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Clo Riviere

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PRIERE ET ORAISON

PIERRE DE CLORIVIERE

Texte revu en français d'aujourd'hui


par Yves Jausions
CONSIDERATIONS SUR L'EXERCICE
DE LA PRIERE ET DE L'ORAISON

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PRESENTATION

L'auteur : Pierre-Joseph de CLORIVIERE

Pierre-Joseph de CLORIVIERE naît à SAINT MALO en 1735 d'une famille de


commerçants et de navigateurs. De sept à onze ans, il est à PARIS puis fait ses études
secondaires à DOUAI. Après plusieurs voyages en mer, il entreprend des études de droit. Il
choisit comme directeur l'abbé GRISEL, confesseur de l'Archevêque de Paris et fervent apôtre
de la dévotion au Sacré-Cœur. Au cours d'une retraite, il éprouve ce qu'il appellera sa
"conversion". "Depuis ce temps, je fus vraiment un autre homme." Il communie chaque jour.
Il entre au noviciat des Jésuites en 1756 et fait ses études de théologie à LIEGE. Il est ordonné
prêtre en 1763. Il séjourne quelque temps en Angleterre, puis à GAND et à BRUXELLES. Il
prie et lit beaucoup.
Le parlement de PARIS avait expulsé les Jésuites de France en 1762. Onze ans plus
tard, le pape supprime l'ordre tout entier, sauf en Russie. L'ordre disparaît. Juste avant, Pierre-
Joseph prononce les quatre vœux solennels, le 15 août 1773
Devenu prêtre diocésain, il exerce son ministère à PARIS. Malgré un bégaiement
prononcé, il prêche beaucoup, confesse chez les religieux et religieuses, en particulier les
carmélites. Également il est invité par un groupe d'une vingtaine d'ermites qui se livraient à la
prière et au travail sur le mont Valérien, à l'ouest de PARIS. Fort de ses nombreuses lectures,
mais surtout de sa propre expérience spirituelle, il leur donne des conférences d'une grande
richesse. Le responsable de la communauté lui demande de mettre cela par écrit. Pierre-
Joseph rédige les présentes "Considérations sur l'exercice de la prière et de l'oraison". Mais,
retourné en Bretagne, il laissera de côté la question de l'édition et le livre ne sera imprimé
qu'en 1802.
L'évêque de SAINT MALO, dont CLORIVIERE dépend par ses origines, lui offre
d'être curé de la paroisse de PARAME ; il l'administrera pendant quatre ans ; ensuite il est
nommé supérieur du collège de DINAN. En 1787, il rencontre une jeune femme originaire de
RENNES, Melle Adélaïde de CICE qui désirait se consacrer, avec des compagnes, au service
des pauvres. La vie communautaire comprendrait l'office et l'oraison. On émettrait des vœux
simples : chacune garderait la propriété de ses biens. CLORIVIERE l'encourage et l'aide à
préciser son projet. Il insiste pour qu'il n'y ait pas de costume spécial et que les consacrées ne
portent pas de nom de religion. L'essentiel reposerait sur trois points : obéissance, charité,
oraison. Il donne des conseils pour la vie intérieure : "Ne vous faites pas un travail de
l'oraison, c'est un échange de l'âme avec Dieu, de l'épouse avec son Époux. Il vaut mieux
l'écouter que de lui parler".
Pendant ce temps, la tension politique monte. Les États Généraux sont convoqués
pour le 1er mai 1789. La réforme de l'État est dans l'air. Mais l'objectif des meneurs n'est pas
seulement d'ordre social. L'Église est visée. Le 13 février 1790, la Constituante décrète la
suppression des ordres et des congrégations. La loi ne reconnaît plus les vœux religieux.
"Nous sommes dans un temps de guerre", dit CLORIVIERE. Il réagit avec force.
Profitant de la prédication de carême, dans un sermon retentissant, le 25 mars, il affirme

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l'excellence des vœux religieux approuvés par l'Église. L'État n'a aucune compétence dans ce
domaine.
Convoqué à la mairie, on lui montre le risque que sa déclaration lui fait courir.
Pierre-Joseph quitte DINAN. Il prend du recul et profite de ce temps pour réfléchir.
Il pense de plus en plus au rétablissement de la congrégation des Jésuites, peut-être aux États-
Unis où il se propose d'aller. Le déclic se produit le 19 juillet. Au sortir de l'oraison, il entend
une parole intérieure : "Pourquoi pas en France ? Pourquoi pas dans tout l'univers ?". En
même temps lui vient l'idée d'un plan qui serait très utile à l'Église. Il a toujours cru que cette
inspiration venait de Dieu.
Aussitôt il rédige le projet d'une société religieuse qui serait adaptée aux besoins
présents des prêtres et aussi des laïcs. On suivrait les conseils évangéliques tout en restant
dans le monde. On serait à la fois pleinement au Seigneur et pleinement dans le monde. Peu
de temps après, il songe à faire quelque chose d'analogue pour les femmes (18 au 27 août
1790). Et ce travail achevé, il le soumet à son évêque qui loue ces projets. Fort de cette
approbation, déjà il commence à recruter des membres pour la société. Puis il monte à PARIS
: "C'est de PARIS que vient le mal. C'est de là que doit venir le remède".
Avec cinq compagnons, dont un laïc, il se rend à Montmartre, à la chapelle du
martyrium de
St Denis. Là, comme St Ignace et ses premiers compagnons, ils s'engagent dans la nouvelle
Société qui s'appellera la Société du Cœur de Jésus. Le même jour, Adélaïde fait de même à
ST MALO dans la société des Filles du Cœur de Marie (2 février 1791).
CLORIVIERE va rester courageusement à PARIS pendant toute la révolution, au
péril de sa vie. "Il fallait rester au milieu de l'orage". Il se cache rue Cassette pour échapper
aux perquisitions et aux massacres. Adélaïde, vient également à PARIS.
Le petit groupe des prêtres est actif. On imprime des livres et des brochures, on prête
des livres. CLORIVIERE consolide les deux sociétés et les forme spirituellement. A la
Pentecôte 1791, le P. de CLORIVIERE leur donne un nom : Prêtres du Cœur de Jésus, Filles
du Cœur de Marie. Déjà, il y a des groupes à PARIS, CHARTRES, ROUEN, RENNES,
St MALO, St BRIEUC.
Le 2 septembre 1792 a lieu le massacre au couvent des Carmes. Entre1000 et 1400
personnes sont exécutées, dont 200 prêtres. Parmi eux, quatre membres de la Société.
Madame des BAS SABLONS, qui cachait des prêtres, est guillotinée à PARIS (juin 1794). Le
roi est exécuté le 21 janvier 1793. C'est la Terreur qui s'étend à la province.
Pendant ces jours tragiques, CLORIVIERE compose des écrits de circonstance. Il
consacre six cents pages à une lecture spirituelle de l'Apocalypse en rapport avec les
événements : la lutte entre le Royaume et les forces du mal. C'est un traité de la vie chrétienne
adaptée à une époque de persécution. Comment se comporter en chrétien en temps de guerre,
assurer la fidélité des prêtres ? L'Église doit durer. Il rédige également un commentaire du
Cantique des Cantiques : l’Église en marche est l'Épouse du Christ.
Après la chute de ROBESPIERRE (juillet 1794), la liberté commence à revenir. Il
visite les communautés. En 1799, il rédige trois "Lettres circulaires" destinées aux deux
Compagnies. La première traite de la conformité avec le Cœur de Jésus. Les membres des
Sociétés auront une dévotion spéciale au Cœur de Jésus, symbole de l'amour du Christ pour
les hommes. La seconde porte sur la charité fraternelle. Les premiers chrétiens n'avaient
"qu'un cœur et qu'une âme". Les deux Sociétés doivent être une image de l'Église naissante,

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même si les membres vivent habituellement séparés les uns des autres. Les groupes devront
s'inspirer de la vie des premiers chrétiens. La troisième circulaire concerne la pauvreté.
CLORIVIERE désire avoir l'approbation des évêques, mais tous ont émigré dès
1791. Il faudra attendre le Concordat, et encore la plupart sont réticents à cause de leur
soumission aux décrets du Premier Consul. CLORIVIERE entreprend un voyage long et
fatigant : MARSEILLE, AIX, LYON, BESANÇON, AUTUN, MELUN, ORLEANS,
TOURS, POITIERS, CHARTRES, enfin PARIS. Il visite les communautés et prêche partout
où on le demande. "La passion de la Parole de Dieu le dévore."
Le 24 décembre 1800 a lieu l'attentat de la "machine infernale" contre le Premier
Consul. Un proche de Clorivière faisait partie du complot. CLORIVIERE est soupçonné par
la police. Adélaïde est arrêtée et emprisonnée en janvier 1801, à cause des allées et venues
suspectes dans la rue Cassette. Convoquée devant le tribunal à propos du complot, elle refuse
de donner un nom, au risque de sa vie. Elle, plutôt timide, fait preuve d'un grand courage.
Comme elle s'occupe de nombreux pauvres, ceux-ci viennent témoigner en sa faveur. On a
parlé d'un "vrai procès en canonisation". Elle est libérée le 6 avril 1801.
Quant à CLORIVIERE, impliqué à tort dans cette affaire, il est longuement
recherché par la police et finalement interné à la prison du Temple de 1804 à 1809. Dans cette
épreuve, il fait preuve d'une grande patience. Il profite de ce repos forcé pour écrire. Il reçoit
des visites d'Adélaïde et d'autres personnes qui l'interrogent sur la conduite des groupes.
Adélaïde prend en charge la responsabilité des deux Sociétés.
Dès qu'il est libéré, CLORIVIERE reprend ses activités "comme si on s'était vu la
veille". Mais la Société du Cœur de Jésus connaît des difficultés ; des soixante-dix membres,
il ne reste plus que trente. CLORIVIERE n'a pas trouvé de successeur. Il est toujours
supérieur général. La Société disparaîtra au 19e siècle. Par contre, la Société des Filles du
Cœur de Marie se développe et deviendra internationale au milieu du XIXe siècle.
CLORIVIERE recommence les prédications et confessions. Il entreprend plusieurs
voyages, tout en se tenant sur ses gardes, en semi-clandestin. Surtout, il poursuit son grand
projet : relancer la Compagnie de Jésus. Il avait pensé partir aux États-Unis. Il consulte le
Général des Jésuites, alors en Russie. Celui-ci l'encourage plutôt à rester en France où se
trouvent les éléments les plus nombreux. C'est là que CLORIVIERE, à son invitation,
restaurera la Compagnie, disparue depuis cinquante-deux ans.
En 1814, à soixante-dix-neuf ans, CLORIVIERE, nommé provincial, se met aussitôt
à l'œuvre avec ardeur. Rien ne l'arrête. Il lance des appels aux anciens Jésuites. Plusieurs se
présentent. Que faire ? Au lieu de les réunir d'une manière trop visible, il juge plus prudent de
les regrouper en petites communautés.
Une première abdication de Napoléon, puis une seconde, amènent un heureux
changement.
Louis XVIII est tout à fait favorable à l'Église. Pie VII rétablit la Société de Jésus dans le
monde entier. En France, les besoins sont immenses. Les évêques lancent des appels. Le
peuple est avide d'entendre la parole de Dieu. Les missions d'évangélisation paroissiale ont un
succès incroyable.
Melle de CICE, retirée rue du Bac, passe de longues heures en prière, en adoration.
Elle continue d'assister les pauvres, d'aider ses "filles". Elle va voir le P. de CLORIVIERE.
Plus tard, c'est lui qui va la voir. Ils parlent des constitutions et CLORIVIERE redit sa ferme
opposition à tout ce qui évoquerait un habit religieux.

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La fondatrice, dans un sorte de testament sur la charité, demande que les Filles du
Cœur de Marie ne mettent pas leur perfection dans les choses extérieures, ni dans les dons de
grâces extraordinaires "qui ne dépendent pas de nous", mais dans la fidélité à remplir tous
leurs devoirs, dont le premier est la perfection de la charité envers Dieu et envers le prochain.
Sa santé s'altère. Elle est édifiante : "Je ne peux pas prier. Je ne puis que souffrir, mais c'est un
bonheur". "Mes souffrances font ma joie et mes délices." Elle meurt devant le Saint-
Sacrement le 26 avril 1818.
Dès l'automne 1815, CLORIVIERE donne, à trois reprises, les Exercices de trente
jours. Le Général des Jésuites l'a nommé Régional de France et l'a chargé de reprendre les
collèges. CLORIVIERE ouvre un noviciat. Le Général veut une formation solide pour les
candidats. Mais pour l'instant, il n'est pas possible de créer un scolasticat. Il y a soixante-six
prêtres, cinquante-huit scolastiques et cinquante-sept coadjuteurs.
CLORIVIERE entreprend son dernier voyage : AMIENS, SOISSON, BORDEAUX,
NANTES… Puis il demande à être déchargé de sa fonction (1818). Il a été opéré de la
cataracte. Il est assez sourd, mais lucide. Il donne encore quelques instructions et forme les
novices. Alors, admirable de patience, il garde son sourire. Il vit comme un simple religieux,
prenant part à tous les exercices. Ne pouvant plus lire l'office, il récite trois rosaires. Il
consacre six heures par jour à la prière. Il dicte encore son commentaire du discours après la
Cène où l'on devine sa vie mystique tout enracinée en Dieu. Il meurt le 9 janvier 1820, à
genoux à la table de communion, à quatre-vingt-cinq ans.

La vie spirituelle d'un Jésuite


Avant de lire Prière et Oraison, il est important de savoir ce que fut la vie intérieure
et la prière de son auteur. Nous possédons de nombreux documents datant des années 1762 à
1773 : carnets d'examens de conscience, comptes de conscience, notes de retraites, fragments
de journal personnel. A cette époque, Pierre-Joseph CLORIVIERE a entre vingt-huit et trente-
neuf ans : carnets et textes portent donc la marque de la jeunesse avec sa générosité, ses excès,
ses maladresses peut-être (pénitences corporelles). Tout cela s'adoucira avec le temps. Avant
et après, nous n'avons rien, sauf quelques réflexions dans sa correspondance. Cette durée
relativement courte ne permet pas de tracer tout son cheminement spirituel. Mais déjà nous
pouvons remarquer sa grande générosité et son ardeur. Ses compagnons de noviciat l'avaient
en haute estime et le prenaient volontiers pour un modèle.
En 1765 nous lisons : "Ma principale étude doit être celle de la perfection. Avec la
grâce de Dieu, chercher en chaque chose le plus parfait, mais je suis convaincu que c'est plus
son ouvrage que le mien".
"Notre amour envers lui doit être sans bornes : Tu aimeras de tout ton cœur. Un
amour partagé est indigne de Dieu. Si je donne une part d'amour à une créature, alors je mets
cette créature en concurrence avec Dieu, quelle folie ! Comme c'est injurieux pour Lui."
Pierre-Joseph apporte le plus grand soin au recueillement extérieur et intérieur par la
garde des sens et du cœur. Cela demande la plus grande mortification : "Pour dompter la
chair, loin de lui accorder tout ce qu'elle demande, je dois lui retrancher quelque chose de ce
que je pourrais lui accorder". Mais il a soin de soumettre ses désirs de pénitence corporelle à
l'obéissance du supérieur. Il note le jeûne au pain et à l'eau chaque samedi, trois disciplines
(fouet) par semaine, coucher sur un matelas posé sur le parquet. Il a abandonné l'usage des
chaînes de fer et du cilice, constatant que cela affectait la santé.

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Le thème de la Croix revient souvent avec des expressions difficiles à comprendre
aujourd'hui : "Épouser la Croix, cela veut dire ne pas pouvoir vivre sans souffrance, mettre
mon plaisir dans la douleur, dans le mépris, la pauvreté. O Croix très aimée, preuve de
l'amour de mon Jésus, combien de fois je t'ai choisie ! Mais combien de fois j'ai été infidèle !
Je me réfugie près de toi, je te promets fidélité. Que tu es belle, ornée du sang de Jésus. Sois
ma noblesse, ma sagesse, ma force et ma joie… J'ai résolu de ne jamais rechercher ce qui est à
mon goût mais de choisir ce qui l'est moins".
Il fuit le moindre péché : "Une extrême horreur du péché véniel et une vraie
résolution de tout souffrir plutôt que d'en commettre un seul".
Il fait allusion aux tentations : l'orgueil, le découragement ; il en rend compte à ses
supérieurs : "Les tentations qui m'ont le plus troublé sont celles de l'impureté qui, pendant dix
ans, m'ont assailli avec plus ou moins de violence. Par moment, elles sont pénibles et me
causent une grande humiliation. J'essaie de ne pas en faire grand cas et d'en prendre occasion
pour m'humilier. J'ai soin de ne rien faire qui puisse causer ces tentations. J'en détourne mon
esprit autant que je peux et je le fixe en Dieu."
Sa vie est entièrement tournée vers Dieu : "Faire une oraison continuelle par mon
attention à la présence de Dieu, avec le désir de lui plaire en tout." Même s'il avoue ses
manquements sur ce point, il note : "Aussitôt que mon esprit est libre d'occupation, il est
emporté pour ainsi dire naturellement vers Dieu. Je voudrais, si possible, ne penser qu'à Lui.
Cette attention continuelle à Dieu présent en moi me pousse à faire quelque chose pour Lui
plaire et à éviter tout ce qui Lui déplaît. Elle n'est pas toujours également sensible. Au lieu de
l'appeler une attention à Dieu, je l'appellerais plutôt une sorte de conscience de la présence de
Dieu en moi qui me dicte, en maintes occasions, ce que j'ai à faire ou à ne pas faire."
Il essaie d'être docile à l'Esprit Saint : "Durant la journée, j'ai été continuellement
dans une grande dépendance envers le Saint-Esprit". Une autre fois : "Il m'a semblé que le
Saint-Esprit serait mon maître, mais d'une manière invisible. Je dois être très fidèle à sa
direction".
Il veille à garder la pureté d'intention : "Je veux diriger mes actions vers la plus
grande gloire de Dieu et les accomplir parce que c'est sa divine volonté".
"Je dois passer chaque moment du jour présent sans être préoccupé de ce qui doit
arriver demain."
"Parler peu, aimer le silence, éviter toute parole inutile, élever son esprit vers Dieu
avant de parler. C'est très difficile. On ne peut pas espérer y parvenir, à moins de s'efforcer de
se libérer de toute pensée futile et d'être constamment uni à Dieu en conversant avec lui."
Pourtant il n'est pas pour autant sombre et muet : "Faire toutes les actions dans un esprit de
liberté chrétienne, de joie et de mortification".
Il note des points dont il veut se libérer : "Se plaindre de la température, contredire
les autres, exagérer, parler avec vanité, affirmer avec suffisance, écouter ce qui peut
ridiculiser quelqu'un, le vexer ou lui déplaire". Ce n'est pas toujours simple car il est à ce
moment maître des novices et il passe avec eux une partie des récréations.
Généralement il est très fidèle à noter chaque jour ses actes conformes à son
engagement : "Je me suis rendu compte que c'était agréable à Dieu et utile à mon avancement
spirituel". Cependant, il lui arrive aussi d'abandonner cet examen particulier, sauf quand il le
trouve nécessaire pour extirper une faute ou acquérir une vertu particulière : l'essentiel est de
se livrer à la grâce et d'agir dans le sens qui semble procéder d'une "intuition de l'Esprit
Saint".

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L'oraison
Pierre-Joseph consacre de longs moments à l'oraison pendant ses études de
scolastique. En plus de l'oraison d'une heure, qui est de règle après le lever de la communauté,
et de la demi-heure de visite au Saint-Sacrement avant la messe, il y ajoute une seconde heure
en se levant plus tôt.
Dans l'après-midi ou la soirée, il fait généralement une autre heure d'oraison. Parfois
c'est seulement une demi-heure ou trois quarts d'heure, mais peut-être aussi une heure et
demie ou même deux heures. Mais tout cela doit être réglé par l'obéissance. Plus tard, il ne
donnera plus de détails sur ce point.
Le fruit de cette union est une adhésion forte à la volonté divine, qui se traduit par
l'abandon. "Me remettre continuellement entre les mains de Dieu, laissant tout à son choix.
Qu'il lui plaise de m'accorder des grâces spéciales ou de me laisser, méprisé par tous, comme
un instrument inutile."
Cette oraison doit aboutir à des résultats concrets. "Je rends toujours mon oraison
pratique. Je l'oriente vers mon progrès dans la perfection. J'en sors avec une nouvelle force et
une nouvelle résolution de servir et d'aimer Dieu."
Il est rempli d'une tendre dévotion pour Jésus et Marie. Il parle souvent du Cœur de
Jésus dans ses notes, dans sa correspondance et dans la première lettre circulaire aux deux
Sociétés. "Après les trois adorables Personnes de la Sainte Trinité, je dois rendre un culte
continuel à la Sainte Humanité du Christ et à sa Sainte Mère. Jésus et Marie seront toujours
présents à mon esprit. Je ne dois jamais cesser d'offrir Jésus au Père éternel et Marie à Jésus.
En union avec eux, je dois prier, souffrir et faire chaque chose. Leurs sacrés cœurs doivent
être mon lieu de repos, mon oratoire, mon école, mon refuge, mon centre. Chaque jour mon
amour, mon respect et ma confiance en Jésus et Marie doivent grandir. Et je dois m'efforcer
d'inspirer aux autres les mêmes sentiments." (Notes de retraite)
Pour sa dévotion à Marie, on doit signaler la neuvaine rédigée en son honneur par
laquelle il se propose d'avoir devant les yeux le rang que Notre Dame tient dans l'ordre des
créatures, pour éviter de l'élever au rang de Dieu ou même du Christ homme, et en même
temps ne rien lui refuser de l'honneur qui lui est dû. Sans proposer de réciter des prières
supplémentaires, sa neuvaine consistera en un petit nombre de considérations que l'on
s'efforcera de garder à l'esprit.

Le mystique
A trente ans, il semble qu'il ait vécu une oraison déjà avancée. "J'y avais eu autrefois
quelque accès, un an après ma "conversion" (1754), jusqu'à ce que je commence mon noviciat
où l'on me dit de m'appliquer à la méditation et à l'oraison affective, ce que je fis par
obéissance pendant plusieurs années."
Plus tard, il arrive à se libérer de ces consignes et à prier selon ses attraits. "Dans ma
dernière retraite à LIEGE, il plut à Dieu de m'y appeler de nouveau d'une manière plus forte…
et maintenant j'y suis plus établi qu'avant."

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"Ma prière consiste ordinairement dans une attention amoureuse de l'esprit et une
adhésion de la volonté à Dieu présent et agissant dans mon âme. Cette prière est plus passive
qu'active, et si Dieu ne m'y avait pas mis, je n'aurais pas pu l'atteindre. Elle suppose un
sentiment intime de la présence et de l'action de Dieu que lui seul peut donner. Parfois, toutes
les facultés de mon âme sont suspendues. Mais d'ordinaire, c'est un simple acte de volonté
auquel l'intelligence a peu de part. Je peux rester longtemps dans cette oraison, sans peine, et
même avec une grande ferveur."
"Habituellement, je prépare un sujet, mais ensuite j'y pense très rarement et si je le
voulais, cela ne ferait que me distraire et me laisserait le cœur sec. Il ne me sert la plupart du
temps qu'à me recueillir quand je m'aperçois que mon imagination est partie sur d'autres
pensées."
"Quand je me présente pour prier, je suis doucement attiré en moi-même par cette
conscience de la présence de Dieu et de l'action de Dieu en moi. En m'unissant à Lui, je
l'adore, je l'aime, je m'anéantis devant lui et je consens à son action. Tout cela se fait très
simplement et pour ainsi dire sans acte précis et presque sans mouvement des facultés. Cela se
concentre dans la partie la plus intime de l'âme, sans empêcher l'imagination d'être remplie
d'idées bizarres ni même de ressentir à ce moment des tentations."
Habituellement, Pierre de CLORIVIERE est dans un état d'oraison passive. Souvent
reviennent les mots "repos, quiétude, silence paisible, calme, paix, recueillement".
"L'intelligence ne raisonne plus. Je fus tout ce temps intérieurement et doucement occupé de
Dieu sans aucune notion distincte. J'ai fait dans la matinée trois heures d'oraison, dans un
grand calme et repos d'esprit, absorbé par une douce mais indistincte appréhension de Dieu.
Mes facultés intérieures furent pour ainsi dire suspendues. Dieu prit possession de mon cœur
et de mon esprit ; je fis des actes et des demandes comme il me l'indiquait."
Ce qui revient souvent dans ces notes, c'est le sentiment de la présence de Dieu ou du
Christ, une fois ou l'autre de la Vierge Marie. Cela peut être très court : "Je me trouvais très
étroitement uni à N.S., ce qui ne dura qu'un court moment", ou au contraire se prolonger :
"Comme j'étais sur le point de quitter l'oraison, je me suis trouvé profondément recueilli avec
un très doux sentiment de sa présence : une paisible jouissance du Christ dans l'intime de mon
âme. J'ai joui dans la partie supérieure de l'âme de la présence de Dieu, même si l'imagination
suscite des distractions".
On peut penser que ces contacts avec le Seigneur ont pu continuer à s'élever jusqu'à
quels sommets ? De même, il a dû connaître les nuits de l'esprit dont il parle dans son livre ;
mais nous n'en trouvons aucune trace. Il est parti avec son secret. Nous ignorerons toujours ce
que fut sa vie intérieure après 1773.
En ce qui concerne les phénomènes extraordinaires, le P. de CLORIVIERE en note
quelques uns. D'abord des paroles intérieures imprimées en lui, sans le son d'une voix. Par
exemple : "Pourquoi pas en France". Plusieurs fois il a entendu de la part de Notre Seigneur :
"Je te guérirai quand le temps sera venu… Tu parleras facilement". "Ceci me fut répété et je
fus dans le ravissement". Mais l'illusion est toujours possible : "Je n'oserais pas affirmer que
cela me fut dit par Dieu".
Autres manifestations : le 28 juin 1768, il relève : "Dans une de mes oraisons, je fus
admis à baiser avec une grande douceur les pieds de Jésus. Le soir, il me sembla que je fus
visité par l'Enfant Jésus. Depuis, je porte une sorte de feu dans la poitrine. Je reçus une faveur
de Notre-Dame dont je baisais les mains avec beaucoup de dévotion et de larmes, mais d'une
manière spirituelle (notes intimes II, p. 46 à 63)". Laissons aux spécialistes le soin de juger la
portée de ces témoignages.

9
Pour sa retraite de juin 1771, il se propose de ne lire que St Augustin et la Retraite du
Père La Colombière (jésuite du 17e siècle) par lequel il découvre les révélations du Cœur de
Jésus à Ste Marguerite Marie à PARAY LE MONIAL.
Nous pouvons conclure qu'il existe une grande cohérence entre les notes spirituelles
et le présent traité de l'Oraison. C'est son expérience qu'il décrit, y compris les derniers
chapitres où sont exposées les plus hautes expériences mystiques.


CLORIVIERE laisse un message adapté au monde moderne, annonçant déjà la
doctrine sociale de l'Église. Vivre au milieu du monde en étant soumis à tout ce que ses lois et
ses usages ont de conforme à l'Évangile. Remplir ses devoirs de citoyen. Et en même temps,
avoir à cœur les intérêts de l'Église et être prêt à se battre quand c'est nécessaire.


PRIERE ET ORAISON a été écrit en 1778. Pierre de CLORIVIERE n'a que
quarante-trois ans. Il a beaucoup travaillé les auteurs spirituels des 16e, 17e et 18e siècles : St
Jean de la Croix, Ste Thérèse d'Avila, St François de Sales, et surtout, dès son noviciat, de
grands jésuites comme les Pères Lallement, Huby, Surin… Mais la valeur de l'ouvrage tient
surtout au fait qu'il reflète la propre expérience de l'auteur qui vit déjà une expérience
mystique élevée. C'est pourquoi il reste aujourd'hui encore un guide sûr. Je suis heureux de
présenter ce manuel simple mais solide à ceux et celles qui désirent progresser.
Il a été nécessaire de réactualiser parfois le vocabulaire, sans toutefois rien changer au sens
de la phrase.

Yves JAUSIONS



10
PREFACE de la première édition 1802 (extraits)

Il n'y a pas de devoir qui nous soit plus souvent et fortement recommandé que
l'exercice de la prière et de l'oraison. Tous les livres saints nous le rappellent.
Jésus Christ lui-même, dans l'Évangile, St Paul, les autres apôtres dans les Épîtres,
nous exhortent à rendre cet exercice continuel. Les Pères en font l'éloge. Ils ne tarissent pas
quand ils parlent de la nécessité, de la sublimité et des avantages de la prière…
C'est à la demande des ermites du Mont Valérien que cet écrit a été composé en
1778.
Lorsqu'il eut l'approbation de M. GRISEL, leur supérieur ecclésiastique, les Frères le
présentèrent à Mgr l'Archevêque de PARIS pour qu'il leur soit permis de le faire imprimer et
de l'insérer dans leur directoire. M. de BEAUMONT le soumit à la censure de M. le Supérieur
Général de Saint Lazare. L'écrit parut bon et utile. Mais on se demanda, parmi les censeurs,
s'il serait à propos de publier la partie de l'écrit qui regarde les oraisons passives. Je fus prié
d'exposer à M. le Général les raisons qui m'avaient engagé à parler de ces oraisons.
Voici quelles étaient ces raisons :
1) sans cette partie de l'écrit, les considérations sur l'exercice de l'oraison seraient
incomplètes
2) au témoignage de Sainte Thérèse, le nombre des âmes que Dieu appelle aux oraisons
passives, du moins à celles qu'on nomme "ordinaires", est assez considérable
3) ceux qui n'y sont pas appelés, s'ils ont le bon esprit, seront excités par la connaissance de
ces voies à bénir le Seigneur et à se tenir dans l'humilité
4) ceux que Dieu y appelle sauront comment il faut s'y comporter pour ne pas mettre
obstacle aux desseins de Dieu. Ils seront en même temps rassurés contre les craintes qui,
dans ces états, sont souvent excessives et nuisent beaucoup au bien des âmes
5) ceux qui croiraient trop aisément être dans ces voies seront détrompés en faisant attention
aux marques auxquelles on peut en connaître la vérité
6) beaucoup de confesseurs sont insuffisamment instruits de ces états d'oraison. Par là même,
il est nécessaire d'en parler afin de prévenir le mal que cette ignorance peut causer aux
âmes
7) un grand nombre de livres ont parlé de ces voies sans assez indiquer les illusions où l'on
peut tomber et les moyens qu'il faut prendre pour s'en garantir.
M. le supérieur général me dit qu'ayant consulté les hommes les plus spirituels de sa
maison, ils avaient été d'avis que l'ouvrage devait être imprimé tel qu'il était, dans son entier.

