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Le Lac de Alphonse Lamartine

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Le Lac

Alphonse de Lamartine

Les Méditations poétiques

Introduction

Le Lac est le dixième poème du recueil de 24 poésies nommé Les Méditations poétiques de Alphonse
de Lamartine (1790-1869) publié en 1820. La poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil
des méditations est classique, des quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une harmonie,
un équilibre lent propice à la description des sentiments de l'auteur. Le Lac est considéré, aujourd’hui
encore, comme le fleuron de la poésie romantique. Ce poème fut inspiré à Lamartine par la liaison
amoureuse qu’il eut en 1816-1817 avec Julie Charles, une femme mariée atteinte d’un mal incurable
qui l’emporta en 1817. Lamartine revient seul revoir les lieux qu'il a visités autrefois avec elle. Le Lac
de Lamartine est devenu le poème immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur
et de l'amour éphémère qui aspire à L'Éternité.

Lecture du texte

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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com

Le Lac

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux


rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?

Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,


Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette
pierre
Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,


Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en


silence ; Alphonse de Lamartine
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les peinture de Henri Decaisne, musée de
cieux, Mâcon
Que le bruit des rameurs qui frappaient en
cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre


Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :

" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures


propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

" Assez de malheureux ici-bas vous


implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les
dévorent ;
Oubliez les heureux.

" Mais je demande en vain quelques moments


encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.

" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure


fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point
de rive ;
Il coule, et nous passons ! "

Temps jaloux, se peut-il que ces moments


d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le
bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins


la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers
perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les
efface,
Ne nous les rendra plus !

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,


Que faites-vous des jours que vous
engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases
sublimes
Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt


obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut
rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes


orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants
coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs
sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui


passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords
répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta
surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,


Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on
respire,
Tout dise : Ils ont aimé !

Alphonse de Lamartine - Les Méditations


poétiques

Annonce des axes

Nous verrons donc que ce poème lyrique reflète l'obsession du temps qui passe et met en exergue le
pouvoir de la nature.

Commentaire littéraire

I. L’obsession du temps

Le thème principal de ce poème est la fuite du temps, thème traditionnel de la poésie, déjà privilégié
par les épicuriens de l’Antiquité et par les poètes de la Pléiade comme Ronsard. Ici, le temps est
représenté par la métaphore de l’eau qui est filée tout au long du poème.
Champ lexical du temps avec des divisions temporelles : "la nuit", "le jour", "l’aurore", "le soir", "les
heures", "l’année", "moments", "l’éternité" et présence d'adjectifs significatifs : "l’heure fugitive",
"nuit éternelle". On observe la métaphore du temps du temps "l’océan des âges" (21, 35-36) assimilé à
l’eau -> métaphore filée du temps qui coule. Les allitérations en [l], des vers 14 et 38 par exemple,
miment ainsi le bruit de l’eau.
Les enjambements nombreux notamment en fin de strophe semblent précipiter le poème et rendent
ainsi sensible pour le lecteur le temps qui passe trop vite.
On remarque également les expressions "heure fugitive", "rapides délices" ou la phrase "le temps
m’échappe et fuit" qui évoquent l’écoulement impitoyable du temps. L’antithèse "ce temps qui les
donna, ce temps qui les efface" suggère quant à elle la fugacité des moments de bonheur, qui
disparaissent aussi vite qu’ils ont éclos. En ce sens, le poème porte la plainte de toute la nature
humaine. L’usage de la première personne du pluriel permet ainsi au lecteur de se reconnaître dans le
cri de douleur poussé par le poète. Tout le poème semble ainsi évoquer la fuite du temps.
L'allégorie temps-oiseau prend ici une importance particulière. "O temps suspends ton vol", est un
impératif adressé au temps comme à un oiseau pour suspendre son vol et se reposer. Au vers 37 où
l’adjectif "jaloux" renforce la personnification.
Les participes passés, la voix passive (strophe 1) soulignent la passivité et l’impuissance de l’homme
face au temps : il est soumis au mouvement du temps. L’opposition des temps verbaux (passé /
présent) : le passé évoque le souvenir, l’expérience vécue (strophes 3 et 4). L'imparfait insiste sur la
durée des actions et le passé simple sur le caractère bref et inattendu des moments vécus. Dans ce
poème, le présent sert à l’observation générale (présent gnomique : vers 7, 13) et à la réflexion. À
partir du vers 20, présence d'apostrophes et de l’impératif présent. À partir du vers 29, les prières sont
remarquables, ainsi que le subjonctif présent dans les trois dernières strophes (au début des vers). Il y a
correspondance entre les temps : le présent fait naître le souvenir. Les interro-négatives des vers 41 et
44 soulignent la douleur du poète.

