dont il avait négligé d’examiner le passeport était un
vaisseau chargé aux Indes, et de le charger de mille autres fausses
imputations(2). C’est pourquoi nous sommes convenu avec M. Le-
maire, votre Consul, qui est un homme de bon sens et de jugement,
que désormais nos bâtiments corsaires porteront un pavillon rou-
ge au mât de misaine pour signal(3). Ayez agréable de donner en
____________________
1. Le vaisseau La Marguerite, expédié de Vannes pour la traite des nègres et com-
mandé par le capitaine Gervaiseau, s’était cru en présence d’un corsaire de Salé, et il avait
eu l’imprudence d’attaquer le premier le navire algérien. « Ce procédé, dit le Consul,
avait servi de titre, suivant l’usage abusif qu’on avait laissé s’introduire, pour confisquer
la cargaison qui valait tout au plus 20 000 livres. J’ai eu beau prier, solliciter et me replier
de cent façons différentes pour parer ce coup, tous mes efforts ont été inutiles, et l’on m’a
répondu qu’on ne faisait point ici pour les Français de lois différentes de celles qu’on
observait pour les autres nations. » Lettres de Lemaire à Rouillé, les 18 septembre et 1er
décembre 1749.
2. Il est curieux d’observer quels étaient les motifs allégués par les Algériens pour
expliquer leur prétendu droit de visite sur les navires européens.
3. Il fut convenu qu’après avoir arboré la flamme rouge, les corsaires algériens
mettraient leur navire en panne et tireraient un coup de canon, « pour que les bâtiments
des marchands pussent attendre avec plus de sécurité les chaloupes chargées de les recon-
naître ». Lettre de Lemaire à N. Rouillé, le 29 août 1749.
212 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

conséquence des ordres précis, dans tous les ports de France, à


vos bâtiments marchands pour que, lorsqu’ils reconnaîtront ce si-
gnal, ils soient hors d’inquiétude et qu’ils se comportent comme
avec des amis.
Écrit le 21 de la lune de Zilhidjé, l’an de l’hégire 1162,
c’est-à-dire le 1er décembre 1749.
(Sceau)
MEHEMMED,
Dey et Gouverneur de la Ville d’Alger de Barbarie.
Traduit par PÉTIS DE LA CROIX, Secrétaire-interprète du Roi, le 6 janvier 1750.

M. ROUILLÉ, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MEHEMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 19 janvier 1750.

A Son Excellence le très honorable, très fortuné et très fi-


dèle Dey et Gouverneur de la Régence d’Alger, notre sincère et
très cher ami Mohammed.
Après avoir offert à Votre Excellence les vœux et les priè-
res que l’amitié suggère, nous nous empressons de nous informer
de l’état de votre santé, et nous formons des vœux pour le bien-
être et la longue durée de Votre Excellence dans ses hautes fonc-
tions.
Mon cher et honorable ami, la lettre que Votre Excellence
nous a adressée à la date du 1er du mois de décembre(1) nous
est heureusement parvenue. A la lecture de cette lettre d’amitié,
nous avons éprouvé un plaisir et une satisfaction extrêmes, pour
les bons et aimables termes dans lesquels vous nous félicitez de
notre élévation à la Présidence du Ministère. Il est hors de doute
que, quant à nous, nous nous appliquerons de tout notre pouvoir
à sauvegarder les traités de paix conclus entre les deux nations,
et à rendre nos relations de plus en plus pacifiques et amicales.
____________________
1. Voy. P. 210.
AVEC LA COUR DE FRANCE 213

Nous, espérons que Votre Excellence emploiera tous ses efforts


dans ce sens et ne négligera rien pour atteindre ce but.
Dernièrement un bâtiment corsaire algérien, ayant rencontré
un vaisseau marchand français, lui a demandé son passeport, mais
le Capitaine ayant répondu par des coups de canon et de fusil, fut
capturé et amené à Alger(1). Il est arrivé à notre connaissance que
Votre Excellence a autorisé la saisie de toutes les marchandises
qui se trouvaient dans ce vaisseau. Nous regrettons vivement cet-
te manière d’agir, car si le Capitaine était coupable, on pouvait le
punir par la saisie de la somme allouée ; les marchandises qui s’y
trouvaient n’appartenant pas au Capitaine, il était certainement
contraire aux lois de l’équité et de la justice de saisir le bien de
commerçants innocents auxquels appartenait la marchandise. Par
cette façon d’agir, on a l’air de récompenser le Capitaine coupa-
ble et rançonner les commerçants innocents, ce qui est contraire
à tous les usages reçus, comme Votre Excellence le sait très bien.
Nous devons ajouter que c’est la première fois, à notre connais-
sance, que Votre Excellence a accordé une pareille autorisation.
Pour éviter à l’avenir le retour de pareils actes, Votre Excel-
lence nous fait savoir qu’elle va donner ordre aux corsaires algé-
riens d’arborer à leur mât un drapeau rouge(2), pour servir de signal
aux bâtiments français qui, ainsi guidés, pourront sans crainte
s’approcher pour exhiber leur passeport, sachant qu’ils ont affaire
à des corsaires algériens et pas à d’autres. Mais avant de publier
ce fait dans les ports de France et de donner des ordres en consé-
quence, je crois devoir déclarer à Votre Excellence que, si cet or-
dre était donné aux corsaires algériens, il serait connu deux jours
après de tous les autres corsaires, qui s’empresseraient d’employer
le même signal, et les Capitaines français, croyant avoir affaire à
des Algériens, iraient se livrer sans défense, avec leurs bâtiments,
à la merci des ennemis. Nous espérons que Votre Excellence,
après mûre réflexion, renoncera à un signal plein de danger, et,
de concert avec M. Lemaire, notre Consul, qu’elle parviendra
____________________
1. Voy. la note 1, p. 211.
2. Voy. la note 3, p. 211.
214 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

à trouver un moyen moins périlleux pour éviter à l’avenir des


événements fâcheux pour les bâtiments français(1).
Mon cher et fortuné ami, on a préparé deux bâtiments, au
service de Sa Majesté le Roi, pour aller et venir de Syracuse en
Corse et de Corse à Syracuse, et nous demandons à Votre Ex-
cellence de vouloir bien nous donner deux passeports et nous
les envoyer par l’intermédiaire de M. Lemaire, notre Consul.
Sa Majesté me charge de déclarer à Votre Excellence toute la
satisfaction qu’elle en éprouvera; nous espérons que l’octroi de
ces deux passeports sera notifié à tous vos corsaires, pour que,
avertis d’avance, ils ne puissent exercer aucune investigation ni
aucun désagrément.
Je souhaite à Votre Excellence le bonheur le plus constant.
Votre sincère ami.
ROUILLÉ.
Traduit par SAGHIRUN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

MEHEMMED, DEY D’ALGER,


A M. ROUILLÉ, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2).

Alger, le 18 avril 1754.

La présente est écrite de la part de l’illustre Vice-Roi Me-


hemmed, Pacha et Dey de la Milice d’Alger, qui se fait gloire
d’être toujours prêt à obéir en qualité de serviteur à celui qui, par
la grâce du Très-Haut, est le plus puissant des Empereurs et des
Rois, le dispensateur des couronnes, qui tient les rênes des Em-
pires de cet univers, qui dirige les affaires des États soumis à la
vraie religion, qui réprime les désordres, châtie les rebelles et op-
prime les tyrans, le Maître absolu de toutes les nations et duquel
dépend sans restriction la vie et la mort de ses sujets, au nom de
____________________
1. Voy. État des forces maritimes de la République d’Alger en 1750. (Archives des
Affaires étrangères, Mémoires et Documents, Alger, t. XV, f° 107.)
2. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 392.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 215

celui qui est l’ombre de Dieu sur la terre, qui, par l’aide de l’Étre
suprême, a toujours remporté la victoire sur ses ennemis les plus
formidables, l’Empereur d’Orient et d’Occident, de l’Océan et de
la Méditerranée, second Cosroès, l’appui et le zélé protecteur du
saint Alcoran, la couronne de la félicité et la source intarissable
des grâces et des bienfaits, qui a la force d’Alexandre et la sages-
se de Salomon, l’Empereur régnant qui est monté sur le trône par
droit de succession, l’Empereur Mahmoud, — dont Dieu bénisse
les armes et prolonge les jours ! —
(Sceau)
La présente est donc, écrite à notre intime ami, l’illustre,
prudent et éclairé Ministre du très haut, très puissant et très affec-
tionné, Empereur de France. Les vœux que nous faisons au ciel
sont que ce digne Ministre jouisse longtemps d’heureux jours et
de la santé la plus parfaite. Nous avons l’honneur, notre très cher
et intime ami, de vous informer par la présente que les corsaires
qui avaient violé les droits et les conventions des traités, en insul-
tant un de vos bâtiments marchands, ont été punis conformément
aux lois et constitutions de notre pays. Mais nous osons nous flat-
ter que la clémence ordinaire de votre grand Empereur le portera
à pardonner cette faute de nos corsaires, et qu’après un certain
temps écoulé, les coupables pourront trouver grâce devant Sa
Majesté Impériale, surtout ayant apporté sans aucun délai toute
notre diligence pour faire rendre tout ce qui avait été enlevé aux
Français, et relâcher ceux qui avaient été compris dans la prise in-
justement faite sur les sujets de votre puissant Empereur. Le sieur
Lemaire, votre Consul en ce Royaume, homme très éclairé et très
entendu, s’étant chargé de la présente, vous rendra un compte fi-
dèle et bien détaillé de tout ce qui s’est passé, et particulièrement
de ma conduite dans cette triste et fâcheuse conjoncture.
La grâce que je vous demande, pour éviter par la suite un
pareil malheur, est de bien recommander aux Capitaines ou pa-
trons de vos bâtiments marchands d’être plus exacts à obser-
ver scrupuleusement et à la lettre ce qui leur est prescrit dans
les Capitulations passées entre nous, au sujet de la rencontre de
216 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nos bâtiments corsaires, et de leur donner de nouveaux ordres


absolus à ce sujet. Je tiendrai de mon côté soigneusement la main
pour que nos corsaires ne commettent par là suite aucune inso-
lence, et vous pouvez compter sur ma parole. Le sieur Lemaire
nous ayant représenté que certaines affaires exigeaient sa présen-
ce en France, nous lui avons accordé avec plaisir la permission
de s’y rendre suivant son désir(1). Nous nous flattons que vous lui
rendrez toute la justice que méritent l’attention, l’intelligence, la
prudence et surtout le zèle avec lesquels il a dignement rempli
tous les devoirs de son état; nous espérons de plus que les gran-
des lumières dont vous êtes doué lui seront toujours beaucoup
plus avantageuses que les plus fortes recommandations que nous
pourrions vous faire à son sujet(2).
____________________
1. Lettre de Lemaire d M. Rouillé, le 18 avril 1754. Il partit ce jour-là sur le navire
La Concorde, après avoir remis les sceaux au Chancelier Germain. Voy. la correspondan-
ce de ce dernier aux Archives des Affaires étrangères ; Consulat d’Alger, et aux Archives
de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 494 de l’Inventaire.
2. Une grave affaire avait failli causer, pendant l’année précédente, la rupture de
la paix avec les Algériens. Jean-François Prépaud, de La Ciotat, patron du navire français
L’Assomption, avait rencontré le 20 septembre 1753, dans le détroit de Gibraltar, un bâti-
ment aux allures suspectes qui venait à lui sans pavillon, et il avait engagé avec lui un vi-
goureux combat, en le prenant pour un corsaire de Salé. C’était un chebek algérien com-
mandé par Omar-reïs. Ce dernier avait fini par capturer notre compatriote, et, de retour à
Alger, il l’avait conduit chez le Dey qui avait ordonné la mise aux fers des 28 hommes de
l’équipage, la confiscation du bâtiment et de la cargaison, enfin la peine de 1 000 coups de
bastonnade pour le malheureux Prépaud. Ce dernier ayant expiré le lendemain de son sup-
plice, le Consul avait dû faire de sévères représentations aux Puissances, et leur adresser
en même temps d’énergiques réclamations. « A peine avait-il ouvert la bouche que Me-
hemmed l’avait fermée par un torrent d’injures les plus atroces, le menaçant de déclarer
la guerre si l’on insistait sur ce point. » L’émotion avait été si grande parmi nos nationaux
et chez nos marins de Provence que la Cour avait dû faire armer plusieurs navires, avec
des galiotes à bombes, pour aller demander réparation au Dey d’Alger. Cette escadre,
commandée par M. de Panat, devait partir de Toulon le 14 janvier 1754. Voy. Mémoire
sur les dernières hostilités des Algériens contre le capitaine Prépaud, — Mémoire sur le
moyen de réduire les Algériens et de les forcer à garder inviolablement la foi des traités,
rédigé par Ricaut, ingénieur au service de l’Espagne, ancien esclave à Alger, — Lettres
de Lemaire à MM. Rouillé et de Machault, les 14 juillet 1750, 13 mai, 12 et 15 juin, 17
août et 20 septembre 1751, 1 et 13 octobre 1752, 31 octobre, 24 novembre et 10 décembre
1753, 8, 12 janvier et 8 février 1754, — Lettre de M. Rouillé aux Échevins de Marseille,
le 10 décembre 1753, s’efforçant de calmer la colère des Marseillais, « une rupture avec
les Algériens pouvant être très dangereuse pour le commerce », — Lettre de M. de Ma-
chault au comte des Alleurs, Ambassadeur à Constantinople; le 21 janvier 1754. Voy.
AVEC LA COUR DE FRANCE 217

J’espère enfin qu’il n’arrivera rien, moyennant la grâce du


Très-Haut, qui soit capable de causer la moindre altération à la
bonne et sincère intelligence qui doit régner entre les deux na-
tions, et c’est ce que pourra vous dire de vive voix notre bon et
cher ami le sieur Lemaire, que nous vous recommandons comme
un des plus dignes sujets de votre puissant Empereur(1).
Écrit à Alger; le 27 de la lune de Djemazi-el-aker, l’an de
l’hégire 1167, c’est-à-dire le 18 avril, l’an de Jésus-Christ 1754.
Votre sincère ami.
MEHEMMED,
Pacha et Dey du Royaume et de la Milice d’Alger.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 21 juin 1754.

M. DE MACHAULT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A MEHEMMED, DEY D’ALGER.

Compiègne, le 5 août 1754.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maitre, après m’avoir confié les sceaux
de l’Empire, vient de me charger du gouvernement des affaires
____________________
encore le détail de cette affaire, ainsi que l’énumération des présents faits pendant cette
période par la nation française à Alger, dans les Extraits des procès-verbaux de la chan-
cellerie du Consulat d’Alger. (Les Archives du Consulat général de France à Alger, par
Devoulx, p. 55 et suiv.)
Lemaire avait encore sur les bras l’affaire du capitaine Lafargue, de Bordeaux,
capturé par les reïs en 1753 ; il avait à trancher diverses difficultés avec les Consuls d’An-
gleterre, de Hollande, d’Autriche, de Danemark et de Suède, MM. Stanifford, Paravicini,
Estandardi, Hameken et Logier ; enfin à avait à lutter contre les faveurs accordées par le
Dey aux négociants Interlopes au détriment de la Compagnie d’Afrique. Voy. État des
griefs de la Compagnie royale d’Afrique pour servir aux représentations qu’elle prie M.
Lemaire de faire au Dey d’Alger, — Précis des remontrances faites au Dey touchant les
ingérées de la Compagnie d’Afrique. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger,
et Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 65 et 66 de l’Inventaire.)
1. Lemaire avait été peu de temps auparavant le négociateur de la paix entre les
Algériens et les villes hanséatiques. Il avait su rentrer momentanément en grées auprès
du Divan d’Alger, en distribuant des cadeaux pour obtenir la liberté de l’équipage du
capitaine Prépaud. Voy. État des donatives et autres dépenses faites pour le service du
Consulat d’Alger depuis 1749. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
218 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de la mer à la place de M. le comte de Jouy(1), que Sa Majesté


Impériale a revêtu d’un autre emploi. Elle m’a si fort recomman-
dé l’honneur et la liberté de son pavillon qu’en vous notifiant
un événement qui doit me mettre en relations avec vous, je dois
aussi vous faire connaître mes véritables sentiments. Ils se rap-
portent essentiellement à la dignité de la Couronne et à la sûreté
des sujets de l’Empire, autant qu’au bien de la paix et au maintien
de la bonne intelligence. Je souhaite et j’espère que rien ne puisse
l’altérer, et il me sera très agréable de pouvoir vous donner des
marques de ma haute considération pour votre personne. M. le
comte de Jouy m’a remis la lettre que le sieur Lemaire lui a en-
voyée de votre part, et j’attends que ce Consul me soit présenté
pour arranger et lui prescrire tout ce qui pourra contribuer à ren-
dre la tranquillité durable. C’est mon plus grand désir, et c’est
dans cette confiance que je commence mon nouveau Ministère,
en vous assurant que personne n’est plus véritablement,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait ami.
MACHAULT(2).

MEHEMMED, DEY D’ALGER,


A M. DE MACHAULT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(3).

Alger, le 25 octobre 1754.

C’est la lettre d’amitié de Mehemmed, Pacha et Gouver-


neur, honoré de la place de Lieutenant des Étriers de Sa Majesté
Impériale, par la grâce et le secours divin Empereur du siècle, le
Sultan, fils de Sultan, le Sultan Mahmoud, — à qui Dieu accorde
la durée de son règne set la perpétuité de son Vicariat ! — A Son
Excellence l’éminent et suprême Vizir, placé à la première place
____________________
1. M. Rouillé.
2. Jean-Baptiste de Machault, Seigneur d’Arnouville, ancien Contrôleur général
des finances en 1745, avait réuni à Sa charge celle de Garde des sceaux en 1750. Sa no-
mination au Département de la Marine date du 28 juillet 1754.
3. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 392.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 219

par Sa Majesté l’Empereur de France, ancien et grand ami du


haut Empire.
Appui des Seigneurs de la religion de Jésus, exemple des
Grands qui professent la foi du Messie, notre très illustre, sincère
et grand ami, éminent Vizir, — Que Dieu vous accorde une fin
heureuse et vous mette dans le chemin de la rectitude et du sa-
lut ! —
Après avoir offert à Votre Excellence les assurances de ma
sincère amitié et m’être informé de l’état de sa santé, je souhaite
qu’elle jouisse d’une longue vie, accompagnée de délices et de
plaisirs. Mon très fortuné et éminent Vizir, votre serviteur, l’agent
de la Compagnie qui réside auprès de nous nous a remis ces jours
passés votre lettre amicale et les marques et témoignages d’une
constante amitié que vous nous y donnez. La nouvelle qu’elle nous
donne de votre élévation au suprême Ministère nous a causé une
joie infinie. Je prie Dieu Très-Haut qu’il vous accorde, pendant le
cours d’une longue vie, la stabilité dans cette éminente place. Nous
espérons que Votre Grandeur sera persuadée de la sincérité et de
l’augmentation de notre amitié, que nous ne consentirons jamais
que qui que ce soit la trouble par quelque démarche contraire, et
qu’en recommandant expressément soit de votre part aux Capitai-
nes des bâtiments, soit de la nôtre à nos corsaires, d’agir toujours
comme il convient selon l’amitié, de s’en donner des marques
mutuellement, lorsqu’ils se rencontreront, et d’éviter toute démar-
che contraire aux Capitulations, cette amitié sera inaltérable. Dieu
nous accorde à nous tous la tranquillité et le repos ! Amen !
Écrit le 28 de la lune de Zilhidjé, l’an 1167, c’est-à-dire le
25 octobre 1754.
(Sceau)
MEHEMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Occident.
Traduit par GERMAIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 12 janvier 1755.
____________________
1. Germain. Voy. Lettre de Germain à M. de Machault, le 15 décembre 1754. — Voy.
aussi Extraits des délibérations de l’assemblée de la nation française à Alger, le 13 décem-
bre 1754, au sujet des cadeaux offerts par le Consul intérimaire, à l’occasion du changement
de Dey. (Les Archives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 68.)
220 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
M. DE MACHAULT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A ALI, DEY D’ALGER(1).

Arnouville, le 28 avril 1755.

Très illustre et magnifique Seigneur,


En apprenant l’événement que la Providence a permis pour
vous appeler au Gouvernement de la Régence d’Alger(2), j’aurais
désiré d’en être informé autrement que par la voix publique.
Mais les relations du sieur Germain m’ayant fait juger avanta-
geusement des sentiments où vous étiez pour ce qui regarde les
Français(3), je ne veux pas différer d’avoir avec vous une expli-
cation nécessaire, que la situation et le bien des affaires exigent.
J’en attends une issue d’autant plus heureuse que je n’aurai plus
à traiter avec votre prédécesseur, dont le malheureux sort ne m’a
point surpris, et tout annonce que vous remplirez dignement sa
place. Dans cette confiance, je vous prie de recevoir le compli-
ment de félicitation que je vous fais comme l’expression sincère
de mes vœux pour votre prospérité et de ma considération pour
votre personne.
Je suis, très illustre et magnifique Seigneur,
Votre sincère ami.
MACHAULT.
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 392.)
2. Mehemmed avait été assassiné le 11 décembre 1754, au moment où il faisait
sa paye. Il avait été remplacé par Baba Ali, alors Agha des spahis, qui avait été autrefois
ânier dans un village d’Asie. Celui-ci avait ratifié, le 29 décembre, le traité des Conces-
sions de 1694. Voy. Examen sur les causes de la révolution arrivée à Alger dans le mois
de décembre 1754 et sur l’État du Gouvernement présent. (Archives des Affaires étrangè-
res, Consulat d’Alger.)
3. Voy. Lettres de Germain à M. de Machault, les 31 décembre 1754, 22 Janvier
et 23 avril 1755.
AVEC LA COUR DE FRANCE 221
ALI, DEY D’ALGER,
A M. DE MACHAULT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1).

Alger, le 29 juillet 1755.


(Sceau)

C’est la lettre d’amitié écrite au très sincère, très aimable


et très prudent Vizir, le premier Ministre de Sa Majesté le très
fortuné et très puissant Empereur de France, de la part d’Ali, ac-
tuellement Pacha, Dey et Gouverneur d’Alger, — à qui Dieu ac-
corde l’accomplissement de ses désirs ! — qui est honoré de la
Lieutenance de l’Étrier de Sa Majesté, par la grâce divine l’Em-
pereur de notre temps, le très grand Sultan, qui tient dans la main
de sa puissance les clés et les rênes du Gouvernement du genre
humain, qui protège et défend les pays de Dieu contre la tyran-
nie et qui en abolit toute inquiétude et violence, qui est l’ombre
de Dieu étendue sur les enfants d’Adam, le Sultan des deux ter-
res et des deux mers, victorieux Monarque, héros de la face de
la terre, ornement du trésor de la justice, qui a augmenté l’éclat
de la couronne de félicité, qui est aussi majestueux que Djem(2),
aussi sage que Salomon, dont le courage égale celui de Rustan(3)
et la puissance celle d’Alexandre. — Que Dieu perpétue son rè-
gne et que les étendards de son Empire ne cessent jamais d’être
déployés ! —

Après avoir offert les témoignages de sincère et cordiale


amitié à Sa Grandeur le très sincère, illustre et aimable Vizir,
notre ami, — à qui Dieu accorde la vraie et droite voie ! — le
sublime Ministre de Sa Majesté, qui est le plus grand Prince des
grands Princes de la croyance de Jésus, le plus grand des grands
Potentats de la religion du Messie, le très puissant et fortuné Em-
pereur de France.
____________________
1. Archives de la Marine. (Levant et Barbarie, B7 392.)
2. Quatrième Roi de la première race des Rois de Perse.
3. Fameux héros du temps des anciens Rois de Perse.
222 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Je commence avant toute chose par m’informer de l’état de


votre santé, et je souhaite que vous jouissiez d’une longue vie
et d’une joie et satisfaction parfaites dans la première place que
vous occupez dans le Ministère, par l’intercession de Jésus, fils
de Marie !
Mon très illustre, aimable, sincère et grand ami, sublime Vi-
zir, — Que Dieu augmente les jours de votre vie ! — Comme
j’étais dans l’attente de recevoir de vos nouvelles, j’ai reçu dans un
temps heureux, par le Consul Lemaire, la lettre de congratulation
que vous m’avez envoyée(1). L’ayant lue tout de suite, j’ai vu les
témoignages de votre amitié auxquels j’ai été très sensible, et ce
que vous me marquez au sujet de vos bâtiments marchands. Mon
aimable ami, je vous prie de compter de nouveau sur notre sincère
amitié, de même que nous comptons sur la vôtre. Nous sommes
persuadé que vous agirez toujours envers nous en ami, s’il plaît à
Dieu, pendant le cours de mon Gouvernement. Il ne sera jamais fait
injustement aucun tort ni oppression à vos bâtiments marchands,
et j’ai expressément notifié et averti que ceux qui agiraient contre
les Capitulations seraient punis. Mais vous aussi, notre ami, en-
voyez de tous côtés vos ordres à vos négociants de la Compagnie,
pour que, lorsque vos bâtiments rencontreront nos corsaires, ils ne
transgressent pas les ordres et agissent suivant l’ancienne coutume,
montrent leur patente et se comportent conformément à l’amitié,
qu’ils ne tirent pas leurs canons et qu’ils ne tuent pas nos soldats,
parce que les procès qui concernent le sang sont difficiles. Vous
savez que les soldats d’Alger sont héritiers les uns des autres. Lors-
que quelqu’un d’eux a été tué sans sujet, ils demandent le sang qui
l’a tué. Votre Consul prétend que, si les Capitaines de vos bâti-
ments marchands commettent quelques excès, s’ils tirent du canon
et tuent quelqu’un et s’ils sont conduits à Alger, il faut les envoyer
en France pour y être punis. C’est à quoi ne consentiront jamais
ceux-, qui auront droit de demander justice contre le meurtrier.
Sa Majesté notre grand Empereur n’empêche pas le cours d’une
____________________
1. Voy. p. 220. Lemaire fut de retour à Alger le 21 juin 1755, et rapporta des pré-
sents pour le Dey et son Vekilhardji, notamment un plat et une aiguière d’une valeur de
400 livres.
AVEC LA COUR DE FRANCE 223

pareille justice, qui ne peut être retardée, car quelle possibilité y


aurait-il, dans une pareille occasion, d’envoyer le meurtrier dans
un autre pays ? C’est pourquoi ceux qui n’obéiront pas à vos or-
dres et qui agiront contre les Capitulations, quoiqu’ils arborent
le pavillon de l’Empereur de France, ne seront pas comptés pour
Français ; ils seront regardés comme vos ennemis et nécessaire-
ment punis suivant la justice et la règle.
Du temps de mon prédécesseur Mehemmed Pacha, le Capi-
taine d’un de vos bâtiments rencontra hors du détroit de Gibraltar
un de nos navires(1). Non seulement il refusa de lui faire voir sa
patente, mais il tira sur lui par mauvaise intention et tua quelques-
uns de nos soldats. Lorsqu’il fut conduit à Alger, Mehemmed Pa-
cha se contenta de punir le Capitaine et mit en liberté l’équipage,
mais désormais, si quelqu’un commet une pareille action, pour
servir d’exemple à tous, son équipage sera pendu ou fait esclave.
S’il s’enfuit, lorsque nous saurons son arrivée chez vous, je vous
en informerai pour que vous punissiez, conformément à l’amitié
et à l’exigence du cas, ceux qui auront contrevenu à vos ordres.
Nous sommes persuadé que dans la suite, s’il plaît à Dieu, si vous
voulez bien donner vos ordres aux Capitaines de vos bâtiments
marchands, ils se conformeront aux Capitulations et ne commet-
tront aucun excès, par Dieu grand ! Nous considérons plus que
tout autre votre Consul et vos négociants qui résident ici ; nous
leur donnons tout ce qu’ils demandent, et, pour faciliter leur com-
merce, nous attendons deux ou trois ans à en recevoir l’argent ;
nous les favorisons en tout plus qu’aucune autre, nation(2). Si vous
ne le croyez pas, vous pouvez le demander à leurs associés. C’est
pourquoi, mon ami, si on vous dit plus que ce qui est convenu
dans ma lettre d’amitié, n’y ajoutez pas de foi. Que Dieu nous
____________________
1. Allusion à la prise Prépaud. Voy. la note 2, p.216. Lemaire présenta de nouvel-
les réclamations au sujet du meurtre de ce capitaine et de la confiscation de son navire,
mais Ali lui opposa que cette affaire ayant eu lieu avant son avènement, il n’avait pas à
s’en préoccuper.
2. La correspondance ne montre pas que l’entente ait été aussi parfaite entre le
Dey et notre agent. Voy. Lettre, de Germain et Lemaire à M. de Machault, les 4, 6 et 31
mai, 14, 21 et 29 juin 1755.
224 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

rende des deux côtés constants dans la sincère amitié ! Amen ! et


encore Amen !
Écrit le 19e jour de la lune de Choual, l’an 1168, c’est-à-
dire le 29 juillet 1755.
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par JEAN-BAPTISTE DE FIENNES, Secrétaire-interprète du Roi, le 9
septembre 1755.

M. DE MACHAULT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 29 mars 1756.


Très illustre et magnifique Seigneur,
Je n’aurais pas tardé si longtemps de renvoyer le sieur Le-
maire auprès de vous si je n’avais été obligé de le retenir en Fran-
ce, jusqu’à ce que l’affaire de la galiote eût été terminée à votre
satisfaction et à la mienne(1). Différentes contestations en ont re-
tardé la décision malgré moi, mais enfin cette affaire désagréable
est heureusement finie ; elle ne serait jamais arrivée si, comme je
l’avais prévu, vos galiotes n’avaient pas été confondues à la mer
avec celles des Salétins. La méprise qui en est survenue ne doit
pas plus être imputée aux officiers de guerre de l’Empereur, mon
Maître, qu’à vos reïs, et j’en ai senti beaucoup de peine. Vous
y connaîtrez du moins qu’elle ne pouvait être mieux réparée, et
que vous ne pouviez attendre plus de justice et de faveur, ni un
traitement plus gracieux de la part des Français. Aussitôt que vo-
tre galiote a été reconnue par les papiers et informations que j’ai
voulu examiner moi-même, elle a été relâchée avec permission
au reïs de retourner en son pays, avec l’offre d’y être escorté. Il
a préféré le premier parti et on lui en a laissé la liberté; la galiote
a été radoubée et équipée dans les arsenaux de sa Majesté Impé-
____________________
1. Cette galiote avait été capturée sous pavillon de Salé; le corsaire se nommait
Saïd-reïs: Lemaire avait dû faire, en février 1756, un second voyage à la Cour pour en
obtenir la restitution, et s’était arrêté quelques jours à Toulon pour s’entendre à ce sujet
avec M. de Villebranche, intendant de la Marine en cette ville.
AVEC LA COUR DE FRANCE 225

riale, où l’on a donné tous les secours et les dédommagements


possibles avec cordialité et amitié, et j’espère, s’il vous en a rendu
un compte fidèle et s’il ne lui est point arrivé d’accident dans sa
traversée, que cet événement imprévu ne vous rappellera que les
bonnes dispositions de la France et la nécessité de les seconder de
votre part, pour qu’il ne puisse plus rien arriver de semblable. Je
vous prie seulement et à cette occasion de vous souvenir de ce que
je vous ai fait représenter ci-devant, par rapport aux galiotes et aux
inconvénients de ces armements si suspects pour les Français.
J’ai employé le sieur Lemaire aux arrangements qui ont été
pris à Toulon pour qu’ils fussent mieux remplis dans l’intérêt
qu’il y a mis pour votre service, et je l’ai chargé de vous infor-
mer lui-même de tout ce qui s’est passé. Mais j’ai été encore
plus loin pour ne vous laisser aucun doute sur mes sentiments.
J’ai appris que la galiote avait à sa suite une prise espagnole, et
quoiqu’elle eût été conduite dans un port d’Espagne et qu’elle
fût d’une valeur modique, j’ai voulu qu’elle vous fût rendue. Elle
était en si mauvais état qu’on a été forcé d’en faire la vente avec
toutes les formalités requises en justice, et le sieur Lemaire vous
en portera le produit et les comptes en règle. Vous jugerez par là
combien vous devez compter sur la droiture de mes intentions, et
c’est dans ces circonstances que je vous renvoie le sieur Lemaire,
pour resserrer de plus en plus la bonne harmonie et l’intelligence
entre le Gouvernement français et les Algériens et pour y appli-
quer tous ses soins, dans la confiance où je suis que vous ferez
observer à la Milice et aux sujets de votre Régence une bonne
conduite, afin que rien n’altère désormais la meilleure correspon-
dance entre nous. Je crois pouvoir m’en assurer de vôtre part, et
le sieur Lemaire vous donnera d’ailleurs toutes les explications
que vous pourrez désirer. Je vous offre mes services, et je serai
satisfait que vous me croyiez avec la plus haute estime et plus
sincèrement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait et sincère ami.
MACHAULT.
226 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
ALI, DEY D’ALGER,
A M. DE MACHAULT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 3 novembre 1756.

Lettre d’amitié adressée à Son Excellence l’honorable Grand


Vizir du Roi de France par Son Altesse le Dey et Gouverneur de
la Régence d’Alger, Ali Pacha, — que Dieu favorise dans ses
desseins ! — celui qui est honoré et ennobli dans le haut service
de l’Étrier impérial de Sa Majesté, par la grâce divine grand Em-
pereur et illustre Monarque, maître absolu de ses peuples, mo-
dérateur des affaires du genre humain, destructeur des traces de
la tyrannie, protecteur des Villes de Dieu, glorieux comme So-
liman, puissant comme Alexandre, Souverain de son temps, Roi
des Rois, Sultan, fils du Sultan, le Sultan Osman. — Que Dieu
daigne éterniser son empire et son bonheur ! —
A Son Excellence le premier Ministre et illustre Vizir du
Roi de France, ami constant de l’Empire ottoman et de notre Ré-
gence, le plus grand parmi les Princes chrétiens et le plus illustre
des Chefs de la nation du Messie.
Notre très cher, très honorable, très fidèle et ancien ami,
illustre Vizir, — Que Dieu vous accorde une fin heureuse, et
vous dirige dans le sentier de la droiture et de l’équité ! — Après
avoir offert à Votre Excellence l’expression de notre amitié -la
plus sincère et la plus affectueuse, nous nous empressons de nous
informer de l’état de votre santé, et nous formons des vœux pour
vos jours et pour votre bonheur constant et inaltérable. Ainsi soit-
il par respect du nom de Jésus, fils de Marie.
Mon cher ami, il y a quelque temps nous avons eu l’hon-
neur de vous écrire(1), en vous demandant que les Capitaines de
vos navires et de vos bâtiments de commerce traitent en amis
nos corsaires partout où ils les rencontreront, et qu’aucune action
contraire aux traités ne se produise jamais ni de notre côté ni du
____________________
1. Voy. p. 231.
AVEC LA COUR DE FRANCE 227

vôtre. L’année dernière, une de nos frégates corsaires ayant cap-


turé un bâtiment espagnol dont l’équipage prenait la fuite, avait,
laissé dans le susdit bâtiment nombre de vases, beaucoup de nu-
méraire et une certaine quantité d’étoffes de toutes sortes(1) ; or,
pendant qu’on l’amenait en Alger, un brigantin français rencontra
en mer et captura notre frégate et notre embarcation de transbor-
dement, il les amena en la ville espagnole nommée Malaga, où,
tout en mettant en liberté la frégate, on retint les numéraires et les
étoffes qu’elle contenait(2). Votre Consul de Malaga(3) nous avait
informé que rien ne se perdrait, et cependant, jusqu’à la date de la
présente, rien n’est apparu. Nous avons l’honneur de vous mettre
au courant de cette affaire. Il y a eu 10 hommes tués dans notre
frégate. Vous êtes légalement et coutumièrement garant de la ré-
paration de tout cela. Vous n’ignorez pas que cet état de choses
est tout à fait anormal, et l’amitié exige qu’on y remédie d’une
façon, ou d’une autre. Vous nous avez annoncé qu’on nous ren-
drait 10 prisonniers en compensation de nos hommes tués, mais
rien n’a été fait à cet égard jusqu’à présent. Quant à votre Consul
actuel à la Régence, le nommé Lemaire, c’est un homme frivole
et intrigant ; si nous l’avons toléré jusqu’à présent par égard pour
notre amitié et si nous avons pardonné ses nombreux méfaits, il
nous est impossible de l’accepter dorénavant(4). Nous espérons
____________________
1. Il n’y avait, paraît-il, que quelques ballots contenant des habits informes, 7
caisses qu’on n’avait pas eu le temps d’ouvrir et 2 sacs contenant environ 500 p. Lettre de
Lemaire à M. de Machault, le 25 octobre 1756.
2. Voy. Lettres de Lemaire à M. de Machault, les 14 et 24 mai, 9 septembre, 11 et
25 octobre 1756.
3. Joseph David, Conseiller du Roi.
4. Comme toujours notre Consul fut la victime expiatoire du mécontentement du
Dey. Ali était allé assiéger Tunis dans le courant de l’année 1756, et le Bailli de Fleury,
Général des galères de Malte, qui se trouvait dans les eaux de cette ville, avait cru devoir
capturer plusieurs vaisseaux algériens. La prise de Port-Mahon par les Français, le 28 juin
suivant, avait causé le plus vif chagrin à Ali, qui avait déclaré « qu’il aiderait les Anglais
à reprendre ce beau port, s’ils voulaient bien l’aider à ressaisir Oran ». Enfin le Dey avait
signifié à Lemaire qu’il eût à lui donner de nouveaux présents. Celui-ci ayant refusé de
payer 2 000 p. réclamées en vertu d’un prétendu engagement d’Annet Caisel, ancien
agent du Bastion, fut mis aux fers le 11 octobre 1756, ainsi que le représentant de la
Compagnie d’Afrique, Armény de Bénézet. On les conduisit d’abord au cachot, au bagne
des esclaves, puis on laissa au Consul la liberté de demeurer chez lui sans pouvoir quit-
ter ses chaînes, rivées à sa jambe droite, « dont l’énorme poids l’empêchait de changer
228 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

que, lorsque vous connaîtrez cet état de choses, vous nomme-


rez à la charge de Consul un homme acceptable. Notre amitié
est et demeure inaltérable et constante, seulement nous insistons
encore une fois, et nous désirons que vous preniez en sérieuse
considération nos demandes et nous accordiez le plus tôt possible
nos réclamations, à savoir le recouvrement du numéraire qui se
trouvait dans notre bâtiment, la Compensation pour nos hommes
tués, la révocation du Consul actuel et la nomination d’un autre à
sa place. Le Consul actuel est désormais impossible ici. Veuillez
agréer nos salutations.
Écrit le 7 de Safer 1170, c’est-à-dire le 3 novembre 1756.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
En marge est écrit :
Mon cher ami, quelques vaisseaux marchands sont arrivés ici
dernièrement, mais nous n’avons encore aucune nouvelle, malgré
l’affirmation de votre Consul à Malaga qui disait que rien ne se
perdrait, et l’assurance de votre Consul en la Régence, M. Lemai-
re, qui nous avait promis de faire venir notre bâtiment, les numé-
raires, les vases, etc. Nous attirons l’attention de Votre Excellence
sur l’arrangement de cette affaire. Également, ces jours derniers,
un de nos hommes ayant chargé du blé sur un bâtiment anglais,
un de vos navires le rencontra pendant qu’il faisait route pour
____________________
de place, de se déshabiller ou de se coucher ». —Le P. Bossu, Vicaire apostolique, prit
le titre et les fonctions de Consul en vertu d’un ordre du Roi du 16 novembre suivant ; il
prodigua les cadeaux pour obtenir la délivrance de Lemaire, et ce dernier put s’embar-
quer, au commencement du mois de décembre, pour aller exercer à Raguse de nouvelles
fonctions consulaires. Voy. Relation de la prise faite dans le port de La Goulette par les
galères du Bailli de Fleury, Capitaine général de l’escadre de la Religion de Malte, le
13 octobre 1756, — Précis de ce qui a été fait à Toulon pour l’expédition d’une galiote
algérienne, le 19 février 1756, — Circulaire du Bailli de Fleury aux Consuls de France,
d’Angleterre, d’Autriche et de Hollande à Tunis, le 2 septembre 1756, — États des pré-
sents et dépenses faits à Alger le 11 novembre 1756, jour de ma translation du bagne des
esclaves à ma maison, — Journal d’Alger, par le P. Bossu, 1756. (Archives des affaires
étrangères, Consulat d’Alger.) — Voy. encore Extraits des délibérations de l’assemblée
de la nation française à Alger. (Les Archives du Consulat général de France à Alger, par
Devoulx, p. 71 et 73.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 229

Livourne, le captura et l’amena à Marseille ; on a débarqué le blé


et on a constaté qu’il était de 1 600 mesures ; or cette cargaison
nous appartient, et nous espérons que vous emploierez tous vos
soins pour que le montant du prix auquel il a été vendu nous soit
expédié(1).
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

M. DE MACHAULT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 16 novembre 1756.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Je viens de recevoir la lettre que vous m’avez écrite au sujet
des affaires que j’avais chargé le sieur Lemaire de terminer auprès
de vous ; je croyais que vous auriez été satisfait des explications
que je vous avais données moi-même, parce qu’elles étaient éma-
nées de la justice, de la vérité et de l’amitié, et je suis très mortifié
d’apprendre au moment que je m’y attendais le moins que vous
n’avez pas voulu entendre le sieur Lemaire, et que vous le regar-
dez comme un homme suspect et malintentionné. Il n’a pu agir
que sur des instructions de ma part, et il vous était aisé de juger
si sa conduite et ses discours se rapportaient à la lettre dont je
l’avais chargé à son retour auprès de vous.
Je me réjouis au moins que votre intention soit de conserver
les traités sans atteinte, et de régler et finir amiablement les affai-
res dont vous m’avez parlé. J’ai toujours pensé, de même, aimant
la justice et la paix, et si elle se rompt jamais, ce qu’à Dieu ne
plaise ! le n’aurai point à me reprocher les fâcheuses suites qui
en arriveraient, et il ne tient qu’à vous de la cimenter et rendre
inaltérable, tant que vous voudrez l’observer fidèlement.
J’ai toujours entendu que la méprise de votre galiote fut ré-
____________________
1. Voy. Lettres de Lemaire à M. de Machault, les 7 et 19 février, 25 octobre 1756.
230 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

parée, quoique votre prédécesseur n’ait point donné de satisfac-


tion à celle du capitaine Prépaud, qu’il avait regardée comme un
malheur. Celui de la galiote aurait été évité si vos corsaires ne
s’étaient pas confondus avec les Salétins, nos ennemis, et il est
inutile de revenir sur ce que vous savez à cet égard ; mais enfin
cette méprise a été réparée de la manière la plus complète pour la
galiote, elle a été armée, équipée, ravitaillée, le reïs et l’équipage
habillés et gratifiés, et traités avec toute la générosité et cordialité
possible. Quant à la prise que vous réclamiez en même temps, je
vous ai fait représenter les procédures originales de la vente en
Espagne, où elle était hors d’état de naviguer. Je suis fâché qu’elle
n’ait pas produit davantage, et ce n’est pas la faute des Français si
ce bâtiment ne valait pas plus que tant d’autres dont vos corsaires
se sont emparés. Il n’y avait point à bord de sommes d’argent,
et c’est un fait notoirement faux. Je vous l’avais fait rendre tout
de même, mais je ne puis y faire trouver ce qui n’y était pas. A
l’égard des Algériens morts dans le combat, j’en ai eu un vrai
chagrin, mais personne ne peut répondre d’un événement qu’ils
se sont attirés par leur imprudente manœuvre, quoiqu’ils n’aient
été attaqués que comme Salétins. C’est une fatalité que Dieu a
permise, et qui ne devrait servir entre vous et moi qu’à prendre
des mesures solides pour qu’il ne pût arriver de nouveaux contre-
temps. Je ne me rappelle point de vous avoir promis la liberté de
10 Algériens en échange, et j’ignore s’il y en a ce nombre parmi
les esclaves de l’Empereur, mon Maître. Mais cet article ne rom-
pra pas l’amitié, et je veux bien consentir à vous faire un présent
honnête, pour vous marquer ma bonne volonté. A défaut des es-
claves que je n’aurai pas, je prendrai volontiers les ordres de Sa
Majesté Impériale.
Vous me demandez de plus un chargement de blé que vous
m’assurez vous avoir été pris. Je n’en ai point de nouvelles, mais
vous savez que nous sommes en guerre avec les Anglais, qui
ont forcé Sa Majesté à leur enlever de vive force leur boulevard
de Port-Mahon(1), et si vos sujets leur prêtaient du secours, vous
____________________
1. Le 28 juin 1756. C’était le commencement de la guerre de Sept ans.
AVEC LA COUR DE FRANCE 231

conviendrez que cette surprise, en cette circonstance, mériterait


que vous les en punissiez. Cependant cette valeur n’est pas assez
considérable pour vous laisser en peine, si réellement la cargai-
son de blé vous appartient, et je conviendrai avec vous du dé-
dommagement pour vous donner une preuve bien forte de mes
bonnes intentions.
Vous en douterez encore moins sur ce que je vous propose
de porter le prix de l’ancienne prise à 8 000 francs en tout, pour
qu’il n’en soit plus parlé et que rien n’altère la bonne correspon-
dance. Elle ne valait certainement pas autant. Mais puisque le
sieur Lemaire vous a déplu et que vous vous êtes méfié de lui, il
ne peut plus servir à traiter avec vous, et il ne faut pas qu’il soit
l’occasion de nouveaux troubles et mécontentements. Je le rap-
pelle pour s’en revenir incontinent en France, et je l’aurais rem-
placé sur-le-champ par un autre Consul dont vous puissiez vous
accommoder mieux, s’il avait été possible d’en trouver un dans
si peu de temps. Je n’ai point voulu en prendre pour vous faire
porter en toute diligence ma réponse ; je n’avais personne sous la
main qui pût être prêt si rapidement. D’ailleurs je vais chercher
un sujet qui connaisse vos usages pour pouvoir réussir, et vous ne
tarderez pas de l’avoir auprès de vous. Si vous aviez confiance en
quelque Français, je le préférerais volontiers. Pour faire tout ce
qui dépend de moi, je choisis dès à présent le sieur Bossu, dont
le caractère, la bonne conduite et l’expérience vous sont connus,
et j’espère que vous recevrez mieux par son canal les explica-
tions qu’il doit vous donner en renvoyant le sieur Lemaire. Vous
conviendrez avec le sieur Bossu, nouveau Consul, de ce qui peut
être accordé sur vos demandes, et je le remplacerai aussitôt, à
moins que vous ne soyez assez content de lui pour le garder.
Voilà, Magnifique Seigneur, tout ce qui est praticable pour
mettre dans le plus grand jour la droiture de mes sentiments. Si
les vôtres y répondent, l’amitié n’en deviendra que plus ferme ;
mais en cherchant à vous satisfaire autant qu’il est en moi, je vous
prie d’y faire la plus grande attention, et de ne pas écouter les
prétentions qui seraient évidemment fausses ou injustes ou d’une
232 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

exécution impossible. Tout ce que le sieur Bossu exécutera après


le départ du sieur Lemaire, ou ce à quoi il s’obligera selon le
droit et la raison, sera garanti et assuré de ma part. Vous pouvez
y compter; mais, je vous le répète, j’attends de vos lumières et de
votre équité que vous n’exigiez que des conditions droites, et que
voila facilitiez au sieur Bossu les moyens d’en finir. Heureuse-
ment les objets ne sont pas assez considérables pour y chercher
des motifs d’embarras, et je me fie aux assurances que vous me
donnez. Réfléchissez-y sérieusement. Tout dépend de vous, puis-
que je fais tout ce qui est possible, même à l’insu de Sa Majesté
Impériale, et j’attends avec une vraie impatience que vous me
mettiez à portée de juger de la manière dont vous voulez répon-
dre à tout ce que je fais, pour pouvoir vous regarder comme un
vrai ami de la France et vous donner, en cette qualité, toutes les
marques d’attention capables de vous prouver combien je suis
véritablement,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
MACHAULT.

LE MARQUIS DE MORAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 21 février 1757.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maitre, en faisant de nouvelles dispo-
sitions dans les Départements et Ministères qui composent son
Conseil suprême, a daigné me confier le Gouvernement et les af-
faires de la Marine dont M. le marquis d’Arnouville(2) était chargé.
____________________
1. Peyrenne, marquis de Moras, Contrôleur général des Finances, nommé Secré-
taire d’État le 1er février 1757.
2. M. de Machault.
AVEC LA COUR DE FRANCE 233

Je regarde comme un avantage pour moi, en vous notifiant ce


changement, qu’il n’en doive apporter aucun dans la bonne cor-
respondance qui subsiste entre les Français et votre Régence, et
qu’il arrive dans des circonstances assez heureuses pour que nous
n’ayons qu’à affermir l’amitié sur un pied toujours plus solide,
ainsi que les intérêts communs le demandent. Je suis persuadé
que c’est votre intention, et j’espère que vous ne souffrirez rien
qui y donne atteinte. C’est dans cette confiance que je puis ré-
pondre des sentiments de Sa Majesté Impériale et de toute sa
bienveillance, tant que vous conserverez fidèlement les traités.
J’y apporterai de ma part la plus grande attention, et je ferai en
sorte de n’avoir dans mon Ministère que des services à vous ren-
dre, dans toutes les occasions où je pourrai vous témoigner mes
dispositions amicales. Vous pouvez compter avec confiance que
je seconderai toujours les vôtres, en tout ce qui pourra vous faire
connaître que je suis plus parfaitement et plus cordialement que
personne du monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
MORAS.

ALI, DEY D’ALGER,


AU MARQUIS DE MORAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,

Alger, le 10 avril 1751.

Lettre d’amitié adressée à notre grand ami le Vizir ou Minis-


tre du puissant Empereur de France, allié constant de la Porte ot-
tomane, par Ali, Pacha, Dey et Gouverneur d’Alger, dignité dont
il à été revêtu par le très haut et très grand Empereur, le Sultan
Osman, Prince qui tient entre les mains de son pouvoir les clefs
du temps et les rênes des affaires des hommes, le vengeur de la ty-
rannie et de l’injustice, l’ombre de Dieu sur la terre, le victorieux
234 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

des ennemis du Tout-Puissant, le protecteur de l’équité, la cou-


ronne brillante de la grandeur, un autre Salomon par sa sagesse
et un second Alexandre par sa puissance. — Que Dieu perpétue
la durée de son règne ! —
Après avoir présenté les saluts les plus sincères et les plus
amicaux à Son Excellence notre grand et illustre ami, le Vizir de
France, Prince des Princes de la religion de Jésus, — Que Dieu le
comble de toute sorte de bonheur, et lui accorde une vie longue et
glorieuse ! — si vous jugez à propos de vous informer de ce qui me
regarde, vous saurez que ma santé est bonne, et que je m’entretiens
toujours dans les sentiments convenables à l’amitié qui est entre
nous. J’ai reçu depuis quelques jours la lettre que vous m’avez
adressée(1), et elle m’a été remise par celui qui est ici auprès de
moi(2) ; je l’ai lue aussitôt et j’y ai vu avec plaisir les marques de
votre affection. Vous avez bien voulu me faire part que l’Empe-
reur de France vous avait conféré la dignité de Vizir, et qu’il vous
avait confié les affaires de sa Marine. Ma joie a été vive en appre-
nant cette nouvelle. Puissiez-sous être comblé de toutes sortes de
prospérités, et, par des services agréables, vous attirer de plus en
plus les faveurs de l’Empereur de France ! Mon illustre ami, je me
flatte que, constant dans l’amitié qui nous unit, vous voudrez bien
ne souffrir aucune action contraire aux Capitulations. Que Dieu
resserre des deux côtés la bonne intelligence qui est entre nous, et
nous fasse jouir de la tranquillité la plus parfaite !
Mon illustre ami, quand les Capitaines de vos vaisseaux
marchands rencontrent en mer de nos corsaires, au lieu de les
traiter en amis comme ils devraient, ils commencent par les ca-
nonner et souvent leur tuent des soldats ; quand les mêmes Capi-
taines trouvent de nos galiotes, ils s’en emparent, et, si elles ont
quelques prises, ils vont les vendre dans d’autres pays et com-
mettent d’autres actions contraires à l’amitié, ce qui est mani-
festement enfreindre les Capitulations. Aussi ai-je recommandé
fortement aux Capitaines de mes vaisseaux corsaires que, quand
____________________
1. Voy. p. 232.
2. Le P. Bossu, Consul intérimaire.
AVEC LA COUR DE FRANCE 235

ils rencontreront en mer des vaisseaux marchands portant le pa-


villon de l’Empereur de France, ils leur fassent des signaux et que,
quand ils approcheront, ils leur mettent pavillon et se comportent
en amis ; que si les dits vaisseaux marchands commencent à tirer
sur eux, que pour lors ils s’en emparent par force. Un pareil vais-
seau qui désobéit à l’Empereur, votre Maître, n’appartient sans
doute pas à ses sujets. Je crois qu’il est à propos que vous ordon-
niez aux Compagnies qui sont chez vous de recommander aux
Capitaines de leurs vaisseaux qu’ils aient à agir en conséquence.
Il nous est également avantageux que la bonne intelligence ne
soit pas altérée entre nous. Vous avez pris un vaisseau portant
pavillon anglais chargé de blé, qui appartenait à un de mes gens,
et vous avez envoyé une lettre pour le faire revenir ici. Un de vos
corsaires s’est encore emparé d’une polacre portant pavillon de
Livourne, chargée de blé, quoique le Capitaine de la dite pola-
cre eût un billet signé de ma main, et il l’a conduite à Marseille.
J’espère qu’à l’arrivée de cette lettre, vous voudrez bien terminer
ces deux affaires et que vous me renverrez ces bâtiments ; si le
blé a été vendu, vous me donnerez une preuve d’amitié en m’en
envoyant le produit(1). Je vous prie aussi de m’envoyer un Consul
homme d’esprit, sincère, liant et qui entende les affaires, qui ne
soit pas comme le sieur Lemaire que vous avez rappelé(2). Je me
flatte que vous voudrez bien avoir égard à cet article.
Écrit le 20 de la lune de Redjeb, l’an de l’hégire 1170.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, premier Drogman de France au Caire, le 20 mai 1757.
____________________
1. La Cour crut devoir accueillir les réclamations d’Ali, et lui fit payer une indemnité
de 300 sequins pour la valeur de la galiote, 10 000 pataques pour celle de la cargaison, 1 000
sequins pour la rançon d’un passager espagnol, soit un total de 23 681 l. Lettres du P. Bossu à M.
de Machault et au marquis de Moras, les 1er décembre 1756, 24 février 1757 et 24 août 1758.
2. Voy. la correspondance du P. Bossu, Vicaire apostolique et Consul intérimaire,
avec les Échevins de Marseille. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille,
S. AA, 477-491 de l’Inventaire.) — Voy. encore, « pour les présents jugés nécessaire à
l’avantage et au bien du commerce », les Extraits des délibérations de la nation française
à Alger, les 25 février, 13 avril et 22 août 1757. (Les Archives du Consulat général de
France à Alger, par Devoulx, p. 76 et suiv.)
236 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE MARQUIS DE MORAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A ALI, DEY D’ALGER.

Fontainebleau, le 28 septembre 1757.

Très illustre et magnifique Seigneur,

En envoyant le sieur Perou(1) auprès de vous, chargé de la


commission dont il a plu à l’Empereur, mon Maître, de le revêtir,
le premier ordre qu’il doit exécuter est celui de vous assurer de la
haute bienveillance de Sa Majesté Impériale, à qui j’ai cru devoir
répondre de vos dispositions. J’espère même qu’elles vont deve-
nir d’autant plus assurées que vous reconnaîtrez, à cette marque,
combien vous avez dû compter sur la parole que je vous ai fait
porter. Le sieur Perou sera aussi l’interprète de mes sentiments
personnels, et doit devenir l’instrument d’une constante amitié,
fondée sur la justice et sur des services et procédés réciproques.
Sa Majesté Impériale m’a commandé de vous faire savoir, en son
auguste nom, que ce Consul était chargé de ses pouvoirs pour
tous les intérêts de la nation française en votre pays ; vous pou-
vez prendre en lui une entière confiance, et écouter les justes
représentations qu’il aura à vous faire. Sa Majesté Impériale, qui
ne connaît que des voies droites et grandes et qui veille partout à
l’honneur de son pavillon et à la sûreté de ses sujets, vous exhorte
à garder fidèlement les traités et à ne rien souffrir qui y donne at-
teinte. Elle se confie à l’opinion que je lui ai donnée de vous pour
rendre la bonne intelligence désormais inaltérable, et c’est un ti-
tre qui vous assurera efficacement sa haute estime et son amitié.
J’ai expédié le sieur Perou aussitôt qu’il a été possible, et
vous avez su les raisons d’un retardement inévitable, mais j’ai
fait choix d’un sujet distingué qui pût vous être agréable, et je le
recommande à votre bienveillance.
____________________
1. Joseph-Barthélemy Perou, Conseiller du Roi, ancien directeur général des
Concessions d’Afrique à la Calle.
AVEC LA COUR DE FRANCE 237

Je n’ai point oublié les engagements qui ont été pris avec
vous dès qu’ils ont pu être remplis, et pour vous faire connaître
avec quelle droiture et sincérité j’y ai apporté mon attention, pour
que vous puissiez être pleinement satisfait, j’ai levé tous les obs-
tacles qui pouvaient s’y opposer. Je vous annonce avec plaisir
que Sa Majesté Impériale a eu la générosité de briser les chaînes
de 10 esclaves algériens qui vous ont été promis ci-devant. Ils ont
été confiés au sieur Perou et vous seront présentés par lui.
J’ai aussi fait liquider scrupuleusement les prétentions du
Juif Busciara, pour les chargements de blé qu’il a réclamés. Le
sieur Perou en porte le montant pour régler avec vous en quelle
manière il en devra être disposé, et vous devez vous rappeler que
vous avez désiré que cette affaire fût terminée à Alger(1).Vous
pouvez vous en rapporter au sieur Perou, mais je vous prie de
donner votre attention à ce qu’il doit vous représenter à ce sujet,
parce que rien n’importe davantage à la tranquillité que vous dé-
sirez comme moi conserver.
Je suis persuadé qu’après cette épreuve, je puis m’atten-
dre au retour le plus parfait de votre part, et que le sieur Perou
trouvera auprès de vous la justice et les facilités nécessaires pour
aplanir tout ce qui pourrait s’opposer à une union durable. Je ver-
rai avec joie que ce soit l’époque de votre Gouvernement et de
mon Ministère, et je prendrai toujours un véritable intérêt à votre
prospérité. C’est dans cette confiance et dans ces sentiments que
je suis plus cordialement et plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.

MORAS.
____________________
1. Voy. La note 1, p. 235.
238 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
ALI, DEY D’ALGER,
AU MARQUIS DE MORAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 30 novembre 1757.

Prince des Princes de la religion du Messie, notre très illus-


tre, très honoré, très ancien ami, Vizir de l’Empereur de France,
— Que Dieu vous comble de toutes sortes de biens ! —

Après vous avoir présenté les saluts les plus purs et les plus
conformes à l’amitié, je vous informe qu’étant dans l’attente des
nouvelles de votre santé, j’ai reçu depuis quinze jours une lettre de
votre part(1), qui m’a été remise par le sieur Perou, votre Consul,
qui est arrivé sur un de vos vaisseaux corsaires(2). J’ai vu avec re-
connaissance les marques d’amitié qu’elle renferme, et j’ai éga-
lement fait attention à toutes les affaires qui en font la substance.
Que Dieu affermisse l’amitié qui subsiste entre nous ! J’ai reçu les
600 livres du produit du blé du nommé Lazarini, mon domestique;
j’ai également reçu les 17 000 livres provenant de la vente du blé
du Juif Busciara(3). Il manque encore 9 400 livres du prix que le dit
blé a été vendu ; la dite partie du blé consistait en 1 600 quirques(4)
de grains que M. Félin a pris. Chaque quirque valait 16 livres et
demie, ce qui fait la somme de 26 400 livres selon ce compte. Je
vous prie d’envoyer le reste de la somme à votre Consul. J’ai re-
mis en dépôt entre ses mains 17 000 livres du produit du blé. L’on
a aussi pris un vaisseau portant pavillon livournais chargé de blé ;
ce chargement m’appartient, et j’espère que vous m’en enverrez
la valeur(5). Vous avez fait répondre que vous étiez ami avec les
____________________
1. Voy. p. 236.
2. Perou arriva à son poste le 11 novembre 1757 sur la frégate La Rose, comman-
dée par le chevalier de Sade, et fut reçu par le Dey avec mille protestations d’amitié. Voy.
Lettres du P. Bossu et de Perou au marquis de Moras, les 10 juillet, 12 septembre et 20
novembre 1757.
3. Marchand de Livourne.
4. Mesure de blé d’Alger.
5. Voy. État des Sommes auxquelles les prétentions du Juif Busciara et de l’arma-
teur de la galiote attaquée par le capitaine Victorio, de Mahon, ont été réglées et que je me
AVEC LA COUR DE FRANCE 239

Livournais et que vous renverriez le tout à Livourne ; le blé est à


moi, et les Livournais n’ont rien à y prétendre.
Un de vos brigantins faisant la course a rencontré, sur la
côte de Barbarie, une de mes galiotes commandée par Ali Kho-
dja ; l’ayant approchée, il lui a tiré plusieurs coups de canon, lui
a tué 5 hommes et en a blessé 8. Le brigantin français ayant en-
suite abordé la galiote et les Algériens ayant reconnu qu’il était
français, ils lui ont montré le passeport qu’ils avaient, mais le Ca-
pitaine du brigantin n’a fait aucune attention au dit passeport, les
Algériens ont été dépouillés et les agrès de la galiote pillés. Les
Algériens ont eu beau représenter que la galiote avait été armée
à Alger et que l’on ferait des recherches, tout a été inutile ; les
Français ont pris 2 canons, toutes les voiles, 15 fusils, 18 sabres
ou coutelas, 6 carabines, du fer ; ils se sont aussi emparés d’une
barque que la felouque avait prise et de 2 esclaves qui étaient
dessus. Ils ont pris encore 50 sequins, que le Capitaine avait sur
lui, 2 coutelas garnis d’argent, 2 pistolets et des marmites. La fe-
louque a échoué à terre et s’est mise en pièces, les Algériens ont
été relâchés et les Français ont gardé les esclaves, Je les estime
1 000 réaux chacun, et je compte assez sur votre amitié pour ne
point douter que vous ne nous renvoyiez une felouque pareille à
celle qui s’est perdue, avec toutes les armes et agrès qui ont été
pillés.
Les Algériens s’étant emparés, sur l’île de Malte; d’une bar-
que maltaise dans laquelle il y avait un Maltais(1) et ayant rencon-
tré un corsaire français, le dit corsaire a enlevé l’esclave maltais,
et, après avoir donné de l’eau et du biscuit aux Algériens, il les
a laissés partir. La valeur de cet esclave est également de 1 000
réaux ; vous aurez la bonté de les faire donner par le Capitaine et
____________________
suis obligé de payer à la Régence d’Alger, le 19juin 1758, — Mémoire touchant une ga-
liote algérienne, le 20 novembre 1757, — Lettres du P. Bossu et de Perou au marquis de
Moras, les 13 août, 17 et 30 septembre 1757, 20 mars, 19 et 27 mai 1758. (Archives des
Affaires étrangères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi Extraits des registres de la chan-
cellerie du Consulat d’Alger, les 9 décembre 1756, 6 et 17 juin 1758. (Les Archives du
Consulat général de France à Alger, par. Devoulx, p. 79.)
1. Voy. Lettre de Perou au marquis de Moras, le 20 mars 1758.
240 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de me les envoyer. De pareilles actions de la part de vos Capi-


taines sont contraires aux traités et à l’amitié qui subsiste entre
nous, et je ne doute point que vous ne les désapprouviez. Je me
flatte que vous voudrez bien approfondir tous ces faits, et que
vous prendrez de justes mesures pour empêcher tout ce qui peut
altérer l’amitié. Que Dieu nous inspire réciproquement tout ce
qui peut entretenir l’union, et fasse que rien ne la trouble ! Que
votre vie et votre gloire soient de longue durée !
Écrit dans la lune de Rebi-el-ewel, l’an de l’hégire 1171.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, décembre 1757.

LE MARQUIS DE MORAS, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 15 mai 1758.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Quelque empressement que j’eusse de répondre aux mar-


ques de vôtre amitié, je n’ai pu le faire que je n’eusse éclairci
tout ce qui avait rapport aux affaires dont vous m’avez entretenu.
J’ai voulu y apporter une attention scrupuleuse, qui vous garantit
toujours la sincérité de mes dispositions et l’envie que j’ai que
tout soit arrangé entre nous avec confiance et justice.
J’ai enfin eu des informations précises sur la malheureuse
affaire de la galiote. Elles sont si éloignées de celles qu’on vous
a données que je m’assure que vous jugerez vous-même qu’on ne
peut rendre en rien les Français responsables de la perte de cette ga-
liote. Je ne puis que vous dire la peine que cette affaire m’a causée,
avant de savoir à quoi nous devions nous en tenir. La Providence
a permis que tout ait été découvert ; elle dirigera vos conseils.
AVEC LA COUR DE FRANCE 241

Je vous prie seulement d’entendre les explications que je charge


le sieur Perou de vous donner, pour ne pas vous fatiguer d’un dé-
tail inutile. Ce Consul ne vous dira rien que sur mes ordres exprès
et non de son chef. J’espère de votre équité que vous voudrez
bien les écouter avec attention. Ses intentions sont droites et sa
fidélité m’est connue. Il est obligé par son emploi de vous ren-
dre les représentations dont je le charge ; elles sont nécessaires
pour éviter toute méprise. Je lui adresse tout ce dont vous devez
être instruit, et je l’autorise à terminer avec vous selon le droit
et la raison. J’ai trop grande opinion de vous pour ne pas croire
que vous en êtes satisfait, et, s’il plaît au Tout-Puissant, tout sera
arrangé sans partialité et sans aigreur. Il est essentiel que vos dis-
positions y contribuent comme les miennes.
L’incident de la galiote est la seule chose qui aurait pu être
de conséquence. Les autres objets pour lesquels vous m’avez écrit
étaient finis par les mesures que j’avais prises avec tout le soin
possible, ou ne pouvaient dépendre des Français. Je m’explique
encore assez amplement au sieur Perou, pour qu’il puisse vous
rendre ce que je lui marque. Je m’attends que vous lui accor-
diez à cet effet une audience favorable, et qu’elle effacera sans
retour toutes ces affaires ou impressions passées, afin qu’il ne
puisse rester aucune trace du moindre mécontentement au sujet
des plaintes réciproques.
Je me flatte même que vous y reconnaîtrez la droiture qui me
conduit, et la nécessité de ne pas faire dépendre les intérêts que
nous devons ménager des prétentions et convenances de quelques
particuliers. J’ai eu la plus grande satisfaction d’apprendre par
vous-même l’état de votre santé et les sentiments où vous êtes.
Je m’assure que rien n’altérera la bonne intelligence, et qu’au
contraire vous écarterez comme moi tout ce qui pourrait y être
contraire, sans rien permettre au préjudice des Français. C’est
mon plus grand désir, lorsque tout sera établi sur les fondements
solides de la justice et des traités, et c’est celui qui me conduit à
faire des vœux pour la prospérité de votre Gouvernement et de
242 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

votre personne. Je vous offre de tout mon cœur mes services,


vous priant de me croire plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et très sincère ami.
MORAS.

LE MARQUIS DE MASSIAC, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 5 juin 1758

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, en faisant de nouvelles disposi-
tions dans les Départements qui composent son Conseil suprême,
a daigné me rappeler du Commandement des flottes pour remet-
tre entre mes mains le Gouvernement des affaires de la mer dont
M. le marquis de Moras était chargé, après m’avoir confié long-
temps l’honneur et les droits de son pavillon impérial. En rece-
vant ses ordres aux pieds du trône, Sa Majesté m’a commandé de
vous le faire savoir et de vous assurer de sa haute bienveillance
de m’en acquitte avec empressement, dans la confiance où je suis
que l’amitié ne peut être altérée entre nous, et que la paix est éta-
blie sur des fondements inviolables de m’appliquerai à la conser-
ver avec soin, ayant trop grande opinion de vous pour croire que
vous puissiez jamais rien faire de contraire aux traités. Je me
flatte même qu’ayant été plus d’une fois employé à la conserver
dans les pays où vous gouvernez, la connaissance particulière que
j’en ai ne servira qu’à l’utilité et la tranquillité commune. C’est
mon plus grand désir de voir régner l’harmonie et la justice, et
d’y contribuer en assurant les droits sacrés de Sa Majesté Impé-
riale et sa bannière. Vous pouvez vous reposer sur la droiture de
____________________
1. M. de Moras donna sa démission le 27 mai 1758. Son successeur, Lieutenant
général des armées navales, fut nommé le 1er juin suivant.
AVEC LA COUR DE FRANCE 243

mes intentions comme je compte sur les vôtres. Je serai charmé de


n’avoir que des services à vous rendre, dans toutes les occasions
où je pourrai vous témoigner les dispositions les plus aimables, et
je vous prie de recevoir aujourd’hui, avec une satisfaction égale à
la mienne, les sincères assurances des sentiments distingués avec
lesquels je suis cordialement et plus parfaitement que personne
au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
MASSIAC.

M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 3 novembre 1758.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’âge avancé de M. le marquis de Massiac ayant borné la
carrière de ses services, il a plu à l’Empereur, mon Maitre, de me
choisir dans le nombre des Ministres qui composent son Conseil
suprême pour me confier le Gouvernement des affaires de la mer.
Sa Majesté Impériale m’a commandé de vous le faire savoir, et
comme ce changement ne doit en apporter aucun dans la corres-
pondance que je continuerai d’établir avec vous, je m’applaudis
qu’il soit établi sur le souvenir solide d’un intérêt et d’une amitié
réciproques entre vous et les Français. Je me repose sur les assuran-
ces qui m’ont été données de votre part pour l’exacte observation
des traités. Mes dispositions sont droites et sincères ; les ordres
impériaux que j’ai reçus aux pieds du trône me font un devoir de
les rendre conformes aux vôtres. J’ai trop grande opinion de vous
____________________
1. Nicolas-René Berryer, nommé Secrétaire d’État le 2 novembre 1758. Il avait
été auparavant Conseiller au Parlement, Maître des requêtes, Intendant du Poitou, Lieute-
nant de police, Conseiller d’État, membre du Conseil des dépêches ; enfin il devint Garde
des sceaux en 1761.
244 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pour croire que vous sortiez jamais des voies de la vérité et de la


justice, et je vous prie d’être bien assuré que je ne désire que de
cimenter de plus en plus l’harmonie et la bonne intelligence qui
subsistent heureusement. Sa Majesté Impériale a bien voulu que
je vous renouvelasse en son auguste nom les témoignages de sa
haute bienveillance, et, s’il m’est permis d’y ajouter les vœux
que je fais pour la prospérité de votre Gouvernement, je me flatte
que vous recevrez avec plaisir l’offre de mes services comme
l’expression aimable des sentiments distingués avec lesquels je
suis plus cordialement que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
BERRYER.

ALI, DEY D’ALGER,


A M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 18 décembre 1758.

Lettre d’amitié adressée au Vizir très élevé de l’Empereur


de France par Ali, Pacha, Dey, Gouverneur d’Alger et Lieutenant
du Sultan Mustapha, fils de Sultan, possesseur des deux terres et
des deux mers, glorieux Empereur de nos jours, Empereur des
puissants Empereurs, qui tient dans ses mains les clefs de tout
pouvoir, qui préserve les pays de Dieu de la tyrannie, que la vic-
toire accompagne, lui qui est un autre Alexandre par sa valeur et
un second Salomon par sa sagesse, dont la puissance est soutenue
par les faveurs de l’Éternel, distributeur des grâces. — Que Dieu
augmente son pouvoir et prolonge sa vie ! —
Honoré et estimé Ministre, Vizir élevé de l’Empereur de
France, notre grand ami, qui est le plus glorieux de tous les grands
Princes de la croyance de Jésus-Christ, le plus illustre parmi les
Rois de la religion du Messie, — Que Dieu comble votre fin de toute
AVEC LA COUR DE FRANCE 245

sorte de bonheur, et qu’il vous montre le chemin de la vérité !


Après vous avoir présenté les témoignages les plus sincères
de l’amitié qui est entre nous et après m’être informé de l’état de
votre santé, je fais des vœux pour tout ce qui peut contribuer à
votre bonheur. Si l’amitié dont vous voulez bien m’honorer vous
engage à savoir de mes nouvelles, je vous dirai que je jouis de la
santé la plus parfaite et que je désire qu’il en soit de même de la
vôtre, mon très illustre et très affectionné ami. Le nommé Gimon,
négociant de ce pays(1), ayant nolisé un vaisseau livournais pour
le charger d’huile, une polacre anglaise, armée en course, est en-
trée dans le même temps dans le port et y a mouillé l’ancre. Dès
que je fus averti de son arrivée, j’envoyai des ordres très forts au
Commandant du fort d’ôter le gouvernail de la polacre anglaise
et de ne le rendre au Capitaine corsaire que 21 heures après le
départ du vaisseau livournais. Le dit Commandant s’étant mis
en devoir d’exécuter mes ordres, le corsaire n’a point voulu s’y
soumettre, et, la nuit même du jour que mes ordres lui avaient
été signifiés, il s’est emparé, contre toute sorte de droit, du vais-
seau livournais et a fait voile aussitôt. Dès que j’ai appris cet
événement, j’ai écrit en Angleterre et à Gibraltar pour exiger la
restitution de ce vaisseau, pris contre le droit des gens, et j’ai de-
mandé que l’on punisse le Capitaine corsaire. Ayant entendu dire
depuis que les vaisseaux de l’Empereur de France, notre grand
ami, avaient rencontré le dit vaisseau livournais et s’en étaient
emparés, j’ai cru devoir vous en faire part. Le nom de ce vaisseau
est Maria-Theresa et le nom du Capitaine Robély(2). Mon illus-
tre ami, le vaisseau dont je vous parle est à vous aussi bien que
____________________
1. Louis-Michel Gimon, Chancelier subrogé du Consulat, chargé des fonds de la
Chambre de commerce de Marseille à Alger. Voy. sa correspondance avec les Échevins
et Députés de Marseille. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA,
492-506 de l’Inventaire.)
2. Cette affaire avait été spécialement recommandée par le Ministre à M. Lenor-
mand de Mézy, alors Intendant général de la Marine et des Colonies, et à M. Leguay,
premier commis de la. Marine. Voy. Lettres du P. Bossu et de Perou au marquis de Moras
et à M. de Massiac, les 5 janvier, 30 avril et 15 juillet 1758, — Lettre de M. Berryer à
Perou, le 19 mars 1759. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
246 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

le marchand, et la grâce et la bonté émanent de vous.


Écrit le 15 de la lune de Rebi-el-aker, l’an de l’hégire 1172,
c’est-à-dire le 16 décembre 1758.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 18 février 1759.

ALI, DEY D’ALGER,


A M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 4 mars 1759.

Lettre d’amitié adressée au Vizir très élevé de l’Empereur


de France par Ali, Pacha, Dey et Gouverneur d’Alger et Lieute-
nant du Sultan Mustapha, glorieux Empereur de nos jours, Em-
pereur des puissants Empereurs, qui tient dans ses mains les clefs
de tout pouvoir, qui préserve les pays de Dieu de toute tyrannie,
que la victoire accompagne, partout, l’ombre de Dieu sur la terre,
lui qui est un autre Alexandre par sa valeur et un second Salo-
mon par sa sagesse, dont la puissance est soutenue par les faveurs
de l’Éternel, distributeur des grâces. — Que Dieu augmente son
pouvoir et prolonge sa vie !
Honoré et estimé Ministre, Vizir élevé de l’Empereur de
France, notre grand ami, lui qui est le plus grand de tous les Prin-
ces de la religion du Messie, — Que Dieu comble votre fin de
toute sorte de bonheur, et qu’il vous montre le chemin de la vé-
rité ! —
Après vous avoir présenté les saluts qu’exigent l’amitié et
la cordialité et m’être informé de votre santé, je fais des vœux
pour tout ce qui peut contribuer à votre bonheur. Si, en vertu de
l’amitié solide qui règne entre nous, vous vous informez de ma
santé, je vous dirai que, jusqu’au moment où j’écris cette lettre,
AVEC LA COUR DE FRANCE 247

elle est très bonne, et que je ne songe qu’à entretenir la bonne


harmonie qui règne entre nous. J’ai reçu la dernière lettre dont
vous m’avez honoré(1) ; elle m’a fait d’autant plus de plaisir que
j’étais fort impatient de recevoir de vos nouvelles. J’y ai vu avec
plaisir ce que vous me dites de gracieux ; la nouvelle de votre no-
mination au Ministère important de la Marine m’a causé une joie
extrême. Vous me témoignez désirer que les corsaires algériens,
venant à rencontrer des vaisseaux français, ne les inquiètent et
ne les empêchent point de continuer leur route ; en conséquence
j’ai défendu très fortement à tous les Capitaines de cette Régence
d’inquiéter en aucune façon les Capitaines des vaisseaux français.
Je vous prie aussi de recommander aux Capitaines des vaisseaux
de guerre de France et à ceux des bâtiments marchands de ne rien
faire contre les usages et les coutumes. Je viens, à votre considé-
ration, de donner la liberté à 2 Français qui se sont trouvés sur un
bâtiment génois qui a été pris et amené dans nos ports.
Écrit à Alger, le 2 de la lune de Redjeb, l’an de l’hégire
1172, de Jésus-Christ le 4 mars 1759.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 15 avril 1759.

M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 19 mars 1759.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu avec satisfaction la lettre d’amitié que vous m’avez
écrite le 15 de la lune de Rebi-el-aker(2), et je vous remercie sin-
____________________
1. Voy. p. 243.
2. Voy. p. 244.
248 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

cèrement de l’avis que vous me donnez de la prise du bâtiment


livournais Maria-Theresa dans un port de votre domination. Le
corsaire anglais qui a eu l’insolence de violer ainsi la sûreté de
votre propre territoire a commis un acte également proscrit de
tout temps et chez toutes les nations, et il est naturel que vous en
exigiez la justice qui vous est due et que vous devez vous-même
à ceux à qui la cargaison et le bâtiment appartiennent. C’est aux
Anglais à vous en répondre comme de l’insulte qu’ils vous ont
faite chez vous, et j’ai trop grande opinion de vous pour croire
que vous souffrirez rien de pareil. Je suis persuadé même que
la Cour de Londres n’hésitera pas à restituer ce bâtiment ou sa
valeur, et je vous prie de donner à cette affaire toute l’attention
qu’elle mérite. La Maria-Theresa, au surplus, n’a point été ren-
contrée et reprise par les armateurs français ; je n’en ai pas eu la
moindre nouvelle, et il parait qu’on a cherché à vous surprendre
sur ce point. Quand cela serait, cet incident se changerait à votre
droit contre les Anglais, et ce n’est qu’un détour de leur part où
vous ne vous laisserez pas tromper(1).
Lorsque tout se passera entre vous et les Français avec jus-
tice, faveur et amitié, la bonne intelligence sera inaltérable, mes
désirs seront remplis, et je chercherai toutes les occasions de vous
faire connaître combien je m’intéresse à la prospérité de votre
Gouvernement et de votre personne. Ces sentiments sincères et
pleins de cordialité sont ceux avec lesquels je serai toujours,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait et sincère ami.
BERRYER.
____________________
1. Voy. Lettres de Perou à M. Berryer, les 22 octobre 1758 et 23 mai 1159.
AVEC LA COUR DE FRANCE 249
ALI, DEY D’ALGER,
A M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 8 mai 1759.

Très illustre et très glorieux Ministre et Vizir de l’Empe-


reur de France, notre grand ami, veuillez recevoir les vœux que je
forme pour votre santé, vœux purs et sincères, et qui sont dictés
par l’amitié qui nous unit. Comme je ne doute point que vous
ne vous intéressiez également à tout ce qui me concerne, je vous
apprends que je jouis d’une santé parfaite. J’attendais avec impa-
tience de vos nouvelles, quand votre dernière lettre m’est parve-
nue(1). J’avais pris la liberté de vous informer précédemment de
la prise d’un vaisseau livournais, qui avait été enlevé par des cor-
saires anglais dans un port de notre dépendance(2). Je vous avais
fait part en même temps que le susdit vaisseau avait été repris
par des vaisseaux de guerre de l’Empereur de France. Mon des-
sein, en vous instruisant de cette prise, n’était point d’en rendre
la France responsable ni de prétendre aucune restitution ; c’était
uniquement pour vous apprendre un événement que vous pouviez
ignorer. Je n’ai de réparations et de dommages à prétendre que de
la Cour d’Angleterre, et j’ai écrit une lettre très forte à ce sujet à
cette Cour, où j’insiste vivement sur ces deux points; je déclare
ensuite que mes intentions ne sont point que les corsaires anglais
commettent de pareilles hostilités à la vue des terres et des for-
teresses de ma domination, et je leur recommande de ne plus se
livrer à de pareils excès. Vous pouvez être assuré que je ferai des
recherches à ce sujet et que je ne perdrai point cet objet de vue.
A Alger la bien gardée, le 12 de la lune de Ramadan, l’an de
l’hégire 1172, ce qui revient au 8 mai 1759.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 23 juin 1759.

1. Voy. p. 247.
2.Voy. p. 245.
250 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 30 juin 1760.

Très illustre et magnifique Seigneur,

C’est avec beaucoup de peine que j’ai appris, par le retour


du sieur Perou, la résolution que vous avez prise de faire reti-
rer ce Consul de votre pays(1). Rien ne pouvait m’annoncer qu’il
vous était désagréable jusqu’à ce point, et si vous vous en étiez
ouvert cordialement à moi, j’aurais peut-être pu réussir à dissiper
à votre satisfaction et à la mienne les impressions qu’on a voulu
vous donner contre lui, ou je n’aurais point hésité à le rappeler,
sans qu’un départ forcé pût être mal et diversement interprété
par les nations jalouses de la bonne intelligence qui doit subsis-
ter entre les Français et les Algériens, à leur avantage commun.
Mais puisqu’il en a été autrement, et que vous pensez avoir eu
des motifs suffisants pour éloigner le sieur Perou, sans altérer
d’ailleurs la paix, l’harmonie et la tranquillité des deux nations, je
n’y chercherai moi-même que les raisons qui peuvent rapprocher
____________________
1. Perou avait signalé dès le commencement de 1759 la mauvaise volonté du Dey
à notre égard. « On ne peut conserver la paix avec les Algériens qu’en fermant les yeux
sur bien des choses », avait-il écrit au Ministre le 24 février 1759. Ses premières difficul-
tés avaient eu pour cause la garde et l’entretien de 14 esclaves de Tabarque qu’Ali avait
mis à sa charge. Le 1er avril 1759, on vit arriver à Alger une prise espagnole, La nostra
Señora del Rosaria, à destination de La Havane. Parmi les 45 personnes qui composaient
son équipage, se trouvait un nommé Philippe de la Pierre, qui se réclama de notre Consul
en qualité de Français, et qui exhiba un passeport de M. de Puyabry, Consul de France
à Cadix. Ce marin était en réalité Espagnol, mais il s’était fait passer pour Biscayen sur
les rôles de l’équipage. Le Dey, à qui Perou avait demandé cet esclave, prétendit que son
passeport avait été fabriqué après coup par notre agent, et fit embarquer ce dernier sur le
navire du capitaine Doumergue, de Martigues. La vérité est que le Chef de la Régence
voyait dans la mutation du Consul une occasion nouvelle de recevoir des présents. Voy.
Lettres de Perou à M. Berryer, les 14 et 27 mars, 12, 22 et 29 avril, 19 juin et 19 octobre
1758, — État des Tabarquins logés chez le Consul de France et les négociants français
établis à Alger, — Procès-verbal des délibérations de l’assemblée de la nation française
à Alger, le 16 avril 1760. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Les Ar-
chives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 86.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 251

et faire naître des marques réciproques d’amitié et de confiance.


Vous vous plaignez que le sieur Perou, usant de mauvai-
se foi, a donné des avis indiscrets aux nations avec lesquelles
vous êtes en guerre, et a réclamé mal à propos des prisonniers qui
n’étaient point sujets de la Couronne de France(1). II aurait sûre-
ment en cela manqué à son devoir et excédé ses instructions. Mais
permettez-moi de vous dire que je ne reconnais point à de pareils
traits sa conduite passée. Aucun Consul n’a été mieux éprouvé(2),
et il se peut bien qu’on ait cherché à vous indisposer contre lui
par de faux rapports, en haine des démarches qu’il était obligé de
faire pour obtenir justice auprès de vous. Vous savez que ceux
qui se- sont mal conduits ont intérêt à vous en imposer, pour vous
empêcher de faire droit aux plaintes légitimes des Français, et
je dois vous dire avec sincérité que cela leur est arrivé plusieurs
fois, malgré vos bonnes intentions dont les malintentionnés ou
les coupables ont su détourner l’effet. Vous savez aussi que nous
avons éprouvé l’année dernière, d’une façon bien désagréable, le
danger d’adopter des relations hasardées, puisqu’un corsaire qui
avait été reçu à Mahon comme l’aurait été un Capitaine français
eut la témérité de supposer qu’on l’avait traité en ennemi, pour
couvrir sans doute ses propres fautes. Je ne rappelle ce trait passé
que pour assurer mieux entre nous la correspondance actuelle, et
je désirerais bien qu’en éclaircissant mieux des faits dont je dois
naturellement être en peine, vous reconnussiez assez l’innocence
et la droiture du sieur Perou pour lui rendre votre bienveillance.
Vous êtes trop éclairé pour ne pas sentir que son retour forcé n’a
pu faire qu’un mauvais effet, et, s’il ne se l’est pas attiré pour une
chose grave, vous êtes trop juste pour ne pas le réparer de votre
____________________
1. Si le génie capricieux des gens de ce pays n’était connu, écrivait Perou au Mi-
nistre, je craindrais que Votre Grandeur ne se persuade que j’ai donné lieu par quelque
vivacité à l’indigne traitement qui m’est fait. Mais ma conduite et mes démarches dans
cette occasion sont connues de tout le monde. Heureusement la nation ne souffrira pas de
cette aventure, la mauvaise humeur du Dey ne tombera que sur moi, et j’espère que notre
navigation n’en sera pas plus troublée qu’auparavant. C’est là toute ma consolation. »
2. Voy. Lettre de Perou à M. Berryer le 1er juillet 1760, remerciant le Ministre
d’avoir approuvé sa conduite.
252 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pur mouvement. S’il s’était mêlé de quelques intérêts étrangers


à ceux de sa nation, il m’aurait déplu autant qu’à vous et aurait
encouru l’indignation de son Maître, mais je crains que quelque
ennemi n’ait suscité cet embarras dans des vues peu droites. Je
me réjouis du moins des sentiments que vous témoignez indépen-
damment de cet incident, et les miens y sont entièrement confor-
mes. Je me flatte même que les explications nécessaires dans
cette occasion ne serviront qu’a consolider mieux entre nous ce
qui aurait pu souffrir quelque altération.
Mon premier soin a été, en conséquence, de pourvoir à
l’exercice du Consulat, afin qu’il n’y eût point d’interruption
dans les affaires, jusqu’à ce que le sieur Perou ait pu être justifié
et rappelé ou remplacé par un sujet convenable. J’ai confirmé
les dispositions qui ont été faites à son départ pour charger des
fonctions du Consulat le sieur Groiselle(1) dont l’état, l’expé-
rience et la probité reconnus rendent le choix tel qu’on pouvait
le désirer dans cette circonstance. Je lui adresse les ordres de
l’Empereur, mon Maître, pour le revêtir des mêmes fonctions
que le Consul, et je vous prie de le recevoir favorablement en
l’accréditant auprès de vous(2).
Je vous avoue que j’ai vu avec regret, en différents cas, que
les Français avaient éprouvé des injustices et des torts de la part
des Algériens. Les représentations qui vous en ont été faites à
temps n’ont pas été aussi efficaces qu’un exemple et une juste
satisfaction auraient pu l’être(3). Vos lumières et la haute capacité
avec laquelle vous gouvernez le Royaume d’Alger ne me permet-
tent pas de douter que vous ne regardiez comme l’intérêt le plus
ancien et le plus naturel de ce Royaume d’être toujours en paix et
bonne amitié avec la France plus qu’avec aucun autre pays. Il n’en
peut résulter que des avantages, et il n’y en a aucun à laisser naître
____________________
1. Le P. Théodore Groiselle, Vicaire apostolique, auquel Perou avait délégué ses
pouvoirs. Voy. la correspondance de Perou avec les Échevins et Députés de Marseille,
de 1757 à 1760. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 417-491 de
l’Inventaire.)
2. Voy. Lettre de M. Berryer au P. Groiselle, le 30 juin 1760.
3. Voy. État des dernières prises faites par les corsaires d’Alger et amenées en ce
port en 1759, — Lettre du P. Groiselle à M. Berryer, le 12 juin 1760.
AVEC LA COUR DE FRANCE 253

des chicanes, des difficultés et des griefs qui peuvent déranger


cette heureuse harmonie. Elle est fondée sur une utilité commune
et constante, et sur des traités clairs et précis dont l’exacte obser-
vation peut seule prévenir les doutes et les méprises.
Permettez que j’insiste sur ce point ; il est essentiel et mérite
toute votre attention et la mienne. Lorsque vous ne souffrirez pas
que les Français soient inquiétés en rien ni à la mer ni en votre
pays, il ne pourra rien arriver qui refroidisse le moins du monde
la bonne intelligence, et tout concourra insensiblement au bien et
à la tranquillité des deux nations, sans vous détourner des objets
dont vous pouvez être occupé d’ailleurs. C’est un soin digne de
vous, et vous n’en serez que plus respecté et considéré au dedans
et au dehors. Je ferais tort à votre équité et à votre réputation si je
ne comptais avec confiance sur les effets qui en doivent résulter
dans les affaires qui vous seront portées. J’y mettrai, de mon côté,
tout ce qui pourra vous prouver combien j’ai à cœur d’affermir
en tout point les dispositions les plus favorables, non seulement
par des traitements conformes au droit et à la raison, mais par
des services tels qu’on doit les attendre de l’amitié. Je me flatte
que vous ne pensez pas autrement, et que vous ne permettrez rien
d’injuste ou de préjudiciable aux Français. Je ne dois point vous
laisser apprendre par d’autres que par moi que l’Empereur, mon
Maitre, vient de faire sortir une escadre dans la Méditerranée(1).
Sa Majesté Impériale a commandé expressément à tous ses of-
ficiers et capitaines de ne molester en rien et, de bien traiter à
tous égards les sujets de la Régence d’Alger dans leurs person-
nes, bâtiments et effets, en leur rendant même de bons offices au
besoin, et il en sera toujours de même entre nous, si vous vou-
lez bien adopter les mêmes vues, les mêmes principes et les mê-
mes intérêts. Je suis bien aise d’avoir eu lieu de m’en expliquer
____________________
1. Nous étions à la fin de la guerre de Sept ans ; les Anglais venaient de nous
enlever le Canada et l’Inde, et leurs conquêtes allaient être bientôt confirmées par le dé-
sastreux traité du 10 février 1763. La situation dans laquelle se trouvait alors notre marine
commandait à la Cour les plus grands ménagements avec les Algériens. On voit, par les
dernières correspondances adressées au Dey Ali, à quelle indigne attitude et à quelle plate
soumission le Secrétaire d’État se trouvait condamné.
254 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

amiablement avec vous. Je désire fort de vous être utile person-


nellement, et que votre Gouvernement soit heureux et tranquille,
au gré de vos souhaits, dans le cours de la plus longue carrière.
Je fais des vœux sincères pour votre prospérité, et je finis cette
lettre en recommandant les Français à votre bienveillance et à la
protection dont ils ont besoin à Alger. Je vous remercie avec af-
fection des témoignages de votre amitié, et je regarderai comme
une grande satisfaction pour moi de pouvoir vous convaincre de
plus en plus du véritable attachement avec lequel je suis plus cor-
dialement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
BERRYER.

Je laisse au sieur Groiselle les détails particuliers des affai-


res qu’il pourra avoir à traiter auprès de vous(1).

ALI, DEY D’ALGER,


A M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 3 novembre 1760.

Lettre d’amitié adressée au Vizir très élevé de l’Empereur


de France par Ali, Pacha, Dey, Gouverneur d’Alger et Lieutenant
du Sultan Mustapha, glorieux Empereur de nos jours, qui tient en
mains les clefs de tout pouvoir, qui préserve les pays de Dieu de
toute tyrannie et que la victoire accompagne partout, l’ombre de
Dieu sur les fils d’Adam, dont la puissance est soutenue par les
____________________
1. Le P. Groiselle exerça ses fonctions sans difficulté sérieuse jusqu’au mois de
mai 1763. Voy. État de quelques présents faits par M. Groiselle, Vicaire apostolique,
faisant fonctions de Consul de France, le 10 septembre 1760. — Voy. aussi, pour les ca-
deaux donnés aux Chefs de la Régence, Extraits des délibérations de l’assemblée de la
nation française à Alger, les 15 novembre 1760, 5 mars, 4 juin 1761, etc. (Les Archives
du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 95 et suiv.) — Voy. enfin la cor-
respondance du P. Groiselle avec les Échevins et Députés de Marseille. (Archives de la
Chambre de commerce de Marseille, 1760-1763, S. AA, 477-491 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 255

faveurs de l’Éternel, distributeur des grâces. —Que Dieu aug-


mente son pouvoir et prolonge ses jours ! —
Honoré et estimé Ministre, Vizir élevé de l’Empereur de
France, notre grand ami, lui qui est le plus glorieux de tous les Prin-
ces de la croyance de Jésus, — Que Dieu comble votre fin de toute
sorte de bonheur, et qu’il vous montre le chemin de la vérité !—
Après vous avoir présenté les saluts qu’exigent l’amitié et la
cordialité et m’être informé de votre santé, je fais des vœux pour
tout ce qui peut contribuer à votre bonheur. Si l’amitié dont vous
voulez bien m’honorer vous engage à savoir de mes nouvelles,
je vous dirai que, jusqu’à la réception de votre dernière lettre(1),
j’ai toujours joui d’une santé parfaite, en désirant qu’il en soit de
même de la vôtre.
Je dois vous prévenir d’une affaire survenue à deux bâti-
ments corsaires d’Alger, dont l’un est un chebek et l’autre un
brigantin ; ces deux bâtiments, ayant été surpris en mer par une
tempête furieuse, ont voulu se réfugier dans un port de France, et,
dès qu’ils ont été à la vue de la forteresse du dit port, ils ont ar-
boré leur pavillon algérien et fait les signaux d’usage en pareille
occasion. L’on n’y eut aucun égard, et la forteresse fit feu sur eux.
Le Capitaine du brigantin, ou plus courageux ou dont le bâtiment
était plus léger, entra dans le port malgré le feu que l’on faisait sur
lui. Le Capitaine du chebek, se voyant si mal reçu, prit le large,
au risque de périr par la tempête(2). Mon illustre ami, je vous prie
de donner des ordres précis à tous les Commandants des ports qui
sont de la domination de France de ne pas empêcher nos corsaires
d’y entrer quand ils voudront, de leur recommander de se com-
porter à l’égard des Algériens de la manière que l’exige l’amitié,
____________________
1. Voy. p. 250.
2. Lettre de M. Berryer au P. Groiselle, le 30 mars 1761, démentant formellement
le fait. « Jamais il n’est arrivé qu’on ait fait feu sur des chebeks algériens reconnus pour
tels ; c’est un fait entièrement ignoré dans nos ports. Nous ne pouvons répondre ni des
faussetés que quelques-uns hasardent par mauvaise intention, ni des manœuvres équivo-
ques et suspectes de nos ennemis. On est plutôt dans l’usage d’accommoder ces chebeks
et de les satisfaire que de manquer en rien aux procédés et aux égards. » (Archives des
Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
256 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

et de la favoriser dans les affaires qui les obligent à relâcher dans


les ports de France. Que le Dieu Tout-Puissant fortifie et aug-
mente la sincère amitié qui nous unit !
Écrit le 24 de la lune de Rebi-el-ewel, l’an de l’hégire 1174,
de Jésus-Christ le 3 novembre 1760, à Alger la bien gardée.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 7 février 1761.

ALI, DEY D’ALGER,


A M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 12 décembre 1760.

Lettre d’amitié adressée au Vizir très élevé de l’Empereur


de France par Ali, Pacha, Dey, Gouverneur d’Alger et Lieutenant
du Sultan Mustapha, glorieux Empereur de nos jours, qui tient
entre ses mains les clefs de tout pouvoir, qui préserve les pays
de Dieu de toute tyrannie et que la victoire accompagne partout,
l’ombre de Dieu sur la terre, lui qui est un second Alexandre par
sa valeur, un autre Salomon par sa sagesse, dont la puissance est
soutenue par les faveurs de l’Éternel, distributeur des grâces.
Honoré Ministre, Vizir élevé de l’Empereur de France, no-
tre grand ami, qui est le plus glorieux de tous les grands Princes
de la croyance de Jésus-Christ, — Que Dieu comble votre fin
de toute sorte de bonheur, et qu’il vous montre le chemin de la
vérité ! —

Après vous avoir présenté les saluts qu’exigent l’amitié et la


cordialité et m’être informé de votre santé, je fais des vœux pour
tout ce qui peut concourir à votre bonheur. Si l’amitié dont vous
voulez bien m’honorer vous engage à savoir de mes nouvelles,
AVEC LA COUR DE FRANCE 257

je vous dirai que je jouis de la santé la plus parfaite, et que je dé-


sire qu’il en soit de même de la vôtre.
Mon très affectionné ami, veuillez faire tous vos efforts pour
envoyer ici en qualité de Consul, aussitôt ma lettre reçue, une per-
sonne dans laquelle vous ayez mis toute votre confiance ; à cet avan-
tage il faut qu’elle réunisse celui d’être polie, sincère et incapable
de supercherie(1). Si celui que vous destinez pour résider auprès de
moi doit ressembler à son prédécesseur et être comme lui un fourbe
et tenir une mauvaise conduite, ne doutez pas un instant que je ne
vous le renvoie ; je vous préviens encore que si, à la réception de
cette lettre, vous différez à renommer un -nouveau Consul, je ren-
verrai aussitôt le religieux qui en fait ici les fonctions(2).
Mon illustre ami, j’ai appris avec chagrin qu’indépendam-
ment du mépris et des mauvais traitements que l’on avait pour les
esclaves musulmans qui appartiennent à l’Empereur de France,
l’on avait été jusqu’à abattre la mosquée où ils se rassemblaient
pour faire leurs prières, et à redoubler les tourments et les peines
dont ces malheureux ne sont déjà que trop accablés(3). L’Empe-
reur de France, depuis un temps immémorial, est tout en paix
avec l’Empereur du monde, mon Maître, et l’union et l’amitié
la plus intime subsistant tant entre les deux Cours qu’avec les
Régences de Tripoli, Tunis et Alger, je ne prévois pas les raisons
____________________
1. Voy. Lettre de Berryer au P. Groieelle, le 30 juin 1761. « Je ne puis satisfaire le
Dey aussi promptement qu’il le désire au sujet d’un nouveau Consul. Représentez-lui que
je ne saurais trouver au moment un sujet à mon gré et au sien, sans lui dissimuler que la
crainte de n’être ni bien traité ni bien écouté retient le plus grand nombre et rend ce choix
embarrassant. »
2. Voy. Lettre du P. Groiselle à M. Berryer, le 28 septembre 1760. Le Vicaire apos-
tolique y explique au Ministre que notre Consul à Alger ne doit pas se conduire comme
les agents des autres Échelles, et que le défaut de donatives a été le véritable motif de la
disgrâce de MM. Lemaire et Perou. « Nous vivons avec des gens qui n’ont d’égards que
pour ceux qui leurs donnent. Les Consuls de Suède et de Danemark ne sont considérés
que parce qu’ils répandent chacun près de 3 000 sequins par an, c’est-à-dire environ 30
000 l. Jamais le Consul de France ne sera bien vu à Alger s’il ne donne pour 8 000 l. de
présents tous les ans. »
3. Voy. Lettre de M. Berryer au P. Groiselle, le 30 mars 1761. « L’histoire qu’on a
faite au Dey des mauvais traitements soufferts par les esclaves de Toulon est si mal ourdie
et si peu vraisemblable qu’il semble qu’on ait voulu se jouer de lui en l’entretenant de
pareilles idées. Il convient que vous le dissuadiez entièrement des impressions qu’on a
voulu lui donner mal à propos. »
258 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

que l’on peut alléguer pour justifier les mauvais traitements que
l’on a pour les esclaves musulmans, ni les motifs qui ont occa-
sionné la destruction de leur mosquée. Je me flatte qu’à la récep-
tion de ma lettre, vous voudrez bien faire rebâtir leur mosquée, et
ne les pas laisser manquer des vêtements et de la nourriture que
peut exiger leur état ; je ne peux pas vous dissimuler que si vous
êtes insensible à mes représentations, je serai forcé d’en instruire
mon Maître(1).
J’espère aussi que mes corsaires, loin d’être exposés à des
mauvais traitements dans les ports de France, y trouveront toutes
les ressources dont ils auront besoin, autant que la chose sera
possible. Il y a quelque temps que deux vaisseaux d’Alger ayant
été accueillis par une tempête et ayant voulu se réfugier dois un
port de France, l’un des deux bâtiments fut assez heureux pour
jeter l’ancre, et son compagnon fut chassé à coups de canon. Ce
procédé n’est pas analogue à l’amitié qui est entre la France et la
Régence d’Alger. Lorsque les vaisseaux de l’Empereur de Fran-
ce mouillent dans quelque port de notre domination, le Capitaine
dû port va à leur rencontre et leur indique l’endroit où ils doivent
jeter l’ancre, enfin on leur fait tout l’accueil possible. Je ne doute
point que vous ne donniez les ordres les plus sévères pour que les
vaisseaux, d’Alger soient traités de la même manière en France.
Écrit le 4 de la lune de Djemazi-el-ewel, l’an de l’hégire 1174, et
de Jésus-Christ le 12 décembre 1760, à Alger la bien gardée.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Mon illustre ami, j’ai entendu dire que l’on avait eu l’indi-
gnité de couper l’oreille à celui qui faisait les fonctions d’Iman(2)
dans la mosquée des esclaves, et de le rendre par là l’objet du
mépris public. Si ce fait est véritable, il est indécent. Il y a ici des
____________________
1. C’est la première fois que nous rencontrons la menace de l’intervention du
Grand Seigneur.
2. Celui qui, dans une mosquée et pendant la prière publique, se met à la tête de
l’assemblée, prononce les paroles et fait les gestes que les assistants sont obligés d’imiter.
AVEC LA COUR DE FRANCE 259

prêtres dans les églises des chrétiens ; ils s’y rassemblent pour
vaquer à l’exercice de leur religion sans que personne ose les
inquiéter.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 23 février 1761.