Pierre-Joseph PICOT DE CLORIVIERE

11
12
PREMIERE PARTIE

LA PRIERE

13
1

NATURE,
EXCELLENCE DE LA PRIÈRE

La prière est une élévation de l'esprit et du cœur vers Dieu, par laquelle l'homme rend
à son infinie Majesté l'hommage qu'il lui doit essentiellement, comme à son créateur, son
souverain maître et son unique fin, soit en adorant et contemplant sa grandeur et ses
perfections, soit en célébrant ses louanges, soit en faisant l'aveu de sa dépendance et de ses
misères, soit enfin en lui demandant humblement et avec confiance toutes les choses dont il a
besoin pour l’âme et pour le corps.
Se donner au saint exercice de la prière, c'est donc dégager ses pensées et ses désirs de
la terre et de toutes les choses créées, pour les fixer en Dieu, au-dessus de tous les êtres créés,
visibles et invisibles ; c'est quitter la fréquentation des hommes pour parler à Celui dont la
main toute-puissante a tiré du néant toutes les créatures ; c'est être, en quelque sorte, introduit
dans la société des anges et remplir ici-bas une fonction qu'ils regardent, avec raison, comme
le plus glorieux de leurs privilèges 1.
Ce n'est pas encore donner une assez haute idée de l'exercice de la prière. Puisque
nous prions toujours par Jésus Christ et en Jésus Christ, en qualité de membres de son corps
mystique, et que, selon l'Apôtre, c'est l’Esprit Saint lui même qui supplée à notre faiblesse et
qui prie en nous par des gémissements inexprimables (Rom 8, 26). Prier, c'est resserrer les
liens que le Fils de Dieu a voulu contracter avec nous. C'est lui servir, en quelque sorte,
d'organe ; c'est paraître devant son Père revêtu de ses mérites, comme lui-même a voulu
paraître revêtu de nos péchés. C'est devenir, en union avec lui et en dépendance de lui,
l'intercesseur pour tout le genre humain, et spécialement pour l'Eglise ; c'est enfin user d'un
pouvoir surnaturel que Dieu seul a pu nous donner, comme à ses enfants chéris, et suivre
l'attrait et l'impulsion de son Esprit Saint.
Il importe extrêmement à tous les chrétiens, à ceux surtout qui font profession de
tendre à la perfection2, et dont, pour cette raison, la vie doit être une vie de prière, de se
rappeler souvent ces considérations. Ainsi, ayant toujours présent à l'esprit combien l'exercice
de la prière est grand, combien il est sublime en lui-même, qu'ils se regardent comme très
honorés de pouvoir y consacrer beaucoup de temps, et qu'ils s'y portent chaque fois avec une
ardeur renouvelée. L'estime que le chrétien fait de la prière, le zèle avec lequel il se porte à cet
exercice et la perfection avec laquelle il s'en acquitte doivent être proportionnés aux dons qu'il
reçoit de Dieu. Ils sont comme la mesure de ses progrès dans la voie de la sainteté.

1 Le premier paragraphe de ce chapitre décrit différentes formes de prière : adoration, louange, demande… Le deuxième
paragraphe précise l'attitude intérieure. Prier suppose que l'on quitte ses pensées et ses occupations habituelles pour se fixer
en Dieu. Cette rupture demande un effort. Mais c'est très beau puisque, pendant la prière, nous participons à la louange des
anges qui voient Dieu face à face.
2
En particulier les prêtres, les religieux et les consacrés.

14
2

NÉCESSITÉ DE LA PRIÈRE

A ces considérations, qui démontrent l'excellence de la prière, il faut joindre celles qui
nous en font voir la nécessité. Cette nécessité n'est pas fondée sur Dieu : infiniment sage, il
sait ce dont nous avons besoin (Lc 12, 30) avant que nous ouvrions la bouche pour le lui
demander. Infiniment bon, sa tendresse n'a pas besoin d'être encouragée par nos cris ;
infiniment grand, il se suffît à lui-même, sa grandeur et son bonheur ne reçoivent aucun
accroissement par les louanges et les hommages que nous lui rendons.
La nécessité de la prière est fondée sur nous-mêmes, sur la nature de notre être, doué
d'intelligence et de liberté, sur les connaissances que Dieu nous a données de lui-même. Elle
repose également sur la reconnaissance que nous lui devons à cause des bienfaits qu’il répand
à chaque instant sur nous avec profusion ; sur la dépendance totale, où nous sommes envers
lui, mais que nous devons accepter et reconnaître librement. Enfin l'exercice de la prière est
pour nous un immense avantage, car, lorsque nous y avons recours, nous sommes élevés au-
dessus de notre nature, et nous entrons en communication avec la divinité.
Cette nécessité nous est intimée par Dieu même, et l'Homme-Dieu nous en a fait un
commandement souvent répété dans l'Evangile. Il nous en a donné l'exemple dans tout le
cours de sa vie mortelle : Veillez et priez, afin de ne pas entrer dans la tentation (Mt. 26, 41).
Il faut toujours prier et ne pas se lasser (Lc 18, 1). L'Apôtre nous inculque le même devoir :
Priez sans cesse, nous dit-il, rendez grâces en toutes choses ; car telle est la volonté de Dieu
en Jésus Christ par rapport à chacun de vous (1 Th. 5, 17-18).

AVANTAGES DE LA PRIÈRE

Les avantages de la prière sont nombreux et méritent que nous les considérions avec
soin. Nous les trouvons tous exprimés dans les promesses magnifiques que notre Sauveur a
faites à ceux qui prient. Demandez et vous recevrez (Mt. 7, 7). Tout ce que vous demanderez à
mon Père en mon nom, il vous le donnera (Jn 15, 16). Ces promesses sont illimitées. Nous
avons pour garantes de leur infaillibilité la parole de la Vérité même et la puissance de Celui
qui peut tout ce qu'il veut.

15
Y a-t-il des biens que la prière ne soit pas capable de nous obtenir3 ? Quels sont les
malheurs dont elle ne peut pas nous délivrer ? Avec elle, nous sommes déjà comme en
possession de tous les trésors célestes. Il n'y a pas de vertu qui nous soit impraticable, pas de
défaut dont nous ne puissions nous corriger, pas de dettes qu'il ne soit en notre pouvoir
d'acquitter, pas de combats dont nous ne soyons assurés de sortir victorieux, pas de pièges que
nous ne puissions éviter, pas de tentations que nous ne puissions vaincre, pas d'ennemis que
nous ne puissions repousser.
La prière est un moyen que la bonté divine nous a donné pour subvenir à tous nos
besoins spirituels et temporels. Le pécheur y trouve la grâce de la réconciliation, le faible, sa
force, le malade, sa santé, l'affligé, sa consolation dans ses peines, l'aveugle, la lumière, le
tiède, la ferveur, le fervent, la perfection, le parfait, tous les dons de l'Esprit qui lui sont
nécessaires pour devenir de jour en jour plus parfait. La prière est un bouclier qui nous met à
couvert des coups de l'ennemi, c'est une arme dont l'enfer ne peut soutenir la force, c'est une
puissance céleste qui nous rend forts contre Dieu même4. Le don de la persévérance finale est
un bien que nous ne pouvons jamais mériter mais nous sommes assurés de l'obtenir par la
prière.

3
Quand nous demandons, nous sommes sûrs d'être exaucés, mais pas nécessairement de la manière que nous pensons. Il faut
toujours ajouter : "Si c'est ta volonté".
La distinction entre commençants, progressants et "parfaits" était courante dans les siècles passés. C'est une classification
commode mais peu précise. Les termes de "perfection" et de "parfaits" ne sont plus employés même s'ils correspondent aux
préceptes du Seigneur : "Soyez saints" (Lv 19, 2), "Soyez parfaits" (Mt 5, 48), "Nous, les parfaits" (Ph 3, 15 - 1Cor 2,6 et Jac
1, 4).
Les "parfaits" sont ceux qui tendent de toutes leurs forces, avec la grâce de Dieu, vers la perfection, sans jamais l'atteindre.
Les auteurs spirituels reconnaissent les "parfaits" à deux signes : la volonté de marcher courageusement vers la sainteté, et
la présence forte de l'Esprit Saint, ce qui correspond à l'entrée dans la contemplation (oraison passive).
Mais le P. de Clorivière dit plus loin que ces personnes ont encore beaucoup de défauts à vaincre et que la sainteté
comporte une infinité de degrés : "Dieu seul est saint" (Mat 19, 17).
4 Allusion au combat de Jacob (Gn 32, 28-29)

16
4

ESTIME QU'IL FAUT AVOIR


POUR LA PRIÈRE

Pourrions-nous ne pas être pénétrés d'estime pour un exercice dont nous connaissons
les si grands avantages ? En conséquence, nous regarderons comme le temps le plus précieux
de la journée les heures qui seront particulièrement destinées à la prière. Dans ces moments
l'âme reçoit sa nourriture. Dégagée de tout autre soin, elle s'occupe uniquement de Celui pour
lequel elle a été créée. Tout la rappelle à Dieu. Elle peut donner un libre essor à ses
aspirations. Ces moments sont pour elle ce que l'aliment est à l'homme pressé de la faim, ce
que la mer est au poisson qu'on aurait tiré de son élément.
Mais la nature, ennemie de ce qui la gêne et de ce qui fortifie en nous la grâce, sent de
la répugnance pour l'exercice de la prière. L'esprit a peine à s'y fixer. L'imagination s'égare
alors sur mille objets étrangers. Et comme il arrive d'ordinaire, le démon met tout en œuvre
pour nous dégoûter de ce moyen de salut. Pour mieux nous tromper, il donne à ses ruses
l'apparence du bien. Cependant quelle que soit la tentation d'arrêter la prière, quels que soient
les prétextes dont se sert l'esprit de mensonge pour cacher sa ruse, malgré les peines que nous
pouvons éprouver dans l'exercice de la prière, et même si les avantages que nous en retirons
nous semblent légers, nous comprenons le mérite de la prière et les grands biens qu'elle
procure. Aussi, armés d'une foi vive et pure, nous sommes certains qu'il nous est nécessaire de
nous attacher plus que jamais à cet exercice. Et les combats que nous aurons à livrer pour y
persévérer seront pour nous la cause d'une grande victoire.

LA PRIÈRE EN COMMUN

Parmi toutes les prières qui sont en usage dans la sainte Eglise, nous devons avoir une
grande estime pour la prière commune et publique, soit dans les lieux où une famille ou une
communauté se rassemble pour prier, soit surtout dans les églises paroissiales, qui sont une
image de l'Eglise entière. Si deux d'entre vous, dit le Seigneur, s'accordent ensemble sur la
terre, ce qu'ils demandent leur sera accordé par mon Père qui est dans le ciel. Car partout où
deux ou trois personnes sont assemblées en mon nom, je suis moi-même au milieu d'elles (Mt.
18, 19-20). Soyons persuadés de la vérité de cette promesse divine et ne doutons pas que le
Sauveur du monde est alors au milieu de nous, priant avec nous et pour nous.

17
De plus, pensons que dans la prière en commun l'union des corps et des voix témoigne
de la charité qui unit les cœurs et rend plus solennel le culte qu'on rend au Seigneur. Elle est
une image visible de l'union qui, de tous les enfants de la sainte Eglise, ne fait qu'un même
corps, et de celle qui règne parmi les citoyens de la Jérusalem céleste. Elle donne plus de
force et d'efficacité aux prières qu'on y fait. La ferveur des uns supplée à ce qui pourrait
manquer à celle des autres. Les fidèles, réunis ensemble, peuvent s'aider mutuellement par
leur exemple au respect profond que demande le culte divin. C'est comme une ligue sainte
qu'ils forment entre eux pour supplier le ciel et résister aux efforts de l'enfer.

LA PRIERE CONTINUELLE

Des chrétiens fervents ne se contentent pas de prier dans les temps et dans les lieux qui
sont destinés à la prière. Quant à ceux que le Seigneur a, dans sa miséricorde, appelés à un
état plus saint, ils doivent se regarder comme obligés à pratiquer, autant que la faiblesse
humaine peut le permettre, le conseil que notre divin Maître a donné à tous les chrétiens en
général de prier toujours (Lc 18, 1), et, comme dit l'Apôtre, sans cesse (Th. 5, 17). Chacun
d'eux s'efforcera donc, selon la mesure de la grâce, mais avec douceur et sans tension d'esprit,
de faire de toutes ses actions, même les plus ordinaires, comme boire et manger, une prière
continuelle.
Avant de commencer une action, ils l'offriront d'abord, au moins intérieurement, au
Seigneur. Dans le cours de l'action, de temps en temps, ils renouvelleront cette offrande. Ils
auront soin de purifier leur intention et de demander les grâces dont ils ont besoin pour la
faire. Ils agiront toujours sous les yeux du Seigneur et ne manqueront pas d'unir leur action à
celle de l'Homme-Dieu, afin que ses mérites suppléent à leurs défauts. Enfin, lorsque l'action
sera finie, ils en rendront grâce à Dieu et lui demanderont pardon des fautes qu'ils auront pu
commettre.
Ceux qui ne sont pas encore très avancés dans la vie intérieure ne pourront pas, sans
doute, pratiquer ceci d'une manière bien parfaite. Il suffira qu'ils le désirent, qu'ils le
demandent et qu'ils fassent pour cela quelques légers efforts. La grâce, qui se plaît à seconder
les bonnes résolutions, les rendra peu à peu capables d'en faire de plus grandes ; et à mesure
qu'ils avanceront vers la perfection, avec les secours plus abondants qu'elle leur
communiquera, ils feront sans peine, et d'une manière très simple, ce que nous proposons,
comme le moyen de rendre leur prière continuelle, parce qu'ils seront alors animés de l'Esprit
de Jésus Christ.5
5
Sur l'oraison continuelle, la correspondance de Clorivière est éclairante : "L'exactitude que vous apportez à l'heure d'oraison
(…) ne suffirait pas, si vous ne vous proposiez pas de rendre votre oraison habituelle (Lc 18, 1). Il s'agit pour cela de porter
partout l'esprit d'oraison, de tout rapporter à Dieu, de vous épancher tellement au dehors que vous ne sortiez jamais
entièrement de Dieu, qui réside dans le centre de votre âme, et qui se plairait à vous y faire sentir son opération, si vous étiez
plus attentif à sa sainte présence et plus fidèle à le consulter. Cette grâce vous est nécessaire ; sans elle, vous ne serez jamais
intérieur, et votre vie ne sera pas une vie surnaturelle, comme doit l'être la vie d'un chrétien, et surtout celle d'un prêtre et d'un
religieux. Ne cessez donc pas de la demander et elle vous sera certainement accordée " (Lettre à Etienne Pochard, 3 août
1800).

18
7

POUR QUELLES PERSONNES


ET QUELLES INTENTIONS
IL FAUT PRIER

C'est un devoir de prier pour tous les hommes : pour la persévérance des justes, pour la
conversion des pécheurs, pour celle des non chrétiens et des incroyants, pour nos ennemis,
pour le soulagement et la délivrance des âmes du Purgatoire, pour le bien de l'Etat et pour la
sainteté de l'Eglise.
A ces intentions, offrons nos actions et nos peines. Pensons que nous sommes appelés,
à l'exemple de notre divin Sauveur et en union avec lui, à diminuer, par une vie de pénitence
et pleine de ferveur, la souffrance que causent à Dieu les péchés des hommes. La douleur dont
nous serons pénétrés au souvenir de nos propres péchés, et la vue des offenses qu'on ne cesse
de faire à la Majesté divine, nous donneront un zèle ardent pour la gloire de son nom et un
grand amour pour les hommes. Notre foi vive nous montrera plus clairement la grandeur des
biens dont la plupart se privent par leur faute, et les maux dont ils sont menacés. Tout cela
nous portera à prier jour et nuit le Seigneur, pour que tous les hommes reçoivent le fruit du
sang que Jésus Christ a versé pour eux.

Il écrit à son neveu : "Quoique le temps que le prêtre donne exclusivement à l'oraison soit nécessairement limité par celui
que demandent ses autres devoirs, on peut dire qu'il n'en sort jamais entièrement. L'esprit d'oraison l'accompagne partout et
sanctifie ses travaux, ses fonctions, ses entretiens, jusqu'à ses délassements les plus communs. Il est toujours présent devant
la Majesté divine et les fréquentes et ferventes aspirations de son cœur manifestent les sentiments dont il est continuellement
pénétré. Les Mystères de l'Homme Dieu sont en tout temps l'objet de ses pensées, l'aliment de son amour. Le désir de lui en
donner à chaque instant des preuves nouvelles l'oblige à s'unir à toutes les âmes fidèles qui sont sur la terre, à tous les
habitants du séjour céleste, et surtout aux ardeurs dont le Cœur de la Reine des Anges et des Saints est si vivement embrasé
pour son divin Fils" (lettre 1810).

19
8

CE QU'IL FAUT DEMANDER


ET COMMENT LE DEMANDER

Dans les demandes que nous faisons à Dieu, il faut envisager d'abord et
principalement la gloire de Dieu ; et puis ce qui regarde notre salut et celui du prochain, selon
le modèle que notre divin Maître nous a tracé dans l'Oraison dominicale. Mais nous pouvons
et nous devons aussi prier pour les nécessités de la vie, tant pour nous que pour autrui.
Cependant prenons garde de ne pas demander des biens qui seraient superflus, et par là
même dangereux et tout à fait contraire à l'esprit de pauvreté que Jésus Christ a recommandé
dans son Evangile. Tout ce qui ne tend pas à l'éternité, tout ce qui ne peut pas rendre notre
âme plus belle et plus agréable aux yeux de Dieu, ne mérite pas d'occuper notre attention.
C'est pourquoi, lorsque nous nous entretenons dans la prière avec la divine Majesté, nous
devons éloigner ces futilités de notre esprit, et les compter parmi les choses basses qui sont
indignes de lui être demandées.
Pour ce qui concerne les choses indifférentes, qui peuvent servir ou nuire au bien de
l'âme, suivant l'usage qu'on en fait, ne les demandons que d'une manière conditionnelle, autant
qu'elles peuvent contribuer à sa gloire, et avec une entière conformité à son bon plaisir.

PRÉPARATION ÉLOIGNÉE
DE LA PRIÈRE

Avant l'oraison, préparez votre âme, dit le Sage, et ne soyez pas comme un homme qui
tente Dieu (Si. 18, 23). Pour suivre ce conseil, d'où dépend en grande partie le fruit de la
prière, il faut avoir soin de se disposer à ce saint exercice par une grande pureté de
conscience, de cœur, d'esprit et d'action. C'est dans ces quatre sortes de pureté que consiste la
préparation éloignée à la prière.
La pureté de conscience (Ps 65, 18) provient d'une volonté forte et constante où l’on
est de ne jamais consentir à la moindre offense de Dieu, volonté qu'il faut renouveler toutes
les fois qu'il nous échappe quelque acte contraire. Le Prophète-Roi (David) nous fait entendre
la nécessité de cette disposition, lorsqu'il dit : Si la conscience m'avait reproché quelque
attachement au mal, le Seigneur n'aurait pas exaucé ma prière. Notre Seigneur nous la
recommande aussi, et joint à sa recommandation les plus magnifiques promesses : Si vous

20
demeurez en moi et si mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez,
et vous l’obtiendrez (Jn 15, 7).
La pureté de cœur6 consiste à vivre dégagé, non seulement de toute attache au péché,
mais encore de tout amour pour les créatures qui ne se rapporterait pas à Dieu ; amour d'où
naissent nécessairement mille projets, pensées ou inquiétudes qui remplissent l'âme, qui
l'agitent et qui sont la principale source de ses distractions dans la prière. La douce confiance
qui doit accompagner la prière, et qui, plus que toute autre chose, touche le cœur de Dieu et le
porte à nous accorder tout ce que nous lui demandons, cette confiance est tout à fait
incompatible avec l'amour désordonné de quelque créature que ce soit. Si notre cœur ne nous
condamne pas, nous nous adressons à Dieu avec assurance (1 Jn 3, 21) dit le disciple bien-
aimé.
La pureté d'esprit est le fruit du soin qu'on a eu pendant longtemps de réprimer cette
légèreté naturelle, cette trop grande activité, qui fait que l'âme sort à chaque instant hors
d'elle-même pour se répandre sur une infinité d'objets sensibles et de réflexions inutiles, qui
l'occupent tellement que les vérités de la foi et Dieu même n'y trouvent plus de place. Pour
prier comme il convient, il faut donc veiller constamment sur nous-mêmes, pour empêcher
que rien d'inutile ne pénètre dans notre esprit et ne le remplisse.
La pureté d'action7, dont il s'agit ici, dépend entièrement du soin qu'on a de donner à
chaque action les motifs les plus purs et de les rapporter sincèrement à Dieu. C'est l'œil simple
qui répand la lumière sur tout le corps (Mt. 6, 22).
On est assuré d'acquérir à un haut degré ces quatre sortes de pureté, pourvu qu'on
s'applique soigneusement aux moyens que nous avons indiqués en parlant de la prière
habituelle ; mais on ne peut pas y parvenir sans le secours de la mortification8, dont le but est
de régler les sens et de réprimer les inutilités du cœur et de l'esprit.
6
Lettre à Adélaïde de Cicé le 14 août 1802 : "Appliquez-vous avant toutes choses à acquérir et à conserver une grande pureté
de cœur ; ce qui demande un soin continuel de fuir jusqu'à l'ombre du péché, de réprimer ses inclinations naturelles, de
mortifier l'ardeur même de ses bons désirs, de veiller sur ses sens et l'usage de ses facultés spirituelles, de tenir dans cesse son
esprit et son cœur élevés vers Dieu pour en recevoir en tout la lumière et la force dont on a besoin, afin de vivre dans une
grande dépendance de l'Esprit Saint".
7
"Elle consiste non dans la moralité de nos actions elles-mêmes mais dans la pureté des motifs qui nous font agir et qui se
réduisent tous en général à n'agir précisément que pour l'amour de Dieu ou selon l'ordre de Dieu (…) en tâchant de n'agir en
tout que dans le seul dessein de plaire à Dieu, c'est-à-dire par le seul motif du pur amour, sans exclure d'autres motifs."
(Caussade)
8 L'auteur emploie onze fois le mot mortification ou mortifier, trois fois mort, deux fois mourir à soi. Aujourd'hui, on n'ose
plus employer ce vocabulaire
Ici, quand l’auteur dit que le but de la mortification est de "régler les sens et de réprimer les inutilités du cœur et de
l’esprit", il n’exclut pas les autres buts. En réalité, la mortification fait partie du renoncement absolu exigé par Jésus (Mt 6,
25, Lc 14, 26, Mc 9, 13…) et à ce titre, elle est nécessaire dans tous les domaines. Si le mot lui-même ne figure pas dans le
Nouveau-Testament, on en voit souvent les applications :
* le détachement des richesses : "Qu’il est difficile à un riche"… (Mt 19, 23) ; "Heureux les pauvres" (Mt 5, 3),
"N’emportez rien pour la route" (Lc 3, 9), "Nous avons tout quitté" (Mt 19, 27). Jésus "n’a pas un endroit où poser la tête"
(Mt 8, 20). St Paul : "Pour lui, j’ai tout perdu" (Ph 3, 8).
* le jeûne : Jésus commence sa mission par un jeûne sévère de 40 jours. Après, s’il mange et boit comme tout le monde, il
présente néanmoins le jeûne comme une pratique normale (Mat 6, 16), à condition de le faire dans la discrétion. Et, dans
certains cas, le jeûne, joins à la prière, est nécessaire pour chasser le démon (Mat 17, 21).
Jean-Baptiste se nourrit de sauterelles et de miel (Mat 3, 4).
St Paul s’impose une ascèse rigoureuse (1Co 9n, 24-27). Il supporte "fatigues, veilles, faim et soif, jeûnes répétés, froid et
dénuement" (2Co 11, 27). "Considérez que vous êtes morts au péché" (Rm 6, 11 ; Ga 5, 24). "Ceux qui sont au Christ ont
crucifié la chair" (Col 3, 5).
Le P. de Clorivière rejoint l'agere contra (agir contre soi-même) de Saint Ignace.
Saint Jean de la Croix : "Il faut se mortifier et se renoncer par amour de Jésus Christ qui, durant sa vie sur la terre, n'a
jamais eu d'autre goût ni d'autre désir que de faire la volonté de son Père. Que l'âme, donc, s'applique sans cesse non à ce qui
est facile, mais à ce qui est difficile, non à ce qui est plus savoureux, mais ce qui est plus insipide, non à vouloir quelque
chose, mais à ne rien vouloir. Pour arriver à goûter tout, veillez à n'avoir goût pour rien."
Montée du Carmel L 1 ch. 13

21
A moins d'une grande fidélité à surveiller de près nos inclinations naturelles, nous ne
pouvons pas espérer apporter à la prière les dispositions qu'elle exige, ni faire aucun progrès
dans la recherche de Dieu. Tout attrait qui nous détournerait de cette fidélité doit nous paraître
une pure illusion.

22
10

PRÉPARATION IMMEDIATE

La préparation immédiate à la prière consiste à se recueillir à l'aide d'un acte de foi, et


à s'établir en présence de Dieu, dont on se rappelle la majesté, la sainteté et l'amour. On est
alors pénétré envers lui du respect le plus profond et de la confiance la plus vive. On demande
la grâce et les lumières dont on a besoin pour bien prier, et on se reconnaît indigne de paraître
devant lui, à cause de sa misère et de ses fautes.
C’est par cet acte de recueillement qu'il faut commencer toutes ses prières. Nous ne
pourrions manquer à ce devoir sans voir ralentir notre ferveur dans ces exercices, et sans qu'il
ne s'y glisse bien des défauts et des imperfections qui nous en feraient perdre le mérite et
pourraient même changer en péché ce qui doit servir à nous justifier. Il est surtout nécessaire
d'entrer dans des sentiments d'humilité vis-à-vis de nous-mêmes, et de nous rappeler nos
péchés, toutes les fois que nous voulons nous présenter devant Dieu pour solliciter ses
faveurs. C’est le moyen le plus efficace pour attirer sur nous la bienveillance du Seigneur, et
pour donner valeur à nos demandes, selon ces paroles : La prière de l’homme qui s’humilie
percera les nues, il ne se retirera pas sans que le Très-Haut ne l’ait regardé favorablement
(Si. 35,21).

11

CARACTERES DE LA PRIÈRE

Ceux qui se sont disposés à la prière comme on vient de le voir, auront moins de peine
à persévérer dans cet exercice et à donner à leur prière les caractères qu'elle doit avoir.
Un profond respect. Respect intérieur, qui consiste à réprimer autant qu'il est possible,
les égarements de l'imagination et à tenir les facultés de l'âme, la mémoire, l'intelligence et la
volonté, fixées constamment en Dieu, en considérant que Dieu ne voit pas seulement, comme
les hommes, ce qui paraît au dehors mais qu'il pénètre dans ce que nous avons de plus
intérieur et de plus secret (1 Sm. 16, 7 ; He 4, 12).
Respect extérieur, qui demande que nous gardions toujours un maintien respectueux,
soit que nous soyons à genoux, soit que nous prenions une posture moins incommode. Saint
Jean Climaque dit à ce sujet que ceux qui sont pénétrés d'un vif sentiment de la présence de
Dieu demeurent, pendant la prière, comme une colonne immobile que ni les démons, ni les
objets extérieurs ne peuvent ébranler.

23
L'humilité. Il faut alors entrer dans les sentiments du Prophète-Roi (David), lorsqu'il
disait qu'il était devant Dieu comme un néant (Ps 38, 6). Pourtant, il avait reçu de Dieu
beaucoup de dons, et il avait réalisé pour Dieu de grandes choses ; mais regardant tout cela
comme des effets de la bonté divine, il en attribuait toute la gloire au Seigneur (Ps 113, 9). Il
n'envisageait en lui-même que ce qu'il avait de propre et ne voyait en lui que l'absence de tout
bien, de toute sagesse, de toute sainteté, de tout pouvoir. Il se considérait tel qu'il était,
lorsque, n'existant encore que dans l'idée du Créateur, il n'était rien en lui-même, et par
conséquent ne pouvait mériter rien, ni prétendre à rien.
C’est en cet état que l'âme doit se présenter à Dieu dans la prière pour en recevoir en
quelque sorte l'être nouveau, et tous les dons, tant naturels que surnaturels, qu'il daignera lui
donner. Elle réclame tout de sa bonté et de sa miséricorde. Elle doit paraître devant Dieu avec
la honte que mérite son état de pécheur. A cause de cela, non seulement nous ne méritons pas
les bienfaits du Seigneur, mais nous sommes dignes d'être à jamais exclus du royaume céleste
et rejetés en enfer. Cependant, nous sommes toujours enrichis des bienfaits de Dieu et
couverts du sang de Jésus Christ. Nous n'avons pas perdu notre titre d'enfant de Dieu. Mais
tous ces titres de noblesse et de grandeur sont devenus pour nous des sujets de honte par le
mauvais usage que nous en avons fait. Comment paraître devant notre Père, ayant été des
enfants ingrats ? Comment réclamer le sang de Jésus Christ, que nous avons si souvent renié ?
Comment nous présenter devant le Dieu de sainteté, n'étant de nous-mêmes que corruption et
péché ?
Sur ces considérations et d'autres semblables, nous nous accoutumerons à nous tenir,
pendant la prière, dans des sentiments d'humilité d'où dépendent en grande partie son mérite
et son efficacité.
Une grande ferveur. Cette ferveur est indépendante des goûts, des lumières, des
consolations qui forment la dévotion sensible, dont la douceur fait trouver à l'âme son
contentement et son repos dans l'exercice de la prière. Cette dévotion est un don qu'il faut
recevoir avec reconnaissance, mais il ne dépend pas de nous de l'avoir. Comme il ne rend pas
notre prière plus méritoire et plus agréable à Dieu, on ne peut pas le proposer comme un des
caractères de la prière. Il faut même prendre garde de s'y complaire lorsqu'on en est favorisé,
ou de le désirer avec empressement lorsque nous en sommes privés. Ce serait chercher son
propre contentement et non pas celui de Dieu. La ferveur solide et véritable est un désir réel et
constant de plaire à Dieu. Ce désir n'est pas toujours sensible, mais il se manifeste surtout par
l'acceptation de tous les états intérieurs, même les plus pénibles et les plus humiliants, où
Dieu permet quelquefois que nous soyons pendant la prière. Le désir est en nous l'effet d'une
foi vive, d'une espérance ferme et d'une charité pure. Le moyen de réveiller sans cesse en nous
cette ferveur est de penser souvent à ce que nous devons à Dieu, à la grandeur des biens que
nous lui demandons dans la prière et au besoin que nous avons de les recevoir.
Une confiance filiale. C’est le premier sentiment que nous devons avoir, d'après
l'enseignement de notre divin Maître. Il nous apprend à considérer Dieu dans sa qualité de
Père. Il a pris soin de nous l'expliquer par des conseils et des paraboles. C’est en réponse à
cette confiance qu'il a accordé la plupart des guérisons miraculeuses qui sont rapportées dans
l'Evangile. Il s'engage à ne rien lui refuser : Tout ce que vous demanderez dans vos prières,
croyez que vous le recevrez, et cela vous sera accordé (Mc 11, 24 ; Jn 15, 7).
La confiance n'a rien de contraire à l'humilité et doit toujours l'accompagner. Sans elle
l'humilité ne serait pas véritable : elle nous affaiblirait et nous jetterait dans le découragement,
au lieu de nous fortifier et de nous attacher à Dieu. Ce serait plutôt une ruse de l'esprit du mal
qu'un don de l'Esprit Saint.

