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Notation Financiére 1

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LES AGENCES DE NOTATION FINANCIÈRES

Naissance et évolution d'un oligopole controversé

Jean-Guy Degos, Oussama Ben Hmiden, Jamel E. Henchiri

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2012/8 N° 227 | pages 45 à 65


ISSN 0338-4551
DOI 10.3166/RFG.227.45-65
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-8-page-45.htm
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VA R I A
JEAN-GUY DEGOS
IRGO, université Bordeaux IV
OUSSAMA BEN HMIDEN
ESSCA École de management
JAMEL E. HENCHIRI
ISG de Gabès, Tunisie

Les agences de
notation financières
Naissance et évolution d’un oligopole
controversé

Dans la tourmente de la crise des subprimes, les agences de


notation financières, auxiliaires devenus indispensables au
traitement de l’information financière, ont été beaucoup
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critiquées. Après les diverses controverses, aux États-Unis
comme en Europe, leur mode de fonctionnement a été
minutieusement examiné et remis en cause, comme cela a été
le cas pour les normes comptables et d’autres moyens
d’analyse et de synthèse. Dans ce contexte, le présent article
veut rappeler quelques points importants sur la naissance et
sur le développement de ces agences.

DOI:10.3166/RFG.227.45-65 © 2012 Lavoisier


46 Revue française de gestion – N° 227/2012

L
orsque les premières agences de pement des trois grandes agences de nota-
notation sont apparues vers 1920, tion qui contrôlent l’essentiel du marché.
leur activité se distinguait peu de Nous étudions les origines de la notation,
celle des analystes financiers. À partir des l’apparition et la prédominance des agences
années trente, en réaction à la crise de 1929, majeures, dont l’avenir était incertain à leur
leur marché s’est focalisé sur l’analyse de la création, mais qui ont réussi, après maintes
qualité du crédit des émetteurs. Aujour- stratégies de fusion à constituer une struc-
d’hui, la notation de crédit reflète l’opinion ture oligopolistique. Nous voyons si cette
d’une agence à partir d’une analyse finan- structure explique ou non les excès qu’on
cière et opérationnelle. Elle se fonde sur leur reproche dans la crise récente des mar-
l’analyse des éléments quantitatifs et quali- chés financiers.
tatifs relatifs à la position actuelle et prévi-
sible de l’entreprise (Ferri et Liu, 2005). I – LES ORIGINES DE LA NOTATION
L’activité principale des agences de nota- FINANCIÈRE ET DES AGENCES
tion consiste à donner des avis sur la qualité DE NOTATION
du crédit, sur la capacité d’honorer les obli- La notation financière s’est d’abord focali-
gations financières d’un émetteur ou d’un sée sur les émissions publiques de titres.
instrument financier (Cantor et Packer, Elle s’est ensuite étendue aux sociétés pri-
1994 ; Paget-Blanc et Painvin, 2007). Les vées, américaines puis étrangères. La glo-
agences de notation facilitent ainsi l’évalua- balisation des marchés a rendu cette nota-
tion de la solvabilité d’un émetteur ou d’un tion nécessaire sinon obligatoire. Une
emprunteur. Les notations attribuées com- analyse historique des Credit Rating Agen-
blent un manque éventuel d’informations et cies est donc utile pour mieux comprendre
dispensent les opérateurs du marché de les interrelations actuelles entre les
faire eux-mêmes des analyses coûteuses.
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agences, les régulateurs et les émetteurs, et
La notation financière était limitée, à ses leurs conséquences sur les entreprises et sur
débuts, aux sociétés privées américaines, l’économie.
elle s’est rapidement étendue aux sociétés
étrangères. Dans le passé, ces agences ana- 1. Les origines de la notation financière
lysaient essentiellement des emprunteurs L’histoire de l’activité de la notation finan-
« souverains ». Aujourd’hui, leur champ de cière est commune, à ses débuts, avec celle
compétence s’élargit, avec le développe- des sociétés d’analyse de crédit apparues
ment des émissions obligataires et des nou- après la crise de 1837 qui montrait un dys-
veaux instruments financiers transférant ou fonctionnement grave du système financier
diluant le risque de crédit. Elles sont nom- dans son ensemble, et donc la nécessité
breuses, mais trois principales, un oligo- d’acquérir plus d’informations pour optimi-
pole1, contrôlent 94 % du marché. ser les décisions. On assiste à l’émergence
Le présent article se propose de rappeler les d’un nouveau métier : la vente d’informa-
circonstances de l’apparition et du dévelop- tions financières. La première société à se

1. L’oligopole est constitué des trois principales agences qu’on peut considérer comme les vendeurs d’information,
face à une multitude d’acheteurs d’information, voir Morgenstern (1948).
Les agences de notation financières 47

lancer dans cette activité a été The Mercan- la concurrence, entre les sociétés d’édition,
tile Agency (Olegario, 1998, 2006 ; Sandage, est devenue acharnée, afin de concevoir la
2005), fondée à New York en 1841 à la suite meilleure procédure d’évaluation du risque
de la faillite d’une grande entreprise de textile des obligations et des actions. En 1916, la
et qui a décidé d’orienter son activité vers la société Poor’s Publishing Company a déve-
vente d’informations financières, en exploi- loppé une activité de notation des actions et
tant son fichier commercial et en évaluant la des obligations et ensuite, vers 1922, la
solvabilité de ses clients. En 1859, cette société Standard Statistic Company a mis
entreprise est reprise par Robert Graham Dun en place un département spécialisé dans
et prenait le nom de R.G. Dun & Co. La l’activité de notation. En parallèle, en 1924,
réussite de cette première tentative a encou- la société Fitch Publishing Company, spé-
ragé plusieurs autres concurrents cialisée dans l’édition d’informations
à investir dans ce domaine. En 1849 financières, communiquait au marché, ses
J.M. Bradstreet2 a créé The Bradstreet premières notations.
Improved Commercial Agency et, en 1857, Le développement de l’activité de notation
publié le premier guide de notation, The est stimulé par :
Bradstreet Rating book, (Bradstreet, 1857), – la nature de la mission même de cette
premier fournisseur d’informations prag- activité, qui cherche à apporter un service
matiques permettant de prendre des déci- aux investisseurs, en leur fournissant des
sions de gestion plus efficaces. informations directement utilisables et en
En 1909 est paru le premier essai d’analyse, les aidant à les utiliser dans leur prise de
grâce aux travaux pionniers de John décisions ;
Moody : Analysis of Railroads Investments – la taille du marché américain, géographi-
(Moody, 1909) inspiré du développement quement étendu et solvable, qui fait que
des chemins de fer. Les opérations finan- l’on préfère payer pour avoir de l’informa-
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cières considérables de ce secteur ont été à tion plutôt que de courir le risque d’aller la
l’origine de la rédaction de plusieurs vérifier sur place après un déplacement
manuels décrivant l’activité des compa- long et hasardeux ;
gnies concernées mais non synthétisées – le rôle significatif joué par les compa-
sous la forme d’une notation globale. Cette gnies de chemin de fer que personne ne
contribution, sans précédent, a eut un rôle peut ignorer, puisqu’elles formaient à elles
important dans l’adoption de la technique seules un vaste marché des obligations et
de notation, insistant sur le rôle significatif donc une cible privilégiée de l’activité de
joué par les investissements des compa- notation ;
gnies de chemin du fer au début du XXe – enfin, une activité encadrée aux États-
siècle. À partir de la publication du livre de Unis par des textes précis : le début des
John Moody, les travaux se sont succédé et années trente est marqué par l’émergence

