Corrigé de Dissertation
Corrigé de Dissertation
Corrigé de Dissertation
croient, un acteur de boulevard déjà à l’automne de sa carrière, que l’on n’attendait pas pour un rôle
si nuancé et profond, une pièce en alexandrins, truffée de références savantes et de bons mots…)
obtient un succès foudroyant et l’« hétéroclite » personnage de Cyrano, devient aujourd’hui l’un des
rôles que tout comédien se doit un jour de jouer, autant que Dom Juan ou Figaro.
A quoi ce succès jamais démenti depuis sa création en 1897 tient-il ? Sans doute à la verve du
personnage, à son « panache » (le terme final de la pièce) que l’on savait à l’œuvre déjà lorsque le
héros proclamait, répondant aux inquiétudes de son ami le Bret, « J’ai décidé d’admirable en tout,
pour tout ! » (I,5). Que peut-on entendre par cet adjectif a priori valorisant ? L’est-il vraiment ? Son
héroïsme ne tient-il qu’à cette qualité ? Est-il le seul à incarner cette vertu dans la pièce ?
Nous déterminerons à quoi tient la dimension « admirable » de Cyrano, puis nous évaluerons
jusqu’à quel point il l’est, et s’il occupe seul ce « créneau ». Nous nous demanderons enfin s’il faut
seulement admirer Cyrano pour l’aimer pleinement.
1/3
LPB / corrigé de dissertation de fin de séquence en seconde – Cyrano a-t-il été admirable en tout, pour tout » ?
années de l’ellipse qui sépare l’acte IV de l’acte V, couvrant en cela … Bref, les vertus de Cyrano ne
manquent pas.
Enfin, aime-t-on un personnage pour ce que la cohue avait annoncé à propos de Cyrano, c’est-
à-dire pour sa prestance et son charisme ? Si l’on s’en réfère à la première description de Cyrano,
« bizarre, excessif, extravagant, falot », les outrances du personnage ne le rendent pas spécialement
aimable. Par ailleurs, en public, s’il peut certes amuser, ne serait-ce que par son inventivité (diverses
trouvailles lexicales et néologismes succulents qui le rendent comique, comme « Que Montfleury s’en
aille, / Ou bien je l’essorille et le désentripaille ! ») ou par son sens de l’humour (« c’est clair – c’est
diaphane » en jouant sur les mots en I, 4 au fil de son aveu à Le Bret), on conviendra que des bons
mots ne suffisent pas à rendre admirable ; au mieux, ils divertissent. De même, qu’un personnage
fanfaron se mette en scène dans un théâtre (tout l’acte I se déroule au théâtre de Bourgogne), cela
2/3
LPB / corrigé de dissertation de fin de séquence en seconde – Cyrano a-t-il été admirable en tout, pour tout » ?
est davantage conforme que singulier. En revanche, on peut aimer un personnage pour sa complexité :
Cyrano qui va défier les hommes à la porte de Nesle est aussi le gourmand qui savoure une « moitié
de macaron », en I, 4. Le même Cyrano qui, esquive la bataille proprement dite au profit d’une joute
oratoire à peine composée (« Oui, monsieur, poète ! et tellement, / Qu’en ferraillant je vais – hop ! –
à l’improvisade, / Vous composer une ballade. », en I, 4), est tout de même celui qui, sous le feu de
l’ennemi, pense à sauver Roxane (« vivement l’arrêtant », «l’éloignant ») en IV, 10. Enfin, au moment
où Roxane comprend le stratagème à la scène finale, et qu’il emporte jusqu’à sa prise de conscience,
il a un mot, que rien n'exigeait plus, en faveur du disparu : « Ce sang était le sien. », le sang -donc le
deuil et la loyauté au mort- dont on ne se débarrasse pas étant rendu d’autant mieux par l’allitération
en -s-. Il fait donc montre, alors que plus rien ne l’y engage, d’une fidélité élégante, en se sentant
encore lié à un absent. Enfin, le spectateur peut admirer chez Cyrano non pas son goût du défi et de
la polémique contre des ennemis ou détracteurs (il ne manque pas d’ennemis- Montfleury, Valvert,
de Guiche etc. - comme il le reconnait, en admettant les paradoxes à l’acte I, scène 5 : « Déplaire est
mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse »), mais son sens du sublime puisque ses vrais ennemis sont des
notions, abstraites et qui sont bien-sûr hors de portée pour lui : « Tiens, tiens ! – Ha ! ha ! les
Compromis, / Les Préjugés, les Lâchetés !… » et plus loin, la « Sottise ». Sa lucidité (« – Je sais bien qu’à
la fin vous me mettrez à bas ») est touchante parce qu’il ose encore, après n’avoir pourtant pas
manqué de bravoure (faut-il à cet effet rappeler que le siège d’Arras occupe près d’un acte IV, c’est-à-
dire une proportion écrasante dans les aventures du héros qui couvrent cinq actes), préférer aux
combats victorieux ceux perdus d’avance.
En conclusion, Cyrano avait affirmé, non sans crânerie, vouloir « être admirable en tout, pour
tout ! ». Jusqu’à un certain point, la promesse se tient, si l’on admet qu’il faut repenser le champ
d’application et la teneur de cette admiration.
Denis Podalydes, metteur en scène de la pièce jouée à la Comédie Française en 2008, s’avouant
lui aussi intrigué par ce que le « panache » recouvre et qui fait écho à « l’âme de Cyrano » dont parle
Rostand dans sa dédicace liminaire, esquisse une explication de ce qui rend Cyrano admirable mais
surtout universellement aimable : « Il est étrange, mais bien séduisant, de penser que cette machine
à succès soit en son fond un éloge de l’échec. » Les qualités de Cyrano n’ont pas empêché les amants
d’être séparés, ni les héros de mourir, mais « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile » (V, 6).
N’empêche, la pièce a eu lieu, preuve que même l’inutile aura été nécessaire, vision on ne peut plus
baroque de notre existence et qui nous fait sans doute admirer en Cyrano notre propre reflet.
3/3
LPB / corrigé de dissertation de fin de séquence en seconde – Cyrano a-t-il été admirable en tout, pour tout » ?