24
Pour pratiquer l'humilité, il faut considérer, d'une part, en vérité, ce que nous sommes
par nous-mêmes. Et d'autre part, aidés par la lumière divine, nous admirons ce que nous
sommes devenus par un effet de la bonté de Dieu et de l'alliance que Jésus Christ a voulu
contracter avec nous. Quand nous le faisons, notre misère et notre faiblesse disparaissent :
elles sont comme englouties dans l'immensité des bienfaits de Dieu ; la laideur même et la
multitude de nos péchés sont consumées par l’ardeur incompréhensible de la charité. Nous
sommes les enfants chéris du Très-Haut : la marque de ses perfections est empreinte sur notre
âme. Nous sommes les images vivantes de sa Majesté et les membres du Fils fait homme, unis
à tous les bienheureux. Jésus Christ est notre chef et, comme tel, il nous communique la vie,
son sang, ses souffrances, ses mérites, son royaume, en un mot tout ce qu'il a fait, et tout ce
qu'il possède est à nous. Et réciproquement, tout ce que nous sommes est à lui : tout ce que
nous faisons, tout ce que nous demandons à Dieu, comme une grâce, il le fait, il le demande
en nous et pour nous. Nous ne pouvons rien demander de plus grand que ce que nous avons
déjà reçu en Jésus Christ.
Comment donc pourrions-nous manquer de confiance dans nos prières ? Nous sommes
rassurés par tant d'effets innombrables de l'amour de Dieu pour nous, par tant de promesses, si
souvent et si solennellement répétées. Celui qui nous a donné son Fils unique, dit l'Apôtre,
celui qui l’a livré pour nous à la mort, comment ne nous donnerait-il pas tous ses trésors ?
(Rm 8, 32). A-t-il gardé pour lui quelque bien qu'il ne nous aurait pas donné ?
Il peut arriver, selon la conduite ordinaire de Dieu sur les âmes, que nous soyons
assaillis, dans la prière, de pensées et de sentiments d'abattement ; c'est alors surtout qu'il
faudra nous rappeler ces considérations qui sont capables de ranimer notre confiance.
Souvenons-nous que même si nous avions eu le malheur d'oublier que nous sommes les
enfants de Dieu, Dieu lui-même n'a pas oublié qu'il est notre Père. De plus, nous avons auprès
de lui un intercesseur, un avocat (1 Jn 2, 1) à qui rien ne peut être refusé.
Une confiance ferme et persévérante. Ce sentiment est fondé sur les mêmes motifs que
le précédent. Notre Seigneur nous en fait un devoir en bien des endroits de l'Evangile. Dieu ne
peut manquer à la parole qu'il nous a donnée. Il nous accorde donc toutes les demandes que
nous lui faisons. Nous devons en être assurés. Mais il le fait parfois d'une manière qui ne nous
est pas connue. Souvent il a égard à l'intention profonde de notre cœur plutôt qu'à ce que nous
demandons en croyant que c'est conforme à son projet et plus avantageux pour nous.
Souvent aussi il diffère longtemps à nous exaucer, quoique nous lui demandions des
choses bonnes. S'il ne consultait que lui-même, le désir immense qu'il a de se communiquer à
nous le porterait à nous accorder sans délai tous les biens que nous sollicitons ; mais notre
intérêt véritable exige qu'il agisse autrement. C’est pour nous tenir dans l'humilité qu'il le fait ;
c'est pour que nous sentions davantage le prix de ses faveurs et le besoin que nous en avons ;
c'est afin que, lorsque nous les avons obtenues, nous lui en rendions gloire et que nous les
considérions avec plus de soin ; le délai réveille notre ferveur et nous fait pratiquer beaucoup
de vertus, qui, chaque jour, augmentent nos mérites et nous approchent de la perfection. Ne
perdons pas de vue ces considérations. Elles nous seront surtout bien nécessaires, lorsque
nous serons tentés de croire que nos prières demeurent longtemps sans effet.
Que notre prière soit respectueuse, qu'elle soit humble, qu'elle soit fervente, qu'elle soit
animée par la confiance, enfin qu'elle soit persévérante. Nous ne tarderons pas alors à
connaître par notre propre expérience la vérité de cette promesse de notre divin Maître :
Quiconque demande reçoit ; celui qui cherche trouve ; et on ouvrira à celui qui frappe à la
porte (Lc 11, 10).

25
12

COMMENT SE DÉFENDRE
DES TENTATIONS
CONTRAIRES A LA PRIÈRE

L'ennemi du salut sait combien ses efforts sont impuissants contre ceux qui se donnent
véritablement à la prière. Aussi, il essaie par tous les moyens de leur inspirer du dégoût pour
cet exercice, afin de les empêcher d'en retirer du fruit. Nous préviendrons ces dangers, en
nous pénétrant de l'excellence, de la nécessité et des avantages de la prière et en apportant à la
prière les dispositions qu'elle exige. Il convient encore, comme nous l'avons dit, de rejeter
vivement toutes les négligences volontaires dans lesquelles nous pourrions tomber pendant la
prière, en pensant au respect qu'on doit à la Majesté divine, qui daigne alors nous écouter.

26
27
13

LES DISTRACTIONS

Prenons garde de ne pas tomber dans une trop grande inquiétude par rapport aux
distractions qui nous arrivent dans la prière. Elles peuvent venir sans faute de notre part, ou
encore d'une faute très légère. La plupart du temps, elles sont l'effet presque inévitable de
l'inconstance naturelle à l'esprit humain. Pour être à l'abri de ces faiblesses par lesquelles
l'esprit mauvais ne manque pas de troubler les âmes les plus ferventes, il est nécessaire de
connaître les diverses sortes de distractions.
Il y en a qui proviennent du cœur. On pense naturellement à ce qu'on aime. Lorsqu'on
a trop d'attirance pour quelque objet, par exemple pour un emploi ou pour soi-même, on est
préoccupé par tout ce qui regarde cet objet. Dès lors, au moment de la prière, une foule de
pensées et d'images s'élèvent du cœur et viennent se présenter à l'esprit. Ces pensées sont
volontaires dans leur principe, quoiqu'elles ne le soient pas toujours actuellement, si l'on a
soin de les combattre. Mais ce combat ne suffit pas : il faut en couper la racine, en purifiant
son cœur.
Il y a d'autres distractions qui proviennent de l'imagination. Celles-ci ne sont
volontaires que si on néglige de les rejeter. Elles peuvent être occasionnées par une trop
grande dissipation, ou par trop d'application à des objets étrangers à notre état, ou par la
négligence que l'on a à se recueillir et à veiller sur ses sens. Comme, généralement, la volonté
n'a pas de part à la cette sorte de distractions, il ne faut pas s'en préoccuper, sauf si on n'avait
fait aucun effort pour les rejeter. Souvent, comme on l'a déjà dit, elles sont l'effet inévitable de
la faiblesse de notre esprit, qui ne peut pas se défaire de la pensée des objets dont il s'est
occupé ; dans ce cas, malgré tous nos soins, notre imagination nous échappe et s'égare sur
mille objets. Souvent aussi le démon, se servant du pouvoir qu'il a sur l'imagination, suggère à
l'esprit mille idées extravagantes et dangereuses. Quelquefois enfin, pour éprouver une âme
qu'il aime, Dieu permet que toutes ces causes concourent ensemble, et cette âme se trouve,
pendant un temps, dans un tourbillon de pensées dont elle n'a pas le pouvoir de se dégager.
Donc, si nous avons fait notre possible pour nous préparer à la prière, si notre cœur est
dégagé de toute affection vaine et déréglée, si nous avons eu soin de nous recueillir de temps
en temps dans le cours de la journée, si nos actions ont été faites pour Dieu, si au
commencement de la prière nous avons spécialement dirigé vers lui notre intention, et si
enfin, pendant la prière, nous sommes restés dans la ferme volonté de nous en acquitter de la
manière la plus parfaite, nous ne devons pas nous mettre en peine de nos distractions. Le désir
que nous avons d'en être délivrés, l'humiliation que nous en ressentons montrent qu'elles ne
sont pas volontaires.
Faisons des efforts pour les chasser, mais non pas en les combattant directement. Il
suffit alors de se recueillir un instant, d'élever son esprit vers Dieu et de continuer sa prière
avec plus d'attention et de ferveur. Si les distractions reviennent sans cesse à la charge sans
que nous arrivions à les chasser, souffrons patiemment cette épreuve, sans perdre la paix de
notre âme. Pourvu qu'on persiste avec fidélité dans la détermination prise au commencement

28
de la prière, de louer Dieu et de le bénir, nos distractions, même très pénibles, ne rendent pas
notre prière moins agréable à Dieu. Elles servent même à en augmenter le mérite.

14

IL FAUT DEMANDER SOUVENT L'ESPRIT DE PRIÈRE

Soyons convaincus que, pour bien parler à Dieu, il faut que sa divine Majesté nous
enseigne elle-même à le faire et nous en donne la grâce. Demandons sans cesse cette grâce.
Elle est tout à fait nécessaire à ceux qui désirent sincèrement s'avancer dans les voies de Dieu.
Elle sera notre force, notre lumière, notre consolation. Par elle, nous pourrons marcher sans
crainte dans ces routes difficiles mais sûres, que Notre Seigneur nous a tracées dans
l'Evangile. Nous ne serons certains d'avoir obtenu cette grâce que si nous avons pour la prière
une haute estime et un grand désir, et si nous cherchons à surmonter généreusement les
difficultés qui se rencontrent dans cet exercice. Nous ne serons sûrs de vraiment bien prier
que lorsque nous aurons acquis plus ou moins parfaitement l'habitude de converser presque
continuellement avec Dieu. La prière continuelle est fortement recommandée par les maîtres
de la vie spirituelle. Elle doit être recherchée par tous les vrais chrétiens, surtout ceux qui
essaient de pratiquer la perfection évangélique.

TEXTES DE L'ÉCRITURE
EN RAPPORT AVEC L’ORAISON

Il faut toujours prier et ne jamais se relâcher (Lc 18, 1).


En vérité, en vérité, je vous le dis : tout ce que vous demanderez à mon Père en mon
nom, il vous le donnera (Jn 16, 23).
L'Esprit soutient notre faiblesse ; car nous ne savons pas prier comme il faut. L'Esprit
lui-même intercède pour nous par des gémissements qui ne peuvent pas s'exprimer (Rm 8,
26).
Il n'y a qu'un Seigneur pour tous, riche de biens pour tous ceux qui l'invoquent (Rm
10, 12).
Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal (Jn 4, 3)9.

9
L'auteur indique ici quelques textes de l'Ecriture. Il ne fait pas allusion à une étude systématique de l'Ecriture Sainte, qui
était alors peu développée.
Depuis plus d'un siècle, les sciences de la Bible ont connu un développement considérable. Aujourd'hui, beaucoup de laïcs
s'initient à la Bible.
Mais il est important de savoir que la lecture et l'étude des textes sacrés ne sont qu'une introduction à la méditation et à
l'oraison. La lectio divina, traditionnelle depuis toujours chez les moines, comporte quatre niveaux. C'est ce que rappelle au
12e siècle Guigue le Chartreux dans sa "Lettre sur la vie contemplative", avec "l'Echelle de la prière".

29
"Un jour, pendant le travail manuel, je commençai à penser à l'exercice spirituel de l'homme, et tout à coup s'offrirent à la
réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels :
la lectio, la meditatio, l'oratio et la contemplatio.
C'est l'échelle des moines, qui les élève de la terre au ciel. Certes elle a peu d'échelons ; elle est immense pourtant et d'une
incroyable hauteur, sa base repose sur la terre et son sommet pénètre les nuées et scrute les secrets des cieux.
La lectio ou lecture est un exercice externe. C'est l'échelon des commençants. Elle consiste en l'étude attentive des
Ecritures, faite par un esprit appliqué. La lecture constitue le fondement, elle fournit la matière et engage à méditer.
La meditatio est une opération de l'intelligence, procédant à l'investigation studieuse d'une vérité cachée, à l'aide de la
raison. C'est l'échelon de ceux qui progressent. La méditation recherche avec soin ce qu'il faut désirer, elle creuse et met au
jour le trésor souhaité ; mais, incapable de le saisir, elle nous incite à prier.
L'oratio est l'élan d'une âme pleine de désir. C'est l'échelon de ceux qui sont à Dieu. Elle consiste en une religieuse
application du cœur à Dieu pour éloigner des maux ou obtenir des biens. Se dressant de toutes ses forces vers le Seigneur, la
prière demande le désirable trésor de la contemplation.
La contemplatio dépasse tout le ressenti et le savoir. C'est l'échelon des bienheureux. Elle consiste en une certaine
élévation en Dieu de l'âme attirée au-dessus d'elle-même et savourant les joies de la douceur éternelle. La contemplation
vient récompenser le travail de ses trois sœurs et enivrer de la rosée céleste l'âme altérée de Dieu "

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31
DEUXIEME PARTIE

L'ORAISON MENTALE

32
1

LES SAINTS ONT TENU EN GRANDE ESTIME L'ORAISON


MENTALE

Les saints et les maîtres de la vie spirituelle ont tous fait grand cas de l'oraison
mentale. Dans cet exercice, l'âme se dégage, autant qu'il lui est possible, de la dépendance
dans laquelle les sens la tiennent par rapport à tous les objets qui l'entourent. Elle se recueille
en elle-même, et se sert du pouvoir qu'elle a sur ses facultés pour les appliquer aux vérités de
la foi, à Dieu même, et à tout ce qui peut la porter davantage à Dieu.
Ils ont attribué à l'oraison, d'une manière spéciale, tous les avantages qui appartiennent
en général à la prière. Ils l'ont regardée comme le moyen le plus puissant et le plus efficace
pour sortir du péché et rompre les mauvaises habitudes, pour se convaincre de l’importance
du salut et des obligations que nous impose la qualité de chrétien. Elle aide à dominer les
passions, à vaincre les tentations de l'esprit du mal, à démasquer ses illusions et ses pièges.
Elle apprend à se maîtriser10 pour acquérir les vertus solides et pour marcher dans le difficile
chemin de la perfection que nous trace l’Evangile. Elle nous aide à suivre courageusement
l'Homme-Dieu pour pratiquer avec persévérance ce que ses enseignements et ses exemples
ont appris aux hommes de plus élevé et de plus parfait.
Les saints savaient combien ce moyen a de force et d'efficacité. Ils en ont fait usage et,
autant que leur état et leurs occupations indispensables le leur permettaient, ils y ont eu
recours en tout temps. L'oraison était pour eux une école où l'Esprit Saint leur servait de
maître, un rempart derrière lequel ils se retiraient pour se défendre de leurs ennemis. Elle était
pour eux un jardin de délices où, loin des créatures, ils s'entretenaient avec l'Epoux de leurs
âmes, un lieu mystérieux où le grand Roi leur découvrait ses plus profonds secrets. Elle les
attachait fortement à l'unique objet de leur amour. Un charme divin les attirait puissamment
vers lui et les faisait courir avec plus d'ardeur à l'odeur de ses parfums (Ct 4, 10).
A la vue de toutes ces richesses de l'oraison mentale, ayons, comme les saints, une
grande estime pour cet exercice ; pratiquons-le pour en retirer, comme eux, le plus grand
avantage.11
2

10
Texte original : mortifier.
11
A Mme de Goësbriand : "C'est une science pratique qui ne s'acquiert que par l'exercice. Jamais on n'y devient habile qu'à
proportion du temps qu'on y consacre… On apprend à y converser avec Dieu, à se tenir en silence devant lui, à recueillir ses
puissances, à captiver son imagination ou à la mépriser. C'est souvent un combat, une lutte contre l'esprit de malice dans
laquelle on pratique toutes sortes de vertus. L'oraison est comme la clef des trésors divins. L'Esprit Saint est le seul maître qui
puisse bien nous l'apprendre, mais il ne refuse point ses leçons aux âmes de bonne volonté."
A son neveu, Joseph de Limoëlan : "Le prêtre doit regarder comme un devoir attaché à son ministère, le saint exercice de
l'oraison, où l'âme s'élevant au-dessus d'elle-même et de tous les objets sensibles, sans le secours de la parole, s'entretient
avec Dieu, à la manière des pures Intelligences ; il l'adore en esprit et en vérité, s'unit à lui, se repose en lui, et se consume
dans le feu de la charité. Dans ce saint exercice, il se pénètre des vérités saintes, il se renouvelle, il meurt à lui-même pour ne
plus vivre que pour Dieu.

33
IL N'Y A PERSONNE QUI NE PUISSE FAIRE ORAISON

L'esprit du mal essaie de nous faire abandonner l'oraison. Il s'efforce de nous


persuader qu'elle n'est pas faite pour nous, que nous n'avons ni les moyens, ni la sainteté que
demande un exercice si élevé.
C'est ainsi que le démon fait tomber trop souvent des âmes simples, sous prétexte
d'une fausse humilité. Par ailleurs, ce qui en décourage certains, c'est la multitude des détails
dont on remplit les méthodes d'oraison, et surtout l'ignorance de ce qu'est la véritable oraison
et de la manière dont il faut s'y appliquer.
Nous éviterons facilement ces erreurs en étant persuadés que l'oraison dépend bien
plus du cœur que de l'esprit. Pourvu qu'on soit instruit des principales vérités de la religion, on
en sait assez.
La meilleure oraison n'est pas celle où l'on réfléchit le plus, mais celle où l'on se
pénètre des sentiments qu'on doit avoir pour bien vivre et pour aimer. Les raisonnements et la
capacité naturelle à réfléchir nuisent souvent plus qu'ils ne servent à l'oraison. De plus l'Esprit
de Dieu ne veut pas que l'on agisse avec contrainte. Il aime la liberté et il permet à chacun de
suivre son attrait particulier, quand cet attrait est bon et porte l'esprit vers les choses saintes.
Si nous sommes persuadés de tout cela, et si nous avons la ferme volonté de plaire au
Seigneur et de travailler sérieusement à notre perfection, nous n'aurons rien à craindre, malgré
les difficultés que nous pouvons éprouver dans l'exercice de l'oraison. L'ennemi du salut ne
pourra jamais nous persuader que nous sommes incapables de faire oraison et d'en tirer
beaucoup d'avantages pour notre avancement dans la vertu.

L’EXERCICE DE L’ORAISON N’EST PAS UNE CHOSE AUSSI


DIFFICILE QUE BEAUCOUP L’IMAGINENT

II ne suffit pas, pour ceux qui désirent véritablement leur perfection, de savoir que
l'oraison mentale est à leur portée. Ils doivent croire que c'est un des principaux moyens qu'ils
peuvent employer pour parvenir au but qu'ils se proposent et auquel Dieu les appelle. Ils ne
douteront pas que Dieu leur accordera toutes les grâces et toutes les lumières dont ils ont
besoin pour s'en acquitter. Il faut aussi qu'ils soient persuadés que cet exercice n'a pas les
difficultés que beaucoup de gens imaginent. Au contraire il est, pour toutes les âmes qui ont
un véritable désir de leur perfection, un moyen de recevoir de grandes richesses spirituelles,
capables de contrebalancer les peines qui peuvent se trouver dans la pratique assidue de
l'oraison. De plus, ils y trouveront une paix solide et pleine de douceur, qui fait souvent
disparaître ce que ces peines semblent avoir d'effrayant et de douloureux.

34
Pour nous en convaincre, considérons la nature de l'oraison. Que demande l'âme ?
Qu'elle exerce les fonctions qui lui sont propres, de par sa nature spirituelle, qu'elle s'applique
à la fin pour laquelle Dieu l’a créée. Elle se sert de sa mémoire pour se rappeler le souvenir de
ses grandeurs, de ses bienfaits, et de ce qu'elle doit faire elle-même pour lui témoigner son
amour et sa fidélité. Elle se sert de son intelligence pour se pénétrer des vérités que la foi lui
présente et qui doivent régler sa conduite. Elle se sert de sa volonté, pour s'attacher fortement
à Celui qui seul est digne de son amour, et pour prendre la résolution de faire tout ce qui peut
lui plaire, et d'éviter avec soin tout ce qui serait contraire à son infinie sainteté. Telle est la
nature de l'oraison. Y a-t-il rien en tout cela qui ne soit parfaitement conforme à la condition
de l'âme raisonnable ? Serait-ce une chose si difficile pour elle de faire ce qu'il y a de plus
conforme à sa nature, ce qui fait sa valeur, ce pour quoi le Seigneur l'a créée ?
Il est vrai que, dans son état actuel, l'âme est dans une grande dépendance des sens. La
dégradation de l'homme opérée par le péché, les habitudes vicieuses et les ruses de l'esprit de
ténèbres ont beaucoup augmenté cette dépendance.
A cause de cela, il faut avoir égard à la faiblesse de l'âme, j'en conviens. Ce serait trop
exiger d'elle qu'elle fasse en tout temps usage de ses facultés spirituelles. Mais elle peut le
faire, sans beaucoup de peine, pendant un temps limité.
Généralement, en faveur du corps, l'âme met tous ses soins à lui accorder tout ce dont
il a besoin. Souvent même elle s'oublie elle-même et elle agit plutôt en esclave de ce corps
alors que c'est à elle de le commander. Dans ce cas, la nature viciée par le péché, par les
habitudes mauvaises et par l'esprit du mal, détourne l'âme de ses plus nobles opérations et la
retient sous l'empire des sens.
C'est pourquoi, à l'inverse, il convient, pour seconder la grâce, qui est toujours opposée
à cette nature corrompue, de maîtriser peu à peu, autant qu'il est possible, les actes de cette vie
naturelle qui nous est commune avec les animaux. Ensuite, il faut essayer de développer les
actes de cette vie spirituelle qui nous est commune avec les anges, en rappelant, au moins de
temps en temps, notre âme à l'exercice des fonctions qui lui sont propres.
A mesure que nous nous appliquerons avec ferveur à l'oraison, nous verrons que notre
âme recouvrera la maîtrise qu'elle doit avoir sur les sens. La grâce de Jésus Christ rétablira en
partie l'ordre que le péché du premier homme et nos propres péchés ont déréglé. Alors, la
pratique de l'oraison mentale n'aura plus pour nous les mêmes difficultés. Elle nous deviendra
naturelle et notre âme s'y trouvera comme dans son centre.
Ne négligeons donc rien pour parvenir à ce but. Qu'il soit, dès le commencement,
l'objet de nos principaux efforts. Ainsi cet exercice quotidien nous deviendra familier. Et si
nous persévérons avec fidélité, nous nous perfectionnerons et nous aurons la joie de connaître
par expérience les très grands avantages qu'il procure.

DIFFICULTES QUI SE RENCONTRENT DANS L’EXERCICE DE


L’ORAISON

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Ce qu'on vient de dire ne nous empêche pas de reconnaître que l'exercice de l'oraison a
des difficultés nombreuses. Ces difficultés proviennent d'une pratique insuffisante de cet
exercice, mais aussi de la dissipation presque continuelle où l'on vit, des égarements d'une
imagination déréglée et des combats que livre alors l'esprit tentateur. Elles peuvent venir
également de l'ennui et des dégoûts dont on est quelquefois accablé, de la disparition des
grâces sensibles et parfois des épreuves par où le Seigneur fait passer les âmes qu'il destine à
une haute perfection.
Mais toutes ces difficultés ne doivent pas nous détourner de l'oraison, ni la faire
paraître à nos yeux moins digne de notre estime et de nos efforts.
Réfléchissons en effet : que sont ces difficultés auprès des grands biens et des
consolations que l'âme reçoit de la pratique constante de l'oraison ? D'ailleurs, la bonne
volonté triomphe aisément de la plupart de ces difficultés. Elles peuvent même être, en grande
partie, la source des fruits de l'oraison. De plus, Dieu les proportionne à la faiblesse des âmes,
et ses grâces augmentent selon la mesure des épreuves auxquelles il permet que nos âmes
soient exposées.

ILLUSIONS OÙ L’ON PEUT TOMBER DANS L’EXERCICE DE


L’ORAISON

L'exercice de l'oraison a ses illusions. Si l'âme ne veille pas avec soin sur elle-même,
ces illusions l'empêchent d'en tirer du fruit ou même peuvent être pour elle une source de
dangers.
La première illusion est celle des âmes imparfaites. Elle provient toujours de quelque
défaut. Elle consiste à croire qu'on fait oraison alors qu'on ne la fait pas vraiment, ou qu'on la
fait mal.
Cela arrive :
1 ° Par paresse : on vient à l'oraison sans préparation, sans objet déterminé, sans vue
de perfection, sans intention forte de plaire à Dieu, et on se contente de quelques sentiments
vagues et superficiels qui ne font, pour ainsi dire, qu'effleurer l'âme.
2° Par négligence : on se laisse volontairement aller à des pensées étrangères et on ne
fait presque aucun effort pour les rejeter. On se rassure en disant qu'il suffit d'avoir de la
bonne volonté.
3° On ne connaît pas en quoi consiste la véritable oraison : on se remplit l'esprit de
raisonnements et de réflexions ; on s'arrête à de belles pensées et on néglige les actes d'amour,
les résolutions et les demandes.

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4° Par orgueil : lorsque, sans attrait de Dieu, on veut s'élever de soi-même à un degré
d'oraison supérieur à celui dans lequel on doit se tenir.
5° Ou encore par trop d'activité : quand, loin d'obéir aux mouvements de la grâce, qui
porte à agir d'une manière plus simple et moins sensible, on s'obstine à vouloir agir par soi-
même et selon sa propre volonté.
Dans ces deux derniers défauts, on se prive de la grâce, sans s'en apercevoir. Il est
évident que dans tous ces cas il n'y a pas de véritable oraison, quoiqu'on pense le contraire.
La seconde illusion est plutôt le propre des âmes ferventes et déjà avancées. Elle
consiste à croire, au contraire, qu'on ne fait pas oraison, alors qu'on la fait véritablement. On
tombe dans cette illusion :
1° lorsqu'on se persuade que des distractions involontaires, qu'on a soin de rejeter, sont
incompatibles avec l'oraison ;
2° lorsqu'on s'imagine qu'on ne sait pas prier, parce qu'on est privé de toute dévotion
sensible.
3° quand on se trouve dans une espèce d'impuissance de faire des actes comme on
avait coutume de le faire. On s'alarme de cette impuissance. Il faut savoir que c'est souvent
l'effet d'une grâce particulière, qui attire l'âme à une manière de prier plus simple et plus
intime.
Cette seconde sorte d'illusion trouble l'oraison et en diminue de fruit. Il serait à
craindre que le démon ne s'en serve pour dégoûter les âmes de l'oraison comme il arrive
souvent.
Le meilleur moyen, et peut-être l’unique, qu'on puisse avoir de se préserver ou de se
délivrer de l’une et l'autre de ces illusions, est de rendre de temps en temps, à ceux qui sont
chargés de nous conduire dans les voies de Dieu, un compte fidèle de la manière dont nous
faisons oraison, de ce qui s'y passe en nous et des fruits que nous en retirons.

37
6

L’ORAISON DOIT ÊTRE PRATIQUE

Dans l'exercice de l'oraison mentale, nous devons nous proposer de le faire servir à la
perfection de notre âme en augmentant nos forces spirituelles, comme le but des exercices du
corps est de conserver et d'augmenter sa vigueur. Il ne suffit pas que, comme la prière vocale,
elle contribue à notre avancement par les grâces qu'elle nous obtient de Dieu : elle doit influer
d'une manière directe sur cet avancement. C’est là qu'elle doit tendre.
La prière communautaire a l'avantage de contribuer à l'édification des fidèles : elle les
unit ensemble par un culte solennel ; on bénit Dieu, on l'adore, on lui rend grâce, on implore
son secours. L'oraison mentale n'a pas les mêmes avantages. Elle doit y suppléer en
contribuant à la perfection particulière de chaque fidèle.
Quel que soit le degré d'oraison auquel on est parvenu, il ne faut jamais perdre de vue
cet objectif ; il faut, en tout temps travailler à y parvenir de différentes manières. Il est vrai
qu'en ne le faisant pas, on ne rendrait pas par là l'oraison mauvaise, ni même tout à fait
infructueuse, parce qu'il est toujours bon et avantageux de s'occuper de Dieu et des choses
saintes ; mais cela pourrait en diminuer beaucoup le mérite et l'utilité. Ainsi, aux autres
qualités de la prière, que nous avons marquées ci-dessus, il faut ajouter ceci : être pratique,
c'est-à-dire être dirigée à la correction des défauts propres à chacun et à l'acquisition des
vertus dont il a le plus besoin. Cela demande qu'on fasse attention à trois choses.
La première, c'est qu'il ne faut pas se contenter de s'appliquer à l'oraison pour y passer
un certain temps d'une manière agréable à Dieu et pour se remplir l'esprit de considérations
saintes. Il faut, en plus, les appliquer au bien de son âme. Lorsqu'on reçoit des lumières et des
consolations, il ne faut pas s'y complaire, ni s'y attarder exagérément, mais s'en servir pour
s'exciter à une plus grande fidélité au service de Dieu. Au contraire, lorsque ces consolations,
ces lumières viennent à nous manquer, il ne faut pas les regretter, ni les demander avec trop
d'empressement, mais en cela se soumettre à la volonté du Seigneur, parce que nous ne nous
appliquons pas à l'exercice de l'oraison pour y jouir des consolations, mais pour nous y
préparer au travail.
La seconde chose à laquelle nous devons faire attention est de rapporter les
considérations que nous faisons dans l'oraison, les sentiments que nous y avons, les
résolutions que nous y prenons, aux besoins de notre âme : à l'extirpation de certains défauts
qui s'opposent à notre perfection, et à l'acquisition de ces vertus que Dieu nous demande plus
particulièrement et pour lesquelles il nous donne le plus d'attrait, quoique d'ordinaire ce soient
celles qui combattent le plus fortement nos inclinations naturelles. Ceci suppose qu'à force de
veiller sur soi et d'étudier son cœur, on a acquis, au moins en partie, la connaissance de soi-
même.
La troisième chose est de ne pas se contenter de prendre dans l'oraison des résolutions
vagues et générales, mais d'entrer là-dessus dans des détails qui conviennent le plus à l'état
présent et aux besoins de notre âme.
Il existe différents degrés dans l'oraison, la manière de la faire dans ses différents
degrés n'est pas uniforme. C'est ce que nous nous proposons maintenant d'expliquer.