2. Dans sa thèse de 1998 et dans son livre de 2006, Rowena Olegario trace un portrait incisif et dynamique de deux
entreprises, the Mercantile Agency, qui deviendra plus tard R. G. Dun and Company, et J. M. Bradstreet. Olegario
montre comment leurs responsables, génies de l’innovation, ont remarquablement simplifié et mis à la portée des
investisseurs, le problème général de l’asymétrie de l’information sur les marchés.
48 Revue française de gestion – N° 227/2012

des nouvelles réglementations qui distin- Poor’s Publishing Company. Ce mouvement


guait les obligations qualifiées d’« Invest- a accéléré le développement de l’activité de
ment grade » et celles qualifiées de « Spe- notation. Une propagation de ce métier dans
culative grade3 ». le monde est stimulée d’abord par les réper-
Les différents scandales financiers de ces cussions de la crise économique de 1929,
dernières années (Affaire Enron, crise ensuite par les conséquence de la Seconde
financière actuelle) ont souligné l’existence Guerre mondiale qui ont permis aux États-
de risques liés au rôle des agences de nota- Unis d’avoir une prépondérance mondiale
tion au sein du système financier. Ceci a confortée par les accords monétaires de
accéléré le processus de régulation de ces Bretton Woods débouchant sur le modèle du
agences de notation. À côté d’une approche gold exchange standard et par la mise en
autorégulatrice établissant des normes non place du plan Marshall venant en aide aux
contraignantes sous forme de code de économies européennes détruites. Le déve-
conduite, une nouvelle approche réglemen- loppement de la normalisation comptable et
taire, qui consiste à mettre en place un sys- des innovations financières américaines, à
tème de surveillance renforcé, est suivie. partir des travaux de Paton et Littleton
Autorégulation ou surveillance, l’objectif (1940) ou Moonitz (1961) n’a pas non plus
demeure de répondre aux questions liées à été négligeable. Tous ces éléments accumu-
la transparence et aux conflits d’intérêts. lés ont contribué à la naissance des grandes
agences de notation.
2. Naissance et émergence des agences C’est en 1970, que les premiers doutes sont
de notation
émis quant à l’indépendance des agences de
Le développement des agences de rating au rating à la suite de la faillite de Penn Central
début des années trente et leur concurrence Railroad. C’est une des premières mises en
acharnée, ont conduit à de nombreuses question du sérieux et de la fiabilité de la
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fusions pour prendre le contrôle du marché notation (Raimbourg, 1990), devenue
de la notation : depuis un problème permanent (Gerst,
– En 1932, l’agence Duff and Phelps est Groven, 2004). Devant ce scandale et afin
créée à Chicago ; de redonner à la notation son rôle d’indica-
– Dès 1933, le rapprochement des sociétés : teur clé du risque de défaillance attaché aux
R.G. Dun et J.M Bradstreet donne lieu à la titres financiers, la SEC4 a mis en place en
fondation de la société Dun and Bradstreet, 1975 une certification du métier de la nota-
Inc ; tion par l’attribution de statut NRSRO5 aux
– En 1941, la société Standard and Poor’s agences reconnues et enregistrées auprès du
voit le jour, après le rapprochement de deux régulateur fédéral américain. Par la mise en
sociétés : la Standard Statistic Company et la place de cette norme, les autorités de régu-

3. Les notes financières appelées speculative grade (ou non-investment grade) correspondent à un niveau de risque
élevé qui se traduit par un coût de la dette plus important.
4. SEC : Security Exchange Committee, l’autorité américaine du contrôle des marchés boursiers.
5. NRSRO – Nationally Recognized Statistical Rating Organisation : organisation de notation statistique reconnu sur le
plan national : une des conditions essentielles de la reconnaissance NRSRO est la réputation au niveau national (amé-
ricain) des sociétés émettrices de notation crédibles et fiables par les principaux utilisateurs et investisseurs de titres.
Les agences de notation financières 49

lation des marchés financiers avaient fonctionnement NRSRO sont modifiées et


comme objectif de standardiser et de forma- le Credit Rating Agency Reform Act promul-
liser la pratique des notations, spécialement gué ; ce dernier cherche à règlementer les
lorsqu’elles concernaient les sociétés de processus de décision interne des CRA,
courtage et les banques et leurs ratios pru- mais interdit à la SEC de règlementer les
dentiels relatifs aux fonds propres. Au début méthodes de notation des sociétés membres
des années 1980, il existait « 7 samouraïs » NRSRO. Juste après, en 2007, deux agences
ayant obtenu la qualification NRSRO, de notations japonaises, Japan Credit Rating
concrétisée par la réception d’une lettre Ltd. et Rating & Investment Information
d’accréditation. Dans les années 1990, après Inc., plus une société américaine de la
quelques nouvelles fusions, leur nombre est région de Philadelphie, Egan-Jones Rating
réduit à trois : Moody’s Investor Service, Company, sont ajoutées à la liste officielle.
Standard & Poor’s et Fitch Rating. Sous la Depuis avril 2011, les sociétés agréées par le
présidence de G.W. Bush, de fortes pres- règlement NRSRO modifié6 sont les sui-
sions politiques ont conduit à accepter en vantes (tableau 1).
2003 la société canadienne Dominion Bond
Rating Service Ltd, puis en 2005 A.M. Best 3. La modification de la règlementation
Company, très appréciée pour les notations après Enron et Sarbanes-Oxley
dans le secteur de l’assurance. En 2006, Les modifications ont touché les États-Unis et
après des années de critiques, les règles de l’Europe. On peut relever les points suivants.

Tableau 1 – Agences de notation ayant le statut NRSRO


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Année Nom de l’agence
1 1990 Moody’s Investor Service
2 1990 Standard & Poor’s
3 1990 Fitch Rating
4 2003 Dominion Bond Rating Service Ltd.
5 2005 A.M. Best Company
6 2007 Japan Credit Rating Ltd.
7 2007 Rating & Investment Information Inc.
8 2007 Egan-Jones Rating Company
9 2010 Morningstar Inc.7
10 2010 Kroll Bond Rating Agency8

6. Le site donne la liste de 75 agences de notation mondiales au 30 avril 2011.


7. Realpoint LLC a été acquise en 2010 par Morningstar Inc.
8. LACE Financial a été acquise en 2010 par Kroll Bond Rating Agency Inc.
50 Revue française de gestion – N° 227/2012