M. BERRYER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 30 mars 1761.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu depuis peu par différentes voies les deux lettres
que vous m’avez écrites dans le mois de décembre dernier(1). Elles
m’auraient donné un véritable chagrin, en voyant les impressions
que vous avez prises et les termes dans lesquels vous vous en ex-
pliquez, s’il n’était adouci par les témoignages de votre amitié, et
par les sincères dispositions où je crois que vous êtes comme moi
d’affermir la bonne intelligence, en satisfaisant à tout ce qu’exi-
gent la justice et les traités. J’espère même que ces sentiments
distingueront votre Gouvernement.
J’ai fait d’inutiles recherches pour découvrir ce qui petit
avoir donné lieu aux plaintes qu’on vous a portées mal à propos,
comme si on avait tiré du canon sur deux de vos armateurs(2).
C’est un fait entièrement ignoré dans les ports de France, et qui
n’a pas même de vraisemblance. Par quel motif cela serait-il ar-
rivé, et pouvez-vous l’interpréter autrement que sur les explica-
tions justes et raisonnables que le sieur Groiselle vous a don-
nées ? Rappelez-vous le rapport criminel et peu fidèle d’un reïs
qui, après avoir été accueilli et favorisé en tout à Mahon, osa
hasarder qu’il y avait reçu de mauvais traitements. Sa fausseté fut
prouvée, et ce cas-ci n’a même rien qui ait pu venir à ma connais-
sance. Quoi qu’il en soit, soyez bien et fermement assuré, sur ma
____________________
1. Voy. p. 254 et 256.
2. Voy. la note 2, p. 255.
260 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

parole et sur des ordres si précis qu’aucun officier n’oserait y


manquer, que les bâtiments d’Alger seront toujours reçus, traités
et privilégiés comme amis et sans distinction de nation, quand ils
le voudront bien et qu’ils se présenteront comme ils le doivent.
Je vous prie d’y avoir une entière confiance.
Je suis plus surpris encore de ce qu’on vous a dit des escla-
ves de Toulon ; c’est une invention si grosse qu’elle mériterait
votre indignation et la mienne contre ceux qui n’ont pas craint de
vous manquer à ce point. L’humanité seule éloignerait du carac-
tère des Français, indépendamment de toute autre considération,
ce qu’un malheureux fugitif a voulu leur imputer, et il mériterait
châtiment pour vous en avoir imposé avec aussi peu de respect et
de retenue. Vous en jugerez vous-même, lorsque vous saurez que
les esclaves n’ont jamais eu de mosquée érigée. Quant au lieu où
ils font leurs prières, bien loin qu’on ait seulement pensé à rien
changer à ce qui a été pratiqué pour eux de tout temps, on leur
laisse toute la liberté et la tranquillité dont ils peuvent jouir, et je
ne sais que penser de la malice envenimée de ceux qui cherchent
à vous tromper par de pareilles voies(1). Je ne puis que vous ré-
pondre qu’il ne s’est rien passé du tout qui ait pu y donner le plus
léger prétexte, et que je ne l’aurais pas souffert, rien ne répugnant
davantage aux intentions de l’Empereur, mon Maître. J’espère
que, sur cette assertion positive, vous voudrez bien écarter de
vous des insinuations aussi fausses que suspectes, et en juger sur
la conduite constante des Français comme sur l’intérêt commun
d’entretenir la bonne intelligence, que la jalousie ou d’autres in-
térêts voudraient altérer et compromettre. Mais je m’en repose
sur vos hautes lumières.
A l’égard du Consul, j’ai autant d’impatience que vous de
____________________
1. Voy. Lettre de M. Berryer au P. Groiselle, le 30 mars 1760. « Il m’est parvenu
deux lettres du Dey d’un style assez singulier, et qui se ressentent de la grossièreté du
pays. Vous verrez, par la réponse que je lui fais, les deux griefs dont il se plaint. Ils n’ont
pas même un fond apparent, et ils sont si évidemment faux que ceux dont la malice lui
inspire de pareilles chimères mériteraient châtiment. Je ne sais pas ce que le Dey veut dire
par la destruction de la mosquée des esclaves ; ils n’en ont point et n’en ont jamais eue, à
moins qu’on ait voulu entendre le cimetière qui leur est accordé et le lieu où ils font leurs
prières. A cet égard on les laisse jouir de la plus parfaite liberté. »
AVEC LA COUR DE FRANCE 261

vous satisfaire, et je suis fâché que vous me fassiez entendre que


vous ne garderez pas le sieur Groiselle ; ce ne serait pas le moyen
de me mettre à portée de seconder, autant que je le désire, tout ce
qui peut resserrer l’harmonie et la bonne correspondance. Vous
savez l’embarras où je suis encore, dans les circonstances de la
guerre où la mer n’est pas libre. Je ne puis vous destiner pour
Consul qu’un sujet choisi qui vous convienne, et qui connaisse
les mœurs et coutumes des Mahométans. Celui que j’ai déjà dé-
signé se trouve en Turquie(1), et il faut nécessairement du temps
pour qu’il puisse en arriver et prendre ses arrangements. L’éloi-
gnement des lieux et les contretemps inséparables de la guerre
entraînent des délais inévitables, que j’abrégerai bien volontiers,
autant qu’il dépendra de moi, mais auxquels il est juste que vous
vous prêtiez, puisqu’il doit vous importer peu de recevoir un
Consul en titre un peu plus tôt ou un peu plus tard, lorsqu’il n’y
a d’ailleurs aucune autre espèce de difficulté, et que ses fonc-
tions sont suppléées dans l’intervalle par un homme connu et de
confiance. Soyez sûr que je n’y perdrai point de temps, et que
je trouverai toujours une satisfaction à prévenir la vôtre en tout
ce qui sera praticable, ne doutant point que, de votre côté, vous
ne gardiez aux Français toute justice et bienveillance. Trouvez
bon que je laisse au sieur Groiselle le soin de vous expliquer
plus amplement ce qui peut manquer à cette lettre. Je l’en charge
expressément et je vous prie de l’écouter favorablement, ainsi
que dans les justes représentations qu’il peut avoir à vous faire(2).
____________________
1. Jean-Antoine Vallière, ancien Chancelier au Caire, à Candie, à Tunis, à Tripoli,
alors Vice-Consul à Alexandrie. Voy. Lettre de M. Berryer à Vallière, le 5 octobre 1761,
lui annonçant sa nomination.
2. Le P. Groiselle faisait de son mieux pour vivre en paix avec Ali. Il venait de
distribuer les présents de la Chambre de Marseille, qu’avait apportés le capitaine Castaud
le 4 janvier 1761, et « qui avaient réjoui les Puissances ». Ils consistaient comme toujours
en châtaignes, pommes, liqueurs et sirops. Le Dey avait presque tout pris, ce qui avait fait
murmurer tout son entourage. Lettre du P. Groiselle à M. Berryer, le 27 janvier 1761. Voy.
aussi, pour les cadeaux du P. Groiselle aux officiers algériens et en particulier à Omar-
reïs, Ambassadeur du Divan en Angleterre et capitaine du port, « qui dans sa place peut
nous faire beaucoup de bien et de mal », les Extraits des délibérations de l’assemblée de
la nation française à Alger, les 30 mars 1761, 20 mars, 17 avril, 20 mai, 8 juin 1762, etc.
(Les Archives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 96 et suiv.)
262 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Je me suis encore réservé de vous témoigner combien je m’inté-


resse à la prospérité de votre Gouvernement et à tout ce qui peut
vous être utile et agréable. Je voudrais y contribuer d’affection
par mes services, et vous prouver que personne n’est plus parfai-
tement et avec des sentiments plus distingués,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
BERRYER.

M. BERRYER, GARDE DES SCEAUX DE FRANCE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 15 octobre 1761.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maitre, vient de m’élever à la dignité de
Garde des sceaux de France. Sa Majesté Impériale a jugé à pro-
pos de faire en même temps de nouvelles dispositions pour ré-
gler les Départements des Ministres de son Conseil suprême, et
a remis à M. le comte de Choiseul(1), un des Grands de sa Cour,
celui dont elle avait bien voulu me charger jusqu’à présent. Ce
sera désormais par les mains de ce Ministre que passeront toutes
les relations et affaires qui intéresseront la Régence et le pays
que vous gouvernez heureusement. Je vous annonce avec plaisir
____________________
1. César-Gabriel comte de Choiseul fut mis à la tête du Département des Affaires
étrangères le 13 octobre 1761, à la place d’Étienne-François de Choiseul, comte de Stain-
ville. Il fut chargé en même temps de la direction des affaires commerciales et consu-
laires. Les autres attributions du Département de la Marine restèrent entre les mains du
duc de Choiseul, son cousin. « Le Roi, écrivit-il aux Échevins de Marseille le 16 octobre
1761, en me nommant aux Affaires étrangères, a réuni à ce Département toutes les cor-
respondances du dehors qui dépendaient ci-devant de celui de la Marine. L’administration
maritime de Marseille et de votre Chambre étant relative au service des Consulats et af-
faires du Levant et de Barbarie dont je serai dorénavant chargé, Sa Majesté l’a comprise
dans le même arrangement. » (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA,
78 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 263

un changement qui n’en doit apporter aucun à la bonne intelli-


gence qui subsiste si solidement entre vous et les Français, et je
ne me suis réservé que de vous donner ce dernier témoignage de
mon amitié, restant toujours avec les sentiments les plus sincères
et plus parfaitement que personne du monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
BERRYER.

LE COMTE DE CHOISEUL, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 16 octobre 1761.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, dans les hautes charges où il lui a
plu de m’appeler, a daigné me confier tous les intérêts et corres-
pondances étrangères de son Empire, et y joindre ceux des pays
qui sont soumis à votre Gouvernement. Sa Majesté Impériale les
a retirés à M. Berryer, en mettant en sa main les sceaux de France,
et m’a commandé de vous notifier ce changement. Si je pouvais
ajouter quelque chose au choix auguste de Sa Majesté Impériale,
en exécutant ses ordres auprès de vous, ce serait la confiance que
j’ai de n’être pas moins heureux que le Ministre qui m’a précédé
à conserver la bonne intelligence qui subsiste si heureusement
entre vous et la nation française. J’espère y trouver efficacement,
de votre part, toutes les dispositions qui peuvent vous assurer des
miennes. Elles sont sincères, et j’ai une véritable satisfaction que
mon premier soin soit de vous assurer de mon amitié en vous
demandant la vôtre. Je me flatte de n’avoir sous votre Gouver-
nement qu’à en cimenter les liens, et à vous marquer combien je
____________________
1. Voy. la note 1, p. 262.
264 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

m’intéresse à votre prospérité par tous les témoignages où vous


pourrez reconnaître que personne n’est plus cordialement et plus
parfaitement que moi,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
CHOISEUL.

ALI, DEY D’ALGER,


AU COMTE Te CHOISEUL, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, février 1763;

Lettre d’amitié adressée au Vizir très élevé de l’Empereur


de France par Ali, Pacha, Dey, Gouverneur d’Alger, Lieutenant
du Sultan Mustapha, possesseur des deux terres et des deux mers,
glorieux Empereur de nos jours, Empereur des puissants Empe-
reurs, lui qui tient dans ses mains les clefs de tout pouvoir, qui
préserve les pays de Dieu de toute tyrannie, l’ombre de Dieu sur
la terre, lui qui est un autre Alexandre par sa valeur et un second
Salomon par sa sagesse, dont la puissance est soutenue par les
faveurs de l’Éternel, distributeur des grâces. — Que Dieu aug-
mente son pouvoir et prolonge sa vie ! —
Honoré et estimé Ministre, Vizir élevé de l’Empereur de
France, notre grand ami, lui qui est le plus glorieux de tous les
grands Monarques de la croyance de Jésus, — Que Dieu comble
votre fin de toute sorte de bonheur et qu’il vous montre le chemin
de la vérité !
Après vous avoir présenté les saluts qu’exigent l’amitié et
la cordialité et m’être informé de votre santé, je fais des vœux
pour tout ce qui peut intéresser votre bonheur. Si l’amitié dont
vous m’honorez vous engage à savoir de mes nouvelles, je vous
dirai que je jouis d’une santé parfaite, désirant qu’il en soit de
même de la vôtre.
AVEC LA COUR DE FRANCE 265

Mon illustre et sincère ami, la lettre dictée par l’amitié dont


vous m’avez honoré m’étant parvenue dans une heure fortunée,
j’ai lu avec plaisir tout ce qu’elle renferme(1). Vous m’y faites part
que l’Empereur de France vous a revêtu de la dignité éclatante
de son Ministre ; cet événement m’a comblé de la joie la plus
vive, et je désire que vos services soient agréables à l’Empereur
de France et qu’il vous comble toujours de nouvelles faveurs. Je
ne doute pas que l’amitié qui est déjà entre nous ne prenne une
nouvelle force sous votre Ministère. Je vous prie d’envoyer au
plus tôt un Consul à Alger ; les affaires qui peuvent survenir exi-
gent absolument la présence d’un Consul(2). Que Dieu conserve
et augmente l’amitié qui est entre nous !
Écrit dans le mois de Redjeb, l’année de l’hégire 1175, de
Jésus-Christ 1762, dans le mois de février.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 20 juin 1762.

ALI, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE CHOISEUL, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 5 juillet 1762.

Lettre d’amitié adressée au Vizir très élevé de l’Empereur de


France par Ali, Pacha, Dey, Gouverneur d’Alger et Lieutenant du
Sultan Mustapha, possesseur des deux mers, glorieux Empereur
de nos jours, Empereur des puissants Empereurs, qui tient dans
ses mains les clefs de tout pouvoir, qui préserve les pays de Dieu
de toute tyrannie, que la victoire accompagne partout, l’ombre
____________________
1. Voy. p. 263.-
2. Voy. Lettres du P. Groiselle à M. Berryer et au comte de Choiseul, les 16 mai,
25 août et 2 novembre 1761 appuyant la réclamation d’un Consul.
266 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de Dieu sur la terre, lui qui est un autre Alexandre par sa valeur et
un second Salomon par sa sagesse, dont la puissance est soutenue
par les faveurs de l’Éternel, distributeur des grâces. — Que Dieu
augmente son pouvoir et prolonge sa vie ! —
Honoré et estimé Ministre de l’Empereur de France, notre
grand ami, lui qui est le plus grand des Princes de la croyance du
Messie, — Que Dieu comble votre fin de toute sorte de bonheur
et qu’il vous montre le chemin de la vérité ! —
Après vous avoir présenté les saluts qu’exigent l’amitié et
la cordialité et m’être informé de votre santé, je fais des vœux
pour tout ce qui peut contribuer à votre bonheur. Si, en vertu de
l’ancienne amitié qui subsiste entre nous, vous jugez à, propos
de vous informer de ce qui me regarde, je vous dirai que, grâce à
Dieu, à la date de la présente lettre, j’étais dans une santé parfaite
et que je faisais des vœux pour que vous jouissiez d’un bonheur
inaltérable.
Vous n’ignorez point que la Régence d’Alger est l’amie an-
cienne de la Cour de France, et que de tout temps cette Régence
a tâché de donner des preuves de l’amitié et de la considération
qu’elle avait pour cette Cour. C’est dans cette confiance qu’elle
s’adresse aujourd’hui à elle, et qu’elle lui représente les besoins
qu’elle a de son secours. Nous vous supplions de nous envoyer
pour notre argent, et à tel prix que ce soit, cinq ou six grands vais-
seaux de 50 à 60 pièces de canon chacun. S’il plaît à Dieu, dès
qu’ils seront arrivés à Alger, nous renverrons en France les équipa-
ges qui les auront conduits sur des vaisseaux marchands que nous
fréterons. Mon illustre ami, nous vous supplions de faire tous vos
efforts pour terminer cette affaire le plus vite que vous pourrez et
pour m’envoyer ici ces cinq à six vaisseaux; vous ne devez point
douter que leur arrivée à Alger ne comble de joie tous les membres
de la Régence et de la Milice. Nous avons pris la liberté de vous
écrire cette lettre, dans la juste confiance où nous sommes que
vous voudrez bien, avec notre argent, nous envoyer les dits cinq
à six vaisseaux. Nous osons nous flatter que vous voudrez bien
AVEC LA COUR DE FRANCE 267

n’user ni de délai ni de prétexte pour nous accorder cette grâce(1).


A Alger, le 24 de la lune de Zilhidjé, l’an de l’hégire 1175, de
Jésus-Christ le 5 juillet 1762.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 8 août 1762.

LE COMTE DE CHOISEUL, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 30 août 1762.

Très illustre et magnifique Seigneur,


En recevant avec une joie sincère les témoignages d’amitié
contenus en la lettre que vous avez eu agréable de m’écrire le 5
du mois dernier(2), je m’empresse de vous en marquer toute ma
sensibilité et reconnaissance et de vous assurer du plus parfait
retour de ma part, personne ne s’intéressant plus vivement à voir
prospérer votre Gouvernement sous l’heureux auspice d’une cor-
respondance étroite et indissoluble avec la nation française. Elle
n’exige de ses plus anciens amis que l’exacte observation des
traités, qu’elle gardera toujours religieusement elle-même. Elle
n’est pas moins disposée à les prévenir par des services, quand
ils sont en son pouvoir, et j’aurais désiré de trouver l’occasion de
contribuer à votre satisfaction et à vos intérêts ; mais j’ai le plus
grand regret que la demande pour laquelle vous avez bien voulu
vous confier à moi ne m’en laisse aucun moyen praticable et soit
hors de toute possibilité. Je ne crains pas de vous en rendre juge
vous-même, et vous en déciderez avec l’équité et les lumières
supérieures qui vous distinguent.
____________________
1. Voy. Lettre du P. Groiselle au comte de Choiseul, le 14 juillet 1762.
2. Voy. p. 265.
268 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Les vaisseaux de guerre de l’Empereur, mon Maître, étant


regardés par les lois de l’Empire comme un domaine inaliénable
de la Couronne impériale, tels que ses forteresses et châteaux,
ne sauraient en être distraits, cédés ou vendus dans aucun cas et
pour quelque somme que ce soit. Aussi n’y en a-t-il aucun exem-
ple, et quand même une loi si expresse pourrait souffrir quelques
exceptions, ce qui ne saurait être admis en France, je n’y trouve-
rais pas aujourd’hui plus de facilité. Vous n’ignorez pas la guerre
où nous sommes engagés avec les Anglais(1) et les hasards qu’elle
entraîne. Bien loin que Sa Majesté Impériale puisse retrancher
de ses forces navales le nombre de vaisseaux que vous deman-
dez, elle est plutôt dans la nécessité de les augmenter et dans
la résolution de le faire, jusqu’à ce qu’ils soient suffisants pour
soutenir ses droits, sa puissance et la liberté de sa bannière. Dans
cette situation, où Sa Majesté Impériale a moins de vaisseaux
que son service et les circonstances ne l’exigent et où elle sera
obligée, même à la paix, de rétablir sa marine sur un plus grand
pied, parce qu’elle ne pourrait faire autrement sans danger pour
elle, il est évident qu’elle ne peut diminuer les vaisseaux qui lui
restent. Cette considération prépondérante vous dit tout ce que
je pourrais y ajouter, et je me flatte que vous reconnaîtrez, à la
confiance qui me porte à m’en ouvrir ainsi avec vous, qu’il ne
fallait pas moins que des raisons aussi puissantes et aussi décisi-
ves pour m’excuser de ce que vous avez désiré de moi. Je n’en ai
pas moins à cœur votre sûreté et vos avantages.
Le Consul que j’attends journellement sera chargé d’entre-
tenir des sentiments réciproques entre vous et les Français, et je
suis bien mortifié des obstacles que la guerre a mis à son voyage.
Il y a plus d’un an qu’il est nommé. Les premiers ordres se sont
égarés. Sa commission est déjà à Marseille, et le sieur Groiselle
vous rendra compte de tout ce qui s’est passé à ce sujet de lui en
envoie les pièces(2). Je voudrais accélérer à mon gré le moment où
ce nouveau Consul vous portera des marques de mon souvenir.
____________________
1. La guerre de Sept ans.
2. Voy. Lettres du comte de Choiseul au P. Groiselle, les 12 avril et 2 août 1762.
AVEC LA COUR DE FRANCE 269

En attendant, je vous recommande les Français et le sieur


Groiselle de la part de Sa Majesté Impériale, dont j’ai pris les or-
dres sacrés pour vous assurer de sa haute et spéciale bienveillan-
ce. Je m’estimerai heureux de vous la conserver en tout ce qui
pourra vous convaincre de mes vrais sentiments et du cordial at-
tachement avec lequel je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
CHOISEUL(1).

LE DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2),


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 4 avril 1763.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Le sieur Vallière, dont je vous ai fait annoncer la destina-
tion et l’arrivée en France, a été appelé ici pour y recevoir, de la
____________________
« Je ne sais à quoi attribuer le long retardement du sieur Vallière, dont je n’ai encore eu
aucune nouvelle. Il faut que les lettres de la Cour ou les siennes aient été interceptées,
mais j’espère qu’on saura bientôt à quoi s’en tenir. Je vous prie de tranquilliser le Dey et
ses officiers, qui ne perdront rien aux présents qu’ils attendent pour les avoir quelques
mois plus tôt ou plus tard. »
1. Il n’est pas question ici de la mission que remplirent à cette époque MM. de
Rochemore et de Cabanous, Commandants de L’Altier et Le Fantasque. Les Provençaux,
mécontents de ce que la Cour n’avait pas cru devoir venger le meurtre de Prépaud, avaient
fatigué le Ministre de leurs réclamations ; la Chambre de Marseille avait dû fournir 200 000
l. pour l’armement de deux vaisseaux, et avait obtenu du Secrétaire d’État que leurs officiers
iraient présenter au Dey Ali de sévères réclamations. MM. de Rochemore et de Cabanous
parurent à Alger le 6 août 1762 et parlèrent énergiquement au Divan. Ali s’excusa du renvoi
de Perou, allégua qu’il avait fait étrangler son conseiller, notre ennemi, et protesta de ses
dispositions pacifiques à notre égard. Voy. État des dépenses faites d’ordre du P. Groiselle,
faisant fonctions de Consul, par Armény de Bénézet, Chancelier ayant l’administration
des deniers du commerce, à l’occasion du séjour en cette rade des deux vaisseaux de Sa
Majesté L’Altier et Le Fantasque, — Lettres du P. Groiselle au comte de Choiseul, les 17 et
22 août, 20 et 30 septembre 1762. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.) —
Voy. aussi les Extraits des délibérations de l’assemblée de la nation française à Alger, les
12 août, 2 et 17 novembre, il décembre 1762, 4 janvier, 21 et 25 février, 5 mars 1763. (Les
Archives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 102 et suiv.)
2. Le comte de Choiseul fut nommé duc et pair en 1762 et devint duc de Praslin.
270 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

part de l’Empereur, mon Maître, et en son auguste nom, les ordres


suprêmes et les intentions qu’il doit suivre en résidant auprès de
vous. Sa Majesté lui a fait remettre, en qualité de Consul, tous
les pouvoirs nécessaires pour être chargé à Alger de toutes les
affaires et intérêts du pavillon et des sujets de France, et elle m’a
commandé en même temps de l’accréditer auprès de vous, dans
les termes les plus exprès, en le recommandant à votre bien-
veillance. Vous êtes déjà instruit des qualités personnelles qui
ont déterminé le choix de ce Consul, et je ne connaissais aucun
sujet qui pût vous être plus agréable, ni à qui je pusse mieux moi-
même donner ma confiance. J’espère aussi que vous le recevrez
avec des égards et des préférences d’amitié. Je ne l’ai retenu que
peu de temps; pour ne pas retarder son voyage et le succès que je
dois m’en promettre, et Sa Majesté Impériale a bien voulu ordon-
ner son passage sur une de ses frégates pour vous marquer plus
d’honneur. J’ai cru pouvoir l’assurer de vos droites intentions,
et des dispositions où vous êtes d’écarter désormais tout ce qui
pourrait altérer la bonne intelligence. Celles de la France sont de
la conserver avec soin, et de la rendre aussi durable qu’elle peut
être utile à votre pays. C’est dans cette vue que les intentions du
sieur Vallière se sont fondées au point de vue essentiel qui est
de maintenir l’intégrité du traité dans tous ses articles, comme
la base et le fondement d’une heureuse harmonie avec la nation
française et vous. S’il y a été donné quelque atteinte dans ces
derniers temps, Sa Majesté Impériale ne peut l’attribuer qu’au
défaut d’expérience du sieur Groiselle, peu habitué par son état
aux affaires de mer et de politique, ou aux désordres qu’entraînait
inévitablement la guerre qui vient de finir entre les Puissances
d’Europe, et dont la France est délivrée; mais, s’il reste encore quel-
ques prétentions à terminer, je m’en remets aux représentations
____________________
« Je me flatte, écrivit-il aux Échevins de Marseille le 2 novembre 1762, que vous voudrez
bien prendre part à la grâce qu’il a plu à Sa Majesté de me faire, et que je vous annonce
pour vous prévenir du changement de titre et de signature qu’elle exige. Je signerai dé-
sormais toutes mes dépêches : Le duc de Praslin. » (Archives de la Chambre de commerce
de Marseille, S. AA, 79 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 271

particulières que le sieur Vallière est chargé de vous faire, et je


suis persuadé que vous l’écouterez favorablement. Il a connais-
sance des affaires qui sont survenues depuis, et je vous prie ins-
tamment d’en éloigner tout ce qui pourrait être contraire au droit
et à la justice. On a mêlé les Français dans des réclamations qui
ne les regardaient pas, et quelques-uns de vos corsaires sont ve-
nus troubler leur navigation qu’ils doivent respecter. Sa Majesté
Impériale a prescrit au sieur Vallière de vous faire connaître sur
cela le tort qui a été fait aux Français, afin qu’ils ne se trouvent
plus lésés en rien. Je désire plus que personne être témoin de la
prospérité de votre Gouvernement, et pouvoir vous faire connaî-
tre encore mieux par des services réels les sentiments distingués
avec lesquels je suis cordialement,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
PRASLIN

LE DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 30 avril 1783.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Plusieurs corsaires algériens étant venus cette année, à la
faveur des bons traitements qu’ils étaient assurés de recevoir en
France, en abusent au point de commettre divers désordres et
de troubler la navigation sur les côtes de Provence(1). J’ai été si
convaincu que de pareilles manœuvres étaient contraires à vos
intentions que j’ai cru n’avoir qu’à m’en rapporter à la justice
que vous ne manqueriez pas d’en faire, en chargeant le sieur Val-
lière de vous en porter de justes plaintes pour y remédier. Mais
____________________
1. Voy. Lettre de Vallière au duc de Praslin, le 23 mal 1763.
272 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

au moment que je me trouvais dans la plus grande sécurité à vo-


tre égard, j’apprenais avec autant de surprise que de regret qu’un
de vos reïs, Oubliant ce qu’il y a de plus sacré entre les nations,
a eu la témérité .de venir faire une prise sous pavillon anglais et
sous le canon même d’un château de l’Empereur, mon Maître.
Cette infraction, constatée par les preuves les plus authentiques
et les moins équivoques, l’est encore plus par le fait même, qui
est sans réplique, que la prise a été arrêtée sous le canon de terre
où elle a été retenue.
Vous entendrez sûrement avec indignation, par le sieur Val-
lière, le récit de toutes les circonstances de cette prise, et vous êtes
trop éclairé pour ne pas en sentir vous-même toutes les consé-
quences. Je me contente de vous prévenir que ce Consul a ordre
de vous en faire toutes les représentations, et de vous demander
la satisfaction qu’exige une pareille hostilité. Je vous prie de lui
donner entière créance et je me repose sur ce qu’il vous dira.
J’espère que dans un cas aussi grave et aussi dangereux, qui in-
téresse aussi effectivement la dignité et les droits de la Couronne
de France, vous n’hésiterez point à justifier ce que je me suis
promis de vos sentiments et de vos dispositions. Vos propres ré-
flexions et vos lumières vous feront connaître combien il importe
de ne point laisser d’incertitude, lorsque du côté des Français on
a toujours apporté le plus grand soin à ce qui pouvait cimenter la
bonne intelligence, et j’y ai assez de confiance pour avoir engagé
Sa Majesté impériale à renvoyer les Algériens qui se sont trou-
vés sur la prise. Je ne pourrais pas mieux vous témoigner le désir
que j’ai d’aplanir, autant qu’il est possible, les difficultés de cette
malheureuse affaire, mais elle est trop sérieuse pour ne pas exi-
ger la même attention et la même volonté de votre part. Je désire
que cette occasion ne serve qu’à resserrer les liens de la bonne
intelligence et à assurer mieux le maintien des traités. J’y compte
d’autant plus que je suis tout porté moi-même à y contribuer.
J’attends de vous une résolution satisfaisante, et digne des hau-
tes lumières et de la saine politique qui vous distinguent. Je n’en
serai que plus empressé à vous donner à l’avenir des marques
AVEC LA COUR DE FRANCE 273

efficaces de l’attachement avec lequel je suis plus cordialement


que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
PRASLIN.

ALI, DEY D’ALGER,


AU DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, mai 1763.

Lettre d’amitié adressée au Vizir très élevé de l’Empereur


de France par Ali, Pacha, Dey, Gouverneur d’Alger et Lieutenant
du Sultan Mustapha, glorieux Empereur de nos jours, qui tient
dans ses mains les clefs de tout pouvoir, qui préserve les pays
de Dieu de toute tyrannie et que la victoire accompagne partout,
l’ombre de Dieu sur la terre, second. Salomon par sa sagesse, dont
la puissance est soutenue par les faveurs de l’Éternel, distributeur
des grâces. — Que Dieu augmente min pouvoir et prolonge sa
vie ! —
Illustre et honoré Ministre, Vizir élevé de l’Empereur de
France, notre grand ami, lui qui est le plus glorieux de tous les
Princes de la croyance de Jésus, — Que Dieu comble votre fin
de toute sorte de bonheur et qu’il vous montre le chemin de la
vérité ! —

Je ne doute point que l’amitié qui nous unit ne vous fasse


désirer d’apprendre de mes nouvelles, c’est ce qui m’engage à
vous faire savoir que je jouis d’une santé parfaite. Vous n’aurez
rien à désirer à ce sujet, si les vœux que je forme pour la vôtre
sont écoutés. Personne ne s’intéresse plus vivement que moi à
tout ce qui peut contribuer à votre gloire et à votre satisfaction,
ni ne désire avec plus d’ardeur que moi que vous jouissiez sans
aucune altération de la haute dignité de Vizir que vous remplis-
sez si dignement.
274 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

J’ai reconnu dans le sieur Vallière toutes les qualités avec


lesquelles vous me l’avez dépeint ; sa capacité et son expérience
dans le maniement des affaires, sa bonté, sa douceur me font juger
qu’il aurait été difficile des trouver un meilleur sujet. La confian-
ce dont vous l’honorez lui donne un nouveau lustre, aussi n’ai-je
point balancé à le reconnaître pour Consul et à le faire reconnaî-
tre à Alger dans la même qualité(1). Il m’a en même temps remis
une lettre de votre part(2), où j’ai vu avec chagrin que les corsai-
res d’Alger, par une infraction manifeste des traités qui existent
entre l’Empereur de France et cette Régence, ont eu la témérité
d’attaquer un vaisseau sur les parages de la France ; j’y ai vu en
même temps que la forteresse sous laquelle ce corsaire avait osé
attaquer un vaisseau, ayant tiré le canon contre lui, l’avait forcé
d’aborder à terre, et qu’ensuite, en considération de l’amitié qui
est entre nous, vous aviez bien voulu relâcher le dit corsaire avec
son équipage et lui permettre de faire voile pour Alger. Je n’ai pas
manqué de faire châtier sévèrement ce corsaire à son arrivée ici,
afin que sa punition servît d’exemple aux autres et les empêchât
de commettre de semblables désordres(3). Je puis vous assurer
que, bien loin de donner mon consentement à de pareils excès,
je ne recommande rien tant à tous les corsaires qui arment en
course que d’éviter avec le plus grand soin les procédés qui pour-
raient donner la plus légère atteinte aux traités de paix. Que Dieu
____________________
1. Vallière arriva à Alger le 21 mai 1763 sur la frégate du Roi La Chimère, com-
mandée par le chevalier de Dampierre. Ali le reçut d’autant mieux qu’il le vit apporter
des présents considérables, et il lui envoya un cheval, honneur assez rarement rendu à
nos agents. « Depuis six jours que j’y suis, écrivit Vallière au Ministre, on me vexe conti-
nuellement pour les présents que je suis obligé de distribuer à une foule d’ingrats. Tout le
monde voudrait en avoir, on se récrie sur tous les articles, quoique d’excellente qualité,
et l’on me cite à tout instant les nations du Nord qui donnent à pleines mains. Si je les
écoutais, je n’en serais pas quitte à moins de 25 000 l. » Voy. État des présents que M.
Vallière a été obligé de faire aux Puissances d’Alger lors de son arrivée dans cette ville.
Ils consistaient en diamants, pistolets, étoffes de soie et de laine, pour une valeur de 13
231 l. 12 s. — Voy. aussi Lettres de Vallière au duc de Praslin, les 23 et 29 mai 1763, et
du duc de Praslin aux Échevins et Députés de Marseille, le 14 février 1763. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 80 de l’Inventaire.)
2. Voy. p. 271.
3. Voy. Lettre de Vallière au duc de Praslin, le 23 mai 1763.
AVEC LA COUR DE FRANCE 275

augmente et fortifie l’amitié et la bonne harmonie qui est entre


nous !
Écrit à Alger, le 12 de la lune de Zilcadé, l’an de l’hégire
1176, et de Jésus-Christ dans le mois de mai 1763.
Mon illustre ami, il y a quelque temps que deux de mes gens
qui étaient esclaves s’étant sauvés sur les terres de l’Empereur de
France, on les a pris et mis en prison. L’un d’eux a eu le bonheur
de s’enfuir pendant la nuit ; l’autre a été repris. Une pareille ac-
tion est contraire à l’amitié, et je vous prie de faire des perquisi-
tions de cet homme qui m’appartient et de me le renvoyer.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 15 mai 1763.

LE DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Fontainebleau, le 11 octobre 1163.

Très illustre et magnifique. Seigneur,


Je ne comptais pas avoir jamais à vous écrire dans des cir-
constances aussi fâcheuses que celles qui me forcent aujourd’hui
à m’adresser directement à vous. J’étais déjà fort en peine des dé-
sordres qui se sont passés cet été dans la Méditerranée, et j’étais à
la veille de vous faire porter les représentations les plus fortes et les
plus raisonnables sur la nécessité indispensable de les réparer et
de les prévenir, lorsque j’ai eu la nouvelle du traitement inouï que
vous avez ordonné contre le sieur Vallière(1). Je ne puis vous ren-
dre l’impression qu’elle m’a, faite, comme elle le fera sans doute
____________________
1. Une galiote algérienne avait amené à Alger, le 15 juillet 1763, le brigantin fran-
çais L’Élisabeth, de Lorient, que son capitaine avait rencontrée et combattue, comme cela
arrivait souvent, en confondant son pavillon avec celui des Salétins. Peu de temps après,
276 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

sur l’esprit de tous les sujets de l’Empire qui nous en ont instruit,
et je n’imagine rien qui ait pu vous porter à une telle extrémité.
La seule qualité dont ce Consul est revêtu par la foi publique de-
vait le garantir de toute violence et contrainte personnelle, même
si, ce qu’à Dieu ne plaise ! la guerre était déclarée, et à plus forte
raison quand les affaires étaient et sont susceptibles d’être réta-
blies. Je suis encore si éloigné de vous attribuer d’autres senti-
ments que ceux qui font le lien des nations, et de me livrer moi-
même à des soupçons et à des inquiétudes qui fissent tort à votre
Gouvernement, que je suis persuadé qu’en parfaite et sérieuse
réflexion sur la nature et les conséquences d’une démarche pa-
reille, vous retournerez votre indignation contre ceux qui ont pu
vous en donner le conseil. Je dois actuellement entrer avec vous
dans des explications qui vont devenir chaque jour plus impor-
tantes, et auxquelles je vous conjure de prêter autant d’attention
que j’ai dû en faire de ma part.
Vous savez que les corsaires des ports du Maroc, dont les
armements ont été multipliés cette année, se sont répandus par-
tout pour courir sur les bâtiments français. Vous n’ignorez pas les
risques auxquels ils sont exposés et les malheurs qu’on éprouve
____________________
le Dey avait appris que M. de Moriez avait livré avec sa frégate un combat contre un de
ses chebeks, et qu’une de ses galiotes avait été coulée à fond par un autre de nos navi-
res. II avait aussitôt fait saisir et conduire au bagne le Consul, son secrétaire, ses trois
domestiques, le Chancelier Armény de Bénézet, le Vicaire apostolique Pie de Savigny,
deux prêtres et deux frères de la Mission, cinq négociants français, les équipages de nos
vaisseaux, et il avait fait arrêter tous nos compatriotes dans nos comptoirs de La Calle,
de Bône et du Collo. Voy. Lettres de Vallière au duc de Praslin, les 2 et 27 juillet, 30
septembre, 21 octobre, 5 novembre, et particulièrement celle du 19 septembre 1763,
contenant le touchant récit des mauvais traitements qu’il a dû supporter, — État des dé-
penses faites par le Consul Vallière à l’occasion de la détention tant du dit Consul que
de MM. les Missionnaires, les négociants et les équipages de 4 bâtiments français qui,
d’ordre du Dey, ont été mis à la chaise, envoyés au bagne des esclaves et employés aux
travaux du Beylik, et des donatives faites pour reconnaître les soins des divers officiers
de la Régence employés au soulagement des 61 personnes ci-dessus, ci : 4 402 p. (Archi-
ves des Agraires étrangères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi Extrait des délibérations
de l’assemblée de la nation française à Alger, relative à un présent à faire au nouveau
Khaznadji, « dans la position critique où nous nous trouvons vis-à-vis de ce Gouverne-
ment », le 12 octobre 1763. (Les Archives du Consulat général de France à Alger, par
Devoulx, p. 112)
AVEC LA COUR DE FRANCE 277

en tombant entre leurs mains. Il a donc fallu armer contre eux pour
la sûreté de la navigation. On y a destiné plusieurs frégates et cor-
vettes qui sont encore en croisière. Comme elles n’ont pas suffi,
on a été obligé d’expédier pour le même objet des vaisseaux plus
forts et en plus grand nombre, pour leur en imposer et repousser
toute hostilité. Je ne vous dissimule pas même que l’Empereur,
mon Maître, est résolu à les détruire et à en purger la mer, si ces
corsaires ne rentrent dans le devoir, à moins que la Providence
ne permette des voies de conciliation que Sa Majesté Impériale
préférera toujours, quand elle pourra le faire avec dignité et avec
tout l’avantage d’une paix solide et bien cimentée. Mais en faisant
contre les Salétins des dispositions conformes à la guerre qu’ils
ont provoquée, Sa Majesté Impériale a expressément recomman-
dé à ses officiers de regarder en tout les bâtiments d’Alger comme
amis de la France, et de ne les confondre en rien avec les autres
corsaires. Je ne sais par quelle fatalité il est arrivé les incidents et
les méprises les moins compatibles avec la confiance que je de-
vais avoir dans les traités et dans les paroles qui m’ont été portées
en votre nom. Les capitaines français ne se sont point écartés de
la conduite qui leur était prescrite. Il s’est répandu au contraire
assez généralement que les Algériens étaient d’intelligence avec
les Salétins pour les favoriser et se mêler avec eux. Je n’y ai vou-
lu ajouter aucune foi, et j’ai conservé trop haute opinion de vos
lumières et de votre sagesse pour croire que vous eussiez pu tolé-
rer ou souffrir des manœuvres aussi dangereuses. Si quelque reïs
avide a cherché l’occasion de se compromettre avec les Français
et de les attirer dans le piège, sans doute c’est à votre insu et contre
votre intention. Le mal n’en est pas moins venu par la faute de ce
reïs, et les Français n’étaient pas moins abandonnés aux hasards
des rencontres les plus suspectes. Celle qui s’est passée entre un
capitaine de Sa Majesté Impériale et un chebek de la Régence,
et dont je vous assure avoir eu le plus sensible regret, ne serait
jamais arrivée si le reïs ne s’était pas opiniâtré à manœuvrer com-
me s’il avait été ennemi, sans vouloir se faire connaître. La res-
semblance des bâtiments et du pavillon confond les Algériens et
278 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

les Salétins et trompe les capitaines français. Ils sont dans la dure
alternative de se livrer à leurs ennemis ou de se défendre contre
les Algériens mêmes, ne pouvant distinguer les uns des autres. Je
ne crains pas de vous laisser juge vous-même de ce que les Fran-
çais peuvent faire en déposant toute précaution, et il y va pour
eux et leurs biens de la liberté et da la vie. Ce mot seul vous fera
connaître qu’il est de toute impossibilité que les choses restent
plus longtemps dans cette crise; elles n’ont que trop empiré. La
France a rempli fidèlement les traités et ne les rompra dans aucun
temps d’elle-même, tant qu’elle pourra y compter. Ils ont pourvu
à tout, et je les ai toujours interprétés à l’avantage d’Alger dans
tous les cas qui se sont présentés. J’ai l’envie de vous témoi-
gner les meilleures dispositions et de rendre la bonne intelligence
inaltérable. Il est dit dans les traités que les corsaires se feront
connaître aux bâtiments de guerre en y envoyant leur chaloupe,
et ne pourront également reconnaître les bâtiments marchands et
vérifier leur passeport qu’avec leur chaloupe. C’est le moyen le
plus simple et le plus sûr qu’on ait trouvé pour éviter les inconvé-
nients et les dangers de toute autre pratique. Il est bien aisé de s’y
conformer, puisqu’il n’en peut résulter que des sérieux et bons
traitements réciproques. Bien loin de là, les Français ont essuyé
des vexations de toute espèce, et, dans la conjoncture même, il
était le plus essentiel d’observer les traités auxquels ils n’ont pu
manquer ; ils ont été attaqués et pris par vos bâtiments reconnus,
la mer a été pour ainsi dire plus périlleuse pour eux qu’une guerre
ouverte, et vous avez cru des suggestions malintentionnées. Vous
avez fait subir au capitaine Garcin(1) un traitement qu’il n’a pas
mérité, dans une défense légitime et forcée ; vous avez refusé
d’écouter les justes réclamations du Consul de France ; vous avez
retenu le capitaine Aubin(2) avec son équipage aux forts, et vous
avez asservi ce même Consul à un traitement que la France désire
____________________
1. Capitaine français qui avait été emmené à la même époque à Alger, et qui avait
été condamné à la bastonnade pour avoir osé se défendre contre un corsaire de la Régen-
ce. Voy. État de ce qui a été enlevé à bord de la polacre Saint-Antoine, capitaine Garcin,
de La Ciotat. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Capitaine de L’Élisabeth. Voy. la note 1, p. 215.
AVEC LA COUR DE FRANCE 279

pouvoir oublier. Que peut-elle penser de tant d’événements si


compliqués, dont elle doit être autant en peine, si elle ne jugeait
de vos résolutions que par les apparences ? Sa Majesté Impériale,
à laquelle je n’avais pas osé en signifier la moindre circonstance,
mais à laquelle j’ai laissé entrevoir en même temps les moyens
que vous pouviez adopter vous-même pour amener la tranquilli-
té, n’a rien voulu précipiter ni rien négliger de ce qu’exigent l’in-
térêt et l’honneur de la Couronne, et croit ne devoir point douter
de vos intentions.
Elle a ordonné au chevalier de Fabry(1), un de ses capitaines
de mer en qui elle a le plus de confiance, de se rendre à Alger avec
les vaisseaux qu’il commande pour vous porter cette lettre. La
vérité qui y règne, et les désirs de terminer amiablement des dé-
mêlés dont les suites funestes doivent être prévenues, vous feront
mieux sentir que tout ce que je pourrais y ajouter combien vous
devez vous rapprocher des Français, puisque le soie de ces affai-
res est encore remis en vos mains, et dépend des satisfactions et
arrangements qui peuvent émaner de vous seul. Je vous demande
de consulter la justice et vos intérêts propres, et de peser mûre-
ment vos délibérations, qui décideront de celles de la France. Elle
est toujours disposée à suivre constamment les mêmes promes-
ses, et il m’est permis de vous en assurer. Je me reprocherais dans
l’avenir des malheurs qu’entraînerait une conduite contraire, et je
ne fais et ne veux que vous inspirer tout ce qui pourrait les faire
craindre. Je vous prie d’y réfléchir sérieusement. La situation est
pressante et le remède ne tient qu’à vous. Vos propres lumières
vous suggéreront ce qui importe dans cette situation. Je vous de-
mande au nom et par ordre de Sa Majesté Impériale, ainsi qu’au
Divan et à la Régence, de vouloir bien faire toutes les considéra-
tions qui sûrement ne peuvent pas vous échapper, et de faire remet-
tre au chevalier de Fabry unes réponse précise et catégorique sur
____________________
1. Louis de Fabry, chevalier de Saint-Louis, capitaine de vaisseau major des ar-
mées navales, commandant l’escadre du Roi composée de L’Hippopotame, Le Fier et La
Chimère. Voy. Mémoire pour servir d’Instruction au chevalier de Fabry, — Lettre du duc
de Praslin au chevalier de Fabry, le 28 octobre 1763. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
280 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ce que je vous marque et sur tous les points, afin que Sa Majesté
Impériale sache décidément sur quoi compter. Il n’est chargé que
de cette commission facile, dont je souhaite qu’il puisse s’acquit-
ter avec diligence. J’ai aussi à cœur qu’elle soit assez heureuse
pour rétablir la sûreté et le respect du pavillon. Vous pouvez vous
ouvrir librement à moi ou à cet officier de tout ce que vous aurez
à me communiquer, et j’en attends l’effet avec la plus vive im-
patience.
Au surplus, comme le sieur Vallière a été flétri, avili, j’ignore
s’il a pu vous déplaire personnellement, mais le traitement même
qu’il a éprouvé le rend incapable d’être chargé désormais des
affaires de la nation, et c’est pour cela que le chevalier de Fabry
vous a été envoyé. Ce Consul ne peut plus rester à Alger avec
honneur, non plus que son Chancelier(1) qui a eu le même sort, et
le sieur de Fabry a ordre de les ramener. J’espère que le premier
soin que vous aurez sera de leur rendre la liberté sans difficulté,
ainsi qu’aux équipages des bâtiments retenus, et de les faire re-
mettre au chevalier de Fabry avec votre réponse.
Elle remplira tous mes vœux, si vous ne faites rien dont Sa
Majesté Impériale ne puisse être satisfaite, et qui ne fasse échouer
les sinistres projets de ceux qui ont pu susciter des démêlés si
forts entre les deux nations. Je n’aurai jamais eu plus à cœur de
vous témoigner en toute occasion que la France s’intéresse réel-
lement à votre Gouvernement, et que je suis plus véritablement
et plus sincèrement que personne du monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
PRASLIN.
____________________
1. Armény de Bénézet.
AVEC LA COUR DE FRANCE 281
ALI, DEY D’ALGER,
AU DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 14 novembre 1763.

Mon illustre et grand ami, si, en vertu de l’amitié qui est


entre nous, vous voulez bien vous informer de ma santé, je vous
dirai que, par la grâce de Dieu, elle est très bonne. Dans le temps
que j’attendais avec impatience de vos nouvelles, la lettre dont
vous m’avez honoré m’a été remise dans un moment heureux par
le chevalier de Fabry, Capitaine des vaisseaux de l’Empereur de
France, notre grand ami(1). Je l’ai lue avec attention, et j’ai par-
faitement bien compris tout ce qu’elle renfermait. Mon illustre,
honoré et très grand ami, les corsaires de l’Empereur de France
ont molesté cette année-ci, en quatre occasions différentes, les
bâtiments d’Alger. A l’occasion des vaisseaux de Maroc, les trois
premières fois que les bâtiments d’Alger ont été inquiétés par les
Français, je me suis contenté, en considération de l’amitié qui est
entre nous, de faire venir chez moi le Consul de France, et, lui
parlant à lui-même, je lui ai recommandé d’instruire fidèlement
la Cour de France de ce qui se passait. Je lui ai dit de représen-
ter que les mauvais traitements que l’on faisait à nos vaisseaux
n’étaient point convenables, et qu’il fallait que la Cour prit des
mesures pour empêcher que cela n’arrivât à l’avenir. Il m’a ré-
pondu vaguement, en me faisant des excuses sur ce qui s’était
passé et en m’alléguant mille prétextes, mais le mal a continué, et
____________________
1. Le chevalier de Fabry arriva en la rade d’Alger sur La Chimère, le 14 novem-
bre 1763, et vint avec M. de Beausset et tous ses officiers saluer le Dey le lendemain.
Ali parut préférer le maintien de, la paix à la rupture qu’on lui fit entrevoir, mais il se
refusa obstinément à consentir au départ du Consul, et l’Envoyé du Roi dut dépêcher
en France une frégate de son escadre pour y prendre de nouveaux ordres. Voy. État des
dépenses du Consul Vallière à l’occasion de l’arrivée dans cette rade des vaisseaux de
l’escadre du chevalier de Fabry, — Lettres de Vallière au duc de Praslin et aux Députés
de Marseille, les 21 novembre, 7 et 16 décembre 1763. (Archives des Affaires étran-
gères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA,
486 de l’Inventaire.)
282 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

le Consul n’a pas fait les démarches qui pouvaient concourir au


bien commun des deux côtés.
La Régence d’Alger et les troupes me portent continuel-
lement des plaintes contre les corsaires de la Cour de France ;
ils disent que les dits corsaires, sans doute par mépris pour les
Algériens, quand ils rencontrent en mer des bâtiments algériens,
font leurs efforts pour les couler à fond, quoique ceux-ci met-
tent leur pavillon et fassent les autres signaux qui sont convenus
entre nous. Ils m’ont aussi représenté que, quand les Capitaines
algériens mettent leur chaloupe en mer pour montrer leur passe-
port et prouver qu’ils sont Algériens, et quand ils veulent exiger
des dits corsaires de la Cour de France de leur faire voir récipro-
quement leur passeport, afin de constater s’ils, sont véritable-
ment Français, alors les dits corsaires tirent de l’artillerie et de la
mousqueterie contre les chaloupes algériennes, dans le dessein
de les couler à fond, et enfin n’ont aucun égard à l’amitié qui est
entre les deux Cours ni ne font aucune attention aux traités de
paix. J’espère que, dorénavant, vous voudrez bien ordonner aux
Capitaines des vaisseaux marchands de s’abstenir de pareilles
démarches, et leur recommander fortement de se conformer au
traité de paix qui est entre nous. Il serait aussi à propos que l’on
établit de nouveaux signaux entre les bâtiments algériens, les
corsaires de la Cour de France et les vaisseaux marchands, afin
que, quand les bâtiments des deux nations se rencontrent, il n’y
ait plus d’équivoque et qu’ils puissent se reconnaître facilement
les uns les autres.
Mon illustre ami, vous m’avez marqué que vous désiriez
que je vous renvoyasse le sieur Vallière, Consul de France, et le
Chancelier(1) ; je ne puis vous renvoyer l’un et l’autre qu’autant
que deux autres personnes viendront les remplacer. Dès que leurs
successeurs seront arrivés à Alger, vous pouvez être sûr que le
sieur Vallière et le Chancelier auront la liberté de Partir. Il n’est
pas possible qu’il n’y ait point de Consul de France à Alger.
____________________
1. Voy p. 280.
AVEC LA COUR DE FRANCE 283

Ceux à qui appartenait la galiote qui a été coulée à fond


viennent continuellement m’importuner et me demander de leur
en rembourser la valeur. Je leur ai répondu que j’en avais écrit à
la Cour de France, et je les ai engagés à avoir patience jusqu’à
la réponse ; la valeur de la dite galiote est de 3 000 sequins. Je
me flatte que vous voudrez bien envoyer ces 3 000 sequins pour
me délivrer de l’embarras où me met leur poursuite; je vous
prie aussi de me renvoyer le nommé Topodji Kout Ogli, qui,
s’étant réfugié d’Espagne en France, a été renvoyé de France en
Espagne.
Écrit le 7 de la lune de Djemazi-el-ewel, l’an de l’hégire
1177, à Alger la bien gardée, et de Jésus-Christ le 14 novembre
1763.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 5 décembre 1763.

LE DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI, DEY D’ALGER.

Versailles, le 16 décembre 1763.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu la lettre d’amitié que vous m’avez écrite en répon-
se à celle que le chevalier de Fabry vous a portée de ma part(1).
Elle m’a causé d’autant plus de joie et de satisfaction que j’ai ap-
pris en même temps par ce Commandant les dispositions où vous
étiez, et celles que vous aviez déjà témoignées en relâchant tous
les Français et les bâtiments qui étaient détenus à Alger. J’espère
que vous avez donné peu après les mêmes ordres pour les comp-
toirs de la Compagnie d’Afrique, rien ne pouvant autoriser ni
laisser subsister ces marques d’hostilité entre deux nations dont
284 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

il importe de rétablir et resserrer solidement la bonne intelligence.


C’est ce que je désire le plus, pour remplir les intentions de l’Em-
pereur, mon Maître, et elles vous sont assez bien connues pour y
prendre une entière confiance, aussitôt que vous vous serez porté
vous-même à des moyens justes et nécessaires dont la tranquillité
et l’honneur des Français dépendent. Je n’insisterai que sur ce
point, dont vos propres réflexions vous feront sentir la nécessité
indispensable, mais avant de vous expliquer les mesures que j’ai
prises pour y réussir entièrement, trouve bon que je vous félicite
d’avoir si heureusement découvert les noirceurs et les perfidies
du Khaznadji, à qui vous avez fait subir le juste supplice qu’il a
mérité(1). J’y ai pris une part sincère, puisque votre sûreté et la
réputation de votre Gouvernement y étaient directement intéres-
sées. Vous avez reconnu dans ses trahisons et ses injustices les
voies odieuses qu’il a employées contre les Français, les entre-
prises et avanies de tout genre qu’ils ont éprouvées pendant son
Ministère, et les faussetés qu’il a employées pour vous tromper
dans les affaires qui les regardaient. A cette preuve évidente et
que Dieu a permise dans une circonstance critique, vous verrez
clairement ce que votre justice doit aux Français pour réparer
tant de vexations et d’impostures, et l’opinion que vous devez
prendre d’eux. Je me flatte que vous n’en serez que plus disposé
à effacer jusqu’au souvenir du mal que ce Khaznadji leur a fait à
couvert de votre autorité, et il me suffit de vous savoir délivré des
embûches d’un aussi méchant homme.
J’ai vu ce que vous me marquez sur le retour du sieur Val-
lière. Les raisons qui ont déterminé son rappel subsistent encore,
mais, puisque vous demandez qu’il reste auprès de vous, j’ai en-
gagé Sa Majesté Impériale à vous satisfaire. Cependant ce Consul
ne peut résider à Alger et reprendre le soin des affaires de France
qu’autant que vous le rétablirez dans le crédit et la considération
____________________
1. Il est plus que probable que l’exécution du Khaznadji eut d’autres causes que
les querelles qu’il nous avait suscitées, mais, fidèle aux traditions de fourberie des Bar-
baresques, Ali n’avait pas hésité à présenter cet événement comme un témoignage de ses
bons sentiments à notre égard.
AVEC LA COUR DE FRANCE 285

où il doit être, et que vous lui accorderez des distinctions capa-


bles de faire oublier le traitement qu’il a reçu. C’est une tache
qui serait incompatible avec les fonctions qu’il doit remplir, et
qui exige que les autres nations ne puissent en donner aucune
mauvaise interprétation.
A l’égard des désordres occasionnés par les corsaires et des
dédommagements qui doivent être réglés, je ne puis que vous
rappeler ma première lettre. C’est un point si important qu’il
ne doit rien y rester d’indécis et d’incertain pour le présent et
pour l’avenir. Je suis charmé que vous pensiez comme moi que
les traités anciens, qui sont le monument durable de la politique
conforme aux intérêts essentiels des deux nations, doivent aussi
servir de base et de titre pour tout arrangement et convention ul-
térieurs. Mais comme cette matière et les affaires respectives qui
sont arrivées demandent des explications qui ne peuvent être ras-
semblées dans cette lettre, Sa Majesté Impériale a chargé expres-
sément le chevalier de Fabry, Commandant de ses vaisseaux, de
traiter et de terminer avec vous sur tous les points. Je lui envoie
par ordre de Sa Majesté Impériale les instructions que ce Com-
mandant doit suivre, et vous pouvez lui donner pleine et entière
créance. Il est revêtu à cet effet des pouvoirs de Sa Majesté Im-
périale, et elle maintiendra ce dont il sera convenu avec vous. J’ai
cru que cette commission et le choix honorable qui a été fait du
chevalier de Fabry vous seraient aussi agréables qu’ils doivent
être avantageux, et j’en attends la plus heureuse issue. Je m’en
repose sur vos sentiments et sur votre équité, et j’ai la plus grande
impatience de savoir qu’il ne reste plus entre nous que des sujets
de satisfaction.
Soyez assuré que la nation française est naturellement atta-
chée à la prospérité de votre Gouvernement, et qu’elle voudrait
pouvoir vous inspirer les mêmes vues pour faire cesser jusqu’au
moindre prétexte des démêlés et griefs qui vont être terminés. De
mon côté j’y contribuerai en tout ce qui sera praticable et en mon
pouvoir, et je vous offre de bon cœur mes services, avec l’envie
286 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de vous marquer efficacement et en toute rencontre la haute


considération avec laquelle je suis plus cordialement et plus par-
faitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
PRASLIN

LE CHEVALIER DE FABRY, COMMANDANT L’ESCADRE DE L’EMPEREUR DE FRANCE,


A ALI, DEY D’ALGER.

A bord du vaisseau-commandant, le 8 janvier 1764.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Vous aurez été informé que j’ai paru plusieurs fois devant
votre rade avec les vaisseaux de l’Empereur, mon Maitre, pour
y attendre le retour de la frégate que j’avais dépêchée en France
pour porter votre lettre, et qui ne m’a joint que depuis deux jours,
attendu les vents contraires qui l’ont retardée(1). Cette frégate
m’a apporté une lettre du Ministre qui doit me servir de créance,
pour terminer tous les différends qu’il peut y avoir entre deux
nations que leur ancienne amitié et des intérêts réciproques doi-
vent réunir pour toujours. Elle vous sera rendue par le sieur Mei-
frund(2).
Je me félicite, très illustre Seigneur, de la commission ho-
norable à laquelle l’Empereur, mon Maitre, a bien voulu me des-
tiner, en me donnant ses pouvoirs pour traiter et agir en son nom
avec vous. J’espère mériter sa confiance et la vôtre, et j’attends
de vos lumières et de votre équité les succès les plus heureux
pour le rétablissement de la bonne intelligence entre les deux
nations.
____________________
1. L’escadre revint mouiller en vue d’Alger le 8 janvier 1764, et fut saluée selon
l’usage de 21 coups de canon.
2. Pierre-Joseph Meifrund, négociant français, qui avait rendu les plus grands
services à Vallière pendant sa détention, et qui devint Chancelier du Consulat le 21 mars
1768.
AVEC LA COUR DE FRANCE 287

Vous savez que j’avais ordre de renvoyer en France le sieur


Vallière avec son Chancelier, et je ne dois pas vous dissimules
que la Cour a été très surprise de ne pas les voir retourner sur la
frégate. La seule chose qui puisse permettre la résidence de ce
Consul à Alger en y continuant ses fonctions, c’est que vous lui
donniez publiquement quelques marques distinguées d’honneur
et de considération capables d’effacer le souvenir du traitement
qu’il a reçu. Permettez-moi de vous faire observer que votre gloi-
re et votre justice y sont intéressées ; sans cela le sieur Vallière
resterait avili aux yeux des étrangers, des gens du pays, de sa pro-
pre nation, et perdrait son crédit auprès de vous s’il était réintégré
dans sa place. D’ailleurs quel autre Français voudrait accepter
cette même place, si celui qui l’occupait n’était réparé ? Pourrais-
je moi-même agir conformément, aux pouvoirs que l’Empereur,
mon Maitre, m’a donnés, et le caractère dont je suis revêtu auprès
de vous pourrait-il, avoir son entier effet, si ce Consul n’était re-
mis avec honneur dans ses fonctions(1) ?
Votre haute sagesse ne vous laissera entrevoir rien que de
juste et de raisonnable dans mes réflexions, et je suis très persua-
dé que cet article ne rencontrera pas plus de difficultés que tous
ceux qui doivent se traiter dans la suite.
Je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait et sincère ami.
FABRY.
____________________
1. Après une captivité de 46 jours, Vallière avait, à force de cadeaux, pu se délivrer
de ses chaînes et il était resté chez lui, attendant la réparation de l’affront qu’il avait reçu.
Il se rendit à bord du vaisseau-commandant pour s’entendre avec le chevalier de Fabry sur
les satisfactions à obtenir, et convint avec lui de faire saluer en sa personne le Consul de Sa
Majesté par cinq coups de canon des batteries algériennes, comme s’il quittait le territoire
de la Régence, puis de se faire saluer de nouveau deux jours après, lorsqu’il reviendrait à
terre, comme s’il s’agissait de recevoir un nouvel agent français. Ce cérémonial fut proposé
par Meifrund et accepté sans difficulté par Ali. Ce dernier « témoigna des regrets de ce qui
s’était passé et du désir qu’il avait de le faire oublier par de bons procédés », et il envoya des
provisions et un fort beau cheval au Commandant de notre escadre. Voy. Relation de ce qui
s’est passé à l’arrivée et pendant le séjour de l’escadre du Roi commandée par le chevalier
de Fabry, par Vallière, le 20 janvier 1764, — Détail circonstancié de la négociation que j’ai
été chargé de faire auprès du Dey d’Alger, par le chevalier de Fabry, le 20 janvier 1764.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives coloniales de la Marine.)
288 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ALI, DEY D’ALGER,


AU DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 17 janvier 1764.

Très illustre et très honoré Vizir de l’Empereur de France,


notre grand ami, après vous avoir donné des assurances de la plus
sincère et de la plus véritable amitié et après, m’être informé de
votre santé, j’ai l’honneur de vous présenter les souhaits que je
forme pour vous. Personne ne désire plus que moi tout ce qui peut
contribuer à votre bonheur. Si, de votre côté, vous jugez à propos
de vous informer de ce qui me regardé, je vous dirai que, jusqu’à
cet instant que je vous écris cette lettre d’amitié, j’ai toujours joui
d’une très bonne santé et que, songeant continuellement à vous,
j’ai fait des vœux pour que la vôtre soit inaltérable et accompa-
gnée de toute la satisfaction imaginable.
Mon très illustre et très sincère ami, il s’était élevé entre
nous quelques difficultés qui avaient été suivies de quelque froi-
deur. La lettre que vous m’avez écrite relativement à. cet objet(1),
et qui avait pour but de les faire cesser, m’est parvenue dans un
temps fortuné et m’a été remise par le chevalier de Fabry. La
paix fait le bonheur des États et est le meilleur ressort du Gou-
vernement, dit le proverbe. C’est pour m’y conformer que j’ai
cru qu’il fallait regarder comme non avenu tout ce qui s’était
passé et le mettre en oubli, et c’est en conséquence de cette réso-
lution qu’en présence de tous les membres de la Régence et du
chevalier de Fabry, j’ai déclaré que l’amitié subsistait toujours
entre nous comme elle avait toujours subsisté par le passé, que
désormais, de part et d’autre, l’on se conformerait aux traités de
paix qui sont entre nous, et que, si quelqu’un osait y contrevenir,
on le châtierait sévèrement. C’est dans le même esprit que j’ai
jugé à propos d’ajouter aux anciens traités quelques articles, qui
contribueront à resserrer et à augmenter l’amitié et l’union qui
____________________
1. Voy. p. 283.
AVEC LA COUR DE FRANCE 289

sont entre nous(1). J’ai de nouveau recommandé très fortement à


tous les corsaires d’Alger non seulement de ne point molester ni
faire aucune insulte aux vaisseaux marchands de la Couronne de
France, mais encore je leur ai ordonné d’avoir pour les Capitai-
nes français toutes les attentions et d’user de tous les procédés
qu’exige l’amitié. Je me flatte que vous voudrez bien donner les
mêmes ordres aux Capitaines des vaisseaux de guerre et des vais-
seaux marchands de la Couronne de France, afin qu’ils aient les
mêmes procédés pour les vaisseaux algériens quand ils les ren-
contreront. Que Dieu Tout-Puissant augmente et redouble l’ami-
tié qui est entre nous ! Ainsi soit-il !
Écrit à Alger, le 13 de la lune de Redjeb, l’an de l’hégire
1177, c’est-à-dire le 17 janvier 1764 de Jésus-Christ.

Mon illustre ami, je vous prie de faire prendre le Capitaine


du vaisseau qui a coulé bas la galiote algérienne et de le punir
comme il faut, afin qu’il serve d’exemple aux autres et les em-
pêche de commettre un pareil excès. Le chevalier de Fabry, que
vous avez envoyé ici, a réussi dans tout ce qu’il a désiré. Je me
flatte que, de votre côté, vous voudrez bien donner la liberté à 15
ou 20 esclaves et les renvoyer ici, en dédommagement de la ga-
liote qui a été coulée à fond ; une pareille générosité de votre part
____________________
1. L’attitude très ferme du chevalier de Fabry et de Vallière avait décidé le Dey à
faire les réparations nécessaires. Il commença par rendre la liberté à tous nos compatrio-
tes, tant à Alger qu’aux Concessions ; il fit donner la bastonnade à 6 Algériens reconnus
coupables de déprédations envers les Français, et convint que « tous les griefs antécédents
entre les deux nations seraient oubliés de part et d’autre, au moyen de quoi le chevalier de
Fabry et le Divan n’auraient plus rien à s’entre-demander ». On renouvela le 16 janvier
1764 l’ancien traité de 1689, et on y ajouta 7 articles nouveaux concernant la rencontre
des bâtiments en mer, la punition des agresseurs en cas de combat et la sécurité des Fran-
çais établis à Alger. L’original de ce traité est aux Archives des Affaires étrangères, Salle
des Traités ; il a été publié dans le Recueil des Traités, par Tétot, n° 973. Le chevalier de
Fabry remit à la voile le 19 janvier, après avoir offert au Dey « Une belle tabatière en or et
une montre de 25 louis » ; il reçut en échange deux lions et deux tigres. Voy. État général
des dépenses faites à Alger à l’occasion de l’escadre du Roi, dépenses de table, présents,
etc., soit 6 771 p., — État des dépenses faites par Armény de Bénézet, Chancelier ayant
l’administration des deniers du commerce, à l’occasion du chevalier de Fabry, soit 873 p.,
— Lettres de Vallière et du chevalier de Fabry au duc de Praslin, les 21, 31 janvier et
290 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

m’éviterait bien des peines et des chagrins de la part des sol-


dats d’Alger, et justifierait dans leur esprit toutes les démarches
que j’ai faites. La Régence en particulier et toutes les troupes en
général en auraient une satisfaction infinie. Je ne demande rien
pour moi, toute mon ambition étant de contenter par là les mem-
bres de la Régence et les troupes, auprès desquelles je suis un
peu honteux à ce sujet. Je ne peux vous exprimer quelle joie et
quelle satisfaction ce serait pour moi, si vous vouliez m’accorder
la grâce de m’envoyer 15 ou 20 esclaves.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 13 février 1764.

LE DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A ALI DEY D’ALGER.

Versailles, le 7 mai 1764.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Le sieur Vallière m’a transmis exactement la lettre que vous
m’avez écrite(1) après avoir conclu avec le chevalier de Fabry,
Commandant des vaisseaux de l’Empereur, mon Maitre, les dif-
férents articles qui doivent ramener entre nous des jours sereins,
marqués au coin de la justice et de la paix, et effacer jusqu’à la
moindre trace des démêlés et des désordres que la Providence
divine fera toujours retomber sur leurs auteurs. Grâce aux senti-
ments qu’elle vous a inspirés comme à moi, nous sommes par-
venus à tout réparer avec une satisfaction réciproque, et, dans le
____________________
9 mars 1764, et du duc de Praslin aux Députés de Marseille, le 20 février 1764. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 81 de l’Inventaire.)
1. Voy. p. 288.
AVEC LA COUR DE FRANCE 291

premier moment de la joie que j’en ai eue, je n’ai rien eu de plus


pressé que de charger le sieur Vallière de vous la témoigner de
ma part. Si j’ai tardé jusqu’à ce jour de mettre à cette décision
le dernier acte qui doit la rendre inaltérable, ce n’a été que pour
pouvoir vous marquer mieux les dispositions de la France à votre
égard. J’ai rendu un compte fidèle à Sa Majesté Impériale des
conventions qui avaient été faites et exécutées de part et d’autre,
et elle a approuvé, agréé et confirmé entièrement tout ce qui a
été traité et accepté par le chevalier de Fabry(1), dans la ferme
confiance où est Sa Majesté qu’en rejetant tout retour sur les ac-
cidents passés, tout concourra désormais à écarter ce qui pourrait
nuire, même dans les plus petits objets, à l’amitié qu’elle désire
voir solidement affermie. Je n’ai point laissé ignorer à Sa Ma-
jesté Impériale ce que vous aviez fait pour en aplanir les voies et
procurer l’heureux succès de la négociation. Les circonstances
lui en ont été agréables. Sa Majesté a accordé généralement la
liberté aux Algériens qui étaient anciennement esclaves dans ses
bagnes ou sur ses galères, et elle a bien voulu user de clémence
et de grandeur d’âme, en brisant leurs chaînes en votre considé-
ration, ce que Sa Majesté Impériale n’avait jamais fait que par un
motif aussi digne d’elle. Ces Algériens sont au nombre de 23, et
elle n’a voulu en priver aucun d’une grâce dont vous devez sentir
le prix. Elle m’a commandé de vous l’assurer. J’ai reçu ses, or-
dres suprêmes pour faire embarquer ces esclaves sur une frégate
que Sa Majesté a fait équiper pour les porter à Alger, où ils vous
seront présentés en son nom, et c’est à leur bouche à publier au
milieu de leurs frères ce qu’ils doivent à la seule magnanimité de
l’Empereur de France.
Sa Majesté Impériale m’a permis d’y ajouter en mon parti-
culier un bijou de prix et quelques étoffes, que je vous prie d’ac-
cepter comme une marque de mon amitié personnelle et que le
sieur Vallière vous remettra de ma part. Puisse cette époque réu-
nir pour toujours les intérêts des deux nations par des services
____________________
1. Voy. la note 1, p. 289.
292 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

mutuels, et être celle de la plus grande prospérité de votre Gou-


vernement ! Je ne saurais vous témoigner sous de plus favorables
auspices tout ce que vous devez attendre des sentiments et de
l’attachement avec lesquels je suis plus cordialement que per-
sonne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
PRASLIN.

ALI, DEY D’ALGER,


AU DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 4 juin 1764.

Au plus illustre et au plus distingué Seigneur de la nation


chrétienne, vous qui êtes le Ministre de l’Empereur de France,
notre grand ami, — Que le Dieu Tout-Puissant vous comble de
ses faveurs ! —
Après vous avoir donné les assurances les plus sincères
d’une amitié pure, je prends la liberté de m’informer de l’état de
votre santé, et je fais en même temps des vœux pour que vous
jouissiez constamment de toute sorte de bonheur et de satisfac-
tions.
Le bijou riche et précieux, les étoffes de drap d’or et les 23
esclaves algériens que vous avez eu la bonté de m’envoyer me
sont parvenus dans un moment heureux pour moi, en même temps
que la lettre d’amitié que vous m’avez écrite et qui m’apprenait
tous ces dons de votre part ; je ne puis trop vous témoigner ma
satisfaction ni vous exprimer ma reconnaissance(1).
____________________
1. La frégate du Roi La Pléyade, commandée par M. de Sade, et le brigantin Le
Rusé, monté par le chevalier de La Brillanne, arrivèrent à Alger le 29 mai 1764, amenant
les esclaves turcs dont le Ministre avait annoncé la remise. « Le Dey riait aux anges en
examinant la boite d’or enrichie de diamants et les trois cafetans de nos plus belles étof-
fes. » Lettre de Vallière au duc de Praslin, le 4 juin 1764.
AVEC LA COUR DE FRANCE 293

Je me flatte que vous ne douterez point de la solidité de


mon amitié; j’espère un pareil retour de votre part, et que vous
voudrez bien continuer à donner vos ordres à vos corsaires, afin
qu’ils n’inquiètent point les vaisseaux algériens.
Écrit le 4 de la lune de Zilhidjé, l’année de l’hégire 1177, et
de Jésus-Christ le 4 juin 1764, à Alger la bien gardée.
(Sceau)
Le pauvre ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 28 juin 1764.

LE DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 8 avril 1766.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Dans le temps que j’attendais le résultat des représentations
que le Consul de France était chargé de faire à Alger sur les objets
les plus essentiels, j’ai appris qu’il a plu à la divine Providence de
retirer de ce monde Baba Ali, ci-devant Dey de cette Régence, et
que vous l’avez heureusement remplacé(1). Le regret que j’ai dû
avoir de cet événement est bien tempéré par le choix qui a été fait
de vous et par la confiance que j’y dois prendre. Les vœux publics
____________________
1. Ali mourut le 2 février 1766 après une courte maladie. Baba Mohammed ben
Osman, alors Khaznadji, avait passé son enfance dans un village de Karamanie, et il
était venu se fixer à Alger pour y vendre des chaussures. Il aimait la fermeté et la jus-
tice, et il parvint à conserver le pouvoir pendant 25 ans, carrière exceptionnelle dans
un État dont le chef électif était sans cesse en butte aux complots des ambitieux et aux
séditions de la Milice. « Je sais, dit-il au Consul, tout ce qu’ont fait les corsaires sous
mon prédécesseur ; je le désapprouve, mais je ne puis y remédier, vu la constitution
du pays. J’ai défendu aux corsaires d’aller sur les côtes de France ; j’ai promis d’être
raide sur cet article, parce que j’en sens les conséquences. » Lettre de Vallière au duc de
Praslin, le 6 février 1766.
294 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

et tous les suffrages qui vous ont unanimement porté au Gouver-


nement, l’estime et la considération universelles, la tranquillité
même qui caractérise l’époque de votre élévation, si flatteuse et
si honorable pour vous, tout m’annonce les éminentes qualités
qui out réuni sur vous la première dignité et confirme les rela-
tions que j’ai eues de votre caractère, de vos lumières et de votre
mérite personnel. C’est avec une véritable satisfaction que j’en
augure les plus heureux effets, et c’est dans ces circonstances et
avec ces sentiments que je vous prie d’agréer les plus sincères
compliments et félicitations. J’y mets d’autant plus d’intérêt que
la France, ayant toujours eu pour maxime de prendre part à la
prospérité du Royaume d’Alger, comme elle l’a montré en toute
rencontre quand elle n’a point eu à s’en plaindre, doit voir renaî-
tre sous votre Gouvernement les dispositions les plus efficaces
et les plus conformes aux siennes pour le maintien de la bonne
intelligence. L’Empereur, mon Maître, qui désire la voir établie
sur des fondements solides et durables, m’a commandé de vous
donner l’assurance de sa très haute bienveillance. Mais comme
il faut aussi que rien ne puisse altérer les rapports qui doivent
plus que jamais exister entre nos deux nations, ils n’échappe-
ront pas à votre sagesse et il me suffit de vous le rappeler. Les
Français sont les plus anciens et les plus constants amis d’Al-
ger ; ce sont peut-être les seuls dont la politique serve naturel-
lement vos intérêts, dont le commerce soit utile et avantageux
en tout point aux Algériens, et dont la puissance et la position
doivent éloigner non seulement tout motif de rupture, mais même
le moindre refroidissement d’amitié. Si l’on n’y a pas assez ré-
pondu dans ces derniers temps, c’est par la faute de l’ancien
Dey et c’est un mal à réparer. La France a toujours scrupuleu-
sement observé les traités, et doit avoir une pleine sûreté à cet
égard de la part des Algériens ; elle leur a fait souvent des sa-
crifices pour le bien de la paix ; jamais ils ne l’ont mieux éprou-
vé que depuis quelques années, et il est bien étrange qu’après
une solennelle entente et des dispositions qui ne se sont point
démenties, les corsaires d’Alger aient encore osé se permettre,
AVEC LA COUR DE FRANCE 295

l’année dernière, toute sorte d’excès envers le pavillon de Sa Ma-


jesté Impériale. Il n’y a rien, en effet, dont Sa Majesté doive être
et soit plus jalouse que l’immunité entière de son pavillon et de
ses côtes, et elle s’attend que les Algériens n’y feront plus aucune
prise en deçà des limites fixées par les traités, et qu’ils traite-
ront les Français aussi bien qu’ils le font eux-mêmes. Le sieur
Vallière, Consul qui réside aujourd’hui auprès de vous, a reçu
des ordres formels et précis pour demander à votre prédécesseur
des satisfactions légitimes. Ses représentations n’ont encore été
suivies d’aucun effet(1). Sa Majesté Impériale en a été surprise,
et lui a ordonné de les renouveler plus fortement. Je compte que
ce Consul vous en aura déjà entretenu, et je me promets de votre
justice que vous voudrez bien l’écouter favorablement et y avoir
égard. Il est essentiel que vous y donniez ordre au plus tôt, et que
vous reteniez par le châtiment les malintentionnés, pour la propre
tranquillité et réputation de votre Gouvernement au dedans et au
dehors, et pour celles des nations amies qui seront toujours en
état de répondre à vos bonnes intentions.
Je recommande le sieur Vallière à vos bontés. J’ai cru de-
voir entrer dans ces explications avec vous sous les auspices les
plus propres à en voir réaliser tous les objets, pour en recueillir de
part et d’autre des fruits salutaires, et elles vous prouveront tout
le désir que j’ai de voir se raffermir la meilleure correspondance.
Je n’aurai pas moins à cœur de vous donner en toute occasion des
témoignages de l’attachement avec lequel je suis plus cordiale-
ment que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
PRASLIN.
____________________
1. Il s’agissait de certaines difficultés relatives à la Compagnie royale d’Afrique,
dont l’habile directeur Martin, MM. Villet et Ramel, chefs des comptoirs de La Calle et
de, Bône, voulaient faire respecter les droits et privilèges. Voy. Relation de ce qui s’est
passé à Alger à la venue du Bey de Constantine, relativement aux affaires de la Compa-
gnie d’Afrique, le 14 mai 1765, — État des prises qui ont été conduites à Alger par les
corsaires de la Régence en 1768, — Lettres de Vallière, au duc de Praslin, les 10 novem-
bre 1764, 3 janvier, 5 et 20 février, 14 mai, 29 octobre et 10 novembre 1765. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
296 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
AU DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 13 mai 1766.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Honoré et estimé Ministre, Vizir élevé de l’Empereur de


France, notre grand ami, qui est le plus glorieux de tous les grands
Princes de la croyance de Jésus-Christ, le plus illustre parmi les
grands et magnifiques de la religion du Messie, — Que Dieu
comble votre fin de toute sorte de bonheur, et qu’il vous montre
le chemin de la vérité ! —
Après vous avoir présenté les saluts qu’exigent l’amitié et
la cordialité et m’être informé de votre santé, je fais les vœux les
plus sincères pour tout ce qui peut contribuer à votre bonheur. Si
l’amitié dont vous voulez bien m’honorer vous engage à savoir
de mes nouvelles, je vous dirai que je jouis de la santé la plus
parfaite, et je désire qu’il en soit de même de la vôtre.
La lettre d’amitié dont vous m’avez honoré(1) m’a été re-
mise, dans un temps heureux, par l’entremise de votre Consul
; je l’ai lue attentivement et j’ai compris tous les points qu’el-
le renfermait. Vous me recommandez d’empêcher les corsaires
algériens de faire la course sur les côtes de France. J’ai prévu
vos intentions, et, bien du temps avant que votre lettre me par-
vint, j’ai défendu très expressément aux corsaires qui sont sortis
de mes ports de croiser sur les côtes de France, et j’ai menacé
de châtier sévèrement, à leur retour, ceux qui contreviendraient
à mes ordres. Vous ne devez point douter que je ne leur fasse
de nouvelles défenses à ce sujet. Je vous prie, en revanche, de
donner des ordres à tous les Capitaines de vos vaisseaux mar-
chands pour se comporter vis-à-vis de nos corsaires, lorsqu’ils les
____________________
1. Voy. p. 293.
AVEC LA COUR DE FRANCE 297

rencontreront, suivant la teneur des traités, mettre leur chaloupe


en mer et montrer leur passeport, et de leur défendre très ex-
pressément de commettre aucune hostilité contre nos vaisseaux,
de tirer du canon ou des fusils, enfin de faire aucune difficulté
de mettre leur chaloupe en mer et d’exhiber leur passeport. Une
démarche pareille de leur part, serait contraire à la teneur de nos
traités. Que le Dieu Tout-Puissant nous préserve l’un et l’autre
de la méchanceté de nos ennemis, et qu’il augmente et resserre
l’étroite amitié qui nous unit ! Ainsi soit-il ! par l’intercession de
Jésus, fils de Marie.
Écrit le 3e jour de la lune de Zilhidjé, l’an de l’hégire 1180, et
de Jésus-Christ dans le mois de mai 1766, à Alger la bien gardée.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 6 juillet 1766.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU DUC DE PRASLIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, juillet 1766.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger la bien gardée.
A Son Excellence le Seigneur duc de Praslin, premier Mi-
nistre, grand et illustre Vizir de Sa Majesté le puissant Roi de
France, le plus grand des Princes chrétiens et le plus illustre des
Chefs de la nation du Messie.
Notre très cher, très fidèle et grand ami, illustre Vizir, —
Que votre fin soit heureuse, et que le Seigneur vous dirige dans
le sentier de la droiture et de l’équité !
Après avoir offert à Votre Excellence l’expression de nos
vœux les plus sincères et les sentiments de l’amitié la plus cor-
diale, nous nous empressons de nous informer de l’état de votre
santé précieuse. Puissiez-vous occuper pendant de longues an-
298 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nées le poste d’honneur, et jouir constamment du bonheur et du


bien-être inaltérables ! Ainsi soit-il ! par respect du nom de Jésus,
fils de Marie.
Mon ancien et illustre ami, étant continuellement dans l’at-
tente de vos bonnes et heureuses nouvelles, nous venons d’ap-
prendre, par l’intermédiaire de votre honorable Consul, le choix
de la personne de Votre Excellence comme premier Ministre
pour la haute direction des affaires publiques(1). Sa Majesté le
Roi a choisi l’homme le plus éminent, le plus sage et le plus di-
gne parmi les hommes remarquables de son Conseil royal pour
lui confier, avec pleins pouvoirs, l’administration des affaires
publiques. Cet événement, qui nous a causé une joie et un plai-
sir parfaits, nous offre l’occasion d’adresser à Votre Excellence
cette lettre de félicitation, avec tous nos souhaits de bonheur et
de prospérité pour votre personne et la longue durée de vos hau-
tes fonctions. Nous faisons des vœux pour que l’amitié sincère,
l’union et la concorde qui existent si heureusement entre nous se
conservent inaltérables, et que les traités de paix, les clauses et
les conventions en vigueur, observées et respectées scrupuleuse-
ment, soient à l’abri de toute atteinte. Votre Excellence connaît la
sincérité de nos intentions et les bons sentiments dont nous som-
mes animé; vos marchands et autres sujets habitant la Régence
peuvent rendre témoignage de la préférence qu’ils ont au-dessus
des autres nations et de la considération dans laquelle nous les
tenons. Puisse se consolider de plus en plus ce lien d’amitié, de
nos traités de paix et de nos conventions ! Ainsi soit-il(2) !
Écrit dans le mois de Safer, l’an 1180, c’est-à-dire en juillet 1766.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.
____________________
1. Le duc de Praslin avait échangé, le 8 avril 1766, le Département de la Marine
contre celui des Affaires étrangères, alors occupé par son cousin, le duc de Choiseul. Ils
furent disgraciés tous deux par Mme Dubarry en 1770.
2. Une escadre du Roi, commandée par le prince de Listenois, Lieutenant général,
était venue le 10 juin à Alger pour se ravitailler, et le Dey lui avait fait le meilleur accueil.
Vallière entretenait d’ailleurs les bonnes dispositions de Mohammed par de généreuses
donatives. Voy. Lettres de Vallière au duc de Choiseul, les 13 juin, 13, 90 et 30 novembre
1766, 30 décembre 1767, — Extraits des délibérations de l’assemblée de la nation fran-
çaise à Alger, le 25 septembre 1764, etc. (Les Archives du Consulat général de France à
Alger; par Devoulx, p. 115 et suiv.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 299
L’ABBÉ TERRAY, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 14 janvier 1771.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, ayant jugé à propos de recevoir
la démission du duc de Praslin, a bien voulu me choisir en même
temps dans le nombre des Ministres qui composent son Conseil
suprême pour me confier le Département de la Marine. Sa Ma-
jesté Impériale m’a ordonné de vous en faire part, en vous re-
nouvelant en cette occasion les assurances de son amitié et de
sa haute bienveillance. Les intentions de Sa Majesté Impériale
ne pouvaient être plus favorables pour conserver la paix et la
meilleure intelligence avec vous ; je m’empresserai toujours d’en
resserrer les liens, bien persuadé que j’y trouverai toujours de
votre part les mêmes dispositions et le même intérêt. Rien ne me
sera plus agréable, dans le cours de mon Ministère, que d’avoir à
vous donner de fréquents témoignages de mon inclination à vous
servir auprès de Sa Majesté Impériale, ainsi que de l’attachement
sincère avec lequel je suis plus que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
TERRAY.
____________________
1. Joseph-Marie Terray, Conseiller au Parlement en 1736, Chef du Conseil du
Prince de Condé, Contrôleur général des finances en 1769. Sa nomination au Départe-
ment de la Marine est du 25 décembre 1770. Il devint, en 1773, Directeur des bâtiments,
jardins, arts, académies et manufactures royales.
300 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
A L’ABBÉ TERRAY, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 14 mars 1771.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger la bien gardée.

Au plus illustre des Seigneurs qui professent la religion du


Messie, le Vizir du puissant et magnifique Empereur de France,
notre sincère et très honorable ami Terray, — que Dieu conserve
et fasse prospérer dans ses entreprises ! — Salut.
Après vous avoir rendu les hommages qu’exige l’amitié qui
nous unit, vous avoir souhaité la vie la plus longue, et avoir in-
voqué pour le maintien de votre santé Jésus, fils de Marie, nous
vous informons, notre cher et ancien ami, qu’étant dans l’impa-
tience de recevoir de votre part des nouvelles agréables relatives
à l’état de votre chère santé, la lettre que vous nous avez écrite(1)
nous a été remise entre les mains par votre honorable Consul, et,
en ayant pris incontinent lecture, nous y avons vu avec satisfac-
tion les témoignages affectueux que vous nous y donnez de votre
amitié, en même temps que vous nous faites part du choix émi-
nent qui vous met à la tête des affaires de la Marine.
Je m’en réjouis en mon particulier, et nous vous souhaitons
dans cette place tout le contentement et le bonheur que vous dé-
sirez. Vous n’ignorez pas l’attention scrupuleuse avec laquelle
nous observons les traités de paix et d’amitié conclus entre nous.
Nous saisissons toutes les occasions de fortifier cette heureuse
harmonie qui règne entre nous, par les effets les plus marqués de
la protection constante que nous donnons à votre nation et par la
____________________
1. Voy. p. 299.
AVEC LA COUR DE FRANCE 301

préférence que nous lui donnons, en toutes rencontres, sur les


autres nations européennes, en la favorisant dans son commerce
et en lui accordant, depuis nombre d’années, toutes les faveurs et
les privilèges qui peuvent coopérer à son bien-être et à ses avan-
tages particuliers(1).
Très cher et illustre ami, vous nous avez marqué dans votre
lettre que, si nous avions quelques prières à faire à l’Empereur
de France, vous vous feriez un plaisir de nous prêter vos bons
offices auprès de lui. Il est superflu d’entrer en aucun détail sur
la guerre présente entre la Russie et la Porte ottomane(2) ; vous
savez ce qui se passe aussi bien que nous. Les Russes se sont ren-
dus maîtres de la mer ; c’est ce qui a obligé quelques négociants
de notre Régence à fréter avantageusement un de vos bâtiments
à Alexandrie pour se rendre à Alger. Se trouvant en route, ils fi-
rent entrer leur bâtiment dans un port, et ils y rencontrèrent une
frégate de guerre et un brigantin de votre nation. Nos marchands
n’osant point se mettre en route, de crainte des Russes, vos Capi-
taines leur conseillèrent de mettre à la voile, mais, quelques jours
après, le bâtiment sur lequel ils étaient, ayant été rencontré par un
vaisseau russe, a été capturé, et ces susdits négociants faits escla-
ves et conduits comme tels à Malte. Rien de pareil n’est encore
arrivé ; ce n’est que sur la parole de vos Capitaines que nos gens
sont sortis du port, ont poursuivi leur route et se sont crus en sû-
reté sous votre pavillon ; nous nous flattons donc que vous ferez
tous vos efforts pour délivrer les susdits marchands de leur escla-
vage, et que vous les renverrez chez nous avec tous les effets qui
leur ont été pris. Vous connaissez plus que personne les usages
de la terre et de la mer, et vous concevez qu’il ne serait ni loua-
ble ni honnête que nous fussions ainsi vexé et molesté, pendant
que nous ne cherchons qu’à cimenter et accroître notre bonne
____________________
1. Le traité des Concessions de 1694 avait été renouvelé par Mohammed le 10
juin 1768, mais l’année précédente, le 23 mai 1767, le Consul et l’agent de la Compagnie
d’Afrique à Alger avaient dû ajouter un article à ce traité, et consentir à payer à l’avenir
un nouveau droit de 2 000 p. tous les 10 ans.
2. L’amiral Orloff venait d’incendier la flotte turque à Tschesmé, vis-à-vis de l’île
de Chio.
302 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

intelligence mutuelle. Tout ceci a été communiqué et expliqué à


votre honorable Consul(1).
Fait et écrit à Alger la bien gardée, résidence des combat-
tants pour la foi, le 27 de la lune de Zilcadé, l’an de l’hégire 1184,
qui répond au 14 mars de l’année de Jésus-Christ 1771.
Traduit par LEGRAND, Secrétaire-interprète du Roi.

M. DE BOYNES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2),


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 14 avril 1771.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maitre, ayant jugé à propos de décharger
le Ministre de ses finances du soin des affaires maritimes, que Sa
Majesté Impériale avait remis par intérim entre ses mains, à la
retraite du duc de Praslin, j’ai reçu ordre de Sa Majesté Impériale
de vous informer amiablement de sa part qu’elle a daigné me
choisir parmi les membres de son Conseil pour me nommer Se-
crétaire d’État au Département de la Marine. Ce changement ne
devant servir qu’à resserrer de plus en plus les liens bien établis,
l’amitié et la bonne intelligence, je vous l’apprends avec d’autant
plus de plaisir qu’en exécutant les commandements suprêmes de
Sa Majesté Impériale, je n’ai à vous annoncer que les disposi-
tions les plus conformes aux avantages d’une paix aussi sincère
qu’inaltérable.
____________________
1. La Cour de France avisa celle de Saint-Pétersbourg des embarras que pouvait
lui susciter la prise de la polacre La Rose. L’amiral Orloff montra un grand esprit de
conciliation ; il offrit sa capture au Roi par l’intermédiaire du Grand Maître de Malte, et
elle fut renvoyée à. Alger avec son équipage et son chargement montant à. 254 000 I.
2. Pierre-Étienne-François Bourgeois de Boynes, ancien Maitre des requêtes, Pro-
cureur général près la Chambre royale, Intendant à. Besançon, Président du Parlement
de Franche-Comté, fut nommé Secrétaire d’État le 8 avril 1771. Voy. sa correspondance
avec les Échevins et Députés de Marseille. (Archives de la Chambre de commerce de
Marseille, S. AA, 89 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 303

Je désire personnellement de pouvoir vous convaincre par


mes services du prix que je mets à votre bienveillance, et de mon
attention à vous donner en tout temps des marques de l’attache-
ment avec lequel je suis plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
BOYNES.

M. DE BOYNES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Compiègne, le 11 août 1773.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Le dérangement de la santé du sieur Vallière ne lui permet-


tant pas de résider davantage à Alger, l’Empereur, mon Maître,
a bien voulu lui accorder l’agrément de se retirer, et une récom-
pense proportionnée à la satisfaction qu’il a de sa conduite et de
ses services(1). Sa Majesté Impériale a nommé en même temps le
sieur Langoisseur de la Vallée(2) pour le remplacer et être pour-
vu du même office de Consul et des mêmes fonctions auprès de
vous. C’est un sujet auquel je m’intéresse personnellement, et
j’espère que vous aurez pour lui les mêmes bontés que vous avez
eues pour le sieur Vallière. Sa Majesté Impériale m’a commandé
____________________
1. Vallière reçut une pension annuelle de 3 500 l. Il venait de négocier officieuse-
ment la paix entre le Danemark et la Régence, après la désastreuse entreprise que l’amiral
de Kaäs avait tentée pour affranchir la Cour de Copenhague de son tribut annuel de 5 000
p. En quittant Alger, il recommanda particulièrement au Ministre Ferrier, son secrétaire,
et le Chancelier Meifrund. Voy. la correspondance de ces agents avec les Députés de
Marseille. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 492-506 de l’In-
ventaire.) — Voy. aussi Lettre de Vallière à M. de Boynes, le 15 octobre 1773 (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Robert-Louis Langoisseur de la Vallée, commis du bureau des Consulats au Dé-
partement de la Marine. Voy. sa correspondance avec les Députés de Marseille. (Archives
de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 477-491 de l’Inventaire.)
304 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de vous faire part de ce changement. Elle se repose trop sur vos


sentiments et sur vos dispositions pour ne pas attendre de vous
que ce nouveau Consul s’en ressentira dans toutes les occasions,
ce qui ne peut manquer de vous amener de plus en plus la haute
bienveillance de Sa Majesté Impériale. Je remplis ses intentions
en vous recommandant le sieur de la Vallée, mais comme il ne
pourra se rendre à sa nouvelle destination que dans quelques
mois, le sieur Vallière restera jusqu’à cette époque chargé des
affaires des Français, et je vous prie de lui donner toujours une
pleine et entière créance en ce qu’il aura à vous dire et représen-
ter. De mon côté, je chercherai dans toutes les occasions à vous
prouver mon zèle et mon attachement, et à vous convaincre par
mes services que je suis plus que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
BOYNES.

M. DE BOYNES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Fontainebleau, le 1er novembre 1773.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Je vous ai fait annoncer par le sieur Vallière le changement
qu’il a plu à l’Empereur, mon Maître, d’agréer pour le Consulat
de France à Alger. C’est à regret que je retire d’auprès de vous
un ancien officier que j’aurais voulu pouvoir y conserver, mais sa
mauvaise santé ne lui permettant plus de séjourner en Barbarie,
je lui ai ménagé en France la tranquillité et la récompense que ses
services ont méritées(1). Il doit y revenir lorsqu’il aura eu l’honneur
de vous présenter son successeur, et qu’il lui aura donné tous les
____________________
1. Voy. la note 1, p. 303.
AVEC LA COUR DE FRANCE 305

renseignements qui pourront diriger sa conduite au gré de mon


Maître et à votre entière satisfaction. J’ai songé en même temps à
le remplacer par un sujet en qui je pusse mettre ma confiance, et
qui pût se concilier la vôtre en remplissant dignement cet emploi.
Je n’ai pu faire un meilleur choix que du sieur de la Vallée, que
Sa Majesté Impériale a bien voulu nommer et établir Consul de
France à Alger sur mon rapport, comme je vous en ai déjà pré-
venu(1). Il a été élevé et formé aux affaires sous mes yeux(2), il est
gendre de mon principal officier, et je lui ai donné la préférence
comme à une personne qui m’est particulièrement attachée, et en
qui j’ai reconnu les sentiments et les qualités les plus propres à
bien remplir sa commission. Je vous le recommande instamment
et vous prie de le recevoir avec amitié. Je reconnaîtrai dans l’ac-
cueil que vous lui ferez celle que vous avez pour moi. Le sieur de
la Vallée sera l’interprète de mes sentiments personnels, et doit
devenir l’instrument d’une constante amitié, fondée sur des ser-
vices et procédés réciproques.
Sa Majesté Impériale m’a commandé de vous faire savoir en
son auguste nom que ce Consul étant chargé de ses pouvoirs pour
tous les intérêts de la nation française en votre pays, vous pouvez
prendre en lui une entière et pleine créance. Sa Majesté Impériale
a bien voulu l’accréditer à ce titre sur cette lettre, que ce Consul
vous présentera à son arrivée. J’espère qu’il vous trouvera dans
des dispositions conformes à celles dont il a ordre de vous as-
surer, pour entretenir la meilleure intelligence entre la France et
vous et la rendre inaltérable. Vous savez qu’elle est fondée sur la
justice. Sa Majesté Impériale, qui ne connaît que les voies droites
et grandes et qui veille partout à l’honneur de son pavillon et à la
sûreté de ses sujets, se persuade que vous voudrez bien maintenir
l’exacte observation des traités et ne rien souffrir qui y donne
atteinte. De ma part je fais des vœux pour que tout contribue à
conserver une union durable entre nous, à écarter tout sujet de
____________________
1. Voy. p. 303.
2. Voy. la-note 2, p. 303.
306 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

plainte et d’inquiétude, et à intéresser toujours Sa Majesté Impé-


riale à la prospérité de votre Gouvernement. Elle m’a permis de
vous assurer de son amitié et de sa haute bienveillance, et je suis
flatté de pouvoir y ajouter avec sincérité les offres réelles de mes
services, et les témoignages de la considération distinguée avec
laquelle je suis très cordialement,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
BOYNES.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A M. DE BOYNES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, novembre 1773.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.
L’honneur des Grands de la religion du Messie, le très ho-
noré, très sincère et très grand ami le Vizir de l’Empereur de
France, — dont la fin soit comblée de toute sorte de biens ! —
Vous avez bien voulu m’apprendre, par une lettre remplie
d’amitié(1), que le sieur Vallière, qui réside depuis longtemps à
Alger en qualité de Consul et qui, par sa prudence, sa sagesse et
sa profonde connaissance dans la science de la politique, était si
propre à concilier les intérêts de la France qui lui étaient confiés
et qui était un indigne médiateur entre vous et moi, avait repré-
senté à l’Empereur de France le dérangement de sa santé, et le
besoin qu’il avait pour la rétablir de respirer l’air natal, et que
Sa Majesté, en considération de ses bons et longs services, avait
daigné lui accorder la grâce qu’il demandait. Vous m’avez fait
part, par la même lettre, que Sa Majesté avait nommé Consul à sa
place le sieur de la Vallée. Vous ne devez pas douter que je ne me
____________________
1. Voy. p. 303 et 304.
AVEC LA COUR DE FRANCE 307

fasse un plaisir de me conformer à tout ce que vous avez décidé


à ce sujet, persuadé que c’est pour le bien. Si ce nouveau Consul
a toute l’expérience et la sagesse que demande la place qu’il va
remplir, et s’il est propre à concilier les intérêts réciproques de
la Cour de France et de cette Régence, il éprouvera de ma part, à
son arrivée ici, toute la considération qu’il mérite, et je me ferai
un plaisir de le favoriser. J’écouterai avec plaisir tout ce qui aura
trait à ce qui peut augmenter la bonne intelligence entre nous et
resserrer les nœuds des traités, et je lui accorderai encore plus de
faveurs qu’à son prédécesseur(1). Je renouvelle ici mes vœux pour
que vous jouissiez toujours d’un bonheur constant et inaltérable.
Je ne vous parle point du sieur Vallière, qui vous présentera cette
lettre ; vous connaissez mieux que moi ses bonnes qualités et les
services essentiels qu’il a rendus depuis qu’il est ici. Je désire
que l’amitié et la bonne intelligence augmentent de jour en jour
entre nous, et que j’aie l’occasion de vous donner des preuves de
la pureté de mes intentions et de mon dévouement.
Écrit l’an 1773, à Alger la bien gardée, dans le mois de
Chaban, 1187.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 19 décembre 1773.

LOUIS XVI
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 12 mai 1774.

Illustre et magnifique Seigneur,


Dieu vient d’appeler à. lui notre très honoré Seigneur et aïeul
Louis XV, Empereur de France, de glorieuse mémoire. Il nous
____________________
1. Ce nouveau Consul arriva à Alger le 1er décembre 1773 sur la frégate La Sul-
tane, commandée par M. de Taulanne, et y reçut « l’accueil le plus affectueux et le plus
distingué que l’on pût désirer ». Voy. Lettre de Vallière à M. de Boynes, le 8 décembre
1773. — Voy. aussi Note des présents à distribués par M. Langoisseur de la Vallée, lors
de son arrivée à Alger. L’état ne désigne pas moins de 92 personnes, et le total s’élève à
16 591 l. 7 s. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
308 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

serait impossible de vous exprimer la douleur et l’affliction où nous


a jeté un coup aussi affreux qu’inattendu. Ce Prince a succombé
avant-hier(1), à la suite d’une maladie cruelle ; la Providence nous
a enlevé et à ses peuples le plus tendre des pères et le meilleur
des Empereurs, et les étrangers perdent un ami de l’humanité, un
allié fidèle et sincère. Nous connaissons trop les sentiments qu’il
vous avait inspirés pour n’être pas assuré que vous donnerez des
regrets à la mémoire de cet auguste Monarque. Le droit de notre
naissance et les lois fondamentales de l’Empire de France nous
ont appelé au trône de nos ancêtres, et nous avons pris les rênes de
l’Empire français au milieu des acclamations de nos peuples, qui
nous ont donné les marques les plus vraies de leur respect et de
leur amour pour notre personne sacrée. Dieu, qui lit dans tous les
cœurs, est témoin que nous n’avons d’autre désir que de marcher
sur les traces de notre auguste aïeul ; la droiture et la justice seront
toujours lé fondement et le lien de l’attachement de nos sujets
comme de l’amitié des nations étrangères.
Nous confirmons d’autant plus volontiers les traités qui
existent entre la France et la Régence d’Alger que nous sommes
convaincu que vous en remplirez fidèlement les conditions, et
que vous rendrez à notre Couronne impériale et à nos sujets tout
ce qui peut affermir de plus en plus la paix, l’amitié et la corres-
pondance la mieux établie. C’est dans cette confiance que nous
avons voulu vous assurer nous-même de notre affection et de
notre haute bienveillance.
Nous envoyons nos pleins pouvoirs au sieur de la Vallée, que
nous confirmons dans sa place de Consul et de Chargé de nos affai-
res auprès de vous(2). Nous lui donnons ordre de vous présenter cette
lettre, et nous vous requérons d’ajouter entière foi et créance à tout
ce qu’il vous dira en notre nom. Sur ce nous prions Dieu qu’il vous
ait, illustre et magnifique Seigneur, en sa sainte et digne garde.
Écrit en notre château impérial de Versailles, le 12 mai 1774.
Louis.
____________________
1. Le 10 mai 1774.
2. Voy. Lettre de M. de Boyau d de la Vallée, le 12 mai 1774, contenant des ins-
tructions spéciales au sujet de l’avènement du nouveau Roi.
AVEC LA COUR DE FRANCE 309
M. DE BOYNES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 12 mai 1774.