38
7

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D'ORAISON

Le degré d'oraison, pour chaque âme, répond assez ordinairement à l'état de la vie
spirituelle dans lequel cette âme se trouve. C'est pourquoi, comme on distingue l’état de ceux
qui commencent, puis celui des personnes spirituelles et enfin celui des âmes qui sont très
avancées dans la voie de l'Esprit, de même on distingue en premier lieu trois diverses sortes
d'oraison : celle du discours, qu'on nomme méditation, l'oraison affective et celle du
recueillement. Ces trois premiers degrés d'oraison appartiennent à l'oraison commune ou
active, c'est-à-dire à cette oraison qui se fait avec le secours de la grâce ordinaire et dans
laquelle l'âme agit par elle-même, en se servant de ses puissances aidées de cette grâce, qui lui
est donnée plus ou moins abondamment.
Outre cela, il y a une oraison passive, ainsi nommée parce qu'elle est dans l'âme l'effet
de l'opération divine plutôt que la sienne, et que l'âme ne peut pas y parvenir par ses propres
efforts, même avec le secours de la grâce commune. Cette oraison répond à l'état des âmes qui
ont fait des progrès considérables. On lui donne en général le nom de contemplation ; il y en a
une ordinaire et une extraordinaire, et chacune d'elles a des degrés qui varient jusqu'à l'infini.
La méditation convient aux commençants ; mais, par ce nom, il ne faut pas entendre
seulement ceux qui ne font que commencer à s'appliquer à l'exercice de l'oraison mentale,
mais généralement tous ceux qui se contentent d'une vertu médiocre et qui, du moins, en
général, n'ont jamais pris la ferme résolution de tendre généreusement à la perfection, quand
bien même ils auraient passé toute leur vie à s'exercer dans l'oraison. Cette classe est la plus
nombreuse ; c'est pourquoi il y a tant de livres qui ne traitent que de la méditation.
L'oraison affective convient aux personnes spirituelles : à celles qui, touchées d'un
ardent désir de la perfection et dégagées si possible de tout attachement aux biens de la terre
et des sens, n'ont plus d'estime que pour les choses spirituelles. Elles sont résolues à tout
sacrifier au bonheur de marcher le plus près possible sur la trace du divin Maître.
L'oraison de recueillement est le partage des âmes qui ont fait des progrès
considérables dans la voie de l'Esprit. Pour être de ce nombre, il ne suffit pas d'avoir conçu de
hautes idées de la perfection et d'avoir formé de fortes résolutions d'y tendre ; il faut avoir mis
en pratique ces résolutions ; il faut être passé courageusement par bien des épreuves, il faut
être mort en grande partie à soi-même.
L'oraison passive ou contemplation est l'oraison des "parfaits", c'est-à-dire de ceux
qui, par une longue suite d'actes parfaits, ont acquis une grande facilité de les exercer et une
grande dépendance de l'Esprit Saint. Cependant, il leur reste toujours bien des imperfections à
vaincre et bien des degrés de sainteté qu'ils doivent s'efforcer d'acquérir.
Nous indiquerons les marques auxquelles l'âme pourra reconnaître quelle est celle de
ces diverses sortes d'oraisons à laquelle elle doit principalement s'appliquer. Mais pour qu'elle
le fasse avec une certaine assurance, il est important qu'elle découvre l'état de son âme et sa

39
manière de prier, autant qu'il lui sera possible, à un accompagnateur connaissant lui-même les
voies de l'Esprit et la science de l'oraison.

IL FAUT ORDINAIREMENT S’APPLIQUER D’ABORD A LA


MEDITATION

Ceux qui veulent faire oraison doivent commencer par la méditation. C'est là le
parcours ordinaire et il ne faut pas s'en écarter sans raison quand cela nous est possible.
Le but de la méditation est de purifier et d'embellir la mémoire et l'intelligence. Il
convient que ces deux facultés soient d'abord bien réglées : que la mémoire se vide peu à peu
de mille sujets inutiles et qu'elle se remplisse de choses saintes. L'intelligence doit être
éclairée, afin que la volonté se porte vers le bien qui lui sera proposé avec d'autant plus de
force qu'elle en connaîtra davantage l'importance. La plupart des hommes sont dans un état
d'aveuglement et d'insensibilité par rapport aux réalités de la foi. La connaissance qu'ils ont de
la religion est d'ordinaire très superficielle : leur mémoire est remplie depuis l'enfance de
connaissances vaines, ou du moins inutiles pour le salut. Leur intelligence contient des
principes faux et dangereux. Les vérités les plus importantes ne leur font pas d'impression
parce qu'ils les croient faiblement et qu'ils n'y ont jamais réfléchi sérieusement. Ils n'ignorent
pas complètement les mystères de l'Homme-Dieu, mais, faute de les approfondir, ils n'en sont
pas touchés. Dieu même est pour eux comme un être étranger et lointain. Ils ne s'occupent, ils
ne parlent que de la terre. Vouloir les enlever de là, ce serait prétendre les retirer de leur
élément. On pourrait les comparer à ces reptiles accoutumés à vivre dans un marais bourbeux
et qui ne pourraient subsister dans un air pur et sain.
C'est en méditant souvent et longtemps les vérités saintes, qu'on se les rend familières
et en quelque sorte naturelles. Ce serait donc une illusion de ne pas vouloir commencer par la
méditation, ou d'y donner trop peu de temps. Il ne faut pas se croire arrivé à quelque degré
élevé d'oraison, sauf si on est dans une sorte d'incapacité de raisonner ou à moins d'avoir reçu
une grâce particulière.12

12 Les derniers mots de ce chapitre comportent une note de prudence. Le passage par la méditation est fait pour le plus grand
nombre de débutants. Cependant il serait illusoire et même dangereux de contraindre tout le monde à la méditation.
Certains esprits y sont à peu près totalement rebelles ; sainte Thérèse d'Avila était de ceux-là (Vie, ch. 4, 9, 13, etc.) ;
l'ursuline Marie de l'Incarnation n'entendit parler de cette méthode que longtemps après avoir vécu dans la contemplation.
L'expérience montre que bien des âmes "simples" contemplent spontanément. Les esprits plus intuitifs, ou les personnes dont
la culture est restée rudimentaire, et les âmes dociles, généreuses, vivant sous la conduite de l'Esprit saint, seraient
embarrassés et pour ainsi dire neutralisés dans leur élan vers Dieu, si l'on s'avisait de leur imposer de passer par la méditation.

40
9

EN QUOI CONSISTE LA MÉDITATION

Avant de commencer sa méditation, il est nécessaire d'avoir un sujet déterminé, qui


puisse fixer l'imagination et servir à l'esprit d'occupation, pendant le temps qu'on se propose
de consacrer à cet exercice.
On commence la méditation par cette préparation prochaine dont on a parlé à l'article
10 de la première partie. Mais, outre cette préparation générale, il y a pour la méditation deux
choses à considérer.
1° Il faut se représenter, autant que cela est possible, le sujet sur lequel on va méditer,
comme s'il était présent à nos yeux : si c'est la mort, par exemple, qu'on se représente un
homme agonisant sous nos yeux ; si c'est Notre Seigneur, dans un des mystères de sa vie
mortelle, qu'on se représente ce mystère comme s'il se passait sous nos yeux.
2° Il faut avoir particulièrement en vue quelque défaut dont on veut se corriger, ou
quelque vertu qu'on se propose d'acquérir, et demander instamment au Seigneur la grâce de
retirer ce fruit de sa méditation.
C'est ce qu'on appelle les préludes. Leur but est d'arrêter les écarts de l'imagination et
de rendre la méditation pratique. Ces préludes ne demandent aucun effort ; il faut s'y
comporter avec douceur et n'y donner que très peu de temps.
Le corps de la méditation consiste dans l'exercice des trois facultés de l'âme. La
mémoire se rappelle le sujet de la méditation ; elle en présente à l'esprit les divers points les
uns après les autres. L'intelligence les considère : elle en examine les circonstances, les
causes, les effets ; elle réfléchit et s'applique à elle-même ce qui peut lui convenir. Elle en tire
les conséquences et voit ce qu'il faut faire, ce qu'il faut éviter. La volonté produit divers actes
qui répondent à ces considérations : elle se reproche, par exemple, la lâcheté ; elle regrette
d'avoir fait jusqu'ici un si mauvais usage des bienfaits de Dieu ; elle confesse son ingratitude ;
elle en demande pardon, elle s'encourage elle-même à vivre désormais d'une manière qui
réponde davantage à la grandeur de ses obligations, et prend des résolutions fermes et
généreuses ; ou bien elle s'affermit de plus en plus dans celles qu'elle avait déjà prises.
La conclusion de la méditation doit se faire par des prières qu'on adresse à Notre
Seigneur, pour obtenir le fruit qu'on s'y est proposé. On appelle ces prières colloque, parce
qu'on s'y entretient d'une manière affectueuse et pleine de confiance avec Notre Seigneur13.
On lui représente les motifs qui peuvent le porter à nous exaucer : la gloire de son Père,
l'amour qu'il a pour nous, le prix de son sang, la grandeur de nos besoins. On peut aussi
s'adresser soit à la Très Sainte Trinité, soit à chacune des trois Personnes divines séparément ;
mais, en le faisant, il faut se pénétrer toujours de ce respect profond, que la pensée de la

13
Nous n'avons pas à attendre la fin de la méditation pour "parler" au Seigneur. Ce colloque peut être silencieux, sans aucune
formulation de paroles. Il y a un langage du cœur.

41
divinité doit nous inspirer. Il sera bon encore d'implorer avec ferveur l'assistance et
l'intercession de la très sainte Vierge, des anges et des saints. Surtout ne demandons rien à
Dieu qu'en union avec Jésus Christ et par Jésus Christ, son Fils unique et le seul objet de son
amour. Lorsque nous nous adressons à Jésus Christ, ayons recours à la puissante intercession
de Marie : le souvenir fréquent de la sainte Vierge dans nos oraisons sert à ranimer notre
confiance et attire sur nous bien des grâces.

10

LE SUJET DE LA MÉDITATION

Dans les communautés religieuses et dans un grand nombre de maisons où la prière du


soir se fait en commun, le sujet de la méditation peut être déterminé par la lecture qu'on y a
fait ; cette lecture14 doit être entendue avec attention. Cette attention est surtout nécessaire
pour ceux qui ne trouvent pas dans leur propre cœur un fonds suffisant de connaissances pour
leur fournir la matière à des réflexions personnelles. On doit penser qu'il y a une bénédiction
particulière attachée au sujet proposé par l'obéissance. Il faut cependant éviter d'agir par
contrainte. S'il se présente à l'esprit quelque autre sujet qui le frappe et qui le porte davantage
vers Dieu, il n'y a aucune difficulté à s'en occuper.
Ceux qui ne sont pas encore entièrement détachés du monde15, mais qui désirent
sincèrement rompre avec lui, auront besoin de s'appliquer pendant longtemps à la méditation
des vérités qui sont plus capables de les en délivrer : par exemple le but de l'homme,
l'importance du salut, l'horreur du péché, la mort, le jugement, le ciel, l'enfer, etc. C'est ce qui
convient le plus à leur méditation. Pour ceux qui se sont exercés quelque temps à l'oraison,
s'ils ont bonne volonté, il y a beaucoup d'autres sujets dont ils peuvent tirer profit, pourvu que
ces sujets ne consistent pas en de vaines réflexions. Les sujets auxquels il faut s'attacher par
préférence, et qu'on peut choisir en tout temps, sont les mystères de Notre Seigneur, et surtout
ceux de sa Passion. On peut les conclure de ces paroles de notre divin Maître : C'est moi la
voie, la vérité et la vie.

14
La préparation de la méditation consiste ordinairement, pour les commençants surtout, en une lecture attentive d'un thème,
qui sera souvent puisé dans la sainte Ecriture, par exemple la lecture du jour.
15
Dans le langage actuel, le "monde" désigne la terre où nous vivons, la société avec ses joies et ses souffrances, le travail, le
progrès, mais aussi les injustices, les guerres, etc…
Face au monde, Jésus a deux attitudes :
1- "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique" (Jn 3, 16) ; "Je ne suis pas venu pour condamner le monde mais
pour que le monde soit sauvé" (Jn 12, 47).
2- "Malheur au monde à cause de ses scandales" (Mt 18, 7), "Le monde m'a haï" (Jn 15, 18).
Rompre avec le monde veut dire ici refuser tout ce qui blesse l'homme : l'égoïsme, l'orgueil, la dictature de l'argent, les
plaisirs, la violence, le refus de Dieu, bref, le péché.

42
11

LE CORPS DE LA MEDITATION

Dans l'état où nous supposons l'âme qui se donne à la méditation, elle doit faire usage
du raisonnement, autant qu'il est nécessaire pour mettre en mouvement la volonté, mais ne pas
s'y livrer sans mesure. Qu'on se contente d'un petit nombre de considérations solides ; ce
qu'on aura lu, ou entendu lire, en fournira suffisamment. Qu'on s'en laisse pénétrer, qu'on
fasse là-dessus des actes de foi, qu'on réfléchisse sur sa conduite, et que chacun se demande à
lui-même s'il a agi conformément à ces vérités, et ce qu'il doit faire à l'avenir pour y être plus
fidèle.
C'est là que doit se borner l'action de la mémoire et de l'intelligence. C'est un grand
défaut de multiplier les raisonnements ou d'en rechercher de trop subtils. Notre âme ne se
nourrit pas seulement de réflexions. Dès qu'on en a fait quelques-unes, il faut que les actes de
volonté et d'amour prennent la place. Avons-nous besoin de tant de conviction pour bénir
Dieu, pour le remercier de ses bienfaits ? Il faut nous humilier devant lui, lui demander
pardon de nos péchés, prendre la résolution d'éviter les moindres fautes, celles surtout où nous
retombons le plus souvent. Si l’on agit autrement dans la méditation, si l'on veut y remplir son
esprit de raisonnements enchaînés les uns aux autres, elle dégénère en une étude pénible et
fatigante, et dès lors elle cesse d'être une véritable prière.

12

IL FAUT RENDRE LA MÉDITATION PRATIQUE16

Dans les considérations que nous faisons, notre soin principal doit être de les rapporter
au but que nous nous proposons d'atteindre pour notre avancement spirituel. C'est le moyen de
rendre notre méditation pratique et de faire qu'elle ait une influence sur notre conduite. On
peut toujours le faire, quel que soit le sujet qu'on ait à méditer.
Supposons que ce soit la flagellation de Notre Seigneur. Je considère dans ce mystère:
la rigueur du tourment et la manière dont Notre Seigneur l’a endurée.
Si le défaut que je veux combattre est ma négligence à remplir mes devoirs, si la vertu
que je désire acquérir est la ferveur, après avoir considéré les peines de l'Homme-Dieu dans
ce mystère, je me figurerai qu'il me montre ses blessures et qu'il me demande de vaincre mes

16
"Quelques fautes que vienne à commettre celui qui a entrepris de s'adonner à l'oraison, qu'il se garde bien de l'abandonner :
avec elle, il aura les moyens de se corriger ; sans elle, ce sera beaucoup plus difficile" (Sainte Thérèse d'Avila, Vie Ch. 8)

43
lâchetés par amour pour le servir d'une manière plus fervente. Il a souffert pour moi, il mérite
bien que je surmonte mes répugnances et que je ne m'écoute pas autant moi-même…
Si j'ai en vue de vaincre mon orgueil et d'acquérir l'humilité, je me demanderai à moi-
même : Quel est cet homme attaché à un poteau, traité comme un esclave, injurié, humilié,
écrasé ? Est-ce mon Dieu ? Oui, c'est un Dieu dont la sagesse est infinie ; c'est un Dieu qui
s'est réduit volontairement à cet état, pour que l'homme apprenne à devenir humble. Je le
crois. Comment puis-je après cela désirer être honoré, estimé ? Comment puis-je fuir la plus
petite humiliation ?
Si je songe à réprimer le goût des plaisirs, si je souhaite acquérir l'esprit de
mortification, je me dirai : Quoi ! c'est ainsi que mon Sauveur traite sa chair très sainte, et moi
je traiterais doucement la mienne, qui est une chair de péché, une chair rebelle ! N'a-t-elle
donc pas des fautes à expier, n'est-elle pas opposée à l'esprit ? Puis-je vois la chair très pure de
l'Homme-Dieu souffrir les peines que la mienne a méritées, et donner en même temps à ma
chair attachée au mal toutes les satisfactions que je puis lui procurer ? Quelle honte pour moi,
d'avoir si peu de ressemblance avec mon Sauveur, etc. ! Il est aisé de faire l'application de ces
exemples à tout autre sujet de méditation.

13

PRENDRE DES RÉSOLUTIONS


A LA FIN DE LA MÉDITATION

La valeur de la méditation dépend principalement des bonnes résolutions qu'on y


prend mais nous ne nous contenterons pas de résolutions générales. Nous enterons dans les
détails les plus conformes à nos besoins présents.
Par exemple, si c'est une négligence que je combats, je considère dans quelles
circonstances elle se montre davantage ; si c'est dans le lever, dans les exercices de piété, dans
le travail des mains, etc., je réglerai là-dessus mes résolutions : je me proposerai d'éviter telle
rencontre, telle occasion qui me fait perdre du temps. J'essaierai d'agir avec plus de ferveur et
d'exactitude à tel autre moment. Je quitterai au premier signal mes occupations pour aller ou
je suis appelé. Je m'acquitterai de tel emploi d'une manière plus consciencieuse, etc.
Si mon but est de me défaire de l'orgueil et de devenir plus humble, je prendrai la
résolution de m'abstenir de telle action que je faisais surtout pour me singulariser ; ou si
l'action est conforme aux devoirs de mon état, de la faire avec une grande pureté d'intention ;
de demander l'aide des autres, et surtout en telle occasion où j'aime agir par moi-même ; de
faire telle pratique qui me fera compter pour rien ; d'avoir pour les supérieurs le plus grand
respect, de recevoir leurs avis et leurs remarques avec la docilité d'un enfant, etc.
Si je me propose d'acquérir l'esprit de mortification; j'essaierai de ne pas céder à tous
les désirs du corps. Je préciserai sur quel point je pourrai me priver ou me contenter de ce qui
est absolument nécessaire.

44
Chacun de nous pourra prendre, en détail, les résolutions qu'il croira convenir
davantage à ses besoins. Il n'est pas nécessaire d'en prendre un grand nombre : il vaut mieux
n'en prendre qu'une ou deux chaque fois et renouveler souvent les mêmes, jusqu'à ce qu'on
soit parvenu à les mettre aisément en pratique.

14

LE COLLOQUE

Le colloque, ou conclusion, qui termine la méditation, demande qu'on s'y comporte


avec beaucoup de ferveur, de manière à ce que si, dans les autres parties de la méditation, il
s'était glissé quelque négligence, si l'esprit s'était distrait ou livré à des réflexions inutiles, on
puisse réparer, par un plus grand amour les insuffisances de ce temps de prière.

45
15

IL NE FAUT PAS USER


DE TROP DE CONTRAINTE
DANS LA MÉDITATION

La méthode qu'on vient de prescrire pour la méditation est conforme à la nature de


l'homme raisonnable qui a reçu les facultés nécessaires pour atteindre le but pour lequel Dieu
l'a créé. Elle est conforme à ce que nous ont enseigné les maîtres de la vie spirituelle ; ainsi
ceux qui désirent véritablement leur perfection doivent faire ce qui est en leur pouvoir pour
s'y conformer, et ne pas se laisser dominer par la paresse de la nature, toujours ennemie des
efforts qu'il faut faire pour coopérer à la grâce.
Cependant, pour rassurer les lecteurs, il est nécessaire d'ajouter que, dans l'exercice de
la méditation, il n'y a pas de règle invariable et qu'il faut agir avec beaucoup de douceur,
éviter une trop grande contrainte et user d'une certaine liberté d'esprit.
On propose ce qui convient au plus grand nombre des fidèles, et dans la plupart des
circonstances. Mais pour ce qui est de la pratique, on ne prétend pas ériger une méthode de
façon absolue ; c'est à l'Esprit Saint de conduire les âmes et il a mille voies différentes pour le
faire. Pourvu qu'on ne rejette pas, par négligence et par tiédeur, les moyens qui sont ici
présentés pour méditer avec fruit, chacun sera libre de suivre d'autres manières de méditer, si
elles sont plus conformes à son attrait et de plus utiles à son avancement.
Quoique dans l'exercice de la méditation les manifestations de la grâce soient,
ordinairement, moins fréquentes et moins sensibles que dans les autres degrés d'oraison, il
arrive cependant qu'on éprouve parfois un appel intérieur. Dans ce cas, il faut être très fidèle à
y répondre. Par exemple, lorsqu'une lumière nous est donnée pour pénétrer plus avant dans
une vérité de la foi, ou si une parole de Notre Seigneur nous revient, il faut en faire l'objet de
notre méditation. Si nous nous sentons subitement touchés par le désir de prendre une
résolution à laquelle nous avions auparavant de la peine à nous résoudre, pensons que c'est là
un effet de la grâce. Dieu lui-même parle à notre cœur, et par conséquent il faut imposer
silence à nos raisonnements pour l’écouter et nous contenter d'ouvrir notre cœur à ses
inspirations.

46
16

IL FAUT SURMONTER
AVEC COURAGE
LES DIFFICULTÉS QUI SE RENCONTRENT
DANS LA MÉDITATION

Pour ceux qui commencent à pratiquer la méditation, rester immobile17 pendant le


temps prévu demande un certain effort.
Au plan intérieur, il leur arrive de n'avoir aucune lumière ni sentiment pour Dieu.
Pourtant il faut continuer en se disant que la méditation, difficile maintenant, les introduira
plus tard dans une région de lumière. Ce n'est que le premier échelon de cette échelle
mystérieuse (Gn 28, 12) dont le sommet monte jusqu'à Dieu même.
D'ailleurs, tout apprentissage en science ou en art demande beaucoup de travail et
d'application. Ils peuvent aussi penser que cette difficulté est en partie la conséquence de la
tiédeur dans laquelle ils vivaient jusque-là. Surtout ils doivent se persuader que leurs efforts et
leurs souffrances ont un grand prix aux yeux de Dieu.

17

FRUIT QUE L'ON RETIRE


DE LA MÉDITATION

Ceux qui, pendant quelque temps, se sont exercés avec ferveur à la méditation, ne
tardent pas à y trouver plus de facilité. Les images encombrantes qui les désolaient auparavant
se sont en partie effacées de leur esprit par le soin qu'ils ont eu de les chasser. Ils n'ont plus la
même peine à se recueillir. Leur cœur, qui commence à goûter Dieu, se porte de lui-même
vers Dieu, comme vers le centre unique de son bonheur. A l'aide d'une foi plus forte et plus
pénétrante, ils prennent plaisir à considérer l'amour et la bonté de Dieu pour les hommes. Les

17
Le Père de Clorivière ajoute : "A genoux, les yeux fermés, les mains jointes".

47
mystères de l'Homme-Dieu, où d'abord ils ne découvraient rien, à cause de la faiblesse de leur
vue intérieure, leur fournissent beaucoup de sujets de réflexion. Ils n'ont plus à craindre d'en
manquer. Mais peut-être s'arrêtent-ils trop à ce que ces considérations ont de frappant pour
l'esprit, et ils ne s'en servent pas assez pour entraîner la volonté. C'est pourquoi, étant
maintenant remplis des grands sujets qu'ils méditent, ils rejettent les pensées basses et
terrestres, et s'occupent aisément de Dieu dans le cours de la journée. Ils ont aussi plus de
force pour vaincre les tentations et pour résister aux suggestions de l'ennemi.
Si la méditation ne produisait en eux aucun de ces effets, ils se garderont bien d'en
conclure qu'ils ne sont pas faits pour cela. Qu'ils examinent avec soin la manière dont ils
méditent, ils trouveront presque toujours qu'ils ont quelque tort, soit dans le peu de
préparation qu'ils apportent à cet exercice, soit dans la manière insuffisante dont ils s'en
acquittent. Quand ils seront plus fervents, plus recueillis, quand ils auront une haute estime de
l'oraison, ils ne regretteront plus les efforts que cela demande. Ils y consacreront tout le temps
dont ils disposent sans manquer à leurs autres devoirs. Ils s'efforceront de pratiquer la
méditation pour progresser. Ils seront fidèles à répondre aux lumières qu'ils reçoivent, à
mettre en exécution les résolutions qu'ils ont prises. Alors, avec le temps, la méditation
devient plus facile et ils en retirent de très grands avantages.

48
18

COMMENT FAUT-IL SE COMPORTER DANS LA MEDITATION


LORSQU’ON EST DANS L’ARIDITE ?

Même si on a un grand désir de perfection et qu'on fait de son mieux pour pratiquer la
méditation, on ne doit pas s'attendre à y éprouver toujours la même facilité, la même ardeur. Il
arrivera quelquefois, même aux plus fervents, que cet exercice sera pour eux sans goût, sans
lumière, sans consolation. Cela peut provenir de leur disposition naturelle, d'un piège du
démon, ou encore d'une épreuve de Dieu. Leur imagination ne pourra se fixer à rien ; mille
pensées se présenteront à leur esprit, leur cœur sera en proie à toute sorte de désirs, des
tentations viendront les assiéger. Mais ils doivent penser que tout cela ne diminue pas le
mérite de leur oraison. Moins ils seront contents d'eux-mêmes, plus le Seigneur sera
content d'eux. Il est vrai que leur prière ne sera pas vraiment une méditation ; ils ne pourront
former ni raisonnements, ni actes d'amour. Ce sera une oraison de travail et de combat. Mais
leur constance à soutenir patiemment cette pénible situation, sans en vouloir abréger la durée
d'un seul instant, profitera plus à leur âme que la meilleure méditation.
Qu'ils ne soient pas effrayés d'une pareille épreuve. Elle sera proportionnée à leurs
forces et aux grâces que le Seigneur leur destine. Loin d'en être abattus, ils se réjouiront d'être
dans un état où ils peuvent témoigner à Dieu leur fidélité d'une manière plus parfaite. Sans
trop vouloir pénétrer la cause du changement qui s'est fait en eux, ils en prendront occasion de
se soumettre entièrement au bon plaisir de Dieu, de mettre en lui seul toute leur confiance et
d'implorer avec plus d'ardeur le secours de sa grâce toute puissante.
S'ils se comportent de cette manière, ils connaîtront, par expérience, que ces aridités et
ces épreuves de l'oraison leur seront aussi utiles que les lumières et les consolations qu'on
peut y recevoir. C'est un moyen dont Dieu se sert d'ordinaire pour détacher l'âme d'elle-même,
pour la préparer à accueillir de plus grandes grâces et de plus grandes lumières.

49
50
19

A QUEL MOMENT FAUT-IL QUITTER PEU A PEU LA


MÉDITATION
ET PASSER A UN AUTRE DEGRÉ D'ORAISON ?

On ne doit pas abandonner sans raison la méditation, ni se porter de son propre


mouvement à un degré d'oraison plus élevé. C'est ici qu'il faut pratiquer le conseil que nous
donne notre divin Maître de prendre la dernière place lorsque nous sommes invités à un festin
(Lc 14, 10) .
Mais il est nécessaire que ceux qui méditent, et qui désirent progresser, soient avertis
des changements à venir. Par la méditation ils sont vivement pénétrés des vérités de la foi.
Ces vérités leur sont devenues familières. Le souvenir de Jésus Christ et de ses mystères est
presque toujours présent à leur esprit ; il les accompagne partout et remplit leur volonté d'une
vigueur toujours nouvelle pour marcher avec courage sur ses traces. Ces effets, tôt ou tard, se
font ressentir aux âmes ferventes, en proportion de l'ardeur avec laquelle elles se portent à la
poursuite de la perfection. Alors, Notre Seigneur, touché des efforts pénibles que ces âmes ont
faits pour venir au point où elles sont arrivées, et sachant que sans un secours plus puissant,
elles ne pourraient pas monter plus haut, Notre Seigneur, dis-je, fortifie tellement leur foi, la
rend si lumineuse et répand en même temps dans leur volonté un feu de son amour si vif que
ces âmes, avec un pareil secours, s'appuient moins sur la raison dont la marche leur paraît trop
lente et nullement comparable à celle de la foi qui les porte aussitôt jusqu'à Dieu.
Avant d'être parvenues à cet état, elles avaient besoin d'avoir recours aux discours de
l'intelligence éclairée par la foi, soit pour pénétrer les objets que la foi présente, soit pour
s'exciter aux actes de la volonté, ce qui eût été téméraire d'y renoncer.
Maintenant que la foi leur découvre toutes les vérités de la religion dans un plus grand
jour, et qu'elle leur en fait pénétrer la profondeur, la moindre étincelle suffit pour embraser
leur volonté. Il leur serait préjudiciable de s'arrêter aux raisonnements, par une trop grande
attache à leur ancienne manière d'agir, ou par la satisfaction que l'esprit prend dans ses
propres spéculations, et faute de souplesse à répondre aux mouvements de la grâce, ou parce
qu'elles ne connaissent pas assez les voies de Dieu.
Ceci demande une attention particulière de l'âme qui se sent doucement appelée à
quelque chose de plus parfait ; parce que, si pour quelque raison que ce soit, elle ne se rendait
pas à l'invitation du Seigneur qui l'invite à monter plus haut, elle ne retirerait plus les mêmes
fruits de la méditation, elle n'y trouverait plus la même nourriture. Son oraison dégénérerait en
une étude fastidieuse, et même elle courrait le risque de s'en dégoûter insensiblement et de ne
s'y porter qu'avec répugnance.

51
20

PRATIQUE DE L’ORAISON AFFECTIVE18

Lorsqu'on est dans l'état dont on vient de parler, qui s'appelle l'oraison affective, il
arrive que l'esprit, sans presque aucun travail de sa part, pénètre dans les sujets spirituels bien
plus qu'il ne le faisait auparavant avec l'aide du raisonnement. La volonté, vivement excitée
par un simple souvenir, s'embrase aussitôt et produit d'elle-même, grâce au mouvement de
l'Esprit Saint des actes généreux et fervents. C'est un bois sec, une matière combustible et bien
préparée, qui, au plus léger attouchement d'un corps brûlant, s'enflamme tout à coup et produit
une vive explosion.
Ce n'est pas qu'il faille rejeter le secours du raisonnement dont on a besoin de temps en
temps, surtout au commencement ; il faut même que ceux qui sont en cet état écoutent ou
lisent avec la même attention le sujet d'oraison ; et leur préparation doit être faite comme dans
l'état précédent. Mais, dès que l'âme se présente à l'oraison, en se mettant en présence de
Dieu, sans qu'elle ait eu le loisir de considérer le sujet qu'elle s'était proposé, elle se jette
amoureusement entre les bras du Maître qui la comble de bienfaits. La vue de ses péchés ne
lui inspire plus de trouble, elle ose tout demander pour elle-même et pour les autres.
Quelquefois les mystères de l'Homme-Dieu remplissent l'âme d'admiration. Elle les
considère comme s'ils s'opéraient sous ses yeux : elle adore l’Enfant-Dieu dans sa crèche ou
dans les bras de sa très sainte Mère, elle le suit dans ses voyages, elle écoute les divines
leçons du Sauveur, elle monte après lui sur le Calvaire et recueille avec soin les gouttes de son
sang précieux. Ces divers mystères sont sa plus douce et sa plus continuelle occupation ;
d'autres fois, se mêlant au chant des esprits bienheureux, elle exalte les perfections infinies de
Dieu, devant qui tous les autres êtres sont comme s'ils n'existaient pas.
On éprouve, dans cet état d'oraison, la douce liberté que l'Esprit Saint a coutume de
produire dans les âmes : Où est l'Esprit, là est la liberté (2 Co 3, 17). On peut y suivre l'attrait
de la grâce. Mais comme l'Esprit Saint n'agit pas avec contrainte et qu'il laisse la volonté se
porter librement à ce qu'il y a de plus parfait, il convient de s'attacher surtout à la personne
adorable de notre divin Maître. Cependant, on ne doit pas oublier de rendre son oraison
pratique, en formant des résolutions conformes à l'avancement spirituel.