Évolution règlementaire aux USA, conflits d’intérêts relative à la notation des


de juin 2003 à juillet 2010 produits financiers structurés et d’autre
En juin 2003, après les désordres provoqués part, sur la réduction de la dépendance à la
par la faillite du groupe Enron, le législateur notation. Elle autorise les investisseurs à
fédéral américain a décidé de revoir le pro- poursuivre une agence de notation en cas de
blème de la réglementation des agences de notation frauduleuse ou imprudente.
notation et de leur statut NRSRO. Sur les Évolution règlementaire en Europe,
recommandations des auteurs du Sarbannes- de janvier 2004 à décembre 2010
Oxley Act9 les autorités ont organisé des Parallèlement à l’évolution de la règlementa-
entretiens et publié des rapports sur le rôle tion américaine, en janvier 2004, la Commis-
joué par les agences dans cette affaire : mal- sion européenne est mandatée par le Parle-
gré la perte de confiance des investisseurs, ment européen pour étudier la création d’une
les parties interrogées se sont prononcées en « Autorité européenne d’enregistrement des
faveur du statut NRSRO. Cette accréditation agences ». Dans un communiqué de presse
constitue de ce fait un gage de professionna- du 13 décembre 200512, le CESR13 précise
lisme reconnu par l’ensemble du marché. que le processus de contrôle de conformité
En septembre 2006, la promulgation du Cre- sera laissé à la discrétion des agences de
dit Rating Agency Reform Act10 remplace le rating, à charge pour elles de signaler
système d’accréditation par la SEC des annuellement au Comité le degré de prise en
agences de notation souhaitant être recon- compte des mesures et d’indiquer en quoi
nues comme NRSRO par un système d’enre- elles s’écartent éventuellement des disposi-
gistrement des agences auprès de ladite SEC. tions du code. La Commission européenne a
Cette dernière est habilitée à contrôler les précisé qu’elle ne souhaitait pas ajouter de
agences qu’elle reconnaît, à les sanctionner texte aux exigences réglementaires en
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et à recevoir de leur part des informations vigueur, suffisantes, tant pour les initiatives
financières périodiques. L’obtention du nou- des États membres que pour l’autorégulation
veau statut de NRSRO est assortie d’exi- assurée par les participants, concourant au
gences d’informations que les agences doi- bon fonctionnement des marchés.
vent remettre à la SEC, en particulier dans le En mars 200614 la Commission européenne
domaine des méthodologies utilisées. affirme une nouvelle fois que les disposi-
Enfin, le 15 juillet 2010, la loi de réforme tions de la directive « Abus de marché »
de la finance renforce l’encadrement des associées à l’autorégulation que les agences
pratiques des agences de notation11. Elle est développent sur la base du code de bonne
fondée d’une part, sur la réduction des conduite adopté le 4 décembre 2004 par le

9. Sarbanes-Oxley Act of 2002, www.sec.gov


10. 29 septembre 2006, www.sec.gov/rules/final/2007/34-55857.pdf.
11. Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act.
12. CESR’s dialogue with Credit Rating Agencies to review how the IOSCO Code of Conduct is being implemented,
13 décembre 2005, www.cesr-eu.org
13. Comité des régulateurs européen.
14. Update on CESR’s dialogue with Credit Rating Agencies to review how the IOSCO Code of Conduct is being
implemented, 9 mars 2006, www.cesr-eu.org
Les agences de notation financières 51

comité technique de l’OICV15, est suffi- de nouvelles initiatives législatives afin


sante et qu’elle fournit une réponse adaptée d’encadrer l’activité de notation portant sur
aux problèmes identifiés par le Parlement les thématiques suivantes : réduction de la
européen dans sa résolution de 2004. dépendance aux notations, notation souve-
Le rapport élaboré par le CESR, et publié raine, concurrence dans l’industrie de la
en janvier 200716, conclut que, dans une notation, responsabilité civile, conflits d’in-
large mesure, les agences Dominion Bond térêts et modèle de rémunération « émet-
Rating Service Limited, Fitch Ratings, teur-payeur ».
Moody’s et Standard and Poor’s ont pris en
compte les dispositions du code de l’OICV 4. L’irrésistible ascension
dans leurs codes internes respectifs, sur la des trois principales agences de notation
forme comme sur le fond. Il relève égale- Les trois principales agences Moody’s,
ment des domaines de divergence entre les Standard and Poor’s et Fitch, créées à des
pratiques des agences et celles préconisées dates différentes, ont eu, chacune à leur
par le code de l’OICV et propose que des niveau, suffisamment d’atouts pour sur-
clarifications soient apportées par l’OICV à vivre, se développer et rester chacune l’une
certaines dispositions du code. des trois composantes d’une structure oli-
Le procès-verbal du 23 avril 2009, à gopolistique réaliste. Standard & Poor’s et
Strasbourg, entérine le rapport sur la propo- Moody’s détiennent 80 % du marché,
sition du Parlement européen et du Conseil exprimé en chiffre d’affaires, Fitch Rating
sur les agences de notation de crédit 14 % et les 6 % restant sont partagés entre
(C6-0397/2008) : d’après ce règlement, les autres agences.
toutes les agences qui souhaitent que
leurs notations soient utilisées dans Moody’s et le premier recueil
l’Union européenne doivent demander leur de notation
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enregistrement. Moody’s est une entreprise incontournable
Enfin, en décembre 2010, on assiste à la sur le marché des capitaux. Elle fournit des
préparation d’une consultation pour prendre notations, des outils et des analyses dont les

Tableau 2 – Principaux chiffres-clés des agences de notation

Agences Chiffre d’affaires Résultat Ratio Effectif


de notation 2010 2010 R/CA 2010
Standard & Poor’s 1 695 M$ 762,4 M$ 45 % 8 500
Moody’s 2 032 M$ 507,8 M$ 25 % 4 500
Fitch Rating 609 M$ 125,6 M$ 21 % 2 997
Sources : rapports des agences de notation (2010).

15. OICV : Organisation internationale des commissions de valeurs.


16. CESR’s Report to the European Commission on the compliance of Credit Rating Agencies with the IOSCO
Code, 4 janvier 2007, http:// www.cesr-eu.org
52 Revue française de gestion – N° 227/2012

marchés actuels ne peuvent pas se passer. notation Moody’s est étendue à toutes les
Ses composantes, telles que Moody’s Cor- grandes catégories d’émetteurs d’obliga-
poration ou Moody’s Analytics ont une tions, en particulier celles qui concernaient
activité en croissance continue. En 2010, des marchés publics. En 1913, la base de
elle avait 4 500 salariés, un chiffre d’af- données d’entreprises notées est élargie, et
faires de 2 032 millions de dollars et un les entreprises industrielles et les services
résultat de 507,8 millions de dollars, dans publics ont pu être mieux appréhendés.
26 pays différents. Créée en 1908 par John L’évaluation par Moody’s est de plus en
Moody (1868-1958), journaliste autodi- plus appréciée par les entreprises de pre-
dacte, détenue de 1962 à 2000 par Dun & mier plan. L’année suivante, Moody’s
Bradstreet (Sandage, 2005), cette société est Investors Service est fondée, et en cette
désormais indépendante. Elle est cotée année 1914, la notation des obligations
depuis 2000 au NYSE. Son fondateur a émises par les grandes villes américaines
donné la priorité à la qualité des investisse- est entreprise. De 1914 à 1924, l’empire de
ments et à la performance des moyens mis la société s’est considérablement étendu et
en œuvre. L’agence Moody’s est également à la fin de la décennie, 100 % des obliga-
née de la publication de données finan- tions américaines faisaient l’objet d’une
cières, rassemblées dans le Moody’s notation. La crise de 1929 n’a pas ralenti la
Manual of Industrial & Miscellaneous progression de l’entreprise, qui a continué à
Securities publié par l’Américain John noter les obligations dont le taux d’intérêt
Moody ; cet ouvrage contenait des informa- considérablement accru a provoqué une
tions et des statistiques sur les actions et baisse du capital17, dont les fluctuations ont
obligations d’institutions financières, entraîné des défauts de paiement ou des
d’agences publiques, et d’entreprises indus- moratoires d’intérêts. Moody’s a ainsi
trielles appartenant aux secteurs des manu- prouvé son aptitude à noter les entreprises
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factures, des mines, de la fourniture d’eau quels que soient la conjoncture et le destin
et d’électricité et de l’agroalimentaire. Suite des sociétés. Beaucoup plus tard, à partir
à la crise de 1907, la société Moody’s, des années 1970, Moody’s a étendu son
financièrement vulnérable, a changé de activité de notation aux différents types de
mains, mais, dès 1909, son dirigeant prenait « papier commercial » et aux dépôts ban-
sa revanche. En effet, à partir de cette date, caires, mettant en cause les émetteurs de
Moody’s a commencé à attribuer des notes titres et les investisseurs. La société, dont la
de crédit, d’abord aux sociétés ferroviaires, rémunération ne pouvait plus se borner à la
avec beaucoup de détails et de pertinence. simple souscription d’annuaires de nota-
Les conclusions des études, d’excellente tion, a alors décidé de faire payer ses ser-
qualité et l’utilisation de lettres, utilisée vices aux entreprises notées, ce qui a par-
depuis les années 1880, ont emporté l’adhé- fois entraîné des situations ambiguës
sion des utilisateurs. Progressivement, la (Kariotys, 1995 ; Gerst et Groven, 2004).