Très illustre et magnifique Seigneur,


C’est du sein de la douleur la plus profonde et au milieu des
larmes de tous les Français que je vous apprends la mort de l’Em-
pereur de France, Louis XV, mon très honoré Seigneur et Maitre,
et l’avènement à la Couronne de son auguste petit-fils, Louis,
Dauphin de France, qui a pris les rênes du Gouvernement selon
les droits de sa naissance et à la satisfaction entière de ses sujets.
Ses qualités personnelles et ses hautes vertus sont du présage le
plus heureux.
Je désire de n’être jamais auprès de Sa Majesté Impériale
que l’interprète de votre attachement envers la France et l’organe
de sa haute bienveillance, dont je chercherai toujours à vous as-
surer les marques. C’est tout ce qu’il m’est permis d’ajouter, par
respect pour les nobles caractères de Sa Majesté Impériale, dont
je vous remets la lettre comme le signe et le sceau d’une bonne
correspondance, dont il ne tiendra qu’à vous de rendre les liens
durables et les effets heureux.
Je suis cordialement et plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
BOYNES.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XVI.

Alger, le 24 mai 1774.

Sous le règne de l’illustre et magnifique Empereur qui, par


l’assistance divine, occupe le premier trône du monde, qui main-
310 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

tient par sa puissance et son autorité l’équilibre dans les affaires


des peuples, qui protège les pays soumis à son Empire contre
la tyrannie et l’oppression, qui fait disparaître tout ce qui pour-
rait exciter parmi les sujets un esprit de discorde et d’animosité,
qui contient dans le devoir et l’obéissance les différents peuples
qu’il gouverne, l’ombre de Dieu qui s’étend sur tous ses sujets,
Maître d’un des plus grands Empires de la terre, égal en majesté
à Alexandre et en puissance à Salomon, dominateur des deux ter-
res et des deux mers, le Sultan, fils de Sultan, père de la bienfai-
sance, Abd-ul-hamid. — Que Dieu perpétue son règne et assure
son trône jusqu’à la consommation des siècles !
Celui qui se fait honneur d’être attaché au service de l’Étrier
impérial, son très fidèle et très soumis serviteur et sujet Moham-
med, actuellement Dey et Commandant d’Alger, — dont Dieu
veuille exaucer les vœux conformément aux vues de sa divine
Providence ! — écrit cette lettre d’amitié pour être présentée au
magnifique et puissant Empereur de France, son haut et illustre
ami, ainsi qu’il suit :

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger la bien gardée.

Le plus grand et le plus magnifique Souverain parmi ceux


qui professent la religion du Messie, très honorable et très puis-
sant Prince, sincère et haut ami, l’Empereur de France Louis,
— dont Dieu veuille diriger les pas et couronner les entreprises
du succès le plus heureux ! —
Après avoir présenté à votre haute dignité le tribut de mes
hommages et des vœux que je forme pour la conservation de vo-
tre illustre personne, je l’informerai que, le 24 du mois de Mai,
j’ai reçu la touchante lettre que vous m’avez écrite en date du 12
du même mois(1). J’y ai lu avec reconnaissance les témoignages
sincères que vous me donnez de votre haute amitié, et le détail
____________________
1. Voy. p. 307.
AVEC LA COUR DE FRANCE 311

affligeant de la cruelle maladie qui si subitement vous a enlevé


de ce monde l’Empereur, votre illustre grand-père. J’ai, ainsi que
ma nation, pris part à votre affliction. Vous savez, sincère et haut
ami, que la mort est un tribut que tout être vivant doit payer à la
nature, et cette considération doit suspendre des regrets qui ne
peuvent faire changer les décrets de la Providence.
Je m’arrête à un article de votre lettre bien intéressant pour
moi, c’est la notification, que me fait votre haute amitié, de votre
avènement au trône impérial de France. Veuille la Providence bé-
nir votre règne et le rendre long et heureux, non seulement pour
le bonheur et la satisfaction des peuples qui Vous sont soumis,
mais encore pour le bien de vos amis et alliés ! Ceux-ci verront
avec plaisir que, marchant sur les traces de votre illustre grand-
père, vous vous appliquerez à faire régner et fleurir la justice et
l’équité dans vos États par la sagesse de votre administration ;
c’est le seul moyen d’engager vos sujets et même les étrangers à
faire des vœux pour votre conservation et pour votre prospérité
pendant un long règne.
Mon très illustre et haut ami, il est de notre intérêt commun
que nos deux nations vivent ensemble dans la plus parfaite union,
et nous parviendrons à ce but en observant respectivement, avec
exactitude, les conditions des traités de paix et d’alliance qui sub-
sistent entre nous. Je ne négligerai rien de ce qui pourra concou-
rir à cimenter la bonne intelligence qui règne entre nous, par la
justice que je rendrai et la protection que j’accorderai à vos su-
jets négociants, Capitaines et autres, dans toutes les affaires pour
lesquelles ils s’adresseront à moi, et par les égards de préférence
que j’aurai pour votre Consul auprès de moi et pour eux; soyez
persuadé de mes bonnes dispositions à cet égard(1).
Fait et écrit le 24 du mois de mai, l’an 1774, à Alger la bien
gardée, place de guerre.
Traduit par LEGRAND, Secrétaire-interprète du Roi.
____________________
1. Voy. Lettres de M. Boynes à de la Vallée, les 31 janvier et 21 mars 1774, — Let-
tre de la Vallée à M. de Boynes le 4 mars 1774.
312 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
A M. DE BOYNES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 24 mai 1774.

Sous le règne de l’illustre et magnifique Empereur qui, par


l’assistance divine, se trouve être assis sur le premier trône du
monde, dont la puissance et l’autorité maintiennent l’équilibre
dans les affaires des peuples, qui protège les pays soumis à son
Empire de toute tyrannie et oppression, et qui fait disparaître jus-
qu’aux vestiges de la vexation et de ce qui peut faire naître toute
espèce d’animosité et de discorde, qui retient dans le devoir les
différents peuples qui lui sont soumis, l’ombre de Dieu étendue
sur ses sujets, le Maître d’un des plus grands Empires de la terre,
ressemblant par sa majesté à Alexandre et par sa puissance à Sa-
lomon, dominateur des deux terres et des deux mers, le Sultan,
fils de Sultan, père de la bienfaisance, le victorieux Abd-ul-ha-
mid. — Que Dieu perpétue son règne et assure son trône jusqu’à
la consommation des siècles ! —
Celui qui se fait honneur d’être son substitut dans le service
de Sa Majesté Impériale, son très soumis serviteur Mohammed,
actuellement Dey et Commandant d’Alger, — que Dieu veuille
faire prospérer ! — écrit cette lettre d’amitié à l’illustre Vizir de
l’Empereur de France, ainsi qu’il suit :

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger la bien gardée.

Le plus illustre Seigneur entre ceux qui professent la religion


du Messie, très honoré et haut ami, Seigneur Bourgeois de Boy-
nes, Vizir de l’Empereur de France, — Que Dieu dirige vos pas et
accorde le succès le plus heureux à toutes vos entreprises ! —
Après ces souhaits que la sincère amitié que j’ai pour vous
m’ont dictés, je demanderai des nouvelles de votre santé, au bon
AVEC LA COUR DE FRANCE 313

état de laquelle je m’intéresse bien sincèrement, après quoi j’in-


formerai votre haute amitié que, par l’entremise de la noble per-
sonne que vous avez commise pour me remettre les lettres dont
elle était chargée, j’ai reçu vers la fin du mois de mai celle que
vous m’avez écrite, en date du 12 du même mois(1), qui contenait
les témoignages de votre sincère amitié et les regrets les plus
touchants sur la perte que vous veniez de faire de l’Empereur de
France, votre Maître. Le détail que vous me donnez de sa mala-
die, de l’inutilité des remèdes qu’on lui a administrés et enfin de
son passage à une autre vie m’a touché et m’a fait adorer les se-
crets jugements de Dieu. J’ai lu de suite la notification que vous
me faites de l’avènement au trône du fils aîné du fils unique du
feu Empereur, et de la satisfaction que témoignent les peuples,
qui se promettent les plus grandes douceurs sous un jeune Mo-
narque dont le caractère est la bienfaisance. Un si doux espoir est
bien capable de suspendre leurs regrets sur la perte du feu Roi.
En effet nous sommes à Dieu, et nous devons nécessairement par
la mort retourner à lui(2) ; c’est un tribut qu’on doit payer à la na-
ture, nul être vivant n’en est exempt, et cette réflexion a dû faire
évanouir les regrets de la nation en voyant un nouvel Empereur
qui s’annonce si bien en sa faveur. Enfin, mon très honoré et très
haut ami, je souhaite que l’Empereur Louis fasse les délices de ses
sujets, que son règne soit long, heureux et distingué par les actes
de sa bienfaisance et de son équité, par son attention à procurer la
sûreté et la tranquillité à ses sujets, et surtout à administrer avec
la plus grande droiture les différentes affaires qui seront portées
au tribunal de sa justice impériale. Puissiez-vous ne recevoir de
lui que des témoignages de sa bonté et de sa clémence! Je me
flatte qu’éclairé par votre Ministère, l’Empereur, votre Maître,
ne négligera aucun des moyens qui pourront concourir à main-
tenir l’observation des traités de paix, et à consolider les pactes
d’amitié et de bonne intelligence qui subsistent entre notre nation
et la vôtre. Rien ne pourra altérer la bonne harmonie qui règne
____________________
1. Voy. p. 309.
2. Passage de l’Alcoran.
314 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

entre nous, en faisant droit à un chacun dans les affaires qui pour-
ront survenir. Vous pouvez être persuadé que, de mon côté, je
serai très attentif à observer les conditions de nos traités mutuels,
et à faire ressentir les effets de ma bonne volonté au noble Consul
et aux négociants et autres de votre nation, en les traitant favora-
blement et en les protégeant dans les affaires pour lesquelles ils
auront recours à nous.
Fait et écrit le 24 de mai, l’an 1774, à Alger la bien gardée,
place de guerre.
Traduit par LEGRAND, Secrétaire-interprète du Roi.

LE BARON TURGOT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 23 juillet 1774.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maitre, en faisant de nouvelles dispo-
sitions dans le Département des Ministres qui composent son
Conseil suprême, a daigné me confier le gouvernement des affai-
res de la mer, dont M. Bourgeois de Boynes était chargé. Sa Ma-
jesté Impériale m’a commandé de vous le faire savoir, et comme
ce changement n’en doit apporter aucun à la correspondance que
je continuerai de tenir avec vous, je m’applaudis qu’elle soit éta-
blie sur les fondements solides d’un intérêt et d’une amitié réci-
proques entre vous et les Français. Je me repose sur les assuran-
ces qui ont été données de votre part à mon prédécesseur, pour
l’exacte observation des traités d’où dépendent les droits, de la
bannière et de la nation françaises, inséparables de la tranquilité
____________________
1. Anne-Robert-Jacques Turgot, baron de l’Aulne, ancien Maitre des requêtes,
puis Intendant de la généralité de Limoges. Sa nomination au Ministère de la Marine est
du 20 juillet 1774. Il fut appelé un mois plus tard aux fonctions de Contrôleur général des
finances.
AVEC LA COUR DE FRANCE 315

et des avantages des pays que vous gouvernez. Mes dispositions


sont droites et sincères ; les ordres supérieurs que j’ai reçus aux
pieds du trône me font un devoir de suivre avec le plus grand soin
les affaires qui intéressent, à Alger, les sujets de Sa Majesté Im-
périale. J’ai trop grande opinion de vous pour croire que vous ne
sortirez jamais des voies de la vérité et de la justice, et je vous prie
d’être bien assuré que je ne désire que de cimenter de plus en plus
l’harmonie et la bonne intelligence qui subsistent heureusement.
Sa Majesté Impériale a bien voulu m’autoriser à vous renouveler
en son auguste nom les témoignages de sa bienveillance, et s’il
m’est permis d’y ajouter les vœux que je fais pour la prospérité
de vôtre Gouvernement, je me flatte que vous verrez aussi avec
plaisir l’offre de mes services comme l’expression amiable des
sentiments distingués avec lesquels je suis plus cordialement que
personne du monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
TURGOT.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU BARON TURGOT, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, août 1174.


(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Au plus illustre des Seigneurs qui professent la religion du


Messie, notre haut et très honoré ami le Seigneur Turgot, Vizir
et Ministre intime du puissant Empereur de France, — que Dieu
veuille combler de toutes sortes de prospérités ! — Salut.
Après avoir demandé des nouvelles de votre santé et vous
avoir exposé les vœux que j’adresse à l’Être suprême pour votre
conservation, en même temps que les sentiments qui m’attachent
316 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

à vous, je vous informerai que, vers les derniers jours du mois de


juillet, votre lettre, pleine des témoignages de votre amitié, m’est
parvenue sous les plus heureux auspices(1). Elle m’a été remise
par votre Consul qui réside en ce pays(2), et, après en avoir fait
lecture, j’ai considéré que les grands Rois, au commencement de
leur règne, jetaient des regards attentifs sur les grands et les petits
et que, pour gouverner les peuples avec justice et équité, ils em-
ployaient toute leur sagacité à distinguer les différents mérites et
talents d’un chacun pour faire choix des plus éclairés et des plus
habiles, afin de leur confier une partie de leur autorité et pour
les aider dans le détail des affaires de leur Royaume. J’ai donc
vu avec la plus grande satisfaction que l’Empereur de France,
ayant connu votre mérite, vous avait élevé à la charge de Vizir,
en confiant à votre habileté et à votre sagesse les intérêts des
nations. Cet événement, dont vous me faites part, m’a rempli de
joie. Veuille la bonté divine bénir toutes vos opérations, et leur
donner un tel succès que ceux qui auront affaire à vous, amis
et alliés, y trouvent un sujet de satisfaction et de contentement
conforme aux vœux qu’ils font pour vous !
Vous savez que, depuis un temps immémorial, notre Ré-
gence est amie et alliée de votre Cour, et que nous nous attachons
scrupuleusement à observer les articles et conditions des traités de
paix et d’union faits entre nous et l’Empereur de France. Comme
Chef de la République, je ne négligerai rien de tout ce qui pourra
concourir à cimenter l’amitié et la bonne harmonie qui règnent
entre votre nation et la nôtre; je maintiendrai constamment les
Français établis en ce pays, et tous autres de votre nation que leurs
affaires y amènent, dans les prérogatives et privilèges dont ils ont
toujours joui jusqu’à présent, avec tous les égards et la préférence
qui leur ont été accordés au-dessus de toutes les autres nations euro-
péennes, persuadé comme je le suis que, dans les affaires qui nous
intéresseront, vous nous donnerez des preuves de votre amitié,
____________________
1. Voy. p. 314.
2. Langoisseur de la Vallée.
AVEC LA COUR DE FRANCE 317

en ne permettant pas qu’il soit rien fait de contraire aux traités


conclus entre nous(1). Votre administration contribuera sans doute
à cimenter et à accroître les avantages qui devront résulter de cet-
te union et bonne intelligence. Je finis en vous souhaitant, avec
une longue vie, le bonheur le plus constant.
Fait et écrit vers le milieu du mois d’août, l’an de Jésus-
Christ 1774, à Alger, la Ville des soldats vrais croyants.

LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2),


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Compiègne, le 25 août 1774.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, vient de me charger du Gouver-
nement des affaires de la mer, à la place de M. le baron Turgot
que Sa Majesté Impériale a revêtu d’une autre dignité. Elle m’a
si fortement recommandé l’honneur et la liberté de son pavillon
qu’en vous notifiant un événement qui doit me mettre en relations
avec vous, je dois aussi vous faire connaître mes véritables sen-
timents. Ils se rapportent essentiellement à la dignité de la Cou-
ronne et à la sûreté des sujets de l’Empire autant qu’au bien de
la paix et au maintien de la bonne intelligence. Je connais assez
les qualités et les dispositions qui vous distinguent pour m’as-
surer que nos intérêts respectifs deviendront plus indissolubles
sous votre Gouvernement, et la tranquillité plus durable et hors
d’atteinte. C’est ce que je désire le plus, et rien ne me sera plus
agréable que de pouvoir vous donner, au milieu d’une satisfac-
tion entière et réciproque, des marques de ma haute considération
____________________
1. Voy. Lettre de de la Vallée à M. de Boynes, le 11 juillet 1774, relative à la
conduite des Algériens à notre égard.
2. Antoine-Raymond-Jean-Gualbert-Gabriel de Sartine, successivement Conseiller
au Châtelet, Lieutenant criminel et Lieutenant général de la police, fut mis à la tête du
Ministère de la Marine le 24 août 1774.
318 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pour votre personne. Permettez-moi de vous présenter l’offre de


mes services comme l’expression amiable des sentiments dis-
tingués avec lesquels je suis plus cordialement que personne du
monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 22 octobre 1714.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

A Son Excellence le, comte de Sartine, premier Ministre et


Grand Vizir du très puissant et très fidèle Roi de France, le plus
grand des Princes chrétiens et le plus illustre des Chefs de la na-
tion du Messie.

Notre très cher, très fidèle et grand ami, — Que votre fin
soit heureuse, et que le Seigneur vous dirige dans le sentier de la
droiture et de l’équité ! — Nous vous offrons les perles des priè-
res et les vœux les plus sublimes, nous nous empressons de nous
informer de l’état de votre santé précieuse, et nous formons des
vœux pour la longue durée de Votre Excellence dans ses hautes
fonctions, son bonheur et son bien-être inaltérables. Ainsi soit-
il ! par respect du nom de Jésus, fils de Marie.
Mon très fidèle, très grand et ancien ami, illustre Vizir, pen-
dant que nous étions dans l’attente de vos bonnes nouvelles, une
lettre en date du 25 août, dont Votre Excellence a bien voulu nous
honorer et dont nous sommes infiniment reconnaissant, nous est
AVEC LA COUR DE FRANCE 319

parvenue par l’intermédiaire de votre honorable Consul(1). A


la lecture de cette missive, pleine d’expressions bienveillantes,
nous avons connu l’élévation de Votre Excellence au poste de
premier Ministre, à la place de l’honorable baron Turgot, appelé
à d’autres fonctions. Le mérite et la haute valeur de Votre Excel-
lence, bien connus de tout le monde, l’ont désignée à cette charge
sublime pour diriger les affaires publiques, et Sa Majesté le Roi
de France, votre Souverain, vous a choisi parmi vos collègues et
vous a confié en particulier le Ministère de la Marine. Nous vous
félicitons de cette nomination et nous vous souhaitons un heu-
reux succès dans toutes vos entreprises, avec la joie et la satisfac-
tion dans le devoir accompli. Nous souhaitons pour nous autres
en particulier le redoublement d’amitié et de sincère attachement
que cet événement ne manquera pas de produire ; il resserrera et
consolidera nos bons rapports de façon à faire envie aux autres
nations. Depuis les temps anciens, l’amitié et la concorde qui
règnent entre les deux nations étant solidement établies et ayant
une préférence marquée sur celles des autres pays, il est hors de
doute que nous nous appliquerons à l’avenir, d’une façon tou-
te particulière, à développer nos relations amicales avec notre
auguste ami le Roi de France, et à favoriser la sécurité et l’intérêt
commercial de tous les négociants et voyageurs qui se trouveront
dans les pays de notre domination continentale ou maritime. Les
traités de paix, les Capitulations et les conventions contractés en-
tre les deux pays étant toujours en vigueur, on s’attachera sans
doute de part et d’autre à leur stricte observation, et à assurer par
là la plus durable et la plus parfaite harmonie. Puissions-nous
toujours marcher dans le chemin droit de la justice et de l’équité !
Nous souhaitons à Votre Excellence de longs jours et un bonheur
constant.
Écrit le 22 octobre 1774, à Alger la bien gardée, asile de la
guerre sainte.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.
____________________
1. Voy. p. 317.
320 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 26 juin 1775.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

A notre très cher, très fidèle et très grand ami, illustre Vizir
du très puissant et très sincère Roi de France, le plus grand parmi
les Princes chrétiens et le plus illustre des Chefs de la nation du
Messie. — Puissiez-vous avoir une fin heureuse, et être dirigé
dans le chemin de la justice et de la droiture
Après avoir offert à Votre Excellence les perles de nos priè-
res et l’expression de nos vœux sublimes, nous nous empressons
de nous informer affectueusement de l’état de sa santé précieuse,
et nous formons des vœux pour qu’elle puisse demeurer de lon-
gues années dans le poste d’honneur. Ainsi soit-il ! par respect de
Jésus, fils de Marie.
Mon illustre, très cher et très grand ami, voici quel a été le
motif de cette lettre d’amitié que j’adresse à Votre Excellence : il
est évident que l’amitié et les liens de fidélité et d’attachement entre
la France et la Régence d’Alger sont supérieurs à ceux des autres
nations, et nous avons été témoin, plusieurs fois, que vous avez
arrangé et accompli suivant nos désirs les affaires pour lesquelles
nous avions eu recours à vous ; de là nos relations sont devenues
plus étroites et nos rapports plus amicaux. Ainsi, nous vous avons
demandé un fondeur de canons très habile dans son métier et
vous nous l’avez envoyé(1), mais il est mort, et, comme nous vous
l’avons fait savoir, vous nous avez envoyé sans retard le fils du
susdit fondeur, très expert également dans son métier(2). Il a donc
____________________
1. Le mettre-fondeur Dupont.
2. Dupont fils était alors à la tête de la fonderie de Rochefort. C’est lui qui coula
les belles pièces qui se trouvent à l’hôtel des Invalides depuis la conquête de 1830. Le prix
AVEC LA COUR DE FRANCE 321

travaillé avec zèle et ardeur, et, grâce à Dieu, il a mené l’ouvrage


à bonne fin et a terminé les canons commandés, les ayant fondus
suivant le nombre et les qualités demandés. Nous avons satisfait
en tout point aux désirs du susdit et il nous a demandé la permis-
sion de s’en retourner en France. C’est pour remercier chaleu-
reusement Votre Excellence de tous ces bons procédés que nous
avons écrit cette lettre.
Mon très cher et très sincère ami, votre bienveillance et vo-
tre faveur à nous seconder ainsi dans nos affaires serviront sans
aucun doute à augmenter et à consolider notre amitié et notre
attachement de part et d’autre ; les liens qui nous unissent, les
traités de paix et conventions et les stipulations seront toujours
en vigueur et bien observés. En marchant dans le chemin de la
justice et de l’équité de part et d’autre, nos rapports ne peuvent
devenir que meilleurs. Nous le souhaitons, et désirons également
pour Votre Excellence le succès et l’accomplissement des affai-
res publiques de terre et de mer. Ainsi soit-il !
Écrit le 27 de Rebi-el-aker, l’an de l’hégire 1189, c’est-à-
dire le 26 juin 1775, à Alger, centre de la guerre sainte.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

LOUIS XVI
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 6 août 1115.

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous vous informons avec plaisir que Madame la comtesse
d’Artois(1), notre très chère et bien aimée belle-sœur, vient d’ac-
____________________
convenu entre lui et Baba Mohammed, pour l’établissement d’une nouvelle fonderie et la
fabrication d’un certain nombre de pièces d’artillerie, fut de 3 000 sequins algériens (28
687 I. 10 s.). Voy. Mémoire du sieur Vallière sur la fonderie d’Alger, le 6 février 1772, —
Lettres de Vallière à M. de Boynes, les 6 février 1772, 31 août, 27 octobre et 8 décembre
1773, — Lettres de M. de Boynes à Vallière, le 5 juin 1774, et de de la Vallée au comte de
Sartine, le 26 juin 1775. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
1. Marie-Thérèse de Savoie. On sait que le comte d’Artois, petit-fils de Louis XV,
devint plus tard Charles X.
322 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

coucher heureusement d’un Prince que nous avons nommé le


duc d’Angoulême(1). Après avoir remercié l’Être Tout-Puissant
de cette faveur, nous n’avons rien de plus pressé que d’en faire
part aux Princes nos amis et alliés. Nous comptons trop sur les
sentiments qui nous lient à votre personne pour ne pas être assuré
que vous apprendrez avec satisfaction un événement qui nous a
rempli de joie. Vous devez être bien persuadé que nous prendrons
toujours beaucoup de part à tout ce qui vous arrivera d’heureux.
Nous ferons des vœux pour votre prospérité, et nous prierons
Dieu, illustre et magnifique Seigneur, qu’il vous ait en sa sainte
et digne garde.
Fait au château impérial de Versailles, le 6 août 1775.
Louis.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XVI.

Alger, le 2 septembre 1115.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey d’Alger la bien gardée.

Au très illustre et très magnifique Empereur de France, le


plus grand des Princes qui professent la religion du Messie, notre
haut et puissant ami, Salut.
Après nous être informé de l’état de votre santé, pour la
conservation de laquelle nous formons les vœux les plus sincères
et les plus constants, et après vous avoir exposé ceux que nous y
joignons pour la durée et la prospérité de votre règne, nous nous
empressons de vous témoigner la joie que nous avons ressentie,
lorsque votre Consul nous a remis de votre part la lettre pleine
____________________
1. Il épousa en 1799 la fille de Louis XVI, Marie-Thérèse-Charlotte, sa cousine.
AVEC LA COUR DE FRANCE 323

d’amitié que vous nous avez écrite, en date du 6 août dernier(1). La


nouvelle agréable et intéressante que vous avez bien voulu nous
donner que votre illustre frère, le comte d’Artois, était devenu
père d’un fils que vous avez nommé duc d’Angoulême, nous a
causé la plus grande satisfaction. Votre amitié pour nous, et celle
qui nous unit depuis si longtemps à votre Couronne, exigent de
nous que nous prenions la part la plus sincère aux événements
qui peuvent concourir à votre satisfaction. Nous souhaitons au
Prince nouveau-né les jours les plus longs et les plus heureux,
et, pour que notre joie soit complète, nous unissons nos vœux à
ceux de votre peuple pour que le Ciel vous soit propice, en vous
accordant des enfants qui marchent sur vos traces et qui soient
dignes de vous. Puissent nos vœux être exaucés par l’assistance
de Jésus, de Marie et de l’ange Gabriel ! Ainsi soit-il !
Très illustre et très puissant Empereur, très haut et ancien
ami, vous n’ignorez pas qu’en vertu des traités et de l’amitié qui
nous unissent, votre nation et vos sujets jouissent chez nous d’un
degré d’estime et de considération que nous n’accordons pas à
nos autres alliés. Nous n’avons pas lieu de nous plaindre de cette
déférence envers vous, par le zèle et l’empressement avec lequel
vous nous servez dans les affaires les plus difficiles et les plus
épineuses ; c’est ce qui doit nécessairement nous porter à culti-
ver l’amitié et la bonne intelligence qui règnent entre nos deux
nations. Aussi sommes-nous disposé à exécuter ponctuellement
les articles des traités conclus entre nous, dans tous les cas qui
se présenteront et dans toutes les affaires où l’équité n’aura point
à souffrir d’atteinte. Nous espérons que vous voudrez bien agir
avec nous selon les mêmes principes.
Veuille le Dieu Tout-Puissant prolonger vos jours et les fai-
re prospérer !

Fait et écrit à Alger la forte et la bien gardée, le 2 septembre


1775 de Jésus-Christ.
____________________
1. Voy. p. 321.
324 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 23 octobre 1775.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

A Son Excellence le très fidèle, très illustre et très fortuné


Vizir du très puissant Roi de France, le plus grand des Princes
chrétiens et le plus illustre des Chefs de la religion du Messie.
— Puissiez-vous avoir une fin heureuse, et être dirigé dans le
chemin de la droiture et de la justice ! —
La connaissance certaine que j’ai de vos hautes lumières, de
la prudence avec laquelle vous dictez les oracles dans le Divan de
l’Empereur de France et de votre profonde sagesse, qualités émi-
nentes qui vous, ont fait choisir comme le plus digne de remplir
une dignité aussi élevée, et qui sont cause que les affaires les plus
importantes de l’État, soit par terre soit par mer, ont été remises
dans vos mains comme seules capables de les conduire, et la vive
persuasion où je suis que vos ordres sont exécutés avec soumis-
sion et avec promptitude dans tel temps que vous les donnez et
dans tel endroit que vous les envoyez, ces différents motifs, dis-
je, m’ont engagé à réclamer vos bontés aujourd’hui dans une af-
faire qui m’intéresse vivement, et dont je vais avoir l’honneur de
vous instruire.
Une coutume ancienne et consacrée par l’exemple de mes
prédécesseurs, coutume qui s’est changée en une obligation in-
dispensable, m’a engagé à envoyer au Grand Seigneur un homme
de marque de ma part, tant pour lui porter des présents et pour le
complimenter que pour traiter auprès de lui des affaires impor-
tantes et couronner par le succès mes désirs. En effet Sa Hau-
tesse, dans la vue de soutenir et d’encourager cette Régence, lui a
fait don de différentes munitions de guerre, telles que des armes,
AVEC LA COUR DE FRANCE 325

et a destiné des troupes pour sa défense(1). Je me vois dans la né-


cessité, pour transporter ces troupes et ces munitions, de fréter
des vaisseaux ; or le pavillon français étant le plus sûr et le plus
illustre, les ordres que vous donnez ayant toujours leur exécution
sur-le-champ, et le port de Constantinople étant toujours rempli
de bâtiments de votre pays, ces différentes raisons m’ont déter-
miné à préférer les Français aux autres nations. J’ai donc voulu
fréter plusieurs vaisseaux français, mais quelques Capitaines ont
rejeté les offres que je leur faisais, alléguant pour raison que le
chargement que je leur destinais était composé d’armes, de muni-
tions de guerre et de marchandises prohibées et de contrebande.
La résistance qu’ils opposent à ma volonté et les difficultés qu’ils
forment n’ont aucun fondement. Vous n’ignorez point que les
Deys d’Alger, mes prédécesseurs, ont mille fois frété des vais-
seaux, tant français que des autres nations, pour porter de pa-
reilles munitions de guerre, sans qu’ils aient jamais éprouvé la
moindre difficulté ni la moindre résistance.
Mon très illustre et très grand ami, j’espère qu’à l’arrivée
de cette lettre d’amitié, vous voudrez bien recommander aux Ca-
pitaines de vos vaisseaux, à ceux qui se trouvent sur vos côtes
et à tous vos officiers de s’abstenir de toutes démarches aussi
irrégulières et déraisonnables, et de s’éloigner de tout acte peu
convenable et tendant à montrer de la partialité, de mauvaises
____________________
1. Une flotte espagnole de plus de 300 navires, commandée par O’Reilly, officier
irlandais, vint tenter le 1er juillet 1775 un débarquement à Alger avec 22 000 hommes.
C’est à la suite de cette expédition, qui n’eut pas plus de succès que les précédentes,
que le Dey se décida à envoyer à Constantinople son neveu et fils adoptif, Sidi Hassan,
Vekilhardji de la Marine, pour offrir son hommage et des présents au Grand Seigneur,
suivant l’usage de ses prédécesseurs. Ces cadeaux consistaient en 52 ceintures de soie, 60
chapelets de corail, 1 chapelet d’ivoire, 2 chapelets d’ambre, 22 couvertures de drap, 10
ceinturons, 10 pistolets, 10 fusils, 10 poudrières, 10 gibernes, 10 montres, une bague pour
le Sultan, 60 haïques à franges de soie, 120 haïques rouges de Biskra, 60 tapis du sud,
15 lions, 10 négresses, 16 nègres et 70 esclaves chrétiens. (Takrifat, ou Recueil de notes
historiques Sur l’ancienne administration de l’ancienne Régence d’Alger, par Devoulx,
p. 10.) — Le Grand Seigneur écrivit alors au Chef de la Régence, et après l’avoir félicité
de sa victoire sur l’escadre espagnole, il lui fit connaître qu’il lui destinait une certaine
quantité d’agrès, de mâts, de voiles, de canons et d’autres munitions de guerre, un cafetan
d’investiture, un sabre et une aigrette de diamants.
326 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

difficultés, de l’obstination et de la dureté ; j’ose même espérer


qu’en considération de notre ancienne amitié, et par la confiance
que j’ai dans vos sentiments pleins d’affection pour moi, vous
voudrez bien expédier un de vos corsaires pour accompagner et
servir d’escorte à mon Envoyé jusqu’au lieu de sa destination(1).
Je me flatte, de plus, que vous daignerez m’aider et me se-
courir efficacement dans les affaires intéressantes et de consé-
quence qui me surviendront, et donner vos ordres absolus aux
Capitaines de vos vaisseaux et à ceux qui dépendent de vous à ce
sujet; vous devez cette réciprocité, j’ose le dire, à mes procédés
envers la France. Vos négociants, vos voyageurs, enfin tous vos
sujets quelconques, de tel endroit qu’ils viennent, ont éprouvé
et ressenti mille fois les effets de ma bienveillance ; vous savez
que la nation française a toujours reçu de ma part des marques
d’une préférence éclatante, et que je la distingue et la considère
beaucoup plus que les autres nations, que je protège et que je
favorise son commerce, et que je termine à sa satisfaction toutes
les affaires qui la peuvent intéresser, enfin que je lui accorde sans
délai toutes ses demandes, et cela depuis un temps immémorial;
votre Compagnie(2) peut témoigner combien j’ai d’égards et de
condescendance pour elle.
Je fais des vœux pour votre bonheur, et pour que vous jouis-
siez durant de longues années de la haute dignité à laquelle vous
avez été élevé. Ma correspondance avec vous et mes lettres ren-
fermeront toujours les assurances de ma fidélité à exécuter les
traités, et du désir où je suis de resserrer de plus en plus les liens
____________________
1. Le transport de ces munitions de guerre sous notre pavillon ne constituait pas
moins qu’une violation du droit des gens, et nous ne pouvions autoriser nos armateurs à
transporter à leurs risques et périls, comme le désirait le Dey, des marchandises de contre-
bande. Notre Consul écrivait à ce sujet qu’il ne voyait que trois partis à prendre : recom-
mander au chevalier de Saint-Priest de ne pas laisser embarquer de munitions de guerre à
Constantinople, fermer les yeux et tolérer le chargement sans prendre aucun engagement
pour la sûreté du pavillon, on bien faire escorter le transport algérien par une des frégates
du Roi faisant partie de la station du Levant. Lettre de de la Vallée au comte de Sartine, le
30 octobre 1775.
2. La Compagnie d’Afrique était alors fort habilement dirigée par M. Martin. Son
capital social, de 1 200 000 l. à l’époque de sa fondation en 1741, était au 31 décembre
1775 de 5 041 607 l.
AVEC LA COUR DE FRANCE 327

de l’amitié qui nous unissent. Je me flatte que, de votre côté, vous


voudrez bien ne faire aucune démarche contraire à la justice, et
capable de détruire l’harmonie qui doit régner entre nous.
Écrit le 27 de Chaban, l’an 1189, c’est-à-dire le 23 octobre
1775, à Alger la bien gardée.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le
18 novembre 1775.

LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 4 décembre 1775.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu la lettre que le sieur de la Vallée m’a fait parvenir
de votre part(1) comme un gage de votre amitié, et j’ai été d’autant
plus sensible aux expressions qu’elle contient qu’elles secondent
parfaitement les sentiments où je suis pour établir, sur des fonde-
ments toujours plus solides et invariables, les liaisons que je suis
bien aise de conserver avec vous. Personne ne peut mieux les en-
tretenir que le sieur de la Vallée, en qui j’ai toute confiance et qui
la mérite. Il sait que je ne suis pas moins jaloux de conserver et de
soutenir les droits et avantagea du pavillon français et les intérêts
de la nation que d’assurer la haute bienveillance de Sa Majesté
Impériale aux Puissances(2), dont je puis avoir lieu de lui répondre.
Ce Consul m’a confirmé ce que je dois attendre de vos disposi-
tions, et il m’a écrit conformément à vos intentions, pour le service
sur lequel vous avez insisté si vivement auprès de lui, mais qu’il
n’aurait pu vous rendre sans manquer à ses ordres et à son devoir.
Rien ne m’aurait mis plus en peine que ce que je devais en propo-
ser à Sa Majesté Impériale, si l’envie de vous obliger autant qu’il
____________________
1. Voy. p. 324.
2. Le Divan d’Alger.
328 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

était en mon pouvoir ne m’avait fait surmonter, en quelque sorte,


la crainte que je devais avoir de porter votre demande aux pieds
du trône. La dignité de Sa Majesté Impériale n’a pu lui permettre
d’y avoir égard dans toute son étendue, mais elle a bien voulu
m’autoriser à faire en votre faveur ce qu’il serait possible, en tout
ce qui ne serait pas absolument contraire aux principes d’équité
et de neutralité dont elle ne peut se départir(1). Vous pouvez être
assuré que je vous donnerai des preuves de l’affection que la
France vous porte dans toutes les circonstances où la justice ne
s’opposera pas au désir que j’ai de vous obliger, et dans la sup-
position que vous serez également attaché à une Couronne d’où
peut dépendre en lien des rencontres la prospérité de votre Gou-
vernement. Le sieur de la Vallée entrera dans des explications
plus détaillées et plus étendues sur l’objet de votre lettre ; vous
pouvez lui donner toute créance à cet effet.
J’espère que les relations du sieur de la Vallée et votre
conduite envers les Français ne me laisseront rien à désirer de
votre part, si ce n’est de nouvelles occasions de vous marquer
que je suis plus cordialement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.

SIDI HASSAN, VEKILHARDJI DE LA MARINE D’ALGER(2),


A LOUIS XVI.

Alger, avril 1776.

Je prends la liberté de vous représenter que, sur la promesse


de votre Consul à Alger qui avait assuré au Pacha de cette Régence
____________________
1. Le Ministère avait donné des instructions à notre Ambassadeur à Constanti-
nople pour tolérer exceptionnellement une partie du chargement, comme les mâts et les
cordages, à destination d’Alger, et pour assimiler la Régence aux pays à l’égard desquels
le pavillon français devait couvrir la marchandise, hors le cas de contrebande. Voy. Lettre
du comte de Sartine à de la Vallée, le 4 décembre 1775.
2. Intendant général des vivres de l’armée algérienne.
AVEC LA COUR DE FRANCE 329

que son Ambassadeur à la Porte pourrait passer sans crainte à


sa destination, sous le pavillon français, avec les présents dont
il était chargé, et en rapporter toutes les munitions que le Grand
Seigneur lui donnerait en retour, assurance que le dit Consul fai-
sait en son nom et en celui de votre Ministre, nous sommes parti
pour Constantinople, et, y étant arrivé, nous avons consulté votre
ambassadeur qui réside à la Porte(1) et il nous a défendu d’exporter
des munitions de guerre, mais nous a permis de charger des mâts,
des vergues, du fil de fer et du fer en barre. Après avoir composé
le chargement du vaisseau français que nous avions affrété de
tous les effets ci-dessus, nous avons eu le bonheur d’arriver à Tu-
nis, déterminé à nous en retourner à Alger par terre, mais, suivant
le conseil de votre Consul à Tunis(2) qui nous a assuré qu’il n’y
avait aucun danger par mer, nous avons pris cette voie et nous
sommes arrivé en face de l’île de La Galite, où nous avons été
rencontré par deux vaisseaux espagnols qui nous ont conduit à
Carthagène, après nous avoir fait passer, nous et l’équipage fran-
çais, à leur bord et après nous avoir désarmé(3). C’est là où ils nous
ont fait toutes sortes de mauvais traitements, sans respecter le
____________________
1. François-Emmanuel de Guignard, chevalier de Saint-Priest, Maréchal des
camps et armées du Roi, Ministre plénipotentiaire à Lisbonne de 1763 à 1766, à Stoc-
kholm en 1767, Ambassadeur à Constantinople de 1768 à 1784. Il devint Ministre d’État
en 1788.
2. M. de Saizieu.
3. Meifrund, dont on a parlé précédemment, avait frété à Marseille pour le compte
de la Régence le vaisseau Le. Septimane, commandé par le capitaine Seren, à raison de 6
000 l. par mois. Le voyage d’Alger à Constantinople s’effectua sans encombre ; il n’en
fut pas de même pour le retour. Il y avait à bord 5 000 quintaux de fer en barres, 82 mâts,
500 quintaux de fil pour cordages et 4 200 pièces de toile à voile. Notre Consul à Alger se
hâta de réclamer l’intervention du Roi près la Cour de Madrid pour obtenir la restitution
d’une prise de cette importance. L’affaire produisit d’ailleurs chez tous les Algériens une
émotion indescriptible. « Je ne puis, écrivit notre agent, trop insister sur les conséquences
que peut avoir cette malheureuse affaire. Le Vekilhardji est un des grands officiers de la
Régence, aimé singulièrement du Dey, revêtu du caractère d’Ambassadeur, à la veille
d’épouser une fille du Khaznadji, l’ami de l’Agha. Quelle doit être mon impatience de
savoir échappé des mains des Espagnols un personnage de cette importance ! » Voy.
Mémoire de Meifrund, — Lettre du comte de Sartine au chevalier de Saint-Priest, le 25
septembre 1775, recommandant tout spécialement l’Envoyé d’Alger à notre Ambassa-
deur, — Lettres de de la Vallée au comte de Sartine, les 4 septembre 1775, 25 avril, 1er et
22 mai 1776. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
330 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pavillon français, ce qui nous a été d’autant plus sensible que


nous regardions comme un cas inouï qu’un Ambassadeur ou
quelque Mahométan quelconque ait jamais éprouvé, sous le pa-
villon français, l’esclavage ou aucune espèce d’affront. Persuadé
que nous sommes de la bonne amitié qui règne entre les Français
et les Algériens, nous ne pouvons mieux faire que de nous en
rapporter quant à notre sort à la générosité de Votre Majesté, et
nous osons espérer qu’elle ne nous fera point soupirer longtemps
après les effets de sa bienfaisance.
SIDI HASSAN,
Vekilhardji de la Marine d’Alger.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 20 mai 1776.

LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA. MARINE,


A SISI HASSAN, VEKILHARDJI DE LA MARINE D’ALGER.

Versailles, le 3 juin 1116.

Noble Seigneur,
Le Consul de Sa Majesté Impériale à Carthagène(1) m’a
adressé la lettre que vous avez écrite à l’Empereur, mon Maitre(2).
J’ai rendu compte à cet auguste Monarque de son contenu. Sa
Majesté Impériale avait appris avec regret votre disgrâce, et elle
n’avait pas attendu vos représentations pour jeter un œil favora-
ble sur votre sort ; elle m’avait déjà commandé de faire passer à
M. le marquis d’Ossun, son Ambassadeur auprès du Roi d’Es-
pagne(3), l’ordre le plus précis de réclamer votre liberté, celle de
vos gens et la restitution de vos effets, et de demander la punition
____________________
1. M. de Bertellet.
2. Voy. p. 328.
3. Pierre-Paul marquis d’Ossun, Maréchal des camps et armées du Roi, Ambassa-
deur à Naples de 1751 à 1759, à Madrid de 1759 à 1777, et plus tard Ministre d’État.
AVEC LA COUR DE FRANCE 331

de l’officier espagnol qui avait osé manquer au respect dû à son


pavillon. Vous avez bientôt ressenti l’effet de la puissante pro-
tection de Sa Majesté Impériale ; votre détention a fini, et vous
vous êtes trouvé libre de suivre votre route avec vos gens(1). Seu-
lement quelques parties du chargement ont été retenues, sous le
prétexte qu’elles étaient marchandises de contrebande, mais Sa
Majesté Impériale, qui a été peu satisfaite de cette disposition, a
ordonné de nouveau à son Ambassadeur d’en demander la res-
titution au Roi d’Espagne. J’espère que les instances de M. le
marquis d’Ossun auront eu l’effet que nous devons attendre et
que tout sera réparé(2). Je le désire en mon particulier avec le plus
grand empressement, par l’amitié intime qui me lie avec votre
Maître et l’intérêt que je prends à ce qui vous regarde personnel-
lement, d’après les témoignages que M. de la Vallée m’a rendus
de votre attachement pour les Français. Continuez à leur rendre
vos offices utiles, et à ce titre vous pouvez être assuré que je vous
ménagerai dans toutes les occasions la protection de Sa Majesté
Impériale.
Soyez heureux et comptez, noble Seigneur, sur les senti-
ments que vous m’avez inspirés pour vous.

SARTINE.
____________________
1. La Cour avait envoyé ait marquis d’Ossun un mémoire fort développé établis-
sant que certaines marchandises d’ennemis, embarquées sur un vaisseau neutre, n’étaient
pas sujettes à confiscation. Le Conseil de l’Amirauté espagnole s’était bien désisté de ses
prétentions sur le vaisseau et l’équipage, mais il avait ordonné la saisie de la cargaison. Le
capitaine Seren avait refusé de revenir « à vide » à Alger, et Sidi Hassan avait été ramené
dans cette ville, le 23 mai 1776, sur un bâtiment anglais. Lettre de de la Vallée au comte
de Sartine, le 24 mai 1776.
2. De la Vallée se plaignit de la mollesse et de la négligence apportées dans
cette affaire par notre Consul à Carthagène et par notre Ambassadeur à Madrid. « Sidi
Hassan a reçu un présent de Sa Majesté Catholique, à laquelle il en renvoie lui-même
un assez beau ; en général les Espagnols ont eu de bons procédés pour lui. Le pays est
dans l’allégresse ; je réserve les détails pour des circonstances plus heureuses, car la joie
n’est pas pour tout le monde; elle n’est pas pour les Français, elle n’est pas assurément
pour moi. Sidi Hassan se plaint beaucoup de la froideur et du peu d’attentions de notre
Consul. Nous sommes amis des Algériens, dit-il, mais seulement à Alger. » Lettres de de
la Vallée au comte de Sartine, les 22 et 24 mai 1776. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
332 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 29 juillet 1776.

Très illustre et magnifique Seigneur,

J’ai reçu avec une joie sincère les témoignages d’amitié


que vous avez chargé M. de la Vallée et le chevalier de For-
bin(1), Commandant un navire de l’Empereur, de me donner en
votre nom ; je m’empresse de vous en marquer toute ma sen-
sibilité et de vous assurer du plus parfait retour de ma part,
personne ne s’intéressant plus vivement à voir prospérer votre
Gouvernement sous l’heureux auspice d’une correspondance
étroite et indissoluble avec la nation française. Elle n’exige
de ses plus anciens amis que l’exacte observation des traités,
qu’elle gardera toujours religieusement elle-même. Elle n’est
pas moins disposée à les prévenir par des services, quand ils
sont en son pouvoir. Je désire en mon particulier de trouver
l’occasion de contribuer à votre satisfaction et à vos intérêts, et
si quelque regret s’est mêlé au plaisir que j’ai eu de recevoir de
vos nouvelles par le retour du chevalier de Forbin, vous devez
l’attribuer à la demande que vous m’avez fait faire par le canal
de M. de la Vallée de laisser embarquer pour votre service, sur
les bâtiments français, de la poudre, des canons, des munitions
de guerre et des gens armés, et de répondre des événements qui
peuvent leur arriver(2).
____________________
1. Le chevalier de Forbin de Gardanne, capitaine de vaisseau commandant
L’Éclair, avait été envoyé à Alger par ordre du 24 juin 1776, pour y porter au Consul
les instructions de la Cour. Il y arriva le 8 juillet. Ces instructions déclaraient en subs-
tance que le Roi ne voulait pas qu’on regardât comme effets de contrebande les mâts,
voiles, fers et cordages, qu’il en demanderait formellement la restitution, mais que la
cause des Algériens étant à la discrétion du Ministère espagnol, il fallait préparer le Dey
à se contenter de la valeur des objets saisis sur Le Septimane. Voy. Lettres du comte de
Sartine au chevalier de Forbin et à de la Vallée, les 24 juin et 29 juillet 1776, — Lettres
de de la Vallée au comte de Sartine, les 30 juin et 9 juillet 1776. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. l’affaire du Septimane, p. 329.
AVEC LA COUR DE FRANCE 333

Cette réquisition ne peut vous avoir été suggérée que par des
personnes peu instruites du droit des gens, et, lorsque vous aurez
mieux réfléchi sur les principes qui fixent, pour toutes les nations,
les bornes de la navigation des bâtiments neutres, je suis persuadé
que vous reviendrez facilement sur les impressions qu’on a voulu
vous donner. Je ne crains pas de vous en rendre juge vous-même,
et vous en déciderez avec l’équité et les lumières supérieures qui
vous distinguent et dont je me suis fait un plaisir de faire l’éloge,
depuis, mon entrée dans le Ministère, au jeune Monarque qui
tient si heureusement les rênes de l’Empire de France.
Je dois vous faire une observation qui vous prouvera mes
bonnes intentions pour vous et vos sujets. Si elles n’étaient pas
telles que je vous les annonce, si l’amitié la plus vraie n’unissait
pas les deux États de France et d’Alger, si j’avais à traiter avec
un Prince dont les intérêts me seraient indifférents, je me bor-
nerais à lui rappeler un article de notre traité, et, comme c’est le
seul lien qui engage les Souverains respectifs, la question serait
décidée.
L’article 17 du traité de 1689 porte expressément que les
Français ne pourront être contraints, pour quelque prétexte que
ce puisse être, à charger sur leurs vaisseaux aucune chose contre
leur volonté ni faire aucun voyage où ils n’auront pas dessein
d’aller. Je n’insisterai pas sur les conséquences nécessaires qui
dérivent de cet article. Il suffirait de défendre aux sujets de l’Em-
pereur de se charger des effets de contrebande, et vous n’auriez
aucun motif de réclamation, parce que vous êtes trop juste pour
vouloir vous écarter des dispositions des traités que vous avez
reconnus et qui obligent également les sujets des deux pays.
Je pourrais même ajouter avec fondement que nous ne som-
mes pas tenu de vous répondre des marchandises ordinaires de
commerce, non de contrebande, appartenant aux Algériens, que
vos ennemis peuvent enlever sur les bâtiments français. Les Al-
gériens ne pourraient s’en prendre, dans l’étroite rigueur, qu’à
leurs ennemis du tort que ceux-ci leur font et non aux Français.
Notre traité ne nous rend pas garant des entreprises de ce genre
334 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

entre deux nations en guerre, ni des effets et passagers qu’on peut


enlever ainsi sur des bâtiments marchands et sans défense. Il est
bien aisé de le consulter. Ce sont les traités qui doivent faire loi
pour les engagements réciproques entre deux Puissances; vous
étiez même dans cette idée au commencement de la guerre entre
les Turcs et les Russes, puisque vous avez demandé à cette épo-
que une explication particulière sur ce point pour savoir à. quoi
vous en tenir. Nous ne pouvions alors pousser la prévoyance plus
loin qu’en vous faisant connaître d’avance qu’il nous était im-
possible de vous garantir des risques que vos sujets voudraient
bien courir à. cet égard. Nous préférions même, par là, sacrifier
plutôt l’intérêt de notre navigation que de laisser à nos amis le
moindre prétexte de s’abuser ou d’y être trompés, et on n’avait
rien à nous demander de plus.
Cependant le cas étant arrivé, le feu Empereur, sur vos re-
présentations et d’après l’amitié qu’il avait pour vous, voulut bien
donner sur ce point une extension plus considérable aux disposi-
tions des traités, et assimiler pour cet objet Alger aux autres pays
vis-à-vis desquels il était tenu de répondre des marchandises non
de contrebande enlevées sur ses bâtiments ; il eut la complaisan-
ce de ne pas s’en tenir à la lettre du traité, et, d’après l’usage gé-
néral observé avec les autres pays musulmans et sur l’assurance
d’une réciprocité entière, il vous fit déclarer qu’il reconnaîtrait
dorénavant vis-à-vis de vous la maxime qui dit que le pavillon
ami doit sauver la marchandise ennemie non de contrebande(1).
Cette déclaration avouée réciproquement eut dès lors force de
loi, et fut regardée comme une condition réciproque ajoutée au
traité. L’Empereur et son auguste successeur, fidèles à leurs en-
gagements, vous ont fait restituer, en conséquence, la valeur des
marchandises appartenant à vos sujets qui avaient été enlevées
par les Russes sur des bâtiments français.
C’est ainsi, d’après cet engagement, que Sa Majesté Impé-
riale a obtenu du Roi d’Espagne les chargements des capitaines
Camoin et Cruvelier, appartenant aux Algériens, qui avaient été
arrêtés et conduits à Carthagène l’année dernière, et qu’elle auto-
____________________
1. Voy. la note 1, p. 328.
AVEC LA COUR DE FRANCE 335

rise aujourd’hui M. de la Vallée à payer à vos sujets la valeur


de quelques effets de ces bâtiments, qui ont été endommagés ou
pillés par des employés subalternes espagnols(1).
C’est encore d’après ce principe que Sa Majesté insiste
auprès du Roi d’Espagne sur la restitution des effets détenus dans
le même port de Carthagène, et qui ont été saisis sur le bâtiment
du capitaine Seren, quoique, parmi les articles qui s’y trouvent, on
puisse regarder les mâts comme étant de contrebande(2). Mais Sa
Majesté Impériale ayant appris que le chevalier de Saint-Priest,
son Ambassadeur à la Porte ottomane, avait permis qu’ils fussent
embarqués sur un bâtiment français, et voulant bien regarder le
consentement de cet Ambassadeur comme une assurance tacite
de la responsabilité à laquelle la France était engagée, pour des
objets que le chevalier de Saint-Priest avait regardés comme étant
d’un commerce libre, Sa Majesté Impériale a autorisé M. de la
Vallée à vous déclarer formellement que, pour ne pas désavouer
son Ambassadeur, elle prenait l’engagement vis-à-vis de vous
de vous procurer le recouvrement des dits effets ou leur valeur,
si les Espagnols refusaient absolument de les rendre en nature.
M. le marquis d’Ossun a les ordres les plus précis d’insister sur
ce point auprès de Sa Majesté Catholique. Ils lui ont été portés
par un courrier extraordinaire, et j’attends avec empressement la
nouvelle du succès de sa négociation. Quelle qu’en soit l’issue,
la bonté de Sa Majesté Impériale ne doit vous laisser aucune in-
quiétude, puisque vous aurez toujours les effets ou leur valeur.
____________________
1. Voy. Lettre du comte de Sartine à de la Vallée, le 29 juillet 1776. « Je suis bien
aise de vous débarrasser des représentations importunes des différents nolisataires, char-
geurs et passagers de la tartane Le Saint-Jean-Baptiste et du vaisseau La Vérité, capitai-
nes Cruvelier et Camoin, qui réclament avec justice les effets volés à Carthagène par des
employés espagnols. J’ai mis sous les yeux du Roi l’état que vous avez dressé, montant à
26 735 l. 6 s. 10 d., et Sa Majesté a bien voulu vous autoriser à vous faire remettre cette
somme par l’agent de la Compagnie d’Afrique à Alger. »
2. Voy. Lettre du comte de Sartine à de la Vallée, le 29 juillet 1776. « Nous atten-
dons la réponse de la Cour d’Espagne. Je serais fâché que le Dey ne voulût pas se conten-
ter de la valeur des effets détenus. C’est cependant un assez grand sacrifice que nous lui
faisons. S’il insistait sur ce point, vous pourriez vous engager vis-à-vis de lui à solliciter
auprès de moi la remise des mêmes effets en nature qu’on pourrait lui envoyer de nos
arsenaux, au cas de refus de restitution par Sa Majesté Catholique. »
336 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Je me flatte que vous reconnaîtrez, à des procédés aussi géné-


reux, la grandeur d’âme de l’Empereur, mon Maître, qui dédaigne
ses propres intérêts lorsqu’il s’agit de remplir des engagements
toujours sacrés pour lui dès qu’ils sont fondés sur sa parole.
Ces exemples frappants doivent vous pénétrer de vénération
pour un Prince aussi équitable. Vous êtes fait pour sentir le prix
de cette conduite, parce que j’ai trop de confiance en vos grandes
qualités et surtout dans votre justice pour ne pas être assuré que
vous marcherez toujours sur les mêmes traces, et que vous ne
vous éloignerez dans aucun cas de la route que vous prescrivent
votre honneur et votre réputation. C’est dans cette persuasion
que je n’hésite pas à croire un instant que vous abandonnerez la
nouvelle prétention que vous avez élevée, parce qu’elle est aussi
opposée au droit sacré et inaliénable des nations que contraire à
la dignité de l’Empereur, mon Maître.
Je charge un des capitaines des vaisseaux de guerre de Sa
Majesté Impériale de vous porter ma lettre(1), parce que ce qui en
fait l’objet est de trop grande conséquence pour ne pas être traité
directement entre nous. Il retournera ensuite aux croisières qu’il
est chargé de garder(2), parce qu’il est du nombre des officiers ré-
partis dans toutes les mers, par ordre de l’Empereur, pour protéger
le commerce et la navigation de ses sujets et faire respecter par-
tout son pavillon. Mais je dépêcherai incessamment le chevalier de
Forbin à Alger, et il aura ordre de recevoir et de me rapporter votre
réponse. J’ai assuré Sa Majesté Impériale qu’elle serait conforme
à l’équité qui vous a toujours caractérisé jusqu’ici, et qu’elle ne
pourrait qu’ajouter à l’opinion que je lui ai inspirée de vous.
Je dois ajouter que l’exemple même d’une autre nation ne
pourrait influer en rien sur la détermination de Sa Majesté Impé-
riale. Elle se conduit par des voies droites et justes, et ses princi-
pes sur cet objet sont aussi immuables que les sentiments qu’elle
a pour vous, et qu’aucune insinuation étrangère ne-pourra affai-
blir tant que vous chercherez à y répondre de votre côté. Soyez
____________________
1. M. d’Apchon et le chevalier d’Espinousse, Commandante des frégates du Roi
L’Aurore et La Gracieuse.
2. Il avait une mission semblable à remplir à Tunis.
AVEC LA COUR DE FRANCE 337

assuré que vous me causerez une véritable joie en écartant des


conseils indignes de votre grandeur d’âme, et que je n’aurai ja-
mais de plus grande satisfaction que de retrouver en vous les
preuves efficaces que j’attends de votre justice. Il me suffit, pour
y compter, que, vous soyez bien instruit de la vérité des maximes
que j’ai dû vous présenter et de leur importance. Vous devez être
convaincu que je ferai tout ce qui me sera possible pour vous
témoigner par des services réels le fond que vous devez faire, au
besoin, sur l’amitié de la France, que vous avez déjà éprouvée en
plusieurs occasions.
Je finis par vous recommander M. de la Vallée, qui vous
est respectueusement attaché, et tous les Français qui résident
dans votre Royaume. Je désire bien sincèrement que tout serve à
resserrer les liens de la meilleure intelligence. Vous verrez tou-
jours, à l’empressement que j’aurai d’aller au-devant de tout ce
qui pourra vous être agréable, combien je souhaite de vous prou-
ver que je suis plus que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, août 1776.


(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Nous étions dans le plus vif empressement de recevoir de vos


nouvelles, lorsque votre lettre nous est parvenue par le sieur d’Ap-
chon, Commandant de vos vaisseaux de guerre, arrivé dans ce port
le 19 d’août dernier(1). Les expressions d’amitié qui composent
____________________
1. Voy. Lettres de de la Vallée au comte de Sartine, les 23 et 30 août 1716.
338 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

le fond de cette lettre nous ont donné la plus grande satisfaction,


et n’ont fait qu’animer les vœux sincères que nous formons pour
la prospérité des deux Empires et pour la prolongation de la paix
qui en est le lien précieux.
Nous n’ignorons pas qu’il n’a jamais été permis à une
Puissance amie de contraindre les Capitaines français de se fré-
ter malgré eux, et nous n’avons point à nous reprocher pareille
violence, mais à l’époque glorieuse de l’avènement au trône des
Ottomans de notre nouvel Empereur, nous étant déterminé à en-
voyer à Constantinople un Ambassadeur pour y remplir auprès
de Sa Hautesse un devoir consacré par l’usage, nous avions cru
devoir donner au pavillon français la préférence qui lui est assu-
rée par la considération dont il jouit auprès de la Sublime Porte,
et par sa supériorité incontestable sur celui des autres Puissances.
Nous vous avons fait, en conséquence, connaître nos intentions
par l’entremise de M. de la Vallée, votre Consul auprès de nous,
et nous avons conclu le fret de gré à gré et avec le consentement
du sieur Meifrund, Directeur du Bastion(1).
Nous n’avions jamais entendu parler, ni de notre temps ni de
celui de nos prédécesseurs, du mot de contrebande et d’articles pro-
hibés, lorsqu’il s’agissait de fréter un navire. Sous le Gouvernement
des défunts Pachas Ibrahim, Mehemmed, Ali et les autres, la Subli-
me Porte a souvent gratifié cette Régence de l’envoi de munitions
de guerre ; jamais il ne fut question de restriction, d’exception, de
distinction dans le fret des navires et dans la marche qu’ils doivent
tenir. Nous pourrions même dire que d’autres nations, sans avoir
fait aucune espèce de contrat, nous ont fait parvenir ces munitions
et en ont reçu de nous la plus grande récompense. Nous avons, en
cette occasion, préféré la nation française, par la grande opinion
que nous avons de sa puissance, et parce qu’il ne se trouvait point
pour lors de vaisseau assez long pour être propre au transport des
vergues et des mâts. Tous les Conseillers du Divan d’Alger, grands
et petits, n’ont pu apprendre sans étonnement l’accident inouï du
____________________
1. Voy. la note 3, p. 329. Le Dey refusa de rembourser à Meifrund le prix conve-
nu, et notre Ambassadeur à Madrid ne parvint pas à faire indemniser ce dernier de la perte
de son affrètement.
AVEC LA COUR DE FRANCE 339

Capitaine Seren(1). On ne parle jamais ici de contrebande lors-


qu’il n’y a point d’exportation chez l’étranger, lorsqu’il s’agit
de porter des marchandises d’un pays musulman à un autre pays
musulman ; il en doit être de même pour la chrétienté.
Quant à ce que vous nous dites que l’Empereur de France,
notre grand ami, a fait demander au Roi d’Espagne tous les ef-
fets de la cargaison du Capitaine Seren, que son Ambassadeur
à Madrid a eu des ordres précis de les réclamer, qu’à cet effet
il a été expédié un exprès en Espagne, que vous en attendez la
réponse incessamment et que, dans tous les cas, vous ne nous
laisserez aucun sujet de regret, nous sommes persuadé de la
sincérité des sentiments de l’Empereur de France et de son at-
tention scrupuleuse à remplir ses promesses. Mais vous ajoutez
que, dans le cas où les effets de la susdite cargaison ne seraient
pas rendus en nature, le montant du moins nous en serait rem-
boursé ; notre intention est que les choses nous soient restituées
en nature(2).
Nous vous notifions que, de mémoire d’homme, on ne peut
citer dans le Divan un cas semblable à celui qui cause aujourd’hui
notre surprise, qu’il en résulte un dommage considérable pour nos
sujets, que nos prédécesseurs n’en ont jamais supporté de pareil, et
que nous prétendons que les vergues, les mâts et le reste de la car-
gaison retenue à Carthagène nous soient restitués en nature et ren-
voyés au plus tôt, complètement et sans aucune espèce de change-
ment. Nous sommes forcé de vous faire cette notification, et ce n’a
été qu’avec la plus grande peine que nous avons pu jusqu’ici arrêter
tous les propos des Conseillers de notre Divan et de la Milice. Nous
vous le répétons donc, nous prétendons que tous les susdits effets
nous soient renvoyés avec célérité et en nature. Au surplus, ne doutez
pas que les négociants de votre nation et les autres Français résidant
dans le Royaume d’Alger ne soient toujours maintenus dans le droit
____________________
1. Voy. la note 3, p. 329.
2. Le Dey représenta à notre agent que s’il se montrait si difficile sur ce point, ce
n’était pas qu’il voulût faire de mauvaises chicanes, mais bien parce que son honneur,
peut-être même sa sûreté personnelle y étaient intéressés. Voy. Lettre de de la Vallée au
comte de Sartine, le 23 août 1778. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
340 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de préséance sur toutes les autres nations. La balance de notre


équité n’a jamais penché en faveur de tout autre peuple.
Nous faisons des vœux pour la prospérité de votre Minis-
tère. Votre zèle, votre amitié pour nous et la supériorité de vos
lumières vous assurent la plus grande félicité. Puissiez-vous nous
continuer pour de longues années vos bons offices, pour main-
tenir dans toute leur vigueur les traités qui nous unissent à la
France !

Écrit à Alger, dans le courant de la lune de Redjeb, l’an de


l’hégire 1190.

Je crois devoir vous informer aussi qu’il nous a été dit par
divers Algériens, marchands et autres, que vos Capitaines fai-
saient des difficultés, sans aucun prétexte plausible, pour fréter
leur navire pour le compte des Algériens, difficultés qui sont
contraires aux usages reçus(1). Dans la supposition qu’une défen-
se expresse de votre part pourrait y avoir donné lieu, nous vous
prions de la lever et d’ordonner, au contraire, à tous vos Capitai-
nes marchands qui se trouvent en Turquie, à Alexandrie et partout
ailleurs, de continuer à contracter des frets avec nos marchands
pour des chargements connus, et de ne jamais refuser de prendre
un certain nombre de personnes moyennant un fret raisonnable.
Nous vous prions de donner vos soins à, cet article.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 17 septembre 1776.
____________________
1. Le refus de M. de Saint-Priest de laisser embarquer des munitions de guerre sur
les bâtiments français avait motivé cette réclamation du Dey. « Il n’y avait pas moyen de
la lui faire abandonner, disait notre Consul, car il ne pouvait comprendre nos distinctions
relatives aux marchandises de contrebande. Mohammed était, il est vrai, dans le plus
grand embarras pour faire venir à Alger les munitions de guerre que nous n’avions pas
voulu embarquer à Constantinople. Voy. Lettre de de la Vallée au comte de Sartine, le 30
juin 1776. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 341
LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 30 septembre 1716.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Le chevalier de Forbin, Commandant le vaisseau du Roi
L’Éclair, m’a fait parvenir la lettre que vous m’avez fait l’hon-
neur de m’écrire(1). Les sentiments que vous me témoignez pour
la nation française répondent à la haute opinion qu’elle a dû vous
inspirer, et à l’amitié qui l’a toujours unie avec l’Empire ottoman
et les Régences d’Afrique. Il n’y a jamais eu entre les différents
peuples du monde une alliance aussi constante, et si la jalousie
de leurs rivaux a pu faire naître, dans certaines occasions, des
ombrages contraires à cette bonne harmonie, ils ont été bientôt
dissipés. La vérité s’est montrée dans tout son éclat, et ces ins-
tants passagers n’ont servi qu’à resserrer les liens indissolubles
qui attachent les Français et les Musulmans ; ils en ont ressenti
respectivement les effets les plus heureux, et tout leur promet
à l’avenir les plus grands avantages dans l’exécution fidèle des
traités. L’Empereur, mon auguste Maître, est dans l’intention de
les faire observer exactement par ses sujets, et Sa Majesté Im-
périale doit trop compter sur votre discernement et votre justice
pour ne pas être assurée qu’ils seront toujours la règle de votre
conduite et la base de vos principes.
L’affaire de la cargaison du capitaine Seren est heureuse-
ment terminée ; ce navigateur doit être rendu à Alger, et je ne
doute pas que vous n’ayez reconnu, dans cette occasion, tout ce
que vous devez à la protection de Sa Majesté Impériale, et aux
démarches que son Ambassadeur à Madrid a été chargé de faire
auprès de Sa Majesté Catholique(2).
J’espère qu’il n’arrivera rien de pareil à l’avenir, et que les
____________________
1. Voy. p. 337.
2. Voy. Lettre de de la Vallée au comte de Sartine, le 30 Juin 1776.
342 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Algériens trouveront la plus grande sûreté sous la bannière de


France. Sa Majesté Impériale laisse à ses sujets la liberté de faire
leur commerce à leur gré. Jamais elle ne les a forcés à charger
sur leurs vaisseaux des marchandises contre leur volonté, même
dans le cas où il s’agissait de son propre service. Les navigateurs
français sont libres, à l’abri des lois et des traités ; Sa Majesté
Impériale se réserve seulement de les faire exécuter, et vous avez
trop de lumières pour vouloir prétendre des Français ce que leur
Souverain n’en exige pas lui-même. Cette clause est insérée dans
tous les traités que la France a contractés, et vous savez mieux
que personne qu’elle est énoncée de la manière la plus précise
dans celui qui existe heureusement et depuis tant d’années en-
tre la France et la Régence. Sa Majesté Impériale ne peut s’en
départir, parce qu’elle tient à la constitution de son Empire, qui
est fondée sur le maintien des lois, et sur la liberté naturelle que
chaque Français doit avoir de disposer de sa propriété(1).
Cette maxime est faite pour plaire à un Prince aussi équi-
table que vous. Vous ne devez pas être surpris que les Français
se refusent à porter à Alger des armes et des munitions de guerre
qui les compromettraient inutilement avec les Espagnols. Ceux-
ci éprouveraient les mêmes difficultés, s’ils demandaient aux
Français les mêmes services ; la balance doit être exacte. Mais
ils s’empresseront toujours de conduire à Alger tous les objets
de commerce ; leur attachement pour les Algériens leur en fera
une loi ; leur intérêt même les y engagera, et vous ne devez avoir
aucune inquiétude sur cet article. Ils savent combien je m’inté-
resse à tout ce qui regarde votre État et combien votre personne
m’est chère. Ils chercheront à remplir mes vues en se prêtant à
____________________
1. Voy. Lettres de de la Vallée au comte de Sartine, les 8 septembre et 15 octobre
1776, relatives au retour à Alger du capitaine Seren avec sa cargaison entière, restituée
par le Gouvernement espagnol. « Le Dey lui a fait les compliments les plus flatteurs,
après s’être bien assuré toutefois qu’il ne manquait rien et que ses marchandises étaient
en bon état. Ce triomphe inespéré, qui réjouit singulièrement la nation à laquelle il rend
son crédit, et la Régence dont il flatte les préjugés en justifiant l’opinion avantageuse
qu’elle avait conçue dès prérogatives du pavillon du Roi, mortifie beaucoup plusieurs de
mes collègues, qui avaient prophétisé que l’Espagne ne relâcherait jamais la cargaison du
Septimane. » (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 343

tout ce que vous pouvez désirer d’eux justement, et ils iront tou-
jours au-devant de ce qui pourra vous faire plaisir. J’ai chargé
les Consuls de Sa Majesté Impériale résidant dans les différents
ports de le leur recommander de ma part.
Après m’être occupé de ce qui peut regarder les sujets res-
pectifs des deux États, je dois vous témoigner toute la sensibilité
que j’ai ressentie, en apprenant par vous-même tout l’intérêt que
vous prenez à ma santé et à la gloire de mon Ministère. Je fais les
vœux les plus sincères pour la prospérité de vôtre Gouvernement,
et je regarderai toujours comme des jours heureux pour moi ceux
où je pourrai vous assurer de la bienveillance de l’Empereur, et
vous donner des preuves des sentiments distingués avec lesquels
je suis plus parfaitement que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.

LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 14 avril 1777.

Très illustre et magnifique Seigneur,


M. le baron de Tott, Brigadier des armées de Sa Majesté
Impériale, qui a été longtemps employé à Constantinople, a été
chargé par l’Empereur, mon Maître, de se rendre dans tous les
ports de la domination du Grand Seigneur et dans ceux des Sou-
verains de Barbarie où les Français ont leurs établissements, pour
inspecter tout ce qui a rapport à leur administration et veiller, de
concert avec le Consul de Sa Majesté, au bon ordre qui y doit
régner(1). Sa Majesté Impériale lui a prescrit en même temps de
____________________
1. François baron de Tott, Consul de Sa Majesté en Crimée de 1767 à 1769, puis
attaché jusqu’en 1777 à l’ambassade de Constantinople, sous les ordres du chevalier
de Saint-Priest. Voy. le Mémoire pour servir d’Instruction au baron de Tott, Inspecteur
344 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

faire dans tous les parages de la Méditerranée des observations


astronomiques et hydrographiques, pour rectifier les cartes de
cette mer. J’espère que cet officier, qui vous sera présenté par le
Chargé des affaires de Sa Majesté Impériale, éprouvera de votre
part toutes les facilités, les secours et la protection qu’il pourra
désirer. Je vous prie de donner vos ordres pour qu’il ait l’entière
liberté d’établir à terre ses instruments et d’y faire ses observa-
tions avec toute sûreté. Je ne doute pas que vous ne vous y prêtiez
avec plaisir, et je puis vous assurer que les dispositions que vous
ferez à cet égard seront agréables à Sa Majesté Impériale.
J’ai recommandé au baron de Tott de vous faire mes com-
pliments, de vous donner de mes nouvelles et de me rapporter
des vôtres, parce que personne ne s’intéresse plus que moi à vo-
tre santé. Permettez-moi en même temps de vous présenter l’of-
fre de mes services comme l’expression amiable des sentiments
distingués avec lesquels je suis plus cordialement que personne
du monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.

LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 7 septembre 1777.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai profité du voyage que le sieur de la Vallée a fait en
France(1) pour m’entretenir avec lui des affaires qui intéressent les
____________________
général des établissements français en Levant et en Barbarie, le 14 avril 1777, — et le
carton intitulé : Mission de Tott en Levant et en Barbarie. (Archives des Affaires étrangè-
res, Ordres et dépêches du Roi, Levant et Barbarie, 1777.) — Voy. aussi le Rapport de M.
le baron de Tott, Inspecteur général des Échelles du Levant et de Barbarie. (Archives de
la Chambre dé commerce de Marseille, S. HH, 10 de l’Inventaire.)
1. Après avoir réglé l’affaire du Septimane, notre Consul demanda à la Cour
AVEC LA COUR DE FRANCE 345

les Français et les Algériens. J’ai reconnu en lui de plus en plus


les sentiments et les qualités les plus propres pour lui donner
ma confiance et lui concilier la vôtre; je vous le recommande de
nouveau très particulièrement, et je vous prie de le recevoir avec
la même amitié dont vous l’avez toujours honoré ; je reconnaîtrai
dans l’accueil que vous lui ferez celle que vous avez pour moi.
Le sieur de la Vallée sera, comme par le passé, l’interprète de
mes sentiments personnels, et l’instrument d’une bonne harmo-
nie fondée sur des services et des procédés réciproques.
Sa Majesté Impériale me commande de vous faire savoir
qu’elle continue de charger ce Consul de ses pouvoirs pour tous
les intérêts de la nation française dans votre pays ; il a reçu ses
ordres suprêmes relativement à l’affaire malheureuse du sieur
Crest(1), et je suis persuadé que vous serez sensible aux procédés
généreux de Sa Majesté Impériale dans cette occasion. Vous vou-
drez bien donner toute créance aux explications que le sieur de la
Vallée vous donnera sur cet objet. J’espère que cet officier vous
trouvera dans des dispositions conformes à celles dont il a ordre
____________________
« d’aller respirer un air moins orageux que celui d’Alger », et partit pour Marseille le 5
avril 1777, laissant les sceaux au Chancelier Meifrund. Le sieur Renaudot fut envoyé dans
la Régence en qualité de Vice-Consul intérimaire, et fut désigné au retour du titulaire du
poste, quatre mois après, pour remplir les mêmes fonctions à Latakié. De la Vallée reçut
à Versailles de nouvelles provisions, avec le titre inusité jusqu’alors de « Consul général
et Chargé des affaires de Sa Majesté auprès du Dey d’Alger ». Voy. Lettres de Meifrund
et de de la Vallée au comte de Sartine, les 2 juillet et 16 août 1777.
1. Le sieur Crest, régisseur à Alger de la maison de commerce des sieurs Rafeau et
Cie, venait de faire banqueroute et de laisser un déficit considérable. Les Algériens étaient
créanciers d’une somme de 193 479 l., sur laquelle il était dû 57 003 I. au Bey de Constan-
tine pour une cargaison de blé, et 75 234 I. à divers négociants mores assez influents. De
la Vallée représenta cette affaire comme très grave, en raison de la constitution du pays
qui nous rendait responsables des actes de toute nature commis par nos nationaux. Les
Députés du commerce de Marseille furent invités par le Ministre à désintéresser Intégra-
lement, sur les fonds de la Chambre, les créanciers ou leurs représentants, Juifs pour la
plupart. Ces derniers ne tardèrent pas à recevoir satisfaction, grâce à l’active intervention
de M. de la Tour, Intendant et Inspecteur général du commerce de Marseille. Voy. Lettres
du comte de Sartine à de la Vallée et aux Députés de Marseille, les 4 et 8 septembre 1776,
15 et 28 octobre 1777, 26 mai et 28 septembre 1778, — Lettres de de la Vallée au comte
de Sartine, les 15 décembre 1776, 31 octobre 1777 et 6 août 1778. (Archives des Affaires
étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S.
AA, 98 de l’Inventaire.)
346 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de vous assurer, pour entretenir la meilleure intelligence entre


la France et le Royaume d’Alger et la rendre inaltérable. Je fais
des vœux pour votre santé et pour que tout contribue à conserver
une union durable entre nous, à écarter tout sujet de plainte et
d’inquiétude, et à intéresser toujours Sa Majesté Impériale à la
prospérité de votre Gouvernement. Elle m’a permis de vous re-
nouveler l’assurance de sa haute bienveillance, et je suis flatté de
pouvoir y ajouter avec sincérité les offres réelles de mes services,
et les témoignages de la considération distinguée avec laquelle je
suis très cordialement,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 30 octobre 1777.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

J’étais dans l’impatience de recevoir de vos nouvelles lors-


que le sieur de la Vallée, Consul, qui était parti il y a quelque
temps d’Alger(1), est arrivé ici sur une frégate du Roi de France et
m’a remis une lettre de votre part(2). Je l’ai lue avec l’empresse-
ment le plus vif, et j’y ai vu avec reconnaissance les témoignages
flatteurs de vos sentiments pour moi; vous ne devez pas douter
____________________
1. Voy. la note 1, p. 344.
2. Cette frégate était commandée par le chevalier de Bonneval ; elle arriva à Al-
ger le 9 octobre 1777. Voy. Mémoire du Roi pour servir d’Instruction au chevalier de
Bonneval, commandant la frégate du Roi L’Alcmène, le 8 septembre 1777, — Lettres de
Meifrund et de de la Vallée au comte de Sartine, les 28 et 31 octobre 1777. (Archives des
Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 347

que les miens ne soient les mêmes à votre égard, et que je ne


saisisse avec ardeur les occasions de vous donner des preuves de
leur sincérité.
J’ai vu, par cette même lettre, que le dit Consul avait eu le
bonheur d’être admis en votre présence et de s’entretenir avec
vous, et que, par une suite de la juste confiance que vous avez en
lui, vous l’aviez renvoyé dans ce pays pour être le négociateur
de toutes les affaires qui peuvent être entre nous et le médiateur
de notre amitié réciproque. J’ai vu, par la même lettre, que vous
l’aviez chargé en particulier d’arranger la malheureuse affaire qui
est arrivée au sieur Crest et généralement tout ce qui concerne la
France. Vous ne devez pas douter que, relativement aux marques
de cordialité et de sincérité que je reçois de votre part dans toutes
les occasions, je ne me fasse un devoir de préférer la nation fran-
çaise à toutes les autres, et que je ne protège et favorise particu-
lièrement les négociants français qui sont ici. Je leur accorderai,
autant qu’il dépendra de moi, toutes les grâces qu’ils me deman-
deront ; je souhaite qu’elles leur servent pour faire avec le temps
et la patience leur fortune, et ils auront toujours la préférence sur
toutes les autres nations européennes. L’expérience, la douceur,
la candeur de votre Consul et l’amitié et l’estime que j’ai pour
lui m’engageront à le faire, autant que je pourrai, dans toutes les
occasions; mais vous n’ignorez point qu’il est des grâces d’une
nature que l’on ne peut accorder, ce sont celles où l’équité pour-
rait être intéressée ou même blessée ; il faut rendre justice avant
toute chose.
Que le Tout-Puissant augmente de jour en jour les liens qui
nous unissent, et rende éternelle la bonne harmonie qui règne en-
tre nous !

Écrit à Alger, le 30 octobre 1777 de Jésus-Christ, à Alger la


bien gardée.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 30 novembre 1777.
348 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles,le 8 décembre 1711.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Vous aurez appris le malheureux événement arrivé à un de


vos chebeks qui a échoué sur les côtes de France(1). Les officiers
de Sa Majesté Impériale qui y commandaient se sont empressés
de donner à vos gens tous les secours dont ils pouvaient avoir
besoin, et j’ai vu avec plaisir qu’ils avaient témoigné la plus vive
reconnaissance des soins qu’on a pris d’eux dans leur malheur.
Dès que j’en ai été informé, j’en ai rendu compte à l’Empereur, et
Sa Majesté Impériale, touchée de leur sort et voulant vous donner
une preuve de sa haute bienveillance, a envoyé deux de ses fréga-
tes pour les prendre et les reconduire à Alger(2). Des bâtiments de
Sa Majesté les mettront à l’abri de tout accident fâcheux, et je me
félicite de trouver cette occasion de vous renouveler l’assurance
des sentiments distingués que je vous ai voués, et avec lesquels
je suis plus que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.
____________________
1. Il s’agit d’un chebek algérien armé de 12 canons et monté par 200 hommes
d’équipage. Le naufrage avait eu lieu sur les côtes du Languedoc, près de Leucate. Voy.
Lettre du comte de Sartine aux Députés de Marseille, le 10 novembre 1777. (Archives de
la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 98 de l’Inventaire.)
2. La Cour avait donné l’ordre au marquis de Saint-Aignan, Commandant de la
Marine à Marseille, d’envoyer deux frégates au mouillage de Port-Vendre et de répartir
sur chacune d’elles les Algériens dont il est question. Cet officier devait s’entendre à cet
effet avec le comte de Mailly, Commandant en Roussillon, et le sieur de La Porte, Inten-
dant de cette province. Les capitaines des frégates devaient se rendre ensuite à Alger, et
il leur était prescrit « d’avoir des attentions pour les refit algériens, et de ne rien négliger
pour que l’équipage ait lieu de se louer du bon traitement reçu par eux ». Voy. Mémoire du
Roi pour servir d’Instruction aux sieurs de Vialis de Fontebelle et de Gineste, capitaines
de vaisseau, commandant L’Engageante et La Sultane. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 349
LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 22 décembre 1777.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Je vous ai écrit il y a quelques jours, au sujet des Algériens


qui ont eu le malheur de faire naufrage sur les côtes de France, et
que Sa Majesté a bien voulu vous renvoyer sur deux de ses fré-
gates pour leur éviter tout événement fâcheux(1). J’ai reçu depuis
votre lettre du 30 octobre, que vous m’avez fait parvenir par la
frégate L’Alcmène, commandée par le chevalier de Bonneval(2).
J’ai vu avec plaisir que vous jouissiez d’une bonne santé, et cette
nouvelle m’a été très agréable par le vif intérêt que je prends à un
Prince à qui j’ai voué, depuis mon entrée dans le Ministère, les
sentiments de la plus véritable amitié.
Je regarde la malheureuse affaire du nommé Crest(3) com-
me finie, puisque les Algériens ont été satisfaits, et qu’il ne res-
tait qu’à liquider les créances exagérées et usuraires des Juifs. Je
connais trop votre justice pour ne pas être assuré que vous aurez
interposé votre autorité, afin de terminer conformément à l’équité
cette discussion, où vos sujets ont eu à se louer infiniment de la
générosité de l’Empereur, mon Maître. Je me réfère, au surplus,
aux explications ultérieures que M. de la Vallée est chargé de
vous donner pour prévenir par la suite de pareils événements.
Je n’ai plus à vous entretenir que de l’accident arrivé au ca-
pitaine Barthole et aux Algériens qui se trouvaient sur son bord,
et des réclamations qu’il a fait naître(4). J’ai été très fâché de tout
____________________
1. Voy. p. 348.
2. Voy. p. 346.
3. Voy. la note 1, p. 345.
4. La polacre française Le Saint-Victor, commandée par Claude Barthole, de
Saint-Tropez, et chargée de 183 pèlerins II destination de La Mecque, fut capturée le 28
août 1777 par une frégate espagnole, La Vierge des Carmes, qui l’emmena à Carthagène.
350 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ce qui s’est passé dans une occurrence aussi désagréable, et où


un Commandant espagnol a eu la témérité de manquer au respect
qu’il devait au pavillon de France en arrêtant, contre le droit des
gens, un bâtiment français qui transportait des Hadjis(1) à Alexan-
drie avec leurs effets. L’ordre que Sa Majesté Catholique a donné
de les remettre en liberté est la preuve complète qu’on ne peut at-
tribuer cette aventure qu’à la légèreté et à la mauvaise conduite du
Commandant espagnol. Je présume même que Sa Majesté Catho-
lique sera indignée, lorsqu’elle apprendra les excès auxquels les
équipages espagnols se sont portés et les vols qu’ils ont commis(2).
Sa Majesté Impériale vient de lui en adresser les plaintes les plus
vives, et je dois croire que la Cour d’Espagne vous donnera une
entière satisfaction sur cet objet. Je vous écrirai d’une manière
encore plus positive, lorsque sa réponse nous sera parvenue.
Mais Sa Majesté Impériale, dont les Algériens ont déjà
éprouvé si souvent des marques de sa bienveillance, veut bien
encore, pour éviter un retard trop long, faire avancer de son Tré-
sor royal la somme de 185 964 l. 6 s. 6 d., à laquelle se monte la
liquidation des différents objets qui ont été alloués aux. Hadjis
par le sieur Meifrund(3), et Sa Majesté Impériale en demandera
____________________
Le Gouvernement de Madrid fit relâcher aussitôt cette prise, mais la cargaison avait été
presque entièrement pillée. Les passagers déclarèrent qu’ils ne voulaient plus continuer
leur pèlerinage, mais revenir au plus tôt à Alger pour s’y faire rendre justice. Cette affaire
causa à notre Consul les altercations les plus pénibles, et de la Vallée dut s’engager à pro-
curer aux Algériens le prompt remboursement de leurs effets. Voy. Lettres de Meifrund et
de de la Vallée au comte de Sartine, les 8 et 29 octobre et 15 novembre 1777.
1. On appelait ainsi ceux qui avaient fait le voyage de La Mecque et le pèlerinage
du tombeau de Mahomet. Les Musulmans les regardaient comme étant déjà sanctifiés.
Les passagers du capitaine Barthole n’étaient pas devenus à proprement parler Hadjis,
puisqu’ils avaient renoncé à continuer leur voyage.
2. « Les Espagnols lièrent les mains des prisonniers derrière leur dos, et on les
serra si fort que l’impression en est restée pour la plupart. Si l’on entendait le moindre
bruit de leur part, on les battait à discrétion et on les mettait à la chaîne. Ces pauvres gens
ont été traités en un mot comme des esclaves. Barthole reçut de la part d’un sergent es-
pagnol un soufflet qui le renversa, et eut le bonheur d’esquiver un coup de couteau qu’un
matelot lui lança. On n’entendit pendant la nuit qu’un cri de gens qu’on estropiait et à qui
l’on coupait la bourse. » Lettre de Meifrund au comte de Sartine, le 8 octobre 1777.
3. Cette liquidation fut faite par les soins de Meifrund. Elle fut approuvée par
le Roi et le Ministre qui confièrent au comte de Vergennes, alors Secrétaire d’État des
AVEC LA COUR DE FRANCE 351

ensuite le remboursement à la Cour d’Espagne(1), Je m’occupe


des moyens de faire passer incessamment cette somme à Alger,
et je n’attends plus que les états des avances qui ont été faites aux
Algériens naufragés sur les côtes du Languedoc pour déduire, des
185 968 l., la somme qui sera due à la France pour cet objet. Cette
opération sera beaucoup plus simple que si je vous envoyais la
somme entière destinée aux Hadjis, et que vous fussiez obligé
de me renvoyer ensuite celle que nous avons avancée pour les
Algériens naufragés. Mais nous ne comprendrons point dans cet
état les frais de l’armement des frégates; l’Empereur, mon Maî-
tre, veut se charger de cette dépense et vous donner cette preuve
de ses sentiments. Vous devrez y compte ; tant que les Algériens
se conduiront avec la France comme de bons et fidèles amis. En
mon particulier, je chercherai toutes les occasions de resserrer de
plus en plus les liens qui unissent depuis si longtemps les Fran-
çais et les Algériens, et de vous convaincre que je suis et serai
toujours,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.
____________________
Affaires étrangères, le soin de réclamer le remboursement de cette avance à la Cour de
Madrid. Voy. Lettre de Meifrund au comte de Sartine, le 8 octobre 1777, — Lettre du
comte de Sartine à de la Vallée, le 22 décembre 1777, — État des sommes réclamées par
les 183 passagers mores de la polacre Le Saint-Victor, qui fut attelée le 28 août dernier, à
sa sortie du port d’Alger, par l’escadre de S. M. C. qui croisait sur cette côte et conduite
à Carthagène, à l’occasion des vols, pillages, consommations et dégâts de tout ce qu’ils
avaient à bord, argent, marchandises, hardes et provisions, soit 165 301 pataques, à 22
livres 6 deniers la pataque (185 964 l. 6 s. 6 d.).
1. « La Cour exigera sans doute une satisfaction éclatante et, malgré son système
de modération envers une nation alliée, elle sentira qu’une réparation authentique peut
seule rendre au pavillon français la considération qui lui est due, et faire oublier aux étran-
gers les différentes atteintes que les Espagnols ont portées à son immunité. Les Mores
en étaient si scandalisés qu’ils demandaient avec étonnement si le Roi d’Espagne était
ennemi du Roi de France, et si les Espagnols étaient chrétiens comme nous. » Lettre de
de la Vallée au comte de Sartine, le 29 octobre 1777. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
352 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 27 avril 1778.

Très illustre et magnifique Seigneur,

J’ai appris avec plaisir, par le Commandant des deux fré-


gates de Sa Majesté Impériale(1), que vous jouissez d’une bonne
santé. Vous devez juger du plaisir que j’en ai ressenti par l’intérêt
que j’y prends et l’amitié qui me lie à vous. J’aurais voulu pou-
voir vous entretenir plus tôt des affaires que vous lui avez recom-
mandées, mais j’en ai été empêché par les armements nombreux
et formidables que Sa Majesté Impériale m’a commandé de faire
préparer dans tous ses ports(2). Le sieur de la Vallée a eu ordre de
vous en notifier les motifs. Vous devez sentir que d’aussi grands
mouvements ont arrêté nécessairement le cours des affaires or-
dinaires. Actuellement que la flotte de 17 vaisseaux de guerre,
commandée par le Vice-Amiral comte d’Estaing, est partie de
Toulon depuis le 13 de ce mois, que tous les autres armements
sont prêts dans les ports(3) et qu’ils n’attendent plus que les ordres
____________________
1. MM. de Vialis de Fontebelle et de Gineste arrivèrent à Alger le 5 février 1778
et y débarquèrent les Algériens naufragés. Voy. Lettre du Vekilhardji de la Marine d’Alger
au Consul de France, le 12 février 1778 : « J’ai reçu par le Commandant des frégates
françaises qui sont arrivées dans ce port tout ce qu’on a sauvé du corsaire algérien qui a
fait naufrage sur votre côte, suivant la note de l’Écrivain, propriétaire du dit corsaire. Je
rends bien des grâces à Votre Excellence de la peine que vous avez bien voulu prendre à
cette occasion, ainsi que des bons traitements que nos soldats et nos mariniers ont reçus
tant à terre qu’a bord. Je m’efforcerai en toute occasion de reconnaître ce que vous venez
de faire par le zèle le plus ardent dans tout ce qui pourra concerner les sujets de votre na-
tion dans ce Royaume. Honorez-moi de vos ordres. Je suis avec respect votre très obligé
et très fidèle ami. — Hassan, Vekilhardji de la Marine. »
2. Franklin venait de signer, le 6 février 1778, le traité d’alliance défensive qui
allait amener notre intervention dans la guerre de l’Indépendance des États-Unis.
3. La flotte du comte d’Estaing se rendait dans la baie de la Delaware, pendant que
celle du comte d’Orvilliers se préparait à combattre l’amiral Keppel en vue de Brest.
AVEC LA COUR DE FRANCE 353

de Sa Majesté Impériale, je n’ai rien eu de plus pressé que de


m’occuper de ce qui regarde les intérêts d’un Prince pour qui Sa
Majesté Impériale a la plus haute bienveillance. Agréez d’abord
tous mes remerciements des deux chevaux que vous avez bien
voulu m’envoyer.
J’ai chargé, par ordre de Sa Majesté Impériale, un de ses ca-
pitaines de vaisseau(1) de porter à Alger le montant de la somme
que Sa Majesté Impériale a bien voulu accorder, en dédommage-
ment, à ceux de vos sujets qui ont été pillés par les officiers et les
équipages des vaisseaux espagnols qui avaient arrêté le capitaine
Barthole(2). Quoique la France ne puisse pas répondre du fait des
Espagnols, Sa Majesté a bien voulu avoir égard aux représenta-
tions de ceux de vos sujets qui ont essuyé des pertes dans cette
circonstance. Vous reconnaîtrez sans peine, dans ce généreux
procédé, les sentiments de noblesse et de grandeur qui caracté-
risent mon auguste Souverain. Sa Majesté Impériale veut bien
encore vous en donner une nouvelle preuve ; elle se désiste de
la demande qui vous avait été faite des frais qu’ont occasionnés
les Algériens dont le chebek s’est brisé sur les côtes de France,
sur le désir que vous en avez témoigné(3). Sa Majesté Impériale
s’est fait un plaisir de vous donner encore ce témoignage de son
amitié; je me persuade que vous en sentirez tout le prix.
Mais dans le temps où je n’étais occupé qu’à vous procurer
et à vos sujets des marques éclatantes des bontés de Sa Majesté
Impériale, devions-nous nous attendre à avoir de justes sujets de
plaintes à vous porter ? J’étais dans la plus grande sécurité sur la
conduite de vos corsaires, dans la confiance où j’étais de l’exé-
cution des ordres que vous leur aviez donnés, lorsque j’ai appris
avec au tant de surprise que de regret qu’un de vos corsaires,
non content de poursuivre un bâtiment génois sur les côtes de la
____________________
1. M. de Martelly, commandant la frégate du Roi La Pléyade.
2. Voy. Lettres du comte de Sartine aux Députés de Marseille, les 30 avril et 1er
juin 1778, relatives aux ordres donnés pour le payement de cette indemnité au Dey, et à
l’allocation de 9 344 I. attribuée au capitaine Barthole, à titre de compensation de la saisie
de son navire. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 99 de l’Inven-
taire.)
3. Voy. Lettres de de la Vallée au comte de Sartine, les 20 janvier et 10 février 1778.
354 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

domination de Sa Majesté Impériale, a osé encore détacher une


de ses chaloupes dont les gens, après avoir pillé le bâtiment gé-
nois qui s’était échoué, ont débarqué et poursuivi l’équipage dans
l’intérieur des terres(1). Un d’eux a même eu l’audace de faire feu
sur un sujet de Sa Majesté Impériale, et ils ne se sont rembarqués
que lorsqu’ils y ont été contraints par les habitants, qui se sont ar-
més pour repousser une attaque aussi imprévue. Vous entendrez
sûrement avec indignation le récit que le sieur de la Vallée vous
fera de toutes les circonstances qui ont accompagné cette viola-
tion manifeste de territoire, et vous êtes trop éclairé pour ne pas
en sentir vous-même toutes les conséquences. Je me contente de
vous prévenir que le sieur de la Vallée a des ordres exprès pour
vous en faire toutes les représentations, et vous demander la sa-
tisfaction qu’exige une pareille infraction aux traités. Je vous prie
de lui donner une entière créance, et je m’en repose sur ce qu’il
vous dira. J’espère que dans un cas aussi grave, qui intéresse aus-
si essentiellement votre honneur et votre équité que la dignité et
les droits de la Couronne de France, vous n’hésiterez point à jus-
tifier tout ce que je me suis toujours promis de vos sentiments et
de vos dispositions. Vos propres réflexions vous feront connaître
combien il importe de n’y point laisser d’incertitude. Du côté des
Français, on a toujours apporté le plus grand soin à ce qui pouvait
cimenter la bonne intelligence, et j’y ai assez de confiance pour
avoir engagé Sa Majesté Impériale à ne pas suspendre l’envoi
des sommes destinées à vos sujets. Je ne pouvais pas mieux vous
témoigner le désir que j’ai d’aplanir, autant qu’il est possible, les
difficultés de cette malheureuse affaire, mais elle est en même
temps trop sérieuse pour ne pas exiger la même volonté de votre
part. Je fais des vœux sincères pour que cette occasion serve à
resserrer de plus en plus les liens de la bonne intelligence, et à
assurer mieux l’exécution des traités.
____________________
1. La chasse donnée par le corsaire Soliman à des marins génois avait eu lieu près
de Saint-Tropez, aux abords du château de Ramatuelle. Voy. Lettre de M. de Ramatuelle
au marquis de Saint-Aignan, le 13 avril 1778, — Mémoire pour l’année 1778, par de la
Vallée, — Lettre de de la Vallée au comte de Sartine, le 24 mai 1178. (Archives des Affai-
res étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 355

J’attends de vous une résolution satisfaisante, et digne des


hautes lumières et de la saine politique qui vous distinguent. Les
terres de France, qui ont toujours été un asile assuré pour les Al-
gériens, ne seront plus violées par des sujets téméraires qui ont
osé enfreindre vos ordres. Votre justice m’en répond, et je vous
prie d’être assuré que je n’en serai que plus empressé à vous
donner, à l’avenir, des marques efficaces de l’attachement avec
lequel je suis plus cordialement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
SARTINE.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 21 mai 1778.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Afrique.
Dans le moment où j’attendais avec la plus vive impatience
des nouvelles de votre santé, la lettre dont vous m’avez honoré(1)
m’est parvenue le 21 de mai; elle m’a été remise par le Capitaine
de la frégate(2) qui a conduit ici M. de la Vallée, Consul de France.
Comment vous exprimer ma sensibilité pour tous les témoignages
d’amitié qu’elle renferme ? Je sens tout le prix de vos bontés, et
des efforts généreux que votre amitié vous a engagé à faire en ma
faveur ; je vous en rends de très vives actions de grâce. J’ai appris
que le glorieux Empereur de France, notre grand ami, faisait armer
toutes ses flottes impériales(3), et j’ai adressé dans cette occasion
mes vœux les plus ardents au Maître de l’univers, pour qu’il dai-
gne protéger et favoriser les entreprises de ce Monarque.
____________________
1. Voy. p. 352.
2. Le chevalier de Bonneval, commandant L’Alcmène.
3. Voy. les notes 2 et 3, p. 352.
356 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Ce Capitaine de frégate m’a remis les sommes que l’Empe-


reur de France a bien voulu m’accorder, en dédommagement du
pillage qui avait été fait, contre toutes les lois, par les Espagnols
sur un vaisseau français chargé de marchandises de mes sujets(1).
Cette faveur de l’Empereur m’a pénétré de joie et de reconnais-
sance. Fasse le ciel que rien au monde ne puisse affaiblir les liens
de l’amitié sincère qui nous unit, et que plutôt ils se resserrent et
deviennent éternels ! Je n’ai pas moins été sensible à la faveur
que m’a faite le même Empereur de me remettre toutes les som-
mes considérables dont je lui étais débiteur, pour les dépenses
qui ont été faites à l’occasion du bâtiment échoué sur les côtes
de France(2). Cette générosité de sa part, et les bons traitements
qu’ont éprouvés par ses ordres le dit Capitaine et son équipage,
découvrent sa grande âme et toute la générosité et la noblesse de
son cœur impérial. Un bienfait aussi inestimable exige de ma part
une reconnaissance éternelle.
Les côtes de France ont toujours été respectées par nos cor-
saires, qui, de leur côté, y ont trouvé toute la sécurité et toutes les
ressources possibles. Dans le désir que j’ai que rien ne puisse alté-
rer cette tranquillité, je recommande fortement à tous les reïs qui
arment dans ce port de ne commettre, à la vue des terres de Fran-
ce, aucune action qui soit contraire au bon ordre et aux règles. Le
Consul de France m’ayant fait part qu’un de nos corsaires a osé
attaquer sur vos côtes un bâtiment génois, que, non content de le
forcer à échouer, il a eu la témérité de descendre à terre avec son
équipage, et que les habitants de la côte ont pris les armes et l’ont
obligé à se rembarquer, j’ai fait aussitôt venir le corsaire et, après
m’être instruit de la vérité du fait, en présence de tous les reïs,
____________________
1. La Pléyade arriva le 21 mai et fut saluée selon l’usage. M. de Martelly laissa à
notre Consul les fonds qui lui avaient été confiés par la Chambre de Marseille, et remit à
la voile après avoir été saluer le Dey. Voy. Mémoire pour servir d’Instruction au sieur de
Martelly, Capitaine de vaisseau commandant La Pléyade, le 30 avril 1778, — Quittance
de Mohammed, Dey et Gouverneur d’Alger la bien gardée, de 18 366 sequins reçus des
mains de M. de la Vallée, Consul de France, pour pareille somme enlevée injustement
par les Espagnols à nos pèlerins musulmans, le 26 mai 1778, — Lettre de de la Vallée au
comte de Sartine, le 26 mai 1778. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. p. 353.
AVEC LA COUR DE FRANCE 357

je lui ai témoigné mon indignation pour un si lâche procédé, je


l’ai tancé vivement et je l’ai chassé de ma présence(1).
Écrit d’Alger la bien gardée, le 23 de la lune de Rebi-el-
aker, l’an de l’hégire 1192, c’est-à-dire le 21 mai 1778.
Traduit par CARDONNE, Secrétaire-interprète du Roi, le 17 juillet 1778.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE SARTINE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 7 décembre 1779.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Au Chef des grands chrétiens, au plus glorieux des Sei-


gneurs qui suivent la religion du Messie, le très illustre et ma-
gnifique Vizir de l’auguste Empereur de France, notre judicieux
et vertueux ami. — Que le ciel vous accorde une fin heureuse
et qu’il vous dirige dans la voie droite ! — Puissiez-vous jouir
d’une vie longue et du Ministère le plus fortuné ! Ainsi soit-il !
par Jésus, fils de Marie.
Vous ne devez point douter de la sincérité de ces souhaits
et de mes sentiments pour vous, d’après la confiance que m’ins-
pirent les vôtres pour moi. J’ai l’honneur de vous informer que le
sieur Meifrund, qui réside ici en qualité de négociant et de Lieu-
tenant du Bastion(2), m’ayant requis de lui prêter 10 000 sequins
____________________
1. Le corsaire. Soliman, menacé de la bastonnade, trouva le moyen de se sous-
traire habilement à la punition demandée par notre agent. « Il vint se réfugier à la maison
consulaire, dans laquelle il déclara qu’il avait choisi son asile sous le pavillon de Sa Ma-
jesté, et qu’il n’en sortirait que sur l’assurance que je lui donnerais qu’il ne lui arriverait
rien de sinistre. J’ai cru devoir solliciter sa grâce, et je l’obtins à condition qu’il serait en-
fermé pendant quelque temps et qu’il ne commanderait pas de sitôt. La Cour a approuvé
ma conduite, et le Dey m’a su gré de la noblesse de mon procédé. » Lettre de de la Vallée
au comte de Sartine, le 26 mai 1778.
2. Agent de la Compagnie royale d’Afrique à Alger.
358 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pour payer des dettes qu’il avait contractées pour le service de


sa place, je lui ai volontiers prêté la dite somme, soit par consi-
dération personnelle, soit par l’estime que je portais à une per-
sonne qui vous appartient, et que j’eusse vue avec déplaisir dans
le cas de faire triste figure vis-à-vis de ses créanciers. Le susdit
Meifrund devait déjà à la Régence 970 sequins. Nous avons ap-
pris que vous l’aviez déposé de sa place, et qu’il n’avait consé-
quemment plus rien à voir ni à prétendre dans l’administration(1).
Nous lui avons souvent redemandé le payement de ce qu’il nous
devait ; ses réponses ont été ambiguës et tendaient à obtenir du
répit, ce qui nous a déterminé à nous adresser à M. de la Vallée,
votre Consul auprès de nous, et à lui demander une explication
sur la conduite du dit sieur Meifrund. Le dit Consul nous a répon-
du par une exclamation d’étonnement : — « Pourquoi lui prêtiez-
vous tant d’argent ? » — Mais vous n’ignorez pas tout le crédit
dont tout ce qui vous appartient jouit auprès de nous. Le sieur
Meifrund était revêtu d’une place de confiance ; il a passé ici une
grande partie de sa vie, il y a mené une conduite régulière, il y a
fait son commerce avec honneur, et nous avons souvent éprouvé
sa droiture dans les affaires et dans les négociations(2). S’il nous
eût demandé une somme encore bien plus considérable, pour lui
éviter le moindre affront vis-à-vis de ses égaux et par considéra-
tion pour vous, dont il pouvait réclamer la protection, sur sa sim-
ple parole, nous lui eussions compté tout ce qu’il aurait voulu.
Nous vous supplions donc, à la réception de cette lettre d’amitié,
____________________
1. Notre Consul avait averti le Ministre que la situation des affaires de cet agent ne
tarderait pas à nous causer des embarras. La Cour lui avait retiré en conséquence, le 5 octo-
bre 1778, son brevet de Chancelier, sous le prétexte qu’elle ne voulait plus, par une mesure
générale, confier à des négociants des fonctions officielles. Elle lui avait donné à titre de
compensation, eu égard aux pertes qu’il avait éprouvées dans l’affaire du Septimane, une
pension annuelle de 2 000 l., et elle avait nommé le même jour à sa place le sieur Ferrier,
résident français à Alger. — Voy. Lettres du comte de Sartine à de la Vallée et à Meifrund,
le 5 octobre 1778, — Lettre de de la Vallée au comte de Sartine, le 28 décembre 1778.
2. Voy. Lettres du comte de Sartine à de la Vallée, le 12 avril 1779, de Meifrund
et de la Vallée au comte de Sartine, les 22 août 1778, 12 janvier, 30 juin et 7 décembre
1779, relatives à la déconfiture de ce négociant, et aux réclamations des Algériens que
notre Consul déclara ne pas pouvoir éluder. (Archives des Affaires étrangères, Consulat
d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 359

de vouloir bien nous donner une réponse satisfaisante, qui nous


présente un moyen facile et amiable de recevoir pour nous et
pour notre Régence le payement des créances que nous avons à
exercer contre le dit sieur Meyfrund. Au surplus, noces souhai-
tons sincèrement que vos dispositions soient toujours favorables
à l’amitié qui nous unit, et que la bonne intelligence qui règne
entre les deux nations soit si constante qu’elle devienne un sujet
de jalousie pour les autres !
Écrit au commencement de décembre, l’an de Jésus-Christ
1779, dans le courant de la lune de Zilcadé, l’an de l’hégire 1193,
dans la place bien gardée d’Alger en Afrique, lieu du combat
continuel contre les infidèles.

Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 22 décembre 1779.

LE MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 18 février 1781.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Les changements survenus au Département de la Marine, et
les affaires importantes dont on y est occupé depuis longtemps,
ont retardé l’examen et le compte qu’il fallait rendre à l’Empe-
reur, mon Maitre, de la réclamation que vous faites d’une somme
de 10 000 sequins prêtée au sieur Meifrund(2). J’ai profité avec
empressement de la première occasion favorable pour mettre sous
les yeux de Sa Majesté Impériale la lettre que vous avez écrite
à mon prédécesseur pour former cette demande(3). Comme l’ori-
gine de cette dette est antérieure à la date de la déclaration que
____________________
1. Charles-Eugène-Gabriel de La Croix, marquis de Castries, ancien Gouverneur
de Flandre et du Hainaut, était Lieutenant général des armées du Roi quand il fut nommé,
le 16 octobre 1780, au Département de la Marine. Il occupa ce poste jusqu’en 1787.
2. Voy. les notes 1 et 2, p. 358.
3. Voy. p. 357.
360 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

M. de la Vallée a été chargé de vous faire, pour affranchir désor-


mais la nation française à Alger du recours auquel, elle était abu-
sivement exposée pour les engagements pris par ses membres, Sa
Majesté Impériale, n’ayant pas eu l’intention de donner un effet
rétroactif à cette juste précaution, a bien voulu prendre en considé-
ration votre prétention. Elle charge en conséquence M. de la Vallée
d’en reconnaître la légitimité. Ce Consul général aura l’honneur
de vous remettre un écrit en vertu de cette autorisation, par lequel
il s’obligera à vous payer à différentes époques, dont vous aurez
la bonté de convenir avec lui, la somme de 10 000 sequins(1). J’es-
père que vous vous prêterez avec facilité aux arrangements qu’il
aura à vous proposer pour que ce remboursement soit successif et
moins onéreux aux finances de Sa Majesté Impériale.
Mais comme cet événement fait encore mieux sentir la né-
cessité de rendre les dettes personnelles à ceux qui les contractent,
de manière que les créanciers ne puissent à l’avenir prétendre à
d’autres ressources qu’a celles qu’offriront les biens du débiteur,
Sa Majesté Impériale se flatte que vous serez assez sensible à cette
marque de sa condescendance pour ne pas refuser à M. de la Vallée
une promesse authentique, et par écrit, de ne plus rechercher désor-
mais la nation pour les suites de pareils engagements. Elle attend
cette preuve de votre équité, de la droiture de votre cœur et de la
sincérité des sentiments distingués qui caractérisent votre Gouver-
nement. Au surplus, Sa Majesté Impériale a remarqué avec plaisir,
dans les procédés que vous avez mis en usage dans cette circons-
tance, que vous teniez constamment aux liens de l’amitié qui unis-
sent la France avec la Régence. Je ferai toujours ce qui dépendra de
moi pour les resserrer, et pour vous convaincre qu’il n’est personne
qui soit plus cordialement et plus parfaitement que moi,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
CASTRIES.
____________________
1. Voy. Mémoire pour 1780, par de la Vallée, — État des dépenses secrètes du
Consulat pendant les années 1779 et 1780, — Récapitulation des présents en bagues,
montres, étoffes d’or et d’argent, draps et comptant, que devra faire mon successeur, par
de la Vallée. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 361
M. DE SAINT-DIDIER, PREMIER COMMIS DE LA MARINE(1),
A SIDI HASSAN, VEKILHARDJI D’ALGER.

Versailles, le 1er avril 1781.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Son Excellence le Vizir de l’Empereur, mon Maître, s’est
fait rendre compte de l’affaire du capitaine Hébert et de ses deux
mousses qui, arrêtés l’année passée sur un navire génois où ils
n’étaient que simples passagers, avaient été mis par la suppres-
sion de leur passeport hors de mesure de faire constater leur qua-
lité et condamnés à une injuste captivité(2). Pour inspirer au Vizir
les sentiments d’estime et d’amitié que je vous ai personnelle-
ment voués depuis longtemps, il m’a suffi de lui mettre sous les
yeux la relation circonstanciée que M. de la Vallée, Chargé des
affaires de Sa Majesté Impériale auprès de la Régence, avait en-
voyée à la Cour de tout ce qui s’était passé dans cette occasion.
Vos bons offices auprès du Dey pour seconder les justes réclama-
tions de ce Consul, votre empressement à faire exécuter l’ordre
émané de l’équité du Prince, votre Maître, pour la restitution de
ces trois Français, l’exemple de l’obéissance que vous avez don-
née le premier en renvoyant gratuitement à l’hôtel consulaire un
des deux mousses que vous aviez acheté 200 sequins(3), et la li-
berté que vous avez procurée à un quatrième sujet de Sa Majesté
____________________
1. Amé de Saint-Didier, neveu et successeur de M. Leguay au poste de premier
commis du Département de la Marine, était entré dans les bureaux en 1756. Il avait rempli
deux missions en Levant, notamment en 1766, époque à laquelle il avait été Ordonnateur
de l’escadre commandée par le Prince de Listenois, Inspecteur général de la navigation
marchande dans la Méditerranée. La Chambre de commerce de Marseille lui allouait une
gratification annuelle de 8 000 livres.
2. Voy. Lettre de de la Vallée au comte de Sartine, le 20 avril 1780. « Je me suis
prévalu avec le plus grand empressement des certificats de Cadix pour procurer l’élargisse-
ment du capitaine Hébert et de ses deux mousses; ma réclamation n’a souffert que quelques
chicanes assez légères, après lesquelles ces trois Français m’ont été rendus de la meilleure
grâce du monde. Je suis sans doute redevable d’une aussi grande facilité à la bonne volonté
du Vekilhardji qui a secondé mes instances, et qui a commencé par donner l’exemple en me
renvoyant le jour même celui des deux enfants dont il avait acquis la propriété. »
3. Le sequin valait alors 7 livres 5 sols, la pataque d’Alger 22 sols 6 deniers, la
piastre de Tunis 33 sols.
362 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Impériale, dont le cas n’était pas aussi favorable que celui des
trois autres, en un mot toutes les preuves d’amitié et de désinté-
ressement que vous avez données dans cette circonstance se trou-
vaient réunies sous l’aspect le plus avantageux dans le compte
que M. de la Vallée en a rendu, et rien n’a échappé à l’attention
du Vizir. En appréciant la sagesse des principes d’après lesquels
vous avez renoncé au prix d’une propriété annulée par les traités,
Son Excellence n’a pu voir sans regret ce sacrifice de votre part,
quelque juste qu’il soit en lui-même, et elle a fait valoir auprès
de Sa Majesté Impériale le service que vous avez en même temps
rendu à un de ses sujets qui, pris sous le pavillon et à la solde
d’une Puissance ennemie d’Alger, n’a dû sa liberté qu’à votre
dextérité à profiter de la disposition favorable des esprits. L’Em-
pereur, mon Maître, satisfait de ce procédé qui prouve votre at-
tachement pour les Français, a ordonné à son Ministre de le faire
reconnaître par quelque bienfaisance. C’est à ce titre, très illustre
et magnifique Seigneur, que Son Excellence me charge de vous
faire présenter en son nom une montre d’or enrichie de diamants.
Elle m’enjoint de vous ajouter que vous pouvez en toute occasion
compter sur son amitié pour vous, et assurer le Dey de la haute
estime que les vertus de ce Prince lui ont inspirée. Vous ne devez
point douter de la satisfaction que je trouve dans l’exécution qui
m’est confiée de cette agréable commission. Je me flatte que M.
de la Vallée, qui doit vous remettre cette lettre amicale, ne vous a
pas laissé ignorer mon empressement à concourir, en tout ce qui
dépend de moi, aux avantages communs de la France et d’Alger,
et à ce qui peut resserrer de plus en plus les liens qui unissent les
sujets respectifs des deux Empires. Je n’ai d’autre mérite à cela
que celui de cultiver les heureuses dispositions du Vizir, mais je
peux vous assurer avec vérité que je n’ai négligé aucune occasion
de les mettre en évidence.
Je réclamerais sur ce point le témoignage des Algériens qui,
réfugiés l’année passée dans la rade de Toulon, y éprouvèrent
tous les bons traitements que dés peuples amis se doivent ré-
ciproquement et furent reconduits à Alger sur une des frégates
AVEC LA COUR DE FRANCE 363

impériales, si je ne craignais de rappeler ici la séance peu décente


à laquelle ce retour avait donné lieu entre M. de la Vallée et les
reïs de la Régence. La défense que Sa Majesté Impériale a fai-
te à son Chargé d’affaires de reparaître dans cette assemblée, et
tout ce que vous avez fait dans l’intervalle pour lui faire oublier
les propos peu mesurés qui avaient échappé pendant cette scène
douloureuse pour l’amitié, me font présumer qu’elle ne se renou-
vellera jamais(1). J’ai même pris sur moi, à l’exemple de M. de
la Vallée, de garantir au Vizir que vous chercherez à en effacer
le souvenir. Notre confiance ne peut qu’être justifiée sous votre
Ministère, et sous les auspices d’un Prince aussi éclairé et aussi
vertueux que l’est le Dey, votre Maître. Soyez persuadé que per-
sonne ne fait des vœux plus sincères pour le bonheur de son rè-
gne et pour votre prospérité personnelle. Ils prennent leur source
dans l’inviolable attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre parfait ami.
SAINT-DIDIER.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, avril 1781.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Afrique.
Le plus considéré parmi les Grands de la croyance de Jésus
et le plus distingué parmi ceux de la nation du Messie, le très
honoré, très illustre et très sincère ami le Vizir de l’Empereur de
France, — dont la fin soit heureuse ! —
Après vous avoir offert nos vœux et nos saluts les plus sin-
cères, nous nous informons de l’état de votre santé à laquelle nous
____________________
1. Voy. la note 1, p. 367.
364 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nous intéressons particulièrement, en vous souhaitant une vie


longue et heureuse avec toutes sortes de prospérités dans l’exer-
cice de votre haut Ministère. Ce sont là les vœux que nous vous
faisons sous les auspices de Jésus, fils de Marie.
Très illustre ami, dans le temps que nous étions dans l’at-
tente de nouvelles agréables de votre part, qui nous informassent
de l’état de votre santé, M. de la Vallée, votre noble Consul, nous
a remis les premiers jours du mois d’avril votre chère lettre(1) que
j’ai ouverte avec empressement, et j’ai vu que selon la coutume
des Rois qui jettent des yeux favorables sur le riche et sur le pau-
vre, et qui, marchant dans les voies de la justice, la font régner
parmi leurs sujets, Sa Majesté, se trouvant obligée de changer
quelquefois ses Ministres en vue du bien général, a fait choix
cette année de votre illustre personne pour l’élever au Ministère,
comme l’ayant reconnue la plus propre pour remplir un poste
aussi élevé dans la conduite des affaires importantes de la terre
et de la mer. Ce choix que l’Empereur de France, votre Maître, a
fait de vous étant agréable à, tous ceux qui en ont connaissance,
nous regardons comme un devoir, sur les informations que vous
nous en avez données, de vous faire notre compliment le plus
sincère et de vous témoigner la haute espérance que nous conce-
vons de votre habileté et de votre prudence, qui, tout en concou-
rant à resserrer les nœuds de l’amitié et de la bonne harmonie
qui règnent entre nos deux nations, feront notre joie mutuelle.
Ne doutez pas que l’amitié et la bonne intelligence qui depuis si
longtemps règnent entre l’Empire de France et notre République
ne soient fondées sur une estime et sur une considération parti-
culière que nous faisons de votre nation, au-dessus de toutes les
autres Puissances de l’Europe. Nous espérons que, dans la suite,
ces sentiments ne souffriront aucune atteinte de part et d’autre, ce
que nous assurerons par une correspondance mutuelle. Nous dé-
sirons et nous espérons que les traités de paix et d’amitié établis
parmi nous ne souffriront en aucun cas nulle atteinte, et qu’au
contraire nous ne nous écarterons en rien de tout ce qui pourra
____________________
1. Voy. p. 359.
AVEC LA COUR DE FRANCE 365

concourir à assurer la bonne intelligence qui règne entre-nous.


Nous prions Dieu de vous conserver de longues années. Ainsi
soit-il ! par respect de Jésus, fils de Marie.
Écrit l’an de Jésus-Christ 1781, vers le milieu d’avril, à Al-
ger la bien gardée.

SIDI HASSAN, VEKILHARDJI D’ALGER,


A M. DE SAINT-DIDIER, PREMIER COMMIS DE LA MARINE.

Alger, le 18 juillet 1781.

Monsieur,
J’ai reçu, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de
m’écrire, la montre enrichie qui y était incluse(1). M. de la Vallée
me l’a remise. Je vous prie d’en agréer mes remercîments bien
sincères.
Je suis très sensible, Monsieur, à tout ce que votre lettre
renferme d’obligeant pour moi. Je serai toujours fort empressé à
vous donner des marques de mon amitié et de ma reconnaissan-
ce. Vous ne sauriez, dans le moment, m’obliger davantage que de
vous intéresser auprès du Vizir pour amener les différends entre
vous et nous à une heureuse fin. De mon côté je ne négligerai rien
pour y concourir. Je désire cordialement que votre cœur trouve
un moyen d’aplanir les difficultés qui pourraient s’opposer à une
heureuse réconciliation entre les deux nations ; mes vœux seront
accomplis si j’apprends que la bonne harmonie si nécessaire en-
tre des anciens amis ne sera point troublée(2).
J’ai l’honneur d’être avec le plus sincère attachement,
Monsieur,
Votre très humble et obéissant serviteur.
SIDI HASSAN,
Vekilhardji de la Marine d’Alger.
____________________
1. Voy. p. 361.
2. Allusion à l’affaire du mis Cadoucy. Voy. la note 1, p. 367.
366 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LOUIS XVI
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 22 octobre 1781.

Illustre et magnifique Seigneur,

L’Être suprême a mis le comble à mes souhaits et aux vœux


de la France par la naissance d’un Prince(1) dont la Reine, ma très
chère épouse et compagne, vient d’être heureusement délivrée.
Je m’empresse de vous notifier ce grand événement, qui assure
le bonheur de mes peuples en perpétuant la race impériale. Je
compte trop sur vos sentiments pour ne pas être assuré que vous
apprendrez avec plaisir une nouvelle aussi heureuse pour mon
illustre famille que pour mes sujets. Je fais des vœux pour votre
prospérité, et je prie Dieu, illustre et magnifique Seigneur, qu’il
vous ait en sa sainte et digne garde.
Fait en notre château impérial de Versailles, le 22 octobre
1781.
Louis.

LE MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 30 novembre 1781.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Les relations qui môns ont été faites par le chevalier de
Cypières, Commandant de la frégate de Sa Majesté Impériale
L’Aurore, à son retour d’Alger(2), sur les suites de l’explication que
____________________
1. Louis-Joseph, premier fils de Louis XVI, qui mourut le 4 juin 1789.
2. Voy. État de la dépense faite d’ordre de M. de la Vallée, Consul général de
France à Alger, à l’occasion de l’arrivée en cette rade de la frégate du Roi L’Aurore,
commandée par M. le chevalier de Cypières, le 23 juillet 1781, — Lettre de de la Vallée
au marquis de Castries, le 17 juillet 1781. (Archives des Affaires étrangères, Consulat
d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 367

cet officier avait été chargé de vous donner conjointement avec le


sieur de la Vallée, relativement aux demandes que font les reïs de
la Régence depuis la prise de Cadoucy(1) par une galère génoise,
m’ont paru de nature à exiger aujourd’hui que je m’adresse direc-
tement à vous pour traiter cette affaire. Je n’en ai déguisé aucune
circonstance à Sa Majesté Impériale, mais je lui ai laissé entrevoir
les moyens qui pouvaient encore être adoptés pour le maintien
de la tranquillité. Sa Majesté Impériale, qui ne doute point de la
sincérité de vos intentions personnelles, et qui n’envisage les pré-
tentions des reïs que comme l’effet des insinuations perfides de
ses ennemis, ne veut rien précipiter ni rien négliger de ce qui peut
en arrêter les mauvais desseins, mais garantir la Régence d’Alger
des extrémités auxquelles ils cherchent à la conduire par des sug-
gestions dont le but est facile à reconnaître, et que des réflexions
plus mûres vous feront juger être absolument contraires aux vrais
intérêts de la Régence, qui a constamment éprouvé les plus grands
avantages de ses anciennes liaisons avec la France. C’est dans
cette persuasion que Sa Majesté Impériale, ne consultant que sa
modération et le désir qu’elle a d’entretenir la bonne intelligen-
ce et la stabilité de votre Gouvernement, a ordonné au sieur de
Martinenq, l’un de ses capitaines de mer en qui elle a le plus de
confiance, de se rendre à Alger avec la frégate qu’il commande
____________________
1. Le reïs Cadoucy était tombé entre les mains des Génois dans les eaux de la
France, entre Saint-Tropez et l’île Sainte-Marguerite, à environ 15 milles de terre. Les
marins algériens avaient prétendu que, ne devant pas faire de prises sur nos côtes dans
l’étendue de 30 milles, ils ne devaient pas davantage y être pris ; ils s’étaient soulevés
contre notre Consul, et l’avaient mis en demeure de garantir en pareil cas leur pavillon. Ils
avaient même obtenu l’ordre de le faire embarquer, et notre agent avait eu toutes les peines
du monde pour en obtenir la révocation. Les capitaines de Cypières et de Vialis avaient été
chargés d’aller appuyer à Alger les protestations du Consul contre les exigences des reïs.
M. de Martinenq vint quelque temps après les assister de ses conseils. On finit par convenir
de la restitution de Cadoucy et de son équipage, et du payement d’une somme de 24 300 l.,
montant de l’estimation du chebek. — Voy. Mémoire pour 1781, par de la Vallée, — Détail
circonstancié de ce qui s’est passé à Alger pendant le séjour qu’y a fait la frégate du Roi
La Précieuse, commandée par M. de Vialis, du 20 au 29 septembre 1781, — État de la
dépense faite d’ordre de M. de la Vallée, à l’occasion de l’arrivée à Alger de la frégate La
Précieuse, le 2 octobre 1781, — Lettres de de la Vallée au marquis de Castries, les 20 mai,
17 juillet, 20 et 27 septembre, 23 octobre 1781, et du marquis de Castries à de la Vallée, le
7 décembre 1781. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
368 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pour vous porter cette lettre(1). Vous pouvez donner une entière
créance aux arrangements qu’il doit vous proposer de la part de
Sa Majesté Impériale. Vous y verrez les dispositions où elle est de
terminer amiablement, par des compensations justes et récipro-
ques, des démêlés dont les suites funestes doivent être prévues,
et je me flatte, si vous n’écoutez que la voix de l’équité et j’ose
dire celle de votre propre bonheur, que vous vous empresserez de
faciliter l’objet de sa mission, et de remettre entre ses mains une
réponse précise et catégorique sur tous les points qu’il est char-
gé de discuter, afin que Sa Majesté Impériale sache évidemment
sur quoi compter. Il est essentiel que vous combiniez avec votre
sagesse ordinaire vos délibérations dans une circonstance aussi
sérieuse, parce qu’elles doivent décider ultérieurement de celles
de la France. Tous mes vœux seront remplis, si vous n’y laissez
rien dont Sa Majesté Impériale ne puisse être satisfaite, et qui ne
tende à faire échouer à jamais les sinistres projets de ceux qui ont
pu susciter des contestations aussi vives entre nous.
Je dois vous prévenir que le sieur de la Vallée n’a cessé de
solliciter, depuis la perte de sa femme, un changement de rési-
dence, afin de n’avoir plus devant les yeux des objets qui lui en
rappellent à chaque instant le triste souvenir(2). Sa Majesté Impé-
____________________
1. Voy. État de la dépense faite d’ordre de M. de la Vallée, Consul général de
France à Alger, à l’occasion de l’arrivée en cette rade de la frégate du Roi La Boudeuse,
commandée par M. de Martinenq, le 24 janvier 1782.
2. Voy. Lettre de de la Vallée au marquis de Castries, le 29 mai 1781. — Outre
ses chagrins de famille, il avait à cette époque des difficultés fort graves avec les esclaves
français. Ceux-ci, retenus au Beylik au nombre de 317, pour la plupart déserteurs d’Oran,
avaient rendu le Consul et les Pères de la Mission responsables de leurs souffrances. Le
29 octobre 1781, le P. Cosson, Vicaire apostolique, avait été frappé de plusieurs coups de
couteau par l’un de ces malheureux, et notre agent avait été menacé de subir bientôt le
même sort. La Cour de Louis XVI eut pitié de ces esclaves, dont la misère et les tortures
excusaient le désespoir. Elle ordonna une quête générale dans le Royaume, et fit porter
à Alger leur rançon s’élevant à 573 094 l. — Voy. Liste des Français esclaves à Alger
provenant d’Oran, — Relation de la tentative d’assassinat du Vicaire apostolique, par de
la Vallée, le 20 novembre 1781, — Mémoire pour mon successeur, par de la Vallée, le 30
novembre 1781, — Liste des Français rachetés et embarqués sur la frégate du Roi La
Minerve, commandée par le chevalier de Ligondez, le 25 juin 1785, — État de la dépense
faite d’ordre de M. de Kercy, Consul général de France à Alger, à l’occasion de l’arrivée
en cette rade de la frégate du Roi La Minerve, commandée par le chevalier de Ligondez,
AVEC LA COUR DE FRANCE 369

riale a eu égard à ses chagrins, et elle lui a fait expédier un congé


que le sieur de Martinenq doit lui remettre. Ce n’est pas sans re-
gret qu’elle s’est déterminée à retirer des mains de ce Consul des
affaires qu’il mène avec beaucoup de prudence, et je lui rends
volontiers auprès de vous cette justice qu’il a toujours cherché à
adoucir tout ce que pouvait avoir de désagréable pour lui la ma-
nière vive avec laquelle les reïs ont soutenu leurs prétentions, et
qu’il a évité avec soin tout ce qui pouvait aigrir et éloigner d’un
accommodement raisonnable. Je le recommande à vos bontés à
ce titre pendant qu’il restera encore à Alger, après que nos dif-
férends auront été terminés. Il ne doit profiter de son congé qu’à
l’arrivée de son successeur, que je vais m’occuper de choisir de
manière à pouvoir le remplacer dignement et utilement pour les
intérêts respectifs qui lui sont confiés. Le sieur de la Vallée ne
partira d’Alger qu’à cette époque.
Quant au sieur Vallière, son Vice-Consul(1), le temps fixé pour
son séjour à Alger est expiré, et l’intention de Sa Majesté étant que
ces sortes d’élèves parcourent plusieurs pays pour se bien former
aux affaires, elle lui a donné une nouvelle destination, où il pourra
acquérir des connaissances plus variées des mœurs et des usages
des Musulmans, et se rendre par d’autres épreuves plus capable de
marcher un jour sur les traces de son oncle(2), qui avait su mériter
vôtre estime et votre bienveillance. Le sieur de Martinenq a ordre
d’embarquer ce jeune homme et de le ramener, afin qu’il puisse
passer ensuite au poste que Sa Majesté Impériale lui assignera.
Le sieur de Martinenq n’a point d’autre commission à remplir. Je
souhaite qu’il puisse s’en acquitter avec diligence, et qu’elle soit
non seulement l’époque d’un rapprochement durable, mais aussi
____________________
— Lettres de de la Vallée et du chevalier de Ligondez au marquis de Castries, les 20 no-
vembre 1781 et 9 juillet 1785. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
1. Césaire-Philippe Vallière, élève-commissaire de la Marine, avait été nommé
Vice-Consul à Alger le 28 janvier 1779, et y était arrivé le 26 juillet suivant sur la frégate
L’Aurore. Il fut envoyé à cette époque à Tripoli, puis à Candie, et revint à Alger comme
Consul général en 1791. — Voy. sa correspondance avec les Échevins de Marseille. (Ar-
chives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 477-491 de l’Inventaire.)
2. Jean-Antoine Vallière, qui avait occupé le Consulat d’Alger de 1762 à 1774.
370 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

le gage assuré des sentiments mutuels qui peuvent le mieux pro-


mettre l’exécution du traité qui lie la Régence à la France jusqu’au
terme où il doit finir(1), et son renouvellement d’après les princi-
pes et les procédés qui ont guidé jusqu’ici la conduite des deux
nations, et dont on a retiré de part et d’autre les fruits les plus
salutaires. Je voudrais bien que la Providence m’en rendît l’heu-
reux instrument lorsqu’il sera temps de s’en occuper, et que cet
acte sacré fût passé sous les auspices de votre Gouvernement. Je
prends le plus vif intérêt à votre prospérité et à la Conservation
de vos jours. Il m’est inspiré par l’attachement et la considération
distinguée avec lesquels je suis plus cordialement et plus vérita-
blement que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
CASTRIES.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 20 décembre 1781.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger la bien gardée.
A notre cher, grand et fidèle ami, l’illustre et glorieux Vizir
du puissant et fortuné Roi de France, notre auguste ami, le plus
illustre des Princes qui professent la religion de Jésus, le plus
grand parmi les Grands de la nation du Messie. — Puissiez-vous
avoir une fin heureuse, et être dirigé dans le chemin de la justice
et de la droiture ! —
Après avoir offert à Votre Excellence les perles des prières
sublimes, et présenté les vœux et l’expression de notre très sincère
____________________
1. Le traité de 1689, confirmé plutôt que renouvelé en 1719, était limité à cent ans,
et pouvait par conséquent être dénoncé en 1789. — Voy. Lettre de de la Vallée au comte
de Sartine, le 1er décembre 1779.
AVEC LA COUR DE FRANCE 371

amitié, nous nous empressons de nous informer de l’état de votre


santé précieuse, et nous faisons des vœux pour la durée de votre
honorable Ministère et pour que vous jouissiez de tous les bon-
heurs et plaisirs pendant de longues années. Ainsi soit-il ! par
respect de Jésus, fils de Marie.
Étant, comme toujours, dans l’attente de bonnes et heureu-
ses nouvelles de votre part, nous avons reçu une lettre(1) pleine de
sentiments de fidèle amitié et de sincère et cordiale affection par
l’intermédiaire d’un de vos honorables chevaliers et Capitaines(2).
Les paroles bienveillantes jointes aux expressions éloquentes de
loyauté de Votre Excellence nous ont causé une joie et une al-
légresse extraordinaires. Votre excellente lettre ne contient rien
de précis au sujet de l’affaire du Capitaine Cadoucy, malgré no-
tre communication et notre demande d’éclaircissements, de sorte
que cette affaire, sujet de contestation de part et d’autre, serait
restée en suspens faute d’examen et de recherches. Mais le susdit
Capitaine, votre Envoyé, à qui vous aviez donné des instructions
verbales, et votre-honorable Consul vinrent nous trouver, et nous
donnèrent verbalement l’assurance que l’affaire était sur le point
de s’arranger, et que Cadoucy, ses marins et toute leur suite al-
laient revenir(3). Cette nouvelle nous a été très agréable et nous a
comblé de joie. Il était notoirement connu et avéré que le susdit
Cadoucy exerçait ses exploits sur les côtes de France, et il était de
toute justice d’éviter ses actes hostiles aux proximités des côtes
des deux pays. L’ancienne et solide amitié qui règne entre nous a
aplani ce différend selon notre désir, et nous espérons qu’à l’ave-
nir votre bonté s’exercera de nouveau en notre faveur. C’est ainsi
que l’amitié sincère et solide qui nous lie et qui ne ressemble à
aucune autre se trouvera consolidée de plus en plus, et deviendra
un objet d’envie pour les autres Puissances.
Votre Excellence nous a fait savoir que la démission du
Consul actuel, l’honorable M. de la Vallée, par suite du décès de
sa femme, a été acceptée par le Roi, son Souverain, et qu’il a été
____________________
1. Voy. p. 366.
2. M. de Martinenq.
3. Voy. la note 1, p. 367.
372 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

chargé de s’occuper de l’administration des affaires jusqu’à l’ar-


rivée de son successeur. Nous avons reçu cette nouvelle avec
beaucoup de regret. Nous avions eu souvent l’occasion de vous
signaler l’activité, l’honorabilité et l’affabilité de ce respectable
Consul ; il est certain qu’il est digne de plus hautes fonctions
par son caractère et ses bons sentiments. Le neveu de son prédé-
cesseur, élève du Consulat(1), ayant fini son stage, a été renvoyé
auprès de vous ; enfin nous avons fait notre possible pour satis-
faire à tous vos désirs. Une autre preuve de notre sincère désir
de vous être agréable, c’est que, ces jours derniers, l’ordre a été
donné à tous nos Capitaines qui avaient capturé des bâtiments
dans le voisinage de France de les restituer à qui de droit. Les uns
ont reçu des réprimandes sévères, les autres des recommanda-
tions réitérées, en un mot tout a été exécuté conformément à vos
désirs. Nous souhaitons que cette amitié inébranlable et que cet-
te affection sincère qui existent si heureusement entre nos deux
pays puissent durer éternellement. Puisse Votre Excellence jouir
toujours des honneurs et des grandeurs ! Ainsi soit-il !
Écrit le 20 décembre 1781 de l’ère chrétienne, à Alger la
bien gardée.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, janvier 1782.


(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Au très fortuné, très magnifique et très sincère Seigneur, le très
illustre Vizir de l’auguste Empereur de France, notre grand ami.
Après avoir présenté les vœux les plus ardents pour votre
conservation et pour la gloire de votre Ministère, nous avons l’hon-
____________________
1. Voy. la note 1, p. 369.
AVEC LA COUR DE FRANCE 373

neur de nous informer avec empressement de l’état de votre san-


té. Nous étions fort impatient d’en apprendre des nouvelles, qui
sont toujours intéressantes pour nous, lorsque votre dernière dé-
pêche(1) nous a été officiellement remise par votre Consul rési-
dant auprès de nous. Vous nous y annoncez au nom de l’auguste
Empereur de France, votre Maître, la faveur insigne qu’il venait
d’obtenir du Tout-Puissant de l’heureuse délivrance de la Reine,
sa très chère épouse et compagne, et de la naissance d’un Prince
qui doit être l’héritier de son trône et de ses vertus. Nous avons
pris la part la plus sincère à ce grand événement qui met le comble
aux vœux de la France et de son auguste Monarque, et qui doit
influer sur le bonheur de l’univers. Nous en augurons pour nous
et nos sujets la continuation de la paix et de la bonne harmonie
qui règnent, depuis un temps immémorial, entre notre Régence et
la glorieuse Maison des Empereurs de France. Puisse ce nouveau
garant que la Providence vient de nous accorder des précieux
sentiments qui unissent les Français et les Algériens jouir de la
santé la plus parfaite, et combler Sa Majesté Impériale de conten-
tement et de satisfaction ! Daigne l’Être suprême bénir l’instant
de sa naissance, et lui donner toutes les vertus qui sont héréditai-
res dans son auguste famille ! Puissiez-vous, très illustre et ma-
gnifique Seigneur, rester éternellement possesseur du Ministère
que vous illustrez par vos qualités éminentes, et perpétuer, par
votre puissante médiation, les liaisons de l’amitié et de la bonne
intelligence qui rendent également heureux les sujets respectifs
des deux Empires ! Vous pouvez être intimement persuadé de la
sincérité de ces souhaits ; ils prennent leur source dans la vérité
de nos dispositions personnelles pour la paix et de notre prédilec-
tion constante pour les Français.
Écrit vers les derniers jours du mois de janvier, l’an de Jé-
sus-Christ 1782, et de la lune de Safer, l’an de l’hégire 1196,
dans le refuge de la guerre contre les infidèles, à Alger la bien
gardée en Barbarie.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 23 février 1782.
____________________
1. Voy. p. 366. Cette dépêche avait été contresignée par le Ministre, mais avait été
adressée au Dey par Louis XVI.
374 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
SIDI HASSAN, VEKILHARDJI D’ALGER,
AU MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 11 septembre 1783.

A Son Excellence le marquis de Castries, premier Ministre


de Sa Majesté le Padischah de France, le plus illustre des Princes
qui professent la religion de Jésus, le plus grand parmi les Grands
de la nation du Messie, notre très fortuné, très magnifique, très
sincère et illustre ami.

Après avoir respectueusement offert à Votre Excellence nos


humbles prières et nos vœux, nous nous empressons de nous in-
former de l’état de votre santé précieuse, et nous formons des
vœux pour le bonheur et la constante prospérité de Votre Excel-
lence pendant de longues années. Ainsi soit-il !

Mon très cher, très sincère et très respectable ami, si vous


daignez vous informer comme par le passé, et si vous nous faites
l’honneur de savoir l’état de notre santé et de nos affaires, —
Grâces soient rendues au Très-Haut ! — jusqu’à la date de la pré-
sente, notre santé est bonne et notre cœur heureux et tranquille,
et nous vous prions de croire que nous nous occupons nuit et jour
de faire des vœux pour le succès et la prospérité de tous nos amis,
particulièrement de Votre Excellence. Notre affectueuse amitié
pour vous s’est formée sans vous connaître, et aucune occasion
ne s’est présentée pour donner à Votre Excellence une preuve
éclatante de sa sincérité, mais nous espérons néanmoins que Vo-
tre Excellence voudra bien nous indiquer dorénavant tout ce que
nous pourrions faire pour son service ; elle peut être persuadée
que nous ne négligerons rien pour la satisfaire.

Le sieur de Kercy, noble français que vous avez nommé


Consul et envoyé en cette qualité dans la Régence, est arrivé en
compagnie du Commandant M. de Bessay, et il est installé dans
AVEC LA COUR DE FRANCE 375

ses hautes fonctions(1). Il a été l’objet d’honneurs et de considé-


ration de notre part, ainsi que ses prédécesseurs, et il a été égale-
ment pourvu à tous ses besoins.
L’ancien Consul, M. de la Vallée, votre serviteur, s’est par-
faitement acquitté de sa charge et a toujours été correct ; il n’a
froissé ni le Gouverneur ni nous ni qui que ce soit des habitants
de la contrée. Pour ce motif, nous osons vous demander pour le
susdit vos faveurs et vos bienveillantes protections ; il les mérite
sous tous les rapports, il est actif, capable et habile dans les négo-
ciations de toute sorte d’affaires, sa droiture est exemplaire et il
mérite toute confiance. Nous espérons que, grâce à votre haut ap-
pui et à votre grande générosité, il obtiendra de vous l’accomplis-
sement de ses désirs; nous considérerons tous les bienfaits dont
il sera l’objet comme étant pour nous-même. Nous souhaitons à
Votre Excellence la constance dans le bonheur et l’accomplisse-
ment de tous ses désirs.
Écrit le 13e jour de Choual, l’an 1197 de l’hégire, et le 11
septembre 1783 de l’ère chrétienne, à Alger la bien gardée.

SIDI HASSAN,
Intendant de la Régence d’Alger la bien gardée.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.
____________________
1. Jean-Baptiste-Michel Guyot de Bercy, ancien Vice-Consul à Rosette et à Da-
miette, ancien Consul à La Canée et Consul général en Morée, fut nommé en cette qualité
à Alger le 2 septembre 1781. Il y arriva le 15 septembre 1782, sur la frégate La Pléyade,
commandée par M. de Bessay. — Voy. État de la dépense faite d’ordre de M. de Kercy,
Consul général, à l’occasion de l’arrivée en cette rade de la frégate du Roi La Pléyade,
de celle de M. de Kercy, nouveau Consul, et du départ de M. de la Vallée, son prédéces-
seur, le 25 septembre 1782, — Compte des présents faits à Alger, le 16 septembre 1782,
ci : 20 022 l., — Mémoire sur l’Échelle d’Alger, par de Kercy, le 31 décembre 1783, —
Lettres du marquis de Castries à de la Vallée et de Kercy, les 21 juillet, 30 octobre et 22
décembre 1782. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi la
correspondance de de Kercy avec les Échevins de Marseille. (Archives de la Chambre de
commerce de Marseille, S. AA, 477-491 de l’Inventaire.)
376 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 19 janvier 1787.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Le sieur de Kercy m’a rendu un compte très exact de


l’audience que vous lui avez donnée, au moment où le Com-
mandant de celui de vos bâtiments qui a été coulé bas près des
îles d’Hyères est arrivé avec son équipage à Alger(1). Je n’ai pu
qu’être très affecté de la résolution que vous avez prise avec tant
de précipitation, et je ne vous dissimulerai pas que je l’ai trouvée
peu conforme aux anciennes liaisons d’amitié qui unissent les
deux nations, et aux sentiments que vous avez toujours montrés
pour la France pendant toute la durée de votre règne.
J’attribue ce premier mouvement au chagrin que vous a
causé la perte du corsaire, et aux impressions fâcheuses qu’ont
pu faire sur vous les rapports du reïs. Ils étaient cependant in-
sidieux. Vous en avez eu la preuve lorsqu’après avoir d’abord
avancé qu’il devait son infortune à un vaisseau de guerre français,
il s’est ensuite rétracté et est convenu qu’il avait eu affaire à un
vaisseau napolitain. Je suis d’autant plus étonné de la hardiesse
avec laquelle il osait vous en imposer sur ce point essentiel que,
dans la déclaration qu’il a faite lui-même au lazaret de Toulon, il
a reconnu et nommé ce pavillon. Le sieur de Kercy est à portée
de vous montrer cette déposition qu’on lui a envoyée et que le
reïs ne peut pas démentir.
____________________
1. Un chebek algérien, coulé bas près des Iles d’Hyères par un vaisseau napolitain,
provoqua de la part de la Régence des réclamations dont la Cour crut devoir reconnaître
la légitimité. Une des clauses de notre traité promettait en effet la protection de la France
aux corsaires attaqués à la portée du canon. Mais en faisant annoncer à Mohammed des
dédommagements pour cette perte, nous avions exigé qu’il en accordât aux Génois, pro-
priétaires des bâtiments dont le même chebek s’était emparé, à la vue de nos côtes, avant
sa destruction. Or les Algériens nous menaçaient de rompre immédiatement la paix si
nous ne voulions pas remplacer en nature le navire coulé, et refusaient obstinément l’in-
demnité pécuniaire que leur offrait notre Consul.
AVEC LA COUR DE FRANCE 377

Je suis persuadé qu’en la voyant, vous serez indigné du men-


songe qu’il s’est permis à Alger, et qu’il diminuera votre confiance
dans les assertions, également fausses, qu’il a faites sur la distance
à laquelle il s’est emparé des deux bâtiments génois. C’est dans
cet espoir que je prends la liberté d’envoyer sur les lieux le sieur
Venture(1). Secrétaire-interprète de Sa Majesté Impériale, pour y
recueillir et traduire en langue turque les témoignages des offi-
ciers de Sa Majesté Impériale, et des principaux habitants d’Alger
qui ont été témoins oculaires de l’amarinage de la prise amenée à
Alger. L’Interprète de Sa Majesté Impériale aura ordre ensuite de
passer à Alger pour vous produire ces titres authentiques. Je vous
prie de suspendre jusqu’à son arrivée votre jugement définitif sur
cette réclamation. Mais si, comme je l’espère, vous la trouvez
alors aussi fondée que la mauvaise foi que le reïs a fait éclater en
accusant les Français de sa destruction, et les circonstances que
je viens de vous rapporter doivent le faire présumer d’avance, je
me flatte, très illustre et magnifique Seigneur, que vous n’hésite-
rez point à faire restituer le bâtiment génois et son équipage, et
à châtier de la manière la plus exemplaire le reïs qui a ajouté à
cette violation de, territoire l’odieux dessein de troubler la paix
des deux nations par des rapports controuvés. Quoiqu’on puisse
considérer l’accident qu’il a éprouvé comme une suite de son in-
fraction au traité, qui lui défendait de poursuivre le long des côtes
de Sa Majesté Impériale les ennemis de la Régence, que l’attaque
dont il a été la victime a commencé hors de la portée du canon, et
qu’il s’est échoué sur une plage ouverte et où il était impossible
de le défendre, je connais trop la fidélité avec laquelle l’Empereur,
mon Maître, observe ses engagements pour douter qu’en insistant
auprès de vous sur la satisfaction qui lui est due pour les Génois, il
ne consente à user de réciprocité envers la Régence. Je n’aurai qu’à
____________________
1. Jean-Michel Venture, attaché à l’ambassade de Constantinople en 1757, Secré-
taire-interprète à Seyde de 1764 à 1768, au Caire de 1768 à 1776, attaché à la mission du
baron de Tott en 1777, Interprète et Chancelier à Tunis en 1778, rappelé à Paris en 1784
pour y occuper une des deux places de Secrétaire-interprète du Roi, nommé en 1793 aux
mêmes fonctions à Constantinople, puis interprète de l’armée de Bonaparte pendant l’ex-
pédition d’Égypte.
378 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

lui représenter l’article 9 du traité qui promet sa protection aux


corsaires d’Alger poursuivis sous le canon de ses forteresses, et
il sentira que cette stipulation vous autorise à demander des dé-
dommagements. Je vous réponds, très illustre et magnifique Sei-
gneur, qu’il les envisagera comme un acte de sa justice et qu’il
sera disposé à vous les accorder. Mais avant de mettre sous ses
yeux ces premières demandes, je désire que vous veuilliez bien
examiner avec impartialité l’état qui en a été remis au sieur de
Kercy, pour diminuer celles dont la valeur a été exprimée en les
réduisant à des proportions plus équitables, et déterminer le prix
du bâtiment coulé bas qu’il serait impraticable de remplacer en
nature. J’ai chargé le sieur de Kercy de vous faire des proposi-
tions si raisonnables que j’espère vous voir y acquiescer. Aussitôt
que ce Consul m’aura fait connaître l’arrangement ultérieur que
vous aurez arrêté sur ses représentations, j’en rendrai compte à
Sa Majesté Impériale, pour prendre ses ordres et vous faire pas-
ser la somme qui aura été convenue. Sa Majesté Impériale en fera
volontiers le sacrifice, sauf son recours contre les Napolitains à
qui elle en fera demander le remboursement à cette époque.
Elle en profiterait pour exiger de cette Cour un nombre d’es-
claves musulmans égal à celui des Génois ou la rançon de ces
derniers, si elle pouvait adopter les principes et l’exemple d’après
lesquels vous paraissez penser qu’ils n’ont pas cessé d’appartenir
au reïs Jacomo. Mais il s’en faut bien que les circonstances soient
ici les mêmes que dans l’affaire que vous rappelez du combat livré,
en 1742, par les Anglais à des galères espagnoles. Comme elles
furent brûlées dans le port même de Saint-Tropez où elles s’étaient
réfugiées, les Espagnols eurent le temps de descendre à terre et de
s’y faire suivre par leurs équipages, sans en rompre la chaîne. Le
Divan d’Alger se rendit dans le temps à l’évidence de cette raison,
et renonça de lui-même à la réclamation de leur affranchissement.
Le bâtiment algérien a été au contraire détruit à la mer, et les Génois
se sont sauvés, ainsi que le reïs et les siens, à la nage après avoir
brisé leurs fers. Sa propriété a donc été réellement interrompue,
avant que les Génois aient, pris asile sur le territoire de France;
AVEC LA COUR DE FRANCE 379

on pourrait d’ailleurs en contester la légitimité dans l’origine,


puisqu’ils ont été pris à la vue du port d’Agay(1). Je laisse à votre
discernement le soin d’apprécier ces dissemblances, et si elles
vous frappent autant que moi, je vous prie de me dispenser d’in-
former Sa Majesté Impériale de la prétention que vous élevez de
ravoir des esclaves en personne qui ne sont plus en son pouvoir,
et qu’elle a dû faire mettre en liberté. Il répugnerait autant à son
humanité qu’à sa dignité de les redemander.
Je m’en remets au surplus, sur ce point comme sur tous les
autres, aux explications que le sieur de Kercy est chargé de vous
donner. L’assurance que vous lui avez formellement renouvelée
de la continuation de votre attachement personnel à la France, la
sensation qu’a produite sur mon cœur la rigidité de vos préten-
tions, et la brièveté du délai que vous avez indiqué pour avoir
une réponse me font espérer que voua écouterez le Consul avec
bonté, et avec le désir sincère d’amener une parfaite conciliation
sur les différents objets qui sont en litige.
Je ne pourrais concevoir les inquiétudes qui ont été semées
dans cette circonstance sur les vrais sentiments de Sa Majesté
Impériale, quand je songe aux soins qu’on a pris à Toulon de vos
sujets(2), soit pour la guérison des blessés, le vêtement et la nour-
riture du reïs et de son équipage, soit pour leur transport à Alger,
avec l’escorte d’un bâtiment de guerre qui n’y a été dépêché que
pour cette mission, si je ne savais que la vigilance des ennemis de
____________________
1. Voy. Procès-verbal des informations prises par ordre de la Cour sur les deux
événements arrivés dans le golfe de Fréjus et dans la Seigneurie d’Agay, le 25 juillet
1788, — Traduction de l’état estimatif envoyé d’Alger des effets appartenant aux reïs,
officiers, canonniers, soldats et mariniers de l’équipage du chebek algérien, des armes et
ustensiles qui s’y trouvaient embarqués, du pris du sang de deux hommes qui ont été tués,
du dédommagement à accorder d celui qui a perdu un bras et du montant de la rançon
des esclaves qui sont morts, — Rapports au Conseil d’État, les 7 août 1788 et 1er février
1789. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. L’équipage du chebek algérien coulé s’était sauvé dans les îles d’Hyères, et les
84 marins qui le composaient avaient été conduits au lazaret de Toulon pour être de là
ramenés à Alger. — Voy. Lettres du comte de La Luzerne aux Échevins de Marseille, les
23, 31 mai et 26 octobre 1788. (Archives de la Chambre-de commerce de Marseille, S.
AA, 111 de l’Inventaire.)
380 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

la France épie les moindres occasions pour lui nuire et la des-


servir auprès de vous, Ils sont jaloux de la durée d’une paix qui
assure la prospérité des deux nations, ils voient avec déplaisir
que le terme en est encore très éloigné, et ils ont mis en œuvre
cette fois tous les moyens que leur offraient le ressentiment du
reïs aigri par ses revers et l’intérêt particulier du propriétaire du
bâtiment, pour provoquer la Régence à des extrémités capables
de dissoudre ces antiques liens. A Dieu ne plaise qu’ils puissent
venir à bout de leurs pernicieux desseins ! La longue expérience
que vous avez faite dû bonheur qui résulté, pour les deux Empi-
res, de leur union réciproque m’est un sûr garant de votre saga-
cité à démêler de pareils pièges et de votre attention à les éviter.
Vous ne devez pas douter que, voulant marcher sur les traces de
mes prédécesseurs, je n’aie adopté leurs maximes et leurs dispo-
sitions favorables pour la Régence, et que je ne concoure avec
autant de zèle qu’eux au maintien de la tranquillité. C’est pour
l’assurer davantage que je désirerais que vous voulussiez bien
vous prêter à une interprétation de l’article 9 du traité de 1689,
confirmé par celui de 1719 pour durer cent ans à partir de cette
dernière époque(1). Les termes de cet article sont vagues, et ont
occasionné beaucoup d’incidents désagréables entre la Régence
et nous. Les bornes qui y sont assignées à la course de vos corsai-
res y sont trop indéterminées ; on pourrait convenir d’une autre
démarcation et avoir égard, en les fixant sur des points plus précis,
à la réunion, postérieure au traité, de l’île de Corse à la Couronne
de France. Vos corsaires connaissant mieux alors l’étendue de
____________________
1. Notre Consul avait conseillé de faire croire aux Algériens que nous regardions
la date du traité de 1689 comme prorogée jusqu’en 1719, et que cette dernière époque
devait être considérée, sans aucune hésitation, comme le point de départ des cent années
de paix. Mais les Anglais s’efforçaient d’exciter les principaux officiers du Divan à ne
regarder l’acte de 1719 que comme une simple ratification dont on ne devait pas tenir
compte. Plusieurs de ces derniers voulaient la guerre pour accroître les revenus de la
course, ou soulevaient des difficultés dans l’espoir de recueillir des présents considéra-
bles au moment des négociations. — Voy. Lettres du marquis de Castries et du comte
de Montmorin à de Kercy, les 20 juin, 30 juillet, 3 octobre et 4 décembre 1786, 14 jan-
vier, 22 septembre, 6 novembre et 22 décembre 1787. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 381

l’espace où ils pourraient courir contre leurs ennemis, ne seraient


plus tentés de venir les chercher sur les côtes de France ou de la
Corse, au risque des peines qu’ils encourraient en transgressant
les nouvelles limites. J’enverrai incessamment des instructions
au sieur de Kercy, qui l’autoriseront à s’en expliquer avec vous
et à vous proposer de conclure une convention séparée pour cette
stipulation. Le Consul sera secondé par le Secrétaire-interprète(1)
que Sa Majesté Impériale fera passer à Alger, et qui méritera vo-
tre estime par ses talents et la droiture de ses intentions. Il a ré-
sidé longtemps dans les États d’Alger, où il a acquis une grande
expérience des intérêts respectifs des Musulmans et des Français,
et je ne doute pas que la connaissance qu’il a de la langue turque
ne le rende très propre à aider M. de Kercy dans la négociation
des objets essentiels qui sont confiés à ses soins auprès de vous.
Je vous demande votre bienveillance pour l’un et pour l’autre(2).
Les ouvertures amicales qui terminent cette dépêche ser-
viront sans doute à dissiper les nuages qui ont pu s’élever dans
Votre esprit, et vous convaincront qu’il est impossible de rien
ajouter aux sentiments d’attachement et à la considération distin-
guée avec lesquels je suis plus cordialement et véritablement que
personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
CASTRIES.
____________________
1. Venture.
2. De Bercy était alors en assez bons termes avec Baba Mohammed. Il venait de
négocier officieusement la paix entre l’Espagne et la Régence ; il avait même logé chez
lui le négociateur de Charles III, le comte d’Expilly, et il avait décidé le Divan, non sans
peine, à signer le traité du 14 juin 1788. — Une escadre commandée par dom Antonio
Barcelo était venue bombarder Alger au mois de juillet 1783 ; obligée de s’éloigner après
huit jours de combat, en raison des mauvais temps, elle était revenue l’année suivante
et s’était retirée sans aucun résultat. — Voy. Journal du bombardement d’Alger par une
flotte espagnole, par de Bercy, — Mémoire sur le traité négocié entre Alger et l’Espagne,
par Mazareddo, 1785, — Mémoire sur l’Échelle d’Alger, par de Bercy, le 31 décembre
1786, — État des dépenses secrètes du Consulat d’Alger, de 1784 à 1787, — Lettres de de
Kercy au marquis de Castries, les 18 juin et 25 août 1785. (Archives, des Affaires étran-
gères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi Aperçu sur l’État d’Alger, à l’usage de l’armée
expéditionnaire d’Afrique, p. 70 et suiv., — Revue africaine, 1876, p. 20, — Relation du
bombardement d’Alger par les Espagnols (Archives de la Marine, B7 439).
382 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
AU MARQUIS DE CASTRIES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 1er Septembre 1787.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Afrique.

Au très fortuné, très magnifique et très sincère Seigneur, le


très illustre Vizir de l’Empereur de France, l’élite des Grands qui
professent la foi du Messie, la colonne des Seigneurs chrétiens,
notre grand ami le marquis de Castries. — Que Dieu lui accorde
une heureuse fin et le dirige vers la voie droite ! —
Après vous avoir présenté l’hommage de nos vœux pour vo-
tre conservation et pour la prospérité de votre Ministère, et après
nous être informé de l’état de votre santé, nous avons l’honneur
de vous notifier que la lettre pleine de bons sentiments que vous
nous avez fait l’amitié de nous écrire(1) en dernier lieu nous est
officiellement parvenue, par les mains de votre illustre Consul,
dans le moment le plus favorable; nous l’avons lue avec l’at-
tention la plus suivie, et nous avons été touché des expressions
énergiques qu’elle contient, de votre sincérité, de la pureté de vos
intentions et de la profondeur de votre cordialité. Il serait super-
flu de vous expliquer la vive impression que votre langage a faite
sur nous. Il est évident qu’à mesure que les liens qui unissent la
Régence et votre Cour se resserrent et deviennent indissolubles,
le spectacle de cette union intime est pour les autres Puissances
un sujet de jalousie. Que le Très-Haut perpétue cette bonne intel-
ligence entre nous ! Qu’il éternise l’observance scrupuleuse de
nos traités en dépit des propos des envieux ! Qu’il écarte de nos
cœurs tout ce qui pourrait troubler leur tranquillité, et qu’il entre-
tienne jusqu’à la consommation des siècles la bonne harmonie et
l’amitié que noue nous sommes réciproquement vouées ! Ainsi
____________________
1. Voy. p. 376.
AVEC LA COUR DE FRANCE 383

soit-il ! par le respect dû à Jésus, fils de Marie(1).


Écrit le 1er septembre 1787 de l’ère chrétienne, et vers les
derniers jours de la lune de Zilcadé, l’an de l’hégire 1201, à Al-
ger, séjour du combat contre les infidèles.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 28 septembre 1787.

LE COMTE DE MONTMORIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2),


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 22 septembre 1787.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maitre, ayant jugé à propos de recevoir
la démission du maréchal de Castries, a bien voulu me choisir en
même temps dans le nombre des Ministres qui composent son
Conseil suprême pour me confier par intérim le Département de
la Marine. Sa Majesté Impériale m’a ordonné de vous en faire
part, en vous renouvelant à cette occasion les assurances de son
amitié et de sa haute bienveillance. Les intentions de Sa Majesté
Impériale ne pouvant être plus favorables pour conserver la paix
et la meilleure intelligence avec vous, je m’empresserai toujours
d’en resserrer les liens, bien persuadé que j’y trouverai de votre
part les mêmes dispositions et le même intérêt. Rien ne me sera
plus agréable, dans le cours de mon Ministère, que d’avoir à vous
donner de fréquents témoignages de mon inclination à vous ser-
vir auprès de Sa Majesté Impériale, ainsi que de l’attachement
sincère avec lequel je suis plus que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
MONTMORIN.
____________________
1. Voy. Lettre de de Kercy au marquis de Castries, le 3 septembre 1787.
2. Le comte Armand-Marc de Montmorin de Saint-Hérem, Maréchal des camps
et armées de Sa Majesté, Ministre plénipotentiaire à Trèves de 1775 à 1777, Ambassa-
deur à Madrid de 1777 à 1784, Commandant en chef de la province de Bretagne en 1785,
Secrétaire d’État des Affaires étrangères le 13 février 1787. Il fut chargé par intérim du
Département de la Marine le 25 août 1787.
384 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE MONTMORIN, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 11 novembre 1787.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Au premier et grand Ministre de Sa Majesté Impériale le
puissant Roi de France, notre cher et illustre ami le comte de
Montmorin. — Que Dieu couronne dignement sa carrière, dirige
ses pas dans le chemin de la justice et de la droiture, et exauce
tous ses vœux pour le bien de ses sujets ! — Salut et prières !

Après avoir offert à Votre Excellence les vœux sincères et


les témoignages de notre fidèle amitié, nous nous informons avant
tout de l’état de votre santé précieuse. Puissiez-vous jouir d’une
longue vie dans la place de l’honneur et du bonheur que vous
occupez, avec une santé parfaite, dans les délices et les plaisirs !
Mon cher et ancien ami, illustre et honorable Ministre, étant
continuellement dans l’attente de vos nouvelles, nous avons reçu
heureusement une aimable lettre(1) par l’intermédiaire de votre
honorable Consul. Nous vous en remercions infiniment. A la lec-
ture de cette lettre, nous avons remarqué avec joie et satisfaction
l’éloquence de vos paroles et vos témoignages pleins de bonne,
de sincère et de loyale amitié. Notre réjouissance a été sans bor-
nes, lorsque nous y avons lu que votre capacité et votre intel-
ligence vous avaient désigné à la haute direction du Ministère
et au choix du Souverain, comme étant le plus digne et le plus
méritant. C’est pour complimenter Votre Excellence de cet heu-
reux événement que nous nous sommes empressé d’écrire cette
lettre de félicitation. Notre cher et illustre ami, nous vous souhai-
tons une grande stabilité dans le poste d’honneur et de bonheur;
nous souhaitons également que le lien du traité qui nous unit soit
____________________
1. Voy. p. 383.
AVEC LA COUR DE FRANCE 385

de jour en jour plus consolidé, et que nos relations d’amitié et


d’affection soient de plus en plus augmentées. Que Dieu nous
conserve dans ces dispositions au nom de Jésus, fils de Marie !
Ainsi soit-il !
Écrit le 27 de Moharrem, l’an 1202 de l’hégire, et le 11 no-
vembre 1787 de l’ère chrétienne, à Alger la bien gardée.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

LE COMTE DE LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 29 décembre 1787.

Très illustre et magnifique Seigneur,


D’après les intentions de l’Empereur, mon Maître, le Minis-
tre des Affaires étrangères ayant cessé d’administrer celles mari-
times que Sa Majesté Impériale avait confiées par intérim entre
ses mains à la retraite du maréchal de Castries, j’ai reçu ordre de
vous informer amiablement qu’elle a daigné me choisir parmi
les officiers généraux de ses armées pour me nommer Secrétaire
d’État au Département de la marine. Cette modification ne doit
que resserrer de plus en plus les liens indissolubles de l’amitié et
de la bonne intelligence qui unissent les sujets respectifs de Sa
Majesté Impériale et de la Régence, et qui sont solidement éta-
blis sur notre traité centenaire de 1719. J’exécute avec d’autant
plus de plaisir les Commandements suprêmes de Sa Majesté Im-
périale que je n’ai à vous annoncer que les dispositions les plus
conformes aux avantages que peuvent promettre une paix aussi
ancienne et une union aussi sincère qu’elles sont inaltérables. Je
désire personnellement de pouvoir vous convaincre, par mes ser-
vices, du prix que je mets à votre bienveillance et de mon attention
____________________
1. Le comte César-Louis de La Luzerne, Ministre plénipotentiaire à Munich en
1776, aux États-Unis d’Amérique en 1782, Lieutenant général des armées navales du Roi,
nommé Secrétaire d’État de la Marine le 24 décembre 1787.
386 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

à vous donner en tout temps des marques de l’attachement avec


lequel je suis plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
LA LUZERNE.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 15 février 1788.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger en Afrique.

Au Commandant des Commandants illustres parmi les


chrétiens, le Grand des Grands les plus distingués des nations
qui professent la religion du Messie, le Vizir éclairé de l’auguste
Empereur de France, le très sincère, très intime et très grand ami
de notre Régence, le comte de La Luzerne. — Que Dieu comble
sa fin de bonheur et de prospérités, qu’il le conduise à la voie
droite, qu’il le fasse parvenir à l’accomplissement de ses vœux,
et qu’il lui accorde la grâce de terminer sa carrière, comme il l’a
commencée, au milieu des soins et des efforts pour la félicité des
serviteurs de Dieu ! —

Après vous avoir présenté l’hommage de nos prières, nous


nous acquittons envers vous du premier devoir de l’amitié en nous
informant de votre santé. Puissiez-vue jouir éternellement de ce
bien, et de la satisfaction du plus long et du plus heureux Minis-
tère ! Ainsi soit-il ! par la puissance de Jésus, fils de Marie.
Très illustre Vizir, nous étions précisément dans l’attente
de quelque bonne nouvelle de France, lorsque votre estimable
Consul nous a remis la dépêche, remplie d’expressions d’amitié,
AVEC LA COUR DE FRANCE 387

par laquelle vous nous notifiez votre avènement au Viziriat(1).


Nous en avons lu avidement le contenu, et nous avons appris
avec le plus grand plaisir que l’Empereur de France, empressé
de remplir la plus sainte des obligations des Souverains, celle de
mettre à la tête de leurs peuples les personnes les plus capables
de les rendre heureux, au moment où votre glorieux prédécesseur
avait demandé sa démission, avait jeté les yeux sur vous et vous
avait choisi, à cause de vos qualités éminentes, pour vous confier
l’administration importante de sa Marine, quoique vous fussiez
dans cet instant employé à son service dans une partie aussi éloi-
gnée que le nouveau monde(2). Nous ne saurions vous rendre tou-
te la joie que nous a causée Cet événement, qui vous couvre de
gloire et fait de votre précieuse personne un sujet de jalousie pour
tous les Généraux français, vos collègues. Nous nous bornerons
à vous exprimer toute notre satisfaction des bonnes dispositions
que vous nous témoignez avec tant d’éloquence, pour mainte-
nir les traités qui nous unissent depuis longtemps. Nous sommes
bien persuadé de la sincérité de tout ce que vous nous annoncez,
et nous vous prions instamment de croire que notre amitié et les
liens de l’intimité qui existent depuis un temps immémorial en-
tre les Algériens et les Français se resserreront à un tel point que
toutes les autres nations en seront envieuses, que la France jouira
perpétuellement à Alger d’une préférence marquée, et que notre
correspondance avec elle sera raffermie à un tel degré qu’elle
ne pourra éprouver aucune altération. Que le Très-Haut daigne
continuer à nous conduire tous au chemin de la vérité ! Qu’il for-
tifie lui-même les fondements de notre attachement réciproque et
qu’il éternise nos justes liaisons ! Puissiez-vous marcher toujours
d’un pas égal dans les sentiers de la droiture, sans vous permettre
jamais le moindre écart des bornes inébranlables de nos traités !
Écrit le 8 de la lune de Djemazi-el-ewel, l’an de l’hégire
1202, dans la Ville bien gardée d’Alger, le centre du combat.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 12 avril 1788.
____________________
1. Voy. p. 385.
2. Il était alors Gouverneur des Iles-sous-le-Vent (Antilles).
388 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE COMTE DE LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Versailles, le 11 août 1788.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai déjà eu l’honneur de vous prévenir de la mission du
sieur Venture, Secrétaire-interprète de Sa Majesté Impériale en
langues orientales(1), et qu’elle avait pour objet de seconder le
sieur de Kercy dans la négociation des divers objets sur lesquels
mon prédécesseur est entré en explication par sa dépêche du
19 janvier dernier(2). Permettez-moi de me référer aux premiè-
res ouvertures qu’elle contient. Sa Majesté Impériale a autorisé
expressément le sieur de Kercy, en qualité de son Consul et de
Chargé de ses affaires, à traiter et transiger avec vous sur ces
points importants(3). Je lui envoie par ordre de Sa Majesté Impé-
riale toutes les instructions qu’il doit suivre, et vous pouvez lui
donner pleine et entière créance. Il est revêtu à cet effet des pou-
voirs de Sa Majesté Impériale. Elle maintiendra ce dont il sera
____________________
1. Venture arriva à Alger le 28 septembre 1788 sur la frégate du Roi La Coura-
geuse, commandée par le comte de Blachon, et reçut de Mohammed « un accueil honnête
». Il apporta des présents d’une valeur de 6 000 l., et notamment une boite d’or enrichie de
diamants et destinée an Vekilhardji. Voy. État des dépenses faites d’ordre de M. de Kercy
à l’occasion de la venue en cette rade de la frégate du Roi La Courageuse, commandée
par le comte de Blachon, le 6 octobre 1788.
2. Voy. p. 376.
3. La Cour préféra se soumettre aux exigences des Algériens plutôt que d’ajouter
un élément de discussion à ceux que faisait déjà naître la question du renouvellement des
traités. Le Ministre pria la Chambre de Marseille d’avancer les 170 000 l. nécessaires «
pour la construction d’un brick semblable au chebek algérien, de 22 canons de batterie
du calibre de 6 et de 2 mâts, qui fût bon voilier, avec 4 ancres et ses voiles de rechange
». Voy. Lettres du comte de La Luzerne aux Échevins de Marseille, les 28 octobre et 6
novembre 1788. (Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 111 de l’In-
ventaire.) — Voy. aussi Quelques sujets de plaintes que la Régence d’Alger est forcée
d’exposer à la Cour de France, le 13 août 1788, — Observations sur le traité de paix
centenaire avec Alger, juillet 1788, — Note des dépenses secrètes en 1788 et 1789, par
de Kercy, — Lettres du comte de La Luzerne à de Kercy, le 25 mars 1788, et de de Kercy
au comte de La Luzerne, les 10 juin, 8 août, 26 septembre, 4 et 20 octobre 1789. (Archi-
ves des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Mémoires et Documents, Alger, t. XV,
fos 314 et 322.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 389

convenu avec vous. J’ai cru que le choix qui a été fait des sieurs
de Kercy et Venture vous serait aussi agréable qu’il doit être
avantageux respectivement pour les deux pays au succès de la
commission dont ils sont chargés, et j’en attends la plus heureuse
issue. Je m’en repose sur vos sentiments et sur votre équité, et
j’ai la plus grande impatience de savoir qu’il ne reste plus entre
nous que des sujets de satisfaction, ainsi que j’ai lieu de l’espérer
des propositions qu’il a plu à Sa Majesté Impériale de vous faire
faire, par l’entremise du sieur de Kercy, sur vos dernières récla-
mations. Elles vous disposeront sans doute à avoir égard aux nô-
tres, et à adopter l’arrangement que j’ai imaginé pour en prévenir
de semblables à l’avenir.
La nation française est naturellement attachée à la prospé-
rité de votre Gouvernement ; elle voudrait faire cesser jusqu’au
moindre prétexte des démêlés qui sont survenus par le passé. J’y
contribuerai en tout ce qui sera en mon pouvoir, et je vous offre
de bon cœur, avec mes services, l’assurance du désir que j’ai de
vous marquer efficacement, en toute rencontre, la haute considé-
ration avec laquelle je suis plus cordialement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
LA LUZERNE.

LOUIS XVI
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 6 décembre 1789.

Illustre et magnifique Seigneur,

Le désir que nous avons de terminer radicalement les diffé-


rents que des malentendus ont élevés depuis quelque temps entre
la France et la Régence d’Alger, d’y remédier pour l’avenir en
390 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

insérant quelques modifications ou changements dans les articles


des traités qui subsistent entre nous, et qui sont relatifs à la dé-
marcation des limites assignées sur nos côtes aux courses de vos
bâtiments de guerre, aux passeports que nous faisons délivrer à
nos bâtiments de commercé et à la réclamation de ceux des dits
bâtiments qui ont été arrêtés, est le motif qui nous détermine à
envoyer devers vous le chevalier de Sainneville, l’un des pre-
miers officiers de nos armées navales, en qualité de notre En-
voyé, pour mettre la main à un ouvrage si salutaire, déterminer
ses conditions, en signer l’acte authentique, et proroger la durée
de la paix que nous désirons vivement de voir perpétuer entre les
deux Empires(1). Nous lui avons remis à cet effet nos pleins pou-
voirs, avec ordre de vous assurer de la sincérité de nos intentions.
Nous l’avons chargé en même temps de vous présenter cette let-
tre, pour vous prier d’ajouter foi et créance à tout ce qu’il vous
dira en notre nom, et pour vous offrir les témoignages de notre
amitié et de notre considération personnelle.
Sur ce nous prions Dieu qu’il vous ait, illustre et magnifi-
que Seigneur, en sa sainte garde.
Fait en notre château impérial du Louvre de Paris, le 6 dé-
cembre 1789.
LOUIS.
____________________
1. Le Consul avait demandé à la Cour d’envoyer à Alger « une personne qui joi-
gnit à un extérieur imposant un caractère ferme et l’habitude de négocier A. Pendant que
le chevalier de Sainneville se disposait à aller remplir la mission dont il s’agit, le Ministre
jugeait nécessaire de faire intervenir la Porte dans nos différends avec la Régence, et le
comte de Choiseul-Gouffler obtenait du Sultan l’envoi d’un commissaire, Hussein-Effen-
di-Zadé Saïd-Bey, muni des firmans nécessaires pour amener la réconciliation des deux
pays. Cette ambassade nous coûta 110 000 l.— Voy. Mémoire pote servir d’Instruction
et pleins pouvoirs donnés au sieur chevalier de Sainneville, Chef de division des armées
navales, Envoyé de Sa Majesté près le Dey et la Régence d’Alger, 1789, — Mémoire re-
mis par le comte de Choiseul-Gouffier à la Sublime Porte, le 8 mars 1790, — Lettres du
comte de Choiseul-Gouflier à de Kercy, le 22 octobre 1789, — du comte de La Luzerne à
de Kercy et aux Échevins de Marseille, les 8 février, 25 mars 1789 et 3 janvier 1790, — de
de Kercy au comte de La Luzerne, les 24 septembre et 10 octobre 1788, 5juin, 22 juillet
et 3 août 1789, — du comte de La Luzerne au comte de Choiseul-Gouffier, le 25 mars
1789. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la Chambre de
commerce de Marseille, S. AA, 113 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 391
LE COMTE DE. LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 31 janvier 1790.

Très illustre et magnifique Seigneur,

L’Empereur, mon Maître, désirant terminer les différends


qui se sont élevés entre ses sujets et les vôtres, a pris le parti de
dépêcher à Alger en qualité de son Envoyé près de vous le che-
valier de Sainneville, un des principaux officiers de ses armées
navales. Il est porteur d’une lettre de créance de Sa Majesté Im-
périale et de ses pleins pouvoirs(1), et il a reçu d’elle des instruc-
tions très détaillées pour transiger sur les prétentions pécuniaires
que forme la Régence, les demandes que nous avons à lui faire
pour le redressement des griefs qui nous ont été suscités, et enfin
pour proroger la durée du traité et en changer les deux articles
qui ont le plus influé sur la situation des sujets respectifs, et qui
sont relatifs aux passeports délivrés aux bâtiments français et à
la démarcation des limites assignées aux courses des corsaires de
la Régence. Je me flatte, très illustre et magnifique Seigneur, que
vous accueillerez avec bonté le sieur de Sainneville, qui est digne
de toute votre confiance. Sa Majesté, qui l’honore de la sienne,
l’a choisi parmi les officiers les plus distingués de sa marine, et
je suis très persuadé que son langage et sa conduite à Alger jus-
tifieront pleinement les préférences que Sa Majesté Impériale lui
a accordées. Vous avez jugé, par tout ce qui s’est passé, de ma
discrétion à réclamer votre bienveillance quand les événements
m’ont offert le moindre doute, et c’est ce qui m’encourage à la
solliciter aujourd’hui.
Quoique je ne sois point en peine de vos dispositions pour
M. de Kercy, qui a su se concilier votre estime par ses talents
et sa constance à entretenir la bonne harmonie, je ne laisserai
pas échapper cette occasion de le recommander à vos bontés. Sa
____________________
1. Voy. la note 1, p. 390.
392 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

santé est fort altérée depuis quelque temps, et comme elle est pré-
cieuse au service de Sa Majesté Impériale, je me propose de lui
obtenir un congé pour venir respirer l’air natal, lorsque tout sera
terminé. Quant au sieur Venture, il n’est que passagèrement à Al-
ger, et a des fonctions à remplir auprès de Sa Majesté Impériale
qui obligent à le faire revenir ; le chevalier de Sainneville a ordre
de le ramener avec lui, et de laisser à sa place le sieur Sielve(1) si
le sieur de Kercy a besoin d’un interprète.
Daignez agréer avec votre bonté ordinaire mes vœux pour
votre conservation. Ils me sont inspirés par l’attachement et la
considération distinguée avec lesquels je suis plus cordialement
et plus véritablement que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
LA LUZERNE.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


A LOUIS XVI.

Alger, le 4 avril 1790.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.
A Sa Majesté Louis, l’élite des Monarques chrétiens, le plus
glorieux des Grands parmi les nations de la croyance du Messie,
le très auguste, très sincère, très affectionné Empereur de France,
notre grand et ancien ami. — Puisse son existence être comblée
de bénédictions ! Daigne le Ciel le diriger sans cesse dans le che-
min de la droiture ! —
Après avoir offert à Votre Majesté les vœux les plus ardents
et les expressions de l’amitié la plus pure, notre premier devoir
____________________
1. Joseph-Charles Astoin-Sielve, qui fut nommé Chancelier du Consulat d’Alger
le 27 mars 1790. Voy. sa correspondance avec les Échevins de Marseille. (Archives de la
Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 492-506 de l’Inventaire.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 393

est de nous informer de l’état de votre santé. Si nos prières sont


exaucées, il n’est sorte de prospérités et de bonheur dont vous ne
jouissiez pendant un règne aussi long que glorieux.
Nous étions occupé de ces souhaits et de nos sentiments
les plus sincères pour Votre Majesté, lorsque son Envoyé, M. le
chevalier de Sainneville, nous a remis le 26 février la lettre pleine
d’amitié dont elle nous a honoré(1) ; nous en prîmes lecture avec
le plus grand empressement, et nous appréciâmes avec recon-
naissance toutes les expressions contenues dans cette dépêche et
qui portaient le caractère de l’éloquence du cœur. Nous fîmes en
conséquence appeler auprès de nous l’Envoyé de Votre Majesté
et son Chargé d’affaires résidant à Alger, et nous leur montrâmes
les plus favorables dispositions à les entendre sur les points prin-
cipaux de leurs instructions(2).
Il en est résulté un écrit par lequel nous nous sommes enga-
gé à confirmer la paix qui subsiste entre les deux Empires depuis
un temps infini, et à l’observer dans sa plénitude à la satisfaction
des deux partis, et c’est à la suite de notre ancien traité que cet
écrit a été consigné(3).
Il nous reste à désirer que la Vérité éternelle daigne raffer-
mir et fortifier les nœuds de l’amitié qui nous unissent à Votre
____________________
1. Voy. p. 389. M. de Sainneville arriva à Alger le 26 mars 1790 sur la frégate du
Roi L’Iris, commandée par le chevalier de Ligondez, et repartit le 4 avril. Voy. État de la
dépense faite d’ordre de M. de Kercy à l’occasion de la venue en cette rade de la frégate
du Roi L’Iris, commandée par le chevalier de Ligondez, le 31 mars 1790.
2. Voy. Lettre du chevalier de Sainneville au comte de La Luzerne, le 10 avril 1790,
rendant compte de sa mission. « Le Dey a montré beaucoup d’humeur dans la première
audience, et m’a paru aussi exigeant qu’il pouvait l’être. Il a seulement consenti à ajouter
au traité une clause établissant le renouvellement de la paix centenaire, et une nouvelle
démarcation de limites, pour la course de ses corsaires, à la portée du canon des côtes
de France et de Corse. Mohammed a consenti à laisser les Concessions à la Compagnie
moyennant 2 000 sequins de plus tous les deux mois. » — Voy. aussi Compte particulier
de M. de Sainneville en 1790, — Fonds accordés en 1790 pour la négociation avec Alger,
et Rapport sur les dépenses de l’affaire d’Alger, le 4 septembre 1790, soit 330 000 l., —
Récapitulation des présents de l’Envoyé du Roi, le 5 juin 1789, — Lettres du comte de La
Luzerne à de Kercy, les 31 janvier et 28 avril 1790, et de de Kercy au comte de La Luzerne,
les 6, 23 avril et 7 août 1790. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
3. L’original du traité du 29 mars 1790 est aux Archives des Affaires étrangères,
Salle des Traités. Il a été publié dans les recueils de MM. Tétot et de Clercq.
394 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Majesté, et que la divine Providence ne nous permette jamais de


nous écarter de la bonne voie. Ainsi soit-il !
A Alger, séjour de la guerre contre les infidèles, le 19 de la
lune de Redjeb, l’an de l’hégire 1204, c’est-à-dire le 4 avril 1790.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 28 mai 1790.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 4 avril 1790.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

A l’élite des Grands qui professent la religion du Messie, la


colonne des Seigneurs chrétiens, le Vizir de l’Empereur de Fran-
ce, le comte de La Luzerne, Salut !
Notre très fortuné, très fidèle et grand ami, — dont la fin
soit heureuse et que le Seigneur continue à diriger dans le sen-
tier de la droiture et de l’équité ! — Nous vous offrons le juste
hommage de nos vœux pour votre bonheur, et nous remplissons
envers vous le premier devoir de l’amitié en nous informant de
l’état de votre santé. Puisse-t-elle être inaltérable ! Puissiez-vous
être éternellement heureux ! Nous l’espérons au nom de Jésus,
fils de Marie. Ainsi soit-il !
L’objet de la présente est de vous entretenir d’un événement
très récent. Un de nos Capitaines commandant nos galiotes corsai-
res, appelé Benzirman, s’étant emparé à la mer, pendant sa croi-
sière, d’un navire napolitain chargé de blé, le mit à l’ancre dans
le port de Toulon qui vous appartient. Les Napolitains qui étaient
dans le même port, armant 20 à 30 chaloupes, se jetèrent de nuit
sur notre prise et l’enlevèrent au mouillage, après avoir blessé
AVEC LA COUR DE FRANCE 395

le Capitaine et un homme de son équipage et en avoir tué un autre.


Le nommé Fezoullah-reïs, commandant une autre de nos
galiotes, ayant rencontré à peu près dans le même temps un bâ-
timent génois chargé de café et de riz, s’en rendit maître, mais
il fut bientôt obligé de prendre chasse devant les corsaires de
Gènes, et il se refugia avec sa prise sur vos côtes et sous votre
canon. Les armements ennemis, sans tenir compte du feu de vos
batteries, vinrent enlever notre prise sous le canon de vos forts,
et la conduisirent à Gènes avec les Algériens qui l’avaient amari-
née. Aussitôt que l’avis nous en est parvenu, nous nous sommes
empressé de vous le transmettre(1).
Ces faits sont contraires aux articles du traité que nous
venons de renouveler avec la France. A peine ce traité était-il
conclu, il ne s’était pas encore écoulé cinq jours, et l’on permet-
tait déjà de semblables contraventions à nos ennemis ; on leur
laissait reprendre nos prises, l’une sous le canon de vos forteres-
ses, l’autre dans votre port. Que signifient ces injustices et ces
mépris pour nous ? Quel sera leur terme ? Telles ont été nos pre-
mières réflexions. Jugez de notre inquiétude. Abstraction faite de
notre dernière convention, une pareille conduite aurait de tout
temps indisposé notre marine et notre Milice. Elle eût produit
un aussi mauvais effet chez toutes les nations et dans toutes les
Cours, parce qu’elle est contraire aux droits de l’amitié. Nous
vous demandons en conséquence de nous faire rendre, par ceux
qui ont commis ces excès sur les terres de la domination fran-
çaise, notre prise chargée de blé en nature, et de nous faire payer
en outre une indemnité de 500 sequins pour chacun de nos deux
blessés et de 1 000 sequins pour le prix du sang de l’Algérien
tué dans l’action. Nous attendons également le renvoi en nature
à. Alger du navire génois que les armements de Gênes nous ont
repris sous votre canon, de sa cargaison et de nos hommes qui y
étaient embarqués. Nous comptons absolument sur cette double
satisfaction. Au surplus, que le Très-Haut ne permette à aucun
____________________
1. Voy. Lettres du commandeur de Glandevès au comte de La Luzerne, les 22juin
et 13 août 1790, — Lettres de de Kercy au comte de La Luzerne, les 18 juillet et 9 août
1790. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
396 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de nous de s’écarter de la voie de la justice ! Ainsi soit-il ! au nom


de Jésus, fils de Marie.
Écrit le 4 avril 1790 de l’ère chrétienne ou le 19 de la lune
de Redjeb, l’an de l’hégire 1204, à Alger, le théâtre de la guerre
contre les infidèles.
Nous vous avions marqué dans le corps de la lettre de nous
envoyer ici notre prise chargée de blé, mais les armateurs et les
intéressés viennent de nommer pour leur procureur en France Sidi
Hassan Khodja, marchand algérien qui se trouve sur les lieux, et
le Capitaine qui commandait la dite prise. Ces deux Musulmans
vendront le navire et sa cargaison par l’entremise de M. Gimon
fils(1), et feront passer par son correspondant le produit de cette
vente. C’est dans ce sens que les intéressés ont écrit à ces trois
personnes à Marseille. Quant aux 2 000 sequins, savoir 500 pour
chaque blessé et 1 000 pour l’Algérien mort les armes à la main,
nous vous prions de nous envoyer directement cette somme.
Convient-il en effet à la dignité de votre Cour de laisser impunis
tous les mauvais traitements qui ont été faits dans votre propre
port à nos gens ? On a coupé le bras à l’un, on a fait à l’autre
quinze ou seize blessures, on en a tué un troisième, on a garrotté
tous les autres, on a brûlé la barbe à l’un d’entre ces derniers ; il
n’y a ni mal ni affronts qu’on ne leur ait fait. Nous en avons tous
été affectés à Alger, petits et grands, et surtout les membres du
Divan y ont été si sensibles qu’ils se sont écriés : — « Non ! A
ces procédés, on ne saurait reconnaître nos anciens amis ; l’Être
suprême qui sait tout et voit tout décidera la chose ! »
Dans la conférence que nous avons eue, à l’occasion de la
prisé napolitaine faite par feu notre corsaire commandant l’arme-
ment coulé bas sur vos côtes, nous n’avions compté que 21 hom-
mes composant l’équipage de la dite prise, mais ce calcul, fait de
mémoire et sans vérification, n’est pas exact, et depuis lors ayant
été dans le cas de faire le partage du butin entre les capteurs, nous
avons reconnu une erreur essentielle ; au lieu de 21 esclaves, il
____________________
1. La maison de commerce Gimon, fondée à Alger en 1753 et successivement
régie par le père et les trois fils. Voy. Lettre de de Kercy au marquis de Castries, le 20
novembre 1786.
AVEC LA COUR DE FRANCE 397

y en avait réellement 28, et les intéressés en exigent absolument


le prix qui monte, pour les 7 esclaves oubliés, à 4 655 sequins
d’Alger, tous frais et présents compris. Nous comptons que vous
voudrez bien nous envoyer le plus tôt cette somme.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 9 août 1790.

BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 19 juillet 1790.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Le plus éminent des Seigneurs chrétiens, le plus distingué


parmi les Grands de la croyance de Jésus, notre très cher et très
respectable ami le Vizir de l’Empereur de France. — Puisse leur
fin être heureuse, et puissent-ils être dirigés l’un et l’autre dans la
voie du salut ! —
Après avoir offert à Votre Excellence les vœux sincères que
je fais pour votre prospérité et m’être informé de l’état de votre
santé, je prie le Ciel de vous faire jouir d’une longue vie et de la
plus constante félicité. Ainsi soit-il ! par les mérités de Jésus, fils
de Marie et l’esprit de Dieu.
Ensuite, notre très cher et très respectable ami, vous saurez
que nous avons reçu, par l’entremise de Votre Consul résidant
auprès de nous, la lettre signée de l’Empereur de France et plus
bas de son Ministre de la Marine, par laquelle Sa Majesté ap-
prouve et ratifie tous les articles du renouvellement des traités
de paix faits pour le terme de cent ans(1), et conclus le 29 mars de
____________________
1. Cette ratification fut adressée le 28 avril 1790 au Consul de Remy qui la pré-
senta au Dey, mais elle ne fut accompagnée d’aucune dépêche du Roi. Voy. Lettre du
comte de La Luzerne à de Kercy, le 28 avril 1790.
398 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

la courante année entre le Dey d’Alger et l’Envoyé extraordinai-


re de l’Empereur de France, le chevalier de Sainneville, Chef de
division des armées navales(1). Il ne nous reste qu’a prier le Tout-
Puissant de resserrer de plus en plus les liens de notre amitié et de
veiller, pendant ce long espace d’années, à l’exacte observation
de tous les articles des traités de paix qui existent entre nous de-
puis si longtemps et qui viennent d’être renouvelés. Ainsi soit-il !
par les mérites de Jésus, fils de Marie et l’esprit de Dieu.
A Alger la bien gardée, siège de la guerre de religion, le 25
de la lune de Zilhidjé de l’an de l’hégire 1204, correspondant au
19 juillet 1790.

LE COMTE DE LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 4 septembre 1790.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Je n’avais point attendu la dépêche dont vous m’avez hono-


ré le 4 avril dernier(2), pour rendre compte à Sa Majesté Impériale
de l’enlèvement que des Napolitains se sont permis de faire, près
la rade de Toulon, d’un bâtiment de leur nation que le corsaire
Benzirman y avait amariné. Sa Majesté fut si indignée de cette
violation de territoire qu’elle ordonna la poursuite des coupables,
pour les faire punir d’une manière proportionnée à la gravité de
leur délit. Il ne serait pas juste que ceux de vos sujets qui ont
eu à souffrir d’un excès si blâmable vissent différer, jusqu’à la
conclusion de cet important procès, les satisfactions qu’ils sont
en droit de prétendre de l’équité de Sa Majesté Impériale, et elle
m’a déjà donné ses ordres pour la restitution du bâtiment et de la
cargaison entre les mains des personnes de confiance que vous
____________________
1. Voy. les notes 2 et 3, p. 393.
2. Voy. p. 394.
AVEC LA COUR DE FRANCE 399

m’avez indiquées, et le payement des 2 000 sequins destinés à


dédommager la famille de l’Algérien qui a été tué et les deux qui
ont été blessés dans le combat. Ils vous confirmeront eux-mêmes
l’avis de cette décision de Sa Majesté Impériale et de son exécu-
tion, pour ce qui regarde le bâtiment et la cargaison, parce qu’ils
en auront été les témoins avant leur départ, et je me flatte qu’ils
vous feront, comme ils le doivent, un rapport favorable des soins
que j’ai fait prendre d’eux, au port de Toulon, pour les guérir de
leurs blessures et leur procurer les moyens de retourner dans leur
patrie. C’est dans cette confiance que j’ai voulu qu’ils fussent
porteurs de cette dépêche(1).
Le payement des 2 000 sequins, et celui du prix des 7 escla-
ves génois faisant partie de l’équipage de la prise anciennement
coulée bas sur nos côtes, et qui a été oublié par erreur dans les
conférences que M. le chevalier de Sainneville a eu l’honneur
d’avoir avec vous sur cette affaire, sera incessamment effectué
par le successeur de M. de Kercy(2) que Sa Majesté Impériale
chargera de ces deux sommes, montant ensemble, suivant vos
propres calculs, à 6 655 sequins tout compris(3). Il doit partir in-
cessamment, et n’attend pour se rendre auprès de vous que les
dernières instructions que je dois lui donner sur la seconde récla-
mation que vous m’avez adressée, celle de la prise génoise qu’un
bâtiment de cette République a recouvrée près de nos côtes. J’at-
tends d’un jour à l’autre des réponses du Sénat, auprès duquel Sa
Majesté Impériale a fait réclamer le navire génois, sa cargaison
____________________
1. Voy. Lettre du comte de La Luzerne à de Kercy, le 3 septembre 1790. « Je ne puis
qu’approuver la conduite que vous avez tenue dans la situation très difficile où vous vous
êtes trouvé. Vous verrez par la lettre que j’écris au Dey la résolution que Sa Majesté a prise
de donner à ce Prince la satisfaction qu’il demande, en lui faisant restituer la prise napolitai-
ne et sa cargaison. Sa Majesté s’est déterminée aussi à satisfaire le Dey sur ses réclamations
pécuniaires, et vous pouvez l’assurer qu’on poursuit suivant les formes judiciaires, devant
le tribunal de l’Amirauté de Toulon, les auteurs de la violence dont il s’est plaint avec raison
et qu’on n’a pas eu le temps d’empêcher. Quant à la prise génoise, vous ferez observer au
Dey que n’étant pas dans nos mains, on ne peut que la réclamer auprès de la République de
Gênes, et vous pouvez l’assurer qu’on ne négligera rien pour réussir.
2. Nommé Consul général à Hambourg le 1er octobre 1790. Voy. sa correspondan-
ce avec les Échevins de Marseille de 1782 à 1790. (Archives de la Chambre de commerce
de Marseille, S. AA, 477-491 de l’Inventaire.)
3. Voy. Lettre du comte de La Luzerne à Vallière, le 11 septembre 1790.
400 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ou leur valeur, dans le cas où par hasard il aurait été vendu ou dé-
naturé. Je voudrais que le nouveau Consul pût amener avec lui cet
équipage, et vous garantir la certitude de la restitution de la prise.
Mon empressement à satisfaire aux plaintes que vous m’avez por-
tées sur ces deux infractions vous prouvera, très illustre et magni-
fique Seigneur, combien j’ai à cœur de ne laisser subsister entre
nous aucun nuage qui puisse troubler la paix et l’union des deux
nations. Mais je me persuade que vous reconnaîtrez des disposi-
tions si amicales par un juste retour, en ordonnant à vos, corsaires
de respecter la nouvelle démarcation des limites assignées à leurs
courses sur nos côtes, et en leur enjoignant de s’en écarter et de
se tenir en haute mer. Car je ne vous dissimulerai pas que, dans
toute autre circonstance que celle d’une violation de territoire
aussi caractérisée que celle qui avait remis au pouvoir des Napo-
litains le bâtiment repris près la rade de Toulon, je n’aurais pu me
dispenser d’écouter leurs représentations sur l’illégitimité de la
prise qu’en avait faite d’abord votre corsaire. Ils m’ont produit en
effet des dépositions très nombreuses, par lesquelles il était prou-
vé que le premier s’en était emparé à la portée du canon. Mais la
manière scandaleuse et révoltante dont ils ont cherché à se rendre
justice leur a fermé tout accès auprès de Sa Majesté Impériale,
qui n’a plus consulté dans cette occasion que la nécessité de ven-
ger l’immunité blessée de son territoire, et d’affranchir des suites
de cette violation ceux de vos sujets qui en ont été les victimes.
A l’arrivée du successeur de M. de Kercy, vous vous convaincrez
encore mieux, par les ordres qu’il aura de terminer radicalement
toutes ces affaires et celles, plus anciennes, que la négociation
du dernier Envoyé du Roi a laissées en suspens, de la sincérité
du désir qu’a Sa Majesté Impériale d’entretenir la bonne intelli-
gence si heureusement cimentée par le renouvellement du traité,
et des sentiments qui m’animent pour la prospérité mutuelle des
deux nations, ainsi que de l’attachement et de la considération
distinguée avec lesquels je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
LA LUZERNE.
AVEC LA COUR DE FRANCE 401
LE COMTE DE LA LUZERNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A BABA. MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 11 septembre 1790.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré le 19 juillet
dernier(1), et qui contient la ratification des articles du supplé-
ment du traité qui ont été convenus entre vous et M. le comte
de Sainneville, et je profite du départ de ma valise pote vous té-
moigner de la part de Sa Majesté Impériale toute sa satisfaction
de cette nouvelle assurance de vos sentiments pour elle. Je ne
puis que joindre mes vœux aux vôtres pour que la continuation
de la paix s’affermisse par ces nouveaux liens, et n’éprouve plus
aucune espèce d’altération. Je me flatte que le choix qu’a fait
Sa Majesté Impériale de M. Vallière(2) pour le charger de ses
affaires auprès de vous et l’y nommer son Consul contribuera à
maintenir d’aussi heureuses dispositions. Il est le neveu d’un an-
cien Consul de ce nom(3) qui a longtemps résidé à Alger, et qui a
su s’y concilier votre estime et vos bonnes grâces ; il a lui-même
été instruit et élevé à Alger, où il a déjà servi en qualité de Vice-
Consul, et lors de son départ vous en rendîtes des témoignages
favorables. J’espère qu’il les justifiera par son empressement à
vous plaire, en marchant sur les traces de son oncle. Vous pou-
vez ajouter une entière foi et créance à tout ce qu’il aura à vous
dire de notre part.
Je n’ai point laissé ignorer à Sa Majesté Impériale tout le, cas
que vous faites de M. de Kercy(4), et les éloges que vous avez dai-
gné lui donner, n’ayant pu que me confirmer dans la bonne opinion
____________________
1. Voy. p. 397.
2. Césaire-Philippe Vallière, ancien Vice-Consul à Alger en 1780, nommé Consul
général en cette résidence le 11 septembre 1790.
3. Jean-Antoine Vallière, Consul à Alger de 1762 à 1174.
4. Voy. Lettre du comte de La Luzerne à de Kercy le 11 septembre 1790. « Je ne
puis que vous renouveler les témoignages de satisfaction qui Vous ont été si souvent don-
nés tant de la part de Sa Majesté que de celle de ses Ministres, sur le zèle et la capacité
402 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

que j’en ai eue par moi-même, m’ont déterminé à lui accorder la


récompense qu’il a méritée(1). Permettez-moi de m’en rapporter,
sur les affaires qui lui restent à finir avant de prendre congé de
vous, à ma précédente dépêche du 4 de ce mois(2), et de me borner
à vous renouveler les sentiments d’attachement et de considéra-
tion distinguée avec lesquels je suis plus cordialement et vérita-
blement que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
LA LUZERNE.

LE COMTE DE FLEURIEU, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(3),


A BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER.

Paris, le 19 décembre 1790.

Très illustre et magnifique Seigneur,

L’Empereur, mon Maître, ayant résolu par des considéra-


tions supérieures de faire quelques changements au pavillon de
France, Sa Majesté Impériale en a fait proclamer une loi expres-
se. Je m’empresse de vous le faire connaître, en chargeant notre
Consul auprès de vous de vous remettre une planche coloriée et
un modèle qui indiquent avec beaucoup d’exactitude la forme et
les couleurs du nouveau pavillon(4). Les bâtiments de commerce
____________________
que vous avez montrés dans la gestion des affaires qui vous ont été confiées. »
1. Voy. la note 2, p. 399.
2. Voy. p. 398.
3. Charles-Pierre Claret, comte de Fleurieu, ingénieur, membre de l’Institut, Di-
recteur général des ports et des arsenaux en 1776, nommé Secrétaire d’État de la Marine
le 24 octobre 1790. Il devint Gouverneur du Dauphin en 1792, et plus tard Intendant gé-
néral de la maison de l’Empereur, Sénateur et Gouverneur des Tuileries.
4. Voy. Lettre du comte de Fleurieu à de Kercy, le 19 décembre 1790, contenant
des instructions relatives à l’application de la loi du 31 octobre 1790, concernant le pa-
villon tricolore, et à la proclamation du Roi qui déterminait l’époque à laquelle les bâ-
timents de commerce pouvaient l’arborer. — Voy. Moniteur universel, 1790, n° 295, et
AVEC LA COUR DE FRANCE 403

français ne seront pas tenus de l’arborer, soit à la mer soit dans


les ports étrangers, jusqu’au 1er avril prochain, mais si, contre
mon attente et à cause de la distance des lieux où ils naviguent,
il arrivait que quelques capitaines marchands prissent le nouveau
pavillon avant ce temps ou conservassent encore l’ancien après
le terme expiré, Sa Majesté Impériale vous prie, très illustre et
magnifique Seigneur, de vouloir bien, dans les ordres que vous
ferez expédier aux Commandants des armements de la Régence
et de ses ports, leur enjoindre de la manière la plus précise de
respecter l’un et l’autre pavillon, et de ne porter aucun préjudice
à tout bâtiment français qui serait d’ailleurs muni des papiers de
bord nécessaires à la légitimité de sa navigation. Vous pouvez
bien compter, très illustre et magnifique Seigneur, sur la vigi-
lance de Sa Majesté Impériale à accélérer l’exécution de la loi
qui substitue le nouveau pavillon à l’ancien, et la suppression
progressive du premier jusqu’à ce qu’il soit entièrement disparu.
Dans la confiance que doit vous inspirer cette assurance de sa
part, elle ne doute point que vous n’employiez les mesures les
plus efficaces pour la sûreté du commerce des Français, malgré
cette innovation qui n’en fait aucune dans les traités par lesquels
la France et la Régence sont si heureusement liées, et dont Sa Ma-
jesté Impériale désire l’éternelle durée. Je ferai tous mes efforts
pour y contribuer pendant celle de mon Ministère, en saisissant
avec empressement les occasions de vous prouver les sentiments
du respectueux attachement avec lesquels je suis plus cordiale-
ment que je ne puis l’exprimer,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
DE FLEURIEU.
____________________
1791, n° 112, où se trouve la discussion de l’Assemblée nationale sur la substitution du
drapeau tricolore au pavillon blanc, et sur les mesures prises pour faire reconnaître le
premier par les Puissances barbaresques.
404 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
BABA MOHAMMED, DEY D’ALGER,
AU COMTE DE FLEURIEU, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 21 janvier 1791.

(Sceau)
MOHAMMED,
Dey et Gouverneur d’Alger la bien gardée.
A l’élite des Commandants chrétiens, le plus illustre des
Grands qui professent la religion du Messie, le Ministre de la
Marine de l’Empereur de France, notre glorieux et très fidèle
ami. — Que le Ciel vous accorde une heureuse fin, et vous dirige
sans cesse vers les sentiers de la droiture et du salut ! —
Après vous avoir offert l’hommage de nos prières pour vo-
tre conservation et de nos vœux pour votre bonheur, nous avons
l’honneur de vous notifier que, dans les premiers jours du mois de
janvier, nous avons reçu la dépêche pleine d’expressions d’ami-
tié que vous nous avez écrite le 19 décembre dernier(1). Cette let-
tre nous a été remise par votre nouveau Consul, arrivé sur un de
vos armements(2). Vous ne devez pas douter de la joie sincère que
nous ont causée vos agréables nouvelles. Le choix que l’Empe-
reur de France a fait de Votre Excellence, pour lui confier des
fonctions aussi importantes et aussi délicates que celles d’un si
vaste Département, nous est un garant infaillible des éminentes
qualités qui la distinguent et de ses dispositions à maintenir la
bonne harmonie qui subsiste si heureusement entre la France et la
____________________
1. Voy. p. 402.
2. Vallière vint prendre possession de son poste le 15 janvier 1791, sur la frégate
La Poulette, commandée par. M. de Brueys. Voy. État de la dépense faite d’ordre de M.
de Kercy à l’occasion de la venue à Alger de la corvette du Roi La Poulette, commandée
par M. de Brueys et sur laquelle est arrivé M. Vallière, — État des présents distribués en
janvier 1791 par M. Vallière, à son installation au Consulat d’Alger, au Dey, aux officiers
et aux autres personnes de la Régence, soit à 92 personnes, ci : 48 477 l., 10 s., — Lettres
de Vallière au comte de Fleurieu, les 15, 20 janvier et 18 février 1791. (Archives des Af-
faires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 405

Régence d’Alger. Puissiez-vous jouir, pendant de longues années


et dans la plus parfaite santé, des honneurs d’une dignité qui était
due à votre rare mérite et à la pureté de vos intentions ! Puisse
notre correspondance, fondée sur l’estime et l’attachement les
plus sincères, faire éternellement l’objet de la jalousie des autres
nations ! Elles n’ignorent point la juste préférence que nous don-
nons aux Français sur tous les peuples de l’Europe, en considé-
ration de l’ancienneté et de l’intimité des liens qui nous unissent
à la France ; elles ne pourront pas voir sans envie nos nouveaux
efforts respectifs pour resserrer de plus en plus ces nœuds salutai-
res aux deux partis, ni les avantages certains qui résulteront d’un
pareil concert de sentiments et de procédés.
Nous avons, ainsi que vous le désiriez, admis à notre audien-
ce M. Vallière, et nous avons reconnu en lui toutes les bonnes
qualités que vous nous aviez annoncées. C’est un homme d’es-
prit et d’expérience. Nous l’avons agréé et installé à la place de
M. de Kercy, comme vous nous en aviez prié, et il sera maintenu
dans les fonctions de Consul et de Chargé d’affaires auprès de
nous que M. de Kercy a exercées si longtemps à notre satisfac-
tion. Celui-ci, d’après votre vœu, a pris congé de nous et s’est
embarqué pour se rendre en France(1).
Nous avions écrit à Votre Excellence pour réclamer une de
nos prises, enlevée à une distance illégitime de vos côtes par des
armements génois, et pour demander sa restitution en nature avec
sa cargaison et son équipage(2). Votre Consul nous ayant, dans
l’intervalle, fait la proposition de nous contenter de la valeur de
cette prise et de la fixer amiablement, l’estimation qui en a été fai-
te d’après les égards de l’amitié n’a été portée qu’à 2 000 sequins
algériens, et votre Consul s’est engagé à nous procurer l’envoi de
cette somme et celui des Mores qui se trouvaient embarqués sur
____________________
1. Il quitta la Régence le 15 janvier 1791. Voy. État de la dépense faite à l’oc-
casion du départ de M. de Kercy, ci-devant Consul général en cette Échelle, le 19 avril
1791.
2. Voy. p. 394.
406 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

notre bâtiment au moment où il a été pris. En ajoutant ces 2 000


sequins aux 6 655 déjà convenus entre nous, le total de nos pré-
tentions s’élèvera à 8 655 sequins. Il ne nous en a été remis
jusqu’à présent par votre Consul que 4 000 ; nous avons donc
encore à recevoir de France un résidu de 4 655 sequins d’Alger,
et votre Consul nous a promis formellement qu’ils nous seraient
incessamment comptés(1). Nous espérons que Votre Excellence, à
la réception de la présente, ne perdra pas un moment pour nous
faire passer cet argent et les hommes que nous réclamons. Elle
nous avait marqué, dans la lettre à laquelle nous répondons, que
cette double restitution serait effectuée par le nouveau Consul à
son arrivée à Alger. Nous avons pris en considération ses excuses,
mais nous ne vous dissimulerons pas tout notre empressement à
voir terminer cette affaire. Daigne le Très-Haut nous faire tous
persévérer dans la voie de la justice! Nous l’en prions au nom de
Jésus, fils de Marie.
Écrit à Alger la bien gardée, séjour de la guerre contre les
infidèles, le 16 de la lune de Djemazi-el-ewel, l’an de l’hégire
1205, ou le 21 janvier 1791 de la naissance de Jésus.
Traduit par Ruvrm, Secrétaire-interprète du Roi, le 15 mars 1791.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


A LOUIS XVI.