18
Lettre à Adélaïde de Cicé (29 avril 1787): "Votre manière d'oraison me paraît bonne. Ne vous faites point de peine de ne
pouvoir pas vous attacher à votre sujet de méditation. La chose n'est pas nécessaire ; l'oraison d'affection est meilleure, et
c'est celle que vous faites. Il faut une grande liberté. Faites en sorte que l'oraison vous soit non seulement facile, mais
agréable. Ne vous y gênez pas pour chercher ce que vous devez dire à dieu. Un enfant ne se gêne pas pour parler à son père ni
une épouse pour parler à son époux, ni un pauvre, un malade, pour exposer ses besoins. Représentez-vous Notre Seigneur
dans tel mystère, sous telle qualité qu'il vous plaira, et que votre cœur s'épanche dans le sien. Dans ce degré d'oraison, il faut
une plus grande pureté de cœur que dans celui de la méditation ; et c'est à quoi surtout vous devez vous étudier sans relâche.
Peu à peu votre oraison se simplifiera ; vos affections, maintenant multipliées, se réduiront à une ou deux ; votre action sera
plus douce et moins sensible. Vous agirez moins et Dieu agira davantage."
De même à Etienne Pochard : "Dans l'oraison, sachez vous abandonner un peu à l'Esprit de Dieu ; quand il paraît s'éloigner
de nous, et qu'il vous laisse dans la peine, dans la sécheresse, dans l'ennui, supportez paisiblement son absence. Priez plus du
cœur que de l'esprit. A mesure qu'on avance, la méditation se change en affection, l'affection en repos et en jouissance. La
manière de faire varie selon le progrès de l'âme."

52
21

EFFETS QUE L' ORAISON AFFECTIVE PRODUIT DANS L' ÂME

Les âmes fidèles à faire servir à leur perfection les grâces et les lumières qu'elles
reçoivent dans cette forme d'oraison éprouvent bientôt combien d'avantages y sont attachés.
Leurs vues sont plus étendues, leurs résolutions plus généreuses, leurs progrès plus rapides.
Elles commencent, en cet état, à se revêtir vraiment de Jésus Christ19. Leurs sentiments
deviennent semblables aux siens. Elles ont maintenant horreur des moindres fautes et
admirent la sagesse divine des paroles du Sauveur ; elles y trouvent une manne cachée dont
elles se nourrissent ; ses enseignements les plus élevées et les plus contraires à la nature ne les
effraient plus.
Elles s'étonnent que des chrétiens puissent estimer et goûter autre chose que ce que le
Fils de Dieu leur a montré. Pour avoir avec lui plus de ressemblance et s'unir plus étroitement
à lui, elles s'attachent à sa croix, elles le choisissent pour époux et toute leur ambition serait de
mourir entre ses bras.
Cette conformité de sentiments et d'affections avec notre divin Sauveur est la marque
la plus sûre à laquelle nous puissions reconnaître que ce genre d'oraison est celui qui nous
convient20.

19
La doctrine de Saint Paul affleure partout dans les Considérations. Il s'agit pour le chrétien de "revêtir l'homme nouveau "
(Ep 4,24). "Baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ"(Ga 3, 27). "Revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ" (Rm 13,
14).
20
A Michel Faucheux : "On a la véritable ferveur quand on voit du même regard ce qu'il y a d'agréable et de désagréable,
quand on reçoit également tout ce qui vient de Dieu et que rien de ce qui peut arriver n'est capable d'ébranler la ferme
résolution où nous sommes de lui plaire. Ces dispositions doivent vous rassurer sur vos oraisons ; et vous n'avez rien à
craindre de cette foule de distractions dont votre esprit est alors assailli. Votre volonté n'en reçoit aucun mal ; ce sont des
épreuves, des combats qui servent à l'aguerrir et à l'affermir de plus en plus dans le service de Dieu".

53
22
FAUTES ORDINAIRES DANS CET ÉTAT
ET MOYENS QU’IL FAUT PRENDRE POUR S’EN GARANTIR

Malgré les avantages de l'oraison affective, l'âme encore imparfaite risque de tomber
dans bien des fautes et des imperfections.
La plus courante consiste à se croire plus avancé dans la vertu qu'on ne l'est en réalité.
On s'imagine qu'on est parfait. On prend pour vertu ce qui n'est en nous que l'effet d'une grâce
sensible. On risque de s'attacher aux lumières et aux consolations que l'on reçoit et de
s'attrister lorsqu'on en est privé. On néglige parfois les réflexions, alors qu'on pourrait s'en
servir utilement. Enfin on n'a plus sur soi la même vigilance, et on abandonne trop aisément la
pratique de certains moyens, pensant qu'ils ne sont plus nécessaires à la perfection.
L'esprit de ténèbres fait tous ses efforts pour porter les âmes ferventes à ces sortes de
défauts. Il se travestit en ange de lumière, il suggère de hautes pensées, il procure même des
sentiments de dévotion, il excite à désirer de grandes choses. Et l'âme qui n'a pas encore assez
d'expérience des choses intérieures, et qui ne sait pas discerner les différents esprits, est en
danger de se laisser aller à ces illusions.
Le moyen de nous en préserver est de nous défier de nous-même et de ne pas nous
croire arrivé à la perfection. Il ne faut pas mesurer notre avancement spirituel par l'idée que
nous avons de la sainteté, ni par les sentiments élevés que nous pouvons éprouver, mais par le
soin constant que nous avons à pratiquer l'obéissance, la mortification intérieure et extérieure,
la charité envers le prochain, et toutes les vertus qui sont nécessaires au chrétien.
Veillons aussi à la manière dont nous nous comportons dans l'oraison. Sachons
garder un juste milieu entre le trop et le trop peu d'activité. La grâce nous y porte. Il suffit
d'y répondre, sans se laisser aller à une exaltation simplement naturelle. Un petit nombre
d'actes d'amour et de volonté est préférable. Il est aussi nécessaire d'interrompre quelquefois
ses pensées, pour écouter le Seigneur, quand il commence à se faire entendre par des
inspirations et des bons mouvements21. Enfin, il faut recevoir les dons de Dieu avec un parfait

21
A Adélaïde de Cicé (14 janvier 1789): " Ne vous faites point un travail de l'oraison. C'est un échange de l'âme avec Dieu,
d'un enfant avec son père, d'une épouse avec son époux. Quoi de plus doux, de plus facile pour une âme qui n'est pas
dépourvue d'amour. Mais que votre action soit paisible et ne trouble pas celle de Dieu. Il vaut encore mieux l'écouter lui-
même que de lui parler".
A Etienne Pochard : "Je vous ai dit que dans l'oraison il faut savoir s'abandonner à l'Esprit de Dieu. On prescrit à ceux qui
commencent des méthodes d'oraison qui sont très utiles alors et qu'il leur est avantageux de suivre exactement. En agissant
ainsi, cet exercice est saint. Mais on ne peut pas dire qu'ils s'abandonnent à l'Esprit de Dieu, ils n'en sont pas encore capables.
L'Esprit de Dieu suit leur opération plutôt qu'il ne la dirige. Il n'est pas ainsi dans la suite : lorsqu'il remplit davantage une
âme, lorsqu'il la possède, il veut être maître de son oraison : il éclaire l'esprit, il échauffe le cœur ; il excite quelquefois l'âme
à l'action ; d'autres fois il la tient dans le repos et le silence.
Si l'âme, comme il arrive souvent, veut rester maîtresse de ses opérations, si elle veut substituer son action à celle de
l'Esprit Saint et se l'assujettir plutôt que de lui être assujettie, cette âme se fait à elle-même beaucoup de tort. Elle restera
toujours au premier degré de l'oraison au lieu de s'élever à de plus hautes degrés, où le souffle divin voudrait la porter ; elle
vit toujours en elle-même au lieu de vivre en Jésus Christ.
Le souffle de l'Esprit Saint au-dedans de nous est quelquefois bien délicat ; il faut un esprit attentif pour l'apercevoir, un
cœur bien souple pour en suivre les mouvements. C'est par là que vous parviendrez à établir en vous son règne et à vivre dans
une dépendance continuelle de sa volonté, marque à laquelle l'Apôtre veut qu'on reconnaisse les vrais enfants de Dieu : Ceux
qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu (Rom 8, 14).

54
détachement, et se plaire non dans le don lui-même, mais dans la volonté de Celui qui, dans sa
miséricorde, daigne nous en gratifier.

23

DANS L'ORAISON AFFECTIVE,


ON A SOUVENT DES COMBATS
A SOUTENIR

On ne doit pas être étonné des alternatives presque continuelles de douceurs et


d'aridités, de lumière et d'obscurité qu'on éprouve dans l'oraison affective, ainsi que des
combats que l'ennemi du salut livre à l'âme. On est comme au seuil de la perfection.
L'attachement à soi-même ne redoute rien tant que le renoncement total. Il lutte de tout son
pouvoir contre la grâce, pour retenir ces droits dont il a été jusqu'alors en possession. L'esprit
du mal redouble ses efforts. Les passions, que la douceur des consolations avait, pendant
quelque temps, comme assoupies, se réveillent et agissent avec plus de force ; l'imagination
n'a plus de frein parce qu'elle n'est plus fixée par les lumières dont l'âme était auparavant
inondée. Elle représente à l'esprit une foule de difficultés dans la poursuite de la perfection,
qui semblent la rendre impraticable. On ne voit plus rien ; on ne sent plus rien dans l'oraison ;
on voudrait retourner à l'usage de la méditation, mais toutes les réflexions qu'on s'efforce de
faire sont sans goût et ne font aucune impression sur l'esprit. Aucune vérité ne touche.
L'âme tout entière est dans le trouble et la confusion : la mémoire est remplie de
choses inutiles et souvent extravagantes, qu'on croyait être depuis longtemps effacées de
l'esprit. L'intelligence est sans pénétration pour les choses de Dieu ; la volonté est comme
dans un état d'indifférence. Ces épreuves sont plus fortes que celles qu'on a souffertes
auparavant, parce que l'âme est plus en état de les supporter. Dieu se retire en quelque sorte
des facultés de l'âme. Il n'occupe plus alors que ce que les auteurs mystiques appellent la
pointe de l’esprit, le sommet de l'âme. Dieu veut que l'âme s'y retire avec lui, et qu'elle
apprenne à opérer d'une manière plus spirituelle et plus intime.
Ceux qui se trouveraient dans ce trouble et cette agitation intérieure ne doivent pas se
laisser aller à l’abattement, ni perdre leur confiance dans la miséricorde infinie de Dieu et les
mérites de Notre Seigneur. Ils se persuaderont que ce qu'ils éprouvent n'est pas en eux un effet
de leur volonté, et donc ne peut en aucune manière souiller leur âme, tant qu'ils n'y donneront
pas de consentement. Ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour se rapprocher de Dieu.
Qu'ils soient plus dociles que jamais aux avis de leur accompagnateur. Les conseils qu'ils
pourront en recevoir sont plus importants que tous les doutes et les craintes que le sentiment
de leur misère produit en eux.
Qu'ils aient grand soin de s'avancer de plus en plus dans l'humilité, car c'est le
principal but du Seigneur en permettant ces épreuves ; qu'ils opposent aux tentations les actes
contraires ; qu'ils s'appliquent en tout temps aux vertus solides ; qu'ils s'attachent uniquement

55
à la volonté de Dieu, qui est aussi adorable et digne d'amour lorsqu'elle permet ces tempêtes
qui agitent l'âme que lorsqu'elle y fait régner le calme et la paix.
S'ils sont fidèles à faire usage de ces moyens, ils sortiront de leurs angoisses. Ils
arriveront peu à peu s'établir dans une région supérieure, non seulement aux sens, mais encore
aux facultés raisonnables, dans une région où la foi seule règne et où Dieu, dans le calme et
dans la paix, fait sentir sa présence, même au milieu des orages, des tempêtes et des tentations
de toute espèce.

56
24

MARQUES AUXQUELLES ON PEUT CONNAITRE QU’IL FAUT


PASSER A L’ORAISON DE RECUEILLEMENT

De nouvelles grâces sont la récompense des âmes fidèles à répondre aux desseins de
Dieu. Les consolations et les épreuves par lesquelles le Seigneur les fait successivement
passer dans ce degré d'oraison servent à leur sanctification. Leur vertu devient de jour en jour
plus solide : elles sont comme imperceptiblement élevées à un état plus parfait. Leur amour,
quoique plus vif, n'a plus le même attrait, parce qu'il est plus éclairé. Ils voient clairement que
ce n'est pas la multiplicité ni la variété de leurs actes qui les rendent plus agréables à Dieu. Ils
comprennent que plus les actes sont simples, plus ils sont parfaits, plus ils mettent l'âme dans
ce calme en lequel Dieu se plaît à agir. Ainsi des lumières, une plus grande connaissance des
voies intérieures, leur montrent l'inutilité de leurs efforts. De même, l'épuisement où ils sont,
et une sorte d'incapacité où ils se trouvent de faire ce qu'ils faisaient auparavant avec facilité,
les portent à recueillir intérieurement leurs forces. Ils évitent de multiplier les actes, ils n'ont
plus pour eux le même attrait. Ils contribueraient plutôt à les dissiper qu'à les approcher de
Dieu, en les empêchant de suivre la conduite de l'Esprit Saint.
Quand des âmes qui se sont exercées jusqu'alors à l'oraison affective reconnaissent en
elles-mêmes ces marques, elles peuvent penser qu'elles sont appelées à l'oraison de
recueillement ; et si elles persistaient à ne pas coopérer à l'attrait qui les y porte, elles
résisteraient à l'Esprit Saint et elles se nuiraient grandement à elles-mêmes.

25

L'ORAISON DE RECUEILLEMENT
OU DE SIMPLE VUE22

Dans l'oraison de recueillement, les facultés de l’âme agissent, mais leur action est
moins distincte, plus intime, plus dégagée des sens, que dans les oraisons précédentes (oraison
affective). Cette action consiste surtout à se rappeler la présence du Seigneur, que l'âme

22
"La plupart du temps, quand je commence ma prière, je me trouve grandement recueilli avec le sentiment de la présence de
Dieu au-dedans de moi ; et si je voulais employer l'intelligence à considérer le sujet préparé, cela ne ferait que me distraire et
réellement je ne serais pas capable d'en tirer de pieuses pensées ou de ferventes affections. Ainsi ma volonté et mon
intelligence sont occupées en présence de leur Seigneur, mais d'une douce et silencieuse manière, sans multiplicité de pensées
ou d'actes, bien que quelquefois aussi, et spécialement vers la fin, l'intelligence soit remplie de lumières et la volonté de
fervents désirs et de résolutions." (Clorivière - Compte de conscience du 29/06/1769)

57
cherche au dedans d'elle-même, à chasser doucement toute pensée qui pourrait la distraire de
Celui qu'elle aime uniquement. On est encore attentif au sujet de la méditation, parce qu'il
aide au recueillement. La mémoire se le rappelle, l'intelligence le considère, la volonté s'y
attache. Mais tout cela se fait presque imperceptible- ment : un coup d'œil suffit d'ordinaire.
Ce qui fait qu'on donne aussi à cette oraison le nom de simple vue.
Il serait inutile de vouloir analyser le sujet de l'oraison et de l'approfondir pour en faire
des applications. On le voit dans son entier et sans s'arrêter à rien en particulier. On le voit
mieux qu'on ne pourrait le faire à l'aide de recherches plus détaillées. Tout s'offre ensemble à
l'âme d'une manière confuse, qui ne la distrait pas de son application à la présence de Dieu.
Les actes de la volonté sont simples comme ceux de l'intelligence. L'âme se tient
d'ordinaire en silence devant Dieu, mais c'est un silence amoureux, dans lequel elle dit tout.
Par ce silence, et sans actes distincts, elle dit à Dieu qu'elle l'aime, qu'elle l'adore, qu'elle
l'admire, qu'elle est prête à tout faire, à tout donner pour son amour. Elle lui demande tout,
sans préciser. Elle lui rend l'hommage le plus profond qu'une créature puisse offrir à la
Majesté divine. Elle voit que tout ce qu'elle pourrait dire ou faire serait indigne d'elle et
n'aurait aucune proportion avec sa grandeur.
Ce silence est quelquefois accompagné d'une grande douceur : l'âme s'y repose en
Dieu qui lui fait sentir sa présence23. Elle vit ce silence sans inquiétude.
Mais souvent, dans ce silence, loin de toute douceur, on ne sent rien des
transformations profondes que la grâce accomplit pendant ce temps. La foi seule soutient
alors la présence de Dieu, et dans ce cas, l'amour qui l'accompagne est un amour crucifié ou
du moins si spiritualisé que les sens n'y ont aucune part. C'est alors que cette oraison est
meilleure et plus méritoire ; mais l'âme y souffre beaucoup, parce que, d'un côté, elle craint
d'être dans l'inaction, et que, de l'autre, les efforts qu'elle fait pour produire des actes sont
inutiles. De plus, l'imagination, qui n'est plus occupée par un goût sensible, s'égare sur toutes
sortes d'objets.
Ceux qui pensent être dans cet état d'oraison auront soin d'examiner si ce qu'on dit ici
leur convient. Sinon ils pourraient se tromper, en s'appliquant vainement à une oraison qui ne
serait pas faite pour eux.
Au contraire, si cette oraison de recueillement leur convient, qu'ils ne l'abandonnent
pas par fausse crainte, ce qui leur causerait un grand dommage pour leur avancement. Qu'ils
persévèrent avec courage dans ce repos spirituel qu'elle demande, même s'ils ne sont soutenus
par rien de sensible.

23
Cette présence sentie est la première touche mystique qui prépare l'âme à l'oraison passive de quiétude.

58
26

VERTUS QUI SE PRATIQUENT


DANS CETTE ORAISON

Pour se maintenir dans l'oraison de recueillement, malgré les peines dont on vient de
parler, on a besoin d'être convaincu qu'elle demande une grande humilité, un abandon et une
conformité parfaite à la volonté divine, et donc la mort à soi-même. En effet, si on réfléchit
aux dispositions qu'il faut avoir pour vivre cette oraison avec quelque perfection, on
comprendra que l'âme doit se dépouiller de tout. Et après avoir tout quitté, elle doit se quitter
en quelque sorte elle-même24. Elle doit consentir à ce que ses facultés demeurent en partie
privées de leurs opérations naturelles. Il faut aussi qu'elle se détache de certains moyens qui
auparavant l'avaient soutenue et l'avaient fait avancer dans la vertu. Tout cela est très pénible
pour un grand nombre d'âmes qui ne sont pas tout à fait mortes à elles-mêmes.
Cet état demande de plus un recueillement habituel, un soin continuel de maîtriser25
les sens et de modérer, d'étouffer toutes les émotions de joie, de crainte, de désir et de
tristesse, qui ne viendraient pas de Dieu et ne se rapporteraient pas à Dieu ; enfin une fidélité
constante à recevoir et à suivre les inspirations divines, même si elles portent aux sacrifices
héroïques les plus contraires aux inclinations de la nature.

27

IL FAUT SUIVRE LIBREMENT ET AVEC DOUCEUR


LES BONNES PENSÉES
QUI VIENNENT PENDANT L'ORAISON

L'oraison de recueillement consiste principale-ment dans cette attention apportée à la


présence de Dieu au-dedans de soi, que l'on découvre par une lumière surnaturelle, ou par un
sentiment intérieur, ou seulement par une foi obscure et nue. Même dans ce dernier cas, où les
facultés semblent libres d'agir, on conseille à ceux qui sont parvenus à ce degré d'oraison de
ne pas abandonner cette attention paisible et silencieuse à la présence de Dieu.

24
Surin : Les "vrais contemplatifs, extrêmement dégagés d'eux-mêmes et du monde", sont rares, parce qu'il y a "peu de gens
qui s'adonnent à la parfaite mortification".
25
Texte original : mortifier

59
Mais cette attention ne doit pas être contrainte. Multiplier des actes ne pourrait que les
troubler et les distraire. S'il leur survient spontanément quelque bonne pensée sur laquelle leur
esprit se porte de lui-même, si leur volonté est touchée de quelque pieux sentiment, surtout si
cette pensée et ce sentiment concernent la personne adorable de l'Homme-Dieu ou sa très
sainte Mère, il faut se garder de les rejeter. Qu'ils s'en occupent doucement et librement ; ils
reconnaîtront par expérience que cette manière libre d'agir rendra leur recueillement plus
profond.
II arrivera même quelquefois que leur pensée soit éclairée et leur volonté embrasée,
sans que l'âme s'y soit disposée par un effort de sa part. Alors ils se trouveront plongés dans
ce recueillement passif dans lequel consiste le premier degré de la contemplation qui est
l'effet de l'opération divine.

60
28

IL NE FAUT PAS CONFONDRE


LE VERITABLE RECUEILLEMENT
AVEC L'INACTION NATURELLE

Le repos des facultés de l'âme est une très bonne oraison. Mais on peut la confondre
avec une simple inaction naturelle qui, elle, cause une perte de temps nuisible car ces deux
choses se ressemblent.
C'est pourquoi ceux qui sont ou qui croient être parvenus à l’oraison de recueillement,
doivent faire très attention aux point suivants pour les aider à se préserver des illusions.
Dans l'oraison de recueillement, comme dans d'autres beaucoup plus élevées, les âmes
ne sont pas maintenues en permanence dans ce degré d'élévation. Dieu, pour les éprouver,
permet parfois qu'elles reviennent à leur premier état et qu'elles aient alors besoin de réfléchir
et de produire des actes de volonté. Dans ce cas, les âmes vraiment humbles n'ont pas de
peine à reconnaître l'impuissance où elles sont de s'appliquer à l'oraison de recueillement.
Alors elles s'exercent de bon cœur à la méditation ou à l'oraison affective. Au contraire, celles
qui n'ont pas la même humilité craignent de descendre de leur élévation. Alors, n'étant plus
secondées de la grâce, qui seule peut les y soutenir, elles tombent dans une simple inaction et
la prennent pour le véritable repos de l'oraison.
De plus, il faut savoir que l'inaction est souvent l'effet et la punition du peu de
préparation à l'oraison. Lorsqu'on n'a pas eu assez de soin de veiller à la garde des sens et du
cœur ; lorsqu'on commence à se relâcher de sa ferveur et que cependant on croit toujours
pouvoir s'appliquer à l'oraison de recueillement à laquelle on était parvenu, on y porte ses
distractions et ses désirs peu réglés ; et comme on ne fait aucun effort pour susciter de bonnes
pensées et de saints désirs il arrive que tout le temps de l'oraison se passe dans des inutilités.
Au contraire, le recueillement, et le repos des puissances, est toujours le fruit et la
récompense d'une grande vigilance sur soi-même et du soin continuel qu'on a de se mortifier.
L'esprit et le cœur, purifiés de tout ce qui pourrait les empêcher d'aller à Dieu, se fixent et se
reposent en lui.
Il faut surtout considérer qu'il y a une grande différence entre la manière d'être de
l'âme, lorsqu'elle est dans le repos surnaturel de l'oraison et lorsqu'elle est dans une inaction
simplement naturelle.
Dans le repos spirituel, Dieu ne laisse jamais l'âme sans témoignage de sa présence,
même si cette présence n’est pas toujours bien distincte. En effet, souvent Dieu ne se laisse
apercevoir à l'âme que comme dans le lointain, dans la pointe de l'esprit et le fond de l'âme.
Mais quand l'esprit est attentif à ne pas perdre cette vue, quoique faible, de Dieu, il se tient en
garde contre son imagination et essaie de la maîtriser. De son côté, la volonté fait également
des efforts pour ne chercher de satisfaction qu'en Dieu et pour rejeter toutes les suggestions
que la nature ou le démon lui présentent pour l'empêcher de s'attacher à Dieu.

61
Au contraire, quand l'âme est dans l'inaction, elle ne jouit pas de Dieu, parce qu'elle ne
se donne pas la peine de le chercher et que Dieu ne s'offre à elle en aucune manière. L'âme se
trouve alors, par sa faute, insensible à cette privation de la présence de Dieu. Elle ne résiste
que faiblement aux pensées et aux imaginations étrangères dont elle est assaillie ; ce qui la
met en danger de tomber dans les pièges de l'ennemi.
Dernière remarque : l'âme sort du véritable recueillement pleine d'une nouvelle
vigueur qu'elle a puisée dans son oraison, au lieu que l'inaction la laisse tout aussi faible, aussi
lâche qu'elle l'était auparavant.

62
29

GRANDS BIENS QUE PROCURE


L' ORAISON DE RECUEILLEMENT

Les personnes qui sont parvenues à cet état doivent se rassurer. En effet, l'oraison de
recueillement tient comme le milieu entre l'état actif et passif et participe à la nature de
l'un et de l'autre. Par elle, l'âme se trouve enrichie de grands biens.
Ces biens sont d'abord une paix profonde dont l'âme jouit au dedans d'elle-même, au
milieu des troubles extérieurs qui pourraient l'agiter. Cette paix lui fait découvrir aussitôt et
supprimer avec douceur tout ce qui peut lui causer quelque émotion. Ensuite, elle arrive à
dominer facilement ses passions, sauf dans des temps d'épreuve et de tentations violentes où il
est nécessaire qu'elle fasse de grands efforts pour les contenir dans le devoir.
Autre effet de l'oraison de recueillement : la suppression de cette activité naturelle, qui
fait que le commun des hommes, même vertueux, agissent presque toujours selon leur
premier mouvement et ne donnent pas le temps à la grâce d'influer sur leurs actions
ordinaires. De même l'oraison de recueillement se caractérise par un souci continuel de veiller
sur soi-même et sur tous les sens, pour ne leur accorder que des satisfactions tout à fait
convenables, et surtout, en ce qui concerne le cœur, on ne lui permet que les désirs qui sont
conformes à la droite raison c'est-à-dire selon la volonté divine
Le recueillement donne un sentiment de Dieu bien plus parfait que celui qui naît de
toutes les considérations que l'on produit ordinairement. Il fait naître un désir pur et vif de
contracter l'union la plus intime avec l'Homme-Dieu, de n'avoir plus d'autres sentiments que
ceux de son divin Cœur et de se transformer parfaitement en lui.
A ce désir se joint une dévotion intime, spirituelle, envers la sainte Vierge, Mère de
Dieu, comme le moyen le plus efficace pour obtenir son aide. Enfin une grande dépendance
de l'Esprit Saint dans toutes nos opérations, soit intérieures, soit extérieures.
Les personnes pratiquant l'oraison de recueillement pourront sûrement reconnaître à
ces différents signes si leur oraison est véritable et si elles y ont fait des progrès.

63
30

VERTUS QUI DOIVENT ACCOMPAGNER L’ORAISON DE


RECUEILLEMENT
ET DANGER QU’IL FAUT EVITER

Ceux qui reconnaîtraient en eux ces précieux effets de l'oraison de recueillement et de


simple vue auront le plus grand soin de les conserver par les moyens dont ils se sont servis
pour les acquérir : une fidélité constante à la grâce, une mort continuelle aux choses
extérieures, c'est-à-dire la mortification26, l'humilité et l'amour de la croix27. Ils accomplissent
tous les devoirs que leur état et l'obéissance leur prescrivent. En plus de l'exercice fréquent de
l'oraison, on les exhorte à consacrer à l'oraison tout le temps que leur emploi et la charité
laissent à leur disposition.
Mais la tentation la plus dangereuse pour eux serait de croire que dans l'état où ils sont
parvenus, ils n'ont plus rien à craindre, et qu'ils n'ont plus le même besoin de veiller et de
combattre, et qu'ils peuvent se dispenser des actes et des prières essentielles à tout chrétien.
Une pareille illusion ne pourrait venir que de l'esprit d'orgueil et du père du mensonge. La
lumière de Dieu, lors même qu'elle nous découvre les dons de Dieu qui sont en nous, y
produit un sentiment bien différent : elle nous les montre comme un pur effet de la
miséricorde du Seigneur et elle nous fait voir en même temps nos ingratitudes, les fautes sans
nombre que nous commettons, l'imperfection de nos vertus, celles qui nous manquent, les
combats que nous avons encore à soutenir, le besoin pressant et continuel que nous avons du
secours divin et le danger que nous courons à tout moment de tomber dans le péché.
Il est vrai qu'on n'a plus, en général, à surmonter les mêmes difficultés, les mêmes
répugnances. Une longue suite de combats et de victoires nous en a déli-vrés ; mais plus on
approche de Dieu, plus on aperçoit en soi des taches dont il faut se purifier.
L'idée plus parfaite qu'on conçoit alors de la sainteté fait connaître qu'on a fait
vers elle à peine les premiers pas et qu'il reste encore bien des obstacles à vaincre.
Obstacles qui proviennent de la résistance des passions, dont le germe est toujours en nous et
pousse sans cesse de nouveaux rejetons lorsqu'on s'y attend le moins ; de notre imagination,
dont on n'est jamais parfaitement le maître ; de la part des hommes, qui font une guerre
ouverte aux âmes intérieures, à celles qui cherchent la perfection ; de la part des puissances de
l'enfer, qui mettent en œuvre toutes sortes de ruses pour empêcher ou retarder nos progrès

26
Texte original : abnégation.
27
A des religieuses : "Vous êtes destinées à suivre l'Agneau, à l'imiter dans les exemples de vertu qu'il a laissés. Une vertu
commune et ordinaire pourrait-elle lui être agréable ? Un roi n'est-il pas mécontent de ses enfants s'ils ne s'imprègnent pas
d'un esprit conforme à leur haute naissance ? Il remarque en eux les moindres souillures et ce qui paraîtrait une simple
imperfection chez les autres hommes est en eux une offense grave pour lui. La moindre froideur dans une épouse tendrement
aimée perce le cœur de son époux. Le Roi suprême,qui a répandu sur vous tant de faveurs et vous a donné des marques si
particulières de sa tendresse ne sera-il pas grandement irrité contre vous si ces grâces sont octroyées en vain et ne suscitent
pas en vous le dessein de tendre à la perfection. Soyez saints car je suis saint, Soyez parfaits comme votre Père céleste est
parfait (Lv 19, 2 ; Mt 5,48). Toute négligence en vous serait très désagréable à lui qui vous a choisies pour ses épouses, à lui
dont le regard pur et perçant pénètre au fond du cœur et ne peut supporter la moindre tache".