17. Rappelons que l’essence du risque de taux est que lorsque le taux d’intérêt s’accroît, le capital diminue et inver-
sement la baisse des taux d’intérêt provoque une réévaluation des capitaux.
Les agences de notation financières 53

Standard & Poor’s pionniers fiches pratiques de 5 x 7 pouces contenant


du droit de connaître le marché des renseignements sur les entreprises fer-
Créée en 1941 par la fusion de Standard roviaires. En 1913 il a acheté l’entreprise
Statistics et de Poor’s Publishing Company, Babson Stock and Bond Card System à
c’est une filiale du groupe de communica- Edward Shattuck et à Roy W. Porter qui
tion McGraw-Hill spécialisée dans la nota- publiait des fiches du même style que celles
tion des entreprises industrielles. Dès 1860, produites par le Standard Statistics Bureau,
l’activité qui devait plus tard donner nais- devenu en 1919 le Standard Statistic Inc.
sance à Standard & Poor’s est créée par Dans le même temps il a acheté le Poor’s
Henry Varnum Poor (1812-1905), qui com- Railroad Manual Co. à la compagnie qui
pilait alors de l’information financière sur avait repris, à leur décès, les intérêts de
les sociétés de navigation fluviale et de che- H.V. et H.W. Poor. La fusion entre Moody’s
mins de fer américaines, dans lesquelles de Manual Co. et Poor’s Railroad Manual co. a
nombreux épargnants (notamment euro- pris le nom de Poor’s Publishig co. En
1923, la société qui étudiait en détail,
péens) commençaient à investir sans pou-
chaque semaine, 253 sociétés américaines a
voir, du fait de l’éloignement, se constituer
augmenté sa notoriété. On a eu véritable-
une opinion confortée par des visites sur
ment la preuve de son sérieux et de son pro-
place. Poor a donné comme slogan à sa
fessionnalisme en 1929 lorsque, très en
société « the investor’s right to know » et il
avance sur ses concurrents, elle conseillait à
est considéré comme l’un des pionniers de
ses clients de liquider leurs actifs financiers
l’information financière publique. Aidé de
en leur rappelant que le prix des actions,
son fils Henry William (1844-1915) il a
trop spéculatif, atteignait des niveaux
constitué la société H.V. & H.W. Poor Co. et
insoutenables qui allaient conduire à une
publié, en 1868, le Manual of the Railroads
catastrophe. Poor’s a fusionné en 1941 avec
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of the United States qui, en quelques mois, la Standard Statistics Inc., l’entreprise de
est devenu un succès de l’édition financière, bases de données financières, pour intro-
avec 2 500 exemplaires vendus au prix de duire plus de transparence dans l’informa-
5 dollars. En 442 pages, cet ouvrage, actua- tion financière – à l’époque encore peu
lisé chaque année, contenait l’essentiel à développée et peu standardisée – donnée
connaître sur les investissements dans le par les entreprises émettrices de titres cotés
secteur ferroviaire (firmes, performances, et, un nouveau Bonds Guide évaluant
opportunités) (Sandage, 2005). En 1873, 7 000 types d’obligations municipales est
Henry Varnum Poor se retirait dans le édité. En 1946, Standard & Poor’s utilisait
Massachussetts, avec le sentiment du devoir un ordinateur IBM à cartes perforées pour
accompli : en trente ans, il a fait de Poor’s le donner à ses travaux plus d’efficacité et de
leader du marché de l’information utilisable sécurité. Cette avancée technologique déci-
par Wall Street. Par ailleurs, en 1906, Luther sive a permis 10 ans plus tard, en 1957,
Lee Blake (1874-1953), pressentant lui la construction de l’indice S & P 500.
aussi le besoin d’informations financières Standard & Poor’s est depuis 1966 une divi-
rigoureuses et fiables, a constitué le sion du groupe de médias McGraw-Hill,
Standard Statistics Bureau qui publiait des qui éditait naguère, entre autres, l’hebdo-
54 Revue française de gestion – N° 227/2012

madaire BusinessWeek18. Le succès de l’en- des sept premières agences de notation de


treprise ne se démentant pas, l’agence de statut NRSRO reconnues par la SEC en
Londres est ouverte en 1984 et celle de 1975. En 1989, elle a fait l’objet d’une aug-
Tokyo en 1986. Pour entrer sur le marché mentation de capital et sa nouvelle direction
français, il a fallu constituer une joint ven- lui a permis d’obtenir des performances
ture avec l’Agence d’évaluation financière spectaculaires. Cette croissance a perduré
(ADEF). La vague de contrôles et de prises dans les années 1990, et, pour se distinguer
de participations s’est poursuivie avec l’ac- de ses deux principaux concurrents, elle a
quisition de la société australienne Austra- offert des recherches et des analyses origi-
lian Ratings. Parallèlement à cette volonté nales, des explications pédagogiques pour
d’extension mondiale, Standard & Poor’s des produits dérivés de plus en plus com-
construisait l’indice MidCap 400 en 1991, plexes. Sa couverture mondiale est facilitée
bientôt suivi de SmallCap 600 en 1994, après sa fusion en 1997 avec IBCA Limited,
complétant l’offre du S&P 500, puis du agence de notation basée à Londres et elle a
S&P 1 500. Rien ne semblait arrêter l’entre- commencé à analyser la situation des
prise, assurant ses bases à Toronto, à grandes banques, des institutions financières
Mexico, à Hong Kong, à Singapour et importantes et des fonds souverains, parfois
même à Moscou, et se dotant d’une image délicats à appréhender. Une des consé-
véritablement internationale. En 2010, quences de la fusion avec IBCA a été de
Standard & Poor’s, est présente dans plus transférer Fitch à la société holding Fimalac
de 20 pays d’importance économique S.A., entreprise française qui détient 80 %
majeure, avec 8 500 employés, soit 2 200 du capital. Forte de ses atouts dans la nota-
de plus qu’en 2005. Avec 44 % du marché, tion des banques, Fitch-IBCA a ensuite
elle notait, en 2009, 955 entreprises, racheté en 2000 la quatrième agence de nota-
tion américaine, Duff and Phelps, puis
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306 établissements financiers et 173 collec-
tivités locales. Pour sa part, S & P France Thomson BankWatch, agence également
notait 79 entreprises, 105 établissements spécialisée dans la notation des banques. La
financiers et 25 collectivités locales. dynamique de croissance de Fitch lui permet
d’avoir 3 000 employés dans ses 49 bureaux
Fitch et la formalisation de la notation mondiaux, où New York et Londres jouent le
De même, l’agence Fitch a commencé rôle de leaders. Insatiable, Fitch a pris le
comme un éditeur d’informations statis- contrôle d’Algorithmics en janvier 2005,
tiques et financières, la Fitch Publishing pour compléter ses méthodes et produits
Company créée en 1913 à New York par d’analyse des risques. Algorithmics, entre-
John Knowles Fitch, avant de se lancer dans prise canadienne de Toronto, avait une place
le métier de la notation et d’introduire en enviable sur le marché de la gestion du
1924 l’échelle désormais familière de notes risque et employait 660 professionnels dans
allant de « AAA » à « D ». Fitch a été l’une 18 bureaux internationaux. Enfin, en 2008,