Alger, le 15 juillet 1791.


(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger la bien gardée.

Au plus grand des Souverains chrétiens, à l’élite des Chefs


des nations qui professent la religion du Messie, notre très grand
____________________
1. Voy. Lettre des Députés de la Chambre de commerce de Marseille à Vallière, le
19 mai 1791. La Chambre était autorisée à faire à notre agent l’avance de 8 655 sequins.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 407

et très fidèle ami, l’auguste Empereur de France. — Que Dieu cou-


ronne de bénédictions sa glorieuse carrière, et dirige ses pas dans
le chemin de la justice et de la droiture ! — Saint et prières !
Nous offrons à Votre Majesté Impériale nos vœux les plus
ardents et les plus étendus pour sa conservation et sa félicité.
Puisse-t-elle jouir d’une santé inaltérable et d’une satisfaction
sans bornes ! Ainsi soit-il ! par Jésus, fils de Marie.
Nous avons l’honneur de notifier à Votre Majesté Impériale
que notre illustre prédécesseur Mohammed, Dey et Gouverneur
de notre victorieuse Régence d’Alger, en exécution des décrets
de la Providence qui a condamné tout être vivant à goûter le ca-
lice de la mort, a quitté en dernier lieu cette vie périssable pour
passer à l’éternité, et que nous Sidi Hassan, ci-devant Khaznadji,
avons immédiatement succédé à ce Prince, — dont le tombeau
soit sanctifié(1) ! —
Nous devons, suivant l’usage, envoyer à la Sublime Porte
des présents d’une grande valeur à l’occasion de notre heureux
avènement, et nous avons à faire à Votre Majesté une demande
à cet effet. Nous la prions de destiner à ce voyage le Capitaine
Doumergue, qui se trouve actuellement en France, et de vouloir
bien lui faire donner le vaisseau que ce navigateur désignera et
le lui laisser armer comme il l’entendra. En un mot nous deman-
dons à Votre Majesté Impériale, au nom de l’amitié qui nous unit,
qu’il soit consigné au dit Capitaine un vaisseau grand et neuf,
pourvu de toutes les munitions nécessaires. C’est ainsi que nous
en sommes convenu avec le dit navigateur. La célérité qui sera
mise à cette expédition ajoutera un grand prix au bienfait et de
nouveaux motifs à notre reconnaissance(2).
____________________
1. Baba Mohammed mourut à l’âge de 81 ans, le 12 juillet 1791 ; il fut aussitôt
remplacé par Sidi Hassan, son fils adoptif, qui ratifia nos traités le même jour, à la de-
mande de Vallière. Voy. État des présents faits par le sieur Vallière à l’occasion de l’avè-
nement du nouveau Dey, soit 7 233 l. 17 s.
2. Voy. Lettre de Vallière au Vice-Amiral Thévenard, le 28 juillet 1791. « Le nou-
veau Dey m’a fait l’accueil le plus flatteur et les démonstrations les plus amicales; la ja-
lousie des étrangers s’est alarmée déjà d’un fantôme de faveur. Mais Hassan est Algérien,
impatient par conséquent, et il me sollicite journellement pour la plus grande diligence
dans l’expédition du bâtiment qu’il a demandé pour son ambassade à Constantinople. »
408 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Nous osons donc espérer qu’à la réception de cette lettre,


Votre Majesté Impériale donnera les ordres les plus précis pour
l’armement et le départ du vaisseau indiqué.
Que Dieu lui accorde la continuation d’une bonne santé, et
nous fasse tous persévérer dans la droite voie, sans permettre que
nous nous en écartions ! Ainsi soit-il !
Écrit à Alger, le centre de la guerre contre les infidèles, le
14 de la lune de Zilcadé, l’an de l’hégire 1205, ou le 15 juillet
1791.
Le vaisseau que nous désirons est un vaisseau de guerre, ce
n’est pas un vaisseau marchand. Nous attendons cette faveur de
Votre Majesté Impériale avec toute la confiance de l’amitié qui
nous unit depuis longtemps.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 7 août 1791.

LOUIS XVI
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 16 septembre 1791.

Nous avons reçu, très illustre et magnifique Seigneur, avec


une grande satisfaction la nouvelle de votre avènement à la di-
gnité suprême de Dey d’Alger(1), et l’attention que vous avez eue
de nous en informer vous-même nous a été infiniment agréable.
Les rares qualités dont vous êtes orné et les sentiments d’attache-
ment que vous montrez pour la nation française pouvaient seuls
adoucir les regrets que nous a causés la perte de notre ancien ami,
votre illustre prédécesseur. Votre empressement à ratifier les trai-
tés qui subsistent si heureusement entre la France et la Régence
aurait suffi pour nous convaincre de la sincérité de vos désirs
pour le maintien de la bonne harmonie, mais vous y avez ajouté
____________________
— Voy. aussi Mémoire du capitaine Doumergue sur la demande du Dey d’un bâtiment
pour Constantinople, le 18 août 1791.
1. Voy. p. 407.
AVEC LA COUR DE FRANCE 409

de plus une marque de prédilection à. laquelle nous attachons un


grand prix, celle de donner la préférence à notre pavillon pour
transporter à Constantinople l’Ambassadeur que vous envoyez
à Sa Hautesse, afin d’obtenir son investiture(1). M. Vallière, notre
Chargé d’affaires auprès de vous que nous recommandons à vos
bontés, très illustre et magnifique Seigneur, aura l’honneur de
vous présenter cette lettre. Il a dû déjà vous prévenir que nous
avions donné promptement les ordres nécessaires à cette expédi-
tion. Nous nous en rapportons entièrement aux détails qui vous
en seront faits par notre Ministre de la Marine. Vous y reconnaî-
trez qu’ils sont absolument conformes à vos vœux. Les nôtres
n’auront jamais d’autre objet que la conservation de la paix et de
la bonne amitié, ainsi que la gloire et la prospérité de votre Ré-
gence, et la présente n’étant à autre fin, je prie Dieu, très illustre
et magnifique Seigneur, qu’il vous ait en sa sainte garde.
Écrit en notre château impérial des Tuileries de Paris, le 16
septembre 1791.
Louis.

LE VICE-AMIRAL THÉVENARD, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2),


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 16 septembre 1191.

Très illustré et magnifique Seigneur,


L’Empereur de France, mon Maître, vient de me confier sa
gracieuse réponse à la dépêche que vous lui avez adressée pour
____________________
1. Ali Khodja, Vekilhardji de la Marine, se disposait à partir avec 300 haïques de Tlem-
cen, de Biskra et du Maroc, 20 grands tapis du sud, 30 peaux de lion, 80 ceintures de soie, 22
couvertures, 13 montres, 10 poudrières, 15 cartouchières, 80 chapelets de corail, 60 chapelets
en ambre, 9 bagues, 11 paires de pistolets, 11 fusils, 35 négresses du Soudan et 31 nègres. Voy.
Takrifat ou Recueil de notes sur l’administration de l’ancienne Régence d’Alger, p. 41.
2. Antoine-Jean-Marie Thévenard, ancien capitaine de vaisseau au service de la
Compagnie des Indes, brigadier des armées navales en 1782, Chef d’escadre en 1784,
Vice-Amiral en 1790, Secrétaire d’État de la Marine le 16 mai 1791. Il devint l’année
suivante Commandant de la Marine à Lorient, puis à Brest et à Rochefort, et fut nommé
sous l’Empire Sénateur et Préfet maritime à Toulon.
410 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

lui notifier votre avènement à la dignité de Dey. Je m’empresse


de vous la remettre ci-joint(1). Permettez-moi d’y ajouter les ex-
pressions de ma vénération, et les assurances du zèle que j’aurai
toujours à cultiver les dispositions favorables que Sa Majesté Im-
périale vous témoigne directement. J’ose vous prier aussi, très
illustre et magnifique Seigneur, d’agréer mes félicitations per-
sonnelles sur votre élévation au rang suprême où vos vertus et les
hautes qualités qui vous distinguent vous ont fait parvenir. Je n’ai
eu rien de plus pressé que de prendre les ordres de Sa Majesté
Impériale pour l’expédition du bâtiment de guerre que vous lui
demandez, afin de transporter votre Ambassadeur à Constantino-
ple et de le ramener à Alger(2). Je lui ai proposé, en conséquen-
ce, d’y destiner une frégate dont la capacité permettra au retour
l’embarquement des effets que vous attendez de Constantinople,
et pour ne rien laisser à désirer à votre satisfaction, j’ai déterminé
Sa Majesté Impériale à en donner le commandement au capitaine
Doumergue, quoique ce navigateur ne fût point sur la liste des
officiers à qui Sa Majesté Impériale confie exclusivement ses bâ-
timents de guerre. Elle a bien voulu s’écarter cette fois de la règle
ordinaire, pour répondre à la préférence que vous avez accordée
au pavillon français qui est celui du plus ancien ami des Princes
musulmans. J’espère que vous voudrez bien apprécier cette mar-
que extraordinaire de la bienveillance de Sa Majesté Impériale,
qu’elle deviendra l’heureux présage de la durée des liens qui unis-
sent les deux nations, et qu’elle vous inspirera le plus vif intérêt
pour tous les Français, notamment pour la Compagnie d’Afrique,
____________________
1. Voy. p. 408.
2. Voy. Lettre de Vallière au Vice-Amiral Thévenard, le 24 août 1791. « Le Dey ap-
préhende que le bâtiment n’arrive pas assez tôt, et prie constamment pour la plus grande
diligence dans son expédition. Les Espagnols ont osé insinuer qu’il était à craindre que
la France, dans la circonstance actuelle, ne pût pas envoyer le bâtiment demandé ; ils ont
offert une frégate qu’ils tiendront ici à ses ordres et qu’il acceptera ou refusera suivant son
bon plaisir. »— L’Espagne était sur le point de traiter avec le Dey au sujet de la restitution
définitive à la Régence d’Oran et de Mers-el-Kébir. Elle demandait en retour l’établis-
sement à Oran d’une Compagnie de commerce semblable à la Compagnie d’Afrique, et
consentait à payer son privilège 120 000 l. par an. Voy. Histoire d’Alger, par de Gram-
mont, p. 342 et suiv.
AVEC LA COUR DE FRANCE 411

dont les opérations sont si avantageuses aux deux pays et dont je


me sens encouragé à solliciter en sa faveur votre protection spé-
ciale, et pour les diverses demandes que M. Vallière aura à vous
présenter sur celles de nos affaires qui sont encore en suspens. Sa
Majesté Impériale compte assez sur votre amitié pour s’attendre
à une prompte et favorable décision, et elle m’a chargé, en consé-
quence, de donner à ce Consul des instructions particulières sur
lesquelles je vous prie de vouloir bien l’entendre Il ne me reste
qu’à vous renouveler les démonstrations de la haute considéra-
tion avec laquelle je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
THÉVENARD.

LE COMTE BERTRAND, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(1),


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 4 novembre 1791.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Vous avez dû recevoir par la frégate La Modeste(2) une ré-
ponse de l’Empereur, mon Maître, qui vous félicitait sur votre
avènement à la dignité suprême de Dey d’Alger(3), et réalisait les
promesses que j’avais eu déjà l’honneur de vous faire annoncer,
par son ordre, de l’expédition prochaine d’un bâtiment de guerre
commandé par le capitaine Doumergue, et destiné au transport de
votre Ambassadeur à Constantinople. C’est au moment même où
ce bâtiment était prêt à mettre à la voile que vous avez renoncé
au pavillon français pour cette mission, et qu’en acceptant celui
des Espagnols, vous avez ajouté à cette préférence inattendue les
____________________
1. Antoine-François Bertrand de Molleville, Maître des requêtes en 1784, Inten-
dant de Bretagne en 1784, à la tête du Département de la Marine du 2 octobre 1791 au 14
mars 1792. Décrété d’accusation par la Convention nationale, il émigra en Angleterre.
2. Voy. la note 2, p. 412.
3. Voy. p. 408.
412 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

reproches les moins mérités pour la nation et les menaces les


plus violentes contre le Consul(1) Sa Majesté Impériale n’a pu
voir qu’avec surprise un langage si opposé à celui de l’amitié
qui unit les deux nations depuis plus d’un siècle, aux termes des
traités, aux sentiments d’affection constamment manifestés par
votre illustre prédécesseur, et enfin à vos propres expressions
dans votre dépêche de notification. Le contraste en est si subit et
si frappant que Sa Majesté Impériale, répugnant à croire qu’une
pareille variation soit dans votre caractère, aime mieux l’attri-
buer à la perfidie d’une suggestion domestique peut-être excitée
par des insinuations étrangères, mais cette opinion, qui pourrait
affaiblir le ressentiment qu’a dû causer à Sa Majesté Impériale
votre conduite personnelle en cette occasion, n’empêche point
qu’elle ne soit vivement affectée des propos comminatoires qui
ont été tenus de votre part au Consul, du refus que vous faites de
l’entendre, et des suites que semblent annoncer les précautions
ultérieures que vous vous proposez de prendre à l’égard de ceux
de vos sujets qui résident en France. La magnanimité de Sa Ma-
jesté Impériale éloigne cependant de son cœur les impressions
qu’un tel assemblage de circonstances parait devoir y faire naître,
et n’écoutant encore que le désir qu’elle a de maintenir la paix si
salutaire aux deux nations, elle s’est empressée de vous envoyer
un émissaire, qui a été chargé de vous donner des explications
préliminaires sur toutes vos demandes(2).
____________________
1. Mortifié du peu d’empressement que nous mettions à le servir, Hassan avait fini
par accepter les offres de l’Espagne el par envoyer son Ambassadeur et ses présents, le 14
octobre 1791, sur La Mahonaise, frégate de 40 canons commandée par Dom Guimbardo.
A ce propos notre Consul, rappelant son officieuse intervention en faveur des Espagnols
dans la négociation de leur dernier traité, écrivit au Ministre : « Que nous avons à. nous
plaindre de cette nation ! Tous les gens raisonnables de ce pays disent que, sans la France,
Alger n’eût jamais écouté des propositions de paix avec elle. Les Espagnols sont des in-
grats et supplantent leurs bienfaiteurs. » Lettres de Vallière au comte Bertrand, les 8, 11
et 12 octobre 1791.
2. M. de Missiessy, Lieutenant de vaisseau, accompagné du capitaine Doumergue,
arriva à Alger le 10 novembre 1791 sur la frégate La Modeste, reçut du Dey les compliments
let plus flatteurs, ainsi que ses excuses sur tout ce qui s’était passé, et repartit quelques
jours après, emportant à la Cour les deux dépêches qui suivent pour le Roi et le Ministre.
Voy. État de la dépense faite d’ordre de M. Vallière, Consul général a Alger, à l’occasion
de la venue en cette rade de la frégate La Modeste, commandée par M. de Missiessy,
AVEC LA COUR DE FRANCE 413

Je me flatte que son arrivée vous aura donné quelque regret


de la précipitation avec laquelle vous avez changé de dispositions,
et vous aura préparé à bien accueillir les propositions définitives
du Consul, s’il en reste à faire après le départ de, l’émissaire. Mais
si, contre toute attente et malgré des procédés si généreux, vous
persistiez à montrer un mécontentement que rien ne peut justifier,
alors Sa Majesté Impériale, ne l’interprétant plus que comme le
dessein formel d’une rupture, prendrait les mesures convenables à
la dignité nationale pour soutenir l’honneur du pavillon, assurer la
liberté des mers, et protéger le commerce et la navigation française.
Je désire vivement, très illustre et magnifique Seigneur, que votre
sage prévoyance envisage de si fâcheuses extrémités, et me mette
au contraire à portée de continuer à vous donner des témoignages
de la bienveillance de Sa Majesté Impériale, et des assurances per-
sonnelles des sentiments de vénération avec lesquels je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre sincère et dévoué serviteur.
BERTRAND.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


A LOUIS XVI.

Alger, novembre 1791.

(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger la bien gardée.
Nous nous acquittons avant tout du premier devoir de l’ami-
tié, et nous prenons la liberté de nous informer de l’état de la
santé de Votre Majesté Impériale. — Puisse-t-elle éternellement
____________________
— Journal de Jean-Jacques Doumergue, capitaine de navire, passager sur la frégate La
Modeste, commandée par M. de Missiessy, chargé par le Roi de terminer les différends
qui existent entre la France et la Régence, — Exposé des faits relatifs à l’affaire d’Alger,
— Lettre de M. de Missiessy au comte Bertrand, le 19 novembre 1791, rendant compte de
sa mission. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
414 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

jouir, sur le trône qu’elle orne de ses vertus, des douceurs d’un
règne aussi glorieux que fortuné ! — C’est une faveur que nous
demandons à Dieu par les mérites de Jésus, fils de Marie, qui a eu
le bonheur de parler au Maître suprême des mondes.
Si, par un sentiment d’estime réciproque et d’après la douce
habitude que Votre Majesté Impériale en a contractée, elle dai-
gnait désirer des nouvelles de ma santé, j’aurais l’honneur de lui
répondre que, grâce au Très-Haut, mon existence à la date de la
présente lettre est au point du plus parfait équilibre, et que j’en
emploie tous les instants au service de mon glorieux Souverain et
à la prière pour sa conservation. J’ajouterais que je fais aussi des
vœux pour que le Ciel vous accorde, très formidable Empereur
de France, de longs jours et une perpétuité de bonheur.
La dépêche pleine de bonté que Votre Majesté Impériale
a bien voulu m’adresser, à l’occasion de mon avènement à la
suprême dignité de Dey, m’est parvenue(1), et j’y ai vu avec une
satisfaction inexprimable les termes aussi honorables qu’énergi-
ques dont elle a daigné se servir pour me témoigner sa joie de
cet événement, et tous les bons souhaits qu’elle veut bien former
pour moi. J’attache le plus haut prix à cette marque touchante de
sa bienveillance, et j’en augure pour moi de nouvelles preuves à
l’avenir. Je suis intimement convaincu de la solidité de ce senti-
ment, qui sera éternel, et je me hâte d’y répondre par les assuran-
ces de mon zèle à le justifier en toute occasion. Je me flatte qu’en
les accueillant avec bonté, vous m’honorerez de votre précieux
souvenir.
C’est du devoir de tous les nouveaux Deys d’envoyer à la
Sublime Porte une Ambassade et des présents. Le pavillon fran-
çais, étant le plus sûr et le plus généralement estimé, a toujours
été préféré aux autres pour ces commissions importantes. D’après
ces deux considérations, j’avais pris la liberté de faire demander
à Votre Majesté Impériale un de ses vaisseaux pour le transport à
Constantinople de mon Ambassadeur et de mes présents. Cepen-
dant le terme fixé s’étant écoulé, le vaisseau promis ne parvenant
____________________
1. Voy. p. 408.
AVEC LA COUR DE FRANCE 415

pas, la saison de l’hiver et des vents contraires s’avançant chaque


jour, j’ai eu quelque appréhension .de montrer de la négligence,
et, pour éviter tout reproche, j’ai cru devoir mettre à profit les
instants de l’arrière-saison pour faire passer avec célérité ce que
je devais envoyer à Constantinople. Le hasard m’ayant offert un
bâtiment d’une autre nation, tout prêt à mettre vous voiles, je n’ai
pas cru devoir en laisser échapper l’occasion(1). Tel est le vrai mo-
tif de ma conduite. Je suis bien éloigné d’accorder la préférence à
aucun pavillon sur celui de Votre Majesté Impériale.
Nous savons la cause du retard qu’a pu éprouver l’envoi
du vaisseau dont vous avez ordonné l’armement. Nous n’igno-
rons pas qu’il provient des troubles que certains esprits vils et
malintentionnés ont suscités dans l’Empire français, en mettant
la discorde et la dissension dans les États. Dès que nous avons
été instruit du motif de ce retard, nous nous sommes conformé à
la sentence du sage, qui dit que les bonnes raisons doivent être
accueillies par les âmes bien nées. Nous nous sommes rendu à
cette considération et nous avons banni de notre cœur toute impa-
tience. Depuis un temps immémorial, rien de semblable n’avait
eu lieu en France. C’est une chose bien étrange que ce rassemble-
ment de perturbateurs, leurs désordres et leurs écarts de l’obéis-
sance ! Il nous serait impossible de vous dépeindre toute la joie et
la satisfaction que nous avons ressenties en apprenant l’heureuse
nouvelle que, grâce à la divine Providence et par son secours
spécial, tout était rentré dans l’ordre, et que chaque individu était
à sa place. Que Dieu extermine et anéantisse les rebelles et les
opiniâtres partout où ils seront ! Ainsi soit-il !
Les présents d’un grand prix que Votre Majesté Impériale a
eu la bonté de nous destiner nous sont parvenus et nous les avons
acceptés avec reconnaissance(2) ; Que le Ciel vous les rende avec
usure ! Pour nous, nous ne pouvons que répondre faiblement à
____________________
1. Voy. la note 1, p. 412.
2. M. de Missiessy avait offert à Hassan au nom du Roi, à titre de joyeux avè-
nement, une aigrette et un solitaire en diamants d’une valeur de 26 500 l. Voy. Lettre de
Vallière au comte Bertrand, le 16 novembre 1791.
416 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

cette marque d’amitié. Nous supplions Votre Majesté Impériale


d’agréer trois chevaux entiers et tout jeunes que nous prenons la
liberté de lui envoyer.
Nous la conjurons de continuer à nous honorer de sa cor-
respondance, et d’être persuadée que tant qu’elle jugera à propos
d’observer les traités qui unissent la Régence et la France, nous
serons de notre côté très empressé à les maintenir en vigueur et
à manifester notre constante amitié. Puisse l’Être suprême nous
servir à tous de guide et nous diriger sans cesse vers le bien com-
mun ! Puisse notre union être perpétuelle !
Écrit dans le courant du mois d’octobre 1791, à Alger la
bien gardée.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 27 novembre 1791.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU COMTE BERTRAND, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, novembre 1791.

(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger la bien gardée.
A Son Excellence le Premier Ministre et Grand Vizir de Sa
Majesté l’Empereur de France, notre auguste ami, le plus grand
parmi les Princes chrétiens et le plus illustre des Chefs de la na-
tion du Messie.
Notre très cher, très fidèle et ancien ami, — Que Dieu vous
accorde une fin heureuse, et vous dirige dans les sentiers de la
droiture et de l’équité ! Après avoir présenté à Votre Excellence
l’expression de nos vœux et de nos prières, nous nous empres-
sons de nous informer de l’état de votre santé, et nous vous sou-
haitons, avec une longue vie, la jouissance d’un bonheur constant
au sein de toutes les prospérités. Ainsi soit-il !
AVEC LA COUR DE FRANCE 417

Mon très honoré ami, les sentiments qui unissent la France


à la Régence sont très anciens. Les Napolitains, les Génois et les
Toscans sont aussi vos amis. Si vous avez des égards pour eux,
n’en devez-vous pas également avoir pour nous ? Sommes-nous
donc moins vos amis qu’eux ? Or il n’y a pas encore longtemps
que les Napolitains, dans un de vos ports, se sont permis de don-
ner l’abordage à un de nos bâtiments, et de le prendre après avoir
coupé les deux mains à un Algérien de l’équipage et avoir blessé
grièvement à la tête le reïs qui le commandait. C’est un fait avéré,
puisque ce sont vos chirurgiens qui ont eu soin de ces blessés. Ils
ont récemment encore tué d’un coup de fusil le reïs d’une de nos
galiotes. Vous êtes convenu qu’à la place de ce Capitaine, vous
feriez racheter à Gênes Ali-reïs, qui y est détenu en esclavage, et
que vous l’enverriez à Alger. Nous n’avons cessé de recomman-
der à votre Consul qui réside auprès de nous de presser le renvoi
ici du dit Ali-reïs, des autres Algériens qui composaient l’équipa-
ge du bâtiment chargé d’huile repris injustement sur nous, et du
prix de sa cargaison. Nous lui avons souvent demandé la cause
du long délai qu’éprouvait cette affaire. Il ne nous a jamais fait
d’autre réponse, sinon qu’il ne cessait d’écrire et de représen-
ter à sa Cour, mais sans aucun succès(1). Cette excuse si souvent
répétée nous a choqué et nous n’avons pas pu nous contenir. —
« Pourquoi, lui avons-nous réparti, êtes-vous Consul, si vous
n’êtes pas écouté ? » — Cependant, en considération des troubles
de la Prame, nous oublions tout et nous nous tenons content.
Grâce au Très-Haut, notre amitié pour votre nation ne peut
s’assimiler avec nos procédés vis-à-vis des autres. Jugez-en par
____________________
1. Vallière avait été menacé d’être mis à la chaîne, s’il ne donnait pas satisfaction
complète dans le délai de 40 jours. « Je ne puis croire, écrivait-il, que cette décision ait
été dictée au Dey par son cœur ; elle est l’effet d’une impulsion malfaisante. On lui a
persuadé que nous le trompions, on lui a suggéré sans doute d’imiter son prédécesseur, et
Sidi Hassan, très prompt à s’enflammer, s’est livré à un ressentiment qui lui est peut-être
étranger. Après les promesses brillantes et les démonstrations amicales que le Dey m’a
prodiguées, après ses assurances multiples de protéger les Français, ses meilleurs amis, je
ne sais comment interpréter sa conduite. » Voy. Lettre de Vallière au comte Bertrand, le 11
octobre 1791. — Voy. aussi Lettres de Vallière à Raulin, Consul à Gênes, les 11 octobre
et 31 décembre 1791, réclamant la prompte restitution des esclaves d’Alger.
418 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

le commerce que vous faites à La Calle, à Bône, dans toutes nos


rades et dans le port même d’Alger de blés, cires, cuirs, étoffes
de laine et toute espèce de comestibles(1). Vous cachetez et vous
exportez tous ces articles de notre Royaume, et vous n’éprouvez
que des facilités de notre part. Pourquoi négligeriez-vous nos in-
térêts ? Peut-être vous paraît-il onéreux de nous restituer les biens
qui nous sont enlevés par nos ennemis et que nous réclamons de
vous ? Il ne tient qu’à vous d’obvier à cet inconvénient. Protégez
vos côtes et ne nous y abandonnez pas. Elles doivent être pour
nous un asile inviolable. Dès qu’un de nos navires est entré dans
un de vos ports, il doit y jouir absolument de la plus grande sûre-
té. Convient-il, en effet, que dans vos propres ports nous soyons
molesté par nos ennemis qui s’y sont réfugiés comme nous ? Per-
sonne n’est plus à portée que vous d’apprécier cette réflexion(2).
Puisse notre amitié être éternelle !
Notre grand ami, il a été livré cette année au fils de M. Gi-
(3)
mon , votre agent, 75 000 mesures de blé. N’est-ce pas là une
grande marque de prédilection de notre part pour les Français ? A
quelle autre nation avons-nous accordé une pareille quantité de
grains ? Daignez prendre en considération ce procédé et favori-
sez-nous de même en toute occasion.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 27 novembre 1791.
____________________
1. La Compagnie d’Afrique bénéficiait alors de la disette de nos provinces du
Midi, en y apportant les blés de ses comptoirs, mais elle se plaignait vivement de la perte
de son privilège exclusif, que l’Assemblée nationale venait de supprimer pour tout le
commerce des Échelles du Levant et de Barbarie (Arrêté du 29 juillet 1791).
2. Notre Consul conseillait à la Cour « de terminer toutes nos affaires arriérées
de la manière la plus décente que pourraient permettre les circonstances, et de terminer
même toutes celles qui pourraient survenir par des moyens de douceur, d’amitié et de
justice ». Lettre de Vallière au comte Bertrand, le 11 octobre 1791.
3. Voy. la note 1, p. 396.
AVEC LA COUR DE FRANCE 419
LE COMTE BERTRAND, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 14 décembre 1791.

Très illustre et magnifique Seigneur,

J’ai reçu la dépêche dont vous m’avez honoré, et j’ai pré-


senté à Sa Majesté Impériale celle que vous lui avez écrite(1). M.
de Missiessy, à qui vous les aviez confiées, a rendu un compte
très avantageux de l’accueil distingué que vous avez daigné lui
faire(2). Sa Majesté Impériale y a été d’autant plus sensible que,
connaissant vos anciens sentiments pour elle et pour la nation
française, elle désirait vivement qu’ils n’éprouvassent aucune al-
tération. Elle en a acquis l’heureuse certitude par les explications
satisfaisantes que vous avez données sur les véritables motifs qui
vous ont déterminé, très illustre et magnifique Seigneur, à ne point
attendre la frégate française destinée à transporter votre Ambas-
sadeur à Constantinople. Sa Majesté attachait un trop grand prix à
la préférence que vous aviez donnée au pavillon français pour ne
pas voir avec peine que vous y eussiez renoncé dans un si court
intervalle. Elle craignait que ce changement ne fût l’effet d’une
suggestion domestique excitée par des insinuations étrangères.
Elle est parfaitement rassurée sur ce point délicat, et qui lui tenait
à cœur par les considérations particulières qui vous faisaient dési-
rer d’accélérer le départ de votre Ambassadeur. Les témoignages
non équivoques de dévouement que vous avez montrés pour Sa
Majesté Impériale lui ont été aussi fort agréables. Elle a reconnu
____________________
1. Voy. p. 413 et 416.
2. Hassan avait multiplié devant notre représentant les protestations les plus fortes
d’oublier le passé, et lui avait témoigné son désir le plus vif de demeurer en paix avec la
France. — Voy. Lettre de Vallière au comte Bertrand, le 16 novembre 1791, — Lettres
du comte Bertrand à Vallière, le 14 décembre 1791, et aux Députés de Marseille, le 28
novembre 1791. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger, et Archives de la
Chambre de commerce de Marseille. S. AA, 116 de l’Inventaire.)
420 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

dans vos expressions la prédilection que les Princes musulmans


ont toujours manifestée pour ses augustes prédécesseurs et pour
elle. Ce sentiment est aussi ancien qu’il est mérité, et vous ne
devez pas douter que Sa Majesté Impériale ne s’empresse de le
justifier de plus en plus dans toutes les occasions. Je n’en négli-
gerai aucune pour vous ménager sa bienveillance. Aussitôt que
M. de Missiessy est arrivé, j’ai informé Sa Majesté Impériale du
résultat de sa négociation auprès de vous, très illustre et magnifi-
que Seigneur, et elle m’a autorisé à donner les ordres nécessaires
pour le rachat des deux Algériens qui sont esclaves à Malte et à
Gênes. Je viens de les expédier, mais je vous prie d’observer que,
comme il faut en traiter en pays étranger, il peut survenir des len-
teurs dont nous ne devons plus être responsable.
Les Algériens qui étaient détenus à Gênes ont été mis en
liberté sur la demande de Sa Majesté Impériale. Ils doivent être
actuellement à Alger, où ils ont été renvoyés par un bâtiment qui
a été frété exprès. La Chambre de commerce de Marseille reçoit
aujourd’hui l’ordre de faire compter au Beylik, par les mains de
M. Vallière, les 5 700 sequins auxquels vous avez estimé la va-
leur du bâtiment et de la cargaison repris par les Napolitains sur
les côtes de France et conduits en Sardaigne(1).
M. de Missiessy n’a pas laissé ignorer à Sa Majesté Im-
périale l’éloignement dans lequel vous teniez le Consul et vos
préventions contre lui(2). Il a même annoncé que vous désiriez de
le voir remplacer par le sieur Meifrund, son beau-frère, mais ce-
lui-ci est actuellement d’un âge trop avancé pour avoir l’activité
qu’exige le service de Sa Majesté Impériale à Alger. Je m’occu-
perai du soin de trouver un sujet qui en soit digne(3). En attendant
je vous prie, très illustre et magnifique Seigneur, de faire rejaillir
____________________
1. Voy. Lettre du comte Bertrand aux Députés de Marseille, le 13 février 1792.
(Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 116 de l’Inventaire.)
2. Voy. Lettre de M. de Missiessy au comte Bertrand, le 11 juin 1792.
3. Voy. Lettre du comte Bertrand à M. de Choiseul-Gouffier, Ambassadeur à Constan-
tinople, le 14 décembre 1791, prescrivant d’envoyer à Paris, pour y recevoir les provisions
de Consul à Alger et les instructions du Roi, le fils du premier Drogman de l’ambassade de
France, le sieur Deval, Vice-Consul à Bagdad. — Le Dey demanda peu de temps après de
garder Vallière, et Deval ne vint à Alger que sous la Restauration, au mois d’août 1815.
AVEC LA COUR DE FRANCE 421

sur M. Vallière l’estime et l’affection que vous paraissez avoir


conçues pour son allié, et de lui accorder la confiance dont il a
besoin pour s’acquitter de ses devoirs auprès de vous. Les servi-
ces de son oncle(1) et la considération qu’ils lui avaient obtenue
avaient déterminé son choix. Les mêmes motifs lui mériteront
sans doute de votre part quelque indulgence, jusqu’à ce que Sa
Majesté Impériale puisse adoucir, par une destination qui soit
plus proportionnée à ses talents, le malheur qu’il éprouve pres-
que à son début à Alger. Vous reconnaîtrez, par ces divers arran-
gements, toute l’attention que j’apporte aux affaires de la Ré-
gence que vous gouvernez avec tant de succès, et les sentiments
de respect et de vénération avec lesquels je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
BERTRAND.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU COMTE BERTRAND, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 28 janvier 1792.


(Sceau)

HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Au plus grand des Chefs chrétiens, l’illustre Ministre de la
Marine de l’auguste Empereur de France, notre très fidèle et sin-
cère ami.
Après vous avoir offert nos compliments les plus empressés
et nos vœux habituels pour votre conservation, et après nous être
amicalement informé de votre santé, nous vous faisons savoir que
la dépêche que vous avez eu l’amitié de nous adresser(2) nous est
parvenue, et que nous avons également apprécié les sentiments
____________________
1. Voy. la note 3, p. 401.
2. Voy. p. 419.
422 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

et les observations qu’elle contient. Nous avons cru apercevoir,


dans la manière dont vous expliquez ce qui s’est passé à l’occasion
de la frégate qui avait été, sur notre demande, destinée au transport
à Constantinople de nos présents d’usage, qu’il vous restait enco-
re quelques doutes sur les motifs qui avaient dirigé notre conduite
dans cette circonstance. L’amitié ancienne et invariable qui sub-
siste si heureusement entre la France et la Régence, et l’opinion
aussi juste qu’avantageuse que nous avons de la sûreté du pa-
villon français, nous avaient déterminé à lui donner la préférence
sur tous les autres. Nous fîmes part de notre projet à votre Consul
résidant auprès de nous. Il le goûta, en prit sur lui l’exécution, et
nous convînmes ensemble de l’époque à laquelle votre frégate se
rendrait à Alger. Nous préparâmes ici, en conséquence, les effets
qui devaient y être embarqués, et nous nous flattions qu’elle arri-
verait à temps pour profiter de la belle saison, mais notre espoir
ayant été déçu et le terme fixé étant expiré, nous ne voyons point
pourquoi nous mériterions quelque reproche si, au défaut de vo-
tre frégate, nous avons accepté celle d’un autre Souverain qui se
trouvait prête à mettre sous voiles. Peut-on avec fondement taxer
de précipitation le parti que nous prîmes alors ? L’espace de temps
convenu s’était écoulé, et nous avions dû perdre l’espérance de
voir paraître votre frégate. Telles furent les deux raisons qui nous
décidèrent uniquement, et l’on ne doit pas en chercher d’autres
qui seraient évidemment démenties par la nature immuable de no-
tre attachement à Sa Majesté Impériale.
Il est vrai que, dans notre conférence avec le Capitaine de
votre frégate(1) il nous avait échappé quelques paroles de plainte
contre le Consul. Nous n’étions pas alors tout à fait content de
lui. Feu Mohammed, notre glorieux prédécesseur, lui avait re-
commandé le prompt redressement de certains griefs et n’avait
pu l’obtenir. Le Consul nous ayant déclaré que ses sollicitations
ne produisaient aucun effet sur ses supérieurs en France, et que
nous n’avions qu’à leur écrire nous-même, nous ne pûmes nous
____________________
1. M. de Missiessy. Voy. les notes 2, p. 412 et 419.
AVEC LA COUR DE FRANCE 423

empêcher de lui répliquer : — « A quoi sert d’être Consul,


lorsqu’on ne sait pas se faire écouter par sa Cour ? » — Ces mê-
mes propos ont été répétés historiquement au Commandant de
votre frégate.
Nous sommes certain qu’il ne surviendra entre nous rien
qui puisse altérer la bonne harmonie, et vous ne devez point dou-
ter de notre prédilection pour les Français, mais nous vous dé-
clarons que nous ne pouvons contenir notre sensibilité lorsque
nous voyons, sur certains points, une lenteur affectée. C’est sans
contredit à cette espèce de négligence que vous devez imputer la
nécessité où vous nous avez mis d’exiger de vous les 6 700 se-
quins que vous nous avez envoyés en dernier lieu(1). Lorsqu’une
Puissance est véritablement l’amie d’une autre, celle-ci doit trou-
ver sûreté et protection dans tous les ports, sur toutes les côtes,
chez tous les officiers de celle-là. Nos corsaires, grands et petits,
forcés souvent de prendre chasse devant leurs ennemis, se réfu-
gient dans vos ports et, fiers de votre amitié, ils comptent avec
raison qu’ils seront en sûreté dans cet asile. Peuvent-ils s’attendre
à le voir violé ? C’est cependant ce qui leur est arrivé et vous ne
l’ignorez pas. Si vous voulez bien y réfléchir, vous ne considére-
rez plus comme des exigences indiscrètes de notre part les justes
compensations que nous vous demandons dans des cas pareils.
Notre cher ami, le passé doit être oublié. Vous nous avez
donné pleine satisfaction sur toutes nos réclamations ; il ne nous
en reste plus qu’une, c’est celle d’un de nos reïs appelé Ali, qui
est esclave à Gênes, et que vous nous avez promis de nous faire
avoir au lieu et place d’un autre reïs algérien qui portait le même
nom, et qui fut tué dans votre propre rade de Toulon. Nous vous
prions de mettre, par cette bonne œuvre, le dernier sceau à tous
vos bons procédés.
Vous nous annoncez dans votre réponse que, d’après les
rapports qui vous ont été faits de notre mécontentement, vous
vous proposez de nommer un successeur au Consul qui réside ac-
tuellement auprès de nous. Nous sommes satisfait de votre bonne
____________________
1. Voy. p. 406.
424 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

intention et nous vous prions de lui pardonner, comme nous


l’avons fait nous-même, ce qu’il peut y avoir eu de défectueux
dans son langage ou dans sa correspondance, et de déterminer Sa
Majesté Impériale à suivre notre exemple et à confirmer cet offi-
cier dans la place qu’il occupe auprès de nous(1). Nous ne croyons
point, en effet, qu’il, convienne à la dignité de ce Monarque ni à
la nôtre qu’un ancien serviteur des deux Cours perde en un instant
son emploi et sa considération. Il nous est bien plus avantageux à
tous de nous conformer au conseil du sage, qui dit : — « La ma-
gnanimité exige que l’on, se montre sensible aux excuses. Celui
qui, pouvant se venger, a su dévorer son propre ressentiment et a
pardonné sera comblé des bénédictions célestes. » —
Puissiez-vous jouir d’une santé et d’un bonheur inaltéra-
bles !
Écrit en janvier 1792, à Alger, le centre de la victoire et de
la guerre contre les infidèles.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 6 mai 1792.

LE BARON LACOSTE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE(2),


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 19 mars 1792.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, ayant jugé à propos d’accorder à
M. Bertrand sa retraite, a daigné me confier le Département de la
Marine où aboutissent tous les intérêts et les correspondances de
son Empire dans les pays qui sont soumis à votre Gouvernement.
Ce changement ne devant servir qu’à resserrer de plus en plus les
____________________
1. Voy. la note 3, p. 420.
2. Ancien avocat au Parlement de Bordeaux, Chef du contentieux des colonies
à l’administration de la Marine en 1766, Député de Saint-Domingue en 1783, chargé
d’une mission aux îles-sous-le-Vent en 1790, Secrétaire d’État de la Marine du 15 mars
au 10 juillet 1792, puis nommé à cette date Ambassadeur en Toscane, et enfin membre du
Conseil des prises de 1800 à 1814.
AVEC LA COUR DE FRANCE 425

liens bien établis de l’amitié et de la bonne intelligence, je vous


l’apprends avec d’autant plus de plaisir qu’en exécutant les Com-
mandements suprêmes de Sa Majesté Impériale, je n’ai à vous an-
noncer que les dispositions les plus conformes aux avantages que
peuvent promettre une paix et une union aussi sincères qu’inal-
térables. Je désire personnellement pouvoir vous convaincre par
mes services du prix que je mets à votre bienveillance, et de mon
attention à vous donner en tout temps des marques de l’attache-
ment avec lequel je suis plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
LACOSTE.

LE BARON LACOSTE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE,


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 14 mai 1792.

Très illustre et magnifique Seigneur,

La magnanimité avec laquelle vous insistez pour que les


circonstances qui avaient pu altérer vos premiers sentiments pour
M. Vallière soient mises en oubli(1) a déterminé l’Empereur, mon
Maître, à renoncer au projet qui n’avait été conçu que d’après le
mécontentement que vous aviez montré de cet officier à l’En-
voyé de Sa Majesté Impériale. Elle m’a déclaré qu’elle voyait
avec plaisir que vous lui rendiez votre confiance, et que cet heu-
reux retour de votre part assurait à M. Vallière la conservation
de sa place(2). Sa Majesté Impériale, en me prescrivant de vous
annoncer cette résolution, a voulu que j’en prévinsse M. Vallière.
Je ne doute pas qu’il ne s’efforce de mériter de plus en plus la
____________________
1. Voy. p. 423.
2. Voy. la note 3, p. 420.
426 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

continuation de votre bienveillance.


Je suis plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
LACOSTE.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU BARON LACOSTE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT DE LA MARINE.

Alger, le 15 juin 1792.

(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Nous nous empressons de vous notifier l’heureuse arrivée à


Alger des Capitaines et des équipages de deux de nos armements
qu’en conformité de l’amitié qui règne entre cette invincible Ré-
gence et votre Cour, vous avez accueillis et renvoyés dans leur
patrie sur des navires frétés ad hoc et sous bonne escorte. Ces
disgraciés provenaient de nos deux chebeks coulés bas par les
Napolitains, nos ennemis mortels, dans une de vos rades où les
premiers, poursuivis à la mer, étaient venus pour prendre asile(1).
____________________
1. Les chebeks que Sidi Hassan réclamait avec tant d’insistance à Vallière avaient
été coulés bas, il est vrai, dans les eaux de Provence, mais les 310 Algériens qui compo-
saient les équipages, poursuivis par les vainqueurs, avaient été, en grande partie, sauvés
par nos milices accourues en toute hâte. Leur rapatriement eut lieu le 13 juin 1791 sur La
Vestale, par les soins de M. Gavotty, Capitaine de frégate, et de M. de Flotte, Commissaire
de la Marine à Toulon. Voy. Instructions données à M. Gavotty, commandant la frégate La
Vestale, le 5 juin 1792, — État de la dépense faite d’ordre de M. Vallière, Consul général
à Alger, à l’occasion de la venue en cette rade de la frégate La Vestale, commandée par
M. Gavotty, — Lettre de Vallière au baron Lacoste, les 22 et 30 mai, 9 et 16 juin, 29 août
i792, — Compte rendu par M. Martin, capitaine du port de Saint-Tropez, à M. de Flotte,
sur l’événement arrivé à la rade de Cavallaire, le 18 mai 1792, — Rapport au Conseil
d’État au sujet de l’entreprise d’une frégate napolitaine de 40 canons, La Sirène, qui a
coulé bas deux chebeks algériens dans la rade de Cavallaire, le 30 mai 1792. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 427

C’est sans doute une grande preuve d’attachement que vous


nous avez donnée en cette occasion, et nous devons à, votre pro-
cédé généreux le retour de ce grand nombre de nos sujets. Puis-
siez-vous persévérer dans ces bonnes dispositions ! Mais qu’il
nous soit permis de vous représenter que, depuis quelques an-
nées, les accidents que nos deux corsaires viennent d’éprouver
sur votre territoire s’y sont singulièrement multipliés ! Ce n’est
pas la première fois que nos armements et nos prises sont détruits
et nos sujets massacrés dans vos ports, tantôt par nos ennemis et
tantôt par vos propres nationaux.
Sous le règne de mon glorieux prédécesseur, feu Moham-
med, un de nos chebeks fut enlevé sur vos côtes par les Génois;
un autre, réfugié dans un de vos mouillages, ne put se soustraire
au canon napolitain et périt sans secours. Les Français eux-mê-
mes se permirent, peu de temps après, de maltraiter une de nos
prises qui était à l’ancre dans un de vos ports. Quelques Algé-
riens furent tués et leur Commandant jeté à la mer, après avoir eu
les deux mains coupées. A quelques mois de distance, nouveau
fait. C’est le Capitaine d’une autre prise algérienne qui est as-
sailli sur son bord, et qui tombe raide mort d’un coup de pistolet
qu’il reçoit à la bouche dans l’instant où, retiré sous votre canon,
il devait se croire à l’abri de toute attaque.
La Cour de France est une Cour ancienne et respectable, et
il n’est aucune Puissance plus formidable sur terre et sur mer que
celle de l’Empereur de France, le premier Monarque de l’Europe.
Comment se fait-il qu’un petit Prince tel que le napolitain, qui
n’a jamais été compté pour rien dans le monde, vienne en France
fouler aux pieds l’Empereur lui-même au point de couler bas,
pour ainsi dire sous ses yeux, puisque c’est sous son pavillon,
un Algérien qui avait eu le bonheur d’atteindre cet asile sacré
? Nous vous laissons à considérer vous-même tout ce que cette
audace de la part des Napolitains offre de déshonorant pour le
nom français. Ajoutez-y l’insolence de la réponse faite par leur
Commandant à votre Capitaine de port, lorsque celui-ci invoqua
l’immunité du territoire et le respect dû au pavillon de France. —
428 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

« Allez ! Faites flotter votre pavillon tant que vous voudrez ou


jetez-le à la mer ! Il ne m’empêchera point de remplir l’ordre de
mon Maître, qui m’a expressément enjoint de détruire ses enne-
mis par« tout où je les trouverais. » — Ce n’est pas notre Régen-
ce qu’un pareil affront doit le plus affliger ; il est tout entier pour
l’Empereur et pour la Cour de France. Que doit-on penser d’un
Souverain dont les terres sont si peu respectées et le pavillon
regardé comme un vil chiffon ? N’est-ce pas le comble de l’avi-
lissement pour l’Empereur de France? Combien la haute opinion
que nous en avons n’aurait-elle pas à rétrograder !
C’est un adage reçu parmi nous, le buisson met à l’abri
l’oiseau qui vient s’y percher. Nos corsaires, fondés sur ce ré-
sultat infaillible de l’expérience et persuadés qu’ils trouveraient
sûreté et protection dans vos ports, s’y sont jetés avec confiance
pour échapper à leurs ennemis. Peut-être eût-il mieux valu pour
eux qu’ils n’eussent point compté sur vous !
Vous n’avez jamais donné de suites sérieuses à ces viola-
tions fréquentes de votre territoire. Si votre réticence vis-à-vis
de la Puissance qui s’en est rendue coupable n’a eu d’autre but
que de dégoûter les Algériens de leur apparition embarrassante
sur vos parages ; nous vous observerons que cette dissimulation,
dont l’effet est évidemment contraire à nos traités, est d’ailleurs
une véritable injustice à notre égard.
Pendant le cours de votre dernière guerre avec les Anglais,
j’étais alors Vekilhardji de la Marine. Toutes les fois que l’un de
vos navires, poursuivi par un armement ennemi, pouvait seulement
être aperçu d’Alger, j’expédiais aussitôt une galiote au-devant des
Français ; j’en faisais débarquer l’argent et tous les effets les plus
précieux, qui étaient promptement mis à terre et rendus à leurs
consignataires, et je faisais signifier à l’Anglais qu’il eût à s’éloi-
gner, parce que la vue seule d’une terre amie devait faire cesser
toute hostilité. C’est à cette conduite que vous devez le salut de
plusieurs de vos bâtiments, et en cela je ne faisais que mon devoir.
Quand on est l’ami de quelqu’un, il faut l’être complètement.
Aussi gémissons-nous sur la contenance de votre Cour.
N’est-ce pas, en effet, une chose vraiment déplorable de voir
AVEC LA COUR DE FRANCE 429

l’Empereur de France souffrir de pareilles flétrissures de la part des


autres Souverains, et se ressentir si peu de sa propre puissance ? Ne
devrait-il point les forcer à observer leurs traités avec lui ?
La perte que nous avons essuyée, nous l’avons attribuée
aux décrets de la divine Providence, mais, suivant les règles de
la mer et en bonne justice, c’est à vous de nous indemniser. Il est
inouï qu’un ami livre son ami entre les mains de son persécuteur.
Nous dirons plus : on doit protection même à son ennemi, lorsque
celui-ci vient l’implorer lui-même. Rien ne peut donc justifier
l’espèce d’extradition subie en France par nos deux chebeks.
Permettez-nous encore de vous faire observer que l’une
des vertus qui doivent caractériser les Souverains est la plus
scrupuleuse fidélité à tenir leur parole. L’Empereur de France
s’était formellement engagé envers nous, lors de notre derniè-
re convention, à la délivrance d’Ali-reïs, esclave à Gènes, en
remplacement d’un autre reïs de même nom tué dans l’une des
actions citées plus haut. Feu Mohammed, à qui le renvoi de ce
captif avait été promis, est mort sans avoir vu réaliser cette pro-
messe. Elle nous a été renouvelée plusieurs fois depuis notre
heureux avènement; il s’est déjà écoulé plus d’une année et Ali-
reïs est toujours à Gênes.
D’après votre peu d’empressement à remplir vos engage-
ments, et par l’accumulation des malheurs qui nous sont succes-
sivement arrivés sur vos côtes, présumant que vous ne vouliez
pas que nos corsaires s’y montrassent à l’avenir, nous avions fait
à ceux-ci les plus fortes inhibitions d’y paraître et surtout d’en-
trer dans vos ports. En conséquence, nous avons châtié exem-
plairement les deux reïs qui avaient déjà payé de la perte de leurs
chebeks leur affreuse désobéissance. L’un a été puni de mort et
l’autre a reçu 800 coups de bastonnade.
A chaque accident qui excite nos justes réclamations, nous
ne manquons point de reprocher à votre Consul sa négligence à
vous représenter la nécessité de redoubler de vigilance sur vos
côtes. Sa réponse est toujours la même : — « de rends fidèlement
compte à ma Cour de toutes vos instances, mais je ne suis pas
430 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

écouté ; on n’a aucun égard à mes représentations. »


Si la chose est ainsi et si votre Consul ne jouit auprès de
vous d’aucun crédit, d’aucune considération, rappelez-le et nom-
mez-en un autre à sa place. Il n’y a pas longtemps que la lenteur
d’un objet que nous lui avions vivement recommandé nous ayant
beaucoup déplu(1), nous ne pûmes nous retenir et nous nous li-
vrâmes aux plus durs reproches vis-à-vis de lui. Vous en fûtes
instruit dans le temps. Nous voulûmes bien agréer ses excuses,
et il a été rétabli dans nos bonnes grâces et confirmé auprès de
nous. Depuis lors, il est survenu bien des circonstances où nous
avons été dans le cas de le stimuler de nouveau à insister auprès
de vous, sur les mesures que vous devez prendre indispensable-
ment pour obvier aux voies de fait qui se commettent sur votre
territoire. Nous avons été bien étonné de nous entendre encore
répéter par le Consul qu’il n’était point écouté par sa Cour, et
que toutes ses représentations demeuraient sans effet. Le Chargé
des affaires d’une Puissance est son représentant immédiat ; la
parole d’un représentant doit être entendue et pleine foi doit lui
être accordée. Nous vous prions de prendre ce raisonnement en
considération.
En examinant attentivement votre conduite à l’égard de nos
corsaires qui croisent sur vos parages et qui mouillent dans vos ports,
nous ne pouvons supposer que l’une ou l’autre de ces deux vues :
Ou vous avez eu quelque sujet de mécontentement de no-
tre part, ce que nous ignorons mais ce qui peut exister, et vous
cherchez peut-être une occasion de faire naître une rupture entre
nous. Nous n’y donnerons jamais, s’il plaît au Seigneur, ni lieu
ni prétexte spécieux. Nous ne manquerons point au traité et nous
n’y avons jamais manqué, mais, si vous êtes décidé à le rompre,
faites-nous connaître nettement votre intention. Nous convien-
drons alors, suivant le droit des gens, d’un terme quelconque,
pour que vos négociants aient le temps de mettre ordre à leurs
affaires de commerce, et que vos comptoirs répandus dans le
____________________
1. Il s’agit de la demande du navire destiné à transporter à Constantinople les pré-
sents du nouveau Dey. Voy. les notes 2, p. 407 et 410.
AVEC LA COUR DE FRANCE 431

Royaume d’Alger puissent consommer leur liquidation et tous


les Français quitter nos États. Nos sujets profiteront également de
ce répit pour se mettre en sûreté. A l’expiration du terme, les hos-
tilités commenceront, et nous disposerons en faveur des autres
nations des établissements qui vous ont été concédés par nos pré-
décesseurs(1).
Ou bien vous tirez quelque parti de ces infractions pure-
ment fortuites pour votre système politique et vous êtes disposé
à les réparer, dans la ferme intention de maintenir la paix avec
Alger(2).
Nous ne vous dissimulerons pas qu’au premier mouvement
qu’avait excité dans notre âme la fâcheuse nouvelle de la des-
truction de nos deux chebeks dans vos ports, nous nous étions
abandonné à la première de ces conjectures, et nous avions repris
au Consul la collection de nos traités avec la France, bien déter-
miné à vous renvoyer ce gage de notre mutuelle amitié. Mais les
membres du Divan, ayant à leur tête notre Chancelier, nous ont
représenté que nous devions avant tout vous prévenir de nos dou-
tes et vous requérir de les éclaircir ; que si l’accident dont nous
avions à nous plaindre était réellement tel et n’avait pas été prévu
ni concerté, notre procédé serait trop sévère et contrarierait les
règles et les usages reçus en pareils cas, et que, dans l’hypothèse
presque impossible d’une intelligence de votre part avec nos en-
nemis, nous serions à temps de renvoyer votre Consul. Ils nous ont
ajouté qu’ils ne pouvaient pas croire que l’Empereur de France
eût permis dans ses ports des infractions aussi révoltantes, et que,
s’il promettait de s’en faire donner par les coupables une satisfac-
tion éclatante et de dédommager convenablement les Algériens de
____________________
1. Les comptoirs exploités par la Compagnie d’Afrique.
2. « Je ne vous dissimulerai pas, écrivait le Ministre aux Députés de Marseille, que je
prends beaucoup d’inquiétude des variations du Dey, qui fait essuyer depuis quelque temps
à notre Consul des traitements dont l’opposition fréquente semble annoncer peu de stabilité
dans ses sentiments pour nous. Ce Prince se permet d’ailleurs des discours qui annoncent
de sa part des préventions sur l’état actuel de la France, et il est très possible que l’avidité
naturelle aux gens dont il est environné l’engage tôt ou tard à s’en prévaloir pour courir les
risques d’une rupture. » Lettre du baron Lacoste aux Députés de Marseille, le 27 juin 1792.
(Archives de la Chambre de commerce de Marseille, S. AA, 117 de l’Inventaire.)
432 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

leurs pertes en cette occasion, leur amitié pour la France devait


rester inaltérable.
Nous nous sommes rendu à leur avis unanime, et nous
avons sur-le-champ fait remettre à votre Consul la dite collection
de nos traités, en vous répétant l’affaire telle qu’elle est. Aussitôt
que vous aurez reçu la présente, nous nous flattons que, sans dé-
lai, vous nous ferez connaître vos véritables intentions, afin que
nous puissions régler nous-même nos mesures ultérieures. Mais
si, comme nous l’espérons, vous vous décidez pour la conserva-
tion de la paix, nous vous exhortons sérieusement à faire en sorte
que rien de semblable n’ait lieu à l’avenir, et que notre ancienne
et sincère amitié ne soit plus troublée par des actes violents et qui
ne se sont que trop souvent reproduits(1).
Écrit à Alger la bien gardée, vers les derniers jours de la
lune de Choual, l’an de l’hégire 1206.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète du Roi, le 22 juillet 1792.

LE CITOYEN MONGE, MINISTRE DE LA MARINE(2),


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 28 septembre 1792.

Très illustre et magnifique Seigneur,


J’ai été nommé au Ministère de la Marine, où aboutissent
tous les intérêts et les correspondances de l’Empire français avec
les pays qui sont soumis à votre Gouvernement. Ce changement
pouvant contribuer à resserrer de plus en plus les liens d’amitié et
____________________
1. « Il est indubitable, écrivait alors Vallière, que le Dey cherchera à nous avaniser
d’une manière ou d’une autre, tant qu’on ne lui opposera pas un système répressif. Il n’y
a que deux moyens d’exister à Alger, par l’argent ou par la force ; encore le premier ne
peut que retarder l’usage du second, incessamment inévitable. »
2. Gaspard Monge, membre de l’Académie des sciences, Ministre de la Marine
sous la Convention nationale, du 12 août 1792 au 10 avril 1793. Il devint plus tard Pré-
sident de l’Institut du Caire, Sénateur, comte de Péluse, et fut pourvu d’un majorat en
Westphalie.
AVEC LA COUR DE FRANCE 433

d’amitié et de bonne intelligence déjà établis, je vous l’apprends


avec plaisir, en vous assurant du désir personnel que j’ai de pou-
voir vous convaincre par mes services du prix que je mets à votre
bienveillance, et de mon attention à vous donner en tout temps
des marques de mon attachement.
Le peu de temps qu’il y a que je suis en place et la multitude
d’affaires qui sont à ma charge ne me permettant pas de répon-
dre, dans ce moment, à la grande lettre que vous écrivîtes der-
nièrement à mon prédécesseur(1), je me réserve de m’en acquitter
dans la suite, et je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour
vous donner en même temps avis de la liberté du reïs Ali, que je
souhaite ardemment vous renvoyer au plus tôt, sachant que son
retour vous sera agréable.
Je suis plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
MONGE.

LE CITOYEN MONGE, MINISTRE DE LA MARINE,


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 8 décembre 1792.

Très illustre et magnifique Seigneur,


Je saisis avec joie l’occasion de faire une chose qui vous
sera agréable, en vous renvoyant honorablement votre fidèle
serviteur Ali-reïs, que le Gouvernement génois vient de ren-
dre sur les pressantes réclamations de la République française.
Nous vous renvoyons en même temps les deux chebeks déjà
annoncés, abondamment pourvus de tout ce qui a paru leur être
nécessaire(2).
____________________
1. Voy. p. 426.
2. Il était temps que le reïs et les deux chebeks arrivassent; le Dey avait déjà fait
donner à Vallière l’ordre de quitter la Régence. Voy. Décision du Conseil d’État ordon-
nant que les deux chebeks algériens coulés bas dans la rade de Cavalaire, et relevés par
434 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Ces actes de condescendance de la nation française vous


prouveront combien elle met de prix à conserver la paix et la
bonne amitié qui règnent depuis longtemps entre nos deux pays.
Vous pouvez compter que les traités seront désormais religieuse-
ment observés par un peuple qui, après avoir conquis sa liberté,
ne voit rien au-dessus que la gloire attachée à la fidélité de ses en-
gagements. Mais, magnifique Seigneur, en acceptant ces témoi-
gnages d’amitié que nous vous offrons, vous sentirez qu’il est de
votre gloire comme de votre justice de ne pas souffrir qu’on abu-
se de votre nom, en exerçant à l’égard des citoyens français que
le commerce attire dans vos États ou à l’égard de nos vaisseaux
des violences et des vexations que le droit des gens ne réprouve
pas moins que les traités.
L’éclat de nos victoires sera sans doute parvenu jusqu’à
vous, et vous aurez appris avec plaisir ce qu’il en coûte à l’Em-
pereur, aux Rois de Prusse et de Sardaigne, pour avoir outragé la
nation française par de perfides agressions(1). Les circonstances
exigent que notre Consul et le Commandant de notre escadre(2)
aient avec vous des explications qui peuvent être réciproquement
avantageuses. J’espère que vous vous y prêterez avec les égards
____________________
les soins des officiers de marine, soient renvoyés avec la plus grande exactitude à Toulon
pour y être réparés, pourvus de tous leurs besoins en munitions de guerre et ramenés à
Alger, le 22 juillet 1792, — Lettres du citoyen Vallière au citoyen Monge, les 19 septem-
bre et 24 novembre 1792, 17, 29 mars et 8 mai 1793, et des citoyens Monge et Deforgues
au citoyen Vallière, les 17 septembre, 8 décembre 1792 et 19 août 1793.
1. Les victoires de Dumouriez à Valmy (20 septembre), à Jemmapes (6 novembre),
la levée du siège de Lille et la retraite des Autrichiens (5 octobre), la prise de Mayence (21
octobre), d’Anvers (29 octobre), de Namur (2 décembre), enfin l’annexion de la Savoie.
2. Le capitaine Rondeau, chargé de conduire à Alger les deux chebeks et Ali-reïs,
et d’exiger du Dey l’observation scrupuleuse des traités. Il avait aussi pour mission de no-
tifier à Hassan le renversement de la royauté, et de lui déclarer, au nom de la Convention
nationale, qu’il ne devait plus s’attendre à recevoir de tributs de la République française.
La municipalité de Marseille, redoutant pour son commerce les effets d’une pareille dé-
claration, supplia le Conseil exécutif de différer une décision susceptible d’amener alors
une rupture, et les instructions de Rondeau furent en effet modifiées dans ce sens. L’esca-
dre de ce dernier arriva à Alger le 7 mai 1793 ; elle était composée de La Melpomène, La
Vestale et La Minerve. Voy. Extraits des registres des délibérations du Conseil exécutif
provisoire, le 8 janvier 1793, — Lettre du citoyen Monge au citoyen Vallière, le 17 janvier
1793. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 435

qui sont dignes de vous et que l’on doit à la République fran-


çaise.
Je suis toujours,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très sincère et parfait ami.
MONGE.

LE CONSEIL EXÉCUTIF PROVISOIRE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE(1)


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 3 mai 1793.

Très illustre et magnifique Seigneur,

Les changements survenus en France exigeant que le Consul


qui réside auprès de vous soit muni d’un titre émané de notre
Gouvernement actuel, nous nous empressons de confirmer par
la présente le citoyen Vallière dans les fonctions qu’il remplit à
notre satisfaction. Nous lui donnons à cet effet l’ordre de vous
présenter cette lettre, qui servira à l’accréditer de nouveau auprès
de votre personne en qualité de Consul général et Chargé des
affaires de la République française. Vous pouvez ajouter entière
foi et créance à tout ce qu’il vous dira en notre nom, relativement
au service et aux intérêts du commerce et de la navigation des
Français dans vos États, et principalement lorsqu’il vous assurera
de toute notre estime, de l’intention sincère où nous sommes de
vous en donner des marques en toute occasion, et de vous prou-
ver par, là le désir que nous avons d’entretenir la bonne harmonie
qui existe si heureusement entre les deux nations.
____________________
1. Le Conseil exécutif provisoire était composé des Ministres et présidé par cha-
cun d’eux à tour de rôle et de semaine en semaine. (Loi du 15 août 1792 relative à ses
attributions.)
436 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Sur ce nous prions Dieu, très illustre et magnifique Seigneur,


qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.
Écrit en notre palais national des Tuileries, le 3 mai 1793.
Par le Conseil exécutif :
Le Ministre des Affaires étrangères,
LEBRUN(1).

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AUX MINISTRES ET ADMINISTRATEURS DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE(2).

Alger, le 20 mai 1793.

Ceci est la lettre amicale adressée aux Ministres et aux autres


Chefs du Gouvernement français par Son Excellence Hassan Pa-
cha, — Que Dieu comble ses désirs ! — Vice-Roi et Gouverneur
actuel du Royaume d’Alger.

(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Princes des Princes de la nation de Jésus, Grands des Grands
du peuple du Messie, nos très honorables et très sincères amis les
Ministres et Administrateurs de la République française, après
nous être convenablement informé de la santé de chacun de vous
en particulier, nous vous exposons avec sincérité ce qui suit :
Nous venons de recevoir la lettre amicale que vous nous
avez adressée(3), lettre dont les paroles sincères ont pour but de
nous annoncer en même temps les changements survenus par la
volonté du Très-Haut dans l’organisation du Gouvernement fran-
çais, les dispositions d’après lesquelles vous avez été chargés de
____________________
1. Pierre-Hélène-Marie Lebrun-Tondu, Ministre des Affaires étrangères du 10
août 1792 au 21 juin 1793. Il avait été auparavant précepteur à Liège, puis imprimeur et
publiciste.
2. Voy. la note 1, p. 435.
3. Voy. p. 435.
AVEC LA COUR DE FRANCE 437

l’administration, et de nous faire connaître qu’en vertu de ces


mêmes dispositions le très sincère et très véridique Vallière, votre
Consul actuel auprès de nous, a été confirmé et maintenu dans
le poste qu’il occupe, les lettres et titres de créance d’usage lui
ayant été envoyés par la République française.
La recommandation que vous nous adressez en faveur du
dit Vallière, afin que nous lui accordions à l’avenir notre entière
confiance dans l’exercice de ses fonctions et dans la gestion des
affaires avantageuses aux deux nations, a été parfaitement com-
prise. Aussi, prenant en considération le sujet de votre lettre dont
nous approuvons le contenu, nous consentons très volontiers à ce
que le susdit Vallière soit continué dans l’exercice de ses ancien-
nes fonctions. Confirmant de plus, d’après nos anciennes pro-
messes, l’état actuel des stipulations et conventions arrêtées entre
nous, nous promettons qu’elles seront religieusement observées
et nous veillerons à ce qu’on n’en néglige point l’exécution.
A l’avenir, et tant que par l’ordre des membres de votre Gou-
vernement il ne sera rien fait de contraire à nos traités et promes-
ses, notre amitié n’éprouvera pas la plus légère atteinte. Puisse-t-
elle au reste durer toujours, au nom du Maitre des créatures !
Daté des derniers jours de mai de l’année de Jésus 1793,
correspondant à l’année arabe 1207, à Alger de Barbarie la bien
gardée.
En marge est écrit :
Quelle que soit la teneur des conventions et stipulations
contenues dans les articles des traités passés entre les mains de
votre Consul ici, voulant que ces mêmes traités soient exécutés
comme par le passé, nous les avons renouvelés, et ce renouvelle-
ment a été inscrit et consigné par nous sur nos dits traités qui sont
entre les mains de votre Consul(1). C’est afin de vous faire connaî-
tre cette disposition que la présente lettre vous a été écrite.
Traduit par BIANCHI, Secrétaire-interprète du Roi, le 7 mars 1827.
____________________
1. Cette ratification de nos traités, le 20 mai 1793, contenait en même temps la
reconnaissance du Gouvernement de la République française. Elle a été publiée dans le
Recueil de traités de M. Tétot, n° 1490.
438 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE CITOYEN DEFORGUES, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(1),
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER.

Paris, le 18 germinal an 11 (28 mars 1794).

Très illustre et magnifique Seigneur,


Les représentants de la nation française ayant résolu de
changer le pavillon français, j’ai été chargé par le Gouvernement
de la République de te faire part de ce changement, afin de pré-
venir toute méprise entre les navires de la Régence d’Alger et
ceux de la nation française qui paraîtront bientôt sous ce nouveau
pavillon(2).
L’agent de la République auprès de toi(3) te communiquera
la loi qui a été rendue à ce sujet(4), avec les motifs qui l’ont dé-
terminée, et te remettra en même temps une planche coloriée qui
t’indiquera avec précision la forme du nouveau pavillon et la nou-
velle disposition de ses couleurs. D’après les relations d’intérêt
____________________
1. Les Consulats avaient été rattachés, au Ministère des Affaires étrangères par un
décret de la Convention du 14 février 1792. François-Louis-Michel Chemin Deforgues,
mis à la tête de ce Département à la mort de Lebrun, occupa son poste du 21 juin 1793 au
2 avril 1794, et se trouva par suite appelé à correspondre avec le Dey. Il avait été aupa-
ravant Chef de bureau de la Commune, membre du Comité des massacres de septembre,
Secrétaire général du Comité de salut public et adjoint au Ministre de la guerre. — La
veille de son arrestation, le 12 germinal an II (1er avril), un décret de la Convention
supprima le Conseil exécutif provisoire et le remplaça par 12 commissions. Deforgues
fut donc pendant un jour le premier Commissaire des relations extérieures ; il eut pour
successeurs dans ces fonctions Goujon, puis Bormann, Buchot, Miot et Colchen, jusqu’à
la Constitution de l’an III.
2. Voy. Lettre du citoyen Deforgues au citoyen Vallière, le 16 nivôse an II. « Le
pavillon décrété par l’Assemblée nationale ressemble à la constitution qu’elle nous avait
donnée : les couleurs nationales étaient reléguées dans un coin du pavillon comme si on
les y avait ajoutées à regret. La couleur de la royauté y prédominait, comme ses préro-
gatives prédominaient dans la Constitution. Aujourd’hui les couleurs du peuple doivent
couvrir toute la surface du pavillon, comme sa souveraineté couvre toute la surface de la
République, et rien ne doit retracer d’anciennes idées lorsqu’elles ont disparu de l’esprit
de tous les Français. »
3. Vallière.
4. Décret de la Convention nationale du 21 pluviôse an II. « Le pavillon national
sera formé des trois couleurs nationales disposées en trois bandes égales, posées verti-
calement, de manière que le bleu soit attaché à la gaule, le blanc au milieu, et le rouge
flottant dans les airs » (art. 2).
AVEC LA COUR DE FRANCE 439

et d’amitié qui subsistent heureusement entre la République fran-


çaise et la Régence d’Alger, j’espère que tu voudras bien prescri-
re aux Commandants de tes ports et de tes navires de respecter en
tous lieux notre nouveau pavillon, et de ne porter aucun préjudice
aux bâtiments français qui paraîtront dans peu sous ce nouveau
signe de notre régénération politique. Tu peux compter de notre
part sur la plus parfaite réciprocité. Cette innovation, devenue
nécessaire, ne peut faire aucun changement dans les traités qui
unissent si heureusement les deux États et dont, pour leur pros-
périté commune, je désire l’éternelle durée.
DEFORGUES.

LE CITOYEN BUCHOT, COMMISSAIRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES(1),


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DE LA NATION FRANÇAISE.

Paris, le 11 fructidor an II (28 août 1794).

Très illustre et magnifique Seigneur,


Le Consul Vallière, que la République française entretient
auprès de toi, nous a rendu compte en différentes occasions des
dispositions amicales que tu as montrées envers la nation fran-
çaise. C’est ainsi que nous avons appris les facilités que tu as
accordées à nos bâtiments pour l’extraction des blés de ton pays,
et le prêt que tu nous as avancé pour cet objet(2). Nous avons été
____________________
1. Philibert Buchot, ancien maitre d’école, puis avocat, juge au tribunal de Lons-
le-Saunier, procureur général syndic du département du Jura, substitut de l’agent national
Payan, Commissaire des relations extérieures du 20 germinal an II au 30 brumaire an III.
Après sa destitution, il devint commis de l’octroi et enfin recenseur des ports.
2. Un décret de l’Assemblée nationale, du 9 mars 1792, avait mis dix millions à
la disposition du Ministre de l’Intérieur pour être employés en achats de grains, néces-
saires à un grand nombre de nos départements. Le Conseil exécutif du Directoire et le
Comité d’approvisionnements de Marseille avaient donné l’ordre à Vallière de négocier
avec les Algériens « la plus grande traite possible de denrées », et Hassan lui avait prêté,
de la meilleure grâce du monde, 50 000 p. (250 000 f.) pour solder ses premiers achats
à Bône et à Constantine. « Ce prêt, écrivit le Consul, les bonnes dispositions du Dey,
440 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

également informé des ordres que tu as donnés pour faire respec-


ter par tes marins le nouveau pavillon national(1). Le Gouverne-
ment de la République en a ressenti une grande satisfaction, et il
se propose de t’en témoigner sa reconnaissance par une amitié
inaltérable et par tous les services que tu le mettras dans le cas
et que les circonstances lui permettront de te rendre. Pour t’en
donner une preuve, les Représentants du peuple composant le
Comité de salut public n’ont pas plus tôt été informés que tu dési-
rais qu’il y eût à l’avenir des paquebots établis entre la France et
Alger, qu’ils se sont empressés de prendre un arrêté conforme à
ta demande(2), et dans peu de temps cet établissement sera formé
pour l’utilité réciproque des deux pays.
Mais pour tirer un avantage réel de cet établissement, que
nous avons un intérêt commun à voir réussir, il est nécessaire de
prendre tous les moyens pour le garantir contre la malveillance
des ennemis de la République. Nous comptons à cet égard sur
tes bons offices, et nous ne doutons pas que tu ne t’empresses de
faciliter, par tous les moyens qui sont en ton pouvoir, l’exécution
d’un projet dont tu as conçu la première idée.
Ce qui nous fait le plus de plaisir dans la proposition que tu
nous as faite, c’est de voir que le motif principal qui t’y a engagé
est aussi honorable pour nous que pour toi, et qu’en t’adressant à
notre Consul pour savoir la vérité touchant la grande et glorieuse
guerre que nous faisons à l’Europe, tu nous as rendu la justice
que nous méritons. Ce n’est sûrement pas par le canal de nos
lâches et cruels ennemis que la vérité pourra te parvenir. Après
nous avoir déclaré une guerre injuste, attaqué notre indépendance,
____________________
le service essentiel qu’il travaille à nous rendre, l’intérêt qu’il prend à la République
sont des titres sacrés à notre attachement et à notre reconnaissance que tu sauras faire
apprécier, citoyen Ministre de la République. Le Consul d’Angleterre a prié ce Souve-
rain de ne nous fournir aucun secours, mais le Dey lui a répondu en homme maître de
son pays et fidèle à ses amis. » Voy. Lettre du citoyen Vallière au citoyen Deforgues, le
10 pluviôse an II.
1. Le Dey avait remis deux passeports au Consul, pour donner plus de sécurité à
nos transports de grains, et Vallière avait cru ne pouvoir mieux les confier qu’à la Com-
pagnie d’Afrique. Voy. Lettre du citoyen Vallière au citoyen Deforgues, thermidor an II.
2. Voy. Lettre du citoyen Vallière au citoyen Buchot, le 15 messidor an II.
AVEC LA COUR DE FRANCE 441

acheté nos villes par la trahison, fomenté des rebellions, violé le


droit des gens, ils ne peuvent que mentir, puisqu’ils sont déjà dés-
honorés. La vérité sortira de la bouche de ceux qui, au milieu de
tant d’ennemis, ont su résister à tous, les ont chassés du territoire
de la République qu’ils avaient souillé et les ont poursuivis jus-
que dans le leur. Les Pyrénées et les Alpes, la Belgique et le Rhin
attestent l’héroïsme et lés triomphes des défenseurs de la liberté
et la honte de leurs ennemis(1).
Il appartenait à des cœurs généreux comme le tien de s’in-
téresser en faveur de la cause qui a pour elle la raison, la justice
et la gloire. Aussi sommes-nous flatté de ton amitié, jaloux de la
conserver et de te donner des preuves de la nôtre. Nous désirons
qu’elle soit éternelle.
BUCHOT.

LES REPRÉSENTANTS DU PEUPLE


COMPOSANT LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC DE LA CONVENTION NATIONALE
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DE LA NATION FRANÇAISE.

Paris, le 24 vendémiaire an III (15 octobre 1794).

Illustre et magnifique Seigneur,


Le citoyen Herculais, Chef de brigade au service de la Ré-
publique, chargé de différentes missions auprès des Régences
musulmanes de l’Afrique, se rend auprès de ta personne pour te
porter les assurances de notre amitié, et pour réclamer ton assis-
tance et tes bons offices dans les différentes opérations que nous
avons confiées à ses soins(2). Nous te prions de l’accueillir favo-
____________________
1. Aux Pyrénées, Dugommier avait enlevé le camp de Boulou (1er mai 1794) ; sur
les Alpes Dumerbion avait conquis les crêtes à la bataille de Staorgio (avril 1794) ; la Bel-
gique était en notre pouvoir après la victoire de Fleurus (25 juin 1794) ; enfin, dans une
de ses plus belles campagnes, Hoche avait refoulé les Prussiens au delà du Rhin pendant
l’hiver de 1793.
2. Louis-Alexandre d’Allois d’Herculais était un officier de fortune, une sorte
442 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

rablement comme Envoyé de la République française, et d’écou-


ter les propositions qu’il sera dans le cas de te faire de notre part.
Le Commissaire de nos relations extérieures a déjà saisi une oc-
casion pour t’exprimer les sentiments de plaisir et d’amitié que ta
conduite bienveillante a inspirés au Gouvernement de la Républi-
que(1). La fidélité avec laquelle tu as observé les traités qui nous
____________________
d’aventurier dont la mission à Alger mérite ici quelques détails. Il avait accompagné le
comte d’Expilly en 1784, dans sa négociation de paix entre la Régence et l’Espagne, puis
il avait passé au service de la Compagnie hollandaise à Batavia. Il était Chef de brigade
lorsque le Comité de salut public l’envoya sur les côtes d’Afrique avec un traitement de
20 000 f. pour y inspecter nos Consulats, demander la neutralité des Puissances barbares-
ques pendant la guerre de la coalition, assurer la liberté de nos approvisionnements, ra-
cheter nos esclaves, et surtout juger l’innocence ou la culpabilité de notre Consul Vallière,
désigné comme suspect en qualité de parent d’émigré. En effet son beau-frère Meifrund,
ancien Chancelier du Consulat d’Alger de 1768 à 1777, avait conservé des fonctions mu-
nicipales à Toulon pendant l’occupation anglaise et s’était réfugié à Carthagène. Le Dey,
fort lié avec lui, l’avait envoyé chercher, l’avait installé à Alger, et persécutait sans cesse
notre Consul pour qu’il obtint la grâce du condamné; disant « qu’il n’attendait pas d’autre
récompense de ses services ». Vallière avait exposé avec la plus grande impartialité la
cause si délicate qu’il était chargé de défendre, il avait blâmé la conduite de Meifrund, et
témoigné sa tristesse « de se voir ainsi compromis et soupçonné injustement ».
Le Comité de salut public avait d’abord envoyé, pour procéder à une enquête, le
citoyen Ducher, dont le rapport avait été favorable au Consul. Herculais arriva à Alger peu
de temps après, avec des présents évalués à 180 000 I. Il demanda aussitôt la destitution
de Vallière, fit mettre ses biens sous séquestre, et renvoya de la façon la plus injuste, sans
attendre des instructions, le Chancelier Astoin-Sielve. Menacé par le Dey d’être expulsé
de la Régence, il se vit obligé de transiger avec Meifrund, comme on le verra plus loin.
Herculais quitta Alger le 29 frimaire an V, pour achever sa mission à Tunis et à
Tripoli. Mais le Comité de salut public s’aperçut bientôt qu’il n’avait pas « les connais-
sances, la capacité, l’habitude des affaires, l’esprit conciliant et la prudence qui auraient
pu rendre sa présence en Barbarie utile à la République », et son Agent extraordinaire fut
brusquement révoqué par arrêté du 20 nivôse an V. Voy. Mémoire pour servir d’Instruc-
tion aux citoyens Ducher et Lallemand, Agents extraordinaires allant à Alger et à Tunis,
le 21 ventôse an II, — Instruction générale concernant la mission du citoyen Herculais
à Alger, le 24 vendémiaire an III, — Rapport sur l’émigré Meifrund, le 1er floréal an III,
— Mémoire justificatif de Pierre-Joseph Meifrund, fugitif de Toulon en décembre 1793
et réfugié à Carthagène, le 24 messidor an III, — Lettre du citoyen Herculais au citoyen
de Lacroix, le 24 germinal an IV, rendant compte de sa mission, — Lettre du citoyen
Vallière au citoyen Deforgues, le 24 pluviôse an II, — Lettres du Comité de salut public
aux citoyens Herculais et Vallière, le 7 floréal an III, — Rapport au Directoire exécutif
sur le citoyen Herculais et détail des motifs qui ont déterminé d proposer son rappel, le 2
nivôse an V, — Tableau de l’emploi des présents mis à la disposition du citoyen Hercu-
lais — Examen de la comptabilité du citoyen Herculais pendant sa mission. (Archives des
Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
1. Voy. p. 439.
AVEC LA COUR DE FRANCE 443

unissent, l’intérêt que tu portes à nos victoires et à nos glorieuses


destinées, les facilités qu’en différentes occasions tu as accordées
à notre armée ne nous laissent que le désir de voir se consolider
de plus en plus les relations amicales qui subsistent entre nous.
Nous espérons de notre côté que tu seras satisfait des témoigna-
ges de bienveillance que le citoyen Herculais est chargé de te
porter, et que sa mission même servira à resserrer davantage les
liens qui nous unissent. Le séjour qu’il a fait autrefois sur les
côtes d’Afrique lui a donné le moyen de connaître les intérêts ré-
ciproques de nos deux nations, et l’a mis à portée de se pénétrer
d’une haute estime pour ta personne. Il jouit d’ailleurs de notre
confiance entière, et c’est sous tous ces rapports qu’il nous parait
également digne de la tienne.
Puisse notre amitié être réelle !
TREILHARD,
RICHARD,
MERLIN,
DELMAS.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU CITOYEN BUCHOT, COMMISSAIRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES.

Alger, le 16 octobre 1794.


(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Afrique.
La lettre qui suit est une dépêche amicale adressée au Vizir
de la République du peuple français par Son Excellence le très
fortuné Hassan Pacha, Gouverneur des pays d’Alger en Afrique,
le glorieux Conseiller et le très honorable Administrateur qui mo-
dère par son génie bienfaisant les affaires de la Régence, et ter-
mine avec la plus grande prévoyance les négociations générales,
— Que Dieu bénisse ses, intentions ! — lequel n’est cependant
que la poussière des pieds du coursier victorieux de Sa Hautesse
le Sultan, fils de Sultan, Sélim, fils du Sultan Mustapha, le pos-
444 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

sesseur des Empires, le conquérant de l’Arabie et de la Perse, le


Souverain arbitre de la vie de ses sujets, le Maître des deux conti-
nents, l’Empereur des deux mers, l’élite des rejetons de la famille
ottomane, le destructeur de l’oppression et de la tyrannie. — Que
Dieu perpétue son règne et sa félicité jusqu’à la consommation
des siècles !
Très estimable, fidèle et sincère ami, glorieux Vizir, après
nous être informé de votre santé, nous vous faisons savoir que
votre lettre, datée du 11 fructidor(1), nous est parvenue il y a dix
jours, et nous a été lue d’un bout à l’autre par votre Consul Val-
lière, qui réside auprès de nous.
Cet officier vous avait écrit qu’il n’avait qu’à se louer de
nos procédés à son égard et de notre conduite envers la nation
française, et vous nous en témoignez votre satisfaction. Il s’en
faut cependant de beaucoup que nous vous ayons rendu autant de
services que nous l’eussions désiré. Notre espoir est qu’il se pré-
sentera par la suite plus d’occasions de vous obliger. Notre ami-
tié est si ancienne et si bien cimentée qu’il ne surviendra jamais
aucun acte qui puisse l’altérer: Nous ne nous refuserons à aucune
des demandes de la République, si elle en a quelqu’une à former
auprès de notre Régence et si l’objet désiré est en notre pouvoir.
Des vivres et de bons chevaux : voilà nos principales productions.
C’est au besoin qu’un véritable ami doit se faire connaître. Voilà
nos principes. Nous sommes disposé à vous donner des grains,
des comestibles de toute espèce, en un, mot tout ce que vous nous
demanderez, parce que nous sentons que dans la guerre générale
que vous avez à soutenir contre tant de Puissances de l’Europe, il
est impossible que vous n’éprouviez de la difficulté à vous procu-
rer des subsistances et d’autres objets de première nécessité. C’est
dans de semblables circonstances que nous devons déployer toute
la magnanimité de notre caractère et l’étendue de nos sentiments.
Nous pouvons vous donner ici une preuve incontestable de la so-
lidité de ces sentiments. Les agents des Puissances belligérantes
qui résident auprès de nous, se couvrant du voile de l’amitié, ne
____________________
1. Voy. p. 439.
AVEC LA COUR DE FRANCE 445

cessent de nous presser et de nous solliciter de profiter de vos em-


barras présents pour rompre les traités sacrés qui nous unissent à
la nation française et pour lui déclarer la guerre(1), mais nous, vos
fidèles et anciens amis et voisins, bien loin d’écouter ces perfides
insinuations, nous écartons de notre présence quiconque ose les
proférer parce que, encore une fois, c’est précisément dans les
circonstances épineuses où vous vous trouvez que nous devons
respecter et observer plus scrupuleusement que jamais, à votre
égard, les devoirs qui nous sont imposés par le bon voisinage et
par notre ancienne amitié. Nous avons appris vos victoires sur
tous vos ennemis(2). Dieu nous est témoin de la joie que nous en
avons ressentie ! Daigne le Ciel nous faire, vous et nous, toujours
triompher de tous ceux qui veulent troubler notre repos !
Vous avez marqué à votre Consul que si notre Régence avait
quelque chose à demander à la République française, nous n’avi-
ons qu’à prononcer. Grâce au Très-Haut, nous n’avons aucun dé-
sir à former pour nous dans cet instant, et nous serons très em-
pressé à profiter de vos offres, lorsque l’occasion s’en présentera.
Mais, en attendant, nous vous ferons une demande qui nous est
personnellement relative, que vous jugerez sans doute peu consi-
dérable, et à laquelle néanmoins nous attachons le plus haut prix.
Elle vous avait été déjà présentée en notre nom par l’organe de
votre Consul, et nous vous la réitérons directement et avec insis-
tance. Le négociant Meifrund, qui a longtemps résidé à Alger et
qui a rendu une infinité de services à la Régence, est notre ami
particulier(3). Ce fut pour toutes ces considérations que nous nous
déterminâmes à vous prier, par l’entremise du sieur Vallière, de
faire obtenir au dit Meifrund et à toute sa famille, qui se trouvent
____________________
1. Le Consul d’Angleterre avait reçu l’ordre de négocier, à quelque prix que ce fût
la paix de la Régence avec le Portugal, afin de rouvrir le détroit aux corsaires qui eussent
contrarié la navigation des Américains, et les eussent ainsi empêchés de continuer à porter
leurs grains dans nos ports. Vallière rendit cette manœuvre inutile en, faisant conclure un
traité entre la Régence et les États-Unis. Voy. Note de ce qu’il en coûte aux États-Unis
d’Amérique pour obtenir la paix avec la Régence d’Alger, soit 897 132 p. (Archives des
Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
2. Voy. les notes 1, p. 434 et 441.
3. Voy. la note 2, p. 441.
446 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

ici, le pardon de leurs fautes, la permission de rentrer dans leur


patrie et la faculté de reprendre possession de toutes leurs pro-
priétés, pour qu’ils pussent être remis en jouissance de tout ce
qui leur appartenait et de tous leurs droits. Nous insistons encore
aujourd’hui auprès de vous en faveur de Meifrund; il n’est pas de
la classe des traîtres; nous en sommes sûr. Il n’y a point d’hom-
me qui n’ait ses défauts. Nous demandons en grâce que ceux de
Meifrund soient oubliés. Il mérite d’ailleurs votre estime et votre
protection ; c’est ce que nous vous garantissons par notre témoi-
gnage. Nous prenons nous-même soin de son existence depuis
qu’il est ici. Nous avons déjà pourvu aux frais de son retour, et
nous n’attendons qu’une réponse de votre part qui nous instruise
de l’accueil propice ou défavorable qui sera fait à notre demande.
Son sort dépend de vous(1).
De la place bien gardée d’Alger en Afrique, le 21 de la lune
de Rebi-el-ewel, l’an de l’hégire 1209.
Traduit par RUFFIN, Secrétaire-interprète de la Commission des relations exté-
rieures, le 28 brumaire an III.

LES REPRÉSENTANTS DU PEUPLE


COMPOSANT LE COMTÉ DE SALUT PUBLIC DE LA CONVENTION NATIONALE
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DE LA NATION FRANÇAISE.

Paris, frimaire an III (décembre 1794).

Illustre et magnifique Seigneur,


La lettre que tu as adressée en date du 21 de la luné de Rebi-
el-ewel, l’an de l’hégire 1209, au Commissaire des relations exté-
____________________
1. Sidi Hassan attachait à l’amnistie de Meifrund une telle importance qu’il avait
renvoyé au Consulat de France les cadeaux que Vallière lui avait présentés. « J’ai apporté
au Dey le magnifique et rare solitaire et la superbe paire de pistolets que vous m’enjoignez
de lui donner. Son premier mot a été : Tous les présents du monde me touchent peu, si tu ne
viens pas m’annoncer la grâce de Meifrund. » Voy. Lettres du citoyen Vallière au Comité
de salut public, les 12 vendémiaire, 11 prairial, 27 messidor et 21 thermidor an III. — Le
Dey refusa également un parasol à l’orientale que lui avait destiné l’Agence d’Afrique,
AVEC LA COUR DE FRANCE 447

rieures de la République(1) a été mise sous nos yeux. L’expression


qu’elle contient de ton amitié pour la nation française te donne de
nouveaux droits à son estime et à son affection. Ces sentiments
réciproques serviront seuls de base aux transactions politiques et
commerciales que le voisinage de nos pays et la nature de leurs
productions doivent faire naître et rendre chaque jour plus inté-
ressantes. Aussi la Convention nationale de France, en acceptant
les offres que tu lui fais de fournir à la République des comes-
tibles et des chevaux, donnera des ordres à ses agents afin que,
dans cette négociation, il soit pris des mesures propres à concilier
les intérêts respectifs des deux pays.
Nous avons vu avec satisfaction, mais sans étonnement, que
la sagacité qui te distingue t’a fait facilement apercevoir les pièges
des ennemis de la France et le but de leurs perfides insinuations.
La victoire qui suit partout nos armées(2) ne laisse aux vaincus
que les ressources du mensonge, dernier moyen qu’emploient les
lâches. Le moment n’est pas éloigné où l’augmentation des for-
ces navales de la République lui procurera des triomphes aussi
éclatants sur les mers que ceux qu’elle doit à la valeur de ses ar-
mées de terre, mais, quels que soient ses succès, elle se rappellera
toujours avec sensibilité les services qu’elle aura reçus, dans des
temps orageux, de ses amis et de ses alliés.
Quant au négociant Meifrund, à qui tu nous demandes d’ac-
corder la faculté de rentrer sur le territoire de la République(3), le
sincère désir que nous avons de t’obliger nous fera rechercher
tous les moyens de concilier ce sentiment avec le respect que
nous devons à nos lois.
CAMBACÉRÈS,
DELMAS,
PRIEUR,
MERLIN.
____________________
substituée le 19 pluviôse an II à la Compagnie d’Afrique, et le Comité de salut public ren-
dit un arrêté spécial, le 16 thermidor an III, affectant une destination différente au parasol
en question.
1. Voy. p.443.
2. Voy. la note 1, p. 441.
3. Voy. p. 445.
448 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
AUX MEMBRES DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC DE LA CONVENTION NATIONALE.

Alger, mars 1795.

(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Afrique.

Nos grands, respectables et fidèles amis, membres du Co-


mité de salut public, Chefs du Gouvernement de la République
française, nous vous faisons amicalement savoir que nous avons
eu l’honneur de recevoir, par l’intermédiaire de votre Consul ré-
sidant en cette Ville, la lettre que vous nous avez adressée en
date de frimaire et nous en avons compris toute la signification.
Vos bonnes paroles nous ont fait également comprendre que le
lien d’amitié qui nous unit de part et d’autre est sans aucun doute
solide et sincère. Nous faisons des vœux pour que cet accord et
cette affection mutuels se maintiennent et durent toujours. Vingt
jours avant la date de la présente lettre, il est arrivé vers nous, ve-
nant de l’Espagne, un certain nombre de frégates qui, après avoir
séjourné dans notre port de cinq à six jours, au moment de lever
l’ancre, assaillirent un navire français qui venait d’arriver au port,
s’en emparèrent, et, après avoir fait main basse sur tout ce qui se
trouvait dans le navire, y placèrent des matelots de leur bord.
Nous qui voyions de loin ce qui se passait, après avoir examiné
attentivement cet état de choses, avons envoyé des parlementai-
res au Commandant des frégates espagnoles, pour lui dire de quel
droit il s’emparait du navire français dans notre port et sous la
portée du canon. Ignorait-il par hasard que cet acte était tout à
fait contraire aux lois sur la navigation, et qu’en outre il était de
nature à détruire l’amitié qui existe entre nous ! Il est, en effet,
____________________
1. Voy. p. 446.
AVEC LA COUR DE FRANCE 449

absolument contraire aux règlements maritimes de capturer les


navires placés sous la sauvegarde des canons. Mais le Comman-
dant n’écouta pas nos remontrances. Alors nous avons fait déta-
cher immédiatement 12 canonnières de notre port, et expédier
auprès des Espagnols le Commandant de notre port après le cou-
cher du soleil. Celui-ci a repris par force votre navire, et, ayant
évacué les matelots espagnols, y a replacé vos gens ; le navire
entra: sain et sauf, et fut remis à votre Consul en cette Ville sans
aucune avarie et avec tout son équipage(1).
Cette conduite nous était dictée et tracée par la considéra-
tion de L’ancienne et solide amitié qui existe entre nous, et cette
circonstance nous a offert l’occasion de vous en donner un témoi-
gnage. Nous espérons que vous agirez de même à notre égard,
des circonstances analogues, lorsque nos vaisseaux se trouveront
dans vos parages. C’est par ces sortes de services mutuels qu’on
prouve la réalité de la véritable amitié.
Vous nous avez écrit au sujet du nommé Meifrund, négo-
ciant qui réside ici(2) ; nous espérons que, conformément à nos
demandes précédentes, vous donnerez à cette affaire tout votre
appui et votre protection. Nous vous réitérons cette demande, par
égard pour notre ancienne et solide amitié, et nous comptons que
vous ne la refuserez pas dans les affaires de cette nature. Il n’y
a pas de doute que cette affaire a eu un bon commencement, et
nous espérons qu’elle aura une bonne fin. Nous serons heureux
d’apprendre que notre demande a été favorablement accueillie
par vous.

Écrit à Alger, vers la fin du mois de Chaban, l’an de l’hégire


1209, c’est-à-dire en mars 1795.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc A l’École des langues orientales.
____________________
1. La correspondance consulaire ne parle pas de cet incident.
2. Voy. la note 2, p. 441.
450 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LES REPRÉSENTANTS DU PEUPLE
COMPOSANT LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC DE LA CONVENTION NATIONALE
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DE LA NATION FRANÇAISE.

Paris, le 1 floréal an III (26 avril 1195).

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous avons reçu la lettre que tu nous as écrite dans les der-
niers jours du mois de Chaban(1). Nous avons appris avec une
grande satisfaction les faits qui se sont passés, lors de l’enlève-
ment d’un de nos bâtiments qu’une frégate espagnole avait osé
se permettre d’attaquer à la vue de la ville d’Alger la bien gardée.
Nous avons reconnu, dans la conduite que tu as tenue dans cette
occasion, le Prince ferme et courageux qui sait faire respecter
l’indépendance de son territoire et l’ami juste qui, en remplissant
fidèlement les traités, acquiert tous les jours de nouveaux droits
à la confiance de ses alliés. La République française ne perdra
point le souvenir de toutes les preuves d’attachement que tu lui
as données, et elle te garantit la réciprocité la plus parfaite.
Tu nous as réitéré, très excellent et illustre Seigneur, la de-
mande que tu nous avais déjà faite en faveur de l’émigré Mei-
frund. Nos cœurs qui savent apprécier tous les sentiments géné-
reux l’auraient déjà accueillie, et nous serions allés au-devant de
tes désirs s’il nous était permis d’enfreindre les lois de la Répu-
blique, auxquelles nous avons juré respect et obéissance. Nous
ne te dissimulons pas que l’émigré Meifrund paraissant bien cou-
pable aux yeux de ces lois, il est nécessaire qu’il se justifie non
seulement de l’émigration, mais des autres crimes qui lui sont
imputés, pour nous mettre dans la possibilité de nous rendre à
ton intercession. C’est pourquoi nous avons ordonné au citoyen
Herculais, dont nous t’avons annoncé l’arrivée, d’examiner son
affaire(2). En attendant, la demande que tu nous as faite restera
nous as faite restera toujours présente à nos esprits, et nous nous
____________________
1. Voy. p. 448.
2. Voy. la note 2, p. 441.
AVEC LA COUR DE FRANCE 451

empresserons d’y satisfaire aussitôt que les lois et les intérêts de


la République pourront nous le permettre(1). Nous avons chargé
notre Consul Vallière, qui est lui-même beau-frère de l’homme
auquel tu as accordé ton amitié, de te faire connaître les raisons
extrêmement importantes qui nous empêchent de céder à l’ins-
tant même au désir que nous avons de t’obliger.
Il est bien satisfaisant pour nous de penser qu’avec les senti-
ments que tu nous as montrés et avec ceux que nous te vouons en
retour, rien ne sera capable de troubler l’heureuse harmonie qui
subsiste entre la Régence d’Alger et la République française.
Donné au Palais national des Tuileries, le 7 floréal de l’an
III de la République une et indivisible.
CAMBACÉRÈS,
DELMAS,
MERLIN,
TREILHARD.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AUX MEMBRES DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC DE LA CONVENTION NATIONALE.

Alger, le 12 juillet 1795.

Citoyens,
J’ai écrit d’autres lettres aux Représentants du peuple en
mission à Marseille par lesquelles je leur ai recommandé Jacob
Cohen Bacri, négociant chargé de mes commissions(2). La présente
____________________
1. Après de nombreuses discussions, Herculais dût accorder au protégé du Dey une
indemnité de 100 000 livres en échange de ses biens confisqués, « moyennant quoi l’émi-
gré Meifrund s’engagea à se retirer en Espagne avec sa famille, et déclara n’avoir plus rien
à réclamer ». Voy. Lettre de citoyen de Lacroix au citoyen Herculais, le 15 prairial an IV.
2. Michel Cohen Bacri, Juif de Livourne, avait fondé à Alger une maison de com-
merce qui avait pris en peu d’années une extension considérable, et n’avait pas tardé à s’in-
sinuer dans les bonnes grâces de tous les principaux officiers de la Régence. Lorsque son fils
Jacob vint s’établir à Marseille, le Gouvernement français devait à ces négociants pour plus
de deux millions de grains fournis aux municipalités, à la Marine ou aux munitionnaires de
nos armées par l’intermédiaire de l’Agence d’Afrique. Ils avaient associé à leurs affaires un
autre Juif, nommé Nephtali Busnach, et ils entretenaient à Paris un de leurs employés, Simon
452 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

servira pour vous le recommander particulièrement, étant une


personne à laquelle je suis fort attaché. Je ne doute point qu’il ne
soit assisté et protégé dans toutes les occasions, et que vous ne
regardiez d’un œil d’amour et de partialité non seulement Jacob
Cohen Bacri, mais encore toute personne qu’il pourrait envoyer
dans quelque endroit de la République que ce soit, pour faire mes
commissions et les siennes, vous priant de l’assister dans tous les
cas où il pourra en avoir besoin, et vous assurant que les marques
d’attention et d’amour que vous lui donnerez resserreront tou-
jours davantage les bases fondamentales de notre amitié.
Jacob Cohen Bacri, dans une lettre qu’il m’a écrite, se loue
beaucoup de la bonne amitié et de la bienveillance que lui témoi-
gnent les habitants de Marseille. En conséquence, je vous prie
d’écrire à Marseille de vouloir bien continuer de l’attachement et
des attentions à mon sujet, me réservant de vous en témoigner ma
reconnaissance dans toutes les occasions.
En attendant je vous souhaite toute sorte de prospérités dans
toutes vos entreprises en me déclarant
Votre bon ami,
(Sceau)
HASSAN,
Dey d’Alger.

LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE FRANÇAIS.

Paris, frimaire an IV (décembre 1795).