64
dans l'oraison. Ces obstacles viennent enfin de la part de Dieu même, qui souvent, pour
éprouver notre fidélité et nous faire mériter davantage, nous plonge dans des obscurités, dans
des peines, dans des abîmes qui font frémir la nature : de sorte qu'il semble alors à l'âme que
tout est perdu pour elle et qu'elle est devenue semblable au démon…

65
31

RÈGLEMENT DRESSÉ PAR


M. BOSSUET POUR CEUX QUI SONT DANS L’'ORAISON DE
RECUEILLEMENT28

A ce que nous venons de dire sur l'oraison de recueillement lorsqu'elle est parvenue à
un certain degré de perfection, nous croyons devoir ajouter l'excellente instruction que le
savant évêque de Meaux, M. Bossuet, a composée pour le monastère de la Visitation de cette
ville, en faveur des religieuses que le Seigneur appelait à cet état d'oraison. Tous ceux qui y
sont appelés, trouveront dans cette instruction d'un prélat, si connu pour la grandeur et la
pureté de sa doctrine, des règles sûres qui les rassureront contre les appréhensions qu'ils
pourraient avoir.

Moyen court et facile pour faire l’oraison de foi et de simple présence de Dieu, par
M..Bossuet, évêque de Meaux.

1° II faut s'accoutumer à nourrir son âme d'un simple et amoureux regard en Dieu et en
Jésus Christ Notre-Seigneur, et pour cet effet il faut la séparer doucement du raisonnement, du
discours et de la multitude des élévations, pour la tenir en simplicité, respect et attention, et
l'approcher ainsi de plus en plus de Dieu, son unique souverain bien, son premier principe et
sa dernière fin.
2° La perfection de cette vie consiste en l'union avec notre souverain bien. Plus la
simplicité est grande, plus l'union est parfaite. La grâce permet à ceux qui veulent être parfaits
de se simplifier, pour être enfin rendus capables de la jouissance de l'Unique nécessaire, c'est-
à-dire de l'Unité éternelle. Disons donc souvent du fond du cœur :
« O Unique nécessaire ! c'est vous seul que je désire, que je veux, que je cherche !
Vous êtes mon Dieu et mon tout ! »
3° La méditation est bonne et utile au commencement de la vie spirituelle ; mais il ne
faut pas s'y arrêter, puisque l'âme, par sa fidélité à se mortifier et à se recueillir, reçoit une
oraison plus pure et plus intime, que l'on peut nommer de simplicité. Celle-ci consiste dans
une simple vue, regard ou attention amoureuse soit vers Dieu lui-même ou quelqu'une de ses
perfections, soit vers Jésus Christ ou l'un de ses mystères, ou vers d'autres vérités chrétiennes.
L'âme, quittant donc le raisonnement, entre dans une douce contemplation qui la tient
paisible, attentive et prête à recevoir les opérations et impressions divines que le Saint-Esprit
lui communique. Elle fait peu et reçoit beaucoup ; son travail est doux et néanmoins
fructueux, parce qu'elle approche de la source de toute lumière, de toute grâce et de toute
vertu.

28
Ce texte attribué à Bossuet, vient en réalité d'un auteur inconnu.

66
4° La pratique de cette oraison doit commencer dès le réveil, en faisant un acte de foi
en la présence de Dieu, qui est partout, et de Jésus Christ, dont les regards ne nous quittent
jamais. Cet acte intérieur est produit d'une manière ordinaire, par exemple : Je crois que mon
Dieu est en moi ; ou c'est un simple souvenir de foi en, Dieu présent qui se passe d'une
manière pure et spirituelle.
5° Ensuite il ne faut pas multiplier des actes différents, mais demeurer simplement
attentif à cette présence de Dieu, exposé à ses divins regards. On garde ainsi cette attention
tant que Notre Seigneur nous en fera la grâce, sans chercher à faire autre chose. Cette oraison
est une oraison avec Dieu seul, et une union qui contient toutes les autres attitudes
particulières et qui dispose l'âme à la passivité. Ainsi Dieu devient le seul maître de son
intérieur et il la sanctifie beaucoup plus qu'à l'ordinaire. Moins la créature travaille, plus Dieu
opère puissamment. Et puisque l'opération de Dieu est un repos, l'âme lui devient donc en
quelque manière semblable en cette oraison et y reçoit aussi des effets merveilleux. Et comme
les rayons du soleil font croître, fleurir et fructifier les plantes, ainsi l'âme, qui est attentive et
exposée tranquillement aux rayons du divin soleil, en reçoit des grâces, qui l'enrichissent de
toutes sortes de vertus.
6° La continuation de cette attention dans la foi lui permettra de remercier Dieu des
grâces reçues pendant la nuit, et pendant la journée, elle deviendra une offrande de soi-même
et de toutes ses actions, etc…
7° L'âme s'imaginera perdre par l'omission de plusieurs actes différents. Mais
l'expérience lui fera connaître qu'au contraire elle y gagne beaucoup : plus la connaissance
qu'elle aura de Dieu sera grande, plus son amour sera pur, ses intentions droites, son aversion
pour le péché forte, son recueillement, sa mortification et son humilité continuelles.
8° Cela ne l'empêchera pas de produire quelques actes de vertus, intérieurs ou
extérieurs, quand elle s'y sentira portée par le mouvement de la grâce ; mais le fond et
l'ordinaire de son intérieur doit être son attention de foi et son union avec Dieu, qui la tiendra
abandonnée entre ses mains et livrée à son amour, pour faire en elle toutes ses volontés.
9° Le temps de l'oraison venu, il faut la commencer, avec un grand respect, par le
simple souvenir de Dieu, invoquant son Esprit et s'unissant intimement à Jésus Christ, puis la
continuer de la même façon. Il en sera de même pour les prières vocales, l'office divin, la
sainte Messe. De même pour l'examen de conscience, puisque cette même lumière de la foi,
qui nous tient attentifs à Dieu, nous fait découvrir nos moindres imperfections et en concevoir
un grand regret. Il faut aussi aller au repas avec le même esprit de simplicité, qui nous tiendra
plus attentif à Dieu qu'au manger. Cette pratique nous aidera à tenir notre âme détachée de
toutes les imperfections, et attachée à Dieu, unie intimement à lui, lui qui est tout notre bien.
10° II faut se distraire avec la même disposition, pour donner au corps et à l'esprit
quelque soulagement, sans se dissiper par la curiosité envers des nouvelles inutiles, par des
conversations futiles, des paroles indiscrètes, etc… Essayer de se garder pur et libre dans
l'intérieur, sans gêner les autres ; s'unir à Dieu fréquemment par des retours simples et
amoureux ; se souvenir qu'on est en sa présence et qu'il ne veut pas qu'on se sépare à aucun
moment de lui et de sa sainte volonté. C'est la règle la plus ordinaire de cet état de simplicité.
C'est la disposition essentielle de l'âme : faire la volonté de Dieu en toutes choses, voir tout
venir de Dieu et aller à Dieu à partir de tout. C'est ce qui soutient et fortifie l'âme en toutes
sortes d'événements et d'occupations, et ce qui nous maintient dans la paix. Suivez donc
toujours la volonté de Dieu, et l'exemple de Jésus Christ. Soyez unis à lui comme à notre chef.
C'est un excellent moyen de progresser dans d'oraison, et de tendre par elle à la plus solide
vertu et à la plus parfaite sainteté.

67
11° On doit se comporter de la même façon et avec le même esprit, et se garder dans
cette simple et intime union avec Dieu, dans toutes ses actions, au travail, dans la chambre, au
souper, à la récréation. A quoi il faut ajouter que dans tous les entretiens, on doit tâcher
d'édifier le prochain, en profitant de toutes les occasions de se porter les uns les autres à la
piété, à l'amour de Dieu, à la pratique des bonnes œuvres, pour être la bonne odeur de Jésus
Christ. Si quelqu'un parle, dit saint Pierre, que ce soit des paroles de Dieu (1 P 4, 11), et
comme si Dieu même parlait par lui. Il suffit pour cela d'être uni à son Esprit ; il vous dictera
en toutes rencontres ce qui convient, tout en restant naturel. Enfin, on finira sa journée avec
cette sainte présence dans l'examen, la prière du soir, le coucher, et on s'endormira avec cette
attention amoureuse. On pourra entrecouper son repos de quelques paroles ferventes quand on
se réveille pendant la nuit, comme autant de traits et de cris du cœur vers Dieu ; par exemple :
Mon Dieu, soyez mon tout. Je ne veux que vous pour le temps et pour l’éternité. Seigneur, qui
est semblable à vous ? Mon Seigneur et mon Dieu. Mon Dieu et mon tout.
12° II faut remarquer que cette vraie simplicité nous fait vivre dans une continuelle
mort et dans un parfait détachement, parce qu'elle nous fait aller à Dieu avec une parfaite
droiture, sans nous arrêter à aucune créature. Mais ce n'est pas par raisonnement qu'on obtient
cette grâce de simplicité ; c'est par une grande pureté de cœur, et par une vraie mortification et
le mépris de soi-même. Quiconque a peur de souffrir, de s'humilier, et de mourir à soi, n'y
arrivera jamais. C'est la raison pour laquelle il y en a si peu qui y parviennent, parce que
presque personne ne veut se quitter soi-même, faute de quoi on perd beaucoup et on se prive
des biens les plus élevés. Heureuses sont les âmes qui n'épargnent rien pour être pleinement à
Dieu ! Heureuses les personnes qui pratiquent fidèlement toutes leurs observances, selon leur
institut ! Cette fidélité les fait mourir constamment à elles-mêmes, à leur propre jugement, à
leur propre volonté, inclinations et répugnances naturelles, et les dispose ainsi d'une manière
admirable, mais secrète, à cette excellente sorte d'oraison. Car qu'y a-t-il de plus caché qu'un
religieux et une religieuse qui suit en tout les observances et les exercices communs de sa
communauté, ce qui, en soi, n'a rien d'extraordinaire, et qui néanmoins consiste dans une mort
continuelle et totale ? Par cette voie, le royaume de Dieu s'établit en nous et tout le reste nous
est donné abondamment.
13° II ne faut pas négliger la lecture des livres spirituels ; mais il faut lire avec
simplicité et en esprit d'oraison, et non pas par une recherche curieuse. Quand on lit de cette
façon, on laisse imprimer dans son âme les lumières et les sentiments que la lecture nous
découvre, et cette impression se fait plutôt par la présence de Dieu que par nos efforts.
14° II faut, en plus, être attentif à trois points. Le premier est qu'une personne croyante
mais sans oraison, est un corps sans âme. Le second, qu'on ne peut avoir d'oraison solide et
vraie sans sacrifices29, sans recueillement et sans humilité. Le troisième, qu'il faut de la
persévérance, pour ne jamais se décourager dans les difficultés qui s'y rencontrent.
15° II ne faut pas oublier qu'un des plus grands secrets de la vie spirituelle est que le
Saint-Esprit nous y conduit, non seulement par les lumières, douceurs, consolations,
tendresses et facilités, mais encore par les obscurités, angoisses, tristesses, révoltes des
passions et des désirs. Bien plus, cette voie crucifiée est nécessaire, elle est bonne, elle est la
plus assurée et elle nous fait arriver beaucoup plus tôt à la perfection. L'âme éclairée estime à
sa vraie valeur la conduite de Dieu, qui permet qu'elle souffre de la part des hommes, qu'elle
soit accablée de tentations et de délaissements ; et elle comprend que ce sont des faveurs
plutôt que des disgrâces, aimant mieux mourir dans les croix sur le Calvaire que de vivre dans
les douceurs sur le Thabor. L'expérience lui fera connaître, avec le temps, la vérité de ces

29
"mortification".

68
belles paroles : La nuit est ce qui m'éclaire et me remplit de délices; ma nuit n'a rien d'obscur,
tout y est pour moi une lumière resplendissante (Ps 138, 11).
Après la purification de l'âme par des souffrances, où il faut nécessairement passer,
viendra l'illumination, le repos, la joie dans l'union intime avec Dieu, qui lui fera de ce monde
un petit paradis bien qu'il soit en réalité un exil. La meilleure oraison est celle où l'on
s'abandonne le plus aux sentiments et aux dispositions que Dieu même met dans l'âme, et où
l'on essaie avec simplicité, humilité et fidélité, de se conformer à sa volonté et aux exemples
de Jésus Christ.

69
32

IL NE FAUT PAS DÉSIRER


DE SOI-MÊME L’ORAISON PASSIVE30

II semble que les âmes qui se sont maintenues avec courage dans l'exercice de
l'oraison de recueillement, surtout si leur conduite a été telle que le demandent les conseils
que nous venons de donner, pourraient se flatter d'avoir fait tout ce qui dépend d'elles pour se
disposer à l'oraison passive, à cette oraison où l'esprit humain cesse d'agir pour faire place à
l'opération de l'Esprit divin. Cependant même si une âme est en cet état, ce dont elle ne peut
jamais être pleinement assurée, elle ne peut pas se permettre de désirer cette sorte d'oraison, ni
pour progresser, ni pour se procurer les consolations ; encore moins devrait-elle essayer d'y
parvenir par ses propres moyens. De pareils désirs et de tels efforts dénoteraient en elle un
orgueil secret. Ils l'exposeraient évidemment à devenir le jouet des illusions les plus
grossières. Tant qu'elle serait dans cette disposition, non seulement elle ne parviendrait pas à
ce qu'elle désire, mais elle perdrait infailliblement l’état auquel elle était parvenue31.
On ne saurait être trop en garde contre ce défaut. Ceux donc qui, par la grâce du
Seigneur, ont fait quelque progrès dans l'exercice de l'oraison, doivent remercier pour les
grâces qu'ils ont reçues, et ne rien négliger pour les faire servir à leur perfection. Qu'ils se
regardent comme tout à fait indignes de celles qui ne leur ont pas été accordées. Ils doivent
être persuadés que, s'ils sont humbles et souples aux mouvements de la grâce, le Seigneur les
conduira toujours par la voie la plus sûre et la plus sainte pour eux, et qu'ils ne doivent pas en
désirer une autre. Dieu seul peut les élever à l’oraison passive ; c'est une grâce qu'il fait à
qui lui plaît, sans que personne ait droit de se plaindre de ne pas en être favori-sé ;

30
Dans ce chapitre, l’auteur se montre particulièrement prudent. Pourtant lui-même répondra, en 1799, à un prêtre de la
Société qui semblait répugner à ces sortes de grâces : "Il ne faut ni désirer ni craindre ces sortes de voies… Il faut les
examiner… Prétendons-nous assujettir l’Esprit de Dieu à suivre la route commune ? Parmi les saints… il en est bien peu qui
n’aient pas eu connaissance expérimentale de ces voies extraordinaires".
Sur ce sujet, les avis sont partagés. Beaucoup de spirituels insistent sur le désir que le Seigneur a de communiquer au plus
grand nombre la plénitude de ses richesses. Sainte Angèle de Foligno : "Tous ceux qui viendront en ta présences seront
comblés à la mesure de l’amour qu’ils auront pour Toi, et seul l’amour vrai ouvre le regard de la contemplation". Jean de
Saint-Samson (Les merveilles du Saint Sacrement) : "L’amour ne se lasse pas. L’amour vrai ne dit jamais : Assez ! C’est
l’homme qui se limite, se contente souvent de très peu. Laissez-vous donc aiguillonner par les traits vigoureux que l’Amour
vous envoie pour vous rendre amoureux de Lui. Aimez Celui qui vous a éternellement aimé ; aimez-le activement, par une
continuelle tension de votre être".
Ajoutons que la frontière entre actif et passif n’est pas nette et que la vie passive comporte une infinité de degrés. Le
Seigneur l’accorde souvent, dans ses formes les plus modestes à des personnes qui le servent très fidèlement, même si elles
n’en ont qu’à peine conscience. On peut noter dans ce sens, par exemple, un goût très fort de l’Eucharistie et de la prière
prolongée, un grand progrès en différentes vertus, une vie d’apostolat et de charité, etc…
31
"Quant à la personne dont vous me parlez, ce que vous m'en dites est très bon et très propre à rassurer sur son état. Il n'est
pas dans l'ordre commun. C'est l'entrée aux voies passives de l'oraison. Dieu y fait entrer qui il lui
plaît ; l'âme ne doit point s'y ingérer d'elle-même, mais elle ne doit point résister à l'action de Dieu qui l'y attire puissamment.
Cela peut tourner à sa gloire et au bien de l'âme, et il paraît que cet état n'a produit que d'excellents effets dans cette personne.
Cependant, pour vous, sondez-la pour savoir si elle prend quelques complaisance dans ces sortes de choses et n'omettez rien
pour qu'elle soit bien fondée dans l'humilité ; qu'elle ne se préfère à qui que ce soit et que, pleine de bas sentiments pour elle-
même, elle ne fasse rien pour se faire estimer des autres."

70
quelquefois il l'accorde à des âmes encore imparfaites. Et surtout, on peut bien arriver sans
elle à une très haute sainteté.

33

L’ORAISON DE QUIETUDE32

Le Seigneur opère dans l'âme le recueillement passif dont on a déjà parlé, sans que le
raisonnement et la volonté y soient pour quelque chose. Ce recueillement, qui n'était que
passager dans l'état précédent, devient comme habituel dans l'oraison de quiétude. Il en est la
base. Lorsque l'âme vient se présenter à l'oraison, même si elle avait prévu de s'occuper de
quelque sujet particulier, elle se trouve aussitôt, sans qu'elle sache comment, recueillie au
dedans d'elle-même, avec un doux sentiment de la présence de Notre Seigneur. Ce sentiment,
il est vrai, n'a rien de bien distinct ; mais la paix et la douceur qui l'accompagnent persuadent
à l'âme que celui qu'elle aime est proche : il vient lui-même lui donner des témoignages de
son amour. Elle le chercherait vainement ailleurs et elle ne doit alors songer qu'à jouir du
bonheur qui lui est présenté.
Il est difficile d'exprimer ce que cette faveur produit dans l'âme. Elle-même n'a pas à y
réfléchir. Elle est comme un enfant, à demi endormi sur les genoux de sa mère, qui, collé
contre son sein, sans presque aucun mouvement de ses lèvres ou même sans s'en apercevoir,
reçoit le lait qui coule doucement dans sa bouche et devient son aliment. Sainte Thérèse et
saint François de Sales se servent de cette comparaison, qui paraît empruntée aux paroles
mêmes de l'Esprit Saint, dans le livre du Cantique des cantiques. Les premières paroles de ce
livre mystérieux nous représentent les désirs enflammés que forme l'Epouse pour attirer vers
elle le divin Epoux, étant attirée elle-même par la douceur de ses caresses, douceur qu'elle
préfère au vin le plus délicieux et aux parfums les plus exquis (Ct 1, 1-3).
Telle est la disposition de l'âme dans l'oraison de quiétude. Sentant, quoique d'une
manière confuse, que l'Epoux céleste daigne en quelque sorte la prendre entre ses bras, elle
n'ose pas aspirer à une union plus intime encore ; ou plutôt, c'est l'Epoux lui-même qui
suggère à son cœur ce désir, dont elle-même ne connaît pas encore la grandeur et l'excellence.
Le plaisir qu'elle prend à se trouver auprès de celui qu'elle aime lui tient lieu de paroles et
témoigne suffisamment quels sont ses désirs. Elle ne peut rien faire que jouir du bien qu'elle
possède. L'amour lui cause une espèce d'ivresse, et l'odeur de ses parfums la ravit de manière
qu'elle s'oublie elle-même et s'abandonne à la volonté du divin Epoux. C'est lui-même qui la
gouverne. C'est lui qui fait en elle tout ce qui s'y passe de secret. Elle ne doit rien chercher
d'autre dans ce moment de l'oraison.
Ceux à qui le Seigneur voudrait faire cette faveur ne doivent pas résister à ses douces
et pressantes invitations sous quelque prétexte que ce soit. Rien n'est meilleur que de laisser
Notre Seigneur disposer à son gré de l'âme comme d'une chose qui lui appartient et de mourir
à sa propre action pour recevoir de lui tous ses mouvements et n'agir que par son influence.

32
Correspond à la cinquième demeure du Château de l’Ame de Ste Thérèse

71
Voici seulement quelques avis, qui doivent les diriger dans la pratique de cette
oraison.
1° Ce n'est pas la douceur qu'ils goûtent dans l'oraison qui doit les porter à faire cet
exercice, mais uniquement le désir de s'approcher du divin Epoux de nos âmes, de lui marquer
leur amour et de croître de plus en plus dans son amour.
2° Lorsqu'ils sont à l'oraison et qu'il plaît au Seigneur de leur faire part de ses caresses
amoureuses, qu'ils les reçoivent avec humilité et simplicité. Avec humilité, se regardant eux-
mêmes comme de petits enfants, à qui le lait est nécessaire et qui ne pourraient pas encore
supporter une nourriture plus solide. Avec simplicité, en ne réfléchissant pas sur ce qui s'opère
en eux, ni sur le prix de la faveur qu'ils reçoivent, ni sur ce qui a pu leur attirer cette faveur, ni
sur la nature de leur bonheur. C'est alors le temps de recevoir et de se reposer.
3° Comme ce n'est pas par leurs propres efforts qu'ils se sont procuré le repos dont ils
jouissent, ils ne s'efforceront pas non plus de le prolonger. Cependant, ils ne craindront pas de
l'interrompre, en accordant à la nature les légers soulagements dont elle ne peut se passer
longtemps, comme de respirer, de tousser, etc. Une trop grande contrainte en ce point serait
nuisible au corps, inutile à l'âme, et marquerait une attache désordonnée au goût qu'ils
éprouvent.

34

DIVERS ÉTATS DE L'ORAISON


DE QUIÉTUDE

L'oraison de quiétude n'est pas toujours la même. Les facultés de l'âme n'y sont pas
toujours toutes assoupies et elles ne sont pas toujours dans le même degré d'assoupissement.
Quelquefois la mémoire reste libre, avec l'imagination ; quelquefois l'intelligence se joint à
elles, tandis que la volonté seule jouit de la douceur de la présence de l'Epoux. Encore arrive-
t-il assez souvent qu'elle le fait d'une manière peu perceptible. Le Seigneur ne fait alors sentir
sa présence que dans la pointe ou le sommet de la volonté, dans ce qu'il y a de plus spirituel
dans cette faculté. Son opération se fait au plus intime de l'âme, qui n'en a qu'une faible
connaissance ; mais cette connaissance, toute faible qu'elle est, suffit, lorsque l'âme est fidèle
et courageuse, pour la tenir dans le calme. Ce qu'elle doit faire, c'est se contenter de ce que
Dieu lui donne, sans en désirer davantage ; c'est adhérer simplement et patiemment à son
action, dans le vide et l'arrêt de sa propre action33. Elle ne doit pas agir pour se procurer une
jouissance que Dieu ne lui donne pas alors. Elle doit empêcher la volonté de suivre les écarts
de l'imagination.
Si néanmoins il se présente à l'intelligence quelque sainte pensée, la volonté, sans
abandonner son principal objet, peut lui permettre de s'en occuper faiblement, comme un

33
"L'union de l'âme avec Dieu est très étroite et très serrée…, parce que l'âme demeure prise, attachée, à la divine Majesté en
sorte qu'elle ne peut s'en déprendre et retirer. (St François de Sales)

72
moyen de modérer son activité et de l'attirer doucement à soi. De cette manière, il arrive
souvent que le Seigneur, touché des désirs secrets de l'âme et de la patience avec laquelle elle
l'attend, viendra lui-même la consoler et la fera entrer dans un repos plus profond par un
nouveau sentiment de sa présence, sentiment qui, s'élevant du fond de l'âme comme du
sanctuaire dans lequel il réside, se répandra dans toutes ses facultés et passera quelquefois
jusque dans les sens extérieurs. C'est ce parfum répandu, auquel l'Epouse compare le nom de
l'Epoux et dont l'effet est d'embraser les cœurs de son amour (Ct 1, 3).
Mais s'il plaît au Seigneur de se tenir caché, il donnera à l'âme la force de soutenir cet
état pénible et lui en fera tirer les plus grands avantages. Cette épreuve, loin d'abattre l'âme, ne
fera qu'augmenter le désir qu'elle a de s'unir à lui ; elle confessera sa faiblesse, et le conjurera
de venir au secours de son impuissance et de la tirer lui-même après lui, afin qu'elle coure à
l’odeur de ses parfums (Ct 1, 3-4).

35

EFFETS DE L'ORAISON
DE QUIÉTUDE

Les effets que cette oraison produit dans l'âme, lorsqu'elle en a été favorisée pendant
quelque temps, et qu'elle a été fidèle à suivre les bons mouvements qu'elle y a reçus, sont tout
à fait admirables. Il s'opère au dedans de cette âme un changement étonnant, qu'elle doit
attribuer à une plus grande effusion de grâces. Son détachement de la terre, des plaisirs et de
ce que le monde estime, son courage et la ferme résolution où elle est habituellement de tout
sacrifier pour plaire à son Dieu, ne sont plus en elle le fruit de ses réflexions salutaires et de
ses bons propos : ce sont des sentiments si profondément gravés en elle qu'ils semblent lui
être devenus comme naturels. Elle ne comprend pas comment elle pourrait ne pas les avoir,
tant ils lui paraissent justes et raisonnables.
Elle entre plus particulièrement sous la direction de l'Esprit Saint, qui, par de
fréquentes inspirations et de vives lumières, lui fait connaître clairement son bon plaisir et la
manière dont elle doit se comporter dans les différentes circonstances. Rassurée par tant de
preuves particulières qu'elle reçoit journellement de l'assistance du Seigneur et par tant de
gages qu'il lui donne de son amour, l'âme reconnaît alors clairement ce qu'elle ne voyait
d'abord que d'une manière confuse : que c'est le Seigneur qui, par une faveur spéciale, l'a fait
entrer lui-même dans ses celliers et dans le lieu secret de ses délices (Ct 1, 4, et 2, 3). Elle
reconnaît que cette faveur est pour elle la promesse de grâces encore plus grandes qu'il lui
prépare, et se propose d'entrer dans des sentiments qui répondent à son amour et au choix qu'il
a fait d'elle, pour la combler de ses bienfaits.
En même temps, elle ne perd pas de vue son néant, elle est pénétrée plus parfaitement
de sa bassesse et ne voit dans son propre fond que laideur et difformité. Elle demande à son
Bien-Aimé comment il peut aimer un objet qui de lui-même n'est que noirceur et ténèbres.
Mais, considérant les ornements et les charmes dont il lui a plu de l'embellir, elle reconnaît
qu'elle n'est pas sans beauté, parce que lui, qui est la beauté même, a daigné lui faire part de

73
ses perfections. Malgré les misères dont elle est investie de toutes parts et qui la font paraître
digne de mépris, elle possède dans le fond du cœur un inestimable trésor.