18. BusinessWeek, fondé quelques semaines avant la crise boursière de 1929, est repris le 13 octobre 2009 par
Bloomberg L.P. pour un prix estimé à 5 millions de dollars. Le contrat officiel est signé avec McGraw-Hill le
1er décembre 2009.
Les agences de notation financières 55

Fitch a fondé Fitch Solutions, société de for- Poor’s et Fitch. Deux nouvelles entités ont
mation spécialisée dans les techniques ensuite bénéficié de l’homologation
approfondies de connaissance et de gestion NRSRO :
de titres à revenu fixe et de gestion des – Dominion Bond Rating Service Limited
risques de crédit. Cette offre de formation de (DBRS), une agence canadienne qui note
Fitch Solutions est complétée par les ser- principalement des sociétés industrielles ;
vices d’une autre filiale complémentaire, – A. M. Best, une des plus anciennes agences
Fitch Training. Ces dernières années, la américaines spécialisée dans la notation en
troisième agence de notation a fait preuve matière d’assurance et de réassurance.
d’une stratégie agressive, et l’ambition la Depuis des décennies, les trois principales
pousse à progresser plus rapidement que ses agences possèdent des marges très confor-
rivales. En 2010, Fitch Rating, représentant tables (de 20 % à 45 % du chiffre d’affaires)
14 % du chiffre d’affaires mondial des du fait qu’il existe d’importants obstacles à
agences de notation, notait 3 500 banques l’entrée dans cette activité. L’un des princi-
et 1 400 compagnies d’assurances. Elle ana- paux freins est la réputation ainsi que la
lysait 2 000 émissions d’entreprises, 300 confiance des investisseurs dans la qualité
émissions d’États et d’autorités territoriales, des notes qui ne peuvent en effet être capi-
46 000 émissions municipales et 6 500 émis- talisées qu’à long terme, par le biais de la
sions de financement structuré aux États- production systématique de notes servant
Unis. d’indicateurs fiables du risque de crédit.
Les économies d’échelle liées aux activités
La concentration des agences de notation viennent renforcer la réputation
et la constitution de l’oligopole de fait
comme obstacle naturel à l’entrée.
L’émergence de l’oligopole de fait consti- Les trois principales agences de notation
tué par les trois principales agences de nota- présentent le risque de biais des notations
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tion est largement facilitée par l’octroi de qui peuvent conduire à une baisse de qualité
licences NRSRO par la SEC en 1975 aux des méthodes, car les agences, en position
sept premières agences. Les trois premières de leader, deviennent moins soucieuses de
agences ont adopté une stratégie – gagnante préserver leur réputation. Mais peut-être
– d’alliance, d’absorption et de fusions qui aussi que le marché n’est pas prêt à suppor-
est motivée par la volonté de bénéficier du ter un nombre plus élevé d’agences, en rai-
professionnalisme et de l’expérience des son de la complexité du traitement parallèle
analystes ainsi que par les suppléments des de différentes échelles et méthodologies de
revenus dus à la concurrence entre les notation. En d’autres termes, les méca-
agences. Le tableau 3 présente schémati- nismes intrinsèques du marché de la nota-
quement le mouvement de capital des tion – à la différence sans doute du marché
agences. de l’audit – contribuent peut-être à une
Jusqu’en 2003 seuls les trois leaders, forme d’oligopole naturel. Pour autant, les
confortés en 1990 dans leur statut NRSRO marges d’exploitation élevées des agences
ont survécu et dominent le métier, accrédi- continuent de poser question quant au bon
tés par la SEC : Moody’s, Standard and fonctionnement de la concurrence dans ce
56 Revue française de gestion – N° 227/2012

Tableau 3 – Évolution de la situation des 7 agences agréées NRSRO de 1975

Premières agences Opérations Structure


de notation sur le capital de l’actionnariat

Filiale à 100 % de la société


Filiale à 100 % de Moody’s
Moody’s Investors Service, inc. Dun and Bradstreet de 1962 à
Corp. Indépendante
2000.

Depuis 1966, division du


Standard and Poor’s Filiale à 100 % du groupe
groupe d’édition McGraw-
Corporation d’édition McGraw-Hill.
Hill.

Création de Fitch-IBCA en Filiale à 100 % de Fitch


1998 par fusion entre Fitch Groupe, détenu lui-même
Investors Service Inc. et à 60 % par Fimalac
Fitch Ratings l’agence française IBCA- et à 40 % par Hearst Corp.
notation. OPA de Fitch-IBCA Fimalac est détenu à 80 %
sur Duff and Phelps, inc. en par le groupe
2000. M. De Lacharrière.

Reprise par le groupe Fitch- Filiale à 100 % du groupe


Duff and Phelps, inc.
IBCA, en mai 2000. Fitch-IBCA

Reprises, en 1985, par la


McCarthy, Crisanti and Maffei, société Xerox Information
inc. Systems, puis par Duff and
Phelps, en 1991.
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secteur. Les crises récentes ont amené à investisseurs à la recherche d’informations
s’interroger sur le rôle, le domaine et l’uti- pertinentes (Wakeman, 1998). Les agences
lité des agences de notation. ont donc un rôle de traitement de l’informa-
tion pour les marchés financiers. De plus, la
II – L’ACTIVITÉ ACTUELLE règlementation actuelle les contraint à certi-
ET LE DOMAINE DES AGENCES fier cette information publiée (Cantor et
DE NOTATION Packer, 1994). La notation de crédit porte
aussi bien sur une société (note dite de
La notation de crédit ou credit rating se « référence ») que sur une émission particu-
définit comme l’activité de publication lière ou encore sur un support de titrisation
d’une évaluation du risque de défaut d’un et tout type de dette financière. Elle est en
émetteur d’emprunts ou de dettes finan- général sollicitée par l’émetteur de la dette
cières. Les notations des agences ou CRA mais elle peut aussi être fondée uniquement
sont un outil utile, et de plus en plus utile, sur des données publiques, par une notation
pour la prise des décisions de la part des non sollicitée (Gerst et Groven 2004).
Les agences de notation financières 57