Illustre et magnifique Seigneur,


Le bien du service de la République française dans vos États
exigeant le rappel du citoyen Vallière(1), nous nous sommes déter-
____________________
Abucaya, en qualité d’Agent général chargé des affaires du Dey d’Alger ». Sidi Hamdan,
dans son Aperçu historique et statistique sur la Régence d’Alger, pourra donner une idée
de la rapidité avec laquelle les Bacri faisaient leur fortune. (Paris, 1833, p. 142.)
1. Herculais, dont le patriotisme turbulent voyait partout des suspects, avait de-
AVEC LA COUR DE FRANCE 453

minés à faire passer à Alger pour le remplacer le citoyen Jeanbon


Saint-André(1), dont la probité, le zèle et les talents nous sont par-
faitement connus. Nous lui avons donné à cet effet des instruc-
tions, avec l’ordre de vous assurer de notre sincère amitié et de
notre haute estime. Nous le chargeons en même temps de vous
présenter cette lettre, pour l’accréditer auprès de votre personne
en qualité de Consul général et Chargé des affaires de la Répu-
blique française. Vous pouvez, en conséquence, ajouter entière
foi et créance à tout ce qu’il vous dira en notre nom, relativement
au service et aux intérêts de la nation française dans votre pays.
Nous vous le recommandons particulièrement. Sur ce nous fai-
sons des vœux, illustre et magnifique Seigneur, pour votre par-
faite prospérité et celle des États que vous gouvernez.
Fait au Palais du Directoire exécutif, dans le mois de fri-
maire an IV de la République une et indivisible.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
DE LACROIX(2).
____________________
mandé et obtenu non seulement la révocation de Vallière, mais encore celle de Devoize,
notre agent à Tunis, et celle de son Secrétaire, nommé Gayet, qu’il avait emmené avec lui
dans sa mission en Barbarie. Notre ancien Consul à Alger s’embarqua pour l’Espagne,
en mai 1796, et se justifia pleinement aux yeux du Directoire, qui leva le séquestre mis
sur sa fortune le 20 nivôse an V. Voy. État des services du citoyen Vallière, — Rapport au
Directoire exécutif sur l’ex-Consul Vallière, le 4 ventôse an V, — Réponse justificative du
citoyen Vallière aux motifs qui ont déterminé son rappel, le 3 floréal an IV.
1. Jeanbon Saint-André, et non pas Jean Bon Saint-André, comme on l’a toujours
appelé, fut d’abord ministre protestant à Montauban, puis Député du Lot à la Convention
nationale, membre du Comité de salut public, envoyé en mission aux armées du Nord,
des Ardennes, de la Moselle et du Rhin, ensuite à Brest et à Toulon. Arrêté et incarcéré le
9 thermidor an II (27 juillet 1794), il fut rendu à la liberté par l’amnistie du 4 brumaire an
IV (26 octobre 1795). Il arriva à Alger le 3 juin 1796, accompagné de son neveu Bellue,
officier de marine, qui devint Chancelier à la place d’Astoin-Sielve, et du citoyen Joseph
Labrouche, son secrétaire particulier. Il avait reçu l’ordre de présenter au Dey ce qui res-
tait des cadeaux emportés de France par Herculais, et au sujet desquels ce dernier n’avait
pas cru devoir envoyer des comptes en règle. Voy. Mémoire pour servir d’Instruction au
citoyen Jeanbon Saint-André, Consul général de la République française à Alger, — Let-
tre du citoyen Jeanbon Saint-André au citoyen de Lacroix, le 22 prairial an IV, rendant
compte de son arrivée et de son installation dans son nouveau poste.
2. Un des premiers actes du Directoire, en succédant à la Convention, fut de sup-
primer les Commissions et de rétablir les Ministères. Celui des relations extérieures fut
454 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE FRANÇAIS.

Paris, frimaire an IV (décembre 1795).

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous avons appris avec peine que vous aviez suspendu l’ex-
portation qui favorisait nos approvisionnements(1). L’ancienne
amitié qui nous unit à vous nous est trop précieuse pour négliger
de rechercher la cause qui l’avait altérée ; nous l’avons trouvée
dans la conduite du citoyen Vallière. Il a trahi notre confiance,
il a abusé de la vôtre. Nous l’avons rappelé. Le citoyen Jeanbon
Saint-André, qui résidera désormais auprès de vous, était ci-de-
vant Représentant du peuple français à la Convention nationale(2).
C’est le même qui, dans sa mission à Toulon, protégea par le dé-
veloppement de nos forces maritimes le transport du numéraire
qui servit au payement du blé que nous achetions en Barbarie. Son
caractère personnel et les fonctions éminentes qu’il a remplies
nous l’ont fait préférer entre tous. Il a reçu nos ordres relative-
ment aux diverses réclamations que vous nous avez adressées. La
justice le caractérise, et si le citoyen Vallière n’eût pas caché ceux
que nous lui avions donnés et les motifs qui les déterminèrent,
____________________
confié, le 6 novembre 1795, à Charles-Constant de Lacroix, ancien Chef de bureau des
Finances, puis Député de la Marne en 1792, membre du Comité de salut public et chargé
de diverses missions administratives, notamment dans les Ardennes et dans la Meuse.
1. Un Juif, Samuel Moatty, axait acheté à Marseille des marchandises dont la sortie était
prohibée par la loi du 12 pluviôse an III. Le Dey, qui s’était intéressé à cette affaire, avait
exigé la restitution en nature et non pas le prix de la cargaison, vendue aux enchères publi-
ques. Il s’était opposé, pour obtenir satisfaction, à la sortie des blés achetés par l’Agence
d’Afrique. Voy. Rapport au Ministre des relations extérieures sur la saisie faite par le
bureau des douanes de la commune de Marseille de diverses marchandises embarquée:
pour Alger par Samuel Moatty, — Mémoire du citoyen Guys, Agent général des relations
extérieures à Marseille, sur l’affaire du Juif Moalty. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
2. Voy. la note 1, p. 453.
AVEC LA COUR DE FRANCE 455

aucune discussion ne se serait élevée entre nous. Le citoyen Jean-


bon Saint-André les terminera sans doute. Il réclamera de notre
part et en notre faveur la libre exportation des grains(1). Nous sa-
vons que la bonne intelligence entre les nations est le résultat du
commerce continuel de bons offices, et vous recevrez de nous
tous ceux qu’il ne nous sera pas impossible d’accorder. Désor-
mais des rapports plus avantageux et des communications plus
fréquentes doivent s’établir entre nous. La victoire qui fonde la
République française et qui étend son domaine lui donne chaque
jour de nouveaux droits à la considération de l’Europe. Le peuple
français est juste ; nul ne lui rendra vainement des services. Ceux
qu’il a reçus de vous et qu’il en attend encore seront la mesure de
sa reconnaissance.
Recevez de notre part l’assurance qu’il vous donne de ne
laisser jamais troubler la bonne harmonie qu’il souhaite de voir
se maintenir entre lui et vous.
Donné au Palais du Directoire, sous le sceau national, à Pa-
ris, en frimaire de l’an IV de la République française une et indi-
visible.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
DE LACROIX.

LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DE LA NATION FRANÇAISE.

Paris, prairial an IV (juin 1796).

Illustre et magnifique Seigneur,


Le négociant Jacob Cohen Bacri, chargé de vos commis-
sions à Marseille, nous a fait parvenir votre lettre en date du 12
____________________
1. si la Régence se vantait de nous rendre des services avec ses fournitures de
grains, il est bon de remarquer qu’elle vendait à l’Agence d’Afrique, au prix de 45 pias-
tres, la charge de blé que les étrangers ne payaient que 38 piastres.
456 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

juillet 1795(1). Nous y avons vu avec plaisir l’expression sincère


de votre amitié et de votre reconnaissance pour l’accueil que ce
négociant a reçu depuis son arrivée en France. Soyez persuadé
qu’il n’aura qu’à se louer également des bons procédés qu’on
continuera d’avoir pour lui comme pour tous ceux que vous nous
recommanderez, et que nous ne laisserons échapper aucune occa-
sion de resserrer de plus en plus les liens de cette ancienne amitié,
qui subsiste et subsistera toujours entre les deux nations.
Nous ne voulons point finir cette lettre sans vous dire com-
bien nous avons été satisfaits nous-mêmes d’apprendre la récep-
tion favorable que vous avez faite au citoyen Herculais, Envoyé
de la République auprès de vous(2). Il nous a rendu un compte dé-
taillé des marques d’intérêt et de bienveillance que vous lui avez
témoignées, et nous ne doutons point qu’il ne continue à mériter
votre confiance; nous vous invitons à la lui accorder. Il nous a en
même temps fait connaître toute l’indignation que vous a causée
l’outrage qu’ont commis les Anglais, en enlevant deux bâtiments
de guerre français qui étaient mouillés dans la rade de La Goulette(3)
; nous ne vous dissimulons pas que cette perfidie infâme rejaillit
particulièrement sur le Bey de Tunis qui, malgré les avis qu’on lui
a donnés, a laissé violer d’une manière aussi audacieuse l’asile as-
suré que nos bâtiments devaient trouver dans ses ports contre les
entreprises de nos ennemis. Vous avez si bien senti cette vérité que
vous vous êtes empressé de prendre toutes les mesures convenables
pour contraindre le Bey à une réparation complète envers la Ré-
publique; nous vous en savons infiniment de gré, et nous sommes
persuadés qu’au moyen de votre crédit et de votre influence vous
parviendrez à obtenir cette réparation due à la nation française, et
devenue d’ailleurs indispensable pour l’honneur des Puissances
____________________
1. Voy. p. 451.
2. Voy. la note 2, p. 441.
3. Voy. Lettres des citoyens Vallière et Herculais au citoyen de Lacroix, les 11
et 24 germinal an IV. Notre Consul informait le Ministre de cette violation de territoire
neutre que s’étaient permis les Anglais, en enlevant nos corvettes La Sardine, La Némésis
et le brick Le Postillon dans la rade de La Goulette. Il était allé se plaindre au palais de la
Jenina de cet acte de perfidie, et le Dey lui avait déclaré « qu’il se chargeait dé faire payer
au Bey de Tunis la valeur de nos bâtiments, estimant le dommage à 242 000 piastres ».
AVEC LA COUR DE FRANCE 457

musulmanes dont il vous importe de maintenir la considération.


Nous nous en reposons donc entièrement sur vous du soin de ter-
miner cette affaire à notre entière satisfaction. Nous avons été ex-
trêmement sensibles aux offres pécuniaires que vous avez faites
au citoyen Herculais ; elles ont excité toute notre reconnaissance,
et nous les avons regardées comme une nouvelle preuve de votre
attachement et de votre intérêt pour la République. En consé-
quence, nous chargeons notre Envoyé d’en conférer avec vous
conformément aux instructions que nous lui adressons(1). Vous
pourrez ajouter une entière confiance à tout ce qu’il vous dira sur
ce point, et compter que les engagements qu’il pourra contracter
en notre nom seront remplis avec toute l’exactitude et la loyauté
qui caractérisent la nation française, que vous devez mettre au
nombre de vos plus sincères et fidèles amis. Vous ajouterez par là
de nouveaux droits à sa reconnaissance.
Sur ce nous faisons des vœux, illustre et magnifique Sei-
gneur, pour votre parfait bonheur et la prospérité des États que
vous gouvernez.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
DE LACROIX.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 1er juillet 1796.


(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger d’Afrique.
Lettre d’amitié adressée à Leurs Excellences les Membres
du Directoire exécutif de la République française, ses grands et
____________________
1. Voy. Lettre du citoyen de Lacroix au citoyen Herculais, le 16 prairial an IV. Les
Bacri, malgré les avances qu’ils avaient faites à la République, offraient encore au Direc-
toire 40 000 quintaux de grains emmagasinés à Marseille. Le Gouvernement manquait
d’argent pour payer même un acompte, et faisait tous ses efforts pour obtenir du Dey le
prêt d’un million de piastres (5 000 000 de fr.).
458 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

illustres amis, par Son Excellence le Gouverneur et Dey de la Ré-


gence d’Alger, comblé d’honneurs dans le service du grand Em-
pereur et Sultan Sélim, le Padischah de l’époque, celui qui tient
les clefs des temps, organise les affaires du genre humain, pro-
tège les Villes de Dieu de l’injustice et de l’insurrection, détruit
les traces de l’oppression et de l’inimitié, ombre de Dieu étendue
sur le genre humain, Roi de la surface de la terre, ayant la gloire
d’Alexandre et la puissance de Salomon, Sultan des terres et des
mers. — Que Dieu daigne perpétuer sa puissance et éterniser sa
dynastie !
Chefs illustres de la nation des chrétiens, organisateurs des
affaires de la République française, membres du Directoire exécu-
tif, mes grands, puissants et respectables amis, — Que Dieu vous
accorde une bonne fin et vous dirige dans le droit chemin ! —
Après avoir offert à Vos Excellences nos vœux multiples et
des prières abondantes, nous vous faisons savoir que le nommé
Jeanbon Saint-André, que vous avez nommé Consul et chargé de
nous entretenir des affaires entre vous et la Régence, est arrivé et
nous a remis la lettre d’amitié dont il était porteur(1). Vous dites
dans votre lettre, entre beaucoup d’autres éloges, que le susdit
est un homme de parfaite confiance, honorable, droit et agréé de
toute la France ; en effet, il parait être un serviteur doué de ca-
pacité et d’intelligence, d’esprit et de finesse. Fasse le Ciel que
ses actions soient en conformité de notre jugement ! Nous avons
reçu également de vous une autre lettre d’amitié par l’entremise
du nommé Herculais(2). Nous en avons pris connaissance et elle
nous a causé une joie inexprimable. Que Dieu consolide de plus
en plus l’édifice de l’alliance, de la concorde et de l’amitié qui
existent si heureusement entre nous !
Mes chers et grands amis, il nous est impossible de par-
faire la somme d’un million de piastres que vous nous, demandez
comme emprunt. Nous avons fait tout ce qui dépendait de nous,
____________________
1. Voy. p. 454.
2. Voy. p. 455.
AVEC LA COUR DE FRANCE 459

et nous n’avons pu recueillir que la somme de 2 000 réaux que


nous avons remis au susdit Herculais, qui nous a donné un reçu
par l’intermédiaire du Consul(1). Le susdit agent est aussi un hom-
me accompli, expert dans les affaires, intelligent et habile ; ses
paroles et ses manières nous ont été très agréables.
Mes chers amis, je vous prie de ne pas vous fâcher de ce que
nous n’avons pas pu compléter la somme d’un million de piastres
que vous demandiez. Tout le monde sait qu’il n’y a pas de mines
dans la Régence ; l’argent produit par les Villes qui sont sous notre
domination, en Orient comme en Occident, est dépensé annuelle-
ment à solder nos armées victorieuses, et cette somme est à peine
suffisante. Vos Excellences, connaissant ces détails, nous excu-
seront et dorénavant, pour tout ce dont vous pourrez avoir besoin
chez nous, un moindre signe suffira. Nous ne vous le refuserons
d’aucune façon, à moins que la chose demandée n’existe pas ici
non plus. La Régence est en amitié séculaire avec vous, et la vraie
amitié se prouve dans ces moments et circonstances. En un mot il
n’y a point de cérémonies entre nous. Nous saisissons cette occa-
sion pour vous dire que le lien de solide amitié qui nous rattache
ne ressemble en rien à celui d’aucune autre nation, et en nous
informant de l’état de vos santés précieuses, nous vous prions de
rester fermes dans le grand chemin de l’amitié. Tant que les clauses
____________________
1. Comme on le voit, Hassan consentit à nous prêter un million (200 000 p.), et
non pas cinq millions que nous lui demandions. Cette somme fut comptée par le trésorier
du Dey à l’Envoyé Herculais, qui en donna quittance enregistrée ainsi qu’il suit à la chan-
cellerie du Consulat :
« Le soussigné, Envoyé extraordinaire de la République près les Puissances mu-
sulmanes d’Afrique, déclare avoir reçu du Trésor de Sidi Hassan, Dey d’Alger, la somme
de deux cent mille piastres fortes d’Espagne pour être employées au service de la Répu-
blique à Alger. Le 9 messidor an IV de la République française. Signé : Herculais. »
Cette avance fut faite pour deux ans, sans intérêts. Herculais remit 100 000 pias-
tres au Consul, qui les fit parvenir à la Trésorerie nationale ; il fut autorisé à employer
l’autre moitié du prêt à solder une partie des engagements du Consulat et de l’Agence
d’Afrique à Alger. Voy. Arrêté du Directoire exécutif, le 16 thermidor an IV, autorisant la
Trésorerie à délivrer au Dey d’Alger une reconnaissance de 200 000 piastres, « montant
du prêt fait par lui à la République, portant remboursement à deux ans sans intérêts, et
ordonnant qu’il soit mis en réserve la même somme en rescriptions bataves, aux échéan-
ces de 1797 et 1798, dont le produit ne pourra être employé qu’au remboursement du prêt
susmentionné ».
460 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de paix et d’accord seront respectées par vous, il est impossible


qu’il se produise de notre part quelque chose de contraire à ces
mêmes traités. Puissiez-vous jouir toujours des honneurs et du
bonheur !
Écrit le 25 de Zilhidjé, l’an 1210, c’est-à-dire le 1er juillet
1796, à .Alger, l’asile de la guerre sainte.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE. FRANÇAIS.

Paris, le 18 pluviôse an V (6 février 1797).

Illustre et magnifique Seigneur,


La bonne harmonie qui existe depuis si longtemps et si heu-
reusement entre vous et la nation française nous fait penser qu’il
ne peut que vous être agréable d’être directement informé par
nous des événements majeurs qui nous arrivent, surtout quand
les résultats en sont avantageux à la République française. C’est
d’après ce principe et dans la vue de cultiver, autant qu’il est en
nous, cette ancienne et précieuse amitié que nous croyons devoir,
à la fin de cette campagne, vous mettre sous les yeux un aperçu
rapide des opérations de nos armées, dont le courage et l’énergie
ont constamment fixé la victoire sous les drapeaux de la nation
française, votre fidèle alliée.
Nous n’essayerons pas de retracer ici les différentes actions
dans lesquelles nos armées ont déployé cette intrépidité qui de-
puis cinq ans force l’Europe entière à l’admiration ; il suffit de
dire qu’au nord le Rhin a constamment opposé aux efforts impé-
riaux une barrière insurmontable(1). En Italie, la Sardaigne a, dès
____________________
1. La campagne d’Allemagne de 1796 était dirigée par Jourdan, commandant l’ar-
mée de Sambre-et-Meuse, et par Moreau, commandant l’armée du Rhin. Victoires de
Kléber à Altenkirchen (4 juin), prise de Francfort et de Wurtzbourg par Jourdan, victoires
AVEC LA COUR DE FRANCE 461

l’ouverture, de la campagne, été obligée de demander la paix(1).


Toutes les possessions impériales ont bientôt été envahies. Trois
armées sont venues successivement se briser contre le courage in-
vincible des phalanges républicaines, et dernièrement une victoire
des plus complètes a été remportée par l’armée française(2). Nous
en espérons la prise de la dernière place importante que l’Em-
pereur conserve encore dans ces contrées(3). Des avantages aussi
décidés ont eu pour nous les résultats les plus heureux. La plupart
des Princes d’Italie et le Roi de Naples lui-même ont demandé
et obtenu la paix(4). Presque tous les ports ont été fermés aux An-
glais, et la Corse, partie intégrante de la République française et
dont ils s’étaient emparés par leurs moyens ordinaires, la fraude
et la perfidie, s’est lassée de leur joug tyrannique. Elle les a igno-
minieusement chassés, et ne voit plus flotter dans ses ports et sur
ses arsenaux que le pavillon tricolore(5). La République, toujours
grande, a oublié les torts des Corses, et s’est hâtée de leur resti-
tuer l’exercice de tous les droits de citoyens français. La Corse est
donc aujourd’hui du nombre de nos Départements, ses habitants
sont redevenus citoyens, et comme tels ils peuvent attendre de
vous les égards et traitements affectueux que vous avez pour leurs
compatriotes. Le Directoire exécutif les réclame de votre loyauté
et de l’amitié que vous professez pour la République.
Il saisit cette occasion pour vous assurer de la plus entière
réciprocité, et de son intention bien prononcée de maintenir dans
____________________
de Moreau à Neresheim et à Nordlingen (11 août), à Biberach (2 octobre).
1. L’armistice de Cherasco, signé le 28 avril 1796, nous abandonnait Nice et la
Savoie.
2. Les trois armées dont il est ici question sont celles que commandèrent suc-
cessivement Beaulieu, Wurmser et Alvinzi. Ce dernier venait d’être battu à Arcole (17
novembre 1796) et à Rivoli (14 janvier 1797).
3. Mantoue avait capitulé le 2 février.
4. Traités de Paris avec Naples et Parme (10 octobre et 5 novembre 1796), de To-
lentino avec le Pape (19 février 1797), de Turin avec la Sardaigne (5 avril 1797).
5. A l’époque de l’invasion de la Corse par les Anglais, ceux-ci se livrèrent à la
pêche du corail sans payer de redevances, et le Dey les fit poursuivre par ses corsaires.
Nous venions de rentrer en possession de l’île, mais pour mettre ses habitants à l’abri
des funestes effets qui pouvaient résulter pour eux de la continuation de nos hostilités, le
Directoire croyait avec beaucoup de raison devoir notifier d’une manière toute spéciale
notre conquête aux Algériens.
462 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

toute son intégrité la bonne intelligence qui existe entre vous et


la nation française.
Donné au Palais national du Directoire exécutif, sous le
sceau de la République française, le 18 pluviôse an V.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
DE LACROIX.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 18 mai 1797.

Citoyens Représentants,
Votre chère lettre du 18 pluviôse(1) nous a été remise par
votre Consul, le citoyen Jeanbon Saint-André
Nous apprenons avec la plus douce satisfaction par vous-mê-
mes, Citoyens Représentants, les brillantes victoires remportées
par vos armées(2). Notre sujet, Simon Abucaya, qui a l’honneur
de se trouver auprès de vous, n’a pas laissé de nous informer de
temps en temps des succès de vos vaillants guerriers, commandés
par des Chefs dignes de votre estime et de votre confiance. La
simple énumération de vos conquêtes fait l’éloge de vos troupes,
et nous observons que la Corse est rentrée derechef sous votre
domination.
Il nous a été agréable de recevoir cette nouvelle officielle-
ment, au moment de la sortie de nos corsaires, qui ont les ordres
les plus précis de respecter tous les bâtiments corses qui navigue-
ront sous le pavillon de la République française, et qui se trouve-
ront munis de passeports français.
Bacri et Busnach, nos sujets, nous ont fait part du rapport
très mal fondé qui vous a été fait, sur ce que nous aurions ac-
____________________
1. Voy. p. 460.
2. Voy. p. 461.
AVEC LA COUR DE FRANCE 463

cordé aux Anglais le commerce de la Compagnie d’Afrique, et


que les Anglais auraient obtenu cette faveur par l’entremise des
dits Bacri et Busnach. Vous devez nous croire, Citoyens Repré-
sentants, incapable de manquer d’une manière si grave aux Fran-
çais, nos anciens amis et alliés ; aussi bien nous vous assurons
de la fidélité incorruptible et de l’attachement des dits Bacri et
Busnach, par rapport à tout ce qui regarde les intérêts de la nation
française(1).
En conséquence, et pour vous prouver combien nous sou-
haitons de cimenter la bonne intelligence qui subsiste depuis un
siècle entre ce Gouvernement et le peuple français, nous sommes
disposé à fournir, durant la guerre, les bestiaux et les provisions
nécessaires à l’approvisionnement de vos braves armées, et du
reste tout ce que ce Royaume fournit pour vos besoins, toutes les
fois que les nécessités de nos propres sujets n’en empêcheront
pas l’exportation. Nous tâcherons de satisfaire aux demandes de
la République de la manière la plus prompte et la plus loyale.
Nous vous demandons seulement que nos sujets soient trai-
tés chez vous avec égards, particulièrement la maison de Bacri et
le nommé Simon Abucaya qui vous remettra la présente. Nous re-
garderons comme une faveur, Citoyens Représentants, que vous
daigniez rembourser promptement le dit Simon Abucaya de ses
avances, afin qu’il soit en état de continuer ses affaires(2). Nous
____________________
1. Pendant les années 1796 et 1797, les Bacri firent de nouvelles fournitures de
blés à l’armée de Bonaparte. Leur représentant à Paris, Abucaya, ne tarda pas à présenter
des comptes, et à réclamer au Directoire la liquidation des créances algériennes. Mais
Jeanbon Saint-André, notre Consul à Alger, mieux placé que personne pour juger la na-
ture de l’influence de ces Juifs sur l’esprit de Sidi Hassan, fit connaître au Ministre des
relations extérieures qu’il convenait de différer le payement réclamé par eux et de déjouer
leurs intrigues. « En retenant ainsi les sommes dues à ces Juifs, écrivit de Lacroix à son
collègue des finances, nous les empêcherons de se distraire entièrement de nos intérêts,
et nous les forcerons à plus de circonspection dans leurs procédés obligeants envers les
Anglais, qu’ils ne servent aujourd’hui avec tant de zèle que parce que leur présence en
Barbarie leur offre l’espoir certain de nouveaux bénéfices. » Lettre du citoyen de Lacroix
au citoyen Ramel, le 6 floréal an V. — Voy. aussi Lettres du citoyen Jeanbon Saint-André
au citoyen de Lacroix, les 1er nivôse et 26 pluviôse an V, — Lettres de Jacob Cohen Bacri
et de Simon Abucaya au citoyen de Lacroix, les 20 messidor et 3 thermidor an IV.
2. Le Dey s’était plaint au Consul de ce que notre négligence à rembourser les
Bacri portait préjudice à la Régence, créancière elle-même de ces Juifs.
464 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nous flattons de cette bonté de votre part, et vous prions d’être


persuadés que nous vous payerons, en pareille occasion, du plus
juste retour.
Donné à Alger, au Palais de la Régence, ce 21 du mois de
Zilcadé, l’an 1211 de l’hégire.
(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger.

LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIE DU PEUPLE FRANÇAIS.

Paris, le 16 messidor an V (28 juillet 1797).

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous devons aux sentiments d’amitié qui vous unissent à la
République française d’entrer directement avec vous en explica-
tion sur vos dernières déterminations, relativement aux bâtiments
neutres qui ont été conduits dans vos ports par nos corsaires. Cet-
te explication sera franche et loyale, comme il convient à des
amis.
Vous savez que depuis le commencement de la guerre les
Anglais ont, au mépris du droit des gens, arrêté et capturé à bord
des neutres tout ce qui était destiné pour les ports français ou
pour ceux de nos alliés. Il était du devoir du Directoire exécutif
de mettre un terme à ce brigandage politique et il a arrêté, le 14
messidor dernier, que les armements français saisiraient sur les
neutres toutes les marchandises à destination ou pour le compte
d’ennemis.
En conséquence de ces dispositions, trois prises neutres ont
successivement été conduites par nos corsaires dans le port d’Al-
ger. Vous avez ordonné leur renvoi, et vous avez en même temps
fait dire à notre Consul qu’il vous répugnait d’admettre des prises
AVEC LA COUR DE FRANCE 465

neutres, mais que vous donneriez l’entrée à celles faites sur les Anglais.
Cette détermination ne nous semble point conforme à l’es-
prit de nos traités. L’admission de nos prises anglaises ne balance
point pour nous le désavantage que peut nous causer votre refus de
donner l’entrée à. nos prises neutres, puisque le commerce d’An-
gleterre dans la Méditerranée ne se fait que sur bâtiments neutres et
qu’aucun bâtiment marchand ne s’y montre sous pavillon anglais;
ils paraissent ici spécialement favorisés, eux qui n’ont cessé de
saisir toutes les marchandises destinées pour la France sans égard
pour aucun pavillon. Ce n’est qu’après plusieurs années d’une pa-
tience inutile que nous avons pris le parti d’user de représailles,
et certes il n’y a rien là d’offensant pour les neutres, puisque leurs
propriétés restent intactes dans nos mains. C’est seulement la
propriété ennemie que nous attaquons, c’est elle seule que nous
saisissons. Lorsque les papiers de bord établissent d’ailleurs bien
clairement la neutralité du bâtiment, il est relâché; si au contraire
sa neutralité n’est pas bien prouvée, alors il est lui-même saisi. La
présence d’objets de contrebande ne change pas nos principes; ils
sont d’abord confisqués et c’est un usage généralement adopté par
toutes les Puissances maritimes, mais le bâtiment reste toujours
libre avec le surplus de son chargement qui n’est pas propriété
ennemie, si d’ailleurs ses papiers sont en règle.
Si les neutres pouvaient se plaindre de cette conduite, toute
mesurée qu’elle est, nous serions fondés à leur répondre qu’elle
trouve son autorisation dans la faiblesse avec laquelle ils ont lais-
sé violer leur neutralité par les Anglais. Ont-ils toujours respecté
la vôtre ? Deux de leurs bâtiments ont en dernier lieu arraché à
l’un de vos corsaires une frégate, dont ils se sont emparés après
un combat opiniâtre dans lequel plusieurs Algériens ont été tués
et beaucoup d’autres blessés ; ils ont de plus arrêté deux bâti-
ments de votre domination, l’un chargé à l’île de France pour
Livourne, l’autre chargé de blé à Bône. Ce dernier a été conduit
à Porto-Ferrayo où ils l’ont confisqué.
D’après cet exposé, nous sommes convaincus que vous ré-
voquerez l’ordre, surpris à votre religion, par lequel vous fermez
466 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

vos ports aux prises neutres qui pourraient y être conduites par
nos corsaires(1) ; c’est une satisfaction que nous vous demandons
comme conforme à l’esprit de nos traités, aux sentiments d’ami-
tié qui existent entre vous et la République française, comme
convenable enfin à votre dignité sans cesse blessée par les An-
glais. Eux seuls restent aujourd’hui nos ennemis ; des conditions
préliminaires de paix ont été signées entre la République fran-
çaise et l’Empereur d’Allemagne ; elles seront sans doute bientôt
suivies d’un traité définitif(2). L’Angleterre, ainsi abandonnée de
tous les coalisés, paraît vouloir enfin mettre un terme aux hosti-
lités, et déjà des Commissaires sont de part et d’autre nommés
pour entrer en négociation. Puissent leurs conférences rendre la
paix à l’Europe ! C’est notre vœu bien sincère, mais, jusqu’à ce
qu’il soit rempli, nous devons conserver une attitude défensive,
et nous insistons en conséquence pour que toutes nos prises in-
distinctement soient admises dans vos ports.
Fait à Paris, au Palais national du Directoire exécutif, le 16
messidor de l’an V de la République française, une et indivisi-
ble.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
TALLEYRAND(3).
____________________
1. Les représentations de notre agent furent accueillies sans discussion, et Hassan
s’excusa même, en invoquant la crainte de la peste, sur le motif qui l’avait porté à. refuser
l’entrée de ses ports aux prises neutres. Voy. Lettres du citoyen Jeanbon Saint-André au
citoyen de Lacroix, les 24 messidor an V et 20 brumaire an VI.
2. Les Préliminaires de Léoben, signés le 18 avril 1797.
3. Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent, Évêque d’Autun
en 1789, Député à l’Assemblée constituante, Ambassadeur à Londres en 1792, 4 fois Mi-
nistre des affaires étrangères, du 19 juillet 1797 au 19 juillet 1799, du 22 novembre 1799
au 11 juin 1807, du 13 mai au 10 septembre 1814, enfin du 8 juillet 1815 au 23 septembre
1816, et Ministre plénipotentiaire à Londres de 1830 à 1834.
AVEC LA COUR DE FRANCE 467
LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE FRANÇAIS.

Paris, le 7 vendémiaire an VI (28 septembre 1797).

Illustre et magnifique Seigneur,

Le Directoire exécutif, d’après la demande que vous lui


avez fait faire par son Consul, a écrit à Venise pour réclamer 96
Algériens détenus à Corfou(1). Son intervention dans cette affaire,
a eu l’effet que vous désiriez, et il se fait un plaisir de vous an-
noncer la mise en liberté de ces individus avec le chebek qui les
transportait, et dont le Gouvernement vénitien a donné les ordres
nécessaires pour le prompt embarquement et la sûreté de la tra-
versée.
Le Directoire exécutif, en se rappelant que l’ascendant de la
République française a en outre garanti de l’esclavage ou arraché
à la captivité 400 passagers musulmans à Zante(2), 32 Algériens
à Gênes et 13 à Livourne, pense que vous ne trouverez rien que
de très fondé dans la demande qu’il vous adresse de rendre à la
liberté quelques Français ou Italiens, pris sous pavillon français,
qui sont esclaves à Alger depuis plusieurs années(3). Ces malheu-
reux se trouvent aujourd’hui réduits à 80, au moyen de la remise
de l’un d’eux que vous avez faite dernièrement au Consul de la
République française. Le Directoire exécutif a été très sensible à
____________________
1. Ces Algériens se trouvaient sur un chebek appartenant au Bey d’Oran. Ils
n’avaient pas connaissance de la guerre et, pressés par le besoin de provisions de bouche,
ils avaient relâché à Corfou et y avaient été aussitôt arrêtés. Voy. Lettre du citoyen Jean-
bon Saint-André au citoyen de Lacroix, le 24 messidor an V.
2. L’article 5 du traité de Campo-Formio donnait à la République française la
souveraineté des Iles autrefois vénitiennes de Corfou, Zante, Céphalonie, Sainte-Maure,
Cérigo et dépendances.
3. « Le Dey ne peut faire à cet égard aucune difficulté, puisqu’il doit à l’influence
de la République la mise en liberté d’une quantité considérable de ses sujets. » Voy. Lettre
du citoyen Talleyrand au citoyen Jeanbon Saint-André, le 2 ventôse an VI. — Voy. aussi
Note de ce qui a eu proposé au Directoire exécutif en faveur des Français esclaves à Al-
ger, le 1er frimaire an V. (Archives des affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
468 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

cet obligeant procédé, et il vous presse d’y mettre le complé-


ment en brisant les fers des 80 autres ; il espère que vous ne vous
refuserez pas à cette compensation des nombreuses restitutions
que son influence vous a procurées, et la donner ce gage de la
sincérité des sentiments d’amitié que vous professez pour la Ré-
publique française. Le Directoire exécutif vous assure à l’avance
de toute sa reconnaissance, ainsi que de vœux qu’il forme pour la
prospérité de votre personne et de vos États.
Donné au Palais national du Directoire exécutif, à Paris, le
7 vendémiaire de l’an VI de la République française.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
TALLEYRAND.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE(1).

Alger, le 29 septembre 1797.

Citoyens Représentants,
Nous avons reçu avec un grand plaisir votre lettre du 16
messidor dernier(2), dans laquelle vous nous faites part des ordres
que vous avez donnés à votre Consul Jeanbon Saint-André de
faire repartir pour un autre pays les prises neutres que vos cor-
saires ont conduites ici. Ces ordres arrivèrent à l’époque où nous
approchions de la peste, et si nos sujets eussent fait acquisition
des effets de ces prises, et qu’il fût mort quelqu’un de ceux qui
auraient acheté de ces marchandises, nous aurions eu des casse-
têtes pour les payements. On avait donc jugé qu’il était à propos
que ces ordres fussent donnés à votre Consul, pour éviter tout
inconvénient entre nous.
____________________
1. L’original est en langue italienne.
2. Voy. p. 464.
AVEC LA COUR DE FRANCE 469

A peine eûmes-nous reçu votre lettre que nous nous empres-


sâmes de vous donner des marques du plaisir que nous procure la
continuation de notre longue et ancienne amitié et alliance. A cet
effet, il a été signifié à votre Consul qu’il ordonnât aux corsaires
français de conduire ici et dans tous nos ports leurs prises, tant
sous pavillon neutre que les prises ennemies, et qu’elles seraient
bien reçues dans tous nos États.
Quant aux insultes que nous a faites la nation britannique,
ne croyez pas que nous nous taisions, car nous prétendons pour
indemnité du dommage fait à l’un de nos corsaires la somme de
40 000 piastres fortes d’Espagne et tous les dommages qu’ont
essuyés nos sujets. Et pour la corvette française qui fut prise par
la susdite nation dans le port de Bône, quoiqu’au delà de la por-
tée du canon, on a exigé d’elle qu’elle ramenât la corvette même
dans l’état où elle se trouvait à l’époque de la capture, ou qu’elle
payât la somme de 60 000 piastres fortes d’Espagne. Et si elle ne
satisfait pas à nos prétentions, vous verrez et apprendrez ce qui
s’ensuivra avec la susdite nation, car vous serez informés à temps
de ce qui sera résulté à ce sujet(1).
Il y a quatorze mois que votre Consul réside auprès de nous ;
il nous a continuellement demandé des faveurs au nom de la Ré-
publique française et nous les lui avons toujours accordées par
respect pour elle, et nous continuerons de lui accorder, comme
aussi aux individus français, tout ce qui nous sera demandé en
votre nom. Mais nous désirons que nos sujets résidant dans vos
États soient traités de la même manière, et tout ce que vous ferez à
l’avantage de nos sujets, et en particulier de ceux qui vous ont été
recommandés dans nos lettres, nous le regarderons comme fait à
____________________
1. Une frégate française, L’Unité, avait été capturée par les Anglais au mouillage
de Bône ; Jeanbon Saint-André avait eu à ce sujet une entrevue avec le Dey, au cours de
laquelle Hassan lui avait déclaré « qu’il romprait avec les Anglais s’ils ne restituaient pas
cette prise avant le 1er janvier prochain. ». Ceux-ci ayant refusé de nous donner satis-
faction, leur Consul reçut l’ordre de s’embarquer. Voy. Lettres du citoyen leanbon Saint-
André aux citoyens de Lacroix et Talleyrand, les 6 messidor an V, 9 et 11 vendémiaire an
VI. — Voy. aussi Lettre du citoyen Guibert, agent d’Afrique à Bône, au citoyen Herculais,
le 2 floréal an IV, publiée dans l’Histoire de La Calle, par Féraud, p. 535.
470 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nous-même, et en récompense nous favoriserons vos sujets dans


tout ce qu’ils pourront demander. Nous vous souhaitons le bon-
heur dans vos conquêtes.
Fait à Alger, le 29 septembre 1797, c’est-à-dire le 7 de Re-
bi-el-aker, l’an 1212 de l’hégire.
(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger.

SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,


AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 22 octobre 1797.

Citoyens Directeurs,

Ayant déjà répondu à votre lettre très amicale en date du


16 messidor(1), je n’ai qu’à vous en répéter le contenu et à vous
renouveler les assurances très sincères de mon attachement et de
mon amitié inviolables à la République et à la nation française, et
de mon estime très particulière pour vous. Je crois vous en avoir
donné des preuves non équivoques, Citoyens Directeurs, non
seulement avant la Révolution, mais encore plus après le com-
mencement de cet événement remarquable. J’ai témoigné tant de
partialité pour la République française que ses ennemis, en paix
avec moi, s’en sont très souvent et très amèrement plaints, et je
ne cesserai jamais de témoigner à tout le monde qu’il n’y a pas de
nation que j’aime ni Gouvernement que j’estime autant que la Ré-
publique française. Ce sont ces sentiments qui m’ont fait souffrir
jusqu’ici, avec une patience peu conforme à mon caractère person-
nel et avec le caractère en général de toutes les Puissances musul-
manes, la conduite insupportable de votre Consul près de moi et
____________________
1. Voy. p. 488.
AVEC LA COUR DE FRANCE 471

de mon Divan, M. Jean-bon Saint-André(1), laquelle est, arrivée


à un tel point qu’il ne peut pas être possible qu’il y ait été auto-
risé par vos ordres et instructions. Si vous en aviez été informé,
il vous aurait fortement déplu de voir un de vos représentants se
conduire d’une manière si opposée à vos intentions envers un
ami toujours disposé à vous obliger en tout ce qui dépendra de
lui. En recevant ces informations de ma part, vous y prêterez tou-
te votre attention. J’ose aussi me flatter que, de votre part, vous
m’obligerez en me délivrant d’un homme qui ne cherche et ne
désire autre chose que des occasions de s’embrouiller personnel-
lement avec mes sujet, tant les soldats que les négociants, traitant
avec moi en toutes ses affaires, tant officielles que privées, d’une
manière brusque et insensée, témoignant le désir qu’il a de faire
naître des mésintelligences entre moi et son Gouvernement, tan-
tôt tenant des propos injurieux dans les sociétés sur mon sujet,
tantôt refusant d’une manière imposante de venir me voir quand
pour des affaires je le fais appeler, ce qui jusqu’ici n’a jamais
eu d’exemple en Alger, et ce qui aurait coûté très cher, dans le
premier moment de mon juste ressentiment, à tout autre Consul
ici, hors celui qui représente une nation et un Gouvernement que
j’honore et que j’estime plus qu’aucun autre. C’est pour cette
considération que j’ai souffert avec patience de telles choses, es-
pérant trouver en votre amitié la réparation et la satisfaction aux-
quelles je devais m’attendre. C’est pour cette considération que
j’ai encore continué à accorder au dit M. Jeanbon Saint-André un
nombre de faveurs qu’il m’a demandées toujours en votre nom et
d’après vos ordres, quoique souvent après j’ai été positivement
et par des faits informé qu’une grande part de ces faveurs a été
pour lui-même en particulier ou pour ses amis, sans que vous en
ayez eu la moindre connaissance, et de cette façon je ne puis plus
____________________
1. Jeanbon Saint-André avait fait preuve d’une grande habileté en faisant valoir
auprès du Dey d’Alger les victoires de Bonaparte, le châtiment de Venise, la libération
des esclaves musulmans de Gènes, de Livourne, des Iles de Zante et de Corfou, mais le
Directoire lui avait ordonné de signifier aux Algériens « que la République n’entendait
plus leur vendre son amitié et notre agent s’était trouvé dans la nécessité de refuser aux
Puissances les présents qu’elles avaient pour ainsi dire exigés de nous jusqu’alors. C’était
assurément le seul grief qui motivait ces plaintes et ces récriminations.
472 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

me fier à ce qu’il me dira de votre part. Ainsi, Citoyens Direc-


teurs, j’exige en ami qui désire vivre toujours en paix, amitié
cordiale et bonne harmonie avec vous et votre nation, que vous
me fassiez le plaisir de rappeler le plus tôt possible ce Consul
Jeanbon Saint-André et que vous m’envoyiez un autre Consul,
auquel j’espère pouvoir montrer combien je suis votre ami, de
préférence à tout autre Gouvernement, en lui accordant tout ce
qu’il me demandera tant de votre part que de la sienne.
Agréez, Citoyens Directeurs, les sincères assurances de ma
parfaite estime et sincère amitié.
Écrit à Alger, le 22 octobre 1797, ou le 1er de Djemazi-el-
ewel, l’an 1212.
(Sceau)
HASSAN,
Dey et Gouverneur d’Alger.
LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
A SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE FRANÇAIS.

Paris, le 26 frimaire an VI (18 décembre 1797).

Illustre et magnifique Seigneur,


Des circonstances relatives au service de la République fran-
çaise nous ayant mis dans le cas de rappeler d’Alger le Consul
Jeanbon Saint-André pour lui conférer un autre emploi(1), nous
lui avons donné pour successeur le citoyen Moltedo, dont la pro-
bité, le zèle et les talents nous sont connus(2). Nous sommes per-
____________________
1. Il fut nommé Consul général à Smyrne, fut arrêté par les Turcs en qualité d’ota-
ge, conduit à la prison des Sept Tours à Constantinople, puis relégué à Kérasonde, sur les
bords de la mer Noire. Remis en liberté en 1801, après trois ans de captivité, il fut chargé
par Bonaparte de l’organisation des quatre départements de la rive gauche du Rhin, et
devint préfet de Mayence.
2. Dominique-Marie Moltedo, nommé Consul général de la République à Alger
par arrêté du 8 frimaire an VI, était alors à Ajaccio. Il avait, été nommé commandant d’un
des bataillons d’infanterie créée, le 4 février 1793, pour combattre l’insurrection fomen-
tée dans l’île par Paoli, mais il n’avait pu parvenir à réunir ses hommes; il avait été arrêté
et emprisonné pendant l’occupation anglaise, sa maison de commerce et ses propriétés
AVEC LA COUR DE FRANCE 473

suadés que le choix que nous avons fait de lui vous sera agréa-
ble, et qu’il saura mériter par sa conduite votre amitié et votre
confiance. Nous lui donnons l’ordre de vous assurer de notre
attachement et de notre estime, et nous le chargeons en même
temps de vous présenter cette lettre, pour l’accréditer auprès de
votre personne en qualité de Consul général et Chargé des affai-
res de la République française. Vous pouvez, en conséquence,
ajouter entière foi et créance à tout ce qu’il vous dira en notre
nom, soit pour le bien du service dont il est chargé et les intérêts
des Français dans votre pays, soit pour le maintien de la bonne
intelligence si heureusement établie entre les deux nations. Re-
cevez ici de nouveau, illustre et magnifique Seigneur, l’assurance
de notre haute considération, et l’expression sincère de nos vœux
pour votre prospérité et celle des États que vous gouvernez.
Donné à Paris, au Palais du, Directoire exécutif, le 26 fri-
maire an VI.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
TALLEYRAND.
____________________
avaient été dévastées, et Jean-François Moltedo, son frère, Député à la Convention, avait
demandé pour lui un dédommagement pour les pertes qu’il avait subies en servant la Ré-
publique. Il fut conduit à son poste sur la frégate L’Altesse, commandée par le capitaine
Bané, et y arriva le 18 floréal an VI. Il ne tarda pas à se voir aussi mal vu que son pré-
décesseur, en raison de son obstination à ne pas donner de présents, et fut même insulté
publiquement dans les rues d’Alger. Le Dey lui refusa la liberté de plusieurs esclaves
italiens réclamés par le Directoire, et l’obligea à changer la résidence du Consulat, sous
prétexte qu’il était désireux d’y loger ses femmes. Nos représentants occupaient cette
maison depuis 112 ans, et payaient un loyer annuel de 100 piastres et 5 pics de drap à la
famille d’Ismaël-reïs qui en était propriétaire. « Si je ne craignais, écrivait Moltedo, de
compromettre les vues de mon Gouvernement, je pourrais bien prendre tout ceci pour un
honnête congé, mais je crois devoir sacrifier mes motifs personnels à la tranquillité, en
disant cependant : Voilà leur crainte et la considération qu’ils ont pour nous. » — Il avait à
se plaindre aussi de l’hypocrisie des Bacri, dont Jeanbon Saint-André avait déjà dénoncé
les manœuvres antifrançaises, et il suppliait Talleyrand, bien disposé pour eux, de leur
retirer la confiance que ces Juifs avaient usurpée. Voy. Rapport au Directoire exécutif sur
les mauvais procédés de la Régence d’Alger à notre égard, le 9 fructidor an VI, — Lettres
du citoyen Moltedo au citoyen Talleyrand, les 11, 15 et 20 messidor, 1er thermidor an VI.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi Procès-verbal de la
chancellerie du Consulat d’Alger, le 4 fructidor an VI. (Les Archives du Consulat général
de France à Alger, par Devoulx, p. 130.)
474 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
SIDI HASSAN, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE FRANÇAIS.

Paris, frimaire an VI (décembre 1797).

Illustre et magnifique Seigneur,


Nous avons reçu la lettre que vous avez pris la peine de nous
écrire le 22 octobre 1797(1). Vous rappelez d’abord celle que nous
vous avons adressée le 16 messidor(2), et la réponse que vous y
avez faite sous la date du 29 septembre(3).
Nous sommes bien aises d’avoir cette occasion de vous en
accuser la réception, et de vous dire combien nous avons été sen-
sibles à l’empressement avec lequel vous avez ordonné que les
prises, faites par nos corsaires sui les neutres, auraient désormais
l’entrée dans ceux de vos ports où elles pourraient être condui-
tes(4). Nous avons vu dans cette détermination une nouvelle preuve
de la sincérité des sentiments d’amitié que vous professez pour la
République française, et nous aimons à vous en témoigner no-
tre reconnaissance. Vous nous donnez aujourd’hui de nouvelles
assurances de cette ancienne et constante amitié qui a éveillé la
jalousie dans l’âme de nos ennemis. Dans leur aveugle et impuis-
sante fureur, ils ont dû voir avec grand déplaisir un Souverain tel
que vous rester inviolablement uni à notre République, qu’ils ont
attaquée avec tant d’acharnement ! Les plaintes amères qu’ils
vous ont à cet égard fait parvenir, leurs insinuations perfides, tout
démontre qu’ils sentent bien l’avantage de votre alliance. Nous
savons comme eux combien elle est précieuse, et autant ils ont
fait d’efforts pour nous la ravir, autant nous sommes disposés a en
faire pour la conserver dans toute son intégralité. Nous ne saurions
trop tous remercier de la fermeté que vous avez opposée à leurs
____________________
1. Voy. p. 470.
2. Voy. p. 464.
3. Voy. P. 468.
4. Voy. la note 1, p. 466.
AVEC LA COUR DE FRANCE 475

suggestions mensongères, et la publicité que vous vous plaisez


à donner à la prédilection toute particulière avec laquelle vous
êtes disposé à traiter la nation française nous est le garant le plus
sûr, comme le plus flatteur, de la sincérité de vos sentiments. Les
nôtres ne sont pas plus équivoques, et c’est notre vœu bien pro-
noncé de continuer à être vos fidèles amis. Nous nous sommes, en
conséquence, empressés de consentir à la demande que vous nous
avez fait faire d’un constructeur de navires, et aussitôt que votre
désir à cet égard nous a été connu, nous avons donné les ordres
convenables pour qu’il fût fait choix d’un sujet capable de diriger,
d’une manière satisfaisante, les travaux que vous vous proposez
de confier à sa surveillance(1). Nous espérons que celui que nous
chargerons de cette mission remplira parfaitement vos vues, et
comme on ne saurait trop se presser lorsqu’il s’agit d’obliger ses
amis, nous hâterons son départ autant qu’il sera possible.
Avant de recevoir votre lettre, nous avions déjà retiré le
citoyen Jeanbon Saint-André du poste qu’il occupait auprès de
vous(2). Nous avons nommé pour le remplacer le citoyen Molte-
do(3). Nous venons de terminer la guerre, et la paix a été signée le
26(4). L’Angleterre est donc aujourd’hui notre seule ennemie. Son
____________________
1. Le Consul Jeanbon Saint-André avait offert au Dey « tout ce que l’amitié de la
France pouvait faire pour lui ». Hassan lui avait alors parlé de son mécontentement des An-
glais, de ses préparatifs de guerre contre eux, et de son désir d’avoir auprès de lui un homme
entendu pour diriger les travaux de sa marine, construire plusieurs chebeks et surveiller son
arsenal. Notre agent s’était empressé de lui promettre un fondeur, mais le Directoire avait
hésité à accueillir cette demande, et « à donner à la Régence le moyen d’augmenter ses for-
ces ». Voy. Rapport au Directoire exécutif sur la demande d’un constructeur de navires, à
l’occasion de la guerre que le Dey parait vouloir déclarer d l’Angleterre, brumaire an. VI.
« Il parait convenable d’accorder au Dey le constructeur qu’il demande. En même temps on
prescrira à celui-ci de mettre beaucoup de lenteur dans ses opérations, d’en entamer beau-
coup et d’en achever très peu, en se bornant à mettre le port et la ville d’Alger dans un état
de défense respectable, en un mot d’avoir l’air de faire beaucoup, mais de faire réellement
très peu de chose. De cette manière, nous atteindrons le seul but qui peut nous intéresser,
qui est de fermer aux Anglais les ports de la Régence, sans d’ailleurs ajouter à Ses moyens
actuels d’agression. » — L’ingénieur Geoffroy arriva à Alger en même temps que Moltedo,
mais Hassan vint à mourir, comme on le verra plus loin, et Mustapha, son successeur, dé-
clara à notre fondeur qu’il n’avait pas besoin de lui et qu’il pouvait rentrer dans sa patrie.
2. Voy. la note 1, p. 472.
3. Voy. la note 2, p. 472.
4. Le traité de Campo-Formio, signé le 26 vendémiaire an VI (17 octobre 1797).
476 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

perfide Gouvernement a envers vous des torts trop multiples et


trop graves pour que vous hésitiez à lui déclarer la guerre si vous
ne recevez pas, dans le délai que vous avez vous-même fixé, les
satisfactions que vous avez le droit d’en exiger(1).
Agréez, illustre et magnifique Seigneur, les assurances de
notre parfaite estime et sincère amitié.
Donné à Paris, au Palais national du Directoire exécutif,
sous le sceau de la République française une et indivisible, dans
le mois de frimaire de l’an VI.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
TALLEYRAND.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER(2),


AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, juin 1798.

Mustapha Pacha qui, au nom de Sa Hautesse le Sultan Sé-


lim, fils de Sultan, Prince des Princes, l’ombre de Dieu sur les
deux parties de la terre, l’Empereur de la nation ottomane, l’asile
du monde, — Que Dieu perpétue sa grandeur jusqu’au jour du
jugement dernier ! — est le magnifique, très honoré Vizir, Pacha
à trois queues, Prince et Commandant l’Odjak(3) d’Alger, et Gou-
verneur des pays arabes de l’Afrique,
A nos illustres et chers amis composant le Directoire de la
République française, administrateurs de la puissance de la na-
tion française, de la croyance du Messie Jésus.
Nous nous informons de vos santés avec toute la perfection
____________________
1. Voy. la note 1, p. 469.
2. Sidi Hassan mourut le 14 mai 1798, d’un mal de pied que l’ignorance des mé-
decins avait laissé empirer. Son successeur, Mustapha, alors Khaznadji de la Régence,
était loin d’avoir son mérite et sa générosité; il se montra au contraire d’un esprit des
plus bornés, et d’une nature avare, irascible et cruelle. Son premier acte politique fut de
nous réclamer l’argent prêté par Sidi Hassan. Voy. Lettre du citoyen Moltedo au citoyen
Talleyrand, le 26 floréal an VI.
3. Le corps de la Milice.
AVEC LA COUR DE FRANCE 477

de l’amitié et de la sincérité. — Que votre félicité soit perpé-


tuelle ! —
Le magnifique Pacha Hassan, notre oncle, Prince d’Alger,
étant tombé malade il y a un mois, a succombé par l’ordre de Dieu
et nous avons été, avec la connaissance de tout notre Divan, ins-
tallé Commandant de l’Odjak et Prince des pays d’Alger. — Que
la Majesté divine rende notre vie et notre fin heureuses ! —
Illustres et chers amis, nous continuerons à être unis et amis,
de la même manière que nous l’avons été de temps immémorial
avec la nation française. Ce qui sera demandé et désiré de notre
part et de votre part ne sera point refusé ; dans toutes-les affaires,
vous reconnaîtrez comme auparavant notre amitié.
Illustres amis, les nommés Bacri et Abucaya, Juifs sujets de
notre pays, sont d’anciens et affidés serviteurs de notre Gouver-
nement. Les 200 000 piastres fortes que feu Hassan Pacha a prê-
tées amicalement, il y a quelques années, à vous nos amis nous
étant présentement nécessaires, remettez-les entre les mains des
susdits Bacri et Abucaya(1).
En outre de cela, vos corsaires ont rencontré et capturé dans
l’Océan un navire venant d’Angleterre et muni des papiers du
susdit Bacri, sujet d’Alger ; les marchandises et effets qui étaient
à bord de ce navire appartiennent à notre pays(2). Combien y a-t-il
____________________
1. Le Ministre des finances avait pris les mesures nécessaires pour assurer le rem-
boursement de ces 200 000 piastres (voy. la note 1, p.459). Trois lettres de change, tirées
sur Jacob Cohen Bacri à Alger, et s’élevant ensemble au chiffre de cette créance, furent
présentées au citoyen Ramel qui mit son endossement sur ces effets et qui les fit passer
à Moltedo, en lui prescrivant de remettre les fonds entre les mains du nouveau Dey. Ce
procédé avait l’avantage d’éviter le transport des espèces, les assurances de mer et les
commissions aux Juifs. Voy. Lettres des Commissaires de la Trésorerie nationale au ci-
toyen Talleyrand, le 29 prairial an VI, et du citoyen Talleyrand au citoyen Moltedo, le 9
messidor an VI. — Voy. aussi Extrait des registres de la chancellerie du Consulat d’Alger,
le 3 vendémiaire an VII, portant la mention suivante :
« J’ai reçu du citoyen Moltedo, Consul général de la République française à Alger,
la somme de deux cent mille piastres fortes, pour quittance. Alger, le 22 septembre 1798.
Les deux cent mille piastres fortes mentionnées ci-dessus ayant été entièrement comptées
et soldées, il en a été fait le présent reçu. L’an de l’hégire 1213, de la lune de Rebi-el-aker,
à la Ville d’Alger la guerrière, la bien gardée. (Sceau) Mustapha, fils d’Ibrahim.
2. La maison Bacri avait fait charger à Londres, sur le navire danois La bonne
Espérance, divers objets destinés au Dey d’Alger. Capturée par la frégate française Le
478 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

d’années que l’argent du susdit Bacri, notre sujet, est dû par vous,
et combien de fois feu Hassan Pacha vous a-t-il écrit pour que
vous remettiez cet argent ? La remise n’en a pas été faite.
Le nommé Mollah Mohammed a porté du blé en France et
l’a vendu à votre Gouvernement, et depuis un si long temps il m’a
pas pu avoir le prix de ces blés. Le fait est que cet argent venant
de feu Hadji Ali, Chargé d’affaires d’Alger à Tunis, il faut qu’il
soit consigné par vous au Trésor public d’Alger ; vous n’avez pas
encore, payé cet argent(1).
Un navire du même susdit Bacri, sujet d’Alger, étant allé en
France chargé de blé, vos corsaires l’ont arrêté et l’ont conduit en
France; vous ne l’avez point restitué(2).
Illustres et chers amis, à l’arrivée de notre présente lettre
vous remettrez en entier, entre les mains du sujet d’Alger Bacri,
les 200 000 piastres fortes qui sont en vos mains, le chargement
du navire venant d’Angleterre, les sommes de Bacri que vous de-
vez, le prix des blés de Mollah Mohammed et le blé du navire de
Bacri qui devait se rendre à Marseille, parce que des affaires de
cette nature sont des sujets de froideur et d’altération entre nous.
Envoyez-nous la réponse à notre lettre d’amitié. — Que Dieu
Très-Haut rende notre amitié ferme et permanente ! Que votre
félicité et votre gloire se perpétuent ! —
(Sceau)
MUSTAPHA,
Prince et Commandant d’Alger.
____________________
Requin, de Cherbourg, sous prétexte que la loi du 29 nivôse an VI déclarait de bonne prise
les bâtiments chargés de marchandises anglaises, La bonne Espérance fut conduite au
port de Fécamp, et le tribunal de commerce de cette ville confirma la validité de la saisie.
Voy. Mémoire sur le navire La bonne Espérance pour Simon Abucaya, Charge, d’affaires
du Dey d’Alger, — Lettre du citoyen Moltedo au citoyen Talleyrand, le 19 floréal an VI.
1. Voy. Rapport au Directoire exécutif sur l’enlèvement de deux bâtiments chargés
de grains, capturés à la vue du port de Livourne par le corsaire français Le Patriote, le 9
vendémiaire an VII. Ce rapport conclut à la restitution du prix des grains aux armateurs.
2. Un chargement de blé, expédié par les Bacri de Bône à Marseille, sur le navire
suédois Le Basta, fut capturé par les Anglais dans la rade de Calliery et repris peu après
par une de nos frégates. La cargaison fut débarquée el employée au service de notre armée
d’Italie. Voy. Lettre du citoyen Talleyrand au citoyen Moltedo, le 3 nivôse an V. (Archives
des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 479
LE DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE, LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
A MUSTAPHA, DEY D’ALGER,
ANCIEN AMI ET ALLIÉ DU PEUPLE FRANÇAIS.

Paris, le 24 messidor an VI (12 juillet 1798).

Illustre et magnifique Seigneur,

Nous avons reçu votre lettre amicale par laquelle vous nous
annoncez votre avènement au trône d’Alger(1). Nous vous en
félicitons d’autant plus sincèrement que nous sommes bien per-
suadés que vous avez pour la République française les mêmes
sentiments d’affection et d’attachement que votre prédécesseur,
le magnifique Pacha Hassan, lui avait voués. Les assurances
que vous nous donnez à cet égard nous ont infiniment flattés,
et vous ne devez pas douter que nous ne soyons très disposés à
maintenir par tous les moyens possibles la bonne harmonie qui
existe si heureusement entre la République française et la Ré-
gence d’Alger.
Votre lettre contient quelques objets de réclamations pécu-
niaires qui sont particulièrement relatives à des sujets musulmans
ou juifs de votre pays. Nous n’entrerons pas ici dans les détails
qu’ils pourraient comporter, parce que de pareilles questions ne
nous semblent pas devoir être traitées dans une lettre amicale
telle que celle que nous vous écrivons. Mais nous allons char-
ger notre Consul, le citoyen Moltedo, de vous donner sur ces
divers objets toutes les réponses que vous pouvez désirer. Nous
espérons que vous ajouterez foi à tout ce qu’il vous dira de notre
part et que vous ne trouverez rien, dans les paroles qu’il vous
portera, qui puisse occasionner entre nous de la froideur ou de
l’altération. Nous sommes au surplus bien aises de vous prévenir
que, dès avant la réception de votre lettre, nous avions pourvu au
remboursement des 200 000 piastres qui nous avaient été prêtées
____________________
1. Voy. p. 476.
480 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

par votre prédécesseur, et nous avons à cet égard envoyé à notre


Consul des ordres qu’il exécutera très fidèlement et dont nous ne
doutons pas que vous ne soyez fort satisfait(1).
Nous vous réitérons, illustre et magnifique Seigneur, l’assu-
rance de nos vœux pour la prospérité de votre personne et de vos
États.
Donné au Palais national du Directoire exécutif, à Paris, le
24 messidor de l’an VI de la République française.
Par le Directoire exécutif :
Le Ministre des relations extérieures,
TALLEYRAND.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 17 septembre 1798.

Citoyens Directeurs.

Ayant expédié il y a quelque temps à un de mes sujets, Jacob


Bacri, séjournant à Paris, une lettre pour vous(2), Citoyens Direc-
teurs, écrite en langue turque et à laquelle je n’ai pas encore eu de
réponse, et ayant appris que ceux qui ont dû vous interpréter son
contenu l’ont mal comprise, y faisant des omissions, j’ai voulu,
pour abréger un nouveau retard et prévenir des difficultés que
l’ignorance ou la malveillance pourraient occasionner entre nous,
vous répéter en votre propre langue le contenu de la précédente en
langue turque. Je vous ai rappelé l’ancienne amitié et la partialité
que le Gouvernement d’Alger a toujours témoignées aux Français
et à leur Gouvernement. Je vous ai assuré que mon avènement au
trône affirmera ces sentiments et la bonne harmonie subsistant
____________________
1. Voy. la note 1, p. 477.
2. Voy. p. 476.
AVEC LA COUR DE FRANCE 481

depuis si longtemps entre nos deux nations. J’ai de mon côté exi-
gé de vous, comme pour preuve des mêmes sentiments de votre
part, trois choses principales, savoir :
1° Le relâchement d’une cargaison venant de Londres, à
bord d’un bâtiment danois appartenant en partie à moi-même,
en partie à mes sujets Bacri et Abucaya, prise par un corsaire
français quoique munie d’un passeport d’un de vos Ministres(1),
sans quoi les, Bacri et Abucaya n’auraient pas osé entreprendre
cette expédition dans laquelle il serait trop injuste de vouloir leur
faire perdre, n’ayant commis aucune faute et vu que ces négo-
ciants doivent à notre Régence de très grandes sommes, faisant
leur commerce avec notre argent. En les attaquant, eux ou leurs
fonds, on nous attaque nous-même ou notre Trésor ;
2° Que vous fassiez payer aux dits Bacri et Abucaya l’ar-
gent qui leur est dû, déjà il y a longtemps, pour des vivres fournis
à la République dans un temps où elle en avait grand besoin, et
où elle a trouvé bien peu de particuliers qui aient eu le courage
et la volonté de s’exposer à de pareilles avances dans une épo-
que si critique ; et c’est uniquement par l’encouragement et la
protection que nous leur avons donnés qu’ils ont été à même de
pouvoir s’exposer comme ça et attendre si longtemps. Mais il est
temps qu’on les récompense, ainsi que notre partialité, confiance
et bienveillance pour la République, simplement en leur payant
ce qui leur est dû, pour les mettre en cas de pouvoir payer leurs
dettes à notre Régence. Et ayant vu qu’au premier avis vous avez
fait compter à leur maison, en France, les 200 000 piastres for-
tes d’Espagne dues à notre Régence, ils nous ont remis la même
somme ici, moyennant quoi cette affaire est acquittée(2) ;
3° Que vous ordonniez, Citoyens Directeurs, à tous les cor-
saires français de respecter les bâtiments et cargaisons appartenant
____________________
1. Voy. la note 2, p. 477.
2. Le remboursement de ces 200 000 piastres prêtées par la Régence n’avait aucun
rapport avec les sommes dont nous étions redevables à la maison Bacri pour nos appro-
visionnements de blé ; mais, comme on l’a dit plus haut, le Directoire avait appris que,
trahissant les intérêts de la France qu’ils servaient depuis longtemps, les Juifs s’étaient
faits les fournisseurs des Anglais à Gibraltar, et il s’était décidé à ne pas leur rembourser
provisoirement leurs créances.
482 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

à des sujets algériens, comme de leur devoir d’après le traité de


paix, lequel nous observons très fidèlement, faisant respecter par
nos corsaires toute propriété française, ce que nous avons derniè-
rement fait voir en restituant aux passagers français, pris à bord
de plusieurs bâtiments ennemis, toutes les marchandises leur ap-
partenant qui se sont trouvées à bord.
Avec la plus parfaite confiance, Citoyens Directeurs, en votre
justice et en votre amitié, je me flatte que vous vous empresserez
d’accorder des demandes si raisonnables, après quoi moi, de mon
côté, je saisirai avec bien du plaisir les occasions de vous témoi-
gner ma reconnaissance, et de vous persuader de mes sentiments
inviolables d’estime et d’amitié.
Écrit à Alger la bien gardée, le 17 septembre 1798.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Dey d’Alger.
SIDI MUSTAPHA,
KAZNADJI ET PREMIER MINISTRE DU DEY D’ALGER,
AU CITOYEN TALLEYRAND, MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES
DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 17 septembre 1798.

Citoyen Ministre,
Quoique nous ne nous connaissions pas personnellement,
la renommée m’ayant fait connaître vos grands talents et pouvant
vous faire savoir, si vous voulez bien vous donner la peine de
vous en informer, l’amitié et la partialité que j’ai depuis nombre
d’années toujours témoignées aux Français et à leur Gouverne-
ment, je crois devoir m’adresser à vous, Citoyen Ministre, en
vous priant d’engager le Directoire exécutif à accorder les de-
mandes très raisonnables qu’a faites Son Altesse le Dey dans la
lettre de ce jour(1), savoir :
(Suivent les trois articles de la lettre qui précède.)
____________________
1. Voy. p. 481.
AVEC LA COUR DE FRANCE 483

Persuadé, Citoyen Ministre, que vous désirez autant que


moi conserver et fortifier l’amitié et la bonne harmonie qui ont
subsisté depuis plus d’un siècle, sans interruption ni dérange-
ment, nonobstant tous les essais malveillants de vos ennemis et
des nôtres, j’ose me flatter de recevoir dans peu une réponse sa-
tisfaisante à celle-ci, vous priant en tel cas de compter sur ma re-
connaissance, et d’être persuadé de ma parfaite estime et de mon
entier dévouement.
Écrit à Alger, le 17 septembre 1798.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Kaznadji du Dey d’Alger.

SIDI MUSTAPHA,
KAZNADJI ET PREMIER MINISTRE DU DEY D’ALGER,
AU CITOYEN TALLEYRAND, MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES
DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 22 septembre 1798.

Citoyen Ministre,
Je me rapporte à la lettre que j’ai eue l’honneur de vous
écrire en date du 17 de ce mois(1). Son Altesse le Dey ayant de-
puis reçu, avec une lettre très polie du Directoire exécutif(2) des
réponses moins satisfaisantes, par vive voix, du Consul de Fran-
ce à sa première lettre, je crois devoir en ami de la République
et de la nation française vous donner, Citoyen Ministre, les in-
formations nécessaires pour prévenir des mésintelligences entre
nos deux Gouvernements. Le Dey, voyant qu’on lui a refusé une
demande aussi juste que le relâchement de la cargaison venant
de Londres(3), appartenant partie à lui-même et tout le reste étant
la valeur de ses propres fonds en mains de ses sujets les Bacri et
____________________
1. Voy. p. 482.
2. Voy. p. 479.
3. Voy. la note 2, p. 477.
484 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Abucaya, en a été extrêmement mortifié. Si vous voulez vous


fier à mon conseil, vous devez, en recevant la présente, engager
le Directoire exécutif à relâcher tout de suite le bâtiment danois
avec sa cargaison, à le laisser librement continuer son voyage à
Alger, et à faire compter aux termes proposés par votre Consul, à
chaque quinzaine de jours, l’argent dû aux Bacri et Abucaya, de
façon qu’en peu de temps vous solderez leurs comptes(1).
Ne soyez pas surpris si jusqu’ici beaucoup de choses ont été
refusées que votre Consul a demandées au Dey, quand vous avez
vous-même eu si peu d’égard à ce que lui-même, un nouveau
Souverain, vous a demandé. Mais vous savez que je suis ami de
la France, et ayant le bonheur d’avoir quelque influence auprès
du Dey, je vous promets que, si vous commencez par accorder
ce qu’a demandé le Dey, je saurai l’engager à accorder ce que
vous nous demanderez. Et c’est la réponse que j’ai donnée à vo-
tre Consul, qui, après son audience chez le Dey, s’est adressé à
moi, connaissant mes dispositions amicales envers la République
française.
Je vous prie, Citoyen Ministre, d’être persuadé de mon esti-
me très particulière pour vous-même et de mon amitié pour toute
la nation française.
Écrit à Alger, le 22 septembre 1798.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Kaznadji du Dey d’Alger.
____________________
1. Sur les conseils de Moltedo, le Ministre allait un peu revenir, à l’égard des
Bacri, sur les instructions rigoureuses que le Directoire avait cru devoir provoquer. L’ex-
pédition d’Égypte se préparait, et il était utile de ménager la Régence dans le cas où le
projet de Bonaparte serait mis à exécution. Abucaya fut donc admis à présenter le compte
de ses mandataires, s’élevant à 2 297 445 livres, et fit ressortir l’importance des services
que les Juifs avaient rendus soit à l’armée d’Italie, soit aux départements méridionaux.
On s’était décidé à payer des acomptes de 150 000 livres par quinzaines, quand éclata la
guerre entre la France et la Turquie, et le Directoire se borna à demander aux Bacri de
nouveaux approvisionnements.
AVEC LA COUR DE FRANCE 485
MUSTAPHA, DEY D’ALGER,
AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 13 octobre 1198.

Nous vous exposons par la présente qu’un bâtiment venant


d’Angleterre, propriété d’un Juif nommé Bacri, notre sujet, char-
gé de diverses marchandises, a été pris par un de vos nationaux et
retenu chez vous depuis déjà quelque temps(1) ; les réclamations
que nous vous avons adressées plusieurs fois là-dessus n’ont pas
été écoutées, et les règles nécessaires à la paix et à la bonne intel-
ligence entre nous n’ont pas été observées. Nous venons encore
d’apprendre que, sans aucun motif donné, vous avez fait procé-
der à la vente des effets et marchandises formant la cargaison du
dit bâtiment. Comment pouvez-vous concilier avec la justice et
les convenances un procédé aussi contraire à l’une qu’aux autres,
surtout après que vous avez eu la connaissance certaine qu’une
moitié presque de la dite cargaison nous appartenait en propre et
que l’autre moitié était la propriété de nos sujets ! Maintenant, à la
réception de cette lettre amicale, vous vous empresserez de nous
faire arriver le susdit bâtiment avec sa cargaison entière, sans
qu’il y manque la moindre chose. Si au contraire il était dans vos
intentions de nous en rembourser la valeur d’après une estimation
que vous en feriez, et si vous nous offriez d’ailleurs pour chaque
cent d’argent un million d’or, nous ne l’accepterions pas. Il est de
toute nécessité que vous nous renvoyiez le susdit bâtiment avec
toute sa cargaison. En outre, vous voudrez bien nous faire passer
avec la plus grande diligence tout l’argent, jusqu’à la dernière
obole, dû de votre côté au susmentionné Juif Bacri(2). Nous vous
avons écrit et expédié la présente afin que nous puissions continuer
____________________
1. Voy. la note 2, p. 477.
2. Voy. la note 1, p. 484.
486 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

à marcher d’un pas ferme dans le chemin de l’amitié. Nous espé-


rons, par la grâce de Dieu, qu’à la réception de cette lettre, vous
conformant à ce qui est dû à l’amitié, vous ferez droit à notre
demande.
L’an 1213, le 3 du mois de Djemazi-el-ewel, ou le 13 octobre 1798.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Dey d’Alger.

NOTE PRÉSENTÉE A MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


PAR LE CITOYEN MOLTEDO, CONSUL GÉNÉRAL ET CHARGÉ D’AFFAIRES
DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE(1).

Alger, le 27 frimaire an VII (17 décembre 1798).

Le soussigné Consul général et Chargé d’affaires de la Ré-


publique française vient de recevoir du Directoire exécutif l’or-
dre de faire connaître au Seigneur Dey la conquête de l’île de
Malte, faite le 25 prairial dernier (13 juin 1798) par l’armée aux
ordres du général Bonaparte.
Cet événement, qui procure à la République un accroisse-
ment considérable de gloire et de prospérité, doit avoir des résul-
tats non moins satisfaisants pour la Régence d’Alger.
C’est un ennemi de moins qu’elle aura à combattre, et sa
navigation acquerra plus d’activité et d’étendue. Car les Maltais
devenus Français, les Musulmans en général et en particulier
les Algériens ne doivent plus se regarder comme ennemis sous
aucun rapport, surtout sous celui de la religion. Le soussigné est
autorisé à assurer le Seigneur Dey que le Directoire exécutif ne
négligera rien pour inspirer aux habitants de Malte et îles en dé-
pendantes les sentiments d’amitié et d’attachement qu’il professe
pour la Régence d’Alger.
____________________
1. Archives du Consulat général de France à Alger. Au verso de ce document se
trouve la mention suivante : Note ministérielle déposée cejourd’hui, 27 frimaire an VII,
aux minutes de la chancellerie par le citoyen Moltedo, Consul.
AVEC LA COUR DE FRANCE 487

Le Directoire exécutif a été officiellement informé que le


général Bonaparte, en entrant à Malte, a mis en liberté tous les
Musulmans, sans distinction, que le sort des armes avait réduits
à l’esclavage. Leur nombre était considérable(1), et il serait éton-
nant qu’il ne s’y fût pas trouvé d’Algériens.
Cet acte d’humanité ne peut être méconnu par le Seigneur
Dey qui, aussitôt qu’il connaîtra le nombre de ses sujets affran-
chis à Malte, s’empressera sans doute d’user de la juste réciproci-
té que le Gouvernement français a droit d’attendre et qu’il attend
effectivement(2).
En conséquence, le soussigné a reçu ordre de demander au
Seigneur Dey qu’en échange des Algériens qui ont été affranchis
à Malte, la liberté soit rendue à tous les Maltais, sans distinc-
tion, qui peuvent se trouver en esclavage à Alger ou dans d’autres
lieux de la Régence, et s’ils se trouvent en moindre quantité que
les premiers, que leur nombre soit complété par les Français dé-
serteurs d’Oran et insulaires ci-devant vénitiens, de manière que
cet échange s’opère en rendant homme pour homme.
Le soussigné doit encore, et toujours par ordre du Direc-
toire exécutif, faire connaître au Seigneur Dey que tout état de
guerre de sa part avec les Maltais a cessé, et en conséquence le
solliciter de défendre à ses corsaires de courir sur leurs bâtiments,
qui n’arboreront plus à l’avenir d’autre pavillon que celui de la
République française.
Le soussigné, en remettant au nom du Directoire exécutif
la présente note au Seigneur Dey, qui s’empressera sans doute de
faire aux demandes qu’elle exprime une réponse satisfaisante, se
réserve de réclamer pour les Maltais qui pourront par la suite venir
____________________
1. Ils étaient au nombre de plus de 2 000.
2. Les Algériens tremblaient de voir arriver chez eux celui qu’ils appelaient le
général Diable. Quand ils apprirent le haut fait d’armes de l’amiral de Brueys, leurs
craintes firent place à la joie la plus vive. Cet événement n’eût pas manqué d’exercer une
heureuse influence sur nos relations politiques avec la Régence si, après le débarquement
de Bonaparte en Égypte, la Porte, irritée d’une guerre à laquelle elle ne s’attendait pas,
n’eût obligé Mustapha à prendre part aux hostilités.
488 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

s’établir à Alger la jouissance des mêmes avantages, immunités


et prérogatives stipulés par les traités en faveur des citoyens fran-
çais.
MOLTEDO.

BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER.

Paris, le 4 prairial an VIII (24 mai 1800).

Illustre et magnifique Seigneur,

L’état de guerre survenu entre la République française et la


Régence d’Alger n’a pas pris sa source dans les rapports divers
des deux États(1). Il est aujourd’hui sans motif, contraire aux inté-
rêts des deux peuples ; il le fut toujours aux inclinations du Gou-
____________________
1. Peu après le débarquement de Bonaparte en Égypte, le 16 octobre 1798, arriva
à Alger un firman du Grand Seigneur accompagné d’un cafetan d’investiture. Un second
firman fut remis au Divan le 22 novembre. Le Sultan commandait à son vassal Musta-
pha de déclarer la guerre à la République française. Le Dey et ses Ministres essayèrent
d’éluder ses ordres, mais ils virent bientôt débarquer un Capidji Bachi, aux sommations
duquel ils furent contraints d’obéir. Le 21 décembre ils firent saisir le Consul Moltedo,
le Vicaire apostolique, le personnel du Consulat, les résidents français, les agents des
Concessions d’Afrique; ils les firent mettre à la chaîne et conduire au bagne des escla-
ves. Leur captivité dura un mois et demi. Il est vrai qu’elle fut adoucie par les soins du
Consul de Hollande, Pierre Fraissinet, et surtout, il faut le dire, par les démarches inté-
ressées des Juifs Bacri et Busnach. Le Bey de Constantine reçut de son côté l’ordre de
livrer nos comptoirs au pillage des indigènes. Le Directoire exécutif se hâta d’ordonner
des représailles, fit séquestrer tous les biens des Musulmans qui pouvaient se trouver sur
le territoire de la République, et fit enfermer au Temple Jacob Cohen Bacri et son agent
Abucaya. — Voy. Moniteur universel, an VI nos 119, 125 et 161, an VII no 302, an VIII
nos 134 et 151, — Note des Français détenus actuellement el Alger, le 20 floréal an VII,
— État des pertes essuyées par les employés des Concessions d’Afrique à l’occasion de
la saisie des comptoirs de La Calle, Bône et Le Collo, — État des dépenses faites par le
citoyen Moltedo concernant les secours accordés aux esclaves, germinal an VI, — Let-
tres du citoyen Moltedo au citoyen Talleyrand, relatives à l’arrestation et à la captivité
de nos compatriotes, les 6 brumaire, 6 et 18 nivôse, 3, 6 et 18 pluviôse, 20 floréal, 3 et
22 prairial an VII. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi
l’Histoire de La Calle, par Féraud, p. 541 et suiv.
AVEC LA COUR DE FRANCE 489

vernement français. Persuadé qu’il l’est pareillement aux vôtres,


je n’hésite point à donner au citoyen Dubois-Thainville l’ordre
de se rendre auprès de vous, avec des pleins pouvoirs pour réta-
blir les relations politiques et commerciales des deux États sur le
même pied où elles étaient avant la rupture(1). J’ai la confiance
que vous ferez à ce négociateur le même accueil que j’aurais fait
à celui de vos sujets que vous auriez chargé d’une semblable mis-
sion auprès de moi.
Recevez, illustre et magnifique Seigneur, l’expression de
mes sentiments et de mes vœux pour votre prospérité.
BONAPARTE.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 30 novembre 1800.

Mustapha, Dey et Gouverneur d’Alger en Barbarie, au nom


du plus grand et du plus noble des Souverains et des Empereurs,
____________________
1. Charles-François Dubois-Thainville, frère aîné du citoyen Dubois, général de
brigade à l’armée d’Augereau, entra au Ministère des relations extérieures en 1792. Il fut
successivement Chargé d’affaires en Hollande, Commissaire des guerres, Secrétaire gé-
néral des bureaux à Paris, agent de la République en mission à Constantinople, à Smyrne,
au Caire et en Syrie. Après la convention du général Kléber avec le Grand Vizir pour
l’évacuation de l’Égypte, Talleyrand le proposa au Premier Consul pour aller négocier la
paix avec les Régences barbaresques, et l’envoya à Alger le 24 fructidor an VI, avec le
titre de Commissaire général des relations commerciales et Chargé d’affaires de la Ré-
publique française. Dubois-Thainville passa secrètement en Afrique, sous le nom de Du-
bosc, par la voie de Barcelone. Surpris en mer par deux frégates anglaises, il échappa aux
investigations du Gouverneur de Mahon qui lui fit subir un interrogatoire des plus sévères
; il se fit donner des passeports de la main même de nos ennemis, et arriva à Alger le 13
mai 1800, apportant à Mustapha la lettre de Bonaparte. — Voy. Lettre du citoyen Dubois-
Thainville au citoyen Talleyrand, le 26 messidor an VIII, contenant le très curieux récit
de son voyage à Alger, — Lettre du citoyen Talleyrand au citoyen Dubois-Thainville, le 9
vendémiaire an VII où se trouvent les instructions du Ministère, — Rapport au Directoire
exécutif, le 15 messidor an VII, — Premier précis des opérations de Dubois-Thainville
en Afrique, le 1er thermidor an IX. (Archives des Affaires étrangères, Mémoires et Docu-
ments, Alger, t. XVII, f° 47)
490 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

la gloire et l’honneur de son siècle, le pacificateur des hommes,


le protecteur des pays de la foi contre l’injustice et la tyran-
nie, qui efface toutes les traces de l’oppression, ombre de Dieu
étendue sur les hommes, Souverain des deux terres et des deux
mers, le Sultan, fils du Sultan Sélim, — Que Dieu éternise sa
puissance ! —
Au très noble, très respectable, très éminent, notre grand ami
le Sultan des côtes de France, le plus glorieux des Monarques et
le plus éminent des Princes chrétiens, le très noble, très respecta-
ble, très éminent Consul Bonaparte. — Que sa fin soit heureuse,
et qu’il puisse vivre sur le trône de la puissance au comble de la
gloire et, de la célébrité, par l’intercession de Jésus-Christ, fils de
Marie et verbe ou esprit éternel ! —
Après cela, nous avons l’honneur de vous informer que nous
avons reçu la lettre que vous nous avez adressée(1) par l’intermé-
diaire de votre Ambassadeur Dubois-Thainville, envoyé cette an-
née auprès de nous(2) par un effet des vues profondes que vous ca-
chez sous le principe du courage et dans l’essence de l’héroïsme.
Nous en avons entièrement compris le contenu, et nous avons
fait réponse de vive voix à votre. Ambassadeur que, suivant vos
intentions, nous l’avons reconnu en qualité de Consul destiné
à maintenir une paix éternelle et la bonne intelligence entre les
deux Puissances(3). Puisse le Tout-Puissant récompenser la pureté
de nos intentions ! —
Un de nos serviteurs, nommé Busnach, nous ayant représen-
té de vive voix qu’il lui était dû en France diverses sommes dont
il demandait le remboursement d’une manière complète et sans
____________________
1. Voy. p. 488.
2. Voy. la note 1, p. 489.
3. Après de nombreux pourparlers, Dubois-Thainville obtint un armistice illimité,
le 19 juillet 1800. Notre négociateur, auquel Mustapha demanda audacieusement un pré-
sent de six millions, parvint, à force de prudence et d’opiniâtreté, à tenir tête à notre avide
adversaire; on convint d’un cadeau de 200 000 piastres (un million de francs), dont les Juifs
s’engagèrent à faire l’avance, et le traité définitif fut signé le 30 septembre, en dépit de la
colère et des menaces des Anglais. Les originaux sont aux Archives des Affaires étrangères,
salle des Traités. Ils ont été publiés dans lés recueils de MM. Tétot et de Clercq. — Voy.
Moniteur universel, an X n° 138, — Lettre du citoyen Dubois-Thainville au Directoire, le
13 messidor an VIII. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 491

diminution, nous avons écrit cette lettre amicale pour vous faire
connaître cette représentation, et pour vous prier, de faire payer
sans diminution au frère de Busnach, notre serviteur, les sommes
qui lui sont dues(1).
Donné à Alger en Barbarie, la Ville bien gardée, au Palais
de la Régence, le 15 de Redjeb, l’an 1215.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Dey d’Alger.
Traduit par JOUBERT, Secrétaire-interprète de la République.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 13 avril 1801.

Ceci est la lettre amicale du glorieux Ministre, noble et su-


prême Conseiller du Souverain auprès duquel il est comme la
____________________
1. Pendant les négociations du traité, Dubois-Thainville avait déclaré qu’après le
rétablissement des relations politiques et commerciales entre les deux États, le premier
soin du Gouvernement français serait de fixer des époques pour le payement des créances
de ces Juifs. Talleyrand, Ministre des relations extérieures, fut alors appelé à donner son
avis ; il fit au Directoire un rapport très favorable aux créanciers, et dont le ton, empreint
d’une bienveillance excessive pour les Bacri, faisait un étrange contraste avec l’opinion
des Ministres qui s’étaient précédemment occupés de cette affaire. « L’état de nos rapports
actuels avec la Régence exige, écrivit-il à son collègue des finances, qu’on montre aux Juifs
la meilleure bonne volonté possible. Il faut considérer cette affaire non comme leur étant
particulière, mais comme une affaire d’État. Ces Juifs méritent des ménagements, à raison
de ceux que leur Souverain leur accorde, et l’on pourrait craindre que leur mécontentement
n’altérât dans leur principe les bonnes dispositions qu’il vient de nous montrer. » — Les
deux prisonniers du Temple, Bacri et Abucaya, obtinrent par suite leur liberté sous la sur-
veillance de deux gardes; ils furent admis à présenter leurs comptes, s’élevant à 7 942 992
fr., 54 c., et les Consuls autorisèrent le payement d’un acompte de 3 725 631 fr. — Voy.
Tableau des créances de Jacob Cohen Bacri, Michel Busnach et Simon Abucaya, — Rap-
port du citoyen Talleyrand au Directoire, le 27 thermidor an VII, — Lettres de Bacri au
Directoire, les 14 et 23 messidor an VII, 26 thermidor et 4 fructidor an VIII, et du citoyen
Dubois-Thainville au citoyen Talleyrand, les 3 et 11 vendémiaire, 23 brumaire, 4 frimaire
et 3 nivôse an IX, — Lettre du citoyen Talleyrand au citoyen Lindet, Ministre des finances,
le 5 fructidor an VIII. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
492 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

poussière qui vole des pieds du coursier rapide, et qui par la grâce
et les faveurs du Très-Haut est le Maître des deux terres et des
deux mers, le réparateur des injustices et de la tyrannie, spécia-
lement comblé des bontés divines, le Sultan Sélim, fils du Sultan
Mustapha, Que le pardon et la miséricorde soient sur lui ! —
Au plus grand des Grands, au plus élevé de ceux qui suivent
les lois du Messie, à ceux qui gouvernent la République française
et particulièrement à Son Excellence notre ami Bonaparte, doué
d’une sagesse profonde.
Après vous avoir présenté l’hommage convenable de nos
salutations amicales et des vœux que nous formons pour que vo-
tre vie soit heureuse, après nous être informé de l’état de vos
dispositions, et avoir demandé à Dieu l’accomplissement de nos
souhaits qui sont pour le bien, nous avons l’honneur de vous in-
former, notre ami, qu’ayant avec vous d’anciennes liaisons d’une
amitié longtemps entretenue, nous avons paru néanmoins mani-
fester des dispositions hostiles par l’expulsion de votre Consul(1),
et la mauvaise fortune a voulu que le miroir où se peignent tous
les événements de ce monde réfléchît cette action sous une figure
fausse et contraire à la réalité.
Par une suite d’événements qui ont rompu la paix entre
____________________
1. La paix ne dura que quatre mois et l’Angleterre, plus écoutée à Constantinople
qu’à Alger, arracha au Grand Seigneur de nouveaux Commandements pour le Divan al-
gérien, qui nous déclara une seconde fois la guerre le 24 janvier 1801. Dubois-Thainville
fut appelé à la Jenina ; Mustapha lui témoigna les sentiments de sympathie les plus vifs,
lui laissa tout le temps nécessaire pour quitter avec ses nationaux le territoire de la Ré-
gence, et nous donna ainsi le premier exemple de respect porté à nos traités en pareille
circonstance. Notre agent s’embarqua le 30 janvier pour Alicante, avec 140 Français, sur
La jeune Sophie, L’heureux retour et Le Georges Washington. « Votre conduite dans cette
circonstance orageuse, lui écrivit quelques jours après Talleyrand, a parfaitement répondu
au caractère de fermeté que vous avez déployé pendant le cours de votre mission, et j’ai à
cet égard de nouveaux témoignages de satisfaction à ajouter à ceux que j’ai eu plusieurs
fois l’occasion de vous transmettre au nom, du Gouvernement. » — Voy. Lettre du ci-
toyen Talleyrand au citoyen Dubois-Thainville, le 14 ventôse an IX, — État nominatif des
Français qui se trouvaient dans la Régence le 2 pluviôse an IX, époque de la déclaration
de guerre, — Lettre du citoyen Dubois-Thainville au citoyen Talleyrand, le 17 pluviôse
an IX, rendant compte au Ministre de cet événement, — Second précis des opérations de
Dubois-Thainville à Alger, le 15 frimaire an X. (Archives des Affaires étrangères, Consu-
lat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 493

vous et les Ottomans et qui ont donné lieu à des hostilités, nous
aussi, qui sommes une partie des esclaves qui courbent la tête
sous le joug du Sultan, et sommes obligé de répondre aux ma-
gnifiques Commandements émanés de son auguste Cour, après
les avertissements pressants qui sur ces entrefaites nous ont été
adressés et étaient conçus en ces termes :
— « La nation française ayant enfreint les conditions qui
nous liaient avec elle, et ayant commis à notre égard des hostili-
tés et perfidies sans nombre, elle est devenue l’ennemie de notre
Empire. Vous qui êtes le Commandant d’Alger, vous devez aussi,
en agissant hostilement contre cette nation et en chassant les Fran-
çais et leur Consul, contribuer à repousser son agression(1). »
Considérant que c’est un devoir de notre religion d’obéir
aux ordres du Sultan, — si nous manquons au devoir de l’obéis-
sance, nos femmes, dégagées elles-mêmes de toute obéissance,
nous seront interdites, — par toutes ces raisons nous avons dû
nous comporter d’une manière hostile. S’il en avait été autrement,
à Dieu ne plaise qu’il fût jamais arrivé de notre part la moindre
hostilité ou le moindre dommage ! Mais la sagesse est en Dieu
et c’est lui qui l’a ainsi voulu. Sans doute cet état ne durera pas ;
il n’est rien de si difficile qui ne s’arrange, et, s’il plaît à Dieu,
ce trouble sera sous peu changé en repos. Comme auparavant la
discorde sera éloignée, et la paix devenant durable, nous serons
tous comblés de satisfaction et de joie.
Notre grand ami, le traité de paix qui avait été précédem-
ment conclu par une cessation d’hostilités sous la forme d’ar-
mistice ayant été divulgué auprès de la Sublime Porte(2), quel-
ques personnes malintentionnées et qui sèment la discorde par
des discours pleins d’hypocrisie ont fait parvenir diverses paroles
mensongères, et par leurs insinuations nous ont aliéné les bon-
nes grâces de notre Souverain, l’appui et le refuge du monde. —
____________________
1. Ces Commandements furent apportés à Alger par la frégate américaine Le
Georges Washington. Ce navire avait amené à Constantinople l’Oukilhardji de la Marine,
chargé de demander l’investiture du Grand Seigneur. Lorsqu’il était arrivé, les Anglais
avaient fait mettre en prison l’Envoyé d’Alger et sa suite.
2. Voy. la note 3, p. 490.
494 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

« Pourquoi, a-t-il dit, se sont-ils conduits d’une manière contraire


à nos ordres ? »
Il nous est parvenu que pour s’assurer de notre soumission,
il devait être renvoyé contre nous des vaisseaux et des troupes(1).
Que cela soit ou non, cela est possible, et dans le cas de l’affirma-
tive, ce ne pourrait être que dans de mauvaises intentions. Si vous
en avez connaissance, il faut nous prouver votre ancienne amitié.
Si la flotte ottomane fait voile vers ces parages et si vous en avez
avis, comme vous êtes actuellement considéré comme ennemi, il
faut préparer un certain nombre de vaisseaux de guerre, avec les
munitions nécessaires, pour intercepter les passages et prendre
ou brûler tout ce qui viendra vers vous. C’est en écartant de nous
de pareils malheurs que vous observerez les lois de l’amitié, et
nous espérons, s’il plaît à Dieu, pouvoir avant peu reconnaître ce
service d’ami. S’il plaît à Dieu, de notre côté, dans la suite des
temps nous les observerons entièrement, et vous saurez, à n’en
pouvoir douter, que nous ne refuserons pas de faire tout ce qui
sera convenable à cet effet.
Cependant, mon respectable ami, que ces paroles et cette
lettre soient toujours un profond secret entre nous ! Qu’elles ne
soient pas connues surtout des hommes vils et méprisables qui
sont chez vous ! S’il en était autrement, vous seriez sans néces-
sité la cause d’une foule de maux et d’inimitiés entre la Porte
ottomane et nous. Vous avez trop d’intelligence pour qu’il soit
nécessaire d’insister sur cet avertissement. Notre très cher ami,
si les choses arrivent au contraire de ce que nous disons et nous
vous écrivons ici, que notre secret demeure entre nous comme un
dépôt dont nous sommes comptables devant Dieu. Si la nouvelle
qui nous a été rapportée n’était qu’un faux propos de quelqu’un
de nos ennemis, et si les précautions que nous allons prendre ne
doivent être à la fin qu’un sujet de confusion, de grâce, que ceci
demeure absolument secret, et qu’à l’exception des Juifs, qui que
____________________
1. Le Capidji du Grand Seigneur avait déclaré au Divan que, si la Régence déso-
béissait à ses ordres, les vaisseaux ottomans se joindraient à l’escadre anglaise de l’amiral
Keith pour venir châtier Alger.
AVEC LA COUR DE FRANCE 495

ce soit n’en ait connaissance! Si la nouvelle se trouve vraie, vous


agirez suivant le plan que les circonstances vous traceront, sinon
vous n’agirez pas. Soyez sur vos gardes(1).
Et le salut.
Écrit à la fin de Zilcadé, l’an 1215, 1801 de Jésus-Christ.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Dey et Pacha d’Alger.
Traduit par SYLVESTRE DE SACY, le 1er prairial an IX.

BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER.

Paris, le 4 frimaire an X (24 novembre 1801).

Illustre et magnifique Seigneur,

Des raisons de politique vous ont forcé la main, mais la


lettre que vous m’avez écrite(2) et la conduite que vous avez te-
nue depuis le départ du citoyen Dubois-Thainville m’ont bien
fait comprendre la raison de votre conduite. Le passé est pas-
sé. Dans la paix conclue entre la République et les Anglais et la
Sublime Porte(3), je me suis assuré qu’on ne voulait rien entre-
prendre contre vous(4) J’ai ordonné au citoyen Dubois-Thainville
d’obtempérer à la demande que vous lui avez faite de retourner à
____________________
1. « La lettre du Dey décèle, écrivit notre Consul, un très grand fond de faiblesse,
mais il faut peut-être en attribuer la tournure maladroite au désir qu’il avait de prouver au
Premier Consul qu’il n’avait fallu rien moins que les menaces du Grand Seigneur pour
déterminer la Régence à violer avec nous l’engagement qu’elle venait de contracter so-
lennellement. » — Voy. Lettres du citoyen Dubois-Thainville au citoyen Talleyrand, le 17
messidor an IX et le 20 vendémiaire an X.
2. Voy. p. 491.
3. Les préliminaires de la paix d’Amiens eurent lieu au mois d’octobre 1801 ; le
traité fut signé le 25 mars 1802.
4. Allusion à l’étrange demande de secours qu’on a lue précédemment, p. 494.
496 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Alger(1). Nous vous le recommandons, afin de pouvoir promp-


tement renouveler nos liaisons si avantageuses, et dans lesquel-
les vous trouverez désormais de notre part le désir de vous ap-
puyer contre les ennemis que vous pourriez avoir, quels qu’ils
soient(2).
Recevez, illustre et magnifique Seigneur, l’expression de
mes sentiments et de mes vœux pour votre prospérité.
Donné à Paris, au Palais du Gouvernement, le 4 frimaire au
X de la République française.
BONAPARTE.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 4 avril 1802.

C’est la lettre d’amitié adressée à Son Altesse le grand et


puissant Premier Consul de la République française, Bonaparte,
Empereur de Paris, par Sa Hautesse le Dey et Gouverneur de la
Régence d’Alger, Mustapha, — Que Dieu lui accorde ses désirs !
— honoré et exalté dans le haut service de l’Étrier impérial de Sa
Majesté, par la grâce divine grand Empereur et illustre Monarque,
____________________
1. A la première nouvelle de la cessation des hostilités entre la France et la Tur-
quie, Mustapha fit demander par le Consul de Hollande le rétablissement de ses rapports
officiels avec notre Consul général. Dubois-Thainville revint à Alger le 17 décembre
1801, et entra aussitôt en pourparlers avec le Dey et les Bacri pour régler les stipulations
d’un nouveau traité de paix. Mustapha désigna l’un de ses officiers, Salah Khodja, ancien
Gouverneur de Bône, pour se rendre à Paris avec des présents pour le Premier Consul.
Talleyrand, informé de ces dispositions, pria notre représentant de s’opposer à son voya-
ge. « C’est un objet, écrivit-il, qui ne nous inspire aujourd’hui que très peu d’intérêt ; vous
n’y insisterez en aucune manière. » Voy. Lettres du citoyen Talleyrand au citoyen Dubois-
Thainville, les 24 vendémiaire et 5 frimaire an X.
2. « Le Dey a été très sensible à toutes les assurances d’amitié contenues dans la
lettre du Premier Consul, et il m’a chargé d’une manière très expresse de vous en témoi-
gner toute sa reconnaissance. Les Grands de la Régence m’ont accueilli avec toutes sortes
d’égards, et la paix a été solennellement annoncée par 21 coups de canon. » Voy. Lettres
du citoyen Dubois-Thainville au citoyen Talleyrand, les 26 brumaire et 7 nivôse an X.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 497

Padischah de l’époque, organisateur des affaires du genre humain,


protecteur des Villes de Dieu de l’injustice et de l’insurrection,
destructeur des traces de l’oppression et de l’inimitié, possesseur
des peuples, ombre de Dieu sur la postérité d’Adam, Empereur
des deux terres et des deux mers, fils du Sultan, le Sultan Sélim
le Bienfaiteur. — Que Dieu prolonge ses jours et perpétue sa
dynastie ! —
Gloire des Princes les plus illustres de la chrétienté, le plus
grand des Rois de la nation du Messie, Empereur actuel de Paris
et des autres pays, puissant, glorieux et très affectionné Bonapar-
te, Premier Consul de la République française, nous avons l’hon-
neur de vous faire savoir amicalement que votre lettre d’amitié
nous est parvenue, et que nous en avons compris toute la teneur(1).
Vous nous faites savoir que vous avez confirmé et ratifié le traité
de paix conclu entre nous et votre Chargé d’affaires, M. Dubois-
Thainville, le 22 du mois de Chaban (29 décembre 1801), et vous
vous engagez à observer fidèlement et strictement toutes les stipu-
lations de ce traité(2). Nous aussi, de notre côté, au nom du Conseil
de la Régence et par sa délégation, nous promettons et nous nous
engageons à respecter toutes les dispositions de ce traité, de façon
à ne pas permettre la moindre infraction(3). Votre Majesté connaît
____________________
1. Il s’agit ici non d’une lettre de Bonaparte, mais de la ratification du traité du 7
nivôse an X (29 décembre 1801), envoyée à Alger le 14 ventôse suivant par le brick Le
Furet, commandé par le capitaine Demay. « Le Premier Consul ayant vu et agréé le traité
de paix convenu avec le très illustre et magnifique Seigneur Mustapha, le 7 nivôse an X,
par le citoyen Dubois-Thainville, a trouvé le dit traité de paix conforme à ses intentions
dans tous et chacun des articles y contenus ; il l’approuve, ratifie et confirme, et promet
de le garder fidèlement et de le faire exécuter, sans souffrir qu’il y soit contrevenu direc-
tement ni indirectement en quelque sorte et manière que ce soit. »
2. L’original de ce traité est aux Archives des Affaires étrangères, Salle des Trai-
tés. Il a été publié dans les recueils de MM. Martens, Tétot et de Clercq. Il stipulait la
liberté du commerce comme avant la rupture, la suppression de l’esclavage des Français à
Alger, la restitution des Concessions d’Afrique, l’exemption d’une année de redevances,
et le remboursement des sommes respectivement dues par la France aux Bacri et par la
Régence à la Compagnie d’Afrique dépossédée de ses comptoirs.
3. Les Bacri ayant demandé le remboursement des 200 000 piastres qu’ils avaient
avancées au Dey pour notre compte lors de la première négociation, Dubois-Thainville
avait vigoureusement repoussé leur prétention, en faisant ressortir la violation des enga-
498 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

la fermeté et la constance de notre amitié sincère pour elle, et


peut être assurée qu’il en sera de même à l’avenir. — Que Dieu
accorde à Votre Majesté une vie longue et pleine de toute sorte de
bonheur, de gloire et de prospérités !
Écrit le 1er de Zilhidjé, l’an de l’hégire 1216, c’est-à-dire le
4 avril 1802, à Alger, asile de la guerre sainte.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par SAGHIRIAN, Répétiteur de turc à l’École des langues orientales.

M. DUBOIS-THAINVILLE, CHARGÉ D’AFFAIRES D FRANCE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER.

Alger, ventôse an X (avril 1802).

Le vaisseau français Le Banel portant 200 marins, 529 mi-


litaires et 9 femmes, ayant à bord des munitions de guerre et de
bouche, s’est perdu le 25 nivôse dernier (15 janvier) sur les côtes
de Barbarie(1). Les rapports qui me sont parvenus sur cet événe-
ment font frémir. Les habitants des contrées où le naufrage a eu
lieu se sont portés aux attentats les plus inouïs ; ils ont employé
les moyens les plus barbares pour s’opposer au salut des Fran-
çais, ils ont brisé les embarcations, détruit les radeaux, coupé les
cordes qu’on était parvenu à attacher à terre; ils ont pillé, dis-
persé l’argent et une partie des effets qui se trouvaient sur le bâ-
timent. Les Français qui ont échappé à la fureur de la mer ont été
____________________
gements pris par le Dey à cette époque. Voy. Lettres du citoyen Dubois-Thainville au
citoyen Talleyrand, les 6, 7 et 13 nivôse, et 15 germinal an X, — Lettre du citoyen Talley-
rand au citoyen Dubois-Thainville, le 16 ventôse an X.
1. Le Banel, commandé par le capitaine Callamand, transportait des troupes de
Toulon à Saint-Domingue, et il avait échoué sur la côte du cap Tenez. Les naufragés
avaient été dépouillés et maltraités par les hordes insoumises de ces parages, et le Bey
d’Oran avait gardé en esclavage les hommes de l’équipage qui avaient pu se soustraire au
massacre de leurs compagnons.
AVEC LA COUR DE FRANCE 499

dépouillés, mis nus par le froid le plus rigoureux, assassinés ou


traînés impitoyablement dans les montagnes. Plus de 200 ont péri
de la main des barbares, et leurs cadavres sont encore étendus sur
le rivage et sur la route d’Oran. Plusieurs naufragés du nombre
desquels se trouvent être trois femmes, le comte Noyer, officier,
et plusieurs mousses sont encore au pouvoir des Kabiles.
Les traités de la République avec la Régence et particuliè-
rement celui de 1689, qui vient d’être renouvelé par Son Excel-
lence le Dey(1) portent que tout bâtiment français échouant sur
les côtes d’Afrique recevra secours, protection et sûreté ; que
les hommes, les effets et les marchandises seront respectés. Les
naufragés étaient donc sous la sauvegarde des conventions les
plus sacrées. Dans cette circonstance tout est devenu la proie des
assassins, et les Français ont trouvé sur une terre amie la mort et
l’esclavage les plus affreux. Un d’eux a, dit-on, embrassé la reli-
gion musulmane. L’article 19 du traité de 1689 s’exprime ainsi :
— « Si un Français veut se faire Turc, il n’y pourra être reçu
qu’au préalable il n’ait persisté trois fois 24 heures dans cette
résolution, pendant lequel temps il sera mis en dépôt entré les
mains du Consul. » —
Toutes les mesures protectrices ont sans doute été ordonnées
par la Régence d’Alger dans cette circonstance malheureuse, et
je prie Son Excellence le Dey et tous les Grands d’agréer les
témoignages de ma plus vive reconnaissance, mais ils jugeront
sans doute que de nouvelles dispositions et réparations propor-
tionnées à la gravité des attentats sont indispensables.
Je réclame, au nom et d’après les ordres de Bonaparte, Pre-
mier Consul de la République française :
1° La punition exemplaire des assassins,
2° La restitution de tous les effets saisis par eux,
3° La délivrance immédiate des Français qui sont encore en
leur pouvoir,
4° Je demande que les Français reçoivent la sépulture,
____________________
1. Voy. la note 2, p. 497.
500 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

5° Que, conformément à l’article 19 du traité de 1689, le


Français qui a témoigné le désir d’embrasser la religion musul-
mane soit envoyé, ici, ou déposé à Oran dans la maison du Vice-
Consul d’Espagne. Il sera rendu à l’expiration des trois jours, s’il
persiste dans sa résolution(1).
DUBOIS-THAINVILLE.

BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER.

Paris, le 9 messidor an X (18 juillet 1802).

Grand et magnifique Dey,

Je vous écris cette lettre directement parce que je sais qu’il


y a de vos Ministres qui vous trompent(2), et qui vous portent à
vous conduire d’une manière qui pourrait vous attirer de grands
malheurs(3). Cette lettre vous sera remise en mains propres par
un Adjudant de mon Palais(4). Elle a pour but de vous demander
____________________
1. Talleyrand félicita notre Consul « de l’énergie et de l’efficacité des mesures pri-
ses pour venir au secours des naufragés et les arracher à la férocité des Arabes ». Il le pria
d’exige qu’il fût fait des recherches, jusqu’à ce qu’il fût certain que tous les survivants du
Banel fussent délivrés. Voy. Lettre du citoyen Talleyrand au citoyen Dubois-Thainville,
le 23 messidor an X. --- On doit dire que Dubois-Thainville avait refusé de donner des
présents à Mustapha, après le signature du dernier traité de paix, et que cette raison moti-
vait la mauvaise humeur avec laquelle le Dey avait accueilli les réclamations verbales de
notre représentant. Voy. Discussion relative aux prétentions du Dey à des présents de la
République française. (Moniteur universel, an IX, n° 829.)
2. Allusion aux intrigues du Vekilhardji, des Juifs Bacri et des Anglais. Ces der-
niers encourageaient les troubles suscités contre nos pécheurs de corail par le rebelle Ben
Et-Harch-el-Boudali, qui avait soulevé toute la province de Constantine. Voy. Histoire de
Gigelli, par Féraud. (Recueil de la Société archéologique de Constantine.)
3. Mustapha avait menacé Dubois-Thainville de le faire embarquer avec tous les
Français s’il ne lui donnait pas, dans le délai de quarante jours, 200 000 piastres qu’il
disait avoir été contraint de payer au Grand Seigneur pour avoir procuré des subsistances
au Directoire.
4. Bonaparte fit partir de Brest, le 8 juillet 1802, les vaisseaux Le Scipion et Le
Duquesne, la corvette La Tactique et le brick Le Furet, commandés par le Vice-Amiral
Leyssègues et conduisant à Alger l’Adjudant Hulin. D’après ses instructions, cet officier
AVEC LA COUR DE FRANCE 501

réparation prompte, et telle que j’ai le droit de l’attendre des sen-


timents que vous avez toujours montrés pour moi. Un officier
français a été battu, dans la rade de Tunis, par un de vos reïs(1).
L’agent de la République a demandé satisfaction et n’a pu l’ob-
tenir. Deux bricks de guerre ont été pris par vos corsaires, qui les
ont amenés à Alger et les ont retardés dans leur voyage(2). Un bâti-
ment napolitain a été pris par vos corsaires dans la rade d’Hyères,
et partant ils ont violé le territoire français(3). Enfin, du vaisseau
qui a échoué cet hiver sur vos côtes, il me manque encore plus
de 150 hommes qui sont entre les mains des barbares(4). Je vous
demande réparation pour tous ces griefs, et ne doutant pas que
vous ne preniez toutes les mesures que je prendrais en pareille
circonstance, j’envoie un bâtiment pour reconduire en France les
150 hommes qui me manquent. Je vous prie aussi de vous méfier
de ceux de vos Ministres qui sont ennemis de la France. Vous ne
pouvez pas avoir de plus grands ennemis, et si je désire vivre en
____________________
devait déclarer au Dey que le Premier Consul désirait bien vivre avec lui, mais qu’il
n’avait jamais capitulé avec l’honneur, et que si Mustapha ne donnait pas des ordres pour
que l’on respectât le pavillon français, Bonaparte était capable d’aller lui-même à Alger.
« Si jamais le Dey se conduisait avec violence, car on doit tout attendre d’un barbare, le
citoyen Thainville en s’en allant en instruirait l’Amiral, qui a ordre de bloquer Alger. »
— De son côté l’amiral Decrès, Ministre de la Marine, reçut l’ordre de rassembler dans
la Méditerranée 10 vaisseaux de guerre, pour être prêts à agir suivant les circonstances
contre les Régences de Tunis et d’Alger, « qui n’avaient pas pour le pavillon de la Ré-
publique le profond respect et les égards que le Premier Consul était dans l’intention
qu’elles eussent ». Voy. Lettres du Premier Consul au citoyen Talleynand, les 27 et 29
messidor an X, — Note pour le Ministre des relations extérieures, le 16 messidor an X,
— Correspondance de Napoléon 1er t. VII, p. 665 et 666.
1. « Vous exigerez impérieusement la tête du reïs qui s’est permis de faire bâton-
ner un capitaine français et de traiter son équipage avec la dernière indignité. Vous ferez
entendre à la Régence qu’elle se doit à elle-même de sévir contre le coupable de manière à
prévenir désormais de pareils excès. » — Lettre du citoyen Talleyrand au citoyen Dubois-
Thainville, le 23 messidor an X.
2. Le Necker et La Marie avaient été conduits à Alger par Hassan-reïs, sous pré-
texte que leurs capitaines n’avaient pas montré leurs passeports. Ces bricks étaient char-
gés de provisions pour l’armée française à Tarente ; la cargaison avait été vendue et les 8
hommes de l’équipage gardés plusieurs jours comme esclaves.
3. La polacre napolitaine Saint-Louis de Gonzague, partie de Corfou avec des ex-
péditions françaises, avait été capturée sous le canon des îles d’Hyères ; la cargaison avait
été vendue et les 38 hommes de l’équipage emmenés en captivité.
4. Voy. la note 1, p. 498.
502 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

paix avec vous, il ne vous est pas moins nécessaire de conserver


cette bonne intelligence qui vient d’être rétablie, et qui seule peut
vous maintenir dans le rang et dans la prospérité où vous êtes,
car Dieu a décidé que tous ceux qui seraient injustes envers moi
seraient punis(1).
Si vous voulez vivre en bonne amitié avec moi, il ne faut
pas que vous me traitiez comme une Puissance faible ; il faut
que vous fassiez respecter mon pavillon, celui de la République
italienne où je commande, et que vous me donniez réparation de
tous les outrages qui m’ont été faits. Cette lettre n’étant pas à une
autre fin, je vous prie de la lire avec attention vous-même et de
me faire connaître, par le retour de l’officier que je vous envoie,
ce que vous aurez jugé convenable de faire(2).
Donné à Paris, au Palais du Gouvernement, le 29 messidor
an X de la République française.
BONAPARTE.

BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,


A MUSTAPHA, DEY D’ALGER.

Paris, le 8 thermidor an X (27 juillet 1802).

Grand et magnifique Seigneur,


Un Adjudant de mon Palais doit à l’heure qu’il est être
auprès de vous, pour vous porter les plaintes que j’ai à faire et
vous demander réparation des différents outrages faits à mon pa-
villon(3).
Aujourd’hui j’expédie un nouvel officier(4), porteur de cette
lettre, ne voulant pas avant de rompre avec vous ne pas vous avoir
____________________
1. Voy. État des spoliations, déprédations, exactions, captures et sommes exigées
par le Dey d’Alger depuis six mois, le 30 messidor an X. (Archives des Affaires étrangè-
res, Consulat d’Alger.)
2. Hulin avait reçu l’ordre d’exiger une réponse article par article.
3. Voy. p. 500 et 501.
4. Le citoyen Berge, aide de camp attaché à l’État-Major de la garde des Consuls,
envoyé à Alger sur le brick Le Mutin.
AVEC LA COUR DE FRANCE 503

mis à même de réfléchir mûrement sur ce que’ vous avez à faire.


Je vous demande donc réparation éclatante pour les griefs
dont je me suis plaint dans ma dernière lettre(1) ; je vous en de-
mande encore contre le corsaire qui s’est permis d’arrêter une
gondole munie de mon passeport, et d’empêcher la pêche du
corail conformément à nos traités et à l’usage qui a existé de tout
temps.
Je vous fais également connaitre mon indignation sur la
demande que vos Ministres ont osé faire que je paye 200 000
piastres(2). Je n’ai jamais rien payé à personne, et, grâce à Dieu,
j’ai imposé la loi à tous mes ennemis. J’ai détruit l’Empire des
Mamelucks, parce qu’après avoir outragé le pavillon français, ils
osaient demander de l’argent pour la satisfaction que j’avais droit
d’attendre. Craignez le même sort, et si Dieu ne vous a pas aveu-
glé pour vous conduire à votre perte, sachez ce que je suis et ce
que je peux faire. Avant de faire marcher contre vous une armée
de terre et de mer, j’ai instruit l’Ambassadeur de la Sublime Porte
avec qui je viens de renouveler l’ancienne alliance(3). Je vous l’ai
dit et je vous le répète : je veux vivre en bonne amitié avec vous,
je n’ai aucune vue ambitieuse, je n’ai pas besoin de vos États
pour être au premier rang des Puissances, mais si vous refusez de
me donner satisfaction, et si vous ne réprimez pas la licence de
____________________
1. Voy. p. 500.
2. Voy. la note 3, p. 500.
3. Dans une note qui fut remise à Sidi Mohammed-Ghaleb-Effendi, Ministre Plé-
nipotentiaire de la Porte à Paris, Bonaparte rappela les différentes voies de fait des Al-
gériens contre nos bâtiments, l’interruption de la pêche du corail, « l’impertinence de
vouloir exiger 200 000 piastres, comme s’il était une de ces petites Puissances dans le
cas de marchander leur amitié ». Il demanda au représentant du Grand Seigneur de faire
connaître à Mustapha les dangers auxquels il s’exposait, et le menaça de s’emparer de
toute la côte d’Afrique. L’Ambassadeur ottoman écrivit alors au Dey une lettre qui fut
portée par le citoyen Berge, et dans laquelle il engagea le Chef de la Régence « à tenir dé-
sormais une conduite plus conforme à l’amitié qu’il devait au Gouvernement français ».
Voy. Note remise par l’ordre du Premier Consul, le 10 thermidor an X, — Lettres du
citoyen Talleyrand au citoyen Dubois-Thainville, les 23 messidor et 9 thermidor an X, —
Lettres du citoyen Dubois-Thainville au citoyen Talleyrand, les 15 et 30 messidor an X.
(Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.) — Voy. aussi Correspondance de
Napoléon 1er t. VII, p. 681.
504 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

vos Ministres qui osent insulter mes agents et de vos bâtiments


qui osent insulter mon pavillon, je débarquerai 80 000 hommes
sur vos côtes et je détruirai votre Régence. Car enfin je ne sup-
porterai pas que vous traitiez mon pavillon comme vous traitez
celui des petites Puissances du nord d’Italie. Que vous et votre
Conseil réfléchissiez donc bien sur le contenu de cette lettre, car
ma résolution est immuable ! Je désire cependant que Dieu et vo-
tre bon génie vous éclairent, et que vous repreniez les sentiments
qui ont existé habituellement entre la France et Alger.
A Paris, le 8 thermidor an X de la République française.
BONAPARTE.

MUSTAPHA, DEY D’ALGER,


A BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Alger, le 12 août 1802.

De la part du très haut Seigneur Mustapha, Sultan d’Alger,


la Ville bien gardée, à notre compagnon et notre ami Bonaparte,
Premier Consul, Souverain de la République française et de la
République italienne. Je vous salue. La paix de Dieu soit avec
vous !
Ci-après, notre ami, je vous avertis que j’ai reçu par l’in-
termédiaire d’un Général de votre garde et par celui de votre
Chargé d’affaires Dubois-Thainville votre lettre en date du 29
messidor(1) ; je vais vous répondre article par article.
Premièrement, ma réponse est que je désire vous -satisfai-
re sur tous les points(2). Quant au Capitaine Ali dont vous vous
____________________
1. Voy. p. 500.
2. La division navale du Vice-Amiral Leyssègues arriva le 7 août 1802. Hulin
demanda aussitôt une audience à Mustapha, descendit à terre accompagné du Consul, qui
était venu le saluer à son bord, et de 15 officiers d’État-Major, et déclara que la France
était prête à envoyer une armée de débarquement et à détruire Alger, de fond en comble.
Terrifié par cette attitude, le Dey passa aussitôt de l’insolence à une déférence absolue,
AVEC LA COUR DE FRANCE 505

plaignez(1), quoiqu’il ne soit pas du nombre de mes gens, je l’ai


fait arrêter et garrotter pour lui ôter la vie sur-le-champ, et dans le
moment où j’en avais donné l’ordre, votre Chargé d’affaires(2) est
venu et m’a demandé sa grâce en votre nom ; je la lui ai accordée
en votre faveur et je l’ai mis en liberté.
Secondement, vous vous plaignez de la prise d’une polacre
napolitaine sous le canon des côtes de France(3). Ce fait vous a été
rapporté d’une manière qui n’est point vraie; cependant, par égard
pour vous, j’ai affranchi les 28 matelots qui s’y trouvaient et je les
ai fait remettre entre les mains de votre Chargé d’affaires.
Troisièmement, vous réclamez le navire napolitain qu’on
dit être sorti de Corfou avec des papiers français(4) ; il n’a point
montré ces papiers, mais en votre faveur j’ai affranchi les mate-
lots de ce navire, et je les ai remis à votre Chargé d’affaires.
Quatrièmement, vous m’avez demandé de faire arrêter le
Capitaine qui a emmené deux navires de la République françai-
se(5) ; par considération pour vous je l’ai destitué, mais je dois
vous informer que mes Capitaines ne savent pas lire et que, de
tous les écrits des chrétiens, ils ne connaissent que les passeports
d’usage. Telle est la cause de leur erreur dans cette affaire. Il
convient que vous donniez ordre aux négociants de prendre avec
eux quelques signes distinctifs, pour que mes gens puissent les
reconnaître.
____________________
reçut les officiers de l’escadre avec des honneurs exceptionnels dans le plus grand pa-
villon de ses jardins, et leur donna les plus beaux chevaux de ses écuries. Il accorda toutes
les satisfactions demandées, et répondit une lettre aussi humble que celle qu’il avait reçue
était hautaine. Les Consuls étrangers, Falcon, Nordeling, Fraissinet, Bille, représentants
de l’Angleterre, de la Suède, de la Hollande et du Danemark, rivalisèrent de prévenantes
auprès des Envoyés de Bonaparte, et donnèrent en leur honneur les plus brillantes récep-
tions. Voy. Lettres du citoyen Talleyrand au citoyen Dubois-Thainville, les 29 messidor
et 22 fructidor an X, — Lettres du citoyen Dubois-Thainville au citoyen Talleyrand, le 25
thermidor an X, — Rapport au Premier Consul sur la mission de l’Adjudant Hulin, le 17
fructidor an X. —Voy. aussi Moniteur universel, an X, n° 351.
1. Voy. la note 1, p. 501.
2. Dubois-Thainville.
3. Voy. la note 3, p. 501.
4. Cet article fait double emploi avec le précédent.
5. Voy. la note 2, p. 501.
506 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Cinquièmement, vous réclamez 150 personnes qui ont été,


à ce qu’on dit, jetées sur la côte à la suite d’un naufrage(1). Dieu
a disposé de leur sort et il n’en reste pas un seul ; ils sont tous
perdus. Tel est l’état des choses.
Sixièmement, vous dites que des hommes qui se sont empa-
rés de ma confiance mettent le trouble entre vous et moi(2) ; mais
nous sommes amis, notre amitié est sincère et ancienne, et tous
ceux qui s’interposent entre nous sont des amis communs.
Septièmement, vous désirez que nous soyons amis avec la
République italienne et que nous respections son pavillon com-
me le vôtre. Vos intentions seront remplies; si tout autre que vous
nous l’avait demandé, nous n’aurions pas accordé cet article.
Huitièmement, vous ne voulez pas m’envoyer les 200 000
piastres que j’avais demandées(3) en indemnité des pertes que j’ai
essuyées par rapport à vous, et conformément aux promesses de
votre Chargé d’affaires, mais soit que vous nous accordiez ou
que vous nous refusiez cette somme, nous n’en serons pas moins
amis.
Neuvièmement, je me suis entendu avec notre ami, le Char-
gé d’affaires Dubois-Thainville, relativement aux affaires de
La Calle et à ceux qui viennent pêcher le corail. La Compagnie
d’Afrique pourra travailler comme auparavant(4) ; j’ai ordonné au
Bey de Constantine de la protéger.
Dixièmement, j’ai fait tout ce que vous désiriez pour vous
satisfaire sur tout ce que vous demandiez ; je vous prie d’en agir
réciproquement de même à mon égard.
Onzièmement, apprenez que je vous respecte et donnez des
ordres pour que ceux qui sont mes ennemis ne puissent naviguer
____________________
1. Voy. la note 1, p. 498.
2. Voy. la note 2, p. 500.
3. Voy. la note 3, p. 500.
4. Un arrêté du 27 nivôse an IX avait ordonné le rétablissement de la Compagnie
d’Afrique. Dubois-Thainville avait envoyé à Bône un agent provisoire, Antoine Léon,
pour prendre la direction des affaires de ce comptoir ; de son côté Raimbert, ancien agent
au Collo, était allé s’établir à Tabarque et faisait exploiter la pêche suivant de nouveaux
règlements.
AVEC LA COUR DE FRANCE 507

sous votre pavillon ni sous celui de la République italienne, afin


d’éviter toute altercation entre nous, parce que je désire rester
votre ami.
Douzièmement, j’ai ordonné à tous mes Capitaines de res-
pecter le pavillon français ; le premier qui emmènera un navire
sera puni.
Treizièmement, je vous prie en grâce de donner les ordres
nécessaires pour qu’on termine les affaires de Bacri et de Bus-
nach, attendu les pertes qu’ils ont essuyées pendant la réclama-
tion de ces fonds. Je vous prie d’arranger cette affaire, ainsi que
Dubois-Thainville me l’avait promis de votre part(1).
Quatorzièmement, dorénavant, notre ami, s’il survient quel-
que chose entre nous, écrivez-moi vous-même et tout s’arrangera
à l’amiable. Et le salut.
Écrit à Alger, le 13 de Rebi-el-aker, l’an 1217.
(Sceau)
MUSTAPHA,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Traduit par JOUBERT, Secrétaire-interprète de la République, le 24 thermidor en X.

AKHMED, DEY D’ALGER,


A NAPOLEON 1er.

Alger, le 4 avril 1806.

(Sceau)
AKHMED,
Pacha et Dey d’Alger.
Ceci est la lettre amicale adressée à Sa Majesté notre très
illustre, très magnifique, très puissant et grand ami Bonaparte,
Sultan et Padischah de France, de la part du Dey et Gouverneur
____________________
1. Bonaparte donna des ordres pour que les comptes de ces Juifs fussent examinés
avec soin. Ceux-ci transmirent au Ministère une nouvelle note de leurs créances, montant
à 8 151 012 f. 54 c.
508 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

d’Alger Akhmed(1), — Que Dieu lui facilite l’accomplissement de


tous ses vœux ! — revêtu de l’honorable poste de Lieutenant de
Sa Hautesse le Sultan Sélim, — Que Dieu perpétue ses jours, son
règne et son empire ! qui, par la grâce spéciale de l’Éternel et par
l’assistance particulière du Très-Haut, est le Padischah de notre
siècle, le très grand Sultan et très illustre Empereur des intérêts des
mortels, celui qui protège les pays du Créateur contre l’injustice
de la révolte et qui efface les traces de la violence et de l’iniquité,
le Maître absolu des nations, l’ombre de Dieu étendue sur les fils
d’Adam, le Sultan des deux continents et des deux mers.
Très illustre, très magnifique, très puissant et grand ami Bo-
naparte, le plus glorieux parmi les Princes de la religion de Jésus
et le plus éminent parmi les Rois des nations nazaréennes, Sei-
gneur et Sultan de la France et d’autres contrées, — Puisse Votre
Majesté vivre élevée sur le trône de l’Empire, et goûter les agré-
ments et les douceurs de la vie ! — Ainsi soit-il ! pour l’amour de
Jésus, fils, de Marie.
Après vous avoir présenté ces vœux, nous avons l’honneur
de vous exposer ce qui suit :
Notre très illustre, très magnifique, très puissant et grand
ami, au nom du trésor de la bravoure et du diamant de la puissance
qui sont renfermés dans le valeureux cœur de Votre Majesté, nous
prenons la liberté de vous exposer que le frère d’un de nos tribu-
taires, nommé Bahiah, s’est enfui d’ici sur un bâtiment allemand
et s’est en secret retiré dans votre pays. Votre Majesté étant de-
puis de longues années l’amie sincère de la Régence d’Alger, et le
bien du susdit fuyard étant tout emprunté à la Régence, nous vous
prions instamment .de prendre des informations, de saisir tous
____________________
1. Le 30 août 1805, Akhmed fut proclamé Dey d’Alger malgré lui par une troupe
de Janissaires. Mustapha, pour sauver sa tête, donna vainement à ces derniers la permis-
sion de piller la ville; il fut étranglé avec son Khaznadji au moment où il prenait la fuite.
Le nouveau Chef de la Régence confirma nos traitée le 26 décembre suivant, et accueillit
avec bienveillance le Chargé d’affaires de l’Empereur, quoique ce dernier fût le seul qui
ne lui eût pas donné de présents à l’occasion, de son avènement. Voy. Lettres du citoyen
Dubois-Thainville au citoyen Talleyrand, les 10 fructidor an XIII et 5 brumaire an XIV.
— Cette ratification est aux Archives des Affaires étrangères, Salle des Traités.
AVEC LA COUR DE FRANCE 509

les effets qu’on trouvera avec lui, ainsi que les marchandises,
biens et argent qu’il pourra avoir dans d’autres lieux, et de nous
les envoyer le plus tôt possible, car tout le commerce du susdit
appartient à la Régence. Nous prions beaucoup Votre Majesté de
ne pas négliger cette affaire, et de nous donner dans cette circons-
tance une preuve de son amitié. Nous prions également Votre
Majesté de nous faire parvenir tous les biens laissés en France
par le défunt tributaire Ben Zahocha, car ces biens appartiennent
aussi à la Régence.
Notre très grand ami, nous vous promettons de notre côté
que nous ne négligerons pas les affaires qui vous surviendront
chez nous, que votre Consul jouira de plus d’honneurs et d’égards
que tous les autres Consuls qui résident auprès de nous, et que
tout ce que vous pourrez désirer de nous sera accordé et agréé.
Écrit vers le milieu du mois de Moharrem de l’année de
l’hégire 1221.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Ministère des Affaires étrangères,
le 7 mai 1806.

M. DUBOIS-THAINVILLE, CHARGÉ D’AFFAIRES DE FRANCE,


AKHMED, DEY D’ALGER.

Alger, le 31 juillet 1806.

Illustre et magnifique Seigneur,


J’ai l’honneur d’exposer à Votre Excellence que le R. P. ca-
pucin Pozzetti, dit Philibert, embarqué sur le bâtiment portugais
O Ango do Senor, pris par un de vos corsaires, était envoyé par
le Gouvernement français dans sa mission de Pondichéry(1). En
recevant les papiers ci-joints, qui prouvent que le P. Philibert est
____________________
1. Le P. Philibert, né à Ceva, petit village du Piémont, était recommandé à no-
tre Consul général par le Cardinal Fesch et par M. de Rayneval, Chargé d’affaires de
l’Empereur à Lisbonne. Le Dey s’obstinait à vouloir le considérer comme Portugais, afin
510 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Français, je suis informé que sa mission a été changée et qu’il


doit se rendre à la mission française de Constantinople.
Au nom et en vertu des ordres de Sa Majesté l’Empereur
des Français, Roi d’Italie, je réclame le P. Philibert pour être en-
voyé le plus tôt possible à sa destination.
Tous les articles des traités de la Régence avec la France,
et particulièrement l’article 8 de celui signée le 22 de la lune de
Chaban, l’an de l’hégire 1216, et ratifié par Votre Excellence sont
favorables au P. Philibert. Ils s’expriment ainsi :
— « Les Français saisis sous un pavillon ennemi de la Ré-
gence ne pourront être faits esclaves, quand même les bâtiments
sur lesquels ils se trouveront se seront défendus, à moins que,
faisant partie de l’équipage comme matelots ou soldats, ils ne
soient pris les armes à la main. » —
Le P. Philibert n’était ni matelot, ni soldat, ni employé à
aucune fonction sur le bâtiment qui avait son aumônier.
Veuillez agréer, illustre et magnifique Seigneur, les nouvel-
les assurances de mon profond respect.
Le Commissaire et Consul général, Chargé d’affaires de Sa
Majesté l’Empereur des Français, Roi d’Italie.
DUBOIS-THAINVILLE.

DUBOIS-THAINVILLE, CHARGÉ D’AFFAIRES DE FRANCE,


A AKHMED, DEY D’ALGER.

Alger, le 19 septembre 1806.

Illustre et magnifique Seigneur,

La porte de votre palais m’ayant été fermée, je ne puis com-


muniquer avec Votre Excellence que par écrit.
Le plus pressant de mes désirs a toujours été celui d’entre-
____________________
d’obtenir sa rançon ; il l’avait fait condamner aux travaux les plus pénibles, et l’avait
confondu au bagne avec les derniers des esclaves. Voy. Lettre de Dubois-Thainville au
prince de Bénévent, le 23 août 1806.
AVEC LA COUR DE FRANCE 511

tenir la bonne intelligence avec vous, et personne n’a été plus


affligé que moi des événements, si contraires aux intérêts et à la
dignité de mon puissant Souverain, qui se sont passés ici depuis
deux mois(1).
Je me bornerai à parler ici à Votre Excellence de deux affai-
res. Le capitaine Jean-Baptiste Monti a été chargé par le général
Morand, qui commande en Corse, et par le Consul général de
France à Cagliari(2) de porter à Tunis 80 Musulmans esclaves en
Sardaigne. Il a été expédié pour cet effet en parlementaire, avec
des passeports des Consuls de toutes les nations. Après avoir
rempli sa mission à Tunis, où il a débarqué les 80 Turcs, il a reçu
un passavant du Consul général de France(3) pour venir recevoir
quelques sommes qui lui étaient dues à Bône. Ses papiers, à son
arrivée dans ce port, ont été visités et trouvés bons, mais le misé-
rable Escudero, se disant Vice-Consul anglais(4), qui depuis plu-
sieurs années a commis sur cette Échelle tous les genres de crimes,
est parvenu à persuader à vos reïs que le capitaine Monti, connu à
Bône et à Alger même pour Français, n’était pas en règle. Il a été
arrêté avec son équipage français comme lui et conduit ici(5). Vous
____________________
1. Le nouveau Dey avait extorqué des Bacri un cadeau de 50 000 p., il avait, exigé
40 000 p. du Portugal avant de traiter avec lui, il avait obtenu 12 000 p. de l’Espagne, 10
000 p. de l’Angleterre, 100 000 p. des États-Unis, 40 000 p. de la Hollande, 50 000 p. de
l’Autriche, et la complaisance de ces nations n’avait pu que développer les mauvaises
dispositions du Chef de la Régence contre Dubois-Thainville. En effet celui-ci avait l’or-
dre formel d’abolir l’usage des présents. Akhmed ayant refusé de respecter les pavillons
de Gênes et de Naples, Talleyrand avait fait mettre l’embargo sur les navires et sur les
marchandises des Algériens en France.
2. M. Doriol.
3. M. Devoize.
4. C’était un Espagnol dont la famille était établie à Mahon, et qui s’était installé
Vice-Consul anglais à Bône sans l’autorisation du Gouvernement britannique. La cor-
respondance de Dubois-Thainville est remplie de récits d’attentats commis par Escudero
envers nets compatriotes. Il exigeait 40 p. de chaque patron de coralines, et capturait tous
ceux qui refusaient de se soumettre à son tribut. M. Ortiz, Chargé d’affaires d’Espagne à
Alger, le laissait faire, et notre représentant ne cessait de solliciter en vain l’expulsion de
cet intrigant du territoire de la Régence. Voy. Lettre de Dubois-Thainville au prince de
Bénévent, le 1er août 1806.
5. Les 11 hommes de l’équipage de la gondole La Conception avaient été arrêtés
au mépris de toute justice, et jetés dans les bagnes d’Alger avec le capitaine Monti, de
Bonifacio. Ils avaient été accusés d’avoir tiré des coups de fusil sur le reïs qui les avait
512 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

l’avez fait esclave et condamné aux travaux les plus pénibles.


Ainsi le capitaine Monti est victime de son dévouement ; il a
rendu à la liberté et à leur famille 80 esclaves musulmans, et il
est pris dans un de vos ports où il est entré sur la foi des traités,
et, tout malade qu’il est, il porte journellement la chaîne sous
laquelle il est près de succomber. Les lois de Dieu et de tous les
Souverains de la terre condamnent cette mesure, et sans doute les
rapports qui ont été faits à Votre Excellence sur cette affaire ne
sont pas exacts. J’atteste sur la foi de l’honneur que ceux que je
lui donne sont fidèles.
Le 19 août dernier, au moment où vos corsaires mettaient
à la voile, j’ai eu l’honneur d’annoncer à Votre Excellence que
l’auguste frère de Sa Majesté l’Empereur des Français(1) était
monté sur le trône de Naples, et, conformément aux intentions
de mon Souverain, j’espérais que vous donneriez des ordres pour
que les Napolitains jouissent des mêmes égards que les Fran-
çais. Quelque temps auparavant, j’avais fait la même communi-
cation au Vekilhardji de la Marine. Il paraît que Votre Excellence
a donné peu de foi à mes paroles, qui néanmoins étaient celles de
mon puissant Souverain, puisqu’une grande quantité de bateaux
pêcheurs napolitains ont été attaqués et saisis par vos corsaires
dans le port et sur la côte(2).
Voici la copie de la lettre d’office que Son Excellence M.
le Prince de Talleyrand, Ministre dés relations extérieures de Sa
Majesté l’Empereur des Français, m’a écrite le 20 juin dernier :
— « Vous êtes informé, Monsieur, qu’en vertu d’un acte
du Gouvernement que Sa Majesté l’Empereur a communiqué au
____________________
pris, mais ils avaient au contraire été maltraités par lui, après avoir été saisis la nuit, pen-
dant leur sommeil. Sur les instances de notre Consul général, Akhmed finit par s’engager
à punir le corsaire coupable et à destituer le Caïd de Bône, dont la conduite avait été fort
suspecte dans cette affaire. Voy. Lettre de Dubois-Thainville à Osman, Bey de Constan-
tine, le 16 fructidor an XII.
1. Joseph-Napoléon.
2. Après cette notification, le Dey avait déclaré qu’il n’avait aucune connaissance
des changements relatif’ au Royaume de Naples, et qu’il continuerait à regarder comme
ennemi le pavillon de cette nation. 106 Napolitains avaient été saisis quelques jours après
dans le port de Bône, et 100 quintaux de corail avaient été confisqués. Voy. Lettre de Du-
bois-Thainville au prince de Bénévent, le 25 septembre 1806.
AVEC LA COUR DE FRANCE 513

Sénat, et qui a été transcrit sur les registres de ce corps, la Cou-


ronne de Naples a été transférée à Son Altesse Impériale le Prince
Napoléon-Joseph, frère de Sa Majesté. Cet événement doit être
l’objet d’une notification formelle que vous devez faire au Gou-
vernement près duquel vous résidez. Vous voudrez bien, en consé-
quence, faire connaître au Dey que vous avez reçu de Sa Majesté
Impériale et Royale l’ordre exprès de lui notifier l’avènement de
Son Altesse le Prince Napoléon-Joseph de France à la Couronne
de Naples. Le trône de cet État ayant vaqué à la suite d’une dé-
chéance encourue par la plus scandaleuse perfidie dont les annales
des peuples aient jamais fait mention, Sa Majesté, qui s’est trouvée
dans la nécessité de soustraire ce pays et l’Italie entière aux fureurs
d’une Cour inconsidérée, a jugé convenable à sa dignité de confier
la destinée de ce pays qu’elle chérit à un Prince de sa Maison. Le
Dey recevra sans doute cette communication comme un nouveau
gage des sentiments d’amitié que Sa Majesté l’Empereur et Roi
se plaira en toute occasion à lui manifester. Elle ne doute point
que le Dey d’Alger ne cesse de considérer les Napolitains comme
ennemis et les traite désormais en amis, eux et leur pavillon, pour
lequel vous réclamerez des égards semblables à ceux dont jouit
le pavillon français. Je vous prie, Monsieur, de me faire connaître
sur-le-champ l’effet qu’aura produit cette notification. »
D’après cette lettre, illustre et magnifique Seigneur, et
conformément aux traités anciens et nouveaux qui portent tex-
tuellement qu’aucun Français, sous quelque prétexte que ce soit,
ne peut être fait esclave(1), au nom et en vertu des ordres exprès
de Sa Majesté l’Empereur des Français, Roi d’Italie, je réclame
le capitaine Jean-Baptiste Monti et son équipage, composé de
tous les Français, la restitution de son bâtiment, de ses papiers,
argent, effets et marchandises(2). Je réclame également tous les
____________________
1. Article VII du traité de 1801.
2. Napoléon résolut de rappeler en France le Consul et tous les Français résidant
en Barbarie, dans le cas où le Dey refuserait de restituer les esclaves italiens qu’il avait
encore entre les mains. Déjà l’année précédente il avait ordonné à son frère, Jérôme-
Napoléon, de se rendre à Alger avec sa division navale. Celui-ci s’était fait délivrer une
514 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

équipages des bateaux napolitains, leurs barques, corail et effets.


Je suis instruit qu’ils sont munis de tous les papiers convena-
bles.
Daignez agréer, illustre et magnifique Seigneur, les nouvel-
les assurances de mon profond respect.
Le Commissaire et Consul général, Chargé d’affaires de Sa
Majesté l’Empereur et Roi.
DUBOIS-THAINVILLE.

M. DUBOIS-THAINVILLE, CHARGÉ D’AFFAIRES DE FRANCE,


A AKHMED, DEY D’ALGER.

Alger, le 23 septembre 1806.

Illustre et magnifique Seigneur,


Le 19 de ce mois, j’ai eu l’honneur de vous écrire(1) pour me
plaindre de l’arrestation du capitaine Monti, et des mauvais trai-
tements exercés contre lui à votre Marine(2). Je me suis plaint en
même temps de la confiscation des barques napolitaines saisies
dans le port de Bône(3), quoique leurs papiers y eussent été précé-
demment visités et trouvés bons, ainsi qu’à Tunis et à Tabarque.
Je vous ai adressé copie de la lettre de Mgr le Prince de Talley-
rand, Premier Ministre de Sa Majesté l’Empereur des Français,
qui m’a chargé, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous en faire la no-
tification le 19 août, de réclamer les mêmes égards pour les Na-
politains que pour les Français. Votre Excellence ne m’a donné
encore aucune satisfaction à cet égard.
J’ai reçu hier des lettres du Vice-Consul de France à Bône(4) ;
____________________
partie de ces esclaves, et les avait ramenés au nombre de 231, moyennant un présent de 80
000 p. — Voy. Correspondance de Napoléon 1er, le 5 juillet 1805, — Moniteur universel,
1805, no 352.
1. Voy. p. 510.
2. Voy. la note 4, p. 511.
3. Voy. la note 3, p. 512.
4. Voy. Lettres d’Antoine Léon à Dubois-Thainville, les 30 août, 6 septembre 1806
et 6 juillet 1807. (Archives des Affaires étrangères, Consulat d’Alger.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 515

les détails qu’elles contiennent m’affligent beaucoup. Toutes les


barques napolitaines sont munies de passeports de Sa Majesté
l’Empereur même ; elles avaient le pavillon français qui a été
arraché, déchiré et foulé aux pieds. M. Raimbert, Vice-Consul de
France à Tabarque, qui se trouve à Bône(1), y a été mis en arresta-
tion par vos reïs, qui se sont conduits en véritables ennemis envers
les Français. C’est Escudero, que vous avez envoyé à Bône mal-
gré les assurances réitérées qu’il n’y retournerait pas, qui dirige
toutes les opérations(2). C’est ce misérable, sujet espagnol, qui
se dit Consul anglais et qui n’a aucun papier du Gouvernement
britannique, qui trompe vos reïs et les autorités de Bône pour les
exciter à des violences envers nous. C’est lui qui a été dépositaire
de toutes les expéditions qu’il a interprétées à sa manière en pré-
sence du Divan même et du Vekil du Bey de Constantine.
Avant de rendre compte à mon puissant Souverain de ces
événements, qui m’affligent beaucoup parce que j’ai toujours
voulu entretenir la bonne intelligence entre les deux nations, j’ai
cru de mon devoir d’en instruire Votre Excellence. Les événe-
ments qui se passent sous mes yeux, je ne puis vous le dissimuler,
illustre et magnifique Dey, ne peuvent manquer d’exciter toute ma
surprise. C’est au moment où le Grand Seigneur envoie à Paris
un Ambassadeur avec des présents considérables, c’est à l’instant
où les liens viennent de se resserrer de la manière la plus étroite
entre la Sublime Porte et la France, que les passeports de Sa Ma-
jesté l’Empereur de France sont méprisés, ses pavillons foulés aux
pieds, ses agents insultés et tous les traités méconnus.
Votre Excellence est trop sage pour vouloir souffrir plus
longtemps de pareils excès, et je ne doute point qu’elle ne veuille
accorder à mon Souverain la justice qu’il a le droit de réclamer.
Au nom et en vertu des ordres de Sa Majesté l’Empereur des
Français, Roi d’Italie, je réclame derechef le capitaine Monti et
son équipage. Je réclame tous les Napolitains, avec leurs barques
____________________
1. Raimbert était venu à Bône sur la gondole du capitaine Monti, afin de régler
diverses affaires de pêche avec l’agent de ce comptoir.
2. Voy. la note 3, p. 511.
516 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

et leurs propriétés saisies avec le passeport et le pavillon de Fran-


ce. Je demande qu’un Divan soit assemblé à la Marine, et que les
papiers des uns et des autres y soient représentés et interprétés en
ma présence par un Consul d’une nation neutre.
Votre Excellence voudra bien en même temps donner des
ordres pour que M. Raimbert, Vice-Consul de France à Tabarque,
retenu à Bône par vos reïs, soit immédiatement mis en liberté(1).
Daignez agréer, illustre et magnifique Seigneur, les nouvel-
les assurances de mon profond respect.
Le Commissaire et Consul général, Chargé d’affaires de Sa
Majesté l’Empereur et Roi.
DUBOIS-THAINVILLE(2).
LOUIS XVIII
A ALI, DEY D’ALGER(3).

Paris, le 20 mai 1814.

Illustre et magnifique Seigneur,


Dieu a daigné mettre un terme aux discordes et aux maux
qui affligeaient depuis trop longtemps l’Empire de France. Les
droits de notre naissance et les lois fondamentales de l’État nous
____________________
1. Voy. État des Français esclaves d Alger réclamés par Dubois-Thainville,
Consul général et Chargé d’affaires de France, en vertu des ordres de M. de Champagny,
Ministre des Affaires étrangères, le 17 octobre 1807. (Archives des Affaires étrangères,
Consulat d’Alger.)
2. Dubois-Thainville finit par obtenir satisfaction, mais, malgré tous ses efforts et
toute sa diplomatie, il ne put résister longtemps aux demandes de présents qu’il s’était
promis d’éluder. Sa situation devint de jour en jour plus difficile et dans l’année 1811,
poussé à bout par tous les officiers de la Régence, il décida le Gouvernement de l’Em-
pereur à envoyer à Alger les cadeaux si désirés. Voy. État des présents faits par Dubois-
Thainville au Dey et d la Régence d’Alger, le 13 mai 1811. — Cet état s’élève à 202 307
fr. 55 c. Il comprenait des vases, des candélabres, des tasses à sorbet, des pendules, des
pipes à l’orientale, des coupes à fruits, un brûle-parfums, des aiguières, un nécessaire de
toilette, 188 aunes de drap, 13 pièces de soie brochée or et argent, 36 aunes de velours,
etc. Le Dey renvoya à Napoléon deux chevaux magnifiques avec leur harnachement. Fa-
min, chargé de l’Agence des relations extérieures à Marseille, fut spécialement désigné
pour surveiller ces envois.
3. Akhmed avait été assassiné le 7 novembre 1808 et remplacé par Ali Khodja,
AVEC LA COUR DE FRANCE 517

ont appelé au trône de nos ancêtres, et nous avons pris les rênes
de l’Empire français au milieu des acclamations de nos peuples,
qui nous ont donné les marques les plus vraies de leur respect et
de leur amour pour notre personne sacrée(1). Dieu, qui est dans
tous les cœurs, est témoin que nous n’avons d’autre désir que
de marcher sur les traces de nos augustes aïeux. La droiture et la
justice seront toujours le fondement et le lien de l’attachement de
nos sujets comme de l’amitié des nations étrangères.
Nous confirmons d’autant plus volontiers les traités qui
existent entre la France et la Régence d’Alger que nous sommes
convaincu que vous en remplirez fidèlement les conditions, et
que vous rendrez à notre Couronne impériale et à nos sujets tout
ce qui peut affermir de plus en plus la paix, l’amitié et la corres-
pondance la mieux établie. C’est dans cette confiance que nous
avons voulu vous assurer nous-même de notre affection et de
notre haute bienveillance.
Nous envoyons nos pleins pouvoirs au sieur Dubois-Thain-
ville, que nous confirmons dans la place de Consul général et de
Chargé de nos affaires auprès de vous(2). Nous lui donnons ordre
de vous présenter cette lettre, et nous vous requérons d’ajouter
entière foi et créance à tout ce qu’il vous dira en notre nom.
Sur ce nous prions Dieu qu’il vous ait, illustre et magnifi-
que Seigneur, en sa sainte et digne garde.
Écrit en notre château impérial des Tuileries de Paris, le 20
mai de l’an de grâce 1814, de notre règne le 19e.
Louis.
____________________
étranglé le 4 mars 1809, puis par Hadji Ali, Écrivain des chevaux, du despotisme duquel
notre Consul général ne tarda pas à se plaindre.
1. La nouvelle du rétablissement des Bourbons fut apportée à Alger le 2 mai 1814
par la frégate La Junon, commandée par M. de Meynard. Cet officier « remplit avec
beaucoup d’adresse et de dignité sa mission », au dire du Consul général, reçut du Dey
l’accueil le plus flatteur, et fit saluer sans aucune difficulté le nouveau pavillon blanc par
les canons des forts. — Le 6 juillet arriva dans la rade la frégate Le Faune, commandée
par le comte de Saint-Belin, qui remit à Hadji Ali les lettres de la Cour des 20 et 23 mai.
2. Voy. Pleins pouvoirs du Roi à Dubois-Thainville pour le renouvellement des trai-
tés, le 20 mai 1814. — Voy. aussi Enregistrement de la commission de Louis XVIII en faveur
de M. Dubois-Thainville, qui l’autorise à faire confirmer en son nom nos traités avec la
Régence. (Les Archives du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 150.)
518 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
LE PRINCE DE TALLEYRAND, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(1),
A ALI, DEY D’ALGER.

Paris, le 23 mai 1814.

Très illustre et magnifique Seigneur,

C’est avec la plus vive satisfaction et au milieu de l’al-


légresse de tous les Français que je vous apprends le retour de
Louis XVIII à la Couronne de France. Sa Majesté a repris les
rênes du Gouvernement(2) et tous les droits de sa naissance, à la
satisfaction entière de ses sujets, et ses qualités personnelles et
ses hautes vertus sont du présage le plus heureux.
Sa Majesté Impériale ayant daigné me confier le Ministère
des Affaires étrangères, je désire n’être jamais auprès d’elle que
l’interprète de votre attachement envers la France, et l’organe de
la bienveillance de Sa Majesté Impériale dont je chercherai tou-
jours à vous assurer les marques. C’est tout ce qu’il m’est permis
d’ajouter par respect pour les nobles caractères de Sa Majesté
Impériale, dont je vous remets la lettre comme le signe et le sceau
d’une bonne correspondance dont il ne tiendra qu’à vous de ren-
dre les liens durables et les effets heureux.
Je suis cordialement et plus parfaitement que personne.
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait, et sincère ami.

TALLEYRAND.
____________________
1. Voy. la note 3, p. 466.
2. Louis XVIII avait daté sa lettre de la 19e année de son règne.
AVEC LA COUR DE FRANCE 519
ALI, DEY D’ALGER,
A LOUIS XVIII.

Alger, le 12 juillet 1814.


(Sceau)
ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.
Nous adressons cette réponse à Louis XVIII, Roi de la tota-
lité de l’armée française. — Que Dieu le rende heureux ! —Ainsi
soit-il !
Votre lettre nous est parvenue(1) ; nous l’avons ouverte et
nous l’avons lue d’un bout à l’autre. Vous nous instruisez, par
cette lettre, que vous vous êtes assis comme Roi dans la capitale
de votre Royaume, et que vous avez pris la Couronne. Que Dieu
rende cet avènement heureux pour vous ! Vous me dites dans
votre lettre : — « Nous conserverons avec vous, s’il plaît à Dieu,
l’amitié précédente; elle ne changera et ne cessera jamais ; il n’y
aura entre nous et vous que sincérité et jamais il n’y aura de man-
que de foi. » — Oui ! nous avons renouvelé entré nous et vous
une amitié plus grande que la précédente ; jamais elle n’éprou-
vera aucun changement(2). Vous nous instruisez aussi que vous
avez confirmé l’ancien Consul dans sa place, qu’il est supérieur à
tous les Consuls établis dans le pays des Arabes, et que toutes nos
affaires ne se feront que par son ministère. Oui ! Celui que vous
agréez, nous l’agréons aussi et nous l’aimons. A l’avenir il n’y
aura entre nous et vous qu’amitié et sincérité ; s’il plaît à Dieu
elle ne changera jamais. Adieu !
Écrit par la permission du magnifique, élevé, excellent, très
bon, notre Maître et notre Seigneur, le très illustre Ali. — Que
Dieu l’assiste de son secours et lui donne la victoire ! — Ainsi
soit-il ! Le 22 de Redjeb, l’an 1229(3).
Traduit par SYLVESTRE DE SACY, Secrétaire-interprète du Ministère des Affai-
res étrangères.
____________________
1. Voy. p. 516.
2. Nos traités avaient été revêtus le 11 juillet de la signature d’Ali.
3. Talleyrand crut devoir renvoyer cette lettre à notre Consul. Il se plaignit de ce
520 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
ALI, DEY D’ALGER,
AU PRINCE DE TALLEYRAND, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Alger, le 12 juillet 1814.

(Sceau)
ALI,
Dey et Gouverneur d’Alger.

Nous adressons la -présente réponse au Ministre de la Cou-


ronne de France. — Que Dieu lui accorde la sécurité ! — Ainsi
soit-il !
Votre lettre nous est parvenue(1) ; nous l’avons ouverte et
nous l’avons lue d’un bout à l’autre. Vous nous faites part dans la
dite lettre que Louis s’est assis comme Roi dans la résidence de
son Royaume, qu’il a pris la Couronne et que vous avez été établi
Ministre sur tout le pays. Cela sera heureux, s’il plaît à Dieu. Vous
me dites : — « Nous conserverons avec vous l’amitié précédente,
elle ne changera et ne cessera jamais, et il n’y aura que de la sin-
cérité entre nous et vous. » — S’il plaît au Dieu Très-Haut; oui !
l’amitié qui a été établie entre nous et vous est plus grande que
la précédente; elle ne changera point et ne cessera point. Nous
sommes toujours avec vous dans la même disposition. Adieu !
Écrit par la permission du maniaque, élevé, excellent, très
bon, notre Maitre et notre Seigneur, l’illustre Ali, — Que Dieu
____________________
qu’elle était écrite « d’une manière irrégulière et inusitée » ; il fit observer que le Dey ne
donnait à Louis XVIII que le titre de Roi sans autre qualification, tandis que depuis plus
d’un siècle tous les Souverains de France avaient eu celui de Padischah. Il demanda des
explications sur « l’absence du préambule en style oriental », et réclama « ces expressions
de louange et de haute considération qui avaient toujours accompagné le titre d’Empe-
reur, et dont l’oubli constituait une véritable impolitesse ». Lettre du prince de Talleyrand
à Dubois-Thainville, le 8 septembre 1814. — Voy. Note sur le protocole avec les Puissan-
ces barbaresques, le 18 août 1814, — Lettre de Sylvestre de Sacy au prince de Talleyrand,
le 12 août 1814, lui disant qu’en sa qualité d’Interprète, « il a peine à croire que ce ne soit
pas une chose faite à dessein, par suite des prétentions exagérées des Musulmans ».
1. Voy. p. 518.
AVEC LA COUR DE FRANCE 521

l’assiste de son secours et lui donne la victoire ! — Ainsi soit-il !


Le 22 de Redjeb, l’an 1229(1).
Traduit par SYLVESTRE DE SACY, Secrétaire-interprète du Ministère des Affai-
res étrangères.

SIDI MUSTAPHA, VEKILHARDJI DE LA MARINE D’ALGER,


AU COMTE DE JAUCOURT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(2).

Alger, le 17 octobre 1814.

Des différends étant survenus entre notre Régence et vo-


tre Consul, au sujet des insultes faites à votre pavillon et pour
des intérêts majeurs de nos sujets, nous ne pouvons compter sur
ses promesses, et Son Excellence notre Dey a pris la décision de
le faire partir par la présente occasion, jusqu’à ce qu’il plaise à
Sa Majesté Très Chrétienne d’envoyer un nouveau Consul pour
prendre les intérêts de la France et les nôtres en même temps(3).
____________________
1. Talleyrand renvoya cette lettre comme la précédente, en demandant qu’on lui
donnât le titre de Vizir comme à tous ses prédécesseurs, et non celui de Ministre de la
Couronne. « Je vous engage à vous faire expédier une nouvelle lettre, conçue dans les
termes d’usage. Vous attacherez à ces demandes toute l’attention qui leur est due, en
considérant à quel point il est nécessaire, vis-à-vis de la Régence, de n’admettre aucune
innovation à notre désavantage dans le commencement d’un nouveau règne. » Lettre du
prince de Talleyrand à Dubois-Thainville, le 8 septembre 1814.
2. Arnal-François, comte de Jaucourt, colonel de dragons à l’époque de la révo-
lution, Député à l’Assemblée législative, émigré en Angleterre et en Suisse, membre du
Tribunat. Il devint pair de France sous la Restauration et Ministre des Affaires étrangères
du 11 septembre 1814 au 20 mars 1815. Il fut ensuite Ministre de la marine et reçut le
grade de Lieutenant général du Roi.
3. Le Dey s’était attribué le droit de restituer à leurs premiers propriétaires les pri-
ses amenées dans les ports de la Régence par les vaisseaux des Puissances belligérantes,
et cette prétention n’avait pas tardé à amener des conflits. Après avoir temporisé avec le
Gouvernement d’Alger afin d’éviter une rupture, Dubois-Thainville refusa de se dessai-
sir, avant d’avoir reçu des ordres de la Cour, d’une somme de 114 300 p. alors en litige
à la chancellerie de notre Consulat. De leur côté les Juifs Bacri, voulant se débarrasser
d’un Consul qui les méprisait, lui tirent demander par le Dey 600 000 f. pour la valeur
du chargement d’un de leurs navires, Le Giuseppino, conduit à Barcelone par une de nos
frégates, et lui réclamèrent le payement immédiat du montant de leurs créances, que le
Ministre des Affaires étrangères avait négligé de solder pendant les guerres de l’Empire.
522 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

En attendant, les sujets français qui sont dans notre Royau-


me resteront sous la protection de notre Dey, nos ports seront
ouverts à tous les bâtiments portant pavillon français et ils seront
accueillis favorablement.
Daignez recevoir l’assurance de notre attachement pour la
France et pour Votre Altesse Sérénissime.
(Sceau)
SIDI MUSTAPHA,
Ministre de la Marine d’Alger.

LOUIS XVIII
A ALI, DEY D’ALGER.

Paris, le 14 décembre 1814.

Illustre et magnifique Seigneur,

Ayant jugé convenable au bien de notre service de rappeler


en France le sieur Dubois-Thainville, qui résidait près de vous en
qualité de notre Consul général et Chargé de nos affaires(1), nous
avons fait choix du sieur Deval(2), et nous l’avons nommé pour le
____________________
Le 1er octobre 1814 Ali lui fit signifier qu’il eût à quitter la Régence ; il s’embarqua le 19
du même mois sur le brick Le Lys, et abandonna les sceaux au Chancelier Jean-Joseph-
Roch Ferrier. Voy. Lettre de Dubois-Thainville au prince de Talleyrand, le 2 novembre
1814, rendant compte de son expulsion et de toutes les tracasseries dont il a été victime,
— Lettre de Ferrier au prince de Talleyrand, le 18 novembre 1814.
1. Le Ministre avait décidé son rappel le 10 septembre 1814, et l’avait nominé en
même temps Inspecteur de l’Échelle de Tunis. — Voy. Lettre de Dubois-Thainville au
prince de Talleyrand, le 6 décembre 1814. « Au moment où j’étais exposé à Alger aux
plus affreux traitements en défendant, j’ose le dire, avec quelque courage les intérêts du
Roi, à l’instant où le Dey, après les plus violentes discussions, me forçait à quitter ma
résidence en me fermant toutes les portes de son palais, en violant envers l’agent de Sa
Majesté tous les traités, tous les droits les plus sacrés des nations et ses engagements lier-
nes les plus récents, les calomnies de quelques armateurs de navires, les auteurs de tous
nos démêlés avec Alger (les Juifs Bacri et Busnach) en imposaient au Gouvernement et
déterminaient mon rappel. Il me sera facile de prouver que ma conduite fut non seulement
irréprochable, mais qu’elle m’a acquis quelques droits aux bontés du Roi. »
2. Philibert Deval, premier Secrétaire-interprète du Roi à Constantinople, qui
AVEC LA COUR DE FRANCE 523

remplacer dans l’exercice des mêmes fonctions. La connaissance


particulière que nous avons de sa probité, de sa sagesse et de ses
talents nous persuade qu’il justifiera parfaitement la confiance
que nous lui accordons, et qu’il ne négligera aucun moyen pour
mériter notre approbation. Nous vous recommandons de l’ac-
cueillir avec bienveillance, et de lui faciliter l’exécution des or-
dres que nous serons dans le cas de lui transmettre. Nous vous
prions d’ajouter une foi, entière à tout ce qu’il vous dira en no-
tre nom, et surtout lorsqu’il vous entretiendra de nos sentiments
pour votre personne, des objets relatifs à notre service, et de tout
ce qui concerne les intérêts de nos sujets et de leur commerce
dans vos États. Sur ce nous prions Dieu, illustre et magnifique
Seigneur, qu’il vous ait en sa sainte garde.
Écrit en nôtre château impérial des Tuileries, le 14 décem-
bre 1814.
Louis.

LE COMTE DE JAUCOURT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES


A ALI, DEY D’ALGER.

Paris, le 20 décembre 1814.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, ayant jugé à propos d’envoyer à
Alger le sieur Deval en qualité de son Consul général et de Chargé
____________________
servit la France pendant quarante ans, eut trois fils également employés dans la carriè-
re diplomatique ou consulaire : Mathieu Deval, Conseiller de l’ambassade de France à
Constantinople, Constantin Deval, premier Drogman à la même ambassade, et Pierre
Deval dont il est ici question. Ce dernier avait été successivement Jeune de langue en
1774, Interprète-Chancelier à Seyde en 1779, puis à Alep et à Alexandrie, et enfin Consul
à Bagdad de 1786 à 1794, époque à laquelle-il avait été destitué par la Commission des
relations extérieures. Depuis lors il était demeuré éloigné de l’administration. Voy. Provi-
sions de Consul général pour M. Deval, le 10 septembre 1814, publiées dans Les Archives
du Consulat général de France à Alger, par Devoulx, p. 151.
1. Voy la note 2, p. 521.
524 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de ses affaires(1), je m’empresse de saisir cette occasion pour vous


exprimer la satisfaction que j’éprouve à correspondre avec votre
personne. Je suis bien persuadé que les mêmes sentiments vous
animent pour le maintien de la plus parfaite intelligence entre
l’Empire français et vos États, et le principal but du Consul gé-
néral de France sera d’employer tous ses soins à écarter ce qui
pourrait y porter la plus légère atteinte. Ses excellentes qualités
me font espérer qu’il réussira à justifier la confiance de Sa Ma-
jesté Impériale et à mériter son approbation.
Il me sera bien agréable d’apprendre, très illustre et magni-
fique Seigneur, qu’il trouvera toujours auprès de vous la faveur et
la protection dont il aura besoin pour exercer ses fonctions, surtout
lorsqu’il aura à vous entretenir des intérêts et du commerce de la
nation française dans vos États. Vous pouvez compter sur des dispo-
sitions aussi favorables de la part de l’Empereur, mon Maître, pour
tout ce qui pourra concourir à la prospérité de votre Gouvernement.
Les événements qui se sont passés en France depuis le mois
de mars dernier(2), et dont Votre Altesse a sans doute eu connais-
sance, ont nécessairement retardé le départ du Chargé d’affaires
de Sa Majesté Impériale(3), mais j’ai la satisfaction de vous an-
noncer que tout a été terminé de manière à ne laisser aucune trace
des dissensions qui ont un instant agité la nation française, et que
rien ne pourra désormais altérer les rapports d’amitié qui doivent
subsister entre les deux États.
C’est avec un plaisir bien véritable que je profite de cette
circonstance pour vous convaincre de la sincérité de mes senti-
ments, et pour vous donner des témoignages de la considération
distinguée avec laquelle je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
DE JAUCOURT.
____________________
1. Voy. la note 2, p. 522.
2. Le siège de Paris par les alliés et la capitulation de cette ville (31 mars), l’abdi-
cation de Napoléon (6 avril), le traité de Paris (23 avril), la charte de Louis XVIII (4 juin),
enfin le Congrès de Vienne (1er novembre).
3. Deval.
AVEC LA COUR DE FRANCE 525
LE COMTE DE JAUCOURT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
A SIDI MUSTAPHA, VEKILHARDJI DE LA MARINE D’ALGER.

Paris, le 27 décembre 1814.

Le soussigné Ministre d’État, chargé par intérim du Dé-


partement des Affaires étrangères, a reçu la lettre dans laquelle
le Ministre de la Marine d’Alger lui a fait connaître la résolu-
tion prise par Son Excellence le Dey à l’égard de M. Dubois-
Thainville(1).
Peu de temps après son retour en France, l’Empereur, mon
Maître, s’était fait rendre compte de l’état des relations de son
Empire avec la Régence d’Alger, et Sa Majesté avait résolu
d’employer tous les moyens compatibles avec la justice et avec
la dignité de la Couronne pour faire cesser les difficultés qui
s’étaient élevées de part et d’autre, pendant les temps malheu-
reux où la France se trouvait privée de son Souverain légitime,
et pour rétablir d’une manière stable la bonne intelligence qui a
toujours subsisté entre les deux pays sous le Gouvernement de
ses augustes prédécesseurs. A cet effet, Sa Majesté Impériale
avait décidé de rappeler M. Dubois-Thainville(2), afin de détruire
l’effet des préventions dont il pouvait être devenu l’objet, et elle
avait désigné pour le remplacer une personne honorée de tou-
te sa confiance, et capable de remplir dignement ses intentions
bienveillantes(3).
Sa Majesté Impériale était dans ces dispositions, lorsqu’il
nous est parvenu une lettre de Son Excellence le Dey d’Alger(4),
en réponse à celle que Sa Majesté Impériale lui avait adressée
pour lui notifier son arrivée dans ses États(5), et nous avons vu que
cette lettre n’était point conçue dans les termes qu’exige la dignité
____________________
1. Voy. p. 521.
2. Voy. la note 1, p. 522.
3. Voy. la note 2, p. 522.
4. Voy. p. 519.
5. Voy. p. 516.
526 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de la Couronne de France, et qui sont consacrés par l’ancien usa-


ge(1). Puis, récemment, nous avons été informé de l’injonction
donnée par Son Excellence le Dey d’Alger à notre Consul géné-
ral et Chargé d’affaires de quitter sa résidence(2).
Ces deux procédés, si contraires aux sentiments d’amitié
manifestés par Son Excellence le Dey à la première nouvelle des
heureux changements opérés en France, ont fixé de la manière
la plus sérieuse l’attention de Sa Majesté Impériale. Toutefois,
elle a bien voulu prendre en considération l’assurance donnée
plusieurs fois, au nom du Dey, des intentions pacifiques de la
Régence, et en conséquence, d’après les ordres de Sa Majesté
Impériale, le soussigné se propose d’aviser bientôt aux moyens
de faciliter entre les deux Gouvernements des explications fran-
ches et amiables, de sorte que toutes les contestations puissent
être arrangées selon les règles de la raison et de la justice(3).
Le soussigné ne doute pas que Son Excellence le Dey, ins-
truit de cette détermination suggérée à Sa Majesté Impériale par
l’esprit de modération qui la caractérise, ne s’empresse de donner
dès ce moment un premier témoignage de ses bons sentiments en
adressant une réponse, telle que nous avons droit de l’attendre, à la
notification du retour de Sa Majesté Impériale dans ses États(4). La
réponse précédemment envoyée d’Alger n’étant point de nature à
être accueillie, le sieur Ferrier(5) est chargé de présenter au Ministre
de la Marine d’Alger des observations particulières à ce sujet(6).
Le soussigné offre au Ministre de la Marine d’Alger les as-
surances de sa considération distinguée.
DE JAUCOURT.
____________________
1. Voy. la note 3, p. 519.
2. Voy. p. 521.
3. Le retour aux affaires de Talleyrand, le grand protecteur des Bacri, leur avait
rendu bon espoir de recouvrer leurs créances. Ils s’empressèrent de rappeler leurs précé-
dentes réclamations, qui furent examinées de nouveau dans les bureaux du Ministère.
4. Voy. la note 3, p. 519.
5. Chancelier du Consulat.
6. Voy. Lettre du comte de Jaucourt à Ferrier, le 23 décembre 1814. « Nous n’avons
pu voir qu’avec beaucoup de déplaisir que M. Dubois-Thainville ait été forcé de quitter
sa résidence avant l’arrivée de son successeur. Le procédé offenssant dont le Dey a usé à
AVEC LA COUR DE FRANCE 527
ALI, DEY D’ALGER,
A LOUIS XVIII.

Alger, le 27 janvier 1815.

(Sceau)
ALI,
Gouverneur d’Alger la bien gardée.

A notre très illustre, très magnifique, très cher et grand ami


le Padischah de France(1).
Des louanges infinies et des actions de grâce sans nombre
soient rendues à Dieu, possesseur de toute grâce et de toute per-
fection, qui, dans sa puissance éternelle, a tiré du néant le ciel et
la terre par la parole Sois ! et qui a formé d’une poignée de terre
Adam, l’ami de Dieu, lui a donné la vie et a créé de ses os Ève, sa
femme, et par leur union a produit un grand nombre de saints et
de prophètes, et par cette succession a, jusqu’à ce moment, com-
blé les uns de richesses et de puissance et laissé les autres dans la
pauvreté ! Et conformément à la teneur de ce passage du Coran :
— « Dieu répand des largesses sur ceux qu’il lui plaît de gratifier
et distinguer par des honneurs les uns au-dessus des autres »,
— conformément à la teneur de ce passage, disons-nous, et par
l’assistance divine et la protection éternelle, le très puissant, très
formidable Empereur des Empereurs de la Maison ottomane, Sa
Hautesse, est le plus grand des Sultans, celui qui tient dans ses
mains puissantes les clefs de la terre pour disposer des intérêts des
hommes, le Maître de la sûreté et de la tranquillité, celui qui protège
les pays des. serviteurs de Dieu contre la violence et la tyrannie, le
____________________
l’égard de l’agent accrédité de Sa Majesté exige que l’exercice du Consulat de France à
Alger soit suspendu, jusqu’à ce que les choses aient été remises dans un état plus satisfai-
sant; vous n’aurez donc point à prendre la gestion du poste et vous n’interviendrez dans
les affaires que d’une manière officieuse. »
1. C’est la lettre demandée par le comte de Jaucourt pour remplacer celle du 12
juillet 1814, où ne se trouvaient point « les formules du style oriental ».
528 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Monarque de la surface de la terre, le libérateur, le vainqueur


Mahmoud. — Que Dieu fasse éternellement durer son règne et
étende sa clémence sur tous les hommes ! —
Ceci est une lettre amicale adressée à Sa Majesté l’Empe-
reur de France, le grand et constant ami de la Sublime Porte et
de la Régence d’Alger — Que Dieu prolonge les jours de son
règne ! — par Ali, Gouverneur et Dey actuel d’Alger, qui jouit
de l’honneur insigne de se trouver sous l’ombre protectrice de Sa
Hautesse susmentionnée. — Puissent son bonheur et l’élévation
de sa dignité et de sa grandeur durer toujours !
Colonne des Rois qui professent la religion de Jésus, élite
des Princes de la nation du Messie, gloire des Souverains illus-
tres, modèle des grands Monarques, le très fortuné, très sincère,
très affectionné Empereur de France, notre grand ami, — Que
vos entreprises se terminent dans le bien, et que Dieu vous dirige
dans le sentier de la droiture !
Après avoir offert à la personne illustre et élevée de Votre
Majesté les perles de nos vœux purs et les prémices d’offrandes
abondantes, nous nous informons avec le respect convenable de
l’état de votre santé. Puisse Dieu, possesseur de toute magnifi-
cence, préserver votre illustre personne des peines de ce monde,
la distinguer par une longue vie sur le trône de l’Empire, et la
faire constamment briller dans le registre de la santé ! Ainsi soit-
il ! par respect pour Jésus, l’esprit divin.
Notre très fortuné, très sincère, très affectionné et grand ami,
nous faisons les vœux les plus ardents pour la longue durée de vos
jours précieux, attendant avec impatience une lettre agréable pour
apprendre des nouvelles de votre santé. Nous avons reçu, au com-
mencement du mois de Safer(1) de la présente année, une lettre
amicale de votre part(2), et ayant pris connaissance de son contenu,
nous avons été extrêmement content et satisfait. — Veuille le Dieu
Très-Haut accorder une longue durée à votre règne, et raffermir
les liens de votre amitié pour nous ! — Ainsi soit-il !
____________________
1. Janvier 1815.
2. Voy. p. 522.
AVEC LA COUR DE FRANCE 529

Notre illustre, sincère, affectionné et grand ami, notre amitié


avec la Cour de France est ancienne. Le motif qui nous a engagé
à faire sortir d’Alger votre Consul(1) et à le renvoyer en France est
celui-ci : Il y a chez nous un proverbe bien connu qui dit : L’hom-
me est lié par sa langue et l’animal par sa tête. Mais ce Consul ne
peut être lié ni par sa langue ni par sa tête. La parole de l’homme
qui sert d’intermédiaire entre deux Gouvernements doit être droi-
te et sincère, mais à cause que le susdit n’a point voulu écouter
nos conseils, nous l’avons renvoyé(2). Tout le monde sait quelle
espèce d’homme c’est. Il n’y a point d’autre difficulté entre nous.
Nous sommes amis depuis de longues années, mais il est mani-
feste et évident que l’intermédiaire entre deux Gouvernements
doit être un homme qui mérite la confiance, qui soit loyal dans
ses paroles et dans toutes ses démarches, et qui agisse avec esprit
et jugement. Notre très fortuné, très affectionné et grand ami,
l’amitié et l’attachement qui existent entre nous étant aussi stable
et solide que possible, nous avons expressément écrit et envoyé
la présente lettre amicale à votre Cour de félicité. Lorsqu’avec la
volonté divine elle vous sera parvenue, nous espérons que vous
ne nous exclurez point de votre souvenir fortuné, et que le Tout-
Puissant nous accordera à tous ce qui est véritablement essentiel
à notre bonheur, et donnera de nouveaux accroissements à notre
amitié réciproque. Ainsi soit-il ! par respect pour Jésus, fils de
Marie, l’esprit divin.
Écrit le 14 de la lune de Safer de l’année 1230 de l’hégire,
c’est-à-dire le 27 janvier 1815, à Alger la bien gardée.

Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 13 février 1815.


____________________
1. Dubois-Thainville.
2. Voy. la note 3, p. 521.
530 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
SIDI MUSTAPHA, VEKILHARDJI DE LA MARINE D’ALGER,
AU COMTE DE JAUCOURT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Alger, le 27 janvier 1815.

Notre fortuné, affectionné, sincère, constant et ancien ami,


après avoir offert à votre illustre personne, avec l’expression de
la plus parfaite amitié et du plus grand attachement, l’assurance
de nos sentiments sincères et nos compliments tout particuliers,
nous formons des vœux pour que vous puissiez jouir d’une longue
vie et de la satisfaction de voir se réaliser tous vos desseins, être
pendant une longue suite d’années préservé de peines et d’afflic-
tions, et goûter avec les serviteurs de Dieu qui se trouvent sous
votre protection une tranquillité parfaite. Ainsi soit-il !
La lettre amicale que vous nous avez adressée(1) nous étant
parvenue et son contenu nous ayant été connu, nous avons été ex-
trêmement satisfait des sentiments d’amitié que vous nous y ma-
nifestez. Une de nos frégates ayant été précédemment envoyée
en voyage et ayant, pendant sa croisière, rencontré un bâtiment
français, lui avait demandé son passeport suivant les règles qui
se pratiquent en mer, mais celui-ci ayant montré un papier de
Bonaparte, et n’étant point muni de votre véritable passeport qui
est considéré et respecté parmi nous, le Capitaine de notre frégate
n’a point eu égard au papier de Bonaparte, mais a pris et envoyé
à Alger le navire susdit(2). Ayant pris connaissance, en présence
de tous, du véritable état de l’affaire et ayant peu de temps après
reçu votre lettre amicale, nous avons, par égard pour Votre Ma-
jesté, relâché et renvoyé le dit bâtiment. Notre désir est que les
papiers de Bonaparte soient tout à fait supprimés, car il est évident
que ces misérables papiers de Bonaparte porteraient préjudice
____________________
1. Voy; p. 525.
2. Le Dey avait donné à ses corsaires l’ordre de courir sur les bâtiments portant
pavillon tricolore. Voy. Lettre de Dubois-Thainville au duc de Vicence, le 2 juin 1815.
AVEC LA COUR DE FRANCE 531

aux deux nations et causeraient une altération dans notre amitié.


Votre Consul qui avait été envoyé ici s’étant permis plusieurs
procédés qui n’étaient point convenables aux deux Gouverne-
ments, ils n’ont pas été tolérés plus longtemps et n’ont pas eu
notre approbation(1). Que cela vous soit connu ! Sachez aussi que
le Pacha, notre Maître, vous répond que vous feriez très bien
d’envoyer le plus tôt possible le nouveau Consul(2), ayant plu-
sieurs objets à traiter et à régler. Nous vous prions, à la réception
de cette lettre, d’avoir soin de nous envoyer un moment plus tôt
le Consul que vous aurez nommé.
Écrit le 15 de la lune de Safer, l’année de l’hégire 1230.
MUSTAPHA,
Vekilhardji de la Marine d’Alger.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 13 février 1815.

NAPOLÉON Ier
A OMAR, DEY D’ALGER(3).

Paris, le 29 avril 1815.

Illustre et magnifique Seigneur,

Vous aurez sans doute appris mon retour sur les cô-
tes de France, mon entrée à Paris et le départ de la famille des
____________________
1. Voy. la note 3, p. 521.
2. Deval.
3. Le despotisme d’Ali avait provoqué une révolte de 70 Janissaires, qui l’avaient
fait égorger, le 21 mars 1815, pendant qu’il était au bain. Hadji Mohammed, Khaznadji
de la Régence, avait été proclamé à sa place, puis étranglé le 7 avril suivant et remplacé
par Omar, alors Agha des spahis. C’était, au dire du Chancelier Ferrier, un homme de
caractère. « J’ai lieu de croire, écrivait cet agent, que nous serons plus contents de son
administration que de celle d’Hadji Ali, qui n’a laissé ici que des souvenirs de cruauté et
de tyrannie. » Voy. Lettres de Ferrier au comte de Jaucourt, les 23 mars et 16 avril 1815.
— Nos traités avaient été ratifiés par Hadji Mohammed et par Omar les 30 mars et 16
avril 1815.
532 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Bourbons(1). Ce grand événement, inscrit en caractères ineffaçables


sur la table de lumière, a été l’effet d’une irrésistible puissance, se-
condée par la volonté unanime d’une grande nation qui connaît ses
devoirs et ses droits. La dynastie que la force avait rendue au peuple
français n’était plus faite pour lui. Les Bourbons n’ont voulu s’as-
socier ni à ses sentiments ni à ses mœurs ; la France a dû se séparer
d’eux, et ils ont quitté son territoire sans qu’il ait été tiré un seul
coup de fusil, ni versé une seule goutte de sang pour leur défense.
La voix de mes peuples m’appelait pour libérateur, et du
point où j’ai touché le rivage, leur amour m’a porté jusqu’au sein
de ma capitale. Le premier besoin de mon cœur est de payer tant
d’affection par le maintien d’une honorable tranquillité, et ma
plus douce pensée est de concourir par tous les moyens qui sont
en mon pouvoir à l’affermissement du repos de l’Europe.
La France se plaît à proclamer avec franchise ce noble but
de tous ses vœux. Jalouse de son indépendance, le principe inva-
riable de sa politique sera le respect le plus absolu pour l’indé-
pendance des autres nations. C’est pour vous donner l’assurance
de ces sentiments que je m’empresse de vous adresser cette let-
tre, témoignage sincère de notre affection et de notre haute bien-
veillance pour votre personne. Sur ce nous prions Dieu, illustre et
magnifique Seigneur, qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.
NAPOLÉON.

LE DUC DE VICENCE, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(2),


A OMAR, DEY D’ALGER.

Paris, le 2 mai 1815.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, a jugé à propos de me confier de
nouveau le Ministère des Affaires étrangères. Cette disposition
____________________
1. Napoléon avait débarqué au golfe Jouan le 1er mars, et avait fait son entrée
triomphale à Paris le 20 du même mois. Louis XVIII avait quitté les Tuileries la veille et
s’était réfugié à Gand.
2. Armand-Augustin-Louis de Caulaincourt, duc de Vicence, capitaine d’état-major
AVEC LA COUR DE FRANCE 533

de Sa Majesté Impériale, dont je m’empresse de vous informer,


m’est d’autant plus agréable qu’elle me fournit l’occasion d’en-
tretenir avec vous, très illustre et magnifique Seigneur, des rela-
tions d’amitié auxquelles j’attache beaucoup de prix. Mes soins
constants auront pour but d’écarter tout sujet de plainte et d’in-
quiétude, d’entretenir, en tout ce qui dépendra de moi, l’union
la plus parfaite entre les deux États, et d’intéresser toujours Sa
Majesté Impériale à la prospérité de votre Gouvernement.
M. Dubois-Thainville, que l’Empereur avait chargé de se
pouvoirs auprès de vous pour tout ce qui concerne son service
et les intérêts de la nation française dans vos États, est investi
de toute la confiance de Sa Majesté Impériale. Il va reprendre
ses fonctions qui n’ont été suspendues que par des circonstances
étrangères au Gouvernement de l’Empereur, mon Maître(1).
Je me flatte que M. Dubois-Thainville, que je vous recomman-
de particulièrement, vous trouvera dans des dispositions conformes
à celles dont il a ordre de vous assurer, et qui ont pour objet prin-
cipal d’entretenir la meilleure intelligence entre l’Empire français
et la Régence d’Alger(2). Sa Majesté Impériale m’a permis de vous
renouveler l’assurance de sa haute bienveillance, et j’y joins très
sincèrement les offres réelles de mes services et les témoignages de
la considération distinguée avec laquelle je suis cordialement,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
DE VICENCE.
____________________
à l’époque de la Révolution, emprisonné en 1792, colonel de cuirassiers en 1800, aide de
camp du Premier Consul, en mission à Saint-Pétersbourg en 1804, général de division en
1805, grand écuyer, en mission une deuxième foie à Saint-Pétersbourg en 1807, Sénateur
en 1812. Il fut Ministre des Affaires étrangères du 20 novembre 1813 au 2 avril 1814, et
du 21 Mars au 22 juin 1815.
1. Dubois-Thainville, renvoyé à Alger par décret du 26 avril 1815, apporta sur la
corvette L’Égérie, commandée par le capitaine Touffet, la lettre de Napoléon et celle du
duc de Vicence. Il arriva le 30 mai, fit annoncer par l’un des officiers du bord, M. Du-
plan, le retour de l’Empereur et de son Gouvernement, se vit salué des 21 coups de canon
d’usage, mais n’obtint qu’à grand-peine la reconnaissance du pavillon tricolore.
2. Voy. Lettre du duc de Vicence à Napoléon, le 25 avril 1813. « Alger est de tous
les États barbaresques celui qu’il serait le plus important de nous concilier, parce qu’il a
534 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
OMAR, DEY D’ALGER,
A NAPOLÉON Ier

Alger, le 30 mai 1815.


(Sceau)
OMAR,
Gouverneur d’Alger la bien gardée.

Lettre amicale et sincère adressée à notre constant et illustre


ami le très formidable, très sincère, très cher, très magnifique Pa-
dischah de France, de la part du Dey et Gouverneur actuel d’Al-
ger, Omar, — Que Dieu lui facilite tous ses desseins et toutes ses
entreprises ! —lequel a l’honneur d’être au service de l’Étrier
auguste de Sa Hautesse, qui, par l’assistance divine et par la pro-
tection de l’Éternel, est le Padischah de notre siècle, le Sultan le
plus grand et le plus illustre, chargé des clefs de l’administration
de la terre, le modérateur des affaires du genre humain, le protec-
teur des pays de Dieu contre la violence et la révolte, l’extermi-
nateur des traces de la tyrannie et de l’inimitié, le Maître de la vie
des hommes, l’ombre de Dieu sur terre, le conquérant, le victo-
rieux, aussi majestueux qu’Alexandre, aussi sage que Salomon,
le Sultan des deux continents et des deux mers, le Chef des Rois
de l’Arabie et de la Perse, le Sultan, fils du Sultan Mahmoud.
— Que Dieu fasse durer son Kalifat jusqu’à, la fin du monde, et
éternise son Empire jusqu’à, la consommation des siècles !
Prince des Princes illustres de la religion de Jésus, grand
des Grands de la secte du Messie, notre très fortuné, très formida-
ble, très sincère et illustre ami, — Que le Très-Haut accorde une
durée éternelle à votre Empire en y maintenant le bon ordre et la
droiture, et couronne toutes vos entreprises par les succès les plus
heureux ! —
____________________
le plus de moyens de nous nuire. Ce peuple guerrier aura saisi avec avidité tout ce que le
retour de Votre Majesté dans ses États présente de grand et d’héroïque, et il sera possible
de donner à ces premières dispositions plus de développement et de consistance, en fixant
l’attention de la Régence sur les dangers dont l’existence de ce pays était menacée par les
opinions portées au Congrès de Vienne sur la course des Barbaresques. »
AVEC LA COUR DE FRANCE 535

En offrant à Votre Majesté des salutations abondantes et di-


gnes de votre rang éminent, nous sommes sans cesse occupé à nous
informer de l’état de votre santé, et à former des vœux pour que
vous jouissiez d’une longue vie, d’un règne illustre et d’une gloire
inaltérable. Ainsi soit-il ! par respect pour Jésus, l’esprit divin.
Si, par une suite de l’ancienne amitié qui subsiste entre
nous, vous daignez vous informer de notre position, nous vous
dirons qu’ayant, grâce à Dieu Tout-Puissant, joui d’une parfaite
santé jusqu’à la date de votre dernière lettre, et étant sans cesse
occupé à former des vœux pour la durée des jours et du règne
de Sa Hautesse, l’ombre de Dieu sur la terre, nous avons reçu la
lettre amicale(1) que vous, notre illustre ami, nous avez envoyée
par un bâtiment(2), et qu’ayant pris connaissance de son contenu,
nous avons éprouvé la plus vive satisfaction en apprenant que,
par la volonté divine, vous êtes de nouveau parvenu au trône de
France, et que tous les grands et petits de la France sont contents
et réjouis de votre retour. Puisse le Dieu Très-Haut vous accorder
une longue vie, le contentement du cœur et une durée permanen-
te sur le trône de France ! Ainsi soit-il ! par respect pour Jésus,
l’esprit divin.
Le bâtiment qui nous avait apporté votre lettre étant sur le
point de retourner en France, nous vous avons expressément écrit
et envoyé la présente lettre amicale pour vous féliciter de votre
dignité impériale. Lorsque, par la grâce divine, elle vous sera
parvenue et que vous aurez pris connaissance de sa teneur, vous
saurez que nous nous flattons de l’espoir que vous ne nous ex-
clurez point de votre souvenir gracieux. Puissent vos jours, votre
règne et votre bonheur durer constamment !

Écrit dans les derniers jours du mois de Djemazi-el-aker,


l’année 1230 de l’hégire, vers la fin de mai 1815.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 25 juin 1815.
____________________
1. Voy. p. 531.
2. Voy. la note 1, p..533.
536 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER
OMAR, DEY D’ALGER,
AU DUC DE VICENCE, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Alger, le 30 mai 1815.


(Sceau)
OMAR,
Gouverneur d’Alger la bien gardée.

Lettre amicale adressée à Son Excellence notre ancien ami


le Vizir de l’Empereur de France, le grand et constant ami de la
Sublime Porte et de la Régence d’Alger, de la part du Gouver-
neur et Dey actuel Omar, — Que son bonheur et sa dignité élevée
durent toujours ! — lequel a l’honneur de vivre sous l’ombre
auguste de Sa Hautesse qui, par l’assistance divine et la protec-
tion éternelle de Dieu, possesseur de toute perfection et de toute,
grâce, est le très puissant, le très formidable, le très généreux
Empereur des Empereurs de la Maison ottomane, le plus grand
des Sultans, celui qui tient dans ses puissantes mains les clefs de
la terre pour disposer des intérêts des hommes, le Maître de la sû-
reté et de la tranquillité, celui qui protège les pays des serviteurs
de Dieu contre la violence et la rébellion, le Monarque de la sur-
face de la terre, le Sultan, fils de Sultan, le libérateur, le victorieux
Mahmoud. — Que le Dieu Très-Haut fasse durer éternellement
son règne et sa clémence sur les habitants du monde ! —
Notre très cher, très loyal et ancien amie Grand Vizir de
l’Empereur de France, notre très fortuné, très formidable, très
sincère et illustre ami, la colonne des grands Rois de la religion
de Jésus, le plus exquis des Sultans de la nation du Messie, la
gloire des Princes, l’élite des grands Monarques, après avoir pré-
senté à votre illustre personne notre attachement sincère et nos
salutations bien affectionnées, après avoir formé des prières pour
la longue durée de vos jours et pour le succès le plus parfait de
toutes vos entreprises, et après vous avoir offert nos vœux abon-
dants et dignes de l’éminence de votre rang, nous vous exposons
amicalement ce qui suit :
AVEC LA COUR DE FRANCE 537

Notre très cher, très loyal et ancien ami, si, par une suite
de l’amitié qui subsiste entre nous, vous daignez vous informer
de notre position, nous vous dirons que jouissant, grâce au Très-
Haut, d’une parfaite santé, et étant sans cesse occupé à former
des vœux pour la durée des jours et du règne de notre Empereur,
l’ombre de Dieu sur la terre, nous avons reçu votre lettre ami-
cale(1), et qu’ayant pris connaissance de sa teneur, nous avons
éprouvé la plus grande joie en apprenant que vous avez eu la sa-
tisfaction d’obtenir la dignité de Vizir de notre illustre ami l’Em-
pereur de France. — Puisse le Très-Haut vous accorder la grâce
de rester constamment assis sur le siège du Gouvernement ! —
Ainsi soit-il ! par respect de Jésus, l’esprit divin.
Notre très sincère et ancien ami, vous auriez dû demander
une fois au prédécesseur lui-même de votre Consul qui nous avait
été envoyé dernièrement(2) pour quel motif nous l’avions renvoyé
en France(3), car les Consuls ne sont point renvoyés d’Alger sans
motif. Un Consul qui réside près de nous doit être une personne
prudente, en état de gérer les affaires, observant de bons procédés,
loyal envers les deux Gouvernements ; cela vous est connu, ainsi
qu’à tout le monde. Vous savez aussi que votre Consul ne possède
aucune de ces qualités. Il n’a été renvoyé que par la crainte qu’il ne
devienne la cause de la rupture de l’ancienne amitié qui est si fer-
mement établie entre nous depuis un temps infini, car vous savez
bien qu’il n’existe entre nous aucune discussion. Voilà pourquoi
nous avions espéré que vous nous enverriez un Consul qui cherchât
à augmenter l’amitié qui subsiste entre nous, qui fût d’un caractère
doux, bon et agréable. Nous avons donc été bien surpris d’appren-
dre que l’ancien Consul a été de nouveau envoyé à Alger(4), et la
présente lettre amicale vous a été expressément écrite et expédiée
pour vous féliciter sur votre nomination à la dignité illustre dont
vous êtes revêtu, et pour vous annoncer que le susdit Consul a
____________________
1. Voy. p. 532.
2. Dubois-Thainville.
3. Voy. la note 3, p. 521.
4. Voy. la noie 1, p. 533.
538 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

été renvoyé à cause de sa conduite peu décente(1). Lorsque cette


lettre vous sera parvenue, nous espérons que vous ne nous ex-
clurez point de votre souvenir gracieux. — Puissent vos jours et
votre bonheur durer toujours !
Écrit dans les derniers jours du mois de Djemazi-el-aker,
l’année 1230 de l’hégire, vers la fin de mai de l’année 1815.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 25 juin 1813.

OMAR, DEY D’ALGER,


A LOUIS XVIII(2).

Alger, le 2 mars 1816.


(Sceau)
OMAR,
Gouverneur d’Alger la bien gardée.
Lettre amicale et sincère adressée au très fortuné, très ma-
gnifique, très formidable, très illustre et constant ami le Padischah
____________________
1. Le lendemain de l’arrivée de L’Égérie, le Dey fit dire au Chancelier Ferrier, par
le capitaine du port Ali-reïs, que si Dubois-Thainville voulait descendre à terre pour y
reprendre sa place de Consul général, il devait s’obliger à « liquider toutes les demandes
qui lui avaient été faites au moment de son expulsion d’Alger et notamment celle de 114
300 piastres, montant de prises dont il nous avait rendus responsables. Omar exigeait, en
outre, l’engagement de donner des présents, » comme en aurait donné le nouvel agent
Deval si Louis XVIII était resté sur le trône de France Dubois-Thainville fit répondre «
qu’en l’envoyant dans la Régence, l’Empereur avait eu principalement en vue de rétablir
et de consolider la bonne harmonie d’autrefois », que son intention était de terminer à
l’amiable tous les différends entre les Algériens et le Gouvernement français, mais qu’il
fallait un peu de temps pour faire régler tous les comptes à Paris, et que dans 4 ou 5 mois
tout serait arrangé à la satisfaction commune. Quant aux présents, il rappela tous ceux
qu’il avait fait donner en 1811, ajoutant que le Dey d’alors n’avait pas renvoyé, comme
il l’avait promis, des cadeaux de la même valeur. Omar demeura inflexible; il fit déclarer
au représentant de l’Empereur qu’il était inutile de débarquer, mais que, pendant qu’il
irait chercher de nouveaux ordres en France, ses reïs respecteraient le pavillon tricolore.
Dubois-Thainville dut remettre à la voile et se rendit à Tunis, attendant du Ministère des
instructions qui n’arrivèrent jamais, car le second traité de Paris (20 novembre-1815) en-
traîna son remplacement définitif à Alger. Voy. Rapport sommaire de ce qui s’est passé d
Alger à l’arrivée en rade de la corvette L’Égérie, conduisant Dubois-Thainville comme
Inspecteur des Consulats de Barbarie et Consul général de Napoléon à Alger, — Lettres
de Dubois-Thainville au duc de Vicence, les 2 et 9 juin 1815, contenant le récit de sa mis-
sion à Alger.
2. La seconde abdication de Napoléon eut lieu le 22 juin 1815, et Louis XVIII
rentra aux Tuileries le 8 juillet suivant.
AVEC LA COUR DE FRANCE 539

présentement régnant en France par le Dey et Gouverneur actuel


d’Alger Omar, — à qui Dieu daigne accorder tous ses désirs ! —
lequel, par la grâce divine et par la protection du Tout-Puissant,
jouit de l’honneur d’être au service de Sa Hautesse, l’Empereur
de notre siècle et l’asile des hommes, le plus grand des Sultans,
le possesseur des clefs des faveurs divines de ce monde, le mo-
dérateur des affaires du genre humain, celui qui protège les pays
de Dieu contre la violence et la rébellion et qui efface les tra-
ces de la tyrannie et de l’inimitié, le Maître absolu des hommes,
l’ombre de Dieu sur la terre, le conquérant toujours victorieux, le
Padischah de la surface de la terre égalant Alexandre en majesté
et Salomon en puissance, le Sultan des deux continents et des
deux mers, le coryphée des Rois des Arabes et des Persans, le
Sultan, fils de Sultan, le victorieux Mahmoud. — Que Dieu fasse
durer son Empire jusqu’à la fin du monde, et prolonge son règne
jusqu’à la consommation des siècles !
Au plus illustre parmi les Princes qui professent la religion
de Jésus, au plus grand parmi les Grands de la nation du Messie,
la gloire des Souverains revêtus de dignités, l’élite des Monarques
puissants et absolus, le très fortuné, très magnifique, très sincère,
très formidable Padischah de France, notre illustre ami. — Que
toutes ses entreprises se terminent dans le bien, et que Dieu le di-
rige dans le sentier de la droiture ! Après avoir offert à la personne
éminente et glorieuse de Votre Majesté les perles de nos vœux
les plus purs et les prémices de nos offrandes les plus précieuses,
nous nous informons avec le plus grand respect de l’état de votre
santé. — Puisse Dieu, possesseur de toute majesté, préserver vo-
tre illustre personne des peines de ce monde, la distinguer par une
longue vie sur le trône de la Monarchie et la faire constamment
briller dans la plus parfaite santé ! — Ainsi soit-il !
Notre très fortuné, très magnifique, très formidable, très il-
lustre ami, votre serviteur Pierre Deval, nommé Consul pour ré-
sider auprès de nous, étant arrivé ici, nous en avons éprouvé la
plus vive satisfaction(1). Le susdit Consul étant un homme doué
____________________
1. L’aviso La Mouche, commandé par M. de Parseval, arriva à Alger le 23 août
540 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

d’esprit, d’une volonté sage et d’une conduite digne d’éloges,


expérimenté et empressé à faire tous ses efforts pour arranger
et disposer les affaires de manière que notre amitié réciproque
prenne de nouveaux accroissements, nous prêterons audit Consul
toute l’assistance nécessaire pour tous les objets, grands ou petits,
qui surviendront dans la suite entre nous, et nous aurons pour lui
tous les égards qu’il mérite(1). C’est pour informer Votre Majesté
de ces dispositions favorables que la présente lettre d’amitié a été
écrite. — Puissiez-vous rester constamment assis sur le trône de
la Monarchie ! — Ainsi soit-il !
Étant de toute évidence que le susdit Consul, votre servi-
teur, procurera à l’amitié qui existe entre nous une plus grande
extension, nous avons écrit et envoyé la présente missive à Votre
Majesté pour nous informer de l’état de sa précieuse santé, et pour
l’assurer que la bonne harmonie qui règne entre nous prendra de
jour en jour et d’instant en instant de nouveaux accroissements.
Lorsque Votre Majesté aura reçu notre dépêche et pris
connaissance de son contenu, nous espérons qu’elle ne nous ex-
____________________
1815 avec M. Deval, que Louis XVIII avait nommé au Consulat, comme où l’a vu précé-
demment, peu de temps avant les Cent-Jours. « Je sais, écrivit Talleyrand au Chancelier
Ferrier, que Dubois-Thainville a passé à Alger comme émissaire de Bonaparte. Quoiqu’il
n’y ait point été reçu, il paraît que la Régence a consenti à ce qu’un autre pavillon fût
substitué à celui du Roi. S’il en est ainsi, vous devez vous empresser de désabuser le
Dey des fausses suggestions du sieur Dubois-Thainville, et faire reparaître incessamment
le pavillon de Sa Majesté qui n’aurait pas dû cesser d’être arboré. Il vous sera facile de
convaincre le Dey qu’il a été induit en erreur, par de faux rapports, sur les événements
qui se sont passés en France depuis le mois de mars, et qui ne sont que le résultat d’une
révolte qui vient d’être étouffée à jamais par la destruction de Bonaparte et de ses adhé-
rents. » Lettre du prince de Talleyrand à Ferrier, le 2 août 1815.
1. En vertu des nouvelles instructions du Ministère, Deval devait donner satisfac-
tion complète à la Régence, restituer la valeur des prises confisquées par Dubois-Thain-
ville, et promettre la liquidation des anciennes créances des Bacri. — Voy. États des
présents offerts en 1818 au nom de Sa Majesté au Dey, aux membres de la Régence et aux
Chefs de la Milice d’Alger par Deval, Consul général et Chargé d’affaires de France ;
6 bagues en brillants et améthystes, 24 montres en or à répétition, 2 pendules en bronze
doré, 6 fusils, 5 pistolets, 304 aunes de drap de Sedan, 120 aunes de drap du Languedoc,
100 aunes d’étoffes de Lyon, 6 pièces de toile de Hollande, etc., ci : 112 954 f. 80 c.
AVEC LA COUR DE FRANCE 541

clura point de son précieux souvenir. Puisse-t-elle au reste jouir


d’une longue vie et d’une prospérité inaltérable !
Le 3 du mois de Rebi-el-aker, l’an 1231 de l’hégire, c’est-
à-dire le 2 mars 1816, dans la Ville d’Alger la bien gardée.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 28 mars 1816.

OMAR, DEY D’ALGER


AU PRINCE DE TALLEYRAND, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(1).

Alger, le 2 mars 1816.


(Sceau)
OMAR,
Gouverneur d’Alger la bien gardée.

Notre illustre, fortuné, loyal, sincère et ancien ami, Premier


Ministre de Sa Majesté le Padischah de France, le plus illustre
des Princes qui professent la religion de Jésus, le plus grand par-
mi les Grands de la nation du Messie, notre très fortuné, très
magnifique, très sincère et illustre ami, — Que Dieu accorde à
votre Royaume une durée constante et une tranquillité impertur-
bable ! —
Après avoir présenté à Votre Excellence notre amitié sin-
cère et nos salutations affectueuses, et formé des vœux pour la
longue durée de vos jours et pour l’heureux succès de toutes vos
entreprises, nous vous exposons que votre serviteur Deval, nom-
mé Consul général et Chargé d’affaires pour résider auprès de la
Régence d’Alger et pour gérer et régler toutes les affaires qui sur-
viendront chez nous, étant un homme doué d’esprit, d’une volon-
té sage et d’une conduite digne d’éloges(2), non seulement nous
le reconnaissons pour remplir les fonctions de Consul auprès de
nous et sommes satisfait de lui, mais nous vous promettons de lui
accorder notre protection dans les affaires qui lui surviendront,
____________________
1. Voy. la note 3, p. 466.
2. Voy. la note 2, p. 522.
542 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de le traiter avec tous les égards convenables, et de favoriser par-


ticulièrement les intérêts de la nation française. Et c’est à cet effet
que la présente lettre amicale vous a été écrite. Nous wons prions
de ne point nous exclure de votre souvenir bienveillant, et nous
faisons des vœux pour que vous jouissiez de jours longs et rem-
plis de satisfaction. Ainsi soit-il ! par respect pour Jésus, fils de
Marie.
Un bâtiment étant parti d’ici pour la France, nous avons
profité de cette occasion pour vous écrire et vous envoyer la pré-
sente lettre d’amitié. Lorsqu’avec la volonté divine elle Vous sera
parvenue, nous espérons que vous ne nous éloignerez point de
votre souvenir amical. — Que votre gloire et votre bonheur du-
rent toujours ! —
Le 3 du mois de Rebi-el-aker, l’an 1231 de l’hégire, c’est-
à-dire le 2 mars 1816, dans la Ville d’Alger la bien gardée.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 28 mars 1816.

NOTIFICATION DES GRANDES PUISSANCES EUROPÉENNES


A HUSSEIN, DEY D’ALGER(1).

En rade d’Alger, le 5 septembre 1819.

Prince,
Les Puissances de l’Europe qui se sont réunies l’année der-
nière à Aix-la-Chapelle ont déféré à la France et à la Grande-
Bretagne le soin de faire, au nom de toutes, des représentations
sérieuses aux Régences barbaresques sur la nécessité de mettre
____________________
1. Le Dey Omar, qui avait déjà échappé à une conspiration des Janissaires, fut
étranglé le 8 septembre 1817 et eut pour successeur Ali Khodja qui, pour se mettre plus
en sûreté, quitta la Jenina pour transporter sa résidence à la Casbah. Il mourut de la peste
le 28 février 1818, et la Milice proclama son Khaznadji, Hussein, qui avait autrefois fait
partie du corps des Topjis (canonniers du Sultan) à Constantinople. Quelques jours après
son arrivée au pouvoir, le nouveau Dey ratifia nos traités, le 29 mars 1818, et donna à
notre Consul un cheval et un éventail, en lui témoignant les meilleures dispositions à
notre égard.
AVEC LA COUR DE FRANCE 543

un terme aux déprédations et aux violences exercées par les bâti-


ments armés de ces Régences(1).
Nous venons au nom de Sa Majesté le Roi de France et de
Navarre, de Sa Majesté le Roi du Royaume-Uni de la Grande-
Bretagne et d’Irlande, comme leurs Commissaires, vous notifier
les dispositions des Puissances de l’Europe.
Ces Puissances sont irrévocablement déterminées à faire
cesser un système de piraterie qui n’est pas seulement contraire
aux intérêts généraux de tous les États, mais qui encore est des-
tructif de toute espérance de prospérité pour ceux qui le mettent
et pratique. Si les Régences persistaient dans un système ennemi
de tout commerce paisible, elles provoqueraient inévitablement
contre elles une ligue générale des Puissances de l’Europe, et
elles doivent considérer, avant qu’il en soit trop tard, que l’effet
d’une telle ligue peut mettre en danger leur existence même.
____________________
1. Le Congrès d’Aix-la-Chapelle, qui s’était réuni le 30 septembre 1818 pour
fixer les conditions de l’évacuation de notre territoire, encore occupé par les troupes des
alliés de 1815, avait résolu d’exiger des trois Régences barbaresques l’abolition absolue
de la course. Les représentants de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie
avaient signé avec le duc de Richelieu, notre Plénipotentiaire, le protocole du 20 novem-
bre, qui invitait notre Gouvernement et celui de la Grande-Bretagne, « dont l’autorité
avait le plus de poids auprès de ces Régences », à notifier à ces Puissances la décision
relative « à leur système hostile au commerce pacifique ». Les amiraux Freemantle et
Jurien furent donc chargés de signifier à Hussein les volontés du Congrès, et reçurent
l’ordre d’insister pour faire cesser l’usage qu’avaient les corsaires algériens d’envoyer
des détachements de leurs équipages, pour vérifier leurs passeports, à bord des bâtiments
européens. Les vaisseaux anglais et français Le Colosse, Le Rochefort et La Galathée,
accompagnés d’un brick, de deux frégates et de deux goélettes, se réunirent à Mahon le
28 juillet 1819 et arrivèrent à Alger le 4 septembre suivant. Le Dey donna deux audien-
ces aux Envoyés de France et d’Angleterre ; il écoute avec indifférence la lecture du
protocole du 20 novembre, et déclara qu’il ne pouvait renoncer à son prétendu droit de
visite sur les navires, afin de reconnaître ses amis et ses ennemis; il expliqua que ses su-
jets n’avaient point de commerce qui pût les indemniser des bénéfices de la course, et fit
entendre qu’il continuerait à faire la guerre aux pavillons des nations qui refuseraient de
traiter avec lui. Il refusa de donner aux deux négociateurs la réponse écrite qu’ils avaient
l’ordre d’exiger, et ceux-ci furent contraints de remettre à la voile sans avoir pu obtenir
la plus légère satisfaction. Voy. Protocole de la séance du Congrès d’Aix-la-Chapelle, le
20 novembre 1818, — Instructions pour M. le Contre-Amiral Jurien, le 8 juillet 1819, —
Rapports de MM. les Commissaires de France et d’Angleterre auprès du Dey d’Alger sur
les audiences des 5 et 9 septembre 1819, — Lettres de Deval et du Contre-Amiral Jurien
au marquis Dessolle, les 10 et 11 septembre 1819.
544 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Mais en même temps que nous vous faisons entrevoir les


conséquences funestes qu’entraînerait la continuation des pirate-
ries qui excitent les plaintes de l’Europe, nous nous empressons,
Prince, de vous assurer que, si les Régences renoncent à un sys-
tème aussi désastreux, les Puissances sont non seulement dispo-
sées à maintenir avec elles des relations de bonne intelligence
et d’amitié, mais encore à encourager toute espèce de rapports
commerciaux qui pourraient être avantageux aux sujets respec-
tifs. Les Puissances au nom desquelles nous avons l’honneur de
nous exprimer sont parfaitement unies sur l’important objet de la
mission que nous avons été chargés de remplir près de Votre Al-
tesse, et nous sommes les fidèles interprètes de leurs intentions.
Nous espérons, Prince, qu’éclairé sur vos véritables inté-
rêts, vous n’hésiterez pas à répondre d’une manière satisfaisante
aux demandes que nous venons vous présenter. Les Puissances
alliées se bornent à vouloir que les Régences barbaresques res-
pectent des droits et des usages consacrés par toutes les nations
civilisées, et si les Régences prétendaient pouvoir inquiéter à leur
gré le commerce des autres nations, elles attireraient inévitable-
ment sur elles les armes de toute l’Europe.
Veuillez donc bien, Prince, nous donner les assurances que
Leurs Majestés les Rois de France et de la Grande-Bretagne at-
tendent de vous et sont impatientes de transmettre à leurs alliées,
sur un objet qu’elles ont si profondément à cœur. Mais, dans une
circonstance aussi grave, des promesses verbales ne suffiraient
pas. Il s’agit d’un pacte solennel de la plus haute importance pour
la sécurité des navigateurs et du commerce de tous les États, et
puisque nous vous déclarons par écrit les intentions des Puissan-
ces alliées, nous sommes fondés à croire que vous répondrez de
la même manière à une telle démarche.
Nous nous empresserons de faire parvenir à nos Gouver-
nements l’engagement positif que vous nous remettrez, car nous
vous le répétons, Prince, nous n’admettons pas que vous puis-
siez repousser des propositions qui tendent à vous faire recueillir
AVEC LA COUR DE FRANCE 545

promptement tous les avantages des rapports commerciaux ga-


rantis par le respect pour le droit des gens.
Nous sommes avec respect,
Prince,
De Votre Altesse,
Les très humbles et très obéissants serviteurs.
FREEMANTLE, JURIEN,
Vice-Amiral de l’escadre bleue de Contre-Amiral Commandant en chef
la flotte, Chevalier grand-croix du les forces navales de la Méditerra-
Bain, des Guelfes, de Saint-Ferdi- née, Chevalier de l’ordre royal et
nand et du Mérite, de Saint-Michel militaire de Saint-Louis, officier de
et de Saint-Georges, Chevalier com- l’ordre royal de la Légion d’honneur
mandeur de Marie-Thérèse, Com- et Commissaire de Sa Majesté le Roi
mandant en chef les forces navales de France près les Régences barba-
de Sa Majesté le Roi du Royaume- resques.
Uni de la Grande-Bretagne et de l’Ir-
lande et Commissaire de Sa Majesté
près les États barbaresques.