Cette réflexion insiste sur l’impossibilité de l’homme à fixer le temps. Cette dernière est signalée par
les invocations au temps : il est capricieux (vers 21-22, 30-31, 37, 41), il est celui qui donne et qui
reprend, il a un caractère inlassable, éternel (vers 36).
Le rythme est vif : notamment dans les deux premières strophes, il y a absence de points et très peu de
coupes. Les enjambements (vers 3, 4, 7, 8) rallongent les vers.

La fragilité de l’homme est mise en valeur et donne une tonalité élégiatique et lyrique au poème.
-> Lamartine réfléchit dans ce texte sur sa condition d’homme, sur sa faiblesse face à la fuite du
temps. Il s’agit d’un appel adressé à la nature qui est seule capable d’aider l’homme dans sa lutte
contre le temps.

II. Le pouvoir de la nature

Le titre du poème évoque un lieu aimé qui a été le refuge du poète et de sa compagne : seule la nature
peut conserver une trace intacte du bonheur.
La nature est très présente dans l’ensemble du poème. Nous la retrouvons sous la forme de l’élément
liquide avec l’image du lac mais également à travers l’évocation du "vent" vers 11 ou du "Zéphyr"
vers 57 qui représente l’air ou des "roches profondes" qui représente la terre. Les "rochers", "grottes",
"rocs" permettent quant à elle une image minérale de la nature, là où les "sapins", "coteaux", "forêts"
et le "roseau" dressent une image végétale. Cette communication imagée du poète avec les éléments de
la nature n’est en fait qu’une manière d’utiliser la fonction expressive du langage, puisque le poète n’a
en réalité pour but que d’exprimer ses sentiments.
La nature en général et le lac en particulier sont le cadre du bonheur passé (vers 6 : "des flots chéris",
16 : "flots harmonieux") et la métaphore du navigateur (vers 3, 4, 35) renforce le sentiment
d’impuissance : l’homme est un marin qui navigue sur l’océan des âges et voudrait jeter l’ancre pour
arrêter le temps.
Le poète apostrophe ("ô" vocatif -> invocation) tous les éléments de la nature pour qu’ils témoignent
du passé, des sentiments du poète -> le réseau lexical de la nature (vers 5, 9, 11, 18, 49, 54-55, etc.).
L’apostrophe "Ô Lac !", caractérisée par l’usage de la majuscule donne au lac une dimension
personnelle, renforcée par le nom "flanc" et par le verbe "mugir" des vers 10 et 9.
Le vers 64 ("Ils ont aimé") est la concentration de tout ce qui a été dit dans le poème. Ce vers est la
chute et l’apogée du poème : le poète constate le pouvoir des sentiments. Le passé composé signale la
conséquence sur le présent : le fait d’avoir aimé l’emporte sur toutes les constatations négatives et
amères ; le poète termine sur une note optimiste.
Correspondance entre le paysage et les sentiments du poète.

Conclusion

Le Lac est une réflexion sur le temps en rapport avec un amour qui semble à jamais fini. Lamartine
constate avec amertume que le passé heureux est perdu à jamais, que le temps en a effacé la trace et
qu'il ne peut être restitué. La nature qui a été le témoin vivant de la présence du poète a pu garder la
trace de ce moment et le restituer au poète. C'est le paysage qui conserve le souvenir, et non l'écriture
et qui peut dire "ils ont aimé". Le titre du poème s’explique : comme le lac retient les eaux fluides et
fugitives, le poème retient le temps et fixe pour l’éternité un moment de bonheur inoubliable.
Lamartine montre ici que l’art est un moyen de lutter contre le temps qui passe et force est de constater
qu’il réussit son projet puisque, aujourd’hui encore, nous lisons son poème et partageons avec lui son
souvenir.

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