Les agences distinguent deux types de « informés » et « non informés » notam-


notes : à court et à long terme. La notation ment étrangers, en estimant le risque de
traditionnelle qui s’applique aux emprunts défaut de l’emprunteur avant l’émission
émis sur le marché et la notation de réfé- puis en assurant un suivi de l’émission.
rence qui mesure le risque de contrepartie Elles assurent en outre une diffusion de
pour l’investisseur représenté par cet émet- l’information plus efficiente et aussi une
teur. Les agences, lorsqu’elles évaluent le hiérarchisation des émissions autorisant
risque financier, tiennent compte tout l’accès au marché d’émissions risquées ou
d’abord des éléments purement financiers même de pacotille, moyennant une prime
tels que la rentabilité financière globale, la de risque appropriée.
rentabilité des capitaux investis, le cash- À côté de cet apport informatif, les agences
flow, le niveau d’endettement, la flexibilité contribuent à la gestion des portefeuilles en
financière et la liquidité. Elles intègrent de proposant des conseils aux investisseurs via
plus en plus dans leur appréciation des élé- les orientations à moyen terme émises avec
ments non quantitatifs tels que la gouver- les notes. Mais ce service, qui devrait être
nance, la responsabilité sociale de l’entre- fondé sur une constatation a posteriori, du
prise ou sa stratégie. type « étant donné la situation financière de
l’entreprise et sa notation, que devons nous
1. L’impact des agences de notation faire ? » s’est parfois transformé en service
sur le marché financier
a priori ce qui change totalement la nature
Sous réserve de conserver la confidentialité du problème puisque l’agence passe du rôle
des informations fournies et d’éviter les d’évaluateur au rôle de conseiller, par
délits d’initiés, les agences de notation peu- nature différent.
vent disposer d’informations privilégiées Les agences de notation jouissaient donc
sur l’état financier et les perspectives d’ave- d’une bonne réputation et d’un rôle essen-
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nir de l’émetteur analysé, tout en réduisant tiel dans les financements des économies.
le coût de collecte et de traitement de l’in- Au fil du temps, les régulateurs pour des
formation. Elles se distinguent des ana- raisons pratiques, ont cherché de plus en
lystes financiers, qui n’ont en principe plus à imposer le recours à la notation dans
accès qu’à l’information publique (infor- le financement des investisseurs. Cette ten-
mations qualifiées de blanches). Mais si dance de fond fait suite au financement sys-
elles ont l’avantage de bénéficier d’infor- tématique par le marché, que ce soit dans
mations privilégiées de la part des émet- une formulation simple prenant la forme
teurs (informations qualifiées de grises) d’emprunts obligataires ou assimilés ou de
elles sont dépendantes de l’information produits nouveaux où le risque de défaut est
fournie par les émetteurs. difficile à appréhender car il est diffus dans
Ainsi, les agences de notation sont censées des modes de financement complexe tels
réduire l’asymétrie d’information, au sens de que les titrisations.
la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, Les agences synthétisent l’information
1976) et de la théorie des « noisy rationnal pour les besoins du marché et les investis-
expectations » de Grossman et Stiglitz seurs ont semblé accorder leur confiance à
(1981), entre les acteurs des marchés cette information de façon excessive.
58 Revue française de gestion – N° 227/2012

Comme on l’a vu récemment avec le cas – Critique de la validité des notes attribuées
des États-Unis et de la Grèce, le marché et de leur arbitraire : les agences ont du mal
réagit fortement et parfois irrationnelle- à annoncer une note ou une modification de
ment à toute modification effective de note note au bon moment. Ce bon timing est par-
ou à une simple annonce d’une révision ticulièrement recherché en période de
hypothétique de cette note. Les agences de crise : dans le passé, elles ont souvent réagi
notations, qualifiées de plus en plus de tardivement, annihilant leur efficacité
« pseudo-initiés » selon la forme forte de la comme dans le cas d’Enron en 2002. Par-
théorie de l’efficience informationnelle des fois, au contraire elles dégradent les notes
marchés financiers, ont une influence trop hâtivement et elles sont alors accusées
de créer la crise.
réelle sur lesdits marchés. L’impact de leur
– L’opacité de leur méthodologie : en effet,
décision sur les émetteurs et les investis-
pour éviter la copie de leurs procédures et
seurs est décisif. À l’inverse, une réaction
pour protéger leur marché, elles communi-
excessive était tout à fait prévisible devant
quent et informent peu sur leur méthode de
leur incapacité de prévision des crises
notation et sur la part consacrée à chaque
financières de ces dernières décennies. Ces
indicateur retenu. Degos et al. (2010)
dysfonctionnements génèrent des critiques apportent quelques précisions sur les ajus-
et des accusations portées à l’encontre des tements qu’elles effectuent.
agences de notation et il est nécessaire de – L’inexistence de règles de diffusion de
les comprendre et d’expliquer les réactions l’information : les agences émettent leur
des agences. notation sans contrainte formelle ni sur-
2. Les agences de notation, critiquées veillance d’un organisme de tutelle. Malgré
pour leurs actions et ambiguës leur important impact sur les marchés
dans leurs relations financiers, les agences de notation n’ont
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Les critiques adressées aux agences de pas fait l’objet de supervision et de
contrôles officiels par les pouvoirs publics.
notation sont de différents ordres :
La SEC s’est toujours interdit de donner des
– Pratiques douteuses engendrant des
directives sur les méthodes de notation, spé-
conflits d’intérêts : certains employés des
cialement dans le Credit Rating Agency
agences sont à la fois impliqués dans les
Reform Act de 2006 ; elle demande seule-
relations commerciales, avec le pouvoir de
ment à avoir connaissance des méthodes
négocier les honoraires, tout en étant utilisées. Quelques-unes d’entre elles ont
concernés par le processus d’analyse. Les respecté, à titre volontaire, un ensemble de
agences de notation doivent travailler étroi- normes non contraignantes. Elles n’ont
tement avec les émetteurs des instruments donc pas à tenir compte des conditions du
évalués pour collecter les informations marché, dont elles peuvent, si elles le sou-
nécessaires et, parce que c’est par eux haitent, faire abstraction. Ceci est d’autant
qu’elles sont payées, mais il y a un risque plus paradoxal que les régulateurs tels que
inhérent et substantiel qu’elles puissent la SEC aux États-Unis ou l’AMF en France
compromettre leur indépendance et leur obligent les sociétés cotées (listed compa-
objectivité, à cause de ce conflit d’intérêt. nies aux États-Unis) à fournir une informa-
Les agences de notation financières 59

tion de manière régulière, périodique et tions dans la détermination du risque de