A bord du vaisseau Le Colosse, le 5 septembre 1819.

LE DUC DE MONTMORENCY, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(1),


A HUSSEIN, DEY D’ALGER.

Paris, le 20 avril 1822.

Très illustre et magnifique Seigneur,


L’Empereur, mon Maître, dans son désir constant de conso-
lider et d’étendre les relations de commerce qui existent depuis
____________________
1. Mathieu-Jean-Félicité de Montmorency-Laval, vicomte, puis comte et duc de
Montmorency, fit partie de l’expédition de La Fayette en Amérique, fut Député de la
noblesse aux États généraux en 1789, et émigra en Suisse jusqu’en 1795. Aide de camp
de Monsieur en 1814, chevalier d’honneur de la duchesse d’Angoulême, pair de France,
Ministre des Affaires étrangères du 14 décembre 1821 au 27 décembre 1822, il devint
plus tard Ministre d’État et membre de l’Académie française.
546 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

si longtemps entre ses peuples et ceux d’Alger et qui leur ont


procuré tant d’avantages réciproques, a nommé dans ces derniers
temps un Consul à la résidence de Bône(1), et Sa Majesté Impériale
a appris avec une vive satisfaction l’accueil bienveillant et amical
que vous avez fait à cet officier, lors de son passage à Alger, mais
elle a vu avec non moins de surprise que vous hésitiez à le mettre
en possession de la maison et des magasins de Bône qu’il doit ha-
biter. Cette maison et ses magasins ont été reconnus comme la pro-
priété incontestable de la France, et ont été occupés par les agents
de notre ancienne Compagnie d’Afrique depuis un temps immé-
morial jusqu’en 1798. Il est vrai qu’à cette époque et à l’occasion
de la guerre d’Égypte, nous en avons été privés par la Régence
d’Alger qui a expulsé nos agents(2), et que, dans la confusion qui
s’en est suivie, nos titres originaires de propriété semblent s’être
perdus. Mais le séquestre de la maison et des magasins de Bône
qu’avait pu justifier la guerre a dû être levé à la paix, et c’est ce
qu’ont entendu vos deux derniers prédécesseurs et ce que vous
avez entendu vous-même, très illustre et magnifique Seigneur, en
promettant de nous remettre en possession de ces biens. Quant
à nos titres originaux, la perte ne saurait nous en être imputée,
____________________
1. Jean-François-Pierre-Adrien Dupré, Commissaire de la marine à Preveza (Grè-
ce) de 1797 à 1798, Vice-Consul à Colberg (Prusse) en 1811, en mission à Leipsick en
1812, Consul à Trébizonde en 1814, fut nommé à Bône le 1er juillet 1821. Il passa à Lar-
naca en avril 1825, à Salonique en août de la même année, puis devint, en 1830, Consul
général à Tripoli de Barbarie.
2. L’agence de Bône était alors dirigée par M. Léon ; la maison que nous occu-
pions en 1798 avait été confisquée par la Régence, et nous avait été restituée à la paix de
1801. En 1807, le Dey s’entendit secrètement avec le Consul anglais Macdonnell, et livra
à sa nation nos Concessions d’Afrique, au mépris des capitulations et des traités, moyen-
nant une redevance de 50 000 piastres (250 000 fr.). La maison de Bône fut alors occupée
par l’agent anglais Escudero, mais, à l’expiration des 10 années du privilège qu’avait
obtenu Macdonnell, Deval mit à profit le mécontentement qu’avait provoqué à Alger
le bombardement de lord Exmouth, et se hâta de réclamer la jouissance de nos anciens
établissements, qui nous furent restitués le 15 mars 1817. Encouragé par le Consul dont
il servait les intérêts, Escudero refusa de nous laisser rentrer en possession de la maison
qui nous avait appartenu avant l’occupation anglaise de nos comptoirs. Ce fut en vain que
Deval représenta au Dey Hussein « combien il était injuste de faire habiter cette maison
par un Vice-Consul anglais non reconnu par le Gouvernement de Londres », alors que les
Français justifiaient devant les tribunaux de Bône de leurs droits de propriété.
AVEC LA COUR DE FRANCE 547

et vous ne pourriez pas exiger avec justice que nous les produi-
sions. Ils seraient d’ailleurs superflus. La sentence rendue à ce
sujet par le tribunal de Bône en 1810(1) et surtout la notoriété pu-
blique qui a motivé cette sentence, aussi bien que vos promesses
et celles de vos deux derniers prédécesseurs, suffisent pour éta-
blir de la manière la plus évidente nos droits de propriété.
L’Empereur, mon Maître, ne saurait donc renoncer à la pos-
session de la maison et des magasins en question, et d’après les
qualités et les dispositions qui vous distinguent, je ne doute point
que les explications que je viens de vous donner ne vous détermi-
nent à faire remettre, sans aucun délai, ces établissements entre
les mains du Consul de Sa Majesté Impériale à Bône.
Permettez-moi d’ailleurs de vous présenter l’offre de mes
services comme l’expression amiable des sentiments distingués
avec lesquels je suis plus cordialement que personne au monde,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
MONTMORENCY.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


AU DUC DE MONTMORENCY, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Alger, le 29 juin 1822.

J’ai reçu la lettre que Votre Excellence m’a fait l’honneur


de m’écrire(2) et qui a rapport à une maison située à Bône, maison
____________________
1. Traduction littérale de la sentence judiciaire du Tribunal de justice prononcée
à Bône en mars 1810 : « L’agent français aurait déclaré que la maison qu’il réclame est la
propriété des Français, qu’ils l’ont possédée pendant un grand espace de temps, et en ont
toujours disposé comme un propriétaire fait de son bien jusqu’à l’époque de la dernière
rupture entre la France et la Régence ; à quoi l’agent anglais aurait répondu que la maison
faisait partie des domaines de la Régence, et que le Souverain, en l’affectant au logement
de quelqu’un, ne la vendait pas à celui qui s’y installait ; mais l’opinion des Seigneurs
Juges a été que la maison est de propriété française par le témoignage de la possession
et de l’usage, et en conséquence il a été affirmé que l’agent anglais n’avait aucune raison
dans les prétentions qu’il a émises.
2. Voy. p. 545.
548 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de commerce française qui dans ce moment est entre les mains


des Anglais, et vous m’avez demandé de la retirer de leurs mains
pour vous la remettre. Les Français sont nos amis et les Anglais
le sont aussi ; il ne me convient de faire de la peine à l’un ni à
l’autre. Je n’ai pas le pouvoir de la retirer des mains des An-
glais et c’est à vous à écrire en Angleterre sur ce sujet(1). Que les
Grands du Gouvernement français écrivent aux Grands du Gou-
vernement anglais ; et alors vous vous concerterez ensemble sur
ce sujet, car je ne prends aucune location de cette susdite maison
ni de l’un ni l’autre. Le Consul anglais résidant en cette Ville
m’a dit que les Grands d’Angleterre lui ont recommandé que si
quelqu’un l’interpellait au sujet de cette maison, il devait le leur
renvoyer. Le Consul de France vous informera par sa lettre de
tous les détails de cette affaire(2).
Écrit à Alger, le 15 de Choual 1237, soit le 29 juin 1822.
(Sceau)
Le serviteur de Dieu HUSSEIN,
Dey et Gouverneur d’Alger(3).
____________________
1. Pour ne pas blesser l’Angleterre, alors toute-puissante en Europe, le Dey avait
déclaré « qu’il suffisait à la Régence de reconnaître nos droits de propriété, et d’avoir
constaté le refus du Consul anglais ». Ce dernier avait en effet déclaré que, d’après les
ordres précis de son Gouvernement, il devait considérer l’affaire de la maison de Bône
comme devant être discutée à Londres entre les cabinets de France et d’Angleterre. « J’ai
le cœur bien navré, écrivit à ce sujet Deval, de toutes les contrariétés que nous essuyons
à Alger, et de voir combien est peu reconnue par le Dey toute la condescendance du Gou-
vernement de Sa Majesté, comme aussi d’avoir à combattre continuellement contre la
malveillance de certaines nations étrangères, dont la jalousie ne peut être calmée par toute
sorte de sacrifices. »
2. « Votre Excellence jugera, dit alors notre Consul, à quel degré d’animosité le
Consul anglais Macdonnell s’est porté depuis quinze ans contre la France et continue de
se porter, en appuyant par toute sorte de subterfuges ses assertions mensongères, comme
si le Gouvernement anglais avait besoin d’une malheureuse maison de la ville de Bône
pour y loger l’agent de son Consul, et pour cet effet de faire un acte public de prépotence
et d’une injustice criante ! Justice et fermeté peuvent seules nous sauver dans ce pays, et
si, dans cette circonstance minime en apparence, mais d’une haute importance dans ses
conséquences, nous venons à plier sous le double joug de l’Angleterre et de la Régence,
nous devons dès lors nous attendre à toute sorte d’humiliations et d’injustices à Alger. »
3. Nous rentrâmes deux ans plus tard en possession de la maison de Bône, grâce à
la présence à Alger de M. Drouault, alors chargé d’exiger, avec une escadre des réparations
de la Régence de Tunis, et que Deval pria de se montrer en rade afin d’intimider Hussein.
AVEC LA COUR DE FRANCE 549
CHARLES X
A HUSSEIN, DEY D’ALGER.

Saint-Cloud, le 20 septembre 1824.

Illustre et magnifique Seigneur,


Dieu vient d’appeler à lui notre très aimé frère Louis
XVIII(1), Empereur de France, de glorieuse mémoire. Il nous se-
rait impossible de vous exprimer la douleur et l’affliction où nous
a jeté un coup aussi affreux qu’inattendu. Ce Prince a succombé
à une maladie qui était la suite de ses anciennes infirmités. La
Providence nous a enlevé le plus tendre des frères et a privé
la France du meilleur des Empereurs. Les étrangers perdent un
ami de l’humanité, un allié fidèle et sincère. Nous connaissons
trop les sentiments qu’il vous avait inspirés pour n’être pas as-
suré que vous donnerez des regrets à la mémoire de cet auguste
Monarque. Le droit de notre naissance et les lois fondamentales
de l’Empire de France nous ont appelé au trône de nos ancêtres,
et nous avons pris les rênes de l’Empire français au milieu des
acclamations de nos peuples, qui nous ont donné les marques
les plus vraies de leur respect et de leur amour pour notre per-
sonne sacrée. Dieu, qui est dans tous les cœurs, est témoin que
nous n’avons d’autre désir que de marcher sur les traces de notre
auguste frère. La droiture et la justice seront toujours le fonde-
ment et le lien de l’attachement de nos sujets comme de l’amitié
des nations étrangères.
Nous confirmons d’autant plus volontiers les traités entre la
France et la Régence d’Alger que nous sommes convaincu que
vous en remplirez fidèlement les conditions, et que vous rendrez
à notre Couronne impériale et à nos sujets tout ce qui peut affer-
mir de plus en plus la paix, l’amitié et la correspondance la mieux
établie. C’est dans cette confiance que nous avons voulu vous
assurer nous-même de notre affection et de notre bienveillance.
____________________
1. Le 16 septembre 1824.
550 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Nous envoyons nos pleins pouvoirs au sieur Deval, que


nous confirmons dans sa place de Consul général et de Chargé de
nos affaires auprès de vous. Nous lui donnons ordre de vous pré-
senter cette lettre, et nous vous requérons d’ajouter entière foi et
créance à tout ce qu’il vous dira en notre nom. Sur ce nous prions
Dieu qu’il vous ait, illustre et magnifique Seigneur, en sa sainte
et digne garde.
Écrit en notre château impérial de Saint-Cloud, le 20e jour
de septembre 1824.
CHARLES.

LE BARON DE DAMAS, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(1),


A HUSSEIN, DEY D’ALGER.

Saint-Cloud, le 20 septembre 1824.

Très illustre et magnifique Seigneur,

C’est du sein de la douleur la plus profonde et au milieu des


larmes de tous les Français que je vous apprends la mort de l’Em-
pereur de France Louis XVIII, et l’avènement à la Couronne de
son auguste frère, Monsieur, comte d’Artois, mon Maître actuel,
qui a pris les rênes du Gouvernement selon les droits de sa nais-
sance et à la satisfaction entière de ses sujets. Ses qualités per-
sonnelles et ses hautes vertus sont du présage le plus heureux.
Je désire de n’être jamais auprès de Sa Majesté Impériale
que l’interprète de votre attachement envers la France, et l’orga-
ne de la bienveillance de Sa Majesté Impériale dont je chercherai
toujours à vous assurer les marques. C’est tout ce qu’il m’est per-
mis d’ajouter, par respect pour les nobles caractères de Sa Ma-
____________________
1. Ange-Hyacinthe-Maxence baron de Damas servit dans l’armée russe jusqu’à la
Restauration, fut nommé par Louis XVIII Maréchal de camp en 1814, Lieutenant général
en 1815, Ministre de la guerre du 19 octobre 1823 au 3 août 1894, et Ministre des Affai-
res étrangères du 4 août 1824 au 3 janvier 1828. Gouverneur du duc de Bordeaux en mai
1828, il le suivit dans son exil.
AVEC LA COUR DE FRANCE 551

jesté Impériale dont je vous remets la lettre, comme le signe et le


sceau d’une bonne correspondance dont il ne tiendra qu’à vous
de rendre les liens durables et les effets heureux.
Je suis cordialement et plus parfaitement que personne,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
DE DAMAS.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


A CHARLES X.

Alger, le 10 novembre 1824.


(Sceau)
Le serviteur de Dieu HUSSEIN,
Dey d’Alger.
Gloire des Princes de la religion du Messie, élite des Grands
de la nation de Jésus, notre très fortuné, très magnifique, très gra-
cieux, très illustre et sincère ami, Padischah du Gouvernement
de France, après avoir fait des vœux inspirés par l’amitié pour
que l’arbre de la puissance et du bonheur de Votre Majesté par-
vienne au faîte de la gloire la plus élevée, et que le palmier de
votre considération et de votre trône prenne sans cesse une crois-
sance plus étendue et jouisse d’une durée infinie, et après nous
être informé de l’état de votre précieuse santé, votre ami loyal et
sincère a l’honneur de vous exposer ce qui suit :
Votre lettre amicale(1), qui nous a été envoyée par votre Di-
van impérial, nous a été remise par votre fidèle serviteur le Consul
Deval, qui réside auprès de nous, et nous avons appris par son
contenu que, par l’ordre et la volonté du Très-Haut, vôtre sincère
et illustre frère, le Padischah de France, a, par suite d’anciennes
infirmités et de l’arrivée du terme fatal de sa vie, passé du séjour
de ce monde à la demeure de l’éternité. Cette malheureuse nou-
velle nous a rempli de peine et de tristesse.
____________________
1. Voy. p. 549.
552 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Nous avons en même temps appris qu’en vertu du droit de


succession héréditaire et d’après les lois fondamentales du Gou-
vernement, vous avez été appelé au trône de vos illustres ancêtres,
et que vous vous êtes assis sur le trône impérial avec l’acclama-
tion des Grands de votre Cour et avec la manifestation du respect,
de la vénération, de l’affection et de l’attachement de vos sujets.
— Que le Maître suprême de toutes les créatures augmente de
jour en jour votre vie et votre règne, votre puissance et votre ma-
gnificence au-dessus de toutes les nations chrétiennes ! —
En confirmant et en ratifiant les traités qui ont été conclus
entre la Cour de France et la Régence d’Alger, et en observant
dans la suite, comme par le passé, les articles et stipulations qui
existent entre les deux Gouvernements, nous espérons que nous
ne serons pas éloigné ni privé de votre auguste amitié, et c’est
pour réitérer les paroles de la meilleure intelligence et pour ac-
complir les obligations de la bonne harmonie du cœur que nous
vous avons écrit et envoyé la présente lettre de félicitation.
Lorsqu’à son arrivée Votre Majesté aura compris que tant que
nous vivrons, nous emploierons tous nos moments à observer
religieusement les devoirs de l’ancienne amitié qui existe avec
solidité entre les deux Gouvernements, nous espérons que Votre
Majesté ne nous exclura point de son bienveillant souvenir.
Écrit à Alger, le 10 novembre 1824.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 2 février 1825.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


AU BARON DE DAMAS, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Alger, le 10 novembre 1824.


(Sceau)
Le serviteur de Dieu HUSSEIN,
Dey d’Alger.
A l’illustre Vizir de la colonne des Rois de la religion de
Jésus, l’élite des Monarques chrétiens, le Padischah actuel du
AVEC LA COUR DE FRANCE 553

Gouvernement de France, notre affectionné, sincère, perspicace


et grand ami, le baron de Damas.
Après avoir offert à notre grand ami de Damas, — Puis-
sent ses fins se terminer dans le bien et dans la voie du salut !
— Ministre du Padischah actuel de France, les salutations les
plus sincères et les plus affectueuses, et après nous être informé
comme il convient de l’état de votre santé, nous vous annonçons
aujourd’hui que la lettre amicale que vous nous avez envoyée(1)
nous est parvenue, et que par son contenu nous avons appris que,
par la volonté du Très-Haut, le très magnifique Roi de France,
notre grand ami, a passé de la maison de ce monde périssable
à la demeure de l’éternité ; qu’en vertu du droit de succession
héréditaire et conformément aux lois fondamentales du Gouver-
nement, son frère, le très illustre, très élevé en rang et très magni-
fique Monsieur, comte d’Artois, a été appelé au trône impérial,
et qu’avec l’acclamation des Grands de votre Cour et avec le
respect et la satisfaction de ses sujets et habitants, il s’est assis
sur le trône du Royaume. — Que le Maître suprême de toutes les
créatures établisse et fasse durer les jours de son règne, et affer-
misse sa puissance au-dessus de toutes les nations chrétiennes !
Nous informons Votre Excellence qu’en confirmant et rati-
fiant les traités qui ont été conclus entre la Cour de France et la
Régence d’Alger, et qu’en observant dans la suite comme par le
passé les articles et stipulations qui existent entre les deux Gou-
vernements, la paix, la bonne harmonie et les liens d’une ami-
tié réciproque se resserreront de plus en plus. Nous formons des
vœux pour que Votre Excellence, en montrant les qualités géné-
reuses qui sont concentrées dans son noble cœur et les procédés
de la droiture et de la loyauté, et en manifestant dans toutes les
affaires des démarches sincères et conformes à la volonté de Sa
Majesté, soit solidement établie et fixée sur le siège de la gloi-
re. C’est pour exprimer à Votre Excellence ces vœux sincères et
pour nous informer de sa santé que la présente lettre amicale a été
écrite et envoyée. Lorsqu’à son arrivée son contenu sera connu
____________________
1. Voy. p. 550.
554 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

de Votre Excellence, nous espérons qu’elle n’exclura pas son af-


fectionné ami de son bienveillant souvenir.
Écrit à Alger, le 10 novembre 1824.
Traduit par KIEFFER, Secrétaire-interprète du Roi, le 2 février 1825.

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


AU BARON DE DAMAS, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(1).

Alger, le 26 août 1826.

(Sceau)
Le serviteur de Dieu HUSSEIN,
Dey d’Alger.
Louanges à Dieu dont la grâce, l’assistance et les bienfaits
ont donné la possession des deux terres et des deux mers, de
l’Égypte et de la Syrie à notre Maitre, le très grand Sultan, le très
magnifique Potentat en qui résident la sincérité, la générosité, la
fidélité à remplir toute espèce d’engagement(2), le Sultan ottoman
Mahmoud, — Puisse Dieu lui conserver la santé et le bonheur et
exaucer tous ses désirs ! —
Cette noble lettre a été écrite avec la permission du haut
et puissant Seigneur qu’occupent des soins importants, dont la
gloire et le rang sont très élevés, les volontés accueillies avec
obéissance, les actions justes et méritoires, l’illustre, le victo-
rieux, l’incomparable, le fortuné Prince qui tient l’étendard ot-
toman dans l’Odjak d’Alger, — Que le Ciel le préserve de toute
calamité ! — notre glorieux Maître qui met sa confiance dans le
Tout-Puissant, le Seigneur Hussein. — Que Dieu le comble de
tous les biens et de toutes les félicités qu’il peut désirer !
Elle est adressée à notre très illustre, très cher, très honoré
ami, Son Excellence le Ministre des relations extérieures à Paris.
____________________
1. L’original est en langue arabe, ce qui est contraire à l’usage algérien. Le Dey
l’envoya à la Cour à l’insu de Deval, par l’intermédiaire du Consul de Naples.
2. Allusion à l’affaire des créances Bacri.
AVEC LA COUR DE FRANCE 555

— Daigne le Ciel prolonger sa vie, lui accorder la santé, le bon-


heur et exaucer ses vœux ! —
Après avoir offert nos actions de grâces à l’Être suprême
pour les nombreux bienfaits qu’il a versés sur nous, et avoir ren-
du à Votre Excellence les hommages et les honneurs qui lui sont
dus, accompagnés de nos souhaits pour votre éternelle prospérité,
nous vous faisons connaître que le motif qui nous a engagé à écri-
re cette lettre et à la faire parvenir à Votre Excellence est d’abord
l’envie de savoir de vos agréables nouvelles, — Puisse Dieu vous
rendre toujours heureux et bien portant ! —de vous exprimer en
même temps la sincérité de notre amitié et de notre affection, et
de vous témoigner que nous sommes entièrement uni de cœur
avec vous pour l’accomplissement de tous vos désirs. Votre re-
présentant, le Consul, connaît ces sentiments de notre part ; il sait
que nous cherchons toujours à le satisfaire et que nous le traitons
avec tous les égards possibles. Ensuite nous exposons ce qui suit
à votre esprit vaste et plein de sagacité :
Nous prions Votre Excellence, au reçu de la présente let-
tre, de régler avec Nicolas Pléville, représentant de notre servi-
teur Jacob Bacri, le compte des sommes qui nous sont dues en
France(1). — Que Dieu nous accorde ainsi qu’à vous un bonheur
perpétuel ! — Nous désirons que notre serviteur. Raya Elem
____________________
1. Deval s’était occupé avec une égale activité de réorganiser l’exploitation des
Concessions d’Afrique et de faire liquider, dans les bureaux des Affaires étrangères, les
créances des Juifs Bacri. De son côté, Talleyrand avait appuyé les réclamations de ces
derniers, en faisant observer avec raison que le traité de 1801 avait consacré leurs droits.
Dans un rapport adressé au duc de Richelieu, la dette de la France fut portée pour 13
893 844 fr., dont 3 984 420 fr. d’intérêts ; mais une Commission composée de MM.
Hély d’Oissel, Mounier, Bessières et de Malartic fut chargée de contrôler ces comptes, et
l’avocat des Bacri à Paris, Nicolas Pléville, présenta alors un mémoire s’élevant au total à
16 431 305 fr. Enfin la Commission tomba d’accord avec Pléville sur le chiffre de 7 000
000 de francs offerts par le Gouvernement à titre de transaction, et payables au Trésor par
douzièmes et tous les 5 jours. Une Convention fut rédigée dans ce sens le 28 octobre 1819
et signée par les représentants des parties intéressées, et la Chambre des pairs l’approuva
par une loi du 24 juillet 1820. Voy. Sur le projet de payer à la Régence ou à ses sujets
sept millions de francs (Imprimé, Paris, 1820), — Déclaration de Son Altesse Hussein,
Dey d’Alger, le 23 décembre 1819, approuvant la transaction du 28 octobre. — Voy. aussi
Moniteur universel, t. LII, p. 1005.
556 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Kajem(1) soit présent lorsque vous ferez ce compte, parce qu’il


connaît tout ce qui y est relatif. Enfin lorsque vous aurez entiè-
rement réglé et terminé le compte des sommes susdites, qui sont
connues et avérées, veuillez bien — Puisse Dieu éterniser votre
gloire et votre bonheur et vous garantir de toute calamité ! —
nous envoyer promptement par vos propres mains, sans délai ni
retard, la somme totale que ce compte aura donnée pour résultat,
et y joindre aussi l’intérêt que cet argent a dû rapporter, avec le
montant des dépenses faites pour le recouvrer pendant le long
espace de mois et d’années qu’il est resté hors de notre jouis-
sance. Tels sont les usages en pareil cas, comme vous le savez
parfaitement. Envoyez-nous donc toutes ces différentes sommes
par vos propres mains, car ceci ne regarde que vous, et faites-
nous les parvenir bien entières et bien complètes(2). — Que Dieu
répande toujours sur vous ses grâces et vous accorde tous vos
vœux !
Nous sommes sincèrement uni avec vous et vos intérêts
sont les nôtres. S’il vous survient quelque affaire dans notre pays,
informez-nous-en et nous la terminerons à votre pleine satisfac-
tion, s’il plaît à Dieu, par amitié pour Votre Excellence. Voilà ce
que nous avions à vous marquer ; nous n’avons à y ajouter que
des assurances d’affection.
Nous vous avons parlé ainsi par ordre de notre Maître et de
notre Seigneur dont nous avons mentionné le noble nom, et dont
le cachet fortuné est empreint au haut de cet écrit. — Puisse Dieu
éterniser sa grandeur et sa gloire, accroître sans cesse l’éclat de
ses honneurs et le préserver de toute espèce de maux ! —

En date du milieu de Moharrem, 1er mois de l’année 1240.


____________________
1. Successeur d’Abucaya comme représentant du Dey à Paris. Abucaya était mort
peu de temps après sa captivité au Temple.
2. Voy. la note 4, p. 559.
AVEC LA COUR DE FRANCE 557
M. DEVAL, CONSUL GÉNÉRAL, ET LE CAPITAINE FLEURY
A HUSSEIN, DEY D’ALGER.

Alger, le 29 octobre 1826.

Le Commandant de la frégate de Sa Majesté La Galatée(1)


en rade, et le Consul général Chargé d’affaires de France à Al-
ger soussignés ont l’honneur de notifier, par ordre et au nom du
Gouvernement de Sa Majesté, qu’il n’a pu qu’être surpris, du
renouvellement d’hostilités contre le pavillon romain, que Son
Altesse s’était engagée à respecter par égard pour la France ; que
deux navires romains ont été amenés à Alger, leurs cargaisons
confisquées et les Romains déclarés prisonniers(2).
Le Gouvernement de Sa Majesté réclame en conséquence
l’exécution de la promesse de respecter le pavillon romain, et
demande que les navires qui ont été capturés, ainsi que les équi-
pages et leurs marchandises, soient relâchés.
Les soussignés ont l’ordre d’insister sur une réponse aussi
prompte que catégorique à cet égard, en manifestant à Son Al-
tesse l’espérance qu’elle sera conforme aux rapports de bonne
intelligence qui existent entre la France et Son Altesse, et telle
que doit l’attendre la Puissance la plus anciennement amie de la
Porte ottomane.
Le Gouvernement de Sa Majesté a également reçu les plaintes
____________________
1. Le capitaine Fleury.
2. Le Gouvernement pontifical avait sollicité notre intervention en faveur de la
liberté de son pavillon non reconnu par la Régence. Sur notre demande expresse, Hussein
s’était engagé verbalement, au mois de février 1825, à défendre la course sur les bâtiments
romains, mais, dès l’année suivante, il avait violé sa parole sous prétexte qu’il n’avait pas
signé de traité avec le Saint-Siège, et que le Pape ne lui avait payé aucun tribut. Ses cor-
saires s’étaient emparés, les 18 et 20 août 1826, du San Francisco di Paulo, de la valeur
de 1 800 p., et du San Antonio, de la valeur de 3 200 p. Pour comble de perfidie, les Al-
gériens avaient arboré le pavillon blanc pour capturer plus facilement ces deux navires,
qu’ils avaient conduits à Bône et fait vendre sur-le-champ. Notre Consul s’était efforcé,
mais en vain, de revendiquer ces prises, se fondant sur ce que le Roi de France était le
fils aîné de l’Église, et sur les désirs formulés par les grandes Puissances de l’Europe au
Congrès d’Aix-la-Chapelle.
558 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

les plus amères des capitaines des navires français qui ont été
appelés à bord des corsaires algériens par des coups de canons
à boulets, et qui ont été maltraités et dépouillés. Les traités avec
Alger portent que c’est aux corsaires algériens d’envoyer dans
leur propre chaloupe deux officiers à bord des navires français
pour reconnaître les passeports, et qu’aucun autre Algérien ne
doit se permettre de monter à bord que les deux officiers; voici le
rapport des deux capitaines français ci-joint, dont la perte s’élève
à environ 400 francs qu’il est nécessaire de rembourser(1).
Le Gouvernement de Sa Majesté aime à croire que cette
conduite singulière a eu lieu sans autorisation de Son Altesse,
mais il déclare que le retour de pareils procédés troublerait in-
failliblement la bonne intelligence entre les deux pays, et que
dans ce cas Son Altesse ne devrait s’en prendre qu’à elle-même
des conséquences qui en pourraient résulter(2).
Le Consul général,
Chargé d’affaires de France à Alger.
DEVAL.
Le Commandant de la frégate
de Sa Majesté La Galatée.
FLEURY.

LE BARON DE DAMAS, MLY1STRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,


A HUSSEIN, DEY D’ALGER.

Paris, le 28 février 1827.


Très illustre et magnifique Seigneur,
J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 26 août(3). Je l’ai
lue avec attention et je vais y répondre.
____________________
1. Les navires ainsi maltraités étaient Le Gustave et La Conception, revenant de
Corse à Toulon chargés de dépêches pour le service du Roi.
2. Cette démarche n’eut aucun résultat. Hussein éluda les satisfactions qui lui
étaient réclamées, tant pour la valeur des bâtiments romains que pour les actes de piraterie
exercés sur nos navires, et c’est sur ce refus que le Gouvernement se décida, au mois de
novembre 1826, à commencer le blocus des ports algériens.
3. Voy. p. 554.
AVEC LA COUR DE FRANCE 559

Vous demandez que le Gouvernement du Roi, mon Maî-


tre, oblige le sieur Nicolas Pléville à rendre compte des créances
qu’il a reçues du Trésor de France en qualité de mandataire de
Jacob Bacri(1), et qui vous appartiennent comme cessionnaire de
ce dernier(2). Un tel soin ne peut ni ne doit regarder le Gouverne-
ment du Roi.
La seule obligation qu’il avait à remplir était de remettre au
sieur Pléville, dans la proportion et aux épiques indiquées par la
transaction du 28 octobre 1819, à laquelle vous avez donné votre
assentiment(3), les sommes que la France avait reconnu devoir à
Jacob Bacri. Cette clause a été fidèlement accomplie, et les créan-
ces de Bacri ont été délivrées à son fondé de pouvoirs ; mais, aux
termes mêmes de la transaction ; le Trésor royal a dû retenir le
montant des oppositions légalement formées par les créanciers
Bacri, jusqu’à ce que le sieur Pléville ait obtenu à l’amiable ou
devant les tribunaux la mainlevée de ces oppositions(4). Cette der-
nière somme existe effectivement en dépôt dans la Caisse générale
établie à Paris(5), et le Gouvernement du Roi ne pourra la délivrer
qu’après que les oppositions dont elle est frappée n’existeront plus.
Or il ne pourrait intervenir lui-même pour en faire opérer la main-
levée sans violer les droits des opposants, la transaction de 1819
même(6) et les principes de législation consacrés en France, car il
s’agit ici de litiges privés, de débats judiciaires dont les tribunaux
seuls ont à connaître. Ce n’est qu’en ce sens, très illustre et magni-
fique Seigneur, que le Consul général de France a pu vous donner
des explications. Il ne saurait avoir eu pour but de vous tromper,
car le langage qu’il vous a tenu était conforme à la vérité et aux
____________________
1. Voy. la note 1, p. 555.
2. Hussein était créancier des Juifs pour 70 000 p. Il avait fait charger de fers Ja-
cob Bacri, au mois d’août 1826, et l’avait contraint à lui faire l’abandon du reliquat de sa
créance, afin d’en exiger plus facilement le payement.
3. Voy. Déclaration de Son Altesse Hussein, Dey d’Alger, le 23 décembre 1819.
4. 4 500 000 fr. avaient été payés par le Trésor, et 2 500 000 fr. avaient été réservés
aux créanciers des Juifs.
5. La Caisse des Dépôts et Consignations.
6. Cette transaction a été publiée dans quelques ouvrages, notamment dans celui de
M. de Laborde intitulé : Au Roi et aux Chambres, sur les véritables causes de la rupture
avec Alger et sur l’expédition qui se prépare. (Paris, 1830, p. 11 des pièces justificatives.)
560 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

instructions que je lui avais adressées. J’espère au surplus que


ces nouvelles observations, en vous démontrant l’exactitude avec
laquelle le Gouvernement du Roi a rempli ses engagements, vous
convaincront également que la somme déposée au Trésor royal ne
saurait être délivrée qu’après que les oppositions dont elle est l’ob-
jet auront été levées. Quant aux fonds que, selon vous, le Consul
du Roi aurait touchés, ce reproche ne saurait être exact, puisque
les sommes payées par le Trésor de France pour se libérer envers
Jacob Bacri ne l’ont été qu’au sieur Pléville(1). J’aurais peine à
m’expliquer vos plaintes contre M. Deval, si je ne croyais pouvoir
en attribuer la cause aux suggestions mensongères de quelque en-
nemi. Les Princes, vous le savez, sont souvent plus exposés que
les autres hommes à être trompés par les discours fallacieux de
la malveillance et de la calomnie. Le Roi, mon Maître, attachera
toujours beaucoup de prix à cultiver avec vous et avec la Régence,
dont le Gouvernement repose en vos mains, des relations de paix
et d’amitié ; il ne balancerait point à rappeler le Consul auquel il
a confié le soin de les entretenir, si sa conduite était un obstacle
à leur durée. Mais Sa Majesté répugne à croire aux inculpations
dirigées contre un agent dont elle apprécie la prudence et le dé-
vouement ; elle n’a donc pu qu’être blessée de la menace que vous
lui avez faite de le renvoyer en France s’il n’était rappelé.
Un procédé si peu amical n’a pu d’ailleurs que confirmer le
Roi dans l’opinion où il était déjà, que vos dispositions envers la
France avaient cessé d’être aussi satisfaisantes qu’il était en droit
de l’attendre de ses propres témoignages de bienveillance envers
vous et la Régence d’Alger. En effet, des navires français ont été
insultés et pillés par vos armements, et la France n’a point encore
obtenu satisfaction de ces outrages(2). Vous aviez pris envers elle
l’engagement solennel de respecter la navigation des sujets du
____________________
1. Deval était accusé d’avoir reçu deux millions pour avoir obtenu du Gouver-
nement la transaction de 1819. La vérité est que notre Consul général était et resta sans
fortune, comme la plupart de ses prédécesseurs, et que s’il ne montra pas, dans l’accom-
plissement de ses périlleuses fonctions, toute la fermeté nécessaire, il témoigna du moins
d’une probité et d’une intégrité qui demeurèrent toujours à l’abri de tout soupçon.
2. Voy. la note 1, p. 558.
AVEC LA COUR DE FRANCE 561

Pape, et, malgré cette promesse, des bâtiments romains ont été
capturés par vos corsaires(1), et lorsque le Roi vous a fait porter,
par le Commandant d’un de ses vaisseaux et par son Consul gé-
néral à Alger, des plaintes sur cette conduite, vous avez refusé
de rendre les navires capturés(2) ; vous avez prétendu n’être lié
par aucun engagement avec le Saint-Siège, parce qu’il n’existe
pas, dites-vous, un traité de paix entre vous et ce Gouvernement,
comme si la promesse solennelle précédemment émanée de vous
ne comportait pas en elle-même le caractère formel et les obli-
gations d’un traité. Vous demandez enfin que la France envoie
négocier cette paix à Alger, et la première condition du traité doit
être, selon vous, le payement d’un tribut par le Saint-Siège(3).
Le Roi se persuade encore que vous renoncerez à des pré-
tentions si peu légitimes, et qu’écoutant à la fois les conseils de
la justice et la voix de l’amitié, vous vous empresserez de faire
droit aux griefs qui vous ont été exposés. Sa Majesté m’ordonne
en conséquence de vous demander :
1° Que, désapprouvant hautement les hostilités commises
par les corsaires d’Alger contre des bâtiments français, vous pu-
nissiez d’une manière exemplaire les auteurs de ces insultes et
fassiez rendre les sommes qu’ils ont enlevées ;
2° Que, pour prévenir désormais de semblables désordres
et pour préserver les navires français des dangers de la peste,
vous vous engagiez par une déclaration expresse à défendre aux
reïs algériens de visiter, sous aucun prétexte, ceux des vaisseaux
qu’ils rencontreront en mer ou de mander les capitaines à leur
bord. Les bâtiments des deux nations devront se contenter de par-
lementer et de se reconnaître avec le porte-voix ;
3° Que vous fassiez remettre sans retard au Consul général
de France le prix des vaisseaux romains capturés par vos corsai-
res et la valeur des cargaisons dont ils étaient chargés, ainsi que
les indemnités justement dues aux propriétaires et aux équipages
____________________
1. Voy. la note 2, p. 551.
2. Voy. la note 2, p. 558.
3. Voy. Note sur les tributs payés à Alger par les Puissances étrangères. (Moni-
teur universel, 1830, p. 219.)
562 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

pour les préjudices et les mauvais traitements qu’ils ont soufferts ;


4° Qu’en même temps vous renouveliez par une déclara-
tion authentique, sanctionnée par les Grands de la Régence, la
promesse gratuite de respecter et de traiter désormais en ami le
pavillon romain. Le premier engagement que vous avez pris ne
comportait aucune restriction ; il était purement désintéressé, tel,
en un mot, que le Roi était en droit de l’attendre du Chef d’un État
si anciennement ami de la France. Sa Majesté n’aurait pu croire,
en effet, que vous eussiez prétendu mettre à prix la paix qu’il vous
demandait pour le Saint-Siège, quand vous l’aviez accordée gra-
tuitement à d’autres États par considération pour l’Angleterre ;
5° Enfin que, cessant d’écouter des suggestions ennemies,
vous rétablissiez avec le Consul général de France des rapports
de bienveillance et de bonne harmonie conformes à ceux qui doi-
vent exister entre la France et la Régence d’Alger.
Ces réparations, très illustre et magnifique Seigneur, sont
les seules qui puissent satisfaire le Roi, mon auguste Maître, et
lui prouver que la Régence d’Alger met du prix à l’amitié de la
France. Sa Majesté, je le répète, désire vivre en paix avec vous, et
sa loyauté vous garantit qu’elle ne fera jamais rien pour troubler
cette bonne intelligence, mais elle attend de vous les mêmes pro-
cédés, et je compte en conséquence sur la réparation qui lui est
due. Si, ce que je ne puis croire, ses espérances étaient déçues, le
Roi est résolu à ne prendre conseil que de sa dignité offensée et à
faire usage, pour obtenir justice, de la puissance que Dieu a mise
entre ses mains.
Un nouveau déni de justice exposerait la Régence d’Alger à
des calamités inévitables, mais dont la responsabilité retomberait
tout entière sur ceux dont les perfides conseils l’auraient entraî-
née dans des démarches contraires, à ses intérêts.
Le Roi, mon Maître, se flatte néanmoins que la justice de
sa cause et vos sentiments d’amitié pour la France vous engage-
ront à prendre une détermination conforme à ses désirs, et qu’il
n’éprouvera pas le regret de recourir à des mesures qui, bien que
devenant nécessaires, répugneraient aux sentiments de paix et de
AVEC LA COUR DE FRANCE 563

conciliation dont il est animé. C’est aussi dans cette persuasion


que je m’empresse de vous offrir les assurances de mes senti-
ments et de la considération distinguée avec laquelle je suis,
Très illustre et magnifique Seigneur,
Votre très parfait et sincère ami.
DE DAMAS(1).

LE CAPITAINE COLLET, COMMANDANT GÉNÉRAL DES FORCES NAVALES DU ROI,


A HUSSEIN, DEY D’ALGER.

A bord de La Provence, en rade d’Alger, le 15 juin 1827.

Excellence,
Le soussigné Commandant général des forces navales de Sa
Majesté l’Empereur de France devant Alger a l’honneur d’infor-
mer Son Excellence Hussein Pacha, Dey et Gouverneur d’Alger,
que Sa Majesté indignée de l’outrage horrible et scandaleux com-
mis envers elle dans la personne de son Consul général Chargé de
ses affaires, demande une réparation immédiate, une satisfaction
éclatante et publique ainsi prescrite(2) :
____________________
1. Le Conseil des Ministres, auxquels le baron de Damas donna lecture de cette
réponse, se prononça contre son envoi et se montra résolu à venger sans plus de délais
les vexations réitérées d’Hussein. La lettre fut donc annulée, mais nous avons cru devoir
la faire connaître, parce qu’elle montre exactement l’état de nos relations avec le Dey à
la veille de la rupture, et qu’elle servit de prétexte au Chef de la Régence pour insulter
notre représentant. — Ce dernier fut en conséquence chargé d’expliquer à Hussein que sa
demande était inadmissible, eu égard aux stipulations de la Convention de 1819, devenue
loi entre les parties. Toutefois la décision du Conseil ne pouvait que nuire à Deval, qui fut
naturellement accusé quelque temps après d’intercepter les lettres de la Cour.
2. Notre Consul général était allé féliciter le Dey, le 30 avril 1827, à l’occasion
des fêtes qui suivaient d’ordinaire le jeûne du Ramadan. Hussein lui avait demandé avec
humeur s’il n’avait pas reçu de réponse à la lettre qu’il avait écrite au baron de Damas,
à propos des créances Bacri ; il l’avait vivement interpellé au sujet de notre comptoir de
La Calle, et l’avait violemment frappé, à trois reprises, avec le manche de son chasse-
mouches. Deval s’était retiré en protestant contre une pareille insulte ; il avait aussitôt fait
connaître à la Cour la scène qui s’était passée, et le Gouvernement avait dépêché à Alger
564 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

Une députation solennelle composée du Vekilhardji, Ministre


de la Marine et des Affaires étrangères, de l’Amiral Commandant
de la Marine et du capitaine du port, lesquels seront accompagnés
des quatre grands Khodjas du palais du Dey, se rendront à bord
du vaisseau commandant ; le Vekilhardji. Ministre de la Marine
et des Affaires étrangères, portant la parole, fera publiquement et
au nom de Son Excellence le Dey des excuses au Consul général
Chargé d’affaires sur sa conduite à son égard.
Après cette cérémonie, qui n’admet aucune sorte de modifi-
cation dans les termes ni dans les personnes, le pavillon de France
sera arboré sur les forts d’Alger et principalement au château du
Dey et à la Marine, dans le lieu le plus apparent, et sera salué de
cent coups de canon par l’artillerie de la place.
Si dans l’espace de vingt-quatre heures cette satisfaction
n’est pas accordée, les hostilités de la France contre Alger com-
menceront aussitôt, en représailles de celles qui ont été commises
par le Dey.
COLLET(1).
____________________
le capitaine Collet, avec une division navale composée de six bâtiments, pour exiger
des excuses solennelles et, en cas de refus, commencer les hostilités. — La Provence et
La Torche parurent le 11 juin dans la rade, et nos officiers commencèrent par recueillir
à leur bord le Consul et nos compatriotes. Deux jours après fut envoyé l’ultimatum du
Commandant général, et le Consul de Sardaigne, le comte Dattili de la Tour, voulut bien
se charger de servir entre nous et le Dey d’intermédiaire officieux. L’évacuation de nos
établissements de Bône et de La Calle eut lieu le 20 du même mois, par les soins des capi-
taines La Place et Thierry, commandants de L’Artésienne et du Volcan. Voy. Instructions
au capitaine Collet, le 29 mai 1827, et la correspondance du capitaine Collet et du comte
Dattili de la Tour. (Archives des Affaires étrangères.) — Voy. aussi Moniteur universel,
1827, p. 909, 1003 et 1018.
1. Hussein, se souvenant d’avoir impunément bravé l’Angleterre quelque temps
auparavant, refusa toute satisfaction ; il qualifia de ridicules les demandes du Comman-
dant et ne lui fit pas de réponse. La guerre fut déclarée en conséquence le lendemain, 16
juin 1827, et le capitaine Collet commença le blocus de toutes les côtes de la Régence.
AVEC LA COUR DE FRANCE 565
LE COMTE. DE LA BRETONNIÈRE,
COMMANDANT GÉNÉRAL DES FORCES NAVALES DU ROI(1),
A HUSSEIN, DEY D’ALGER.

A bord de La Provence, le 25juillet 1829.

Le Commandant en chef des forces navales de France de-


vant Alger, informé par l’officier supérieur qu’il avait envoyé à
terre(2) des bonnes intentions et des dispositions pacifiques de Son
Altesse le Dey et Vice-Roi d’Alger, le prie de lui faire connaî-
tre le jour et l’heure de l’entrevue qui doit avoir lieu entre eux,
et s’en rapporte entièrement au jugement et à la sagesse de Son
Altesse, en ce qui concerne les formalités à remplir pour sa des-
cente à terre et les égards auxquels son rang lui donne le droit de
prétendre dans cette circonstance.
Le Commandant des forces navales de France réunies de-
vant Alger.
DE LA BRETONNIÈRE.
____________________
1. Le capitaine Collet mourut en 1828, après avoir essayé vainement, une seconde
fois, d’obtenir des excuses par l’entremise du lieutenant Bézard. Il fut remplacé aussitôt,
dans le commandement de l’escadre chargée du blocus, par le comte de la Bretonnière,
qui reçut au mois de juin 1829 l’ordre de faire auprès du Chef de la Régence une troi-
sième tentative de conciliation, et qui vint mouiller à Alger le 17 juillet suivant. Notre
Gouvernement ne demandait plus que la liberté des prisonniers de guerre, l’envoi d’un
Ambassadeur à Paris et une déclaration d’armistice. M. de Nerciat, capitaine de vaisseau,
fut chargé en conséquence d’aller sonder les intentions d’Hussein, et de le disposer à en-
trer en accommodement en lui demandant d’échanger les captifs. Il descendit à terre le 23
juillet sous pavillon parlementaire ; le Dey refusa de le recevoir, mais lui fit témoigner par
son Vekilhardji le désir de conférer avec le Commandant de notre escadre, et le comte de
la Bretonnière se hâta, comme on le voit, de profiter de ces dispositions. Voy. Instructions
pour le comte de la Bretonnière, Commandant des forces navales du Roi devant Alger,
juin 1829, — Lettre du comte Dattili de la Tour au comte de la Bretonnière, le 29 juillet
1829, rendant compte de la mission du capitaine de Nerciat. (Archives des Affaires étran-
gères.) — Voy. aussi Moniteur universel, 1828, p. 1869.
2. M. de Nerciat, commandant le brick L’Alerte.
566 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

HUSSEIN, DEY D’ALGER,


AU COMTE DE LA BRETONNIÈRE, COMMANDANT GÉNÉRAL
DES FORCES NAVALES DU ROI.

Alger, le 30 juillet 1829.

Au très bienveillant, très honoré, très élevé en dignité, le


Commandant en chef des forces navales de France.
Après vous avoir salué amicalement et nous être plusieurs
fois informé de votre santé, nous vous faisons savoir avec sincé-
rité ce qui suit :
La lettre amicale(1) que vous nous avez écrite en langue tur-
que(2) et que vous nous avez fait remettre par un Capitaine d’un de
vos bricks(3) nous étant parvenue, nous en avons compris tout le
contenu. Les sentiments exprimés dans cette lettre nous ont cau-
sé autant de satisfaction que de reconnaissance. Nous espérons
qu’avec l’aide de Dieu et lorsque la présente vous sera parvenue,
vous voudrez bien demain, à l’heure que vous jugerez convena-
ble, après être descendu à terre, vous rendre auprès de nous afin
qu’après l’entrevue nous puissions immédiatement commencer
les conférences(4). C’est à cette fin que la présente lettre vizirielle
____________________
1. Voy. p. 565.
2. Bianchi, Secrétaire-interprète du Roi, était à bord de La Provence. Le Dey se
servait de son côté de l’interprète juif Bensamoun.
3. M. de Nerciat.
4. La Provence et L’Alerte vinrent mouiller dans la rade le 31 juillet sous pavillon
parlementaire. Le comte de la Bretonnière, son secrétaire Gabrié, MM. de Nerciat et
Bianchi descendirent à terre et furent reçus par les officiers du Dey avec tout le cérémonial
d’usage. Le Commandant était muni d’un projet de traité en 48 articles élaboré par Deval,
mais ses instructions comportaient l’Ordre de bombarder la ville si la Régence n’accep-
tait pas ses conditions. Dans une première audience, Hussein se plaignit de l’attitude
qu’avait prise à son égard notre ancien Consul Deval, déclara ne pas tenir à un armistice,
refusa d’envoyer à Paris un Ambassadeur, et demanda comme condition de paix qu’on lui
donnât le brick L’Alerte. Dans une seconde audience qui eut lieu le 2 août, il se montra
plus insolent que jamais, et refusa de nous donner satisfaction malgré les représentations
du Commandant de l’escadre ; il se flatta « d’être soutenu par une haute Puissance », et
déclara que nos parlementaires « pouvaient s’en retourner comme ils étaient venus, sur la
AVEC LA COUR DE FRANCE 567

vous a été écrite et vous a été transmise par le Capitaine susdit.


(Sceau)
HUSSEIN,
Vice-Roi d’Alger de Barbarie(1).
Traduit par BIANCHI, Secrétaire-interprète du Roi, le 4 août 1829.

LE VICE-AMIRAL DUPERRÉ, COMMANDANT EN CHEF L’ARMÉE NAVALE,


A HUSSEIN, DEY D’ALGER(2),

A bord de La Provence, le 5 juillet 1830.

L’Amiral soussigné, Commandant en chef l’armée navale


de Sa Majesté Très Chrétienne, en réponse aux communications
____________________
foi d’un sauf-conduit ». L’Alerte put s’éloigner le premier sans difficulté, mais au moment
où La Provence appareilla pour sortir de la baie, elle dut essuyer le feu de 80 coups de ca-
non, tirés des batteries des forts au mépris du droit des gens. — Le comte de la Bretonniè-
re avait pu se rendre compte de l’état des fortifications d’Alger du côté de la mer. Il écrivit
à la Cour qu’il était indispensable « d’ajourner tout bombardement jusqu’à ce qu’on en ait
combiné un avec une attaque par terre », et demanda au Ministre de continuer le blocus
en attendant l’exécution de cette mesure. Voy. Lettre du comte de la Bretonnière au comte
Portalis, le 5 août 1829, rendant compte au Ministre de ses entretiens avec Hussein et de
l’attaque de La Provence. (Archives des Affaires étrangères.) — Voy. aussi Relation de
l’arrivée dans la rade d’Alger du vaisseau de Sa Majesté La Provence, par Bianchi (Paris,
1830), — Revue africaine, 1877, p. 409, — Moniteur universel, 1830, p. 229.
1. Cette lettre fut remise à M. de Nerciat par le comte Dattili de la Tour, Consul de
Sardaigne à Alger.
2. Le Prince de Polignac, en arrivant au pouvoir au mois d’août 1829, se montra
décidé à ne pas prolonger plus longtemps le blocus, que tous les hommes compétents
considéraient comme fort coûteux et sans aucun effet pratique. Il décida l’expédition
d’une armée de débarquement-sur la côte d’Afrique, et le comte de Bourmont, alors Mi-
nistre de la guerre, fut choisi pour la commander (20 avril 1830). Cet officier général reçut
en conséquence l’ordre d’exiger de la Régence, avant de commencer les hostilités :
L’envoi de trois personnages pour apporter au Roi de France les excuses du Dey
d’Alger,
L’abolition de l’esclavage des chrétiens,
L’abolition de la course,
La suppression des tributs et redevances des Princes chrétiens à la Régence,
La destruction des fortifications d’Alger,
Une indemnité de 40 millions,
568 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

qui lui ont été faites au nom du Dey d’Alger(1) et qui n’ont que
trop longtemps suspendu le cours des hostilités, déclare que tant
que le pavillon de la Régence flottera sur les forts et sur la ville
d’Alger, il ne peut plus recevoir aucune communication et il la
considère toujours comme en état de guerre.
DUPERRÉ.
____________________
La reconnaissance de notre suzeraineté sur la côte barbaresque, depuis la rivière
de Seybas jusqu’au cap Roux,
La cession à la France de la ville et de la baie de Bône,
La confirmation de la pêche exclusive du corail dans nos Concessions, moyennant
une redevance de 17 000 livres,
La reconnaissance de nos capitulations avec la Porte ottomane,
L’occupation française d’Alger jusqu’à entier payement de l’indemnité de guerre.
L’expédition se composait de 30 000 hommes, 4 000 chevaux, 82 pièces de siège,
9 mortiers, 14 batteries de canon, 675 bâtiments dont 103 navires de guerre. La flotte,
commandée par le Vice-Amiral Duperré, appareilla dans la rade de Toulon le 25 mai 1830
et vint mouiller dans la baie de Sidi-Ferruch, à 20 kilomètres d’Alger. Le débarquement
des troupes eut lieu le 14 juin sur la presqu’île de ce nom. Après les combats de Staoueli
(19 juin), de Sidi Khalef et de Deli-Ibrahim (24-28 juin), le siège d’Alger (29 juin), l’atta-
que et l’explosion du fort L’Empereur (4juillet), Hussein, au moment de capituler, envoya
en parlementaire Sidi Mustapha, son secrétaire, pour nous offrir des excuses et les frais de
guerre. De Bourmont lui fit répondre qu’il ne pouvait admettre aucune négociation avant
l’occupation de la ville. Alors, le Dey, sans doute instruit du peu d’accord qui existait en-
tre le Chef de notre armée et le Commandant de la flotte, crut devoir tenter une démarche
auprès du Vice-Amiral Duperré, dont les vaisseaux n’avaient pas cessé jusqu’alors de
bombarder, les batteries algériennes. « L’Amiral ennemi vient en parlementaire, au nom
du Dey, demander à traiter la paix, écrivit Duperré au Général en chef ; je le renvoie à
vous et je ne puis suspendre les hostilités que lorsque j’aurai connaissance de vos inten-
tions. » — Voy. Instructions pour M. le Commandant en chef de l’armée envoyée contre
la Régence d’Alger, 1830. (Archives des Affaires étrangères.) — Voy. aussi Rapport du
comte de Bourmont au Président du Conseil des Ministres, le 5 juillet 1830, et Rapport du
Vice-Amiral Duperré au Ministre de la marine et des colonies, le 6 juillet 1830. (Moniteur
universel, 1830, p. 762 et 763.)
1. Par Sidi Mustapha.
AVEC LA COUR DE FRANCE 569

CONVENTION
ENTRE LE COMTE DE BOURMONT, GÉNÉRAL EN CHEF DE L’ARMÉE FRANÇAISE,
ET HUSSEIN, DEY D’ALGER(1).

Alger, le 5 juillet 1830.

Le fort de la Casbah, tous les autres forts qui dépendent


d’Alger et le port de cette ville seront remis aux troupes françai-
ses ce matin à 40 heures (heure française)(2).
Le Général en chef de l’armée française s’engage envers
Son Altesse le Dey d’Alger à lui laisser sa liberté et la possession
de toutes ses richesses personnelles(3).
Le Dey sera libre de se retirer avec sa famille et ses riches-
ses particulières dans le lieu qu’il fixera, et tant qu’il restera à Al-
ger il y sera, lui et toute sa famille, sous la protection du Général
en chef de l’armée française. Une garde garantira la sûreté de sa
personne et celle de sa famille(4).
Le Général en chef assure à tous les soldats de la Milice les
mêmes avantages et la même protection(5).
____________________
1. Cette convention fut dictée par le Commandant en chef au général Desprez, et
l’intendant Denniée en remit une copie à l’Envoyé Mustapha. M. Bracewicz, interprète
de l’armée, accompagna ce dernier chez le Dey, qui ne fit aucune difficulté pour y apposer
son sceau et qui demanda seulement un délai de deux heures pour l’entrée des troupes
françaises. Voy. Moniteur universel, 1830, p.229, 750 et 762.
2. Le Trésor de la Casbah s’élevait à 48 684 527 fr. ; il fut expédié en France et
compensa les frais de notre expédition. Voy. Note sur le Trésor de la Casbah. (Anecdotes
historiques et politiques pour servir à l’histoire de la conquête d’Alger, par Merle, secré-
taire particulier du comte de Bourmont. Paris, 1831, p. 290.)
3. Hussein réclama 30 000 sequins (270 000 fr.) comme étant sa pleine propriété,
disant qu’il les avait laissés à la Casbah. De Bourmont ordonna aussitôt qu’on les lui
remit, et l’autorisa à enlever, le 7 juillet et les deux jours suivants, les armes, meubles,
étoffes et tapisseries qu’il désirait conserver.
4. Hussein s’embarqua le 20 juillet sur la frégate La Jeanne d’Arc avec sa famille,
son harem et sa suite, soit au total 110 personnes dont 55 femmes. Il avait demandé de
se réfugier à Malte, mais le Commandant en chef ne lui avait pas permis de chercher un
asile chez des ennemis. Il avait alors déclaré qu’il se retirerait à Naples, et il y débarqua
en effet le 31 juillet. Il y séjourna quelque temps et vint ensuite se fixer, le 25 octobre, à
Livourne. Voy. Moniteur universel, 1830, p. 803, 839, 840, 903, 950 et 1421.
5. 2 500 Janissaires, après avoir été entièrement désarmés, furent embarqués le
570 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

L’exercice de la religion mahométane restera libre. La li-


berté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs pro-
priétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune at-
teinte ; leurs femmes seront respectées. Le Général en chef en
prend l’engagement sur l’honneur.
L’échange de cette convention sera fait avant dix heures ce
matin, et les troupes françaises entreront aussitôt après dans la
Casbah et successivement dans tous les forts de la ville et de la
marine.
Au camp devant Alger, le 5 juillet 1830.
DE BOURMONT(1).
(Sceau du Dey)

HUSSEIN, ANCIEN DEY D’ALGER,


A LOUIS-PHILIPPE.

Naples, le 25 septembre 1830.

Sire,
Ce n’est pas pour me plaindre de ma situation malheureuse
que j’ose m’adresser à Votre Majesté. Je ne connais que trop les
vicissitudes de la fortune, et je croirais mériter toutes les injusti-
ces si je n’avais pas la force de soutenir ses rigueurs.
Mais parmi les infortunes dont je suis accablé, il y en a
auxquelles je puis avouer être fort sensible sans témoigner de la
faiblesse, et que Votre Excellence ne pourrait refuser de connaî-
tre sans blesser la noblesse de son caractère.
Toute l’Europe a retenti des violences dont j’ai été accusé
envers le Consul de France, M. Deval(2). Une guerre affreuse, la
____________________
même jour que leur ancien Chef, et transportés à Smyrne sur quatre vaisseaux de ligne.
Au moment de leur départ, chacun d’eux reçut une gratification de 5 piastres, équivalant
à deux mois de leur solde.
1. Le double de cette Convention fut remis par Hussein, au moment de son départ
d’Alger, entre les mains du Consul d’Angleterre.
2. Voy. la note 2, p. 563.
AVEC LA COUR DE FRANCE 571

désolation de mon pays, ma défaite et mon exil en ont été la


conséquence.
Je pardonne volontiers à la fortune la perte de mon pouvoir,
de mes richesses et de mon indépendance, mais je ne saurais me
soumettre à l’opinion injurieuse que mes emportements aient at-
tiré tant de malheurs sur ma patrie et sur moi. Si je voyais sur le
trône de France ce même Roi qui a employé toute sa force pour
renverser le mien, j’étoufferais mes chagrins au fond de mon cœur.
Je ne croirais pas que ma justification pût se faire jour à travers les
préventions de ses, Ministres. Mais il a voulu que je fusse l’avant-
coureur de sa chute, et maintenant je puis plaider la cause de mon
innocence sans irriter les auteurs de mon infortune.
Votre Majesté trouvera dans le mémoire ci-joint le récit fi-
dèle des intrigues qui ont allumé la discorde contre moi et Char-
les X(1), et qui enfin ont amené cette guerre calamiteuse dont j’ai
été la victime. Votre justice sera bien surprise de voir que des
marauds algériens(2), qui avaient été mis d’accord par un avocat
de Paris(3) et qui jouissaient de la confiance de M. Deval, Consul
de France, et de ses protecteurs(4), aient été à portée de soustraire
malgré moi à quelques-uns de mes sujets une propriété de plu-
sieurs millions(5). Je n’ai pas pu me résoudre à dissimuler un tort
aussi grave ; ma sensibilité à cet outrage a été regardée par la
Cour de France comme un crime impardonnable, et elle a fait
tomber sur moi et sur mon pays la peine du vol que j’avais souf-
fert et qu’elle devait réparer(6). Je ne sais pas si les choses sont
____________________
1. Le mémoire qui accompagne l’original de cette lettre est relatif aux Juifs Bacri,
à la transaction concernant les dettes de la France à leur égard, et au séquestre des som-
mes réservées à leurs créanciers. Voy. les notes 1 et 4, p. 555 et 559.
2. Les Juifs Bacri et Busnach.
3. Nicolas Pléville.
4. Pas plus que ses prédécesseurs à Alger Deval n’eut confiance en ces Juifs, qui
furent toujours signalés à la Cour comme des intrigants dangereux, et qui ne trouvèrent
d’appui qu’auprès du prince de Talleyrand.
5. Allusion aux 2 500 000 francs remis à la Caisse des Dépôts pour le compte des
créanciers des Juifs.
6. Ces récriminations étaient de mauvaise foi, car le Dey savait fort bien que la
transaction de 1819 n’était que le résultat des stipulations du traité du 17 décembre 1801
(article XIII), et il en avait formellement approuvé les articles, notamment le IVe ainsi
572 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

maintenant en état de retourner en arrière. Votre Majesté verra


mieux que moi si les lauriers des Français peuvent s’enraciner en
Afrique, et si cette plante stérile arrosée par des mains étrangères
peut produire le fruit de la civilisation.
Mais si la nature du sol, la force du climat et la fermeté
inébranlable des habitudes résistent pour toujours à la réalisation
de cette espérance, elle voudra bien examiner une question assez
digne de sa haute politique. Doit-on permettre que l’ambition ex-
pose à des risques la gloire des Français ? Ne sera-t-il pas mieux
que la générosité la conserve, et que l’humanité en profite pour
établir par des moyens naturels les institutions les plus utiles dont
l’Afrique, soit susceptible ?
En attendant ce sera assez pour moi si, d’après l’histoire de
l’origine de la guerre, Votre Majesté veut bien m’honorer de son
estime, et si elle tire quelque avantage de mes infortunes pour
se tenir en garde contre les hommes qui m’ont trahi, et qui sont
toujours dans la funeste attitude de tromper et de nuire.
Je suis, Sire, avec une pleine confiance dans la haute justice
de Votre Majesté,
(Sceau)
HUSSEIN PACHA.
____________________
conçu : « Il est bien entendu que sur la somme à délivrer au sieur Nicolas Pléville en sa
qualité de fondé de pouvoirs des sieurs Jacob Cohen Bacri et Busnach, le Trésor royal
retiendra le montant des oppositions et transports des créances signifiées au Trésor à la
charge de ses deux commettants, jusqu’à ce que le dit sieur Pléville ait obtenu à l’amiable
ou devant les tribunaux français la mainlevée des dites oppositions ou le règlement des
droits des cessionnaires, de même qu’il est entendu que la partie de la somme non grevée
d’oppositions ou de significations de transports lui sera immédiatement délivrée. »
AVEC LA COUR DE FRANCE 573

HUSSEIN, ANCIEN DEY D’ALGER,


A LOUIS-PHILIPPE(1).

Paris, le 24 août 1831

Très magnifique, très majestueux et très puissant Empereur,

Le destin a voulu qu’à la fin de ma carrière, je fusse obligé


de me rendre à un Général français et de lui livrer la Ville et le
Royaume d’Alger(2).
Il avait été convenu, par un traité avec le Général de Bour-
mont, que je pourrais transporter librement dans le pays que je
choisirais tout ce qui m’appartenait, de quelque nature que ce
fût(3). Cependant il est de notoriété publique que le Général de
Bourmont ne m’a fait rendre que 30 000 sequins algériens et
quelques bijoux(4). Quant au reste de mes biens particuliers, de
mes effets et de l’argent comptant qui m’appartenait en propre,
tout est resté à Alger et a été pillé(5).
J’ai une famille et une suite nombreuse, et Votre Majesté sait
parfaitement que mon séjour dans un pays étranger doit m’obli-
ger à des dépenses considérables. Or il est clair comme le jour
qu’avec les seules ressources qui me restent, si Votre Majesté ne
m’accorde pas la grâce de venir à mon secours, je vais, sur une
terre étrangère, me trouver dans la position la plus critique, et que
dans un an ou deux je serai réduit à la misère.
____________________
1. Hussein vint à Paris au commencement du mois d’août 1831, afin d’y présenter
les réclamations qui suivent, et il y séjourna deux mois. Il obtint le 24 août une audience
particulière de la famille royale, pendant laquelle il fit remettre cette requête entre les
mains de Louis-Philippe.
2. Voy. p. 569.
3. Article III de la Convention du 5 juillet 1830.
4. Voy. la note 3, p. 589.
5. On a déjà fait justice du prétendu pillage de la Casbah dont on accusa l’armée
et en particulier le général de Bourmont. A la suite d’une minutieuse enquête, la conduite
et les opérations de la Commission des finances instituée immédiatement après la capi-
tulation d’Alger furent reconnues parfaitement régulières. Voy. La conquête d’Alger, par
Camille Rousset (Paris, 1880, p. 231).
574 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

En Italie, où j’ai demeuré une année, je n’ai confié à. per-


sonne le secret de ma position, mais je suis venu moi-même à
Paris pour la faire connaître à Votre Majesté. J’espère qu’elle en
sera touchée, et j’ose implorer sa générosité à mon égard.
Avec l’aide du Très-Haut, la requête respectueuse que
j’adresse à Votre Majesté aura pour résultat de consoler mon âme
attristée. Je ne veux pas fatiguer votre tête impériale par le récit
détaillé de mes chagrins et de mes infortunes, et je me contente
d’oser vous adresser mes supplications par cette courte requête.
Votre Majesté Impériale voudra bien me regarder, ainsi que
ma famille et ceux que je n’ai pu renvoyer d’auprès de moi, com-
me ses propres pupilles, et nous empêcher, dans quelque pays
que le sort nous jette, de tomber dans la misère et le malheur. Elle
nous en garantira en daignant nous accorder, par générosité et
commisération, une pension alimentaire proportionnée à sa puis-
sance(1).
La réputation de générosité et d’humanité dont jouit Votre
Majesté me donne l’espoir d’obtenir ce bienfait. Je ne prétends
pas au reste réclamer ici un droit ; j’implore seulement le secours
et la libéralité de mon Maître, le très magnifique et très généreux
Empereur des Français, dont la grandeur est connue du monde
entier.
L’an 1247 de l’hégire.
(Sceau)
HUSSEIN PACHA.
Traduit par DESGRANGES, Secrétaire-interprète du Roi, le 2 septembre 1831.
____________________
1 Voy. Note sur les réclamations de l’ex-Dey d’Alger, le 3 septembre 1832. (Archi-
ves des Affaires étrangères.)
AVEC LA COUR DE FRANCE 575
HUSSEIN, ANCIEN DEY D’ALGER,
A CASIMIR PÉRIER, PRÉSIDENT DU CONSEIL DES MINISTRES(1).

Paris, le 26 septembre 1831.

Monsieur le Président,
Voilà près d’un mois et demi que je suis arrivé à Paris, et
il y a déjà trente-deux jours qu’admis à l’audience du Roi, j’ai
eu l’honneur de lui faire parvenir une lettre où je lui manifestais
mes sentiments et mes vœux(2). Jusqu’à ce jour je n’ai point eu la
consolation de connaître l’accueil que Sa Majesté avait fait à cet-
te lettre ; je n’ai plus même revu la famille royale dont les bontés
m’avaient si vivement touché, et il ne m’a pas encore été possible
de n’entretenir aucun des Ministres du Roi, comme j’avais espéré
le faire. Sans doute j’ai su apprécier la gravité des circonstances
qui ont empêché Votre Excellence de m’accorder l’entrevue que
je lui ai fait demander à deux ou trois reprises(3), mais aujourd’hui
que les affaires ont pris un autre aspect, je n’hésite point à m’adres-
ser moi-même à Votre Excellence pour lui représenter que la sai-
son s’avance, que je suis éloigné depuis trop longtemps de ma
maison et de ma famille laissée sur une terre étrangère, et que
cet éloignement prolongé me donne à moi-même la plus légitime
sollicitude pour un prompt retour au milieu des miens ou pour les
rapprocher de moi. Je vous prie donc, Monsieur le Président, de
m’accorder une entrevue assez longue et assez suivie pour que je
puisse convenablement parler des choses dignes de l’attention du
Gouvernement français, et qu’il est de son intérêt de connaître et
d’examiner. Certes je n’ai qu’à me louer des égards dont je suis
l’objet, et des sentiments de respect et de considération qu’on ma-
____________________
1. Banquier, puis Député de Paris en 1817, Président de la Chambre en 1830, .Mi-
nistre de l’Intérieur et Président du Conseil dans le cabinet formé le 13 mars 1831.
2. Voy. p. 573.
3. Allusion aux troubles et aux tentatives d’émeutes qui eurent lieu pendant pres-
que toute l’année 1831 à Paris et dans plusieurs départements.
576 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

nifeste en général à un vieillard qui naguère encore était Sou-


verain(1). Mais je réclame de Votre Excellence, en sa qualité de
Président du Conseil des Ministres du Roi, une preuve que le
Gouvernement français et son auguste Chef ne se borneront pas
envers moi à de vains et froids compliments, et qu’ils prendront
en considération l’état actuel d’un ancien ami, qui n’eût pas été
si cruellement frappé s’il eût été mieux connu en France et moins
calomnié.
(Sceau)
HUSSEIN PACHA.

HUSSEIN, ANCIEN DEY D’ALGER,


AU DUC DE BROGLIE, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES(2).

Livourne, le 21 février 1833.

Le vieillard soussigné Hussein Pacha, Dey d’Alger, présente


ses hommages respectueux à Son Excellence le Secrétaire d’État,
Ministre des Affaires étrangères du Gouvernement de Sa Majesté
le Roi des Français, et il a l’honneur de l’informer qu’étant venu
à Paris au mois d’août 1831, il présenta à Sa Majesté une requête
dans laquelle il lui exposa sa situation et ses réclamations(3), à
l’effet d’obtenir l’accomplissement de la Capitulation stipulée à
Alger entre le Gouvernement français et le soussigné, et en vertu
____________________
1. Les généraux Daumesnil et Gourgaud lui avaient fait visiter quelques jours
auparavant le château de Vincennes, l’avaient fait assister à des manœuvres de tir et
l’avaient accablé de prévenances et d’honneurs. Voy. Moniteur universel, 1831, p. 1595.
— Voy. aussi. Une visite au Dey d’Alger. (Revue de Paris, 4 septembre 1831.)
2. Charles-Léonce-Achille-Victor duc de Broglie, Auditeur au Conseil d’État sous
le premier Empire, puis chargé de missions en Illyrie et en Espagne, Pair de France en
1814, Ministre de l’Instruction publique et des Cultes du 9 août au 11 octobre 1830, Mi-
nistre des Affaires étrangères du 10 octobre 1832 au 3 avril 1834, et du 12 mars 1835 au
22 février 1836, Ambassadeur extraordinaire pour accompagner en France la princesse
Hélène de Mecklimbourg en 1837, Commissaire et chargé d’une mission spéciale en An-
gleterre en 1845, Ambassadeur à Londres en 1847, Député de l’Eure en 1849, membre de
l’Académie française en 1855.
3. Voy. p. 573.
AVEC LA COUR DE FRANCE 577

de laquelle la Casbah et les forts de la Régence ont été remis à la


troupe française, et pour demander qu’il lui fût accordé un moyen
d’existence pour sa famille et sa suite.
Le soussigné, tranquille sur la justice de ses réclamations,
convaincu d’ailleurs de toute l’équité et de l’honneur du Gou-
vernement français, et de toute l’impartialité d’une nation libre
et grande, retourna auprès de sa famille avant d’avoir, obtenu
aucune réponse du dit Gouvernement, espérant bien qu’il serait
fait droit un jour à sa demande et que tous les engagements se-
raient remplis fidèlement.
Le soussigné, pour éviter toute interprétation défavorable
sur son compte, s’est retiré du monde et vit isolément, éloigné
des ennemis du Gouvernement français et des siens.
Cependant, malgré cette réserve, des malveillants lui ont
attribué des intentions perfides, en prétendant qu’il avait fait ex-
pédier des munitions de guerre à Alger et qu’il entretenait des
correspondances hostiles avec les Kabiles et les Arabes, afin de
les provoquer à faire la guerre au Gouvernement(1). Hussein dé-
clare que ces faits allégués sont de toute fausseté et qu’ils ne sont
____________________
1. Le Département des Affaires étrangères s’était montré disposé à accueillir fa-
vorablement les demandes du dernier Dey d’Alger. Toutefois, au mois d’août 1832, il
apprit que ce dernier, excité par Mustapha, son gendre, et par le Juif Busnach, fomentait
certains projets hostiles à nos intérêts, correspondait avec des Arabes de la Régence, afin
d’y provoquer un soulèvement général, faisait armer secrètement un brick pour le trans-
porter à Bougie, et que trois chebeks tunisiens avaient apporté des armes et des munitions
de guerre à quelques tribus kabyles. La vigilance de nos agents et en particulier de M. de
Formont, Consul de France à Livourne, rendit ces menées inutiles, et le Gouvernement
toscan prescrivit des mesures pour empêcher toute expédition d’armes sur la côte d’Afri-
que. — Le Ministre des Affaires étrangères consulta celui de la Guerre, afin de prendre
une décision au sujet des réclamations d’Hussein. Alors le duc de Dalmatie rappela à son
collègue que, lors de la prise d’Alger, le Dey était venu à la Casbah pour désigner ce qu’il
lui convenait d’emporter ; il observa que la possession des armes eût pu être contestée
au vaincu, et que ce dernier en avait fait prendre un grand nombre, en déclarant que l’on
pouvait disposer du reste ; qu’Hussein avait d’ailleurs fait enlever pendant trois jours
tous les meubles et les effets pouvant avoir quelque valeur, et qu’on lui avait remis, le 9
juillet 1830, les 30 000 sequins qu’il avait alors réclamés. Le Ministre parla ensuite des
dernières tentatives du Dey pour fomenter des soulèvements contre nous dans la Régence,
et conclut au rejet absolu de ses prétentions, disant que « celui qui avait violé une capitu-
lation ne pouvait plus en invoquer le bénéfice ».
578 CORRESPONDANCE DES DEYS D’ALGER

jamais venus à sa pensée. Mais, à la vérité, il convient que les


Kabiles et le reste des habitants de la Régence lui ont adressé de
nombreuses dépêches pour invoquer son assistance, à l’effet de
les dégager du joug du Gouvernement français à Alger, sans que
le soussigné ait jamais répondu à leurs dépêches et qu’il leur ait
rien envoyé(1), ayant d’ailleurs grande confiance en la manière de
gouverner d’une nation libre et juste comme est la nation fran-
çaise, et pensant que le fort ainsi que le faible doivent trouver en
ses administrateurs une impartialité sans bornes. Aussi Hussein
reste-t-il toujours dans une attente favorable de la générosité du
Gouvernement de Sa Majesté le Roi des Français, quoiqu’il y ait
déjà plus de 18 mois que sa requête ait été présentée, et qu’un
aussi long temps ait affaibli sa patience et lassé son espoir.
Cependant le soussigné s’étant entretenu avec le Chérif
Hossuna de toute cette affaire, et ce dernier lui ayant appris que
Son Excellence M. le duc de Broglie, maintenant Ministre des
Affaires étrangères, était d’une grande intégrité, qu’il possédait
une âme magnanime, et qu’il devait être jaloux non seulement de
conserver l’honneur de la nation française, mais encore d’acqué-
rir quelque chose à cette réputation par ses actions équitables, le
dit Hossuna a-t-il engagé le soussigné à s’adresser à cet excellent
et magnanime Ministre, en lui assurant qu’aussitôt que cette af-
faire serait mise devant ses yeux, il y ferait droit et lui accorderait
un juste suffrage.
C’est pourquoi le soussigné Hussein a chargé le porteur de
la présente, Hossuna, d’exposer cette affaire à Son Excellence le
Ministre, de lui donner toute explication possible, et d’être l’in-
termédiaire du soussigné vis-à-vis le Gouvernement de Sa Ma-
jesté dans tout ce qu’il jugera convenable(2).
Le soussigné conclut la présente avec des expressions res-
pectueuses pour Son Excellence le Ministre et ses honorables
collègues. Salut !
____________________
1. Voy. Traductions des 10 lettres adressées par Hussein, ex-Dey d’Alger, à 10
individus habitant divers points de la Régence. (Archives des Affaires étrangères.)
2. La démarche de l’envoyé d’Hussein demeura sans résultat.
AVEC LA COUR DE FRANCE 579

Écrit à Livourne, le 4 de la lune de Choual, l’an 1248, ou le


21 février 1833.

Le soussigné, pour donner une preuve convaincante de ses


bonnes intentions et appuyer ses protestations, a l’honneur de
témoigner à Son Excellence le Ministre le désir qu’il éprouve
de s’éloigner de Livourne pour aller habiter à Alexandrie. C’est
pourquoi le soussigné a chargé le Consul de France en cette rési-
dence(1) de communiquer à Son Excellence cette même intention
en présence du dit Hossuna, espérant que le Gouvernement don-
nera des ordres afin qu’une frégate le fasse transporter, lui, sa fa-
mille et sa suite, de Livourne à Alexandrie, et que Son Excellence
voudra bien lui accorder aussi une lettre de recommandation pour
Son Altesse le Vice-Roi d’Égypte(2).
Le soussigné a l’honneur de répéter ses expressions de res-
pect et de grandeur. Salut !
HUSSEIN PACHA(3).
____________________
1. M. de Formont.
2. Le Consul de France à Livourne démontra qu’Hussein Pacha ne nous deman-
dait d’aller habiter Alexandrie que dans le but de déplacer le foyer de ses intrigues. Le duc
de Dalmatie approuva le changement de résidence qui nous était proposé, en déclarant
qu’il serait plus facile de surveiller Hussein en Égypte qu’en Italie, mais consulté une
deuxième fois sur la demande de pension de notre ancien adversaire, il refusa formel-
lement d’y donner suite et de revenir sur ses précédentes déclarations. Le Ministre des
Affaires étrangères décida en conséquence qu’il n’y avait pas lieu de répondre à la requête
de l’ancien Dey d’Alger.
3. Il mourut à Alexandrie en 1838.

FIN DU TOME SECOND


580 FIRMAN D’INVESTITURE D’IBRAHIM KHODJA
FIRMAN D’INVESTITURE D’IBRAHIM KHODJA 581

FIRMAN D’INVESTITURE D’IBRAHIM KHODJA


NOMMÉ DEY D’ALGER EN 1746
PAR LE SULTAN MAHMOUD Ier

Avant tout le nom du Très-Haut ; la justice, la convenance et le de-


voir l’ordonnent ainsi.

(Sceau)

Par ce toura noble, élevé, sublime, auguste ; par ce signe impérial,


ornement du monde, et qui s’étend sur tout l’univers, — Que Dieu lui
donne la victoire ! — il est ordonné ce dont la teneur suit :

L’excellence de celui qui sait tout, la grandeur du maître de toute


gloire, de tout honneur, dont la majesté est en dehors de la portée de no-
tre esprit et de notre intelligence, a voulu, dans l’excès de son éternelle
bonté et de la générosité de ses libéralités sans bornes, que notre haute et
sublime Porte fût la distributrice des faveurs accordées aux hommes, et
que notre trône, d’où émane toute justice, fût le régulateur des affaires du
monde. Cela est une grâce de Dieu ; en est gratifié qui lui plaît, et la bonté
de Dieu est immense(1).
Afin d’acquitter la reconnaissance qu’exige la faveur infinie d’un
semblable don de la sagesse suprême, il faut, c’est un devoir absolu pour
notre auguste personne, que les flots de l’océan de nos bontés et de nos
bienfaits se répandent sur tous les hommes, et principalement sur le très
honoré Gouvernement de l’illustre Pacha, gardien des frontières musul-
manes. La Régence d’Alger est un des pays restés entre nos mains comme
un trophée des victoires éclatantes de nos magnanimes aveux qui dorment
au Paradis. — Que la lumière du Très-Haut soit sur eux ! — Ce pays est
la clef des États musulmans, et ses valeureux habitants sont les premiers
champions du camp de la foi, ainsi que les défenseurs de la vraie religion et
1. Coran, Ch. 62, V. IV.
582 FIRMAN D’INVESTITURE D’IBRAHIM KHODJA

de l’unité de Dieu. Aussi, depuis les règnes équitables de nos illustres prédéces-
seurs jusqu’à cette glorieuse époque de notre auguste kalifat, toutes les demandes
des Algériens ont été favorablement reçues, tous leurs désirs ont été gracieuse-
ment accueillis auprès des Souverains de notre dynastie; il est inutile de dire
que les peuples de cette Régence ont constamment été les ennemis des ennemis
de notre Sublime Porte; que mériter notre satisfaction impériale, source de tout
bonheur, a été leur premier vœu, et qu’ils ont toujours demandé à nos mains
souveraines l’investiture de l’autorité. En cet état de choses, il nous a été exposé
dans un rapport officiel, d’après les décrets de la Providence, que le précédent
Gouverneur et Dey d’Alger, Ibrahim Pacha, est venu à mourir, et que son neveu
et son lieutenant, l’un des officiers supérieurs de la Régence, homme renommé
par ses talents, son expérience et son caractère éprouvé, aujourd’hui possesseur
du présent toura impérial, magnifique et auguste colonne de félicité, lui, l’Émir
des Émirs les plus honorés, lui, le grand des grands les plus respectés, lui, en qui
réside force et considération, lui, que distinguent la gloire et la magnificence, et
qui est l’objet de la faveur particulière du Très-Haut, Ibrahim Khodja, — dont
puisse le bonheur être éternel ! — a été nommé Dey de l’avis unanime des Chefs
de la Régence et de ceux qui ont voix délibérative, comme aussi par l’accord de
tous les cœurs les mieux inspirés.
Mais la nomination et l’envoi des Deys d’Alger se faisant d’ordinaire par
notre Sublime Porte, conformément à ce qui vient d’être dit et conformément à
l’usage ancien, de même aujourd’hui lès Chefs d’Alger dans une pétition géné-
rale, et Ibrahim Khodja dans une lettre particulière, ont supplié et sollicité notre
Sublime Porte pour que, dans nos grâces souveraines et notre faveur impériale,
nous daignions conférer audit Ibrahim Khodja la dignité de Gouverneur de la
Régence.
Ces demandes ont obtenu notre auguste adhésion; conséquemment par un
effet de nos bontés impériales, et par un Hatti-cherif glorieusement émané de notre
majesté le 5 de ce mois de Rebi-el-aker 1159 (1746 de Jésus-Christ), le susdit Ibra-
him Khodja a été élevé au rang de Gouverneur d’Alger. En cette qualité, il devra
veiller à la garde et à la sûreté des villes, protéger par des soins assidus les pauvres
et tous les habitants, vivre en bonne intelligence avec les Chefs militaires de la Ré-
gence, ces lions de la victoire et de la guerre sainte, et faire tous ses efforts pour se
concilier leur affection. Précédemment les limites ont été convenues entre nous et
les Vénitiens pour que, de part et d’autre, nous ne commettions aucune agression; il
a été spécifié et stipulé avec eux, dans un traité revêtu de notre auguste toura, gage
de la paix qui règne entre nous, que dans l’étendue de ces limites il ne leur serait
occasionné par les Algériens aucun dommage. Il ne faudra pas que dans lesdites
limites, en oubli de ce traité, il soit commis aucune agression contre les Vénitiens
; de même pour le royaume des Deux Siciles et autres Puissances ayant obtenu
l’aman, quand elles naviguent en temps de paix dans les eaux de notre Sublime
Porte et se présentent dans nos ports, sur nos Échelles et devant nos forteresses ;
il ne faudra pas que, contrairement aux traités de paix et aux ordres de notre Su-
blime Porte, ces Puissances éprouvent aucun dommage; on ne se permettra à leur
égard aucune infraction aux Capitulations qui sont entre leurs mains, ni rien qui
FIRMAN D’INVESTITURE D’IBRAHIM KHODJA 583

donne lieu, à ce qu’aucune réclamation de leur part vienne fatiguer nos oreilles
impériales.
C’est à la condition qu’il emploiera tous ses efforts pour parvenir à de sem-
blables résultats que la place de Gouverneur d’Alger a été accordée au susdit Dey,
et en conséquence nous lui avons donné ce fortuné diplôme, porteur d’allégresse,
et cette manifestation de nos ordres suprêmes, auxquels est soumis l’univers en-
tier. Nous avons décidé que le susmentionné occuperait ledit poste sous condition
qu’il se conformerait à chacune des clauses qui précèdent, et qu’il s’empresserait
de punir tout contrevenant. De plus, si la Régence d’Alger s’est établie et consti-
tuée sur des bases aussi solides et aussi durables, il est certain qu’elle ne l’a dû
qu’à l’influence des regards bienfaisants de notre majesté; le nouveau Gouverneur
devra donc consacrer toute sa sollicitude et toute son attention à se concilier notre
satisfaction impériale.
Tout ce qui se rattache à nos glorieux travaux comme Souverain, tout ce qui
appartient à nos saints devoirs comme Empereur, il l’observera et le fera religieu-
sement observer, savoir : le gouvernement des places fortes et des villes, l’amélio-
ration du sort des habitants, la police, l’administration des provinces, la sûreté des
routes et des communications, toutes choses auxquelles nous lui avons prescrit de
vouer ses plus grands efforts, comme aussi nous lui enjoignons l’exactitude la plus
grande pour toutes les affaires qui concernent spécialement la place de Gouverneur
d’Alger.
Il sera reconnu en cette qualité par les Chefs militaires de la Régence, les
Cadis, les magistrats, les Émirs, les membres du Divan, les notables, les supé-
rieurs et les subordonnés, et par tous les habitants grands ou petits ; ceux-ci ne né-
gligeront en aucun point les égards et les honneurs qui lui sont dus ; ils écouteront
ses paroles avec l’oreille de l’obéissance, et s’empresseront d’exécuter ses ordres
sans la moindre hésitation. Que désormais, contrairement à la teneur de ce noble
diplôme, personne autre ne s’immisce dans les affaires dont la gestion appartient
au Gouverneur de la Régence, et que le nouveau Dey, considérant chaque classe
de nos sujets chacune suivant son rang, ne cesse de voir avec un œil de bonté et
de compassion la condition des faibles et celle des pauvres ; qu’il soit l’effroi des
oppresseurs et le soutien des opprimés; que tout ce qui pourra contribuer au bien
du pays, il l’exécute ; que par les efforts et le zèle les plus constants il s’applique
dans l’administration de tout ce qui a rapport à son Gouvernement, et fasse preuve
de bons sentiments et d’une louable direction ! Telles sont nos volontés; que per-
sonne n’y résiste et ne s’y oppose; qu’on le sache bien et que l’on respecte notre
noble toura !

Écrit dans les derniers jours de Rebi-el-aker, en l’an 1159 (1746 de Jésus-
Christ), dans la résidence de Constantinople la bien gardée.
584 LISTE DES PACHAS, AGHAS ET DEYS D’ALGER
LISTE DES PACHAS, AGHAS ET DEYS D’ALGER 585

LISTE DES PACHAS, AGHAS ET DEYS D’ALGER

AROUDJ BARBEROUSSE, Fondateur de la République d’Alger. 1516.

PREMIÈRE PÉRIODE.
PACHAS
Keir-ed-din....................................1518 Chaban..........................................1592
Hassan-Agha.................................1533 Mustapha.......................................1595
El-Hadji, intérimaire.....................1545 Kheder (2° fois)..............................1595
Hassan-ben-Keir-ed-din................1546 Mustapha (2e fois)..........................1596
Saffa, intérimaire...........................1551 Ali Hasan.......................................1598
Salah-reïs......................................1552 Soliman.........................................1601
Hassan-Corso, intérimaire.............1555 Kheder (3e fois)..............................1603
Tekeli............................................1556 Mehemet.......................................1604
Youssouf, intérimaire....................1556 Mustapha Koussa...........................1605
Yahia, intérimaire..........................1557 Redouan........................................1607
Hassan-ben-Keir-ed-din (2e fois)..1557 Mustapha Koussa (2e fois)..............1610
Hassan-Agha, intérimaire..............1561 Hossein.........................................1613
Cuca Mohammed, intérimaire......1561 Mustapha Koussa (3e fois)..............1613
Akmed-ben-Salah-reïs..................1562 Hossein (2e fois).............................1617
Yahia, intérimaire (2e fois)............1562 Sidi Saref.......................................1620
Hassan-ben-Keir-ed-din (2e fois)..1562 Kheder...........................................1621
Mohammed-ben-Salah-reïs...........1567 Mourad..........................................1621
Hadji Ali........................................1568 Khosreff........................................1621
Memmi, intérimaire.......................1571 Hossein (3° fois).............................1622
Achmed.........................................1572 Ibrahim..........................................1623
Ramadan.......................................1574 Sidi Saref (2e fois)...........................1624
Hassan Veneziano..........................1577 Hossein (4e fois).............................1624
Djaffer...........................................1580 Younès..........................................1629
Hassan Veneziano (2e fois)...........1582 Hossein (5e fois).............................1629
Mamet...........................................1583 loussouf.........................................1634
Achmed (2e fois)..........................1586 Ali.................................................1637
Kheder...........................................1589 Cheik-Hussein................................1640
586 LISTE DES PACHAS, AGHAS ET DEYS D’ALGER

Jousef Kortandji............................1640 Ahmed...........................................1654


Mourad..........................................1841 Ibrahim..........................................1655
Jousef Kortandji (2e fois)..............1642 Ahmed (2e fois)............................1656
Omar.............................................1642 Ibrahim (2e fois)...........................1657
Jousef Kortandji (3e fois)..............1647 Ali.................................................1659
Mohammed-el-Alem.....................1652 Ismaïl............................................1659

DEUXIÈME PÉRIODE.
AGHAS.
Khalil............................................1659 Chaban..........................................1661
Ramdan.........................................1660 Ali.................................................1664
Ibrahim..........................................1661

TROISIÈME PÉRIODE.
DEYS
Hadji Mohammed..........................1671 Cur-Abdi.......................................1724
Baba Hassan..................................1681 Baba Ibrahim.................................1732
Hadji Hussein (Mezzomorto)........1683 Baba Ibrahim-el-Seghir.................1745
Ibrahim Khodja.............................1686 Mehemmed-el-Retorto..................1748
Hadji Chaban.................................1689 Baba Ali........................................1754
Hadji Ahmed.................................1695 Baba Mohammed-ben-Osman......1766
Cara-ben-Ali.................................1698 Sidi Hassan....................................1790
Baba Hassan..................................1698 Baba Mustapha..............................1798
Ali.................................................1699 Akhmed Khodja............................1805
Baba Hadji Mustapha....................1700 Ali Boursali Khodja......................1808
Hussein Khodja.............................1705 Hadji Ali........................................1809
Mohammed-ben-Ali.....................1707 Hadji Mohammed.........................1815
Deli Ibrahim..................................1709 Omar.............................................1815
Ali-Chaoux...................................1710 Ali Khodja.....................................1817
Mehemed-ben-Hassan..................1718 Hussein................................1818-1830
LISTE DES CONSULS ET VICE-CONSULS DE FRANCE
A ALGER

Bartholle..........................................................................................1564
Maurice Sauron......................................................................1578-1585
François Guighigotto, Consul suppléant.........................................1579
Le P. Bionneau........................................................................1585-1587
Jacques de Vias......................................................................1587-1627
Jean Olivier, Consul suppléant...............................................1587-1596
François Chaix.......................................................................1618-1623
Etienne...................................................................................1623-1624
Thomassin.......................................................................................1624
Martelly..................................................................................1625-1626
Anselme.................................................................................1626-1627
Balthazar de Vias....................................................................1627-1646
Nicolas Ricou, Consul suppléant............................................1629-1631
Blanchard Consul suppléant...................................................1631-1634
Jacques Pion Consul suppléant...............................................1634-1639
Thomas Piquet Consul suppléant..........................................1639-1646
Charles Moulard..............................................................................1646
Lambert aux Cousteaux...................................................................1646
Le P. Jean Barreau...................................................................1646-1661
Le P. Jean-Armand Dubourdieu.............................................1661-1673
Laurent d’Arvieux..................................................................1674-1675
Le P. Jean Le Vacher...............................................................1673-1683
Denis Dusault, Consul suppléant............................................1683-1684
Sorhainde...............................................................................1684-1685
André Piolle............................................................................1685-1688
Le P. Michel Montmasson, Consul suppléant.................................1688
Barthélemy Mercadier............................................................1689-1690
René Lemaire..........................................................................1690-1697
Jean de Clairambault, Consul suppléant..........................................1697
Philippe-Jacques Durand........................................................1698-1705
Jean de Clairambault..............................................................1705-1717
Jean Baume.............................................................................1717-1719
588 LISTE DES CONSULS ET VICE-CONSULS DE FRANCE À ALGER

Antoine-Gabriel Durand........................................................1720-1730
Thomas Natoire, Consul suppléant..................................................1731
Léon Delane............................................................................1731-1732
Benoist Lemaire......................................................................1732-1735
Alexis-Jean-Eustache Taitbout...............................................1735-1740
De Jonville, Consul suppléant................................................1740-1742
François d’Évant..............................................................................1742
De Jonville, Consul suppléant..........................................................1743
Pierre Thomas.........................................................................1743-1749
André-Alexandre Lemaire......................................................1749-1756
Le P. Bossu, Consul suppléant.........................................................1757
Joseph-Barthélemy Perou.......................................................1757-1760
Le P. Théodore Groiselle, Consul suppléant..........................1760-1763
Jean-Antoine Vallière..............................................................1763-1773
Robert-Louis Langoisseur de la Vallée..................................1773-1782
Renaudot, Consul suppléant............................................................1782
Jean-Baptiste-Michel de Kercy...............................................1782-1791
Philippe Vallière......................................................................1791-1796
Louis-Alexandre Herculais, Consul suppléant................................1796
Jeanbon Saint-André..............................................................1796-1798
Dominique-Marie Moltedo.....................................................1798-1800
Charles-François Dubois-Thainville......................................1800-1814
Alexandre-Louis Ragueneau de la Chaisnaye, Consul suppléant.....1809-1810
Roch Ferrier, Consul suppléant........................................................1814
Pierre Deval.....................................................................................1815
Charles-François Dubois-Thainville................................................1815
Pierre Deval............................................................................1815-1827
LISTE DES COMMISSAIRES ET ENVOYÉS
DE LA COUR DE FRANCE PRÈS LA RÉGENCE D’ALGER

De la Forest...........................1534 Marcel.........................1689-1690
De Montluc...........................1537 Dusault.................................1697
D’Aramon.............................1551 Duquesne-Monnier...............1714
D’Albisse....................1552-1553 Dusault.................................1719
San Pietro d’Ornano.............1561 D’Andrezel...........................1724
De Ménillon..........................1573 De Grandpré..........................1724
Savary de Brèves..................1604 De Beaucaire.........................1724
Du Mas de Castellane...........1618 De Monts..............................1727
De Mortier.............................1619 De Gencien............................1730
Napollon......................1625-1628 Duguay-Trouin.....................1731
D’Estampes, seigneur de l’Isle- De Caylus..............................1731
Antry..................................1632 De Watan...............................1732
Lepage.........................1634-1637 De Court de la Bruyère.........1734
De Mantin.............................1637 De Massiac............................1742
De Cocquiel..........................1639 Du Revest..............................1748
De Montigny.........................1640 De Rochemore......................1762
De Montmeillan....................1641 De Cabanous.........................1762
De Rominhac........................1661 De Fabry.......................1763-1764
De Clerville...........................1661 De Sade.................................1764
Trubert..................................1666 De Forbin..............................1776
De Martel.....................1668-1672 De Bonneval.........................1777
D’Almeras............................1673 De Tott..................................1777
De Gabaret............................1675 De Vialis................................1777
De Tourville..........................1679 De Martelly...........................1778
Duquesne..............................1680 De Cypières...........................1781
Hayet....................................1681 De Vialis................................1781
De Virelle..............................1681 De Martinenq........................1781
Dusault.................................1683 De Bessay..............................1783
De Tourville.................1684-1685 De Ligondez..........................1785
De Blainville.........................1686 De Blachon............................1788
Dortières...............................1687 Venture.................................1788
590 LISTE DES COMMISSAIRES ET ENVOYÉS DE FRANCE À ALGER

De Sainneville.......................1789 Touffet..................................1791
De Brueys.............................1815 De Parseval...........................1815
De Missiessy.........................1791 Raynouard............................1816
Gavotty.................................1792 Jurien de la Gravière.............1819
Rondeau................................1792 Duval d’Ailly........................1819
Raccord.................................1793 De Méry................................1822
Herculais...............................1796 Drouault................................1824
Bané......................................1797 Fleury....................................1826
Demay...................................1801 Faure.....................................1827
Leyssègues...........................1802 Collet....................................1827
Hulin.....................................1802 Bézard...................................1829
Berge....................................1802 De la Bretonnière..................1829
Bonaparte (Jérôme)...............1805 De Nerciat.............................1829
Troude...................................1808 De Clairval............................1830
Boutin...................................1809 Bézard...................................1830
De Meynard.................1811-1814 De Bourmont........................1830
De Saint-Belin.......................1814 Duperré.................................1830
LISTE DES TRAITÉS ET CONVENTIONS
ENTRE LA FRANCE ET LA RÉGENCE D’ALGER

Paix et commerce. Concessions d’Afrique........................21 mars 1619


Paix et commerce......................................................19 septembre 1628
Concessions d’Afrique..............................................23 septembre 1628
Concessions d’Afrique.......................................................7 juillet 1640
Concessions d’Afrique......................................................9 février 1661
Concessions d’Afrique......................................................9 février 1662
Paix et commerce................................................................17 mai 1666
Paix et commerce............................................................17 février 1670
Concessions d’Afrique.......................................................11 mars 1679
Paix et commerce. Concessions d’Afrique........................28 avril 1684
Renouvellement. Concessions d’Afrique...........................28 avril 1686
Concessions d’Afrique......................................................13 mars 1689
Paix centenaire..........................................................24 septembre 1689
Concessions d’Afrique. .........................................................5 mai 1690
Renouvellement. Paix et commerce...........................27 décembre 1690
Concessions d’Afrique.....................................................3 janvier 1694
Renouvellement. Paix et commerce....................................4 mars 1698
Renouvellement Paix et commerce..................................23 juillet 1698
Renouvellement. Concessions d’Afrique.........................23 juillet 1698
Renouvellement. Concessions d’Afrique.........................19 juillet 1700
Renouvellement. Paix et commerce..........................19 novembre 1705
Renouvellement. Concessions d’Afrique..................19 novembre 1705
Renouvellement. Concessions d’Afrique............................8 mars 1707
Renouvellement. Concessions d’Afrique..........................30 mars 1710
Renouvellement. Concessions d’Afrique...........................14 août 1710
Concessions d’Afrique.....................................................15 juillet 1714
Renouvellement. Paix et commerce...............................26 janvier 1718
Renouvellement. Concessions d’Afrique.............................6 avril 1718
Renouvellement. Paix et commerce.............................7 décembre 1719
Paix et commerce............................................................20 février 1720
Renouvellement. Concessions d’Afrique..........................20 mars 1724
Renouvellement. Concessions d’Afrique...........................6 juillet 1731
Concessions d’Afrique..............................................23 septembre 1731
Concessions d’Afrique........................................................10 juin 1732
592 TRAITÉS ET CONVENTIONS ENTRE LA FRANCE ET ALGER

Renouvellement. Concessions d’Afrique....................6 septembre 1732


Renouvellement. Concessions d’Afrique...................15 décembre 1743
Renouvellement. Concessions d’Afrique....................2 novembre 1745
Renouvellement. Concessions d’Afrique.......................18 février 1748
Renouvellement. Concessions d’Afrique...................29 décembre 1754
Paix et commerce............................................................16janvier 1764
Concessions d’Afrique.........................................................23mai 1767
Concessions d’Afrique.........................................................10juin 1768
Paix et commerce................................................................29 mars1790
Renouvellement. Concessions d’Afrique...........................29 mars1790
Concessions d’Afrique..........................................................23juin1790
Renouvellement. Paix et commerce.....................................1juillet1791
Renouvellement Concessions d’Afrique..............................1juillet1791
Renouvellement Concessions d’Afrique...............................20mai1793
Prêt de 200 000 p. par la Régence au Directoire........9 messidor, an IV 1796
Armistice illimité.............................................................19 juillet 1800
Paix et commerce......................................................30 septembre 1800
Paix et commerce.......................................................29 décembre 1801
Renouvellement Paix et commerce............................26 décembre 1805
Renouvellement Concessions d’Afrique....................26 décembre 1805
Renouvellement Concessions d’Afrique.....................7 novembre 1808
Renouvellement. Paix et commerce.................................11 juillet 1814
Renouvellement Paix et commerce...................................30 mars 1815
Renouvellement Paix et commerce....................................16 avril 1815
Concessions d’Afrique......................................................15 mars 1817
Concessions d’Afrique..................................................26 octobre 1817
Renouvellement. Paix et commerce..................................29 mars 1818
Déclaration (Créances algériennes)...........................23 décembre 1819
Concessions d’Afrique.....................................................24 juillet 1820
Cession d’Alger..................................................................5 juillet 1830

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