74
36

PIÈGE DANGEREUX QUE LE DÉMON TEND ALORS A L’AME

Un des effets particuliers de la communication qui se fait de l'Esprit de Jésus Christ au


nôtre dans l'oraison de quiétude, c'est un sentiment de Dieu, qui surpasse beaucoup celui que
nous avions auparavant. On pénètre bien plus parfaitement le sens de ces paroles : Je suis
celui qui est (Ex 3, 14); Dieu paraît alors le seul Etre. Tous les autres êtres, en comparaison de
celui de Dieu, sont comme s'ils n'existaient pas ; l'âme trouve partout son Dieu, partout elle
l'adore et s'abaisse devant lui. Cette faveur est très précieuse ; rien n'est plus capable de
donner à l'âme de hautes pensées, de lui faire estimer les dons de Dieu et de perfectionner son
humilité.
Mais dans ces commencements de la vie surnaturelle, le démon redouble ses efforts
pour perdre l'âme. Il est poussé par la jalousie que lui cause l'amour que le Seigneur montre
pour elle, et les grands biens dont il l'enrichit. Egalement, il craint l'échec de ses efforts. Alors
pour l'attaquer avec succès, il se sert de ces hautes pensées que l'âme a de Dieu pour lui tendre
un piège et la faire tomber dans une erreur très dangereuse. C'est de lui persuader que la
pensée de Jésus Christ et de son humanité sainte34 n'est plus nécessaire pour elle ; qu'elle ne
doit plus s'occuper que de la pure divinité ; que les mystères de l'Homme-Dieu seraient un
obstacle à cette sublime contemplation et que par conséquent elle doit en détourner son
attention, lorsqu'ils se présentent à son souvenir.
Ayons en horreur de pareilles suggestions qui nous éloigneraient de Jésus Christ et de
la source du salut. Elles nous priveraient de toute force et de toute lumière. Souvenons-nous
que le sentiment que nous avons de Dieu ne nous vient que par Jésus Christ et qu'il ne nous
est donné que pour nous attacher davantage à Lui par une connaissance plus parfaite des
trésors de la divinité qui sont renfermés en lui (Col 2, 3).
Souvenons-nous que Jésus Christ est ce Roi qui nous ouvre l’entrée du cellier (Ct 1, 4
et 2, 33) mystique de la contemplation, et que lui seul peut nous en découvrir les richesses et
nous en faire goûter les joies.
Souvenons-nous que quiconque le suit, ne marche pas dans les ténèbres et qu'il
recevra la lumière de la vie (Jn 8, 12) ; qu'il est la voie, la vérité et la vie (Jn 14, 6) ; qu'il est

34
La méditation de l'humanité de Jésus est très recommandée par Sainte Thérèse d'Avila : "Comment considérer Notre
Seigneur couvert de plaies, accablé de persécutions, sans embrasser ses souffrances, les aimer, les désirer, se tenir au pied de
la croix ? Si nous ne pouvons pas méditer constamment la Passion, rien ne nous empêche de nous tenir auprès de Jésus Christ
ressuscité, ou près du Saint Sacrement.
Il semble qu'on ne peut pas se résoudre à s'éloigner de lui un seul instant. Regardez sa vie, il n'a pas de meilleur modèle.
Tant que nous sommes en cette vie, il faut considérer Dieu fait homme. Au milieu des affaires, des épreuves ou dans les
temps de sécheresse, c'est un excellent ami que Jésus Christ. Nous le voyons un homme comme nous." (Vie, chapitre 22)
"Nous avons besoin de traiter avec les saints, de penser à eux. Il nous faut vivre dans la compagnie de ceux qui, ayant un
corps comme nous, ont accompli de grandes œuvres au service de Dieu. A plus forte raison nous ne devons pas nous éloigner
volontairement de Notre Seigneur Jésus Christ ; Personne ne peut aller au Père si ce n'est par moi (Jn 14, 6).
Méditons la vie et la mort de Notre Seigneur. Il lui est très agréable que nous compatissions à ses souffrances. La vie est
longue, les peines y sont nombreuses. Nous avons besoin de jeter les yeux sur le Christ, notre modèle, pour voir comment il
les a endurées, et de même les Apôtres et les Saints, afin de pouvoir, comme eux, les supporter à la perfection.
C'est une trop bonne compagnie que celle du bon Jésus pour que nous nous séparions de lui. Et j'en dis autant de sa très
Sainte Mère." (Sixième Demeure, chapitre 7)

75
la porte des brebis, que c'est en entrant par cette porte qu'on trouve le salut, qu'on entre et
qu'on sort sans danger, qu'on trouve de gras pâturages (Jn 10, 9) ; que Jésus Christ est
l’alpha et l'oméga, le principe et la fin (Apoc 1, 8) de toutes les connaissances ; que tout dans
la religion se rapporte à lui ; que c'est par lui qu'il faut commencer et finir ; qu'il est tout à la
fois le lait des enfants qui sont à la mamelle et l’aliment des plus parfaits (He 5, 12-14) ; que
le grand Apôtre Paul, après avoir été ravi au troisième ciel et avoir contemplé ce qui surpasse
toute intelligence humaine (2 Co 12, 4 et Ph 4, 7), reconnaît ne savoir rien que Jésus Christ et
Jésus Christ crucifié (1 Co 2, 2).
Souvenons-nous que le souhait le plus parfait qu’il forme pour les fidèles, c'est qu'ils
puissent comprendre avec tous les saints quelle est la longueur, et la largeur, la hauteur, et la
profondeur de la charité de Jésus Christ (Ep 3, 18-19) ; qu'enfin c'est en Jésus Christ que
sont concentrées toutes les complaisances du Père (Mt 17, 5). L'Eglise, son unique Epouse et
notre commune Mère, nous instruit par son exemple à tout offrir, tout demander en Jésus
Christ et par Jésus Christ, ce qui fait entendre qu'on ne doit jamais éloigner de son esprit le
souvenir et la pensée de Jésus Christ et de ses mystères.
Ce que je dis de Jésus Christ, je le dis aussi, avec la proportion convenable, de sa très
sainte Mère, l'auguste Vierge Marie, qu'on doit regarder comme inséparable de son Fils.
N'oublions pas que le but principal de ses plus secrètes opérations dans l'âme est
d'imprimer en nous la ressemblance et l'image de l’Homme-Dieu, et qu'il doit en résulter en
nous une tendance forte qui nous porte comme naturellement vers Jésus Christ et nous incite à
nous unir de plus en plus à lui. Si nous n'en retirions pas cette certitude, notre oraison devrait
nous paraître très suspecte.
Cependant, s'il plaît au Seigneur de ne nous donner qu'une vue confuse de Dieu, sans
aucune pensée distincte, même de Jésus Christ, comme il arrive assez souvent dans l'oraison
dont nous parlons, il est le maître. Abandonnons-nous sans résistance à sa conduite.35

37

ÉPREUVES PAR OU L’AME


A COUTUME DE PASSER
DANS L'ORAISON DE QUIÉTUDE :
LA NUIT36

35
Au temps de Clorivière, la réflexion théologique, encore marquée par la scolastique, portait plus sur Dieu que sur
l’humanité du Christ. D’où l’importance de ce chapitre qui insiste sur la contemplation de l’Homme-Dieu.
Aujourd’hui, dans un monde occidental qui nie Dieu, la tentation des croyants est plutôt d’oublier la transcendance de Dieu.
La pastorale insiste, à juste titre, de perdre le sens du sacré, d’estomper la grandeur infinie de Dieu, telle que la révèle la
Bible : le buisson ardent, le Sinaï, la vision d’Isaïe… Quant à Jésus, il revendique le titre de Fils de Dieu, égal au Père. Non
seulement il commande aux éléments ("Tu es le Fils de Dieu" (Mt 14, 33) mais il se dit le maître du sabbat (Luc 12, 8) et
surtout il remet les péchés (Mat 9, 2). C’est à cause de ses prétentions jugées scandaleuses qu’il sera condamné à mort.
36
(Premières épreuves avant la grande nuit obscure, chapitre 39)

76
L'âme imparfaite, lorsqu'elle jouit des douceurs de l'oraison de quiétude, dirait
volontiers avec Pierre sur le Thabor : Faisons ici trois tentes (Mc 9, 5), comme si cette vie
n'était pas un temps d'épreuve et de combat. Pour ne pas tomber dans cette faute, qu'elle se
rappelle que le repos ne lui est accordé que pour la disposer à de plus grands travaux ; un
temps viendra où ce repos, ces douceurs, cette présence sensible du Bien-Aimé, ces intimes
communications qu'elle a avec lui, ces vives espérances dont elle se réjouissait, tout ce qui lui
faisait goûter une joie si douce, lui sera enlevé. Il en restera même si peu de vestiges en sa
mémoire, qu'elle doutera d'avoir eu part aux faveurs du divin Epoux. Il y a peu d'âmes dans
cet état d'oraison qui soient exemptes d’une épreuve de ce genre.
Il faut un grand courage pour la soutenir, surtout lorsqu'elle dure très longtemps. Et
c'est parce qu'ils n'en ont pas la force que plusieurs se relâchent et ne parviennent jamais à la
perfection de l'oraison, à laquelle le Seigneur semblait les avoir disposés par tant de grâces et
qu'eux-mêmes désiraient avec ardeur. Ils doivent travailler à se corriger des moindres défauts
et considérer avec soin s'il n'y a pas eu de leur part quelque refus dans les sacrifices que le
Seigneur exigeait de leur fidélité ; car c'est souvent ce qui l'oblige à se retirer. Mais il faut que
tout cela se fasse en paix et sans inquiétude.
Le but que le Seigneur se propose en soumettant des âmes ferventes à ces rudes
épreuves est de les détacher de toute propriété et recherche d'elles-mêmes dans les dons les
plus spirituels, de les purifier de plus en plus, de leur faire connaître par expérience leur
faiblesse, et de les préparer à des communications plus parfaites. Ces âmes, quand elles sont
fidèles, n'en sont pas moins belles à ses yeux, quoique privées de tout sentiment et de toute
ferveur sensible. Elles n'ont rien à l'extérieur, il est vrai, qui puisse donner une idée de la
beauté intérieure qu'elles possèdent. Elles ne parlent plus magnifiquement de Dieu, comme
elles le faisaient auparavant. Elles ne produisent plus au dehors de grands sentiments pour lui.
Elles sont incapables de rien entreprendre de grand pour son service, ce qui leur attire
quelquefois des traitements humiliants de la part de ceux qui sont les enfants d'une même
mère (Ct 1, 6). Elles ont à lutter sans cesse contre leurs propres inclinations qui, dans
l'absence de la grâce sensible, se rallument avec une nouvelle force. Il leur paraît même
comme impossible de s'en défendre et de ne pas tomber dans un grand nombre de petites
fautes qui les humilient, tant est grande leur faiblesse !
Alors elles peuvent à peine supporter leur extrême laideur, qu'elles regardent comme
l'effet de l'ingratitude avec laquelle elles ont répondu aux ardeurs du céleste Epoux. Elles
voudraient se cacher aux regards du prochain ; elles se voient en butte au mépris de tout le
monde ; elles confessent bien sincèrement leurs misères ; elles ont tout à fait perdu le souvenir
de ces faveurs passées, qui leur donnaient droit aux plus tendres embrassements de l'Epoux.
Pourtant, ce divin Epoux qui, sans se laisser apercevoir, se tenait toujours au fond de leur
cœur, leur fait encore parfois sentir sa présence. Ces âmes se portent alors vers les deux
grands mystères où son amour pour les hommes éclate davantage : celui dans lequel il se
donne lui-même en nourriture à ses brebis (l'Eucharistie) et celui où, dans l'excès de son
amour, il s'est endormi sur la croix du sommeil de la mort pour leur donner la vie. Elles lui
demandent de les éclairer sur ces grands mystères, afin que leur esprit et leur cœur puissent
s'en nourrir à loisir, et que les objets extérieurs ne soient plus capables de les distraire.
Enseignez-nous, lui disent-elles avec l'Epouse. Dîtes-nous, ô le Bien-Aimé de nos âmes, où
vous paissez vos troupeaux, où vous reposez à l'heure de midi (Ct 1, 7). Le Seigneur répond à
ces désirs de l'âme fidèle par de nouveaux bienfaits. Il ranime sa confiance par les plus
tendres marques de son amour ; il la revêt de sa force, afin que, sans danger, elle puisse se
livrer aux soins extérieurs que demande son service.

77
Ici se passent dans le silence d'amoureux colloques entre l'âme et son Bien-Aimé. Le
Bien-Aimé loue dans cette âme les vertus qui plaisent le plus à ses yeux et lui promet qu'il
l'enrichira de ses plus beaux dons. L'âme, comme un parfum, s'exhale en présence de celui qui
repose dans son cœur, comme sur une couche nuptiale (Ct 1, 12). Elle déclare que jamais elle
ne perdra de vue celui qu'elle aime, ni ce qu'il a souffert pour elle ; qu'elle le portera comme
un bouquet de myrrhe sur son sein ; qu'il est pour elle comme un raisin délicieux (Ct 1, 13-
14), dont le vin lui cause une sainte ivresse, qui l'élève au-dessus des sens. C'est ainsi que,
dans les derniers degrés de l'oraison de quiétude, l'âme est préparée pour la grande faveur que
le Seigneur veut lui faire dans le degré suivant d'oraison.

38

L’ORAISON D’UNION
OU FIANCAILLES SPIRITUELLES37

L'oraison d'union est comme le terme et la perfection de celle de quiétude. L'âme s'y
trouve dans un état beaucoup plus passif et l'opération de l'Esprit de Dieu est en elle beaucoup
plus forte. Ce divin Esprit, pour que rien ne trouble et n'interrompe son action, suspend tout à
fait, pour un temps très court, surtout au commencement, les opérations de l'âme. Ainsi, tant
que cette suspension dure, les facultés n'ont aucune conscience de ce qui se passe dans l'âme,
et les sens extérieurs sont privés de leurs fonctions, ou du moins ils ne pourraient les exercer
que très difficilement. L'âme retirée avec le Seigneur dans ce fond d'elle-même qui, jusque là,
était un lieu fermé pour elle, y reçoit les impressions d'amour qu'il daigne lui communiquer,
sans qu'elle puisse y coopérer en rien, n'en ayant aucune connaissance. Cette connaissance ne
lui est donnée que lorsqu'elle revient à elle-même. En ce moment, elle a une ferme assurance
de la faveur qu'elle vient de recevoir. Et cette assurance est tellement le propre de cette
oraison, elle y est tellement attachée, que quiconque aurait là-dessus le moindre doute devrait
tenir pour certain qu'il n'en a pas été favorisé, quoique peut-être il ait reçu quelque grâce
proche de celle-là.
Alors, saisie d'un vif sentiment de reconnaissance et d'amour, elle reconnaît
l'excellence et la grandeur de ce bienfait. Ce n'est plus un Roi, c'est un Epoux plein de
tendresse, qui l’a fait entrer, non pas simplement dans ses celliers, mais dans ce lieu secret
privilégié qu'il n'ouvre qu'à ceux qu'il chérit le plus, pour les enivrer du vin délicieux de son
plus pur amour (Ct 1, 4 et 2, 4). Elle en sent l'influence par les marques qu'il lui laisse de son
amour. Cet amour s'augmente et se fortifie, à mesure que le Seigneur se plaît à renouveler
cette grâce d'union. L'âme languit d'amour. Elle a besoin, pour se soutenir, de se rappeler sans
cesse les attraits de celui qu'elle aime. Ce sont comme des fleurs, dont l'odeur la ranime ; les
gages de son amour sont le fruit délicieux (Ct 2, 6) dont elle se nourrit. L'humanité sainte du
Sauveur est le bras gauche, sur lequel elle est appuyéee, tandis que, de la droite de sa
divinité, ce divin Sauveur lui prodigue les marques les plus tendres de son amour (Ct 2, 6). Il
conjure en même temps les filles de Jérusalem, par les chevreuils et les cerfs des campagnes

37
Correspond à la sixième demeure du « Château de l’âme ».

78
(Ct 2, 7), c'est-à-dire, par ce qu'elles ont de plus cher, et sous peine d'être elles-mêmes privées
de ces élans d'amour qui font leur consolation, il les conjure de ne pas réveiller sa bien-aimée
jusqu'à ce qu'elle s'éveille d'elle-même.
Ceci est dit pour que des supérieurs, des directeurs, à qui ces voies d'oraison ne
seraient pas assez connues, n'essaient pas d'en éloigner les âmes. Ils reconnaîtront si cette
oraison est véritable aux effets qu'elle produit dans les âmes. Outre ceux dont on vient de
parler, cette oraison laisse en elles un souvenir continuel de Notre Seigneur et de ses
mystères, qu'elle pénètre d'une manière merveilleuse, et un désir ardent de s'unir de plus en
plus à lui. Car cette oraison et la faveur qu'on y reçoit ne sont encore que comme une
première entrevue entre deux époux ; ce n'est pas un engagement stable et permanent. L'union
n'est ici que passagère, et si l'âme n'usait pas de la plus parfaite fidélité, jamais elle ne
parviendrait à ces noces spirituelles que le divin Epoux veut contracter avec elle.
Aussi l'Epoux invite-t-il l'âme à se lever, il l'exhorte à se hâter ; il la presse de la
manière la plus tendre de venir à lui, par la pratique constante des plus grands efforts. Il lui
montre que l'hiver est passé et que le printemps est venu pour elle (Ct 2, 10-13), parce
qu'alors l'âme est décorée, enrichie des plus belles vertus. Il veut qu'elle s'élève au-dessus
d'elle-même, pour lui témoigner son amour ; que, comme une colombe, elle se retire dans les
trous de la pierre, c'est-à-dire, dans ses plaies, et dans l'ouverture de la muraille, c'est-à-dire,
dans son Cœur ouvert. C'est là qu'il veut qu'elle se montre à lui et qu'elle lui fasse entendre sa
voix (Ct 2, 14). Il ne lui reste plus, après cela, qu'à prendre les petits renards qui abîment la
vigne du Seigneur (Ct 2, 15) et font tort aux fleurs dont elle est chargée.
Cet obstacle étant ôté, le Bien-Aimé revient plus embrasé d'amour et se communique à
l'âme d'une manière si parfaite que celle-ci s'écrie dans le transport de sa joie : Mon Bien-
Aimé est à moi et je suis à lui (Ct 2, 16).38
Lorsque la suspension des facultés est finie, l'âme, comme enivrée des douceurs
inexprimables que lui cause une si grande faveur, reste longtemps en oraison. Des heures
entières se passent sans presque qu'elle s'en aperçoive. Elle doit cependant se garder de
vouloir prolonger par ses efforts la douceur qu'elle a goûtée, et ce qu'elle a de mieux à faire
c'est de s'offrir à Notre Seigneur comme une cire molle pour qu'il daigne y imprimer son
sceau, et de former des vœux pour les besoins de l'Eglise, sans toutefois se retirer de la
conduite de l'Esprit Saint et sans sortir de ce repos intérieur dans lequel il l'a placée.

38
Clorivière décrit ainsi son oraison en 1766 (notes intimes) : "Quelquefois, pendant que je prie, toutes les puissances de
mon âme sont suspendues ; mais habituellement, c'est un simple acte de la volonté auquel l'intelligence n'a pas toujours une
grande part. Je peux persévérer longtemps dans cette sorte de prière, sans aucune fatigue et même avec une grande
consolation".

79
39

GRANDES ÉPREUVES AUXQUELLES L'AME EST MISE DANS CET


ÉTAT : LA NUIT OBSCURE DE L’ESPRIT

L'état d'oraison qui suit d'ordinaire celui dont on vient de parler est un état bien
différent. C'est une espèce de purgatoire39, par lequel le Seigneur a coutume de faire passer les
âmes qu'il veut rendre dignes de ses plus intimes communications. Il faut qu'elles y soient
purifiées de toutes leurs taches, pour pouvoir être admises dans ce ciel intérieur où Dieu seul
habite et pour être élevées à la sublime qualité de ses épouses favorites.
Les peines que l'âme endure sont, en cet état, beaucoup plus grandes que celles qu'elle
a ressenties dans les états précédents, mais elles ne sont pas égales pour toutes les âmes. On
ne parlera que de celles qui sont intérieures, et on ne le fera que succinctement. Saint Jean de
la Croix a traité longuement cette matière dans sa Nuit obscure, en parlant de la purification
passive des âmes.
La première peine de l'âme mise à cette épreuve, et la source de toutes les autres, est
celle que lui cause l'absence de l'Epoux. Cette peine est d'autant plus grande que cette âme a
goûté davantage la douceur de ses consolations. Elle recherche d'abord son Epoux avec une
grande ardeur, mais ses recherches, ses plaintes, ses efforts sont inutiles. Elle attribue son
malheur à ses infidélités, et bientôt un trouble involontaire s'empare de ses facultés. Ce
trouble est suivi par un état d'indifférence et de vide : elle n’est plus touchée de rien, elle ne

39
Dans la nuit obscure l'âme est purifiée pour entrer dans la septième demeure (mariage spirituel) comme ceux qui doivent
entrer dans le ciel sont purifiées par les flammes du purgatoire.
Le purgatoire est une œuvre d'amour de la part de Dieu qui veut effacer les fautes des hommes avant de les faire participer
à son Bonheur. Saint Thérèse d'Avila comprend ce qui se passe au purgatoire à partir de la purification de l'âme : "L'âme
souffre de se voir loin de Dieu. Sa Majesté lui donne la plus haute connaissance de ses perfections et augmente ainsi ses
tourments." (6e Demeure, ch. 11)
"Elle ne considère pas les châtiments qu'elle doit subir pour ses péchés, mais cette noire ingratitude qu'elle a eue envers
Celui à qui elle est si redevable et qui mérite tant d'être glorifié. Elle comprend mieux la grandeur de Dieu. Elle gémit de son
peu de respect envers Lui. Elle voit qu'elle est tombée dans une telle folie en considérant qu'elle a préféré des objets si vils à
une si haute Majesté.
Cette douleur se fait sentir à l’intérieur de l'âme. Or, les tourments de l'âme surpassent de beaucoup ceux du corps. Ceux du
purgatoire sont de ce genre. La cause de son tourment est qu'elle est loin de son Bien.
Elle sent une solitude extrême… Elle est comme une personne suspendue en l'air, qui ne peut se reposer sur rien de la terre.
Embrasée de la soif de voir Dieu, elle ne peut arriver jusqu'à l'eau qui la désaltèrerait… Et cette eau, on ne la lui donne pas.
Il est juste que ce qui vaut beaucoup coûte beaucoup… C'est de la sorte qu'on se purifie dans le purgatoire avant d'entrer au
ciel." (6e Demeure, chap. 7)
Dans un texte de jeunesse écrit à 33 ans, Clorivière insiste sur le côté éprouvant du purgatoire.
"Aucune peine de la terre ne peut égaler les peines du purgatoire. Pourquoi m'y exposer ? Avec la grâce de Dieu, je peux
les éviter ; et c'est ce que Dieu veut. Mais je ne saurais y parvenir sans une vie de perfection et de pénitence.
Très peu évitent le purgatoire. Donc, pour être de ce petit nombre, je dois mener la vie des Saints et régler comme eux
toutes mes actions sur les maximes du Christ.
La plupart restent très longtemps en purgatoire. Pour ne pas courir ce danger, je ne dois pas suivre la voie commune mais
traiter sans indulgence ma nature. Je dois m'efforcer de marcher dans le sentier étroit que le Christ m'a montré. Si cela semble
dur à ma nature, il sera bien plus dur de brûler dans un feu non moins ardent que celui de l'enfer." (Retraite de 1768)
Mais, dit Ste Thérèse de l’Enfant Jésus, ce qu’il faut craindre, ce n’est pas le purgatoire, c’est l’ingratitude, la peine que
l’on fait au Père du ciel, il faut avoir la crainte filiale, non la crainte servile ou égoïste.

80
reçoit de secours ni des lectures qu'elle fait, ni de tout ce qu'elle entend. Souvent même, Dieu
permet que ce qu'on lui dit pour la consoler opère en elle un effet tout contraire.
Viennent ensuite des tentations de toute espèce : tentations contre la foi, tentations
contre la pureté, tentations de blasphème et de haine de Dieu. Des âmes pures et chéries de
Dieu sont alors comme livrées au pouvoir de l'enfer. L'esprit de mensonge, à qui un pouvoir
spécial a été donné, exerce ce pouvoir avec une fureur inconcevable ; étroitement lié à ces
âmes, il leur suggère ses propres sentiments. Elles n'ont plus d'inclinations sensibles que pour
le mal, et les mystères les plus saints ne leur paraissent que des objets de moquerie. Il leur
semble qu'elles ont tout à craindre de Dieu, rien à espérer de lui, et qu'elles n'ont que de
l'opposition pour lui. Toutes les faveurs qu'elles en ont reçues leur paraissent comme un rêve,
et elles sont comme persuadées qu'elles ne peuvent plus attendre de sa part que les traitements
les plus rigoureux40.
Telles sont les peines de ces âmes dans cet état de ténèbres, surtout lorsqu'elles se
présentent à l'oraison et qu'elles veulent s'occuper de quelque exercice de piété. Cependant le
délaissement où elles sont n'est qu'apparent, et leur état est plus pénible que réellement
dangereux. Le Seigneur les soutient puissamment, quoique d'une manière secrète, de façon
qu'elles ne tombent dans aucune faute grave qui puisse scandaliser le prochain. La foi,
l'espérance et la charité sont concentrées au fond de leur âme ; et quoiqu'elles jettent à peine
une faible lueur, cette faible lueur surfît pour fixer leur volonté et la rendre inébranlable dans
le bien, sans que jamais elle consente au mal, quoique la tentation violente qu'ont ces âmes
leur fasse souvent craindre d'y avoir consenti. Le trouble que cette crainte produit en elles,
joint à une régularité soutenue, pourrait seul rassurer la personne chargée de les accompagner
; mais, de loin en loin, Dieu fait luire au fond de leurs cœurs des rayons de sa présence, qui
leur font connaître combien elles sont chères à ses yeux.
Dans cet état, les âmes fidèles à la grâce remportent des victoires d'autant plus
glorieuses qu'elles ont à soutenir des assauts plus violents et plus continuels. Il faut que sans
cesse elles s'élèvent au-dessus d'elles-mêmes, sans se fier à leurs impressions, pour n'agir que
selon les principes de la foi. Il faut qu'elles s'abandonnent aux lumières de leur confesseur
pour leur conduite intérieure et surtout pour la fréquentation des sacrements, et que, pour
l'extérieur, elles soient plus exactes que jamais à remplir tous les devoirs de leur profession. Il
faut encore, autant qu'il est en leur pouvoir, qu'elles opposent des actes contraires aux
pensées, aux désirs que l'esprit de ténèbres ne cesse de leur suggérer. Il faut enfin, par un
généreux abandon d'elles-mêmes entre les mains de Dieu, que, lorsqu'elles sont le plus
assaillies de tentations de défiance et de désespoir, lorsqu'il leur semble que l'abîme s'ouvre
pour les engloutir, il faut, dis-je, qu'elles demandent au Seigneur la grâce de l'aimer autant
qu'il leur sera possible et qu'elles se soumettent, et pour le temps et pour l'éternité, à tout ce
que sa justice pourrait exiger d'elles.
Ces peines durent quelquefois bien des années, selon ce qu'il plaît au Seigneur, et
selon les vues de sanctification qu'il a sur ces âmes. Cependant, on peut penser qu'une grande
fidélité de la part de ces âmes à répondre à tous les desseins de Dieu sur elles pourrait abréger
le temps des épreuves et hâter le retour de l'Epoux.
Mais, pour que l'âme puisse jouir de l'heureux état que le Seigneur lui destine, il lui
faut encore souffrir un autre genre de martyre, un martyre d'amour, où elle éprouve tout à la
fois les douleurs les plus vives et le contentement le plus parfait. Aux sentiments d'une crainte
accablante ont succédé les sentiments de l'amour le plus vif et le plus tendre. Mais ce n'est pas

40
Ces tentations qu'éprouvent les âmes en cet état sont bien à entendre comme des tentations et non comme des fautes ou les
chutes.

81
un amour jouissant, comme dans l'oraison d'union ; c'est un amour languissant et blessé, qui
ne peut vivre loin de Celui qu'elle aime et qui cependant s'en voit séparée, sans savoir quand
enfin ses désirs seront comblés. L'âme soupire nuit et jour après son Dieu, elle le demande à
toutes les créatures ; et parce que les créatures ne peuvent le lui montrer que d'une manière
très imparfaite, toutes les créatures lui deviennent insupportables. La compagnie des esprits ne
pourrait pas la consoler, parce qu'ils ne sont pas Celui qu'elle aime. Toutes les joies du ciel,
sans Lui, ne seraient pas capables de la satisfaire.
Comme elle regarde la vie comme un obstacle à la jouissance de son bonheur, elle hâte
par ses vœux le moment qui doit en terminer le cours ; et ce qu'il y a de plus consolant pour
elle, ce qui l'aide davantage à supporter patiemment la vie, c'est l'espoir que peut-être le jour
présent sera le dernier de ses jours. La véhémence de son amour est telle que le corps se
consume et dépérit ; et sans doute il y succomberait bientôt si celui qui allume un si grand
brasier dans l'âme ne venait de temps en temps en modérer l'ardeur par la douceur de sa
présence.
Mais alors les visites qu'il lui fait sont de peu de durée, et ces nouvelles preuves de son
amour et ce qu'il lui fait connaître de ses perfections ajoutent une nouvelle ardeur au feu de
cette âme et redoublent son tourment. C'est un véritable purgatoire où l’âme achève de se
purifier par l'horreur qu'elle a pour tout ce qui peut en elle déplaire au regard infiniment saint
de son Dieu et mettre obstacle à l'intime union qu'elle désire contracter avec lui.

82
40

ÉTAT D'UNION PLUS STABLE


ET PLUS PARFAIT : LE MARIAGE SPIRITUEL41

C'est après le degré dont on vient de parler que l'âme est enfin admise aux noces de
l'Agneau ; la porte du sanctuaire lui est ouverte. Elle l'avait été auparavant dans l'oraison
d'union, mais ce n'avait été que par de courts intervalles ; maintenant l'âme est reçue dans ce
sanctuaire et il lui sera libre d'y fixer désormais sa demeure. Les trois Personnes divines, qui
font en ce lieu leur résidence, daignent s'y manifester à elle, suivant cette parole de Notre
Seigneur, qui s'accomplit d'une manière particulière : Si quelqu'un m'aime, il gardera mes
paroles et il sera aimé de mon Père ; et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre
demeure ; et celle-ci : Je l'aimerai, et je me manifesterai moi-même à lui (Jn 14, 23 et 21).
Le Verbe divin s'unit à l'âme et l'embrasse d'une manière ineffable, et l'âme,
environnée de ses splendeurs et tout embrasée d'amour par un effet de ce divin embrassement,
se perd entièrement et s'écoule dans le sein de Dieu, où elle devient, sans toutefois cesser
d'exister, un même esprit avec lui (1 Co 6,17). Le ciel, la terre, l'âme elle-même, tout disparaît
à ses yeux : elle ne voit plus que Dieu ; sans pourtant le voir comme il est dans sa gloire, elle
le connaît, par l'expérience délicieuse qu'elle en a, bien plus parfaitement que nos yeux
extérieurs ne connaissent le soleil visible qui darde sur nous ses rayons.
Il serait impossible d'exprimer quels sont les torrents d'une volupté toute céleste qui se
répandent alors dans l'âme, et combien sont admirables les effets que cette faveur y produit.
L'âme est comme divinisée ; elle est remplie de Dieu, comme une masse de fer, au
milieu d'une fournaise ardente, est imprégnée de feu. Elle ne reste pas sans doute toujours
dans cet état, elle n'éprouve pas également en tout temps ces divins transports ; mais elle est
comme établie dans un séjour de lumière et de paix, où rien ne peut la troubler, où tout ce qui
passe ne l'affecte pas. Elle contemple ses passions comme enchaînées et se débattant en vain
pour lui nuire. Sa vie est cachée en Dieu (Col 3, 3) ; sa conversation est dans le ciel (Ph 3, 20)
; elle ne goûte plus rien sur la terre (Ps 72, 25) ; elle vit dans une grande dépendance de
l'Esprit de Dieu (Rm 8, 14) ; elle est toute revêtue de Jésus Christ (Ga 3, 27). Elle est
transformée en Jésus Christ ; elle agit, elle souffre, elle pense comme Jésus Christ ; enfin, elle
peut dire avec l'Apôtre : Je vis, mais ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus Christ qui vit en moi
(Ga 2, 20).
Cependant il faut savoir que, dans ce degré comme dans tous les autres, il y a du
plus et du moins ; et, quelque élevé qu'il soit, il peut l'être encore davantage, parce qu'on
peut toujours s'approcher de Dieu et s'éloigner de plus en plus de soi-même.
D'ailleurs, l'Esprit Saint se plaît quelquefois, pour exercer les âmes les plus saintes, à
les remettre, en quelque sorte, dans les premiers états de la vie spirituelle, comme si elles ne
faisaient que commencer leur par- cours ; et les âmes véritablement humbles sont alors aussi
contentes que lorsqu'elles sont élevées au troisième ciel. Toute leur application est de se
dépouiller continuellement de leur volonté propre et de ne pas troubler dans la plus petite

41
Aux fiançailles spirituelles (chap. 39) succède le mariage spirituel, (chap. 40 complété par 46).

83
chose l'action de Dieu, mais d'obéir dans le calme et le repos à ses moindres touches. Lorsqu'il
lui plaît de se retirer pour les laisser agir, elles sont fidèles à ne pas demeurer dans une
oisiveté nuisible, et se portent aux actes qu'elles savent être conformes à son bon plaisir et
nécessaires au chrétien ; mais elles ont soin de le faire d'une manière paisible, qui les dispose
davantage à l'influence de l'Esprit Saint, lorsqu'il daignera les en favoriser de nouveau.
On peu comparer ces âmes au lit nuptial de Salomon autour duquel veillait l’élite des
braves d'Israël revêtus de leur armure, contre les surprises de la nuit (Cant 3, 7-8), tant la
divine Providence est attentive à veiller sur elles. Cependant elles veillent elles-mêmes sur
toutes leurs actions. Elles craignent plus que jamais de déplaire au divin Epoux ; mais d'une
crainte pleine d'amour et de confiance, qui, sans les troubler, les rend exactes aux moindres
devoirs. Elles savent combien l'Esprit de Dieu est jaloux de voir en nous cette fidélité ; de
légers manquements, en contristant ce divin Esprit (Eph 4, 20), le forceraient à s'éloigner
d'elles et les conduiraient imperceptiblement aux fautes les plus graves. Elles ont devant les
yeux l'exemple de David, cet homme selon le cœur de Dieu, ce prophète à qui Dieu, dès
l'enfance, s'était communiqué d'une manière singulière, à qui il avait découvert ses mystères
les plus secret (Ps 50, 8). Sa chute leur apprend ce qui pourrait leur arriver à elles-mêmes.
Aussi, quoiqu'il leur semble que la vue des créatures ne ferait plus d'impression sur leur cœur,
elles n'en sont pas moins exactes à ne permettre à leurs sens aucune liberté. Et quand il leur
arrive de tomber dans quelque faute légère, elles s'en humilient profondément et ont grand
soin de se laver des souillures qu'elles ont contractées dans cette fontaine sacrée que Notre
Seigneur nous a préparée par l'effusion de son sang dans le sacrement de Pénitence.
Celui qui se croirait hors du danger de pécher, quelque faveur qu'il ait pu recevoir,
serait manifestement dans l'illusion. Qu'il se souvienne de ce que dit l'Apôtre : Je châtie mon
corps, je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres la vérité, je ne sois
moi-même réprouvé (1 Co 9, 27). Qu'il se rappelle aussi ces paroles du disciple bien-aimé : Si
nous disons que nous n'avons pas péché, nous faisons de Dieu un menteur, et sa parole n'est
pas en nous (1 Jn 1, 10).