validée par des commissaires aux comptes. crédit. Dans le même souci d’efficacité, le
– Une dernière critique, dont on peut se marché remplirait mieux sa fonction de
demander si elle est fondée ou si c’est de la valorisation et de sanction des risques en
simple médisance, est l’existence de rela- exploitant une information plus pertinente
tions obscures avec les intermédiaires et transparente. Depuis quelques années, les
financiers et les émetteurs. régulateurs internationaux ont conforté les
Ainsi, les agences de notation ont un pou- agences de notations dans leur position en
voir important qui leur permet d’agir en acceptant leurs conclusions dans l’évalua-
toute impunité car on leur prête un soutien tion du risque crédit par les institutions
réel ou supposé des régulateurs. Cette puis- financières. Ainsi, on note que l’une des
sance et ce soutien ont certainement favo- trois méthodes acceptées pour l’évaluation
risé la création de la structure de l’offre du risque crédit selon la reforme « Bâle
quasi monopolistique que nous pouvons II », appelée la méthode standard, est fon-
constater aujourd’hui. Leurs relations avec dée en partie sur les notations externes, des
les organismes régulateurs sont souvent agences de notation ou de la Banque de
ambigües. France, en France. Cette reconnaissance
Le 23 octobre 2000, la SEC a établi la officialisée de la qualité des informations
« regulation fair disclosure » qui permet aux fournies par les agences de notation n’est
agences de notations de disposer d’informa- cependant qu’une reconnaissance implicite
tions privées plus complètes que celles des puisqu’il n’y a toujours pas d’agrément ou
analystes financiers. Jorion et al. (2005) ont de certification des autorités pour ce qui
démontré que dans la période post fair dis- concerne les notations fournies. Néan-
closure l’effet lié aux informations publiées moins, les accords « Bâle II » exigent que
par les agences de notation a été plus fort sur les notations proviennent d’agences de
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les marchés financiers américains. notation, appelées organismes externes
Le comité de Bâle19 proposait déjà de ren- d’évaluation du crédit, qui soient agréées
forcer le rôle joué par les agences de nota- par des autorités externes. Par ailleurs, on
tion et la discipline de marché dans le dis- peut observer que la réglementation pru-
positif de mises en place des normes dentielle de Bâle II ne comporte pas vrai-
prudentielles, en particulier de l’indicateur ment d’incitation à faire passer la structure
de solvabilité bancaire (ratio Cooke puis oligopolistique de ce secteur à une structure
Mac Donough). Les agences offriraient plus concurrentielle, les organisations
plus de finesse dans l’évaluation de la qua- importantes préférant toujours collaborer
lité des créances et donc de leurs pondéra- avec des organisations importantes et non

19. Les ratios dits de Bâle I (ratio Cooke de 1992) et de Bâle II (ratio Mac Donough de 2007) essaient d’obliger les
banques à conserver des fonds propres, représentant 8 % de leurs actifs, mais les fonds propres sont souvent « pol-
lués » par des dettes subordonnées qui font que les règles prudentielles sont illusoires. Ces règles prudentielles tien-
nent aussi compte des risques, mais pas des risques absolus, seulement des risques retraités et pondérés par les
agences de rating qui donnent des notes. Ce système rend difficile l’appréciation des bonnes et des mauvaises
créances, et cette appréciation ne s’est pas améliorée lorsqu’on est passé du ratio Cooke au ratio Mac Donough.
60 Revue française de gestion – N° 227/2012

pas avec des microstructures qui ont à la correcte. Avec deux notations, le risque de
fois moins de visibilité et moins de surface voir la note diminuée et d’être obligé de
de contrôle. choisir la note la plus défavorable est
Cette nécessité d’agrément des agences important. Avec trois notes les émetteurs
suggéré par « Bâle II » incite les clients des espèrent obtenir que celle-ci soit meilleure
agences, à favoriser les agences agréées par et en désespoir de cause, ils tentent parfois
les régulateurs et inéluctablement, elle de négocier ladite note ou d’exercer
conduit à un renforcement de l’oligopole. quelques pressions sur les agences. Le prin-
En outre, la réglementation « Bâle II » pré- cipal problème est donc celui de la concen-
cise que si l’émetteur est noté par deux tration de ces agences de notation : près de
agences, il doit retenir la plus défavorable, 94 % du marché est dominé par les trois
s’il obtient plus de deux notes, il doit garder grandes agences américaines : S&P’s,
la meilleure note si elle est fournie par au Moody’s et Fitch, 72 agences de notation se
moins deux agences, sinon, il retient la note partageant marginalement le reste. En
intermédiaire. Dans ce cadre, les émetteurs outre, l’objet, la typologie, le mode de tari-
sont rationnellement incités à demander fication et les moyens de diffusion des
une seule notation, qui clarifie l’informa- notes sont relativement similaires d’une
tion, qui diminue les coûts mais qui ren- agence à l’autre même si des spécificités
force ainsi la structure oligopolistique. Si la existent toujours sur la pratique et le mode
note unique est mauvaise, la décision la de communication des notations non solli-
plus rationnelle est d’essayer d’obtenir trois citées ainsi que sur les services d’évaluation
notes afin de garder une note intermédiaire de projets.

Tableau 4 – Déclaration de couverture des agences NRSRO


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Produits
Institutions États et
NRSRO Assurance Industrie financiers Total
financières assimilés
structurés
Moody’s 76 801 5 455 31 008 106 337 862 240 1 081 841
Fitch 72 311 4 599 12 613 69 515 352 697 511 735
S&P 52 500 8 600 41 400 124 600 104 500 331 600
DBRS 16 630 120 5 350 8 430 12 400 42 930
LACE 17 263 60 1 000 61 18 384
A. M. Best 3 5 364 2 246 54 7 667
JCR 156 31 518 64 53 822
R&I 100 30 543 123 796
Total ratings 235 764 24 259 94 678 309 00 1 332 074 1 995 775

Source : déclaration des agences statut NRSRO à la SEC (mars 2010).


Les agences de notation financières 61

Un tel degré de concentration peut s’expli- d’ambigüité entre les analystes financiers,
quer20 notamment par l’existence de coûts demandeurs et consommateurs de leur pro-
d’entrée importants, d’où un marché rela- duit et les auditeurs, fournisseurs des infor-
tivement peu contestable. En effet, les mations privées et clients. Les barrières à la
émetteurs veulent être notés par des sortie sont très fortes puisque rompre un
agences reconnues par les investisseurs. contrat et quitter une agence est souvent
Or les investisseurs se fient aux agences interprété comme un signal de fuite devant
qui ont une réputation d’efficacité dans la la perspective d’une note future en voie de
notation, et cette réputation ne peut s’obte- dégradation, et les marchés réagissent vive-
nir sans des références passées à la qualité ment à ce type de signal. Les conflits d’in-
du rating, représentées par un historique, térêts sont encore plus importants en cas de
permettant de tester sur le moyen terme ou notation non sollicitée, même dans le cas ou
sur le long terme la fiabilité de la notation l’émetteur décide, après mure réflexion, de
d’une agence. Les nouveaux entrants, en devenir client de l’agence qui a pratiqué
particulier les Chinois, tentent de surmon- l’analyse non sollicitée. Ce conflit d’inté-
ter ce handicap en offrant des notations rêts est aujourd’hui au centre de la contro-
non sollicitées qui, par principe, sont de verse qui ne pourra être levée que par la
moins bonne qualité car elles sont fondées mise en place d’un organisme de
sur des informations publiques, avec tous contrôle21. Cette solution est refusée par les
les biais inhérents à ces informations, sans agences de notation arguant qu’il y a une
la valeur ajoutée par l’apport d’informa- atomisation de la part de leur revenu entre
tions privées plus pertinentes, fournies par leurs clients et donc une absence de risque
la société. Ceci nous amène à évoquer les de dépendance. De plus, les notes doivent
relations particulières qui gouvernent les demeurer un simple avis et non une infor-
mation ayant une valeur et une conséquence
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contrats entre les agences de notation et les
émetteurs. juridique. En outre, Bannier et al. (2010)
expliquent la faiblesse des notations non
3. Naissance de difficultés et de relations sollicitées, par rapport aux notes comman-
conflictuelles avec les émetteurs dées, par le conservatisme stratégique des
Le plus souvent, l’agence de notation est agences de rating lors de la publication de
rémunérée par l’entreprise émettrice, ce qui ces notations.
relativise le souci d’indépendance de son En somme, les agences se fondent sur la
jugement et qui en donne une image confiance qu’elles ont capitalisée vis-à-vis
ambigüe. Elles peuvent servir de média et de leurs clients et du marché. Covitz et
donc d’axe d’attaque médiatique pour les Harrison (2003) confirment, à partir des
émetteurs en vue de convaincre le marché. spreads sur les notations moyennes du mar-
Elles ont un comportement non dépourvu ché obligataire américain, que les agences

20. Voir l’analyse historique en début d’article.


21. Étant donné l’impact international de l’oligopole constitué des agences de notation, cet organisme ne pourrait
être que supranational, ce qui entrainerait les difficultés que connaissent tous les organismes supranationaux,
lorsqu’ils ont en particulier à arbitrer des conflits où plusieurs blocs ont des intérêts opposés.
62 Revue française de gestion – N° 227/2012

semblent plus préoccupées par l’effet de aux institutions, sont des notes objectives et
réputation que guidées par des conflits d’in- supprimer les agences de notation finan-
térêts dans l’ajustement des notes. Ceci a cière ne supprimerait pas l’endettement
pour conséquence de favoriser encore plus excessif et les portefeuilles composés d’ac-
la concentration des agences et leur objectif tifs toxiques de ceux qui souhaitent leur dis-
permanent de croissance. Les dégradations parition ou leur mise entre parenthèses. En
récentes des notes de pays comme les États- quelques décennies, les agences de l’oligo-
Unis, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et les pole dont l’action est contestée par les
menaces de perte du « triple A » pesant sur émetteurs de niveau supérieur ont su créer
la France montrent bien l’exaspération des et satisfaire un besoin d’information dont il
gouvernements qui vont jusqu’à dire que la serait difficile de se passer. Il est injuste de
notation est antidémocratique. On peut se les accuser de tous les maux et elles ont
demander si de telles protestations sont montré qu’elles étaient tout à fait capables
légitimes, bien qu’il y ait un lien entre la de défendre leurs intérêts et leur cœur de
dégradation, la mise en évidence des métier. Et si on parvenait à museler les
risques de défaut et l’augmentation des taux membres influents de l’oligopole, rien ne
d’intérêt des pays dégradés. Mais nous dit qu’on pourrait toutes les éradiquer. Une
sommes peut-être dans une situation ana- nouvelle génération d’agences, telles que
logue à celle qui a permis la création et l’agence chinoise Dagong, qui a dégradé, le
l’abandon du baromètre de Harvard. En 5 août 2011, la note souveraine américaine,
1917, l’université Harvard a crée un Com- un jour avant Standard & Poor’s, est prête à
mittee for Economic Research et confié à prendre le relai, et qui sait ? À participer à
Warren S. Persons, professeur au Colorado un nouvel oligopole.
College la construction d’un baromètre
économique. Les deux premiers numéros
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CONCLUSION
de la Review of Economic Statistics22 de
1919 exposent sa méthode de construction Initialement, les agences de notation ont
d’un indice général. Cet indice, exclusive- réagi selon une logique économique de
ment prédictif, a bien fonctionné entre 1919 développement externe en favorisant leur
et 1930, dans son rôle de support à l’ana- croissance grâce à des fusions-acquisitions
lyse théorique des cycles économiques entre concurrents. Il en résulte une situation
(Persons, 1919, p. 112-113). Les respon- d’oligopole, ou de quasi-oligopole qui pose
sables d’Harvard ont considéré en 1930 que quatre types de problèmes. Les employés
les résultats du baromètre étaient aberrants des agences de notation ont parfois un
et l’on abandonné, ce qui a privé l’écono- double rôle : impliqués dans des relations
mie américaine et mondiale d’un outil qui commerciales où ils ont le pouvoir de négo-
prévoyait la future crise de 1929. N’en est- cier leurs honoraires, ils sont aussi concer-
il pas de même avec les agences de nota- nés par le processus technique d’analyse, ce
tion ? Les notes – insupportables – données qui engendre des conflits d’intérêts. La

22. La revue a changé de nom en 1948, et s’appelle The Revue of Economics and Statistics. Elle est rédigée par
l’École de sciences politiques John Kennedy d’Arvard et elle est publiée par The MIT Press.
Les agences de notation financières 63

baisse d’une note n’est jamais bien perçue Compte tenu de la sensibilité du secteur
par les émetteurs qui ont l’impression que dans lequel elles opèrent, il semble que les
les agences font preuve d’arbitraire à leur autorités de tutelle n’ont pas réagi dans le
égard. Les agences ont du mal à annoncer bon sens en tentant de préserver une
une note ou une modification de note au concurrence illusoire entre les CRA. Il
bon moment et les crises, telle celle de la semble que les autorités n’ont pas assez
Grèce, n’arrangent rien. On leur reproche considéré le poids, l’influence et les effets
aussi l’opacité de leur méthodologie : en de l’information financière et comptable
effet, pour éviter la copie de leurs procé- dans la vie économique. Les principales
dures et pour protéger leur marché, elles agences sont à la fois les victimes et les
communiquent et informent peu sur leur bénéficiaires de la situation oligopolistique.
méthode de notation et sur la part consacrée La crise financière actuelle souligne, s’il
à chaque indicateur retenu. Elles ont tou- était encore besoin de le prouver, que les
jours été protégées par la SEC qui a refusé flux d’information, comme les flux moné-
de leur donner un cadre rigide d’analyse et taires, sont une condition nécessaire au bon
de notation. Il en résulte une absence de fonctionnement des marchés. Le marché
règles de diffusion de l’information : les captif du tout financier préoccupe les
agences émettent leur notation sans grands États qui rêvent de modifier la nota-
contrainte formelle ni surveillance d’un tion des entreprises, des produits et des pays
organisme de tutelle. Malgré leur important et de décloisonner le marché actuel. La
impact sur les marchés financiers, les cohabitation actuelle, en évolution dyna-
agences de notation n’ont pas fait l’objet de mique, de la structure oligopolistique des
supervision et de contrôles officiels par les agences financières et de la structure d’un
pouvoirs publics23. Mais il est difficile pour monde en crise, débouchera sans doute sur
ceux-ci d’une part, de prôner une attitude des mutations, des interactions et de nou-
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libérale et d’autre part, de faire obstacle aux velles remises en question de l’oligopole
conséquences de cette attitude. controversé que nous venons d’étudier.

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Sénat américain, 639 pages, daté du 13 avril 2011, critique non seulement des banques comme Goldman Sach et la
Deutsche Bank mais encore les agences de notation Moody’s et Standard & Poor’s (p. 26-28). Il prévoit aussi les
risques d’une nouvelle crise bancaire et financière.
64 Revue française de gestion – N° 227/2012

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