84
41

RÉFLEXIONS SUR CE QUI A ÉTÉ DIT

L'Esprit de Dieu se montre à nous sous un grand nombre de formes différentes. La


manière dont il conduit, dans l'oraison, les âmes qui s'abandonnent à lui, se multiplie et varie à
l'infini. Peut-être n'y a-t-il pas deux âmes qu'il conduise de la même façon. On ne sera donc
pas surpris s'il se trouve peu de ressemblance entre ce qu'on éprouve en soi et ce qu'on a dit
des divers degrés d'oraison.
Ce qu'il faut y remarquer surtout, ce sont les illusions qu'il faut éviter et qui sont
toujours à peu près les mêmes, parce que tous les hommes ont à peu près les mêmes passions.
C'est là que l'ennemi du salut essaie de les tromper.
Ce sont, en second lieu, toutes les instructions qui portent au détachement de nous-
mêmes et à la pratique des vertus recommandées par l'Evangile, parce qu'elles sont
essentielles à tous les chrétiens et que c'est là ce qui les rend saints et agréables à Dieu.
On doit bien prendre garde de se croire plus saint parce qu'on aurait reçu plus de dons
et qu'on aurait eu part à ce qu'il y a de plus élevé dans l'oraison passive.

Qu'on réfléchisse :
1° Quoique ces sortes d'oraison ne soient données d'ordinaire qu'à des âmes mortes à
elles-mêmes et qu'elles contribuent merveilleusement à la sainteté, ce n'est cependant pas
précisément ce qui s'y passe de passif qui constitue leur sainteté, puisqu'il n'augmente pas leur
mérite. Elles ne sont saintes que par les vertus qui ont précédé, et par leur correspondance et
coopération à la grâce abondante qui leur est alors donnée.
2° L'Esprit Saint, par d'autres moyens qui sont tout à fait cachés, peut élever des âmes
simples et pures à une sainteté plus parfaite encore.
3° Une âme qui, sans contemplation, serait plus humble et plus charitable qu'une
âme très contemplative, serait aussi, certainement, plus sainte et plus belle aux yeux de
Dieu.
4° Nos désirs ne doivent pas se porter vers les degrés d'oraison les plus élevés mais
avoir uniquement pour objet de nous acquitter le plus parfaitement possible de l'oraison qui
nous convient davantage.42
Ce dernier avis regarde surtout l'oraison passive extraordinaire, c'est-à-dire celle où
Dieu se communique à l'âme d'une manière qui n'est pas dans le cours ordinaire de la grâce,
même par rapport aux âmes qu'il destine à une plus haute sainteté. Dieu est le maître de ses
dons : il faut les recevoir, lorsqu'il veut nous les faire ; mais il n'exige pas que nous désirions
ceux dont il s'agit ici. Pourquoi ? Parce que, sans augmenter notre sainteté, ces sortes de dons
ont plus d'éclat que les autres, qui sont intérieurs et cachés, et que cet éclat, si nous y prenions
de la complaisance, pourrait devenir un obstacle à notre perfection et même à notre salut.

42
Ces conseils très sages sont nés de l'expérience personnelle et de la direction spirituelle du Père de Clorivière.

85
42

FAVEURS QUI DISTINGUENT PARFOIS L'ORAISON PASSIVE43

Les dons extraordinaires dont Dieu favorise quelquefois les âmes dans l'oraison passive sont les paroles
intérieures, les visions, les extases et les ravissements, le mariage spirituel. On en parlera succinctement, afin
qu'on ne soit pas facilement trompé par l'esprit de mensonge, qui se glisse plus souvent sous l'apparence de ces
dons que de ceux dont on a parlé ci-dessus, parce qu'il peut présenter à l'âme orgueilleuse un appât qui la flatte
davantage et qui par là même est plus propre à la séduire.

43

PAROLES INTÉRIEURES

Les paroles intérieures dont il s'agit ici sont tout à fait distinctes des lumières et des bons mouvements
par lesquels Dieu se plaît à nous manifester intérieurement son bon plaisir et nous porte aux œuvres d'une plus
grande perfection. Dans la plupart des âmes, Dieu parle plus ou moins de cette manière. Dans ce cas, notre
avancement dans la vertu dépend de notre fidélité à mettre en pratique ce qu'il veut de nous.
Par les paroles intérieures, nous entendons une grâce très rare. Ce sont des paroles vraiment distinctes,
que l'âme entend proférer au dedans d'elle-même, soit pour la consoler, soit pour la fortifier et l'encourager à la
vertu ou l'orienter vers Dieu, soit pour lui révéler quelque chose qu'elle ignore. 44
Cette faveur n'est pas sans danger, parce que l'esprit mauvais pourrait imiter quelque chose de
semblable et tromper par là ceux qui ne seraient pas assez sur leur garde, ni suffisamment instruits de ses ruses.
Il peut arriver aussi, et c'est même l'illusion la plus ordinaire, qu'on prenne pour des paroles intérieures qui
viennent de Dieu des paroles ou raisonnements qui procèdent de notre imagination ; mais il y a tant de différence
entre les paroles intérieures qui ont Dieu pour auteur, et celles produites par le démon ou par notre imagination,
que les âmes qui sont habituées à entendre les premières ne s'y trompent pas.
Les marques distinctives des paroles de Dieu sont l'efficacité et la clarté qui les accompagnent, la
manière subite dont elles se présentent à l'âme, la paix céleste qu'elles lui font goûter, et l'impression vive et
durable qu'elles font sur elle.
Quand Dieu fait entendre une de ces paroles à l'âme, elle sent que c'est le Maître qui opère en elle tout
ce qu'il veut. Par exemple si elle est agitée des plus vives inquiétudes, ou plongée dans la douleur la plus amère,
aussitôt que Dieu a dit : C'est moi, ne crains rien (Mt 14, 27), toutes ses craintes, toutes ses douleurs sont à
l'instant dissipées. Le calme parfait succède à l'orage.

43
Il s’agit ici de la contemplation passive, don purement gratuit de Dieu, comme l’entendent les auteurs dont s’inspire
Clorivière. Dieu a, en effet, mille façons de nous sanctifier.
Les chapitres 42 à 45 sont en quelque sorte un appendice aux Considérations. Ce qui suit concerne seulement quelques
phénomènes extraordinaires qui accompagnent certains états d’oraison. Ils n’en font partie qu’accidentellement et nécessitent
un discernement plus subtil.
44
Clorivière parle d'expérience, par exemple à propos du recouvrement libre de la parole (6 et 7 juin 1766), des attraits
distinctifs de sa vie spirituelle (9 juin 1766), de la fondation des Sociétés (19 juillet 1790).

86
Si le Seigneur lui dit de se dépouiller de certaines imperfections et de se livrer à certains actes d'une
haute sainteté, alors, quoiqu'elle ait peut-être combattu en vain pendant longtemps pour acquérir ces vertus ou
pour surmonter ces défauts, elle se voit tout à coup délivrée des uns et enrichie des autres. C’est ainsi que Pierre,
après avoir travaillé inutilement toute la nuit, vit tout à coup ses filets remplis de poissons à la parole de Notre-
Seigneur. On n’est pas embarrassé, on ne doute pas de ce que Dieu a dit ; il ne faut pas non plus une attention
particulière pour l'entendre : ses paroles sont proférées si clairement, si distinctement qu'il n'est pas possible
qu'aucune d'elles échappe à l'âme. Même si celle-ci était occupée à tout autre chose, même si elle voulait se
distraire, il ne serait pas en son pouvoir de les perdre. Ces paroles se forment d'ordinaire en elle, lorsqu'elle s'y
attend le moins ; mais, qu'elles soient accompagnées de douceur ou de sévérité, elles pénètrent jusqu'au fond de
l'âme et la laissent toute remplie de Dieu, avec le plus ardent désir de lui plaire et les plus bas sentiments d'elle-
même. Enfin elles y restent si fortement imprimées, qu'elles ne s'en effacent pas pendant longtemps ou même
jamais. On en conserve constamment le souvenir, avec une douce confiance de voir arriver un jour ce qui nous a
été annoncé. Et cela ne peut manquer d'arriver, lorsque ces paroles viennent de Dieu.
Les paroles que formerait le démon pourraient bien avoir quelques-uns des traits qu'on vient de dire,
mais jamais tous. Elles pourraient bien être claires et subites mais jamais elles ne seront efficaces pour le bien ;
jamais elles n'y produiront le calme, ni la paix, ni l'humilité. Pour celles que l'imagination produit, elles se
forment successivement, elles sont douteuses, incertaines et n'opèrent que des effets faibles et momentanés.
Ceux qui veulent agir avec prudence dans les choses de Dieu évitent de penser qu'ils sont favorisés de
paroles intérieures. Il vaut toujours mieux y résister d'abord. Si c'est un artifice du démon, cette résistance le
mettra en fuite ; si c'est une illusion de l'imagination, elle se dissipera, ou du moins elle sera sans danger ; si c'est
l'Esprit de Dieu qui opère en nous, cette résistance ne fera que fortifier son opération. Quand ces paroles portent
quelque atteinte à la foi ou à quelque conseil menant à la perfection, il est certain qu'elles ne viennent pas d'un
bon principe et qu'il faut les rejeter.
Mais même si on était sûr qu'elles viennent de Dieu, par les marques qu'on a données, il ne faudrait pas
les suivre, ni s'y complaire, sans avoir eu l'avis de celui qui nous accompagne, à moins que la chose à laquelle
elles nous portent ne soit évidemment bonne et dans l'ordre commun. Au reste, par rapport à ces faveurs, et à
toutes les autres qui sont extraordinaires, il est tout à fait nécessaire que ceux qui les reçoivent les déclarent au
ministre du Seigneur avec la simplicité des enfants.

44

VISIONS

Les visions sont corporelles, imaginaires, ou intellectuelles.


Les visions corporelles sont celles où le démon mêle plus souvent ses illusions, parce qu'elles sont les
plus basses, et qu'il lui est plus facile de les contrefaire et d'en imposer aux sens extérieurs. C’est pourquoi il est
prudent de se défier toujours de ces sortes de visions et de ne pas les admettre, autant que nous le pouvons. Si
elles viennent de Dieu, il ne sera pas en notre pouvoir de nous en défendre, et elles se feront connaître aux effets
salutaires qu'elles produiront en nous.
Les visions imaginaires sont ainsi appelées parce qu'elles se forment dans l'imagination. Pourtant cette
faculté ne contribue en rien à leur formation, si ce n'est peut-être quelquefois en fournissant les éléments dont
sont formées les images qui nous sont montrées.
Lorsque l'objet de la vision est formé de choses communes (tel, par exemple, qu'était le linceul plein
d'animaux qui fut montré à saint Pierre - Actes 10, 12), il est clair que notre imagination peut alors fournir ces
éléments, quoique peut-être elle ne pourrait pas, d'elle-même, se former une image aussi parfaite que celle que la
vision présente.
Lorsque l'objet de la vision est tel qu'il n'a aucune comparaison ni ressemblance avec ce qui peut
naturellement tomber dans notre imagination, et que cependant la vision se passe au dedans de nous (comme, par
exemple, si Notre Seigneur se montrait à nous intérieurement, avec une gloire et une beauté supérieures à tout ce

87
qu'on peut naturellement imaginer), il serait manifeste que, dans ce cas, notre imagination ne pourrait pas fournir
les éléments nécessaires pour une pareille vision.
Enfin, si notre âme sort en quelque manière hors d'elle-même pour voir les objets et les images que
Dieu veut lui manifester (comme, par exemple, l'assemblée des saints et la gloire dont leurs corps sont
environnés), cette vision encore sera imaginaire, quoiqu'elle ne se passe pas dans l'âme, et que la puissance
imaginative ne puisse pas en fournir les éléments.
De ces trois sortes de visions imaginaires, la première pourrait être plus sujette à l'illusion, parce que le
démon peut agir sur l'imagination, en y formant des images qu'il y trouve ou que lui-même y pourrait mettre.
Mais il ne paraît pas si facile qu'il puisse participer aux deux autres sortes de visions ; la chose lui serait même
tout à fait impossible si les visions étaient accompagnées de circonstances tout à fait surnaturelles et divines,
comme il arrive d'ordinaire quand ces visions viennent de Dieu.
La vision intellectuelle s'opère dans l'entendement ou intelligence, sans l'intervention des sens et
d'aucune image sensible. Or, comme le démon ne peut agir ainsi sur l'esprit pur, de là vient que cette sorte de
vision est tout à fait à l'abri de ses illusions. C'est une connaissance claire, expérimentale, que Dieu imprime dans
le fond de l'âme, d'une chose qu'il lui veut lui découvrir ; ce peut être une vérité de foi dont il lui donne
l'intelligence et qu'il lui fait voir d'une manière purement spirituelle, mais plus évidente que lorsqu'on voit les
objets sensibles avec les yeux du corps ; ce peut être aussi une faveur surnaturelle dont il veut la gratifier, comme
serait celle d'avoir près de soi, ou dans son cœur, la sainte humanité de Notre-Seigneur. Alors l'âme voit
intellectuellement, et d'une manière dont elle ne peut douter, qu'elle est ainsi dans la compagnie de Notre-
Seigneur, et cette vue produit en elle de grands effets de sainteté.
Cette sorte de vision précède d'ordinaire les visions imaginaires, et il n'est pas rare que Dieu en favorise
les âmes qu'il élève à une haute contemplation, quoiqu'il ne les conduise pas par la voie des autres dons
extraordinaires. Les autres visions sont toujours très courtes : c'est comme un éclair qui frappe fortement et
subitement, mais qui passe aussitôt, tout en laissant après lui dans l'âme les plus vives impressions ; tandis que
celle-ci dure souvent un temps très considérable, quelquefois même des années. Les autres visions, quand elles
sont très saintes, sont précédées par des extases, ou bien elles les causent ; mais celle-ci laisse à l'âme la liberté
de jouir de ses facultés et d'agir même à l'extérieur d’une manière très parfaite 45.
Quoi qu'il en soit, I1 n'est jamais permis de désirer des visions :
1° Parce que ce serait ou manque d'humilité ou manque de foi.
2° Parce que ce serait une preuve qu'on serait trompé ou en danger de l'être.
3° Parce qu'il y aurait de la témérité et de la présomption à vouloir se choisir à soi-même la voie par où
l'on doit aller à Dieu.
4° Parce que ce n'est pas en ayant part à ces sortes de faveurs qu'on est plus agréable à Dieu et qu'on
mérite une plus grande gloire.

45
"Plus on s'approche de Dieu, plus on voit clair dans les affaires temporelles, et à la faveur de ce flambeau, on les fait
beaucoup plus parfaitement." (Marie de l'Incarnation)

88
45

EXTASES ET RAVISSEMENTS

Les extases et les ravissements sont des faveurs qui ont entre elles beaucoup de rapports, en ce que
l'usage des sens y est suspendu et que le corps y est comme dans un état de mort. II y a cependant de la
différence dans la manière dont elles sont faites.
Dans l’extase, l'âme souffre comme une espèce de défaillance, causée par l'excès du plaisir que lui fait
sentir la présence du Bien-Aimé, ou par l'admiration où la jettent les beautés qu'il lui découvre. Retirée alors tout
entière au dedans d'elle-même pour se livrer aux communications du divin Epoux qui l'attire, elle n'a plus assez
de force pour animer les sens extérieurs : les yeux ne voient plus rien, les pieds et les mains sont sans vigueur.
Dans le ravissement, la même chose arrive, mais plus subitement. Le Seigneur y montre le domaine
absolu qu'il a sur l'âme. Lorsqu'elle y pense le moins, elle se sent tout à coup ravie, transportée au-dessus d'elle-
même, comme si elle se séparait du corps, sans qu'elle sache ce qu'elle va devenir. Quelquefois la même action
du Seigneur soulève le corps de la terre et le tient suspendu dans l'air, avant même qu'il ait pu y apporter aucune
résistance.
Dans l'une et l'autre de ces faveurs, l'âme reçoit toujours de grandes connaissances. Si rien de
merveilleux et de divin ne lui est alors montré, s'il ne s'est pas opéré en elle quelque effet d'une haute sainteté,
ces faveurs seront très suspectes. On aurait sujet de craindre que ce ne fût ou de pures défaillances de la nature
ou de dangereuses illusions du démon. Dans le premier cas, il faut, au moins pour un temps, retirer l'âme d'une
oraison dont elle abuse et donner au corps les aliments dont il a besoin. Dans le second, il faut, par de grandes
humiliations et la pratique de la pénitence, mettre en fuite l'esprit d'orgueil.
Quand les extases et les ravissements sont de Dieu, l'âme y reçoit une telle connaissance de son néant
qu'elle a peine à se supporter elle-même. Tous les plaisirs, tous les honneurs de la terre ne peuvent lui donner de
contentement : elle voudrait vivre oubliée et inconnue, pour ne plus s'occuper que de Dieu seul ; les moindres
offenses qu'elle voit commettre contre Dieu la pénètrent de la plus vive douleur ; son amour pour Jésus Christ et
le désir qu'elle a de le posséder lui rendent la vie douloureuse et ne lui laissent aucun repos. Des effets aussi
divins montrent évidemment que ces faveurs ont Dieu pour auteur. 46

46
Un jour, quelqu'un demandait au Père Jean de la Croix comment on entrait en extase. Il répondit : "En refoulant sa volonté,
en se prêtant à celle de Dieu. L'extase consiste précisément à sortir de soi-même pour se trouver ravi en Dieu. Et c'est là ce
que fait celui qui obéit : il sort de soi et de son bon plaisir, puis, allégé, il se joint à Dieu".

89
46

LE MARIAGE SPIRITUEL47

Lorsque l'âme a été purifiée par le grand nombre d'épreuves par lesquelles elle est
passée, lorsqu'elle n'a plus de vie que pour Jésus Christ, souvent toutes les faveurs dont on
vient de parler lui sont ôtées, ou plutôt elles sont converties en d'autres faveurs plus cachées,
mais plus précieuses et excellentes. Elle est conduite par une voie plus dégagée des sens et
plus spirituelle. C'est le même état que celui dont on a parlé dans le dernier degré d'oraison.
Mais parce que cet état est beaucoup plus stable que les autres et que l'âme y trouve toujours
Dieu au fond d'elle-même, d'une manière ineffable, il est pour cette raison appelé le mariage
spirituel.
Dans cet état extraordinaire, l'âme est introduite par une vision intellectuelle des trois
Personnes de la Très Sainte Trinité. Ce que la foi nous enseigne de ce grand mystère est
découvert à son esprit d'une manière très claire, quoique non intuitive, totale, comme ce sera
dans le ciel. A partir de ce moment, elle jouit de la société des trois Personnes divines, toutes
les fois qu'elle rentre en elle-même ; mais non pas de leur vue intellectuelle, sinon lorsqu'il
plaît au Seigneur de l'en favoriser de nouveau. Son état intérieur est d'ordinaire un état de
lumière et de paix, dans lequel de grands secrets lui sont manifestés. Et cela peut contribuer
davantage à son avancement et à celui des autres dans la perfection.
Quelquefois Notre-Seigneur, apparaissant à l'âme tout éclatant de gloire, dans une
vision imaginaire, très sublime, la décore de la glorieuse qualité de son Epouse, et sous des
symboles mystérieux, gages de son amour spécial, il s'unit à elle par des liens indissolubles. Il
lui remet en main ses intérêts et se charge lui-même des siens. L'âme ne vit plus alors pour
elle-même, c'est l'Esprit de Jésus Christ qui l'anime et qui vit en elle. Jésus Christ lui
communique ses sentiments et, pour la rendre plus semblable à lui-même extérieurement, il
lui fait part de ses peines et de ses souffrances. Sa vie, soit intérieure, soit extérieure, a les
rapports les plus intimes avec celle de son divin Maître. A son exemple, elle n'est occupée
qu'à faire la volonté du Père céleste (Jn 4, 34 et 8, 29) ; c'est là son aliment et ce qui la
soutient dans son exil, qui sans cela serait insupportable pour elle. Sa seule crainte serait de
s'en éloigner dans la moindre chose ; et cette crainte la rend plus vigilante que jamais, et plus
circonspecte à ne rien accorder à son amour-propre, qu'elle sait bien n'être pas encore tout à
fait mort, et à faire pour Dieu tous les sacrifices qui peuvent lui plaire et que son amour peut
exiger. Il serait impossible de dire de combien de grâces Dieu récompense cette fidélité.

Textes de l'Ecriture
qui ont rapport à l'oraison.
47
Ce chapitre fait corps avec le chapitre 40.

90
Dieu est Esprit ; il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (Jn 4, 24).
Lorsque vous prierez, entrez dans votre chambre, fermez la porte et priez en secret
votre Père. Votre Père, qui voit ce qui se fait en secret, vous en récompensera (Mt 6, 6).
Mon cœur s'est échauffé au-dedans de moi, et ce feu s'enflammera davantage par le
moyen de la méditation (Ps 38, 4).
Votre loi est l'objet de ma méditation (Ps 118, 97).
J'avais soin d'avoir toujours le Seigneur présent à mon esprit (Ps 15, 8).
Ainsi qu'une servante dont les yeux sont attachés sur les mains de sa maîtresse, ainsi
nous tenons toujours les yeux fixés sur le Seigneur, dans l'attente des effets de sa miséricorde
(Ps 122, 2).
Le Roi m'a introduite dans ses appartements. Nous nous réjouirons, nous tressaillirons
d'allégresse. Nous célébrerons ces amours plus que le vin le plus exquis
(Ct 1, 3).
Celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; et moi je l'aimerai, et je me découvrirai moi-
même à lui… Nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure
(Jn 14, 21-23).
Celui qui s'attache au Seigneur est un même esprit avec lui (1 Co 6, 17).
Notre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu (Col 3, 3).
Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus Christ qui vit en moi (Ga 2, 20).

91
Achevez votre œuvre, ô Seigneur,
et pour la gloire de votre saint nom
imprimez en moi cette divine ressemblance
Et faites de moi
soit dans mes sentiments et affections intérieurs
soit dans tout ma conduite extérieure,
une parfaite image de vous.

Vierge sainte,
ma Mère très aimante et compatissante,
j’implore cette grâce de votre toute-puissante intercession.

Amen

(Pierre de Clorivière. 22 mai 1768, fête de la Pentecôte)

92
Table des matières

PRESENTATION ................................................................................................................................. 3

PREFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION 1802 (EXTRAITS) ..................................................... 11

PREMIERE PARTIE ......................................................................................................................... 13

LA PRIERE1 ....................................................................................................................................... 13

NATURE, ............................................................................................................................................. 14

EXCELLENCE DE LA PRIÈRE ...................................................................................................... 14

NÉCESSITÉ DE LA PRIÈRE ........................................................................................................... 15

AVANTAGES DE LA PRIÈRE ......................................................................................................... 15

ESTIME QU'IL FAUT AVOIR ......................................................................................................... 17

POUR LA PRIÈRE ............................................................................................................................. 17

LA PRIÈRE EN COMMUN .............................................................................................................. 17

LA PRIERE CONTINUELLE ........................................................................................................... 18

POUR QUELLES PERSONNES ....................................................................................................... 19

ET QUELLES INTENTIONS IL FAUT PRIER ............................................................................. 19

CE QU'IL FAUT DEMANDER ET COMMENT LE DEMANDER ............................................ 20

PRÉPARATION ÉLOIGNÉE ........................................................................................................... 20

DE LA PRIÈRE ................................................................................................................................... 20

PRÉPARATION IMMEDIATE ........................................................................................................ 23

CARACTERES DE LA PRIÈRE ...................................................................................................... 23

COMMENT SE DÉFENDRE ............................................................................................................ 26

93
DES TENTATIONS ............................................................................................................................ 26

CONTRAIRES A LA PRIÈRE .......................................................................................................... 26

LES DISTRACTIONS ........................................................................................................................ 28

IL FAUT DEMANDER SOUVENT L'ESPRIT DE PRIÈRE ........................................................ 29

DEUXIEME PARTIE ......................................................................................................................... 32

L'ORAISON MENTALE ................................................................................................................... 32

LES SAINTS ONT TENU EN GRANDE ESTIME L'ORAISON MENTALE ............................ 33

IL N'Y A PERSONNE QUI NE PUISSE FAIRE ORAISON ......................................................... 34

L’EXERCICE DE L’ORAISON N’EST PAS UNE CHOSE AUSSI DIFFICILE QUE


BEAUCOUP L’IMAGINENT............................................................................................................ 34

DIFFICULTES QUI SE RENCONTRENT DANS L’EXERCICE DE L’ORAISON.................. 35

ILLUSIONS OÙ L’ON PEUT TOMBER DANS L’EXERCICE DE L’ORAISON ..................... 36

L’ORAISON DOIT ÊTRE PRATIQUE ........................................................................................... 38

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D'ORAISON .................................................................................... 39

IL FAUT ORDINAIREMENT S’APPLIQUER D’ABORD A LA MEDITATION ..................... 40

EN QUOI CONSISTE LA MÉDITATION ...................................................................................... 41

LE SUJET DE LA MÉDITATION ................................................................................................... 42

LE CORPS DE LA MEDITATION .................................................................................................. 43

IL FAUT RENDRE LA MÉDITATION PRATIQUE ..................................................................... 43

PRENDRE DES RÉSOLUTIONS A LA FIN DE LA MÉDITATION .......................................... 44

LE COLLOQUE ................................................................................................................................. 45

IL NE FAUT PAS USER DE TROP DE CONTRAINTE DANS LA MÉDITATION ................. 46

IL FAUT SURMONTER .................................................................................................................... 47

AVEC COURAGE .............................................................................................................................. 47

94
LES DIFFICULTÉS QUI SE RENCONTRENT ............................................................................. 47

DANS LA MÉDITATION .................................................................................................................. 47

FRUIT QUE L'ON RETIRE .............................................................................................................. 47

DE LA MÉDITATION ....................................................................................................................... 47

COMMENT FAUT-IL SE COMPORTER DANS LA MEDITATION LORSQU’ON EST DANS


L’ARIDITE ? ....................................................................................................................................... 49

A QUEL MOMENT FAUT-IL QUITTER PEU A PEU LA MÉDITATION ............................... 51

ET PASSER A UN AUTRE DEGRÉ D'ORAISON ? ...................................................................... 51

PRATIQUE DE L’ORAISON AFFECTIVE.................................................................................... 52

EFFETS QUE L' ORAISON AFFECTIVE PRODUIT DANS L' ÂME ....................................... 53

FAUTES ORDINAIRES DANS CET ÉTAT .................................................................................... 54

ET MOYENS QU’IL FAUT PRENDRE POUR S’EN GARANTIR ............................................. 54

DANS L'ORAISON AFFECTIVE,.................................................................................................... 55

ON A SOUVENT DES COMBATS A SOUTENIR ......................................................................... 55

MARQUES AUXQUELLES ON PEUT CONNAITRE QU’IL FAUT PASSER A L’ORAISON


DE RECUEILLEMENT ..................................................................................................................... 57

L'ORAISON DE RECUEILLEMENT ............................................................................................. 57

OU DE SIMPLE VUE......................................................................................................................... 57

VERTUS QUI SE PRATIQUENT ..................................................................................................... 59

DANS CETTE ORAISON .................................................................................................................. 59

IL FAUT SUIVRE LIBREMENT ET AVEC DOUCEUR.............................................................. 59

LES BONNES PENSÉES ................................................................................................................... 59

QUI VIENNENT PENDANT L'ORAISON...................................................................................... 59

IL NE FAUT PAS CONFONDRE LE VERITABLE RECUEILLEMENT AVEC L'INACTION


NATURELLE ...................................................................................................................................... 61

95
GRANDS BIENS QUE PROCURE L' ORAISON DE RECUEILLEMENT .............................. 63

VERTUS QUI DOIVENT ACCOMPAGNER L’ORAISON DE RECUEILLEMENT ET


DANGER QU’IL FAUT EVITER ..................................................................................................... 64

RÈGLEMENT DRESSÉ PAR M. BOSSUET POUR CEUX QUI SONT DANS L’'ORAISON
DE RECUEILLEMENT ..................................................................................................................... 66

IL NE FAUT PAS DÉSIRER ............................................................................................................. 70

DE SOI-MÊME L’ORAISON PASSIVE .......................................................................................... 70

L’ORAISON DE QUIETUDE ........................................................................................................... 71

DIVERS ÉTATS DE L'ORAISON .................................................................................................... 72

DE QUIÉTUDE ................................................................................................................................... 72

EFFETS DE L'ORAISON DE QUIÉTUDE ..................................................................................... 73

PIÈGE DANGEREUX QUE LE DÉMON TEND ALORS A L’AME........................................... 75

ÉPREUVES PAR OU L’AME A COUTUME DE PASSER DANS L'ORAISON DE QUIÉTUDE


: LA NUIT ............................................................................................................................................ 76

L’ORAISON D’UNION OU FIANCAILLES SPIRITUELLES .................................................... 78

GRANDES ÉPREUVES AUXQUELLES L'AME EST MISE DANS CET ÉTAT : LA NUIT
OBSCURE DE L’ESPRIT .................................................................................................................. 80

ÉTAT D'UNION PLUS STABLE ET PLUS PARFAIT : LE MARIAGE SPIRITUEL .............. 83

RÉFLEXIONS SUR CE QUI A ÉTÉ DIT ........................................................................................ 85

FAVEURS QUI DISTINGUENT PARFOIS L'ORAISON PASSIVE ........................................... 86

PAROLES INTÉRIEURES................................................................................................................ 86

VISIONS .............................................................................................................................................. 87

EXTASES ET RAVISSEMENTS ...................................................................................................... 89

LE MARIAGE SPIRITUEL .............................................................................................................. 90

96
97

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